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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 04 Avril 2019
(Synopsis de l'émission Il était une fois, le Droit, sa vie, son oeuvre, diffusée le 19 mars 2019 à 17h30 - à écouter ici).
1 - « Il n'y a certainement aucun secteur de l'activité humaine qui dégage un ennui aussi total que le droit » sentence Michel Houellebecq à la 147ème page de son dernier roman, paru chez Flammarion, en janvier 2019 : Sérotonine, après avoir évoqué le rôle du héros/narrateur dans la défense des AOC.
A priori, la messe est dite : Houellebecq et le droit ne font pas bon ménage ; pis encore, on pourrait croire que le premier dès lors ignore le second ; alors que la chronique judiciaire nous apprend que la réciproque est fausse.
En effet, en 1998, l'auteur des Particules élémentaires s'est vu, par une décision de justice, contraint de changer la localisation et le nom d'un camping échangiste, après que ses responsables eurent menacé l'auteur d'empêcher la diffusion de son livre. Plus grave : en septembre 2001, ses déclarations sur l'islam, qualifié, dans la revue Lire, de « religion la plus con », provoquèrent une vigoureuse polémique. Attaqué en justice par la Mosquée de Paris et la Ligue islamique mondiale, dont la cause était défendue par l'avocat Jean-Marc Varaut, Houellebecq dut se justifier devant la 17ème chambre correctionnelle de Paris, le 17 septembre 2002. Soutenu par une kyrielle d'écrivains, dont Fernando Arrabal, Dominique Noguez et Philippe Sollers, l'écrivain fut relaxé le 22 octobre 2002. Le tribunal estima que ses propos, aussi critiques et violents fussent-ils, ne constituaient pas une « injure à l'endroit des musulmans ». Voilà ce que relatait Paul-François Paoli, dans le Figaro.
Alors, après Rémy Cabrillac, signant un singulier éditorial du vénéré Recueil Dalloz daté du 7 février 2019, et portant l’estocade fatale « non, le droit n’est pas une activité : la finesse du raisonnement et de l'analyse juridique ou la pratique de la disputatio […] font du droit un art et une science plus qu'un secteur d'activité » et montrant comment l’auteur de Sérotonine truffe son roman d’assertions ou de concepts juridiques ; mais plus encore après Nicolas Dissaux, l’estimable fondateur de la revue Droit et Littérature, qui dans Houellebecq un monde de solitudes, paru aux éditions L’Herne en début d’année, développe la thèse d’un Houellebecq contre l’individu des droits de l’Homme en ce que ces droits divisent désormais les hommes, et celle d’un Houellebecq contre la mort évoquant tour à tour la cryogénisation, le clonage, mais aussi l’essor religieux et la mémoire de l’auteur,
Que diable suis-je aller faire dans cette galère ?
C’est que, voyez-vous, comme l’analyse juridique chez Sade nous réserve certaines surprises, notamment quant à son empire sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, a contrario c’est bien parce que Sade a gagné que Houellebecq se méfie, pour ne pas dire plus, des droits de l’Homme ; c’est bien parce que le droit est devenu une technique normative que Houellebecq en fait l’apanage d’un capitalisme broyeur triomphant. Lui l’auteur éthique.
Alors, si je vous invite à écouter l’émission consacrée par La plume dans la balance sur Michel Houellebecq, l’individu et le droit, retransmise le 22 février 2019 sur Amicus radio, je vous propose donc une approche singulière autant sur les rapports pas si distants que cela entre Michel Houellebecq et le droit et plus précisément sur les manifestations et l’appréhension juridiques de son dernier roman : Sérotonine. L’idée est donc bien de dépasser l’approche littéraire, la dénonciation du capitalisme et de la misère sexuelle chère à l’auteur pour simplement montrer que de manière volontiers contrariée celui qui scande que le droit est d’un ennui total, parle de droit tout au long de son dernier roman bien conscient que l’on ne pourrait être un écrivain pythie de la société contemporaine en faisant totalement abstraction de cet art ou de cette science, c’est selon, qui structure et innerve de plus en plus cette même société.
2 - Pour commencer, il peut paraître nécessaire que je revienne sur la trame du roman, l’histoire de Sérotonine.
Voilà ce que nous en dit Cécile Dutheil sur En attendant Nadeau, Attention, spoiler !
"Sérotonine est une histoire banale et plate comme la terre avant Galilée. C’est l’histoire d’un mec, dirait Coluche, avec qui Michel H. n’est pas sans points communs. Il s’appelle Florent-Claude Labrouste, il a fait l’Agro (dont notre romancier est ancien élève), il quitte Monsanto pour rejoindre la task force de la Direction générale de l’agriculture et de la forêt de Basse-Normandie dont le but est de promouvoir le fromage normand dans les pays émergents. Son histoire sentimentale commence alors qu’il achève une liaison avec une Japonaise absente et pornographe ; elle se poursuit avec le souvenir de Claire, actrice ratée devenu alcoolique ; elle éclot en apparence avec Camille, jeune stagiaire que notre anti-héros a accueillie à la gare et dont il est tombé instantanément -et joliment, calmement- amoureux.
Le romancier serpente dans la vie de son faux-nez en profitant de la moindre occasion pour livrer un de ces concentrés satiriques dont il est maître : saillie sur l’Espagne de Franco, inventeur du tourisme de masse ; sur les indignadas, « femelles » des indignados ; sur les catholiques identitaires ; sur les adeptes du bio, puisque rien ne prouve la nocivité des OGM ; sur les théâtreux qui lisent les critiques du Monde et de Libération… La liste est infinie de tous les travers et les modes de la pensée actuelle sur lesquelles l’écrivain décoche une flèche trop bien vue pour être perfide. Fidèle à cette veine de caricaturiste, il balise son roman de noms de marques (« Zadig et Voltaire » devient « Blaise et Pascal »), de supermarchés synonymes d’uniformisation, de personnalités qui dominent, sinon les esprits, du moins le spectacle : Catherine Millet, Alain Finkielkraut et Christine Angot sont là, simplement imprimés, comme des stickers, amis ou ennemis de l’écrivain, qu’importe".
Sérotonine est donc le septième roman de Michel Houellebecq, par ailleurs Poète. On rappellera que l’auteur a obtenu le prix Goncourt en 2010 pour La Carte et le Territoire.
La sérotonine, c’est est aussi une monoamine de la famille des indolamines ; un neurotransmetteur dans le système nerveux central et dans les plexus intramuraux du tube digestif, ainsi qu'un autacoïde (hormone locale) libéré par les cellules entérochromaffines et les thrombocytes.
Elle est notamment impliquée dans la gestion des humeurs et est associée à l'état de bonheur lorsqu'elle est à un taux équilibré, réduisant la prise de risque et en poussant ainsi l'individu à maintenir une situation qui lui est favorable. Elle est donc indispensable à la survie des mammifères dont l'Homme, et a un effet antagoniste à celui de la dopamine qui favorise, au contraire, la prise de risque et l'enclenchement du système de récompense.
Pour Florent-Claude Labrouste, cela se résume, si je puis dire, à un petit comprimé blanc, ovale et sécable, ingéré tout au long du roman par notre héros, dépressif, sous l’appellation de Captorix.
3 - Alors, quelle mouche a bien piqué Michel Houellebecq pour qu’il témoigne d’une détestation apparente, sinon d’un mépris de surface pour le droit, et la matière juridique. Rémy Cabrillac a tôt fait de rappeler que, lorsque Flaubert écrivait « je ne vois rien de plus bête que le droit, si ce n'est l'étude du droit », au moins la pique émanait d’un écrivain qui a fait des études de droit. Houellebecq a une formation d’agronome et il est passé par la case Assemblée nationale en tant qu’adjoint administratif au service informatique… rien ne l’autorise dès lors à s’ériger en censeur de la matière juridique et à trouver le droit barbant ! Mais, cela explique, selon Nicolas Dissaut, et à la suite de Bernard Maris, que son œuvre ait un « parfum d’économie » beaucoup plus qu’une « odeur de greffe ».
Normal, toujours, selon Nicolas Dissaut : « contrairement à Balzac héritier de la France du Code civil, Houellebecq est l’héritier de mai 68, pour lequel l’homo festivus succède à l’homo juridicus. Pire : Houellebecq écrit à la veille d’une révolution conduisant à la décadence de la société, une décadence qu’aucune codification ne saurait endiguer ! ».
A contrario, pulvérisation des structures affectives, fragmentations des rapports amoureux, désagrégations des corps intermédiaires, invasion de la logique contractuelle, ébullition du désir, fermentation du nombrilisme, prolifération des droits de l’Homme, explosion du sado-masochisme, marchandisation du corps, invention du bricolage religieux, corrosion de la laïcité, érosions des valeurs : autant de tendances qui minent le droit aussi profondément que le reste ; relativise Nicolas Dissaut dans Houllebecq un monde de solitudes.
C’est donc toute l’ambiguïté de cet auteur, qui fustigeant le droit comme empêcheur de tourner en rond, a la présence d’esprit de s’en servir pour étayer sa thèse d’une civilisation technocrate décadente. Ce à quoi Rémy Cabrillac rétorquait à juste titre selon nous : Il est parfois des cas, pour paraphraser Lacordaire, où c'est la liberté qui menace et la loi qui protège.
Je vous propose dès lors de décliner l’incursion juridique de Michel Houellebecq dans Sérotonine pour bien comprendre que l’agronome (l’auteur comme le narrateur) écrit noir, mais pense gris.
4 - Houellebecq, le droit des personnes et les libertés individuelles
« Changer de prénom n'est pas difficile, enfin je ne veux pas dire d'un point de vue administratif, presque rien n'est possible d'un point de vue administratif, l'administration a pour objectif de réduire vos possibilités de vie au maximum quand elle ne parvient pas tout simplement à les détruire », écrit-il page 11.
Page 59 on peut lire : « Tous les articles en ligne sur internet insistaient, ceci dit, sur un point déjà bien mis e avant pas le documentaire : en France, toute personne majeure était lire ‘d’aller et de venir’, … l’abandon de famille, en France, ne constitue pas un délit même si à la même page l’auteur se plaint que nous vivions « dans un pays où les libertés individuelles ont tendance à se restreindre ».
Page 81 : plus sensible, le héros du roman évoque le suicide collectif de ses parents, encensant la démarche libertaire.
Page 252 : Houellebecq consacre un chapitre au droit de manifester, au sujet des confédérations paysannes menées par Aymeric l’ami chatelain agriculteur de Florent-Claude ; comme prémonitoire au mouvement des gilets jaunes.
Ainsi, le droit chez Houellebecq n’est pas source uniquement de contrainte. Le droit à la vie et son corollaire issu des droits fondamentaux que constitue le droit à une mort digne ou encore la liberté d’exprimer ses revendications marquent une nette évolution de l’auteur dont on aurait pu craindre qu’il fût plus en faveur des devoirs de l’individu que des droits et qu’il ne comprendrait rien au concept de dignité. D’extension du domaine de la lutte à Sérotonine, l’évolution est remarquable ; encore que globalement le droit soit bien cloué au pilori, en matière commerciale.
5 – Houellebecq et le droit commercial
Page 29 : on ne peut pas dire que Houellebecq défendre la protection des AOP sur les abricots du Roussillon avec une grande conviction… dans son esprit, tout cela est inutile ; la concurrence mondiale ravagera l’agriculture française…
Page 147 : sur les AOC, le héros confit que « ces questions d’un formalisme juridique exaspérant occupaient une part croissante de mon temps de travail, il fallait sans arrêt 'être dans les clous', par rapport à quoi je ne l’ai jamais vraiment su…. ».
Page 325 : notre héros est contraint de quitter l’hôtel où il réside car l’interdiction du fumer est désormais généralisée et obligatoire dans toute la chaîne Mercure. C’est évidemment un écho à la page 38 où le narrateur se consolait par le fait que jadis « l'oppression légale était moins parfaite alors, il y avait encore quelques trous dans les mailles du filet, mais aussi j'étais plus jeune, j'espérais pouvoir demeurer dans les limites de la légalité, je croyais encore en la justice de mon pays, j'avais confiance dans le caractère globalement bénéfique de ses lois ». L’oppression légale, l’interdiction de fumer donc, a rattrapé notre héros, contraint par une norme dont il ne cessera de fustiger l’absurdité, une norme proprement liberticide. Houellebecq refuse que l’on fasse du bien à l’individu malgré lui !
Est-ce dès lors le droit que l’auteur condamne ? on dirait plus volontiers la norme, la société normative que d’aucuns qualifieraient de technocratique que l’auteur réprouve comme « attentatrice » inutilement aux libertés fondamentales.
Pourtant, page 197, le droit peut s’avérer une solution lorsque le narrateur évoque la location de bungalows sur la propriété d’Aymeric, alors que les revenus agricoles sont insuffisants pour faire vivre l’exploitation et la famille du châtelain pas plus que le régime des monuments historiques ne sauve le château d’un délabrement.
6 - Houellebecq et le droit pénal : l’ultime garde-fou ?
Pages 36 et 37 : le narrateur encense les autoroutes espagnoles sur lesquelles on peut rouler à 150 : 160 km au lieu des 120 « parce que la coordination des bureaucraties européennes était de toutes façons moins parfaitement réalisée, d'où un laxisme général à l'égard des infractions mineures réalisées par des étrangers »…. Le droit comparé s’invite dans Sérotonine ; l’argument est populiste : il n’empêche que pouvoir rouler plus vite en France pour se retrouver en tête à tête avec sa compagne Yuzu dans son appartement parisien n’offre pas plus une perspective réjouissante au narrateur.
Page 55 : c’est la référence juridique la plus explicite du roman puisque Houellebecq évoque l’article 324 du Code pénal de 1810 ! « le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ou par celle-ci sur son époux n’est pas excusable () néanmoins , dans le cas d’adultère, prévu à l’article 336, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable ». Qu’est-ce qui empêche le héros du roman d’assassiner sa compagne ? Les conséquences pénales ? La difficile caractérisation du flagrant adultère ? L’impossible caractérisation de l’excuse bien que Yuzu soit libertine, et s’adonna même à la zoophilie ? La lâcheté du narrateur ? Une certaine éthique malgré tout plus vraisemblablement.
Etrangement, commettre un meurtre sur un enfant, celui de son amour de toujours Camille, après avoir envisagé de l’adopter (là encore une diatribe sur les difficultés de l’adoption), n’emporterait aucune violation des principes de notre héros. D’où un passage digne des Experts, page 299, « pour l’ADN, je ne savais pas exactement ce qui permettait de prélever l’ADN : sang, sperme, cheveux, salive ? J’avais prévu d’amener un sac plastique où je déversais au fur et à mesure les mégots que j’avais tenus entre les dents… » Le héros abandonne son funeste projet, la main tremblante sur la gâchette… L’homme n’avait plus rien à perdre for l’honneur, aurait dit François 1er… là encore, on pressent que l’éthique accompagne la vie en perdition de ce héros dépressif privé de tout.
Page 230 : Houellebecq évoque implicitement la question du port d’arme.
Page 286 : le héros entre illégalement et occupation sans titre le bar « Au duc Normand » pour espionner, son amour obsessionnel.
On constatera que Houellebecq fait le départ entre les crimes et les délits… les seconds s’apparentent bien à des contraintes sociétales inutiles….
6 – Houellebecq et le droit du travail
C’est sans doute l’incursion la moins prégnante dans Sérotonine : page 60, notre héros qui cherche à disparaître et à couper tout lien avec son ancienne vie confesse ; « restait la question de mon travail. J’avais un statut de contractuel au ministère de l’Agriculture et mon contrat était renouvelé annuellement, début août ».
Sérotonine n’est pas un roman d’entreprise, c’était le synopsis d’extension du domaine de la lutte comme le clonage et la bioéthique est celui de plateforme.
7 - A la lecture de ce septième roman, et dans la continuité de ce que défend Nicolas Dissaux, « Michel Houellebecq s’inscrit non seulement contre l’individu libéral mais aussi contre l’individu amoral ; il y a bien une certaine éthique conservatrice chez notre auteur. Cette éthique ne peut se confondre intrinsèquement avec les droits fondamentaux, mais Houellebecq sait que la liberté a pour prix la morale appliquée par chaque individu ». Le meurtre est impossible dans Sérotonine, le suicide est toléré pour autant qu’il assure une dignité à l’individu (les parents du héros ou Aymeric sur le barrage) dans la mort.
« Alors Je me résume. Les droits de l’Homme, la dignité humaine, les fondements de la politique, tout ça je laisse tomber. Je n’ai aucune munition théorique, rien qui puisse me permette de valider de telles exigences. Demeure l’éthique, et là oui, il y a quelque chose. Une seule chose en vérité, lumineusement identifié par Schopenhauer, qui est la compassion. A bon droit exaltée par Schopenhauer, à bon droit vilipendée par Nietzsche comme source de toute morale. Cela me permet nullement de fonder une morale sexuelle – mais ça, ce serait plutôt un soulagement. Cela permet par contre de fonder la justice et le droit » (dans, Lettre écrite le 26 avril 2008 entretien avec Bernard Henri Lévy in Ennemis publics, Flammarion, Grasset, 2008, p. 178-179).
C’est le paradoxe d’un auteur qui pour s’approcher de la philosophie sadienne n’en garde pas moins ses distances quant à l’aversion que ce dernier peut avoir pour Hobbes.
L’être sadien, selon Dominique Demange, est par essence complet, « il trouve sa propre satisfaction en lui-même, il est sans autre. Si la logique sadienne s’emploie constamment à inverser les opposés, à confondre les contraires, jusqu’à prêter son nom à cette figure de l’ambiguïté par excellence qu’est le sadomasochisme, c’est parce qu’elle vise à nier le moment symbolique de la différence sexuelle, par lequel s’établit le discours et se tisse la relation entre les êtres ».
Les conséquences d’une telle logique dans la sphère éthique et juridique sont radicales. Tout d’abord, l’isolisme conduit à un renversement complet de l’axiome de la Critique de la raison pratique d’Emmanuel Kant, philosophe chrétien par excellence : « Autrui ne sera jamais pour moi qu’un moyen de jouissance personnelle, et jamais ne pourra devenir en lui-même une fin. Toute liberté est illusoire, l’être humain est le jouet des lois aveugles de la nature ; la liberté de jugement est elle-même purement déterminée par la physique du corps (« toutes nos idées doivent leur origine à des causes physiques et matérielles qui nous entraînent malgré nous ») ; aucune instance ne peut donc venir détourner une créature du but que la nature a fixé en elle, à savoir la jouissance. Deuxièmement, une telle logique diabolique aboutit à la négation de toute loi universelle et de tout contrat social. Pour Sade, il n’est de loi que privilège, et de droit que droit d’exception. Une loi ne consacre jamais qu’un point de vue particulier à l’encontre d’un autre point de vue particulier, ce dont atteste son extrême variabilité dans le temps et l’espace ».
Si Houellebecq se méfie des lois universelles comme des droits fondamentaux, il n’en demeure pas moins que son crédo, pour paraphraser Bernard Edelman, dans Sade, le désir le droit, en 2014, « sa ‘morale‘, ce n’est pas, à l’inverse de Sade, l’égoïsme intégral : Houellebecq ne peut envisager la norme pour la norme ; au-delà de l’ennui que confère la norme, il reste convaincu que seule la loi du marché prévaut que ce soit dans l’entreprise comme en matière sexuelle, non chacun ne doit pas faire ce qui lui plait, chacun n’a pas d’autre loi que son plaisir et autrui n’est pas là pour le satisfaire comme il doit satisfaire autrui ! ».
D’ailleurs, si l’hédonisme était le crédo des héros Houellebecquiens, l’auteur ne pourrait plus dénoncer cette décadence civilisationnelle dont il fustige les effets sur les hommes qui errent sans trop savoir vers quelle fin, si ce n’est purement et simplement, consumériste, notre société veut nous conduire. La différence fondamentale entre Houellebecq et Sade, c’est que Sade propose une liberté sans limite de jouir d’autrui, tandis que chez Houellebecq, un Léviathan économique (le capitalisme) jouit infiniment de chaque individu sans même que ce dernier ne puisse espérer lui rendre la pareille.
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Le 09 Avril 2019
► L'équipe EJERIDD (Etudes Juridiques : Entreprise, Risque Industriel & Développement durable) du Centre de droit des affaires (CDA) de l’Université Toulouse 1 Capitole organise le 18 avril 2019 un colloque ayant pour thème «Projet PACTE : un renouveau pour l’entreprise ?»
Le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des entreprises (loi «PACTE») a pour ambition de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de se développer et, au-delà, de moderniser le modèle d’entreprise français. Quels sont les dispositifs destinés à «libérer» les entreprises ? Ceux destinés à les «rendre plus innovantes» mais aussi «plus justes» ? L’objectif de ce colloque est de fournir les clefs de compréhension de ce plan d’action dont l’ambition n’est pas seulement de donner aux entreprises les outils de leur développement économique au service de l’emploi, mais également de redéfinir leur place dans la société, via, notamment, une rénovation des règles de gouvernance et une redéfinition de l’intérêt social.
Responsables scientifiques
- Marie-Pierre Blin, Maître de conférences, UT1 Capitole, CDA
- Isabelle Desbarats, Professeur, UT1 Capitole, CDA
Programme
8h30 Accueil
- Corinne Mascala, Présidente de l’UT1 Capitole
- Philippe Nélidoff, Doyen de la Faculté de Droit et Science politique, UT1 Capitole
- Arnaud de Bissy, Professeur, UT1 Capitole, CDA
I - Reconquête économique : la dynamique portée par la loi «PACTE»
► Première table ronde (9h-10H30) : Faciliter le projet d’entreprise
Présidence : Corinne Saint-Alary-Houin, Professeur émérite, UT1 Capitole, CDA
- Mathilde Dols, Maître de Conférences, Université de Montpellier) et Claire Serlooten, Maître de Conférences, UT1 Capitole, CDA : Pacte : une loi de simplification pour les entreprises
- Gérard Jazottes, Professeur, UT1 Capitole, CDA : Le rebond dans la loi «PACTE»
- Rachel Garcia, Doctorante CDA, UT1 Capitole, juriste : L'assouplissement des pactes Dutreil transmission
Témoignage de Jean-François Laffont, Président de la Compagnie régionale des Commissaires aux Comptes (CRCC Toulouse)
10h30-11h Débats et pause
► Deuxième table ronde (11h-12h30) : Innover pour l’entreprises
Présidence : Jacques Larrieu, Professeur émérite UT1 Capitole
- Sophie Sabathier, Maître de Conférences, UT1 Capitole, CDA : De nouveaux horizons pour le financement participatif
- Lucas Bettoni, Maître de Conférences, Université Champollion, CDA : Un cadre juridique pour les crypto-monnaies dans le projet de loi «PACTE»
- Alexandra Mendoza-Caminade, Professeur, UT1 Capitole, CDA : Stimuler l'innovation par des mesures de propriété industrielle
- Sébastien Jambort, Maître de Conférences, IUT, CDA) : Le droit des robots et la loi «PACTE»
12h30 Débats
II - Justice économique : l’éthique portée par la loi «PACTE»
► Troisième table ronde (14h-16H) : (Re)penser l’entreprises
Présidence : Marie-Pierre Blin, Maître de conférences, UT1 Capitole, CDA
- Arnaud Lecourt, Maître de conférences, Université de Pau : Intérêt social et raison d’être des sociétés : quels contours, quels impacts ?
- Arnaud de Bissy, Professeur, UT1 Capitole, CDA : La crise existentielle des sociétés : quel impact fiscal ?
- Isabelle Desbarats, Professeur, UT1 Capitole, CDA : De l’intégration de la RSE dans le Code civil
Témoignages : Grégory Martin, Secrétaire Général CFDT Occitanie et Sophie Garcia, Présidente du MEDEF Occitanie
- Marie-Pierre Blin, Maître de conférences, UT1 Capitole, CDA et K. Rasolonoromalaza, Docteur en Droit, Université Aix-Marseille : Autour de l’entreprise à mission
- Camille Bénard, Maître de conférences, UT1 Capitole, CDA) : Les fonds de pérennité : nouvelle forme de fondation au service des entreprises
- Marie-Cécile Amauger-Lattes, Maître de conférences, UT1 Capitole, CDA)
16h-16h30 Débats et pause
► Quatrième table ronde (16h30-17H30) : (RE)penser la gouvernance de l’entreprises
Présidence : Gérard Jazottes, Professeur, UT1 Capitole, CDA
- Maître Magali Oustin-Astorg, Avocat, SELARL VOA Toulouse : Renforcer l’égalité femmes-hommes dans la gouvernance et les fonctions de direction des entreprises
- Bastien Brignon, Maître de conférences, IDA, Centre de droit économique, Université Aix-Marseille) : La réforme des actions de préférence
- Laurent Germain (TBS, Institut français des administrateurs IFA-Occitanie)
- G. Baechler (Université Paris-Est)
- Lucien Rapp, Professeur, UT1 Capitole, IDETCOM : Entreprises publiques, entreprises de souveraineté et contrôle des investissements étrangers
17h30 Débats et fin
Dates
Jeudi 18 avril 2019
8h30 - 17h30
Lieux
Manufacture des Tabacs - Bât. Q – Open Space
31000 Toulouse
Informations pratiques Inscription en ligne
www.ut-capitole.fr (rubrique Agenda)
Renseignements
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Réf. : Cass. com., 6 mars 2019, n° 17-22.668, FS-P+B (N° Lexbase : A0186Y3B)
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par Karine Rodriguez, Maître de conférences - HDR, Université de Pau et des Pays de l'Adour, Responsable du M2 Droit de la consommation
Le 03 Avril 2019
Responsabilité du banquier / Prêt remboursable in fine / Contrats d’assurance-vie nantis visant à garantir le remboursement du prêt / Point de départ du délai de prescription quinquennale
Une fois de plus à l’honneur, la responsabilité du banquier dispensateur de crédit pour manquement au devoir de mise en garde suscite l’interrogation dans le cadre d’un prêt remboursable in fine : celle de la détermination du point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité du garant.
En l’espèce, une banque avait consenti à une SCI un prêt remboursable in fine, soit au bout de douze ans. Ce remboursement devait être garanti d’une part, par le nantissement de deux contrats d’assurance-vie contractés par M. B. par l’intermédiaire de la banque et, d’autre part, par le cautionnement consenti également par ce dernier et la Société Crédit Logement. Mais, au bout des douze ans, le rachat des contrats d’assurance-vie par la banque n’avait pas suffi à rembourser intégralement la dette, de sorte que la banque s’était retournée, pour le paiement du complément, vers la SCI et les cautions. Ayant remboursé la banque, la Société Crédit Logement s’est retournée à son tour vers la SCI. M. B. et la SCI ont finalement assigné la banque en responsabilité contractuelle en lui reprochant de ne pas avoir pas informé M. B., lors de la souscription des contrats d’assurance-vie, du risque que le rachat de ces contrats ne suffise pas à rembourser le prêt à terme. C’est pourquoi se posait la question du point de départ de la prescription quinquennale de cette action en responsabilité.
La cour d’appel [1] déclare cette action prescrite. Selon elle, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter, il se manifeste dès l’octroi du prêt, et c’est à ce moment-là que commence à courir le délai de prescription de cinq ans.
Mais la Haute cour ne retient pas ce point de départ. Elle estime que le dommage invoqué par le souscripteur des contrats d’assurance-vie nantis consiste en une perte de chance d’éviter la réalisation du risque que, du fait d’une contre-performance de ces contrats, leur rachat ne permette pas de rembourser le prêt. Ce risque n’avait pu se réaliser qu’au terme du contrat de prêt. Ainsi, ce dommage, comme celui par ricochet, invoqué par la SCI, n’avaient pu survenir qu’à cette date, de sorte que l’action exercée n’était pas prescrite. L’arrêt est donc cassé au visa de l’article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L4314IX3) qui prévoit un délai de prescription quinquennal en matière commerciale [2].
Rappelons que la responsabilité du banquier relève du droit commun de la responsabilité contractuelle qui suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. Concernant la faute, c’est le non-respect du devoir de conseil et de mise en garde qui est ici invoqué. En effet, les devoirs du banquier ont évolué vers une subjectivisation de leurs obligations qui s’est traduite à leur charge par une obligation de conseil qui mute souvent en obligation de mise en garde dans le cadre de l’octroi d’un crédit où il s’agit d’éclairer le client sur ses engagements et de souligner les dangers potentiels de son engagement au regard de ses capacités financières. Or, dans le prêt in fine, les échéances ne comprennent que les intérêts, le capital se remboursant en une seule fois, à la fin de l’opération, ce qui peut s’avérer particulièrement dangereux. Dans ce cadre, la mise en œuvre du devoir de mise en garde du banquier se justifie donc particulièrement [3].
Pourtant, ce n’était pas le contenu de ce devoir qui était discuté en l’espèce, mais la prescription de l’action en responsabilité invoquée par le banquier. Il s’agissait ici de déterminer le point de départ du délai quinquennal prévu par l’article L. 110-4 du Code civil. Or si la Cour de cassation s’est déjà clairement positionnée en la matière, il semble qu’elle adopte ici une position nouvelle, qu’il conviendra d’analyser pour en mesurer la portée.
I - Renouvellement de la position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation
Il était acquis qu’en matière d’action en responsabilité du banquier pour non-respect de son obligation de mise en garde, «le point de départ du délai de prescription correspond au moment de la réalisation du dommage, ou de la révélation du dommage à la victime si elle n’en avait pas connaissance auparavant». La fonction indemnitaire de l’action en responsabilité orientait vers la prise en compte, comme point de départ de l’action, de la réalisation du dommage [4], position qui était déjà celle de la Chambre sociale concernant une action en responsabilité née du contrat de travail [5].
Dans cette logique, il était donc indispensable de caractériser le dommage pour déterminer le point de départ du délai de prescription. Or, la Chambre commerciale de la Haute cour estimait qu’en cas de manquement par le banquier à son obligation de mise en garde dans l’octroi d’un crédit, le dommage consistait en la perte de chance de l’emprunteur de ne pas contracter, qui se réalise et se manifeste dès l’octroi de crédit [6]. Elle retenait donc la date de la convention comme point de départ du délai de prescription [7].
En outre, conformément au principe dégagé, ce point de départ pouvait être glissant. Il semblait en effet possible de prendre en compte la possibilité pour le demandeur à l’action de ne pas avoir eu conscience du dommage tant qu’il ne s’était pas révélé à lui au travers de difficultés financières. C’est cette position nuancée qu’avait déjà adoptée la première Chambre civile quelques temps auparavant [8]. Dans cette espèce, tout en retenant la prescription de l’action, elle envisageait l’hypothèse dans laquelle l’emprunteur n’avait pas connaissance de la réalisation du dommage et recherchait concrètement le moment où le caractère dommageable des faits reprochés au banquier s’était révélé aux auteurs de l’action, soit, au plus tard, avec les premières difficultés de remboursement. Autrement dit, la première chambre civile retenait la date de la révélation à la victime, permettant ainsi un report du point de départ du délai [9].
On notera qu’il importe peu que ces décisions aient été rendues sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I). La réforme fait passer la durée de la prescription de dix à cinq ans, mais concernant le point de départ du délai, les termes de l’article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC) sont compatibles avec la position de la Haute cour [10]. La souplesse qui en résulte permet le maintien de la solution antérieure, et la conforte même par la référence à la «connaissance» des faits qui permettent d’exercer l’action.
Aussi, dans l’arrêt commentée, la cour d’appel avait adopté la même logique que la Chambre commerciale pour déclarer l’action en responsabilité prescrite, en considérant le préjudice constitué par une perte de chance de ne pas conclure le contrat existait dès la signature de ce contrat. Or, contre toute attente, la Chambre commerciale casse cet arrêt. Elle adopte un raisonnement en deux temps.
D’abord, elle qualifie et requalifie même, le dommage subi par le garant : il ne s’agit plus de «la perte de chance de ne pas contracter», mais de «la perte de chance d’éviter la réalisation du risque que, du fait d’une contre-performance de ces contrats, leur rachat ne permette pas de rembourser le prêt».
Ensuite, elle précise que le risque n’a pu se réaliser qu’au terme du contrat de prêt, ce dont elle déduit que ce dommage, comme celui subi par ricochet par la SCI, n’avait pu survenir qu’à cette date. Ainsi, l’action en responsabilité n’était pas prescrite.
A l’évidence, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ne reprend pas sa position classique. Elle innove. Mais comment interpréter sa position ? Change-t-elle réellement ? Le cas échéant, est-ce opportun et quelle en est la portée ?
II - Analyse de la position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation
Les faits de l’espèce se prêtaient à l’analyse classique en vertu de laquelle le principe consiste à dater le point de départ du délai au jour du contrat dès lors que c’est ce jour-là que le dommage constitué par la perte de chance de ne pas contracter se réalise, une exception étant envisageable en cas de méconnaissance du dommage par la victime, auquel cas, le point de départ du délai peut être reporté au jour de la connaissance effective. En effet, un diagnostic pouvait être mené afin de repousser la date de la révélation du dommage. Or, ici, deux éléments permettaient de faire jouer l’exception, sous peine de confondre fait générateur et dommage.
D’une part, il s’agissait d’un prêt in fine. Dans un prêt classique, la connaissance du manquement au devoir de mise en garde apparaît souvent au moment de la première échéance car c’est à cette date que l’emprunteur prend conscience du caractère excessif du crédit par rapport à ses facultés. En revanche, dans le prêt remboursable in fine, c’est seulement à la fin du crédit, lors du dénouement de l’opération par le remboursement du nominal que la conscience peut apparaître du caractère excessif du crédit [11]. D’autant qu’en l’espèce, le remboursement du capital intervenait au bout de douze ans.
D’autre part, le dommage invoqué était celui subi par le garant souscripteur des contrats d’assurance-vie nantis. Il est en effet acquis que le devoir de mise en garde joue autant à l’égard du débiteur que des garants [12]. Or, en général, un garant non averti ne mesure le risque encouru et son caractère excessif, que le jour où il est poursuivi en paiement à la place du débiteur principal. Le prendre en considération permettait donc d’autant plus en l’espèce de repousser le point de départ du délai de prescription.
Pourtant, la Chambre commerciale ne suit pas ce raisonnement. Elle requalifie le dommage encouru qui consiste désormais en la perte de chance d’éviter la réalisation du risque que, du fait d’une contre-performance des contrats d’assurance-vie nantis, leur rachat ne permette pas de rembourser le prêt. Puis, elle prend en compte la date de la réalisation de ce risque, c’est-à-dire le moment où le prêt in fine se doit d’être remboursé et que les contrats d’assurance-vie nantis destinés à le rembourser sont rachetés. Faut-il en déduire que la réalisation du risque deviendrait la règle pour déterminer le point de départ du délai de prescription, sans qu’il soit nécessaire d’étudier les circonstances de l’espèce ?
Ce raisonnement de la Cour pourrait faire l’objet d’une double critique.
En premier lieu, il est possible de regretter la qualification faite par la Chambre commerciale du dommage encouru à la suite d’un défaut de conseil ou de mise en garde en une «perte de chance d’éviter la réalisation du risque que, du fait d’une contre-performance des contrats d’assurance-vie nantis, leur rachat ne permette pas de rembourser le prêt». Le lien de causalité fait entre le défaut de conseil et de mise en garde et la contre-performance des contrats gêne quelque peu. Car à l’évidence, une mise en garde et un conseil convenablement effectués ne permettent pas d’éviter une contre-performance des contrats. La contre-performance est par définition liée à un contexte sur lequel le banquier n’a pas la totale maîtrise. Or, justement, l’obligation de conseil et de mise en garde permet d’en informer le souscripteur. L’objectif est alors qu’il prenne conscience du risque qu’il encourt en concluant des contrats risqués, de manière à l’inciter éventuellement à préférer d’autres contrats, moins risqués, ou tout au moins dont le risque est davantage adapté à ses facultés de financement. Ce faisant, l’obligation de conseil et de mise en garde permet au souscripteur d’avoir la chance de ne pas conclure ou de conclure un autre contrat, ainsi que le considérait classiquement la jurisprudence. Autrement dit, si le lien entre l’obligation de conseil et d’information et la conclusion du contrat est évident, l’obligation de conseil et de mise en garde ne permettant pas d’éviter la réalisation d’un risque inhérent à un contrat aléatoire, le lien fait entre les deux est plus contestable.
En second lieu, la solution mériterait d’être plus nuancée. Car plutôt que de prendre en compte la réalisation du risque, la Cour ne devrait-elle pas plutôt prendre en compte le moment de la connaissance par le garant de la possibilité que le rachat des contrats ne permette pas le remboursement prévu ? En effet, il est possible d’imaginer que le risque de mauvais résultats potentiels des contrats d’assurance-vie nantis soit connu avant l’échéance du prêt. Tel serait le cas lorsque les mauvais résultats apparaissent bien avant l’échéance du prêt in fine et que la banque en informe de manière explicite les souscripteurs. Dans de telles conditions et conformément aux termes de l’article 2224 du Code civil, le titulaire de l’action connaissait ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d'exercer l’action. Ne pas prendre en compte la connaissance du risque reviendrait à confondre la réalisation du risque et la connaissance de ce risque, alors que sa connaissance est le critère de détermination du point de départ du délai en vertu de l’article 2224 du Code civil. Le seul inconvénient qu’il y aurait à adopter cette dernière position concernerait les situations dans lesquelles la date de cette prise de connaissance du risque et la date de réalisation de ce risque sont très éloignées dans le temps. Dans ce cas, en pratique, le souscripteur n’agit en responsabilité qu’à l’échéance du prêt, c’est-à-dire lorsque l’aléa se réalise. En effet, jusqu’au dernier moment, le contrat peut «renaître de ses cendres». Mais c’est alors qu’il peut se heurter à la prescription de son action.
Et c’est peut-être là au fond la raison qui a incité la Cour de cassation à modifier son raisonnement alors qu’un résultat identique pouvait être obtenu en application de sa position classique : elle entend véritablement s’attacher désormais à la réalisation du risque, qui est selon elle la traduction matérielle du dommage. Par cette décision, elle assoit donc ce critère.
Des signes précurseurs de ce changement existaient au sein d’arrêts récents de la Cour de cassation en matière d’assurance ou de cautionnement [13]. Ainsi, dans un arrêt du 18 mai 2017, la Cour de cassation avait notamment estimé que «le dommage résultant d'un manquement au devoir de conseil dû à l'assuré sur l'adéquation de la garantie souscrite à ses besoins se réalise au moment du refus de garantie opposé par l'assureur» [14].
En matière de crédit également, la Chambre commerciale vient de rendre un arrêt dans lequel elle prévoit que les actions fondées sur le devoir de mise en garde ne sont possibles que si le risque s'est véritablement réalisé [15]. Il en découle en matière de prêt in fine qu'aucune action fondée sur un manquement au devoir de mise en garde ne saurait être admise avant l'échéance de ce prêt. Le risque potentiel mais non réalisé d'une impossibilité de remboursement ne pourrait être admis.
C’est en somme une nouvelle logique qui semble animer la Chambre commerciale de la Cour de cassation et par laquelle elle entend privilégier la protection des emprunteurs à la sécurité juridique. Toutefois, point d’inquiétude pour ceux qui craignent que cette position ne permette de contester tardivement une opération qui était proportionnée lors de son octroi. Si faveur procédurale il y a, il restera toujours nécessaire de démonter au fond le caractère disproportionné du crédit aux capacités financières de l’emprunteur ou du garant lors de l’octroi de crédit.
Il sera en outre intéressant de regarder dans quelle mesure la Cour de cassation étend la prise en compte de la réalisation du risque à des hypothèses de prêts qui ne seraient pas remboursables in fine. Encore que sur ce point, le Professeur Hugo Barbier explique parfaitement comment se critère s’adapte à toutes sortes de prêts puisque pour le prêt classique, le risque d’endettement se révèle dès les premières échéances. Il permettrait même «une approche unitaire du point de départ de la prescription des actions pour manquement aux devoirs d’information, mise en garde et conseil» [16].
[1] CA Aix-en-Provence, 11 mai 2017, n° 15/05103 (N° Lexbase : A5742WCN).
[2] C. com., art. L. 110-4 (N° Lexbase : L4314IX3) : «Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes».
[3] V. not. Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-11.545, F-D (N° Lexbase : A2542G9Z), LEDB, mai, 2011, p. 2 n° 589, J. Lasserre-Capdeville.
[4] V. A. Gourio, Deux précisions importantes concernant l’obligation de mise en garde du banquier prêteur, JCP éd. G, 2010, 354. En ce sens, elles se distinguent des actions en exécution de contrats qui prennent en compte la date de l’exigibilité de l’obligation et donc de l’inexécution de l’obligation.
[5] Cass. soc., 26 avril 2006, n° 03-47.525, F-P+B (N° Lexbase : A2052DPP) ; RDC, 2006, 1217, obs. J.-S. Borghetti.
[6] En matière de prêt : Cass. com., 26 janvier 2010, n° 08-18.354, FS-P+B (N° Lexbase : A6026ERM) ; D., 2010, AJ 578, V. Avena-Robardet ; D., 2010, 934, J. Lasserre-Capdeville ; JCP éd. E, 2010, 1153, D. Legeais ; JCP, 2010, 354, A. Gourio ; Gaz. Pal., 2010, 829, S. Piédelièvre ; Banque et droit, mai-juin 2010, p. 21, Th. Bonneau ; Dr. & Pat., septembre 2010, p. 108, J.-P. Mattout. En matière de crédit-bail : Cass com., 3 décembre 2013, n° 12-26.934, F-D (N° Lexbase : A8322KQB), LEDB, février 2014, p. 2, n° 003, obs. R. Routier.
[7] En ce sens également, v. plus récemment, Cass. com. 17 mai 2017, n° 15-21.260, F-D (N° Lexbase : A5050WDE) : «le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde d'information et de conseil consistant en la perte de la chance de ne pas contracter ou d'éviter le risque qui s'est réalisé se manifeste dès l'octroi du crédit, à moins que l'emprunteur ne démontre qu'il pouvait, à cette date, légitimement ignorer ce dommage».
[8] Cass. civ.1, 9 juillet 2009, n° 08-10.820, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7246EI9), D., 2009, AJ 1960, X. Delpech ; RTDCom., 2009, 794, D. Legeais ; RTDCiv., 2009, 728, D. Jourdain ; RDBF, 2009, comm. 186 ; Banque et droit, 2009, nov. Déc., p.37, Th. Bonneau.
[9] Cass. civ.1 28 septembre 2016, n° 15-21.191, F-D (N° Lexbase : A7317R4R) ; LEDB, novembre 2016, p. 5, J. Lasserre-Capdeville, pour une confirmation dans le cadre de la souscription de parts de FICP alors que les souscripteurs avaient légitimement ignoré le dommage lors de la souscription du contrat.
[10] C. civ., art. 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) : «Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer».
[11] En ce sens, v. Cass. civ. 1, 16 janvier 2019, n° 17-21.218, F-D (N° Lexbase : A6738YTQ).
[12] Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19.315, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A2499DPA) ; D., 2006, 1445, X. Delpech. Il est alors admis que le devoir de mise en garde doit être apprécié au regard de ses propres capacités financières comme au regard des capacités financières de l’emprunteur.
[13] Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-22.830, F-D (N° Lexbase : A9511WBU)
[14] Cass. civ. 2, 18 mai 2017, n° 16-17.754, F-P+B (N° Lexbase : A4966WDB), JCP éd. G, 2017, 717, n° 4.
[15] Cass. com., 13 février 2019, n° 17-14.785, FS-P+B (N° Lexbase : A3408YXI), JCP éd. G, 2019, 233, J. Lasserre-Capdeville.
[16] H. Barbier, Pour une approche unitaire du point de départ de la prescription des actions pour manquement aux devoirs d’information, mise en garde et conseil, RTDCiv., 2017, p. 865.
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Réf. : Cass. civ. 3, 28 mars 2019, n° 17-17.501, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7286Y7Y)
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N8350BXK
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par Vincent Téchené
Le 03 Avril 2019
► L'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; ainsi, les juges peuvent condamner l’ancien locataire de locaux commerciaux, sur le fondement de la répétition de l’indu, à rembourser les indemnités de remploi, pour trouble commercial et pour frais de déménagement, que le bailleur avait été condamné à lui verser par une décision de justice devenue irrévocable à la suite du non-renouvellement du bail, faute de réinstallation de l’ancien locataire.
Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu le 28 mars 2019 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 28 mars 2019, n° 17-17.501, FS-P+B+I N° Lexbase : A7286Y7Y).
En l’espèce un arrêt irrévocable du 17 juin 2010 a condamné une SCI à payer diverses indemnités à ses locataires à la suite du non-renouvellement de leur bail commercial. En raison de la non-réinstallation de ces derniers, la SCI les a assignés en répétition des indemnités de remploi, pour trouble commercial et pour frais de déménagement, les locataires lui opposant l'autorité de la chose jugée.
L’arrêt d’appel (CA Aix-en-Provence, 28 février 2017, n° 15/13804 N° Lexbase : A5648TPU) ayant accueilli la demande du bailleur, les locataires ont formé un pourvoi en cassation. Ils soutenaient que la répétition de l'indu est exclue lorsque les sommes ont été versées en exécution d'une décision de justice devenue irrévocable. Pour les condamner à répéter ces indemnités, l'arrêt d’appel a affirmé qu'il appartenait à la SCI de prouver la non-réinstallation des exposants dans un commerce et leur absence d'intention de se réinstaller lorsqu'ils ont reçu le paiement des indemnités, puis a retenu que cette preuve était rapportée. Or seule l’éradication de l’arrêt du 17 juin 2010 de l'ordonnancement juridique eût autorisé la SCI bailleresse à se prévaloir de la répétition de l'indu.
La Cour de cassation rejette le pourvoi : l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice. Ainsi, ayant relevé que, postérieurement à la décision du 17 juin 2010, les locataires ne s'étaient pas réinstallés, la cour d'appel a légalement justifié sa décision (cf. l’Ouvrage «baux commerciaux» N° Lexbase : E3705AYU).
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Réf. : CJUE, 27 mars 2019, C-681/17 (N° Lexbase : A1578Y7L)
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N8308BXY
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par Vincent Téchené
Le 03 Avril 2019
► Le droit de rétractation des consommateurs en cas d’achat en ligne s’applique à un matelas dont le film de protection a été retiré après la livraison. En effet, un tel bien ne relève pas de la notion de «biens scellés ne pouvant être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène et qui ont été descellés par le consommateur après la livraison», au sens de l’article 16 de la Directive 2011/83 du 25 octobre 2011 (N° Lexbase : L2807IRE).
Tel est le sens d’un arrêt rendu par la CJUE le 27 mars 2019 (CJUE, 27 mars 2019, C-681/17 N° Lexbase : A1578Y7L).
La Cour rappelle que le droit de rétractation vise à protéger le consommateur dans la situation particulière d’une vente à distance, dans laquelle il n’a pas la possibilité de voir le produit avant la conclusion du contrat. Ce droit est donc censé compenser le désavantage résultant pour le consommateur d’un contrat à distance, en lui accordant un délai de réflexion approprié pendant lequel il a la possibilité d’examiner et d’essayer le bien acquis dans la mesure nécessaire pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement de celui-ci. En ce qui concerne l’exclusion en cause, c’est la nature d’un bien qui est susceptible de justifier le scellement de son emballage pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène.
Elle précise que, d’une part, un tel matelas, bien qu’ayant été potentiellement utilisé, n’apparaît pas, de ce seul fait, définitivement impropre à une nouvelle utilisation par un tiers ou d’une nouvelle commercialisation. Il suffit, à cet égard, de rappeler notamment qu’un seul et même matelas sert aux clients successifs d’un hôtel, qu’il existe un marché de matelas d’occasion et que des matelas qui ont été utilisés peuvent faire l’objet d’un nettoyage en profondeur.
D’autre part, au regard du droit de rétractation, un matelas peut être assimilé à un vêtement, catégorie pour laquelle la Directive prévoit expressément la possibilité de renvoi après essai. Une telle assimilation est envisageable dans la mesure où, même en cas de contact direct de ces biens avec le corps humain, il peut être présumé que le professionnel est en mesure de rendre ceux-ci, après qu’ils ont été renvoyés par le consommateur, au moyen d’un traitement tel qu’un nettoyage ou une désinfection, propres à une nouvelle utilisation par un tiers et, partant, à une nouvelle commercialisation, sans porter préjudice aux impératifs de protection de la santé ou d’hygiène.
La Cour souligne toutefois que, selon la Directive 2011/83, le consommateur répond de toute dépréciation d’un bien résultant de manipulations autres que celles nécessaires pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement de celui-ci, sans qu’il soit pour autant déchu de son droit de rétractation.
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Réf. : Cass. soc., 27 mars 2019, n° 16-28.774, FS-P+B (N° Lexbase : A7152Y7Z)
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par Blanche Chaumet
Le 03 Avril 2019
► Doit être requalifié à temps complet le contrat de travail à temps partiel dès lors que les horaires de travail du salarié à temps partiel variaient constamment et que la durée du travail convenue était fréquemment dépassée, sans que l’employeur ne justifie du respect du délai de prévenance contractuel, en sorte que, compte tenu de l’incertitude avérée de ses horaires de travail, le salarié était contraint de demeurer à la disposition permanente de l’employeur.
Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 27 mars 2019 (Cass. soc., 27 mars 2019, n° 16-28.774, FS-P+B N° Lexbase : A7152Y7Z).
En l’espèce, un étudiant, titulaire d’une carte de séjour temporaire, a été engagé le 1er septembre 2010 par une société en qualité d’agent de sécurité, par contrat à durée indéterminée à temps partiel. Il a été victime d’un accident du travail le 25 juin 2011 et a été en arrêt de travail jusqu’au 4 juillet suivant. Licencié pour faute grave le 30 mars 2012, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant notamment à la requalification de la relation de travail en un contrat à temps complet et au paiement de différentes sommes au titre de son exécution et de sa rupture.
La cour d’appel ayant requalifié le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et ayant condamné l’employeur à verser au salarié une certaine somme à titre de rappel de salaire, ce dernier s’est pourvu en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le moyen du pourvoi (sur L'impossibilité pour le salarié de prévoir son rythme de travail chaque mois et la contestation des horaires, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E4331EXP).
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par Henri Paul, Président de chambre honoraire à la Cour des comptes, Avocat à la Cour of counsel UGGC Associés
Le 03 Avril 2019
Avec la publication très médiatisée du rapport public annuel de la Cour des comptes, début février, intervient aussi, de manière plus discrète, celle du rapport annuel de la Cour de discipline budgétaire et financière. A cette occasion, il peut être utile de revenir sur les grandes lignes de trois années d’activité et de jurisprudence de cette juridiction financière distincte mais associée à la Cour, présidée par le Premier président, vice-présidée par le président de la section des finances du Conseil d’Etat, et ayant le même parquet que la Cour.
Une dynamique
Sous l’impulsion du Procureur général près la Cour des comptes, Gilles Johanet, la Cour de discipline a incontestablement repris une certaine vigueur, avec une hausse sensible des activités liées à l’instruction : ainsi, par exemple, entre 2017 et 2018, le nombre de rapports d’instruction déposés est passé de 11,6 à 16, et le nombre d’auditions de personnes mises en cause et de témoins est passé de 59 à 81. Le nombre d’affaires en stock a crû régulièrement (53 au 31 décembre 2018 contre 45 au 31 décembre 2015).
La Cour, à la différence de la Cour des comptes, ne dispose pas de magistrats à temps plein. Les travaux d’instruction sont confiés à des rapporteurs près la Cour, parmi les 24 nommés dans ces fonctions et ils sont assistés par les deux greffières.
On sait que, parmi les autorités susceptibles de saisir la Cour, ce sont les chambres de la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes qui alimentent de manière très majoritaire le rôle (respectivement 15, 17 et 14 déférés pour chacune des années 2018, 2017 et 2016). Les ministres y ont peu recouru (une fois en 2018, trois fois en 2017, une fois en 2016). Le Parquet a pleinement joué son rôle en saisissant directement deux fois la Cour en 2016.
Le tableau ci-dessous résume l’activité de la Cour pour les trois dernières années :
Années |
Déférés |
Arrêts |
Rapports d’instruction déposés |
---|---|---|---|
2018 |
15 |
9 |
18 |
2017 |
20 |
5 |
19 |
2016 |
16 |
8 |
18 |
Total |
51 |
22 |
55 |
La loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 (N° Lexbase : L3531HD7) a ajouté au Code des juridictions financières les articles L. 313-12 (N° Lexbase : L1653ADL) et L. 314-1 (N° Lexbase : L1365LEB), qui prévoient la possibilité, pour la Cour de discipline, de sanctionner les manquements aux dispositions du 1° de cette même loi, relatives aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des jugements par les personnes morales de droit public. Les personnes susceptibles de saisir le ministère public près la Cour sont toutes celles qui peuvent saisir ordinairement la Cour plus les créanciers. Cette disposition, qui permet de sanctionner un défaut d’exécution d’un jugement condamnant l’Etat, une collectivité locale ou un établissement public au paiement d’une somme d’argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, en attrayant un des justiciables de la Cour (fonctionnaire ou gestionnaire, à l’exception des élus) devant cette même Cour, est peu utilisée : 30 nouvelles affaires en 2016, 44 en 2017, et 19 en 2018. C’est dommage parce qu’elle est efficace, car la menace de saisine est très dissuasive : le stock de dossiers en instance fin 2018 n’est plus que de 5.
Une compétence limitée aux gestionnaires, à l’exclusion des élus
L’article L. 312-1 du Code des juridictions financières rend justiciables de la Cour les gestionnaires : membres de cabinets ministériels, fonctionnaires civils et militaires, agents des collectivités locales et de leur groupements, représentants, administrateurs ou agents des autres organismes soumis au contrôle des juridictions financières. En revanche, les membres du Gouvernement et les élus locaux sont exclus, ce qui fait débat. Comme l’écrit «Les grands arrêts de la jurisprudence financière» (Dalloz, 6ème édition, p.30), la Cour est en quelque sorte la juridiction financière de droit commun de tous ceux qui participent à la gestion publique, à condition que cette gestion soit contrôlée par les juridictions financières.
Au cours des trois années sous revue, la Cour a été amenée à préciser encore l’étendue de sa compétence. Ainsi un arrêt n° 210-722 du 21 juillet 2016 (CDBF, 21 juillet 2016, n° 201-722 N° Lexbase : A6756RXI) a infligé une amende au directeur de cabinet du ministre du budget qui avait accordé un agrément fiscal sans avoir reçu délégation de signature à cette fin. Par un arrêt du 13 octobre 2017, elle s’est déclarée incompétente pour juger le président du conseil d’administration de la régie de l’Opéra national de Bordeaux, en même temps adjoint au maire de Bordeaux, car il devait être considéré comme exerçant ces fonctions en qualité de membre du conseil municipal désigné pour siéger dans un organisme extérieur[1]. A l’inverse, par un arrêt du 22 février 2018, «Société d’investissement de la filière pêche de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon», elle a confirmé qu’un élu, en l’occurrence président-directeur-général de la société, était justiciable de la Cour dès lors que ces fonctions ne constituaient pas l’accessoire obligé de son mandat de président du conseil territorial.
L’autonomie de sa procédure
L’année 2016 a été marquée par l’examen de questions prioritaires de constitutionnalité.
Dans l’affaire dite «Consortium de réalisation», plus connue sous le nom d’ «Affaire du Crédit Lyonnais», dont la Cour de discipline a été également saisie, l’article L. 314-18 (N° Lexbase : L1673ADC), qui précise que les poursuites devant la Cour ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale et de l’action disciplinaire, avait déjà été déclaré conforme à la Constitution par une décision du 24 octobre 2014. Mais les mêmes requérants se sont prévalus en 2016 d’un «changement de circonstances» pour reproduire leur argumentation. La Cour a donc à nouveau saisi le Conseil d’Etat qui saisit à son tour le Conseil constitutionnel. Par une décision n° 2016-550 QPC du 1er juillet 2016 (Cons. const., décision du 1er juillet 2016, n° 2016-550 QPC N° Lexbase : A9977RU3), le Conseil a déclaré l’article incriminé conforme à la Constitution sous deux réserves :
- l’une déjà formulée en 2014, selon laquelle il convient que le principe de proportionnalité des sanctions soit respecté, ce qui implique que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé des sanctions encourues ;
- la seconde est nouvelle et concerne plus spécifiquement les poursuites : «si les dispositions contestées n’instituent pas, par elles-mêmes, un mécanisme de double poursuite et double sanction (devant la juridiction pénale et devant la Cour de discipline budgétaire et financière), elles le rendent toutefois possible. Ces éventuels cumuls de poursuites et de sanctions doivent, en tout état de cause, respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui implique qu’une même personne ne puisse faire l’objet de poursuites différentes conduisant à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux».
Cette seconde réserve laisse ouverte la possibilité pour des requérants de saisir le Conseil constitutionnel de dispositions d’incrimination précises pour lesquelles ils estimeraient qu’elles répriment deux fois le même comportement, de manière contraire au principe de nécessité des délits et des peines[2].
Dans une autre espèce, l’arrêt n° 212-735-II du 30 décembre 2016 «Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse CIPAV» (CDBF, 30 décembre 2016, n° 212-735 II N° Lexbase : A9419SX7), fait application du principe de nécessité des délits et des peines, conformément à cette jurisprudence du Conseil constitutionnel. La Cour a considéré que les règles d’exécution des recettes et des dépenses visées par l’article L. 313-4 du Code des juridictions financières (N° Lexbase : L1644ADA), que les deux directeurs de la CIPAV avaient enfreintes, étaient celles relatives à la passation des marchés publics. Elle a constaté qu’ils avaient été condamnés pour les mêmes faits par le Tribunal de grande instance de Paris, que les sanctions qu’ils encouraient étaient de même nature que celles déjà prononcées par ce tribunal et que les intérêts sociaux défendus étaient les mêmes. La Cour a donc estimé que les deux directeurs ne pouvaient être sanctionnés à ce titre.
Dans une espèce «Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA)» , l’arrêt n° 217-730-II du 15 décembre 2017 (CDBF, 15 décembre 2017, n° 217-730-II N° Lexbase : A7125W7Z) écarte l’application du principe du non bis in idem en relevant qu’aucune des personnes déférées n’avait fait l’objet d’une condamnation définitive par le juge pénal.
La régularité de la procédure
Certains requérants ayant mis en cause la régularité de la procédure n’ont pas obtenu satisfaction, après un examen rigoureux des moyens invoqués.
La Cour, dans l’arrêt n° 210-722 du 21 juillet 2016 (CDBF, 21 juillet 2016, n° 210-722 N° Lexbase : A6756RXI), concernant l’octroi d’un agrément dérogatoire donné à une opération de défiscalisation, a rappelé les garanties d’impartialité et d’indépendance attachées aux statuts de ses membres. Elle a également analysé les garanties procédurales données (auditions de témoins, organisation de confrontations, versement d’éléments au dossier, etc.).
Dans un arrêt n° 207-745 du 22 avril 2016 «Agence nationale des titres sécurisés (ANTS)» (CDBF, 22 avril 2016, n° 207-745 N° Lexbase : A2983RXR), elle a refusé d’annuler la procédure en considérant que le rapport administratif, que le rapporteur avait refusé de verser au dossier contrairement à la demande du requérant, l’avait été du fait du ministère public, et que, donc, le même requérant avait pu y avoir accès. Elle a aussi écarté une demande d’un justiciable qui estimait que l’instruction aurait dû être étendue à d’autres pièces et aurait pu conduire à la mise en cause d’autres personnes.
Aux requérants qui faisaient observer que le texte du déféré émanant d’une chambre de la Cour des comptes ne permettait pas l’identification des membres de cette chambre et serait donc contraire à l’article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 (N° Lexbase : L0420AIE), la Cour répond, dans l’arrêt «ONEMA» déjà cité, que cette loi n’exigeait, s’agissant d’une autorité collégiale, que la signature du président, accompagnée de ses prénom, nom et qualité, mention que comportait le déféré. Dans cette même décision, la Cour a rappelé que les personnes mises en cause avaient accès à l’ensemble des pièces du dossier à tout moment de la procédure.
Les compléments d’instruction parfois demandés par le ministère public peuvent faire difficulté. Dans l’espèce «ANTS» du 22 avril 2016, la Cour a rejeté la demande du procureur général, formulée à l’audience, de surseoir à statuer et de décider d’un complément d’instruction en vue de rechercher la responsabilité d’autres personnes et de réexaminer les circonstances de l’affaire. La Cour a estimé qu’elle était en mesure de statuer et qu’elle n’avait pas besoin d’un complément d’instruction. Ce faisant, elle a de toute évidence réduit d’elle-même l’étendue de son contrôle.
Dans une espèce «Ordre national des chirurgiens dentistes» (CDBF, 29 novembre 2018, n° 224-800 du 29 novembre 2018 N° Lexbase : Z755538B), elle a rappelé que, dans le cadre d’une instruction complémentaire, le président de la Cour pouvait désigner le même rapporteur, que cette nouvelle instruction suivait les mêmes règles et était entourée des mêmes garanties d’impartialité que la première.
Dans l’affaire «Société d’investissement de Saint-Pierre-et-Miquelon» déjà citée, les requérants avaient fait grief à la décision de renvoi complémentaire prise par le procureur général, de s’appuyer principalement sur des éléments portés à la connaissance du ministère public dans le cadre d’une instance pénale en cours. La Cour a écarté ce grief en considérant qu’aucun des éléments contenus dans cette communication n’avait échappé à la défense qui avait pu y répondre.
L’application de la prescription
Aux termes de l’art. L. 314-2 du Code des juridictions financières, les infractions réprimées par la Cour se prescrivent par cinq années. Cette prescription est interrompue par le déféré de l’affaire au ministère public.
La Cour accepte le report du délai de prescription face à une infraction continue, c’est à dire de pratiques irrégulières se renouvelant sur une certaine période[3].
Dans un arrêt n° 271-730-II du 15 décembre 2017, «Office national de l’eau et des milieux aquatiques ONEMA», qui concernait notamment des irrégularités ayant affecté plusieurs marchés, la Cour a rappelé que lorsqu’un marché a été passé en période prescrite, les irrégularités, à les supposer établies, entachant sa procédure étaient couvertes par la prescription. Elle a jugé, tout en relevant divers manquements intervenus lors de la conclusion des marchés (détermination imprécise des besoins, montant non conforme à la forme du marché, actes d’engagement irréguliers), que lesdits manquements n’étaient pas de nature à entacher d’irrégularités les actes d’exécution du marché passés en période non prescrite.
En 2018, la Cour est revenue par deux fois préciser sa compétence dans le temps. En complément de l’arrêt précité, elle a, dans une espèce «Office des anciens combattants et victimes de guerre» du 3 mai 2018, jugé que la règle de prescription ne faisait pas obstacle à ce qu’elle procède à l’examen de la régularité des conditions d’exécution d’un marché public passé en période prescrite, pour la période d’exécution postérieure à la date d’acquisition de la prescription.
Dans un arrêt n° 223-786 du 12 octobre 2018 «Ecole nationale de formation agronomique» (CDBF, 2 octobre 2018, n° 223-786 N° Lexbase : A2245YGA, la Cour a réaffirmé sa jurisprudence plus ancienne[4] : lorsqu’une décision irrégulière a été prise en période prescrite et qu’elle a poursuivi ses effets sur la période non prescrite, cet ensemble d’opérations peut valablement être examiné sans que la prescription puisse être opposée à ce contrôle.
On peut reconnaître là l’influence de la Cour des comptes qui applique la même règle.
Les infractions relevées et sanctionnées
Pendant les trois années sous revue, quatre articles du code, parmi les huit définissant les infractions réprimées par la Cour, ont servi aux poursuites, comme presque toujours. Il s’agit des art. L. 313-1, 313-3, et surtout L. 313-4 et L. 313-6.
Les deux premiers articles répriment des infractions aux règles applicables en matière de contrôle financier portant sur l’engagement des dépenses (art. L. 313-1) et aux règles de compétence des autorités gestionnaires (dépenses sans en avoir le pouvoir ou la compétence, art. L. 313-3). Il est fréquent que ces infractions se cumulent avec des irrégularités plus graves et de véritables fautes de gestion. Plusieurs cas ont été relevés : bons de commande non soumis au contrôle financier, alors qu’ils auraient dû l’être, ni soumis à la délibération du conseil d’administration, dans une espèce «Agence nationale des titres sécurisés» (CDBF, 22 avril 2016, n° 207-745 du 22 avril 2016 N° Lexbase : A2983RXR) ; convention de bail signée au nom de l’Etat par le directeur général de l’enseignement supérieur sans avis préalable du contrôleur financier, dans l’espèce «Cité du cinéma» (CDBF, 26 juin 2017, n° 213-742) ; dépassement du seuil réglementaire au delà duquel la visa du contrôleur financier est requis pour des achats, pour «L’école nationale supérieure Louis Lumière» (CDBF, 26 juin 2017, n° 214-758 du 26 juin 2017 N° Lexbase : A6357WKN) ; manquement à l’obligation de compte rendu au conseil d’administration sur les conditions de rémunération du directeur, fixées par le président et le trésorier de «L’Institut Curie» (CDBF, 20 juillet 2017, n° 215-765 N° Lexbase : A3275WNM) ou défaut d’autorisation du conseil d’administration à un nouveau phasage d’une opération d’investissement (CDBF, 12 octobre 2018, n° 223-786 N° Lexbase : A2245YGA). La Cour, dans l’affaire «Office national de l’eau et des milieux aquatiques», a considéré que le défaut de publicité des délégations de signature rendait incompétent l’agent qui signait les marchés et actes d’engagement, fait constitutif de l’infraction visée par l’article L. 313-3 (CDBF, 15 décembre 2017, n° 217-730-II N° Lexbase : A7125W7Z).
L’article L. 313-4 du Code des juridictions financières punit tout justiciable qui aura enfreint les règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat ou des collectivités, établissements et organismes sous contrôle, ou qui, chargé de la tutelle de ces collectivités, établissements ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées. Il est celui qui est probablement le plus souvent invoqué devant la Cour, car il recouvre une très grande partie des fautes de gestion. Il vient très souvent sanctionner, sur déféré d’une chambre de la Cour des comptes ou d’une chambre des comptes, des irrégularités commises dans les marchés publics : passation irrégulière d’un avenant («Agence nationale des titres sécurisés», CDBF, 22 avril 2016, n° 207-745 N° Lexbase : A2983RXR), marché de travaux cumulant un délai de réponse insuffisant donné aux entreprises, une négociation sans publicité ni mise en concurrence, et une ingérence du futur titulaire du marché dans la préparation du même marché («Etablissement d’hébergement pour personnes âgées de Durtal», CDBF, 14 juin 2016, n° 208-737 N° Lexbase : A2984RXS). Lors de la passation d’un marché alloti de fournitures et d’installation d’équipements audiovisuels selon la procédure du dialogue compétitif, à «L’école nationale supérieure Louis Lumière», de nombreuses irrégularités ont été commises amenant à sanctionner la directrice (CDBF, 26 juin 2017, n° 214-758 N° Lexbase : A6357WKN) : absence de publication au journal officiel de l’Union européenne, insuffisance du nombre de candidats, phase de dialogue compétitif irrégulièrement conduite, absence de cahier des clauses administratives particulières, etc. Dans l’espèce «Office national des anciens combattants et victimes de guerre» (CDBF, 3 mai 2018, n° 220-783 du 3 mai 2018 N° Lexbase : A1956XME), la Cour a sanctionné, pour absence de vérification du service fait, la conduite d’un marché de prestations informatiques.
Sur la base de ce même article du code, la Cour a sanctionné la présentation et l’approbation d’états financiers non sincères («Ecole nationale de formation agronomique», CDBF, 12 octobre 2018, n° 223-786 du 12 octobre 2018 N° Lexbase : A2245YGA), la prise en charge par l’Ordre national des chirurgiens dentistes de dépenses de communication à des fins de défense des intérêts matériels de la profession (CDBF, 29 novembre 2018, n° 224-800 N° Lexbase : A2482YNA), l’octroi de subventions qui n’ont donné lieu à aucun compte-rendu d’exécution par les bénéficiaires («Chambre départementale d’agriculture de Tarn-et-Garonne», CDBF,13 décembre 2018, n° 225-790 N° Lexbase : A5304YQI).
L’infraction visée par l’article L. 313-4 a été reconnue constituée dans un dossier ayant trait à la gestion des ressources humaines : la signature d’un protocole transactionnel avec une salariée licenciée sans accord préalable du conseil d’administration («Agence nationale pour la rénovation urbaine», CDBF, 6 avril 2018, n° 219-793 N° Lexbase : A4622XKE). Mais, dans la plupart des cas de cette nature, elle se cumule avec l’infraction visée par l’article L. 313-6.
L’article L. 313-6 incrimine tout gestionnaire qui aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire et en nature, entraînant un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé, ou aura tenté de procurer un tel avantage. Il faut donc trois conditions cumulatives pour que l’infraction soit constituée. Au cours des trois années sous revue, plusieurs cas d’application de cet article se sont présentés. Dans l’arrêt n° 221-739 du 16 novembre 2016, «Centre hospitalier de Givors», les irrégularités commises, qui concernaient en des dépenses payées indûment à du personnel intervenant à l’hôpital (sages-femmes agents contractuels, praticiens effectuant des remplacements), constituaient des infractions réprimées à la fois au titre de l’article L. 313-4 et L. 313-6. Dans une autre affaire, intervenue en 2016, concernant l’agrément dérogatoire donné à une opération de défiscalisation relevant de la loi du 23 juillet 2003 (CDBF, 23 juillet 2003, n° 210-722 N° Lexbase : A6756RXI), la Cour a jugé que l’infraction n’était pas constituée au vu des éléments qui lui ont été produits : en effet la Cour a constaté que si la décision d’agrément qui accordait la réduction d’impôts sur deux exercices était irrégulière, le montant total de réduction d’impôt sur le revenu obtenu grâce à cette décision n’était pratiquement pas modifié, et que, donc le préjudice pour le Trésor n’était pas avéré[5]. Autrement dit, elle a requalifié d’elle-même des faits qui auraient dû entraîner à eux seuls la constatation de l’infraction. Cette interprétation prétorienne a pu être considérée comme particulièrement hardie par le Parquet, partisan d’une plus grande rigueur.
Dans l’affaire «CIPAV» (CDBF, 30 décembre 2016, n° 212-735-II N° Lexbase : A9419SX7), la Cour a considéré que le fait pour le directeur de l’organisme de s’être abstenu d’obtenir le recouvrement de majorations de retard sur un marché public était constitutif d’une infraction aux règles mentionnées à l’article L. 313-4, et entraînait un préjudice pour l’organisme, et le régime dont il assurait la gestion, infraction mentionnée à l’art. L. 313-6 du Code. Dans un autre cas («Institut Curie», CDBF, 20 juillet 2017, n° 215-765 N° Lexbase : A3275WNM), la Cour a considéré que le fait d’accorder une rémunération au nouveau directeur 3,5 fois supérieure à celle de son prédécesseur, alors que son niveau avait été jugé excessif par le comité financier de l’Institut puis par le comité des rémunérations, constituait un avantage injustifié accordé à autrui. En revanche, dans l’affaire «Opéra de Bordeaux», la Cour a considéré que la rémunération versée au directeur technique au-delà de sa limite d’âge avait donné lieu à service fait, qu’il n’était pas établi qu’elle était excessive au regard des fonctions exercées, ni qu’elle ait causé un préjudice à l’établissement (CDBF, 13 octobre 2017, n° 216-784 N° Lexbase : A0894W8M). Ce fut le cas également dans deux espèces jugées en 2018 et qui concernaient des marchés publics irréguliers : la conclusion de marchés publics irréguliers doit avoir été accompagnée d’un préjudice subi par la personne publique, pour que l’art. L. 313-6 trouve à s’appliquer («ANRU», CDBF, 6 avril 2018, n° 219-793 N° Lexbase : A4622XKE : la Cour estime que le marché a été exécuté conformément à son objet et dans les limites des quantités qu’il prévoyait, et que le montant de la transaction avait été exactement déterminé ; aussi : «Office national des anciens combattants et des victimes de guerre», CDBF, 3 mai 2018, n° 220-783 N° Lexbase : A1956XME).
Une appréciation des circonstances concrètes
La Cour de discipline est une juridiction répressive, mais reste cependant une juridiction administrative spécialisée, dont les arrêts relèvent en cassation du Conseil d’Etat, et non pas une juridiction pénale. Elle apprécie souverainement les faits de l’espèce, et peut retenir des circonstances atténuantes ou aggravantes, en tenant compte aussi de tout élément lié à la personne en cause. On sait, comme le rappellent Les grands arrêts de la jurisprudence financière (6ème édition, p. 494), que ce contentieux ne vise pas pour l’essentiel à réprimer les atteintes à la probité, mais à protéger l’ordre public financier. C’est peut-être ce qui motive la faiblesse des amendes prononcées, bien en deçà de celles qu’inflige le juge pénal. On pourrait parfois le regretter, quoique cette mansuétude soit compensée par la publicité donnée à certaines affaires.
Au cours de la période sous revue, la prise en compte de circonstances atténuantes ou aggravantes a été fréquemment observée. Dans l’affaire «Agence nationale des titres sécurisés» (CDBF, 22 avril 2016, n° 207-745 N° Lexbase : A2983RXR), les circonstances ont été au cœur des débats, et, par exemple, le fait qu’un directeur, en raison de ses fonctions antérieures, était informé des risques que comportait un projet informatique et du contexte dans lequel il allait diriger cette agence, a été considéré comme circonstances aggravantes. A l’inverse, dans l’affaire «Centre hospitalier de Givors» (CDBF, 16 novembre 2016, n° 211-739 N° Lexbase : A0715SHX), la Cour a fait usage d’une décision récente du Conseil d’Etat[6], selon laquelle «les dispositions du CJF fixant le montant minimal de l’amende dont sont passibles les personnes justiciables de la Cour ne font pas obstacle à ce que cette juridiction décide, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise et des qualités de gestionnaire de la personne mise en cause, de ne pas lui infliger d’amende». Et la Cour a décidé de ne pas infliger d’amende au directeur de l’établissement et à la directrice des soins, en raison du contexte difficile dans lequel ils exerçaient, les décisions irrégulières ayant été prises en connaissance de cause, et régularisées ensuite.
Au total, les trois années sous revue ont permis à la Cour de discipline budgétaire et financière de consolider sa jurisprudence, sans la bouleverser. L’entrée en vigueur en 2017 de l’ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016, modifiant la partie législative du code des juridictions financières ([LXB=]) a opéré un simple toilettage des dispositions relatives à la Cour, en prenant en compte la jurisprudence ou des pratiques en cours. Mais les limites qui ont pu être observées par le passé (lenteur de traitement des affaires - de l’ordre de trois ans ; absence d’appel ; exclusion des élus ; nombre relativement faible de saisines, et notamment par les pouvoirs publics) n’ont guère évolué. Dans son rapport au Président de la République de janvier 2015 «Renouer la confiance publique», le Président Jean-Louis Nadal regrettait le manque de visibilité et d’efficacité de cette juridiction. Sans aller jusque-là, on peut regretter que, face à l’exigence de transparence et de responsabilité qui transparaît aujourd’hui de certaines revendications, personne ne pense à remettre sur le métier une réforme de la CDBF souvent espérée et toujours remise à demain.
[1] Sur les hypothèses dans lesquelles les élus locaux sont justiciables de la CDBF, voir Les grands arrêts de la jurisprudence financière, 6ème édition, p. 504 et suiv..
[2] Commentaire sous la décision n° 2016-550 QPC.
[3] Sur ce sujet, voir Les grands arrêts de la jurisprudence financière, 6ème édition, p.186.
[4] 25 octobre 2005, «Ministère de La Défense, direction des constructions navales, contrat de vente se sous-marins Agosta au Pakistan», et 16 novembre 2012, «ANPE».
[5] Dans la même espèce, la Cour a affirmé que les «dépenses fiscales» étaient des dépenses au sens des articles L. 313-3 et 313-4 du Code.
[6] CE 6° et 1° ch.-r., 17 octobre 2016, n° 393519, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9434R7K).
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Réf. : CE Sect., 27 mars 2019, n° 424394, 424656, 424695, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1655Y7G)
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par Yann Le Foll
Le 03 Avril 2019
► Il n’appartient pas au Gouvernement de nommer les chefs de poste consulaire à l’exception de celui de Jérusalem eu égard, notamment, aux spécificités du contexte local et au rôle qu'il est conduit à jouer dans les relations entre le Gouvernement français et l'Autorité palestinienne. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 27 mars 2019 (CE Sect., 27 mars 2019, n° 424394, 424656, 424695, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1655Y7G).
Les compétences conférées aux chefs de poste consulaire par les textes qui leur sont applicables ne leur donnent pas, en principe, par elles-mêmes, vocation à être associés de manière étroite à la mise en œuvre de la politique du Gouvernement. Cette fonction ne constitue donc pas, au sens de l'article 25 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (N° Lexbase : L7077AG9), un emploi supérieur pour lequel la nomination est laissée à la décision du Gouvernement et qui est essentiellement révocable.
Le Gouvernement peut cependant faire état d'éléments propres à certains de ces emplois, tenant notamment à un contexte local particulier ou à l'importance des enjeux politiques, économiques ou culturels qui s'attachent à la présence de la France, ainsi qu’aux contacts avec les autorités décentralisées de nature à justifier, d'une part, que les titulaires de ces emplois soient nommés à sa seule décision, d'autre part, qu'ils puissent être librement révoqués à tout moment.
Toutefois, il ne ressort pas des pièces des dossiers et des éléments produits en défense que des circonstances propres aux postes de consul général de France à Barcelone, Bombay, Boston, au Cap, à Djeddah, Dubaï, Edimbourg, Erbil, Francfort, Hong-Kong, Istanbul, Kyoto, Los Angeles, Marrakech, Milan, Munich, Québec, Saint-Pétersbourg, Sao Paulo, Shanghai et Sydney seraient de nature à justifier que les emplois en cause soient pourvus à la décision du Gouvernement et essentiellement révocables.
Il en résulte l’annulation du décret n° 2018-694 du 3 août 2018, modifiant le décret n° 85-779 du 24 juillet 1985, portant application de l'article 25 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 (N° Lexbase : L6075LLL), fixant les emplois supérieurs pour lesquels la nomination est laissée à la décision du Gouvernement, en tant que ce décret ajoute à ces emplois vingt-deux emplois de chef de poste consulaire ayant rang de consul général (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E9418EPI).
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Réf. : CE Sect., 27 mars 2019, n° 426472, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1661Y7N)
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N8320BXG
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par Yann Le Foll
Le 03 Avril 2019
► L’obligation de faire naître une décision administrative préalable à l'introduction d'une requête tendant au versement d'une somme d'argent est exigée à peine d'irrecevabilité de la requête, laquelle peut être régularisée en cas d'intervention de la décision en cours d'instance. Ainsi statue le Conseil d’Etat dans un avis rendu le 27 mars 2019 (CE Sect., 27 mars 2019, n° 426472, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1661Y7N).
Il résulte de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2809LPQ), dans sa rédaction résultant du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 (N° Lexbase : L9758LAN), qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées.
En revanche, les termes du second alinéa de l'article R. 421-1 du Code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction.
Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle.
Dès lors, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E3092E4B).
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Réf. : Cons. const., décision n° 2019-770 QPC du 29 mars 2019 (N° Lexbase : A2871Y7H)
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par June Perot
Le 03 Avril 2019
► Lorsqu'une cour d'assises composée majoritairement de jurés, qui ne sont pas des magistrats professionnels, prononce une peine à laquelle s'attache une période de sûreté de plein droit, ni les dispositions de l’article 362 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9836I3P) ni aucune autre ne prévoient que les jurés sont informés des conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté et de la possibilité de la moduler ;
► il en résulte que les dispositions de l’article 362 du Code de procédure pénale, dans leur rédaction issues de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 (N° Lexbase : L0488I4T) sont contraires à la Constitution.
Telle est la position adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue le 29 mars 2019 (Cons. const., décision n° 2019-770 QPC du 29 mars 2019 N° Lexbase : A2871Y7H).
Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 11 janvier 2019 par la Cour de cassation (Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 18-90.030, FS-D N° Lexbase : A9851YSN). Le requérant faisait valoir que, faute de prévoir la lecture aux jurés des dispositions de l'article 132-23 du Code pénal (N° Lexbase : L3750HGY) relatives à la période de sûreté, l'article 362 du Code de procédure pénale ne garantirait pas que ceux-ci soient mis à même de connaître la portée et les effets de la peine qu'ils décident d'infliger. Il en résulterait selon lui une méconnaissance des principes de légalité et de nécessité des délits et des peines, de celui d'individualisation des peines, des droits de la défense et du droit au procès équitable, propres à exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines.
Le Conseil relève, comme il l’a jugé aux paragraphes 7 à 11 de sa décision du 26 octobre 2018 (Cons. const., décision n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018 N° Lexbase : A0702YIT ; lire, M. Brenaut, Constitutionnalité des périodes de sûreté de plein droit, Lexbase Pénal, novembre 2018 N° Lexbase : N6312BX3), que, d'une part, la période de sûreté ne constitue pas une peine s'ajoutant à la peine principale, mais une mesure d'exécution de cette dernière présentant un lien étroit avec celle-ci, d'autre part, le fait que la période de sûreté s'applique de plein droit, en vertu de l'article 132-23 du Code pénal, lorsque les conditions légales en sont réunies, ne méconnaît pas le principe d'individualisation des peines.
Toutefois, comme il l’énonce dans sa solution, le défaut d’information des jurés sur les conséquences de la peine prononcée sur la période de sûreté est contraire aux exigences constitutionnelles.
Abrogation à effet différé. Le Conseil juge que l’abrogation immédiate des dispositions aurait pour effet de priver les jurés de la garantie d'être informés de l'étendue des pouvoirs de la cour d'assises quant au choix de la peine. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, le Conseil estime qu’il y a lieu de reporter au 31 mars 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées (cf. l’Ouvrage «Procédure pénale», Le délibéré sur la culpabilité N° Lexbase : E2228EU3).
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Réf. : Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014, FS-P+B (N° Lexbase : A7324Y7E)
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N8340BX8
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par Blanche Chaumet
Le 03 Avril 2019
► Le salarié peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition ; l'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée du salarié et n'entre pas dans l'économie générale du contrat ; il en résulte que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles ne constitue pas une action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires ;
► les commissions de retour sur échantillonnages, qui sont fonction des résultats produits par le travail personnel du salarié entrent dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés.
Telles sont les règles dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 27 mars 2019 (Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014, FS-P+B N° Lexbase : A7324Y7E).
Dans cette affaire, une salariée a été engagée par une société le 11 août 1998 en qualité d'attachée commerciale. A compter du 27 juin 1999, le contrat de travail a été transféré à une autre société. Le 28 janvier 2002, les parties ont signé un contrat de travail de voyageur, représentant, placier exclusif. Licenciée le 18 octobre 2012, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
♦ Sur la demande d'indemnité pour utilisation du domicile personnel pour raisons professionnelles
La cour d’appel (CA Lyon, 5 mai 2017, n° 16/00049 N° Lexbase : A7647WBT) ayant condamné l'employeur à verser une certaine somme à la salariée au titre d'indemnité pour utilisation du domicile personnel pour raisons professionnelles, ce dernier s’est pourvu en cassation.
En énonçant la première règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi de l’employeur. Elle précise que la cour d'appel qui a relevé que l'action en paiement de l'indemnité d'occupation, qui était soumise auparavant à la prescription trentenaire n'était pas prescrite au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I) ayant réduit à cinq ans le délai de prescription applicable aux actions personnelles et mobilières de sorte que l'action introduite le 29 novembre 2012 avait été engagée dans le délai de prescription désormais applicable courant à compter de l'entrée en vigueur de la loi précitée, en a exactement déduit que les créances antérieures au 29 novembre 2007 n'étaient pas prescrites.
Par ailleurs, ayant constaté que l'employeur ne mettait pas à la disposition de la salariée un espace pour y réaliser ses tâches administratives et y stocker son matériel, et que la clause contractuelle de prise en charge à hauteur de 30 % des commissions des frais professionnels exposés ne comportait aucune mention de nature à établir que ce montant couvrait également la sujétion découlant de l'obligation pour la salariée d'utiliser une partie de son domicile personnel à des fins professionnelles, la cour d'appel a exactement retenu que la demande d'indemnisation de cette dernière devait être accueillie (sur Les sommes attribuées en vue de couvrir une sujétion particulière liée à l'emploi, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E0809ET7).
♦ Sur la demande de congés payés afférents aux commissions de retour sur échantillonnages
La cour d’appel ayant déboutée la salariée de sa demande de congés payés afférents aux commissions de retour sur échantillonnages, cette dernière s’est également pourvue en cassation.
En énonçant la seconde règle susvisée, la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel sur ce point au visa des articles L. 3141-22 (N° Lexbase : L3940IBK), dans sa rédaction applicable au litige et L. 7313-11 (N° Lexbase : L3448H9L) du Code du travail (sur Les éléments inclus dans le calcul de l'indemnité de congé payé, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E0877GAQ).
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Réf. : CJUE, 27 mars 2019, aff. C-201/18 (N° Lexbase : A1583Y7R)
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N8315BXA
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par Marie-Claire Sgarra
Le 02 Avril 2019
► Le droit européen n’impose pas une obligation de régulariser la taxe sur la valeur ajoutée grevant un immeuble qui a initialement été déduite correctement, lorsque ce bien a fait l’objet d’une opération de sale and lease back non soumise à la TVA.
Telle est la solution retenue par la CJUE dans un arrêt du 27 mars 2019 (CJUE, 27 mars 2019, aff. C-201/18 N° Lexbase : A1583Y7R).
En l’espèce, une société a pour activité la fabrication de dérivés de pomme de terre et est, à ce titre, assujettie à la TVA. Elle est également propriétaire de plusieurs immeubles pour lesquels elle a déduit intégralement les taxes ayant grevé les factures de construction, de transformation ou de rénovation. Afin d’augmenter ses liquidités, elle a conclu avec deux institutions financières des opérations de cession-bail, non soumises à la TVA, portant sur ces immeubles, divisés en lot.
A la suite d’un contrôle fiscal, l’administration fiscale belge a rejeté, en vertu du mécanisme de la révision, la déduction de la TVA initialement opérée sur les immeubles en cause en raison desdites opérations de cession-bail. Un relevé de régularisation a été soumis ; la société a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision de régularisation. Le tribunal de première instance de Hainaut a déclaré ce recours recevable et partiellement fondé. La société interjette appel de ce jugement devant la cour d’appel de Mons. La juridiction de renvoi se demande si, dans les circonstances telles que celles en cause, les dispositions de la Directive TVA (Directive (CE) 2006/112 du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L7664HTZ) imposent une obligation de régulariser la déduction de la TVA et, dans l’affirmative, si une telle régularisation est conforme aux principes de neutralité de la TVA et de l’égalité de traitement.
En vertu de la Directive TVA, la déduction de la TVA initialement opérée doit être régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer. Une régularisation doit avoir lieu, notamment, lorsque des modifications pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA. Ce régime de régularisation fait partie intégrante du régime de déduction de la TVA et vise à accroître la précision des déductions de manière à assurer la neutralité de la TVA, de telle sorte que les opérations effectuées au stade antérieur continuent à donner lieu au droit à déduction dans la seule mesure où elles servent à fournir des prestations soumises à une telle taxe.
Il ressort de la décision de renvoi que les immeubles en cause au litige ont été utilisés par la société de façon ininterrompue et durable pour ses activités professionnelles. La société a continué à utiliser les opérations réalisées aux fins de la construction, de la transformation ou de la rénovation des immeubles en cause pour ses opérations taxées en aval. Ce constat indique l’absence de modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions qui sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA.
Pour la Cour, la seule constitution d’un droit d’emphytéose non soumis à la TVA ne saurait être considérée comme une modification des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions qui est intervenue postérieurement à la déclaration de TVA. Une telle constitution n’a pas en soi pour effet de rompre la relation étroite et directe entre le droit à déduction de la TVA payée en amont et l’utilisation des biens ou des services concernés pour des opérations taxées en aval. Il s’ensuit que la Directive TVA n’impose pas une régularisation de la TVA initialement déduite dans des circonstances telles que celle en cause au principal.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2019-771 QPC du 29 mars 2019 (N° Lexbase : A2872Y7I)
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N8321BXH
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par Marie-Claire Sgarra
Le 02 Avril 2019
► Les dispositions régissant le barème de la redevance progressive de mines d’hydrocarbures liquides sont conformes à la Constitution.
Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 29 mars 2019 (Cons. const., décision n° 2019-771 QPC du 29 mars 2019 N° Lexbase : A2872Y7I).
Pour rappel, le Conseil d’Etat avait renvoyé devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de l’article L. 132-16 du Code minier (N° Lexbase : L8493LHZ). La requérante qui exerçait une activité d’extraction de pétrole brut soutenait que ces dispositions se traduisaient par une augmentation de 120 % du montant de la redevance dont elle était redevable au titre de l’année 2018, ce qui méconnaissait la liberté d’entreprendre.
Pour le Conseil constitutionnel, le législateur a par l’établissement de ce barème voulu mettre fin à la fiscalité incitative dont bénéficiaient les titulaires de concessions de mines d’hydrocarbures liquides en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en faisant porter la redevance sur la production annuelle d’huile brute. Par ailleurs, en appliquant à la valeur de la production annuelle de cette huile supérieure à 1500 tonnes un taux de 8 %, déjà appliqué à une part de la production extraite de puits mis en service avant 1980, les dispositions contestées ne font pas peser sur les titulaires de concessions de mines d’hydrocarbures liquides une charge excessive au regard de leurs facultés contributives et ne présentent pas un caractère confiscatoire.
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