La lettre juridique n°756 du 4 octobre 2018

La lettre juridique - Édition n°756

Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Briser la statue : l’honoraire de l’avocat face à la rigidité procédurale

Réf. : Cass. civ. 2, 13 septembre 2018, n° 17-14.171, F-P+B (N° Lexbase : A7896X49)

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par Pierre-Louis Boyer, Maître de conférences HDR, CREO-IODE Rennes I, ancien avocat, UCO Angers

Le 04 Octobre 2018

L’arrêt rendu le 13 septembre 2018 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient apporter une précision importante sur les modalités et pièces à éviter en matière de notification des décisions de fixation d’honoraires et de signification des ordonnances rendant exécutoires lesdites décisions. Or, cet arrêt pose deux questions qu’il nous faudra traiter en deux points bien distincts : un premier consacré à l’éclairage technique qu’apporte cet arrêt, dans un respect sans faille des formalités procédurales, et un second, dédié à la question de la finalité de la procédure, qui semble ici occultée par la deuxième chambre civile.

 

I - Notification de l’ordonnance de taxe et signification de l’ordonnance exécutoire

 

Dans l’affaire qui nous préoccupe ici, un justiciable a confié la défense de ses intérêts à un cabinet tourangeau, dans le cadre d’une affaire qui l’opposait à un établissement de crédit. L’avocat a, par la suite, saisi son Bâtonnier aux fins d’obtenir la fixation de ses honoraires. Le Bâtonnier de l’Ordre a rendu sa décision le 24 février 2015, décision qui a été adressée par lettre recommandée avec accusé de réception aux clients de l’avocat demandeur, conformément aux dispositions de l’article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) qui précise que «cette décision est notifiée, dans les quinze jours de sa date, à l’avocat et à la partie, par le secrétaire de l’ordre, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. La lettre de notification mentionne, à peine de nullité, le délai et les modalités du recours». Ce délai pour interjeter appel de la décision du Bâtonnier est, chose précisée dans l’article 176 du même décret, d’une durée d’un mois.

 

Toutefois, la notification n’a, semble-t-il, servi à rien car le courrier recommandé a été retourné au secrétariat de l’Ordre avec la mention «avisé non réclamé». Sans doute quelques lecteurs de ces lignes ont-ils déjà, voire souvent, été confrontés à ces petits malins.

 

Bien évidemment, le délai d’appel d’un mois ne pouvait courir, le destinataire n’ayant pas été, sans doute volontairement, informé de la décision du Bâtonnier.

 

Toutefois, après demande de l’avocat, l’ordonnance de taxe du Bâtonnier a été rendue exécutoire par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Tours en date du 27 mai 2015. Il est important de rappeler ici, comme nous l’évoquerons par la suite, que la décision d’un Bâtonnier en matière de fixation d’honoraires n’est pas une décision judiciaire et n’est donc pas exécutoire de plein droit [1]. Conformément aux dispositions de l’article 178 du décret de 1991, il est nécessaire de déférer la décision au premier président du tribunal de grande instance pour que ce dernier rende cette décision exécutoire.

 

Ce n’est que plusieurs mois après l’ordonnance du président du tribunal de grande instance confirmant la décision du Bâtonnier que l’avocat a fait procéder à la signification, par exploit d’huissier en date du 8 décembre 2015, de l’ordonnance de confirmation, précisant au destinataire de la signification le contenu de la décision initiale rendue par le Bâtonnier.

 

Le 27 janvier suivant, le client a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel d’Orléans, s’appuyant sur les dispositions de l’article 176 du décret de 1991 qui précise que «la décision du Bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d’appel, qui est saisi par l’avocat ou la partie, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Le délai de recours est d’un mois». Le premier président de ladite cour, par ordonnance en date du 27 avril 2016, a confirmé la première décision, d’une part, et a déclaré, d’autre part, le recours formé devant lui irrecevable au motif compréhensible que la signification de l’ordonnance de confirmation ayant été effectuée le 8 décembre, avec mention de la décision du Bâtonnier et du contenu de cette dernière, le délai de recours était expiré.

 

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 13 septembre 2018, casse et annule purement et simplement l’ordonnance du 27 avril 2016 rendue par le premier président de la cour d’appel d’Orléans, et ce sur deux principaux motifs distincts.

 

Tout d’abord, la Haute Cour indique que, au regard des dispositions des articles 175 et 176 du décret de 1991, il semble nécessaire que le destinataire de la notification de la décision du Bâtonnier ait reçu cette décision. Cela signifie que le simple envoi, en recommandé avec accusé de réception, ne fait pas courir le délai de recours d’un mois de l’article 176 [2]. Au final, le destinataire peut donc, de lui-même en ne réclamant pas le pli, refuser de faire courir le délai de recours.

 

La Cour de cassation vient aussi préciser que la seule signification de l’ordonnance de confirmation rendue par le président du tribunal de grande instance ne fait pas courir le délai ouvert pour contester l’ordonnance de taxe du Bâtonnier, d’autant plus que cette ordonnance de confirmation ne comportait aucune mention sur les voies et délais de recours ouverts contre cette décision, contrairement à ce qu’exige l’article 680 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1240IZX) qui souligne le fait qu’un délai de recours ne court qu’à compter d’une notification indiquant de manière très apparente le délai de recours, ainsi que ses modalités [3].

 

Enfin, la Cour, au motif que l’exploit d’huissier du 8 décembre 2015 ne contenait que deux éléments, à savoir la grosse de l’ordonnance du tribunal de grande instance en date du 27 mai 2015 par laquelle le président de cette juridiction accordait l’exécutoire à l’ordonnance de taxe du bâtonnier et un commandement de payer rappelant le contenu de la décision du 24 février 2015, considère que le délai de recours contre cette dernière ne pouvait courir au terme des dispositions de l’article 640 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6801H7Z) car le délai de recours contre une décision ne commence à courir qu’à compter de sa notification [4]. Or, la signification du 8 décembre 2015 ne comportait intégralement que l’ordonnance du président du tribunal de grande instance, et non la décision du Bâtonnier dans son ensemble.

 

Nous pourrions dès lors conseiller aux avocats et aux Ordres la chose suivante : quand le courrier vous est retourné par un client qui n’a pas daigné «réclamer» son recommandé notifié, pensez à procéder automatiquement à une signification, comme le sollicite les greffes quand les avis de réception des courriers de notification de décision n’ont pas été signés conformément aux dispositions de l’article 670 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6848H7R).

 

II - Du rappel des limites de l’autorité du Bâtonnier à la chicane procédurale

 

Il nous faut nécessairement à présent apporter une critique de trois ordres sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation, arrêt qui nous semble tant excessif que sans réelle prise en considération de la finalité de la procédure.

 

Tout d’abord, la Cour justifie l’application littérale et sans doute trop zélée des dispositions du Code de procédure civile en s’appuyant implicitement sur l’idée de protection des droits de la défense et du justiciable. Mais elle ne prend pas du tout en compte le fait que le coût et la réalité du travail qui pourrait être imposés aux personnels des barreaux à la de suite ces «avis non réclamés» vont, de fait, peser sur les Ordres et sur les avocats, et ce au bénéfice du justiciable, parfois client mauvais payeur. Les Ordres, comme les avocats, vont devoir s’assurer que les recommandés ont bien été reçus, faute de quoi ils devront procéder, comme nous l’évoquions ci-avant, à une signification par voie d’huissier. Ce serait, presque, en somme, une rupture d’égalité.

 

Certains commentateurs se réjouissent déjà de cette décision au motif qu’il ne serait pas concevable «d’utiliser les juridictions comme un moyen détourné de signification d’une décision qui n’avait pas été convenablement notifiée». D’une part, il faut rappeler que ce n’est pas «utiliser les juridictions» que de solliciter d’un magistrat une ordonnance, d’autant plus qu'une disposition légale -en l’occurrence l’article 178 du décret de 1991- impose cette sollicitation par requête pour que la décision initiale soit rendue exécutoire. D’autre part, il faut aussi souligner le fait que la décision a bien été «convenablement notifiée» ; car c’est bien l’absence de réclamation du client qui a entraîné ces complications, l’ordonnance de taxe n’étant absolument pas critiquée. Cet empressement laudatif apparaît fort curieux et infondé [5].

 

Sans doute faut-il ici rappeler pourquoi il est nécessaire, pour que la décision de fixation d’honoraires d’un Bâtonnier soit rendue exécutoire, d’obtenir une ordonnance du président du tribunal de grande instance.

 

Le Bâtonnier n’est pas, dans le cadre de fixation d’honoraires, une autorité judiciaire. La Cour de cassation [6] et le Conseil d’Etat ont, depuis maintes années, rappelé cela : «Considérant que lorsqu’il intervient dans le règlement des contestations en matière d’honoraires et de débours, le Bâtonnier, dont la décision n’acquiert de caractère exécutoire que sur décision du président du tribunal de grande instance, n’est lui-même ni une autorité juridictionnelle ni un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales» [7].

 

Le Bâtonnier n’est pas, en effet, une autorité juridictionnelle mais bien une autorité conciliatrice. A ce titre, sa décision n’est pas revêtue de la force exécutoire et ne peut jamais en être revêtue [8], comme nous l’évoquions précédemment. Les présidents de tribunaux de grande instance sont donc saisis à cet effet, et non dans le but de les «utiliser» sans raison aucune… tout simplement car la décision du Bâtonnier n’est pas exécutoire de plein droit.

 

Une dernière réflexion qu’il nous faut ici mener est de savoir si l’arrêt de la Cour de cassation n’est pas en inadéquation avec la finalité de la procédure et des règles déontologiques de la profession d’avocat. Que les dispositions des articles 640 et 680 du Code de procédure civile, et celles des articles 175 et suivants du décret du 27 novembre 1991, n’aient pas été scrupuleusement et littéralement respectées est une chose. Mais la question que les Hauts magistrats auraient dû se poser avant de rendre leur arrêt est de savoir quelle est la finalité première d’une notification ou d’une signification. Or, cette finalité est bien d’informer la partie du contenu d’une décision, et donc de s’assurer qu’elle est bien destinataire du fond d’un jugement. Dans le cas d’espèce, sans même supputer l’existence d’une convention d’honoraires préalablement établie entre l’avocat et le client, on ne peut que constater que le client n’a volontairement pas réclamé un pli qui lui était adressé par un Ordre d’avocats, qu’il a été informé par voie d’huissier du fond de la décision du Bâtonnier -même si celle-ci n’était pas entièrement signifiée avec l’ordonnance la rendant exécutoire- et qu’il n’a pas contesté, dans les délais légaux, le contenu de cette ordonnance de taxe dont il a pris connaissance le jour-même où la grosse lui a été délivrée.

 

Matériellement, certes, la signification de la décision d’honoraires n’a pas été faite. Mais l’information du contenu de cette décision a bien été transmise à la partie, accompagnée d’une ordonnance rendant exécutoire cette décision. Comment pourrait-on rationnellement envisager qu’une partie puisse recevoir une ordonnance rendant exécutoire une décision sans qu’elle ne s’enquière de la décision initiale ? C’est malheureusement faire de la procédure un instrument de chicanes, alors qu’elle devrait être un moyen de tendre au Juste. Une solution plus équitable, protégeant tant l’avocat (et son Ordre) que les droits du justiciable, aurait été d’affirmer qu’en cas d’absence de réclamation d’une décision de fixation d’honoraires -qui n’est, faut-il le rappeler, qu’un établissement a posteriori d’une convention d’honoraires- dument notifiée et suivie de la signification d’une ordonnance rendant celle-ci exécutoire, le délai d’un mois de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991 court à compter de la date de la signification.

 

Cette affaire n’est pas sans rappeler un arrêt du 14 juin 2018 de la même chambre [9] qui retenait qu’une convocation par le premier président d’une cour d’appel d’un avocat à une audience de fixation d’honoraires par LRAR retournée avec la mention «avisé non réclamé» n’était pas régulière. Si, de prime abord, on pourrait penser que la situation est similaire, la différence reste cependant fondamentale. En effet, dans ce second cas, c’est bien une juridiction qui notifie une convocation, et non une autorité conciliatrice comme peut l’être le Bâtonnier. De plus, dans ce cas antérieur, aucune signification n’avait été effectuée, rendant possible l’absence d’information de l’avocat. A ce titre, les dispositions de l’article 670-1 s’appliquaient, comme le relevait alors la Cour de cassation : «En cas de retour au secrétariat de la juridiction d’une lettre de notification dont l’avis de réception n’a pas été signé dans les conditions prévues à l’article 670 du même code, le secrétaire invite la partie à procéder par voie de signification». Mais, dans le cas de l’arrêt du 13 septembre 2018, notification d’une décision et signification d’une ordonnance qui en était la résultante ont été faites.

 

Afin d’éviter que la procédure ne soit limitée à des prescriptions formelles qui la rendent stérile et profondément déshumanisée comme l’ont pu le faire les exégètes d’un temps qui paraissait révolu [10], sans doute faudrait-il toujours avoir à l’esprit la cause finale de cette procédure, à savoir la justice. Ainsi conclurons-nous ces quelques lignes par une réflexion qui donne un autre sens à la vie des processualistes et un but véritable aux chicanes de la procédure : «découvrir, sous l’enveloppe des formes, les principes de justice et de morale qui doivent éclairer la pratique elle-même, et lui faire perdre, en la relevant, son allure étroite et routinière» [11].

 

Si l’on n’hésiterait pas, quelques fois, à ériger des bustes aux présidents des chambres de la Cour de cassation, sans doute faut-il aussi parfois briser la statue…

 

 

[1] Cass. civ. 1, 9 avril 2002, n° 99-19.761, FS-P+B (N° Lexbase : A4949AYX ; cf. l’Ouvrage «La profession d'avocat» N° Lexbase : E4952E48).

[2] Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 176 : «La décision du Bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d’appel, qui est saisi par l’avocat ou la partie, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Le délai de recours est d’un mois. Lorsque le Bâtonnier n’a pas pris de décision dans les délais prévus à l’article 175, le premier président doit être saisi dans le mois qui suit».

[3] C. pr. civ., art. 680 : «L’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l’auteur d’un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d’une indemnité à l’autre partie».

[4] C. pr. civ., art. 640 : «Lorsqu’un acte ou une formalité doit être accompli avant l’expiration d’un délai, celui-ci a pour origine la date de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir».

[5] C.-S. Pitat, Modalités de notification d’une décision en matière de fixation d’honoraires, Dalloz actualités, 24 septembre 2018.

[6] Cass. avis, 16 novembre 1998, n° 09-80.010 (N° Lexbase : A7829CHG) : «Le Bâtonnier statuant en matière de contestation d’honoraires n’est pas une juridiction».

[7] CE 1° et 6° ch-r., 2 octobre 2006, n° 282028 (N° Lexbase : A6891DRN).

[8] Cass. civ. 2, 18 juin 2009, n° 08-14.219, F-P+B (N° Lexbase : A2994EIQ) : «attendu qu'il résulte de l’article 178 du décret du 27 novembre 1991 que le président du tribunal de grande instance ayant seul le pouvoir de rendre la décision exécutoire, le Bâtonnier ne peut assortir de l’exécution provisoire la décision qu’il rend en matière d’honoraires».

[9] Cass. civ. 2, 14 juin 2018, n° 17-21.149, F-P+B (N° Lexbase : A3261XR9 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E4954E4A).

[10] E. Glasson, Précis théorique et pratique de procédure civile, t. I, Paris, Pichon, 1902, p. 7 : «Les lois de la procédure sont-elles avant tout des lois de forme. Il leur arrive même de préférer la forme au fond, mais il ne peut pas en être autrement».

[11] P. Boncenne, Théorie de la procédure civile, t. I, Paris, Videcoq, 1837, p. 635.

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Concurrence

[Brèves] Entente sur le marché des puces pour carte : renvoi de l’affaire «Infineon Technologies» au Tribunal et rejet du pourvoi formé par Philips

Réf. : CJUE, 26 septembre 2018, deux arrêts, C-98/17 P (N° Lexbase : A7898X7N) et C-99/17 P (N° Lexbase : A7899X7P)

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par Vincent Téchené

Le 03 Octobre 2018

►Dans le cadre de l’entente sur le marché des puces pour cartes, l’affaire d’«Infineon Technologies» est renvoyée au Tribunal afin que celui-ci apprécie la proportionnalité de l’amende infligée et le pourvoi formé par Philips est rejeté. Tel est le sens de deux arrêts rendus par la CJUE le 26 septembre 2018 (CJUE, 26 septembre 2018, deux arrêts, C-98/17 P N° Lexbase : A7898X7N et C-99/17 P N° Lexbase : A7899X7P).

 

Dans cette affaire, la Commission a infligé des amendes d’un montant total d’environ 138 millions d’euros à plusieurs entreprises pour avoir coordonné, de 2003 à 2005, leur politique de prix dans le secteur des puces pour cartes dans l’Espace économique européen. L’entente s’appuyait sur un réseau de contacts bilatéraux et d’échanges d’informations commerciales sensibles, entre les entreprises, portant notamment sur les prix.

 

Infineon et Philips ont saisi le Tribunal de l’Union européenne pour faire annuler la décision de la Commission. Elles contestaient, en substance, d’une part, l’existence d’une entente et, d’autre part, le montant de l’amende qui leur a été infligée. Le Tribunal ayant rejeté les recours et confirmé les amendes, Infineon et Philips ont formé des pourvois.

 

Dans l’affaire C-99/17 P, concernant Infineon, la Cour considère que, afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction. Parmi les éléments dont il y a lieu de tenir compte figurent, notamment, le nombre et l’intensité des comportements anticoncurrentiels. Elle considère que, si, aux fins d’apprécier la gravité de l’infraction commise par la requérante et de fixer le montant de l’amende, le Tribunal n’est pas tenu de se fonder sur le nombre exact de contacts bilatéraux, cet élément peut constituer un élément pertinent parmi d’autres.

 

Par conséquent, le Tribunal ne pouvait pas, sans méconnaître l’étendue de sa compétence de pleine juridiction, renoncer à répondre à l’argument soulevé par Infineon selon lequel la Commission avait violé le principe de proportionnalité en fixant le montant de l’amende sans prendre en compte le nombre limité de contacts auxquels Infineon aurait participé.

 

La Cour annule donc l’arrêt du Tribunal en ce qu’il est entaché d’une erreur de droit quant à l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction. La Cour renvoie l’affaire au Tribunal pour qu’il apprécie la proportionnalité de l’amende infligée par rapport au nombre de contacts retenus à l’encontre d’Infineon, le cas échéant en examinant si la Commission a établi l’existence des six contacts sur lesquels le Tribunal ne s’est pas encore prononcé.

 

Dans l’affaire C-98/17 P, concernant Philips, la Cour rejette le pourvoi dans son intégralité. La Cour confirme donc la décision de la Commission et l’amende qu’elle a infligée à Koninklijke Philips NV et Philips France.

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Droit des étrangers

[Textes] Loi «immigration - asile - intégration», une loi d’entre deux

Réf. : Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (N° Lexbase : L9696LLP)

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par Serge Slama, Professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes, CESICE

Le 04 Octobre 2018

Mots - clefs : Droit des étrangers / Doctrine / Loi "Asile-Immigration" 

A quelle cuvée appartient la loi du 10 septembre 2018 «pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie», dite «loi Collomb» (ou loi «IMDAEIR» selon sa circulaire d’application [1]) entrée en vigueur après sa validation par le Conseil constitutionnel [2] ? Est-ce que ce texte répond, comme l’affirme le ministre de l’Intérieur dans un communiqué, «à la préoccupation exprimée par nos concitoyens de faire face aux défis migratoires dans un cadre républicain» ?

Depuis près de quarante ans, le Parlement adopte en moyenne tous les deux ou trois ans une nouvelle réforme de droit de l’immigration, de l’asile, de l’intégration ou de la nationalité. Ces réformes se succèdent à un rythme tellement important qu’on peine à les dénombrer (près d’une trentaine ? [3]). Certaines de ces réformes constituaient de simples ajustements visant à tirer les conséquences de la mise en cause de la législation française par le Conseil constitutionnel [4], la Cour européenne des droits de l’Homme ou Cour de justice de l’Union européenne [5]. D’autres lois entendaient réformer en profondeur ce droit, par des inflexions profondes dans le traitement de l’immigration comme les lois «Pasqua» de 1986 [6] et 1993 [7] ou «Hortefeux» de 2007 [8], prônant la maîtrise de l’immigration, et même «l’immigration zéro», les lois «Sarkozy» de 2003 [9] et 2006 [10] opposant «immigration choisie» et «immigration subie» ou «De Villepin» en cherchant à unifier et limiter les garanties attachées au droit d’asile [11]. D’autres, encore, visaient à marquer une rupture par rapport à l’approche répressive et au contrôle de l’immigration [12] ou, à tout le moins, une inflexion ? [13], sans pour autant renoncer à la «lutte contre l’immigration irrégulière», qui a très souvent un effet de rétroaction sur le droit des étrangers en général. Certaines d’entre elles, à l’image des lois «Joxe» de 1989 [14] ou de la loi «Chevènement» [15] ont cherché à dégager, tant bien que mal, un «consensus républicain» en matière d’immigration ou de droit de la nationalité (loi «Guigou» [16] revenant sur la loi «Méhaignerie» de 1993 [17]). Une dernière catégorie, enfin, ont principalement visé à transposer des directives européennes [18].

A notre sens, la loi «Collomb» n’entre dans aucune de ces catégories. Elle ne vise, ou de manière totalement marginale, à adapter le droit français au droit de l’Union. Elle ne marque aucune rupture en développant une nouvelle approche de la question de l’immigration, du droit d’asile ou de l’intégration - bien au contraire elle s’inscrit totalement dans le sillon tracé par les réformes précédentes.

Même l’objet de cette loi était incertain. Alors qu’elle s’intitulait initialement projet de loi «pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif», elle contenait essentiellement des dispositions visant à maîtriser le droit d’asile et durcir le dispositif d’éloignement [19]. A la suite du rapport remis par le député Aurélien Taché le 21 février 2018 [20], la commission des lois de l’Assemblée a tenu à ajouter la référence à «l’intégration réussie» - alors même que cette loi ne contient pratiquement aucune disposition dans ce domaine.

Car contrairement aux précédentes réformes, en particulier la réforme de l’asile de l’été 2015 ou les réformes de l’immigration de juin 2011, l’adoption dans l’urgence de cette loi ne s’imposait pas. Elle ne visait en effet pas à transposer, avec retard, une Directive européenne ou à tirer les conséquences immédiates d’une décision d’une Cour européenne. La seule réelle urgence, qui était de définir objectivement le «risque non négligeable de fuite» pour pourvoir placer en rétention les demandeurs d’asile relevant des procédures «Dublin», à la suite de décisions de la CJUE et de la Cour de cassation [21], avait été réglée par l’adoption de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen (N° Lexbase : L7968LIX) [22].

L’actuel Gouvernement aurait donc pu prendre davantage de temps pour élaborer une réforme réellement utile et profonde [23]. Cela aurait été d’autant plus utile de temporiser qu’avec la poussée populiste en Europe le cadre européen d’accueil des migrants et demandeurs d’asile est en train d’être bouleversé voire même d’imploser [24]. Or, comme le constate le Conseil d’Etat dans son avis, le projet «Collomb» souffre, comme beaucoup d’autres réformes antérieures dans ce domaine, d’un vrai problème d’évaluation de l’efficacité des dispositifs adoptés antérieurement (il y a moins de deux ans pour la dernière réforme [25]) et d’étude de l’impact réel des mesures envisagées [26]. Ont pu en attester les tergiversations du Gouvernement et de sa majorité parlementaire, sur, par exemples, le renforcement des immunités pénales du délit d’aide au séjour ou à la circulation irréguliers (dit «délit de solidarité») [27] ou encore la question de la rétention des familles avec enfants [28].

En réalité la loi «Collomb» ne fait pas réellement de choix. Elle navigue à vue. C’est une loi de l’entre deux, du fameux «en même temps» macronien comme la loi «Pasqua» du 24 août 1993, elle mêle «maîtrise de l'immigration» et «droit d’asile», micro-mesures favorisant l’intégration des réfugiés et remise en cause profonde des principes fondateurs du droit civil en altérant davantage encore les droits des étrangers [29]. Il s’agit aussi, et surtout, d’une simple loi de transition. Une loi «lost un translation»… Car selon toute vraisemblance, dès que l’actuel locataire de la Place Beauvau aura quitté le ministère de l’Intérieur (pour se présenter aux municipales), son successeur remettra l’ouvrage sur le métier et procédera à une énième réforme du CESEDA (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

Alors que retenir de cette loi ?

D’une part, alors que son intitulé prétend assurer «un droit d’asile effectif», l’examen du texte montre qu’il s’agit surtout de poser de nouvelles entraves procédurales sur le parcours du demandeur d’asile afin de rendre le dispositif plus dissuasif (I).

D’autre part, véritable angle mort de la réforme, elle contient un important volet répressif qui ne parvient pourtant pas à rendre réellement plus efficace le dispositif d’éloignement. Multipliant les contrôles et sanctions pénales, elle procède en même temps à la dépénalisation de l’entrée irrégulière aux frontières intérieures ou développe l’immunité pénale liée à l’article L. 622-4 du CESEDA (II).

Enfin, cette loi procède à des ajustements concernant l’accueil et le séjour afin de favoriser l’intégration. Mais dans le même temps elle adopte des dispositions profondément désintégratrices (III).

 

I - Un droit d’asile plus effectif par de nouvelles entraves à son exercice

 

Succédant à la réforme de l’asile adoptée il y a à peine trois ans, après une longue réflexion, ces mesures sont justifiées par le contexte où, en 2017, plus de 100 000 demandes d’asile ont été déposées à l’OFPRA et 120 000 sont en instance d’examen [30] alors que la demande d’asile a baissé de moitié en Europe (avec 650 000 demandes selon Eurostat). Pour l’année 2018, la demande d’asile ne s’infléchit pas en France ou en Espagne, alors que le flux européen, particulièrement à destination de l’Italie (compte tenu du refus du ministre de l’Intérieur Salvini d’accueillir tout nouveau bateau de migrants), de l’Allemagne, de l’Autriche ou de la Suède baissent drastiquement [31].

Dans ce contexte, le cœur de la loi du 10 septembre 2018 est consacré au droit d’asile. Toutefois il ne s’agit pas réellement de le rendre «plus effectif», ni même «d’améliorer» substantiellement les conditions d’accueil, comme le prétendent les promoteurs de cette loi, mais de tenter de l’endiguer en contractant les délais et en accélérant les procédures tout en rognant sur les garanties procédurales (A) et en rendant plus directives les conditions d’accueil pour les nouveaux entrants (B). Mais, il est vrai que cette loi sécurise aussi le séjour de ceux qui ont obtenu une protection internationale ainsi que les membres de leurs familles (C).

 

A - Une contraction des délais de traitement

 

L’accélération du traitement des demandes d’asile constitue l’un des objectifs prioritaires de la réforme de 2018 comme en témoigne l’intitulé du titre 1er de la loi et le premier point de sa circulaire d’application. Cette réduction des délais qui pourrait être perçue comme une mesure bénéficiant aux demandeurs d’asile en cours d’instance se fait essentiellement au détriment des droits des demandeurs et de l’effectivité du droit d’asile, comme l’ont constaté tous ceux qui ont fait un examen critique de la loi, à l’image de la CNCDH, du Défenseur des droits [32], le Conseil national des barreaux [33], le barreau de Paris [34] ou encore l’ensemble des associations de défense des étrangers et demandeurs d’asile [35].

Ces prises de position n’ont pas empêché l’Assemblée nationale de maintenir, in fine [36], l’essentiel des mesures visant à contracter les délais de traitement de la demande d’asile (avec l’objectif, plus ou moins réaliste, de ramener le délai moyen de traitement d’une demande à six mois [37]).

 

On notera toutefois, qu’in extremis, l’Assemblée a renoncé à une des mesures les plus vilipendées du projet qui consistait à réduire le délai de recours devant la CNDA à quinze jours. Si le délai de recours contre les décisions de l’Ofpra est maintenu à un mois, les demandes d’aide juridictionnelle devront être déposées dans un délai de quinze jours après notification de la décision de l’Office. A défaut, elles sont susceptibles d'être rejetées et seront privées d'effet suspensif (article 9-4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique N° Lexbase : L8607BBE modifié par l’article 8 II. de la loi n° 2018-778).

Parmi les mesures phares visant à accélérer le traitement des demandes d’asile on peut noter :

- la réduction de 120 à 90 jours (et même 60 en Guyane) du délai de dépôt de la demande d’asile ;

- au-delà le demandeur est placé en procédure accélérée (C. entr. séj. étrang. et asile, art.,  L. 723-2 III. N° Lexbase : L2578KDT issu de l’article 6 de la loi). Dans sa décision n° 2018-770 DC (N° Lexbase : Z8190178), le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions (cons. 9 à 17) ;

- la notification par tout moyen -y compris électronique- de la décision de l’Ofpra (C. entr. séj. étrang. et asile, art.,  L. 723-6 (N° Lexbase : L2553KDW issu du même article) [38]. Ces dispositions ont aussi été validées (Cons. const., décision n° 2018-770 DC, du 6 septembre 2018, N° Lexbase : A4476X38, cons. 18 à 22).

- la possibilité d’assurer des audiences-vidéo, qui existaient déjà pour la demande d’asile ultramarine, à la CNDA. Le président de la Cour doit néanmoins s’assurer que le moyen de communication audiovisuelle garantit la confidentialité «et la qualité» de la transmission avec une salle d'audience «spécialement aménagée à cet effet ouverte au public» et «située dans des locaux relevant du ministère de la Justice plus aisément accessibles par le demandeur, dans des conditions respectant les droits de l'intéressé». En outre, si l'intéressé est assisté d'un conseil, ce dernier doit être «physiquement présent auprès de lui». Il en est, en principe, de même pour l'interprète sauf en cas «difficulté pour [en] obtenir le concours» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 733-1 N° Lexbase : L6632KDY issu de l’article 8 - différé au 1er janvier 2019) ;

- le choix de la langue de procédure est définitivement fixé dès l’enregistrement de la demande d’asile. Il s'agit de la langue dans laquelle le demandeur préfère être entendu ou dont il a une connaissance suffisante. Il est «opposable» pendant toute la durée d'examen de la demande, aussi bien pour l’entretien devant l’Ofpra qu’en cas de recours devant la CNDA (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 741-2-1 N° Lexbase : L1876LMG issu de l’article 10 de la loi n° 2018-778). Pourtant, comme le note Christophe Pouly, lors de l’introduction de la demande d’asile, il n’existe "aucune garantie" permettant de contrôler le choix qui sera retenu par l’agent du Guichet unique"  (Ch. Pouly, Asile et immigration : une loi de plus, préc.). Pourtant, lors de l’introduction de la demande d’asile, il n’existe aucune garantie permettant de contrôler le choix qui sera arrêté par l’agent du Guichet unique ;

- la suppression du recours suspensif devant le CNDA pour certaines procédures accélérées (pays d’origine sûrs, irrecevabilité d’une demande de réexamen, ordre public) constitue la mesure la plus critiquable du projet. Dans ce cas le droit au maintien sur le territoire cesse avec la décision de l’Ofpra. La seule contrepartie est la possibilité pour l’étranger qui fait l’objet d’une OQTF de demander au tribunal administratif de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la CNDA ou, si celle-ci est saisie, jusqu'à la date de la lecture en audience publique de sa décision ou la date de notification d’une ordonnance de rejet de la Cour. Le sursis n’est accordé que lorsque l’étranger présente à l’appui de sa demande «des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la cour» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 743-3 N° Lexbase : L6614KDC -différé au 1er janvier 2019- issu de l’article 12 de la loi n° 2018-778).

 

La même procédure de sursis à exécution aves les mêmes exigences, est appliquée lorsque ces mêmes catégories de demandeurs d’asile déboutés par l’Ofpra font l'objet, postérieurement à la décision de rejet de l’Office, d'une assignation à résidence ou d'un placement en rétention administrative, en vue de l'exécution d'une OQTF notifiée antérieurement à la décision de l'office et qui n'est plus susceptible d'un recours devant la juridiction administrative. Dans ce cas l’étranger dispose d’un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision prononçant son placement en rétention ou son assignation, pour demander au président du TA de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement (jusque, là aussi, la fin du délai de recours devant la CNDA ou l’intervention de la décision de celle-ci). La mesure d'éloignement ne pourra alors être mise à exécution pendant ce délai de quarante-huit heures ou, en cas de saisine du TA, avant que le juge des 72 heures ait statué (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 743-4 N° Lexbase : L6615KDD) issu de même article - différé au 1er janvier 2019).

Dans le même esprit, les mesures d’éloignement prononcées pour des motifs de menace grave à l’ordre public à l’encontre de demandeurs d’asile peuvent donner lieu à une assignation ou une rétention administrative. Dans ce cas, on retrouvera la même procédure de sursis à exécution introduite dans les 48 heures de cette mesure de surveillance (CJA, art., L. 777-4 N° Lexbase : L1881LMM et C. entr. séj. étrang. et asile, art L. 571-4, III. N° Lexbase : L1880LML - différés au 1er janvier 2019 -  issus de l’article 34 de la loi). Et un décret devra définit les modalités de prise en compte de la… vulnérabilité du demandeur d'asile et, le cas échéant, de ses besoins particuliers.

Il s’agit là d’un retour en arrière car avant la réforme de 2015 les demandeurs d’asile qui relevaient de la procédure prioritaire ne bénéficiaient pas non plus de recours suspensif de plein droit (ce que la Cour européenne des droits de l’Homme avait fini par condamner [39]) mais aussi du droit aux conditions matérielles d’accueil (exclusion condamnée par la Cour de Luxembourg [40]). Le sursis à exécution d’une mesure d’éloignement avait, quant à lui, été supprimé en 2001 avec l’introduction par la loi du 30 juin 2000 du référé-suspension…

Dans son avis, le Conseil d’Etat a peu apprécié cette nouvelle usine à gaz contentieuse. Toutefois, au regard de récentes décisions de la CJUE, on peut penser que ce dispositif, aussi critiquable et contreproductif qu’il soit, passerait le test d’unionité [41]. L’objectif est indéniablement non seulement d’accélérer les procédures pour ces catégories de demandeurs d’asile mais surtout de miser sur le fait que dans la plupart des cas ils n’auront pas introduit la demande de sursis à exécution devant le juge administratif, au risque d’exposer en cas de renvoi vers leur pays d’origine à un traitement contraire à l’article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) des demandeurs d’asile pour lesquels en définitive la CNDA reconnaîtra postérieurement une protection internationale [42]

- pour l’ensemble des demandeurs d’asile, procédure accélérée ou non, le droit au maintien sur le territoire cessera dès la lecture en audience publique de la décision de la CNDA -c’est-à-dire son affichage dans le hall de la Cour- et non plus à compter de la notification à l’intéressé (sauf pour les ordonnances) (C. entr. séj. étrang. et asile, art L. 743-2 N° Lexbase : L6613KDB - différé au 1er janvier 2019 - issu de l’article 12 de la loi). Dans sa décision n° 2018-740 DC (Cons. const., décision n° 2018-770 DC, du 6 septembre 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie N° Lexbase : A4476X38), le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de l’article 12 modifiant l’article L. 743-2 du CESEDA en estimant que le droit au recours juridictionnel effectif n’était pas méconnu (cons. 31 à 34). Ainsi les préfectures pourront dans la foulée édicter une OQTF qui elles-mêmes, depuis la loi du 29 juillet 2015, ne relèvent plus d’une formation collégiale devant le tribunal administratif -saisi dans les 30 jours avec un délai de jugement de 3 mois- mais d’un juge unique saisi dans les 15 jours de l’OQTF avec un délai de 6 semaines. Ces dispositions sont applicables à compter du 1er décembre 2018.

De telles réformes, qui visent à accélérer la procédure d’éloignement des déboutés, ne sont pas marginales dans un contexte où, compte tenu de la pression des délais, la CNDA traite désormais plus de la moitié des dossiers en dehors de la formation collégiale (53, 9 %). Les décisions prises après audience à juge unique, qui concerne 24,1 % des décisions (11 496), sont venues en effet s’ajouter aux ordonnances, c’est-à-dire au «tri» effectué par un président seul en raison d’une irrecevabilité (29, 8 % soit 14 271 dossiers) [43]. On peut donc raisonnablement craindre qu’une telle accélération des délais de traitement se traduise par une dégradation de la qualité d’examen des dossiers.

Si la plupart des dispositions évoquées ici sont immédiatement entrées en vigueur avec la publication de la loi du 10 septembre au JORF du 11, certaines ne commenceront à s’appliquer qu’à compter du 1er janvier 2019, notamment parce que certaines d’entre elles sont conditionnées à la définition des modalités de mise en œuvre par décret.

 

B - Des conditions d’accueil plus directives et dés-accueillantes pour certains demandeurs

 

S’agissant des conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, la loi du 10 septembre 2018 renforce aussi l’«orientation ‘Directive’» dans le prolongement de la réforme de l’été 2015 et de la régionalisation de la demande d’asile depuis près de dix ans [44]. Eu égard aux finalités assignées à ce dispositif [45], on peut considérer que ce sont des considérations d’ordre public qui guident principalement les pouvoirs publics dans le renforcement de cette «orientation active» - participant à la logique de «policiarisation» de leur prise en charge [46]. En outre, dans la mesure où cette «orientation dans une région» s’impose au demandeur d’asile et s’il ne la respecte pas il perd un droit, on peut l’assimiler à une nouvelle forme d’assignation à résidence.

En application de l’article 20 de la Directive 2013/33, la loi du 29 juillet 2015 avait en effet déjà mis en place un système d’«orientation Directive» piloté par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). A cette fin, l’article L. 744-7 du CESEDA (N° Lexbase : L6620KDK) conditionnait déjà le bénéfice des conditions matérielles d’accueil à l’acceptation, par le demandeur, de l’hébergement qui lui est proposé dans une région déterminée, en fonction de ses besoins, de sa situation au regard de l'évaluation réalisée et des capacités d'hébergement disponibles. Son droit à conditions matérielles d’accueil pouvait être «suspendu» si le demandeur quitte son hébergement sans motif légitime (article L. 744-8 N° Lexbase : L6621KDL).

Toutefois, faute de places d’hébergement en nombre suffisant et de véritable gestion nationale dynamique de la demande d’asile, ce dispositif «n’a pas obtenu les effets escomptés» [47]. Afin de tenter de remédier à cette «forte polarisation» de la demande d’asile dans quelques régions dans lesquelles les structures d’accueil sont constamment saturées, la loi «Collomb» renforce donc le «pilotage» du dispositif national d’accueil («DNA») et les obligations et contrôles pesant sur les demandeurs d’asile, au détriment de leur liberté de circulation et de résidence sur le territoire français.

Conformément à la possibilité ouverte par l’article 7 de la Directive «accueil» [48], le texte prévoit la modification de la définition du schéma national afin que celui-ci fixe désormais, non plus seulement la répartition des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile par région, mais aussi la part des demandeurs d’asile qui seront accueillis dans chacune de ces régions. Ainsi, selon le nouveau texte, lorsque la part des demandeurs d'asile résidant dans une région «excède la part fixée pour cette région par le schéma national d'accueil» et les capacités d'accueil de cette région, le demandeur peut être orienté vers une autre région, «où il est tenu de résider le temps de l'examen de sa demande d'asile» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-2 II. N° Lexbase : L1931LMH issu de l’article 13 de la loi). Selon la rapporteure du projet à l’Assemblée, une série d’indicateurs économiques, comme le taux de pauvreté ou le nombre de logements disponibles, devraient être pris en compte pour attribuer à chacune des régions un pourcentage de demandeurs à accueillir, suivant un système inspiré de l’Allemagne («clé de Königstein») [49].

La mise en œuvre de cette «orientation active» sera effectuée aussitôt après l’enregistrement de sa demande d’asile par le GUDA. L’OFII détermine «la région de résidence» en fonction non seulement de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région en application de ce schéma national mais aussi, précise le texte, «en tenant compte des besoins et de la situation personnelle et familiale du demandeur» au regard de l'évaluation réalisée en début de procédure et «de l'existence de structures à même de prendre en charge de façon spécifique les victimes de la traite des êtres humains ou les cas de graves violences physiques ou sexuelles» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-2 II. issu de l’article 13 de la loi).

Le demandeur ne pourra quitter temporairement la «région de résidence» dans laquelle il a été assigné qu’en sollicitant une autorisation auprès de l'OFII -sauf en cas de «motif impérieux» ou de convocation par les autorités (comme l’Ofpra) ou les tribunaux (comme la CNDA ou le tribunal administratif). Le texte précise que l’Office rend sa décision «dans les meilleurs délais», en tenant compte de la situation personnelle et familiale du demandeur (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-2 II. issu de l’article 13 de la loi). Le texte prévoit également que l’OFII «s'assure de la présence dans les lieux d'hébergement des personnes qui y ont été orientées pour la durée de la procédure» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-3 N° Lexbase : L6618KDH issu de l’article 13 de la loi) - confirmant le fait qu’on est bien en présence d’une forme d’assignation.

A son arrivée dans cette région, il pourra se voir attribuer, selon les capacités disponibles, une «proposition» d’hébergement adapté à sa situation personnelle (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-7 N° Lexbase : L1927LMC issu de l’article 13). Le demandeur n’aura, toutefois, aucune garantie d’être réellement hébergé dans cette «région d’orientation» et même s’il ne l’est pas faute de places disponibles, il sera tout de même tenu d’y rester et ne bénéficiera alors «que» de l’Allocation pour demandeur d’asile (ADA) majorée.

En outre, le préfet de département peut s'opposer «pour des motifs d'ordre public» à la décision d'admission d'un demandeur d'asile dans un lieu d'hébergement. Dans ce cas, l'OFII est néanmoins tenu «de prendre une nouvelle décision d’admission» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-3 issu de l’article 13 de la loi).

Qui plus est, le texte élargit les catégories d’hébergement considérés comme des «lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile» puisqu’il s’agit non seulement des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) mais aussi plus largement «toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'Asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-3 issu de l’article 13 du projet). Or, depuis 2015 on a assisté à une multiplication -pour ne pas dire au foisonnement- des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile mais aussi à une dégradation, au sein de ces nouveaux dispositifs des conditions de prise en charge administrative et sociale des demandeurs (et de leur demande d’asile) par un abaissement des conditions d’encadrement par des personnels spécialisés [50]. Le texte précise toutefois, même si cela paraît largement illusoire compte tenu du prix de journée fixé par certaines catégories de ces hébergements low coast [51], qu’en tout état de cause les demandeurs d'asile «accueillis» dans ces lieux d'hébergement «bénéficient d'un accompagnement social et administratif» et qu’un décret en Conseil d’Etat fixe «les normes minimales» en la matière. L’objectif est d’assurer «une uniformisation progressive des conditions de prise en charge dans ces structures» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-3 issu de l’article 13).

Sont, aussi, éligibles à ces lieux d’hébergement conventionnés (autres que les CADA), avant l'enregistrement de sa demande d'asile, les étrangers qui ne disposent pas d'un hébergement stable et qui manifestent «le souhait de déposer une demande d'asile». Il s’agit là de légaliser la pratique d’évacuation des campements de migrants vers des Centres d’examen des situations (CAES) créés en août 2017 [52] (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-7, issu du même article 13). L’inscription dans le CESEDA de cette possibilité consacre, sans totalement le formaliser, l’existence d’un statut de pré-demandeur d’asile, qu’on a vu émerger ces dernières années avec la création des Centres d’accueil et d’orientation (CAO) lors de l’évacuation du bidonville de la Lande de Calais ou avec le centre d’accueil «humanitaire» pour migrants (ou «bulle») de la mairie de Paris.

Il est aussi précisé que le demandeur d'asile qui ne dispose ni d'un hébergement dans un dispositif dédié, ni d'un domicile stable «élit domicile auprès d'une personne morale conventionnée à cet effet pour chaque département» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-1 issu de l’article 13 de la loi).

Si le demandeur quitte son hébergement ainsi que la région d’orientation d’assignation sans autorisation de l’OFII ou sans motif impérieux porté à sa connaissance, il perdra «de plein droit» le bénéfice des conditions matérielles d’accueil dès lors qu’il a été dûment informé de cette possibilité [53]. Il peut aussi être «mis fin de plein droit» à celles-ci, refusé ou retiré leur bénéfice, s’il ne respecte pas de manière plus générale (et imprécise) «les exigences des autorités chargées de l'asile, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-7 et L. 744-8 issu du même article 13) [54].

Le demandeur d’asile s’expose également au retrait du bénéfice des conditions matérielles d’accueil s’il a dissimulé ses ressources financières, fourni des informations mensongères relatives à sa situation familiale ou présenté plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes, ou en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d'hébergement. Cette décision de retrait, prise après que l’intéressé ait pu présenter des observations écrites, est écrite et motivée et prend en compte la vulnérabilité du demandeur (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-8 issu de l’article 13).  

Si on reproche à un demandeur d’asile «un comportement violent» ou «des manquements graves au règlement du lieu d'hébergement», l’autorité compétente ou le gestionnaire du lieu d’hébergement peuvent aussi demander en justice (administrative), après mise en demeure restée infructueuse, qu'il soit enjoint à cet occupant sans titre d'évacuer ce lieu (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-5 issu de l’article 13).

La dureté de ce dispositif «d’orientation active» est sans précédent. Si la jurisprudence constitutionnelle était réellement protectrice des demandeurs d’asile, elle n’admettrait jamais cette forme d’assignation à résidence et cette automatisation de la perte du droit aux conditions matérielles d’accueil au moindre écart du demandeur d’asile fondées sur des très vagues considérations générales d’ordre public et de bonne gestion du dispositif. Dans la mesure où le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de la constitutionnalité de l’article 13 de la loi «Collomb», une QPC est toujours envisageable.

D’autres mesures dans le même sens figurent dans le texte de cette loi : fin de l’hébergement du demandeur d’asile, non plus à l’expiration du délai de recours contre la décision de l’Ofpra ou à la date de notification de la décision de la CNDA, mais au terme du mois au cours duquel le droit au maintien sur le territoire a cessé ; organisation d’un échange d’informations entre l’OFII et le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO), qui gère l’hébergement d’urgence, afin que ce dernier communique la liste des personnes accueillies au sein du dispositif d’hébergement d’urgence qui ont déposé une demande d’asile ou bénéficient déjà d’une protection (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 744-7 issu de l’article 13 qui renvoie au décret en Conseil d’Etat, après avis de la CNIL) [55].  

Enfin de manière purement décorative et afin de prendre en compte une des propositions du rapport «Taché», le texte de la loi «Collomb» prévoit de ramener de neuf à six mois le délai à l’issue duquel le demandeur d’asile peut solliciter une autorisation de travail lorsque l’Ofpra n’a pas statué sur sa demande «pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur». Toutefois on peut, sans courir un grand risque, parier que cette disposition ne permettra qu’à très peu de demandeurs d’asile d’accéder réellement au marché du travail. D’une part, parce que l’Office statue désormais rarement dans des délais supérieurs à six mois (le délai moyen est en passe d’être ramené à 2 mois) et d’autre part et surtout la disposition adoptée ne prévoit pas réellement de droit de travailler mais seulement la possibilité pour le demandeur d’asile de solliciter une autorisation de travail en étant «soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers», notamment l’opposabilité de la situation de l’emploi. Il est certes prévu que le préfet dispose d’un délai d’instruction de deux mois à compter de la réception de la demande d’autorisation de travail pour s’assurer que l’embauche de l’étranger respecte les conditions de droit commun d’accès au marché du travail. A défaut de notification dans ce délai, l’autorisation est réputée acquise (soit 8 mois après l’introduction de la demande d’asile qui aura sûrement été traitée par l’Ofpra - confirmant que ce droit au travail n’est que virtuel). Le mineur non accompagné qui bénéficie d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée et qui dépose une demande d'asile est autorisé à poursuivre son contrat pendant la durée de traitement de la demande (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 744-11 N° Lexbase : L6598KDQ, issu de l’article 49 - dispositions qui entrent en vigueur le 1er mars 2019).

Ces nouveaux dispositifs entrent généralement en vigueur au 1er janvier 2019 et s’appliquent aux décisions prises après cette date. Les dispositions de l’article 15 de la loi qui prévoyaient pour l’accès aux centres provisoires d’hébergement (CPH), réservés aux réfugiés et protégés subsidiaire, la prise en compte «de sa vulnérabilité, de ses liens personnels et familiaux et de la région dans laquelle il a résidé pendant l'examen de sa demande d'asile» ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-770 DC (Cons. const., décision n° 2018-770 DC, du 6 septembre 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie N° Lexbase : A4476X38). Elles avaient été introduites par voie d’amendement en nouvelle lecture à l’Assemblée. Il faudra donc trouver un nouveau support législatif pour sécuriser ce dispositif…

 

C - Sécurisation du droit au séjour des bénéficiaires d’une protection subsidiaire, des apatrides et des membres de leur famille et limitation genrée des pays d’origine sûrs

 

Au titre de la «sécurisation» des situations, la loi créée d’une part une carte de séjour pluriannuelle, d’une durée de quatre ans, pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides, ainsi que de leurs familles. Ces cartes se substituent aux cartes de séjour «vie privée et familiale» d’un an qui leur étaient jusque-là délivrées. Sous prétexte de non-conformité à l’article 24 de la Directive «Qualification» du 13 décembre 2011, le Sénat avait supprimé cette extension mais l’Assemblée l’a rétablie (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-25 N° Lexbase : L1893LM3 et L. 313-26 N° Lexbase : L1892LMZ issu de l’article 1er de la loi). Il s’agit là assurément d’une mesure de simplification car dans l’immense majorité des cas, les cartes de séjour annuelle étaient systématiquement renouvelées. En 2016, on a dénombré seulement 151 cas de cessation, toutes protections confondues, pouvant entraîner la perte du droit au séjour [56]

D’autre part, la loi étend le droit à la réunification familiale du mineur protégé à ses frères et sœurs non mariés s’ils sont à la charge de ses parents. Le Sénat était revenu sur cette extension sous prétexte que ce dispositif risquait de créer «un appel d’air pour des flux migratoires toujours plus importants». Toutefois, avec fermeté, sur amendement de la rapporteure, Elise Fajgeles, la commission des Lois de l’Assemblée a rétabli le texte adopté en première lecture afin de maintenir le bénéfice de la réunification familiale aux frères et sœurs non mariés du mineur protégé ainsi que de conserver la limite d’âge à 19 ans (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 752-1 N° Lexbase : L6601KDT) et L. 752-3 N° Lexbase : L6603KDW issu de l’article 3). Dans la réalité cela ne concerne pas un nombre important d’enfants.

La même disposition prévoit aussi que, dans le cadre de la protection des mineures courant un risque de mutilation sexuelle [57], le médecin en charge de l’examen médical adresse directement le certificat médical à l’Ofpra plutôt que de le remettre aux parents (C. entr. séj. étrang. et asile, art.  L. 723-5 N° Lexbase : L1895LM7, issu de l’article 3). Cette mesure peut paraître une mesure de défiance à l’égard des parents dont les filles -ou éventuellement désormais également les garçons (extension introduite sur amendement de M. Orphelin)- ont obtenu le statut de réfugié en raison du risque de mutilation. Mais elle permet de s’assurer qu’en tout état de cause la mutilation n’aura pas lieu. Le recours à une disposition législative était nécessaire car il s’agit de déroger, sans le consentement des parents, au principe du secret médical qui est garanti par l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1611LII).

Sur amendements de la rapporteure, Mme Elise Fajgeles, ou de Florent Boudié (mais aussi de Mathieu Orphelin), la Commission des lois a aussi adopté quelques amendements renforçant, à la marge, les garanties de certains demandeurs d’asile.

D’une part, la définition des pays d’origine sûrs, qui permet de traiter les demandes d’asile des ressortissants de ces pays en procédure accélérée avec une présomption défavorable, a été changée. Désormais, le Conseil d’administration de l’Ofpra devra fixer la liste de ces pays considérés comme «sûrs» seulement si, sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, «d'une manière générale et uniformément pour les hommes comme pour les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, il n'y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu'il n'y a pas de menace en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle dans des situations de conflit armé international ou interne» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 722-1 N° Lexbase : L1912LMR. issu de l’article 6).

Ainsi, les pays où l’homosexualité peut donner lieu à de mauvais traitements, des discriminations ou de sanctions pénales en sont exclus - ce qui devrait sortir de la liste actuelle de 16 pays établie par l’Ofpra a minima quatre pays qui pénalisent les rapports de personnes de même sexe (Ghana, Inde jusqu’à une décision récente de la Cour suprême [58], Ile Maurice et Sénégal) mais aussi potentiellement plusieurs autres Etats dans lesquels les minorités sexuelles font l’objet de discriminations, violences et harcèlements fréquents (Arménie, Bosnie-Herzégovine, Géorgie, Moldavie, Monténégro, Serbie, Kosovo, etc.). Comme il est fort peu probable que l’Ofpra adopte une conception extensive de cette nouvelle exigence, on peut s’attendre à de futurs contentieux devant le Conseil d’Etat pour faire rayer de cette liste les pays homophobes (sans gage de succès). La liste des associations pouvant saisir le conseil d’administration de l’Ofpra d’une demande tendant à l’inscription ou à la radiation d’un Etat de cette liste est complétée pour y intégrer les «associations de défense des personnes homosexuelles et des personnes transgenres».

D’autre part, à l’initiative du groupe Socialiste et Républicain du Sénat -notamment le sénateur Lecomte- les demandeurs d’asile pourront désormais se présenter à l'entretien de l’Ofpra accompagnés d’un représentant «d'une association de lutte contre les persécutions fondées sur l'identité de genre ou l'orientation sexuelle» (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 723-6 N° Lexbase : L2553KDW. issu de l’article 6). La Commission des lois de l’Assemblée a aussi adopté un amendement qui renforce les garanties procédurales offertes aux demandeurs d’asile en situation de handicap lors de leur entretien devant l’Ofpra, en leur permettant de se faire accompagner par un professionnel de santé ou un représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap (idem).

Enfin, dans un Chapitre consacré à la «dimension extérieure de l'asile», la participation de l’Ofpra et de l’OFII aux programmes de réinstallation (géré par l’UNHCR) à partir de pays tiers à l'Union européenne «de personnes en situation de vulnérabilité relevant de la protection internationale» a été légalisée. Ces programmes existent de longue date, mais ils ont été particulièrement développés depuis l’arrivée de Pascal Brice à la tête de l’Ofpra et dans le cadre de plans européens de relocalisation adoptés depuis l’été 2015. Le texte précise que les personnes retenues «sont autorisées à venir s'établir en France par l'autorité compétente» (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 714-1, issu de l’article 7). La formulation est ambiguë et on peut se demander si le législateur a entendu consacrer un nouveau cas de délivrance de plein droit d’un visa lorsque l’Ofpra et l’OFII déclarent éligibles un réfugié à une réinstallation. Significativement la circulaire d’application de la loi transforme le «sont autorisés» (qui fait penser à une compétence liée) en un plus prudent «peuvent être autorisées» (compétence discrétionnaire).

En revanche, l’Assemblée n’a pas rétabli dans le texte l’amendement adopté en première lecture, répondant notamment à la demande de M. Orphelin, ou des universitaires comme François Gemenne ou Christel Cournil, qui prévoyait l’adoption par le Gouvernement dans les douze mois d’un plan d’action pour la prise en compte des migrations climatiques. La maison brûle, le Parlement regarde ailleurs…

Enfin, autre forme de «sécurisation», la loi étend les possibilités de refus ou retrait de protection d’une protection internationale par l’Ofpra en cas de menaces graves pour l’ordre public. Sur amendement du Sénat, le pouvoir discrétionnaire de l’Office pour refuser ou retirer le statut lorsque le demandeur ou le bénéficiaire représente une menace grave pour la sûreté de l’Etat ou la société ou lorsqu’il relève d’une des clauses de cessation prévue par la Convention de Genève a été transformée en compétence liée (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 711-6 N° Lexbase : L2531KD4, issu de l’article 5). On peut se demander si une telle automaticité est conforme à la lettre, ou à tout le moins à l’esprit, de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (Directive du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale N° Lexbase : L9263IXD).

Elle étend aussi l’obligation, posée par la loi de 2015, pour l’autorité judiciaire de communiquer toute information susceptible de déboucher sur un tel refus ou retrait de protection. Mais surtout, témoignant d’une contamination de la logique de l’état d’urgence, il est désormais prévu la possibilité de diligenter des enquêtes administratives pour la délivrance, le renouvellement ou le retrait de certains titres ou autorisations de séjour sur le fondement du CESEDA ou d’accords bilatéraux ou encore de consulter des fichiers pour mettre en œuvre les décisions de refus ou de retrait de protection fondées sur des motifs de menace grave pour l’ordre public (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 713-5 N° Lexbase : L1903LMG et C. secu. int., art. L. 114-1 N° Lexbase : L2155LHB issu de l’article 5). Seront donc applicables à la procédure d’asile, l’article L. 114-1 du Code de la sécurité intérieure, dans sa version issue de la loi «SILT» du 30 octobre 2017 ([LXB=L2137LHM]), qui permet d’apprécier à l’occasion du recrutement de certains agents publics ou de délivrance d’un agrément dans le domaine de la sécurité ou de la défense de vérifier que «le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées». On peut donc s’attendre à ce que les dossiers d’asile soient alimentées par des notes blanches des services de renseignement dans le prolongement du contentieux de l’état d’urgence de 2015 - 2017 [59].

Le second axe du projet consiste à durcir sensiblement le traitement des étrangers en situation irrégulière, y compris en recourant au droit pénal, là aussi dans le prolongement des politiques menées depuis une trentaine d’années.

 

II - Durcissement du dispositif d’éloignement et (dé)-(re)pénalisation

 

La loi du 10 septembre 2018 est aussi une loi de «maîtrise de l’immigration», suivant l’intitulé utilisé (et usé) dans plusieurs lois depuis les lois «Pasqua» de 1993. Les mesures adoptées, qui prolongent largement des dispositifs antérieurs, concernent aussi bien la non-admission prononcée à la frontière (A) que l’éloignement du territoire, en particulier le régime de la rétention (B). Elles contiennent aussi un substantiel volet pénal (C).

 

A - Assouplissement des procédures de non-admission aux frontières intérieures

 

Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, sur le fondement des articles 25 et 27 du Règlement (UE) 2016/399 du «Code frontières Schengen» depuis le 13 novembre 2015 (Règlement du 9 mars 2016 N° Lexbase : L2778K7Z) [60] a fait sensiblement évoluer l’importance des contrôles aux frontières terrestres. En effet, alors que jusque-là, la quasi-totalité des refus d’entrée étaient prononcées aux frontières aériennes, particulièrement à Roissy, ce sont désormais des dizaines de milliers de décisions de non-admission qui ont été prises aux frontières terrestres, particulièrement à la frontière franco-italienne (mais désormais les flux risquent de se tarir avec la décision du ministre de l’Intérieur italien de ne plus accueillir de migrants sauvés en Méditerranée). Toutefois les pratiques de la police aux frontières oscillaient. Elle prononçait, selon les cas, des «remises simplifiées» dans le cadre des accords de Chambéry ou des refus d’entrée sur le fondement de l’article L. 213-2 du CESEDA, sans nécessairement prendre en compte les demandes d’asile à la frontière, assurer la protection des mineurs non accompagnés ou appliquer le règlement «Dublin 3» [61].

Afin de donner les coudées franches à la PAF, la loi «Collomb» introduit certains ajustements :

D’une part, lorsqu’un étranger fait l’objet d’un refus d’entrée en France, il est informé qu’il peut refuser d’être rapatrié «avant l’expiration du délai d’un jour franc». Les mineurs non accompagnés bénéficient automatiquement de ce jour franc [62]. Désormais, comme c’était déjà le cas à Mayotte, ce jour franc n’est pas applicable aux frontières terrestres. La circulaire d’application de la loi du 10 septembre 2018 justifie curieusement une telle restriction par le fait qu’aux frontières terrestres «la non-admission y est d’effet direct» - probablement un euphémisme pour évoquer la pratique de refoulements immédiats.

Un tel dispositif expéditif ne laisse évidemment, pour les mineurs isolés, aucune aux procédures de protection de l’enfance. Conscient de cette critique, le législateur a précisé, si besoin en était (dans la mesure où il s’agit d’un droit de l’enfant découlant d’engagements internationaux de la France), qu’ «une attention particulière est accordée aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs, accompagnés ou non d'un adulte» (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 213-2 N° Lexbase : L1937LMP) issu de l’art. 18 - disposition d’application immédiate).

In extremis a également été ajouté au texte qu’un refus d’entrée peut être opposé à un ressortissant de pays tiers à qui l'entrée sur le territoire métropolitain a été refusée en application de l'article 6 du Règlement (UE) 2016/399 du 9 mars 2016 (Code frontières Schengen) (article L. 213-3 issu de l’article 65 de la loi - disposition d’application immédiate) ;

D’autre part, une disposition permet lorsque la France réintroduit (en théorie temporairement) des contrôles aux frontières intérieures d’opposer un refus d’entrée fondé sur l'article L. 213-2) dans un «périmètre de non-admission» de dix kilomètres. Cette disposition est applicable pour les étrangers en provenance directe d’un Etat «Schengen» (c’est-à-dire tous les pays frontaliers de la France sauf… Monaco et Andorre) dès lors qu’ils entrent directement sur le territoire métropolitain en franchissant une frontière intérieure terrestre sans y être autorisés et sont contrôlés «dans une zone comprise entre cette frontière et une ligne tracée à dix kilomètres en deçà», dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 213-3-1, N° Lexbase : L1882LMN, issu de l’article 19 de la loi).

Ce dispositif, qui constitue un élargissement de la «bande Schengen» non pour les contrôles (comme le prévoit déjà l’article 78 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4984K84) mais pour le régime de refus d’entrée, prolonge la possibilité reconnue par la loi «Besson» du 16 juin 2011, de créer durant 26 jours une zone d’attente «sac à dos» lorsqu’un groupe d'au moins dix étrangers «vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres» (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 221-2 (N° Lexbase : L5033IQH) issu de l’article 10 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011). L’objectif est, comme on vient de le mentionner, de donner aux services de police d’importantes marges pour refouler de manière expéditive, en dehors des garanties liées à la procédure de remise et de placement en rétention, et sans le bénéfice du jour franc, tous les migrants provenant d’un autre Etat «Schengen» (Italie, Espagne) contrôlés dans ce périmètre de 10 kms d’une frontière intérieure. On peut s’interroger sur la conformité d’un tel régime de contrôle et de refoulement systématique avec le droit de l’Union européenne, non seulement le Code frontière «Schengen» [63] mais aussi la Directive «retour» 2008/115/CE puisque, formellement, ces étrangers sont en séjour irrégulier sur le territoire français.

Qui plus est, les forces de l’ordre pourront désormais relever les empreintes digitales et photographies des étrangers faisant l’objet d’une procédure de non-admission (C. entr. séj. étrang. et asile, art.  L.  611-3 N° Lexbase : L1942LMU) issu de l’article 35 de la loi).

Et il sera aussi désormais possible aux préfectures d’assortir leurs décisions de remise à l'encontre d'un étranger titulaire d'un titre de séjour dans un autre Etat membre de l'Union d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. Il s’agit donc d’élargir à des ressortissants de pays tiers le dispositif d’interdiction de circulaire inventé en 2016 pour les citoyens de l’Union sous le coup d’une OQTF pour «abus de droit» ou trouble à l’ordre public. En application de législations européennes, certaines catégories de ressortissants de pays tiers échappent à cette interdiction en particuliers les détenteurs d'une carte de résident portant la mention «résident de longue durée-UE», d’une «carte bleue européenne» ou aux membres de leur famille (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 531-1 N° Lexbase : L9273K49 issu de l’article 27). Là aussi il faudra vérifier si, malgré les précautions prises, un tel dispositif est conforme au droit de l’Union.

Par ailleurs, à partir du 1er janvier 2019, afin d’alléger les contraintes pesant sur les juges dans le contrôle des procédures de non-admission, le recours à la vidéo-audience pourra être dans toutes les procédures juridictionnelles mises en œuvre sans l’accord de l’étranger. Cela concerne aussi bien, devant le tribunal administratif, le contentieux de l’asile à la frontière que devant le JLD ou le premier président de la Cour d’appel le maintien en zone d’attente (C. entr. séj. étrang. et asile, art.  L.  213-9 N° Lexbase : L2585KD4), L.  222-4 N° Lexbase : L5037IQM et L.  222-6 N° Lexbase : L5038IQN issu de l’article 20).

Dans sa décision n° 2018-770 DC (Cons. const., décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 N° Lexbase : A4476X38, le Conseil constitutionnel a validé, dans une motivation commune, les articles 8, 20 et 24 de la loi supprimant l'exigence de consentement du requérant pour le recours à des moyens de communication audiovisuelle pour l'organisation de certaines audiences en matière de droit d'asile ou de droit au séjour (cons. 23 à 30).

La loi autorise également le rejet selon une procédure simplifiée des déclarations d’appel manifestement irrecevables (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 222-5 N° Lexbase : L5039IQP issu de l’article 20). Le maintien à la diposition de la justice après que le JLD a ordonné la remise en liberté d’un étranger maintenu en zone d’attente est désormais de dix heures (au lieu de six), afin que le procureur de la République dispose d’un temps suffisant pour interjeter appel suspensif (article L. 222-6 N° Lexbase : L5038IQN issu de l’article 21). Les délais de jugement sont allongés : 48 heures pour le JLD, 72 heures pour le juge administratif (articles L. 213-9 N° Lexbase : L2585KD4 et L. 222-6 issus des articles 20 et 21 de la loi).

 

B - Durcissement du régime de rétention, sans efficacité garantie

 

Au titre de la «maîtrise l’immigration», en particulier de l’immigration irrégulière, la loi «Collomb» contient in fine assez peu de dispositions visant à renforcer l’efficacité du dispositif d’éloignement. Alors que le Sénat avait considérablement durci le texte adopté par l’Assemblée en première lecture, la version définitive comprend plutôt des ajustements ou des mesures dont l’efficacité reste à démontrer (et nous prenons déjà les paris sur leur inefficacité qui justifiera la prochaine réforme du CESEDA).

Ainsi, en premier lieu, l’allongement de la durée de rétention administrative de 45 à 90 jours est la principale mesure visant à renforcer l’efficacité du dispositif d’éloignement (initialement le Gouvernement souhaitait d’ailleurs, dans certains cas, jusqu’à 135 jours de rétention). Comme pour l’allongement précédent en 2011 (de 30 à 45 jours), cette durée est justifiée par le fait que d’une part que la Directive «retour» 2008/115/CE autorise (sans l’imposer) jusqu’à 6 mois de rétention (et même dans certains cas exceptionnels jusqu’à 18 mois [64]) et que, d’autre part, la durée de rétention «est l’une des plus courtes au sein de l’Union européenne» [65]. Or, selon l’étude d’impact, «plusieurs pays ont allongé leur durée de rétention dans le contexte de crise migratoire, sur recommandation de la Commission européenne exigeant une politique migratoire plus efficace» [66].

Pourtant la France est déjà le pays européen qui recourt le plus massivement et systématiquement à la rétention administrative alors qu’elle a un taux d’exécution des mesures d’éloignement relativement faible [67]. Du reste, la durée moyenne de rétention est actuellement d’environ 12 jours et, passé cette durée, le dispositif n’a plus qu’une efficacité marginale (10, 5 % des mesures exécutées après 30 jours). Il est donc fort probable que ces 45 jours supplémentaires de rétention ne permettront pas d’augmenter de manière significative (essentiellement en raison des difficultés à obtenir des laissez-passer consulaires [68] ou en raison de vices de procédure amenant à la libération de l’étranger par le JLD ou l’annulation de l’OQTF par le TA). En revanche elles auront un coût humain et financier aberrants.

Le délai de rétention sera de 60 jours, prolongés de 30 jours en cas d’éléments spécifiques le justifiant, soit un maximum de 90 jours. Le séquençage est changé : deux premières phases de 2 et 28 jours demeurent inchangées par rapport à la loi du 7 mars 2016 et s’ajoutent une troisième phase de 30 jours décidée par le JLD et deux ultimes prolongations de 15 jours chacune ne pouvant être accordée par le JLD que dans des cas restreints (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 552-7 N° Lexbase : L1278LKK, issu des articles 23 et 29).

Saisi de la conformité de ce nième allongement de la durée de rétention, le Conseil constitutionnel a, pour la énième fois, validé le nouveau dispositif avec la même réserve d’interprétation que les fois précédentes [69] : l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient (décision n° 2018-740 DC, cons. 75 et 77) [70].

En second lieu, il sera désormais possible à l’étranger placé en rétention de solliciter une aide au retour volontaire, sans toutefois que cette démarche permette, à elle-seule, sa libération (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 512-5 N° Lexbase : L1402I3C, issu de l’article 25)

En troisième lieu, la loi adopte une nouvelle mesure de surveillance en permettant à l’autorité préfectorale de désigner un lieu de résidence dans lequel l’étranger sera contraint de résider pendant le délai de départ volontaire qui lui est imparti (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 513-4 N° Lexbase : L7193IQH issu de l’article 26). Ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018/770 DC (cons. 85 à 93).

Le texte renforce aussi les modalités d’assignation à résidence (fixation des plages horaires), facilite, comme pour les refus d’entrée (v., supra), les audiences en visioconférence. Il donne au JLD un délai de 48 heures (au lieu de 24 heures) pour rendre son ordonnance (modifications des articles L. 551-2, L. 552-1, L. 552-4 à L. 552-7 et L. 552-12 du CESEDA). Le texte prescrit aussi que l’étranger retenu ne doit pouvoir exercer son droit de communiquer que lorsqu’il se trouve au lieu de rétention et non pendant les transferts (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L.551-2 issu de l’article 29) et à l’administration de prendre en compte la vulnérabilité des personnes avant de prononcer un placement en rétention (article L. 551-1 issu de l’article 29).

Par ailleurs, si la vulnérabilité est prise en compte, cela signifie que des étrangers vulnérables subissent la rétention. Or c’est bien ce que prévoit et même organise la loi «Collomb».

Ainsi, d’une part, pour la première fois une disposition prévoit expressément le placement de personnes handicapées en rétention. Certes, l’intention des auteurs de l’amendement était que la décision de placement tienne compte des conditions d’accompagnement dont ces personnes peuvent bénéficier (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 551-1 N° Lexbase : L1948LM4 et L. 553-6 N° Lexbase : L1277LKI, issus des articles 29 et 30 [71]). Mais on s’attendrait davantage à ce qu’un handicap fasse obstacle au placement en rétention…

D’autre part, s’agissant de la rétention des enfants, malgré les condamnations de la France par la CEDH [72] et l’engagement de certains députés "LREM" sur cette question, le législateur botte en touche en se contentant de rappeler que lorsqu’il est non accompagné le «mineur de dix-huit ans ne peut faire l'objet d'une décision de placement en rétention». Il ne peut donc «être retenu que s'il accompagne un étranger placé en rétention dans les conditions prévues au présent III bis.», à savoir les conditions posées par la loi du 7 mars 2016 et la jurisprudence (aux exigences cosmétiques [73]) du Conseil d’Etat (C. entr. séj. étrang. et asile, art., L. 551-1, issu de l’article 28 applicable au 1er janvier 2019). D’ici là le rapport du groupe de travail LREM devrait avoir été rendu et trouvera sûrement une façon, moyennement quelques arrangements avec le principe d’humanité, de poursuivre les rétentions d’enfants accompagnants leurs parents. Le Conseil constitutionnel a -bien évidemment- validé ce dispositif. S’agissant des conditions définies par l’article 28 de la loi déférée, il a estimé que «la conciliation ainsi opérée par le législateur entre, d'une part, l'intérêt qui s'attache, pour le mineur, à ne pas être placé en rétention et, d'autre part, l'inconvénient d'être séparé de celui qu'il accompagne ou les exigences de la sauvegarde de l'ordre public n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles […]» (Cons. const., décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, cons. 63). Toutefois, dans la mesure où cet article 28 ne modifie pas les trois hypothèses définies, par la loi du 7 mars 2016, à l'article L. 551-1 dans lesquelles un mineur est susceptible d'être placé en rétention, il n’a pas examiné leur constitutionnalité. Une QPC reste donc possible (même si son issue est assez prévisible).

S’agissant des étrangers détenus, la loi «Collomb» a été l’occasion pour le Conseil constitutionnel de se livrer à un contrôle à double détente. En effet, par décision n° 2018-709 QPC rendue le 1er juin 2018 sur requête de l’OIP, le juge constitutionnel a abrogé, avec effet immédiat, les mots «et dans les délais» figurant à la première phrase du paragraphe IV de l'article L. 512-1 du CESEDA, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 mars 2016. Cette censure était fondée sur le fait que le délai maximum de cinq jours (48 heures de délai de recours et 72 heures de délai de jugement par le TA) entre la notification d'une OQTF à un étranger détenu et le moment où le juge administratif se prononce sur la légalité de cette mesure constitue un « délai particulièrement bref » pour «exposer au juge ses arguments et réunir les preuves au soutien de ceux-ci». Le Législateur n’avait donc pas opéré une conciliation équilibrée entre le droit au recours juridictionnel effectif et l’objectif poursuivi. Par suite, sur amendement du Gouvernement, le Sénat a transformé, pour les étrangers détenus, le juge des 72 heures en juge des 96 heures en allongeant le délai de jugement dont dispose le juge administratif pour se prononcer sur les OQTF assorties d’une mesure de surveillance à l’expiration du délai de recours de 48 heures. Mais finalement l’Assemblée a porté de délai à cent quarante-quatre heures (juge des 144 heures) (III. de l’article L. 512-1). L’Assemblée a également ajouté un IV au même article pour préciser que lorsqu’il apparaît en cours d’instance que l’étranger détenu «est susceptible d’être libéré», le juge statue dans un délai de 8 jours (IV. de l’article L. 512-1 issu de l’article 24), alors qu’en application du droit commun des étrangers, ce juge dispose, selon les cas, normalement d'un délai de trois mois ou de six semaines pour statuer.

Comme on pouvait s’y attendre, le Conseil constitutionnel a validé ces nouveaux délais de jugement en relevant que le législateur a entendu non seulement «assurer l'exécution» de l’OQTF (et de sa décision) mais aussi «éviter qu'un étranger détenu, objet d'une telle mesure, doive, à l'issue de sa détention, être placé en rétention administrative le temps que le juge se prononce sur son recours». Il a, également, souligné que ces dispositions contestées «ne s'appliquent que dans l'hypothèse d'une libération imminente du détenu» et que «dans les autres cas, le juge statue dans les délais de droit commun» (cela avait déjà été précisé dans le commentaire officiel de la décision n° 2018-709 QPC sans que l’on sache très bien à quels délais de droit commun les services du Conseil faisaient référence).

Enfin comme le ministre de l’Intérieur s’y était engagé afin de convaincre sa majorité d’adopter le texte de la proposition «Warsmann» durci par le Sénat, le délai de recours contre la décision de transfert dans le cadre du Règlement «Dublin» a été ramené de sept à quinze jours (C. entr. séj. étrang. et asile, art L. 742-4 I. N° Lexbase : L1283LKQ issu de l’article 11).

 

C. Volet répressif versus dépénalisation

 

Du côté répressif, la loi du 10 septembre 2018 contient un chapitre entier consacré aux «contrôles et sanctions» attachées à la police des étrangers :

En premier lieu, le texte porte à 24 heures, au lieu de 16 heures, la durée de la retenue pour vérification du droit au séjour qui avait été mise en place, par la loi Valls de 2012, suite à une décision de la CJUE [74]. La durée de 16 heures avait alors été justifiée par le fait que la Cour de justice n’avait validé qu’un «délai certes bref mais raisonnable» et qu’il y avait lieu de distinguer cette procédure d’une garde à vue.

Désormais, la retenue est de plus en plus un décalque de la garde à vue puisque la loi «Collomb» permet aussi l’inspection visuelle et la fouille des bagages de l’étranger sans l’accord de l’étrange, facilite la prise des empreintes digitales et d’une photographie à fin d’identification et réprime le refus de déférer d’une sanction pénale. En outre, le texte permet la dématérialisation du registre des retenues pour vérification d’identité (article L. 611-1-1 issu de l’article 35). Le texte durcit aussi la sanction de refus de se soumettre à la prise d’empreintes introduites par la loi de 2016 à l’article L. 611-3 du CESEDA (un an d’emprisonnement, 3 750 euros d’amende et désormais peine d’interdiction du territoire d’une durée n’excédant pas les trois ans) (modification de l’article L.. 611-3 N° Lexbase : L1942LMU par l’article 35).

Dans le même ordre d’idées, la loi élargit la sanction introduite par la loi de 2016 à l’article 441-8 du Code pénal (N° Lexbase : L1964LMP). Il s’agit de réprimer la "fraude mimétique" consistant à l’utilisation d’un document d’identité et de voyage appartenant à un tiers pour entrer ou se maintenir sur le territoire de l’espace "Schengen". Cela concerne désormais aussi des titres et documents provisoires de séjour et lorsque les faits sont commis dans l’intention de circuler sur le territoire français, y compris les départements d’outre-mer et en particulier à Mayotte (modification de l’article 441-8 du Code pénal N° Lexbase : L1964LMP par l’article 35).

En second lieu, eu égard à une jurisprudence de la Cour de cassation [75] et de la CJUE [76], la loi réécrit des dispositions du CESEDA pour expliciter la possibilité de sanctionner pénalement les comportements d’obstruction à l’exécution des mesures d’éloignement, et notamment les refus d’embarquer (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 624-1-1 et L. 624-3 issus de l’article 36).

En troisième lieu, sans créer un délit spécifique d’établissement de fausses attestations de domicile comme le souhaitait le Sénat, la loi ajoute une circonstance aggravante de l’infraction de droit commun, de sorte que l’utilisation d’une fausse attestation en vue d’obtenir un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement sera désormais punie de trois  ans  d’emprisonnement,  de  45  000  euros  d’amende  et  d’une  interdiction  du  territoire  français  à  titre  définitif  ou pour une durée de dix ans au plus (C. pén., art. 441-7 N° Lexbase : L1973LMZ issu de l’article 39).

En dernier lieu, la loi modifie le Code pénal afin d’étendre le champ d’application de l’interdiction du territoire français prononcée par le juge pénal (C. pén., art. 131-30-2 N° Lexbase : L1971LMX, 222-48 N° Lexbase : L1970LMW, 223-1 N° Lexbase : L3399IQX  et 224-11 N° Lexbase : L1884LMQ [nouveaux], art. 311-15 N° Lexbase : L1969LMU, 312-14 N° Lexbase : L1968LMT et 322-16 LXB=L1967LMS]  du Code pénal issus de l’article 37).

De l’autre côté, tirant les conséquences de décisions de la CJUE, de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel, le législateur procède :

- d’une part à la suppression pure et simple du délit d’entrée irrégulière à une frontière intérieure en abrogeant le 2° de l’article L.621-2 du CESEDA. Celui-ci avait été mis en cause par la Cour de justice dans sa décision du 7 juin 2016 "Affum" au regard de la directive «retour» et par la Cour de cassation [77] en tant que ces dispositions permettaient d’appliquer une peine de prison à un ressortissant de pays tiers au motif de l’irrégularité de ses conditions d’entrée à une frontière intérieure ;

- d’autre part, modifie les dispositions de l’article L.. 622-4 du CESEDA qui fixent le champ de l’exemption pénale applicable aux personnes qui apporte une aide, directe ou indirecte, au à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers. Désormais, conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, l’exemption pénale s’applique également dans les cas d’aide à la circulation irrégulière. Toutefois, s’agissant de l’immunité humanitaire du 3° de l’article L. 622-4 le législateur a été plus exigeant que le juge constitutionnel en n’immunisant uniquement «toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire».

Si, dans un second contrôle à double détente, le Conseil constitutionnel a confirmé qu’au regard du principe de fraternité, l’aide à l’entrée irrégulière pouvait ne pas bénéficier d’exemption pénale (sous condition que, « en application de l'article 122-7 du code pénal, n'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace autrui, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne, à moins d'une disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace»  - décision n°2018-770 DC, cons. 107) ; en revanche il n’a pas été saisi du caractère exclusif de l’aide humanitaire. Ainsi, comme nous le soulignions dans un récent commentaire [78], dans la mesure où les personnes qui aident les sans-papiers sont souvent guidés par d’autres considérations que les motifs purement humanitaires, notamment des motivations militantes ou politiques, une QPC pourra dans l’avenir être posée à l’encontre de cette nouvelle rédaction du L. 622-4, 3°. Du reste en raison du principe de non rétroactivité in mitius, les personnes en cours d’instance bénéficieront des dispositions les plus favorables.

 

III. Mesures d’intégration d’étrangers en situation régulière versus dispositifs désintégrateurs

 

La loi «Collomb» comprend peu de dispositions visant à favoriser l’intégration des étrangers en situation irrégulière. Sous cet intitulé, on trouve de nombreuses mesures visant en réalité à favoriser «l’attractivité» et de l’accueil des talents et des compétences (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-20 N° Lexbase : L9198K4G et L. 313-21 N° Lexbase : L9199K4H, issu de l’article 40), à la création de cartes de séjour «étudiant - programme de mobilité» et «recherche d’emploi ou création d’entreprise» (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-7 N° Lexbase : L9216K44, L. 313-8 N° Lexbase : L5050IQ4, L. 313-27 N° Lexbase : L1886LMS et L. 531-2 N° Lexbase : L9257K4M issu de l’article 40), à prolonger l’autorisation d’exercer la médecine accordée à certains praticiens étrangers (censuré par le Conseil constitutionnel car cavalier législatif), à la création d’une carte de séjour «jeune au pair» (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-9 [nouveau] N° Lexbase : L1979LMA issu de l’article 43) ou procédant à un ensemble de mesures de simplification par exemple dans la procédure de délivrance des documents de circulation délivrés aux étrangers mineurs (DCEM) (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 321-3 et s. N° Lexbase : L5748G4N, issu de l’article 45 de la loi).

Seules quelques dispositions ont réellement trait à l’intégration. La première renforce le contrat d’intégration républicaine (CIR), conclu entre l’Etat et les étrangers non européens bénéficiant d’un titre de séjour français. La nouvelle disposition précise les principes du contrat d’intégration républicaine, fixe un objectif de formation linguistique et y inclut un dispositif d’orientation et d’insertion professionnelles (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-9, N° Lexbase : L9210K4U  issu de l’article 48). La deuxième permet de concilier le dépôt d’une demande d’asile et la poursuite d’un contrat d’apprentissage pour les mineurs étrangers (C. entr. séj. étrang. et asile, art L. 744-11, N° Lexbase : L1987LMK, issu de l’article 49). La troisième rend obligatoire la délivrance d’une autorisation provisoire de travail aux mineurs isolés étrangers confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) après 16 ans, sous réserve de la présentation d’un contrat d’apprentissage ou d’un contrat de professionnalisation à durée indéterminée (C. trav., art. L. 5221-5 N° Lexbase : L2526H9G, issu de l’article 50).

Derrière ces mesures visant à la simplification se dissimule d’ailleurs, par moment, des usines à fabrication de sans-papiers à l’image de l’article L. 311-6 du CESEDA, issu de l’article 44 de la loi, qui prévoit à partir du 1er mars 2019, dans les conditions définies par un décret en Conseil d’Etat, que lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile, la préfecture, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, «l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret». Concrètement cette disposition vise à empêcher la possibilité pour le demandeur débouté, après rejet définitif de sa demande d’asile, de solliciter un changement de statut. Plusieurs milliers de déboutés du droit d’asile, qui souffrent d’importantes pathologies, sollicitent en effet chaque année la carte de séjour temporaire délivrée aux étrangers gravement malades. On peut aussi imaginer des personnes victimes de violences conjugales ou de la traite de l’être humain solliciter un changement de statut après avoir été déboutées de l’asile. La seule échappatoire est la possibilité en cas «circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé» de solliciter son admission au séjour (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-6 N° Lexbase : L1980LMB,  issu de l’article 44). Mais pour être nouvelles ces circonstances devront être postérieures à la demande d’asile. Or, fréquemment les demandeurs d’asile déboutés sont malades du fait des traumatismes et persécutions subies dans leur pays d’origine ou sur le chemin de l’exil. Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de ces dispositions qui peuvent toujours donner lieu à une QPC.

D’autres dispositions sont également désintégratrices :

D’une part, les dispositions de l’article 55 qui, sous prétexte de lutte contre les «paternités de complaisance», développe dans le CESEDA (L. 313-11, 6°) et le Code civil (articles 316 N° Lexbase : L8817G9G, 316-1 N° Lexbase : L2757ABQ, à 316-5 N° Lexbase : L1889LMW des mécanismes -qui existaient déjà Outre-mer (Mayotte)- reposant sur la suspicion à l’égard des familles franco-étrangères. Ce dispositif aura assurément des effets stigmatisants et discriminatoires (notamment à l’égard des mères étrangères) comme l’a relevé le Défenseur des droits et notre collègue Lisa Carayon dans de remarquables analyses [79]. Là aussi le Conseil constitutionnel n’a pas encore saisi de la constitutionnalité de ces modifications.

D’autre part, de manière non moins critiquable, la loi prévoit, après avis de la CNIL et par décret en Conseil d’Etat, la création d’un fichier national biométrique des mineurs étrangers isolés déclarés majeurs à l’issue de leur évaluation par un département. En 2017, presque 15 000 nouveaux mineurs non accompagnés avaient été confiés à l’ASE sur décision judiciaire (mais plusieurs dizaines de milliers ont été exclus de cette protection). L’objet du fichier est ambigu puisqu’il s’agit en même temps «de mieux garantir la protection de l'enfance» tout en luttant «contre l'entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France» (confirmant la policiarisation de la protection de l’enfance). Il permettra de relever les empreintes digitales ainsi qu'une photographie «des ressortissants étrangers se déclarant mineurs» lorsqu’ils sont privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille. Il ne contiendra pas de dispositif de reconnaissance faciale à partir de la photographie (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 611-6-1, N° Lexbase : L1885LMR, issu de l’article 51). Il est fort probable que le décret de création de ce fichier, très contesté, donnera lieu à un recours devant le Conseil d’Etat et, le cas échéant, à une QPC à l’encontre de ces dispositions.

Enfin, rompant avec une très ancienne tradition républicaine en la matière [80], la loi établit des règles d'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France spécifiques à Mayotte. Ces dispositions ont été adoptées sur amendement d’un député mahorais, à la suite d’un avis du Conseil d’Etat qu’il avait sollicité [81].

Dans le droit commun, depuis la loi «Guigou» de 1998, tout enfant né en France de parents étrangers acquière la nationalité française, soit de plein droit à partir de ses dix-huit ans, soit sur réclamation à partir de treize ou seize ans, à condition d'avoir sa résidence en France et d'y avoir eu sa résidence habituelle pendant une période d'au moins cinq ans depuis, selon le cas, l'âge de huit ou onze ans. Mais désormais, à Mayotte, ces dispositions ne sont applicables à un enfant né dans ce département d’outre-mer que si, à la date de sa naissance, l'un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière, sous couvert d'un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois (C. civ., art. 2493 N° Lexbase : L1935LMM, 2494 N° Lexbase : L1934LML et 2495 N° Lexbase : L1936LMN, issus des articles 16 et 17 de la loi).

Saisi de ces dispositions, le Conseil constitutionnel les a intégralement validées en relevant notamment que «la population de Mayotte comporte, par rapport à l'ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu'un nombre élevé et croissant d'enfants nés de parents étrangers» et que «cette collectivité est ainsi soumise à des flux migratoires très importants», «circonstances» qui constituent, au sens de l'article 73 de la Constitution (N° Lexbase : L1343A9M), des «caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, «afin de lutter contre l'immigration irrégulière à Mayotte, d'y adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France» (cons. 43) [82].

L’Assemblée nationale a par ailleurs écarté des dispositions adoptées par le Sénat visant d’une part transformer l’aide médicale d’Etat en aide médicale d’urgence et d’autre part, à la suite d’une décision du TA de Paris du 25 janvier 2018 [83], actuellement en appel, à modifier le Code des transports afin que soit soumis à une conditions de régularité du séjour le  bénéfice  de  tarifs  sociaux  dans  les  services  publics de  transport (et ce afin de «sauver» la mise à l’écart des bénéficiaires de l’AME de la réduction tarifaire par le Conseil régional Ile de France et le STIF).

Notons enfin que l’article 52 de la loi autorise le Gouvernement à re-codifier, par une ordonnance de l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), et dans un délai de vingt-quatre mois, la partie législative du CESEDA «afin d'en aménager le plan, d'en clarifier la rédaction et d'y inclure les dispositions d'autres codes ou non codifiées relevant du domaine de la loi et intéressant directement l'entrée et le séjour des étrangers en France». En effet l’accumulation des lois tous les deux ou trois ans sur l’asile et l’immigration, et l’ajout de dispositions éparses, ont rendu peu cohérent et illisible le Code adopté en 2005. Mais cette re-codification se fera à droit constant alors que la vraie difficulté du droit des étrangers n’est pas tant l’inconstance du législateur que son inconsistance.

 

[1] Circ. min., NOR: INTV1824378J, du 11 septembre 2018, Instruction relative à la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d' asile effectif et une intégration réussie - dispositions immédiatement applicables (N° Lexbase : L2780LMW).

[2] Cons. const., décision n° 2018-770 DC, du 6 septembre 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (N° Lexbase : A4476X38).

[3] Certains auteurs évoquent la vingtième réforme (Ch. Pouly, Asile et immigration : une loi de plus, Dalloz actualité, 3 septembre 2018 ; J.-M. Pastor, Asile et immigration : un nouveau test pour le gouvernement, AJDA, 2018, 364), le Défenseur des droits évoque dans ses auditions parlementaires «le vingtième [texte], au moins, depuis la fin des années 1970» (Avis 18-09 du 15 mars 2018 relatif au projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, 15 mars 2018).

[4] V., par exemple : loi «Quilès» n° 92-625 du 6 juillet 1992 sur la zone d'attente des ports et des aéroports et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1992 (Cons. const., décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, loi portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France dite «zone de transit» N° Lexbase : A8265AC4), ou encore la loi «Joxe» n° 90-34 du 10 janvier 1990, modifiant l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : L0982LAM) modifiant l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'Office national d'immigration (N° Lexbase : A7256DYE) à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1989 (Cons. constit., déc. n° 89-261 DC du 28 juillet 1989 N° Lexbase : A8203ACS ; voir aussi, plus récemment loi n° 2018-187 permettant une bonne application du régime d'asile européen N° Lexbase : L7968LIX) dont certaines dispositions visent à tirer les conséquences de la décision n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017 (Cons. const., décision n° 2017-674 QPC du 1er décembre 2017 N° Lexbase : A9907W3C).

[5] On pense par exemple à la loi «Valls», n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées (N° Lexbase : L8109IUU) adoptée pour tirer les conséquences de la décision "Achughbabian" du 6 décembre 2011 (CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11 N° Lexbase : A4929H3X), et des décisions de la Cour de cassation du 5 juillet 2012 (Cass. civ. 1, 5 juillet 2012, n° 11-30.371, FS-P+B+R+I, N° Lexbase : A4775IQW ; Cass. civ. 1, 5 juillet 2012, n° 11-30.530, FS-P+B+R+I, N° Lexbase : A5008IQK ; Cass. civ. 1, 5 juillet 2012, n° 11-19.250, FS-P+B+R+I, N° Lexbase : A4776IQX).

[6] Loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 (N° Lexbase : L7667LA9).

[7] Loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France (N° Lexbase : L1997DPN).

[8] Loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile (N° Lexbase : L2986H3Y).

[9] Loi n° 2003-1119, relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité N° Lexbase : L5905DLB).

[10] Loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration (N° Lexbase : L3439HKL).

[11] Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile (N° Lexbase : L9630DLA).

[12] Loi «Deferre» n° 81-973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ; loi «Dufoix» n° 84-622 du 17 juillet 1984, portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 et du Code du travail et relative aux étrangers séjournant en France et aux titre uniques de séjour et de travail (N° Lexbase : L2699K74).

[13] C’est le cas de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France (N° Lexbase : L9035K4E), qui a ramené l’intervention du JLD à 48 heures et a pris en compte certaines propositions du rapport «Fekl» de 2013.

[14] Loi n° 89-548 du 2 août 1989, relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France (N° Lexbase : L2774IZR).

[15] Loi n° 98-349 du 11 mai 1998, relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile (N° Lexbase : L9660A9N).

[16] Loi n° 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité.

[17] Loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, réformant le droit de la nationalité (N° Lexbase : L0191IPR).

[18] Loi n° 93-1417 du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le Code civil (N° Lexbase : L1998DPP) (à la suite de la censure constitutionnelle et dans le cadre de l’adoption de «Schengen» / «Dublin» ou encore de la loi «Toubon» n° 94-1136 du 27 décembre 1994 portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ; loi «Besson»  n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4) ; loi «Valls» n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA).

[19] Cf., notre entretien de février 2018 à l’aaatelier.

[20] Aurélien Taché, 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France, Rapport, 21 février 2018).

[21] CJUE, 15 mars 2017, aff. C-528/15 (N° Lexbase : A9971T43) ; Cass. civ. 1, 27 septembre 2017, n° 17-15.160, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1404WT8).

[22] Cf., nos obs., Rétention des «Dublinables» : le Conseil constitutionnel admet une rétention préventive sans perspective immédiate d’éloignement, Lexbase éd. pub., 2018, n° 500 N° Lexbase : N3707BXL).

[23] De manière inhabituellement critique, même le Conseil d’Etat, dans un avis du 15 février 2018, s’est interrogé sur l’utilité de ce projet de loi alors que sont intervenues depuis 1980, «16 lois majeures» dans ce domaine. Le conseiller du Gouvernement regrette que ce projet «ne soit pas l’occasion d’une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n’entraîne un surcroit d’efficacité» (CE avis, 15 février 2018, n° 394206 N° Lexbase : A1476XEE).

[24] V., en particulier, le projet de création de plateformes régionales de débarquement et de centres fermés pour «trier» et répartir les migrants : Commission européenne, Gestion des migrations: la Commission développe les concepts de «débarquement» et de «centres contrôlés», Communiqué, Bruxelles, 24 juillet 2018.

[25] Ainsi, le rapport de la mission d’information sur l’application de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France par MM. Jean-Michel Clément et Guillaume Larrivé, n’a pratiquement pas été pris en compte dans le projet de loi «asile - immigration».

[26] L’étude d’impact du projet de loi est, une nouvelle fois, totalement insuffisante et n’évalue pas réellement, ou en tout pas de manière objective et approfondie, l’impact des mesures envisagées (par exemple l’allongement de la durée de rétention de 45 à 90 jours).

[27] Cf., nos obs., «Délit de solidarité» : le Conseil constitutionnel étend l’immunité de l’article L. 622-4 du CESEDA au nom du principe de fraternité, Lexbase Pén., 2018, n° 8 (N° Lexbase : N5498BXW).

[28]  En contrepartie du retrait d’un amendement visant à limiter la rétention des enfants, les députés «LREM» ont mis en place un groupe de travail, sous la responsabilité de Florent Boudié, sur ce sujet (Rétention des mineurs : Collomb adresse un signe à sa majorité, Libération, 17 avril 2018 ; Loi immigration: les députés LREM refusent d’interdire la rétention des enfants, Médiapart, 22 avril 2018).

[32] Le demandeur d’asile est maltraité par ce projet de loi, Le Monde, 22 février 2018 ; Défenseur des droits, Avis 18-09 du 15 mars 2018 « relatif au projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif» après l’audition du 13 mars 2018 par Elise Fajgeles, rapporteure de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi.

[33] CNB, Projet de loi asile et immigration, Commission Libertés et droits de l'homme, Rapport du 17 mars 2018 (nous avons, avec Me Hélène Gacon, participé comme expert à cet avis du CNB).

[34] Le barreau de Paris s’inquiète des conséquences du projet de Loi concernant l’immigration et le droit d’asile, Editorial, 14 février 2018.

[36] Après l’échec de la Commission mixte paritaire c’est la majorité de l’Assemblée nationale qui a adopté, en dernière lecture, son texte.

[37] En 2017, le délai de traitement moyen constaté cumulé (Ofpra + CNDA) s’élève toujours à 414, 7 jours, soit treize mois et dix-neuf jours (contre 426 jours en 2015). En tenant compte de la pondération des décisions définitives entre Ofpra et CNDA, le délai moyen pondéré est toujours supérieur à 11 mois (Etude d’impact du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, Assemblée nationale, NOR : INTX1801788L/Bleue-1, p. 45).

[38] Sur suggestion du Conseil d’Etat dans son avis, l’article 723-6 prévoit que cette notification par tout moyen, y compris électronique, doit garantir «la confidentialité et la réception personnelle par le demandeur». Un décret en Conseil d'Etat viendra fixer les cas et les conditions dans lesquels l'entretien peut se dérouler par un moyen de communication audiovisuelle pour des raisons tenant à l'éloignement géographique ou à la situation particulière du demandeur.

[39] CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09, (N° Lexbase : A9424IBN) s’agissant de l’asile en rétention.

[40] CJUE, 27 septembre 2012, aff. C-179/11 (N° Lexbase : A4352ITD) s’agissant de l’accès des demandeurs d’asile relevant du règlement «Dublin» aux conditions matérielles d’accueil ; CEDH, 21 janvier 2011, Req. 30696/09 (N° Lexbase : A4543GQC).

[41] La Cour de Luxembourg vient néanmoins d’admettre en ce sens que les Etats membres de l’Union peuvent adopter une décision de retour dès le rejet de la demande de protection internationale, à condition qu’ils suspendent la procédure de retour dans l’attente de l’issue du recours contre ce rejet (CJUE, 19 juin 2018, aff. C-181/16 N° Lexbase : A3681XTI). Elle vient aussi d’admettre que l’article 46 de la 2013/32/UE du 26 juin 2013 (Directive du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale N° Lexbase : L9263IXD («procédures») et l’article 13 de la Directive 2008/115/CE  du 16 décembre 2008 (N° Lexbase : L3289ICS), lus à la lumière de l’article 18 et de l’article 19, paragraphe 2, ainsi que de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux (N° Lexbase : L8117ANX), doivent être interprétés en ce sens «qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant un appel contre un jugement de première instance confirmant une décision rejetant une demande de protection internationale et imposant une obligation de retour, n’assortit pas cette voie de recours d’un effet suspensif de plein droit alors même que l’intéressé invoque un risque sérieux de violation du principe de non-refoulement» (CJUE, 26 septembre 2018, aff. C-180/17 N° Lexbase : A7896X7L et CJUE, 26 septembre 2018, aff. C-175/17 N° Lexbase : A7895X7K).

[42] Cf., sur la même difficulté, antérieurement à la réforme de 2015, Cons. const., décision n° 2011-120 QPC, du 8 avril 2011 (N° Lexbase : A5889HM3) ; CE 9° et 10° s-s-r., 6 décembre 2013, n° 357351, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8519KQL, tables Lebon ; Cf., Y. Pelosi, Une avancée incertaine pour l’effectivité des recours des demandeurs d’asile «prioritaires», La Revue des droits de l’Homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 7 mars 2014.

[43] Rapport d’activité de la CNDA 2017, p. 6.

[44] V., par ex., Arrêté du 12 mars 2009 portant expérimentation de la régionalisation de l'admission au séjour des demandeurs d'asile dans la région Rhône-Alpes.

[45] Dans son avis du 15 février 2018, le Conseil d’Etat estime que «cette nouvelle orientation répond sans aucun doute à un objectif d’intérêt général : éviter la concentration excessive des demandeurs dans quelques grandes métropoles ou à proximité des points de passage internationaux, qui sature les services sociaux et accroît tant la vulnérabilité des demandeurs que le risque de frictions avec les autres résidents».

[46] Cf., Serge Slama, De la défaillance systémique à la «policiarisation» des conditions d’accueil des demandeurs d’asile en France, La Revue des droits de l’Homme [En ligne], 14, 2018, mis en ligne le 21 juin 2018.

[47] Rapport fait au nom de la Commission des lois sur le projet pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif (n° 714), par Mme Elise Fajgeles, 9 avril 2018, p. 263 et s.. Devant la commission des lois de l’Assemblée, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a été jusqu’à évoquer une «submersion» de ces régions par des flux «devenus ingérables» et participant à leur «déconstruction» (ibid., p. 43. v., Quand le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb se réapproprie le vocabulaire de l'extrême droiteInrockuptibles, 5 avril 2018 ; loi sur l’asile : Collomb évoque des régions «submergées par des flux de demandeurs, Le Monde, 4 avril 2018.

[48] Malgré la lettre de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 (N° Lexbase : L6810BHP), l’article 7 de la Directive 2013/22 prévoit que «les Etats membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins de traitement rapide et du suivi efficace de sa demande».  

[49] Rapport «Fajgeles», préc., p. 264 et s..

[50] Cf., pour une tentative d’inventaire détaillé notre article «De la défaillance systémique à la ‘policiarisation’ des conditions d’accueil des demandeurs d’asile en France», La Revue des droits de l’Homme [En ligne], 14, 2018, mis en ligne le 21 juin 2018.

[52] Dans un communiqué de janvier 2018, le ministère de l’Intérieur a annoncé la création de «200 places en centre d’accueil et d’examen des situations dans chaque région, soit plus de 2 600 places sur l’ensemble du territoire». On comptait déjà 1 800 places de CAES dont 750 en Ile-de-France, 300 dans les Hauts de France, 204 en Auvergne Rhône-Alpes.

[53] C’est le Conseil d’Etat qui a, dans son avis (préc., cons. 32), suggéré ce dispositif de perte ou de refus «de plein droit» afin que de telles décisions ne soient pas considérées comme des sanctions, qui auraient nécessité le respect d’un contradictoire préalable et des droits de la défense avant leur édiction, mais comme la «cessation de plein droit d’un avantage» à l’initiative du demandeur.

[54] Dans son avis (préc., cons. 30), le Conseil d’Etat propose, pour éviter que le développement d’un nouveau type de contentieux contre les décisions d’attribution, de refus ou de retrait des conditions matérielles d’accueil, au risque d’engorger le tribunal administratif dont relève le siège de l’OFII, l’instauration d’un mécanisme de recours préalable obligatoire (RAPO) devant une commission nationale placée auprès de l’OFII.

[55] Cette disposition est à mettre en lien avec la circulaire «Collomb» du 12 décembre 2017 qui reposait aussi implicitement un tel échange d’informations entre gestionnaires des centres d’hébergement d’urgence et l’OFII ou les préfectures (cf. : CE 2° et 7° ch.-r., 11 avril 2018, n° 417206, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7051XKD).

[56] Etude d’impact du projet de loi NOR INTX1801788L/Bleue, 20 février 2018, p. 31. Selon les calculs de l’étude d’impact, compte tenu de l’augmentation du nombre de bénéficiaires de la protection subsidiaire et en retenant l’hypothèse que le renouvellement du titre de séjour nécessite deux rendez-vous en préfecture, l’un de 20 minutes pour l’enregistrement de la demande et l’autre de 10 minutes pour la remise du nouveau titre, l’économie annuelle réalisée sur une période de cinq ans pour 30 393 protégés subsidiaires et 1 370 apatrides peut être estimée à l’équivalent de 4 emploi temps plein par an d’agents de catégorie C, soit 56 000  euros d’économie  par  an… (étude d’impact, p. 38). 

[57] Cf., sur la jurisprudence de principe antérieurement à son inscription dans le CESEDA par la loi de 2015, CE Ass., 21 décembre 2012, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 332491 (N° Lexbase : A1333IZE) (exclusion de la mère du statut de réfugié) et n° 332492 (N° Lexbase : A1334IZG) (admission fillette au statut de réfugié) ; CE 4 ° et 5 ° s-s-r., 23 décembre 2011, n° 338607, mentionné aux tables (exclusion d’une mère de la protection subsidiaire), Lettre ADL, 18 février 2013, par G. Cholet ; AJDA, 2013 p. 465, chron. X. Domino, A. Bretonneau ; F. Julien-Laferrière, Méconnaissance de l’intérêt de l’enfant et de l’unité de la famille, AJDA, 2013, p. 476 ; C. Brice-Delajoux, Le Conseil d’Etat, le droit d’asile et l’excision : entre satisfaction et inquiétude, JCP éd. G, n° 13, 2013, 357. Cf., à la suite de la loi du 29 juillet 2015 (article L. 723-5 du CESEDA), l’arrêté du 23 août 2017 NOR : INTV1721843A.

[58] Même si la Cour suprême de Delhi a constaté l’inconstitutionnalité d’un article du Code pénal indien pénalisant l’homosexualité («Inde : la Cour suprême dépénalise l’homosexualité, une décision historique», Le Monde, 6 septembre 2018), il est fort probable qu’il faudra bien des années avant que les LGBTI puissent vivre en Inde sans faire l’objet de stigmatisations, discriminations ou mauvais traitements.

[59] Cf., S. Slama, Du droit des étrangers à l'état d'urgence : des notes blanches au diapason, Plein droit 2018/2 (n° 117).

[60] Cf., leur validation : CE 9° et 10° ch.-r., 28 décembre 2017, n° 415291 (N° Lexbase : A6080W93) à propos de la réintroduction temporaire à compter du 1er novembre 2017 et jusqu’au 30 avril 2018.

[61] Cf., CGLPL, Rapport de la deuxième visite des services de la police aux frontières de Menton (Alpes-Maritimes), Contrôle des personnes migrantes à la frontière franco-italienne, 4 au 8 septembre 2017 ; Le préfet des Alpes-Maritimes à nouveau condamné pour atteinte au droit d’asile de migrants, Le Monde, 4 septembre 2017.

[62] CE référé, 5 juillet 2017, n° 411575 (N° Lexbase : A1469WNQ).

[63] CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10, Aziz Melki (N° Lexbase : A1918E3G).

[64] En 2011, le législateur a déjà inscrit, pour les étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement en lien avec le terrorisme, la possibilité d’une rétention de dix-huit mois mais le Conseil constitutionnel avait censuré le délai supplémentaire de douze mois, limitant ainsi la durée maximale de rétention compatible avec l’article 66 de la Constitution, à six mois (Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité). 

[65] Etude d’impact, préc., p.118.

[66] Ibid.

[67] Selon cette étude d’impact (p.119), pour l’année 2017, sur 21 296 personnes sorties des centres de rétention gérés par la PAF (en Métropole ?), «8 689 ont été effectivement éloignées, soit 40, 80 %».

[68] Sur les 21 458 étrangers placés en rétention en 2017, 635 ont été remis en liberté du fait de la non-obtention d’un document de voyage permettant leur reconduite vers leur pays d’origine à l’expiration de la  durée  maximale  de 45 jours.

[69] Cf., not., ses décisions n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 et n° 2011-631 DC du 9 juin 2011.

[70] V., aussi, TC 9 février 2015, n°15-03986.

[71] L.551-1 «IV. - Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention».

[72] Antonin Gelblat, La CEDH et la pratique française de rétention des mineurs étrangers : L’impossibilité pratique plutôt que l’interdiction de principe ?, La Revue des droits de l’Homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 29 août 2016. 

[73] Camille Escuillié, Un encadrement cosmétique du renvoi des mineurs étrangers arbitrairement rattachés à des adultes accompagnants, La Revue des droits de l’Homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, 27 février 2015.

[74] CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11.

[75] Cass. crim., 1er avril 2015, n° 13-86.418, FS-P+B+I  (N° Lexbase : A1050NGY).

[76] "El Dridi" du 28 avril 2011 ; "Achugaghbabian "du 6 décembre 2011 et "Md Sagor" du 6 décembre 2012 (CJUE, 6 décembre 2012, aff. C-430/11 N° Lexbase : A3978IYY).

[77] CJUE, 7 juin 2016, aff. C-47/15 (N° Lexbase : A9687RR9) ; Cass. civ. 1, 12 juillet 2017, n° 16-22.548, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6553WMN) ;  Cass. civ. 1, 28 janvier 2015, n° 13-28.349, FS-P+B+I  (N° Lexbase : A4101NA7).

[78] S. Slama, «Délit de solidarité» : le Conseil constitutionnel étend l’immunité de l’article L. 622-4 du CESEDA au nom du principe de fraternité, Lexbase Pén., 2018, n° 8.

[80] S. Slama, Jus soli, jus sanguinis, principes complémentaires et consubstantiels de la tradition républicaine, Pouvoirs n° 160, janvier 2017, p. 19-34.

[81] CE avis, 5 juin 2018, n° 394925 (N° Lexbase : A7502XQW).

[82] Cf., pour des critiques, à propos de cette dialectique de l’appel d’air : Patrick Weil: «On a dégradé les valeurs fondamentales de la République à Mayotte», L’Opinion, 30 septembre 2018 ; La situation mahoraise ne doit pas servir de prétexte pour porter atteinte à l’indivisibilité de la République, Le Monde, 25 juin 2018 ; Trois questions autour du projet de limitation du droit du sol à Mayotte , Le Monde, 29 juin 2018.

[83] TA Paris, du 25 janvier 2018, n° 1605926 (N° Lexbase : A3233XBD).

newsid:465782

Droit des étrangers

[Brèves] Report du délai de transfert en cas de recours : le Conseil d’Etat fixe de nouvelles règles

Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 24 septembre 2018, n° 420708, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7893X7H)

Lecture: 4 min

N5732BXL

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par Marie Le Guerroué

Le 03 Octobre 2018

► L'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du Règlement (UE) n° 604/2013 (N° Lexbase : L3872IZG), qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision ;

 

► Ni un appel, ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3292ALI) n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du Règlement, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

 

Telles sont les nouvelles règles établies par le Conseil d’Etat dans une décision du 24 septembre 2018 (CE 5° et 6° ch.-r., 24 septembre 2018, n° 420708, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7893X7H ; v., auparavant CE référé, 4 mars 2015, n° 388180, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9190NCD).

 

En l’espèce, deux érythréens, qui déclaraient être entrés sur le territoire français au début de l'année 2017, avaient présenté une demande d'asile aux autorités françaises. La consultation du fichier "Eurodac" ayant permis d'établir que leurs empreintes digitales avaient été relevées par les autorités italiennes à l'occasion d'une précédente demande d'asile, des demandes de reprise en charge avaient été adressées aux autorités italiennes les 5 et 6 avril 2017. Des décisions implicites d'acceptation par les autorités italiennes étaient nées du silence gardé sur ces demandes dans le délai des deux semaines fixées par l'article 25, paragraphe 2, du Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

 

Par deux arrêtés du 18 mai 2017, le préfet avait décidé le transfert des intéressés vers l'Italie. Saisi par ces derniers sur le fondement de l'article L. 742-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1283LKQ), le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice avait annulé ces arrêtés, au motif que le préfet avait manifestement mal apprécié la situation personnelle des requérants et de leur enfant en s'abstenant d'utiliser la faculté prévue, à titre dérogatoire, par l'article 17 du Règlement du 26 juin 2013 d'examiner leurs demandes d'asile, et avait enjoint au préfet d'enregistrer les demandes d'asiles des requérants et de leur délivrer, dans l'attente des décisions à venir, des récépissés de demande d'asile les autorisant à séjourner sur le territoire français, par deux jugements du 2 juin 2017 dont le préfet avait relevé appel. Les deux étrangers avaient été, à plusieurs reprises, présentés à la préfecture sans qu'il soit procédé à l'enregistrement de leur demande d'asile.

Par deux arrêts du 4 avril 2018, la cour administrative d'appel de Marseille, qui avait notamment retenu que le préfet n'avait pas commis l'erreur manifeste relevée par le premier juge, avait annulé les jugements du tribunal administratif de Nice du 2 juin 2017 et rejeté les demandes d'annulation des intéressés. Ceux-ci s’étaient à nouveau présentés en préfecture, le 20 avril 2018, pour y déposer des demandes d'asile, que l'administration avait refusé d'enregistrer. Ils avaient alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice afin qu'il ordonne au préfet d'enregistrer leur demande d'asile et de leur délivrer des titres provisoires de séjour. Ils avaient soutenu notamment que le délai de six mois laissé à la France par l'article 29, paragraphe 1, du Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, avait commencé à courir le 2 juin 2017, date à laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice avait annulé les décisions ordonnant leur transfert vers l'Italie, que le délai pour les transférer en l'Italie était désormais expiré et que la France devait être regardée comme l'Etat membre responsable de l'examen de leur demande d'asile.

 

Par une ordonnance du 2 mai 2018, dont les deux érythréens relevèrent appel, le juge des référés du tribunal administratif de Nice avait rejeté leur demande. Il avait, notamment, estimé que le délai de six mois prévu à l'article 29, paragraphe 1, du Règlement du 26 juin 2013 avait recommencé à courir à compter de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille, soit le 4 avril 2018, comme le soutenait l'administration, et que ce délai n'était pas dépassé lorsque l'administration avait refusé, le 20 avril 2018, d'enregistrer leurs demandes d'asile. 

Les requérants demandent au juge des référés du Conseil d’Etat d’annuler ladite ordonnance.

 

Le Conseil d’Etat rend la solution susvisée et enjoint au préfet d'enregistrer, selon la procédure normale, les demandes d'asile des requérants, de leur délivrer les attestations y afférentes et de leur remettre les dossiers destinés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision (cf. l’Ouvrage «Droit des étrangers» N° Lexbase : E5937EYK).

newsid:465732

Égalité de traitement

[Brèves] Prime de treizième mois : différence de traitement justifiée entre les salariés cadres et non-cadres

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2018, n° 17-15.101, FS-P+B (N° Lexbase : A1862X8H)

Lecture: 1 min

N5749BX9

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par Blanche Chaumet

Le 03 Octobre 2018

Quelles que soient les modalités de son versement, une prime de treizième mois, qui n'a pas d'objet spécifique étranger au travail accompli ou destiné à compenser une sujétion particulière, participe de la rémunération annuelle versée, au même titre que le salaire de base, en contrepartie du travail à l'égard duquel les salariés cadres et non-cadres ne sont pas placés dans une situation identique.

 

Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 septembre 2018 (Cass. soc., 26 septembre 2018, n° 17-15.101, FS-P+B N° Lexbase : A1862X8H).

 

En l’espèce, quarante salariés, travaillant au service d’une société en qualité d'ouvriers et d'employés, ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant à obtenir le bénéfice, au titre du principe d'égalité de traitement, d'un avantage correspondant à un treizième mois accordé aux salariés cadres.

 

Pour faire droit aux demandes des salariés, après avoir énoncé que la seule différence de catégorie professionnelle ne peut en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, la cour d’appel retient, par motifs propres et adoptés, que sous couvert de douze mois de salaires payés sur treize mois, il s'agit bien d'une prime de treizième mois qui est payée aux cadres de l'entreprise sans que l'employeur n'établisse la différence de traitement instituée entre les cadres et les personnels non-cadres relativement au versement de cette prime qui serait justifiée par des raisons objectives, réelles et pertinentes. A la suite de cette décision, la société s’est pourvue en cassation.

 

En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel au visa du principe d'égalité de traitement. En statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé, par fausse application, ce principe (cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E2592ET8).

newsid:465749

Entreprises en difficulté

[Brèves] EIRL : distinction entre le patrimoine affecté, éligible au droit des entreprises en difficulté, et le patrimoine non-affecté, éligible à une procédure de surendettement

Réf. : Cass. civ. 2, 27 septembre 2018, n° 17-22.013, F-P+B+I (N° Lexbase : A1869X8Q)

Lecture: 2 min

N5731BXK

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par Vincent Téchené

Le 04 Octobre 2018

► La seule circonstance que le patrimoine affecté de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée relève de la procédure instituée par les titres II à IV du livre VI du Code de commerce relative au traitement des difficultés des entreprises n’est pas de nature à exclure le patrimoine non affecté du débiteur de la procédure de traitement des situations de surendettement. Tel est l’enseignement d’un arrêt rendu le 27 septembre 2018 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 27 septembre 2018, n° 17-22.013, F-P+B+I N° Lexbase : A1869X8Q).

 

En l’espèce, un jugement a déclaré irrecevable une demande de traitement de la situation de surendettement, retenant que l’intéressée exerce son activité professionnelle sous le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, ce qui la rend éligible aux procédures collectives.

 

La Cour de cassation censure cette solution. Elle rappelle que, selon l’article L. 526-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L3386IQH), tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale. Il résulte, par ailleurs, de l’article L. 333-7 (N° Lexbase : L6177IX3), devenu l’article L. 711-7 (N° Lexbase : L0772K7Q), du Code de la consommation que les dispositions régissant le traitement des situations de surendettement sont applicables au débiteur qui a procédé à une déclaration de constitution de patrimoine affecté conformément à l’article L. 526-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L5429I3H). Ces dispositions s’appliquent à raison d’une situation de surendettement résultant uniquement de dettes non professionnelles. Dans ce cas, celles de ces dispositions qui intéressent les biens, droits et obligations du débiteur doivent être comprises, sauf dispositions contraires, comme visant les seuls éléments du patrimoine non affecté et celles qui intéressent les droits et obligations des créanciers du débiteur s’appliquent dans les limites du seul patrimoine non affecté.

 

En second lieu, la Cour censure également le jugement en ce qu’il a retenu l’absence de bonne foi de l’intéressée au motif qu’est versé aux débats un document intitulé «modèle de déclaration d’affectation par un entrepreneur à responsabilité limitée» aux termes duquel elle indique être propriétaire de deux mobiles homes ayant vocation à être loués dans le cadre de l’EIRL et qu’elle a sciemment caché la réalité de sa situation patrimoniale et financière en ne déclarant pas en être propriétaire. En effet, selon la Cour, les juges du fond auraient dû rechercher si les mobil-homes étaient ou non affectés au patrimoine professionnel (cf. les Ouvrages «Entreprises en difficulté» N° Lexbase : E8662ETY et «Droit bancaire» N° Lexbase : E2727E4R et N° Lexbase : E2731E4W).

newsid:465731

Fiscalité immobilière

[Brèves] Charges de copropriété : quid dans le cas où une dissociation des charges incombant au propriétaire et des charges récupérables auprès du locataire n’est pas possible

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 26 septembre 2018, n° 405911, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7997X7C)

Lecture: 2 min

N5721BX8

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par Marie-Claire Sgarra

Le 03 Octobre 2018

► Il résulte de l'article 31 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3907IAX) que seules les dépenses incombant au propriétaire et effectivement supportées par celui-ci sont admises en déduction des revenus fonciers, à l'exclusion des charges récupérables auprès du locataire dont la liste figure, pour les baux d'habitation, en annexe du décret n° 87-713 du 26 août 1987 (N° Lexbase : L9706A9D), pris en application de l'article 18 de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 (N° Lexbase : L8834AGB), tendant à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l'offre foncière et fixant la liste des charges récupérables. Dans le cas où la dissociation des charges incombant au propriétaire et des charges récupérables auprès du locataire n'est pas possible, il est recouru à une répartition forfaitaire en fonction des données disponibles.

 

Telle est la solution retenue par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 26 septembre 2018 (CE 3° et 8° ch.-r., 26 septembre 2018, n° 405911, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7997X7C).

 

En l’espèce, les requérants, associés d’une SCI font l’objet d’un contrôle sur pièce à l’issue duquel l’administration a notamment réintégré dans le bénéfice foncier de l’année 2009 de cette société une somme de 14 400,23 euros correspondant à une facture relative à des travaux de jardinage réalisés dans une de ses propriétés.

 

Le Conseil d’Etat juge que si, parmi les charges mentionnées sur la facture, la cour a regardé comme incombant au propriétaire celles qui étaient liées à l’élagage des arbres ainsi qu’à la fourniture et à la mise en œuvre de plantations, elle a implicitement, mais nécessairement, regardé comme récupérables sur le locataire les charges relatives aux prestations restant en litige, c’est-à-dire aux frais de déplacement et à la mise en décharge des déchets.

 

Dès lors qu’il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces dernières étaient, au moins pour partie, directement liées à celles qui ont été regardées comme incombant au propriétaire, la cour, qui devait déterminer la proportion dans laquelle ces charges étaient déductibles, a commis une erreur de qualification juridique (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X8892ALW).

newsid:465721

Fiscalité internationale

[Brèves] Perquisitions fiscales en Italie : la législation nationale ne garantit pas les justiciables contre les risques d’abus des autorités ou l’arbitraire

Réf. : CEDH, 27 septembre 2018, Req. 57278/11 (N° Lexbase : A7978X7M)

Lecture: 3 min

N5707BXN

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par Marie-Claire Sgarra

Le 03 Octobre 2018

La loi italienne sur les perquisitions ne garantit pas suffisamment les justiciables contre les risques d’abus des autorités ou l’arbitraire.

 

Telle est la solution retenue par la CEDH rendu le 27 septembre 2018 (CEDH, 27 septembre 2018, Req. 57278/11 N° Lexbase : A7978X7M).

 

En l’espèce, le requérant est né en Italie, et réside à Munich depuis 1989. Inscrit sur le registre des Italiens résidant à l’étranger, il possède depuis 2009 une maison en Italie, où sa femme et ses enfants habitent pendant la période scolaire. En 2010, le requérant fait l’objet d’un contrôle fiscal de la part de la police fiscale de Mantoue. Le parquet de Mantoue autorise la police fiscale à accéder au domicile italien du requérant dans le but de rechercher et de saisir les livres comptables, les documents ou toute autre preuve de violations de la législation fiscale. Le requérant, étant absent le jour de la perquisition, les agents de la police demandent au frère de ce dernier d’accéder aux lieux sans justifier de leur demande. Le requérant, par échanges avec la police se déclare disposé à collaborer avec les autorités italiennes et mettre à leur disposition tout justificatif concernant ses revenus. Quant à la police fiscale, elle informe le requérant que, s’il refusait de consentir aux recherches auprès de son habitation au profit des agents, une perquisition serait ordonnée par le parquet.

 

Par une décision du 13 juillet 2010, le parquet de Mantoue ouvrit une enquête pénale à l’encontre du requérant, et délivra un mandat de perquisition de l’habitation et des véhicules de l’intéressé en raison de l’existence de graves indices de culpabilité du délit d’évasion fiscale. Par ce mandat, le parquet ordonna la recherche et la saisie des documents comptables se trouvant sur les lieux ainsi que de tout autre document prouvant le délit d’évasion fiscale, y compris des fichiers électroniques. La perquisition se fit en présence du père du requérant. Ultérieurement, par un mémoire en défense, le requérant contesta la nécessité de la perquisition en prouvant notamment qu’il résidait principalement en Allemagne et qu’il y payait régulièrement ses impôts, et demandait le classement sans suite de l’enquête. Par suite, le requérant a introduit un recours, soutenant que la perquisition de son habitation avait constitué une atteinte injustifiée au droit au respect de son domicile et de sa vie privée, puisque, selon lui, la vérification de sa situation fiscale aurait pu être effectuée par d’autres moyens. La Cour de cassation déclare le recours du requérant irrecevable. Elle indiqua qu’aucun appel n’était prévu contre un mandat de perquisition, précisant que celui-ci ne pouvait faire l’objet d’un réexamen au sens de l’article 257 du Code de procédure pénale italien que lorsqu’il était suivi d’une saisie de biens. Selon la haute juridiction, en cas de violation des règles sur la conduite de la perquisition, seules des sanctions disciplinaires à l’encontre des agents de police ayant mené les opérations étaient envisageables. Par ailleurs, toujours selon la Cour de cassation, un recours direct devant elle en vertu de l’article 111 de la Constitution n’était pas non plus admissible dès lors qu’une perquisition domiciliaire n’avait pas d’impact sur la liberté personnelle.

 

La Cour juge dans un premier temps qu’aucun juge n’a examiné la légalité et la nécessité du mandat de perquisition du domicile du requérant émis par le parquet. Dès lors, en l’absence d’un tel examen et, le cas échéant, d’un constat d’irrégularité, l’intéressé n’a pas pu prétendre à un redressement approprié du préjudice subi allégué. Dès lors, a Cour conclut que, même si la mesure contestée avait une base légale en droit interne, la législation nationale n’a pas offert au requérant suffisamment de garanties contre l’abus ou l’arbitraire avant ou après la perquisition. De ce fait, l’intéressé n’a pas bénéficié d’un «contrôle efficace» tel que voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique. L’ingérence dans le droit au respect du domicile du requérant n’était donc pas «prévue par la loi» au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4798AQR).

newsid:465707

Institutions européennes

[Brèves] Confirmation du caractère secret des documents relatifs aux indemnités journalières, aux indemnités de frais de voyage et aux indemnités d’assistance parlementaire des eurodéputés

Réf. : TUE, 25 septembre 2018, aff. T-639/15 (N° Lexbase : A6946X7E)

Lecture: 1 min

N5703BXI

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par Yann Le Foll

Le 03 Octobre 2018

Est légal le refus du Parlement européen d’accorder l’accès aux documents relatifs aux indemnités journalières, aux indemnités de frais de voyage et aux indemnités d’assistance parlementaire des eurodéputés. Ainsi statue le TUE dans un arrêt rendu le 25 septembre 2018 (TUE, 25 septembre 2018, aff. T-639/15 N° Lexbase : A6946X7E).

 

L’ensemble des documents sollicités contiennent des informations concernant des personnes physiques identifiées (à savoir les eurodéputés), la qualification de ces informations de données à caractère personnel ne pouvant être exclue du simple fait qu’elles sont liées à des donnés publiques sur ces personnes. Leur divulgation contreviendrait donc aux dispositions de la Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L8240AUQ) et du Règlement (CE) n° 45/2001 du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (N° Lexbase : L6434IMA).

 

En outre, les demandeurs ne sont pas parvenus à démontrer en quoi le transfert des données personnelles en cause serait nécessaire pour assurer un contrôle suffisant des dépenses engagées par les membres du Parlement pour exercer leur mandat, en particulier pour pallier les insuffisances alléguées des mécanismes de contrôle existants de ces dépenses.

 

Il en résulte la solution précitée.

newsid:465703

Licenciement

[Brèves] Principe d’égalité entre travailleurs à temps complet et travailleurs à temps partiel et détermination du montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement

Réf. : Cass. soc., 26 septembre 2018, n° 17-11.102, FS-P+B (N° Lexbase : A1854X88)

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N5762BXP

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par Blanche Chaumet

Le 03 Octobre 2018

►Si le principe d’égalité entre travailleurs à temps complet et travailleurs à temps partiel, posé par l’article L. 3123-13 du Code du travail (N° Lexbase : L0422H9I), dans sa rédaction applicable, impose de calculer l’indemnité conventionnelle de licenciement en tenant compte, à défaut de dispositions conventionnelles contraires, proportionnellement des périodes d’emploi effectuées à temps plein et à temps partiel, la règle de proportionnalité ne trouve pas à s’appliquer, sauf disposition contraire de la Convention collective, au plafond qui a un caractère forfaitaire.

 

 

Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans deux arrêts rendu le 26 septembre 2018 (Cass. soc., 26 septembre 2018, n° 17-11.102, FS-P+B N° Lexbase : A1854X88).

 

 

En l’espèce, une salariée engagée en qualité d'ingénieur par une société à compter du 1er décembre 1977 et qui a alterné des périodes de travail à temps complet et à temps partiel, a été licenciée le 21 janvier 2011. Estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement.

 

 

La cour d’appel (CA Versailles, 23 novembre 2016, n° 13/04036 N° Lexbase : A6287SIP)

ayant condamné l’employeur au paiement d'un complément d'indemnité de licenciement, ce dernier s’est pourvu en cassation.

 

 

En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle précise qu’ayant constaté que l’article 29 de la Convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 institue, pour la détermination du montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement, un plafond égal à dix-huit mois de traitement, la cour d’appel, qui a préalablement appliqué la règle de proportionnalité pour le calcul de l’indemnité théorique de licenciement, en a, à bon droit, limité le montant par application du plafond conventionnel, non proratisé (cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E9667EST).

newsid:465762

Procédure civile

[Brèves] Irrecevabilité de l’appel contre un jugement d’orientation formé sans la copie de la requête

Réf. : Cass. civ. 2, 27 septembre 2018, n° 17-21.833, FS-P+B (N° Lexbase : A2026X8K)

Lecture: 1 min

N5744BXZ

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par Aziber Seïd Algadi

Le 03 Octobre 2018

► L’appel contre le jugement d’orientation étant, à peine d’irrecevabilité, formé selon la procédure à jour fixe, la cour d’appel, qui a constaté que la copie de la requête n’était pas jointe à l’assignation, en a justement déduit que l’appel était irrecevable.

 

Telle est la solution retenue par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 27 septembre 2018 (Cass. civ. 2, 27 septembre 2018, n° 17-21.833, FS-P+B N° Lexbase : A2026X8K ; sur le respect de la forme concernant la procédure d’appel contre le jugement d’orientation, cf. Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-24.634, F-P+B N° Lexbase : A6634MYD).

 

Dans cette affaire, une banque a interjeté appel d’un jugement d’orientation rendu à l’encontre d’une société par le juge de l’exécution d’un tribunal de grande instance.

La banque, ayant présenté au premier président de la cour d’appel une requête en vue d’une fixation prioritaire de l’affaire, a été autorisée à assigner son adversaire à jour fixe.

 

Elle a ensuite fait grief à l’arrêt (CA Aix-en-Provence, 11 mai 2017, n° 16/22688 N° Lexbase : A5203WCP) de déclarer l’appel irrecevable arguant notamment que la cour d'appel, qui déclare irrecevable l'appel formé par la banque, au seul motif que celle-ci n'avait pas joint à son assignation la requête tendant à être autorisée à assigner à jour fixe, et en appliquant ainsi à l'irrégularité en cause le régime de nullité de fond rendant l'appel irrecevable sans qu'il soit besoin que l'intimé justifie d'un grief, et sans qu'une régularisation soit possible avant la clôture, a violé le texte l’article 920 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6857LEP).

 

A tort. Après avoir énoncé le principe susvisé, la Cour de cassation juge que le moyen n’est pas fondé (cf. les Ouvrages «Procédure civile» N° Lexbase : E5677EYW et «Voies d’exécution» N° Lexbase : E9574E84).

 

newsid:465744

Procédures fiscales

[Brèves] Quel droit pour le contribuable de demander à l'administration communication des documents ou copies de documents contenant les renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions ?

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 28 septembre 2018, n° 407352, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2060X8S)

Lecture: 2 min

N5741BXW

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par Marie-Claire Sgarra

Le 03 Octobre 2018

Il résulte des articles L. 76 B (N° Lexbase : L7606HEG) et L. 256 (N° Lexbase : L9048HG9) du Livre des procédures fiscales que le droit pour le contribuable de demander la copie des documents que l'administration a obtenus en exerçant son droit de communication auprès de tiers, à l'occasion d'une procédure de contrôle et dont sont issus des éléments qu'elle a effectivement utilisés pour fonder les rectifications d'impôt envisagées, ne peut être mis en œuvre qu'avant la mise en recouvrement des impositions, laquelle résulte de l'émission par le comptable public compétent d'un titre de perception rendu exécutoire dans les conditions réglementaires.

 

Telle est la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 28 septembre 2018 (CE 9° et 10° ch.-r., 28 septembre 2018, n° 407352, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2060X8S).

 

En l’espèce, l’administration a notifié à la société requérante, à l’issue d’une vérification de comptabilité une proposition de rectification en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d’impôt sur les sociétés. La proposition comprenait également une demande de désignation des bénéficiaires des revenus réputés distribués. Par réponse aux observations du contribuable, l’administration maintient les rappels de taxes et prononce une amende prévue à l’article 1759 du Code général des impôts (N° Lexbase : L1751HN8) en raison du défaut de réponse à la demande de désignation des bénéficiaires réels des revenus distribués. Par suite, la commission départementale des impôts et directs et des taxes sur le chiffre d’affaires confirme le montant des rectifications envisagées.

 

Le Conseil d’Etat juge que la cour administrative d’appel n’a commis aucune erreur de droit en jugeant que les impositions au litige avaient été mises en recouvrement le 8 avril 2013, date de l’émission de l’avis et non le 19 avril 2013, date de sa réception par le contribuable et que la demande de communication des documents envoyées à l’administration le jour de l’émission de l’avis avait été à bon droit regardée comme tardive pour n’avoir pas été formée avant la mise en recouvrement des impositions alors même que le contribuable n’a été informé de la mise en recouvrement que postérieurement à celle-ci (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X5992ALI).

 

newsid:465741

Responsabilité

[Jurisprudence] Que reste-t-il du droit commun de la responsabilité civile en présence d’un dommage causé par un produit défectueux ?

Réf. : Cass. civ. 1, 11 juillet 2018, n° 17-20.154, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7968XXE)

Lecture: 17 min

N5725BXC

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par Vincent Mazeaud, Professeur de droit privé, Université Clermont Auvergne, Centre Michel de l’Hospital - EA 4232

Le 03 Octobre 2018

Mots-clés :  responsabilité civile / responsabilité du fait des produits défectueux / responsabilité du fait des choses / explosion d'un transformateur / incendie / bien destiné à l'usage professionnel

1.- S’il fallait un jour recenser les dispositions dont la lettre n’a qu’un lointain rapport avec la signification véritable, l’article 13 de la Directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L9620AUT) tiendrait une place de choix [1]. Il résulte en effet de ce texte, pour partie recopié par le législateur français dans la loi du 19 mai 1998 [2], que le régime élaboré par la Directive «ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente Directive» [3]. Ainsi présenté, ce nouveau régime semblait conférer une option aux victimes, au point d’ailleurs de nourrir des critiques sur l’ineffectivité de l’harmonisation dont le texte communautaire était l’instrument. C’était toutefois compter sans l’interprétation jurisprudentielle de cette disposition qui a considérablement restreint la faculté apparemment concédée aux victimes de se prévaloir du droit commun de la responsabilité civile. Après la Cour de justice, c’est désormais la Cour de cassation qui contribue à ce mouvement en jugeant, par un arrêt du 11 juillet 2018 [4], que la responsabilité du fait des produits défectueux excluait l’invocation de la responsabilité du fait des choses, et ce alors même que le dommage résidait dans une atteinte à un bien professionnel pourtant exclu du champ de la Directive [5]. Une telle restriction méritait bien un arrêt à motivation développée qui, pour autant, peine à emporter une complète adhésion [6].

 

2.- Le litige s’est élevé à la suite de la destruction d’un bâtiment d’exploitation provoquée par un incendie, lequel trouvait lui-même sa cause dans une surtension accidentelle survenue sur le réseau électrique ainsi que l’explosion d’un transformateur situé à proximité du bâtiment incendié. Le propriétaire du bâtiment et son assureur assignèrent alors la société ERDF sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. En retour, la société ERDF leur opposa une fin de non-recevoir tenant à la prescription de leur action, mais en se plaçant sur le terrain de la responsabilité du fait des produits défectueux, qui prévoit des règles plus rigoureuses que le délai de droit commun de la prescription désormais fixé à cinq ans [7]. A ce titre, un double délai enserre l’action des victimes : un délai de dix ans courant à compter de la mise en circulation du produit, puis un second délai de trois ans courant à compter de la date à laquelle la victime avait connaissance des éléments constitutifs de la responsabilité du producteur [8]. La prescription fournissait l’enjeu de la délicate question de l’articulation entre deux fondements concurrents : le principe général de responsabilité du fait des choses, d’une part, et le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux, d’autre part.

 

4.- Confrontée à cette interrogation, la cour d’appel estima que la responsabilité des produits défectueux devait être seule appliquée, à l’exclusion, donc, du principe général de responsabilité du fait des choses. Specialia generalibus derogant, s’exclameront sans doute les amateurs de formule latine ! La mise en œuvre d’un tel principe est cependant souvent délicate [9]. La cour d’appel jugea en tout cas l’action irrecevable comme prescrite. Le propriétaire du bâtiment incendié développa deux arguments principaux, l’un relatif à la nature du dommage et l’autre à celle du fait générateur. Dans le premier, il soutenait que la responsabilité du fait des produits défectueux se bornait à exclure les régimes de responsabilité reposant sur un même fondement que le défaut du produit ce qui, à suivre l’auteur du pourvoi, n’était pas le cas de la responsabilité du fait des choses. Le second roulait sur l’exclusion, par la Directive, des dommages causés aux biens à usage professionnel (i.e. biens professionnels). Ce moyen, qui n’avait pas été soulevé devant les juges du fond, s’expliquait par le fait que le bâtiment incendié avait un usage professionnel, en sorte que le dommage ne relevait pas du champ d’application de la Directive, ce dont l’auteur du pourvoi déduisait qu’il pouvait dès lors être appréhendé sur le terrain du droit commun et, en l’occurrence, de la responsabilité du fait des choses.

 

5.- Au terme d’un examen apparemment attentif, le pourvoi a cependant été rejeté. Inversant l’ordre des questions, la première chambre civile a d’abord estimé que contrairement à la Directive, «le législateur national n’a[vait] pas limité le champ d’application de ce régime […] à la réparation du dommage causé à un bien destiné à l’usage ou à la consommation privés et utilisé à cette fin», pour finalement en déduire «qu’en l’absence de limitation du droit national, l’article 1386-2, devenu 1245-1 du Code civil (N° Lexbase : L0621KZZ) s’applique au dommage causé à un bien destiné à l’usage professionnel». Autrement dit, les dommages aux biens à usage professionnel relèvent de la responsabilité du fait des produits défectueux, non par l’effet de la Directive, mais par l’effet de la loi française. S’agissant, ensuite, de l’articulation entre responsabilité du fait des choses et responsabilité du fait des produits défectueux, la Cour de cassation retient que la seconde exclut toute vocation de la première à régir le litige, aux motifs qu’elles partageraient le «même fondement». L’exclusivité de la responsabilité du fait des produits progresse et l’option prétendument consentie aux victimes se réduit comme peau de chagrin. Cette tendance se vérifie tant en ce qui concerne l’appréhension des dommages aux biens professionnels (I) que l’articulation entre les responsabilités du fait des produits défectueux et du fait des choses (II).

 

I - L’inclusion des dommages aux biens professionnels dans le champ de la responsabilité du fait des produits défectueux

 

6.- Il faut rappeler le cheminement qui a présidé à l’inscription des dommages aux biens professionnels dans le champ de la responsabilité du fait des produits défectueux (A) avant d’en envisager les conséquences pour les victimes (B).

 

A - Les voies de l’inclusion

 

7.- La solution commentée invite à rappeler les champs d’application respectifs de la Directive de 1985 et celui, différent, issu de la loi de transposition de 1998, puisque le dommage concernait ici une installation professionnelle. La Cour de cassation expose longuement son raisonnement, dont le point de départ réside dans l’article 9 de la Directive. Cette disposition prévoit que le régime européen s’applique à «la réparation du dommage causé par la mort ou par des lésions corporelles et au dommage causé à une chose ou la destruction d’une chose, autre que le produit défectueux lui-même, sous déduction d’une franchise, à condition que cette chose soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et a­it été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés». Les dommages aux biens professionnels ne sont donc pas pris en charge par la Directive. Telle n’a pas été la position adoptée par le législateur français à l’heure de transposer -avec le retard que l’on sait- la Directive en droit français. C’est ce que rappelle la Cour de cassation, en précisant que l’article 1386-2, devenu 1245-1 du Code civil, vise «la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne ainsi qu’à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même». Aucune restriction n’est donc prévue en droit français, en sorte que «le législateur national n’a pas limité le champ d’application de ce régime de responsabilité à la réparation du dommage causé à un bien destiné à l’usage ou à la consommation privés et utilisé à cette fin». Exclus du champ de la Directive, les dommages aux biens professionnels rentrent donc néanmoins dans le champ de la responsabilité du fait des produits défectueux à la française.

 

8.- On sait que cette différence de traitement pouvait, sous l’angle de la conformité de la loi française à la Directive, aboutir à des solutions radicalement opposées selon la perspective envisagée. Aussi, le choix de ne pas viser les dommages aux biens professionnels par la Directive pouvait, a priori, ouvrir sur une alternative : soit on considérait qu’il s’agissait là d’une exclusion voulue par la Directive emportant, pour le législateur français, interdiction d’indemniser de tels dommages en présence d’un produit défectueux. Ce raisonnement rappelle celui mené au sujet du fournisseur dont le législateur français avait maintenu la responsabilité en l’assimilant au producteur, contrairement au régime européen, ce qui lui avait valu une condamnation par la Cour de justice [10]. Soit, c’est la seconde branche de l’alternative, il était possible de considérer que la prise en compte des dommages aux biens professionnels, faute de rentrer dans le champ de la Directive, était laissée à la libre appréciation des Etats membres. L’on pouvait hésiter entre ces différentes positions, tant la marge de manœuvre laissée au législateur national en la matière est difficile à mesurer. La conformité de la loi française à la Directive a cependant été clairement affirmée lorsque, saisie d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation [11], la Cour de justice a jugé le 24 juin 2009 que la Directive ne s’opposait pas «à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage» [12]. Sous cet aspect, l’on comprend donc sans peine la motivation retenue par la Cour de cassation, encore faut-il ajouter qu’elle répond à une question distincte de celle, récemment envisagée, consistant à déterminer si le produit lui-même -et non plus le siège du dommage- peut ou non présenter une vocation professionnelle [13].

 

9.- A ce stade, plusieurs observations peuvent être effectuées. Sous l’angle du droit européen de la responsabilité civile, il ressort de ces pérégrinations intellectuelles que l’harmonisation à laquelle est parvenue la Directive de 1985 est toute relative puisque, alors même qu’elle est dite d’harmonisation maximale, elle confère une marge de manœuvre aux Etats membres pour les dommages qui ne rentrent pas dans son «champ d’application». Il ne suffit donc pas de se demander si une Directive réalise une harmonisation maximale ou minimale pour convenablement la transposer et il convient, allant plus loin, de mener un raisonnement article par article en s’attachant, le cas échéant, à identifier son «champ d’application», ce qui requiert un certain talent... L’accessibilité et la prévisibilité du droit européen n’en ressortent évidemment pas grandis.

 

10.- La question demeure cependant entière, que le long raisonnement développé par la Cour de cassation ne met pas clairement en lumière : s’agissant des dommages aux biens professionnels, l’extension réalisée par le législateur français conférait-elle à la victime une option entre le régime des produits défectueux et le «droit commun» ?

 

B - Les conséquences de l’inclusion

 

11.- Envisagées sous l’angle des victimes, les conséquences de l’inclusion sont décisives. A relire la formule qu’elle emploie, la Cour de cassation ne refuse pas explicitement aux victimes d’un dommage causé à un bien professionnel une option puisqu’elle se borne à relever que, «en l’absence de limitation du droit national, l’article 1386-2, devenu 1245-1 du Code civil s’applique au dommage causé à un bien destiné à l’usage professionnel». Au risque de rappeler une évidence, le fait que ces dispositions s’«appliquent» à un tel dommage n’était toutefois pas contesté. Il convenait plus exactement de déterminer si cette application était ou non exclusive d’un autre régime, l’auteur du pourvoi invoquant précisément l’existence d’une liberté pour la victime de se placer sur le terrain qu’elle aurait choisi. Si l’option n’est pas explicitement écartée, la solution ne nous paraît cependant pas pouvoir être comprise autrement et s’évince implicitement mais nécessairement du rejet de cette seconde branche, d’ailleurs jugée préalable.

 

12.- La position défendue par l’auteur du pourvoi semblait pourtant solidement étayée. En ce sens, une éminente doctrine estimait qu’il résultait de l’arrêt du 4 juin 2009 «que les juridictions françaises sont libres de maintenir, pour ce type de dommage leur jurisprudence antérieure admettant l’action fondée sur l’obligation de sécurité de résultat du vendeur-fabricant» [14]. Ce raisonnement -transposable à la responsabilité du fait des choses-, permettait-il d’admettre qu’en incluant les dommages aux biens professionnels dans le régime élaboré pour les produits défectueux, le législateur avait instauré au profit des victimes une option qu’il leur était loisible d’exercer ? En ce sens, l’extension du champ d’application résultant, non de la Directive mais de la volonté du législateur français, l’objectif d’harmonisation complète poursuivi par la Directive se trouvait ici privé d’objet [15]. Il en résultait certes un paradoxe, ce raisonnement ayant «pour conséquence -assez inattendue- d’assurer aux professionnels victimes une protection plus forte que celle qui bénéfice aux consommateurs, privés de cette action» [16]. Pour autant, rien n’interdit au législateur de prendre en compte les victimes professionnelles -dont la défense n’est pas moins légitime- et ce d’autant plus que, en vérité, c’était là sa seule sphère de compétence. L’octroi d’une option se justifiait d’autant plus que l’on pouvait trouver curieux que le législateur français introduise une restriction aux droits des victimes qui n’était pas même imposée par le droit de l’Union européenne. C’est pourquoi l’on a soutenu que, à l’exception de celle fondée sur l’obligation contractuelle de résultat, «toute autre action en responsabilité doit être […] considérée comme recevable, y compris si elle repose sur le même fondement que la Directive, à savoir le défaut du produit», dès lors qu’elle vise à réparer le dommage causé à un bien professionnel [17].

 

13.- La Cour de cassation a cependant exclu l’existence d’une telle option. La solution a certes le mérite de la simplicité et de la cohérence, en particulier lorsque le dommage ne se limite pas à des biens professionnels. L’on peut ainsi considérer que la loi de transposition forme un tout et qu’il n’y a pas lieu de dissocier en fonction du type de dommage subi par la victime pour se prononcer sur l’existence d’une option qui lui serait concédée. L’inclusion des dommages aux biens professionnels dans le champ des produits défectueux a déclenché une exclusivité par ricochet qui, non prévue par le législateur européen, ressortit simplement de la loi française. Le traitement de cette pièce du régime de la responsabilité est, pour l’heure, unitaire. Cette solution pourrait néanmoins évoluer dans un avenir proche. En effet, dans les deux versions du projet de réforme de la responsabilité civile présentées en avril 2016 puis en mars 2017 par la Chancellerie, l’article 1290 propose d’aligner les dispositions françaises sur la Directive en n’admettant que la réparation des dommages causés aux biens destinés à l’usage ou la consommation privés [18]. Ici encore, les victimes se verraient priver de toute option mais avec des conséquences inversées puisque leurs actions seraient exclusivement régies par le droit commun.

 

14.- Il restait une deuxième occasion aux victimes pour échapper à la prescription mise en place par la responsabilité du fait des produits défectueux, tenant à l’invocation des règles du droit commun de la responsabilité civile et, plus précisément, au principe général de responsabilité du fait des choses. Sur ce point, la Cour de cassation livre une précision essentielle sur l’articulation de ces deux régimes qui, là encore, joue au détriment des victimes qui se voient interdire toute option.

 

II - L’exclusion de la responsabilité du fait des choses par la responsabilité du fait des produits défectueux

 

15.- L’articulation entre la responsabilité des produits défectueux et le droit commun de la responsabilité civile -c’est-à-dire, ici, les autres faits générateurs de responsabilité- est l’une des plus confuses de la matière. Afin de prendre la mesure de la solution consacrée, l’on envisagera rapidement l’hypothèse du concours entre la responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait des produits défectueux, qui n’est pas si fréquente (A), avant d’analyser la solution qui lui a été apportée par la Cour de cassation (B).

 

A - L’hypothèse du concours

 

16.- L’hypothèse d’un concours entre la responsabilité du fait des choses et responsabilité du fait des produits défectueux n’est, à première vue, pas évidente. Elle suppose d’admettre que le producteur peut, dans le même temps, être considéré comme le gardien d’une chose dont il serait le producteur et qui aurait été mise en circulation. Ainsi présentée, «la question peut sembler dépourvue d’intérêt, le gardien du produit défectueux étant souvent la victime elle-même» [19], auquel le producteur aurait transféré la garde avec la chose. Il peut cependant en aller autrement. En effet, il a été souligné que la responsabilité du fait des choses pouvait encore présenter un intérêt pour la victime lorsque le dommage s’est manifesté alors que le producteur a conservé la garde du produit. La mise en œuvre de la fameuse distinction de la garde de la structure et de la garde du comportement a été évoquée au renfort de cette hypothèse [20], dont on sait qu’elle a normalement vocation à s’appliquer aux choses dotées d’un dynamisme propre et qu’elle permet au gardien du comportement de la chose de rechercher la responsabilité du producteur en sa qualité de gardien de la structure. Dans cette perspective, la victime échapperait au régime, parfois défavorable, des produits défectueux et, comme en l’espèce, à la courte prescription de trois ans.

 

17.- L’arrêt commenté fournit déjà l’occasion d’entrevoir une hypothèse de concours entre ces deux régimes de responsabilité, encore qu’elle ne soit guère évidente. La société ERDF était ici présentée comme le producteur et le gardien de l’électricité, ce qui ne fait pas difficulté si l’on admet que l’électricité est déjà une chose et qu’elle est expressément qualifiée de produit au sens de la Directive [21]. La cause du dommage résidait ainsi dans la surtension électrique à l’origine de l’incendie qui, par conséquent, était analysée comme un fait de la chose et un défaut du produit, l’électricité ne présentant pas «la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre» [22]. Sous l’angle de la responsabilité du fait des choses, l’on aurait également pu s’interroger sur le point de savoir si ERDF n’était pas gardienne, non pas tant de l’électricité que de l’installation ayant provoqué la surtension, analyse qui repose toutefois sur les constatations souveraines des juges du fond relatives à l’origine précise du dommage. Dans le prolongement, et sous les mêmes réserves, il n’est pas certain que le détour par la distinction entre la garde de la structure et du comportement ait ici été nécessaire. Sous l’angle de la responsabilité du fait des produits défectueux, un auteur s’est également interrogé sur la qualité de producteur de ERDF, suggérant qu’une telle qualification pouvait être inappropriée puisqu’elle se bornait à distribuer l’électricité sans la produire [23]. Ce point n’a toutefois pas été discuté, en sorte qu’il est là encore difficile d’aller plus avant dans son analyse.

 

18.- L’hypothèse du concours étant précisée, il faut désormais évoquer l’apport essentiel de l’arrêt : la responsabilité du fait des produits défectueux prime sur la responsabilité du fait des choses qui se trouve évincée.

 

B - La solution du concours

 

19.- Le critère indiquant la solution d’un concours entre responsabilité du fait des produits défectueux et droit commun de la responsabilité a été dégagé, non sans mal, par la jurisprudence. La Cour de justice, le 25 avril 2002 [24], a jugé que la Directive poursuivait une harmonisation complète privant les états membres de «la possibilité de maintenir un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la Directive», ajoutant que l’exclusivisme du régime de la Directive n’était pas total, dans la mesure où l’article 13 devait être interprété comme n’excluant «pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute» [25].

 

20.- La portée de cet arrêt était difficile à cerner. Qu’est-ce donc qu’un régime de responsabilité reposant sur un «fondement» différent de la Directive ? Quel est d’ailleurs le «fondement» de la responsabilité mise en place par la Directive ? Il s’agirait en réalité du défaut produit et, partant, du fait générateur de la responsabilité du fait des produits… défectueux ! Un point semblait en outre faire consensus, tenant à l’impossibilité de maintenir le régime jurisprudentiel de l’obligation contractuelle de sécurité de résultat [26]. Au-delà, la portée de la solution était controversée. Dans ces conditions, il n’était pas aisé de se prononcer sur le maintien de la responsabilité du fait des choses, la doctrine ayant proposé des solutions contrastées. Certains soutenaient que la responsabilité du fait des choses reposait sur un fondement différent quand d’autres, plus nombreux, défendaient la position inverse [27]. La Cour de cassation, quant à elle, a abruptement retenu que «lorsqu’elle est invoquée à l’encontre du producteur après la mise en circulation du produit, (la responsabilité du fait des choses) procède nécessairement d’un défaut de sécurité». L’affirmation peut sembler péremptoire et excessive. Elle souligne en tout cas que l’invocation de la garde de la structure et du comportement à l’encontre du producteur est vouée à l’échec et que, au-delà, la Cour de cassation entend renforcer l’exclusivité de la responsabilité du fait des produits défectueux sur les régimes concurrents, position confortée sur le plan processuel par l’obligation faite au juge de relever d’office l’application du régime des produits défectueux issu de la Directive [28].

 

Au plan général, la responsabilité du fait des choses ayant ainsi été écartée, la possibilité de solliciter le droit commun en présence d’un défaut du produit paraît exceptionnelle. Les deux exemples mentionnés par la Cour de justice -garantie des vices cachés et responsabilité pour faute- ne pourront d’ailleurs pas toujours être invoqués. En ce sens, la garantie des vices cachés permet, certes, de réparer les dommages au bien lui-même affecté du vice, contrairement à la responsabilité du fait des produits défectueux. Pour autant, elle repose également sur un «défaut», lequel peut fort bien consister en un défaut de sécurité, et se trouve sanctionné par l’allocation de dommages et intérêts autonomes qui ne trouvent pas leur source dans la classique responsabilité contractuelle mais, précisément, dans la garantie [29]. Est-ce à dire que la garantie doit toujours être envisagée comme reposant sur un fondement distinct ou bien seulement lorsque le vice caché se distingue du défaut de sécurité ? De même, s’agissant de la responsabilité pour faute, l’affirmation selon laquelle elle repose sur un fondement différent ne doit pas être exagérée compte tenu de la très large définition de la faute en droit français. A titre d’illustration, l’absence d’information sur la sécurité d’un produit -qui peut constituer une faute tenant à la violation d’une obligation d’information-, peut également être analysée en un défaut au sens des produits défectueux, lequel se manifeste lorsque le produit «n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre» et s’apprécie notamment au regard des informations délivrées. La responsabilité du fait des produits défectueux peut donc également avoir pour effet d’interdire l’invocation d’une responsabilité pour faute. C’est d’ailleurs ce qui résulte de la jurisprudence qui exige, pour admettre l’invocation d’une telle responsabilité pour faute en présence d’un produit défectueux, que le demandeur établisse une faute distincte du défaut de sécurité, réduisant ainsi drastiquement la possibilité d’invoquer le droit commun [30]. L’arrêt commenté s’inscrit hélas parfaitement dans cette lignée.

 

Le critère du «fondement juridique» a été interprété de manière restrictive, puisque, pour reprendre l’expression d’un auteur, il ne s’entend pas du fait générateur de responsabilité abstraitement et juridiquement envisagé -fait d’une chose, faute etc.-, mais impose de vérifier concrètement si, indépendamment du défaut de sécurité du produit, les circonstances du dommage peuvent se couler dans le moule d’un autre fait générateur de responsabilité [31]. Lorsque tel n’est pas le cas, le défaut de sécurité du produit absorbe le litige et impose l’application exclusive des produits défectueux. C’est dire qu’il ne reste plus que des miettes du droit commun de la responsabilité civile en présence d’un dommage causé par un produit défectueux, solution dont on mesure qu’elle peut, comme en l’espèce, conduire à priver une victime d’une indemnisation à laquelle elle aurait pourtant pu prétendre sur le terrain du droit commun. Le plus piquant, dans cette affaire, tient peut-être au fait que ce n’est pas le droit de l’Union européenne -dont on dénonce volontiers les excès- mais bien la loi française et la jurisprudence de la Cour de cassation qui ont consenti à limiter ainsi les droits dont pouvaient se prévaloir les victimes.

 

[1] Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.

[2] C. civ., art. 1245-17 (N° Lexbase : L0637KZM), ancien art. 1386-18, issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L2448AXX).

[3] L’exposé des motifs confirme cette lecture et précise «que, selon les systèmes juridiques des Etats membres, la victime peut avoir un droit à réparation au titre de la responsabilité extracontractuelle différent de celui prévu par la présente Directive ; que, dans la mesure où de telles dispositions tendent également à atteindre l'objectif d'une protection efficace des consommateurs, elles ne doivent pas être affectées par la présente Directive».

[4] Cass. civ. 1, 11 juillet 2018, n° 17-20.154, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7968XXE), D. 2018, p. 1840, note J.-S. Borghetti.

[5] Cf. infra n° 7-8.

[6] Par. ex. : Le renouvellement des fonctions de la Cour de cassation, Vers une évolution apaisée ?, in  40 ans après... Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, dir. C. Bléry, L. Raschel, coll. Thèmes et commentaires, Dalloz, 2016, p. 89-108.

[7] Sur les inconvénients, pour les victimes, du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux : cf. par exemple, M. Bacache, Les obligations, La responsabilité extracontractuelle, Economica, 3ème éd., 2016, n° 788.

[8] C. civ., art. 1386-16, devenu 1245-15 (N° Lexbase : L0635KZK) et article 1386-17 du Code civil, devenu 1245-16 (N° Lexbase : L0636KZL).

[9] Par ex., évoquant notamment la responsabilité du fait des produits défectueux : N. Balat, Essai sur le droit commun, th. Paris 2, 2014, n° 172 et n° 796.

[10]  CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52/00, Commission c/ République française (N° Lexbase : A8094AYG), n° 36 s., D., 2002. 2462, note C. Larroumet, p. 2935, obs. J.-P. Pizzio, et 2003, p. 1299, chron. N. Jonquet, A.-C. Maillols et F. Vialla ; RTDCiv., 2002, p. 523, obs. P. Jourdain, et p. 868, obs. J. Raynard ; JCP éd. G, 2002, I, 177, obs. G. Viney ; RDC 2003, p. 107, note Ph. Brun.

[11] Cass. com., 24 juin 2008, n° 07-11.744, FP-P+B (N° Lexbase : A3632D9E).

[12] CJCE, 4 juin 2009, aff. C-285/08, D. 2009, p. 1731, note J.-S. Borghetti, p. 2047, chron. J. Rochfeld ; RTDCiv. 2009, p. 738, obs. P. Jourdain ; RDC 2009, p. 1381, obs. G. Viney, et p. 1448, obs. C. Aubert de Vincelles.

[13] Cass. civ. 1, 11 janvier 2017, n° 16-11.726, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4925S48), D., 2017, p. 626, note J.-S. Borghetti, RTDCiv. 2017, p. 415, obs. P. Jourdain.

[14] G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, in Traité de droit civil, dir. J. Ghestin, LGDJ, Lextenso, 2017, n° 65.

[15] En ce sens : F. Leduc, L’articulation entre la responsabilité du fait des produits défectueux avec d’autres régimes de responsabilité, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait des produits défectueux, GRERCA, IRJS, 2013, p. 402 ; J.-S. Borghetti, note préc. ss l’arrêt commenté.

[16] G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, in Traité de droit civil, dir. J. Ghestin, LGDJ, Lextenso, 2017, n° 65.

[17] F. Leduc, L’articulation entre la responsabilité du fait des produits défectueux avec d’autres régimes de responsabilité, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait des produits défectueux, GRERCA, IRJS, 2013, p. 402.

[18] Cf. D. Bakouche, La responsabilité du fait des produits défectueux, JCP éd. G, juillet 2016, p. 67, spéc. p. 71.

[19] M. Bacache, op. cit., n° 792.

[20] M. Bacache, op. cit., n° 792.

[21] Cf. C. civ., 1245-2 (N° Lexbase : L0622KZ3).

[22] C. civ., art. 1245-3 (N° Lexbase : L0623KZ4).

[23] Cf. J.-S. Borghetti, note ss cet arrêt, D., 2018, p. 1840.

[24]  CJCE, 25 avril 2002, aff. C-183/00 (N° Lexbase : A5768AYB), D., 2002, p. 2462, note Ch. Larroumet, p. 2458, chron. J. Calais-Auloy, 2003, p. 463, obs. D. Mazeaud ; RTDCiv., 2002, p. 523, obs. P. Jourdain ; RDC, 2003, p. 107, obs. Ph. Brun ; CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52/00, préc..

[25] CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52/00, préc. n° 22 ; CJCE, 25 avril 2002, C 183-100, préc., n° 31.

[26] Par ex. : G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, op. cit., n° 64.

[27] Cf. M. Bacache, op. loc. cit. ; comp. G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, op. cit., n° 64 : le régime tiré de l’invocation de la garde de la structure serait condamné.

[28] Cass. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651 (N° Lexbase : A8305WL8), D., 2017, p. 1800, note M. Bacache : «il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées».

[29] Par ex. : Cass. com., 19 mars 2013, n° 11-26.566, FP-P+B (N° Lexbase : A5922KAL), D., 2013, p. 1947, note A. Hontebeyrie.

[30] Par ex. : Cass. civ. 1, 17 mars 2016, n° 13-18.876, F-P+B (N° Lexbase : A3596Q8P), RTDCiv., 2016, p. 646, obs. P. Jourdain.

[31] J.-S. Borghetti, note préc., n° 7.

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Responsabilité médicale

[Brèves] Risques mentionnés dans la notice d’un contraceptif oral : le juge doit aller au-delà de ces mentions !

Réf. : Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-21.271, FS-P+B (N° Lexbase : A1962X88)

Lecture: 1 min

N5793BXT

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par Laïla Bedja

Le 03 Octobre 2018

► Le juge ne peut affirmer qu'un contraceptif ne peut être considéré comme défectueux, dès lors que la notice l'accompagnant comporte une mise en garde contre le risque thromboembolique et l'évolution possible vers une embolie pulmonaire, sans rechercher, comme il y était invité, si nonobstant les mentions figurant dans la notice, la gravité du risque thromboembolique encouru et la fréquence de sa réalisation excédaient les bénéfices attendus du contraceptif en cause et si, par suite, les effets nocifs constatés n'étaient pas de nature à caractériser un défaut du produit au sens de l'article 1245-3 du Code civil (N° Lexbase : L0623KZ4).

 

Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 26 septembre 2018 (Cass. civ. 1, 26 septembre 2018, n° 17-21.271, FS-P+B N° Lexbase : A1962X88).

 

Dans cette affaire, une personne est décédée, à l’âge de 25 ans, d’une embolie pulmonaire massive. La survenue de cette pathologie a été imputée, à l’issue d’une expertise diligentée au cours d’une procédure de règlement amiable, à la prise d’un contraceptif oral fabriqué par un producteur pharmaceutique. A la suite de l’échec de cette procédure, les parents de la victime ont assigné en indemnisation l’ONIAM, qui a appelé en intervention forcée le producteur, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

 

Pour mettre hors de cause le producteur, la cour d’appel retient que le contraceptif ne peut être considéré comme défectueux, dès lors que la notice l’accompagnant comporte une mise en garde contre le risque thromboembolique et l’évolution possible vers une embolie pulmonaire.

 

Tel n’est pas l’avis de la Haute juridiction qui, énonçant la solution précitée, casse l’arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles 1386-4, devenu 1245-3 du Code civil et l’article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH) (cf. l’Ouvrage «Droit médical» N° Lexbase : E0410ERM).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Les organismes publics présumés agir en qualité d’assujetti au regard du droit à déduction de la TVA acquittée

Réf. : CJUE, 25 juillet 2018, aff. C-140/17 (N° Lexbase : A2961XYC)

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N5715BXX

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par Ludovic Lombard, Docteur en droit à l’Université Toulouse-Capitole

Le 03 Octobre 2018

TVA - Déduction - Organismes publics

Le droit des assujettis de déduire la TVA acquitté en amont est un principe fondamental du système commun de tva. Ce principe régulièrement reconnu par la jurisprudence de la CJUE[1] est encore au cœur de sa décision du 25 juillet 2018[2].

 

Au cours des années 2009 et 2010, une commune a fait ériger une maison de la culture. Une fois ce bâtiment construit, le centre culturel communal s’en est vu confier la gestion à titre gratuit. Au cours de l’année 2014, la commune a souhaité récupérer cet immeuble, et en assumer directement la gestion. Elle souhaitait en faire un usage aussi bien à titre gratuit, pour les besoins de la population de la commune, qu’à titre onéreux, en le louant à des fins commerciales. S’agissant de cet usage payant, la commune a expressément déclaré son intention d’émettre des factures incluant la TVA. Le ministre a estimé, par une décision du 28 mai 2014 que celle-ci ne pouvait pas bénéficier d’une régularisation de TVA puisque la commune n’avait pas acquis ce bien aux fins d’une activité économique et n’avait donc pas agi en qualité d’assujetti. La Cour suprême administrative polonaise s’interroge alors sur la question de savoir si, conformément aux articles 167, 168 et 184 de la Directive 2006/112 du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), une commune est en droit de déduire, par voie de régularisation, la TVA payée en amont sur des dépenses d’investissement, lorsque le bien d’investissement en cause a d’abord été utilisé aux fins d’une activité non soumise à la TVA, en l’occurrence dans le cadre de la réalisation de missions qui incombent à la commune en tant qu’autorité publique, et ensuite également pour effectuer des opérations imposables. Dans ces conditions, elle décide de surseoir à statuer. La CJUE a alors été amenée à répondre à cette question préjudicielle.

 

Pour la Cour, un organisme public peut bénéficier d’un droit à déduction et à régularisation de la TVA acquittée à l’occasion de l’acquisition d’un bien d’investissement. Bien que le bâtiment ait été d’abord affecté à une activité exclue du champ d’application de la TVA, cela n’excluait pas qu’il le soit à une activité assujettie. Dès lors que l’organisme public se comporte en assujetti à la TVA, le principe de neutralité suppose qu’il puisse bénéficier du droit à déduction et donc du droit à régularisation.

 

Comme le rappelle la Cour de Justice dans son arrêt du 25 juillet 2018, «seule une personne qui a la qualité d’assujetti et qui agit en tant que telle au moment où elle acquiert un bien dispose d’un droit à déduction au titre de ce bien»[3]. Partant, il résulte de ce principe que le droit à déduction n’est permis qu’à compter du moment où la qualité d’assujetti est reconnue (I). Encore faut-il que l’ensemble des conditions tenant au droit à déduction soient respectées (II). Cet arrêt vient préciser l’application de ces éléments aux personnes publiques. Surtout, il vient affirmer de manière fondamentale que la personne publique agit de manière présumée en qualité d’assujetti pour l’exercice du droit à déduction.

 

I - L’assujettissement des personnes publiques, préalable à la reconnaissance d’un droit à déduction

 

L’arrêt du 25 juillet 2018 de la CJUE se contente de rappeler que la commune est un organisme public. Et, à l’évidence, cela ne peut souffrir d’aucune contestation. Si la qualification ici ne pose pas de difficultés, l’arrêt du 22 février 2018 de la CJUE[4] a rappelé les contours de la notion d’organisme de droit public, déjà précisé dans un arrêt du 29 octobre 2015[5]. S’appuyant sur un faisceau d’indices, la Cour caractérise un organisme de public dès lors qu’il dispose de prérogatives de puissance publique, qu’il est intégré dans l’organisation de l’administration ou qu’il existe un lien organique suffisant entre une entité et un organisme de droit public tel qu’une commune.

 

Pour qu’une personne publique soit assujettie à la TVA, encore faut-il qu’elle agisse en tant  que telle, c’est-à-dire qu’elle exerce une activité économique. L’article 13 de la Directive du 28 novembre 2006 pose ainsi un principe d’exclusion pour les personnes publiques agissant «en tant qu’autorités publiques». Comme le remarque la Cour dans son arrêt du 25 juillet 2018, «lorsqu’un organisme public […] agit en tant qu’autorité publique, [il opère] en qualité de non assujetti»[6]. La jurisprudence a été amenée à préciser ce qu’il convenait d’entendre par le fait d’agir « en tant qu’autorité publique ». L’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 17 octobre 1989, a précisé que «les organismes de droit public […] exercent des activités "en tant qu'autorités publiques" au sens de cette disposition lorsqu'ils les accomplissent dans le cadre du régime juridique qui leur est particulier»[7]. Pour l’Avocat général Mischo, il s’agissait des «activités exercées […] en vertu du "pouvoir de souveraineté" », ou qui sont « accomplies au moyen d'actes ou de comportements unilatéraux qui sont l'expression de prérogatives exorbitantes du droit commun» ou encore celles «dont l'exercice est réservé exclusivement aux communes ou à d'autres organismes de droit public»[8]. Cette jurisprudence est désormais constante et a été reprise sous l’empire de la directive du 28 novembre 2006[9]. Toutefois, l’article 13 ajoute que les organismes publics seront tout de même assujettis si leur non assujettissement «conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance». Là encore, la jurisprudence de la Cour a dû en apprécier les contours. la CJCE, dans un arrêt du 16 septembre 2008, a jugé que «les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle […]»[10]. C’est donc de la nature de l’activité exercée par l’organisme public que dépendra don assujettissement ou non à la TVA, et partant son droit à déduction.

 

Au cas d’espèce, le juge n’a pas eu à s’interroger sur la nature des activités. Il a seulement relevé que l’immeuble acquis serait affecté tant à une activité exercée à titre gratuit pour les besoins de la population, qu’à une activité à «fins commerciales»[11]. Cette situation révèle bien la dualité fonctionnelle des organismes publics. Il en résulte que pour les activités à fins commerciales, un assujettissement à la TVA est nécessaire. Cela est conforme au principe d’égalité de traitement. Or, «le principe général d’égalité […] appartient aux principes fondamentaux du droit communautaire», et «ce principe veut que les situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée»[12]. En contrepartie, l’assujettissement, même partiel, ouvre droit à déduction, éventuellement partielle, de la TVA. C’est sur cette question que la décision du 25 juillet 2018 est primordiale. Elle ouvre largement ce droit au bénéfice des collectivités publiques.

 

 

II - La reconnaissance d’une présomption d’assujettissement ouvrant largement le droit à déduction

 

Tirant les conséquences de leur dualité fonctionnelle, la CJUE vient apporter des précisions utiles sur les conditions pour qu’une personne publique puisse déduire la TVA qu’elle a supportée. Cela entraîne certaines conséquences quant au droit à régularisation de la déduction de TVA.

 

La Cour rappelle que le fait déterminant le droit à déduction est l’acquisition du bien. Ce droit est ainsi ouvert, il convient de le rappeler, dès lors qu’un assujetti a agi en tant que tel, au moment de l’acquisition. Il est de jurisprudence constante qu’un assujetti dispose d’un droit à déduction de la TVA ayant grevé un bien d’investissement même si ce bien n’est pas affecté immédiatement à une activité économique[13]. Il suffit pour cela, d’une part, que le bien soit affecté à une activité économique. D’autre part, il faut que celui qui effectue des dépenses d’investissement «dans l’intention, confirmée par des éléments objectifs, d’exercer une activité économique»[14].

 

L’affectation à une activité est logique dans la mesure où seul l’assujettissement d’une activité à la TVA permet à un organisme d’exercer son droit à déduction. L’intentionnalité appelle davantage de précisions.

 

Si l’on s’en tient à une lecture littérale et stricte de la jurisprudence antérieure, il pouvait sembler qu’une manifestation d’intention d’affectation était nécessaire. Cette manifestation peut être explicite. Un organisme public, envisageant dès la construction d’un bien de «donner un gymnase en location à une société de droit commercial»[15] démontre clairement son intention d’agir en qualité d’assujetti. La manifestation de l’intention peut être, également, implicite. Généralement, d’ailleurs, il s’agit simplement de l’affectation immédiate à l’activité économique. L’intention doit, en tout état de cause, être confirmée par des «éléments objectifs»[16]. Autrement dit, même si l’intention n’est pas affirmée en tant que telle, elle ne fait aucun doute compte tenu de l’existence de ces éléments objectifs. Ici réside une difficulté classique. L’objectivité est toujours délicate à manier, d’autant qu’elle dépend de l’interprétation qu’en fait la juridiction de renvoi à qui «il incombe [de les] examiner»[17].

 

Surtout, le juge s’est essentiellement interrogé sur la manière de déterminer cette intentionnalité. L’exercice d’une activité économique est marquant. Tout comme l’exercice d’une activité exclu du champ d’application de la TVA marque l’intention de ne pas être assujetti à la TVA, et, partant, ne permet pas de bénéficier du droit à déduction. Ainsi, organisme public qui acquiert «un bien d’investissement en tant qu’autorité publique» agit en tant que non-assujetti[18]. Pour la Cour, «une personne non assujettie ne dispose pas du droit de déduire la TVA qu’elle a pu acquitter […], l’activité de cette personne n’entrant pas dans le champ d’application [de la TVA]»[19]. Or, dans le cas d’espèce, il ne résulte d’aucun élément que la commune ait montré son intentionnalité d’affecter le bien acquis à une activité économique, ce qui aurait pu conduire à rejeter le droit à déduction pour la commune. Pourtant, le juge opère une lecture un peu différente des décisions précitées.

 

Alors que devait être démontrée l’intention d’affecter le bien à une activité économique pour bénéficier du droit à déduction, le juge semble inverser le raisonnement. Déclarant retenir une acception large de la qualité d’assujetti[20], il indique que l’organisme public peut bénéficier du droit à déduction dès lors qu’il «n’avait pas exclu [qu’un bien] soit utilisé» pour une activité taxée, économique[21]. Il instaure donc une présomption d’affectation à une activité économique, comme cela lui était suggéré par son avocat général[22]. Il étend donc largement l’exercice du droit à déduction, ce qui a des conséquences logiques mais importantes sur le droit de régularisation de la TVA acquittée pour l’acquisition d’un bien d’investissement.

 

En vertu de l’article 184 de la Directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, «la déduction initialement opérée est régularisée lorsqu’elle est supérieure ou inférieure à celle que l’assujetti était en droit d’opérer». Selon l’article 185 de cette même Directive, «la régularisation a lieu notamment lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration de TVA». Tel que le présente l’arrêt du 25 juillet, ce droit à régularisation «constitue un élément essentiel du système [de TVA] en ce qu’il a vocation d’assurer l’exactitude des déductions et donc la neutralité de la charge fiscale»[23]. Dès lors que l’organisme public se trouve dans le délai requis pour demander une régularisation de son droit à déduction, rien ne peut s’y opposer.

 

La décision de la Cour découle directement du principe de neutralité de la TVA. Ce principe possède deux acceptions. Il se rapproche d’abord du principe d’égalité de traitement. Pour la CJCE «il incombe […] aux juridictions nationales d’examiner si les Etats membres […] n’ont pas méconnu les limites de leur pouvoir d’appréciation en respectant les principes du droit communautaire, en particulier le principe d’égalité de traitement, lequel se traduit, en matière de TVA, par le principe de neutralité fiscale»[24]. Cette acception implique notamment qu’une personne publique agissant comme une personne privée, en tant qu’opérateur économique, soit assujettie à la TVA. La neutralité de la charge fiscale s’oppose à un traitement fiscal différent injustifié d’activités d’investissement identiques[25]. Elle possède ensuite une dimension plus spécifique en matière de TVA. Ce principe de neutralité suppose ainsi que l’entrepreneur soit définitivement soulagé du poids de la TVA, «quels que soient les buts ou les résultats de telles activités»[26]. Cela passe donc par une application aussi juste que possible du droit à déduction.

 

Finalement, la décision de la Cour paraît novatrice en ce qu’elle reconnaît une présomption d’assujettissement pour les collectivités, leur permettant alors de bénéficier du droit à déduction même après qu’un bien ait été affecté à une activité exclue du champ d’application de la TVA. Pourtant, elle s’inscrit pleinement dans l’objectif de la directive TVA, particulièrement au regard du principe de neutralité. Or, à partir du moment où ce droit est largement reconnu, il devient largement ouvert. Les sommes en jeu peuvent alors s’avérer considérables pour les collectivités, notamment lorsqu’il s’agit de déduire la TVA acquittée lors de l’acquisition de biens d’investissement.

 

 

 

[1] CJUE, 21 mars 2018, aff. C-533/16, point 37 (N° Lexbase : A4809XHL)

[2] CJUE, 25 juillet 2018, aff. C-140/17 (N° Lexbase : A2961XYC).

[3] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 34.

[4] CJUE, 22 février 2018, aff. C-182/17, points 45-51 (N° Lexbase : A0569XES).

[5] CJUE, 29 octobre 2015, aff. C-174/14, points 56-62 (N° Lexbase : A2298NUN).

[6] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 37.

[7]CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-231/87 et 129/88 (N° Lexbase : A7343AHG).

[8] Jean Mischo, précité, point 36 et s. 

[9] CJUE, 29 octobre 2015, précit., point 70.

[10] CJCE, 16 septembre 2008, aff. C-288/07 (N° Lexbase : A3602EAN), Rec. CJCE I-07203 ; point 53. 

[11] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 17.

[12] CJCE, 19 octobre 1977, aff. C-117/76 et 16/77 (N° Lexbase : A7145AU8), Rec. CJCE, p.1753 ; CJCE, 19 octobre 1977, aff. C-124/76 et 20/77 (N° Lexbase : A7140AUY), Rec. CJCE, p.1795.

[13] CJUE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, point 19 (N° Lexbase : A7275AHW).

[14] CJUE, 22 octobre 2015, aff. C-126/14, point 20 (N° Lexbase : A8605NTU).

[15] CJUE, ordonnance, 5 juin 2014, aff. C-500/13, point 11.

[16] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 39.

[17] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 38.

[18] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 42.

[19] CJUE, 2 juin 2005, aff. C-378/02, point 33 (N° Lexbase : A4883DIP).

[20] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 54.

[21] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 59.

[22] Conclusions de l’Avocat général Juliane Kokott sur l’affaire CJUE, 25 juillet 2017, C-140/17, point 60 (N° Lexbase : A2961XYC).

[23] CJUE, 25 juillet 2018, précit., point 32.

[24] CJCE, 8 juin 2006, aff. C-106/05 (N° Lexbase : A7832DPR), lire en ce sens Yolande Serandour, «L'exonération de TVA des laboratoires privés d'analyses médicales selon la CJCE» , Lexbase Hebdo - Edition fiscale, n° 221, 29 juin 2006 (N° Lexbase : N0249ALS) ; Rec. CJCE p.I-5155 ; point 48.

[25] CJUE, 28 février 2018, aff. C-672/16, point 38 (N° Lexbase : A5518XE4).

[26] CJUE, 13 mars 2008, aff. C-437/06, point 25 (N° Lexbase : A3765D7L).

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