Réf. : CJUE, 4 février 2020, aff. C-515/17 P, Uniwersytet Wroclawski c/ Agence exécutive pour la recherche (REA) (N° Lexbase : A87913CL)
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par Nicolas Hervieu, Chargé d’enseignements à Sciences Po et à l’Université d’Evry
Le 03 Avril 2020
Mots-clefs : Jurisprudence • Commentaire • Arrêt Uniwersytet Wrocławski • Droit européen • Avocat
1. « Dans cet assujettissement presque général de toutes les conditions, un Ordre aussi ancien que la Magistrature, aussi noble que la vertu, aussi nécessaire que la Justice, se distingue par un caractère qui lui est propre ; Seul entre tous les états, il se maintient toujours dans l'heureuse et paisible possession de son indépendance » [1]. C’est par ces mots qui ont traversé les siècles, depuis leur formulation par le Chancelier Henri-François d’Aguesseau dans son célèbre discours de 1693, que l’indépendance des avocats est souvent saluée comme une qualité cardinale, voire consubstantielle à la profession.
De fait, nul n’ignore que cette vertu figure en bonne place dans le pentaptyque sacramentel que tout avocat, en France, se doit de prononcer avant de revêtir la robe : « Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».
Cependant, l’indépendance se distingue quelque peu des autres principes essentiels de la profession d’avocat, tant il est riche d’ambivalence et de contradictions.
Certes, instinctivement, chacun peut aisément se représenter l’indépendance de l’avocat en songeant à l’image quelque peu romanesque du professionnel libre de toute entrave, dévoué à la noble cause de la défense et qui « néglige par décision claire et ontologique le bénéfice privé, l'accumulation, l'esprit de lucre, comme mobile unique de son activité » [2].
La réalité est néanmoins plus nuancée.
D’une part, toujours selon d’Aguesseau, « l'indépendance ne peut se concevoir en dehors des ordres », de sorte que l’avocat ne saurait être conçu comme un électron libre de toutes règles et contraintes professionnelles.
D’autre part, le même Chancelier – en réalité bien moins favorable aux libertés des avocats que ne le suggèrent les extraits les plus célèbres de ses discours [3] – n’a pas manqué de souligner que la profession d'avocat, à trop dépendre de l’appât du gain et donc des subsides du client, « de la plus libre et la plus noble de toutes les professions, devient la plus servile et la plus mercenaire » [4].
Bien évidemment, une telle critique est un peu réductrice. Car il est inconcevable qu’au nom du principe d’indépendance, un avocat puisse se détacher totalement de son client. Sauf à fouler aux pieds ce qui est la raison d’être de son existence : la protection des droits de la défense de ce même client, ce qui implique de toujours agir avec son assentiment et dans son intérêt.
Quoiqu’il en soit, face à un tel dilemme où l’impératif d’indépendance de l’avocat se heurte à des contingences apparemment insurmontables et incompatibles avec cet idéal, les perspectives d’équilibre semblent étroites.
Or, en écho à ces interrogations, l’arrêt « Uniwersytet Wrocławski » rendu le 4 février 2020 par la Cour de justice de l’Union européenne offre d’intéressantes conclusions, dont les enseignements concernant l’exigence d’indépendance de l’avocat dépassent les seules limites du droit de l’Union.
2. Aux origines de cette affaire portée jusque devant la Grande Chambre de la Cour de Luxembourg réside un litige européen relativement classique - et initialement à mille lieues du statut de l’avocat - opposant l’Université de Wrocław (« Uniwersytet Wrocławski ») en Pologne à l’ Agence exécutive pour la recherche (REA). Par une série de décisions, cette agence qui agit sur délégation de la Commission européenne a résilié une convention de subvention en raison de manquements imputés à l’Université polonaise et a demandé le remboursement d’une série de sommes versées à cette dernière ainsi que des dommages et intérêts.
En conséquence, sur le fondement de l’article 263 du Traité relatif au fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») [5], l’Université de Wrocława initié un recours en annulation contre ces décisions devant le Tribunal de l’Union européenne, compétent en premier ressort pour connaitre d’un tel contentieux. Cependant, la juridiction européenne ne s’est pas estimée autorisée à se prononcer sur le fond, puisque le contentieux a très vite achoppé sur la condition de représentation du requérant par un avocat.
Certes, comme le souligne l’avocat général Michal Bobek dans ses conclusions sur cette affaire devant la Cour de justice, « le processus de vérification des qualifications formelles d’un avocat, des certificats requis et de son pouvoir d’agir au nom d’un requérant est un sujet qui, traditionnellement, se retrouve rarement sous les feux de l’actualité (jurisprudentielle). Ce processus de vérification, à la fois discret et banal, constituait une tâche routinière des greffes, les débats sur ce sujet étant réservés aux connaisseurs et aux aficionados de la procédure propre aux juridictions de l’Union européenne » [6]. Mais en l’occurrence, un tel processus de vérification, et surtout son issue devant le Tribunal de l’Union, ont soulevé des interrogations quelque peu épineuses. D’emblée, au titre d’une exception d’irrecevabilité dirigée contre la requête en annulation, le REA a fait valoir que le conseil juridique représentant l’Université de Wrocław ne satisfaisait pas à l’exigence d’indépendance, car il était salarié d’un centre de recherche de la faculté de droit et de gestion de cette Université. En réponse, l’Université de Wrocława fait valoir que son conseil juridique n’était plus lié par un contrat de travail au jour de l’introduction du recours en première instance, mais uniquement par un contrat de droit civil portant sur des charges d’enseignement.
Mais sans convaincre le Tribunal.
3. En effet, sur le fondement des alinéas 3 et 4 de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne [7]- qui prévoient respectivement que « les autres parties [que les Etats membres et institution de l’Union] doivent être représentées par un avocat » et que « seul un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un Etat membre ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen peut représenter ou assister une partie devant la Cour » - et de l’article 51 § 1 du Règlement de procédure du Tribunal - aux termes duquel « les parties doivent être représentées par un agent ou un avocat dans les conditions prévues à l’article 19 du statut », le Tribunal a déclaré le recours en annulation initiée par l’Université « manifestement irrecevable ».
Pour faire droit à l’exception d’irrecevabilité soulevée par le REA, le Tribunal a énoncé que « le rôle de l’avocat est celui d’un collaborateur de la justice appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance juridique dont le client a besoin » et en a déduit que « l’exigence d’indépendance de l’avocat implique l’absence de tout rapport d’emploi entre ce dernier et son client » [8].
Or, en l’occurrence et toujours selon le Tribunal, cette exigence d’indépendance n’était pas satisfaite dans la mesure où le « conseil juridique [de l’Université requérante] est lié par un contrat de services à la partie qu’il est censé représenter ». Et ce, « même si, sur le plan formel, il fallait considérer qu’un tel contrat n’induit pas de relation d’emploi entre ces deux parties » car « il n’en demeure pas moins qu’une telle situation engendre un risque que l’opinion professionnelle de ce conseil juridique soit, à tout le moins en partie, influencée par son environnement professionnel » [9].
4. Bien loin de s’imposer avec évidence, une telle solution ne pouvait manquer d’être soumise au regard solennel de la Cour de justice.
A la faveur des pourvois formés par l’Université de Wrocław et la Pologne - soutenus par les interventions de la République tchèque et de la Chambre nationale des conseils juridiques de Pologne [10] attaquée -, la juridiction européenne suprême a ainsi eu l’occasion d’apporter de précieuses réponses aux deux questions soulevées par ce contentieux et synthétisées comme suit par l’avocat général Bobek : « Qui a le droit de représenter un requérant non privilégié dans le cadre d’un recours direct devant la Cour de justice de l’Union européenne ? Qu’est-ce qu’un ‘avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un Etat membre’, pour reprendre les termes de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ? » [11].
Mais derrière ces interrogations procédurales d’une apparente aridité se dissimulent des enjeux déterminants relatifs, de façon générale, à la figure de l’avocat devant les juridictions européennes (1) et, de façon plus particulière, aux implications exactes de l’exigence d’indépendance qu’il lui appartient de respecter (2). Or, inévitablement, les éléments de réponses apportés par la Cour de justice à cette occasion ne peuvent manquer de susciter de nouveaux débats autour de questions contemporaines et mêmes existentielles de la profession, tel le statut d’« avocat en entreprise » (3).
1 - L’avocat devant les juridictions européennes : un régime juridique hybride
5. A bien des égards, le statut de l’ « avocat » devant les juridictions de l’Union européennes - en l’occurrence, la Cour de justice et le Tribunal - est difficile à saisir.
Et pour cause : Il est écartelé entre le droit national et le droit européen.
Certes, et au premier regard, l’avocat semble saisi par le droit européen au seul prisme du droit national, dès lors que l’alinéa 4 de l’article 19 du statut de la Cour prévoit que « seul un avocat habilité à exercer devant une juridiction d'un État membre ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen peut représenter ou assister une partie devant la Cour ».
Un tel principe - qui ne concerne cependant pas les Etats membres, les institutions de l’Union ou encore certains Etats tiers [12]- trouve seulement un tempérament au sein du 7ème et dernier alinéa de l’article 19 du statut, lequel dispose que « les professeurs ressortissants des Etats membres dont la législation leur reconnaît un droit de plaider jouissent devant la Cour des droits reconnus aux avocats par le présent article ». Cependant, dans l’ensemble de ces cas, la qualité d’avocat ou encore celle de professeurs ayant le droit de plaider dépend de la législation de chaque Etat membre et de l’habilitation délivrée à chaque avocat au sein de ceux-ci, en fonction de procédures nationales propres aux Etats.
6. Un tel constat concernant les procédures de recours direct devant la Cour de justice et le Tribunal de l’Union - recours en annulation [13], en carence [14], en manquement [15] ou encore en responsabilité [16] - vaut également s’agissant des renvois préjudiciels décidés par des juridictions nationales vers la Cour de justice.
En effet, l’article 97.3 du Règlement de procédure de la Cour de justice dispose qu’ « en ce qui concerne la représentation et la comparution [devant la Cour de justice saisie par voie préjudicielle] des parties au litige au principal [devant la juridiction nationale auteur du renvoi préjudiciel], la Cour tient compte des règles de procédure en vigueur devant la juridiction qui l'a saisie ». En d’autres termes, la qualité d’avocat devant la juridiction européenne est, là encore, dépendante du droit national.
Il en est d’autant plus ainsi que l’article 97.3 du règlement de procédure poursuit en indiquant qu’ « en cas de doute quant à la possibilité, pour une personne, de représenter une partie au principal selon le droit national, la Cour peut s’informer auprès de la juridiction de renvoi sur les règles de procédure applicables ».
7. Une telle position n’est certes pas incohérente car, comme l’a rappelé l’avocat général Bobek, il est légitime que « les règles nationales et professionnelles pertinentes continuent naturellement à s’appliquer même dans les procédures devant les juridictions de l’Union » dès lors que « les avocats admis au barreau d’un Etat membre n’échappent pas à l’application de telles règles nationales du simple fait qu’ils plaident devant les juridictions de l’Union » [17].
Mais la réciproque est tout aussi vraie : Il ne saurait être question de faire échapper les avocats issus des Etats membres aux règles et contingences propres au droit de l’Union alors même qu’ils plaident devant les juridictions l’Union.
Il en résulte une position d’équilibre qui a été solennellement renforcée par la Cour de justice dans son arrêt « Uniwersytet Wrocławski » du 4 février 2020.
8. En effet, concernant la représentation des parties - hors Etats membres ou encore institution de l’Union - devant les juridictions de l’Union, la Cour de justice confirme que l’article 19 de son statut « comprend deux conditions distinctes et cumulatives » : « la première condition, énoncée au troisième alinéa dudit article, impose l’obligation pour une telle partie d’être représentée par un avocat. La seconde condition, contenue au quatrième alinéa du même article, prévoit que l’avocat représentant cette partie doit être habilité à exercer devant une juridiction d’un Etat membre ou d’un autre Etat partie à l’accord EEE » [18]. Or, le régime juridique propre à chacune de ces conditions diffère.
D’une part, à propos de la seconde condition, la Cour de justice énonce qu’« il ressort du libellé de l’article 19, quatrième alinéa, du statut que le sens et la portée de cette condition doivent être interprétés par renvoi au droit national concerné » [19]. Ainsi, pour s’assurer qu’un avocat peut prétendre représenter une partie - autre qu’un Etat membre ou une institution de l’Union - devant les juridictions européennes, il suffit de s’assurer que l’intéressé dispose bien d’une telle qualité dans l’Etat membre où il exerce. En l’occurrence, tel était indéniablement le cas s’agissant du conseil juridique représentant l’Université de Wrocław devant le Tribunal de l’Union. Mais d’autre part, s’agissant de la première condition, l’appréciation européenne est bien plus nuancée, car malaisée et délicate. De fait, le seul libellé des textes européens n’apporte guère d’informations puisqu’à l’insigne différence de la seconde condition prévue à l’alinéa 4 de l’article 19 du Statut de la Cour, l’alinéa 3 du même texte - siège de la première condition - se borne à énoncer que « les autres parties doivent être représentées par un avocat ».
Et ce, sans autre précision, ni même de définition [20].
9. C’est dans ces conditions qu’en formation de Grande Chambre, la Cour de justice a décidé de réaffirmer « pour ce qui est de la première condition, relative à la notion d’avocat » qu’ « en l’absence de renvoi par l’article 19, troisième alinéa, du statut au droit national des Etats membres, il convient d’interpréter cette notion de manière autonome et uniforme dans toute l’Union, en tenant compte non seulement du libellé de cette disposition, mais également de son contexte et de son objectif » [21].
Ce constat - qui ne vaut cependant que pour les recours directs devant la Cour de justice et non pour les procédures préjudicielles, pour lesquels la fonction d’avocat peut être exercée par les « personnes habilitées, en vertu du droit national, à représenter une partie dans un litige » [22]- ouvre ainsi la voie à l’exercice par la juridiction de l’Union d’« un contrôle résiduel du caractère adéquat de la représentation en justice dans l’affaire dont elle a été directement saisie, s’agissant en particulier de la question des conflits d’intérêts potentiels »[23] entre l’avocat et son client, partie devant le Tribunal ou la Cour de justice.
C’est à ce titre que la Cour de Luxembourg s’est autorisée à préciser « ce que recouvre, en droit de l’Union, la notion autonome de ‘représentation par un avocat’ » [24] et à dégager l’une des conditions essentielles à une telle représentation : L’indépendance.
2 - L’affinement de l’exigence d’indépendance : une autonomie indexée sur la boussole de la mission de défense
10. Au tout premier rang des « principes essentiels de l’avocat » listés dans la Charte des principes essentiels de l’avocat européen édictée par le Conseil des barreaux européens (CCBE) figure « l’indépendance et la liberté d’assurer la défense de son client »[25].
Cependant, aussi solennel et cardinal soit-il, le principe d’indépendance peine à être définie avec précision.
A cet égard, une distinction - mise en exergue notamment par l’avocat général Bobek dans ses conclusions sur l’affaire « Uniwersytet Wrocławski »- s’avère aussi utile qu’éclairante, en ce qu’elle révèle les deux facettes possibles de l’indépendance de l’avocat. D’une part, la facette « externe » de l’indépendance requiert « l’absence de tout signe de pressions extérieures exercées sur l’avocat par toute autre partie » [26]. Comme l’a souligné le CCBE, cela signifie que « l’avocat doit être indépendant de l’Etat et des sources de pouvoir comme des puissances économiques » [27].
D’autre part, la facette « interne » renvoie à « l’absence de pressions internes, c’est à dire l’absence de conflit d’intérêts » entre l’avocat et son client [28]. En d’autres termes, selon cette exigence, « l’avocat doit aussi rester indépendant par rapport à son client s’il doit jouir de la confiance des tiers et des cours et tribunaux. En effet, sans l’indépendance vis-à-vis du client, il ne peut y avoir de garantie de qualité du travail de l’avocat » [29].
11. Seule à être au cœur de l’affaire « Uniwersytet Wrocławski », cette seconde facette de l’indépendance de l’avocat est aussi la plus délicate. Car elle implique de s’interroger sur « la relation essentiellement privée qui lie l’avocat et son client » [30] sans toutefois, par cette voie, autoriser les juridictions européennes ou encore les autorités nationales à s’ingérer indûment dans le cœur même de la défense.
Autrement dit, le contrôle de l’indépendance de l’avocat en sa facette interne ne saurait insidieusement susciter une menace pour sa facette externe.
Pour résoudre une telle quadrature du cercle, la Cour de justice a donc tâché de préciser les exigences européennes, en prenant le contre-pied des postulats retenus en première instance par le Tribunal de l’Union et en suivant largement les suggestions de l’avocat général.
12. En premier lieu, la Cour de justice énonce explicitement que « si la mission de représentation par un avocat visée à l’article 19, troisième et quatrième alinéas, du statut doit s’exercer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, l’objectif de cette mission consiste surtout, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 104 de ses conclusions, à protéger et à défendre au mieux les intérêts du mandant, en toute indépendance ainsi que dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques » [31].
Ainsi, la Cour s’est inscrite en faux au regard des postulats du Tribunal, lequel a énoncé dans son ordonnance litigieuse que, selon lui, « la conception du rôle de l’avocat dans l’ordre juridique de l’Union, qui émane des traditions juridiques communes aux États membres et sur laquelle l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne se fonde, est celle d’un collaborateur de la justice appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin » [32].
Or, une telle approche du Tribunal est aussi erronée que riche de nombreux dangers.
De fait, comme l’a souligné l’avocat général Bobek, « bien que l’on ne puisse que souhaiter que les avocats soient des héros romantiques et désintéressés qui défendent les intérêts supérieurs de la justice, le cas échéant contre les intérêts de leurs clients et ceux du reste du monde, la réalité veut que la représentation en justice soit principalement un service. Si la prestation de ce service réglementé doit effectivement respecter un certain nombre de conditions et de standards, il ne s’agit pas pour autant d’un service rendu principalement dans l’intérêt supérieur de la justice, mais dans l’intérêt d’un client particulier » [33].
De plus, et même surtout, le raisonnement du Tribunal revient à faire dépendre la validité du mandat de représentation ainsi confié à l’avocat par son client de l’appréciation des juridictions, selon la conception que celles-ci pourraient se faire de « l’intérêt supérieur de la justice ».
A ce titre, ce n’est pas uniquement l’indépendance de l’avocat qui serait menacée mais sa capacité même à défendre son client, quelles que soient les aspirations de ses juges.
Dans ces conditions, il était opportun pour la Cour de justice de réagir, en ne perdant pas de vue que « la représentation en justice n’est pas choisie et exercée principalement dans l’intérêt supérieur de la justice, dans le souci de satisfaire et de seconder une juridiction, mais dans l’intérêt du client et conformément au choix de celui‑ci » [34].
C’est précisément ce que les juges suprêmes de Luxembourg ont fait, en jugeant que « le devoir d’indépendance incombant à l’avocat s’entend comme l’absence non pas de tout lien quelconque avec son client, mais de liens qui portent manifestement atteinte à sa capacité à assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de son client » [35].
Ce faisant, la Cour de justice de l’Union rapproche sensiblement - mais implicitement - sa position de celle retenue par son homologue de Strasbourg. Car la Cour européenne des droits de l’Homme insiste elle-même avec constance sur le fait que l’ensemble des droits et libertés de l’avocat - qu’il s’agisse de ceux résultant du droit à un procès équitable ou encore de la liberté d’expression - sont directement indexés sur « la capacité des avocats à représenter effectivement les justiciables » [36] et donc à assurer effectivement leur mission de défense, quitte pour les avocats à devoir parfois « s’opposer […] à l’attitude du tribunal ou […] s’en plaindre » [37].
Surtout, la Cour de justice écarte le risque que l’indépendance externe de l’avocat - en particulier à l’égard des juridictions - soit purement et simplement sacrifiée sur l’autel de son indépendance interne - à l’égard de son client.
13. En second lieu, et corrélativement, le raisonnement européen retenu par la Grande Chambre évite d’autant plus ce risque d’une « forme de ‘paternalisme judiciaire’ difficilement prévisible ou justifiable » [38] à l’égard de la relation avocat/client, que les juges européens optent pour une salutaire autolimitation de leur propre office en ce domaine.
En effet, il ressort de l’arrêt « Uniwersytet Wrocławski » que la Cour de justice n’a pas seulement entendu recentrer l’indépendance de l’avocat sur la mission de défense et donc les intérêts du client. Elle a aussi limité considérablement les possibilités pour un juge de constater l’existence d’une telle atteinte à l’indépendance et d’en tirer les conséquences en écartant un avocat des prétoires européens.
Car seule l’existence « de liens qui portent manifestement atteinte à [l]a capacité [de l’avocat] à assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de son client » [39] peuvent conduire à une telle issue.
En somme, un tel critère réduit l’office du juge au contrôle résiduel d’une forme d ’« erreur manifeste d’appréciation » qui aurait été commise par l’avocat, ce qui revient à limiter la sanction juridictionnelle aux hypothèses les plus grossières.
A titre d’éloquente illustration de cette intensité réduite, la Cour de justice juge ainsi qu’en l’espèce, une telle atteinte manifeste à l’indépendance n’est pas caractérisée.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour relève que « le conseil juridique non seulement n’assurait pas la défense des intérêts de l’Université de Wrocław dans le cadre d’un lien de subordination avec celle-ci, mais, en outre, était simplement lié à cette université par un contrat portant sur des charges d’enseignement en son sein » [40]. Or, toujours selon la juridiction luxembourgeoise « un tel lien est insuffisant pour permettre de considérer que ce conseil juridique se trouvait dans une situation portant manifestement atteinte à sa capacité à défendre au mieux, en toute indépendance, les intérêts de son client » [41].
14. En censurant l’erreur de droit commise par le Tribunal - en ce que ce dernier avait considéré que le seul lien issu du contrat d’enseignement suffisait à exclure l’indépendance de l’avocat -, la Cour de justice conforte donc notablement la liberté de choix du client et la liberté corrélative de l’avocat de mener ses activités de représentation à sa guise.
Par effet de miroir, cet arrêt européen balise les hypothèses d’atteinte à l’indépendance de l’avocat qui ne seraient pas tolérées et ouvre ainsi d’intéressantes pistes de réflexion pour l’avenir de la profession.
15. Indéniablement, l’arrêt de Grande Chambre « Uniwersytet Wrocławski » peut prétendre au qualificatif de jurisprudence européenne de principe. Et ce, tant en raison du rang solennel de la formation qui l’a rendu que du fait des importantes précisions qu’il comporte
Cependant, et fort logiquement, la Cour de justice n’a pas eu la prétention de trancher l’ensemble des épineuses questions que soulève l’indépendance de l’avocat.
Il n’en reste pas moins que l’arrêt « Uniwersytet Wrocławski » est riche d’enseignements, bien souvent délivrées en creux du raisonnement luxembourgeois.
16. D’abord, avant de juger que le seul lien contractuel entre l’avocat et l’Université au sujet de charges d’enseignement n’était pas en soi un obstacle, la Cour de justice a listé une série de précédents où, par contraste, l’avocat n’a pas été jugé « suffisamment indépendant de la personne morale qu’il représente » [42].
Or, il ressort de ces exemples que l’exigence d’indépendance n’est pas satisfaite lorsque l’avocat exerce des compétences importantes à un niveau hiérarchique élevé au sein de la personne morale et/ou dispose d’un pouvoir juridique ou financier conséquent à son égard [43].
17. Ensuite, et plus largement encore, la Cour de justice a fondé l’essentiel de son raisonnement - conduisant à sa définition du devoir d’indépendance interne de l’avocat et à ses précisions corrélatives concernant les liens entretenus avec le client [44]- sur un instructif rappel.
Pour la Cour de justice, l’impératif selon lequel la représentation en justice d’une partie - autre que les Etats membres ou institutions européennes - ne peut être assurée que par un avocat repose sur un double objectif : « d’une part, d’empêcher que les parties privées agissent elles-mêmes en justice sans avoir recours à un intermédiaire et, d’autre part, de garantir que les personnes morales soient défendues par un représentant qui est suffisamment détaché de la personne morale qu’il représente » [45].
Cette double considération interdit donc une identité trop prononcée entre l’avocat et son client personne morale.
A cet égard, il est donc manifeste que la jurisprudence de la Cour de justice jette une pierre dans le jardin des promoteurs de « l’avocat en entreprise » - et autres « avocats salariés » dont l’employeur ne serait pas un cabinet d’avocats.
Certes, il est indéniable que tel n’était pas l’objet précis du contentieux tranché par l’arrêt « Uniwersytet Wrocławski », d’autant plus qu’au moment des faits, l’avocat en question n’était justement plus salarié de l’Université.
Certes également, nul ne saurait extrapoler les conclusions de la Cour de justice sans signifier qu’elles sont étroitement liées aux règles spécifiques prévues par le droit de l’Union, en considération des particularités des procédures juridictionnelles européennes.
18. Cependant, il est tout aussi indéniable que l’ombre des « avocats en entreprise » plane sur cette affaire.
En atteste ainsi le fait que « l’Association of Corporate Counsel Europe (Association des juristes d’entreprise d’Europe) » ait demandé à intervenir dans le cadre de la présente instance. Certes, à l’issue d’une lecture stricte mais classique de l’intérêt à intervenir, le président de la Cour a rejeté cette demande par une ordonnance du 27 février 2019, au motif que les intérêts des membres de l’association - par hypothèse non-avocats - ne pouvaient être regardés comme directement affectés par le contentieux - relatifs à des avocats [46]. Il n’en reste pas moins que les juristes d’entreprises se sont sentis, assez légitimement, concernés par ce litige où les liens entre une entreprise et son représentant devant les juridictions seraient discutés.
Par ailleurs, il n’est pas moins révélateur que la question des avocats en entreprise ait été évoquée par l’avocat général Bobek, lequel a même explicitement cité le rapport « Haeri » de février 2017 [47] pour souligner « la complexité du débat sur la nature du rôle et la profession des avocats externes, d’une part, et des juristes internes salariés, d’autre part » [48].
Or, précisément, les arguments mis en exergue dans ce rapport en faveur de « l’avocat en entreprise » semblent quelques peu battus en brèche par l’arrêt « Uniwersytet Wrocławski ».
19. En particulier, en réponse au « principal argument opposé à la création d’un statut d’avocat en entreprise [et selon lequel]ce dernier ne pourrait maintenir son indépendance vis-à-vis de son employeur, qu’il conseille », le rapport « Haeri » avait énoncé que « cette question ne constitue pas un véritable obstacle, dans la mesure où d’une part, la dépendance économique du juriste d’entreprise à l’égard de son employeur ne le prive pas d’une indépendance intellectuelle, fondatrice du métier qu’il exerce ; d’autre part, l’indépendance du juriste d’entreprise peut être encadrée et notamment par un moyen contractuel »[49] .
Cependant, la seule « indépendance intellectuelle » peut difficilement suffire à satisfaire l’exigence d’indépendance interne de l’avocat au regard de son client.
Indéniablement, d’aucun pourraient encore tenter d’affirmer que le lien salarial exclusif entre cet avocat d’entreprise et son employeur n’appartient pas à la catégorie des « liens qui portent manifestement atteinte à sa capacité à assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de son client » [50]. Mais en tout état de cause, il est pour le moins difficile d’affirmer qu’une telle situation serait conforme à l’un des deux objectifs assignés par la Cour de justice à l’indépendance de l’avocat : « garantir que les personnes morales soient défendues par un représentant qui est suffisamment détaché de la personne morale qu’il représente » [51].
20. Surtout, la situation de l’avocat en entreprise achoppe incontestablement sur l’autre objectif de l’indépendance de l’avocat : « empêcher que les parties privées agissent elles-mêmes en justice sans avoir recours à un intermédiaire » [52].
En effet, comme le suggère longuement l’avocat général dans ses conclusions, s’il est possible d’« aborder la question des avocats salariés sous l’angle de l’indépendance de l’avocat » car « un avocat salarié pourrait être considéré comme lié par une relation de subordination affectant sa liberté de jugement et son activité de conseil juridique », il serait plus pertinent encore de l’évoquer « sous le seul angle de la condition relative à la qualité de tiers plutôt qu’au regard de l’indépendance » [53].
Or, à ce titre, l’avocat général souligne que « l’avocat salarié » ne peut, d’un point de vue « structurel et formel » prétendre être un tiers à l’entreprise qui l’emploie et ne saurait donc - à tout le moins sous l’angle des règles régissant les procédures juridictionnelles européennes - représenter celle-ci en justice [54]. Une telle lecture objective aurait pour insigne vertu de trancher le débat quelque peu inextricable concernant la possibilité qu’un avocat en entreprise soit matériellement indépendant de son employeur, quand d’autres avocats exerçant à titre individuel ne le seraient finalement pas [55].
Certes, il convient une fois encore de ne pas perdre de vue que ce raisonnement précis qui consiste à aborder la question des avocats salariés « sous l’angle des incompatibilités structurelles avec la profession d’avocat plutôt que sous l’angle de l’absence d’indépendance dans une affaire spécifique » est étroitement lié à « la condition autonome de droit de l’Union exigeant qu’ils aient la qualité de tiers par rapport à leur client » [56].
En d’autres termes, rien n’interdit à un Etat membre de ne pas prévoir cette condition d’altérité entre l’avocat et le client, ce qui réduirait les obstacles vers la reconnaissance de l’avocat en entreprise.
Mais alors que, du côté de Strasbourg, la Cour européenne des droits de l’Homme a récemment jugé qu’un Etat pouvait parfaitement interdire à un avocat de se défendre seul dans la procédure pénale ouverte contre lui [57], la solution retenue à Luxembourg dans l’arrêt Uniwersytet Wrocławski éclaire résolument le débat de l’avocat en entreprise sous une lumière nouvelle.
21. Principe essentiel à la mission de défense et « garantie de qualité du travail de l’avocat » en ce qu’il assure « l’indépendance vis-à-vis du client », selon la Charte des principes essentiels de l’avocat européen ? Ou contrainte obsolète qui régit « tyranniquement la vie quotidienne de l’avocat en la hérissant d'incompatibilités nombreuses et d’interdictions diverses autant que raffinées» [58], selon les mots de Jean Appleton, aussi célèbre pour sa défense d’Alfred Deyfuss que pour son Traité de la profession d'avocat de 1928 ?
A la seule lueur de l’arrêt Uniwersytet Wrocławski, nul ne peut prétendre dissoudre définitivement ces interrogations récurrentes concernant le principe d’indépendance de l’avocat.
Mais à n’en pas douter, la solution de la Cour de justice et le raisonnement forgé pour y parvenir ne pourront manquer de nourrir les réflexions sur « l’heureuse et paisible possession de son indépendance » [59] que le Chancelier d’Aguesseau promet à tout avocat.
[1] Henri-François d’Aguesseau, 1er Discours - L’indépendance de l’avocat , in Jean-Marie Pardessus (Ed.), Œuvres complètes du Chancelier d’AGUESSEAU, 1819, p. 2-3.
[2] L. Assier-Andrieu (dir.), L'indépendance des avocats. Le long chemin d'une liberté, Paris, Dalloz, 2015, 126 p.
[3] Ainsi, dans son discours de 1693, d’Aguesseau insiste également sur le fait que les avocats doivent être « redevables et au juge et aux parties» et les exhorte au respect du devoir « de vénération au miinistre de la Justice qu'à la Justice même» ( 1er Discours - L’indépendance de l’avocat , précité, pp. 8 et 10).
[4] Henri-François d’Aguesseau, 3ème Discours - Les causes de la décadence de l’éloquence , précité, p. 35)
[5] TFUE , art. 263 : « La Cour de justice de l'Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l'Union destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers » (al. 1er) ; « Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution » (al. 4).
[6] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek prononcées le 24 septembre 2019, § 2.
[7] Texte également applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut de la Cour.
[8] § 14 et 15 de l’arrêt commenté.
[9] § 16 de l’arrêt commenté.
[10] La « Krajowa Izba Radców Prawnych ».
[11] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 1.
[12] Les alinéas 1eret 2 de l’article 19 du statut de la Cour prévoient respectivement que « les Etats membres ainsi que les institutions de l'Union sont représentés devant la Cour de justice par un agent nommé pour chaque affaire ; l'agent peut être assisté d'un conseil ou d'un avocat » et que « les Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen, autres que les États membres, ainsi que l'Autorité de surveillance AELE visée par ledit accord, sont représentés de la même manière ».
[13] TFUE, art. 263.
[14] TFUE, art. 265.
[15] TFUE, art. 258 à 260.
[16] TFUE, art. 340.
[17] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 89.
[18] Arrêt commenté, § 55 ; en ce même sens, mais de façon moins solennelle, v., CJUE, Ord. 20 février 2008, Comunidad Autónoma de Valencia/Commission, Aff. C-363/06 P, § 21.
[19] Arrêt commenté, § 56.
[20] Pour un historique de ce texte et de la jurisprudence qu’il a suscité, v., not., les conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 31-50.
[21] Arrêt commenté, § 57.
[22] Ibid.
[23] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 100.
[24] Ibid., § 101
[25] Conseil des barreaux européens (CCBE), « Charte des principes essentiels de l’avocat européen », votée initialement le 25 novembre 2016 et confirmée notamment le 17 mai 2019.
[26] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 134.
[27] CCBE, Commentaire de la « Charte des principes essentiels de l’avocat européen », précité, p. 8.
[28] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 135.
[29] CCBE, Commentaire précité, p. 8.
[30] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 141.
[31] Arrêt commenté, § 62.
[32] Tribunal UE, Ord. 13 juin 2017, Uniwersytet Wrocławski c. REA, Aff. T‑137/16, § 18.
[33] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 108.
[34] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 112.
[35] Arrêt commenté, § 64.
[36] CEDH, G.C., 15 décembre 2005, "Kyprianou c. Chypre", n° 73797/01 (N° Lexbase : A9564DLS), § 175.
[37] CEDH, G.C., 23 mai 2015, "Morice c. France", n° 29369/10 (N° Lexbase : A0406NHI), § 137 ; En ce sens, v., récemment, CEDH, 8 octobre 2019, "L.P. et Carvalho c. Portugal", n° 24845/13 (N° Lexbase : A5536ZQ4) et 49103/15 ou encore CEDH, 22 octobre 2019, "Deli c. République de Moldova", n° 42010/06 (disponible en anglais).
[38] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 113.
[39] Arrêt commenté, § 64.
[40] Ibid. § 66.
[41] Ibid. § 67.
[42] Arrêt commenté, § 65.
[43] Ibid. : « La Cour a déjà considéré comme n’étant pas suffisamment indépendant de la personne morale qu’il représente l’avocat qui est investi de compétences administratives et financières importantes au sein de cette personne morale, qui situent sa fonction à un niveau exécutif élevé en son sein, de nature à compromettre sa qualité de tiers indépendant (voir, en ce sens, ordonnance du 29 septembre 2010, EREF/Commission, C 74/10 P et C 75/10 P, non publiée, EU:C:2010:557, points 50 et 51), l’avocat qui occupe de hautes fonctions de direction au sein de la personne morale qu’il représente (voir, en ce sens, ordonnance du 6 avril 2017, PITEE/Commission, C 464/16 P, non publiée, EU:C:2017:291, point 25) ou encore l’avocat qui possède des actions de la société qu’il représente et dont il préside le conseil d’administration (ordonnance du 4 décembre 2014, ADR Center/Commission, C 259/14 P, non publiée, EU:C:2014:2417, point 27) ».
[44] Arrêt commenté, § 64 : « le devoir d’indépendance incombant à l’avocat s’entend comme l’absence non pas de tout lien quelconque avec son client, mais de liens qui portent manifestement atteinte à sa capacité à assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de son client »
[45] Arrêt commenté, § 61.
[46] CJUE, Ord. 27 février 2019, "Uniwersytet Wrocławski", Aff. jointes C‑515/17 P et C‑561/17 P, § 16 : « le litige soumis à la Cour dans les affaires C‑515/17 P et C‑561/17 P, eu égard aux conclusions des parties principales et aux moyens avancés au soutien de ces conclusions, ayant trait, en substance, à la question de savoir si l’exigence d’indépendance de l’avocat impliquant l’absence de tout rapport d’emploi entre ce dernier et son client s’applique également lorsque cet avocat est lié au client par un contrat de droit civil sans lien de subordination, n’est en tout état de cause pas susceptible d’affecter les intérêts des membres de l’ACC Europe, lesquels sont employés, en principe, en tant que salariés ».
[47]K. Haeri (Dir.), L’avenir de la profession d’avocat, Rapport confié par Monsieur Jean-Jacques Urvoas à Maître Kami Haeri, février 2017, 135 p.
[48] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, note 58.
[49] K. Haeri (Dir.), L’avenir de la profession d’avocat, précité, p. 74.
[50] Arrêt commenté, § 64.
[51] Arrêt commenté, § 61.
[52] Ibid.
[53] Conclusions de l’avocat général Michal Bobek, précitées, § 123-124.
[54] Ibid. § 132.
[55] Ibid. § 126 : « Selon cette logique, les avocats salariés d’une société qui leur laisse une liberté totale dans leur activité de conseil et de représentation de ladite société deviendraient-ils soudain des « avocats indépendants » ? Un avocat libéral, dûment admis au barreau et exerçant en son nom propre, mais dont la clientèle se réduit à un seul client important dont il est, dans les faits, économiquement dépendant, cesserait-il d’être un « avocat indépendant » et devrait-il être considéré comme « salarié » ? ».
[56] Ibid. § 128 et 132.
[57] CEDH, G.C. 4 avril 2018, Correia de Matos c. Portugal, n° 56402/12.
[58] Cité par Catherine Fillon in Louis Assier-Andrieu (dir.), L'indépendance des avocats. Le long chemin d'une liberté, Paris, Dalloz, 2015, 126 p..
[59] Henri-François d’Aguesseau, 1erDiscours – L’indépendance de l’avocat , précité.
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Réf. : Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5740LWI)
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par Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences de droit privé, Université de Lorraine, Institut François Gény (EA 7301), Directeur de l’IEJ de Lorraine André Vitu
Le 22 Avril 2020
Contexte de l’exception. La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT) [1], outre la création d’un état d’urgence sanitaire, a largement renvoyé aux ordonnances le soin d’apporter les aménagements rendus nécessaires par la crise sanitaire que rencontre le pays. L’article 11 de la loi a ainsi prévu que le Gouvernement pouvait prendre par voie d’ordonnance un grand nombre de mesures, dans les champs les plus variés. Les c), d) et e) de l’article renvoyaient aux ordonnances le soin d’adapter, « aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 » parmi les personnes participant ou impliquées dans les procédures, les règles relatives à trois champs principaux : le fonctionnement des juridictions, les privations de liberté antérieures et postérieures à une décision de condamnation. Ces mesures ont été adoptées par l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5740LWI) [2]. Sitôt adoptée, l’ordonnance a été contestée et, sans surprise, le Conseil d’État a rejeté les recours formés par les syndicats et associations, principalement dirigés contre le principe de la prolongation automatique de la détention provisoire [3].
Nouvelle mécanique de l’exception. Les dispositions de la loi du 23 mars 2020 et leur mise en œuvre relative à la procédure pénale obéissent à une ratio legis différente de celle des régimes d’exception connus jusqu’à présent. La comparaison avec l’état d’urgence de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 (N° Lexbase : L6821KQP) est à cet égard limitée. En premier lieu, l’étendue des restrictions apportées diffère considérablement. Les mesures d’urgence sanitaire concernent le traitement de la délinquance quotidienne alors que les mesures d’urgence « anti-terroristes » consistent principalement en un renforcement des moyens d’investigation corrélatif à la gravité des comportements que l’on cherche à punir. En deuxième lieu, les mesures d’urgence sanitaire semblent dépourvues de l’effet d’aubaine que semblent souvent receler les mesures anti-terroristes. Ces dernières ont été l’occasion de doter l’autorité publique de moyens nouveaux et extraordinaires de répression quand les premières se contentent de l’extension de dispositifs gestionnaires existants, comme le recours à la visioconférence ou au juge unique. En troisième lieu, le risque d’une pérennisation de l’exception sanitaire semble - il faut rester prudent [4] - écarté par le législateur et le Gouvernement puisque les mesures d’adaptation ont un terme fixé à l’article 2 de l’ordonnance : les dispositions de l’ordonnance sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Les exceptions procédurales alors apportées ne peuvent se concevoir indépendamment de l’urgence sanitaire, alors que les dérogations anti-terroristes, liées à la gravité des infractions concernées, peuvent perdurer sans que leur justification soit remise en cause. En quatrième lieu, l’ordonnance prévoit des dérogations qui sont pour l’essentiel facultatives, créant des possibilités pour les acteurs et non une obligation. Par exemple, l’article 13 de l’ordonnance prévoit que l’entretien avec une personne en garde à vue ou en rétention douanière, l’entretien ou l’assistance par un avocat peut se dérouler par téléphone dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges [5]. Malheureusement, il semble que ces entretiens soient délaissés, par crainte de détournement du téléphone par le suspect. Le risque est réel que la finalité de l'ensemble de ces facultés soit méconnue et réinterprétée par la pratique policière et judiciaire. En dernier lieu, l’adaptation de la procédure pénale à l’urgence sanitaire a un objet différent que la lutte antiterroriste : il s’agit, dans le premier cas, de consolider les réponses pénales apportées en adaptant la procédure et, dans le second cas, de rendre cette réponse pénale possible par le renforcement des moyens d’investigation. L’urgence sanitaire affecte principalement la phase décisoire du procès pénal quand l’urgence antiterroriste concerne la phase préparatoire.
Sens de l’adaptation. L’habitude est désormais prise de ce que la polysémie de l’adaptation ne se résout qu’exceptionnellement dans le sens d’une meilleure protection des droits des personnes suspectées ou condamnées. Il en va de l’adaptation comme de l’efficacité en matière pénale, chère aux interventions législatives et réglementaires : c’est l’adaptation ou l’efficacité de la répression qui est privilégiée, au détriment semble-t-il de son utilité et de sa nécessité. L’ordonnance du 25 mars 2020 assume clairement cette vision puisqu’il est affirmé dès le premier article que les règles de procédure pénale sont adaptées « afin de permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l’ordre public ». A contrario, l’activité qui n’est pas en lien avec le maintien de l’ordre public semble délaissée. La finalité de la justice pénale est ainsi remodelée unilatéralement au service du maintien de l’ordre, démontrant, une fois de plus, que les mesures prises répondent « à une logique de régulation des flux tendue vers un impératif sécuritaire » [6].
Si elles n’étaient exceptionnelles et consubstantielles à la crise sanitaire, les dispositions de l’ordonnance relative à la procédure pénale s’apparenteraient à un fantasme managérial. Fort heureusement, elles sont pour la plupart constitutionnellement inenvisageables en dehors de ce contexte particulier, que l’on songe aux restrictions apportées à la publicité ou à la généralisation de la visioconférence. Mais il ne saurait être question de se réfugier derrière le caractère temporaire et sanitaire de ces adaptations pour éviter la réflexion sur leur nécessité et ce qu’elles disent de la procédure pénale. La préservation de la répression « essentielle au maintien de l’ordre public » se manifeste d’abord par la suspension rétroactive [7] des délais de prescription de l’action publique et de la peine, prévue à l’article 3 de l’ordonnance. La suspension n’allait pas de soi puisqu’elle s’entend de « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique » [8]. Plutôt que de rentrer dans de délicates considérations sur l’impossibilité d’exercer des poursuites - l’ordonnance n’ayant pas envisagé l’arrêt de la répression, c’est qu’elle est possible [9] - le choix opéré consiste à permettre la répression une fois l’urgence sanitaire passée. La précision peut surprendre au vu de la durée considérable des délais de prescription, mais elle était sans doute nécessaire pour les infractions de presse [10].
Préservée pour l’avenir, la répression n’est pas pour autant neutralisée pour le présent [11]. Elle est en revanche aménagée. Sur ce point, l’ordonnance apporte des exceptions compréhensibles aux garanties du procès pénal (I) mais difficilement admissibles dès lors qu’elles concernent la privation de liberté (II).
I - Les garanties du procès pénal
Ces exceptions concernent d’abord les audiences et matérialisent la désormais fameuse distanciation sociale (A). Elles concernent ensuite le fonctionnement des juridictions et permettent la prise en compte des difficultés d’organisation (B).
A - Le déroulement des audiences
Lorsque la réponse pénale ne suppose pas le recours à une audience, l’ordonnance ne prévoit pas d’aménagement particulier. Les mesures alternatives continuent donc à être mises en œuvre : il sera intéressant à cet égard de voir si l’urgence sanitaire a entraîné une augmentation de la réponse à disposition du parquet au détriment de celle réservée au juge. Lorsque la répression nécessite une audience, l’ordonnance prévoit l’utilisation élargie de la visioconférence, la restriction de la publicité et, potentiellement, la généralisation du juge unique.
Visioconférence. Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le recours à la visioconférence était soumis aux exigences de l’article 706-71 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7459LPX). L’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle était déjà possible pour l’audition des témoins, des parties civiles et des experts. En revanche, l’accord des parties était nécessaire dans le cas de la comparution du prévenu détenu devant le tribunal correctionnel, ou bien encore pour l’audience relative au placement ou à la prolongation de la détention provisoire [12]. L’article 5 de l’ordonnance autorise - sans y obliger - le recours à la visioconférence devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans avoir besoin de recueillir l’accord des parties. N’ayant pas à donner leur accord préalablement au recours à la visioconférence, les parties ne peuvent pas davantage s’y opposer une fois la décision prise. Cette généralisation de la visioconférence sans accord des parties ne devrait pas pouvoir être transcrite dans le droit commun une fois l’état d’urgence sanitaire terminé. Le Conseil constitutionnel avait en effet censuré la tentative législative de permettre le recours à la visioconférence sans accord du mis en examen dans le cas de la prolongation de la détention provisoire, « eu égard à l’importance de la garantie qui s’'attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction compétent dans le cadre d’une procédure de détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication » [13]. L’importance est au moins égale pour la comparution physique devant la juridiction de jugement. Quant aux conditions dans lesquelles s’exerce un tel recours à la visioconférence, l’ordonnance montre elle-même qu’elles ne sont pas satisfaisantes.
Le texte va en effet plus loin en autorisant les « whatsaudience » en cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à la visioconférence. Le juge peut alors décider d’utiliser « tout autre moyen de communication électronique, y compris téléphonique ». Faute d’image, ne reste que le son, à la condition que l’on puisse s’assurer de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et que soit garantie la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats [14]. En tout état de cause, les débats doivent rester contradictoires et les droits de la défense, respectés. Pour le reste, les précisions du sixième alinéa de l’article 706-71 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7459LPX) restent applicables [15]. Le justiciable est écarté, mais son avocat peut être présent auprès de la juridiction.
La procédure peut même devenir entièrement écrite devant le juge des libertés et de la détention. L’article 19 de l’ordonnance prévoit ainsi que lorsque le recours à la visioconférence n’est pas possible - sans envisager l’utilisation du téléphone - les décisions du JLD interviennent au vu des réquisitions écrites du procureur de la République et des observations écrites de la personne et de son avocat. Étrangement, il est précisé que l’avocat peut, s’il en fait la demande, présenter des observations orales, le cas échéant par visioconférence, alors pourtant que la procédure écrite suppose que l’utilisation de la visioconférence ne soit matériellement pas possible [16]. Le même recul de l’oralité est prévu pour les décisions du juge de l’application des peines ou du tribunal de l’application des peines relatives au placement à l'extérieur, la semi-liberté, le fractionnement et la suspension des peines, la détention à domicile sous surveillance électronique et la libération conditionnelle [17].
Publicité. Pour éviter la propagation du virus, des aménagements des règles de publicité sont prévus à l’article 7 de l’ordonnance. Le président de la juridiction peut - ici encore, ce n’est pas une obligation - décider que les débats se dérouleront en publicité restreinte ou à huis clos. La publicité peut également être écartée pour le prononcé des jugements - le dispositif de la décision doit alors être affiché dans un lieu de la juridiction accessible au public -, devant la chambre de l’instruction et devant le JLD. La justice ne devient pas pour autant secrète, puisque des journalistes peuvent alors assister à l’audience, y compris en cas de huis clos. La valeur constitutionnelle du principe de publicité des audiences semble ainsi respectée.
Juge unique. Le recul de la collégialité est aujourd’hui tel que les dispositions de l’ordonnance relatives au recours au juge unique ne sauraient surprendre. Il s’agit sans doute ici autant d’éviter la propagation du virus entre les membres de la formation de jugement que de permettre de juger malgré la maladie d’un magistrat. Le dispositif mis en place par le troisième chapitre de l’ordonnance est à la fois prudent et aventureux. La prudence vient d’une entrée en vigueur différée suspendue à l’adoption d’un décret « constatant la persistance d’une crise sanitaire de nature à compromettre le fonctionnement des juridictions malgré la mise en œuvre des autres dispositions de la présente ordonnance » [18].
Lorsque ce décret sera adopté - s’il l’est - la chambre de l’instruction, statuant en matière correctionnelle pourra statuer à juge unique, sur décision du premier président de la cour d’appel. Le renvoi à la formation collégiale sera toujours possible en raison de la complexité ou de la gravité des faits. Selon les mêmes modalités - la décision relevant alors de la compétence du président du tribunal judiciaire - le tribunal correctionnel pourra statuer à juge unique quels que soient l’infraction et le mode de saisine. Potentiellement, un juge unique pourrait donc être amené à statuer sur une infraction faisant encourir jusqu’à vingt ans d’emprisonnement en cas de récidive légale : il faut alors espérer que le renvoi à la collégialité sera effectif. Il en va de même pour la chambre des appels correctionnels, qui, depuis la loi du 23 mars 2019, pouvait déjà statuer à juge unique pour les appels formés contre les jugements rendus par un tribunal correctionnel statuant lui-même à juge unique [19].
Le tribunal pour enfants pourra également statuer à juge unique [20]. À cet égard, l’ordonnance ne prévoit pas de dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 251-3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L7753LPT) : il faudra faire preuve de prudence dans la désignation du juge des enfants présidant le tribunal pour enfants, celui ayant renvoyé l’affaire ne pouvant présider cette juridiction [21].
Enfin, le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines pourront également statuer à juge unique [22]. En revanche, pour les appels formés contre les jugements du tribunal de l’application des peines relatifs au relèvement de la période de sûreté, à la libération conditionnelle ou à la suspension de peine, la chambre des appels correctionnels peut déjà statuer sans le responsable d’une association de réinsertion des condamnés et le responsable d’une association d’aide aux victimes.
La matière criminelle semblait préservée, puisqu’il n’est pas envisagé dans l’ordonnance de déroger à la composition des cours d’assises. Mais ce qui devait arriver arriva : le ministère de la Justice réfléchirait à une généralisation de l’expérimentation des cours criminelles départementales [23]. Cynique, l’extension semble malheureusement irrémédiable : elle est déjà intervenue par l’arrêté du 2 mars 2020 [24] et l’on sait depuis leur création que les cours criminelles ont vocation à perdurer. La crise sanitaire constituerait ici un alibi de choix pour un législateur qui souhaite privilégier le jugement sans jurés.
B - L’organisation des juridictions
Malgré ces mesures, la propagation du virus n’épargne évidemment pas les personnels judiciaires. L’ordonnance a donc prévu des aménagements organisationnels qui concernent les personnels et juridictions, d’une part, et les délais, d’autre part.
Personnels. L’article 12 de l’ordonnance déroge à l’article 50 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0487LT9) pour la désignation des juges d’instruction. En cas d’absence, de maladie ou d’empêchement d’un juge d’instruction, le président du tribunal judiciaire peut ainsi désigner d’autres magistrats du siège - la précision est heureuse ! - pour exercer ces fonctions. Cette désignation étant expressément qualifiée de mesure d’administration judiciaire, aucun recours ne sera possible.
Juridictions. L’article 6 de l’ordonnance reprend étrangement un dispositif déjà existant. Il est en effet prévu que si une juridiction pénale du premier degré est dans l’incapacité totale ou partielle de fonctionner, le premier président de la cour d’appel désigne par ordonnance, après avis du procureur général, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe des juridictions concernées, une autre juridiction du ressort pour connaître de tout ou partie de l’activité de la juridiction empêchée. Or, un tel mécanisme est déjà prévu à l’article L. 124-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L7261LPM) : « Lorsque la continuité du service de la justice ne peut plus être assurée au sein du bâtiment où siège la juridiction, dans les conditions offrant les garanties nécessaires au maintien de la sécurité des personnes et des biens, tout ou partie des services de la juridiction peut, à titre provisoire, être transféré dans une autre commune du ressort de la même cour d'appel » [25]. Les dispositions de l’ordonnance sont certes quelque peu différentes de celle du Code de l’organisation judiciaire, mais il semble que « l’incapacité de fonctionner » prévue par l’ordonnance soit assimilable à l’impossible « continuité du service de la justice […] dans les conditions offrant les garanties nécessaires au maintien de la sécurité des personnes et des biens » de l’article L. 124-1 du Code de l’organisation judiciaire.
La même possibilité est prévue en dehors du champ pénal par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété. La circulaire [26] de présentation de cette dernière ordonnance précise que la possibilité de transfert de juridiction prévue par l’ordonnance « a donc vocation à rester exceptionnelle, étant précisé que plusieurs dispositions du Code de l’organisation judiciaire peuvent être actionnées avant qu’il soit nécessaire d’y recourir ».
Délais. Tous les délais pour l’exercice d’une voie de recours sont doublés, sans pouvoir être inférieurs à dix jours, en application du premier alinéa de l’article 4 de l’ordonnance, à l’exception du délai de quatre heures de l’article 148-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2971IZ3) relatif au référé-détention. Le doublement des délais s’applique donc aux justiciables, mais également au parquet, de sorte que le délai d’appel du procureur général [27] passe à quarante jours.
Ce doublement des délais s’accompagne d’un assouplissement bienvenu des formalités des recours puisque les recours peuvent désormais être effectués par lettre recommandée avec accusé de réception, tout comme le dépôt des mémoires et conclusions. L’appel et le pourvoi peuvent même être formés par courriel à l’adresse électronique fournie par la juridiction de première instance ou d’appel. Il en va de même pour les demandes d’actes adressées au juge d’instruction. La souplesse du courrier électronique pourrait sans doute perdurer une fois la crise sanitaire passée.
Corrélativement à l’augmentation des délais de recours, les délais impartis aux juridictions pour statuer sont également allongés, mais principalement lorsqu’une privation de liberté est en jeu.
II - La privation de liberté
Confinée, la répression ne doit pas pour autant renoncer à enfermer. L’ordre public est plus que jamais en cause, bien plus que la lutte contre la propagation du virus. Les cinquième et sixième chapitres de l’ordonnance concernent respectivement la détention provisoire (A) et les peines privatives de liberté (B).
A - Les prolongations de détention provisoire
Les détentions provisoires concernées sont, en application de l’article 15 de l’ordonnance, celles qui sont en cours ou débutant au 26 mars 2020 [28], jusqu’à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Les prolongations prononcées en application des dispositions de l’ordonnance s’appliqueront même après la cessation de cette urgence sanitaire. La circulaire invite les parquets à limiter les réquisitions de placement ou de prolongation « aux seules situations de prévention du risque de renouvellement de l’infraction ou de pression sur la victime dans des procédures de terrorisme, de criminalité organisée ou d’atteintes graves aux personnes ». En situation d’urgence, la détention provisoire peut donc être circonscrite : voici une situation que l’on doute malheureusement de voir perdurer une fois l’urgence sanitaire passée. Les détentions provisoires concernées sont celles qui interviennent dans le cadre d’une information judiciaire ou préalables à une comparution immédiate ou à délai différé.
Pendant l’instruction. L’article 16 est sans aucun doute la disposition de l’ordonnance la plus attentatoire aux libertés, tant dans sa lettre que dans l’interprétation qui en a été faite. Le texte prévoit l’augmentation des délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique [29]. Cette prolongation a malheureusement été interprétée contre sa lettre par la circulaire et par… un courriel de la directrice des Affaires criminelles et des Grâces : « la situation pourrait prêter à sourire en ergotant sur la normativité d’une circulaire précisée par mail, mais l’interprétation retenue conduit à allonger la durée de toutes les détentions provisoires, de façon automatique et sans le contrôle d’un juge » [30]. Le Conseil d’État n’y a pourtant rien trouvé à redire [31].
Alors que l’on aurait pu aisément considérer que la prolongation de la détention provisoire supposait une décision judiciaire, le recours au juge est exclu : la prolongation de plein droit s’appliquerait automatiquement à toutes les détentions provisoires sans que le juge ait besoin de le préciser, alors pourtant que l’article 19 de l’ordonnance prévoit des modalités particulières pour les audiences de prolongation de détention provisoire. La précision apportée par la circulaire dispense certes les JLD de statuer, mais pas l’ordonnance. Il serait donc prudent de prendre soin de formaliser ces décisions. De la même manière, alors que l’on aurait pu aisément considérer que la référence par l’ordonnance à la prolongation de la durée maximale de la détention provisoire concernait la durée maximale prévue par la loi, la circulaire et son « mail d’application » considèrent que ce sont les titres de détention qui sont automatiquement prolongés [32]. Ici encore, la prudence sanitaire devrait s’accompagner d’une prudence judiciaire et les JLD seraient bien inspirés de prendre le soin de prolonger par ordonnance les détentions provisoires, au risque d’une interprétation contraire des dispositions. Les dispositions relatives à la durée de la détention provisoire en cas de comparution immédiate vont d’ailleurs en ce sens d’un allongement de la durée potentielle prévue par la loi.
Pendant l’audiencement. L’article 17 de l’ordonnance prévoit des augmentations des délais de la détention provisoire dans le cas de la comparution immédiate ou à délai différé. Le prévenu détenu doit comparaître devant le tribunal correctionnel au plus tard le sixième jour ouvrable suivant son placement en détention provisoire, contre trois jours hors urgence sanitaire. Si le prévenu ne consent pas à être jugé séance tenante, l’audience de renvoi peut intervenir dans les dix semaines - contre six hors urgence sanitaire - voire six mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est supérieure à sept ans - contre quatre mois hors urgence sanitaire [33]. La détention provisoire du prévenu est allongée en conséquence. Le même allongement vaut pour l’appel formé [34], puisque la cour d’appel dispose de six mois au lieu de quatre pour statuer.
Dans le cadre de la comparution à délai différé, la détention provisoire peut aller jusqu’à quatre mois, contre deux mois actuellement.
Demandes de mise en liberté. Les détenus conservent heureusement la possibilité de former des demandes de mise en liberté. Au demeurant, vu l’interprétation ministérielle donnée de l’article 16 de l’ordonnance, ces demandes de mise en liberté vont se multiplier. L’article 18 de l’ordonnance octroie un délai de six jours ouvrés au JLD pour statuer sur une demande de mise en liberté. En tout état de cause, si le JLD ne statue pas dans ce délai, la chambre de l’instruction peut être directement saisie en application du dernier alinéa de l’article 148 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4989K8B). L’article 18 de l’ordonnance porte également à un mois les délais impartis à la chambre de l’instruction ou à une juridiction de jugement pour statuer sur une demande de mise en liberté sur l’appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté ou sur tout autre recours en matière de détention provisoire, d’assignation à résidence sous surveillance électronique ou de contrôle judiciaire [35]. Il faut à cet égard rappeler que la suspension médicale de la détention provisoire prévue à l’article 147-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7700LPU) apparaît fondamentale.
La Cour de cassation dispose d’un délai de six mois, au lieu de trois mois, pour statuer sur les pourvois formés contre les arrêts de chambres de l’instruction rendus en matière de détention provisoire ou les arrêts de mise en accusation ou de renvoi [36].
Enfin, l’article 21 de l’ordonnance prévoit la possibilité pour les personnes en détention provisoire d’être affectées dans un établissement pour peines. Cette possibilité existe d’ores et déjà depuis la loi du 23 mars 2019 (N° Lexbase : L6740LPC) [37], mais elle est réservée à un objectif de prévention des évasions ou de maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements pénitentiaires.
B - Les aménagements de peine
En ce qui concerne les personnes condamnées à une peine privative de liberté, l’ordonnance tente l’équivalent d’un cataplasme sur une jambe de bois. Les dispositions concernent d’abord les affectations des détenus. Elles allègent ensuite les procédures relatives aux aménagements de peine.
Affectations. Les personnes condamnées peuvent être incarcérées en maison d’arrêt, quelle que soit le quantum de leur peine [38]. L’administration pénitentiaire dispose d’une plus grande marge de liberté pour décider du lieu d’affectation des personnes privées de liberté, puisqu’il n’est plus nécessaire de recueillir l’avis préalable de l’autorité judiciaire pour transférer une personne détenue. L’autorité judiciaire doit tout de même être informée des modifications et a le pouvoir de les modifier ou d’y mettre fin.
Procédures. La procédure d’octroi des aménagements de peine est allégée. En cas d’avis favorable du procureur de la République, le juge de l’application des peines peut octroyer des réductions de peine, autorisations de sorties sous escorte et permissions de sortir sans consulter la commission d’application des peines. Il faut à cet égard rappeler que la loi du 23 mars 2019 a déjà en partie déjudiciarisé les permissions de sortie qui peuvent être directement octroyées par le directeur de l’établissement pénitentiaire. Au demeurant, il n’est pas certain que les permissions de sortie et les autorisations de sortie sous escorte soient les aménagements les plus à même d’éviter la circulation du virus. Le cas échéant, l’avis de cette commission est recueilli par tout moyen. La loi du 23 mars 2019 avait déjà prévu la possibilité pour la commission de délibérer par voie dématérialisée [39]. La libération sous contrainte est envisageable dans les mêmes formes, à la condition qu’elle aboutisse à une libération conditionnelle et que le condamné bénéficie d’un hébergement. Enfin, le refus d’une libération sous contrainte n’empêche pas qu’elle soit octroyée.
Les suspensions de peine des condamnés dont la peine restant à subir est inférieure à deux ans peuvent être octroyées sans débat contradictoire. La suspension de peine pour motif médical peut quant à elle être accordée sans débat contradictoire, sur avis favorable du procureur de la République et au vu d’un certificat médical du médecin de l’unité de soins. Lorsque la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire, l’expertise de dangerosité n’est pas nécessaire.
L’article 27 de l’ordonnance met en place une réduction supplémentaire de peine de deux mois pour les condamnés à une peine privative de liberté à temps, octroyée sans avis de la commission d’application des peines en cas d’avis favorable du procureur de la République. Certains condamnés en sont toutefois exclus : les condamnés pour terrorisme [40] ou pour les infractions aggravées parce qu’elles ont été commises sur le conjoint, le partenaire ou le concubin [41] ; les personnes détenues ayant initié une action collective violente au sein de l’établissement pénitentiaire ; les personnes détenues « ayant eu un comportement de mise en danger des autres personnes détenues ou du personnel pénitentiaire, au regard des règles imposées par le contexte sanitaire ». Cette dernière exclusion est particulièrement floue et on aurait pu légitimement penser que les détenus étaient plutôt les personnes mises en danger en raison de la situation sanitaire.
L’article 28 de l’ordonnance prévoit une automatisation de sorties anticipées sous forme d’assignation à domicile. Le dispositif est déjudiciarisé et rappelle ce que la loi pénitentiaire avait mis en place. Le procureur de la République peut, sur proposition du directeur du SPIP, octroyer cet aménagement pour toutes les personnes détenues condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans dont le reste de la peine à subir est inférieur à deux mois. En sont exclus les détenus « dangereux » évoqués précédemment, auxquels il faut ajouter les auteurs d’une infraction d’atteinte à la personne d’un mineur de quinze ans. La mesure peut être révoquée si, alors qu’il est remis en liberté et assigné à domicile, le condamné commet la contravention de sortie « sans attestation » prévue à l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5649LW7). L'ironie aurait pu être amusante si le flou de cette incrimination n'avait été si important.
Enfin, l’article 29 de l’ordonnance étend la conversion de peine de l’article 747-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7697LPR) aux condamnés dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à six mois.
Par des aménagements essentiellement procéduraux, l’ordonnance cherche donc à diminuer la surpopulation carcérale, ce qui est heureux et bienvenu. Le législateur pourrait faciliter les choses en faisant renaître l’amnistie. En tout état de cause, l’ordonnance montre que la surpopulation carcérale n’est pas une fatalité et qu’il est possible, rapidement, de la diminuer. Malheureusement, les espoirs de pérennisation de cette volonté législative sont inversement proportionnels à la crainte de voir perdurer les mesures managériales de la phase de jugement. |
[1] V. G. Beaussonie, Le droit pénal dans la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, Lexbase Pénal, avril 2020 (N° Lexbase : N2994BYK).
[2] Sur cette ordonnance : P. de Combe de Nayves, Présentation de l’ordonnance réformant la procédure pénale face à l’épidémie de Covid-19, AJ pénal, 2020, p. 172 ; J.-B. Perrier, La procédure pénale en urgence sanitaire, Gaz. Pal., 31 mars 2020, n° 377, p. 18 ; S. Pellé, La justice pénale à l’heure du coronavirus : l’urgence ou le miroir de notre procédure pénale ?, D., 2020, p. 777 ; M. Touillier, L’adaptation de la procédure pénale au malheur des temps, AJ pénal, 2020, p. 186.
[3] CE, 3 avril 2020, n° 439894 (N° Lexbase : A66273KN) et CE, 3 avril 2020, n° 439887, n° 439890 et n° 439898 (N° Lexbase : A66303KR), Dalloz actualité, 9 avril 2020, J.-B. Perrier.
[4] V. par ex. le risque de développement d’une « infra-justice » démontré par J.-B. Perrier : entretien avec O. Dufour, Cette crise va révéler le manque criant de moyens de la justice, actu-juridique.fr , 13 avril 2020 [en ligne].
[5] L’article 14 de l’ordonnance prévoit que les prolongations des gardes à vue de mineurs âgés de seize à dix-huit ans et les prolongations des gardes à vue relevant de la criminalité organisée peuvent se faire sans présentation de la personne devant le magistrat compétent : prévoir la possibilité de présenter par téléphone ou visioconférence aurait pourtant été envisageable.
[6] M. Touillier, art. préc.
[7] La suspension intervient à compter du 12 mars 2020.
[8] C. proc. pén., art. 9-3 (N° Lexbase : L0369LDZ).
[9] En ce sens, et constatant même un cumul entre la suspension et l’interruption de la prescription : J.-B. Perrier, La procédure pénale en urgence sanitaire, préc.
[10] Ibidem.
[11] La circulaire du 25 mars 2020 de présentation des dispositions applicables pendant l’état d’urgence sanitaire et relative au traitement des infractions commises pendant l’épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5958LWL) en témoigne : « il importe de préserver une capacité de réponse pénale forte à l’encontre des auteurs de ces infractions qui troublent particulièrement le pacte social en cette période spécifique ».
[12] Le Conseil constitutionnel a censuré une partie des dispositions de l’ancien article 706-71, alinéa 3, du Code de procédure pénale (devenu alinéa 4 depuis la loi du 23 mars 2019 de réforme pour la justice) puisqu’elles pouvaient aboutir, en matière criminelle, à ce qu’un mis en examen soit privé, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire (Cons. cons., 20 septembre 2019, n° 2019‑802 QPC N° Lexbase : A8596ZNP ; A. Danet, Conseil constitutionnel et visioconférence dans le procès pénal ou la double illusion du progrès, Lexbase Pénal, octobre 2019 N° Lexbase : N0663BY9. Plus largement : A. Danet, Visioconférence et droits fondamentaux dans le procès pénal, Lexbase Pénal, 22 février 2018 N° Lexbase : N2805BX8).
[13] Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778 DC (N° Lexbase : A5079Y4U), paragraphe 234.
[14] Paradoxalement, la confidentialité par téléphone est plus facile à garantir que la confidentialité par visioconférence, qui suppose que l’ensemble des personnes sortent de la salle d’audience.
[15] Si la personne est assistée par un avocat ou par un interprète, ceux-ci peuvent se trouver auprès du magistrat, de la juridiction ou auprès de l’intéressé. Dans le premier cas, l’avocat doit pouvoir s’entretenir avec ce dernier, de façon confidentielle, en utilisant le moyen de télécommunication. Dans le second cas, une copie de l'intégralité du dossier doit être mise à sa disposition dans les locaux de détention sauf si une copie de ce dossier lui a déjà été remise. Si ces dispositions s'appliquent au cours d'une audience, celle-ci doit se tenir dans des conditions qui garantissent le droit de la personne à présenter elle-même ses observations.
[16] La procédure écrite n’est pas exceptionnelle devant le JLD puisque l’article 148 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4989K8B) prévoit déjà une procédure écrite pour les demandes de mise en liberté.
[17] Ordonnance, art. 24.
[18] Ordonnance, art. 8.
[19] Cette possibilité existait déjà pour les appels en matière contraventionnelle : C. proc. pén., art. 510, al. 2 (N° Lexbase : L7520LP9).
[20] Ordonnance, art. 10.
[21] COJ, art. L. 251-3, al. 2 (N° Lexbase : L7753LPT). Cette précision fait suite à la décision du Conseil constitutionnel n° 2011‑147 QPC du 8 juillet 2011, aux termes de laquelle « en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution » (Cons. const., décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 N° Lexbase : A9354HUY).
[22] Ordonnance, art. 11, al. 1.
[23] J.-Ph. Deniau, Coronavirus : vers la généralisation des cours criminelles pour désengorger la justice , France Inter, 16 avril 2020 [en ligne].
[24] Arrêté du 2 mars 2020 portant extension de l’expérimentation de la cour criminelle (N° Lexbase : L3043LWM).
[25] Les modalités du transfert sont précisées par l’article R. 124-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L1613LSK), résultant du décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le Code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L8794LR7). Le Conseil constitutionnel a récemment précisé que les dispositions de l’article L. 124-1 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L7261LPM) relatives à la durée de ce transfert étaient de nature réglementaire : Cons. cons., 26 mars 2020, n° 2020‑285 L (N° Lexbase : A25023KU).
[26] Circulaire du 26 mars 2020 de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété (N° Lexbase : L6210LWW).
[27] C. proc. pén., art. 505, al. 1 (N° Lexbase : L9467IED).
[28] Qui correspond à la date de publication de l’ordonnance.
[29] La prolongation est de deux mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans, trois mois dans les autres cas. Le délai est porté à six mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle, pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel.
[30] J.-B. Perrier, Dalloz actualité, 9 avril 2020, préc.
[31] Décisions précitées.
[32] Le dernier alinéa de l’article 16 pourrait aller dans ce sens puisqu’il précise que les prolongations de s’appliquent qu’une fois.
[33] C. proc. pén., art. 397-1 (N° Lexbase : L0903DY4).
[34] C. proc. pén., art. 397-4 (N° Lexbase : L3808AZ3).
[35] L’augmentation concerne également le délai imparti à la chambre de l’instruction pour statuer sur les appels formés contre les ordonnances de renvoi, de mise en accusation et d’irresponsabilité pénale.
[36] Le délai de dépôt des mémoires est quant à lui porté à deux mois au lieu d’un mois. Pour le mandat d’arrêt européen, la Cour de cassation dispose d’un délai de trois mois.
[37] C. proc. pén., art. 714 (N° Lexbase : L0589LTY).
[38] Ordonnance, art. 22.
[39] C. proc. pén., art. 712-4-1 (N° Lexbase : L0014LTP).
[40] Y compris, alors qu’ils sont exclus par ailleurs des règles spécifiques de droit de la peine applicables aux infractions terroristes, les auteurs d’apologie ou de provocation.
[41] C. pén., art. 132-80 (N° Lexbase : L6235LLI). On peut aisément comprendre qu’il n’est pas souhaitable de renvoyer au domicile familial des auteurs de violences conjugales. Toutefois, si les domiciles sont séparés, la nécessité de les laisser incarcérés se justifie plus difficilement. Il faut espérer que ce traitement pénal partagé avec celui des auteurs d’infractions terroristes n’a rien de prémonitoire.
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Réf. : DGFiP, communiqué de presse, 17 avril 2020
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par Marie-Claire Sgarra
Le 22 Avril 2020
►Nouvelle fournée d’aides à destination des entreprises. Le ministre de l’Action et des Comptes publics a annoncé, via un communiqué de presse en date du 17 avril 2020, un report des échéances du mois de mai au 30 juin 2020.
Sont concernés le paiement des soldes de l’impôt sur les sociétés, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les entreprises débitrices (CVAE), le dépôt des liasses fiscales 2019, des déclarations assimilées et de celles des bénéfices couverts par l’impôt sur le revenu. Pour la CVAE, le délai du 5 mai est toutefois maintenu pour les entreprises créditrices. La contribution à l’audiovisuel public est décalée en juillet, sauf dans la restauration et l’hébergement, qui obtiennent un report de trois mois.
Le ministre a également rappelé que, pour les grandes entreprises et les grands groupes (plus de 5 000 salariés ou d’1,5 milliard d’euros de chiffre d'affaires), les reports d'échéances de paiements ne seront accordés qu'en l'absence de versement de dividendes ou de rachats d'actions jusqu'à la fin de l'année.
Echéances |
Date de report |
Solde impôt sur les sociétés |
30 juin 2020 |
Liasse fiscale et déclaration de résultats des entreprises soumises à l’IS (pour les exercices clos entre le 31/12/2019 et le 29/02/2020), à l’IR, les SCI et les associations |
30 juin 2020 |
Déclaration de revenus entrant dans les catégories BIC, BNC, BA ou revenus fonciers |
30 juin 2020 |
Déclaration et paiement CVAE |
30 juin 2020 pour les sociétés débitrices |
DAS 2 et droits d’auteur |
30 juin 2020 |
Contribution à l’audiovisuel public |
Report de trois mois dans les secteurs de la restauration et de l’hébergement |
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N3055BYS
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par Frédéric Nguyen, Premier vice-président au tribunal judiciaire de Créteil chargé des libertés et de la détention
Le 22 Avril 2020
Depuis 20 ans, le débat contradictoire sur le placement ou le maintien en détention dans le cadre d’une comparution devant un magistrat du siège distinct du juge d’instruction, en présence du mis en examen assisté de son conseil et en audience publique (sauf exception), est devenu une liberté publique fondamentale. Depuis nombre d’années, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a sanctuarisé le débat devant le juge des libertés et de la détention (JLD) en imposant le respect le plus scrupuleux des droits de la défense et du contradictoire. Il suffit pour s’en convaincre de relire la jurisprudence sur le respect absolu du délai de convocation des avocats, sur la délivrance immédiate des permis de communiquer aux avocats avant un débat différé, sur le respect du contradictoire dans le temps du délibéré, sur la communication de l’entière procédure aux parties avant un débat, faute de quoi la mise en liberté immédiate du mis en examen est prononcée systématiquement. Ce débat contradictoire est l’ADN du JLD, très fermement protégé par la Chambre criminelle. C’est un habeas corpus « à la française », sous le contrôle du Conseil constitutionnel et en conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
C’est au regard de cet état du droit positif qu’il faut rechercher comment l’état d’urgence sanitaire allant du 25 mars 2020 au 25 mai 2020, pour l’heure, a nécessité d’adapter les règles de procédure pénale. Le débat contradictoire devant le JLD, prévu aux articles 145-1 (N° Lexbase : L4872K8X) et 145-2 (N° Lexbase : L3506AZU) du Code de procédure pénale, aux fins de prolongation de détention a-t-il été supprimé par l’ordonnance du 25 mars 2020 (ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période N° Lexbase : L5730LW7) ?
La réponse à cette question est très explicite en son article 19 : « Par dérogation aux articles 145-1 et 145-2 du Code de procédure pénale, les décisions du juge des libertés et de la détention statuant sur la prolongation de la détention provisoire interviennent au vu des réquisitions écrites du procureur de la république et des observations écrites de la personne et de son avocat, lorsque le recours à l’utilisation des moyens de télécommunication audiovisuelle prévu par l’article 706–71 de ce code n’est pas matériellement possible ».
Les débats de prolongation de détention sont à l’évidence maintenus et le recours à la visioconférence est permis. En cas d’impossibilité matérielle, la mise en œuvre d’une procédure écrite contradictoire est autorisée.
La question des débats de prolongation doit être totalement distinguée de celle de l’allongement des délais maximums de détention. Il suffit de se reporter aux travaux parlementaires de la loi d’habilitation qui distingue le maintien des débats de prolongation de détention en les aménageant et l’allongement des « délais maximums » de détention avant que les dossiers d’instruction ne soient jugés.
Le rapport n° 381 de Monsieur Philippe Bas fait au nom de la commission des lois du Sénat déposé le 19 mars 2020 comporte en son chapitre IV, intitulé « assurer la continuité du fonctionnement des administrations et les juridictions », une section 2 sur l’adaptation du fonctionnement de l’institution judiciaire rédigée en ces termes : « la durée de la détention provisoire ou de l’assignation à résidence sous surveillance électronique pourrait être prolongée au-delà des durées maximales actuellement prévues par le Code de procédure pénale, afin d’éviter que ces mesures de sûreté n’arrivent à leur terme avant que l’audience n’ait pu être organisée. Cette durée supplémentaire ne pourrait excéder trois mois en première instance et six mois en appel ». Ce dispositif est donc bien distinct « des décisions de prolongation de la détention provisoire ou de l’ARSE qui pourraient être prises par le juge des libertés et de la détention au terme d’une procédure écrite (réquisitions écrites du parquet, observations écrites de la personne ou de son avocat) ».
Le rapport présenté le 20 mars 2020 par Madame Guévenoux, députée, au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale distingue de la même façon « l’allongement, pour une durée de trois mois ou six mois, de la durée de détention provisoire et d’ARSE afin de bénéficier d’un délai étendu pour les audiencements, mais aussi pour l’achèvement des instructions en cours » et « les dispositions adaptant la procédure pénale pour limiter les contacts. Les règles de publicité des audiences et de visioconférence sont concernées ainsi que les règles de garde à vue, de détention provisoire et d’ARSE notamment. Il sera notamment possible d’étendre le recours au huis clos et à la visioconférence ».
Alors que la loi d’habilitation (loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 N° Lexbase : L5506LWT) en son article 11, I, d), autorisait l’exécutif à prévoir une ordonnance rendue « au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat », sans doute pour échapper à une censure de la CEDH, le Gouvernement a préféré suivre la commission des lois de l’Assemblée nationale et, dans l’article 19 de l’ordonnance, a subordonné la mise en œuvre de la procédure écrite à la nécessité d’établir que le recours à la visioconférence n’était pas matériellement possible.
Comment imaginer qu’après ces travaux parlementaires, en l’état d’une loi d’habilitation et d’une ordonnance aussi explicitement rédigées, il puisse être soutenu que toutes les détentions provisoires seraient, de plein droit, sans le moindre débat contradictoire, augmentées de façon rétroactive de 2, 3 ou 6 mois ?
C’est pourtant ce que prévoit la circulaire du 26 mars 2020 (circulaire DACG, n° 2020-12, du 26 mars 2020, Présentation des dispositions de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 N° Lexbase : L6081LW7) et un « mail interprétatif » de la Directrice des Affaires criminelles et des Grâces du 27 mars 2020.
Il est impératif, à ce stade des contradictions et des tensions au sein même des tribunaux et des cours d’appel (à ce jour, six cours d'appel ont statué en appliquant de plein droit les prolongations de détention provisoire sans débat et trois cours d'appel ont statué en sens inverse), de souligner que le juge judiciaire ne saurait, en aucune façon, élever une circulaire ministérielle au rang d’une norme ou d’une source du droit, surtout quand elle supprime une garantie fondamentale.
En effet, l'interprétation faite par la circulaire de la DACG ne se borne pas à allonger les délais, de façon immédiate, comme peuvent le faire les lois de procédure en application de l'article 112-2 du Code pénal (N° Lexbase : L0454DZT), mais elle revient à allonger de façon rétroactive des délais déjà acquis. Or, le principe d'application immédiate des lois de procédure souffre d'une exception au terme de laquelle la loi nouvelle ne peut s'appliquer immédiatement lorsqu'il existe au profit de la personne poursuivie un droit acquis. Ainsi, une loi nouvelle qui supprime une voie de recours ou modifie le délai d'exercice ou les effets ne peut être opposée à celui qui en bénéficiait au moment où a été rendue la décision qui l'a condamné (Cass. crim., 24 octobre 1988, n° 88-82.350 N° Lexbase : A8714CIL).
Surtout, une détention prolongée ne peut être reconnue régulière au sens de l'article 5, § 1, c), de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC) que si elle a été ordonnée par un tribunal, par un juge ou par toute autre personne habilitée à exercer des fonctions judiciaires. Or tel n'est pas le cas en l'espèce puisque la prolongation de plein droit de l'ensemble des détentions provisoires sur le territoire national découle des instructions de la Direction des Affaires criminelles et des Grâces et de la Direction de l'administration pénitentiaire. La garantie d'habeas corpus que contient l'article 5, § 4, vient également appuyer l'idée que la détention prolongée au-delà de la période initiale envisagée appelle toujours l'intervention d'un « tribunal » comme garantie contre l'arbitraire. Enfin, s'agissant d'une privation de liberté, il est nécessaire de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Il est donc impératif que les conditions de privation de la liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application de façon à remplir le critère de légalité fixé par la Convention. Ce critère exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre aux citoyens de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé.
La discordance entre ce que le Parlement a voulu et ce que la Chancellerie a mis en œuvre est évidente. Il suffit pour s’en convaincre de lire la déclaration de la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale du 16 Avril 2020 faite à la Directrice des Affaires criminelles et des Grâces dans le cadre de la commission de suivi de la loi d’habilitation du 23 mars 2020 : « Je voudrais, Madame la directrice et vous l’avez bien compris, joindre ma voix à celle de mes très nombreux collègues et vice-présidents. Autant j’ai très bien compris l’ordonnance du 25 mars 2020 et j’y souscris parfaitement. On comprend bien que la justice est soumise à de fortes tensions dues à l’état d’urgence sanitaire. Il y a moins d’audiences, moins de magistrats dans les palais de justice. On sait bien qu’il fallait prendre des mesures exceptionnelles, et elles ont été prises avec cette ordonnance, sur les détentions provisoires en allongeant les délais maximums et en organisant à l’article 19 la tenue de débats qui permettraient avec la visioconférence, avec les observations écrites des magistrats, des avocats d’avoir quand même le respect du principe du contradictoire. L’ordonnance du 25 mars 2020, j’y souscris pleinement. En revanche, ce que je n’ai pas compris, c’est les dispositions contenues dans la circulaire du 26 mars 2020 prévoyant les prolongations de plein droit à partir du moment où justement les débats contradictoires étaient possibles de façon aménagée. Et comme le disaient Stéphane Mazars et d’autres députés, il s’agit de détenus provisoires qui ne sont pas encore condamnés de façon définitive et donc leur liberté est d’autant plus précieuse. Je pense que, dans ces circonstances exceptionnelles, il fallait maintenir les débats contradictoires pour permettre à chacune des parties de pouvoir s’exprimer sur la prolongation ou non des mandats de dépôt ».
L’intention du législateur concernant les débats de prolongation de détention s’est traduite dans l’article 11, I, d), de la loi d’habilitation qui permet de procéder aux débats contradictoires de façon aménagée. À aucun moment dans l’élaboration de ce dispositif, lors des travaux et débats parlementaires, dans la loi d’habilitation et l’article 19 de l’ordonnance du 25 mars 2020 n’a été envisagée la possibilité de supprimer purement et simplement, pendant la durée d’urgence sanitaire, les débats contradictoires de prolongation de détention devant le juge des libertés.
Face à ce constat, est-il sérieusement envisageable de demander au juge judiciaire de se conformer à la circulaire du 26 mars 2020 et d'appliquer une législation d'exception en l'interprétant à l'encontre de l'intention expresse de la loi d'habilitation et en supprimant de façon rétroactive une liberté fondamentale ?
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par Benjamin Huglo, docteur en droit et Madeleine Babès, Avocate, Cabinet Huglo Lepage avocats
Le 22 Avril 2020
Depuis toujours, la commune est l’échelon territorial préféré des français. Dans un sondage Ifop réalisé en 2016, près d’un français sur deux déclaraient être plus attachés à leur commune, qu’à un autre échelon territorial.
Dès lors, nul doute que le maire a un rôle considérable à jouer en période de crise sanitaire, notamment sur la question de l’utilisation de ses pouvoirs de police.
Aux termes de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0892I78) : « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, (…) les maladies épidémiques ou contagieuses ».
Il s’agit là des dispositions classiques relatives aux pouvoirs de police du maire, qui permettent d’agir par des règlementations de police administrative générales, destinées à prévenir des troubles notamment en présence d’une épidémie.
Toutefois, il faut bien noter que ces dispositions classiques et générales, doivent aujourd’hui s’articuler avec des pouvoirs de police administrative spéciale dévolus aux préfets en cas d’urgence sanitaire. C’est ce que prévoit notamment l’article L. 3131-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5641LWT), issu de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT) : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut habiliter le représentant de l'Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d'application de ces dispositions (..) ».
Et l’article L. 3131-15 du même code (N° Lexbase : L5588LWU) d’ajouter : « Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (..) 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature (…) ».
Nous sommes aujourd’hui dans une période tout à fait exceptionnelle : une période d’état d’urgence sanitaire, déclarée par décret du Premier ministre, et dont les modalités pour l’ensemble du territoire ont été fixées par l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 (N° Lexbase : L5507LWU), restreignant les déplacements des français en dehors de cas précisément listés pour une période allant, dans un premier temps, jusqu’au 31 mars.
Mais la situation sanitaire évolue et la réglementation a dû s’adapter. C’est ainsi que le décret n° 2020-360 du 28 mars 2020 (N° Lexbase : L5920LW8) est venu compléter le précédent décret. Désormais, les déplacements sont restreints jusqu’au 11 mai prochain.
Toujours est-il que l’existence de pouvoirs de police concurrents n’est pas une nouveauté en droit administratif, fût-il un droit administratif de temps de crise.
Si l’on s’en tient, d’une part, à l’adage lex specialis generalibus derogant (la loi spéciale déroge à la loi générale) et, d’autre part, à la hiérarchie du pouvoir réglementaire qui veut qu’un pouvoir règlementaire local ne contredise pas le pouvoir réglementaire national, il faut alors en tirer les conclusions suivantes.
En premier lieu, le pouvoir de police administrative générale du maire ne saurait empiéter sur le pouvoir de police spéciale dévolu au préfet en matière d’état d’urgence sanitaire, par exemple en cherchant à faire obstacle ou à alléger les mesures prises au niveau national.
En second lieu, le pouvoir de police administrative générale du maire est fondé à venir compléter, au niveau local, la réglementation prise au niveau national, si celle-ci s’avère insuffisante ou inappropriée à prévenir les risques épidémiques.
Cette faculté est expressément prévue par la jurisprudence administrative qui reconnaît que le maire, s’il fait état d’un danger grave ou de circonstances locales particulières, est en capacité d’adopter des mesures plus strictes que celles adoptées par le préfet (CE, 18 avril 1902, n° 04749 N° Lexbase : A2252B8W, Rec. CE, p. 275), le ministre (CE, Sect., 18 décembre 1959, n° 36385 N° Lexbase : A2581B84, Rec. CE, p. 693), ou le Premier ministre (CE, 8 août 1919, n° 56377 N° Lexbase : A5793B7P, Rec. CE, p. 224).
Si des circonstances locales particulières sont invoquées par le maire pour justifier son action, il faut garder à l’esprit que ces dernières sont contrôlées par le juge depuis sa décision de principe « Benjamin » (CE, 19 mai 1933, n° 17413 N° Lexbase : A3106B8K, Rec. CE, p. 541). Ce contrôle, qui se décompose en trois temps, tend à vérifier que la mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée à la finalité qu’elle poursuit (CE Ass., 26 octobre 2011, n° 317827 N° Lexbase : A0171HZD). Dès lors, l’intervention du maire doit être adaptée, nécessaire et proportionnée. La plus grande prudence est de rigueur.
Ainsi, en cas de danger grave ou de circonstances locales particulières, le concours entre deux pouvoirs de police distincts n’empêche pas l’action de l’édile communal : « ces dispositions qui confèrent au préfet compétence pour réglementer l’usage des produits phytosanitaires ne sont pas exclusives d’une éventuelle intervention du maire au titre de ses pouvoirs de police générale définis notamment par les articles L. 2212-2 (N° Lexbase : L0892I78) et L. 2542-3 (N° Lexbase : L9232AA8) du Code général des collectivités territoriales » (CAA Nancy, 10 mai 2007, n° 05NC01554 N° Lexbase : A2223DWA).
S’agissant plus précisément de l’aggravation de l’état d’urgence sanitaire, se pose la question de l’acuité de mesures spécifiques d’aggravation du confinement notamment par l’intervention d’un couvre-feu.
L’idée n’est pas nouvelle.
A titre d’illustration, durant l’été 2014, le maire de Béziers, invoquant l’explosion de la délinquance juvénile, avait-il décidé d’adopter une mesure de couvre-feu visant les mineurs de treize ans, entre 23 heures et 6 heures du 15 juin au 15 septembre. Le Conseil d'Etat avait annulé cette décision en considérant qu’il n’existait pas « d'éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l'existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre-ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze pour la période visée par l'arrêté attaqué » (CE, 6 juin 2018, n° 410774 N° Lexbase : A4563XQ3).
Les circonstances sont aujourd’hui toutes autres s’agissant des mesures de couvre-feu dès lors que celles-ci interviennent, d’une part, en renfort des mesures d’état d’urgence sanitaire prises au niveau national et, d’autre part, dans un contexte où, précisément, l’urgence sanitaire est avérée.
Un contentieux récent est venu illustrer les limites de l’intervention du maire en renforcement des mesures de confinement.
Le maire de Lisieux avait, par arrêté du 25 mars 2020, décidé d’interdire toute circulation des personnes sur le territoire de sa commune après 22 heures et avant 5 heures en dehors des exceptions prévues aux 1° à 4° et 6° à 8° de l’article 3 du décret du 23 mars 2020 susmentionné.
Cet arrêté a été déféré par le préfet du Calvados selon la procédure du référé-liberté de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT) qui soutenait, à titre principal, l’incompétence du maire pour prendre de telles mesures.
Dans son ordonnance rendue le 31 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Caen énonce tout d’abord la compétence du maire selon les principes dégagés supra en rappelant que le pouvoir de police spéciale dévolu au préfet « ne fait pas obstacle à ce que, pour assurer la sécurité et la salubrité publiques et notamment pour prévenir les maladies épidémiques, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu'il tient des articles L. 2212-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales ».
Toutefois, « la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation est subordonnée à la condition qu'elles soient justifiées par l'existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public ou de circonstances particulières au regard de la menace d'épidémie ».
En l’espèce, le juge des référés suspend l’arrêté litigieux en considérant que les circonstances locales n’étaient pas suffisantes pour justifier une telle mesure : « Les circonstances que les sapeurs-pompiers de Lisieux sont intervenus durant les nuits des 18 au 19 mars et 22 au 23 mars 2020 pour éteindre des feux de poubelles et qu’il a été constaté le matin du 25 mars 2020 des traces d’effraction et des dégradations au stade Bielman ne sont pas suffisantes pour justifier au plan local la nécessité des restrictions supplémentaires imposées par l’arrêté contesté tant au regard du risque de propagation de l'épidémie de covid-19 que de la sécurité publique » (TA Caen, 31 mars 2020, n° 2000711 N° Lexbase : A49823KQ).
Le Conseil d'Etat a récemment entendu durcir sa position en revenant sur sa jurisprudence traditionnelle ci-dessus exposée.
Dorénavant, le maire doit simplement veiller à « contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat » et peut « notamment » interdire « au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements ».
Si l’emploi de l’adverbe « notamment » a pour but de mettre en exergue l’absence de caractère non-limitatif de l’exemple fourni, le message est pourtant limpide : les pouvoirs du maire sont désormais bridés.
Le Conseil d'Etat considère plus loin que la police spéciale résultant de l’état d’urgence sanitaire « fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat » (CE, référé, 17 avril 2020, n° 440057 N° Lexbase : A87973KZ).
En statuant ainsi, le Conseil d'Etat rompt avec sa jurisprudence « Société des Films Lutétia précitée » (CE, Sect., 18 décembre 1959, n° 36385) dès lors qu’il considère que le maire n’est fondé à prendre des mesures au niveau local pour renforcer une mesure de police nationale qu’en présence « de raisons impérieuses liées à des circonstances locales », tout en conditionnant la légalité de ces mesures à un élément peu objectif : la cohérence et l’efficacité avec les mesures prises au niveau national.
Le changement de formule a un poids considérable puisqu’il conduit à durcir le contrôle du juge sur les arrêtés de police des maires dans des proportions telles que cela confine à un véritable contrôle d’opportunité.
En bridant de la sorte le pouvoir des élus locaux, le débat ne fait, en réalité, que se déplacer créant ainsi une véritable bombe à retardement.
En effet, il est tout à fait possible d’imaginer que le maire - ou un administré - puisse invoquer une faute de l’Etat dès lors qu’il parvient à démontrer que les mesures prises par l’arrêté annulé auraient précisément permis d’épargner des vies et de lutter contre l’épidémie.
Même en présence d’une jurisprudence créant quasiment un effet d’aubaine de déférés préfectoraux, les préfets devraient tout de même s’interroger sur l’opportunité de leurs déférés, dès lors que les mesures prises par les maires ont précisément pour objet de prévenir, par des mesures justifiées par des circonstances locales spécifiques, l’aggravation de l’épidémie dans leur commune.
La responsabilité de l’Etat pourrait, dans cette mesure, être engagée.
Pour le moment, l’heure n’est pas à la recherche des fautes et à l’engagement des responsabilités. Pour le moment, l’heure est à la gestion de la crise. Mais à la sortie de la crise, l’Etat va devoir rendre des comptes et expliquer ses actions, ce encore plus lorsqu’il entend corseter les pouvoirs des élus locaux.
Après le scandale sanitaire de l’amiante, du chlordécone et des pesticides, le Covid-19 pourrait bien être le prochain scandale sanitaire engageant la responsabilité de l’Etat. A suivre …
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Réf. : Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19, publiée au Journal officiel du 16 avril 2020 (N° Lexbase : L6859LWX)
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par Yann Le Foll
Le 22 Avril 2020
► L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020, portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19, publiée au Journal officiel du 16 avril 2020 (N° Lexbase : L6859LWX), apporte des aménagements et compléments aux dispositions de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période (N° Lexbase : L5730LW7), et de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif (N° Lexbase : L5719LWQ).
Le titre II modifie les dispositions particulières aux délais et procédures en matière administrative.
L'article 5 modifie la durée de suspension des délais pour la consultation ou la participation du public. Ces délais sont suspendus jusqu'à l'expiration d'une période de sept jours suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire alors qu'ils l'étaient par l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 jusqu'à la fin du mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire.
Il sera ainsi permis de ne pas retarder davantage l'organisation et la tenue de procédures de consultation et de participation du public qui avaient été engagées ou programmées avant la déclaration de l'état d'urgence, ce qui contribuera à favoriser la relance économique. Par ailleurs, cet article prévoit que les délais applicables aux procédures en matière de rupture conventionnelle dans la fonction publique, notamment le délai de rétractation, sont suspendus selon le droit commun fixé par l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020 précitée.
L'article 6 modifie l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 qui suspend les délais dans lesquels les personnes publiques et privées doivent réaliser des travaux et des contrôles ou se conformer à des prescriptions de toute nature. Cet article précise que l'autorité administrative peut néanmoins, pendant la période du 12 mars 2020 à la fin de l'état d'urgence sanitaire augmentée d'un mois, exercer ses compétences pour modifier ces obligations ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont elle a la charge le justifie, pour prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles, dans le délai qu'elle détermine. Dans tous les cas, l'autorité administrative tient compte, dans la détermination des obligations ou des délais à respecter, des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire.
L'article 7 complète l'article 9 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020. Il prévoit deux nouveaux motifs qui permettront par décret de déterminer les actes, procédures ou obligations pour lesquels les délais reprennent. Il s'agit de la sauvegarde de l'emploi et de l'activité, ainsi que de la sécurisation des relations de travail et de la négociation collective.
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Réf. : CE référé, 20 avril 2020, n° 439983 (N° Lexbase : A91553KB)
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par Marie Le Guerroué
Le 22 Avril 2020
► Il appartient à l’Etat d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à se procurer des masques lorsqu'ils n'en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement.
Telle est l’une des réponses apportées par le Conseil d’Etat, dans sa décision du 20 avril 2020, aux demandes de l’Ordre des avocats du barreau de Marseille et l’Ordre des avocats du barreau de Paris qui dénoncaient la carence de l’Etat dans l’organisation sanitaire du service public de la Justice pendant la crise sanitaire et réclamaient la protection des avocats dans l’exercice de leurs missions d’auxiliaires de justice dans ce contexte (CE référé, 20 avril 2020, n° 439983 N° Lexbase : A91553KB).
L’Ordre des avocats du barreau de Marseille demandait au juge des référés du Conseil d’Etat qu’il enjoigne à l’Etat de fournir des masques de protection, gants, blouses de protection et gels hydro alcooliques aux avocats du barreau de Marseille dans l’exercice de leurs missions comme mesures de protection contre le covid-19. L’Ordre des avocats du barreau de Paris demandait lui, plus précisément, la mise à disposition systématique des masques et du gel hydro-alcoolique à la disposition des avocats et justiciables lors des entretiens de garde à vue dans les locaux des commissariats, lors de la préparation de la défense dans le cadre des comparutions immédiates et, plus généralement, dans toutes les circonstances du fonctionnement du service public de la justice où la présence d’un avocat est ou peut être requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense. Ils faisaient, tous deux, valoir que les carences de l’administration concernant la protection des avocats dans l’exercice de leur mission d’auxiliaires de justice ainsi que, par ricochet, des justiciables et personnels de justice méconnaissent gravement et manifestement le droit au respect de la vie, la possibilité́ pour les justiciables d’assurer de manière effective leur défense devant le juge et la liberté pour les avocats d’exercer leur profession, qui constituent des libertés fondamentales.
Une adaptation de l’activité et de l’organisation judiciaire. Le Conseil d’Etat relève, d’abord, qu’il y eu une adaptation de l’activité judiciaire pendant l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre la propagation du covid-19. Il souligne, notamment, la fermeture de l’ensemble des juridictions judiciaires et le maintien du service pour les contentieux essentiels, l’adaptation des règles de la procédure civile et de la procédure pénale pour limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes et aménager la présence personnelle de l’avocat auprès du justiciable de manière à être compatible avec les impératifs de distanciation sociale et de limitation de la contamination ainsi que l’adaptation de l’organisation des services judiciaires. Il note, aussi, que s’agissant des masques de protection, l’Etat a mis en place une stratégie de gestion et d’utilisation maîtrisée des masques à l’échelle nationale et, s’est attaché à l’adapter en fonction de l’évolution de l’épidémie. Il précise que pour les catégories de professionnels dont les fonctions justifient d’avoir accès à des masques non sanitaires, l’approvisionnement en masques se fait par l’intermédiaire des organisations auxquelles ils sont rattachés, qu’elles soient publiques ou associatives, qui disposent, selon le cas, de financements ou de concours financiers publics ainsi que de l’appui des pouvoirs publics pour accéder aux circuits d’approvisionnement lorsque ces organisations n’en disposent pas déjà du fait de leurs activités habituelles, ou éprouvent des difficultés à s’approvisionner par ceux-ci.
Obligations de l’Etat. Pour la Haute juridiction, il appartient à l’Etat d’assurer le bon fonctionnement des services publics dont il a la charge. Il doit, à ce titre, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, veiller au respect des règles d’hygiène et de distance minimale entre les personnes afin d’éviter toute contamination. Il doit, également, lorsque la configuration des lieux ou la nature même des missions assurées dans le cadre du service public conduisent à des hypothèses inévitables de contacts étroits et prolongés, mettre à disposition des intéressés des équipements de protection, lorsqu'ils n'en disposent pas eux-mêmes.
Sur l’accès aux masques. Cependant, face à un contexte de pénurie persistante à ce jour des masques disponibles, le Conseil d’Etat précise qu’il lui appartient d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d'employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé et, tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu'ils n'en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement.
Sur la mise à disposition de gel hydro-alcoolique. Pour le gel hydro-alcoolique, pour lequel il n'existe plus la même situation de pénurie et les avocats sont donc en mesure de s’en procurer par eux-mêmes, il appartient à l'Etat d'en mettre malgré tout à disposition, lorsque l'organisation des lieux ou la nature même des missions ne permettent pas de respecter les règles de distanciation sociale.
Carence caractérisée (non). Il s’ensuit, toutefois, qu’eu égard à l'office du juge des référés, qui ne peut ordonner que des mesures susceptibles d'être prises à très bref délai, aux mesures prises par le Gouvernement, et aux moyens dont dispose actuellement l'administration, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction et à la date de la présente ordonnance, que l’absence de distribution de masques de protection aux avocats lors des entretiens de garde à vue dans les locaux des commissariats, lors de la préparation de la défense dans le cadre des comparutions immédiates et, plus généralement, dans les circonstances où la présence d’un avocat est requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense révèlerait une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées justifiant que le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde demandées. Les requêtes de l’Ordre des avocats au barreau de Marseille et de l’Ordre des avocats au barreau de Paris sont donc rejetées (cf. l’Ouvrage « La profession d’avocat » N° Lexbase : E1051E73).
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par Catherine Millet-Ursin, avocate associée Fromont Briens
Le 22 Avril 2020
Indépendamment des difficultés qu’elle pose sur les plans humain, économique et social, la pandémie confronte les entreprises à des situations qu’elles n’avaient pas l’habitude d’appréhender. Les mesures exceptionnelles mises en œuvre dans les semaines qui ont précédé l’état d’urgence sanitaire et depuis sa déclaration, l’activité partielle retenue à grande échelle par de très nombreux secteurs d’activité amènent à s’interroger sur le sort des dispositifs et des avantages de protection sociale en cette période. Pour faciliter la lecture de cette chronique, une présentation sous forme de questions/réponses a été retenue.
1 - Le salarié en activité partielle doit-il bénéficier des régimes de protection sociale mis en place au sein de l’entreprise ?
Le contrat de travail des salariés placés en activité partielle est suspendu pendant les périodes où ils ne sont pas en activité. Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure (C. trav., art. L. 5122-1, II N° Lexbase : L9343LND). La suspension du contrat de travail ne prive pas l’intéressé de sa qualité de salarié de l’entreprise. Il bénéficie donc, par principe, des avantages collectifs.
Aucune disposition légale ou réglementaire, ni aucune doctrine administrative de droit du travail, ne traite du sort des régimes de protection sociale pendant la suspension du contrat de travail pour activité partielle. La seule obligation légale concerne la couverture « frais de santé » minimale à tous ses salariés, sans aucune distinction selon le statut de leur contrat de travail (CSS, art. L. 911-7 N° Lexbase : L8447LQW).
Nombre d’obligations conventionnelles (de branche ou d’entreprise) de prévoyance « lourde », n’évoque pas davantage le cas particulier des salariés dont le contrat de travail est suspendu, quelle qu’en soit la cause.
Pour autant, les principes de non-discrimination suivant la nature du contrat de travail devraient conduire à organiser la couverture des salariés en activité partielle.
D’ailleurs, les règles d’exonération de cotisations sociales du financement patronal des régimes collectifs et obligatoires de protection sociale complémentaire se sont toujours intéressées à la suspension du contrat de travail lorsque les salariés continuent à être rémunérés en tout ou partie par l’employeur durant cette période (CSS, art. L. 242-1, II, 4° N° Lexbase : L4986LR4).
La circulaire de la Direction de la sécurité sociale (DSS) n° DSS/5B/2009/32 du 30 janvier 2009 (N° Lexbase : L9384ICK) précise (fiche n° 7) que :
« Le bénéfice des garanties mises en place dans l’entreprise doivent être maintenues au profit des salariés dont le contrat de travail est suspendu pour la période au titre de laquelle ils bénéficient :
- soit d’un maintien, total ou partiel, de salaire ;
- soit d’indemnités journalières complémentaires financées au moins pour partie par l’employeur, qu’elles soient versées directement par l’employeur ou pour son compte par l’intermédiaire d’un tiers.
La contribution de l’employeur, calculée selon les règles applicables à la catégorie de personnes dont relève le salarié, doit être maintenue pendant toute la période de suspension du contrat de travail indemnisée (sauf si le système prévoit un maintien de la garantie à titre gratuit).
Le salarié dont le contrat de travail est suspendu doit acquitter la part salariale de la cotisation, calculée selon les règles prévues par le régime (sauf si la garantie est maintenue à titre gratuit). »
Le chômage partiel est un cas de suspension du contrat de travail indemnisée par l’employeur.
Dans une lettre-circulaire « questions-réponses » n° 2011-036 du 24 mars 2011 (certes dépourvue de valeur contraignante), l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS) avait directement visé la « suspension du contrat de travail […] en cas de chômage partiel » (devenu activité partielle en 2013) parmi les cas de suspension du contrat de travail indemnisée par l’employeur devant donner lieu à maintien des garanties complémentaires sous peine de remise en cause du caractère collectif et obligatoire du régime (Q/R n° 48).
D’une manière générale, l’ACOSS avait énoncé que la suspension indemnisée du contrat de travail « vise les salariés dont le contrat de travail est suspendu, quelle qu’en soit la cause, raison médicale ou autre, et bénéficiant de la part de l’employeur d’un revenu, quelle qu’en soit la nature (revenu d’activité ou de remplacement). »
La réponse à cette première question doit donc être positive.
2 - Le salarié doit se voir maintenir la couverture, mais sur quelle assiette cotiser en telle hypothèse ?
Un grand nombre de contrats d’assurance détermine la cotisation due en pourcentage de la rémunération de chaque salarié (ce qui est toujours le cas en matière de prévoyance « lourde »), assujettie à cotisation sociales par référence à l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale.
C’est moins fréquent pour les cotisations destinées à financer les couvertures « frais de santé » où la cotisation est le plus souvent forfaitaire (déterminée en pourcentage du plafond mensuel de la Sécurité sociale) et reste ainsi due quelle que soit la nature de la rémunération.
Or, par application des articles L. 5122-4 (N° Lexbase : L0693IXX), L. 5422-10 (N° Lexbase : L0232LMK) et L. 5428-1 (N° Lexbase : L0257LMH) du Code du travail, l’indemnité d’activité partielle étant exclue de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale définie à l’article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, elle n’entre corrélativement pas dans l’assiette des cotisations d’assurance aux termes mêmes du contrat.
En application stricte des stipulations contractuelles, les entreprises ne sont donc pas tenues de verser de cotisations sur les indemnités d’activité partielle en raison d’une assiette nulle, à tout le moins lorsque le passage en activité partielle est total. Dans le cadre de leurs obligations d’information et de conseil, les organismes assureurs doivent garantir à leurs entreprises clientes la conformité de leurs contrats aux règles d’exonération de cotisations sociales. Il convient donc d’amender les contrats pour autoriser la cotisation au moins sur l’indemnité versée au salarié au titre de l’activité partielle.
A l’avenir, cette hypothèse devrait à notre sens être envisagée dans les conditions générales de ces contrats.
La question ne se posera pas si les salaires pris en compte sont définis par référence au revenu imposable, l’indemnité d’activité partielle restant soumise à l’impôt.
3 - En cas de mise en place de l’activité partielle, faut-il modifier les actes de droit du travail formalisant les régimes pour notamment pouvoir imposer le précompte de la cotisation au salarié ?
Tout dépendra de la rédaction de l’acte de mise en place. Fréquemment, ces derniers ont repris les dispositions relatives au maintien du dispositif en cas de suspension de contrat de travail rémunérée en tout ou partie par l’employeur ou par un organisme tiers et au paiement des cotisations pendant cette période, tant patronales que salariales sur la rémunération maintenue, par référence aux dispositions du contrat souscrit avec l’organisme assureur.
En pareille hypothèse, la modification du contrat d’assurance devrait donc suffire.
Par ailleurs, les contrats de travail disposent souvent que le salarié bénéficiant du statut collectif en vigueur dans l’entreprise accepte le précompte des cotisations correspondantes.
En revanche, pour les entreprises qui souhaitent maintenir une cotisation sur une assiette reconstituée, notamment afin d’éviter toute diminution de prestations, la rédaction d’un avenant à l’acte de mise en place pourrait être recommandée, sous réserve du risque URSSAF que cela pourrait soulever si tous les salariés ne sont pas en activité partielle totale.
4 - L’entreprise peut-elle décider de modifier sa quote-part de cotisation pour les seuls salariés en activité partielle ?
Pour que les cotisations patronales affectées au financement de la protection sociale puissent bénéficier des exonérations de charges sociales, elles doivent bénéficier à une catégorie objective de salariés définie par l’article R. 242-1-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3578LMH). Or, le fait d’être un salarié en activité partielle ne permettra pas de définir une catégorie objective de salariés au sens des critères visés, le temps de travail ne pouvant par ailleurs être pris en compte. Cela ne sera possible que si tous les salariés de l’entreprise, de l’établissement ou encore d’une catégorie permettant de se rattacher aux critères identifiés sont concernés par l’activité partielle. Cela supposera également de modifier l’acte de mise en place régissant l’entreprise, l’établissement ou encore la catégorie de salariés concernés.
Une autre solution pourra être de majorer l’indemnité d’activité partielle pour rendre supportable le précompte poursuivi de la cotisation pendant la période d’activité partielle.
5 - Comment en pareille hypothèse et en cas d’activité partielle, la rémunération minimale garantie doit-elle être définie ?
Le salarié en activité partielle reçoit une indemnité horaire (dans la limite de la durée légale de travail) correspondant à 70 % de sa rémunération brute (C. trav., art. R. 5122-18, al. 1 N° Lexbase : L3124LBC).
Cette indemnité est exonérée de cotisations de Sécurité sociale (patronales et salariales) et soumise à la CSG au taux de 6,2 % et la CRDS au taux de 0,5 % sur 98,25 % de l’indemnité.
Si après versement de l’indemnité d’activité partielle, la rémunération d’un salarié est inférieure à la rémunération mensuelle minimale (RMM garantie par les articles L. 3232-1 et suivants du Code du travail N° Lexbase : L0853H9H pour les salariés à temps plein), l’employeur est alors dans l’obligation de lui verser une allocation complémentaire, égale à la différence entre la rémunération mensuelle minimale (ou SMIC net) et la somme initialement perçue par le salarié.
L’article L. 3232-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0857H9M) dispose :
« La rémunération mensuelle minimale est égale au produit du montant du salaire minimum de croissance tel qu'il est fixé en application des articles L. 3231-2 à L. 3231-12, par le nombre d'heures correspondant à la durée légale hebdomadaire pour le mois considéré.
Elle ne peut excéder, après déduction des cotisations obligatoires retenues par l'employeur, la rémunération nette qui aurait été perçue pour un travail effectif de même durée payé au taux du salaire minimum de croissance. »
A notre sens, les cotisations complémentaires rendues obligatoires par l’entreprise elle-même ou par accord collectif, tant en santé et prévoyance doivent également être déduites. Le législateur n’a en effet pas limité la notion de cotisations obligatoires à celles qui sont d’origine légale. Il n’y aura dès lors pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Retenir une autre solution conduirait le salarié à percevoir un salaire net plus important que s’il avait travaillé.
6 - Quels sont les arrêts qui doivent être pris en charge par la Sécurité sociale / par l’entreprise ? Comment ces arrêts sont-ils indemnisés et pour combien de temps ?
Pour une lecture facilitée, les réponses à ces questions sont apportées sous forme de tableaux à jour des dernières modifications nées de l’ordonnance n° 2020-428 du 15 avril 2020 (N° Lexbase : L6860LWY), du décret n° 2020-434 du 16 avril 2020 (N° Lexbase : L6880LWQ), ou encore du Projet de loi de finances rectificative soumise au parlement le 17 avril 2020.
En revanche, elles ne prennent pas en compte les indemnités journalières complémentaires susceptibles d’être versées par les organismes assureurs.
L’indemnisation due au titre des arrêts dérogatoires (attention aux dispositions conventionnelles pour les arrêts maladie) est de 90 % de la rémunération brute que le salarié aurait perçue s'il avait continué à travailler pour toute la durée de l’arrêt (CSS, art. D. 1226-4 N° Lexbase : L2559IAZ, mod. par l’art. 1er, 2° du décret n° 2020-434 du 16 avril 2020). Cela ne vaut que pour les salariés qui seraient normalement au travail. Si l’entreprise a sollicité le recours à l’activité partielle, le salarié en arrêt dérogatoire devrait cesser d’être pris en charge à compter de la prise d’effet de l’activité partielle et être indemnisé à ce titre pour la période restant à courir.
7 - Les dispositions conventionnelles applicables en matière d’arrêt de travail pour maladie sont-elles applicables aux arrêts dérogatoires ?
A notre sens, les dispositions conventionnelles applicables en matière d’arrêt de travail pour maladie ne concernent pas les arrêts de travail dérogatoires qui ne sont pas des arrêts maladie, seuls indemnisés au titre des conventions collectives. Pour s’en convaincre, il suffit de constater qu’il a fallu une modification des dispositions légales pour qu’ils soient pris en charge en application du Code du travail.
Ce n’est cependant pas la position retenue par le ministère du travail qui considère que les dispositions conventionnelles doivent s’appliquer (avec en principe, les délais de carence institués conventionnellement qui n’ont pas été modifiés par les textes).
8 - Pour quels arrêts de travail les organismes assureurs sont-ils tenus d’intervenir ? Dans quelles conditions ? Pour quels arrêts ont-ils pris des engagements ?
Les organismes assureurs ne sont tenus d’intervenir que pour les arrêts de travail liés à la maladie ou à l’accident. La prise en charge d’autres types d’arrêts n’est jamais prévue par les contrats de protection sociale. Il en est de même s’agissant des contrats dits de « mensualisation » qui prennent en charge tout ou partie du maintien de salaire dû aux salariés par l’employeur en cas de maladie ou d’accident. Les dispositions du contrat et notamment les délais de franchise prévus qui peuvent être plus ou moins longs seront respectés.
Face à la situation exceptionnelle, les organismes assureurs ont cependant pris un certain nombre d’engagements indépendamment des dispositions contractuelles notamment pour la prise en charge des arrêts Covid-19 des personnes vulnérables et sous conditions qu’ils soient intervenus avant la décision du confinement généralisé, et pour un certain nombre d’entre eux, des arrêts liés à la garde d’enfants. Des engagements complémentaires ont été annoncés dans certaines branches professionnelles qui ont procédé à des recommandations d’organismes.
Il est essentiel que chaque employeur interroge son organisme assureur et construise, avec lui, le régime indemnitaire de ses salariés en fonction de la situation, totalement inédite.
9 - Quelle est l’incidence de l’activité partielle sur les droits à retraite ?
L’indemnité d’activité partielle est exonérée de cotisations de Sécurité sociale, y compris d’assurance vieillesse, et de cotisations au régime complémentaire AGIRC-ARRCO.
Or, dans ces régimes de retraite, les droits sont étroitement liés aux cotisations : la détermination de la durée d’assurance et du salaire de référence dépendant du montant de rémunération annuelle soumise à cotisations et le nombre de points du montant des cotisations versées. L’indemnité ne génère donc par principe aucun droit en la matière.
Cependant, ces régimes prévoient des dispositifs de solidarité :
Pour la retraite supplémentaire, l’indemnité d’activité partielle peut rester soumise aux cotisations de retraite supplémentaire au même titre que les autres cotisations de protection sociale liées à la couverture santé ou à la prévoyance. Il conviendra de se reporter aux dispositions de l’acte de droit du travail encadrant les garanties et au contrat d’assurance ou au plan d’épargne retraite (voir la question 2).
10 - En cas de généralisation des équipements de protection individuelle ou encore des tests de dépistage, leur financement sera-t-il pris en charge par l’assurance maladie et/ou par les complémentaires santé ?
Le déconfinement progressif est annoncé pour le 11 mai 2020. Les équipements de protection individuelle ont été au cœur des questions posées par les salariés devant poursuivre leur activité : pouvaient-ils en bénéficier ? Comment ? Des consignes ont été données sur le sujet par les services de santé au travail quand ce ne sont pas les tribunaux, qui, saisis par l’inspection du travail ou par les syndicats, constatant leur absence ou leur insuffisance, ont décidé que le travail était impossible tant que les conditions de sécurité n’étaient pas réunies.
Indépendamment de la disponibilité des équipements ou encore de tests de dépistage fiables, ces derniers feront-ils l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie et par les complémentaires santé ? A notre sens, les masques ou le gel hydroalcoolique ne le devraient pas. Ils ne l’avaient pas été lors de la grippe H1N1.
Qu’en sera-t-il des tests ? Pour l’instant, les tests (au moins les tests PCR (réaction en chaîne par polymérase), les tests sérologiques étant toujours en phase d’évaluation) pour être pratiqués doivent être prescrits par un médecin. Ils sont alors remboursés par l’assurance maladie et donc, par les complémentaires santé qui doivent prendre en charge dans le cadre du contrat responsable le ticket modérateur. S’ils sont généralisés ou demandés par les salariés avant de reprendre le travail, qu’en sera-t-il ? A ce stade, il est difficile de le prévoir.
A crise d’envergure, mesures exceptionnelles et évolutives pour s’adapter au plus près des besoins et des attentes exprimées par la société civile, les entreprises, les salariés ou leurs représentants. Être en veille constante sur ces sujets restera indispensable pendant encore de nombreuses semaines, voire de nombreux mois.
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Réf. : Tribunal judiciaire de Nanterre, référé, 14 avril 2020, n° 20/00503 (N° Lexbase : A79303KW)
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par Charlotte Moronval
Le 22 Avril 2020
► La société Amazon doit restreindre son activité aux commandes de produits alimentaires et médicaux, tant qu’elle n’aura pas mené, en y associant les représentants du personnel, une évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de covid-19 et mis en œuvre les mesures nécessaires de prévention et de protection de la santé des salariés.
Ainsi statue le Tribunal judiciaire de Nanterre dans une décision du 14 avril 2020 (Tribunal judiciaire de Nanterre, référé, 14 avril 2020, n° 20/00503 N° Lexbase : A79303KW).
Dans les faits. Le syndicat Sud Solidaires reproche à Amazon France Logistique, qui gère, en France, les centres de distribution d’Amazon, de mettre en danger la santé de ses salariés en ne respectant pas les mesures de protection nécessaires contre l’épidémie de covid-19.
La position du tribunal judiciaire de Nanterre. Enonçant la solution susvisée, le tribunal judiciaire de Nanterre estime que la société a méconnu son obligation de sécurité de la santé des salariés et lui enjoint de restreindre son activité aux « produits alimentaires, d’hygiène et médicaux en attendant que les évaluations soient réalisées.
Cette condamnation est assortie d’une astreinte d’un million d’euros par infraction et par jour de retard.
Amazon a interjeté appel. La décision de la cour d’appel de Versailles sera rendue le vendredi 24 avril.
👉 Cette décision et surtout les enseignements pouvant en être tirés, seront décryptés dans la prochaine revue Lexbase édition sociale n° 822 du 30 avril par Bruno Fieschi, avocat associé, Flichy Grangé Avocats. |
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Réf. : Décret n° 2020-418 du 10 avril 2020, portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L6653LWC)
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N2995BYL
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par Vincent Téchené
Le 22 Avril 2020
► Un décret, publié au Journal officiel du 11 avril 2020 (décret n° 2020-418 du 10 avril 2020 N° Lexbase : L6653LWC), vient préciser les dispositions exceptionnelles mises en place par l’ordonnance ayant adapté les règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19 (ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 N° Lexbase : L5727LWZ ; lire N° Lexbase : N2808BYN).
Le décret contient des dispositions communes aux personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé (1), des dispositions applicables aux SARL et à certaines sociétés par actions (2) et des dispositions applicables à certaines personnes régies par le Code des assurances (3). Enfin le décret précise son application dans le temps (4).
1. Dispositions communes aux personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé
L'article 4 de l’ordonnance du 25 mars autorise exceptionnellement la tenue des assemblées sans que leurs membres et les autres personnes ayant le droit d'y assister n'assistent à la séance, que ce soit en y étant présents physiquement ou par des moyens de visioconférence ou de télécommunication. La décision de faire application de cette mesure incombe à l'organe compétent pour convoquer l'assemblée, qui peut déléguer sa compétence à cet effet au représentant légal du groupement.
L’article 2 du décret précise qu’une telle délégation doit être établie par écrit et préciser la durée pour laquelle elle est consentie ainsi que l'identité et la qualité du délégataire. Bien entendu, le support est ici indifférent ; l’écrit pourra donc être établi sur papier ou électroniquement, notamment.
L’article 3, alinéa 1er, du décret précise que lorsque les dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'assemblée, les statuts ou le contrat d'émission, permettent aux membres de l'assemblée de voter par correspondance, l'organe compétent pour convoquer l'assemblée ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider que les membres de l'assemblée peuvent adresser leurs instructions de vote, le cas échéant sous la forme prévue par les dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'assemblée, les statuts ou le contrat d'émission, par message électronique à l'adresse électronique indiquée à cet effet dans la convocation.
Identiquement, l’article 3, alinéa 2, du décret prévoit que lorsque les dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'assemblée, les statuts ou le contrat d'émission, permettent aux membres de l'assemblée de se faire représenter, l'organe compétent pour convoquer l'assemblée ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider que les membres de l'assemblée peuvent adresser leurs mandats par message électronique à l'adresse électronique indiquée à cet effet dans la convocation.
L’article 4 du décret impose que, lorsqu'il est fait application des articles 4, 5 ou 6 de l'ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020, le procès-verbal de l'assemblée établi en application des dispositions législatives ou réglementaires ou des statuts qui régissent cette dernière le mentionne. Les articles de l’ordonnance auxquels il est fait référence prévoient la tenue des assemblées sans que leurs membres et les autres personnes ayant le droit d'y assister n'assistent à la séance (art. 4), l’extension exceptionnelle du recours à la visioconférence et aux moyens de télécommunication (art. 5) et l’assouplissement exceptionnel du recours à la consultation écrite des assemblées (art. 6).
Lorsqu'il est fait application de l'article 4 de l'ordonnance, le procès-verbal précise en outre la nature de la mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires. Il s’agit donc, pour l’heure, des décrets « confinement » publiés (décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 N° Lexbase : L5030LW9 ; décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 N° Lexbase : L5507LWU).
2. Dispositions applicables aux SARL et à certaines sociétés par actions
L'article 5 du décret précise que l’organe compétent pour convoquer l'assemblée ou le représentant légal agissant sur délégation de cet organe peut décider que les associés ou les actionnaires peuvent voter aux assemblées de SARL régies par l'article R. 223-20-1 (N° Lexbase : L9726IC9) ou à celles des sociétés par actions régies par l'article R. 225-61 du Code de commerce (N° Lexbase : L5932AIK) par des moyens électroniques de télécommunication dans les conditions prévues à ces articles.
Ainsi, le vote électronique dans les SARL suppose que :
♦ les moyens de communication utilisés transmettent au moins la voix des participants et satisfont à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations ;
♦ un site est exclusivement consacré à cette fin ;
♦ les associés ne peuvent accéder à ce site qu'après s'être identifiés au moyen d'un code fourni préalablement à la tenue de l'assemblée ;
♦ les associés ne peuvent participer aux débats par conférence téléphonique et exercer leurs droits de vote qu'après s'être identifiés au moyen d'un code fourni préalablement à la tenue de l'assemblée.
Le vote électronique dans les sociétés par actions suppose que ces sociétés aménagent un site exclusivement consacré à ces fins.
L’article 6 du décret précise que lorsqu'un actionnaire donne mandat à un autre actionnaire, son conjoint, son co-pacsé ou, dans les sociétés cotées, à toute autre personne physique ou morale (renvoi à C. com., art. L. 225-106, I N° Lexbase : L7486LBU) :
♦ les mandats avec indication de mandataire, peuvent valablement parvenir à la société jusqu'au quatrième jour précédant la date de l'assemblée générale ;
♦ le mandataire adresse ses instructions pour l'exercice des mandats dont il dispose, à la société ou à l'intermédiaire habilité par elle, par message électronique à l'adresse électronique indiquée par la société ou l'intermédiaire, sous la forme du formulaire de vote par correspondance, au plus tard le quatrième jour précédant la date de l'assemblée.
En principe, lorsque l'actionnaire a déjà exprimé son vote à distance, envoyé un pouvoir ou demandé sa carte d'admission ou une attestation de participation, il ne peut plus choisir un autre mode de participation à l'assemblée, sauf disposition contraire des statuts (C. com., art. R. 225-85 N° Lexbase : L7226LQP).
L’article 7 du décret prévoit, par dérogation à cette règle et sans qu'une clause des statuts ne soit nécessaire à cet effet, qu'un actionnaire qui a déjà exprimé son vote à distance, envoyé un pouvoir ou demandé sa carte d'admission ou une attestation de participation peut choisir un autre mode de participation à l'assemblée sous réserve que son instruction en ce sens parvienne à la société au plus le quatrième jour précédant la date de l'assemblée.
Les précédentes instructions reçues sont alors révoquées.
Lorsque l’assemblée générale se tient sans que les actionnaires n'y assistent physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle, l’article 8, I, 1° du décret prévoit que si l'assemblée d'actionnaires ne peut être présidée par le président du conseil d'administration ou du conseil de surveillance ou, en son absence, par la personne prévue par les statuts, elle est présidée par la personne désignée à cet effet par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance parmi ses membres ou, en cas d'indisponibilité, parmi les mandataires sociaux.
Cette dérogation s’applique aux sociétés anonymes (SA), aux sociétés en commandite par actions (SCA), aux sociétés européennes (SE), aux assemblées spéciales des porteurs de certificats d'investissement et aux assemblées de porteurs d'actions à dividende prioritaire sans droit de vote.
En outre, également lorsque l’assemblée générale se tient sans que les actionnaires n'y assistent physiquement ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle, l’article 8, I, 2° du décret précise que l’organe compétent pour convoquer l'assemblée ou son délégataire désigne deux scrutateurs, qu'il s'efforce de choisir parmi les actionnaires. A défaut, les scrutateurs peuvent être choisis en dehors des actionnaires.
Cette dernière précision s’applique, comme la précédente, aux sociétés anonymes (SA), aux sociétés en commandite par actions (SCA), aux sociétés européennes (SE), aux assemblées spéciales des porteurs de certificats d'investissement et aux assemblées de porteurs d'actions à dividende prioritaire sans droit de vote, mais également aux assemblées d'obligataires, aux assemblées de porteurs de titres participatifs et aux assemblées de porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital.
Par ailleurs, elle n’est applicable qu’aux assemblées dont la convocation intervient après l'entrée en vigueur du décret, c’est-à-dire après le 12 avril 2020.
3. Dispositions applicables à certaines personnes régies par le Code des assurances
Les articles 9 et 10 du décret adaptent, aux mêmes fins que les autres dispositions du décret, certaines dispositions réglementaires du Code des assurances relatives aux assemblées et organes collégiaux d'administration, de gouvernance ou de direction.
4. Application dans le temps
L’article 13 du décret précise que ses dispositions sont applicables aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux d'administration, de surveillance et de direction tenues jusqu'au 31 juillet 2020.
En outre, à l’exception des dispositions relatives à la délégation pour décider de la tenue des assemblées « à huis clos » (art. 2) et à la composition du bureau des assemblées (art. 8), il est prévu qu’elles sont applicables à compter du 12 mars 2020.
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Réf. : Ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de Covid-19 (N° Lexbase : L6859LWX)
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par Manon Rouanne
Le 22 Avril 2020
► L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19, publiée au Journal officiel du 16 avril 2020 (N° Lexbase : L6859LWX), apporte des aménagements et compléments aux dispositions de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période (N° Lexbase : L5730LW7) et de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif (N° Lexbase : L5719LWQ).
Le Gouvernement affine les dispositions dérogatoires au droit commun applicables en droit des contrats, définissant le sort des clauses contractuelles par lesquelles les parties avaient prévu et encadré l’éventuelle défaillance contractuelle de l’une d’elles.
Dans un premier temps, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 modifie la date à laquelle les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses de déchéance ayant pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé commenceront à prendre leur cours ou leur effet. Alors que l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoyait d’une part, que ces astreintes devaient prendre cours et ces clauses devaient produire leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de la période de la crise sanitaire si le débiteur n'a pas exécuté son obligation avant ce terme et, d’autre part la suspension, pendant cette période, du cours des astreintes et de l’application des clauses pénales ayant été mise en œuvre avant le 12 mars 2020, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 reporte la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
Pour davantage de clarté, le Rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance illustre ces derniers propos par les deux exemples suivants :
« si une échéance était attendue le 20 mars 2020, c'est-à-dire huit jours après le début de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet, si l'obligation n'est toujours pas exécutée, que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée.
De même, si une clause résolutoire, résultant d'une obligation née le 1er avril devait prendre effet, en cas d'inexécution, le 15 avril, ce délai de 15 jours sera reporté à la fin de la période juridiquement protégée pour que le débiteur puisse encore valablement s'acquitter de son obligation avant que la clause résolutoire ne prenne effet ».
Dans un second temps, tenant compte d’une éventuelle impossibilité résultant du confinement, pour certains débiteurs d’une obligation autre que de somme d’argent, de respecter, à l’issue de la période de la crise sanitaire, les échéances auxquelles ils sont engagés, l’article 4 de l’ordonnance étudiée vient opérer, de manière inédite, une distinction entre les clauses ayant pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation de somme d’argent et celles ayant pour objet la sanction de l’inexécution d’une obligation de faire en prévoyant, pour les secondes et à l’exclusion des premières, le report de leur cours ou de leur prise d’effet, dans un délai déterminé expirant après la période juridiquement protégée, d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période. Ce report sera également calculé, après la fin de la période juridiquement protégée, en fonction de la durée d'exécution du contrat qui a été impactée par les contraintes du confinement.
Afin d’illustrer cette mesure, le Rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance prend l’exemple suivant de l’exécution d’un contrat relatif à la construction :
« si un contrat de travaux antérieur au 12 mars 2020 prévoit la livraison du bâtiment à une date qui échoit après la fin de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant l'éventuelle inexécution de cette obligation ne prendra effet qu'à une date reportée d'une durée égale à la durée de la période juridiquement protégée ».
Dans un troisième temps, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 énonce que les dispositions de l’article 4 de ce texte sont supplétives de la volonté des parties au contrat qui sont libres d'y déroger par des clauses expresses, notamment, en décidant de prendre en compte différemment l'impact de la crise sanitaire sur les conditions d'exécution du contrat ou de renoncer à se prévaloir des dispositions de cet article.
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Réf. : Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (N° Lexbase : L5506LWT)
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par Guillaume Beaussonie, Professeur à l’Université Toulouse 1-Capitole, IEJUC (EA 1919)
Le 23 Avril 2020
Mots-clés : droit pénal • état d'urgence sanitaire • outrage • rebellion • violences • délit de risque causé à autrui • amende • récidive Résumé : la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a été publiée au Journal officiel du 24 mars 2020 et prévoit de nouvelles dispositions pénales pour sanctionner la violation des différentes interdictions et obligations édictées à l’occasion de cette loi d’urgence, qu’elles soient nouvelles ou précisées dans ce cadre. |
But : la vie. « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi » est-il écrit, avant tout le reste, au seuil de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il n’était sans doute pas inutile de le rappeler à ceux qui avaient, peu de temps avant, hiérarchisé les vies et, par là même, relativisé nombre d’entre elles. Toutefois, aujourd’hui encore plus qu’hier, nul n’ignore que la cause d’une mort n’est pas inéluctablement liée à la faute d’autres êtres humains. Le potentiel du « droit à la vie » ainsi consacré se révèle alors, la Cour européenne des droits de l’Homme entretenant néanmoins, en la matière, des exigences raisonnables. Ce qui n’empêche que, sur ce fondement, les États (se) sont assujettis à de véritables obligations positives, notamment en ce qui concerne la santé publique. Dès lors, au-delà de l’évidence de la nécessité d’un combat contre la mort que propage une épidémie, un État ne saurait s’abstenir de se doter d’outils juridiques pour favoriser la lutte. La France a donc fait le choix de créer un état d’« urgence sanitaire » par l’entremise de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
Moyen : l’urgence sanitaire. L’« état d’urgence sanitaire » résonne à nos oreilles, à la fois, comme une ritournelle et comme une improvisation : à peine étions-nous remis – mais le sommes-nous vraiment ? – de la pérennisation de l’état d’urgence antiterroriste opéré par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 (N° Lexbase : L2052LHH) et ancré dans le Code de la sécurité intérieure, que sont créées, de nouveau suivant le modèle de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 (N° Lexbase : L2849KRX), mais cette fois par insertion provisoire – jusqu’au 1er avril 2021 (art. 7 de la loi du 23 mars 2020) – dans le Code de la santé publique, de nouvelles mesures exceptionnelles, au sein desquelles se trouvent les quelques dispositions de droit pénal qui vont nous intéresser. Passée l’impression de déjà vu, il appert qu’à la succession entre provisoire et définitif caractéristique de la lutte antiterroriste a été, en l’occurrence, préférée une combinaison – originale – entre les deux, les règles étant limitées dans le temps, leur support n’ayant pas, quant à lui, vocation à s’éteindre.
Problème : le droit à la sûreté. Faut-il se réjouir ou, à l’inverse, regretter cette présence du droit pénal dans un tel dispositif d’urgence ?
Précisons-le : ce droit ne se trouve pas davantage mobilisé qu’il ne l’était dans l’état d’urgence antiterroriste, en ce sens qu’il s’agit, encore et toujours, de ne l’utiliser qu’en renfort d’un ensemble essentiellement administratif. Au surplus, là encore, les mesures concernées, aussi restrictives de liberté qu’elles soient, ne peuvent toujours que « faire l’objet, devant le juge administratif, des recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du Code de justice administrative » (nouvel art. L. 3131-18).
Cependant, on s’accordera à penser que, dans ce nouveau cadre, la principale mesure est celle qui oblige les Français à rester confinés. Cet effet résulte, en réalité, de l’addition de plusieurs obligations que le Premier ministre peut, en vertu de l'article L. 3135-5 du Code de la santé publique, imposer par décret règlementaire « aux seules fins de garantir la santé publique » :
« 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ;
2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ;
3° Ordonner des mesures ayant pour objet la mise en quarantaine, au sens de l’article 1er du règlement sanitaire international de 2005, des personnes susceptibles d’être affectées ;
4° Ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement, au sens du même article 1er, à leur domicile ou tout autre lieu d’hébergement adapté, des personnes affectées ;
5° Ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité ;
6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ;
7° Ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens [...] ;
8° Prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits [...] ;
9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ;
10° En tant que de besoin, prendre par décret toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre, dans la seule finalité de mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article L. 3131-12 du présent code ».
Peuvent s’ajouter à ces obligations, le cas échéant, d’autres mesures règlementaires, générales ou individuelles, qui poursuivent les mêmes fins mais qui sont, quant à elles, prescrites par le ministre de la santé (nouvel art. L. 3131-16 N° Lexbase : L5649LW7) ou par le préfet (nouvel art. L. 3131-17).
Or, à l’instar ce qui avait logiquement été décidé pour les autres états d’urgence, le législateur a de nouveau considéré qu’il était opportun que l’irrespect de l’ensemble des obligations consacrées de la sorte constitue une infraction en vertu de l’article L. 3136-1 de ce même code. Plus exactement, il a instauré un système répressif progressif relativement original avec, en guise de paroxysme, un délit puni de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende, de la peine complémentaire de travail d’intérêt général et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule.
Rappelons que la violation des mesures prises dans le cadre des autres états d’urgence est également punie de peines délictuelles, la particularité du présent dispositif résidant alors, outre dans la lourdeur des restrictions de liberté ainsi sanctionnées, l’imprécision des obligations concernées et l’existence de paliers répressifs tributaires du nombre de violations constatées – de la contravention de 4ème classe au délit susmentionné –, dans la facilité à commettre une infraction – le seul fait de se trouver en dehors de son domicile représentant, semble-t-il, un indice laissant penser que l’infraction a été commise. Le droit à la sûreté est mis à l’épreuve une fois de plus, le droit pénal flirtant encore avec les frontières de sa légitimité, ce que seul un enjeu vital est de nature à justifier.
En conséquence, nul doute que de prochains recours permettront d’apprécier la conformité de ce dispositif avec les engagements internationaux de la France ou avec le bloc de constitutionnalité (certaines questions ont déjà été posées en ce sens à des juridictions. V. par ex. TJ, Bobigny, 3 avril 2020, n° parquet 20093000007). Les circonstances « particulières » ou « exceptionnelles », néanmoins, risquent de rendre ces contrôles bien peu opératoires.
Ce qui ne signifie pas que, sur son principe, la création d’un tel système répressif était contestable. C’est, en revanche, dans les modalités adoptées qu’il y a sans aucun doute des choses à redire.
La création d’un droit pénal d’urgence sanitaire. Au départ, c’est-à-dire à compter de l’annonce faite par le président de la République le 12 mars et des premières mesures consécutivement prises dans les jours qui ont suivi, notamment par le ministre des Solidarités et de la Santé, seul le droit commun de l’article R. 610-5 du Code pénal (N° Lexbase : L0961AB9) autorisait la répression pénale de ceux qui ne les respectaient pas. La sanction n’était guère dissuasive, puisqu’elle se limitait alors à l’amende prévue pour les contraventions de la 1ère classe, c’est-à-dire 38 euros.
Le durcissement du confinement, à compter du 16 mars, provoqua l’adoption, par le Premier ministre, du décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 portant création d’une contravention réprimant la violation des mesures destinées à prévenir et limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population (N° Lexbase : L5116LWE). Comme l’avait annoncé un peu prématurément le ministre de l’Intérieur, ce texte créa une contravention de la 4ème classe en cas de violation des interdictions ou de manquement aux obligations édictées par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 (N° Lexbase : L5030LW9), ainsi qu’en cas de méconnaissance des mesures prises sur son fondement, précisant que la procédure de l’amende forfaitaire lui était applicable. Le montant de l’amende forfaitaire et celui de l’amende forfaitaire majorée s’élevaient respectivement à 135 et à 375 euros.
À ce stade, il n’était pas concevable qu’une personne récalcitrante aux mesures de confinement fasse, pour cette seule raison, l’objet d’une garde à vue et d’une comparution immédiate. Tout au plus pouvait-elle être redevable de plusieurs amendes, leur cumul étant parfaitement concevable (C. pén., art. 132-7 N° Lexbase : L2045AMP) – mais pas la récidive, qui ne concerne que les contraventions de la 5ème classe (C. pén., art. 132-11 N° Lexbase : L2087AMA). Le « problème » ne se posait pas, néanmoins, pour ceux qui commettaient, à l’encontre des autorités de contrôle, un outrage (C. pén., art. 433-5, al. 2 N° Lexbase : L1223LDN), une rébellion (C. pén., art. 433-6 N° Lexbase : L2033AMA et 433-7 N° Lexbase : L1222LDM) ou des violences, même psychologiques (C. pén., art. 222-14-3 N° Lexbase : L7208IMW), générales ou spécifiques (ex. : C. pén., art. 222-15 N° Lexbase : L8730HWA qui incrimine l’administration de substances nuisibles), ces infractions demeurant bien évidemment des délits accessibles, en tant que tels, aux procédures susmentionnées.
Au-delà, dans le contexte d’une invocation constante bien que pas toujours maîtrisée du principe de précaution, il n’était pas étonnant que certains magistrats plus soucieux d’efficacité que de rigueur chercheraient une qualification apte à sanctionner directement tous ceux qui, consciemment et volontairement, ne respecteraient pas les exigences du confinement. Aussi, sans grande imagination, mobilisèrent-ils le délit de risque causé à autrui (C. pén., art. 223-1 N° Lexbase : L3399IQX) que la jurisprudence a, en effet, déjà pu appliquer à des situations sanitaires (ex. : Cass. crim., 19 avril 2017, n° 16-80.695, F-P+B+I N° Lexbase : A9920U9B, à propos de l’exposition risquée à l’amiante des salariés d’une entreprise de construction). Toutefois, cette infraction, située à la frontière de ce qu’autorise le droit à la sûreté, puisqu’il s’agit de réprimer celui qui n’a fait que causer un risque, obéit à des conditions strictes qui ne sauraient être réunies en cas de simple violation du confinement. Non que la constitution de ce délit soit inenvisageable, par exemple en ce qui concerne une personne qui connaîtrait sa contamination et qui, malgré cela, ne respecterait pas ses obligations et entrerait en contact avec d’autres personnes. En l’absence de contamination de ces dernières, il y aurait déjà risque causé à autrui (en cas de contamination, il y aurait violences). Indépendamment de cette hypothèse, celui qui violerait de façon manifestement délibérée cette obligation particulière de sécurité sanitaire imposée par le règlement (1ère condition) n’exposerait pas inéluctablement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente (2nde condition). À la rigueur, seules certaines personnes morales qui, sauf autorisation, obligeraient leurs salariés à demeurer en contact avec trop de personnes potentiellement contaminées pourraient être légitimement condamnées à ce titre.
Ce besoin d’un délit approprié a donc poussé le Gouvernement à présenter, durant le processus ayant conduit à l’adoption de la loi du 23 mars 2020, un amendement afin que le texte, non seulement, consolide la contravention de 4ème classe préalablement créée, mais surtout, en fasse le premier palier d’un dispositif pouvant conduire à correctionnaliser l’irrespect des obligations imposées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. L’article L. 3136-1 du Code de la santé publique a finalement accueilli ce nouvel ensemble original.
Le contenu du droit pénal sanitaire. Ainsi, l’article L. 3136-1 dispose-t-il aujourd’hui, d’abord, que « le fait de ne pas respecter les mesures prescrites par l’autorité requérante prévues aux articles L. 3131-8 et L. 3131-9 est puni de six mois d’emprisonnement et de 10 000 Euros d’amende » et qu’il en va de même pour « le fait de ne pas respecter les réquisitions prévues aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 ». La nouveauté ne réside que dans que la seconde phrase, qui a pour objet d’assurer l’effectivité du pouvoir de réquisition « de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens » reconnu au Premier ministre, au ministre de la Santé et au préfet dans le cadre de l’état d’urgence. Classiquement, lorsqu’il ne s’agit que de limiter l’exercice de la propriété, fût-ce celle de la force de travail de certaines personnes, le législateur a moins de scrupules à sortir du domaine des contraventions pour sanctionner les mauvaises volontés.
Ensuite et surtout, le texte précise que « la violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 (texte qui fondait déjà les prérogatives du ministre de la Santé et des préfets « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie ») et L. 3131-15 à L. 3131-17 (textes propres à l’état d’urgence sanitaire) est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe », « cette contravention [pouvant] faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire prévue à l’article 529 du code de procédure pénale ».
Et il ajoute que « si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe » et que si ces violations « sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général, selon les modalités prévues à l’article 131-8 du ode pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code, et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule » (le Gouvernement s’étant inspiré, pour ces peines complémentaires, de l’article L. 221-2 du Code de la route N° Lexbase : L2539LBN). En complément, le décret n° 2020-357 du 28 mars 2020 (N° Lexbase : L5914LWX) a procédé « à la forfaitisation de la contravention de la 5e classe réprimant la violation des mesures édictées en cas de menace sanitaire grave et de déclaration de l’état d’urgence sanitaire », de sorte que, en la matière, le montant de l’amende forfaitaire et celui de l’amende forfaitaire majorée s’élèvent respectivement à 200 et à 450 euros (C. proc. pén., art. R. 48-1 N° Lexbase : L7756LQC, R. 49 N° Lexbase : L5977LWB et R. 49-7 N° Lexbase : L5979LWD).
L’effet aggravant reconnu à la « réitération » – pas au sens restreint et inutile donné à cette notion par l’article 132-16-7 du Code pénal (N° Lexbase : L3755HG8) qui la réserve, au demeurant, aux crimes et aux délits – d’une contravention perturbe tant parce que, en principe, il n’a pour cause qu’une récidive au sens strict, ce qui est incompatible avec les contraventions des quatre premières classes (C. pén., art. 132-11 N° Lexbase : L2087AMA) et avec les amendes forfaitaires (C. proc. pén., art. 529 N° Lexbase : L3923IRQ), que parce qu’il oblige, en l’occurrence, à mobiliser un fichier qui n’a pas cette destination. Il s’agit effectivement d’une utilisation ad hoc du fichier ADOC (Accès au DOssier des Contraventions) qui n’a été créé que pour conserver et gérer, en temps réel, les données issues de l’utilisation des radars et des procès-verbaux électroniques en matière de violation du code de la route, et qui ne concerne que les contraventions des quatre premières classes (v. arrêté du 13 octobre 2004 portant création du système de contrôle automatisé N° Lexbase : O6233AX7). Pour le reste, la preuve de l’infraction devra aussi inclure celle des contraventions antérieures ou, comme le dit de façon un peu obscure le texte, celle de leurs « verbalisations » dans le délai défini. Le Code de procédure pénale ne fait qu’une référence à ce vocable – le Code de la route n’en fait guère plus ! –, qui renvoie au fait de dresser un procès-verbal, l’existence de ce document étant bien sûr, avec ou sans fichier, de nature à faciliter la démonstration de la répétition.
Par ailleurs, les délais prévus ne paraissent pas prendre en considération la possibilité de contester la contravention et le temps consécutivement nécessaire pour agir et réagir à un tel recours (C. proc. pén., art. 530 et s. N° Lexbase : L7597IMC), ce d’autant que l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 (N° Lexbase : L5740LWI) a doublé les délais concernés pour le temps de l’état d’urgence sanitaire.
Pour être original, un tel procédé n’est pourtant pas absolument inédit, l’article L. 2242-6 du Code des transports (N° Lexbase : L2748K7W) prévoyant déjà depuis 2001, en matière de police du transport ferroviaire, qu’« est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende le fait de voyager, de manière habituelle, dans tout moyen de transport public de personnes payant sans être muni d’un titre de transport valable » (al. 1), le texte précisant à cet égard que « l’habitude est caractérisée dès lors que la personne concernée a fait l’objet, sur une période inférieure ou égale à douze mois, de plus de cinq contraventions pour avoir voyagé sans titre de transport ou munie d’un titre de transport non valable ou non complété, qui n’ont pas donné lieu à une transaction en application de l’article 529-3 du code de procédure pénale » (al. 2).
L’article L. 3136-1 du Code de la santé publique souffre néanmoins de la comparaison, le texte du Code des transports étant de toute évidence plus précis, tant dans les termes qu’il emploie, que dans l’encadrement qu’il prévoit.
Enfin, l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique dispose, in fine, que « les agents mentionnés aux articles L. 511-1, L. 521-1, L. 531-1 et L. 532-1 du code de la sécurité intérieure (agents de police municipale, gardes champêtres, agents de la ville de Paris chargés d’un service de police et agents de surveillance de Paris placés sous l’autorité du préfet de police) peuvent constater par procès-verbaux [ces contraventions] lorsqu’elles sont commises respectivement sur le territoire communal, sur le territoire pour lequel ils sont assermentés ou sur le territoire de la Ville de Paris et qu’elles ne nécessitent pas de leur part d’actes d’enquête » et, suivant une recommandation du Conseil d’État, que « l’application de sanctions pénales ne fait pas obstacle à l’exécution d’office, par l’autorité administrative, des mesures prescrites en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 du présent code ».
Cette ultime précision semble encourager les autorités administratives compétentes à sanctionner elles-mêmes, nonobstant une éventuelle procédure pénale, l’irrespect des obligations de confinement. Le problème est que, au-delà du fondement, les textes ne prévoient aucune sanction propre à cette police administrative spéciale qui, partant, s’avère plus affirmée qu’elle n’est concrétisée.
Conclusion. Ces dispositions pénales, qui seront rendues sans objet à la fin de l’état d’urgence sanitaire et que leur fondement légal unique préserve de la plupart des difficultés qui pourraient se poser en matière d’application dans le temps, étaient nécessaires en considération de la situation. L’idée d’une application graduée de la répression paraissait tout aussi légitime. Tout au plus peut-on regretter que le travail du législateur, même réalisé dans un temps très bref, n’ait pas bénéficié davantage des expériences précédentes, ce qui aurait permis de rédiger un texte plus clair et plus précis, bref un texte conforme aux exigences qu’impose, fût-ce dans une période exceptionnelle, l’indispensable principe de légalité. |
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Réf. : Arrêté du 17 avril 2020 modifiant l'arrêté du 14 octobre 2018 précisant les modalités des contestations dématérialisées des amendes forfaitaires délictuelles prévues à l'article 495-20 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7181LWU)
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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac
Le 22 Avril 2020
► L’arrêté du 17 avril 2020 s’adresse aux usagers de la route et aux services de l’État ; il modifie l'arrêté du 14 octobre 2018 précisant les modalités des contestations dématérialisées des amendes forfaitaires délictuelles prévues à l'article 495-20 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7493LP9).
Les articles A. 36-14 (N° Lexbase : L5678LMA), A. 36-15 (N° Lexbase : L5677LM9) et A. 36-16 (N° Lexbase : L5676LM8) du Code de procédure pénale sont modifiés par l’arrêté du 17 avril 2020.
Tout d’abord, l’article A. 36-14 du Code de procédure pénale prévoit que « La personne ayant reçu un avis d'amende forfaitaire consécutif à une infraction mentionnée aux articles L. 221-2 (N° Lexbase : L2539LBN) et L. 324-2 (N° Lexbase : L2538LBM) du Code de la route peut adresser la requête en exonération ou la réclamation prévues aux articles 495-18 (N° Lexbase : L1916LBL) et 495-19 (N° Lexbase : L7494LPA) du présent code de façon dématérialisée conformément aux modalités précisées par la présente section. » L’article ajoute que la contestation est faite sur le site « www.antai.fr », en utilisant les informations figurant sur l'avis d'amende forfaitaire ou l'avis d'amende forfaitaire majorée, à l'aide du formulaire de contestation en ligne figurant sur ce site. Il précise que la contestation produit les mêmes effets que l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception prévu au premier alinéa de l'article 495-20 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7493LP9).
Ensuite, l’article A. 36-15 du Code de procédure pénale liste les motifs pour lesquels la contestation en ligne peut être faite (personne victime d’une usurpation d’identité au moment de la contestation des faits, lorsque la procédure de l'amende forfaitaire concerne le délit de conduite sans permis, si la personne était titulaire d'un permis de conduire en cours de validité au moment de la constatation des faits, lorsque la procédure de l'amende forfaitaire concerne le délit de conduite sans assurance, si la personne bénéficiait d'une assurance en cours de validité au moment de la constatation des faits…).
Enfin, l’article A. 36-16 du Code de procédure pénale détaille les pièces que doit transmettre la personne de façon numérisée, selon les formats indiqués sur le site « www.antai.fr ».
Pour aller plus loin : E. Raschel, ETUDE : Les causes d'extinction de l'action publique, L’amende forfaitaire, in Procédure pénale, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase Pénal (N° Lexbase : E3727ZRH) |
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Réf. : Arrêté du 14 avril 2020 modifiant l'arrêté du 13 octobre 2004 portant création du système de contrôle automatisé (N° Lexbase : L6857LWU)
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par June Perot
Le 22 Avril 2020
► L’arrêté du 14 avril 2020 (N° Lexbase : L6857LWU), publié au Journal officiel du 16 avril 2020, modifie l’arrêté du 13 octobre 2004 (N° Lexbase : O6233AX7) portant création du système de contrôle automatisé en remplaçant la mention « contraventions et délits relatifs à la circulation routière » par les mots : « infractions faisant l'objet d'une procédure d'amende forfaitaire », ce qui permet d’intégrer officiellement dans ce fichier de police les infractions liées aux mesures de confinement.
Cette modification intervient vraisemblablement à la suite de la découverte, par un avocat Rennais, d’une faille dans le système. Ce dernier s’était rendu compte que, pour constater la réitération de l’infraction, les policiers et gendarmes consultaient un fichier nommé « ADOC » (Accès au dossier des contraventions), sur lequel les verbalisations électroniques du client étaient enregistrées. Cependant, le périmètre de ce fichier créé par l’arrêté du 13 octobre 2004 concernait les infractions routières et non les contraventions de 4ème classe… Lors de l’audience de comparution immédiate, l’avocat a donc plaidé et obtenu la nullité de la procédure en soutenant qu’il avait été fait un usage détourné de ce fichier.
A quoi sert le SCA ?
Le SCA permet de constater, au moyen d'appareils de contrôle automatique homologués, certaines infractions au Code de la route, d'identifier le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule concerné et de gérer les opérations relatives aux avis de contravention correspondants. Ce traitement est mis en œuvre par le Centre national de traitement (CNT), géré par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) et a, par ailleurs, été examiné à plusieurs reprises par la Commission.
L'arrêté, soumis à l'avis de la CNIL qui a délibéré le 9 avril 2020 (N° Lexbase : Z012049T), procède à une nouvelle modification de l'arrêté du 13 octobre 2004 afin d'étendre l'utilisation du SCA au traitement des infractions non routières, faisant l'objet d'une amende forfaitaire, relevées au moyen d'appareils électroniques permettant l'établissement d'un procès-verbal électronique (« PVe »).
La CNIL a pris acte qu'une mise à jour de l'analyse d'impact relative au système de contrôle automatisé a été opérée en avril 2020 afin de tenir compte du projet d'arrêté modifiant l'arrêté du 13 octobre 2004.
Notons qu’à ce jour, ce sont plus de 700 000 contraventions qui ont été dressées dans le cadre du confinement.
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Réf. : Décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust » (N° Lexbase : L5918LW4)
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par Julien Bourdoiseau, Doyen de la Faculté de droit, d’économie et des sciences sociales de Tours
Le 24 Avril 2020
La crise sanitaire absolument inédite est l’occasion d’une activité normative assurément inouïe. Le législateur s’étant résigné à habiliter le Gouvernement à adopter toutes les mesures d’urgence pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19 (loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 N° Lexbase : L5506LWT), la livraison quotidienne du Journal officiel donne à contempler un nombre d’ordonnances (entre autres textes) sans précédent… Le temps viendra de remettre sur l’ouvrage cette production de normes tous azimuts et exorbitantes dont l’écriture d’un certain nombre d’entre elles prête inévitablement le flanc à la critique (l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 N° Lexbase : L5730LW7 relatif à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période est un exemple typique. Pour preuve : l’encre de ce dernier texte à peine sèche, il a fallu le réécrire -ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l'épidémie de covid-19 N° Lexbase : L6859LWX-).
Un texte du ministère de la Justice retient plus volontiers l’attention. Il s’agit du décret n° 2020-356 du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust » (N° Lexbase : L5918LW4), publié au Journal officiel le 29 mars 2020. A la lecture de sa notice, tout paraît être dit : « DataJust » a, notamment, « pour finalité le développement d'un algorithme destiné à permettre […] l'élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels, l'information des parties et l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges, ainsi que l'information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels ».
Réflexion faite, tout n’a certainement pas été dit. Il n’est jamais de norme neutre aussi prétendument inspiratoire soit-elle.
1 - D’abord, et politiquement, il n’est pas dit que l’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels est une pièce d’un ensemble, autrement plus grand, à savoir : la réforme du droit de la responsabilité civile. C’est pourtant le cas. Depuis près de quinze années, professeurs et magistrats planchent sur l’écriture d’un droit de synthèse renouvelé (voy. not., P. Catala, ss. dir., Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, 22 septembre 2005 ; F. Terré, ss. dir., Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2011 ; J.-Cl. Bizot, ss. dir., Groupe de travail sur le projet intitulé Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Cour de cassation, février 2012). Pour sa part, la Chancellerie s’est faite fort d’écrire un projet de loi portant réforme de la responsabilité civile. Présenté le 13 mars 2017, ce dernier a, d’ailleurs, fait l’objet d’une consultation à laquelle ont répondu de nombreux professeurs de droit et acteurs du monde économique.
Tous ces savants corpus ont pour point commun de renfermer des règles particulières à la réparation de certaines catégories de dommages. Pour le dire autrement, il s’est avéré que la compensation des préjudices résultant d’une atteinte à l’intégrité physique supposait qu’on prescrivît des règles spéciales. Ceci étant, il a toujours été bien su que ces dernières, exorbitantes certes, n’en n’étaient pas moins une pierre d’un édifice autrement plus complexe à visée universelle. La responsabilité civile est, en effet, un « ultimum subsidium » (Ph. le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, « Dalloz Action », 2018-19, n° 010-31), « un remède universel aux lacunes du droit et aux défaillances du législateur » (idid.). En édifiant le système de responsabilité, les rédacteurs du Code civil ont eu « la conviction que ce principe (de portée générale) répondait à une exigence permanente de justice, valable pour toute société humaine » (G. Viney, Traité de droit civil, introduction à la responsabilité, 4ème éd., LGDJ, 2019, n° 14). C’est pour cette raison (entre autres) qu’alors que le Gouvernement était autorisé à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance, le législateur n’entendit pas le laisser réécrire seul le droit de la responsabilité civile. Le rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 16 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L4857KYK) l’atteste : « La réforme de la responsabilité civile […] fera l'objet d'un projet de loi ultérieur qui sera débattu devant le Parlement, en raison des enjeux politiques et sociaux qui sont liés à ce domaine du droit ».
Aucun ministère ne saurait, donc, valablement réformer la matière et encore moins par bribes. Seulement voilà, la tentation était trop grande. Le normateur a cédé pour le meilleur (l’intention n’est pas sujette à caution) et pour le pire (la réalisation n’est pas exempte de critiques). Le décret précité reprend (presque) mot à mot un (seul) article du projet de loi de mars 2017 -l’article 1270-. Ce dernier article disposait « Un décret en Conseil d’Etat fixe les postes de préjudices extrapatrimoniaux (c’est là une différence remarquable avec le texte commenté qui ne se limite pas à cette catégorie de préjudices) qui peuvent être évalués selon un référentiel indicatif d’indemnisation, dont il détermine les modalités d’élaboration et de publication. Ce référentiel est réévalué tous les trois ans en fonction de l’évolution de la moyenne des indemnités accordées par les juridictions. A cette fin, une base de données rassemble, sous le contrôle de l’Etat et dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation ».
On saluera la cohérence politique : la réforme du droit des obligations ayant été faite façon puzzle (le droit commun des contrats sans le droit commun de la responsabilité), la réforme du droit de la responsabilité extracontractuelle est à présent entamée pièce par pièce (une règle particulière à la réparation du dommage corporel sans le reste des règles spéciales ni aucune des règles communes). On regrettera, toutefois, le désordre juridique qui ne manquera pas de se manifester et que les juristes s’échineront des années durant à résoudre. C’est que le droit des obligations est un système logique dans lequel tout se tient. Reformer ainsi la matière (ou entamer le travail de rénovation) c'est faire bien peu de cas des tenants et aboutissants du droit civil de la responsabilité et du droit de la réparation du dommage corporel.
2 - Ensuite, et fondamentalement, il n’est pas dit qu’un référentiel d’indemnisation (quand bien même serait-il indicatif) avait invariablement un caractère performatif. Il est bien su, et les praticiens le déplorent, qu’aussi indicatives que soient prétendument les données d’un référentiel, elles finissent toujours par être exploitées de proche en proche mécaniquement. C’est l’une des raisons de la franche opposition des praticiens de la réparation du dommage corporel.
Ceci étant, on peut soutenir qu’à tout prendre, l’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation aux fins d’évaluation des chefs de préjudices extrapatrimoniaux entre autres n’est pas une mauvaise chose en soi. C’est qu’il n’y a aucune espèce d’équivalent envisageable dans le cas particulier. Et, dans la mesure où l’évaluation de la réparation des préjudices non économiques est nécessairement arbitraire, on ne saurait garantir aux victimes une égalité de traitement (voy. not. en ce sens, J. Bourdoiseau, De la réparation intégrale du dommage corporel in Des spécificités de l’indemnisation du dommage corporel, Bruylant, 2017, pp. 63 et s. ; S. Porchy-Simon, L’évaluation des préjudices par les acteurs de la réparation, RDSS, 2019, 1025). De ce strict point de vue, la réforme participe à l’instauration d’une certaine égalité (voy. encore les arts. 1269 et 1270 du projet de réforme). La demande en justice et l’offre d’indemnisation pourront passer pour moins fantaisistes tandis que la décision du juge pourra sembler moins discrétionnaire (encore qu’il soit tenu par le principe dispositif). C’est qu’un tel référentiel supposera expliquée la raison pour laquelle la victime se verra allouer plus ou moins de dommages et intérêts en comparaison avec ce qui est ordinairement accordé dans une situation approchante. Que l’on se rassure : le juriste n’est pas un géomètre condamné par le droit de la réparation du dommage corporel à l’application servile d’un quelconque théorème. A noter encore, et ce n’est pas le moindre des avantages escomptés, qu’on devrait observer une minoration de la variance du risque de responsabilité et, partant, une réduction théorique des primes et cotisations d’assurance.
3 - Enfin, et techniquement, il n’est pas dit que ledit référentiel dépassait notablement les propositions qui ont été faites dans un passé récent. Tout à fait consciente des fortes oppositions que pouvait susciter l’édiction d’un référentiel, la Chancellerie avait, très opportunément, limité le domaine dudit référentiel aux seuls chefs de préjudices extrapatrimoniaux. Car, c’était pour l’essentiel ces derniers dont l’évaluation monétaire était rendue des plus difficiles. Le changement de braquet est notable : tous les chefs de préjudice corporel sont à présent concernés. Ceci étant, la normalisation de la réparation du dommage corporel est un vieux projet du législateur (Ass. nat., prop. loi visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d’un accident de la circulation, n° 2055 déposée le 5 novembre 2009). Répandue en droit comparé (F. Leduc, Ph. Pierre, ss. dir., La réparation intégrale en Europe. Études comparatives des droits nationaux, Larcier, 2012, pp. 97 et s.), elle est d’ailleurs pratiquée en France de manière informelle mais habituelle.
Il n’a pas été dit non plus -ce que le projet de loi précité contenait très logiquement (art. 1269. voy. encore l’art. 1262, al. 3) et ce qui suscite les plus grandes réserves quant à l’initiative du Gouvernement-, qu’il eut été nécessaire de consacrer une nomenclature des préjudices corporels. Comprenons bien. Le ministère s’est appliqué à élaborer un référentiel d’indemnisation des préjudices corporels sans, au préalable, avoir listés ces derniers. C’est des plus regrettables car on n’a de cesse de dénoncer les flottements notionnels et toutes les conséquences inférées (voy. not. en ce sens, S. Porchy-Simon, Plaidoyer pour une construction rationnelle du droit du dommage corporel, D., 2011. 2742 ; A. Guégan, Pitié pour l’incidence professionnelle et les (très) jeunes victimes, Gaz. pal., n° 19, mai 2019 ; Ch. Quézel-Ambrunaz, Préjudice d’affection et deuil pathologique : illustration de la perfectibilité de la nomenclature des postes de préjudice, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02264964).
Surtout, et c’est ce qui doit retenir plus encore l’attention, rien n’est dit des incidences que pourrait avoir la communication aux juges d’un référentiel qui intègre les évaluations proposées dans le cadre de procédures de règlement amiable des litiges (décret n° 2020-356 du 27 mars 2020, art. 1, al. 2). Ces dernières sont d’ordinaire moindres que les dommages et intérêts alloués par les juridictions. Or, les données qui seront sorties par « Datajust » seront nécessairement corrélées aux données entrées dans le système d’information. Si les offres transactionnelles sont purement et simplement implémentées (décret n° 2020-356 du 27 mars 2020, art. 1, al. 2), alors le référentiel indicatif d’indemnisation renseignera des montants de dommages et intérêts possiblement minorés. C’est un des biais méthodologiques majeurs qu’il faut garder à l’esprit.
Dans une délibération n° 2020-002 du 9 janvier 2020, la CNIL s’est prononcée sur le développement, pour une durée de deux ans, d’un dispositif algorithmique permettant de recenser, par type de préjudice, les montants demandés et offerts par les parties (c’est nous qui soulignons) à un litige ainsi que les montants alloués aux victimes en indemnisation de leur dommage corporel dans les décisions de justice rendues en appel par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires. On apprend que le traitement projeté sera réalisé à partir de la collecte des décisions d’appel relatives à l’indemnisation des préjudices corporels des trois dernières années (2017, 2018 et 2019) présentes dans les bases de données de la Cour de cassation (« JuriCA ») et du Conseil d’Etat (« Ariane »). Seulement, rien n’est dit relativement à la source desdits montants offerts par les régleurs. Rien n’est dit non plus quant à leur implémentation concrète. On comprend, à la lecture de la délibération de la Commission, que seuls les agents du bureau des obligations de la Chancellerie auront connaissance du référentiel et ce, tout le temps que durera le développement de l’algorithme ; que le référentiel ne sera communiqué au public que chose faite. En bref, ledit référentiel sera donc passé sous les fourches caudines du pouvoir exécutif avant d’avoir été communiqué à l’autorité judiciaire. C’est un deuxième biais qui donne à penser. Pour mémoire, des millions d’euros d’indemnités sont accordés chaque année via les nombreux dispositifs socialisés de compensation des dommages corporels qui relèvent peu ou prou d’une tutelle ministérielle.
En conclusion, que l’intention soit louable en ce sens qu’un référentiel servira, sans aucun doute, « l'information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels » (décret n° 2020-356 du 27 mars 2020, art. 1, 4°), cela ne prête pas à discussion. En revanche, c’est sa réalisation qui est, en l’état, contestable.
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Réf. : CE référé, 4 avril 2020, n° 439904 (N° Lexbase : A59443KD)
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par Laïla Bedja
Le 22 Avril 2020
► La prescription de l’hydroxychloroquine, dont l’efficacité contre le Covid-19 n’est pas, à ce jour, avérée, est permise, après décision collégiale de professionnels de santé et dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique ; le CHU de Guadeloupe disposant d’un stock suffisant pour la vingtaine de patients bénéficiant déjà de ce traitement, et ayant commandé des doses suffisantes d’hydroxychloroquine et d’azythromycine pour traiter de 200 à 400 éventuels nouveaux patients, il ne saurait être reproché au CHU et à l’agence régionale de santé de n’avoir commandé davantage de ces traitements, dès lors qu'ils ne peuvent être administrés qu’à un nombre limité de patients et que plusieurs autres molécules font l’objet d’essais cliniques dont les résultats sont attendus prochainement ;
► concernant les tests de dépistage, l’injonction d’une commande supplémentaire est annulée le juge des référés ayant relevé que le CHU réalise une centaine de « tests PCR », une capacité bientôt augmentée de 180 tests quotidiens et qu’il dispose d’un stock de 1 500 tests, qui sera complété par 4 000 autres prochainement ; aussi, le CHU, l’institut Pasteur de Guadeloupe et le centre hospitalier Maurice Selbonne ont commandé 200 tests sérologiques chacun, pour en évaluer la fiabilité dans la perspective de la fin du confinement.
Telle est la réponse apportée par le Conseil d’Etat statuant en référé dans un arrêt du 6 avril 2020 (CE référé, 4 avril 2020, n° 439904 N° Lexbase : A59443KD).
Faits. Le tribunal administratif de Guadeloupe a ordonné au centre hospitalier universitaire (CHU) de Guadeloupe et à l’Agence régionale de santé (ARS) de commander des doses d’hydroxychloroquine et d'azythromycine, ainsi que des tests de dépistage en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de Guadeloupe (TA Guadeloupe, 27 mars 2020, n° 2000295 N° Lexbase : A41963KM). Un pourvoi en cassation est donc formé par les établissements publics.
Enonçant la solution précitée, le Conseil d’Etat annule la décision des premiers juges.
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Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 27 mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A42573KU)
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N3056BYT
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par Marie-Claire Sgarra
Le 22 Avril 2020
►Il résulte des dispositions de l’article 268 du Code général des impôts (N° Lexbase : L4910IQW), lues à la lumière de celles de la Directive dont elles ont pour objet d'assurer la transposition (Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 N° Lexbase : L7664HTZ), que les règles de calcul dérogatoires de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles prévoient s'appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s'appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 27 mars 2020 (CE 8° et 3° ch.-r., 27 mars 2020, n° 428234, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A42573KU).
Les faits :
Procédure : le tribunal administratif de Grenoble a fait droit aux conclusions en décharge de la société relative au premier de ces deux chefs de rectification mais a rejeté ses conclusions relatives au second. La cour administrative d'appel de Lyon a rejeté, d'une part, l'appel formé par la société contre le jugement, en tant qu'il a rejeté ses conclusions relatives aux opérations de cession des terrains situés à Claix et, d'autre part, l'appel incident formé par le ministre contre ce même jugement, en tant qu'il a accordé à la société la décharge des impositions relatives à la cession des terrains situés à Gières (CAA de Lyon, 20 décembre 2018, n° 17LY03359 N° Lexbase : A4734YS7).
Sur l’arrêt de la CAA de Lyon (CAA de Lyon, 20 décembre 2018, n° 17LY03359) : Lire en ce sens, Sabrina Le Normand-Caillère, TVA sur marge et cessions de terrains à bâtir, Lexbase Fiscal, 2019, n° 774 (N° Lexbase : N7872BXT).
Pour rappel, aux termes de l’article 268 du code général des impôts, « s'agissant de la livraison d'un terrain à bâtir [...], si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, la base d'imposition est constituée par la différence entre : / 1° D'une part, le prix exprimé et les charges qui s'y ajoutent ; / 2° D'autre part, selon le cas : / - soit les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du terrain [...] ; / - soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature qu'il a effectués ». L’application de la TVA sur marge est subordonnée à une condition unique : l’absence de droit à déduction lors de l’acquisition du bien.
L’administration fiscale avait ajouté à cette condition de non-déduction de la TVA d’amont, une condition d’identité entre l’acquisition et la revente des caractéristiques physiques et juridiques (BOI-TVA-IMM-10-20-10 N° Lexbase : X5340ALD). Ce raisonnement avait été appuyé par quatre réponses ministrielles (Rép. min. n° 94061 : JOAN 30 août 2018, p. 7769 N° Lexbase : L0979LAI ; rép. min. n° 91143 : JOAN 30 août 2016, p. 7769 N° Lexbase : L2184LA7 ; rép. min. n° 96679 : JOAN 20 septembre 2016, p. 8522 N° Lexbase : L2650LAE ; rép. min. n° 94538 : JOAN 20 septembre 2016, p. 8514 N° Lexbase : L2410LAI). Cette position, qui suscitait des difficultés d’application, a été partiellement abandonnée. Dans une réponse ministérielle en date du 17 mai 2018, le Gouvernement a décidé de n’imposer que le respect de la condition tenant à l’identité juridique entre le bien acquis et le bien vendu (Rép. min. n° 04171 : JO Sénat 29 mars 2018, p. 1439 N° Lexbase : L2363LL4). Cette solution a été réitérée récemment (Rép. min. n° 1835 : JOAN 24 septembre 2019, p. 8300 N° Lexbase : L7384LTN).
Cette doctrine a été de nombreuses fois depuis contestée par la juridiction administrative : voir par exemple : CAA de Lyon, 25 juin 2019, n° 18LY00671 (N° Lexbase : A9341ZG3). Lire sur cet arrêt, Franck Laffaille, Régime de TVA sur la marge, Lexbase Fiscal, 2019, n° 796 (N° Lexbase : N0456BYK). Pour les juges, « la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien acheté ont été modifiées avant la cession est sans incidence sur l’application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge au sens de l’article 268 du Code général des impôts, dès lors que les terrains cédés correspondent à des terrains à bâtir ».
Solution en l’espèce : pour le Conseil d’Etat, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit « en jugeant qu'il résultait des dispositions des articles 268 du Code général des impôts et 392 de la Directive du 28 novembre 2006 que le bénéfice du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge était subordonné à la seule condition que l'acquisition du bien cédé n'ait pas ouvert droit à déduction de la taxe et en jugeant sans incidence sur sa mise en oeuvre la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification du bien en cause aient été modifiées entre son acquisition et sa vente ». La modification des caractéristiques physiques et juridiques du bien fait obstacle à l’application de la TVA sur marge. Le Conseil d’Etat valide donc la position adoptée par la réponse ministérielle du 17 mai 2018.
Il résulte de cet arrêt du Conseil d’Etat que l’application du régime de TVA sur marge requiert les deux conditions cumulatives suivantes : - une acquisition qui n’a pas ouvert droit à déduction ; - une absence de modification des caractéristiques physiques et de la qualification du bien en cause entre son acquisition et sa vente. |
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