Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 30 septembre 2019, n° 415333, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1211ZQW)
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N0659BY3
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par Marie-Claire Sgarra
Le 08 Octobre 2019
►L'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire n'est susceptible d'entraîner la remise de la pénalité pour distributions occultes et, par suite, de faire obstacle à la mise en jeu, à ce titre, de la responsabilité solidaire du dirigeant gestionnaire de la société à la date de leur versement ou, à défaut de connaissance de cette date, à la date de déclaration des résultats de l'exercice au cours duquel les versements ont eu lieu, que dans l'hypothèse où cette pénalité est due à la date d'ouverture de la procédure judiciaire, c'est-à-dire lorsque cette procédure est ouverte postérieurement à la notification à la société de l'avis de mise en recouvrement de cette pénalité.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 30 septembre 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 30 septembre 2019, n° 415333, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1211ZQW).
En l’espèce, une SARL dont la requérante était la gérante a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire. A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a demandé que lui soient désignés les bénéficiaires des revenus distribués par cette société. En l’absence d’une réponse, elle a appliqué à la société la pénalité de 100 % prévue par l’article 1759 du Code général des impôts (N° Lexbase : L1751HN8). La liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif de la société ayant été prononcée, cette pénalité a été mise à la charge la requérante en sa qualité de débitrice solidaire. Le tribunal administratif de Grenoble (TA de Grenoble, 26 juin 2015, n° 1105203 N° Lexbase : A4131WRG) rejette sa demande tendant à la décharge de l’obligation de payer cette pénalité. La cour administrative d’appel de Lyon (CAA de Lyon, 31 août 2017, n° 15LY03010 N° Lexbase : A0963WR4) confirme ce jugement.
Ici, les procédures de redressement puis de liquidation judiciaire ont été respectivement ouvertes par jugements des 4 avril et 27 juin, soit antérieurement à la notification de la mise en recouvrement de la pénalité litigieuse intervenue le 10 novembre 2008, ce dont le Conseil d’Etat conclut au rejet du pourvoi (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X5689ALB).
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Réf. : Cons. const., décision n° 2019-806 QPC du 4 octobre 2019 (N° Lexbase : A4071ZQT)
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N0649BYP
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par Laïla Bedja
Le 09 Octobre 2019
► En autorisant le pouvoir réglementaire à prévoir des taux particuliers de cotisations sociales pour les assurés sociaux qui, n'étant pas des résidents fiscaux en France, ne sont pas assujettis à la contribution sociale généralisée sur les revenus d'activité et de remplacement, le législateur a cherché à éviter que ceux-ci puissent bénéficier de la baisse attendue des taux de cotisations sociales sans subir, en contrepartie, la hausse de la contribution sociale généralisée. Ce faisant, il a entendu que les assurés sociaux participent de manière équivalente au financement des régimes obligatoires d'assurance maladie. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général ;
d'autre part, la différence de traitement ainsi instaurée est en rapport direct avec l'objet des cotisations sociales, tel qu'il doit s'entendre dans le cadre d'un système de financement mixte de la protection sociale, pour des prestations d'assurance maladie, maternité, invalidité ou décès dont le niveau n'est pas nécessairement lié à la durée pendant laquelle ces cotisations ont été versées ou à leur montant ;
cependant, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, être interprétées comme autorisant le pouvoir réglementaire à retenir des taux particuliers de cotisations sociales de nature à créer des ruptures caractérisées de l'égalité dans la participation des assurés sociaux au financement des régimes d'assurance maladie dont ils relèvent ;
Ainsi, la première phrase du second alinéa de l'article L. 131-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8693LHG), qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit, sous la même réserve, être déclarée conforme à la Constitution.
C’est en ces termes que s’est prononcé le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 4 octobre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-806 QPC du 4 octobre 2019 (N° Lexbase : A4071ZQT).
La saisine. Les Sages ont été saisis le 5 juillet 2019 par la Cour de cassation (Cass. QPC, 4 juillet 2019, n° 19-40.020, F-D N° Lexbase : A2927ZIA ; lire notre brève, Lexbase éd. soc, n° 790, 2019 N° Lexbase : N9835BXK) de la question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : «La question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions de l'article L. 131-9 du Code de la Sécurité sociale prises en violation du principe d'égalité des citoyens devant la loi prévu par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M) et du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques prévu par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L4746AQT)».
Le requérant soutient notamment que ces dispositions seraient contraires aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques en ce qu'elles institueraient une différence de traitement injustifiée entre les assurés sociaux relevant d'un même régime obligatoire d'assurance maladie, selon qu'ils satisfont ou non aux critères de résidence fiscale définis à l'article L. 136-1 du Code de la Sécurité sociale.
Enonçant la solution précitée, le Conseil constitutionnel déclare la disposition conforme à la Constitution.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2019-807 QPC, du 4 octobre 2019 (N° Lexbase : A5064ZQM)
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N0660BY4
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par Marie Le Guerroué
Le 09 Octobre 2019
► Les dispositions de l'article L. 556-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9277K4D) concernant les demandes d'asile en rétention, qui prévoient que toute contestation portant sur l'existence, la date ou le contenu de l'arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d'asile formalisée en cours de rétention relève de la compétence du juge administratif ne portent pas atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe de liberté individuelle, et au droit à un recours juridictionnel effectif.
Telle est la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 4 octobre 2019 (Cons. const., décision n° 2019-807 QPC, du 4 octobre 2019 N° Lexbase : A5064ZQM).
Renvoi. Le Conseil constitutionnel avait été saisi par la Cour de cassation le 11 juillet 2019 (Cass. civ. 1, 11 juillet 2019, n° 18-26.232, FS-D N° Lexbase : A3416ZKQ) d’une question prioritaire de constitutionnalité interrogeant sur la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 556-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
QPC. La question posée par le requérant était la suivante : «Les dispositions de l'article L. 556-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile concernant les demandes d'asile en rétention -lesquelles, selon l'interprétation de la Cour de cassation, prévoient que toute contestation portant sur l'existence, la date ou le contenu de l'arrêté de maintien en rétention faisant suite à une demande d'asile formalisée en cours de rétention échappe au contrôle du juge judiciaire pour relever de la compétence du juge administratif- portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe de liberté individuelle, et au droit à un recours juridictionnel effectif ?».
Article 66. Les Sages rappelle l’incompétence du juge judiciaire pour connaître des contestations portant sur la légalité de l’arrêté de maintien en rétention et la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point (V., Cass. civ. 1, 27 septembre 2017, deux arrêts FS-P+B+R+I, n° 17-10.207 N° Lexbase : A1403WT7 et n° 17-10.206 N° Lexbase : A1405WT9 ; v., S. Slama, Rétention administrative : la Cour de cassation ne franchit pas le rubicond du contrôle de la légalité de la mesure d'éloignement par voie d'exception, in Hebdo, éd. pub., n° 477 N° Lexbase : N0731BXD ; Cass. civ. 1, 6 mars 2019, n° 18-13.908, FS-P+B N° Lexbase : A0223Y3N).
Le Conseil constitutionnel ajoute, ensuite, que le dépôt de la demande d'asile qui donne droit à la délivrance d'une attestation de demande d'asile valant autorisation provisoire de séjour est de nature à mettre fin à la procédure d'éloignement et donc à la rétention. Ainsi, alors même qu'elle a pour effet de laisser perdurer une mesure privative de liberté, la décision par laquelle l'autorité administrative décide de maintenir en rétention un étranger au motif que sa demande d'asile a été présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement constitue une décision relative au séjour des étrangers. Or, l'annulation ou la réformation d'une décision relative à une telle matière, prise dans l'exercice de prérogative de puissance publique par une autorité administrative, relève, en application du principe fondamental de séparation des pouvoirs, de la compétence de la juridiction administrative.
Il ajoute, que le premier alinéa de l'article L. 556-1 précité prévoit que la décision de maintien en rétention n'affecte ni le contrôle du juge des libertés et de la détention exercé sur la décision de placement en rétention ni sa compétence pour examiner la prolongation de la rétention et que, d'autre part, les dispositions contestées ne privent pas le juge judiciaire de la faculté d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient et pour tout autre motif que celui tiré de l'illégalité des décisions relatives au séjour et à l'éloignement de l'étranger qui relèvent de la compétence du juge administratif. Enfin, pour les juges constitutionnels, si le législateur peut, dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé, il n'est pas tenu de le faire. Le législateur n’a donc pas méconnu l’article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L0895AHM).
Effectivité du recours juridictionnel. Le Conseil constitutionnel énonce, d’une part, que l'étranger qui a demandé l'asile postérieurement à son placement en rétention peut déférer au juge administratif la décision de maintien en rétention. Lorsqu'aucune décision de maintien n'a été prise et qu'il n'a pourtant pas été procédé à sa libération, il peut saisir le juge administratif d'un référé-liberté afin qu'il soit enjoint à l'administration de se prononcer sur sa situation. D'autre part, il ne saurait résulter de la seule répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif. Dès lors, le grief tiré d'une méconnaissance de ce droit doit être écarté. La première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 556-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel rend donc la décision susvisée.
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Réf. : CJUE, 1er octobre 2019, aff. C-616/17 (N° Lexbase : A1225ZQG)
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N0618BYK
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par Yann Le Foll
Le 09 Octobre 2019
► Le Règlement concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (Règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009 N° Lexbase : L9336IEI), n’étant pas incompatible avec le principe de précaution, les règles procédurales applicables à l’autorisation de produits contenant du glyphosate, sont donc valables.
Ainsi statue la CJUE dans une décision rendue le 1er octobre 2019 (CJUE, 1er octobre 2019, aff. C-616/17 N° Lexbase : A1225ZQG).
Faits. En 2016, plusieurs personnes se sont introduites dans des magasins et ont dégradé des bidons de désherbants contenant du glyphosate, ainsi que des vitrines en verre. Ces faits ont conduit à l’engagement, à l’encontre de ces personnes, de poursuites pénales devant le tribunal correctionnel, du chef de dégradation ou détérioration d’un bien d’autrui commise en réunion.
Contexte. Ce produit fait débat depuis plusieurs années en France et en Europe, les pouvoirs publics étant régulièrement accusés de laxisme quant aux possibilités d’utilisation de celui-ci par les agriculteurs. Le juge administratif a pris une position plus tranchée en estimant que doit être annulée l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360 pour cause d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé humaine (TA Lyon, 15 janvier 2019, n° 1704067 N° Lexbase : A0700YT4).
Devant le tribunal correctionnel, les prévenus ont invoqué l’état de nécessité et le principe de précaution, lequel s’impose au législateur de l’Union, lorsqu’il adopte des règles régissant la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques (CJUE, 4 mai 2016, aff. C‑477/14 N° Lexbase : A3312RMM), en faisant valoir que leurs agissements avaient pour but d’alerter les magasins concernés et leur clientèle sur les dangers liés à la commercialisation, sans avertissements suffisants, de désherbants contenant du glyphosate, d’empêcher cette commercialisation et de protéger la santé publique ainsi que leur propre santé.
Renvoi. Afin de se prononcer sur le bien-fondé de cet argument, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’aptitude de la réglementation de l’Union à assurer pleinement la protection des populations et estime, dès lors, devoir statuer sur la validité du Règlement (CE) n° 1107/2009 au regard du principe de précaution, lequel, rappelons-le, s’impose
Décision. Concernant le reproche selon lequel la disposition conférant au fabricant du produit qui doit être mis sur le marché une trop grande marge d’appréciation, s’agissant de l’identification de la substance qu’il désigne comme «substance active» de son produit, la Cour indique que celui-ci ne dispose pas de la faculté de choisir discrétionnairement quel composant dudit produit doit être considéré comme étant une substance active aux fins de l’instruction de cette demande.
Concernant les dispositions du Règlement prévoyant, selon les requérants, que les analyses et évaluations contenues dans le dossier sont fournies par ce fabricant, sans contre-analyse indépendante ni publicité suffisante, la CJUE énonce qu’il n’apparaît pas de manière manifeste que les critères énoncés à cette disposition seraient insuffisants pour permettre une détermination objective des substances concernées et pour garantir que les substances jouant effectivement un rôle dans l’action des produits phytopharmaceutiques sont effectivement prises en compte lors de l’évaluation des risques résultant de l’utilisation de ces produits.
Concernant une éventuelle absence de prise en compte suffisante de la présence de plusieurs substances actives dans un même produit et du possible «effet cocktail» auquel cette circonstance peut donner lieu, les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit.
Enfin, concernant la réalisation de tests suffisants en ce qui concerne la toxicité à long terme, la CJUE rappelle qu’un produit phytopharmaceutique ne peut être autorisé que s’il est établi qu’il n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, une telle preuve devant être apportée par le demandeur. Or, un produit phytopharmaceutique ne saurait être considéré comme satisfaisant à cette condition lorsqu’il présente une forme de carcinogénicité ou de toxicité à long terme.
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Réf. : Ass. Plén., 4 octobre 2019, n° 10-19.053, P+B+R+I (N° Lexbase : A4073ZQW)
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N0651BYR
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 09 Octobre 2019
► Une GPA réalisée à l’étranger ne fait pas, à elle seule, obstacle à la reconnaissance en France d’un lien de filiation avec la mère d’intention ;
► dans le cas d’espèce, seule la transcription des actes de naissance étrangers permet de reconnaître ce lien dans le respect du droit à la vie privée des enfants.
C’est en ce sens que s’est prononcée l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans son arrêt, très attendu, rendu le 4 octobre 2019, rappelons-le dans le cadre de la procédure de réexamen de l’affaire «Mennesson», après avoir recueilli l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’Homme (Ass. Plén., 4 octobre 2019, n° 10-19.053, P+B+R+I N° Lexbase : A4073ZQW ; cf. l’Ouvrage «La filiation», La gestation ou maternité pour autrui N° Lexbase : E4415EY8).
En 2011, la Cour de cassation refuse à un couple ayant eu recours à la gestation pour autrui en Californie, la transcription en France des actes de naissance établis aux Etats-Unis, mentionnant les membres du couple comme étant le père biologique et la «mère légale», qui n’a pas accouché (Cass. civ. 1, 6 avril 2011, n° 10-19.053, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5707HMC).
En 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme, saisie par le couple, condamne la France pour atteinte au droit au respect de la vie privée des enfants (CEDH, 26 juin 2014, Req. 65192/11 N° Lexbase : A8551MR7).
En 2018, la Cour de cassation procède au réexamen de l’affaire : elle saisit la CEDH pour avis consultatif quant aux possibilités offertes pour reconnaître l’existence du lien avec la mère d’intention, en dehors de toute réalité biologique (Ass. plén., 5 octobre 2018, 2 arrêts, n° 10-19.053 N° Lexbase : A8390X8A, P+B+R+I, et les obs. d’A. Gouttenoire, Lexbase, éd. priv., n° 760, 2018 N° Lexbase : N6211BXC).
En 2019, la CEDH est d’avis qu’un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention doit pouvoir être établi, mais laisse les Etats décider du mode le plus adapté (CEDH, Gde ch., 10 avril 2019, avis n° P16-2018-001 N° Lexbase : A7859Y8L, et les obs. d’A. Gouttenoire, Lexbase, éd. priv., n° 784, 2019 N° Lexbase : N9099BXB).
Après avoir rappelé le principe d’interdiction, en droit français, des conventions de GPA, la Cour de cassation relève, toutefois, qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant (Convention de New York sur les droits de l’enfant, art. 3 § 1) et pour ne pas porter une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée (CESDH, art. 8 N° Lexbase : L4798AQR), une GPA réalisée à l’étranger ne peut faire, à elle seule, obstacle à la reconnaissance en France d’un lien de filiation avec la mère d’intention. Cette reconnaissance doit avoir lieu au plus tard lorsque le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé.
Concernant le lien avec le père biologique, il est déjà acquis, depuis 2015, qu’il peut être établi à certaines conditions par la transcription de l’acte de naissance établi dans un pays étranger (cf. Ass. plén., 3 juillet 2015, deux arrêts, n° 14-21.323 N° Lexbase : A4482NMX et n° 15-50.002 N° Lexbase : A4483NMY, P+B+R+I, note A. Gouttenoire, Lexbase, éd. priv., n° 620, 2015 N° Lexbase : N8350BUS).
Concernant le lien avec la mère d’intention, si, en droit français, la filiation peut être établie de différentes manières (acte de naissance, reconnaissance volontaire, adoption, possession d’état, jugement), dans le cas d’une GPA réalisée à l’étranger, le lien avec la mère d’intention doit être établi en privilégiant un mode de reconnaissance qui permette au juge français de contrôler la validité de l’acte ou du jugement étranger et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant.
L’adoption répond le mieux à ces exigences. Toutefois, dans cette affaire spécifique qui dure depuis plus de quinze ans, une procédure d’adoption porterait une atteinte disproportionnée à la vie privée des enfants : celles-ci sont nées depuis plus de 18 ans, leurs actes de naissance ont été établis à l’étranger dans un cadre légal et elles ne peuvent prendre l’initiative d’une adoption, dont le choix revient aux parents.
La possession d'état, quant à elle, à supposer que les conditions légales en soient réunies, n'offrirait pas une sécurité juridique suffisante.
Dans ce cas particulier, en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des enfants, et alors que la demande en réexamen a pour objet de mettre fin aux atteintes portées à la CESDH, la transcription en France des actes de naissance désignant la mère d’intention, avec laquelle le lien est depuis longtemps largement concrétisé, ne doit pas être annulée.
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Réf. : Cass. civ. 1, 12 septembre 2019, n° 18-20.472, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0801ZNY)
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N0687BY4
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Ouvrages de droit de la famille
Le 10 Octobre 2019
Alors que jusqu’à présent le contentieux relatif à la filiation d’enfants nés de GPA concernait les effets de conventions de gestation pour autrui dont l’exécution s’était déroulée sans difficulté, celle dont l’arrêt du 12 septembre 2019 est l’objet donne à voir les pires aspects de cette assistance illégale à la procréation (Cass. civ. 1, 12 septembre 2019, n° 18-20.472, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0801ZNY).
Dans un premier temps, la convention de gestation pour autrui avait été contractée en France, entre une mère porteuse et un couple d’hommes, qui avaient tous deux contribué, artisanalement semble-t-il, à la procréation. Il s’avèrera plus tard que celui des deux qui n’avait pas reconnu l’enfant pendant la grossesse était le père biologique. La mère porteuse a, ensuite, conclu une nouvelle convention de gestation pour autrui avec un couple hétérosexuel, à qui elle a confié l’enfant, faisant croire au premier couple qu’il était décédé à la naissance. Lorsqu’ils ont été avertis de la tromperie, les premiers parents d’intention ont porté plainte contre la mère porteuse pour escroquerie ; celle-ci a été condamnée pour escroquerie à 2 000 euros d’amende avec sursis par le tribunal correctionnel de Blois en 2016 [1]. La procédure pénale s’est également soldée par une condamnation de tous les parents d’intention pour provocation à l’abandon d’enfant et pour insémination artificielle par sperme frais ou mélange de spermes pour ce qui concerne le premier couple.
Le premier des deux pères d’intention, en qualité de père biologique de l’enfant, a engagé une procédure de contestation de filiation pour obtenir l’établissement de sa propre paternité, l’exercice exclusif de l’autorité parentale et le changement de nom de l’enfant, pris en charge par le second couple d’intention depuis plusieurs années.
La cour d’appel déclare irrecevable son action en contestation de paternité au motif qu’elle est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qu’approuve la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.
Cette soudaine promotion du principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de filiation est remarquable, tant en ce qui concerne le rôle inédit de l’intérêt de l’enfant dans ce domaine (I), que pour ce qui est de l’appréciation de l’intérêt de l’enfant qu’elle implique (II).
I - Une promotion inédite de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit de la filiation
L’arrêt du 12 septembre 2019 rompt avec l’attitude réservée de la Cour de cassation à propos du rôle de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit de la filiation (A) et aboutit à un résultat très étonnant quoique rendu dans un contexte particulier (B).
A - Le rôle antérieur limité de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit de la filiation
Présence sans influence. L’influence du principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit de la filiation a été, dans un premier temps, logiquement limitée compte tenu du caractère objectif du contentieux dont l’issue repose essentiellement sur les résultats d’une expertise génétique qui est de droit. Toutefois, l’intérêt de l’enfant était présent dans les arrêts de la Cour de cassation depuis 2010, tant dans le cadre de la gestation pour autrui que dans les autres contentieux, sans pour autant avoir, jusqu’alors, de véritable impact sur la mise en œuvre des règles du Code civil relative à la filiation.
1° La présence progressive de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de filiation
GPA. L’intérêt de l’enfant a, d’abord, fait un passage éclair dans le contentieux relatif à la gestation pour autrui dans la jurisprudence de la Cour de cassation [2]. Mais celle-ci l’en avait exclu, en 2013, en affirmant «qu'en présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR) ne sauraient être utilement invoqués» [3]. Les arrêts du 5 juillet 2017 [4] ont réintégré l’intérêt supérieur de l’enfant dans la problématique de la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger, en affirmant qu’«en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant déjà né, le recours à la GPA ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger lorsque les conditions de l’article 47 du Code civil sont remplies».
Autre contentieux relatif à la filiation. En dehors de la GPA, l’intérêt supérieur de l’enfant apparaît de plus en plus fréquemment dans les décisions relatives à la filiation, à compter de 2011. Ainsi, dans un arrêt du 16 juin 2011 [5], la Cour de cassation considère que «la cour d‘appel a souverainement estimé qu’il n’était pas conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant Sabrina de se voir maintenue dans un lien de filiation mensonger». De même, dans un arrêt du 24 octobre 2012 [6], elle admet que «l'intérêt supérieur de l'enfant justifie de mettre fin à une situation d'insécurité psychologique et juridique et constate qu'aucun motif légitime ne venait au soutien du refus de l'enfant de se soumettre à l'expertise biologique ordonnée» et en déduit qu’il faut rectifier la filiation de l’enfant malgré l’absence d’expertise. Si un arrêt du 29 mai 2013 [7] a pu un moment laisser croire que l’intérêt de l’enfant pouvait devenir un motif légitime pour ne pas procéder à une expertise, l'affirmation de la Cour de cassation dans les arrêts du 14 janvier 2015 [8] et du 13 juillet 2016 [9], selon laquelle l'intérêt de l'enfant ne saurait, en soi, constituer un motif légitime pour refuser une expertise biologique, est venu mettre fin à ce qui aurait pu être une influence nouvelle de l’intérêt de l’enfant dans le contentieux de la filiation. Deux arrêts de 2018 [10] vont, en outre, dans le sens d’un renforcement par l’intérêt supérieur de l’enfant de la solution consistant à faire primer la vérité biologique.
2° Une influence limitée confortant la primauté de la vérité biologique
GPA. Le recours à l’intérêt de l’enfant à propos de la filiation d’enfant né de GPA à l’étranger dans la jurisprudence de la Cour de cassation, depuis 2018, vient conforter la solution de la reconnaissance de la filiation à l’égard du père d’intention qui est aussi le père biologique, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme [11].
Contentieux hors GPA. Les arrêts récents de la Cour de cassation relatifs à un conflit entre filiation sociale et filiation biologique semblent considérer que l’intérêt de l’enfant est de connaitre sa filiation biologique et de voir celle-ci prévaloir sur la filiation sociale. Ainsi, dans l’un des arrêts du 3 octobre 2018 [12], elle approuve les juges du fond d’avoir considéré qu’«au titre des droits fondamentaux de l’enfant figure le droit à la vérité sur ses origines et que pour s’opposer à la demande d’expertise les époux B. ne pouvaient faire valoir le prétendu intérêt de l’enfant qui vit depuis sa naissance à leur foyer». Dans le même sens, dans un arrêt du 7 novembre 2018 [13], la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré «qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur de A. de dissimuler sa filiation biologique et de la faire vive dans un mensonge portant sur un élément essentiel de son histoire». Cette décision reprend une solution déjà énoncée dans un autre arrêt du 16 juin 2011 [14]. Elle s’inscrit, en outre, dans le sillage de l’arrêt «Mandet c/ France» [15] dans lequel la Cour européenne des droits de l’Homme considère que la remise en cause de la filiation d’un enfant ne correspondant pas à la vérité biologique n’est pas contraire à son intérêt supérieur. Il est donc d’autant plus étonnant que l’arrêt du 12 septembre 2019 approuve une solution tout à fait inverse.
B - Une solution (d)étonnante dans un contexte particulier
Fondement. L’arrêt du 12 septembre 2019 est rendu au fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, et non de l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui consacre formellement le principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, puisque c’est le père biologique qui agit et qu’il n’est pas titulaire, par hypothèse, des droits consacrés par la CIDE. Il a fondé son recours sur son droit au respect de la vie privée, consacré par l’article 8 de la Convention, puisque selon la jurisprudence constante de la Cour européenne, le droit de voir reconnaître sa paternité relève de ce fondement [16].
Contexte spécifique. La Cour de cassation commence par rappeler le contexte dans lequel l’arrêt a été rendu, ce qui pourrait indiquer son intention d’en limiter la portée aux hypothèses de convention de GPA, dont elle met en avant l’illégalité en visant les articles 16-7 (N° Lexbase : L1695ABE) et 16-9 (N° Lexbase : L1697ABH) du Code civil. Elle approuve la cour d’appel d’avoir déduit l’irrecevabilité de l’action en contestation de la reconnaissance de paternité du fait que cette dernière reposait sur la convention de gestation pour autrui, prohibée par la loi. L’illicéité du contrat n’est pas contestable, puisque la convention avait été conclue en France, contrairement à ce qui était le cas dans les autres hypothèses de GPA soumis à la Cour de cassation, conclues de manière légale à l’étranger. L’affirmation selon laquelle l’action en contestation de paternité est irrecevable car fondée sur un contrat prohibé est, en revanche, tout à fait discutable. En effet, le fondement de la contestation de paternité n’est pas le contrat de mère porteuse, mais bien le lien biologique qui unit le demandeur et l’enfant. Il ne s’agit pas de faire exécuter la convention, mais d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de son père biologique, ce que la Cour de cassation, dans le sillage de la Cour européenne, admet depuis 2018, nonobstant le contexte de la GPA.
Intérêt supérieur de l’enfant de faire primer sa filiation sociale. La Cour de cassation approuve, ensuite, la cour d‘appel d’avoir énoncé que «la réalité biologique n’apparaît pas une raison suffisante pour accueillir la demande de M. X..., au regard du vécu de l’enfant E... qu’il relève que celui-ci vit depuis sa naissance chez M. Y..., qui l’élève avec son épouse dans d’excellentes conditions, de sorte qu’il n’est pas de son intérêt supérieur de voir remettre en cause le lien de filiation avec celui-ci, ce qui ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines». Ce faisant, la Cour de cassation admet de manière tout à fait inédite que l’intérêt supérieur de l’enfant prime sur la règle de l’article 332 (N° Lexbase : L8834G93), selon lequel la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père. L’intérêt supérieur de l’enfant conduit, également, à écarter l’article 333 (N° Lexbase : L5803ICW) qui exige une possession d’état de cinq ans pour rendre la filiation établie inattaquable. L’intérêt supérieur de l’enfant de ne pas voir remettre en cause sa filiation lorsqu’elle correspond à son vécu pourrait, ainsi, constituer une nouvelle fin de non-recevoir de l’action en contestation de paternité.
Généralisation. La position de la Cour de cassation est à la fois nouvelle et d’une portée potentiellement très importante. L’intérêt supérieur de l’enfant pourrait devenir en droit de la filiation, aussi, le critère essentiel de la décision du juge. Si l’on généralise la solution de l’arrêt du 12 septembre 2019, on pourrait aboutir à ce que la recevabilité de l’action en contestation de filiation soit subordonnée à sa conformité à l’intérêt supérieur de l’enfant. Une telle évolution pourrait dans un certain sens avoir ses avantages, notamment pour protéger l’enfant de remises en cause intempestives de sa filiation conforme à la réalité de sa vie. Mais la filiation ne serait plus, alors, un élément objectif de l’identité d’un individu comme cela semblait être le cas dans la loi, et dans la jurisprudence tant européenne qu’interne. Il reste que l’arrêt du 12 septembre 2019 pourrait avoir une portée limitée aux hypothèses spécifiques de conception de l’enfant dans le cadre d’une GPA.
Fraude à la loi. La Cour de cassation va jusqu’à protéger un lien de filiation dont la cour d’appel a reconnu qu’il a été «établi par une fraude à la loi sur l’adoption», ce qu’elle précise -tout de même- ne pas approuver ! En effet, le second père d’intention de l’enfant (en réalité le troisième puisque le couple ayant conclu la première convention était composé de deux hommes) a reconnu l’enfant de manière mensongère, puisque par hypothèse il n’en était pas le père biologique, ce dont il était informé, même si la mère porteuse lui avait caché les conditions exactes de la conception de l’enfant. L’arrêt d’appel précise que le procureur de la République, seul habilité désormais à contester la reconnaissance du second père d’intention, a fait savoir qu’il n’entendait pas agir à cette fin. L’intérêt supérieur de l’enfant permet, ainsi, de valider une filiation frauduleusement établie, -ce que la Cour de cassation avait considéré comme impossible dans des arrêts antérieurs- au détriment de la filiation biologique. L’influence du principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant confère logiquement à sa détermination un poids considérable.
II - La détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant
Rôle du juge. La détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant ne fait l’objet d’aucun texte. Ce sont, donc, les acteurs de la mise en œuvre du principe de sa primauté, qui définissent les modalités de cette détermination et en apprécient le résultat. En l’espèce, c’est au juge à qui il revenait de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant, selon des modalités qui n’étaient pas évidentes (A), pour aboutir à un résultat qui ne manque pas de susciter des interrogations (B).
A - Les modalités de la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant
Appréciation in concreto. La notion d’intérêt supérieur de l’enfant est en réalité l’objet de deux approches qui se conjuguent : une approche abstraite et une approche concrète. L’intérêt de l’enfant apprécié abstraitement constitue une norme générale et abstraite, une référence applicable à l’ensemble des enfants ou à une catégorie d’entre eux. L’appréciation concrète de l’intérêt de l’enfant consiste à déterminer ce qui est le mieux pour tel enfant placé dans une situation précise. Les juges internes, comme européens, privilégient plutôt une approche concrète de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais ils concourent parfois à élaborer un contenu normatif de cette notion à travers l’appréciation abstraite qu’ils en font. Dans différents arrêts, la Cour européenne des droits de l’Homme prône une approche in concreto de l’intérêt supérieur de l’enfant par le juge interne qui ne saurait se fonder sur des motifs généraux et abstraits [17].
Contrôle de la Cour de cassation. Lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant est apprécié in concreto, la Cour de cassation renvoie à l’appréciation souveraine des juges du fond pour déterminer le contenu même de l’intérêt supérieur de l’enfant [18]. Il n’en reste pas moins qu’elle exerce un certain contrôle, certes restreint, sur l’appréciation que le juge du fond fait de l’intérêt de l’enfant. Dans ses arrêts, elle détaille les motifs de la cour d'appel, fournissant ainsi des indications sur le contenu de l'intérêt de l'enfant placé dans la situation envisagée, favorisant ainsi l’harmonisation de l’interprétation que peuvent en faire les juges. La Cour de cassation aurait pu basculer dans l’approche in abstracto de l’intérêt supérieur de l’enfant en refusant que le juge du fond puisse faire primer la filiation sociale sur la filiation biologique, mais en ne le faisant pas, elle accepte que ce soit possible. Ainsi, selon les circonstances, et l’appréciation que le juge fera de l’intérêt de l’enfant, celui-ci pourra, ou non, l’opposer à une contestation de la filiation de l’enfant. La Cour de cassation n’opère pas de contrôle sur cette détermination de l’intérêt de l’enfant qu’elle se borne à reprendre, pour noter que la Cour a bien «mis en balance les intérêts en présence, dont celui de l’enfant, qu’elle a fait prévaloir», et qu’elle a, ainsi, respecté les exigences de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle considère que les juges du fond ont rempli leur mission et ne remet pas en cause le résultat de leur analyse qui ne peut laisser indifférent.
B - Le résultat de la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant
Détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant en cause. La cour d’appel procède à une appréciation in concreto de l’intérêt supérieur de l’enfant en cause. Elle accorde à la sécurité affective de l’enfant une importance essentielle, en estimant, sans doute à raison, qu’il ne doit pas voir ses conditions de vie modifiées, le père biologique entendant réclamer l’ensemble de ses droits. En outre, le juge du fond estime que l’intérêt de l’enfant réside dans la concordance entre sa filiation légale et sa filiation sociale, ce qui peut, sans doute, être discuté, mais qui constitue un point de vue qui se défend. La cour d’appel prend soin de relever que, nonobstant l’irrecevabilité de l’action en contestation de paternité et de recherche de paternité subséquente, l’enfant pourrait accéder à la connaissance de ses origines, ce qui limite ainsi l’atteinte à son droit à l’identité.
Supériorité de l’intérêt de l’enfant à conserver sa filiation sociale. La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, considère que l’intérêt supérieur de l’enfant en cause était de faire primer sa filiation sociale sur sa filiation biologique. Elle se fonde sur le fait qu’il était pris en charge dans d’excellentes conditions depuis sa naissance par ses parents d’intention et qu’il pourrait connaître ses origines même si la filiation qui leur est conforme n’est pas établie. Autrement dit, la cour d’appel considère qu’entre l’intérêt de l’enfant de conserver une filiation conforme à sa situation affective et l’intérêt de l’enfant d’avoir une filiation conforme à la réalité biologique, c’est le premier qui est supérieur. Plusieurs intérêts de l’enfant en cause : celui d’avoir une identité juridique exacte, celui de conserver son cadre de vie et ses liens avec les personnes qui l’ont élevé, mais également celui de connaître son père biologique… Parmi ces différents intérêts de l’enfant, la cour d’appel a considéré, de manière souveraine, que celui qui devait prédominer est celui de conserver une identité légale conforme à sa filiation affective.
Primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant sur les autres intérêts. Une fois l’intérêt supérieur de l’enfant déterminé, il s’agissait de le faire primer sur les autres intérêts en présence. En l’espèce, comme dans la plupart des affaires relatives à la filiation, on était en présence d’un conflit d’intérêts, entre d’une part l’intérêt de l’enfant à voir sa filiation protégée et l’intérêt du père biologique de voir sa paternité reconnue tant en ce qui concerne la filiation elle-même que ses effets en matière d’autorité parentale et de nom. La situation de l’enfant est le fruit d’un processus frauduleux et mensonger qui a totalement empêché le père biologique d’établir des liens tant légaux qu’affectifs avec son enfant et il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour renouer des liens, dès qu’il a été informé de ce que son enfant était vivant. Au nom de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, la cour d’appel admet que le juge fasse primer la filiation sociale de l’enfant sur sa filiation biologique, au point d’empêcher toute contestation de la filiation mensongère, intentée dans les délais légaux, même si cela aboutit à ce que le père biologique ne se soit jamais réellement vu offrir la possibilité de faire entendre ses prétentions. En l’espèce, la possession d’état de l’enfant à l’égard du second couple d’intention n’avait pas duré plus de cinq ans. En allant au-delà de la règle de l’article 333, alors même que la possession d’état était viciée au départ, la cour d’appel réécrit le droit de la filiation et confère à la filiation biologique une importance qui dépasse largement les choix et les équilibres établis par le législateur en 2005. Il n’est pas certain que cette solution soit conforme à la position de la Cour européenne qui demande a minima aux Etats d’offrir la possibilité temporaire pour un père biologique de voir la question de sa paternité examinée par le juge [19].
Appréciation de l’appréciation. Certes la référence dans la décision, aux personnes et faits en cause, indique formellement que l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est valable que dans le cas d’espèce. Le fait que l’enfant n’ait jamais eu de contacts avec son père biologique et le contexte de sa conception a certainement joué un rôle. Toutefois, l’absence totale de critiques de la part de la Cour de cassation permet à tout le moins de conclure qu’elle admet qu’on puisse écarter le jeu des règles relatives à la filiation, au motif qu’il aboutit à un résultat qui n’est pas conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette position semble être en contradiction avec les arrêts précédents, dans lesquels la Cour de cassation semblait plutôt favorable à une primauté de l’intérêt de l’enfant de voir sa filiation biologique consacrée, dans la lignée de la jurisprudence européenne. S’il serait sans doute excessif de parler de revirement de jurisprudence, on peut au moins considérer que la position antérieure a perdu de sa force et que la Cour de cassation admet l’une ou l’autre des solutions sans marquer vraiment de préférence, ce qui aboutit à conférer au contentieux de la filiation un aspect subjectif inégalé.
Conclusion. La décision du 12 septembre 2019 peut laisser perplexe, sans doute parce qu’elle est le résultat d’une évolution tout à fait remarquable du droit de la filiation. Mais c’est surtout parce qu’elle tente d’apporter une solution à une situation ubuesque mise en place par des personnes aux motivations douteuses et peu respectueuses des intérêts de l’enfant concerné. La solution de l’arrêt n’est peut-être pas la meilleure mais au moins n’est-elle pas, du point de vue de l’enfant, la moins mauvaise puisqu’elle lui permet de poursuivre sa vie sans rupture dramatique…
[1] M.-C. Guérin, Dr. fam., 2016, Etude 18.
[2] V. ss., Cass. civ. 1, 6 avril 2011, trois arrêts, n° 09-66.486 (N° Lexbase : A5705HMA), n° 10-19.053 (N° Lexbase : A5707HMC), n° 09-17.130 (N° Lexbase : A5704HM9), FP-P+B+R+I, et nos obs. in Lexbase, éd. priv., n° 436, 2011 (N° Lexbase : N9639BRG) ; CA Paris, 18 mars 2010, n° 09/11017 (N° Lexbase : A0819EUU).
[3] Cass. civ. 1, 13 septembre 2013, deux arrêts, n° 12-30.138, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1633KL3) et n° 12-18.315 (N° Lexbase : A1669KLE), et nos obs., Lexbase, éd. priv., n° 542, 2013 (N° Lexbase : N8755BTG), RJPF, 2013, n° 11, p. 6, obs. M.-C. Le Boursicot, D., 2014, p. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; et dans un arrêt du 19 mars 2014 : Cass. civ. 1, 19 mars 2014, n° 13-50.005, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0784MHI), RJPF, 2014, n° 5, obs. I. Corpart ; D., 2014, p. 905, obs. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon.
[4] Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-16.901 (N° Lexbase : A7473WLD) et nos obs., Lexbase, éd. priv., n° 708, 2017 (N° Lexbase : N9619BW8).
[5] Cass. civ. 1, 16 juin 2011, n° 08-21.864, FS-D (N° Lexbase : A7424HT7).
[6] Cass. civ. 1, 24 octobre 2012, n° 11-22.202, F-D (N° Lexbase : A0752IWR).
[7] Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-15.901, F-D (N° Lexbase : A9394KEN).
[8] Cass. civ. 1, 14 janvier 2015, n° 13-28.256, F-D (N° Lexbase : A4611M9N).
[9] Cass. civ. 1, 13 juillet 2016, n° 15-22.848, FS-P+B (N° Lexbase : A2025RXB).
[10] Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 17-23.627, F-P+B (N° Lexbase : A5502YEI), et nos obs. in Pan., Lexbase, éd. priv., n° 770, 2019 (N° Lexbase : N7446BX3) et Cass. civ. 1, 7 novembre 2018, n° 17-26.445, F-P+B (N° Lexbase : A6870YKN).
[11] CEDH, 26 juin 2014, Req. 65192/11 Mennesson c/ France (N° Lexbase : A8551MR7), et nos obs., Lexbase éd. priv., n° 577, 2014 (N° Lexbase : N2924BUT), JCP éd. G, 2014, 877 ; Dr. fam., 2015, n° 5, p. 52, obs. H. Fulchiron.
[12] Cass. civ. 1, 3 octobre 2018, n° 17-23.627, préc..
[13] Cass. civ. 1, 7 novembre 2018, n° 17-26.445, préc..
[14] Cass. civ. 1, 16 juin 2011, n° 08-21.864, préc..
[15] CEDH, 14 janvier 2016, Req. 30955/12, Mandet c/ France (N° Lexbase : A5857N3C), JCP, 2016, 1723, obs. P. Murat.
[16] F. Sudre, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, (GACEDH) PUF, 2019, p. 557.
[17] CEDH, 23 juin 1993, Req. 12875/87, Hoffman c/ Autriche (N° Lexbase : A6566AW4), D., 1994, 327, obs. J. Hauser ; CEDH, 21 décembre 1999, Req. 33290/96 Salgueiro da Silva Mouta c/ Portugal, Dr. fam., 2000, comm., n° 145, obs. A. Gouttenoire ; CEDH, 16 décembre 2003, Req. 64927/01, Palau-Martinez c/ France (N° Lexbase : A5611DA3), JCP, 2004, II, 10122, note A. Gouttenoire.
[18] A. Gouttenoire, Le contrôle exercé par la Cour de cassation de l’intérêt supérieur de l’enfant, in Mélanges F. Dekeuwer-Défossez, Montchrestien, 2013, p. 147.
[19] GACEDH p. 625
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 30 septembre 2019, n° 419855, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1218ZQ8)
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par Marie-Claire Sgarra
Le 08 Octobre 2019
►L’évaluation du revenu futur, attendu par un usufruitier de parts sociales, ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 30 septembre 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 30 septembre 2019, n° 419855, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1218ZQ8).
En l’espèce, une SCI a cédé à une société, détenue indirectement par les associés de la SCI l’usufruit de la totalité de ses parts sociales pour une durée de vingt ans et un montant total de 460 euros. L’administration fiscale remet en cause l’évaluation de la valeur de cet usufruit et procède au rehaussement de l’actif net de la société à hauteur de la différence entre la valeur réelle de l’usufruit et celle inscrite à l’actif de cette société. Le tribunal administratif d’Orléans (TA Orléans, 23 février 2016, n° 150290 N° Lexbase : A2993XYI) rejette sa demande de décharge. La cour administrative d’appel de Nantes (CAA de Nantes, 15 février 2018, n° 16NT01325 N° Lexbase : A1108XYP) confirme ce jugement.
Le Conseil d’Etat rappelle que la valeur vénale des titres d’une société non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être apprécié compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entrainé le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L’évaluation des titres d’une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d’autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société, ou à défaut, de sociétés similaires. En l’absence de telles transactions, celle-ci peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.
Ici, la méthode utilisée par l’administration a consisté à capitaliser puis actualiser les revenus à attendre des droits sociaux sur la période du démembrement et a considéré que les revenus correspondaient aux résultats comptables de la SCI diminués d’un abattement d’un tiers au titre de l’impôt sur les sociétés dont est redevable l’usufruitier, le tout actualisé à un taux de 5 %.
«Or, il résulte […] que l’évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles qui peut être fonction notamment des annuités prévisionnelles de remboursement d’emprunts ou des éventuelles mises en réserves pour le financement d’investissements futurs, lorsqu’elles sont justifiées par la société. Par suite, en jugeant que la méthode d’évaluation de la valeur de l’usufruit […], retenue par l’administration et fondée sur les résultats imposables prévisionnels de la société, était régulière alors qu’il convenait de déterminer cette valeur sur la base des distributions prévisionnelles, la cour a commis une erreur de droit».
Rappelons que dans le cadre de holdings, le Conseil d’Etat avait jugé que l'évaluation de la valeur vénale des actions d'une holding non cotée doit être effectuée, en priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société, et, à défaut ou en complément, par référence au prix d'une transaction, intervenue dans des conditions équivalentes, portant sur les titres d'une filiale lorsque, eu égard à la part que la filiale représente dans l'actif de la holding, une telle transaction peut être regardée comme révélant de manière suffisamment précise et probante la valeur de marché du titre en litige (CE 3° et 8° ch.-r., 20 juin 2012, n° 343033, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5171IP9).
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 30 septembre 2019, n° 419384, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1212ZQX)
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par Marie-Claire Sgarra
Le 08 Octobre 2019
► Lorsque la taxe d’habitation a été établie, en raison de l’inoccupation des locaux au titre desquels elle est due, au nom d’une indivision successorale, l’obligation de payer incombant à chaque indivisaire ne saurait excéder ses droits dans l’indivision.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt en date du 30 septembre 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 30 septembre 2019, n° 419384, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1212ZQX).
En l’espèce, à la suite du décès de leur mère, quatre enfants sont devenus propriétaires indivis d'un bien immobilier. Les taxes d'habitation relatives à cet immeuble ont été établies et mises en recouvrement au nom de l'indivision. Les cotisations de taxe dues au titre des années 2005 à 2013 n'ayant pas été intégralement réglées, le comptable public a émis, le 11 août 2014, à l'encontre de deux des enfants cinq mises en demeure valant commandement de payer que ceux-ci ont contestées. Le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes tendant à la décharge de l'obligation de payer résultant de ces mises en demeure.
En application des dispositions des articles 815-17 (N° Lexbase : L9945HNN) et 1202 (N° Lexbase : L1304ABW) du Code civil, la solidarité ne s’attache pas de plein droit à la qualité d’indivisaire et ne se présume pas.
Par suite, «en jugeant que le comptable public avait pu légalement émettre les commandements de payer […] pour la totalité de la somme due par l’indivision, alors que seul le recouvrement de la part leur incombant pouvait être légalement poursuivi par l’administration qui ne se prévaut pas de stipulation expresse instituant une solidarité entre les indivisaires, le tribunal administratif de Nice a entaché ses jugements d’une erreur de droit» (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X5561ALK).
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Réf. : CJUE, 24 septembre 2019, deux arrêts, aff. C-136/17 (N° Lexbase : A3916ZPQ) et aff. C-507/17 (N° Lexbase : A3917ZPR)
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par Caroline Le Goffic, Maître de conférences - HDR, Co-directrice du Master 2 «Droit des activités numériques» Université Paris Descartes
Le 09 Octobre 2019
Consacré par le célèbre arrêt «Google Spain» [1] rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 13 mai 2014, le «droit à l’oubli numérique» ou droit au déréférencement, dont le bénéfice est fréquemment demandé par les justiciables aux moteurs de recherche, a continué de soulever des questions.
Pour rappel, l’arrêt «Google Spain» constituait une décision préjudicielle rendue sur la base de la Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L8240AUQ) [2] -Directive depuis lors remplacée par le Règlement n° 2016/679/UE du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L0189K8I) [3], entré en vigueur le 25 mai 2018-. Dans cet arrêt «Google Spain», la Cour de justice avait estimé que les moteurs de recherche sont des responsables du traitement de données à caractère personnel au sens de la Directive. Il en résulte qu’un internaute peut faire jouer «le droit à ce que l'information [...] relative à sa personne ne soit plus [...] liée à son nom par une liste de résultats affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom [...]», sur le fondement de l’article 12 b) de la Directive qui consacre un droit de rectification, en cas de traitement illégal, ou bien sur le fondement de son article 14, qui consacre un droit d’opposition au traitement des données personnelles «pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à sa situation particulière», en cas de traitement légal. Ce droit reconnu a vocation à permettre l'effacement, le cas échéant, d'un «traitement initialement licite de données exactes», «en raison du fait que ces informations apparaissent, eu égard à l'ensemble des circonstances caractérisant le cas d'espèce, inadéquates, pas ou plus pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement en cause réalisé par l'exploitant du moteur de recherche», ce parce que ces informations «ne sont pas mises à jour» ou qu'elles «sont conservées pendant une durée excédant celle nécessaire, à moins que leur conservation s'impose à des fins historiques, statistiques ou scientifiques». Cette solution implique donc que soit mise en œuvre une balance des intérêts, c’est-à-dire que soit trouvé entre droit à l’information du public et protection des données personnelles un juste équilibre selon «la nature de l'information en question et sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée ainsi que l'intérêt du public à disposer de cette information, lequel peut varier, notamment, en fonction du rôle joué par cette personne dans la vie publique».
Si le principe du droit au déréférencement est ainsi posé, la mise en œuvre concrète de ce droit par les moteurs de recherche soulève d’importantes interrogations pratiques. C’est à ce propos que la Cour de justice de l'Union européenne a rendu, le 24 septembre 2019, deux arrêts fort attendus, qui répondent tous deux à des questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat français. L’un des arrêts [4] concerne les conditions de déréférencement de sites contenant des données personnelles à caractère sensible (I). L’autre arrêt [5] est relatif à la portée territoriale du déréférencement (II).
I - Les conditions de déréférencement de sites contenant des données personnelles à caractère sensible
Le premier litige, porté devant la CNIL, puis devant le Conseil d’Etat, concernait quatre requérants qui avaient demandé à Google de déréférencer divers liens menant vers des pages web qui comportaient :
- un photomontage satirique mis en ligne sur Youtube à l’occasion d’une campagne électorale, évoquant de façon explicite la relation intime qui aurait lié la première requérante et le maire de la commune dont elle était directrice de cabinet ;
- un article du quotidien Libération relatif au suicide d’une adepte de l’Eglise de scientologie, et mentionnant le deuxième requérant en tant que responsable des relations publiques de l’Eglise de scientologie ;
- des articles, principalement de presse, relatifs à l’information judiciaire ouverte au mois de juin 1995 sur le financement du parti républicain (PR) dans le cadre de laquelle, avec plusieurs hommes d’affaires et personnalités politiques, le troisième requérant a été mis en examen ;
- deux articles publiés dans Nice-Matin et Le Figaro rendant compte de l’audience correctionnelle au cours de laquelle le quatrième requérant a été condamné à une peine de sept ans d’emprisonnement et à une peine complémentaire de dix ans de suivi socio-judiciaire pour des faits d’agressions sexuelles sur mineurs de quinze ans.
A la suite des refus opposés par Google à leurs demandes de déréférencement, les requérants ont saisi la CNIL de plaintes tendant à ce qu’il soit enjoint à cette société de procéder au déréférencement des liens en cause. La CNIL ayant refusé d’accéder à leurs demandes, les requérants ont alors introduit devant le Conseil d’Etat, des requêtes dirigées contre ces refus de la CNIL. Le Conseil d’Etat [6], après avoir joint les requêtes, a décidé de surseoir à statuer et d’adresser à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles portant, pour l’essentiel, sur l’application de l’article 8 de la Directive 95/46.
Cet article concerne le traitement portant sur des catégories particulières, c’est-à-dire sensibles, de données. Il est ainsi rédigé :
«1. Les Etats membres interdisent le traitement des données à caractère personnel qui révèlent l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données relatives à la santé et à la vie sexuelle.
2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque :
a) la personne concernée a donné son consentement explicite à un tel traitement, sauf dans le cas où la législation de l’Etat membre prévoit que l’interdiction visée au paragraphe 1 ne peut être levée par le consentement de la personne concernée
ou
[...]
e) le traitement porte sur des données manifestement rendues publiques par la personne concernée ou est nécessaire à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en justice.
[...]
4. Sous réserve de garanties appropriées, les Etats membres peuvent prévoir, pour un motif d’intérêt public important, des dérogations autres que celles prévues au paragraphe 2, soit par leur législation nationale, soit sur décision de l’autorité de contrôle.
5. Le traitement de données relatives aux infractions, aux condamnations pénales ou aux mesures de sûreté ne peut être effectué que sous le contrôle de l’autorité publique ou si des garanties appropriées et spécifiques sont prévues par le droit national, sous réserve des dérogations qui peuvent être accordées par l’Etat membre sur la base de dispositions nationales prévoyant des garanties appropriées et spécifiques. Toutefois, un recueil exhaustif des condamnations pénales ne peut être tenu que sous le contrôle de l’autorité publique.
Les Etats membres peuvent prévoir que les données relatives aux sanctions administratives ou aux jugements civils sont également traitées sous le contrôle de l’autorité publique.
[...]»
Le Conseil d’Etat interrogeait tout d’abord la Cour de justice de l'Union européenne sur la question de savoir si les restrictions imposées par cet article au traitement des données sensibles s’appliquent à l’exploitant d’un moteur de recherche.
Pour répondre à cette question, la CJUE commence par rappeler, d’une part, que l’activité d’un moteur de recherche consistant à trouver des informations publiées ou placées sur internet par des tiers, à les indexer de manière automatique, à les stocker temporairement et, enfin, à les mettre à la disposition des internautes selon un ordre de préférence donné doit être qualifiée de «traitement de données à caractère personnel», au sens de l’article 2, sous b), de la Directive 95/46, lorsque ces informations contiennent des données à caractère personnel et, d’autre part, que l’exploitant de ce moteur de recherche doit être considéré comme le « responsable » dudit traitement, au sens de l’article 2, sous d), de cette Directive. En effet, le traitement de données à caractère personnel effectué dans le cadre de l’activité d’un moteur de recherche se distingue et s’ajoute à celui effectué par les éditeurs de sites web, consistant à faire figurer ces données sur une page web, et cette activité joue un rôle décisif dans la diffusion globale desdites données en ce qu’elle rend celles-ci accessibles à tout internaute effectuant une recherche à partir du nom de la personne concernée, y compris aux internautes qui, autrement, n’auraient pas trouvé la page web sur laquelle ces mêmes données sont publiées. Selon la Cour, il ressort de l’économie de ces textes que l’exploitant d’un tel moteur doit, à l’instar de tout autre responsable du traitement, assurer, dans le cadre de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités, que le traitement des données à caractère personnel qu’il effectue satisfait aux exigences, respectivement, de la Directive 95/46 ou du Règlement n° 2016/679. En conséquence, compte tenu des responsabilités, des compétences et des possibilités de l’exploitant d’un moteur de recherche en tant que responsable du traitement effectué dans le cadre de l’activité de ce moteur, les interdictions et les restrictions prévues à l’article 8, § 1 et 5, de la Directive 95/46 et à l’article 10 du Règlement n° 2016/679, ne peuvent s’appliquer à cet exploitant qu’en raison de ce référencement et, donc, par l’intermédiaire d’une vérification à effectuer, sous le contrôle des autorités nationales compétentes, sur la base d’une demande formée par la personne concernée. Dès lors, les dispositions de l’article 8, § 1 et 5, de la Directive 95/46 doivent être interprétées en ce sens que l’interdiction ou les restrictions relatives au traitement des catégories particulières de données à caractère personnel, visées par ces dispositions, s’appliquent, sous réserve des exceptions prévues par cette Directive, également à l’exploitant d’un moteur de recherche dans le cadre de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités en tant que responsable du traitement effectué lors de l’activité de ce moteur, à la suite d’une demande introduite par la personne concernée.
Ce principe étant posé, la Cour s’attache ensuite à répondre aux questions portant sur la mise en œuvre du déréférencement des sites comportant des données sensibles.
Etant donné le principe d’interdiction du traitement de ces données, elle énonce la règle selon laquelle «les dispositions de l’article 8, § 1 et 5, de la Directive 95/46 doivent être interprétées en ce sens que, en vertu de celles-ci, l’exploitant d’un moteur de recherche est en principe obligé, sous réserve des exceptions prévues par cette Directive, de faire droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web sur lesquelles figurent des données à caractère personnel qui relèvent des catégories particulières visées par ces dispositions».
L’article 8, § 2, de la Directive prévoit toutefois des exceptions à cette interdiction, en cas de consentement donné par l’intéressé -lequel consentement disparaît néanmoins lorsque l’intéressé formule une demande de déréférencement- ou, surtout, lorsque les données ont manifestement été rendues publiques par la personne concernée. Il en résulte que l’exploitant du moteur de recherche peut refuser de faire droit à une demande de déréférencement lorsqu’il constate que les liens en cause mènent vers des contenus comportant des données à caractère personnel qui relèvent des catégories particulières visées à cet article 8, § 1, mais dont le traitement est couvert par l’exception prévue audit article 8, § 2, sous e), à condition que ce traitement réponde à l’ensemble des autres conditions de licéité posées par cette Directive et à moins que la personne concernée n’ait, en vertu de l’article 14, premier alinéa, sous a), de ladite Directive, le droit de s’opposer audit traitement pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à sa situation particulière.
Quelles sont ces raisons ? Elles tiennent au respect du droit à la vie privée, lequel doit cependant être mis en balance avec la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés : l’exploitant doit ainsi «sur la base de tous les éléments pertinents du cas d’espèce et compte tenu de la gravité de l’ingérence dans les droits fondamentaux de la personne concernée au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte, vérifier, au titre des motifs d’intérêt public important visés à l’article 8, § 4, de ladite Directive et dans le respect des conditions prévues à cette dernière disposition, si l’inclusion de ce lien dans la liste de résultats, qui est affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom de cette personne, s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette page web au moyen d’une telle recherche, consacrée à l’article 11 de la Charte». On retrouve ici l’affirmation de la nécessité d’un juste équilibre entre les droits fondamentaux applicables, au regard notamment de la nature de l’information en question et de sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée ainsi que de l’intérêt du public à disposer de cette information, lequel peut varier, notamment, en fonction du rôle joué par cette personne dans la vie publique.
Enfin, la Cour de justice de l'Union européenne était également interrogée, à propos de l’article 8, § 5, de la Directive, sur la conduite que l’exploitant d’un moteur de recherche doit tenir s’agissant de liens menant vers des sites faisant état d’informations relatives à des procédures judiciaires.
Ces informations constituent-elles des données relatives aux «infractions» et aux «condamnations pénales», au sens de l’article 8, § 5, de la Directive 95/46 ? La Cour de justice de l'Union européenne répond à cette question par l’affirmative, considérant que les informations concernant une procédure judiciaire menée contre une personne physique, telles que celles relatant sa mise en examen ou le procès, et, le cas échéant, la condamnation qui en a résulté, constituent des données relatives aux «infractions» et aux «condamnations pénales», et ce indépendamment du fait que, au cours de cette procédure judiciaire, la commission de l’infraction pour laquelle la personne était poursuivie a effectivement été établie ou non.
Dans ces conditions, l’exploitant d’un moteur de recherche est-il tenu de faire droit à une demande de déréférencement portant sur des liens vers des pages web, sur lesquelles figurent de telles informations, lorsque ces informations se rapportent à une étape antérieure de la procédure judiciaire en cause et ne correspondent plus, compte tenu du déroulement de celle-ci, à la situation actuelle ? Là encore, se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de justice de l'Union européenne affirme la nécessité de rechercher un juste équilibre entre les droits fondamentaux en cause, à savoir, d’un côté, la liberté d’information des internautes, et, de l’autre, le droit à la vie privée de l’intéressé. Il en résulte que l’exploitant d’un moteur de recherche doit apprécier, dans le cadre d’une demande de déréférencement portant sur des liens vers des pages web sur lesquelles sont publiées des informations relatives à une procédure judiciaire en matière pénale menée contre la personne concernée, qui se rapportent à une étape antérieure de cette procédure et ne correspondent plus à la situation actuelle, si, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, telles que notamment la nature et la gravité de l’infraction en question, le déroulement et l’issue de ladite procédure, le temps écoulé, le rôle joué par cette personne dans la vie publique et son comportement dans le passé, l’intérêt du public au moment de la demande, le contenu et la forme de la publication ainsi que les répercussions de celle-ci pour ladite personne, cette dernière a droit à ce que les informations en question ne soient plus, au stade actuel, liées à son nom par une liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir de ce nom.
De manière intéressante, la Cour apporte une précision supplémentaire : elle indique que «quand bien même l’exploitant d’un moteur de recherche devrait constater que l’inclusion du lien en cause s’avère strictement nécessaire pour concilier les droits au respect de la vie privée et à la protection des données de la personne concernée avec la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés, cet exploitant est, en tout état de cause, tenu, au plus tard à l’occasion de la demande de déréférencement, d’aménager la liste de résultats de telle sorte que l’image globale qui en résulte pour l’internaute reflète la situation judiciaire actuelle, ce qui nécessite notamment que des liens vers des pages web comportant des informations à ce sujet apparaissent en premier lieu sur cette liste».
II - La portée territoriale du déréférencement
Le second litige, également porté devant le Conseil d’Etat, concernait une affaire dans laquelle la présidente de la CNIL avait mis Google en demeure, lorsqu’elle fait droit à une demande d’une personne physique tendant à la suppression de la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom, de liens menant vers des pages web, d’appliquer cette suppression sur toutes les extensions de nom de domaine de son moteur de recherche.
Google avait refusé de donner suite à cette mise en demeure, se bornant à supprimer les liens en cause des seuls résultats affichés en réponse à des recherches effectuées depuis les noms de domaine correspondant aux déclinaisons de son moteur dans les Etats membres. La CNIL avait par ailleurs estimé insuffisante la proposition complémentaire dite de «géoblocage», faite par Google après l’expiration du délai de mise en demeure, consistant à supprimer la possibilité d’accéder, depuis une adresse IP (Internet Protocol) réputée localisée dans l’Etat de résidence de la personne concernée, aux résultats litigieux à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom, indépendamment de la déclinaison du moteur de recherche qu’a sollicitée l’internaute.
Par une délibération en date du 10 mars 2016, la CNIL avait alors prononcé à l’encontre de cette société une sanction, rendue publique, de 100 000 euros. Google avait par suite demandé au Conseil d’Etat l’annulation de cette décision.
Le Conseil d’Etat [7]a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur la portée territoriale du déréférencement. Plus précisément, la question était de savoir si l’exploitant d’un moteur de recherche est tenu, lorsqu’il fait droit à une demande de déréférencement, d’opérer ce déréférencement :
- sur l’ensemble des noms de domaine de son moteur de telle sorte que les liens litigieux n’apparaissent plus quel que soit le lieu à partir duquel la recherche lancée sur le nom du demandeur est effectuée, y compris hors du champ d’application territorial de la Directive 95/46 ; ou
- s’agissant des résultats affichés à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom du demandeur sur le nom de domaine correspondant à l’Etat où la demande est réputée avoir été effectuée ; ou
- s’agissant des résultats affichés à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom du demandeur sur les noms de domaine du moteur de recherche qui correspondent aux extensions nationales de ce moteur pour l’ensemble des Etats membres ?
La question avait une grande importance, tant d’un point de vue pratique (extensions concernées) que d’un point de vue théorique (application extraterritoriale éventuelle du droit européen).
La Cour reconnaît qu’un déréférencement opéré sur l’ensemble des versions d’un moteur de recherche serait de nature à satisfaire pleinement l’objectif de la Directive et du «RGPD», qui est de garantir un niveau élevé de protection des données à caractère personnel dans l’ensemble de l’Union.
Pour autant, elle invoque ensuite des arguments qui militent à l’encontre d’une application extraterritoriale du droit au déréférencement. D’une part, de nombreux Etats tiers ne connaissent pas le droit au déréférencement ou adoptent une approche différente de ce droit. D’autre part, le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu, mais doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Or, l’équilibre entre le droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, d’un côté, et la liberté d’information des internautes, de l’autre côté, est susceptible de varier de manière importante à travers le monde.
Il résulte de ces éléments qu’en l’état actuel, il n’existe, pour l’exploitant d’un moteur de recherche qui fait droit à une demande de déréférencement formulée par la personne concernée, le cas échéant, à la suite d’une injonction d’une autorité de contrôle ou d’une autorité judiciaire d’un Etat membre, pas d’obligation découlant du droit de l’Union de procéder à un tel déréférencement sur l’ensemble des versions de son moteur.
Dès lors, se pose la question de savoir si le déréférencement doit s’effectuer sur les versions du moteur de recherche correspondant aux Etats membres ou sur la seule version de ce moteur correspondant à l’Etat membre de résidence du bénéficiaire du déréférencement. Compte tenu de l’objectif qui consiste à assurer un niveau cohérent et élevé de protection dans l’ensemble de l’Union et de lever les obstacles aux flux de données au sein de celle-ci, la Cour affirme que les exploitants de moteurs de recherche sont tenus d’opérer le déréférencement sur les versions de leurs moteurs correspondant à l’ensemble des Etats membres. C’est donc, par principe, à l’échelle de l’Union, que s’effectuera le déréférencement, couplé, si nécessaire, avec des mesures -telles que le géoblocage- permettant effectivement d’empêcher ou, à tout le moins, de sérieusement décourager les internautes effectuant une recherche sur la base du nom de la personne concernée à partir de l’un des Etats membres d’avoir, par la liste de résultats affichée à la suite de cette recherche, accès aux liens qui font l’objet de cette demande.
Il est toutefois à noter que la Cour n’exclut pas deux dérogations à ce principe :
- D’une part, dans le sens d’une extension mondiale de la portée du déréférencement, elle note que si «le droit de l’Union n’impose pas, en l’état actuel, que le déréférencement auquel il serait fait droit porte sur l’ensemble des versions du moteur de recherche en cause, il ne l’interdit pas non plus. Partant, une autorité de contrôle ou une autorité judiciaire d’un Etat membre demeure compétente pour effectuer, à l’aune des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, une mise en balance entre, d’une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et à la protection des données à caractère personnel la concernant et, d’autre part, le droit à la liberté d’information, et, au terme de cette mise en balance, pour enjoindre, le cas échéant, à l’exploitant de ce moteur de recherche de procéder à un déréférencement portant sur l’ensemble des versions dudit moteur». A cet égard, il sera intéressant de voir si les autorités françaises maintiennent la position de la CNIL en faveur d’un déréférencement mondial.
- D’autre part, dans le sens d’une limitation de la portée du déréférencement, la Cour indique que «l’intérêt du public à accéder à une information peut, même au sein de l’Union, varier d’un Etat membre à l’autre, de sorte que le résultat de la mise en balance à effectuer entre celui-ci, d’une part, et les droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel de la personne concernée, d’autre part, n’est pas forcément le même pour tous les Etats membres, d’autant plus que, en vertu de l’article 9 de la Directive 95/46 et de l’article 85 du Règlement 2016/679, il appartient aux Etats membres de prévoir, notamment pour les traitements aux seules fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire, des exemptions et des dérogations nécessaires pour concilier ces droits avec, notamment, la liberté d’information».
En définitive donc, les deux arrêts du 24 septembre 2019 contribuent utilement à préciser le régime du déréférencement, sans pour autant tarir toutes les interrogations à ce sujet.
[1] CJUE, 13 mai 2014, aff. C-131/12 (N° Lexbase : A9704MKM).
[2] Publiée au JOUE n° L 281 du 23 novembre 1995, p. 31.
[3] Publié au JOUE n° L 119 du 4 mai 2016, p. 1.
[4] Aff. C-136/17.
[5] Aff. C-507/17.
[6] CE Ass., 24 février 2017, n° 391000, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2360TP4).
[7] CE 9° et 10° ch.-r., 19 juillet 2017, n° 399922, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2056WNH).
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Réf. : Cass. crim., 1er octobre 2019, n° 18-86.428, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1235ZQS)
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par June Perot
Le 09 Octobre 2019
► Le pourvoi formé contre un arrêt de renvoi devant le tribunal correctionnel n’est recevable que si la décision attaquée ne satisfait pas aux conditions de son existence légale ou répond aux exigences posées par l’article 574 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3966AZW), à savoir qu’elle statue sur une question de compétence ou contient une disposition définitive qui s’imposera à la juridiction de jugement ; la Chambre criminelle relève que tel n’était pas le cas dans l’espèce concernée ;
en effet, l’arrêt attaqué, rendu sur l’appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, ne comporte aucune disposition définitive s’imposant à cette juridiction, qu’il s’agisse de l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-156 PDR, du 4 juillet 2013 N° Lexbase : A5181KIQ), de l’application de la règle Ne bis in idem, du rejet de l’exception d’illégalité des décrets appliqués par le Conseil constitutionnel, de l’appréciation des charges et du montant du dépassement du plafond des dépenses de campagne retenu par l’ordonnance de renvoi ;
en outre, l’ancien président est irrecevable à invoquer, sous le couvert d’un dépassement, par le juge d’instruction, de sa saisine, les conditions de sa mise en examen, dès lors qu’il était forclos en application de l’article 173-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5031K8T) ; en application de l’article 574, les pourvois sont irrecevables.
C’est en énonçant ce principe et cette solution que la Chambre criminelle de la Cour de cassation déclare irrecevable le pourvoi formé contre l'arrêt de renvoi (Cass. crim., 1er octobre 2019, n° 18-86.428, FS-P+B+I N° Lexbase : A1235ZQS).
L’affaire. Les faits de l’espèce concernaient les dépenses excessives de la campagne présidentielle de 2012 dans lesquelles était impliqué un ancien président de la République, affaire connue sous le nom de «Bygmalion». La succession de recours formés par les intéressés empêchait la tenue d’un procès en correctionnel. Plus précisément, une enquête préliminaire avait été ouverte le 5 mars 2014 concernant des faits de sur-facturation susceptibles d’avoir été commis par la société Bygmalion au préjudice de l’UMP dans le cadre de la campagne présidentielle menée par l’ancien président en 2012, suivie le 27 juin 2014, de l’ouverture d’une information judiciaire des chefs de faux, usage de faux, abus de confiance et tentative d’escroquerie, puis de financement illégal de campagne électorale. De nombreuses mises en examen sont intervenues visant les demandeurs au pourvoi. Au terme de l’instruction menée par plusieurs magistrats co-saisis, le juge d’instruction premier désigné a rendu une ordonnance le 3 février 2017, prononçant un non-lieu partiel et renvoyant devant le tribunal correctionnel les protagonistes de l’affaire pour faux et usage et complicité, abus de confiance, recel d’abus de confiance, escroquerie et complicité, financement illégal de campagne électorale et complicité de ce délit. Plusieurs appels ont été interjetés contre cette décision de renvoi. En cause d'appel, la chambre de l'instruction a confirmé l'ordonnance et renvoyé les protagonistes devant le tribunal correctionnel.
Irrecevabilité des pourvois. Saisie de l’affaire, la Cour de cassation avait tout d'abord à se prononcer sur la recevabilité du pourvoi. Reprenant la solution susvisée, elle déclare les pourvois irrecevables, faute de répondre aux conditions de l'article 574 du Code de procédure pénale (cf. l’Ouvrage «Procédure pénale», L'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel N° Lexbase : E4487EUQ).
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par Clément Cousin, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université catholique de l’ouest | Nantes, Chercheur associé à l’institut de l’ouest : droit, Europe, UMR 6262, CNRS-Rennes1, Ancien juriste assistant à la Cour d’appel de Bordeaux, 5e ch. correctionnelle sur intérêts civils
Le 10 Octobre 2019
Cette chronique a pour objet les conséquences juridiques d’un dommage corporel. Les normes visées sont celles ayant trait à la réparation des dommages causés par une lésion corporelle ou un décès.
Il s’agira donc de connaître à la fois les règles substantielles et procédurales permettant la réparation des préjudices découlant de ces dommages.
Cette chronique couvre la période d’avril à septembre 2019 inclus.
I - Normes légales
Aucune norme légale à signaler.
II - Normes réglementaires (décret n° 2019-912 du 30 août 2019 N° Lexbase : L8794LR7)
Le décret n° 2019-912 du 30 août 2019 modifiant le Code de l'organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L8794LR7) est venu insérer un article R. 211-4-I au Code de l’organisation judiciaire au terme duquel certains tribunaux seront spécialisés et connaîtront d’un contentieux étranger à leur ressort. En matière de préjudice corporel, il faut noter que cela concerne les actions en responsabilité médicale, les réparations de dommages causées par un véhicule autre que terrestre ainsi que, au pénal, les délits et contraventions du Code du travail et du Code de la Sécurité sociale.
III - Normes prétoriennes
A - Généralités
1 - Le monopole des professions juridiques réglementées : valable pour la période non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire (Cass. QPC, 25 septembre 2019, n° 19-13.413, FS-P+B+I N° Lexbase : A0374ZQW)
Une société intitulée «centre de défense des assurés» a formé, devant la Cour de cassation, une demande de transmission d’une QPC sur la réglementation en matière de conseil juridique. Très concrètement, cette société souhaitait, manifestement, proposer des conseils juridiques aux victimes et l’ordre des avocats au barreau de Lyon a logiquement réagi sur le fondement de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
La Cour de cassation a décidé de ne pas transmettre la question au Conseil Constitutionnel, d’abord, au motif que la question n’est pas nouvelle et, ensuite, en ce que la réglementation n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif de protection des droits de la défense.
2 - Application de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique aux manœuvres obstétricales (Cass. civ. 1, 19 juin 2019, n° 18-20.883, FS-P+B+I N° Lexbase : A7775ZEP, Gaz. Pal., 30 juillet 2019, n° GPL358m3, p. 25, note C. Cousin)
Dans un arrêt du 19 juin 2019, deux questions étaient posées à la Cour de cassation à la suite d’une manœuvre obstétricale conduisant à une dystocie des épaules ayant causé une paralysie à un enfant. La première était relative à l’exigence d’anormalité exigées par l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH). La question appelle une précision plus qu’une révolution. La Cour de cassation confirme l’évidence que cette anormalité doit s’entendre du risque statistique entre le dommage dont on sollicite l’indemnisation et l’acte lui-même. Les défendeurs plaidaient pour une comparaison statistique entre l’acte litigieux et l’existence d’une lésion (l’élongation du plexus), peu important que cette lésion provoque le dommage dont l’indemnisation est sollicitée : la paralysie du plexus brachial. Ça n’est donc pas le fond de la décision qui retiendra l’attention, mais bien la motivation. La Cour exerce ici un contrôle lourd qui signale une attention particulière.
L’autre point abordé par cet arrêt est la conséquence de l’exigence d’un «acte» pour la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH). Cette exigence permet donc l’indemnisation des conséquences d’une manœuvre tout en prohibant l’indemnisation des conséquences dommageables de l’accouchement sans manœuvre. L’interprétation du texte par la Cour est des plus rigoureuses. Néanmoins, exclure, du champ de la solidarité nationale, les conséquences dommageables des accouchements est critiquable. Dès lors, nous plaidons pour une évolution du texte.
3 - CIVI : autonomie ! (Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-13.853, FS-P+B+I N° Lexbase : A7570ZHT)
La question n’est pas nouvelle (lire, en ce sens, Cass. civ. 2, 18 juin 1986, n° 84-17.283 N° Lexbase : A4840AAI et Cass. civ. 2, 9 juin 1993, n° 91-18.677 N° Lexbase : A5848AB9) et l’arrêt, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 19 juin 2019 (Cass. civ. 1, 19 juin 2019, n° 18-20.883, FS-P+B+I N° Lexbase : A7775ZEP), n’a que le mérite d’être une piqure de rappel : la CIVI est un mode parallèle d’indemnisation. Ainsi, un juge ne peut, au motif que les préjudices ont été intégralement réparés par une autre juridiction, juger irrecevable la demande d’indemnisation formée par la victime d’une infraction pénale.
4 - Aggravation (CE, 5° et 6° ch.-r., 13 mai 2019, n° 420825, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1611ZBB)
L’aggravation peut donner lieu à une nouvelle instance nécessitant une seconde expertise. Dans ce cas, le Conseil d’Etat indique, qu’en plus de solliciter l’indemnisation de préjudices non indemnisés au titre de la première action (ce qui implique que l’action ne se focalise pas sur l’aggravation uniquement), il est possible que la demande en aggravation ne fasse référence qu’à des préjudices non indemnisés lors de la première instance.
B - Postes de préjudices
1 - Préjudice sexuel (Cass. civ. 2, 4 avril 2019, n° 18-13.704, F-D N° Lexbase : A3316Y8C)
La nomenclature dite «Dintilhac» définit largement le préjudice sexuel comme englobant les préjudices touchant la sphère sexuelle dont la «perte de capacité physique de réaliser l’acte» sexuel. Il est donc tout à fait logique que la Cour de cassation, très attachée à cette nomenclature, ait jugé qu’une «gène positionnelle», intégrait ce préjudice et devait donc, même si elle était «simple», faire l’objet d’une indemnisation.
2 - L’incidence professionnelle réparée (mais délocalisée) (Cass. civ. 2, 23 mai 2019, n° 18-17.560, F-P+B+I N° Lexbase : A1913ZCT ; Cass. crim., 28 mai 2019, n° 18-81.035, F-D N° Lexbase : A1070ZDY)
La doctrine (cf. en ce sens, C. Cousin, l’incidence professionnelle amputée, JCP éd. G, n° 43, 22 octobre 2018, p. 1109 et G. Hilger, Gaz. Pal., 23 octobre 2018, n°332z1, p. 21) avait dénoncé une solution très discutable adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 septembre 2018 (Cass. civ. 2, 13 septembre 2018, n° 17-26.011, F-P+B N° Lexbase : A7683X4C). Cet arrêt refusait à la victime, inapte à tout travail, le bénéfice de l’incidence professionnelle au motif que celle-ci suppose une activité professionnelle. Il s’agissait d’une lecture formelle de la nomenclature dite «Dintilhac», celle-ci visant à compenser l’exercice professionnel plus difficile à caractériser.
Les critiques semblent avoir porté leurs fruits puisque la deuxième chambre a fait évoluer sa position sur ce point, suivie de près par la Chambre criminelle.
L’expression de l’évolution de sa position par la deuxième chambre civile est marquée de manière claire et nette dans un arrêt de rejet du 23 mai 2019 publié au bulletin. Dans les faits, la victime ne pouvait plus travailler à l’issue d’un accident de la route et le mémoire en demande avait bien saisi l’opportunité de l’arrêt du 13 septembre 2018, plaidant que l’incidence professionnelle ne peut être accordée que si la personne peut toujours travailler. La deuxième chambre juge, alors, que le retour à l’emploi de la victime est très aléatoire, ce qui n’empêche pas, néanmoins, de réparer la perte de chance de bénéficier d’une promotion professionnelle sur le fondement de l’incidence professionnelle. Le revirement est donc consommé, la deuxième chambre acceptant d’indemniser un aspect non financier ayant trait à l’activité professionnelle pour une victime inapte au travail sur le fondement de l’incidence professionnelle. Elle le fait de la manière la plus simple en autorisant à nouveau l’usage de l’incidence professionnelle.
Tel n’a pas été le choix de la Chambre criminelle qui, cinq jours plus tard, soit le 28 mai 2019, est saisie d’une affaire de blessures involontaires, un cycliste ayant été renversé par une camionnette. L’auteur a été reconnu coupable et, par un arrêt du 12 janvier 2018-soit avant l’arrêt du 13 septembre- sur intérêts civils, la Chambre correctionnelle de la cour d’appel de Metz rejette la demande de la victime formée au titre de l’incidence professionnelle au motif que la victime ne peut plus poursuivre d’activité professionnelle. De manière assez inattendue, la chambre criminelle opte, non pour le rattachement à l’incidence professionnelle, ce qui aurait été logique dans un contexte de limitation des postes de préjudices indemnisés, mais pour la reconnaissance d’un «préjudice distinct de la perte de gains professionnels futurs et découlant de la situation d'anomalie sociale dans laquelle il se trouvait du fait de son inaptitude à reprendre un quelconque emploi». En somme, ce que vient indemniser ce poste est, non la dégradation des conditions de travail, mais les conséquences sociales qu’aura la perte de la capacité de pouvoir s’insérer dans la société par le travail. Cette solution a pour elle la rigueur : l’incidence professionnelle n’était pas, à l’origine, conçue pour indemniser l’absence de travail. Néanmoins, on peut regretter la création d’un poste de préjudice supplémentaire, obscurcissant une matière d’ores et déjà complexe, ajoutant, de plus, une nuance entre les deux voies de réparations, civile et pénale.
3 - Interdiction de la forfaitisation de l’incidence professionnelle (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-17.571, F-D N° Lexbase : A5798ZEH)
Des juges d’appel avaient été saisi d’une demande d’indemnisation d’une incidence professionnelle. Selon toutes vraisemblances, la victime avait essayé de chiffrer l’accroissement de pénibilité que les séquelles de l’accident faisaient peser sur lui à l’occasion de sa profession. Néanmoins, les juges d’appel jugeaient non étayé le taux proposé et retenaient le forfait proposé par l’assureur. La sanction des juges du droit est sans appel : il est impossible d’apprécier forfaitairement l’incidence professionnelle et la cassation intervient pour violation du principe de la réparation intégrale.
La solution a pour elle la rigueur juridique : toute indemnisation doit être casuelle. Néanmoins, l’on achoppe ici à un écueil classique de l’indemnisation corporelle : comment évaluer en argent ce qui ne donne pas lieu à une rémunération ? L’incidence professionnelle fait donc l’objet de «tarifs», qu’on s’en défende ou non. Si celle-ci n’a pas sa place dans le référentiel, il est évident qu’aucune détermination «scientifique» ne saurait être possible, la seule technique restant acquise par l’expérience et un sens de la justice pour composer entre offre et demande. Néanmoins, les paramètres doivent être exposés et il est nécessaire que le juge argumente le choix de son quantum.
4 - PGPF (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-15.671, F-P+B+I N° Lexbase : A5721ZEM ; Cass. civ. 1, 9 mai 2019, n° 18-14.839, F-D N° Lexbase : A0766ZBY)
a - Fixation du quantum des PGPF : les juges du fonds souverains
La chose est classique : les juges du fonds disposent d’un pouvoir souverain dans l’appréciation des préjudices patrimoniaux en cas de décès de la victime directe (Cass. civ. 2, 28 juin 2007, n° 06-11.773, F-D N° Lexbase : A9423DWW). La position a été rappelée, sans ambiguïtés par la deuxième chambre civile, dans un arrêt en date du 13 juin 2019, pour le poste de gains professionnels futurs. Néanmoins, les juges du fond sont sous la surveillance de la Cour de cassation.
En effet, au stade du calcul, les juges du fond ne peuvent imputer, sur les PGPF, un revenu hypothétique dès lors que la victime ne travaille pas, comme l’indique la Cour de cassation dans un arrêt du 9 mai 2019. La position est conforme au principe d’indemnisation intégrale : seule la perte de chance est indemnisable ce qui signifie que le juge doit indiquer d’abord que la personne, si elle ne travaille pas, peut bénéficier d’un revenu et que ce revenu représentera une certaine somme. Il doit néanmoins affecter cette somme d’un coefficient représentant le risque de ne pouvoir trouver ce travail.
b - Appréciation de l’inaptitude (Cass. crim., 28 mai 2019, n° 18-82.877, F-D N° Lexbase : A0971ZDC)
Le principe de l’indemnisation de la perte de gains professionnels s’apprécie in abstracto. Il s’agit ainsi de savoir d’abord si, au moment du fait générateur de la créance d’indemnisation, la personne pouvait travailler. Ensuite, si la personne ne travaillait pas, deux options étaient envisageables. La première option, et c’était celle choisie par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 6 avril 2017, n° 15/11363 N° Lexbase : A4413UXQ), consiste à considérer que les revenus futurs, du fait de l’absence d’emploi au jour de la décision, sont hypothétiques. La solution néglige cependant un fait : si la personne ne travaillait pas avant l’audience, elle en avait, néanmoins, la possibilité après l’audience. Rien ne s’opposait, en effet, à ce que la personne puisse travailler, celle-ci ayant cessé, peut-être, temporairement. Néanmoins, ce qui est certain est que, du fait de l’accident, elle verra son aptitude au travail réduite ou anéantie. Dès lors, et il s'agit de la deuxième option, la seule solution est d’indemniser la perte de chance de pouvoir bénéficier de nouveau d’un revenu. C’est cette position qui est rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 28 mai 2019.
5 - Tierce personne : uniquement lorsque la victime n’est pas hébergée dans un centre (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-19.682, F-D N° Lexbase : A5826ZEI)
La question, qui a fait l’objet d’un arrêt le 13 juin 2019, s’était déjà posée en des termes presque similaires en 2016 (Cass. civ. 1, 15 juin 2016, n° 15-14.068, F-P+B N° Lexbase : A5444RTS, note C. Cousin, Les nomenclatures des préjudices corporels : comment ressusciter l’esprit du rapport Dintilhac ?, Revue Lamy droit civil, avril 2017, n° 147, p. 18.) et le refus de la cour d’appel de Paris est tout à fait justifié au regard de cette jurisprudence. Il lui était demandé d’indemniser l’intégralité du poste de préjudice de tierce personne alors même que la victime était accueillie à temps partiel dans un centre d’hébergement spécialisé. Dès lors que ce centre supporte une partie des gestes qui auraient pu être effectués par la tierce personne, il faut retenir, au moins pour la période échue, uniquement les durées de présence effective en famille et donc hors du centre.
6 - Précisions sur le préjudice d’établissement : absence d’incidence de l’existence d’enfants (Cass. civ. 2, 4 juillet 2019, n° 18-19.592, F-D N° Lexbase : A2968ZIR)
Le préjudice d’établissement englobe-t-il le «ré-établissement» ? C’était la question posée à la deuxième chambre civile par un pourvoi contre un arrêt de la cour d’appel de Rennes. Dans cet arrêt rendu le 4 juillet 2019, la demanderesse en cassation avait été reconnue victime de traite d’êtres humains et de proxénétisme aggravé. Devant une CIVI, elle sollicitait l’indemnisation de ses préjudices dont le préjudice d’établissement. Le pourvoi motivait dans deux sens. D’une part, il précisait que, si la victime avait des enfants, elle n’avait plus de contacts avec eux du fait de l’impossibilité pour elle de revenir dans son pays d’origine. La Cour de cassation ne répond pas à cette branche et se penche uniquement sur la seconde. Celle-ci précise, d’autre part, que la victime est veuve et que, du fait des infractions dont elle était victime, elle ne peut plus réaliser de nouveau projet familial. L’argument des juges d’appel était qu’il est impossible de solliciter l’indemnisation d’un préjudice d’établissement alors même que l’on a déjà fondé une famille.
A l’heure de la diversification des parcours familiaux, l’argument est daté. Le remariage des veufs et veuves est une réalité (en statistique, la question est connue depuis un article de 1956 : Pressat Roland, Le remariage des veufs et des veuves. InPopulation, 11ᵉ année, n°1, 1956. pp. 47-58. DOI : 10.2307/1525711 www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1956_num_11_1_4735). Si la probabilité d’un remariage (ou, à tout le moins d’une vie familiale sans mariage) est plus faible pour une veuve ayant des enfants d’un premier mariage que pour une célibataire sans enfant, elle n’en est pas pour autant inexistante, ce qui fonde la cassation.
La Cour de cassation, toujours dans son arrêt en date du 4 juillet 2019, en profite pour édicter un attendu de principe en la matière : «le préjudice d'établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un tel projet de vie familiale».
7 - Frais de logement adaptés : la location n’est pas un principe indérogeable (Cass. civ. 2, 23 mai 2019, n° 18-16.651, F-D N° Lexbase : A5917ZC7 ; Cass. civ. 1, 9 mai 2019, n° 18-15.786, F-D N° Lexbase : A0781ZBK).
La réparation du préjudice nécessitant un logement adéquat peut se faire de deux manières. D’une part, par la location d’un logement adapté, d’autre part, par l’adaptation du logement existant ou par l’acquisition d’un logement adapté. Dans les deux cas, il en résulte un surcoût pour la victime et c’est ce surcoût qui fait l’objet du poste de préjudice de frais de logement adapté.
La question s’est à nouveau (voir ainsi Cass. civ. 2, 2 février 2017, n° 15-29.527, F-D N° Lexbase : A4316TBH) posée à la Cour de cassation à la suite d’un accident de moto. La victime sollicitait non le prix de la location capitalisé mais un capital représentant la somme qu’il doit débourser pour acquérir un logement adapté. En principe, l’indemnité devant être servie doit être celle qui répare le préjudice. La différence entre la location et l’acquisition est que le premier mode est précaire tandis que le second est, du fait du lien réel, plus stable. Néanmoins, en théorie, économiquement, les deux solutions doivent se valoir, notamment lorsque l’on capitalise les sommes dues au titre de la location. Ce ne devait pas être le cas ici, si bien que les plaideurs durent mobiliser deux arguments supplémentaires. D’une part, ils sollicitaient l’achat et non la location parce que les travaux à entreprendre étaient importants dans le logement actuellement loué. Le preneur ne pouvait, en effet, modifier à sa guise le bien loué. D’autre part, ils avancaient le caractère précaire de la situation de preneur et plaidaient pour une solution pérenne.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 mai 2019, censure au visa du principe de la réparation intégrale et pour défaut de base légale. Elle reproche, ainsi, aux juges du fond de ne pas avoir recherché si, pour la victime, la réparation intégrale ne supposait pas d’indemniser l’acquisition plutôt que l’adaptation d’un logement loué. Et sur ce point, la Cour de cassation exerce un contrôle de la motivation, ce qu’elle confirme, dans un arrêt en date du 9 mai 2019, en exigeant une motivation expresse du refus d’indemniser les frais d’acquisition plutôt que les frais d’adaptation du logement existant.
8 - Choix du barème de capitalisation (Cass. civ. 2, 12 septembre 2019, n° 18-13.791, F-P+B+I N° Lexbase : A0800ZNX)
La Cour de cassation le rappelle : le juge du fond est souverain dans le choix du barème de capitalisation. Dans un arrêt du 12 septembre 2019, la Cour applique une position classique : le barème est choisi souverainement par les juges du fond (par ex : Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-18.196, F-D N° Lexbase : A0894RQ8). Néanmoins, la Cour précise ici que ce choix n’a pas à être soumis au débat contradictoire. Très concrètement, le juge n’a pas à solliciter, des parties, qu’elles se prononcent sur ce point ni à rouvrir les débats si celui-ci n’a pas été abordé. En pratique, les juges s’orientent massivement vers le barème publié par la Gazette du palais 2018.
9 - Préjudice d’angoisse de mort imminente : après l’accident et avec un état de conscience (Cass. crim., 14 mai 2019, n° 18-85.616, F-D N° Lexbase : A8523ZBB ; Cass. crim., 25 juin 2019, n° 18-82.655, F-D N° Lexbase : A3089ZHU)
On pensait les questions relatives au préjudice d’angoisse de mort imminente closes. Et pourtant, par deux arrêts, la Cour de cassation est venue préciser un point qui, jusque-là, était négligé. Les faits de l’espèce de l’arrêt du 14 mai 2019 s’y prêtaient bien : la victime avait vu la voiture lui foncer dessus de sorte qu’elle a saisi le caractère probablement inéluctable de sa mort avant l’impact. Il s’agissait alors de savoir si le préjudice d’angoisse de mort imminente pouvait être qualifié pour une angoisse précédant l’accident. Réponse négative de la Cour de cassation qui rappelle, dans le second arrêt, du 25 juin 2019, que l’indemnisation suppose aussi la conscience de la victime.
C - Liquidation du préjudice
1 - Actualisation de l’indemnité (Cass. crim., 28 mai 2019, n° 18-81.035, F-D N° Lexbase : A1070ZDY)
Un euro d’aujourd’hui n’est pas un euro d’hier. L’inflation (ou la déflation) aidant, la valeur de l’argent varie dans le temps. L’Insee met à disposition un moteur de conversion de la monnaie. Ainsi, 1000 euros en 2000 équivalent à 1290,24 euros en 2018.
L’arithmétique est simple quand on connaît le site de l’Insee. Néanmoins, se posait la question de savoir si le juge est obligé d’actualiser l’indemnité pour le cas où cela imposerait un calcul plus fastidieux. Dans un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 28 mai 2019, la victime percevait des salaires au Luxembourg et sollicitait une indemnité devant une juridiction française.
La Cour de cassation n’est pas clémente avec les juges puisqu’elle rappelle, dans cet arrêt, aux visas des articles 120 du Code civil (N° Lexbase : L1220ABS), 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC) et du principe de l’indemnisation intégrale que, «l'actualisation de l'indemnité allouée en réparation du préjudice est de droit lorsqu'elle est demandée».
Ce principe est classique maintenant. On peut remonter à un arrêt de 1992 (Cass. crim., 13 mai 1992, n° 90-87.633 N° Lexbase : A5186CSU) dans lequel le juge a, par un obiter dicta, glissé ce droit pour les parties. Ce droit se fonde sur le principe de l’indemnisation intégrale, celle-ci supposant d’allouer à la victime l’équivalent monétaire en vigueur au moment du jugement. Dès lors que la valeur de l’argent évolue, il est nécessaire de faire évoluer la valeur de l’indemnité.
2 - Imputation des créances des tiers payeurs (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-18.951, F-D N° Lexbase : A5700ZET)
Posée devant une CIVI, la question était de savoir si, dans le cas de l’imputation d’une rente d’invalidité conditionnée à l’état de santé de la victime, il était possible de limiter l’imputation de cette rente aux arrérages échus. La question n’est pas sans logique : dès lors qu’une incertitude existe, ici liée au fait que la rente est conditionnée à l’état de santé de la personne, il serait normal que l’on ne prenne cette rente que partiellement en compte dans le calcul de l’indemnité à verser.
Néanmoins, deux éléments ont fait pencher la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 13 juin 2019, vers l’exigence d’une prise en compte intégrale de la rente. D’une part, l’état de la santé de la victime était consolidé, ce qui, par définition, et réserve faite d’une aggravation, laisse penser que son état de santé ne va pas s’améliorer. D’autre part, l’article 706-9 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4091AZK) est strict et vise les indemnités tant reçues qu’à recevoir. Dès lors qu’une indemnité est certaine (ce qui est le cas ici du fait de la consolidation), elle rentre alors dans la catégorie des indemnités à recevoir et doit, alors, être imputée.
D - Procédures
1 - Eléments procéduraux spécifiques à la réparation du préjudice corporel
a - Caisse de Sécurité sociale non appelée : nullité encourue, mais pas devant la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-15.671, F-P+B+I N° Lexbase : A5721ZEM)
L’article L. 376-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8870LHY) impose, pour permettre le recours des caisses contre les tiers, que celles-ci soient appelées en déclaration de jugement commun. La question (pas nouvelle : Cass. civ. 2, 9 janvier 1991, n° 89-13575 N° Lexbase : A4422AHA) était de savoir si cette action peut être portée directement à l’occasion d’un pourvoi en cassation. Les juges du droit, par un arrêt rendu le 13 juin 2019, rejettent l’action en nullité au motif que celle-ci ne peut être directement portée devant eux. En effet, ceux-ci n’ont que la possibilité de contrôler l’arrêt attaqué au regard des mémoires et ne peuvent connaître du fond, ici de la réalité d’un appel en déclaration de jugement commun.
b - Prescription de l’action (CE, 5° et 6° ch.-r., 17 juin 2019, n° 413097, Publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6638ZEL ; Cass. civ. 2, 13 juin 2019, n° 18-19.604, FS-D N° Lexbase : A5817ZE8)
L’autonomie du droit de la responsabilité médicale n’en a pas fini de perturber les autres branches du droit. En général, en droit administratif, l’action se prescrit par deux mois (CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L2809LPQ) ou, à défaut de notification de ce délai dans la décision, dans le délai d’un an (CJA, art. R. 421-5 N° Lexbase : L3025ALM). La question posée au Conseil d’Etat était de savoir si l’action présentée au-delà de ce second délai était forclose.
Les juges du fond, dont la position est confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 17 juin 2019, admettent l’action et le Conseil rappelle, d’une part, que la règle du délai d’un an ne s’applique pas en matière de réparation de préjudices causés par les personnes publiques avant de préciser, d’autre part, que le délai de prescription applicable est à trouver, soit dans la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances des personnes publiques (loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics N° Lexbase : L6499BH8), soit, pour les dommages corporels, à l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2945LC3), ce qui est le cas en l’espèce.
Voilà une application d’un principe classique en matière de sources : lex spécialia generalibus derogant. Pour être parfaitement exhaustif, le Conseil aurait dû indiquer que le droit commun en la matière est à trouver à l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) et que l’article L. 1142-28 du Code de la santé publique n’est qu’une des trois exceptions à cette règle. Ainsi, cet article L. 1142-28 s’impose aux dispositions réglementaires du Code de justice administrative.
L’autre apport de cet arrêt est la non-opposabilité de la décision de rejet de la réclamation préalable lorsqu’elle ne mentionne que «le délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif serait interrompu en cas de saisine, dans ce délai, de la commission de conciliation et d'indemnisation».
Toujours en matière de prescription, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt en date du 13 juin 2019, que les dispositions relatives à la prescription des actions liées à l’amiante issue des lois de financement de la Sécurité sociale de 2011 sont bien dérogatoires à la loi du 31 décembre 1968 qui ne trouve donc pas à s’appliquer. Dès lors, en matière d’interruption de la prescription, c’est le droit commun qui s’applique, soit les articles 2240 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L7225IAT). Lex specialia toujours.
2 - Procédure pénale (Cass. civ. 2, 6 juin 2019, n° 18-15.738, F-D N° Lexbase : A9194ZDU)
On l’a vu, (C. Cousin, La constitution de partie civile n’est pas réductible à l’action civile, Lexbase, éd. priv. n° 766, 2018 N° Lexbase : N6865BXK), l’action civile peut parfaitement être intentée devant les juridictions civiles. En somme, l’article 470-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9931IQU), fondant la compétence du tribunal correctionnel pour connaître des questions relatives à l’action civile en cas de relaxe, ne peut s’interpréter comme imposant cette compétence.
La question s’est encore récemment posée et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que la concentration des moyens ne concerne pas l’option garantie à la victime entre procédure civile et procédure pénale pour solliciter l’indemnisation de son préjudice.
3 - Procédure civile d’appel (Cass. civ. 2, 18 avril 2019, n° 17-23.306, F-D N° Lexbase : A6046Y9S)
La question est maintenant classique concernant les demandes nouvelles et ne doit pas être négligée lors du choix de l’option entre procédure pénale et civile. En effet, la deuxième chambre civile, comme en témoigne l'arrêt rendu le 18 avril 2019, «globalise» la demande en considérant que la demande initiale porte sur l’intégralité de l’indemnisation du préjudice ce qui permet l’adjonction de demandes complémentaires. Il en va tout autrement de la Chambre criminelle qui analyse les demandes par postes de préjudices, ce qui interdit d’accepter des demandes complémentaires (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.917, F-D N° Lexbase : A9645IQB)
IV - Petites sources (Une étude statistique majeure : Christophe Quézel-Ambrunaz, Vincent Rivollier, Laurence Clerc-Renaud, Lola Wrembicki-Giely. De la responsabilité civile à la socialisation des risques : études statistiques, [Travaux universitaires] Université Savoie Mont Blanc, 2018. 〈halshs-01893954〉)
Une étude statistique importante a été menée sous la direction du Professeur Quézel-Ambrunaz. Son idée générale est d’interroger la responsabilité civile pour prendre en compte notamment les barèmes d’indemnisation. L’étude statistique est suivie d’une étude plus classique de la jurisprudence.
Ce qui est intéressant dans cette étude est qu’en plus de son caractère descriptif, elle se double d’une analyse prospective.
L’étude commence par faire le point sur l’utilisation et l’évolution de l’utilisation de la nomenclature dite «Dintilhac». Il est d’abord démontré que les non spécialistes de dommage corporels utilisent un peu moins la nomenclature dite «Dintilhac» et ont une petite tendance à regrouper deux postes de préjudices, ce qui ne surprendra pas. Ce constat est suivi d’une interrogation prospective : quels préjudices rajouter à la nomenclature. Sur ce point, il est noté que l’insertion des préjudices d’anxiété ou des souffrances endurées après consolidations sont souhaitées par les avocats mais pas par les magistrats. On y apprend aussi, chose peu étonnante, que les juristes sont partagés sur l’adoption d’une nomenclature non limitative par voie réglementaire, ce qui n’est pas le cas concernant le barème médical unique par voie réglementaire.
Concernant les barèmes médicaux, on apprend que les magistrats des deux ordres ne remettent quasiment jamais en cause le taux d’AIPP proposé par l’expert, peu important qu’ils soient ou non spécialistes du dommage corporel.
En général, les répondants sont à 66 % favorables à l’adoption de barèmes pour certains postes de préjudices. On le sait, certains avocats sont vent debout contre cette proposition et cela se confirme dans la ventilation par professions des répondants : les avocats spécialistes sont plutôt contre, les avocats non spécialistes plutôt pour, la même répartition se retrouve selon qu’ils défendent les intérêts des victimes (contre) ou des débiteurs (pour). Inversement, les magistrats sont à une écrasante majorité pour, peu important qu’ils soient ou non spécialistes. Sont principalement concernés les quantums de tierce personne, de souffrances endurées, de DFP, de préjudice esthétique.
Concernant les barèmes actuels (référentiel indicatif, barème de l’ONIAM ou du FGTI), les auteurs notent que, de manière surprenante, les magistrats spécialisés l’utilisent systématiquement tandis que le comportement est inverse pour les avocats spécialisés. On retrouve concernant la proposition d’un référentiel indicatif adopté par voie réglementaire les mêmes avis que pour la barémisation des postes de préjudices.
Concernant les tables de capitalisation, c’est sans conteste le barème de la Gazette du Palais qui l’emporte, avec quelques surprises sur la version appliquée. L’enquête a été menée en 2017 et certains juristes appliquaient encore celle de 2004. On note que le barème de l’université Savoie Mont Blanc (produite à l’initiative du porteur de l’étude) est largement négligé par les juges et les avocats.
L’étude s’intéresse, ensuite, à la socialisation des risques. Cela commence par une proposition relative à la capitalisation des indemnités. Il est proposé de verser le capital à un organisme qui servira ensuite une rente à la victime. Les avocats sont globalement contre. Concernant l’adoption d’une table de capitalisation à valeur réglementaire, les avocats sont plutôt contre tandis que les magistrats sont très largement pour. L’étude poursuit en testant plusieurs propositions provenant notamment de droits étrangers.
La seconde partie est intéressante en ce qu’elle délivre un certain nombre de données statistiques (plus de 2000 décisions traitées) et poste par poste. On y apprend par exemple que les hommes sont moins bien indemnisés que les femmes au titre des souffrances endurées ou que, toujours pour ce poste, les cours administratives d’appel indemnisent moins bien que les cours d’appel. Inversement, les femmes sont moins bien indemnisées au titre du préjudice sexuel et du préjudice d’établissement.
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Réf. : CE, 1° et 4° ch.-r., 2 octobre 2019, n° 432388, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2754ZQ3)
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par Charlotte Moronval
Le 09 Octobre 2019
► Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause l'article L. 4731-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5709K7L) qui prévoit qu’en cas de contestation par l'employeur de la réalité du danger ou de la façon de le faire cesser, notamment à l'occasion de la mise en œuvre de la procédure d'arrêt des travaux ou de l'activité, celui-ci saisit le juge administratif par la voie du référé.
Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 2 octobre 2019 (CE, 1° et 4° ch.-r., 2 octobre 2019, n° 432388, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2754ZQ3).
En l’espèce, une société demande au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle l'agent de contrôle de l'inspection du travail a ordonné l'arrêt des travaux réalisés à l'aide d'une trancheuse à jambon. Le juge des référés rejette sa demande. La société forme un pourvoi devant le Conseil d’Etat afin qu’il annule l’ordonnance du juge des référés.
La société demande également au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 4731-4 du Code du travail. En effet, elle soutient que les dispositions de cet article n'organisent pas, au bénéfice des employeurs, de voie de recours effective contre les mesures prises en application de l'article L. 4731-1 (N° Lexbase : L5702K7C) et que, par suite, elles méconnaissent, par elles-mêmes, le droit à un recours juridictionnel effectif, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété et sont, en outre, entachées d'incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes droits et la même liberté.
Enonçant la solution susvisée, les Hauts magistrats relèvent que l'ordonnance du 7 avril 2016 (N° Lexbase : L5257K7T) a mis fin à la compétence dérogatoire de l'autorité judiciaire en matière, en supprimant, à l’article L. 4731-4 du Code du travail, la mention du président du tribunal de grande instance et en lui substituant explicitement la saisine du juge administratif des référés. C’est désormais la juridiction administrative qui est compétente pour la contestation, par un employeur, des mesures administratives prises par l'inspection du travail sur le fondement de l'article L. 4731-1. Il est loisible à l'employeur de demander la suspension de l'exécution de la mesure prise par l'inspection du travail sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), voire de saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 (N° Lexbase : L3058ALT) dans le cas où la situation exigerait à très bref délai que soit ordonnée en référé une mesure de sauvegarde pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale. Dès lors qu'une mesure de suspension de travaux ou d'une activité poursuit ses effets après l'arrêt des travaux ou de l'activité en cause en interdisant qu'ils reprennent, une demande de suspension en référé conserve un objet tant que l'administration n'a pas mis fin à la mesure. Dans ces conditions, la société n'est pas fondée à soutenir que, faute de permettre une contestation utile en référé, les dispositions législatives qu'elle critique porteraient atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif (sur l'arrêt temporaire des travaux dans le bâtiment en cas de danger, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E3477ETX).
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