La lettre juridique n°455 du 29 septembre 2011

La lettre juridique - Édition n°455

Éditorial

Suppression du juge d'instruction : "n'ayez pas peur !"

Lecture: 4 min

N7831BST

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir
"...

Que n'a-t-on entendu ou écrit sur la disparition programmée (mais retardée) du juge d'instruction, à la suite du rapport "Léger" ? De la crainte d'une justice américanisée, abandonnant l'enquête au Parquet et ouvrant la porte à une mainmise de l'exécutif sur la justice au risque d'inégalité des armes entre les justiciables à celle d'une administration au service de laquelle la police officiera sous le contrôle bienveillant du ministère de l'Intérieur : tels sont les deux principaux écueils de la réforme de l'instruction, telle qu'elle nous a été annoncée, depuis maintenant deux ans, et qui n'emporte toujours pas, et loin s'en faut, l'adhésion des professionnels du droit comme des justiciables. C'est de l'indépendance de la justice dont il est question ; c'est une instruction exclusivement à charge que l'on redoute.

Et, comme un pied de nez extraordinaire, faisant mentir (ou presque) les Cassandre d'un horizon funeste pour la justice délictuelle et criminelle, intervient, en ce 20 septembre 2011, la démonstration topique que le Parquet n'est pas le chantre d'un réquisitoire exclusivement à charge, qu'il est capable de mener l'enquête au service d'une (bonne) justice et, au passage, de la défense des prévenus.

C'est qu'en ce mardi de fin d'été, nos deux vices-procureurs, féaux parisiens, réclamaient, non sans mérite, la relaxe de leur ancien seigneur, jugé pour détournement de fonds publics lorsqu'il était maire de Paris en 1992-1995, pour 28 emplois présumés fictifs de "chargés de mission" à son cabinet. En effet, "les éléments manquent pour caractériser tant l'aspect intentionnel que matériel d'une infraction, c'est pourquoi je requiers la relaxe des dix prévenus", livre, un brin penaud, le substitut.

Le réquisitoire n'est pas vraiment une surprise ; un non-lieu en fin d'instruction avait déjà été réclamé, en 2009, par le procureur de Paris, haut fonctionnaire au ministère de la Justice sous le second mandat de l'ancien maire. Mais, que voulez-vous, deux juges d'instruction, "dodos" de leur profession si décriée, s'entêtèrent et ordonnèrent un procès, estimant que les faits révélaient l'existence d'un "système" visant à utiliser les fonds publics pour les ambitions politiques du candidat victorieux à la présidentielle de 1995. Non, la surprise provient du malaise palpable des avocats de la défense eux-mêmes : ils n'en demandaient pas tant. Que le Parquet, magistrature dépendante comme se plait à le rappeler régulièrement la Cour européenne des droits de l'Homme, demande la relaxe, soit ; mais qu'il s'escrime à démonter un par un les arguments ayant conduit les juges d'instruction à réclamer un procès en bonne et due forme, pour écarter d'un revers de main les questions soulevées par certains emplois manifestement énigmatiques, comme pour mieux asseoir la relaxe et l'idée selon laquelle "la procédure de recrutement des chargés de mission est exclusive de tout arbitraire et de tout système frauduleux"...

D'abord, les affirmations des juges d'instructions sont qualifiées de "péremptoires" et leurs formules de "lapidaires", par le Parquet de Paris. Ensuite, si le ministère public concède une procédure "imparfaite" et un suivi des recrutements "perfectible", c'est pour mieux relativiser l'infraction dont il était, jusqu'alors, question dans les prétoires : la vingtaine d'emplois suspects représentant "une goutte d'eau" dans la masse des 35 000 salariés de la ville de Paris à l'époque. Aussi, l'ancien chef de l'Etat, ancien maire de Paris, n'était, de toute manière, comme ces directeurs de cabinet, qu'un "maillon de la chaîne" du recrutement, sans aucun rôle de contrôle financier ou d'opportunité.

Alors, pour nombre des personnes dont l'emploi était considéré comme fictif et que, d'ailleurs, nul n'avait vues arpenter les couloirs de la mairie, nos deux "Don Quichotte" accusent tantôt les vicissitudes du temps, et les difficultés d'archiver tous les rapports ainsi rédigés ; tantôt, faisant fi de tout anachronisme, ils invoquent le télétravail... Et, les moulins se mirent à tourner... sans grain à moudre...

Et, rien de telle qu'une agrégée de lettres pour établir des rapports sur les "événements de 1981" -les emplois couvrant les années 1992-1995- ! Le fait qu'elle soit, également, l'épouse de l'ancien maire d'une grande ville n'est que pure coïncidence. Enfin, que dire de la fille d'un maire de Corrèze qui s'attelait à rédiger des fiches de lecture, non archivées, mais dont "la liste des livres qu'elle avait lus" avait consciencieusement été conservée...

Au final, les prestations "étaient certes immatérielles mais ponctuelles" et les emplois n'étaient pas fictifs, mais "flexibles"... Mesdames les juges d'instruction, "c'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt" ! Lisez donc les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar.

Après cela, qui dira que les justiciables ont à craindre d'un Parquet tout puissant qui cherchera un coupable plutôt que la démonstration de la vérité ?

On ne peut s'empêcher, dès lors, de penser que nos deux vices-procureurs sont deux inconditionnels d'Arthur Schopenhauer et de sa dialectique éristique ou de l'art d'avoir toujours raison. Toutes les passes d'armes figurent au procès-verbal de ce 20 septembre 2011 : des réfutations directes par attaque des fondements aux réfutations indirectes par attaque des conséquences (ad rem ou ad hominem), montrant que la thèse des juges ne s'accorde pas avec la nature des choses, la vérité objective absolue, ou du moins qu'elle est inconsistante avec la vérité relative et subjective.

Mais, encore ne faudrait-il ne pas oublier l'avertissement du philosophe allemand lui-même : "on peut en toute objectivité avoir raison, et pourtant aux yeux des spectateurs, et parfois pour soi-même, avoir tort. [...] Ainsi, la véracité objective d'une phrase et sa validité pour le débatteur et l'auditeur sont deux choses différentes"...

Toujours est-il que le prévenu dont la relaxe a été si instamment réclamée s'est empressé d'indemniser la mairie de Paris pour ces emplois -non fictifs donc-, afin que cette dernière retire sa plainte au pénal ; mais, il est vrai qu'en la matière, et contrairement à une simple infraction routière, tout paiement n'équivaut pas à une reconnaissance de culpabilité...

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Avocats/Champ de compétence

[Manifestations à venir] Médiation : justice à part entière

Lecture: 1 min

N7930BSI

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Le 27 Mars 2014

L'Ordre des avocats à la cour d'appel de Metz et le tribunal de grande instance de Metz organisent, le vendredi 14 octobre 2011, un colloque consacré à la médiation, dont les éditions juridiques Lexbase sont honorées d'être partenaires (ce colloque valide 6 heures de formation continue pour les avocats et les magistrats).
  • Programme

9h00 Accueil des participants autour d'un petit déjeuner

9h30 Allocutions d'ouverture

Monsieur Bernard Keime-Robert-Houdin, Président du tribunal de grande instance de Metz

Maître Viviane Schmitzberger-Hoffer, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Metz

Monsieur Philippe Guillaume, Président de la Chambre de commerce, d'industrie et des services de la Moselle

Monsieur Roger Cayzelle, Président du Conseil économique et social et environnemental de Lorraine

I - LE CADRE GENERAL

Modérateur : Monsieur Christophe Soulard, Premier vice-Président au tribunal de grande instance de Metz

10h00 La médiation : pourquoi et pourquoi pas ?

Monsieur Philippe Milburn, Professeur de sociologie à l'Université de Versailles Saint-Quentin

10h30 Aspects juridiques de la médiation

Monsieur Jean-Pierre Ancel, Président de Chambre honoraire à la Cour de cassation

11h00 Débats

11h30 La mise en place de la médiation judiciaire : aspects pratiques

Madame Danièle Ganancia, vice-Présidente au tribunal de grande instance de Paris

12h00 Débats

12h30 Déjeuner libre

II - LA MEDIATION VUE PAR SES ACTEURS

Modérateur : Monsieur Olivier Cachard, Agrégé des Facultés de droit et Professeur à l'Université de Lorraine

1) Rôle du médiateur

14h15 Témoignage d'un médiateur en matière familiale

Madame Agnès Dalbin, Médiatrice

14h45 Témoignage d'un médiateur en matière commerciale

Monsieur Patrick Allain, Médiateur

2) L'Avocat dans la médiation

15h15 Témoignage d'un avocat dans une médiation commerciale

Maître Jean-Luc Bieber, Avocat au barreau de Sarreguemines

Rôles successifs de l'avocat : avant, pendant et après la médiation

Maître Isabelle Bertrand-Lorentz, Avocat au barreau de Thionville

15h45 Débats

16h30 Synthèse générale des travaux

Monsieur Philippe Milburn, Professeur de sociologie à l'Université de Versailles Saint-Quentin

17h00 Fin du colloque

  • Date et lieu

Vendredi 14 octobre 2011
09h00 à 12h00 et 14h00 à 17h00

Amphithéâtre de la Chambre de Commerce et d'Industrie et des Services de la Moselle
10/12 avenue Foch 57000 Metz

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Avocats/Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité des professionnels du droit de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Septembre 2011

Lecture: 12 min

N7854BSP

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Le 29 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité des professionnels du droit de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique, l'auteur a choisi, en premier lieu, de revenir sur deux arrêts rendus par la cour d'appel de Paris, les 21 juin et 6 septembre 2011 confirmant la rigueur dont fait preuve la jurisprudence tant à l'égard du notaire que de l'avocat rédacteurs d'actes (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 juin 2011, n° 10/06805 et CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 6 septembre 2011, n° 10/09772). En second lieu, l'auteur a sélectionné un arrêt de la même formation, rendu également le 21 juin 2011 et selon lequel constitue une faute le fait pour un avocat chargé du recouvrement de la créance de son client de s'abstenir de déclarer la créance au passif de la procédure collective du débiteur (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 juin 2011, n° 10/13806).
  • Retour sur la responsabilité du notaire et de l'avocat rédacteurs d'actes (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 juin 2011, n° 10/06805 N° Lexbase : A1356HW7 et CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 6 septembre 2011, n° 10/09772 N° Lexbase : A5884HX9)

L'occasion a, déjà, été donnée d'insister ici même sur l'importance du devoir d'information et de conseil qui pèse sur les professionnels du droit, relevant, d'ailleurs, que, en réalité, le conseil est avant tout l'instrument permettant d'atteindre l'exigence d'efficacité inhérente à leurs obligations, comme l'exprime l'arrêt "Boiteux " de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 avril 1981, suivant lequel le devoir de conseil du notaire est destiné à assurer la validité et l'efficacité des actes (1). Ainsi les notaires doivent-ils, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (2), en même temps qu'ils doivent éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'ils authentifient (3). Par où l'on voit bien que leur obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels ils prêtent leur concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. Des observations du même ordre peuvent être faites à propos de l'avocat : tenu, en tant que rédacteur d'acte, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (4), il lui incombe d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (5). Deux arrêts rendus par la cour d'appel de Paris les 21 juin et 6 septembre 2011 confirment, en tout cas, la rigueur dont fait preuve la jurisprudence tant à l'égard du notaire que de l'avocat rédacteurs d'actes.

Dans la première affaire (n° 10/09772), des époux, acquéreurs d'un bien et de droit immobiliers, invoquant le défaut d'efficacité juridique de l'acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement dressé malgré l'inexistence d'une garantie d'achèvement, recherchaient la responsabilité professionnelle du notaire rédacteur de l'acte. C'est que, en effet, l'acte authentique de vente prévoyait que "la société venderesse déclare fournir la garantie d'achèvement prévue aux articles 261-17 (N° Lexbase : L8103ABQ) et R. 261-18 (N° Lexbase : L8105ABS) du Code de la construction et de l'habitation", et le notaire attestait que "le montant des ventes déjà conclues et les fonds personnels du promoteur suffisent pour justifier d'une garantie intrinsèque d'achèvement", alors que le promoteur n'avait, en réalité, pas respecté le délai d'achèvement contractuellement prévu, que le bien n'a pas été livré, et que le promoteur n'a pas été en mesure de justifier d'une garantie intrinsèque. La cour d'appel, approuvant la décision rendue par le tribunal de grande instance de Meaux, le 4 mars 2010, après avoir rappelé la règle de principe suivant laquelle "le notaire rédacteur d'acte doit s'assurer de l'efficacité de l'acte qu'il reçoit et informer les parties sur la portée de leurs engagements et ce, quelle que soient les compétences des parties", a décidé, au cas présent, que le notaire, "a manqué à son devoir de vérification et à son obligation de rédiger un acte efficace au regard des garanties qu'il devait offrir [au promoteur] en vertu des dispositions de l'article R. 261-18 du Code de la construction et de l'habitation".

Dans la seconde affaire ici rapportée (n° 10/06805), un société productrice de poussins qu'elle élève s'était, au vu de l'avis donné par un cabinet d'avocats, rapprochée d'un groupe concurrent qui vendait des poussins sous la marque ISA en exécution d'un contrat de concession exclusive, puis avait finalement, par acte du 30 août 2007, racheté le fonds de commerce de reproduction de poules pondeuses dudit groupe avec, dans le même temps, acquisition de l'importante clientèle française du groupe et disponibilité immédiate d'une infrastructure de production en état de fonctionnement. Mais, quelques jours à peine après la conclusion de cet acte, la société recevait une mise en demeure de l'Institut de sélection animale d'avoir à cesser la diffusion des produits ISA en raison du contrat d'exclusivité déjà évoqué, n'ayant le droit ni d'utiliser la marque ISA, ni de mentionner l'origine des poussins, ni de vendre les poussins issus de parentaux ISA quelle que soit la désignation. La société s'est, ainsi, trouvée contrainte, pour poursuivre ses activités, de trouver un accord avec ISA en lui consentant des concessions importantes. Estimant avoir subi un préjudice financier en raison du défaut d'information et de conseil de la part de l'avocat, membre du cabinet qu'elle avait consulté, la société a recherché sa responsabilité au motif que l'avocat aurait commis une faute en s'abstenant d'attirer suffisamment son attention sur le risque présenté par l'acquisition litigieuse, notamment sur le fait que la simple vente de poussins provenant de parentales ISA suffisait à caractériser une violation des droits de la marque ISA indépendamment du nom sous le lequel la vente était effectuée. La cour d'appel accueille la demande, confirmant le premier jugement qui avait décidé "qu'il appartient à l'avocat rédacteur d'acte de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de l'acte qu'il rédige et qu'il doit éclairer son client sur la portée exacte et les risques des engagements souscrits ; qu'il doit en outre rapporter la preuve qu'il s'est acquitté de son obligation d'information et de conseil". Or, précisément en l'espèce, l'avocat consulté avait présenté la solution proposée comme sans risque alors qu'elle était au contraire risquée et, au reste, contraire à la réglementation en vigueur en matière de traçabilité.

Ces deux arrêts confirment, une nouvelle fois, que le devoir d'information et de conseil du rédacteur d'actes implique qu'il ait pris en considération les mobiles des parties, fussent-ils extérieurs à l'acte, au moins lorsqu'il en a eu connaissance (6). Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 17 décembre 1991, affirmait-elle que "le notaire doit, en sa qualité de rédacteur d'acte, éclairer les parties sur sa portée et ses conséquences et prendre toutes les dispositions utiles pour en assurer l'efficacité, eu égard au but poursuivi par les parties" (7), avant de juger, dans un arrêt du 12 décembre 1995, que "le notaire a le devoir d'éclairer les parties sur leurs droits et obligations et rechercher si les conditions requises pour l'efficacité de l'acte qu'il dresse sont réunies eu égard au but poursuivi par les parties" (8). Ainsi s'évince de la jurisprudence l'idée selon laquelle le notaire doit faire preuve de toutes les diligences propres à assurer l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, diligences qui supposent qu'il procède lui-même aux vérifications utiles. C'est au demeurant ce qui explique que le notaire qui établit un acte de garantie hypothécaire a l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (9). Et, dans le même ordre d'idée, la Cour de cassation a affirmé que "le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé" (10). Ces solutions valent également bien entendu pour l'avocat, étant au demeurant précisé que l'avocat est également soumis à un devoir de conseil lorsqu'il intervient non plus simplement en tant que rédacteur d'actes, mais aussi en tant qu'il est investi d'une mission d'assistance et de représentation, soit en vertu d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général obligeant l'avocat, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, soit d'un mandat ad negotia, c'est-à-dire d'un mandat qui peut n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire ou bien être l'accessoire ou une extension du mandat ad litem.

On terminera en relevant que la rigueur dont fait preuve la jurisprudence en la matière tient encore au fait que le devoir d'information et de conseil du débiteur subsiste lorsque le créancier se fait assister par une personne compétente : ainsi a-t-il été jugé que la présence d'un avoué dans la procédure d'appel ne dispense pas l'avocat de son devoir de conseil (11), ou encore que la présence d'un conseiller personnel aux côtés d'un client ne saurait dispenser le notaire de son devoir de conseil (12). Et, l'on n'ignore pas non plus, suivant la même logique, que la compétence personnelle du client ne supprime pas dans son principe le devoir d'information et de conseil du professionnel : la jurisprudence décide, en effet, que les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat choisi par celui-ci de toute obligation de conseil (13), mais aussi que le notaire n'est pas déchargé par les compétences personnelles de son client (14), y compris, d'ailleurs, lorsque le client est lui-même notaire (15), et, enfin, plus généralement, que les compétences personnelles du client ne dispensent pas le rédacteur d'actes de son devoir de conseil (16).

  • L'avocat chargé du recouvrement de la créance de son client commet une faute en s'abstenant de déclarer la créance au passif de la procédure collective du débiteur (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 juin 2011, n° 10/13806 N° Lexbase : A1313HWK)

Il est évident que l'appréciation de la responsabilité de l'avocat, en dehors des problèmes que l'on connaît tenant à l'exécution de ses obligations et, plus largement, à la détermination de l'étendue de sa mission, suscite parfois des difficultés annexes tenant, notamment, aux modalités d'exercice de la profession qui sont les siennes. Ainsi, par exemple, s'est-on récemment interrogé, à la faveur d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 mars 2011, sur la responsabilité d'un avocat français membre d'une partnership américaine définie comme un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêts économiques (17). La difficulté peut, également, venir de la recevabilité de l'action en responsabilité lorsque la faute a été commise par un avocat associé d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée et que l'action est intentée non pas contre l'avocat mais contre la société. Un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 21 juin 2011 illustre cette difficulté, préalable à la résolution du litige au fond.

En l'espèce, l'exploitant d'un fonds de commerce qui avait confié ses intérêts à un avocat associé d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée lui reprochait d'avoir commis une faute dans l'exercice de sa mission en s'abstenant de déclarer en temps utile sa créance au passif de son débiteur, une société placée en redressement judiciaire. Le client faisait au demeurant valoir que la faute de l'avocat était d'autant plus grave qu'il avait pourtant été informé de la situation financière préoccupante de la société en question, et que son omission lui avait fait perdre sa créance.

La première question à laquelle devaient ici répondre les magistrats tenait à la recevabilité de la demande, l'action en responsabilité ayant été intentée contre la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à laquelle appartenait l'avocat mis en cause. On redira, ici, que la société d'exercice libéral constitue le cadre traditionnel de l'exercice en commun d'une profession libérale, depuis la loi du 31 décembre 1990 (loi n° 90-1258 N° Lexbase : L3046AIN) qui a permis aux membres des professions libérales d'exercer leur activité dans des sociétés commerciales spécifiques. Au cas présent, la société mise en cause faisait en effet valoir, pour sa défense, que l'action dirigée contre elle devait être déclarée irrecevable au motif, d'une part, qu'elle est une personne juridique distincte de l'avocat auteur de la faute et, d'autre part, qu'aucun lien de droit n'existait entre elle et le client qui ne l'avait pas mandaté personnellement, seul l'avocat représentant la partie conformément à l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 (loi n° 71-1130 N° Lexbase : L6343AGZ). Cette argumentation n'a, cependant, pas convaincu les magistrats qui relèvent que "chaque associé d'une Selarl répond des actes professionnels qu'il accomplit et que la Selarl est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes ; qu'il en résulte que l'action en responsabilité peut être indifféremment engagée contre la Selarl ou l'associé ou encore contre les deux". La solution est parfaitement cohérente d'autant que, on le sait, la loi du 31 décembre 1990 a prévu que la société est responsable non seulement de ses propres actes, mais aussi et solidairement avec eux des actes professionnels de ses associés. Partant, le créancier, ayant plusieurs débiteurs, peut valablement réclamer à chacun d'eux le paiement de l'intégralité de sa dette.

La seconde question posée à la cour d'appel intéressait, elle, le fond de l'affaire et, en l'occurrence, le point de savoir si une faute pouvait être imputée à l'avocat consulté par le client. Sans surprise, la cour approuve les premiers juges d'avoir caractérisé cette faute qui, en tant que telle, ne faisait à vrai dire aucun doute, d'autant qu'il était relevé que l'avocat avait clairement été mandaté pour recouvrer la créance de son client. Aussi bien, dans ces conditions, est-il évident que, en s'abstenant de déclarer la créance de son client au passif de son débiteur, l'avocat avait manqué à son devoir de prudence et de diligence et, ainsi, avait certainement commis une faute. La solution est, d'ailleurs, classique en jurisprudence : l'avocat doit s'assurer de l'existence et de la permanence de la créance principale de son client, si bien que, en s'en abstenant, il commet une faute dont il doit répondre des conséquences dommageables (18). Il est évident que, chargé par son client du recouvrement d'une créance, il commet une faute en n'omettant de procéder à la déclaration de ladite créance au passif du débiteur puisque, ce faisant, il manque à son obligation d'accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client (19).

Sous cet aspect, on rappellera qu'à l'égard de ses clients, l'avocat est réputé agir en qualité de mandataire, ce qui le soumet aux articles 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et suivants du Code civil (20), et que, par suite, la caractérisation d'un éventuel manquement de l'avocat à ses obligations suppose de déterminer l'étendue de la mission qui lui a été confiée et qui ressort, précisément, de son mandat : la responsabilité de l'avocat ne peut valablement s'apprécier qu'au regard du mandat (21). Il n'est, en effet, pas douteux que les obligations de l'avocat dépendent de l'étendue du mandat qui lui a été donné (22). Et, bien que la systématisation des solutions paraisse difficile dans la mesure où elles sont assez largement dépendantes de circonstances de fait, les magistrats semblent n'admettre qu'assez restrictivement la possibilité d'une exonération de l'avocat tirée des limites du mandat. Ainsi, a-t-il été décidé qu'une société d'avocats ayant reçu la mission de conseiller en droit des sociétés et en gestion du personnel, mais pas expressément en matière fiscale, est néanmoins tenue d'une obligation de conseil sur les incidences juridiques et financières des opérations et modifications que l'entreprise peut envisager : la société d'avocats aurait dû l'avertir des incidences fiscales d'une création de société et la pousser à solliciter un avis technique sur ce point (23). Ces solutions valent, au reste, même dans les hypothèses dans lesquelles l'avocat n'interviendrait qu'en tant que conseil, en dehors de tout mécanisme de représentation propre au mandat. Ce qui est, en réalité, déterminant dans l'appréciation de la responsabilité de l'avocat ne tient pas tant à la qualification juridique de son intervention (mandat ou autre) qu'à la détermination de la mission qu'il accepte d'assumer, le mandat n'étant d'ailleurs à vrai dire qu'un instrument permettant, précisément, de déterminer le contenu de cette mission. Au demeurant, la jurisprudence décide, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la théorie du mandat, que l'exécution par l'avocat de son obligation d'information et de conseil s'apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée, jugeant ainsi que "le devoir de conseil et d'information du conseil juridique qui s'exerçait préalablement à la conclusion de l'acte pour assurer son efficacité ne s'étend pas, sauf mission particulière confiée à celui-ci [...] à la réalisation de formalités extrinsèques à l'acte qui ne relevaient que de la seule initiative des parties" (24).

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(4) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(5) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267, jugeant que l'avocat, unique rédacteur d'un acte sous seing privé, est tenu de veiller à assurer l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et de prendre l'initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d'autre, peu important le fait que l'acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d'un seul des contractants.
(6) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B (N° Lexbase : A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496.
(7) Cass. civ. 1, 17 décembre 1991, n° 90-15.968 (N° Lexbase : A7994AHK).
(8) Cass. civ. 1, 12 décembre 1995, n° 93-21.076 (N° Lexbase : A2785CSX).
(9) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-145.45, publié (N° Lexbase : A2322CG4). Voir déjà, auparavant, Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737 (N° Lexbase : A1369AH8).
(10) Sur la question, voir, not., V. Téchené, La responsabilité du notaire, rédacteur d'acte, pour défaut d'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place de sûretés, Lexbase Hebdo n° 325 du 4 novembre 2008 - édition privée (N° Lexbase : N6892BHQ), note sous Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9).
(11) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132.
(12) Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 93-16894 (N° Lexbase : A9438CGN), Bull. civ. I, n° 312 ; Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758 (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (présence d'un autre notaire aux côtés d'une des parties à l'acte).
(13) Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-18.775 (N° Lexbase : A2743ATR), Bull. civ. I, n° 15. Voir encore, assez récemment, CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 16 septembre 2010, n° 09/03538 (N° Lexbase : A7997E93) et CA Limoges, 20 octobre 2010, n° 10/00050 (N° Lexbase : A3566GC3).
(14) Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-15.659 (N° Lexbase : A8057C48), Rép. Defrénois, 1996, p. 361, obs. J.-L. Aubert.
(15) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831 (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(16) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-14.192 (N° Lexbase : A4535AG3), Bull. civ. I, n° 238.
(17) Cass. civ. 1, 17 mars 2011, n° 10-30.283, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2317HCS).
(18) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 5 février 2008, n° 06/18025 (N° Lexbase : A8050D4W).
(19) Sur cette obligation, voir not. Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899, FS-P+B (N° Lexbase : A9822EGU), Bull. civ. I, n° 92. Et pour une application récente de la solution, voir CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 juin 2011, n° 10/13806 (N° Lexbase : A1313HWK).
(20) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 87-16.530 (N° Lexbase : A8992AAB), Bull. civ. I, n° 17.
(21) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33) ; voir encore, pour une illustration de la règle, CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 20 octobre 2009, n° 07/15062 (N° Lexbase : A9417EMQ), jugeant que "la faute consistant en un manquement au devoir de conseil et d'information ne peut s'apprécier qu'au regard du mandat". En l'espèce, des propriétaires et usufruitiers de vignes, endettés dans une exploitation familiale, avaient chargé un avocat fiscaliste, de procéder à une restructuration financière de leur groupe. Ce dernier leur a conseillé, après avoir poursuivi des démarches auprès de l'administration fiscale, afin de s'assurer de la validité du projet, de procéder à une cession temporaire de l'usufruit leur permettant, à terme, de maintenir l'unité d'exploitation du patrimoine familial, de retrouver, ainsi, sans frais, l'usufruit cédé, et de disposer d'un capital important. Mais, à la suite de cette opération de restructuration, les exploitants ont subi, en contrepartie d'un gain effectif, une très importante imposition. Ils ont, alors, recherché, devant le tribunal de grande instance, la responsabilité professionnelle du spécialiste, en raison de son manquement à son devoir de conseil et à son obligation de résultat du fait de son erreur d'appréciation dans la préparation de la restructuration ayant entraîné l'imposition litigieuse, alors que, selon eux, une solution plus intéressante financièrement existait. Les magistrats parisiens, pour écarter la responsabilité de l'avocat, ont considéré que sa mission, telle qu'elle ressortait du mandat qui lui avait été confié, ne consistait nullement dans la recherche d'un système évitant toute imposition du remboursement de la dette fiscale.
(22) CA Paris, 15 décembre 1998, Gaz. Pal., 1999, 2, Somm. p. 30.
(23) CA Rennes, 28 avril 1998, n° 9705252 (N° Lexbase : A7530EPL).
(24) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n° 01-03.903, F-D (N° Lexbase : A6177DBE).

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Concurrence

[Panorama] Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011) Freshfields Bruckhaus Deringer : table des matières

Lecture: 2 min

N7932BSL

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Le 29 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un numéro spécial "Droit de la concurrence". Les membres du Groupe Concurrence parisien de Freshfields Bruckhaus Deringer (sous la direction de Jérôme Philippe et Maria Trabucchi, avocats associés, avec la collaboration de Jérôme Fabre et Jean-Nicolas Maillard, Counsels, Amélie Alduy, Clémentine Baldon, Jérémy Bernard, France-Hélène Boret, Christine Chansenay, Karima El Sammaa, François Gordon, Aude-Charlotte Guyon, Amandine Jacquemot, Delphine Liégeon, avocats à la cour) ont donc sélectionné l'essentiel de l'actualité législative et jurisprudentielle qui a émaillé la matière au cours des mois de février à juillet 2011, présentée sous la forme de huit panoramas thématiques :
- jurisprudence communautaire - Cour de justice de l'Union européenne ;
- jurisprudence communautaire - Tribunal de première instance de l'Union européenne ;
- jurisprudence communautaire - Commission européenne ;
- jurisprudence française - Conseil constitutionnel ;
- jurisprudence française - Cour de cassation ; - jurisprudence française - cours d'appel ;
- jurisprudence française - Autorité de la concurrence ;
- divers - communiqué de l'Autorité de la concurrence.
  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011) Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence communautaire - Cour de justice de l'Union européenne (N° Lexbase : N7836BSZ)

- CJUE, 10 février 2011, aff. C-260/09 P (N° Lexbase : A1168GUS)
- CJUE, 17 février 2011, aff. C-52/09 (N° Lexbase : A3773GXZ)
- CJUE, 29 mars 2011, aff. C-352/09 P (N° Lexbase : A3814HKH)
- CJUE, 14 juin 2011, aff. C-360/09 (N° Lexbase : A5255HTS)


  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence communautaire - Tribunal de première instance de l'Union européenne (N° Lexbase : N7835BSY)

- TPIUE, 17 février 2011, aff. T-520/10 R (N° Lexbase : A3782GXD)
- TPIUE, 24 mars 2011, 10 arrêts, aff. T-375/06 (N° Lexbase : A5285HGT) ; T-376/06 (N° Lexbase : A5286HGU) ; T-377/06 (N° Lexbase : A5287HGW) ; T-378/06 (N° Lexbase : A5288HGX) ; T-379/06 (N° Lexbase : A5289HGY) ; T-381/06 (N° Lexbase : A5290HGZ) ; T-382/06 (N° Lexbase : A5291HG3) ; T-384/06 (N° Lexbase : A5292HG4) ; T-385/06 (N° Lexbase : A5293HG7) ; T-386/06 (N° Lexbase : A5294HG8) ;
- TPIUE, 14 avril 2011, aff. T-461/07 (N° Lexbase : A8439HNU)
- TPIUE, 7 juin 2011, aff. T-217/06 (N° Lexbase : A3119HTP)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence de l'Union européenne - Commission européenne (N° Lexbase : N7832BSU)

- Commission européenne, décision du 26 février 2006, COMP/M.4124 (texte en anglais)
- Communiqué de presse IP/11/403

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - Conseil constitutionnel ([LXB=N7846BSE])

Cons. const., décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011 (N° Lexbase : A3181HQU)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - Cour de cassation (N° Lexbase : N7844BSC)

Cass. com., 1er mars 2011, n° 09-72.655, FS-P+B (N° Lexbase : A8812G3R)
- Cass. com., 15 mars 2011, n° 09-17.055, F-P+B (N° Lexbase : A1535HD9)
- Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-12.913, F-D (N° Lexbase : A4001HM7)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - cours d'appel (N° Lexbase : N7842BSA)

CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 30 juin 2011, n° 2010/12049 (N° Lexbase : A0477HXX)
- CA Versailles, 3ème ch., 5 mai 2011, n° 09/09169 (N° Lexbase : A9864HRR)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence française - Autorité de la concurrence (N° Lexbase : N7839BS7)

Autorité de la conc., décision n° 11-DCC-34 du 25 février 2011 (N° Lexbase : X3425AIP)
- Autorité de la conc., décision n° 11-DCC-37 du 7 mars 2011 (N° Lexbase : X3428AIS)
- Autorité de la conc., décision n° 11-D-03 du 15 février 2011 (N° Lexbase : X9750AHL)
- Autorité de la conc., décision n° 11-D-11 du 7 juillet 2011 (N° Lexbase : X9352AI9)


  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence (février à juillet 2011), Freshfields Bruckhaus Deringer : communiqué de l'Autorité de la concurrence (N° Lexbase : N7838BS4)

Communiqué de l'Autorité de la concurrence du 16 mai 2011, relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires


Freshfields Bruckhaus Deringer

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Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Septembre 2011

Lecture: 11 min

N7929BSH

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par François Brenet, professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public

Le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). La chronique d'actualité des contrats publics en droit interne met l'accent sur trois décisions. La première s'inscrit dans la lignée des grandes décisions intervenues au cours de l'été et qui visent à préciser l'interprétation et les conditions d'application de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation de l'église et de l'Etat (N° Lexbase : L0978HDL). Un arrêt du 19 juillet 2011 consolide le bail emphytéotique administratif cultuel en précisant qu'il relève des dispositions spécifiques des articles L. 1311-1 (N° Lexbase : L7342HIR) et suivants du Code général des collectivités territoriales, et non des dispositions générales de la loi de 1905 (CE, Ass, 19 juillet 2011, n° 320796, publié au recueil Lebon). Dans un deuxième arrêt en date du 2 août 2011, le Conseil d'Etat précise utilement que la computation du délai de standstill s'opère de date à date (CE 2° et 7° s-s-r., 2 août 2011, n° 347526, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, le dernier arrêt étudié, également en date du 2 août 2011, rappelle que la méthode de notation des offres se distingue des sous-critères de sélection des offres, et n'a donc pas à être communiquée aux candidats (CE 2° et 7° s-s-r., 2 août 2011, n° 348711, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • La consolidation jurisprudentielle du bail emphytéotique administratif conclu en vue de la construction de nouveaux lieux de culte (CE, Ass, 19 juillet 2011, n° 320796, sera publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A0576HWA)

Rendu le même jour que quatre autres décisions par lesquelles l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a précisé la portée et les limites de la règle de non subventionnement de l'exercice du culte (1), l'arrêt n° 320796 apporte un éclairage utile quant aux conditions d'utilisation de la technique du bail emphytéotique en vue de la construction de nouveaux édifices cultuels. La solution retenue préserve le passé et protège l'avenir en permettant aux collectivités territoriales de déroger aux exigences de la loi du 9 décembre 1905 dans le cadre d'un bail emphytéotique administratif (BEA) destiné au financement et à la construction d'édifices du culte.

Dans cette affaire, le conseil municipal d'une commune avait autorisé son maire à conclure avec la fédération cultuelle des associations musulmanes de la ville, un bail emphytéotique d'une durée de 99 ans moyennant le versement d'une redevance annuelle d'un euro symbolique. Ce bail visait à l'édification par la fédération d'une mosquée sur le terrain communal. Sur recours d'un conseiller municipal, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cette délibération, avant que la cour administrative d'appel de Versailles (2) ne vienne l'infirmer. Pour les juges d'appel, la conclusion d'un BEA cultuel était possible, même si elle était intervenue avant la modification des dispositions de l'article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales ([LXB=L7666IPM)]) par l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L3736HI9). Plus encore, le montant modique de la redevance annuelle demandée par la commune à la fédération ne pouvait pas être considéré, selon les juges d'appel, comme une subvention déguisée prohibée par la loi du 9 décembre 1905, dès lors que le terrain d'assiette et le bâtiment qui y serait édifié avait vocation à redevenir en fin de bail la propriété pleine et entière de la collectivité. L'angle d'analyse de la cour administrative d'appel de Versailles était donc clair : les BEA affectés à l'édifice de lieux de culte relèvent du champ d'application de la loi du 9 décembre 1905, et sont compatibles avec elle.

Suivant les conclusions de son Rapporteur public M. Edouard Geffray, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a retenu une solution différente, non dans son sens mais dans sa justification. Des termes de la loi du 9 décembre 1905, le Conseil d'Etat a déduit que les collectivités publiques ne pouvaient apporter aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels. Mais il a surtout considéré que l'article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales avait dérogé à la loi de 1905 en ouvrant aux collectivités territoriales la faculté d'autoriser un organisme qui entend construire un édifice du culte ouvert au public à occuper pour une longue durée une dépendance de leur domaine privé ou de leur domaine public, dans le cadre d'un BEA. La législation sectorielle que constituent les articles L.1311-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales permet, ainsi, aux collectivités territoriales de conclure un tel bail en vue de la construction d'un nouvel édifice cultuel, avec pour contreparties, d'une part, le versement, par l'emphytéote, d'une redevance qui, eu égard à la nature du contrat et au fait que son titulaire n'exerce aucune activité à but lucratif, ne dépasse pas, en principe, un montant modique, et, d'autre part, l'incorporation dans leur patrimoine, à l'expiration du bail, de l'édifice construit, dont elles n'auront pas supporté les charges de conception, de construction, d'entretien ou de conservation.

L'apport de l'arrêt du Conseil d'Etat est triple. Il réside tout d'abord dans le rappel de la règle selon laquelle la loi de 1905 interdit purement et simplement aux collectivités territoriales de contribuer directement ou indirectement à la construction de nouveaux édifices cultuels. Il réside, ensuite, dans l'affirmation du principe selon lequel la loi de 1905 ne s'oppose pas à l'adoption de législations spécifiques lui dérogeant, et cela pour la simple raison que le principe de non-subventionnement des cultes consacré par la loi de 1905 n'a pas valeur constitutionnelle. Cela signifie, au cas d'espèce, que le moyen soulevé par la requérante et tiré de la méconnaissance de la loi de 1905 est inopérant. Il réside, enfin, dans l'affirmation très nette, et qui nous intéresse spécialement ici, de la possibilité d'utiliser le BEA en vue de la construction de nouveaux édifices cultuels. Il faut savoir que le bail emphytéotique de droit privé (c'est-à-dire régi par l'article L. 451-1 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4141AE4) a été utilisé de longue date par les collectivités territoriales pour la construction de nombreux édifices du culte (3).

La création, en 1988, du BEA, c'est-à-dire d'un bail inspiré du droit privé mais dont le régime était adapté aux nécessités de la vie administrative (parmi ces particularités, figure, notamment, la possibilité de résiliation unilatérale du BEA), n'a fait qu'amplifier cette pratique. C'est dire qu'il existait déjà des baux emphytéotiques cultuels avant que l'ordonnance du 21 avril 2006 ne vienne en consacrer officiellement l'existence en modifiant les termes de l'article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales, lesquels disposent, désormais, qu'"un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du Code rural et de la pêche maritime, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public, ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence, ou en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public". Il reste que l'utilisation du BEA cultuel est soumise au respect de strictes conditions mises en évidence par l'arrêt du 19 juillet 2011. Ces conditions permettent au BEA de reposer sur un certain équilibre entre les droits et obligations respectifs des contractants. Dès lors que le titulaire du BEA n'exerce aucune activité lucrative et qu'il est appelé à construire par ses propres moyens un édifice qui deviendra la propriété de la personne publique à l'expiration du bail, il versera un loyer dont le montant ne dépassera pas, en principe, un montant modique.

  • La computation du délai de standstill s'opère de date à date (CE 2° et 7° s-s-r., 2 août 2011, n° 347526, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9297HWA)

Alors qu'il a été conçu par ses créateurs comme un référé subsidiaire, appelé à n'être exercé dans des hypothèses strictement définies, le référé contractuel est aujourd'hui victime de son succès. Certes, l'intérêt que lui portent les concurrents évincés est sans commune mesure avec celui qu'ils manifestent à l'égard du référé précontractuel. Cependant, avec le recul des deux années (4) qui se sont écoulées depuis l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), l'on constate aujourd'hui que les opérateurs économiques n'hésitent pas à prolonger leur référé précontractuel par un référé contractuel.

Cette succession des deux référés est, comme chacun sait, par principe interdite (CJA, art. L. 551-14 N° Lexbase : L1603IE4). Mais ce principe comporte, également, trois exceptions, deux posées par le Code de justice administrative et une troisième ajoutée par la jurisprudence administrative. Un référé contractuel est, tout d'abord, possible lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté la suspension automatique de la signature du contrat qui commence à courir à compter de la saisine du juge des référés précontractuels et qui prévaut jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle au pouvoir adjudicateur. De la même façon, et fort logiquement, le référé contractuel est recevable lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté l'ordonnance rendue par le juge des référés précontractuels. A ces deux exceptions textuelles, il faut ajouter une dérogation d'origine jurisprudentielle consacrée par l'arrêt "France Agrimer" (5). Selon cette décision, le concurrent évincé peut parfaitement exercer un référé contractuel, après avoir introduit un référé précontractuel, dès lors "qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l'article 80 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L0165IRK) qui prévoit l'obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres et fixe un délai minimum de seize jours, réduit à onze jours dans le cas d'une transmission électronique, entre cette notification et la conclusion du marché". Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée, l'absence de notification de la part du pouvoir adjudicateur autorise donc le concurrent évincé à exercer un référé contractuel. Cette jurisprudence "France Agrimer" vient d'être prolongée par un arrêt du 24 juin 2011 (6) qui a précisé que le concurrent évincé qui avait été informé dans les délais du rejet de son offre, et qui avait donc pu exercer un référé précontractuel, était toutefois recevable à prolonger ce dernier par un référé contractuel lorsque le pouvoir adjudicateur ne l'a pas informé précisément du délai à partir duquel le contrat pourrait être signé. Il incombe, désormais, au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats non retenus du délai de suspension qu'il entend s'imposer entre la date d'envoi de la notification du rejet de l'offre et la conclusion du marché.

L'arrêt du 2 août 2011 ici commenté s'inscrit dans le droit fil de ce courant jurisprudentiel. En l'espèce, une commune avait lancé, le 15 septembre 2010, une procédure formalisée de passation d'un marché portant sur des prestations de nettoiement des voies et espaces publics et d'entretien, d'élagage et de fauchage des bords des voies publiques. Ayant déposé une offre, la société X a été informée du rejet de celle-ci par une lettre du 28 décembre 2010. Elle a, alors, saisi le juge du référé précontractuel le 13 janvier 2011 d'une demande d'annulation de la procédure de passation du contrat. Dans son mémoire en défense enregistré le 27 janvier 2011, la commune a alors fait valoir que le marché avait, d'ores et déjà, été signé avec la société Y. La société X a, alors, poursuivi son action contentieuse en engageant un référé contractuel.

Dans cette affaire, se posait la question du mode de calcul du délai de standstill imposé par l'article 80 du Code des marchés publics. Cet article, qui transpose les exigences de l'article 2 bis de la Directive dite "recours" du 21 décembre 1989 (Directive (CE), portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux N° Lexbase : L9939AUN), dispose, dans son 1°, que, "pour les marchés et accords-cadres passés selon une procédure formalisée autre que celle prévue au II de l'article 35 (N° Lexbase : L0147IRU), le pouvoir adjudicateur, dès qu'il a fait son choix pour une candidature ou une offre, notifie à tous les autres candidats le rejet de leur candidature ou de leur offre, en leur indiquant les motifs de ce rejet. Cette notification précise le nom de l'attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre aux candidats ayant soumis une offre et à ceux n'ayant pas encore eu communication du rejet de leur candidature. Un délai d'au moins seize jours est respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux alinéas précédents et la date de conclusion du marché. Ce délai est réduit à au moins onze jours en cas de transmission électronique de la notification à l'ensemble des candidats intéressés. La notification de l'attribution du marché ou de l'accord-cadre comporte l'indication de la durée du délai de suspension que le pouvoir adjudicateur s'impose, eu égard, notamment, au mode de transmission retenu [...]".

Le Conseil d'Etat précise en l'espèce, ce qui ne manquera pas de retenir l'attention des acteurs et des praticiens de la commande publique, que le délai que doit s'imposer, puis respecter, le pouvoir adjudicateur entre l'envoi aux concurrents évincés de la notification du rejet de leur candidature ou de leur offre et la conclusion du marché est un délai dont la computation s'opère de date à date. Cela signifie très concrètement que le délai commence à courir à compter du jour de l'envoi de la notification du rejet de l'offre. En l'espèce, la société X n'avait exercé son référé précontractuel que le 13 janvier 2011, alors que le délai de 16 jours avait expiré la veille. Elle avait donc disposé pendant ce délai de la faculté de présenter utilement un référé précontractuel et n'était donc pas recevable à poursuivre son action par un référé contractuel.

  • La méthode de notation des offres ne doit pas être assimilée à un sous-critère de sélection des offres (CE 2° et 7° s-s-r., 2 août 2011, n° 348711, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9300HWD)

L'information des candidats à l'attribution des marchés publics permet, tout à la fois, d'assurer le respect des principes de la liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Elle fait donc l'objet de toutes les attentions, et la lecture conjointe des textes et de la jurisprudence nous enseigne que l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution des marchés publics est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à la concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Lorsque le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix (ce que permet l'article 53 du Code des marchés publics N° Lexbase : L1072IR7), l'information appropriée des candidats doit, alors, porter également sur les conditions de mise en oeuvre de ces critères. Il revient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en oeuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné. En outre, si le pouvoir adjudicateur décide, pour mettre en oeuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères, il doit porter à la connaissance des candidats leurs conditions de mise en oeuvre, dès lors que ces sous-critères sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats, ainsi que sur leur sélection, et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.

Dans la présente espèce, un syndicat mixte avait engagé une consultation en vue de l'attribution, selon une procédure adaptée (laquelle n'échappe pas aux exigences précitées), d'un marché portant sur l'entretien et la réparation de groupes électrogènes. Saisi par une entreprise dont l'offre n'avait pas été retenue, le juge des référés précontractuels a annulé la procédure de passation au motif qu'en procédant à une simulation financière (simulation consistant à multiplier les coûts horaires des interventions en journées et en heures de nuit et jours fériés par le nombre estimé d'interventions sur la durée d'exécution du marché, et à additionner le résultat obtenu aux prix forfaitaires de l'entretien et de la réparation), le syndicat ne s'était pas contenté d'appliquer une méthode de notation des offres, mais avait mis en oeuvre des sous-critères de prix qui auraient dû être portés à la connaissance des candidats avec leur pondération.

Le Conseil d'Etat censure logiquement ce raisonnement qui repose, à tort, sur l'assimilation d'une méthode de notation des offres à un sous-critère de sélection des offres. Les deux n'obéissent pas au même régime juridique puisqu'il ressort de la jurisprudence que, si le pouvoir adjudicateur a l'obligation d'indiquer dans les documents de la consultation les critères d'attribution du marché et leurs conditions de mise en oeuvre, il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres (7). Cette différence de régime juridique implique, évidemment, que les deux notions soient clairement distinguées, ce qui, il faut le reconnaître, n'est pas toujours très facile à réaliser en pratique (8).

François Brenet, professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623)


(1) CE, Ass., 19 juillet 2011, publiés au recueil Lebon, n° 320796 (N° Lexbase : A0576HWA), n° 313518 (N° Lexbase : A0575HW9), n° 309161 (N° Lexbase : A0574HW8), n° 308817 (N° Lexbase : A0573HW7), et n° 308544 (N° Lexbase : A0572HW4).
(2) CAA Versailles, 1ère ch., 3 juillet 2008, n° 07VE01824 (N° Lexbase : A9678D9C).
(3) S. Tissot-Grossrieder, De l'usage du bail emphytéotique pour la construction d'une mosquée, AJDA, 2010, p. 2471.
(4) L'heure est déjà aux premiers bilans : P. Rees, Premier bilan de la jurisprudence administrative en matière de référé contractuel, Contrats Marchés publ., 2011, chron. 10.
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 10 novembre 2010, n° 340944, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8947GGH).
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 24 juin 2011, n° 346665 et n° 346746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3555HU9).
(7) CE 2° et 7° s-s-r., 31 mars 2010, n° 334279, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4209EUG).
(8) CE 2° et 7° s-s-r., 23 mai 2011, n° 339406, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5838HSZ). Voir les interrogations soulignées par F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Critères, sous-critères, pondération, méthode de notation... : où en est-on ?, Contrats Marchés publ., 2010, repère 8.

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Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut universitaire de France - Septembre 2011

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N7898BSC

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Le 23 Novembre 2011

Lexbase Hebdo vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Après avoir consacré ses deux dernières chroniques d'avril 2011 aux réformes récentes de la procédure civile, l'auteur retrouve à présent la jurisprudence foisonnante de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l'Homme. Les arrêts de principes se multiplient et les questions de procédure civile sont désormais régulièrement posées à l'Assemblée plénière. Il en présente ici une sélection. 1. Action en justice, la difficile distinction entre défense au fond et demande reconventionnelle à propos de l'exception de nullité du contrat
  • La prétention par laquelle une partie ne se borne pas à invoquer la nullité d'un contrat, mais entend voir tirer les conséquences de cette nullité est une demande reconventionnelle et non une défense au fond (Ass. plén., 22 avril 2011, n° 09-16.008, P+B+R+I N° Lexbase : A1066HP8)

En procédure civile, les notions les plus simples dissimulent parfois de redoutables ambiguïtés. Ainsi, la distinction entre demande et défense semble si évidente qu'elle ne devrait pas donner lieu à débat. C'est pourtant cette distinction qui a conduit à la saisine de l'Assemblée plénière par la deuxième chambre civile.

Dans cette affaire, une cession d'actions représentant la quasi-totalité du capital d'une société avait été conclue pour un montant de 400 000 francs (60 979 euros) entre plusieurs actionnaires et un seul cessionnaire. Ce dernier avait payé la somme 300 000 francs (45 734 euros). Certains actionnaires agirent alors pour obtenir le paiement total correspondant aux actions qu'ils détenaient. De son côté, le cessionnaire allégua la nullité de la cession pour dol et sollicita le remboursement du prix qu'il avait déjà payé.

Une question de procédure émanait de cette espèce. Il s'agissait de savoir si l'allégation du cessionnaire constituait une défense au fond ou une demande reconventionnelle. L'enjeu était important, car si l'allégation était qualifiée de défense au fond, elle pouvait être présentée "en tout état de cause" (C. pr. civ., art. 72 N° Lexbase : L1288H4H). En revanche, si l'allégation était qualifiée de demande reconventionnelle, elle suivait le régime des demandes incidentes et elle devait être présentée "à l'encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance" (C. pr. civ., art. 68, al. 2 N° Lexbase : L1277H43). Or, en l'espèce, l'acheteur n'avait pas respecté cette formalité lorsqu'il avait soulevé l'exception de nullité. Il n'avait pas mis en cause tous les actionnaires concernés par la cession.

La procédure fut particulièrement longue. Dans un premier temps, la cour d'appel de Grenoble déclara la demande de nullité du contrat irrecevable, car il appartenait au cessionnaire de mettre en cause l'ensemble des cédants. L'arrêt fut cassé par la deuxième chambre civile qui considéra que la prétention du cessionnaire constituait une défense au fond (1). La cour de renvoi (2) jugea à nouveau que la prétention était une demande reconventionnelle irrecevable. Un second pourvoi fut formé qui suivi un parcours sinueux (3) déboucha sur la saisine de l'Assemblée plénière.

L'arrêt rendu par cette formation le 22 avril 2011 tranche avec netteté un débat qui a donné lieu à de nombreuses controverses doctrinales (4). La Cour de cassation affirme dans un premier temps que "constitue une demande reconventionnelle, en vertu de l'article 64 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1267H4P), la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire". Il s'agit là de la reprise in extenso de l'article 64 du Code de procédure civile. Dans un second temps, l'Assemblée plénière précise que "ayant relevé que le cessionnaire ne se bornait pas à invoquer la nullité du protocole, mais entendait voir tirer les conséquences de cette nullité en sollicitant la remise des parties dans l'état antérieur à la signature de l'acte et la condamnation des demanderesses à lui payer une certaine somme en restitution du prix déjà payé, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'il s'agissait d'une demande reconventionnelle".

La Cour de cassation établit, donc, une distinction entre l'exception de nullité utilisée comme défense au fond et la même exception qui se transforme en véritable demande reconventionnelle. Dans le premier cas, l'exception de nullité peut être utilisée par un défendeur qui se contente d'échapper à l'action en exécution du contrat. En opposant la nullité du contrat, le débiteur cherche simplement à neutraliser la demande du créancier, mais il ne va pas plus loin. S'il obtient gain de cause, il sera simplement dispensé d'exécuter son obligation contractuelle. Dans le second cas, l'exception de nullité peut être utilisée par le défendeur pour obtenir plus que le simple rejet de la prétention du demandeur. Le débiteur de l'obligation contractuelle invoque la nullité du contrat, non seulement pour échapper à son obligation, mais encore pour atteindre tous les effets de la nullité, c'est-à-dire le retour au statu quo ante et la restitution des prestations déjà exécutées. Cette exception de nullité prend alors la forme d'une demande reconventionnelle.

L'espèce étudiée correspondait au second scénario. L'acquéreur des actions en avait déjà acquitté une partie du prix et les créanciers demandaient le paiement des sommes restant dues. L'acquéreur ne se contentait pas d'invoquer la nullité du contrat pour refuser de payer ces sommes, mais demandait, de surcroît, la restitution des sommes déjà versées. A l'évidence, la prétention de l'acquéreur ne se réduisait pas au rejet de la prétention des demandeurs. Ce dernier souhaitait obtenir un avantage plus important : l'annulation rétroactive du contrat accompagnée de tous ses effets. Sa prétention était donc une demande reconventionnelle. Mais cette prétention n'avait pas été présentée aux parties défaillantes et aux tiers conformément à l'article 68 du Code de procédure civile. Elle était donc irrecevable.

L'arrêt permet ainsi d'éclairer la distinction faite en doctrine entre les demandes reconventionnelles simples et hybrides. Dans sa forme simple, la demande reconventionnelle permet au défendeur initial d'émettre une prétention qui lui est propre et qui, malgré le lien avec la prétention originale, s'en distingue nettement. Ainsi, lorsqu'une banque demande à l'un de ses clients le remboursement d'un prêt, ce dernier forme une demande reconventionnelle simple s'il invoque la faute de la banque et sollicite le paiement par celle-ci de dommages et intérêts (5). En revanche, la demande reconventionnelle est hybride, lorsqu'elle "tend à neutraliser la demande initiale, [...] en s'attaquant au fondement même de la prétention adverse" (6) et qu'elle vise de surcroît à procurer à son auteur un avantage qui dépasse le simple rejet de la demande initiale. La difficulté surgit pourtant lorsqu'une prétention est susceptible de présenter, soit le caractère d'une demande reconventionnelle hybride, soit la nature d'une défense au fond. C'est le cas de l'exception de nullité contractuelle.

La nature juridique de cette exception est entourée de flou. Par exemple, certaines cours d'appel ont cru voir dans l'exception de nullité une exception de procédure. Cette confusion a dû être dissipée par la Cour de cassation qui a affirmé "le moyen pris par le défendeur de la nullité de l'acte juridique sur lequel se fonde le demandeur constitue non pas une exception de procédure, mais une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause". Malgré son intitulé ambigu, l'exception de nullité d'un contrat constitue donc, à la base, une défense au fond (7). Le vocable "exception" n'a pas la même signification en droit des contrats et en procédure civile.

Le flou se double d'ambivalence puisque l'exception de nullité offre deux voies distinctes au débiteur. Soit il se contente de neutraliser l'action en exécution du contrat. Soit il est plus ambitieux et demande l'annulation rétroactive du contrat. Cette option a une incidence procédurale. Dans le premier cas, l'objet du litige ne change pas. Il porte uniquement sur l'exécution du contrat. Dans le second cas, l'objet du litige évolue. Le juge devra d'abord se prononcer sur l'exécution du contrat et, s'il admet la nullité du contrat, il devra ensuite rejeter l'action en exécution et de surcroît prononcer la nullité rétroactive du contrat accompagnée de la restitution des prestations déjà exécutées. D'un objet simple, le litige a évolué vers une pluralité d'objets.

Cette solution a été retenue de façon exemplaire en matière de compensation. Ainsi, dans un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation en 1998 (8), un transporteur demandait à son client le paiement du prix du transport. Le client, de son côté, alléguait que les marchandises livrées étaient en quantité inférieures à celles commandées. Il invoquait alors la compensation de sa dette liée au transport avec sa créance sur le transporteur liée aux marchandises manquantes. Cette compensation avait été analysée par la cour d'appel comme une défense au fond, mais la Cour de cassation affirma clairement que "la prétention de M. X tendant à obtenir la compensation de sa dette avec une créance de dommages-intérêts constituait une demande reconventionnelle". Lorsque le défendeur invoque la compensation, il fait apparaître un nouvel objet dans le litige. Il invite le juge à examiner une autre créance que celle invoquée par le demandeur, puis à envisager la mise en oeuvre du mécanisme de compensation (9).

La solution adoptée par l'Assemblée plénière dans l'arrêt commenté apparaît tout à la fois simple et évidente. Elle n'a pourtant pas recueilli l'adhésion de l'avocat général (10).

En effet, il faut reconnaître que celle solution ne poursuit pas un objectif d'efficacité procédurale. En considérant que l'exception de nullité présentée par l'acquéreur est une demande reconventionnelle, la Cour lui impose le régime rigoureux de l'article 68, alinéa 2, du Code de procédure civile. La demande doit être adressée aux parties défaillantes et aux tiers sous peine d'irrecevabilité. L'objectif est louable du point de vue des droits de la défense (11), mais il impose également à l'acquéreur d'exercer une nouvelle action pour obtenir l'annulation de la cession d'actions, et en conséquence, d'ouvrir une nouvelle procédure. Plus encore, en agissant comme demandeur, l'acquéreur ne soulève plus une exception de nullité, mais il doit agir par voie d'action. Il perd ainsi le bénéfice de la règle selon laquelle l'exception de nullité est perpétuelle (12). Signe de lourdeur, la distinction retenue par l'Assemblée plénière pourrait également s'avérer inéquitable.

Invoquant l'argument de l'efficacité procédurale, l'avocat général avait estimé que la demande de restitution du prix de la cession exercée par le défendeur faisait "corps avec le principal". Il n'y avait donc pas lieu de retenir la qualification de demande reconventionnelle. Poursuivant sont raisonnement, l'avocat général estimait que "la demande de restitution étant indissociable de la nullité constituant le principal". Il proposait de qualifier l'action de l'acquéreur de "défense au fond hybride". En retenant la solution inverse, la Cour de cassation semble imposer au justiciable qui a obtenu gain de cause en soulevant une exception de nullité à titre de défense au fond, d'exercer une nouvelle action en justice pour obtenir l'annulation rétroactive du contrat et la mise en oeuvre des restitutions.

En réalité, l'arrêt ne va pas si loin. Il impose simplement aux plaideurs d'être particulièrement attentifs lorsqu'ils formulent dans leurs défenses des prétentions qui modifient l'objet du litige. Ces prétentions peuvent être qualifiées de demandes reconventionnelles et être soumises à un régime procédural plus strict imposé par le respect des droits de la défense.

En clarifiant le concept de demande reconventionnelle hybride, la Cour de cassation vient de mettre un terme à une situation floue et à une controverse doctrinale. Elle a aussi imposé une plus grande lourdeur procédurale.

2) L'action préventive exceptionnellement admise

  • Même en dehors de tout litige, un débiteur a intérêt à faire reconnaître en justice la prescription de sa dette (Cass. civ. 1, 9 juin 2011, n° 10-10.348, F-P+B+I N° Lexbase : A4267HT9)

L'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 juin 2011 mérite d'être signalé, car il statue sur une question rarement abordée en jurisprudence, et qui est pourtant essentielle : celle du caractère "né et actuel" de l'intérêt pour agir. L'intérêt pour agir doit être né et actuel. Ce principe conduit généralement à exclure les actions dites "préventives" ou "déclaratoires", qui sont exercées alors même qu'aucun litige n'est apparu entre les parties (13). Par exemple, la Cour de cassation a pu décider qu'en dehors de tout litige né et actuel, un syndicat était irrecevable à faire juger que les conditions d'applications d'un texte sur la clause de conscience des journalistes se trouvaient remplies au profit de tous les journalistes du groupe (14). Dans le même esprit, elle a pu affirmer que des bailleurs n'avaient pas d'intérêt né et actuel à agir pour faire déclarer le congé valable avant la date d'effet de ce congé (15).

Des exceptions jurisprudentielles diverses montrent que le principe de l'intérêt né et actuel est appliqué avec une certaine souplesse par la Cour de cassation. Dans l'espèce étudiée, des époux avaient contracté plusieurs prêts garantis par des hypothèques. Au décès du mari, l'épouse assigna la banque pour voir constater la prescription des créances issues des prêts. Cette action pour la reconnaissance d'une prescription pouvait paraître irrecevable à plus d'un titre. D'une part, aucun litige n'existait entre la banque et l'épouse. Il était donc douteux que cette dernière puisse invoquer un intérêt né et actuel pour agir en justice. D'autre part, la prescription est classée par le Code de procédure civile dans la catégorie des fins de non-recevoir, c'est-à-dire des défenses sur la procédure (C. pr. civ., art. 122 N° Lexbase : L1414H47). Or, l'épouse débitrice agissait comme demandeur au procès. Sauf à inverser la logique du système procédural, il semblait difficile qu'un plaideur puisse transformer une action en défense en demande en justice.

La Cour de cassation confirme pourtant la recevabilité de l'action constatée par la cour d'appel. Elle estime que "même en dehors de tout litige, Mme X avait intérêt à faire constater la prescription de la créance de la banque afin de lui permettre de connaître la consistance exacte du patrimoine dont elle avait hérité et l'étendue des droits dont elle pouvait disposer compte tenu des hypothèques garantissant cette créance".

Cet arrêt, publié sur le site de la Cour de cassation, ne peut passer inaperçu, car il admet l'action en justice, "même en dehors de tout litige". Il peut donc y avoir procédure contentieuse sans litige. A l'évidence, la formule choque et semble reposer sur une interprétation très large de l'intérêt pour agir. La débitrice n'avait certes pas un intérêt actuel à invoquer la prescription de la créance, puisqu'elle n'était pas encore poursuivie par son créancier. En revanche, elle possédait un droit de "connaître la consistance du patrimoine dont elle avait hérité". C'est ce droit qui faisait naître un intérêt actuel.

Si la solution devait être généralisée, on pourrait craindre que tout débiteur puisse agir contre son créancier à tout moment pour voir constater en justice l'extinction de la dette. Car en définitive, tout débiteur a besoin de connaître son statut patrimonial. Sera-t-il poursuivi en justice ? Devra-t-il, dans le futur, honorer ses engagements et diminuer ainsi son patrimoine ?

Mais le besoin de connaître sa situation économique future doit-il justifier en toute circonstance l'action en justice préventive ? Il nous semble que l'arrêt étudié doit être interprété avec prudence. L'arrêt ne dit rien, mais l'héritière se trouvait peut-être face au choix d'accepter ou de refuser l'héritage. Elle devait alors pouvoir réaliser l'inventaire des biens et des dettes avant de se décider. Elle était donc recevable à demander au juge de clarifier la situation patrimoniale de l'héritage.

Nous penchons pour cette interprétation stricte de la solution adoptée par la première chambre civile. Si ça n'était pas le cas, l'arrêt commenté remettrait en cause une jurisprudence constante sur l'intérêt né et actuel et sur l'existence du litige comme condition de l'action au fond.

3) Conditions de la suspension de la prescription de l'action

  • La suspension de la prescription ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où l'empêchement a pris fin, du temps utile pour agir (Cass. civ. 1, 23 juin 2011, n° 10-18.530, F-P+B+I N° Lexbase : A2995HUH)

Alors que la réforme de la prescription civile a été adoptée depuis plusieurs années (16), les arrêts sur le régime général de la prescription ne sont pas courants. L'arrêt rendu le 23 juin 2011 par la première chambre civile retient l'attention tout en laissant subsister un doute sur sa portée réelle.

Comme souvent, dans les affaires de prescription, les faits étaient relativement complexes. Dans le cadre d'une procédure d'expulsion d'un preneur à bail commercial, une négligence était reprochée à l'avocat du preneur. Cette négligence avait entraîné la perte d'indemnités d'éviction au détriment du preneur. Ce dernier avait déchargé son conseil de sa mission en 1990 et l'issue défavorable du procès s'était produite en 1994. Ensuite, le preneur avait agi en responsabilité contre son avocat en 2004.

La question se posait de savoir si la prescription commençait à courir en 1990, date de cessation de l'activité de l'avocat ou en 1994, date d'achèvement de la procédure qui avait conduit à la perte de l'indemnité d'éviction.

Saisie de cette question, la cour d'appel avait estimé que "le délai de dix années [qui avait] commencé à courir le 6 avril 1990 a été suspendu jusqu'au 28 novembre 1994". Elle en déduisait que l'action engagée le 25 novembre 2004 n'était pas prescrite. Son raisonnement tenait au fait que l'action en responsabilité contre l'avocat devait se prescrire selon les règles de l'ancien article 2277-1 du Code civil (N° Lexbase : L2565ABM) (17), c'est-à-dire à compter de la fin de la mission de l'avocat. Mais la cour d'appel retenait également la suspension de l'action durant quatre années en raison de l'impossibilité d'exercer l'action. En effet, le preneur ne pouvait agir en responsabilité contre son avocat qu'à partir du moment où il avait perdu son procès. A cette date seulement, naissait le préjudice.

La Cour de cassation ne remet pas en cause l'ensemble du raisonnement, mais elle précise que "la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps utile pour agir avant l'expiration du délai de prescription".

Ainsi, la suspension du délai de prescription ne produit son effet que si une partie a été empêchée d'agir tout au long du délai de prescription. A l'inverse, si l'empêchement a cessé avant la fin de la prescription, le délai n'est pas suspendu. La solution n'est pas nouvelle. La Chambre commerciale l'avait déjà adoptée dans un arrêt de 1994 (18).

Dans la décision commentée, l'empêchement d'agir avait duré jusqu'à l'issue de la procédure, c'est-à-dire en 1994. Mais à cette époque, le délai n'était pas prescrit. Il courait encore pour six années. Le titulaire de l'action disposait bien du temps utile pour agir avant l'expiration du délai de prescription, soit en 2000. En agissant en 2004, l'action était prescrite, non pas du fait d'un empêchement d'agir, mais d'une négligence du demandeur.

La solution mérite l'approbation, mais la Cour de cassation laisse planer le doute sur son application dans le temps. L'arrêt est rendu au visa des articles 2251 (N° Lexbase : L7171IAT) et 2277-1 du Code civil dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I). On pourrait imaginer que la solution soit modifiée par la réforme de la prescription. Pourtant, l'article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM) reprend le principe jurisprudentiel énoncé dans le chapeau de l'arrêt : "la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure". Cette disposition vise non seulement la suspension, mais encore le report du point de départ de la prescription. On imagine aisément que la solution jurisprudentielle adoptée dans l'arrêt commenté est également applicable sous l'empire du droit nouveau.

Ainsi, la suspension de la prescription joue son véritable rôle : permettre à celui qui a été empêché d'agir de conserver son droit d'action sans profiter à celui qui a négligé d'agir.

4) Défaut d'exécution provisoire et radiation du rôle, position de la CEDH

  • Si la radiation du rôle pour défaut d'exécution d'une décision de première instance ne constitue pas une violation du droit au procès équitable, cette sanction doit être proportionnée (CEDH, 31 mars 2011, Req. 34658/07 N° Lexbase : A5685HMI)

Par principe, l'exécution provisoire des décisions de première instance n'est pas systématique, mais lorsqu'elle est ordonnée, elle peut entraîner des conséquences redoutables. L'article 526 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6673H7B) prévoit ainsi que "lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu'il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d'appel, décider [...], la radiation du rôle de l'affaire". Dans son dernier alinéa, cette disposition prévoit qu'une fois que la décision de première instance est exécutée, le juge peut ordonner la réinscription au rôle sauf en cas de péremption d'instance. Le défaut ou le retard d'exécution peut donc entraîner successivement la radiation, puis la péremption d'instance. Les voies de recours sont alors fermées à celui qui souhaite contester la décision sans pouvoir l'exécuter (19).

Cette sanction radicale a été contestée devant le Cour européenne des droits de l'Homme. Dans cette espèce, une personne avait été condamnée en première instance à payer la somme de 625 000 euros à un établissement bancaire dans le cadre d'une liquidation judiciaire. La décision était assortie de l'exécution provisoire. Le débiteur avait interjeté appel et demandé l'arrêt de l'exécution provisoire en produisant devant le premier président des avis d'imposition permettant d'établir que son salaire mensuel était de 2 600 euros. Cette demande fut rejetée au motif que le débiteur était suspecté de fraude fiscale, de dissimulation de ses revenus et de son patrimoine. Le requérant déposa un recours devant la CEDH pour violation du droit au procès équitable et plus précisément du droit d'accès à la cour d'appel.

La Cour européenne tient un raisonnement intéressant. Elle reprend d'abord sa jurisprudence constante selon laquelle "l'article 6 § 1 de la Convention n'oblige pas les Etats contractants à instituer des cours d'appel ou de cassation. Toutefois, si de telles juridictions sont instituées, la procédure qui s'y déroule doit présenter les garanties prévues à l'article 6, notamment en ce qu'il assure aux plaideurs un droit effectif d'accès aux tribunaux" (§ 35). Elle ajoute ensuite que la radiation "a privé le requérant du double degré de juridiction, c'est-à-dire de la possibilité de faire rejuger son affaire tant en fait qu'en droit" (§ 37). Elle conclut enfin que "compte tenu de la gravité de l'atteinte au droit à un tribunal à ce stade de la procédure, la Cour estime que l'Etat disposait en l'espèce d'une marge d'appréciation plus restreinte". La solution est originale puisque la Cour n'impose pas l'instauration d'un double degré de juridiction en matière civile, mais lorsque ce second degré existe, il s'impose comme un élément du droit au juge et de l'article 6 § 1 de la CESDH.

L'autre point intéressant de l'arrêt réside dans la marge d'appréciation de l'Etat. La CEDH a déjà eu l'occasion de juger à plusieurs reprises l'atteinte portée au droit au juge par l'article 1009-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1235H4I) qui prévoit la radiation et la péremption du pourvoi en cassation en cas d'inexécution de la décision d'appel. La CEDH a ainsi décidé que ces sanctions n'étaient pas en elles-mêmes contraires à la Convention, mais qu'une mise en oeuvre disproportionnée pouvait entraîner une violation de l'article 6 § 1 (20).

Dans l'espèce étudiée, la CEDH va se livrer à une appréciation similaire du but de l'atteinte au droit au juge et de la proportionnalité entre l'atteinte et le but. La Cour retient trois buts légitimes pour limiter l'accès à la cour d'appel : la protection des créanciers, la limitation des appels dilatoires et la bonne administration de la justice consécutive au désengorgement des tribunaux. La Cour constate, ensuite, la disproportion entre les revenus du requérant et le montant de la condamnation. En effet, la fraude invoquée par le juge pour refuser l'arrêt de l'exécution provisoire n'était pas démontrée.

Ces considérations permettent aux juges strasbourgeois de conclure que "la décision de radiation du rôle de la cour d'appel a constitué en l'espèce une mesure disproportionnée au regard des buts visés et [...] l'accès effectif du requérant à ce tribunal' s'en est trouvé entravé" (§ 45).

Dans la lignée de la jurisprudence précédente, l'arrêt du 31 mars 2011 apporte deux précisions importantes sur le régime des sanctions de l'inexécution d'une décision de première instance. D'une part, la Cour considère que la radiation du rôle ne constitue pas, en soi, une violation de l'article 6 § 1. D'autre part, elle examine au cas par cas si cette atteinte au droit au juge est proportionnée au but poursuivi. En l'espèce, la modicité des revenus du débiteur au regard de la somme réclamée aurait dû entraîner l'arrêt de l'exécution provisoire. C'est d'ailleurs l'esprit de l'article 526 du Code de procédure civile, qui prévoit des possibilités d'échapper à l'exécution provisoire. Il faut croire que le juge n'avait pas, dans cette espèce, su retrouver l'esprit du Code de procédure civile.

Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Membre de l'Institut universitaire de France


(1) Cass. civ. 2, 13 mars 2008, n° 07-12.597 (N° Lexbase : A4061D7K).
(2) CA Lyon, 20 mai 2009, n° 08/02318 (N° Lexbase : A4948GI4).
(3) La Chambre commerciale avait été saisie, puis avait transmis le dossier à la deuxième chambre civile qui ordonna le renvoi devant l'Assemblée plénière.
(4) Pour un aperçu synthétique de ces controverses, cf. Y.-M. Serinet, La qualification procédurale de la nullité invoquée en défense, JCP éd. G, 2011, 715 ; O. Deshayes, Y.-M. Laithier, L'exception de nullité du contrat est-elle une défense au fond ou une demande reconventionnelle ?, D., 2011, p. 1870.
(5) Cass. civ. 2, 8 mars 2007, n° 05-21.685, F-P+B (N° Lexbase : A5979DUY), Bull. civ. II, n° 60. Cf. également J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 2010, n° 110.
(6) Cf. Rapport de M. Frouin, conseiller rapporteur, à propos de l'arrêt commenté.
(7) Cass. civ. 3, 16 mars 2010, n° 09-13.187, F-P+B (N° Lexbase : A8228ETW).
(8) Cass. com., 26 mai 1998, n° 96-15.750 (N° Lexbase : A2739ACG), Bull. civ. IV, n° 172.
(9) La même solution avait été adoptée par la Chambre mixte à propos de la caution qui formulait une demande en dommages-intérêts contre le créancier pour obtenir la compensation de cette créance avec la dette qu'il garantissait : Cass. mixte, 21 février 2003, n° 99-18.759, P (N° Lexbase : A2029A7B), Bull. n° 3.
(10) Cf. Avis de M. Azibert, Premier avocat général, à propos de l'arrêt commenté.
(11) Cf. Y.-M. Serinet, La qualification procédurale de la nullité invoquée en défense, précit..
(12) Sur la distinction, cf. O. Deshayes, Y.-M. Laithier, L'exception de nullité du contrat est-elle une défense au fond ou une demande reconventionnelle ?, précit. n° 18.
(13) Cf. par ex. sur ces deux catégories d'actions, L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 6ème éd. n° 353 et s..
(14) Cass. soc., 19 juin 1985, n° 84-10.182 (N° Lexbase : A4512AAD), Bull. civ. V, n° 351. En l'espèce, aucun journaliste n'avait mis en oeuvre la clause de conscience.
(15) Cass. civ. 3, 8 février 2006, n° 04-17.512, FS-P+B (N° Lexbase : A8439DMI), Bull. civ. III, n° 23. En l'espèce, les bailleurs avaient délivré un congé. Puis, avant la date d'effet du congé, ils avaient agi pour voir déclarer le congé valable et obtenir l'expulsion du locataire.
(16) Cf. nos obs., Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 (N° Lexbase : N6679BGH).
(17) C. civ., nouv. art. 2225 (N° Lexbase : L7183IAB).
(18) Cass. com. 11 janvier 1994, n° 92-10.241 (N° Lexbase : A6719ABH), Bull. civ. IV, n° 22.
(19) La règle de l'article 526 du Code de procédure civile ne s'applique tout de même pas lorsque "l'exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l'appelant est dans l'impossibilité d'exécuter la décision".
(20) CEDH, 14 novembre 2000, Req. 31819/96 (N° Lexbase : A8255AWN) ; CEDH, 31 juillet 2001, Req. 42195/98 (N° Lexbase : A7099AWT) ; CEDH, 25 septembre 2003, Req. 50343/99 (N° Lexbase : A6919C97) ; CEDH, 18 janvier 2005, Req. 59765/00 (N° Lexbase : A0367DGP) ; CEDH, 3 octobre 2006, Req. 44404/02 (N° Lexbase : A3679DRP), et CEDH, 25 septembre 2003, Req. 45840/99 (N° Lexbase : A6915C9Y).

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Procédures fiscales

[Jurisprudence] Qu'est-ce qu'une comptabilité tenue au moyen d'un système informatisé emportant un traitement automatisé de l'information au sens des dispositions combinées des articles L. 13, alinéa 2, et L. 47 A du LPF ?

Réf. : CE 10° et 9° s-s-r., 24 août 2011, n° 318144, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3491HXL)

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N7841BS9

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

Le 27 Septembre 2011

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 24 août 2011, vient préciser la qualification juridique qu'il convient de donner à l'ensemble constitué par un logiciel de caisse et une comptabilité effectuée au moyen d'une autre application informatique, alors même qu'aucun logiciel ne réalise l'interface entre ces deux applications informatiques : même en l'absence d'interface, le vérificateur réalise un traitement informatique sur les données des logiciels qu'il exploite au sens des dispositions de l'article L. 47 A du LPF (N° Lexbase : L5479H9S).
L'arrêt commenté apporte d'utiles précisions sur ce qu'est un système informatisé de comptabilité, tout en précisant la notion de traitement informatique des données. Le Conseil d'Etat juge, en effet, que le constat de discordances résultant de la consultation de données exploitées au moyen des fonctionnalités des logiciels entre, d'une part, un progiciel de caisse et, d'autre part, la comptabilité d'une société tenue au moyen d'une autre application informatique, alors même qu'il n'existe pas entre les deux d'interfaces informatiques, constitue un traitement informatisé des données au sens des dispositions de l'article L. 47 A du LPF. Les faits dans cette affaire sont les suivants : la société requérante, qui exerce une activité de bar-restaurant, ainsi que, depuis le 1er janvier 2002, d'hôtel, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, sur les exercices clos en 2000, 2001 et 2002. A l'issue de cette vérification, l'administration a écarté comme non probante la comptabilité de la société, reconstitué son chiffre d'affaires et ses résultats d'exploitation et établi des compléments d'impôt sur les sociétés et de contributions sur cet impôt, assortis des pénalités correspondantes. Des rappels de TVA ont également été mis à la charge de la société pour la période de janvier 2000 à décembre 2002. Par un jugement du 12 février 2007, le tribunal administratif d'Orléans avait rejeté la demande de la société requérante tendant à la décharge de ces impositions. Dans un arrêt du 23 avril 2008, la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 23 avril 2008, n° 07NT00866, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4263EHD), après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions relatives aux rappels de TVA, en raison du dégrèvement obtenu en cours d'instance, avait confirmé le jugement sur les autres impositions. La société requérante s'était alors pourvue en cassation contre cet arrêt, en tant qu'il rejetait ses conclusions relatives aux suppléments d'impôt sur les sociétés et de contributions sur cet impôt.

I - L'ensemble constitué d'un progiciel de comptabilité rapportant les recettes journalières et d'un logiciel informatique de caisse non reliés par une interface ne fait pas obstacle à ce que la comptabilité soit regardée comme étant tenu au moyen d'un système informatisé

Aux termes de l'article L. 13 du LPF (N° Lexbase : L6794HWK) : "lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux".

A - Même en l'absence d'interface entre les logiciels d'application informatique permettant d'enregistrer les recettes et de les comptabiliser, le vérificateur est en présence d'une comptabilité informatique

Une comptabilité est parfois, et de plus en plus souvent, tenue au moyen de systèmes informatisés. En pareil cas, afin que le défaut de support papier exploitable n'empêche pas l'administration d'oeuvrer, l'article L. 13 du LPF prévoit que le contrôle peut porter sur l'ensemble des informations, données et traitements qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le CGI, ainsi que sur la documentation informatique.

Dans cette affaire, le vérificateur avait demandé que lui soient communiqués les justificatifs journaliers de recettes et la liste détaillée des produits figurant dans les inventaires de l'entreprise. En réponse, la société requérante avait mis à la disposition de l'administration les copies de quatre fichiers informatiques : le montant journalier des recettes générées par les ventes à emporter pour les exercices 2000 à 2002, le montant journalier des recettes générées par l'activité de bar-brasserie pour les mêmes exercices, le cahier d'inventaire comportant l'état des stocks à fin 2000, 2001 et 2002, et les relevés des notes émises à destination de deux clients. La société avait également informé le service qu'elle disposait d'une caisse informatisée affectée à l'activité restaurant et avait remis au service une copie des fichiers informatiques de cette application.

Le vérificateur avait alors consulté et analysé, au moyen des fonctionnalités des applications, les données contenues dans les fichiers des logiciels au moyen desquels la société tenait sa comptabilité.

B - L'utilisation de logiciels pour mettre en évidence des discordances dans la comptabilité révèle un traitement sur une comptabilité informatisée au sens des dispositions de l'article L. 47 A du LPF

Le point le plus délicat à trancher était celui de savoir si, en l'espèce, le vérificateur avait procédé à un traitement informatisé de l'information. Les garanties prévues par les dispositions de l'article L. 47 A du LPF ne sont, en effet, mises en oeuvre que lorsque l'on est présence de traitements informatiques au sens du LPF. L'article L. 47 A du LPF précise que les opérations de vérification de comptabilité informatisée peuvent être effectuées, au choix du contribuable, soit sur le matériel de l'entreprise, par les agents des impôts ou par le contribuable lui-même suivant les indications de ceux-ci, soit au moyen de copies fournies par l'entreprise sur un support informatique répondant à certaines normes prévues par l'article A. 47 A-1 du LPF (N° Lexbase : L7561IPQ).

En l'espèce, l'administration avait indiqué dans la notification de redressements avoir "exercé son contrôle sur ces données et traitements informatiques, dans la mesure où ils concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables et fiscaux" ; elle avait cité les dispositions de l'article L. 13 du LPF. Mais elle avait estimé ne pas avoir effectué de traitements informatiques de données. La société dénonçait trois violations des garanties de procédure, elle soutenait ne pas avoir été préalablement informée des options procédurales prévue par la loi, elle affirmait ne pas avoir été informée par écrit (au stade de la notification de redressements) du choix de la procédure retenue par le contribuable et prétendait que les copies de fichiers remis au vérificateur ne lui avaient été restituées qu'après la mise en recouvrement.

II - En présence d'un traitement informatisé de l'information le contribuable bénéficie des garanties de procédure prévues par les dispositions des articles L. 13 et L. 47 A du LPF relatives aux sociétés tenant une comptabilité informatisée

En consultant et analysant à l'aide des fonctionnalités informatiques des applications les données contenues dans les fichiers des logiciels au moyen desquels la société tenait sa comptabilité, le vérificateur a procédé à des traitements sur une comptabilité informatisée.

A - La notion de traitement automatisé de l'information précisée

La notion de traitement informatique n'est pas définie par la loi, et pas plus d'ailleurs par la jurisprudence. Toutefois, le tribunal administratif de Strasbourg a regardé les informations enregistrées sur un CD-ROM concernant les appels téléphoniques passés par une société vérifiée pour le compte d'une autre société et servant à établir les factures adressées à cette dernière comme constituant des données brutes et non un ensemble d'informations décrivant le mode de fonctionnement du système informatique de la société vérifiée. Le tribunal en a déduit que ce CD-ROM ne constituait pas un traitement informatique d'informations concourant directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux de la société vérifiée au sens de l'article L. 13 du LPF (TA Strasbourg, 2 juin 2005, n° 020264).

En l'espèce, pour qualifier les opérations effectuées de traitement automatisé de l'information, le Conseil d'Etat retient que le vérificateur consulte et analyse les données comptables à partir des logiciels au moyen desquels la société tient sa comptabilité et s'appuie pour ce faire sur les seules fonctionnalités de ces mêmes logiciels. Surtout, en l'espèce, il n'était pas contesté que les données contrôlées concourraient directement ou indirectement à la formation des résultats comptables et fiscaux. Lorsque le vérificateur procède à la lecture et à l'édition des fichiers contenus dans les disquettes qui lui ont été remises et utilise un progiciel de caisse pour éditer des états dénommés "édition financière" et "édition des ventes", qui lui ont permis de constater des discordances entre les recettes constatées sur ces états et celles comptabilisées par la société, le Conseil d'Etat juge que l'on est en présence de "traitements informatiques" au sens de l'article L. 47 A précité du LPF.

En présence de traitement de données d'une comptabilité informatisée, le contribuable bénéficie de garanties renforcées. En l'espèce, la société avait remis au vérificateur des fichiers contenant des informations qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux au sens de l'article L. 13 du LPF.

B - En présence d'un traitement de données sur une comptabilité informatisée le contribuable bénéficie de garanties de procédures renforcées

Les dispositions de l'article L. 47 A du LPF prévoient que le vérificateur ne peut procéder à des traitements sur la comptabilité informatisée du contribuable sans l'avoir informé préalablement des différentes options offertes quant aux modalités de traitement informatique prévues par cet article (CE 3° et 8° s-s-r., 16 juin 2003, n° 236503, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8682C83).

Ces informations sont les suivantes : si le contribuable demande à effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification, le vérificateur lui précise par écrit les travaux à réaliser, ainsi que le délai accordé pour les effectuer ; mais le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise, et met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle, les copies étant produites sur un support informatique fourni par l'entreprise répondant à des normes fixées par arrêté. Le texte prévoit aussi que le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui ou sous le contrôle desquels les opérations sont réalisées, et interdit à l'administration de reproduire des copies des documents qui lui ont été transmis.

L'administration n'a toutefois l'obligation de respecter cette garantie que si elle procède à des traitements sur la comptabilité informatisée du contribuable. Selon la décision précitée, le moment auquel le vérificateur est tenu d'informer le contribuable des différentes options offertes quant aux modalités de traitement informatique est, au plus tard, celui où il décide de procéder au traitement informatique de la comptabilité informatisée. Tel est le cas dans cette affaire, et le vérificateur ne pouvait procéder au contrôle sans informer préalablement la société des différentes options offertes par les dispositions de l'article L. 47 A du LPF et sans lui indiquer, dans la notion de redressements, conformément aux dispositions de l'article L. 57 du même livre (N° Lexbase : L0638IH4), la nature des traitements effectués.

En effet, l'alinéa 2 de l'article L. 57 du LPF impose à l'administration, lorsqu'elle a effectué les traitements informatiques prévus à l'article L.47 A du même livre, de préciser dans la notification de redressement la nature de ces traitements. Ces dispositions s'appliquent pour les redressements qui trouvent leur origine dans ces investigations (CAA Lyon, 2ème ch., 29 septembre 2005, n° 99LY02537, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1350DLL, confirmé par CE, 7 mars 2007, n° 287580, inédit au recueil Lebon, ou encore CAA Nantes, 1ère ch., 19 juin 2006, n° 03NT00539, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3710DRT).

Enfin, l'article L. 47 A du LPF impose au vérificateur de restituer les supports informatiques au contribuable avant la mise en recouvrement. Selon la jurisprudence, cette règle n'est pas applicable lorsque le contribuable n'a pas remis au vérificateur la copie des traitements informatiques demandés par celui-ci (CE 16 juin 2003, précité).

newsid:427841

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Evaluation des salariés : critères comportementaux et politique de quotas

Réf. : CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 1er septembre 2011, n° 10/00567 (N° Lexbase : A7451HXA) et CA Toulouse, 4ème ch., sect. 1, 21 septembre 2011, n° 11/00604 (N° Lexbase : A9463HXR)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 29 Septembre 2011

La faculté de procéder à l'évaluation des aptitudes professionnelles des salariés est un droit que l'employeur tient tant du Code du travail que de la jurisprudence, laquelle en fait l'un des attributs du pouvoir de direction. Cela peut sans aucun doute se comprendre compte tenu des évolutions des sphères économiques qu'ont connu les entreprises depuis un demi siècle, la mise en concurrence perpétuelle exigeant que les salariés soient aussi performants que possible et, dans tous les cas, de pouvoir apprécier cette performance. Pour autant, les évaluations, surtout lorsqu'elles sont répétitives et trop fréquentes, peuvent créer un climat de défiance dans l'entreprise et aller, dans les pires situations, jusqu'à porter atteinte au bien être des salariés (1). Dans ces conditions, il fallait encadrer les procédures d'évaluation afin que tout ne soit pas permis et, en particulier, que l'évaluation repose autant que possible sur des critères objectifs. C'est sur cette question que reviennent deux arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles le 1er septembre 2011 et par la cour d'appel de Toulouse le 21 septembre 2011. Rappelant les exigences d'objectivité de l'évaluation des salariés, exigences qui excluent en principe la prise en compte de critères comportementaux (I), ces arrêts adoptent pourtant une position plus ambiguë à l'égard des quotas d'évaluation parfois insidieusement mis en place dans les entreprises (II).
CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 1er septembre 2011, n° 10/00567

Dès lors qu'il n'existe aucune directive impérative pour l'attribution chaque année d'un quotas de note I et qu'il n'est pas fait application au sein de la société X du ranking par quotas, le système d'évaluation litigieux ne peut être considéré comme illicite au motif qu'il reposerait sur le ranking par quotas susceptible d'affecter la santé et la sécurité des salariés.

CA Toulouse, 4ème ch., sect. 1, 21 septembre 2011, n° 11/00604

Il apparaît que certains comportements issus des valeurs de l'entreprise et notamment le premier ("agir avec courage"), dont la connotation morale rejaillit sur la sphère personnelle, sont trop imprécis pour établir une relation directe suffisante avec une activité professionnelle identifiable, nécessitent une appréciation trop subjective de la part de l'évaluateur et sont parfois éloignés de leur finalité consistant à mesurer les aptitudes professionnelles des salariés. Par conséquent, ces comportements ne peuvent pas constituer des critères pertinents de l'évaluation au sens de l'article L. 1222-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0811H9W) si bien que la procédure d'évaluation doit être suspendue.

Commentaire

I - Les exigences d'objectivité de l'évaluation

  • Les rémunérations variables

Qu'il s'agisse du salaire de base ou de primes s'y adjoignant, il est toujours possible que la rémunération soit en tout ou partie variable, c'est-à-dire calculée en fonction de la réalisation ou de la non réalisation d'objectifs spécifiques par le salarié. Ainsi, par exemple, la rémunération peut être calculée en fonction d'un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par le salarié (2). Ce système est parfois utilisé dans les métiers du commerce, voire de la restauration.

Dans ce domaine, l'essentiel tient à la transparence du système : le salarié doit être en mesure de comprendre les éléments servant de base au calcul de son salaire (3) et l'employeur supporte la charge de la preuve des éléments nécessaires au calcul de la rémunération (4). Bien entendu, s'il s'agit de calculer le salaire de base du salarié, la rémunération servie ne doit en aucun cas être inférieure au SMIC (5).

Lorsque le salarié est au contact de la clientèle, c'est souvent le chiffre d'affaires réalisé qui sert de variable d'ajustement de la rémunération. Pour autant, ce type de rémunérations variables n'est pas réservé aux commerciaux et peuvent s'appliquer à d'autres types de personnels, en particulier aux cadres. Dans ce cas de figure, la rémunération est liée aux résultats des évaluations auxquelles les salariés sont soumis.

  • Les règles entourant les processus d'évaluation des salariés

La faculté d'évaluer les salariés relève, aux yeux de la Cour de cassation, du pouvoir de direction de l'employeur dont il semble être un attribut naturel (6). Le lien de subordination ne se caractérise-t-il pas par le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements (7) ?

Pour autant, les récentes affaires de harcèlement moral liées aux méthodes de management dans l'entreprise ont permis de prendre conscience des conséquences que pouvaient avoir des évaluations trop fréquentes ou trop poussées sur la santé des salariés (8). A ces questions d'actualité, des réponses existent depuis longtemps, en particulier depuis la loi du 31 décembre 1992 (9) qui est à l'origine du texte des articles L. 1222-2 (N° Lexbase : L0809H9T) et L. 1222-3 (N° Lexbase : L0811H9W) actuels du Code du travail.

Aux termes du premier de ces textes, "les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d'apprécier ses aptitudes professionnelles". En outre, "ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l'évaluation de ses aptitudes". En somme, l'évaluation du salarié doit porter sur des critères objectifs, en lien direct avec les aptitudes professionnelles du salarié et qui soient nécessaires -et non seulement utiles- à l'évaluation des salariés. Il a, par exemple, été jugé que des critères d'évaluation trop subjectifs ne pouvaient être valablement retenus (10).

Aux termes du second de ces textes, le salarié doit être "expressément informé, préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en oeuvre à son égard. [...]. Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie". C'est donc ici un principe de transparence à l'égard des salariés qui est affirmé. A cette obligation d'information individuelle s'ajoute, d'ailleurs, une obligation d'information collective à destination du CHSCT (11). A ce principe de transparence, le législateur adjoint l'exigence, quasi redondante, que les techniques soient justifiées par la finalité recherchée par l'employeur (12). Il va de soi, par conséquent, que la prise en compte de motifs discriminatoires ne saurait être acceptée (13).

Malgré la clarté de ces textes, certains procédés d'évaluation mis en oeuvre dans de grandes sociétés sont à la frontière de la licéité, soit qu'ils introduisent des critères d'évaluation trop subjectifs, soit qu'ils fassent appel à des quotas d'évaluation.

  • Première espèce

Dans une première affaire, jugée par la cour d'appel de Versailles, était en cause le système d'évaluation des salariés de la société X. Dans cette société, la rémunération des salariés repose pour partie sur une évaluation des performances individuelles des salariés. Après avoir appliqué la méthode du ranking (14) jusqu'à 2002, la société a utilisé celle du rating (15) à compter de cette date. Les salariés étaient ainsi classés dans cinq groupes correspondant à cinq lettres, soit I, P-, P, P+, K du plus faible au plus performant.

Un courrier électronique adressé par le responsable du secteur activité technology aux principaux responsables de services mit le feu aux poudres. En effet, la directive adressée aux responsables exigeait d'eux qu'ils s'imposent un minimum de 5 % de salariés classés "I" et un maximum de 20 % de salariés classés "K". Le comité d'entreprise de la société X ainsi que plusieurs syndicats ayant pris connaissance de cette directive intentèrent une action devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour faire juger qu'un tel système, fondé sur des quotas et non sur des critères objectifs, était illicite et susceptible de nuire à la santé et à la sécurité des salariés.

Le tribunal de grande instance de Nanterre ne fit que très partiellement droit à leur demande, jugeant que la société s'était rendue coupable d'une entrave au bon fonctionnement du comité d'entreprise qui, selon toute vraisemblance, n'avait pas été convenablement informé des règles d'évaluation, mais rejeta les demandes pour le reste et, en particulier, sur le caractère objectif de l'évaluation.

Les syndicats et le comité d'entreprise interjetèrent appel, toujours afin d'obtenir que le mode d'évaluation soit jugé illicite et que les évaluations pour l'année 2008 soient retirées. La cour d'appel de Versailles, par un arrêt rendu le 1er septembre 2011, infirme la décision des juges nanterrois mais, ce faisant, réfute les arguments des syndicats et du comité d'entreprise puisque la cour revient sur la condamnation pour délit d'entrave et confirme le jugement pour le surplus.

Après avoir rappelé les règles tirées des articles L. 1222-2 et L. 1222-3 du Code du travail relatives au caractère objectif et transparent des évaluations professionnelles, la cour relève que "l'employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d'évaluer le travail de ses salariés à partir de critères objectifs et transparents, sous réserve de ne pas mettre en oeuvre un dispositif d'évaluation qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés" (16).

Analysant le courriel envoyé par le responsable du secteur activité technology, la cour concède qu'il s'agit bien d'un système d'évaluation par quotas, système d'évaluation illicite, faute d'objectivité et de transparence. La cour relève, cependant, que la direction de la société nie avoir donné de telles consignes dans l'entreprise, que les courriers de nombreux autres cadres démontrent que de telles directives n'étaient pas suivies dans la société et, surtout, que divers constats d'huissier et analyses statistiques démontraient que, sur les dernières années analysées, jamais de tels quotas de 5 % de "I" au minimum, de 20 % de "K" au maximum, n'avaient été respectés.

La cour conclut qu'"en conséquence, il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'il n'existe aucune directive impérative pour l'attribution chaque année d'un quotas de note I et qu'il n'est pas fait application au sein de la société X du ranking par quotas. Les évaluateurs sont invités à respecter les consignes d'évaluation et doivent se référer à des propositions de répartition des salariés entre les différents groupes mais ne sont pas contraints de respecter strictement les pourcentages pour chaque groupe" et que, "dès lors, le système d'évaluation litigieux ne peut être considéré comme illicite au motif qu'il reposerait sur le ranking par quotas susceptible d'affecter la santé et la sécurité des salariés dont ni ceux-ci ni les représentants du personnel n'auraient été informés".

  • Seconde espèce

Dans cette seconde affaire, jugée par la cour d'appel de Toulouse, étaient concernés les cadres de la société A. qui perçoivent, chaque année, une prime individualisée dont le montant est fixe pour une partie (7 % de la masse salariale des cadres répartie entre les cadres) et variable pour une autre partie. La partie variable est calculée en fonction d'éléments d'appréciation et d'évaluation sur la performance de chaque intéressé selon une procédure établie par accord collectif d'entreprise et qui intègre des critères dits "comportementaux". Ainsi, aux termes d'un document interne intitulé "TheAirbusway", ces critères comportementaux sont le fait d'agir avec courage, de promouvoir l'innovation et livrer des produits fiables, de générer de la valeur pour le client, de favoriser le travail d'équipe et l'intégration au niveau mondial, de faire face à la réalité et être transparent et de développer mes talents et ceux des autres.

La procédure d'évaluation a, en outre, fait l'objet de plusieurs notes internes à l'entreprise qui semblent instituer des quotas auxquels les évaluateurs doivent parvenir. Ainsi, pour l'année 2009, les managers devaient porter à 20 % le nombre de cadres Top et High Performance, limiter à 70 % le nombre de cadres dans la moyenne et porter à 10 % le nombre de cadres "Low Performance".

Face à ces modes d'évaluation jugés peu objectifs et illicites en raison de l'institution de quotas, le syndicat CGT intenta une action devant le tribunal de grande instance de Toulouse afin de faire juger la procédure illicite, faire retirer les évaluations pour l'année 2009 et condamner la société pour défaut de communication au comité central d'entreprise et au CHSCT des procédures détaillées d'évaluation. Le tribunal de grande instance n'eut pas l'occasion de se prononcer sur le fond du litige, jugeant que l'action du syndicat était irrecevable faute de capacité à agir.

Par un arrêt rendu le 21 septembre 2011, la cour d'appel de Toulouse juge, pour sa part, l'action recevable pour des motifs sur lesquels il n'est pas utile de s'étendre ici. Les juges d'appel analysent dès lors la procédure d'évaluation et relèvent, d'abord, que comme le soutenait le syndicat, les institutions représentatives du personnel n'ont pas été convenablement informées et consultées s'agissant d'un système d'évaluation qui, potentiellement, pouvait "générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail".

Au-delà de ce constat, la cour d'appel considère que les critères comportementaux imposent aux évaluateurs de s'assurer que les moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs fixés au salariés "sont conformes aux valeurs de la société déclinées dans le document intitulé TheAirbusWay". Elle ajoute que l'évaluation du comportement constitue une part importante de l'évaluation globale comme en atteste le document intitulé "management guidelines".

La cour poursuit en jugeant que "si pour apprécier les aptitudes professionnelles d'un cadre dont l'activité n'est pas toujours quantifiable (animation de projet, direction d'équipes,etc...) des critères reposant le comportement ne sont pas a priori illicites encore faut-il qu'ils soient exclusivement professionnels et suffisamment précis pour permettre au salarié de l'intégrer dans une activité concrète et à l'évaluateur de l'apprécier avec la plus grande objectivité possible". Cependant, il apparaît que certains des critères d'évaluation du comportement "et notamment le premier ('agir avec courage') dont la connotation morale rejaillit sur la sphère personnelle, sont trop imprécis pour établir une relation directe suffisante avec une activité professionnelle identifiable, nécessitent une appréciation trop subjective de la part de l'évaluateur et sont parfois éloignés de leur finalité consistant à mesurer les aptitudes professionnelles des salariés".

Sur ce point, la cour conclut donc que "ces comportements ne peuvent donc pas constituer des critères pertinents de l'évaluation au sens de l'article L.1222-3 du Code du travail et qu'en conséquence la procédure d'évaluation doit être suspendue".

S'agissant, en revanche, du grief formé par le syndicat aux termes duquel la société imposerait à ses évaluateurs des quotas, la cour relève qu'il n'a pas été demandé aux évaluateurs de respecter ces quotas, qui d'ailleurs ne l'ont jamais été, mais que ces quotas ont été établis à titre de recommandation, que "des quotas n'ont pas été fixés mais, pour aider le management, des orientations de différenciation ont été définies, permettant d'optimiser la répartition des niveaux de performance au sein de leur secteur...". Il ne saurait ainsi être fait grief aux procédures d'évaluation d'être illicites en raison de l'existence de quotas.

II - Les politiques de quotas à la frontière de l'objectivité

  • Le rejet logique des évaluations subjectives

Nous l'avons vu, l'évaluation des salariés doit impérativement reposer sur des critères objectifs et pertinents. L'introduction parmi les critères d'évaluation d'un critère dit "comportemental" peut certainement se comprendre. La motivation, l'attitude conquérante et la ténacité d'un cadre sont, bien entendu, essentielles. Pour autant, tout indispensable que ces qualités puissent paraître, elles ne peuvent entrer en ligne de compte dans une évaluation, essentiellement parce que leur appréciation ne peut s'appuyer sur un jugement objectif mais relève, naturellement, d'un jugement de valeur.

Ainsi, l'indice de "TheAirbusWay", "agir avec courage", doit être remis en cause pour au moins deux raisons. D'abord, et c'est là paradoxalement une critique sur le plan objectif, il est bien difficile de déterminer ce qu'est le "courage" attendu d'un salarié, fût-il un cadre. Cette imprécision suffirait, à elle seule, à invalider le critère. Surtout, sur le plan subjectif, l'appréciation du courage de tel ou tel cadre dépendra naturellement de la conception que l'évaluateur se fait de cette valeur.

Il faut encore relever que la cour d'appel de Toulouse ne repousse pas, par principe, toute évaluation de caractères comportementaux des salariés. Cette position mesurée est d'ailleurs justifiée par la rédaction de l'article L. 1222-2 du Code du travail qui permet l'évaluation des "aptitudes" professionnelles, ce qui est plus vaste que l'appréciation des seuls résultats du travail du salarié et peut donc intégrer des aspects plus personnels. L'important reste cependant que l'appréciation de ces caractères personnels ne soit pas trop subjective ce qui, convenons-en, relèvera tout de même de la gageure.

La position des juges d'appel est plus ambiguë s'agissant de la mise en place de quotas d'évaluation.

  • La position ambiguë à l'égard des évaluations par quotas

Dans l'une comme dans l'autre des affaires commentées, et cela quoiqu'en disent les responsables des sociétés en cause, des quotas d'évaluation avaient été institués. Les catégories de salariés "mal notés" ne devaient pas comporter un pourcentage trop faible, les catégories de salariés "bien notés" ne pas comporter un pourcentage trop élevé.

Les sociétés, comme les cours d'appel, justifient l'utilisation de ces quotas par deux arguments. D'abord, les quotas n'ont pas été imposés par la direction aux évaluateurs. Il ne s'agissait que de recommandations destinées à leur donner une idée des spectres d'évaluation dans l'entreprise. Ensuite, et surtout, les prétendus quotas n'ont jamais été respectés, dans aucune des deux sociétés, ce qui n'est d'ailleurs guère contestable à la lecture des décisions.

Si le second argument est difficilement réfutable, le premier laisse en revanche dubitatif. Les "recommandations" de l'employeur devraient donc aujourd'hui être différenciées de ses "directives" ? On perçoit certainement la nuance : l'évaluateur qui ne respecte pas la recommandation ne se place pas ipso facto en situation d'insubordination. Pour autant, à la longue, année après année, l'évaluateur qui ne respecte pas les simples "recommandations" de la direction ne s'expose-t-il pas à être sanctionné ? La distinction opérée par les juges d'appel n'a guère de sens si bien qu'il aurait été préférable qu'ils se contentent de constater que jamais des prétendues directives ou recommandations n'avaient été respectées, ce qui démontrait davantage de leur simple caractère supplétif ou informatif...


(1) Pour un tour d'horizon des avantages et des inconvénients de l'évaluation, v. Ph. Waquet, L'évaluation des salariés, SSL, 10 juin 2003, n° 1126, p. 7 ; S. Vernac, L'évaluation des salariés en droit du travail, D., 2005, chr., p. 924. Adde. C. Dejours, L'évaluation du travail à l'épreuve du réel. Critique des fondements de l'évaluation, INRA édition, 2003.
(2) Proche de ce système, le versement de "droits voisins" à l'artiste-interprète ne sont cependant pas considérées comme des rémunérations par la Chambre sociale de la Cour de cassation, v. Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-45.681, FS-P+B (N° Lexbase : A5766EIE) et nos obs., Salaires, rémunérations et droits voisins : l'articulation complexe des rétributions de l'artiste-interprète, Lexbase Hebdo n° 363 du 17 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9151BLI).
(3) Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.910, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2113D97) et nos obs., La rémunération, toujours et encore plus contractuelle !, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4903BGP) ; D., 2008, AJ, 2209, obs. H. Kobina Gaba ; Dr. ouvr., 2008, p. 533, obs. F. Deby.
(4) Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-41.383, F-P+B (N° Lexbase : A4995EAA), JCP éd. S, 2009, 1090, obs. J.- Ph. Tricoit.
(5) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 03-44.301, FS-P+B (N° Lexbase : A4239DIT).
(6) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-42.368, F-D (N° Lexbase : A1175AZK) et les obs. de D. Baugard, L'employeur a le droit d'évaluer le travail des salariés, Lexbase Hebdo n° 34 du 1er août 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N3647AAC) ; SSL, 2 décembre 2002, p. 18.
(7) Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, publié (N° Lexbase : A9731ABZ), Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème édition, 2008, pp. 4 et s..
(8) Pour un premier bilan sur le harcèlement managérial, v. Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL) et les obs. de Ch. Radé, Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG).
(9) Loi n° 92-1446 du 31 décembre1992, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage (N° Lexbase : L0944AIS).
(10) TGI Nanterre, 5 septembre 2008, n° 08/05737 (N° Lexbase : A4824EAW) et les obs. de G. Auzero, Evaluation des salariés : jusqu'où peut-on aller ?, Lexbase Hebdo n° 323 du 23 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4818BHW).
(11) C. trav., art. L. 2323-32 (N° Lexbase : L2810H9X). Le défaut de consultation constitue un trouble manifestement illicite qui justifie la suspension du dispositif, v. Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-45.741, F-D (N° Lexbase : A8779D7B).
(12) Ce qu'elles sont à n'en point douter si elles sont "nécessaires", comme l'exige l'article L. 1222-2 du Code du travail.
(13) Cass. soc., 17 octobre 2006, n° 05-40.393, F-P+B (N° Lexbase : A9701DRQ) ; Cass. soc., 23 mars 2011, n° 09-72.733, F-D (N° Lexbase : A7690HIN).
(14) Système par lequel la performance individuelle de chaque salarié est appréciée par comparaison avec celle des autres salariés exerçant une fonction comparable avec classement dans des groupes. Le ranking a été jugé comme constituant un procédé licite, v. CA Grenoble, 13 novembre 2002, RJS, 2002, n° 307.
(15) Système par lequel l'évaluation de la performance s'opère sans classement de celle-ci au regard de celle réalisée par les autres salariés.
(16) Cf. supra, note n° 6.

Décision

CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 1er septembre 2011, n° 10/00567 (N° Lexbase : A7451HXA)

Infirmation, TGI Nanterre, 27 novembre 2009

Textes concernés : C. trav., art. L. 1222-2 (N° Lexbase : L0809H9T), art. L. 1222-3 (N° Lexbase : L0811H9W), art. L. 2242-15 (N° Lexbase : L2393H9I), L. 6321-1 (N° Lexbase : L9649IE4)

Mots-clés : rémunération, évaluation des salariés, quotas d'évaluation

Liens base : (N° Lexbase : E5824ETU)

CA Toulouse, 4ème ch., sect. 1, 21 septembre 2011, n° 11/00604 (N° Lexbase : A9463HXR)

Infirmation, TGI Toulouse, 3 février 2011

Textes concernés : C. trav., art. L. 1222-2 (N° Lexbase : L0809H9T), art. L.1222-3 (N° Lexbase : L0811H9W), art. L. 2132-3 (N° Lexbase : L2122H9H), art. L. 2323-32 (N° Lexbase : L2810H9X), art. L. 4612-8 (N° Lexbase : L1754H9T)

Mots-clés : primes, évaluation des salariés, quotas d'évaluation, critères comportementaux

Liens base : (N° Lexbase : E5824ETU)

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