Réf. : Cass. civ. 2, 28 novembre 2019, n° 18-20.225, F-P+B+I (N° Lexbase : A8607Z38)
Lecture: 2 min
N1390BY7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Laïla Bedja
Le 04 Décembre 2019
► La demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et en indemnisation des préjudices en découlant formée au titre d’une maladie professionnelle particulière ne tend pas aux mêmes fins que la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et en indemnisation des préjudices en découlant formée au titre d’une maladie distincte, de nature différente, et n’en constitue pas l’accessoire, la conséquence ou le complément.
Telle est la solution retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 28 novembre 2019 (Cass. civ. 2, 28 novembre 2019, n° 18-20.225, F-P+B+I N° Lexbase : A8607Z38).
Les faits. Entre novembre 2005 et septembre 2009, M. X a été salarié d’une société de travail temporaire et mis à disposition de plusieurs entreprises utilisatrices de main d’œuvre temporaire, dont la société Endel. Il a obtenu la reconnaissance du caractère professionnel de deux pathologies distinctes, une silicose, au titre du tableau n° 25 des maladies professionnelles (N° Lexbase : L3400IBK), puis une sidérose au titre du tableau n° 44 (N° Lexbase : L3420IBB). Ayant recherché en vain la reconnaissance, au titre de la silicose, d’une faute inexcusable de son employeur qui a mis en cause les entreprises utilisatrices, dont la société Endel, la victime a poursuivi cette action devant la cour d’appel au titre de la maladie prise en charge sur la base du tableau n° 44 (sidérose).
L’appel. Pour accueillir la demande de la victime, la cour d’appel retient qu’il convient de constater que, si la victime a saisi la juridiction de première instance d’une demande fondée uniquement sur sa première maladie professionnelle, pour autant sa prétention se fondant sur sa maladie professionnelle reconnue au titre du tableau n° 44 n’est pas nouvelle en ce qu’elle tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge, à savoir la reconnaissance d’une faute inexcusable. Il y avait donc lieu de rejeter la demande des sociétés intimées tendant à voir déclarer irrecevable la demande de la victime en reconnaissance d’une faute inexcusable sur sa deuxième maladie professionnelle. A tort.
Enonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa des articles 564 (N° Lexbase : L0394IGP) et 565 (N° Lexbase : L6718H7X) du Code de procédure civile, L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8868LHW), dans sa rédaction applicable au litige, et les tableaux n° 25 et 44 des maladies professionnelles (sur Une action en reconnaissance exclusivement dirigée contre l'employeur, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E3171ETM).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471390
Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 27 novembre 2019, n° 422516, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6995Z3H)
Lecture: 2 min
N1389BY4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll
Le 05 Décembre 2019
► Quand l'administration met en place un téléservice et qu'un usager choisit de la saisir par voie électronique, cette saisine électronique n'est possible que par l'utilisation de ce téléservice.
Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 27 novembre 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 27 novembre 2019, n° 422516, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6995Z3H).
Faits. Le Premier ministre a été saisi le 20 mars 2018 d'une demande de modification du décret n° 2016-685 du 27 mai 2016, autorisant les téléservices tendant à la mise en oeuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique (N° Lexbase : L3260K8A), afin de prévoir le caractère facultatif de la saisine par voie électronique de l'administration par ses usagers. Est demandée l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du Premier ministre rejetant cette demande.
Rappel. Le décret du 27 mai 2016, qui se borne à autoriser les services de l'Etat et ses établissements publics administratifs à créer des téléservices destinés à la mise en oeuvre du droit des usagers à les saisir par voie électronique et définit les modalités de fonctionnement de ces téléservices, n'a pas pour objet, et ne saurait avoir légalement pour effet, de rendre obligatoire la saisine de l'administration par voie électronique.
Solution. Il s'ensuit que les organisations requérantes ne peuvent utilement soutenir qu'en refusant de modifier le décret litigieux pour que soit précisé que la saisine électronique est facultative, la décision attaquée méconnaîtrait les principes constitutionnels d'égalité d'accès au service public, de continuité du service public et d'égalité devant la loi, ainsi que le principe de non-discrimination garanti par l'article 14 de la CESDH (N° Lexbase : L4747AQU) et le droit à la compensation ouvert aux personnes handicapées par les articles L. 114-1 (N° Lexbase : L8906G8D) et L. 114-1-1 (N° Lexbase : L1687KZI) du Code de l'action sociale et des familles.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471389
Réf. : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-18.296, F-P+B+I (N° Lexbase : A9912Z3I)
Lecture: 2 min
N1392BY9
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie Le Guerroué
Le 04 Décembre 2019
► Il ne relève pas des centres régionaux de formation professionnelle des avocats, mais des universités de droit, la compétence d’accorder des équivalences entre le diplôme français de doctorat en droit et un diplôme acquis dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
Ainsi statue la Cour de cassation dans un arrêt du 27 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-18.296, F-P+B+I N° Lexbase : A9912Z3I ; lire, dans cette édition, le commentaire de J.-B. Thierry, Le doctorat dans tous ses Etats, in Lexbase Professions, n° 297 N° Lexbase : N1439BYX).
Une autrichienne, titulaire d’un doctorat en droit délivré par l’université de Vienne (Autriche), avait sollicité son inscription à l’Ecole régionale des avocats du Grand Est (l’ERAGE) sans avoir à subir l’examen d’accès à ce centre de formation, en application de l’article 12-1, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ).
Juges du fond. Pour prononcer l’admission de l’intéressée à l’ERAGE, après avoir relevé que celle-ci s’est adressée aux universités dépendant du ressort géographique de l’ERAGE ainsi qu’au Conseil national des universités et au Conseil national des barreaux qui se sont considérés comme incompétents pour délivrer l’attestation sollicitée, l’arrêt retient qu’en l’absence d’autre autorité susceptible d’apprécier l’équivalence du diplôme de l’intéressée, c’est à l’ERAGE qu’il incombe de procéder à cette appréciation, au regard des connaissances attendues du titulaire d’un doctorat en droit.
Analyse. Aux termes de l’article 12-1 de la loi du 31 décembre 1971, qui est d’interprétation stricte en raison de son caractère dérogatoire, les docteurs en droit ont accès directement à la formation théorique et pratique sans avoir à subir l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle des avocats. Il résulte des articles 13 de la loi du 31 décembre 1971, et l’article R. 613-34, alinéa 1er, du Code de l’éducation (N° Lexbase : L3825LTT) que ne relève pas des centres régionaux de formation professionnelle des avocats, mais des universités de droit, la compétence d’accorder des équivalences entre le diplôme français de doctorat en droit et un diplôme acquis dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
Cassation. Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés (cf. l'Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E7733ETL).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471392
Réf. : CEDH, 3 décembre 2019, Req. 14704/12 (N° Lexbase : A6376Z4W)
Lecture: 1 min
N1413BYY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marie Le Guerroué
Le 05 Décembre 2019
► La saisie injustifiée de données électroniques d’avocats par des autorités judiciaires pour les besoins d’une procédure pénale dirigée à l’encontre d’un autre avocat partageant le même bureau viole l’article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR).
Ainsi statue la CEDH dans une décision rendue le 3 décembre 2019 (CEDH, 3 décembre 2019, Req. 14704/12 N° Lexbase : A6376Z4W).
Grief. Les requérants avocats invoquaient les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que de son domicile et de sa correspondance) et 13 (droit à un recours effectif) (N° Lexbase : L4746AQT) et se plaignaient que le secret professionnel des avocats, basé sur la confidentialité de leurs relations avec leurs clients, avait été enfreint puisque les fichiers numériques concernant les affaires de ces derniers avaient été copiés par les autorités judiciaires lors d’une perquisition et que ces copies avaient été saisies même si elles n’étaient pas pertinentes pour l’enquête menée contre un autre avocat.
Décision. La Cour juge que la saisie des données électroniques des requérants, protégées par le secret professionnel avocat-client, et le refus de les restituer ou de les détruire ne répondaient pas à un besoin social impérieux et n’étaient pas nécessaire dans une société démocratique. La Cour relève également l’absence de garanties procédurales suffisantes dans la loi telle qu’interprétée et appliquée par les autorités judiciaires. Elle condamne donc la Turquie pour violation de l’article 8 de la CESDH (cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E6412ETN).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471413
Réf. : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-19.097, F-P+B+I (N° Lexbase : A3629Z48)
Lecture: 5 min
N1409BYT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jérôme Lasserre Capdeville
Le 03 Décembre 2019
► Un emprunteur ne saurait obtenir la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal, en raison du recours par le banquier prêteur à une année de 360 jours pour calculer le taux conventionnel, sans avoir démontré que les intérêts en question avaient bien été calculés sur la base d’une telle année «lombarde» et que ce calcul avait généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3654IPZ).
Tels sont les enseignements d’un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-19.097, F-P+B+I N° Lexbase : A3629Z48).
Problématique. Malgré l’existence, aujourd’hui, de moyens performants pour calculer le taux d’intérêt lié à un prêt, certains établissements de crédit continuent de déterminer le taux conventionnel de crédits en se fondant sur une année de 360 jours. On parle alors d’«année lombarde» ou de «diviseur 360».
Mais le recours à cet usage est-il admissible en pratique ? Pas dans n’importe quelles circonstances (Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-16.651, FS-P+B+I N° Lexbase : A2042KH4 ; lire N° Lexbase : N7951BTN). La Haute juridiction a ainsi eu l’occasion d’affirmer, par un arrêt de principe du 19 juin 2013, qu’une telle base de calcul était interdite à l’égard des emprunteurs consommateurs. Or, l’arrêt étudié vient nettement limiter la portée de cette dernière jurisprudence.
L’affaire. En novembre 2010, la banque A avait consenti à M. X deux prêts immobiliers, dont l’un avait fait l’objet, le 12 mai 2015, d’un avenant portant sur la renégociation du taux d’intérêt conventionnel. Cependant, reprochant à la banque d’avoir calculé les intérêts du prêt sur une année bancaire de 360 jours, l’emprunteur l’avait assignée en annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et en restitution de sommes.
L’arrêt d’appel. Pour accueillir de telles demandes, la cour d’appel de Riom (CA Riom, 4 avril 2018, n° 17/00048 N° Lexbase : A0059XKE) avait estimé que l’emprunteur n’avait aucune démonstration mathématique à produire, «dès lors que la seule stipulation d’une clause prévoyant le calcul des intérêts sur la base d’une année de trois-cent-soixante jours est sanctionnée par la nullité de la stipulation de l’intérêt nominal et sa substitution par le taux légal», de sorte que l’emprunteur n’avait pas à rapporter la preuve d’un quelconque préjudice.
La décision. La banque avait décidé de former un pourvoi en cassation. Celui-ci se révèle utile puisque la Haute juridiction casse la décision de la cour d’appel estimant que cette dernière a violé l’article 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) et les articles L. 313-1 (N° Lexbase : L6649IM9), L. 313-2 (N° Lexbase : L7963IZX) et R. 313-1 du Code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 (N° Lexbase : L0300K7A). Elle déclare ainsi, à cette occasion, que l’emprunteur «doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer que ceux-ci ont été calculés sur la base d’une année de trois-cent-soixante jours et que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du Code de la consommation».
Observations. Cette décision attire immanquablement l’attention. D’une part, c’est la première fois, en matière de recours à l’«année lombarde», que la Haute juridiction déclare qu’il appartient au demandeur de prouver mathématiquement le recours à cette méthode de calcul (dans le même sens concernant le TEG, Cass. com., 4 juillet 2018, n° 17-10.349, F-P+B N° Lexbase : A5547XXQ ; lire N° Lexbase : N4997BXD), la référence expresse à une année de 360 jours dans la convention n’étant plus suffisante. Un grand nombre de juridictions du fond se prononçaient néanmoins déjà de la sorte depuis plusieurs mois. Ainsi, le chiffre tend à prévaloir sur la lettre.
D’autre part, et surtout, la Cour de cassation vient appliquer à la jurisprudence liée à l’«année lombarde», l’exigence que l’erreur de calcul concernant le taux conventionnel ait eu pour incidence un surcoût pour l’emprunteur d’un montant supérieur à la décimale envisagée par l’article R. 313-1 du Code de la consommation. Cette dernière solution suscite néanmoins, en l’état, un doute : l’impact supérieur à une décimale doit-il concerner le taux conventionnel lui-même ou le taux effectif global ? La référence à l’article R. 313-1, qui ne concerne que le calcul du TEG, laisse penser qu’il s’agit de cette seconde hypothèse.
Au-delà de cette incertitude, on peut annoncer, avec la décision qui nous occupe, la fin du contentieux lié à l’«année lombarde». En effet, le recours à cette dernière, au lieu de l’année civile, en présence d’un prêt remboursable mensuellement, n’a souvent de réel impact qu’à l’égard de la première échéance (supérieure à un mois) faisant appel au taux journalier. Or cette différence sera la plupart du temps insuffisante pour faire varier le TEG au-delà d’une décimale.
Cela faisait quelques mois que la Cour de cassation semblait vouloir faire évoluer sa jurisprudence liée à l’«année lombarde». Jusqu’ici, les modifications étaient assez légères (Cass. civ. 1, 4 juillet 2019, n° 17-27.621, FS-P+B N° Lexbase : A2891ZIW ; lire N° Lexbase : N9884BXD et Cass. civ. 1, 10 octobre 2019, n° 18-19.151, F-D N° Lexbase : A0000ZRG) ou insuffisamment explicites (Cass. civ. 1, 24 octobre 2019, n° 18-12.255, F-P+B+I N° Lexbase : A4710ZSA ; lire N° Lexbase : N1038BY4). Il en va désormais différemment !
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471409
Réf. : Cass. civ. 3, 28 novembre 2019, deux arrêts, n° 18-23.769 (N° Lexbase : A3535Z4P) et n° 18-24.157 (N° Lexbase : A3416Z4B), FS-P+B+I
Lecture: 6 min
N1460BYQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 04 Décembre 2019
► En vertu de l’article L. 631-7, alinéa 3, du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0141LNK), pour l'application de la présente section (laquelle a pour objet de soumettre, à autorisation préalable, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation, dans les communes de plus de 200 000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne), un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970 ; cette affectation peut être établie par tout mode de preuve ; les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés ;
► pour pouvoir se prévaloir d’un changement d’usage illicite, c’est à la commune qu’il incombe de rapporter la preuve d’une affectation des locaux à l’usage d’habitation au 1er janvier 1970 ; étant précisé qu’est inopérante : 1°) la preuve d’un usage d’habitation postérieurement à cette date, 2°) ou encore l’incidence de travaux qui auraient été réalisés postérieurement à cette date et dont il ne serait pas soutenu qu’ils auraient fait l’objet d’une autorisation ;
Telles sont les précisions d’importance apportées par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 28 novembre 2019 (Cass. civ. 3, 28 novembre 2019, deux arrêts, n° 18-23.769 N° Lexbase : A3535Z4P et n° 18-24.157 N° Lexbase : A3416Z4B, FS-P+B+I).
Dans ces deux affaires, la Ville de Paris avait assigné en la forme des référés les propriétaires respectifs, (jusqu’au 23 janvier 2017 dans la première affaire, jusqu’au 29 novembre 2016 dans la seconde affaire) de deux appartements situés à Paris, en paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation, pour avoir loué ces locaux de manière répétée sur de courtes durées à une clientèle de passage, en contravention avec les dispositions de l'article L. 631-7 du même code.
La Ville de Paris faisait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes.
♦ Dans la première affaire, elle soutenait que le local doit être considéré comme étant à usage d’habitation, non seulement dans l’hypothèse où il était affecté à l’habitation le 1er janvier 1970, mais également dans l’hypothèse où, postérieurement à cette date, il a été affecté à l’usage d’habitation, sachant que dans cette hypothèse, il est considéré comme étant à usage d’habitation dès qu’il reçoit cette affectation ; aussi, selon la requérante, en décidant qu’une affection éventuelle à l’habitation postérieurement au 1er janvier 1970 était indifférente, les juges du fond avaient violé l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.
Le raisonnement n’est pas suivi par la Cour de cassation qui, après avoir rappelé, conformément aux dispositions précitées, que «sont réputés à usage d'habitation les locaux affectés à cet usage au 1er janvier 1970», approuve la cour d’appel ayant, par une appréciation de la portée des éléments de preuve soumis à son examen, retenu, souverainement, que l'affectation de ce bien à l'usage d'habitation au 1er janvier 1970, contestée par le propriétaire en cause, n'était pas établie par la Ville de Paris et, à bon droit, que la preuve d'un usage d'habitation à la date du 23 janvier 2017 était inopérante, la cour d'appel en a exactement déduit que la Ville de Paris ne pouvait se prévaloir d'un changement d'usage illicite au sens du texte précité.
♦ Dans la seconde affaire, la requérante soutenait qu'à la suite de travaux, effectués postérieurement au 1er janvier 1970, un local peut être réputé affecté à un usage d'habitation, indépendamment de la preuve de son usage à la date du 1er janvier 1970 ; aussi, selon elle, en s'abstenant de rechercher si, à la suite à des travaux effectués postérieurement au 1er janvier 1970 et mentionnés dans la déclaration H2, et dès lors que l'usage d'habitation ainsi que ces travaux étaient mentionnés dans cette déclaration, les locaux n'étaient pas réputés à usage d'habitation indépendamment de la preuve de leur usage à la date du 1er janvier 1970, les juges du fond avaient privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation.
Là encore, les arguments ne sauraient convaincre la Haute juridiction, qui rappelle, conformément aux dispositions précitées, que les locaux faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel les travaux sont autorisés ; aussi, selon la Cour de cassation, ayant retenu, par une appréciation souveraine de la portée des éléments de preuve soumis à son examen, que la déclaration H2 déposée le 21 octobre 1980 ne prouvait pas que l'appartement en cause était à usage d'habitation au 1er janvier 1970, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche inopérante relative à l'incidence de travaux qui avaient été réalisés postérieurement à cette date et dont il n'était pas soutenu qu'ils avaient fait l'objet d'une autorisation, a légalement justifié sa décision.
♦ Pour terminer, on rappellera que le Conseil d’Etat, de son côté, dans une décision récente du 5 avril 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 5 avril 2019, n° 410039, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2924Y8S), a été amené à préciser, pour l’application de ces mêmes dispositions, que :
- en l'absence d'autorisation de changement d'affectation ou de travaux postérieure, un local est réputé être à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cet usage était fondé en droit à cette date ;
- ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'attacher pareilles conséquences au constat, au 1er janvier 1970, de l'affectation d'un local à un autre usage que l'habitation.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471460
Réf. : Cass. civ. 3, 21 novembre 2019, n° 14-22.299, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0234Z33)
Lecture: 11 min
N1415BY3
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris
Le 04 Décembre 2019
Le législateur a mis en place un régime juridique impératif, particulièrement contraignant pour protéger l’accédant à la propriété (souvent un particulier, primo-accédant, non-sachant et emprunteur pour la totalité du prix de la construction et/ou du terrain) qui contracte avec un constructeur de maisons individuelles. La loi du 19 décembre 1990 (loi n° 90-1129 du 19 décembre 1990 relative au contrat de construction d'une maison individuelle), codifiée aux articles L. 231-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L7276AB4), a, en effet, instauré un dispositif qui tend à sécuriser l’accédant à la propriété de multiples façons, allant de la création d’une garantie de livraison à prix et délais convenus, en passant par l’échelonnement des paiements et, bien entendu, l’instauration de nombreuses mentions obligatoires qui conditionnent, tout simplement, la validité du contrat. En outre, s’inscrivant dans le sillage de la volonté du législateur de protéger l’acquéreur, le juge a, également, joué ce jeu de la protection, notamment, en multipliant les arrêts d’une grande sévérité à l’encontre du constructeur, au point de générer un contentieux d’un genre nouveau : celui de l’accédant qui a pris possession de sa maison mais qui refuse de réceptionner et de payer l’appel de fonds correspondant, ou encore, celui de l’accédant qui demande l’annulation rétroactive de son contrat, le remboursement de ce qu’il a versé ainsi que la démolition de sa maison pour le non-respect d’une mention contractuelle qui peut paraître, de premier abord, mineure. Loin de se laisser instrumentaliser, le juge multiplie, depuis lors, les décisions plus mesurées, dont l’accédant à la propriété ne sort pas forcément vainqueur. L’arrêt commenté, destiné à la plus large publication et mis en ligne sur le site de la Cour de cassation, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 21 novembre 2019, en est une parfaite illustration (Cass. civ. 3, 21 novembre 2019, n° 14-22.299, FS-P+B+I N° Lexbase : A0234Z33).
Aux termes d’un contrat de construction de maison individuelle (CCMI), les époux, maîtres de l’ouvrage, confient à une société spécialisée dans la construction de maisons individuelles, la réalisation de leur maison. Dans ce contrat, il a classiquement été convenu, entre les parties, que les accédants à la propriété se réservent les travaux de second œuvre. A la suite d’un différend, les accédants à la propriété refusent de payer une partie des travaux et de réceptionner l’ouvrage. Le constructeur saisit, alors, le juge statuant en la forme des référés aux fins de désignation d’un expert puis, après le dépôt de son rapport, le juge du fond aux fins de prononcer la réception judiciaire, d’une part, et de payer les factures impayées, d’autre part.
Le constructeur ayant obtenu gain de cause devant le tribunal, les accédants à la propriété ont, dès lors, interjeté appel. Devant la cour d’appel, ils ont sollicité, notamment, l’annulation rétroactive du contrat et la démolition de la construction.
La cour d’appel de Montpellier, dans un arrêt rendu le 21 novembre 2013, a confirmé le jugement déféré en l’ensemble de ses dispositions. Les juges du fond ont, d’abord, estimé que l’article 1792-6 du Code civil (N° Lexbase : L1926ABX), relatif à la réception judiciaire, était applicable si bien qu’à défaut de réception amiable, la réception peut être prononcée judiciairement. Ils ont considéré, ensuite, que les demandes de nullité et de démolition sont infondées.
Les accédants à la propriété ne se découragent pas et forment un pourvoi en cassation mais celui-ci est rejeté. La Haute juridiction confirme, d’une part, que les dispositions applicables au contrat de construction de maison individuelle n’imposent pas une réception constatée par écrit si bien qu’une réception judiciaire n’est pas exclue. Elle considère, d’autre part, que la notice descriptive comportait le montant des travaux restant à la charge du maître de l’ouvrage en les détaillant ainsi que la mention manuscrite du maître d’ouvrage reprenant le total de ces travaux, si bien que le contrat n’est pas nul.
Cette décision permet, dès lors, de revenir sur la possibilité de forcer la réception dans le contrat de construction de maison individuelle (I) ainsi que sur les conditions de validité du contrat et, particulièrement, en ce qui concerne la mention manuscrite dans la notice descriptive (II).
I - De la mesure dans l’appréciation de la réception de l’ouvrage
Le moyen invoqué par les accédants à la propriété consiste à viser le IV de l’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L2643IX8) pour prétendre que la réception de l’ouvrage construit en application d’un contrat de maison individuelle ne peut résulter que d’un écrit. Autrement dit, par dérogation aux dispositions de l’article 1792-6 du Code civil, pourtant d’ordre public, la réception judiciaire ne serait pas possible, pas plus que la réception tacite, reconnue de façon prétorienne. Le moyen n’est retenu ni par les juges du second degré de juridiction ni par la Haute juridiction. Pourtant, nombreux sont les auteurs qui partageaient l’argument avancé par les accédants à la propriété, appuyés en cela par des décisions, en tous sens, rendues par les juges du fond. La Cour de cassation y a mis définitivement fin aux termes d’un arrêt également rendu par la troisième chambre civile le 27 février 2013 (Cass. civ. 3, 27 février 2013, n° 12-14.090, FS-P+B N° Lexbase : A8768I8A). Néanmoins, cette espèce n’était pas si claire puisque la Haute juridiction s’est appuyée sur la remise des clés, ce qui n’est pas le critère permettant de prononcer la réception judiciaire.
Il est désormais acquis que les dispositions de l’article L. 231-6 précité ne visent que les conditions de cessation de la garantie de livraison, même s’il est fait, effectivement, référence à une réception constatée par écrit. Autrement dit, cette disposition n’est pas transposable, elle ne s’applique qu’à la garantie de livraison. Aussi, cette disposition ne fait pas directement obstacle à une réception judiciaire. Mais, faute d’une constatation par écrit, la réception ne pourra pas être opposée par le garant au maître d’ouvrage.
L’arrêt commenté est ainsi confirmatif d’une jurisprudence ancienne mais éparse, qui méritait donc d’être confirmée. Si la Haute juridiction a rapidement reconnu au maître de l’ouvrage (Cass. civ. 3, 30 juin 1993, n° 91-18.696 N° Lexbase : A5850ABB) ainsi qu’à l’entrepreneur confronté au refus injustifié du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage (Cass. civ. 3, 30 octobre 1991, n° 90-12.659 N° Lexbase : A5096AH9), la possibilité de solliciter la réception judiciaire, l’essentiel des litiges consistait à départir la réception tacite de la réception judiciaire. Or, la Cour de cassation a, très vite, considéré qu’une cour d’appel ne peut, sans modifier l’objet du litige, décider de prononcer la réception judiciaire des travaux alors que les parties s’opposent sur la réception tacite (Cass. civ. 3, 22 février 1995, n° 93-13.343). Les deux formes de réception sont sans lien. La réception judiciaire, c’est la réception forcée. Il faut simplement démontrer que l’ouvrage est en l’état d’être reçu, pour reprendre la formule consacrée (pour exemple : Cass. civ. 3, 24 novembre 2016, n° 15-26.090, FS-P+B N° Lexbase : A3499SL8 ; J. Mel, 2017, une année placée sous le signe de la réception, Lexbase, éd. privée, 2017, n° 724). La réception tacite suppose, quant à elle, la preuve de la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage. L’intention est bien différente.
Par parallélisme des formes, semble, toutefois, également ouverte la voie de la démonstration de la réception tacite du contrat de construction de maison individuelle. A extrapoler encore sur les dernières jurisprudences rendues en des domaines autres que la maison individuelle, la réception tacite serait même présumée en cas de prise de possession et de paiement du prix (Cass. civ. 3, 30 janvier 2019, n° 18-10.197, FS-P+B+I N° Lexbase : A5083YUS ; Cass. civ. 3,14 février 2019, n° 17-30.083 ; Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-13.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A3818Y9B).
Amis plaideurs, tentez votre chance !
II - De la mesure dans l’appréciation de la nullité du contrat
La jurisprudence rendue sur le sujet est particulièrement riche. Si le maître d’ouvrage se réserve l’exécution de certains travaux, ceux-ci devront, en application de l’article L. 231-2,d) du Code de la construction et de l’habitation être décrits et chiffrés par le constructeur dans un document dénommé «la notice». Cette notice doit indiquer le coût total du bâtiment à construire résultant de la somme du prix convenu et du montant des travaux dont le maître d’ouvrage se réserve l’exécution. Ces travaux doivent, en outre, faire l’objet d’une mention manuscrite spécifique et paraphée par le maître d’ouvrage, aux termes de laquelle il en accepte le coût et la charge. Le non-respect de ces règles est lourdement sanctionné par la nullité du contrat de construction de maison individuelle, soit la plus grave des sanctions (Cass. civ. 3, 20 avril 2017, n° 16-10.486, FS-P+B+I N° Lexbase : A0469WAM ; Cass. civ. 3, 21 juin 2018, n° 17-10.175, FS-P+B+I N° Lexbase : A8679XTM). Cela n’a pas été toujours le cas. Avant cet arrêt de 2017, la Haute juridiction avait pu estimer que les travaux nécessaires à l’habitation de l’immeuble, non prévus ou non chiffrés dans la notice descriptive et n’ayant pas fait l’objet d’une mention manuscrite par laquelle le maître de l’ouvrage accepte d’en supporter la charge, doivent être pris en charge par le constructeur (Cass. civ. 3, 13 novembre 2014, n° 13-18.937, FS-P+B N° Lexbase : A3088M3R). La solution semblait pourtant plus mesurée que la nullité. Mais, la Cour de cassation a voulu mettre un terme à la position adoptée par un certain nombre de juges du fond qui, au seul motif du non-respect d’une règle de forme, permettaient au maître d’ouvrage de bénéficier gracieusement de travaux non compris dans le prix convenu. La nullité semble avoir des conséquences encore plus critiquables pourtant. Elle peut, en effet, aboutir à la démolition de l’ouvrage. Heureusement, la Haute juridiction fait preuve de mesure. L’espèce commentée en est une nouvelle illustration. Si le non-respect des dispositions de l’article L. 231-2 du Code de la construction et de l’habitation est susceptible d’entraîner la nullité du contrat de construction de maison individuelle, la démolition de l’ouvrage n’est pas systématique ; cette sanction devant être proportionnée à la gravité des désordres et non-conformités qui l’affectent (Cass. civ. 3, 15 octobre 2015, n° 14-23.612, FS-P+B+R N° Lexbase : A5827NTY ; Cass. civ. 3, 22 novembre 2018, n° 17-12.537, FS-P+B+I N° Lexbase : A3876YMI). La Cour de cassation se place, donc, non plus sur la restitution mais sur la responsabilité pour sanctionner par la démolition. La solution ne peut qu’être approuvée.
👉 Quel impact dans ma pratique ? Cette décision implique une vigilance accrue, pour ne pas dire excessive, dans la rédaction du contrat de construction de maison individuelle. Entre les mentions dont le défaut entraîne la nullité de l’acte et celles qui font, à défaut, partie du prix forfaitaire ou qui demeurent à la charge du maître d’ouvrage, outre les cas où la nullité du contrat peut conduire à la démolition de l’ouvrage, ou pas, il peut paraître bien difficile de s’y retrouver, d’autant que les positions des juges ont évolué ces dernières années. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471415
Réf. : Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 17-31.442, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6939Z3E)
Lecture: 3 min
N1380BYR
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Charlotte Moronval
Le 04 Décembre 2019
► Dans le cadre d’un accord collectif professionnel, l’arrêté d’extension suppose nécessairement, sous le contrôle du juge administratif, vérification de la représentativité dans ce champ des organisations syndicales et patronales signataires ou invitées à la négociation ; il y a lieu, dès lors, de juger désormais que le juge judiciaire n’a pas à vérifier, en présence d’un accord professionnel étendu, que l’employeur, compris dans le champ d’application professionnel et territorial de cet accord en est signataire ou relève d’une organisation patronale représentative dans le champ de l’accord et signataire de celui-ci.
Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 27 novembre 2019 (Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 17-31.442, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6939Z3E ; sur la position antérieure de la Cour de cassation, voir Cass. soc., 16 mars 2005, n° 03-16.616 N° Lexbase : A2743DH3 ; lire la note explicative relative à l'arrêt).
Dans les faits. Des organisations syndicales ont signé, le 28 octobre 2009, un avenant prévoyant notamment l’intégration dans le champ d’application de la Convention nationale des bureaux d’études, dite Convention Syntec, du 15 décembre 1987, des activités d’analyses, essais et inspections techniques. L’avenant a fait l’objet d’un arrêté d’extension du 17 mai 2010, l’étendant à tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d’application de la Convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, tel que modifié par l’avenant n° 37 du 28 octobre 2009.
Des sociétés ont saisi le TGI d’une demande visant à l’annulation de l’avenant, et subsidiairement à son inopposabilité à leur égard.
La position de la cour d’appel. Pour déclarer inopposable aux sociétés l’avenant n° 37 de la Convention Syntec, la cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 26 octobre 2017, n° 16/16375 N° Lexbase : A9100WWX) retient que ces sociétés n’adhèrent pas aux fédérations signataires et qu’aucune organisation patronale représentative dans le secteur des activités de contrôle dont relèvent ces sociétés n’y adhère. Face à cette décision, les organisations syndicales forment un pourvoi en cassation.
La solution. Enonçant la solution susvisée, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel au visa des articles L. 2261-15 (N° Lexbase : L2443H9D) et L. 2261-19 (N° Lexbase : L7753LGA) du Code du travail, ensemble le principe de séparation des pouvoirs. En l’espèce, l’avenant n° 37 de la Convention Syntec avait expressément pour objet de rendre la Convention Syntec applicable au secteur des activités d’analyses, essais et inspections techniques. Dès lors que cet avenant avait fait l’objet d’un arrêté d’extension, le juge judiciaire n’avait pas à contrôler qu’il avait été signé par les organisations syndicales et patronales représentatives de ce secteur sauf, en cas de doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d’extension, à saisir le juge administratif d’une exception d’illégalité. Il lui appartenait seulement de vérifier si l’activité des sociétés concernées par le litige relevait du secteur analyses, essais et inspections techniques, champ d’application visé par l’avenant n° 37. En statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés (sur Les conditions relatives au champ d'application des conventions de branche susceptibles d'être étendues, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E2340ETT).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471380
Réf. : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-14.675, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3520Z47)
Lecture: 7 min
N1400BYI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Téchené
Le 05 Décembre 2019
► Lorsqu’une juridiction est saisie d’une demande de déréférencement portant sur un lien vers une page internet sur laquelle des données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté sont publiées, elle doit, pour porter une appréciation sur son bien-fondé, vérifier, de façon concrète, si l’inclusion du lien litigieux dans la liste des résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, répond à un motif d’intérêt public important, tel que le droit à l’information du public, et si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet intérêt.
Tel est le sens d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-14.675, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3520Z47).
L’affaire. Un expert-comptable et commissaire aux comptes a été déclaré coupable d’escroquerie et de tentative d’escroquerie. Deux comptes-rendus d’audience relatant cette condamnation pénale ont été publiés sur le site internet d’un journal. Soutenant que ces articles, bien qu’archivés sur le site du journal, étaient toujours accessibles par le biais d’une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google, et reprochant au moteur de recherche d’avoir refusé de procéder à la suppression des liens, l’expert-comptable l’a assigné aux fins de déréférencement. L’arrêt d’appel ayant rejeté sa demande de déréférencement, il a formé un pourvoi en cassation.
Sursis à statuer. Relevant que le Conseil d’Etat avait été saisi de quatre requêtes portant, notamment, sur le droit au déréférencement de telles données et qu’il avait alors renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles (cf. CE Contentieux, 24 février 2017, n° 391000, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2360TP4 ; lire N° Lexbase : N6901BWI) et que la décision de la Cour à intervenir était de nature à influer sur la solution du pourvoi, la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 5 juin 2019, n° 18-14.675, FS-P+B N° Lexbase : A9252ZDZ ; lire N° Lexbase : N9461BXP) avait alors sursis à statuer jusqu'au prononcé de la décision de la CJUE intervenu le 24 septembre 2019 (CJUE, 24 septembre 2019, aff. C-136/17 N° Lexbase : A3916ZPQ ; lire N° Lexbase : N0703BYP)
La décision. Dans son arrêt du 27 novembre 2019, la Cour de cassation, apportant une réponse particulièrement étayée, censure l’arrêt d’appel au visa des articles 9, 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS), issus de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 (N° Lexbase : L0722GTW), et des articles 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K). Après avoir rappelé le contenu de ces dispositions, elle relève que par son arrêt du 24 septembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que :
- les dispositions de l’article 8 § 1 et 5 de la Directive 95/46 (N° Lexbase : L8240AUQ) doivent être interprétées en ce sens que l’interdiction ou les restrictions relatives au traitement des catégories particulières de données à caractère personnel, visées par ces dispositions, s’appliquent, sous réserve des exceptions prévues par cette Directive, également à l’exploitant d’un moteur de recherche dans le cadre de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités en tant que responsable du traitement effectué lors de l’activité de ce moteur, à l’occasion d’une vérification opérée par cet exploitant, sous le contrôle des autorités nationales compétentes, à la suite d’une demande introduite par la personne concernée ;
- les dispositions de l’article 8 § 1 et 5 de la Directive 95/46 doivent être interprétées en ce sens que, en vertu de celles-ci, l’exploitant d’un moteur de recherche est en principe obligé, sous réserve des exceptions prévues par cette Directive, de faire droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web sur lesquelles figurent des données à caractère personnel qui relèvent des catégories particulières visées par ces dispositions ;
- les dispositions de la Directive 95/46 doivent être interprétées en ce sens que, lorsque l’exploitant d’un moteur de recherche est saisi d’une demande de déréférencement portant sur un lien vers une page web sur laquelle des données à caractère personnel relevant des catégories particulières visées à l’article 8, § 1 ou 5 de cette Directive sont publiées, cet exploitant doit, sur la base de tous les éléments pertinents du cas d’espèce et compte tenu de la gravité de l’ingérence dans les droits fondamentaux de la personne concernée au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, vérifier, au titre des motifs d’intérêt public important visés à l’article 8 § 4 de ladite Directive et dans le respect des conditions prévues à cette dernière disposition, si l’inclusion de ce lien dans la liste de résultats, qui est affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom de cette personne, s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette page web au moyen d’une telle recherche, consacrée à l’article 11 de cette Charte.
Il s’ensuit donc que, lorsqu’une juridiction est saisie d’une demande de déréférencement portant sur un lien vers une page internet sur laquelle des données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté sont publiées, elle doit, pour porter une appréciation sur son bien-fondé, vérifier, de façon concrète, si l’inclusion du lien litigieux dans la liste des résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, répond à un motif d’intérêt public important, tel que le droit à l’information du public, et si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet intérêt.
Or, la Cour de cassation relève qu’en l’espèce, pour rejeter la demande de déréférencement, l’arrêt d’appel retient que, si l’infraction d’escroquerie au préjudice de l’administration fiscale a été commise par l’intéressé dans la sphère privée, il n’en reste pas moins que le référencement des liens litigieux conserve un caractère pertinent en raison de sa profession, dès lors que celui-ci est amené, en sa qualité d’expert-comptable, à donner des conseils de nature fiscale à ses clients et que ses fonctions de commissaire aux comptes appellent une probité particulière. Il ajoute qu’en tant que membre d’une profession réglementée, le demandeur doit être considéré comme ayant un rôle dans la vie publique. Il en déduit que l’intérêt des internautes à avoir accès à l’information relative à sa condamnation pénale, en lien avec sa profession, doit prévaloir sur le droit à la protection des données à caractère personnel.
La Haute juridiction énonce alors qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, compte tenu de la sensibilité des données en cause et, par suite, de la particulière gravité de l’ingérence dans les droits du demandeur au respect de sa vie privée et à la protection de ses données à caractère personnel, l’inclusion des liens litigieux dans la liste des résultats était strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès aux pages internet concernées, à défaut de quoi serait caractérisé un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du Code de procédure civile, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471400
Réf. : Cass. crim., 26 novembre 2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5471Z3Z)
Lecture: 1 min
N1393BYA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par June Perot
Le 10 Décembre 2019
► La personne salariée poursuivie du chef de diffamation après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s’estime victime peut s’exonérer de sa responsabilité pénale, en application de l’article 122-4 du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP), lorsqu’elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM), L. 1153-3 (N° Lexbase : L8843ITP) et L. 4131-1, alinéa 1er (N° Lexbase : L1463H93), du Code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l’application des dispositions dudit code ;
toutefois, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités.
C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle de la Cour de cassation par un important arrêt du 26 novembre 2019 qui, parmi les différents enseignements qu’il propose, admet l’application de l’article 122-4 du Code pénal au cas de dénonciation de faits de harcèlement moral et sexuel dans le cadre du travail (Cass. crim., 26 novembre 2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I N° Lexbase : A5471Z3Z ; sur la protection du salarié de bonne foi en matière de dénonciation de harcèlement, v. déjà : Cass. civ. 1, 28 septembre 2016, n° 15-21.823, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2309R4B et le comm. de Ch. Radé, Lexbase Social, 2016, n° 672 N° Lexbase : N4658BWG).
Résumé des faits. La salariée d’une association a adressé un email à plusieurs personnes parmi lesquelles des directeurs de l’association, l’inspecteur du travail, ainsi qu’un autre responsable sans lien hiérarchique avec elle et le fils de la personne soupçonnée de harcèlement. Dans ce courriel intitulé «agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral», elle dénonçait des faits mettant en cause une personne en particulier au sein de l’association. L’autrice du courriel a été citée devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier. Les premiers juges l’ont déclarée coupable ; elle a donc relevé appel.
En cause d’appel. Pour entrer en voie de condamnation à l’encontre de la salariée, les juges ont énoncé que les propos poursuivis imputent des faits d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel et moral, selon le titre même du message, ces mots étant repris quasiment à l’identique dans le corps du message, faits attentatoires à l’honneur et à la considération dès lors qu’ils sont susceptibles de constituer des délits et suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur vérité. Les juges relèvent que, s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu’a pu en avoir la salariée, rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle datant de l’année 2015 et pour laquelle elle n’a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n’est des faits, au moins du désarroi de la victime.
C’est dans ces conditions qu’un pourvoi a été formé par la salariée.
A hauteur de cassation. La salariée invoquait à l’appui de son pourvoi l’immunité disciplinaire offerte par le Code du travail aux salariés qui dénoncent auprès de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des textes de ce code, les agissements répétés de harcèlement moral ou sexuel ou l’agression sexuelle dont ils ont été victimes. En effet, l’article L. 4131-1 du Code du travail, alinéa 1er, indique que «le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection». «aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés» (C. trav., art. L. 1152-2). Egalement, selon l’article L. 1153-3, «aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés».
Erreur de destinataire. La Haute juridiction rejette toutefois cette argumentation, pour les motifs visés plus haut. Elle considère, en effet, qu’en l’espèce, la salariée, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité, n’aurait pas dû adresser son courrier à d’autres personnes que son employeur ou les organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail (membres de la direction, DRH, RRH, représentants du personnel, CSE, inspecteur du travail), en l’espèce un autre responsable sans lien avec elle, le fils de la personne désignée auteur des agissements, qui n’ont d’ailleurs finalement pas été établis.
Par ailleurs, les juges ont retenu que la salariée ne pouvait bénéficier de l’excuse de bonne foi, «les propos litigieux ne disposant pas d’une base factuelle suffisante».
Pour aller plus loin : ► lire, C. Leborgne-Ingelaere, La parole du salarié : libérée…mais limitée !, Lexbase Social, 2019, n° 773 (N° Lexbase : N7724BXD) et v. l’Ouvrage «Droit du travail», L’auteur et la victime du harcèlement (N° Lexbase : E5235YUG) ; Les autres intervenants en matière de harcèlement sexuel (N° Lexbase : E9996YYU) ► écouter sur www.lexradio.fr : ♦ Conférence "Le harcèlement au travail" le 25 avril 2019 à Lille avec Céline Leborgne-Ingelaere et Jean-Philippe Tricoit ♦ Chronique bimestrielle "Harcèlement au travail", animée par Céline Leborgne-Ingelaere |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471393
Réf. : Loi organique n° 2019-1268 (N° Lexbase : L7263LT8) et loi n° 2019-1269 (N° Lexbase : L7261LT4) du 2 décembre 2019
Lecture: 4 min
N1430BYM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll
Le 05 Décembre 2019
► Deux lois du 2 décembre 2019, visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral (loi organique n° 2019-1268 N° Lexbase : L7263LT8 et loi n° 2019-1269 N° Lexbase : L7261LT4), ont été publiées au Journal officiel du 3 décembre 2019.
La loi organique n° 2019-1268 dispose qu’en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales, le Conseil constitutionnel, saisi d'une contestation formée contre l'élection peut déclarer inéligible : le candidat qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai (au plus tard avant 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin) prescrits à l'article L. 52-12 (N° Lexbase : L7628LSC) ; le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales ; et le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit.
Elle indique aussi que les sous-préfets, les secrétaires généraux de préfecture et les directeurs de cabinet de préfet sont inéligibles en France dans toute circonscription comprise en tout ou partie dans le ressort dans lequel ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de deux ans à la date du scrutin.
La loi n° 2019-1269 comprend deux chapitres consacrés respectivement à l’encadrement du financement des campagnes électorales et règles d'inéligibilité et à la propagande et aux opérations de vote.
♦ Encadrement du financement des campagnes électorales et règles d'inéligibilité.
Dorénavant, chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 (N° Lexbase : L1146KME) est tenu d'établir un compte de campagne lorsqu'il a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés ou s'il a bénéficié de dons de personnes physiques. Le compte de campagne retrace, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection par le candidat ou le candidat tête de liste ou pour son compte, à l'exclusion des dépenses de la campagne officielle. La valeur vénale résiduelle des immobilisations éventuellement constituées au cours de la période mentionnée au même article L. 52-4 (N° Lexbase : L7432LGD) doit être déduite des charges retracées dans le compte de campagne.
Le compte de campagne est présenté par un membre de l'Ordre des experts-comptables. Ce dernier met le compte de campagne en état d'examen et s'assure de la présence des pièces justificatives requise. Cette présentation n'est pas obligatoire lorsque le candidat ou le candidat tête de liste n'est pas tenu d'établir un compte de campagne, ou lorsque le candidat ou le candidat tête de liste a obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés et que les recettes et les dépenses de son compte de campagne n'excèdent pas un montant fixé par décret. Dans ce cas, il transmet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à l'appui du compte de campagne, les relevés du compte bancaire.
♦ Propagande et opérations de vote.
A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de : distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents ; diffuser ou faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ; procéder, par un système automatisé ou non, à l'appel téléphonique en série des électeurs afin de les inciter à voter pour un candidat ; ou tenir une réunion électorale.
La campagne électorale est ouverte à partir du deuxième lundi qui précède la date du scrutin et prend fin la veille du scrutin à zéro heure. En cas de second tour, la campagne électorale est ouverte le lendemain du premier tour et prend fin la veille du scrutin à zéro heure.
Les bulletins de vote ne peuvent pas comporter : d'autres noms de personne que celui du ou des candidats ou de leurs remplaçants éventuels, à l'exception, pour la Ville de Paris et les communes de Marseille et de Lyon, du candidat désigné comme devant présider l'organe délibérant concerné par le scrutin ; la photographie ou la représentation de toute personne, à l'exception de la photographie ou de la représentation du ou des candidats à l'élection concernée et, pour la Ville de Paris et les communes de Marseille et de Lyon, de la photographie ou de la représentation du candidat désigné comme devant présider l'organe délibérant concerné par le scrutin ; et la photographie ou la représentation d'un animal. Enfin, les bulletins de vote peuvent comporter un emblème.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471430
Lecture: 22 min
N1386BYY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Olivier Leclerc, Directeur de recherche au CNRS, CERCRID (UMR 5137), Université de Lyon, Université Jean Monnet
Le 06 Décembre 2019
Mots-clefs : Doctrine • Magistrat • Raisonnements probatoires
Que savons-nous de la manière dont les juges raisonnent ? Bien peu de chose sans doute car les raisonnements effectivement suivis par les juges sont difficilement accessibles, autrement que par des manifestations extérieures qui n’en sont que le reflet imparfait et incomplet. Ainsi, la motivation des décisions de justice doit rendre compte du raisonnement suivi par les juges mais elle suit un formalisme contraint et rien n’assure que les raisons données dans le jugement reflètent l’ensemble des éléments qui sont entrés dans le raisonnement. En tout état de cause, si la formation de jugement est collégiale, la motivation de la décision ne permet pas d’accéder au raisonnement suivi par chacun des juges. Le raisonnement des juges apparaît ainsi comme un continent, dont la plus grande part semble rester inaccessible, une terra incognita.
I - Identifier les raisonnements probatoires
Il n’en fallait pas plus pour motiver le développement de travaux de recherche destinés à mieux connaître et comprendre les opérations de raisonnement impliquées dans le jugement. La partie la plus développée de ces recherches est consacrée à la manière dont les juges -et plus largement les professionnels du droit et de la justice- raisonnent avec les règles de droit [1]. Les discussions portent ici sur la question de savoir s’il existe une spécificité des raisonnements juridiques, et si oui en quoi elle consiste, et quelles sont les formes particulières de l’argumentation juridique [2]. Le syllogisme est sans doute la forme la plus connue (à défaut d’être la seule) de raisonnement juridique. Mais les juges ne raisonnent pas seulement avec des règles de droit : la décision de justice suppose aussi d’établir des faits, et pour cela de raisonner avec les éléments de preuve dont on dispose [3]. Ce sont ces raisonnements qui vont retenir notre attention. On entend par raisonnements probatoires l’ensemble des opérations intellectuelles qui sont impliquées dans l’établissement des faits dans le procès au moyen des preuves disponibles. Les juges mènent de tels raisonnements chaque fois que la preuve est libre [4]. Dans les domaines où le système de la preuve légale est maintenu, la loi fixe les conséquences qui doivent être tirées d’un élément de preuve et le juge perd tout pouvoir d’appréciation des faits relatés par ces éléments de preuve.
Il est évident que les juges ne sont pas les seuls à raisonner avec les preuves. Les parties et leurs avocats proposent également des raisonnements afin de convaincre les juges de l’existence de certains faits favorables à leur cause. Des raisonnements probatoires concurrents existent donc dans le procès, selon le moment auquel ils interviennent, l’objectif poursuivi par chaque partie, les éléments de preuve dont ces dernières disposent. En effet, raisonner se fait toujours à partir d’un point de vue situé et dans un contexte d’argumentation donné [5]. Mais de même que les juges peuvent imposer leur interprétation des règles de droit, c’est à eux qu’il revient de décider si un fait est prouvé ou non. Pour cela, les juges doivent déterminer l’existence des faits, évaluer leur crédibilité, les combiner de manière cohérente et parvenir finalement à décider si un fait est prouvé. Ce sont ces opérations de raisonnement qu’il s’agit de comprendre et de guider afin de permettre aux juges d’éviter les erreurs de raisonnement sur les faits.
Dès le début du XXème siècle, des spécialistes du droit de la preuve, des criminologues et des psychologues ont entrepris de donner à l’appréciation des preuves en justice un fondement scientifique [6]. Cette voie de recherche se poursuit aujourd’hui dans deux directions principales. Certains travaux, issus de la psychologie expérimentale, visent à décrire de manière empirique comment les juges raisonnent avec les preuves. Ces recherches ont surtout été menées sur des jurés fictifs mis en situation et la question s’est vite posée de savoir si les résultats ainsi obtenus restaient valables pour les juges professionnels ou si ces derniers raisonnent avec les preuves autrement que les jurés populaires. S’il est certain que les juges professionnels ont acquis une familiarité et un savoir-faire particuliers dans l’analyse des preuves, les études empiriques ne révèlent pas de différences fortes avec les jurés quant aux mécanismes fondamentaux impliqués dans les raisonnements probatoires [7]. Ces recherches ont également permis d’étendre aux raisonnements probatoires des juges les résultats de la psychologie cognitive qui montrent l’existence de biais susceptibles de fausser les raisonnements (par exemple, le «biais de confirmation» qui conduit à accorder plus d’attention et d’importance aux informations qui confirment nos croyances qu’à celles qui viennent les contredire [8]). Une autre voie de recherche s’est développée dans le giron de la logique et des probabilités. Elle s’attache à guider les juges en leur indiquant comment ils doivent raisonner avec les preuves. Ces travaux ont élaboré des outils destinés à aider les magistrats à mener un raisonnement rigoureux. A la suite de décisions de justice américaines qui avaient fait un usage erroné des probabilités pour établir des faits [9], l’analyse probabiliste des preuves a été fortement développée. Ce sont en particulier les probabilités bayésiennes qui ont été mobilisées : celles-ci permettent de déterminer la façon dont la probabilité initiale d’une hypothèse se renforce ou diminue lorsqu’est apporté un élément de preuve supplémentaire [10].
Au-delà de leur diversité, les travaux qui viennent d’être évoqués brièvement ont en commun de rechercher ce qui fait le propre des raisonnements probatoires, leurs caractères généraux, et cela indépendamment des contextes procéduraux dans lesquels ils s’inscrivent (procédure accusatoire ou inquisitoire, répartition de la charge de la preuve, etc.). Il ne s’agit évidemment pas de nier l’incidence des règles de preuve et de procédure sur les raisonnements probatoires, mais d’envisager ce qui est commun à ces raisonnements et quelles en sont les briques fondamentales.
II - Les éléments constitutifs des raisonnements probatoires
Avant d’envisager les raisonnements probatoires dans leur dynamique, il convient de savoir quels sont les éléments qui les composent. A l’évidence, le raisonnement porte sur les preuves apportées par les parties ou réunies par les enquêteurs en vue d’établir l’existence du fait contesté (objet de la preuve) : des témoignages, des enregistrements, des écrits, etc.. Cependant, il convient d’apporter trois précisions.
D’abord, les raisonnements probatoires ne portent pas à proprement parler sur l’élément de preuve (un témoignage, par exemple) mais sur le fait que relate cet élément de preuve (le fait dont la personne témoigne). Dès lors, le raisonnement probatoire suppose d’analyser les éléments de preuve et d’en tirer des propositions de fait, positives ou négatives. On parle d’inférences pour désigner le processus consistant à tirer des conclusions à partir d’un élément de preuve [11]. Or, les propositions de fait qui peuvent être tirées d’un élément de preuve ne sont pas toujours univoques et les parties sont parfois en désaccord sur ce que l’on peut conclure d’un élément de preuve donné ; un désaccord qu’il appartiendra au juge de trancher. En outre, les raisonnements probatoires n’impliquent pas seulement de réaliser une inférence pour passer d’un élément de preuve à une proposition de fait, mais aussi très souvent, pour passer d’une proposition de fait à une autre. Une proposition de fait donnée apparaît ainsi comme le résultat d’une inférence, puis comme le point de départ d’une autre inférence, et ainsi de suite jusqu’au fait à prouver (d’un fait, le juge tire un autre fait, et ainsi de suite). De sorte que les raisonnements probatoires sont constitués d’une pluralité d’inférences, qui sont liées les unes aux autres de manière très diverse (elles s’enchaînent, se renforcent, se contredisent, etc.) [12].
Ensuite, les raisonnements probatoires ne portent pas seulement sur des propositions de fait tirées des éléments de preuve apportés par une partie pour établir le fait à prouver. D’autres éléments interviennent dans ces raisonnements [13]. Pour le comprendre, partons de la proposition de preuve faite par une partie en vue d’établir le fait à prouver. Supposons, qu’un employeur soutienne qu’il ressort d’un témoignage qu’un salarié a été vu sortant en courant d’un entrepôt, d’où il est demandé au juge d’inférer que ce salarié a commis des dégradations constatées dans l’entrepôt, justifiant ainsi son licenciement pour faute grave (une partie présente une proposition de fait tirée d’un témoignage et elle demande au juge d’en inférer le fait à prouver). Le raisonnement articule ici deux éléments : la proposition de fait (le salarié sortait de l’entrepôt en courant) et l’inférence (il s’en déduit qu’il fuyait et donc qu’il a commis l’acte fautif). Dès lors, l’adversaire peut s’efforcer, en retour, soit de contester la proposition de fait (le salarié ne sortait pas en courant de l’entrepôt, ainsi qu’un autre témoignage l’affirme), soit l’inférence qui en est tirée (le salarié sortait bien en courant mais il n’y a pas lieu d’en inférer qu’il fuyait car il existe d’autres explications à cette précipitation : il était en retard pour se rendre à une réunion). Mais, à son tour, l’employeur peut s’efforcer d’affaiblir ces objections et ainsi tenter de renforcer l’inférence (dans notre exemple, la réunion prévue ce jour-là avait été exceptionnellement décalée d’une heure, ainsi qu’il ressort du témoignage du chef de service, ce qui affaiblit l’explication proposée par le salarié et sauvegarde l’inférence réalisée). Enfin, le salarié peut s’efforcer de rapporter la preuve d’un autre fait qui vient directement contester le fait à prouver sans tenter d’affaiblir l’inférence proposée par l’employeur (par exemple, le salarié soutient qu’il se trouvait ailleurs au moment des faits ; ainsi il ne discute pas l’inférence mais vient établir un fait incompatible avec l’affirmation de l’employeur).
Enfin, on gardera à l’esprit que le mécanisme même de l’inférence conduit à tirer des conclusions à partir d’éléments de preuve ou de propositions de fait. Ce faisant, le juge procède par généralisation : d’une proposition, il en tire une autre qui n’est pas connue. Or, ces généralisations sont rarement explicitées. Dans l’exemple ci-dessus, si l’employeur demande au juge de tirer du fait que le salarié sortait en courant de l’entrepôt qu’il a commis les dégradations, c’est parce qu’il estime que ce comportement n’est pas normal, est suspect : un salarié qui n’a rien à se reprocher ne sort pas de l’entrepôt en courant alors que des dégradations ont été commises. Cette généralisation, tirée du sens commun, est certainement contestable ; elle est néanmoins le soutien nécessaire de l’inférence. Cela permet de faire comprendre que les raisonnements probatoires font intervenir des propositions qui ne découlent pas des éléments de preuve disponibles mais qui sont issues du sens commun, comme on le voit ici, mais aussi de l’expérience personnelle du juge, de la logique, de la science, etc..
Le raisonnement probatoire du juge porte donc sur un ensemble plus ou moins large de propositions de fait, qui sont inférées des éléments de preuve disponibles ou d’autres propositions de fait, ou encore qui soutiennent des opérations de généralisation. Ces propositions portent sur le fait à prouver, mais aussi sur d’autres faits qui affaiblissent les propositions avancées par l’adversaire ou sur les inférences qui sont faites par les juges à partir de ces propositions. L’articulation entre ces propositions se fait au moyen d’inférences qui permettent de passer d’une proposition de fait à une autre, jusqu’à parvenir au fait à prouver.
III - Les opérations impliquées dans les raisonnements probatoires
Les raisonnements probatoires mettent en œuvre trois opérations intellectuelles bien distinctes conceptuellement (même si, en pratique, elles sont souvent mélangées) : déterminer quel est le crédit que l’on accorde à chaque proposition de fait, articuler ces propositions entre elles de manière cohérente, et finalement tirer une conclusion portant sur la question de savoir si le fait contesté est prouvé ou non.
3.1. Apprécier la valeur des éléments du raisonnement
Les raisonnements probatoires supposent d’abord de déterminer le degré de conviction qui est attaché à chacun des éléments pris en compte. Cette analyse s’opère aussi bien pour l’appréciation des éléments de preuve que pour les inférences qui en sont tirées. Ainsi, il importe d’abord de déterminer la crédibilité de l’élément de preuve dont une proposition est inférée. En effet, cette proposition sera jugée plus ou moins convaincante en fonction d’un très grand nombre de paramètres qu’il revient au juge d’apprécier : le mode de preuve dont elle provient (une analyse de l’ADN, un témoignage, un relevé de téléphonie mobile, etc.), les conditions dans lesquelles elle a été obtenue (qualité du témoin, qualité de l’enquête, etc.), les connaissances qui la fondent (une inférence fondée sur une loi scientifique établie est plus solide que celle fondée sur l’expérience du juge), la partie qui a apporté la preuve, la manière dont cette dernière a été obtenue, etc.. Le degré de conviction attaché au raisonnement probatoire s’apprécie également concernant chaque inférence permettant de passer d’une proposition de fait à une autre. Pour cette raison, on parle de force inférentielle qui traduit le niveau de confiance attaché à chaque inférence.
Les théories du raisonnement probatoire offrent principalement deux instruments pour apprécier la valeur des éléments du raisonnement. Le premier consiste à attribuer à chaque élément de preuve un degré de conviction en suivant une échelle graduée. Ceux-ci sont donc placés dans une relation d’ordre (on dit que le classement est ordinal) selon qu’ils sont jugés non-convaincants, convaincants, très convaincants. Théoriquement, cette échelle peut contenir autant de degrés qu’on le souhaite mais il va de soi que, pour conserver un caractère opérationnel, ceux-ci doivent rester en nombre limité. Le second instrument d’analyse consiste à attribuer à chacune des propositions de fait entrant dans les raisonnements probatoires une valeur chiffrée (on dit que le classement est cardinal) représentant l’effet positif ou négatif d’un élément de preuve sur la probabilité d’une hypothèse. Par exemple, une preuve a une valeur d’autant plus grande qu’elle augmente fortement la probabilité qu’une hypothèse donnée soit vraie, ou encore que le rapport de vraisemblance [14] a une valeur élevée.
3.2. Agencer les propositions de fait
Les raisonnements probatoires impliquent ensuite que les juges mettent en ordre les éléments constitutifs du raisonnement. Ces derniers ne sont pas saisis ici individuellement mais en tant qu’ils forment un ensemble. Les propositions de fait s’agencent les uns avec les autres, au moyen d’inférences, pour parvenir à une conclusion : de telle proposition, on tire telle autre, et ainsi de suite jusqu’au fait final (le fait à prouver). Tous les éléments qui entrent dans le raisonnement doivent pouvoir être pris en compte et analysés ensemble. Cette opération peut s’avérer très difficile dans des affaires complexes où il existe de nombreuses propositions de fait tirées d’un grand nombre d’éléments de preuve. Pour cette raison, des méthodes ont été élaborées pour faciliter les raisonnements probatoires, éviter les erreurs de raisonnement, et ainsi guider les juges.
Ces méthodes ont en commun de s’appuyer sur une liste de toutes les propositions de fait qui entrent dans le raisonnement (dont on aura préalablement déterminé la valeur, en termes qualitatifs ou quantitatifs). Cette liste permet ensuite de réaliser une représentation visuelle sous la forme d’un graphe qui contient l’ensemble des éléments du raisonnement, reliés entre eux par des traits. Ainsi, on dispose d’un instrument graphique qui montre tous les éléments du raisonnement, les liaisons que l’on fait entre eux, et la valeur qu’on leur attribue.
Cette famille d’instruments graphiques, que l’on appelle des réseaux d’inférences, comporte deux variantes, selon que les éléments qui les constituent ont été appréciés de manière ordinale ou cardinale. La principale représentation ordinale est due à J. H. Wigmore. Dès 1913, il propose un instrument destiné à guider la décision des juges en représentant les éléments de leur raisonnement, le crédit plus ou moins fort qu’ils y accordent, et les inférences qu’ils font pour passer d’un élément à un autre [15]. La représentation cardinale a été développée bien plus récemment. Elle exploite les riches potentialités d’un domaine des probabilités développé au XVIIIème siècle par le révérend Thomas Bayes. Le théorème de Bayes, permet en effet de calculer la manière dont la probabilité d’un événement (la probabilité initiale) varie selon qu’un autre événement est vrai ou non (probabilité conditionnelle). Si l’on dispose d’une valeur de probabilité associée à chaque élément du raisonnement, on doit pouvoir calculer la façon dont celle-ci varie lorsqu’on considère les autres éléments du raisonnement. Pour faire face à la complexité des calculs lorsqu’il existe un nombre élevé d’éléments (et faciliter leur automatisation), les éléments de preuve peuvent être ordonnés dans un schéma appelé réseau bayésien [16].
Les méthodes qui viennent d’être évoquées supposent que tous les éléments du raisonnement sont appréciés séparément et sont soigneusement mis en relation les uns avec les autres. Pour cette raison, elles ont été qualifiées d’«atomistes» : ces méthodes envisagent les raisonnements probatoires de manière analytique, comme devant articuler le plus soigneusement possible, un à un, chaque élément du raisonnement. Ces théories se sont cependant trouvées fragilisées par des travaux de psychologie expérimentale qui ont soumis à des jurés fictifs des ensembles complexes de preuves et ont montré que ceux-ci n’analysent pas les preuves une par une mais les intègrent spontanément dans un récit qu’ils construisent [17]. Il ressort donc de ces travaux que les processus cognitifs impliqués, en situation, dans l’analyse des preuves conduisent à envisager ces dernières de manière globale (on parle de conceptions «holistes» du raisonnement probatoire) en les insérant dans un récit (story model). Selon ce modèle, les preuves présentées ont une valeur d’autant plus grande qu’elles s’insèrent dans un récit cohérent, qui rend compte du plus grand nombre de preuves disponibles, et qui est conforme aux représentations que les jurés se font du monde. Finalement, ces récits permettent de départager les parties, en retenant le récit jugé le plus convaincant.
3.3. Déterminer si le fait contesté est prouvé
La mise en ordre des éléments du raisonnement doit permettre au juge de déterminer quel est l’effet total des preuves et finalement de décider, sur la base de l’ensemble de ces éléments, si le fait contesté est prouvé. Selon les méthodes ordinales d’analyse des preuves, le juge doit soupeser le crédit qu’il accorde aux éléments du raisonnement, passer en revue la manière dont ils s’ordonnent et finalement se forger une conviction sur la preuve du fait contesté. Aucune méthode ne lui dicte la façon dont il doit atteindre sa conclusion finale, mais les représentations graphiques du raisonnement lui permettent d’englober du regard (et ainsi de contrôler) l’ensemble de son raisonnement. Les méthodes cardinales d’analyse des preuves, qui accordent des valeurs de probabilité à chacun des éléments de preuve, permettent quant à elles de calculer la probabilité conditionnelle du fait à prouver, sachant la probabilité de l’ensemble des éléments de preuve. La valeur totale des preuves disponibles est alors égale à la probabilité de l’hypothèse (du fait à prouver) sachant la probabilité des différents éléments de preuve [18].
Pour parvenir à une conclusion, le juge doit décider s’il existe des éléments suffisants en faveur de l’existence du fait contesté [19] : si c’est le cas, il pourra juger que le fait est prouvé, si ce n’est pas le cas, il décidera que le fait n’est pas prouvé. La difficulté est évidemment de savoir ce qu’il faut entendre par «suffisant». A partir de quel moment le juge peut-il valablement (sur le plan juridique) décider que les éléments de preuve sont suffisants pour décider que le fait contesté est prouvé ? Cette question soulève une grande perplexité en droit français. En effet, la règle selon laquelle les juges apprécient les éléments de preuve suivant leur intime conviction laisse les juges libres d’apprécier les éléments qui leur sont soumis sans que la loi leur dicte d’atteindre un degré de conviction qu’elle fixerait elle-même. Ainsi, la manière dont les raisonnements probatoires aboutissent à une conviction sur la preuve (le fait contesté est prouvé ou il ne l’est pas) ne fait pas l’objet d’indications légales et est renvoyée au for intérieur des juges [20].
La situation peut sembler, à première vue du moins, plus claire dans les pays de common law où la loi prescrit aux juges de franchir un certain niveau de conviction, appelé standard de preuve, pour pouvoir décider qu’un fait est prouvé. Les standards de preuve révèlent des choix de politique juridique. Ainsi aux Etats-Unis, la loi exige un niveau de conviction élevé dans le procès pénal où la preuve doit être rapportée au-delà de tout doute raisonnable (beyond a reasonable doubt). Dans le procès civil, le standard de preuve est moins exigeant : le fait doit être considéré comme prouvé si les éléments rapportés par la partie qui supporte la charge de la preuve rendent l’existence de ce fait plus vraisemblable que son inexistence (preponderance of the evidence). Dans certaines matières civiles qui mettent en jeu les libertés individuelles, le standard civil est toutefois renforcé et la preuve doit être claire et convaincante (clear and convincing evidence). La fixation de standards de preuve par la loi peut offrir aux juges un guide utile pour déterminer s’il faut conclure des éléments de preuve que le fait est prouvé ou non. Ainsi, dans une approche probabiliste, si l’on dispose de la valeur totale des preuves disponibles, il suffira de vérifier si elle excède ou non le standard de preuve applicable, celui-ci étant à son tour formulé en termes probabilistes [21]. Cependant, l’analyse probabiliste des preuves se heurte à des difficultés pratiques considérables [22]. De sorte que, pour l’essentiel, le franchissement du standard de preuve applicable reste soumis à une appréciation qualitative. Et sur ce plan, la pratique du droit américain montre combien la compréhension de ce que signifient les standards de preuve et la manière dont ils doivent être mis en œuvre concrètement est marquée par des incertitudes et des contradictions [23]. Qu’ils analysent les preuves une à une ou qu’ils les intègrent dans un récit global [24], les juges américains restent confrontés à la difficulté de savoir à partir de quand le standard de preuve applicable est franchi par la partie qui supporte la charge de la preuve et quand le fait contesté doit donc être considéré comme prouvé.
IV - Conclusion
Les raisonnements probatoires apparaissent finalement parcourus d’incertitudes : incertitude sur la valeur à reconnaître à chaque élément de preuve, sur la manière dont les preuves s’articulent entre elles, sur la conclusion qu’il convient de tirer du raisonnement suivi. De plus, une tension est visible au sein des travaux portant sur les raisonnements probatoires : plus les méthodes d’analyse des raisonnements sont sophistiquées, moins elles semblent opératoires pour les juges (et pour les autres acteurs du procès) dans leur activité quotidienne. En un sens, ces faiblesses ne surprennent pas ; elles sont même rassurantes : le raisonnement avec les preuves reste une activité humaine, affectée d’une part irréductible d’incertitude. En somme, il n’y a pas plus lieu de craindre une automatisation du raisonnement probatoire que d’espérer l’éradication définitive des erreurs de raisonnement. Cela étant, la résignation n’est pas de mise : le raisonnement probatoire peut certainement être guidé et amélioré. L’étude des raisonnements probatoires contribue ainsi à une meilleure compréhension des opérations intellectuelles impliquées par l’analyse des preuves, favorise leur amélioration et invite à une meilleure explicitation des raisonnements suivis à travers la motivation des décisions de justice.
Pour aller plus loin : Ph. Dawid, W. Twining, M. Vasilaki (eds.), Evidence, Inference and Enquiry, Oxford University Press, 2011. M. Di Bello, B. Verheij, Evidential Reasoning, in G. Bongiovanni et al. (eds.), Handbook of Legal Reasoning and Argumentation, Springer, 2018, p. 447. R. Hastie (ed.), Inside the Juror. The Psychology of Juror Decision Making, Cambridge University Press, 1993. D. Schum, The Evidential Foundations of Probabilistic Reasoning, Northwestern University Press, 1994. |
[1] Comment déterminer la signification des énoncés législatifs ? Comment les articuler entre eux ? Quelle qualification juridique donner aux situations de fait ?, etc..
[2] Les publications dans ce domaine sont très nombreuses et présentent un caractère international marqué. On suggérera la lecture de L. Alexander, E. Sherwin, Demystifying Legal Reasoning, Cambridge University Press, 2008 ; P. Brunet, Le raisonnement juridique : une pratique spécifique ?, Int J Semiot Law, vol. 26, 2013, p. 767-782 ; S. Goltzberg, L’argumentation juridique, 2ème éd., Dalloz, 2015 ; G. Samuel, A Short Introduction to Judging and to Legal Reasoning, E. Elgar, 2016 ; F. Schauer, Penser en juriste. Nouvelle introduction au raisonnement juridique, trad. S. Goltzberg, Dalloz, 2018.
[3] E. Vergès, G. Vial, O. Leclerc, Droit de la preuve, Puf, 2015, n° 5.
[4] Ce qui, en droit français, est le cas général : ibid., n° 68 et s. et n° 265 et s..
[5] Sur l’importance du point de vue (standpoint) dans les raisonnements probatoires : T. Anderson, D. Schum, W. Twining, Analysis of Evidence, 2d ed., Cambridge University Press, 2005, p. 115.
[6] O. Leclerc, Can There Be a Science of Proof ? A Cross-Atlantic Dialogue (1898-1947), in V. Klappstein and M. Dybowski (eds.), Theory of Legal Evidence. Evidence in Legal Theory, Spinger, à paraître.
[7] W.A. Wagenaar, P.J. van Koppen, H.F.M. Crombag, Anchored Narratives: The Psychology of Criminal Evidence, Harvester Wheatsheaf, 1993 ; M. Saks, B. Spellman, The Psychological Foundations of Evidence Law, New York University Press, 2016, p. 33-56.
[8] Pour une présentation didactique des différents biais de raisonnement, voir K. Manktelow, Reasoning and Thinking, Psychology Press, 1999, p. 54 et s..
[9] L. Schneps, C. Colmez, Les maths au tribunal. Quand les erreurs de calcul font les erreurs judiciaires, Seuil, 2015.
[10] Pour une présentation synthétique : E. Vergès, G. Vial, O. Leclerc, Droit de la preuve, préc., p. 130 et s..
[11] Sur cette notion : O. Leclerc, Les inférences dans les raisonnements probatoires, Droit & Philosophie, n° 11, 2019, pp. 109-128.
[12] Ibid.
[13] On reprend ici la typologie proposée par John Henry Wigmore : J. H. Wigmore, The Science of Judicial Proof as Given by Logic, Psychology, and General Experience and Illustrated in Judicial Trials, Boston, Little, Brown & Co., 3d ed., 1937, p. 46.
[14] Le rapport de vraisemblance (likelihood ratio) se calcule en divisant la probabilité de la proposition sachant que l’hypothèse est vraie par la probabilité de la proposition sachant que l’hypothèse est fausse : P(E|H)/P(E|¬H).
[15] Pour une présentation détaillée : J. H. Wigmore et O. Leclerc, Un jalon vers une «science de la preuve» : la représentation graphique des raisonnements probatoires, Dalloz, 2019.
[16] La construction des réseaux bayésiens est une opération complexe. Pour une présentation détaillée : A. Darwiche, Modeling and Reasoning with Bayesian Networks, Cambridge University Press, 2009.
[17] W. Bennett, M. Feldman, Reconstructing Reality in the Courtroom, Rutgers University Press, 1982 ; N. Pennington, R. Hastie, « A Cognitive Model of Juror Decision Making: The Story Model », Cardozo L. Rev., vol. 13, 1991, p. 519.
[18] En l’occurrence, la probabilité de certains éléments de preuve peut être élevée, réduite pour d’autres : ce qui compte ici est l’incidence qu’ils ont ensemble sur la probabilité de l’hypothèse considérée (c’est-à-dire sur la probabilité que le fait à prouver soit vrai).
[19] J. Ferrer Beltrán, Prueba y verdad en el derecho, Marcial Pons, 2002, p. 37 et s..
[20] C’est à ce titre que la mise en œuvre de l’intime conviction fait l’objet d’études psychologiques. Voir par ex., C. Esnard, R. Dumas, L’intime conviction : entre cadres légaux, représentations et pratiques chez les magistrats et jurés en cour d’assises, Bulletin de psychologie, n° 559, 2019, p. 53 ; M. Bénézech, L’intime conviction dans le procès pénal : approche médico-psychologique, Annales Médico-Psychologiques, n° 173, 2015, p. 587.
[21] Ainsi, le fait sera considéré comme prouvé, au vu du standard civil preponderance of the evidence, si la probabilité de son existence est supérieure à 50 %. Dans le procès pénal, il faut que cette probabilité dépasse un seuil plus élevé, par exemple 90 %, voire 99 %.
[22] Ainsi qu’à des paradoxes logiques qui en diminuent la pertinence : M. S. Pardo, The Paradoxes of Legal Proof: A Critical Guide, Boston U. L. Rev., vol. 99, 2019, p. 233.
[23] Dans une étude devenue classique, Larry Laudan montre que les juridictions américaines n’ont pas la même compréhension ce que signifient les standards de preuve applicables : L. Laudan, Truth, Error and Criminal Law. An Essay in Legal Epistemology, Cambridge University Press, 2006, p. 29 et s..
[24] Si l’on admet que les juges soupèsent les récits concurrents formulés par les parties, ils devront considérer que le fait est prouvé si un récit est convaincant dans une mesure qui franchit le standard de preuve applicable : R. J. Allen, M. S. Pardo, Relative Plausibility and Its Critics, The International Journal of Evidence & Proof, vol. 23, n° 1-2, 2019, p. 5.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471386
Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 22 novembre 2019, n° 420067, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4886Z3D)
Lecture: 17 min
N1397BYE
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Mireille Le Corre, Rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 04 Décembre 2019
Ce pourvoi pose trois questions de procédure contentieuse, relatives à la délégation au sein de la juridiction administrative ainsi qu’à la possibilité de contester une irrégularité de procédure en appel.
1. Un mot rapide sur les faits du seul point de vue de la procédure contentieuse
La commune d’Orléans a saisi en 2011 le tribunal administratif d’Orléans d’une demande de condamnation de plusieurs sociétés en réparation de désordres survenus lors de la réalisation d’un centre de conférence. La commune, indemnisée par son assureur,
Après la remise d’un rapport d’expertise et le dépôt de plusieurs mémoires des nombreuses parties dans ce litige, le rapporteur du tribunal administratif a adressé notamment à la SMA une lettre, en date du 13 avril 2017, lui demandant, en application des dispositions du second alinéa de l’article R. 611-8-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2814LPW), de produire un mémoire récapitulatif reprenant les conclusions et moyens qu’elle entendait maintenir dans le cadre de ses deux demandes. La SMA n’a produit ces mémoires que le 16 juin 2017, soit après l’expiration du délai d’un mois prescrit. En conséquence, le vice-président du tribunal administratif a jugé que la SMA devait être regardée comme s’étant désistée de ses demandes.
La SMA a fait appel, mais le président de la 4ème chambre de la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté cet appel comme manifestement irrecevable. La SMA se pourvoit en cassation.
2. Il nous faut combiner deux articles du Code de justice administrative, le premier sur la demande de production d’un mémoire récapitulatif, le second sur les délégations.
L’article R. 611-8-1 prévoit que «le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction peut demander à l'une des parties de reprendre, dans un mémoire récapitulatif, les conclusions et moyens précédemment présentés dans le cadre de l'instance en cours, en l'informant que, si elle donne suite à cette invitation, les conclusions et moyens non repris seront réputés abandonnés […] Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction peut en outre fixer un délai, qui ne peut être inférieur à un mois, à l'issue duquel, à défaut d'avoir produit le mémoire récapitulatif […], la partie est réputée s'être désistée de sa requête ou de ses conclusions incidentes […]».
Par ailleurs, l’article R. 611-10, dans sa version applicable au litige (N° Lexbase : L5917IGA), prévoit, d’une part, que «sous l'autorité du président de la chambre à laquelle il appartient et avec le concours du greffier de cette chambre, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires […]», d’autre part, que «le président de la formation de jugement peut déléguer au rapporteur les pouvoirs qui lui sont conférés par» différents articles, notamment l’article R. 611-8-1.
Ces textes permettent ainsi à un rapporteur, par délégation du président, de demander aux parties de produire un mémoire récapitulatif dans un délai défini, faute de quoi la partie concernée est réputée s’être désistée. Les conséquences sont ainsi radicales, mais on en comprend aisément l’intérêt, dans un souci de bonne administration de la justice, et pour faciliter le travail du juge, en particulier en cas de procédures complexes.
3. Vous avez été amenés à préciser la portée de ces dispositions relatives à la demande de mémoire récapitulatif et à ses effets.
D’abord, le juge n'est pas tenu d'indiquer les motifs pour lesquels il a estimé qu'il y avait lieu de demander la production d'un tel mémoire. A l'occasion de la contestation de l'ordonnance prenant acte du désistement, ces motifs ne peuvent être utilement discutés. Ce qui incombe au juge, c’est de vérifier que l'intéressé a reçu la demande, que celle-ci fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, enfin que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile (CE, 25 juin 2018, n° 416720, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9108XTI) [1].
Très récemment, par votre décision du 24 juillet dernier (CE, n° 423177, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4217ZLR), vous avez néanmoins apporté un encadrement à ce dispositif. Afin d’en éviter un usage abusif, vous avez retenu qu’il appartenait néanmoins au juge de cassation de censurer l'ordonnance qui lui est déférée dans le cas où il juge estime qu'il a été fait un usage abusif de cette faculté.
4. Dans le litige qui nous intéresse, le président de la 4ème chambre de la cour a retenu deux éléments. Il a estimé, d’une part, que l’existence de la délégation de signature du président au rapporteur n’était pas sérieusement contestée, d’autre part qu’en tout état de cause, en signant lui-même les ordonnances litigieuses, le président de la formation de jugement devait être regardé comme «s’étant approprié les actes d’instruction pris sous son autorité et énumérés dans les visas de ces ordonnances».
5. Première question : la société requérante soutient que la cour a méconnu son office en ne vérifiant pas, en usant de ses pouvoirs d’instruction, si le rapporteur avait reçu délégation au motif que l’existence de cette délégation n’était pas sérieusement contestée. Cette question présuppose donc qu’une délégation doit être écrite et préalable à l’acte réalisé sur son fondement.
S’agissant de l’administration, lorsque le moyen tiré de l’absence de délégation de signature est soulevé, le juge doit demander à l’administration de la produire ou, le cas échéant, la trouver lui-même puisqu’elle est assimilée à une mesure réglementaire (CE, 26 septembre 2001, n° 206386, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4400AWU).
La transposition au cas qui nous intéresse ne va, il est vrai, pas de soi : d’une part, les textes évoquent ici une délégation et non une délégation de signature, d’autre part, ce qui vaut pour l’administration ne vaut pas nécessairement pour la juridiction administrative. Mais sur ce point, bien qu’il puisse paraître formaliste d’exiger l’existence d’une délégation écrite et sa production, le cas échéant, nous ne voyons pas de raison de «dégrader» votre niveau d’exigence pour la juridiction administrative.
Par ailleurs, si nous comparons la rédaction respective des deux alinéas de l’article R. 611-10, dans sa version applicable au litige, le premier prévoit une compétence directe du rapporteur, certes «sous l'autorité du président de la chambre» mais sans nécessité de délégation, pour déterminer le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires. Le second, qui nous intéresse, prévoit la possibilité pour le rapporteur d’exercer des pouvoirs qui relèvent normalement du président de la formation, sur délégation de celui-ci.
Si la demande de production du mémoire récapitulatif relevait d’un pouvoir normal du rapporteur sous l’autorité du président, la rédaction aurait pu le prévoir ainsi. Nous comprenons que compte tenu des effets automatiques et importants de cette demande en l’absence de réponse, ce pouvoir soit exercé sur délégation du président. La distinction est ainsi faite entre ce qui relève des pouvoirs du rapporteur d’une part sous l’autorité du président et d’autre part sur délégation de celui-ci. Il nous semble que la délégation doit se traduire par un acte qui l’autorise, le cas échéant, puisqu’elle n’est qu’une possibilité donnée au président.
Enfin, nous nous sommes interrogée sur les pratiques exercées dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, ainsi que dans les juridictions judiciaires. Or, les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel ont précisément déjà recours à des délégations préalables et écrites. Et c’est aussi une exigence au sein de la juridiction judiciaire [2]. Il ne s’agit donc pas d’une contrainte nouvelle et qui serait excessive si vous en reteniez le principe.
6. Vous pourriez toutefois sauter l’obstacle posé par ce moyen si vous suiviez l’autre partie du raisonnement de l’ordonnance attaquée. En effet, par un motif surabondant, elle retient qu’«en tout état de cause» le président a en quelque sorte régularisé la procédure en signant lui-même l’ordonnance finale.
Cette solution est tentante : puisque le président peut déléguer ce pouvoir, il peut réparer son omission a posteriori en validant la procédure. La régularisation est d’ailleurs, comme vous le savez, un mécanisme qui tend à se développer, tant par l’administration elle-même que par le juge. Mais elle nous semble ici délicate.
D’abord, cette souplesse ne ressort pas des textes. Il est possible -avec la prudence qui s’impose- de dresser là aussi certaines comparaisons entre des mesures préparatoires à des actes administratifs et des mesures d’instruction préalables à une décision juridictionnelle. Ainsi, une mesure de radiation des cadres signée par l’autorité compétente dont il n’est pas établi que la mise en demeure préalable a été prise par une autorité compétente est jugée illégale (CE, 14 avril 1995, n° 131866, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0126B88).
Ensuite, il s’agit d’une mesure non seulement lourde de conséquences (acter le désistement), mais aussi dont les effets revêtent une forme d’automaticité après son déclenchement. Une fois la lettre de demande de mémoire récapitulatif transmise et une fois le délai passé, le président n’a pas le choix : il doit constater le désistement d’office et l’autre partie est en droit de le demander. Son pouvoir est ainsi guidé par celui d’un rapporteur qui n’avait pourtant pas compétence, sans délégation, pour déclencher la procédure.
Disant cela, nous n’estimons pas que ce critère de la compétence en quelque sorte liée en fin de procédure doive vous déterminer. Nous pensons, de façon générale, que lorsqu’une délégation est requise, elle doit être préalable et ne peut être régularisée par un acte final compétemment signé. A fortiori, tel doit être le cas quand la décision finale est dictée par l’acte de procédure antérieur.
Vous pourriez, par ailleurs, envisager une «demie-souplesse» en permettant cette avalisation finale lorsque la délégation était en droit possible -compte tenu de son objet et de son destinataire- mais n’a pas été effectivement prise. Mais il nous paraît plus simple de vérifier l’existence même de la délégation.
Enfin, une solution «souple» ne nous paraît pas nécessaire. Les juridictions administratives sont habituées aux délégations, le code est clair, la mise en œuvre simple. Si un président constate, en cours de procédure, qu’un usage «hors des clous», sans délégation, a été mené par un rapporteur, il peut, nous semble-t-il, retirer cette mesure et en substituer une nouvelle. La régularisation via la décision juridictionnelle finale ne s’impose donc pas en cas de difficulté de ce type.
Nous pensons donc que la cour a aussi commis une erreur de droit sur ce second point.
6. Ces deux moyens pourraient vous conduire à annuler l’ordonnance, mais ils portent sur une question d’irrégularité de la procédure de première instance. Or, il est soutenu en défense que la requérante aurait dû s’en prévaloir devant les premiers juges et qu’elle ne pouvait le soulever en appel.
Certaines irrégularités de procédure doivent avoir été soulevées devant les premiers juges devant lesquels elles peuvent l’être et, en conséquence, les moyens en cause ne sont pas recevables dans une phase ultérieure de la procédure juridictionnelle, en particulier devant le juge de cassation, ainsi que le rappelle le Pdt Stahl (encyclopédie Dalloz, Contentieux administratif, Recours en cassation, point 72).
Ainsi que le souligne F. Salat-Baroux dans ses conclusions sur votre décision de Section «Mme Rochard» (CE, 5 juillet 2000, n° 189523 N° Lexbase : A9309AGU), «vous estimez qu’aucune partie n’est recevable à invoquer pour la première fois en appel ou en cassation un moyen tiré d’une irrégularité entachant la procédure de première instance ou d’appel et dont elle aurait pu se prévaloir devant ces juges, c’est le cas, par exemple, du caractère non contradictoire d’une expertise (CE 18 janvier 1974, Louria et Veuzelle, DA 1974, n° 68). Vous regardez ainsi comme irrecevables les moyens qui, n'étant pas d'ordre public, sont tirés de l'irrégularité de la procédure de première instance et qui n'ont pas été soumis à la juridiction d'appel (CE, 26 février 1958, Cayro, Rec. P .129 ou CE Sect., 7 avril 1967, Koster, p. 151 ou encore CE, 11 février 1980, Roujanski, p.11). Vous faites de même pour les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure d'appel et qui auraient pu être invoqués à ce stade de la procédure».
Vous avez retenu cette solution s’agissant d’une irrégularité lors d’une visite des lieux (CE 2° et 6° s-s-r., 12 novembre 1980, n° 2738 N° Lexbase : A8905AIN, CE, 19 mai 1983, n° 31820 N° Lexbase : A8057ALY, aux Tables sur ce point). Dans cette dernière décision, vous avez jugé que dès lors que l’intéressé n’avait formulé devant les premiers juges aucune réserve sur la régularité de cette mesure d’instruction, il n’était, dès lors, pas recevable à invoquer pour la première fois le moyen en appel. S’agissant de la possibilité de soulever en cassation de tels moyens, vous avez jugé irrecevable un moyen tiré de l’irrégularité de la procédure d’appel (il s’agissait de la désignation de deux rapporteurs successifs prévue par le Code de la santé publique), qui n’a «pas été soulevé devant le juge d’appel alors que cette partie a disposé d’un délai suffisant pour l’y contester» (CE, 20 mai 1994, n° 129568 N° Lexbase : A0887ASN, au Recueil).
Vous avez toutefois jugé possible de contester en cassation la régularité de la composition d’une formation de jugement même en l’absence de demande de récusation devant les juges du fond (CE Sect., 12 octobre 2009, n° 311641 N° Lexbase : A0760EM4, conclusions Pdt Guyomar). Cette décision est revenue sur votre jurisprudence antérieure -et notamment la décision Rochard précitée- pour la seule récusation.
Plus récemment, vous avez jugé que la circonstance qu’une partie ne s’est pas opposée à la tenue de l’audience devant le juge du référé ne faisait pas obstacle à ce qu’elle se prévale devant le juge de cassation de l’irrégularité du procédé de communication mis en œuvre pour relier en direct à la salle d’audience les magistrats des tribunaux administratifs d’outre-mer dont la venue à l’audience n’était pas matériellement possible (CE, 24 octobre 2018, n° 419417 N° Lexbase : A9515YHU, au Recueil).
Faut-il déduire de ces différentes décisions que lorsqu’est en cause la formation de jugement ou la tenue de l’audience, il est possible de contester en appel ou en cassation ce qui ne l’a pas été dans les étapes précédentes, alors que certaines irrégularités de procédure se produisant plus tôt, au cours de la procédure d’instruction, doivent avoir été soulevées devant les premiers juges, en temps utile ?
Nous ne sommes pas certaine de pouvoir dresser une telle ligne de partage, mais elle nous semble préserver la possibilité de contester ultérieurement des points à la fois importants et se situant à un stade avancé de la procédure devant les premiers juges (la formation de jugement, l’audience) et seulement ces points.
D’ailleurs, même s’agissant de la fin de la procédure, vous avez apporté un tempérament à votre jurisprudence «Communauté d’agglomération du pays de Martigues» (CE, 21 juin 2013, n° 352427 N° Lexbase : A2099KH9, au Recueil) avec votre décision «M. et Mme Gauchot» (CE, 1er octobre 2015, n° 366538 N° Lexbase : A5699NSU, au Recueil) : s’il ne ressort pas du dossier que les requérants se sont plaints du changement de position du rapporteur public, dans les observations orales présentées par leur avocat après les conclusions et que la note en délibéré n’en fait pas mention, l’irrégularité -tenant à la modification du sens des conclusions sans information préalable des parties- n’est pas tenue pour établie.
En l’espèce, l’hésitation est possible. Est en cause la compétence du magistrat ayant accompli une mesure d’instruction, qui plus est, décisive car conduisant, le cas échéant, à prononcer un désistement. Toutefois, le doute sur la compétence du rapporteur à signer une telle mesure d’instruction pouvait sans difficulté être soulevé dès ce stade de la procédure d’instruction. Qui plus est, il ne s’agissait que d’un doute, que la production de la délégation de signature suffisait à lever.
La partie qui souhaite soulever cette irrégularité n’est pas, dans un tel cas, confrontée à une situation d’urgence qui justifierait qu’elle n’ait pu réagir en temps utile devant les premiers juges. Recevant une demande de production d’un mémoire récapitulatif signée du rapporteur, elle dispose d’un délai qui ne peut être inférieur à un mois pour interroger la juridiction en cas de doute sur le signataire de la mesure qui lui est adressée.
La société SMA était, en l’espèce, parfaitement en mesure de soulever ce point devant le tribunal administratif. Pour reprendre les termes du président Schwartz dans ses conclusions sur la décision «Durif» n° 129568 précitée, il s’agit «d’un moyen qui s’est révélé en cours de procédure juridictionnelle et que les parties pouvaient invoquer en temps utile devant la juridiction concernée».
Nous vous proposons donc de retenir que ces moyens étaient irrecevables en appel.
Précisons très brièvement que les autres moyens n’ont pas vocation à vous retenir :
- l’ordonnance est suffisamment motivée ;
- le juge n’est pas tenu d’indiquer les motifs de la demande de production du mémoire récapitulatif, comme nous l’avons dit ; s’agissant du délai d’un mois considéré comme trop bref, vous avez déjà jugé que ces dispositions ne méconnaissaient pas le droit à un recours juridictionnel effectif [3] ; et en l’espèce, il n’y a pas de dénaturation à avoir jugé que le délai était suffisant ;
- enfin, d’une part, dès lors que le juge n’est pas tenu de motiver sa demande, la production de mémoires récapitulatifs en 2014 ne rend pas par elle-même illégale une demande du juge en 2017 car des événements nouveaux ont pu intervenir lors de l’instruction, d’autre part la circonstance que les mémoires aient quand même été produits, en 2017, avant la clôture de l’instruction, est sans incidence puisqu’ils l’ont néanmoins été après le délai imparti.
Par ces motifs, nous concluons :
- au rejet du pourvoi ;
- à ce que la société SMA verse aux sociétés Gallier et Qualiconsult la somme globale de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).
[1] Vous avez aussi jugé que la procédure prévue par l’article R. 611-8-1 pouvait être mise en œuvre après la clôture de l’instruction (CE, 8 février 2019, n° 418599, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6225YWH).
[2] Le Code de procédure civile et le code de l’organisation judiciaire prévoient divers mécanismes de délégation, par lesquels le président de la juridiction ou d’une chambre peut se dessaisir des pouvoirs qui lui sont conférés et les transférer à un autre magistrat.
[3] CE, 13 février 2019, n°s 406606, 410872, 419467 (N° Lexbase : A9100YWX).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471397
Réf. : Cass. civ. 3, 28 novembre 2019, n° 17-22.810, F-P+B+I (N° Lexbase : A3478Z4L)
Lecture: 3 min
N1391BY8
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 04 Décembre 2019
► Si la mesure d’expulsion d’un occupant sans droit ni titre caractérise une ingérence dans le droit au respect du domicile de celui-ci, protégé par l’article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR), cette ingérence, fondée sur l’article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4), selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, et sur l’article 545 du même code (N° Lexbase : L3119AB7), selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité, vise à garantir au propriétaire du terrain le droit au respect de ses biens, protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1364A9E) et par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la convention précitée (N° Lexbase : L1625AZ9) ;
► l’expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété.
Tel est le rappel opéré par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 28 novembre 2019 (Cass. civ. 3, 28 novembre 2019, n° 17-22.810, F-P+B+I N° Lexbase : A3478Z4L) ; cf. récemment en ce sens de l’affirmation de la suprématie du droit de propriété sur le droit au logement, et dont il résulte que la gravité de l’atteinte portée par une occupation illégale établit en soi l’absence de disproportion de la mesure d’expulsion ordonnée, rendant inopérant l'exercice d'un contrôle de proportionnalité par les juges : Cass. civ. 3, 4 juillet 2019, n° 18-17.119, FS-P+B+I N° Lexbase : A7571ZHU ; Cass. civ. 3, 17 mai 2018, n° 16-15.792, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A9690XMT et le commentaire de J. Laurent, Propriété versus droit au respect du domicile de l’occupant illégal : les mesures d’expulsion et de démolition passent le contrôle de proportionnalité !, Lexbase, éd. priv., n° 746, 2018 N° Lexbase : N4653BXM).
En l’espèce, une commune, propriétaire de parcelles en bordure d’autoroute sur lesquelles était installé un campement de gens du voyage, avait assigné en référé les occupants pour obtenir leur expulsion.
Pour rejeter la demande, la cour d’appel avait retenu que, si les personnes dont l’expulsion était demandée occupaient sans droit ni titre depuis 2015 deux parcelles appartenant à la commune et que le trouble manifestement illicite était avéré du fait d’une occupation irrégulière des lieux, il ressortait cependant des pièces versées aux débats que l’expulsion était de nature à compromettre l’accès aux droits, notamment, en matière de prise en charge scolaire, d’emploi et d’insertion sociale, de familles ayant établi sur les terrains litigieux leur domicile, même précaire, en l’absence de toute proposition de mesures alternatives d’hébergement de la part des pouvoirs publics, de sorte que la mesure sollicitée apparaissait disproportionnée au regard des droits au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, à la protection de leur domicile et à la préservation de l’intérêt de leurs enfants.
A tort. La décision est censurée par la Cour suprême qui rappelle les principes précités.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471391
Réf. : Ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019, relative à la rémunération des mandataires sociaux des sociétés cotées (N° Lexbase : L6994LT9) ; décret n° 2019-1235 du 27 novembre 2019, portant transposition de la Directive (UE) 2017/828 du 17 mai 2017 modifiant la Directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires (N° Lexbase : L6905LTW)
Lecture: 6 min
N1384BYW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Téchené
Le 03 Décembre 2019
► Une ordonnance, publiée au Journal officiel du 28 novembre 2019, prise en application de l'article 198 de la «PACTE» (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK) procède à la transposition de la Directive 2017/828 du 17 mai 2017 en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires (N° Lexbase : L7431LEX) et crée un dispositif unifié et contraignant encadrant la rémunération des dirigeants des sociétés cotées (ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019, relative à la rémunération des mandataires sociaux des sociétés cotées N° Lexbase : L6994LT9).
A cet effet, l'article 1er de l’ordonnance transpose les dispositions de l'article 9 bis (vote ex ante) et 9 ter (vote ex post) de la Directive, tout en proposant, un dispositif unifié et contraignant encadrant la rémunération des dirigeants des sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé (sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions). Ce dispositif s'articule autour d'un double vote de l'assemblée générale des actionnaires. Un premier vote, ex ante, qui fait l'objet des nouveaux articles L. 225-37-2 (N° Lexbase : L7132LTC), pour les sociétés anonymes, et L. 226-8-1 (N° Lexbase : L7137LTI), pour les sociétés en commandite par actions, du Code de commerce porte sur la politique de rémunération des dirigeants de la société. Contrairement à la Directive qui fait couvrir à la politique de rémunération l'intégralité des rémunérations versées par la société, le droit français existant présente la spécificité de connaitre deux dispositifs distincts : l'un concernant les rémunérations en cours de fonction, l'autre concernant les engagements permettant de rémunérer un dirigeant au moment d'un changement de fonction ou de son départ, ou postérieurement à ce dernier. La périodicité de vote prévue par la Directive -tous les quatre ans et à chaque changement important- n'est pas reprise par l'ordonnance, qui maintient sur ce point le droit français préexistant, prévoyant un vote annuel. Le droit français n'est pas modifié, non plus, concernant le régime applicable en cas de désapprobation, par l'assemblée générale, de la politique de rémunération.
Un second vote, ex post, porte sur le rapport présentant le détail des rémunérations versées ou attribuées aux dirigeants durant l'exercice écoulé ainsi qu'un ensemble d'information s'y rapportant. L'ordonnance dresse la liste de ces informations à l'article L. 225-37-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7131LTB), complétant ainsi le rapport sur le gouvernement d'entreprise.
Respectant la demande faite par l'habilitation de mettre en place un dispositif «unifié et contraignant», l'ordonnance associe un système de sanction à ces votes. Ces dispositions sont applicables à compter des assemblées générales statuant sur le premier exercice clos après le 28 novembre 2019.
Cette ordonnance est complétée d’un décret, également publié au Journal officiel du 28 novembre 2019, qui fixe, notamment, le contenu et les éléments de niveau réglementaire du régime du dispositif encadrant la rémunération des dirigeants des sociétés cotées (décret n° 2019-1235 du 27 novembre 2019, portant transposition de la Directive (UE) 2017/828 du 17 mai 2017 modifiant la Directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires N° Lexbase : L6905LTW). Il précise ainsi le contenu de la politique de rémunération pour les différentes formes de sociétés, et fixe les éléments de publicité et de protection des données personnelles applicables aux informations annuelles sur les rémunérations (art. 1er).
En deuxième lieu, ce décret précise la nature des informations à publier concernant les conventions réglementées conclues tant par des sociétés anonymes à conseil d'administration que par les sociétés anonymes à conseil de surveillance (applicable aux sociétés en commandite par actions). Il liste des informations à publier sur le site internet des sociétés concernant les conventions intervenant directement ou par personne interposée entre la société et l'un de ses dirigeants ou actionnaires disposant d'une fraction de droits de vote supérieure à 10 %, au plus tard au moment de leur conclusion (art. 2).
En troisième lieu, ce décret précise les informations et les délais applicables à la procédure d'identification des propriétaires des titres, identifiables par la procédure des titres au porteur identifiable, prévue aux articles L. 228-2 (N° Lexbase : L5238LQ3) et suivants du Code de commerce. Dans l'attente de l'application du Règlement d'exécution (UE) n° 2018/1212 du 3 septembre 2018 (N° Lexbase : L8076LLP), prévue au 3 septembre 2020, les informations fixées par le décret sont les mêmes que celles prévues, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi «PACTE», qui les place à un niveau réglementaire, par l'article L. 228-2 du Code de commerce. Ces informations sont complétées de certaines informations facultatives, permettant de concourir à la bonne connaissance par les émetteurs des porteurs des titres. De même, les délais fixés par le décret sont également les mêmes que celui prévu, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi «PACTE».
En quatrième lieu, le décret fixe le contenu et les éléments de niveau réglementaire du régime de la politique d'engagement actionnarial et de son compte-rendu annuel, ainsi que de la transparence des gestionnaires d'actifs et des investisseurs institutionnels dans le cadre de leur politique d'investissement. Le contenu de la politique d'engagement actionnarial et de son compte rendu annuel, mentionnée au I de l'article L. 533-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5248LQG), sont ainsi fixés en reprenant les dispositions de la Directive, et fonctionnent sur le principe «comply or explain». Ces deux documents sont diffusés sur le site internet des sociétés concernées. D'autre part, le décret détaille les informations qui doivent être transmises par les gestionnaires d'actifs aux investisseurs institutionnels, afin que ce dernier puisse être informé de la manière dont la stratégie d'investissement déployée respecte les dispositions de ce contrat et contribuent aux performances à moyen et long terme des actifs du cocontractant ou du placement collectif. D’autre part, il détaille le contenu de la publicité dont doivent faire preuve les investisseurs institutionnels concernant les contrats qu'ils sont susceptibles de passer avec des gestionnaires d'actifs (art. 4 et 5). Enfin, le décret précise le contenu des informations publiques dans le cadre de la transparence des conseillers en vote, et impose de faire état de l'application d'un code de conduite (art. 6).
Les personnes soumises à l'obligation de publication des frais associés à chaque type de service sur leur site internet doivent publier cette information au plus tard trois mois après la publication du présent décret, soit le 28 février 2020.
De même, les personnes soumises à une obligation de communication ou de publication d'informations en application des articles 4, 5 et 6 communiquent ou publient ces informations au plus le 28 février 2020.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:471384