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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 30 Mars 2018
Nous l'avons dit, écrit et répété ces dernières semaines : nous courons vers une Justice digitale, une Justice de professionnels, une Justice "sans peine". Nous courons, à la fois, parce que nous accélérons des dynamiques mises en place depuis plus dix ans, maintenant ; nous courons aussi parce que l'heure à l'économie budgétaire et à l'optimisation judiciaire qui est impérative.
Malgré les réformes passées, la Justice est toujours perçue comme lointaine, du point de vue institutionnel, en dépit d'un maillage juridictionnel important ; la justice est toujours perçue comme trop longue en dépit des efforts de numérisation, de digitalisation, de médiation et de simplification orchestrés ces dernières années.
Trop lointaine, trop longue : la réponse a paru évidente pour le Gouvernement, c'est la nécessaire digitalisation de la Justice, qui dépasse le seul cadre de la numérisation des échanges, des dépôts de plainte, du suivi de l'affaire. Le coeur de l'affaire, le coeur du dispositif proposé, c'est tout de même l'émergence de plateformes digitales gérant de A à Z le procès (civil). Alors, on peut gloser sur une hypothétique délégation de service public à une legaltech, qui fait peur ; on peut s'interroger sur la numérisation de la vie des justiciables étalée au sein d'algorithmes déductifs (faits, âge, sexe, localité, singularité, texte de loi, barème applicable = décision de justice) et sur le rôle du juge dans tout cela ; mais on ne peut que constater que la Justice sans avocat (puisque ce serait réservé aux petits litiges de moins de 3 000 euros), sans lieu de justice, sans débat, sans oralité, au terme d'un contradictoire nuancé, et qui sait sans juge, change résolument de nature.
Trop lointaine, trop longue : la réponse du Gouvernement est bien évidemment dans une obligation de recourir à la médiation et non plus au grès d'une simple incitation. Donc résumons, les tribunaux d'instance et les tribunaux de grandes instances fusionnent -ça c'est pour l'aspect purement organisationnel et budgétaire-, les petits litiges sont réglés sur internet, et le premier degré de juridiction (même si le terme est impropre) sera la médiation ; médiation qui est donc conduite par un médiateur, acteur privé dont la rémunération sera laissée à la charge des justiciables, sauf bénéfice de l'aide juridictionnelle totale (bénéfice que l'on peut aussi demander par voie digitale). On notera que l'on impose la médiation à tout contentieux, mais que l'on supprime, en même temps, la tentative de conciliation en matière de divorce...
Trop lointaine, trop longue : donc nécessairement il faut que cette justice se professionnalise. Et cette professionnalisation s'orchestre de deux manières : exit les missions qui ne sont pas proprement juridictionnelles (acte de notoriété confié aux notaires, délivrance de certains titres exécutoires, contrôle préalable des actes du tuteur, vérification et approbation de comptes de gestion des tuteurs, curateurs et mandataires spéciaux) ; et haro sur la spécialisation des juridictions dans certains contentieux (tant auprès des TGI, qu'en appel). Mais cette professionnalisation de la justice, c'est aussi la reconnaissance qu'il est nécessaire d'avoir un avocat pour défendre les contentieux complexes (baux ruraux, procédures d'exécution, contentieux douanier, élections professionnelles, contentieux de la Sécurité sociale et de l'aide sociale).
On le pressent bien, en matière civile, l'objet de la loi de programmation n'est pas l'oeuvre de Justice ; du moins au sens où l'on pouvait l'entendre jusqu'à présent, avec le recours au juge, qui certes applique la loi, mais statue aussi en droit pour révéler le "juste" tout en s'interdisant, dit-on, de statuer en équité. L'objet de la fluidification de la justice c'est bel et bien d'obtenir une décision de justice ; que le litige se solde le plus vite possible, en cohérence avec ce temps des affaires si digital et international qu'il soit ; en cohérence avec la vie des justiciables qui s'accélère sous la pression sociale, économique et technologique, malgré son allongement. C'était déjà la thèse d'Henri Motulsky, le père de notre Code de procédure civile de 1975. C'est un retour à l'étymologie, "conformité au droit", encore que l'on puisse distinguer la loi du droit naturel qui recherche le juste et non la seule application de la norme positive. Mais, c'est assurément une amputation de la notion de mérite dans l'appréciation de cette nouvelle justice, à force d'automatisation, "barèmisation", privatisation et déshumanisation de la Justice.
Pour autant, la matière pénale n'est pas non plus en reste. Le projet de loi de programmation a ceci de singulier qu'il renforce les pouvoirs d'enquête de la police, des magistrats instructeurs ; pour faciliter l'édification du dossier pénal et ainsi faciliter la condamnation. Condamnation qui doit conduire tout de même à limiter l'incarcération, c'est-à-dire la prison, symbole de la justice délictuelle et criminelle du XXème siècle. Donc, après la réforme de la garde à vue en 2011 portant un sérieux coup de frein aux techniques d'investigation de la police, on n'est guère étonné que les réformes successives tentent de redonner du poids liberticide, au sens neutre du terme en tant que les mesures dernièrement votées et prochainement adoptées limitent objectivement les libertés et droits de la défense, pour rééquilibrer les forces en présence : police et défense au pénal (extension des interceptions par la voie de communication électronique, à la géolocalisation, techniques spéciales de sonorisation, de captation d'images, prolongation de la garde à vue sans contrôle). Avec l'amende forfaitaire délictuelle et le développement de la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité on comprend que même la justice pénale doit s'accélérer pour taire le débat judiciaire (pour les peines de moins d'un an notamment). Il en va de même avec l'instauration expérimentale du tribunal criminel départemental, qui finit de professionnaliser la justice pénale. Là encore, on cherche la décision du Justice, puisqu'après condamnation, il s'agit de vider les prisons par manque de place et d'investissement, entraînant la surpopulation et la radicalisation. D'abord, il convient d'interdire les peines d'emprisonnement inférieures à un mois ; ensuite de favoriser la peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique pour les peines inférieures à un an ; enfin de conduire à libération sous contrainte au 2/3 de la peine (inférieure ou égale à cinq ans) : seul moyen de faire fondre les 80 000 personnes écrouées actuellement dans nos prisons, parfois à 200 % de seuil d'occupation. Car ce n'est pas avec 15 000 places de plus, que l'on va véritablement désengorger les cellules.
L'action en justice est, selon Motulsky, "la faculté d'obtenir d'un juge une décision sur le fond de la prétention à lui soumise". Procédure civile ou pénale, l'objet de ce droit est "purement processuel" : obtenir une décision. Telle est l'équation plus que prégnante d'une Justice sous-dotée budgétairement au regard des canons de l'OCDE.
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Réf. : Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 17-13.031, F-P+B (N° Lexbase : A7850XH9)
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N3365BXW
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par Yann Le Foll
Le 29 Mars 2018
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Réf. : Cass. com., 21 mars 2018, n° 16-28.412, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4803XHD)
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N3316BX4
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par Vincent Téchené
Le 29 Mars 2018
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Réf. : Cass. soc., 21 mars 2018, n° 16-21.021, FS-P+B (N° Lexbase : A7872XHZ)
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N3375BXB
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par Blanche Chaumet
Le 30 Mars 2018
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Réf. : CJUE, 14 mars 2018, aff. C-482/16 (N° Lexbase : A7228XGS)
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N3340BXY
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 29 Mars 2018
Résumé
L'article 45 TFUE (N° Lexbase : L2693IPG) ainsi que les articles 2, 6 et 16 de la Directive 2000/78 du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4), doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui, pour mettre fin à une discrimination fondée sur l'âge, née de l'application d'une réglementation nationale ne prenant en compte, aux fins du classement des travailleurs d'une entreprise dans le barème des salaires, que les périodes d'activité acquises après l'âge de 18 ans, supprime, de manière rétroactive et à l'égard de l'ensemble de ces travailleurs, cette limite d'âge mais autorise uniquement la prise en compte de l'expérience acquise auprès d'entreprises opérant dans le même secteur économique. Le législateur national dispose d'une large marge d'appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d'un objectif déterminé en matière de politique sociale et de l'emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser. |
I - Une législation corrigeant une discrimination peut-elle être discriminatoire ?
Question préjudicielle posée. La demande de décision préjudicielle portait sur l'interprétation de l'article 45 TFUE, de l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) ainsi que des articles 2, 6 et 16 de la Directive 2000/78 du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Elle portait, plus précisément, sur la licéité du régime professionnel de rémunération mis en place par le législateur autrichien afin d'éliminer une discrimination fondée sur l'âge.
L'article 6 § 1 de la Directive dispose, rappelons-le, que "des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires".
Ce même texte précise que "ces différences de traitement peuvent notamment comprendre : a) la mise en place de conditions spéciales d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle, d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d'assurer leur protection ; b) la fixation de conditions minimales d'âge, d'expérience professionnelle ou d'ancienneté dans l'emploi, pour l'accès à l'emploi ou à certains avantages liés à l'emploi".
Par ailleurs, l'article 16 § 1, sous a) de la Directive 2000/78 prévoit que les Etats membres prennent les mesures nécessaires afin que soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l'égalité de traitement.
Les dispositions nationales en cause. Dans cette affaire, la législation autrichienne sur les transports excluait la prise en compte de l'ancienneté acquise avant leur majorité pour les travailleurs dans le cadre de leur avancement (1). Pour remédier à cette discrimination fondée sur l'âge et qui avait donné lieu à une condamnation antérieure par la CJUE (2), une nouvelle loi avait été adoptée, d'application immédiate, permettant la prise en compte des années travaillées avant l'âge de 18 ans, mais uniquement au service d'entreprises opérant dans le même secteur économique. Et c'était ce nouveau régime qu'un travailleur prétendait faire juger comme discriminatoire par le juge autrichien, qui avait saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle, demandant si une législation destinée à mettre fin à une discrimination fondée sur l'âge pouvait être elle-même considérée comme discriminatoire en raison des conditions posées pour remédier à la discrimination antérieure.
L'examen par la Cour du dispositif démontre que des précautions avaient été prises pour que l'application immédiate des nouvelles règles d'avancement des salariés ayant commencé à travailler avant l'âge de 18 ans ne puisse pas aboutir à diminuer leur droit à avancement, par une sorte d'application du principe de faveur garantissant a minima le maintien des droits acquis.
Cette précision de la législation autrichienne est très importante dans la mesure où la définition même de la discrimination suppose l'observation d'un traitement "moins favorable" (3), ce que rappelle la Cour dans son point 22, et que les mesures de rattrapages, en ce qu'elles sont, au contraire, "plus favorables", ne peuvent pas, précisément pour cette raison, être qualifiées de "discriminations", ce que relève également la Cour dans son point 24. L'objectif ainsi poursuivi est donc légitime, et partant, de nature à justifier la différence de traitement constatée (4).
La législation locale prévoyait d'ailleurs, outre une garantie de non régression individuelle, l'introduction d'un échelon supplémentaire pour ces travailleurs là.
II - Les apports de la décision de la Cour de justice
L'obligation faite aux Etats d'éliminer toutes les formes de discriminations. L'interdiction des discriminations par le Traité et les Directives prises sur son fondement imposent évidemment aux Etats d'éliminer de leur législation nationale les causes juridiques de ces discriminations. Ils ont donc ici compétence liée et doivent totalement faire cesser les discriminations dès lors que l'existence de ces dernières est établie (5) ; la CJUE contrôle d'ailleurs ici très précisément l'existence, ou la persistance, des discriminations, et la marge de manoeuvre des Etats est extrêmement réduite.
La liberté dans la détermination des mesures de rattrapage. Ces Etats demeurent, en revanche, libres de choisir les moyens juridiques adéquats pour corriger les inégalités de situations constatées nationalement (6) et se voient reconnaître ici, par la CJUE, une large marge d'appréciation lorsqu'il s'agit de rompre avec l'égalité de traitement pour reconnaître de nouveaux droits catégoriels destinés à rétablir l'égalité réelle (7). Le principe de non-discrimination est donc bien le prolongement du principe d'égalité devant la loi, et les pouvoirs publics doivent donc bien garantir des droits égaux pour tous.
La question de l'égalité réelle et de la mise en oeuvre de droits catégoriels destinés à corriger les inégalités sociales doit donc être appréciée non pas comme une alternative à l'égalité devant la loi, ayant même légitimité, mais comme une dérogation, certes justifiée, mais devant demeurer exceptionnelle, et dont la justification, la proportionnalité et la pertinence des moyens mis en oeuvre est appréciée nationalement, et non pas par la CJUE elle-même qui n'exerce pas, ici, de contrôle de la même intensité. Il n'y a donc pas d'obligation positive de rattraper les inégalités sociales, mais une simple faculté nationale (point 28).
La conséquence de cette simple faculté est que l'Etat peut parfaitement choisir non pas de supprimer totalement la différence de traitement, mais d'aménager les règles propres applicables aux catégories discriminées, sans être tenu d'aligner purement et simplement leurs droits (point 30). Mais, à défaut de dispositif particulier aménageant de manière valable le rattrapage (8), alors, comme l'a jugé la CJUE dans d'autres affaires, la mesure de réparation qui s'impose par défaut est bien l'octroi pur et simple aux travailleurs discriminés des avantages dont ils ont été privés, dans leur intégralité (9).
Dans cette affaire d'ailleurs, la loi nouvelle avait supprimé toute référence directe au critère d'âge (excluant par là même qu'il puisse s'agir d'une discrimination directe) au profit d'une référence neutre à l'expérience professionnelle (susceptible, toutefois, d'entraîner une discrimination indirecte en raison de l'âge) (10).
La pertinence des motifs de rattrapage. Comme le rappelle la Cour ici, le critère de l'expérience est pertinent en matière d'avantages professionnels, à la fois parce qu'il est légitime de vouloir récompenser l'expérience, qui est un facteur de qualité pour le travail accompli (11), et rationnel, dans la mesure où le lien entre expérience professionnelle acquise et performances du salarié est établi (point 39).
Par comparaison, la CJUE est moins favorable à la prise en considération d'objectifs purement budgétaires (12) ou administratifs (13) qui ne suffisent pas, par eux-mêmes, à justifier des différences de traitement reposant sur des critères prohibés. Elle admet la prise en considération de la volonté de respecter les droits acquis et la protection de la confiance légitime mais impose que les mesures dérogatoires soient temporaires (14).
Ce changement de critère avait également pour effet de ne pas viser que les travailleurs victimes des discriminations dans l'ancien régime et de concerner un spectre différent de travailleurs, ce qui s'opposait à l'argumentation développée par le demandeur pour qui la loi nouvelle continuait de stigmatiser la même catégorie de travailleurs.
Au final, et sans abdiquer totalement toute forme de contrôle sur le respect du principe de non-discrimination à l'occasion de l'adoption de mesures destinées à corriger des discriminations antérieures, la Cour considère que "le législateur autrichien n'a pas dépassé les limites du pouvoir dont il jouit en la matière" (point 44) : la "large marge d'appréciation reconnue aux Etats membres dans le choix non seulement de la poursuite d'un objectif déterminé en matière de politique sociale et de l'emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser".
(1) Cette législation avait déjà été examinée par la CJUE dans une autre affaire mettant en cause le texte dans une autre configuration : CJUE, 28 janvier 2015, aff. C-417/13, arrêt "ÖBB Personenverkehr" ([LXB=A4084NA]).
(2) CJUE, 18 juin 2009, aff. C-88/08 (N° Lexbase : A2798EIH).
(3) Ainsi l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), auquel renvoie l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1000LDE).
(4) Point 40.
(5) S'agissant de cette même législation autrichienne la CJUE, dans l'affaire "ÖBB Personenverkehr" préc., avait constaté que pour certaines catégories discriminées par l'ancienne législation, la nouvelle législation n'avait pas supprimé toute défaveur, et continuait donc de pérenniser des discriminations, ce qui la rendait discriminatoire : point 30. Les Etats qui souhaitent, en revanche, adopter des différences de traitement autorisées par la Directive, notamment lorsqu'ils sont liés à la politique de l'emploi, du marché du travail ou de la formation professionnelle, disposent d'une "large marge d'appréciation" : CJUE, 22 novembre 2005, aff. C-144/04 (N° Lexbase : A6265DLM), Rec., p. 9981, point 63 ; CJUE, 19 juin 2014, aff. C-501/12 à C-506/12 (N° Lexbase : A4333MRW).
(6) Solution déjà affirmée dans CJUE, 28 janvier 2015, aff. C-417/13, préc., points 43 à 45.
(7) CJUE, 11 novembre 2014, aff. C-530/13 (N° Lexbase : A9993MZ7), point 38 et la jurisprudence citée.
(8) Sur cette notion voir CJUE, 19 juin 2014, aff. C-501/12 à C-506/12, préc., point 96 ; CJUE, 28 janvier 2015, aff. C-417/13, préc., points 47 et s..
(9) CJCE, 21 juin 2007, aff. C-231/06 à C-233/06 (N° Lexbase : A8522DWK), point 39, ainsi que CJUE, 22 juin 2011, C-399/09 (N° Lexbase : A2986HU7), point 51.
(10) CJUE, 7 juin 2012, aff. C-132/11 (N° Lexbase : A3380INI), point 29. La CJUE considère également comme étant, en principe, suffisante, la référence à l'ancienneté ou l'expérience, sans que l'employeur ait besoin de s'en justifier a priori : CJCE, 3 octobre 2006, aff. C-17/05 (N° Lexbase : A3687DRY), point 36.
(11) CJUE, 3 octobre 2006, aff. C-17/05, préc., points 34 et s. ; CJUE, 18 juin 2009, aff. C-88/08, préc., point 47, et la jurisprudence citée.
(12) CJUE, 21 juillet 2011, aff. C-159/10 et C-160/10 (N° Lexbase : A0611HWK), points 73 ainsi que 74 ; CJUE, 28 janvier 2015, aff. C-417/13, préc., point 36.
(13) CJUE, 21 juillet 2011, aff. C-159/10 et C-160/10, préc., point 41 et jurisprudence citée.
(14) CJUE, 11 novembre 2014, aff. C-530/13, préc., point 42 ; CJUE, 28 janvier 2015, aff. C-417/13, préc., point 37.
Décision
CJUE, 14 mars 2018, aff. C-482/16 (N° Lexbase : A7228XGS) Textes concernés : TFUE, art. 45 (N° Lexbase : L2693IPG) ; Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4), art. 2, 6 et 16. Mots clés : lutte contre les discriminations d'âge ; marge d'appréciation laissée aux Etats. Lien base : (N° Lexbase : E2589ET3). |
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 19 mars 2018, n° 399150, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2850XHZ)
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par Marie-Claire Sgarra
Le 29 Mars 2018
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par Fleur Chidaine, Avocate à la Cour
Le 29 Mars 2018
I - Les dividendes
A. Distributions régulières
En principe, les bénéfices subissent une double taxation puisqu'ils sont en premier lieu taxés à l'impôt sur les sociétés au niveau de l'entreprise distributrice, puis au niveau des associés ou actionnaires à l'impôt personnel en cas de distribution. Les distributions régulières sont celles votées par les organes compétents par opposition avec les distributions irrégulières ou déguisées. Les sociétés dont les distributions sont imposables sont celles passibles de l'impôt sur les sociétés, essentiellement sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiées, sociétés en commandite par actions et sociétés à responsabilité limitée, et les sociétés de personnes lorsqu'elles ont opté à l'impôt sur les sociétés.
1. Distributions visées par les textes
- d'une réduction de capital : non imposée lorsqu'elle ne se traduit pas par une répartition du bénéfice au profit des associés, elle donne en revanche lieu à taxation lorsque la réduction occasionne une répartition de bénéfice et donc une attribution de sommes aux associés, sauf à ce que ces sommes puissent être qualifiées de remboursement d'apports ou de primes d'émission ;
- d'un rachat de parts bénéficiaires ou de fondateurs : ces sommes attribuées aux porteurs de parts bénéficiaires ou de fondateurs sont des revenus distribués lorsque le prix de rachat excède la valeur originaire. La remise gratuite d'actions par incorporation de réserves au capital en revanche ne sont pas imposables (2) ;
- d'un amortissement du capital : sauf exception, les sommes correspondantes à cette opération sont considérées comme des revenus distribués ;
- d'une capitalisation de réserves ou de bénéfices : seul le remboursement ultérieur des sommes résultant de l'incorporation de bénéfices ou de réserves au capital ou de l'attribution d'actions ou de parts sociales suite à ladite incorporation est imposable.
2. Mode d'imposition
L'imposition s'effectue en deux temps : (i) prélèvement forfaitaire non libératoire et (ii) impôt sur le revenu l'année suivant le paiement sous déduction du prélèvement initial.
- revenus concernés : ensemble des revenus distribués à des personnes physiques fiscalement domiciliées en France, que les distributions soient régulières ou non. Sont en revanche exclus les revenus pris en compte pour déterminer le bénéfice des entreprises industrielles, commerciales, artisanales, agricoles ou non commerciales, revenus liés à un PEA, revenus distribués par les FCPR, FCPI, SCR, Suir. Noter que les foyers modestes peuvent requérir la dispense de ce prélèvement sous conditions ;
- liquidation et paiement : le prélèvement est calculé sur le montant brut des revenus, et s'élève donc à 12,8 %, déclaré par l'établissement payeur établi en France sur la déclaration n° 2777 accompagnée du paiement et déclaré et acquitté par le contribuable lui-même lorsque l'établissement payeur est établi hors de France au plus tard le 15 du mois suivant le paiement auprès du service des impôts des entreprises de son domicile ou, si l'établissement payeur est dans l'Union Européenne, acquitté par l'établissement payeur mandaté par le contribuable à la direction des impôts des non-résidents ou par le contribuable lui-même auprès de son service des impôts au plus tard le 15 du mois suivant le paiement.
- un abattement de 40 % (5) s'applique en cas d'option pour l'impôt sur le revenu global sur le montant brut des dividendes et revenus assimilés, que la distribution vienne d'une société française ou étrangère soumise à l'IS ou équivalent, du moment que le contribuable est résident fiscal français. Cet abattement s'applique à l'ensemble des revenus distribués dès lors que cette distribution s'adresse à des associés pris en cette qualité, cela concerne donc non seulement les dividendes mais également le boni de liquidation ou encore tout ou partie du remboursement lié à une réduction de capital. En revanche, n'en bénéficient pas les revenus distribués à titre d'avances, prêts ou acomptes aux associés, bénéfices ou revenus de l'article 123 bis du Code Général des Impôts (N° Lexbase : L8449LHE) (entreprises soumises à un régime fiscal privilégié) et dividendes distribués provenant des SIIC ou Sppicav ;
- prélèvement forfaitaire unique : le prélèvement étant un acompte, il est imputable sur l'impôt sur le revenu au titre de l'année au titre de laquelle il a été opéré et l'excédent restituable.
B. Autres distributions
Outre les distributions précitées dites juridiques, d'autres distributions restent imposables en droit fiscal français à l'impôt sur le revenu (prélèvement à la source non libératoire, prélèvement forfaitaire unique ou barème progressif sans abattement de 40 %).
1. Distributions visées
2. Cas particuliers
C. Cas des bénéficiaires non-résidents
Une retenue à la source s'applique aux revenus distribués par des sociétés françaises à des non-résidents (13) sauf exonération spécifique (i.e. régime des sociétés mères, distributions à certains organismes de placement collectifs). Cette retenue peut néanmoins être supprimée par la convention bilatérale signée par la France s'appliquant le cas échéant. Une retenue s'applique également aux revenus payés dans un ETNC.
II - Les produits de placements à revenu fixe
Sont inclus dans cette catégorie de revenus les revenus des placements dits à risque. Ils se retrouvent au sein de plusieurs catégories telles que les obligations et autres titres d'emprunt négociables, les créances, dépôts, cautionnements et comptes courants, bons de caisse, bons de capitalisation. En général le taux de rémunération est fixé au moment de l'investissement et est invariable sur toute la durée du placement.
Tableau récapitulatif des prélèvements opérés sur dividendes
Dividendes perçus en 2017 | Dividendes perçus en 2018 | ||
En 2017, prélèvement forfaitaire non libératoire de 21 % |
En 2018,
|
En 2018, prélèvement forfaitaire non libératoire de 12,8 % |
En 2019,
|
Tableau récapitulatif des prélèvements opérés sur les produits de placement à revenu fixe
Produits perçus en 2017 | Produits perçus en 2018 | ||
En 2017, prélèvement forfaitaire non libératoire de 24 % |
En 2018,
|
En 2018, prélèvement forfaitaire non libératoire de 12,8 % |
En 2019,
|
(1) CGI, art. 112, 1 (N° Lexbase : L5412I3T).
(2) CGI, art. 111, b (N° Lexbase : L2066HL4).
(3) CGI, art. 112, 3°.
(4) CGI, art. 117 quater (N° Lexbase : L9364LHB).
(5) CGI, art. 158, 3-2 à 4 (N° Lexbase : L9347LHN).
(6) CGI, art. 109, 1-1° (N° Lexbase : L2060HLU).
(7) CGI, art. 109, 1-2°.
(8) CGI, art. 158, 7-2°.
(9) CGI, art. 111, c.
(10) CGI, art. 111, e.
(11) CGI, art. 112, 4°.
(12) CGI, art. 111, a.
(13) CGI, arts 119 bis, 2 (N° Lexbase : L9363LHA) et 187 (N° Lexbase : L9342LHH).
(14) CGI, art. 1672, 2 à 4 (N° Lexbase : L1336LGL).
(15) CGI, art. 125 A (N° Lexbase : L9357LHZ).
(16) CGI, art. 125 A, III.
(17) CGI, art. 118 (N° Lexbase : L2103HLH).
(18) CGI, art. 119 (N° Lexbase : L2105HLK).
(19) CGI, arts 124 à 125-00 A.
(20) BOI-RPPM-RCM-20-10-20-70 n°10 (N° Lexbase : X4913ALK).
(21) CGI, art. 1678 bis (N° Lexbase : L0290IWN).
(22) BOI-RPPM-RCM-40-40 n°20 (N° Lexbase : X6975ALW).
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Réf. : CJUE, 22 mars 2018, aff. C-327/16 et C-421/16 (N° Lexbase : A4848XHZ)
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N3356BXL
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par Marie-Claire Sgarra
Le 30 Mars 2018
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Réf. : CE, 23 mars 2018, n°s 406066, 406497, 406498, 407474, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8529XHD)
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N3333BXQ
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par Aziber Seïd Algadi
Le 29 Mars 2018
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Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 21 mars 2018, n° 415929, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4843XHT)
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N3323BXD
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par Yann Le Foll
Le 29 Mars 2018
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Réf. : Cass. civ. 1, 21 mars 2018, n° 16-28.741, FS-P+B (N° Lexbase : A8014XHB)
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N3344BX7
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par June Perot
Le 29 Mars 2018
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Réf. : Ass. plén., 16 février 2018, n° 16-14.292, P+B+R+I (N° Lexbase : A7564XDI)
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N3332BXP
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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour
Le 29 Mars 2018
I - Le conflit entre la SPEDIDAM et l'INA
L'Institut national de l'audiovisuel (INA) a été créé par la loi du 7 août 1974 et est en charge de conserver et de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national. A ce titre, il détient notamment les droits de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF). Or, ce dernier avait produit et diffusé en 1968 une représentation télévisée de la comédie-ballet "Le Bourgeois gentilhomme", texte de Molière, musique de Lully. L'INA ayant envisagé d'exploiter cette oeuvre sous forme de vidéogrammes, puis en ayant cédé les droits exclusifs de commercialisation, l'oeuvre a finalement été éditée sous cette forme en 2003.
La Société de perception et de distribution des droits des artistes et interprètes de la musique et de la danse (SPEDIDAM), en charge de la perception et de la répartition des droits des artistes-interprète, a alors saisi le tribunal de grande instance de Créteil, arguant qu'une rémunération aurait dû être versée à ses sociétaires à raison de cette fixation de l'oeuvre sur un support nouveau.
Par jugement rendu le 12 septembre 2006, le tribunal a débouté la SPEDIDAM de l'intégralité de ses prétentions, sa décision ayant été confirmée sur ce point par la cour d'appel de Paris. Saisie d'un pourvoi, la première chambre civile de la Cour de cassation a censuré l'arrêt d'appel pour violation de la loi, énonçant que "ne constitue pas un contrat conclu pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle le contrat souscrit par chacun des interprètes d'une composition musicale destinée à figurer dans la bande sonore de l'oeuvre audiovisuelle" (5).
Désignée comme juridiction de renvoi après cassation, la cour d'appel de Lyon a de nouveau débouté la SPEDIDAM en jugeant que le contrat conclu entre l'ORTF et les musiciens d'orchestre l'avait été "pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle" au sens de l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle. Les magistrats lyonnais relevaient notamment que la feuille de présence indiquait que l'enregistrement musical en cause était destiné à être utilisé pour la bande-son de l'oeuvre audiovisuelle désignée dans la rubrique "titres de la production" par la mention "le bourgeois gentilhomme" et que l'oeuvre avait été réalisée par l'ORTF "service de production dramatique", en vue d'une diffusion à la télévision, ainsi qu'il était précisé dans la rubrique "direction". La cour d'appel en a déduit que les musiciens avaient été engagés pour la réalisation de l'oeuvre audiovisuelle, "l'accompagnement musical [étant] partie intégrante de l'oeuvre audiovisuelle puisque son enregistrement a été effectué pour sonoriser les séquences animées d'images et constituer la bande-son de l'oeuvre audiovisuelle".
C'est dans ce contexte que la SPEDIDAM a formé un nouveau pourvoi devant la Cour de cassation. Ainsi que le Code de l'organisation judiciaire lui en laisse l'opportunité, le procureur général a alors demandé le renvoi de l'affaire devant l'Assemblée plénière (6). Suivant l'avis émis par Monsieur le Premier Avocat général Ingall-Montagnier (7), l'Assemblée plénière a rendu le 16 février 2018 un arrêt de rejet, approuvant donc la cour d'appel de Lyon d'avoir déduit des éléments relevés par elle que la feuille de présence signée par les interprètes-musiciens constituait un contrat conclu avec le producteur entrant dans les prévisions de l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle. En conséquence, il n'était pas nécessaire de solliciter une nouvelle autorisation pour l'exploitation du "Bourgeois gentilhomme" sous une forme nouvelle.
II - La loi de 1985 ou la mise en place d'un régime juridique dérogatoire en faveur de l'oeuvre audiovisuelle
Les artistes-interprètes ont le droit de s'opposer à la reproduction de leurs interprétations sans leur consentement et le droit d'obtenir une contrepartie financière à chaque nouvelle forme d'exploitation. Ce principe est fixé à l'article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2484K9U). Par dérogation au régime de droit commun, l'article L. 212-4 du même code dispose que "la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste interprète. Ce contrat fixe une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation de l'oeuvre". Les droits des artistes-interprètes sont alors présumés avoir été cédés au producteur de l'oeuvre audiovisuelle.
Tout l'enjeu des débats portait donc sur l'articulation et l'interprétation de ces deux textes, le contentieux "répétitif" (8) à cet égard n'ayant pas permis de faire ressortir une position constante par la jurisprudence. L'arrêt du 29 mai 2013, par lequel la Cour de cassation a eu l'occasion, pour la première fois, de trancher la question, aurait dû mettre un terme à ces dissensions. Il n'en a finalement rien été.
Ces dispositions sont issues de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985, relative aux droits d'auteur et aux droits des artistes-interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle (N° Lexbase : L2078IRE), et retranscrivent la volonté du législateur d'établir un équilibre entre les droits de l'artiste-interprète et ceux du producteur. Cette même préoccupation transparait plus tard à la lecture du considérant 10 de la Directive 2001/29 du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : L8089AU7). Le cinquième considérant de la Directive 2006/115 du12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d'auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8983HTU), illustre encore cette approche économique, qui rappelle que si la continuité du travail créateur artistique des auteurs et des artistes-interprètes exige que ceux-ci perçoivent un revenu approprié, les investissements liés à la production de phonogrammes et de films sont extrêmement élevés et aléatoires. La Cour de Justice en déduit qu'un équilibre doit être trouvé entre le respect des droits et des intérêts des différentes personnes physiques ayant contribué à la création intellectuelle du film et ceux du producteur du film qui a pris l'initiative et la responsabilité de la réalisation de l'oeuvre cinématographique et qui assure les risques liés à cet investissement (9).
Le législateur français souhaitait donc limiter les obstacles à l'exploitation des oeuvres audiovisuelles par les producteurs, dans un contexte de concurrence avec les productions culturelles américaines. La loi du 3 juillet 1985 poursuit ainsi un objectif économique d'exploitation harmonieuse de l'oeuvre audiovisuelle, afin de permettre d'en rentabiliser les investissements, parfois considérables. C'est la raison pour laquelle l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle investit ab initio le producteur de l'oeuvre audiovisuelle de l'ensemble des droits des artistes-interprètes dès lors qu'un contrat a été conclu.
III - La difficile articulation des articles L. 212-3 et L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle
Ainsi que le souligne le Conseilleur-rapporteur Semeriva dans son rapport, il convenait de s'interroger sur la signification à conférer à l'expression légale "pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle" visée à l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle. La question était discutée depuis longtemps, sans que les juridictions françaises n'aient pu se ranger derrière une position définitive. Ses conséquences pratiques revêtent pourtant une importance réelle puisqu'une éviction du champ de la présomption légale imposerait aux producteurs de recueillir le consentement des artistes-interprètes, sous peine de se voir exposés au risque d'un procès en contrefaçon.
Sans surprise dans l'affaire qui nous occupe, les thèses soutenues par l'INA et la SPEDIDAM étaient donc diamétralement opposées.
La SPEDIDAM (10) faisait valoir que les musiciens n'avaient pas participé à la réalisation de l'oeuvre audiovisuelle elle-même mais seulement à l'interprétation et à l'enregistrement d'une oeuvre musicale autonome, destinée à être utilisée comme bande son du "Bourgeois gentilhomme". Elle en voulait notamment pour preuve que l'article L. 112-2, 6° du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3334ADT) (11) définit l'oeuvre audiovisuelle comme une oeuvre consistant en des "séquences animées d'images, sonorisées ou non". La SPEDIDAM en déduisait le caractère simplement accessoire de la bande-son, soulignant au surplus que la bande sonore peut faire l'objet d'une exploitation indépendamment de l'oeuvre audiovisuelle elle-même et inversement (12).
En définitive, la présomption légale de cession posée par les dispositions de l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle aurait exclusivement vocation à s'appliquer aux comédiens et non aux artistes-interprètes de la musique. L'interprétation de ces derniers, purement musicale, serait en effet réalisée en vue de la "sonorisation" d'une oeuvre audiovisuelle ; simplement indirecte, leur contribution n'aurait donc pas été exécutée "pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle", ainsi que l'exige la loi. Cette approche avait d'ailleurs connu les faveurs d'une partie substantielle de la jurisprudence française (13), notamment sensible à l'argument de l'interprétation stricte des exceptions.
L'INA (14) se référait à l'inverse aux dispositions de l'article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3343AD8), lesquelles désignent "l'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l'oeuvre" parmi les coauteurs de l'oeuvre audiovisuelle. Du point de vue de l'auteur, la bande originale spécialement conçue pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle ferait donc partie intégrante de cette oeuvre. Pour cette raison, le musicien qui interprète la bande sonore participerait directement à la réalisation de l'oeuvre audiovisuelle (15).
Le raisonnement suivi par la SPEDIDAM conduisait à soumettre les interprètes d'une composition musicale à un régime juridique différent, suivant qu'ils apparaissent ou non à l'écran (16). En définitive, contrairement aux chanteurs d'un opéra filmé ou encore aux acteurs d'une comédie musicale (17), les musiciens qui interprètent la bande sonore sans être physiquement à l'image bénéficieraient (paradoxalement) d'un traitement plus favorable puisque leurs droits ne seraient pas concernés par la fiction légale de l'article L. 212-4 précité. L'INA s'y opposait en soulignant déjà qu'une telle distinction ne résulterait pas du Code de la propriété intellectuelle (ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus). Surtout, elle mettait en avant que le droit d'auteur organise une présomption de cession des droits au bénéfice du producteur de l'oeuvre audiovisuelle similaire à celle qui existe pour les artistes-interprètes ; or, si l'article L. 132-24 (N° Lexbase : L3417ADW) exclut expressément "l'auteur de la composition musicale avec ou sans paroles" de cette présomption (18), force est de constater que cette éviction n'est pas prévue à l'article L. 212-4. A l'inverse, la SPEDIDAM ne manquait pas d'appeler de ses voeux un alignement du régime des droits voisins sur celui du droit d'auteur dans un souci d'harmonisation des régimes, aboutissant ainsi à reconnaître à la musique un régime juridique autonome de celui de l'oeuvre audiovisuelle.
IV - L'Assemblée plénière réintègre la bande-son dans le régime juridique des oeuvres audiovisuelles
On l'a vu, l'approche purement textuelle proposée par la SPEDIDAM et l'INA ne permettait pas de pencher tout à fait en faveur d'une thèse ou de trancher en faveur de l'autre (19), ce qu'illustrait une jurisprudence hétéroclite.
La cour d'appel de Lyon, à l'instar de la cour d'appel de Paris avant elle, a finalement jugé que l'accompagnement musical n'est aucunement séparable de l'oeuvre audiovisuelle mais en est partie prenante dès lors que son enregistrement est effectué pour sonoriser des séquences animées d'images et constituer ainsi la bande-son de l'oeuvre audiovisuelle. Les artistes musiciens interprétant la bande son d'une oeuvre audiovisuelle sont donc susceptibles d'être soumis au régime de la présomption de cession posé par l'article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que les conditions de la fiction légale sont réunies.
L'argument de l'apparition à l'image a lui aussi été clairement écarté (20), motif tiré que l'application de ce critère conduirait à opérer une distinction qui n'est soutenue par aucun texte.
En définitive, le Premier Avocat général proposait de privilégier un critère "finaliste" afin de vérifier si la prestation musicale avait été réalisée "pour la réalisation d'une oeuvre audiovisuelle". L'intention des parties formalisées par un contrat les réunissant en toute connaissance de cause sur l'objet et le contenu de l'opération apparaissait ainsi comme le marqueur le plus sûr (21). En l'espèce, les musiciens ayant parfaitement conscience que leur interprétation servait à l'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle "Le bourgeois gentilhomme", aucune autorisation supplémentaire n'avait à être sollicitée, ce qu'a approuvé l'Assemblée plénière en rejetant le pourvoi de la SPEDIDAM.
La nouvelle doctrine de la Cour de cassation présente l'avantage d'être a priori conforme aux objectifs poursuivis par la loi du 3 juillet 1985. En effet, l'exploitation d'une oeuvre audiovisuelle tendrait à se trouver perturbée si elle était amputée de sa bande originale. De fait, les artistes-interprètes musiciens bénéficieraient d'un pouvoir de blocage au détriment du producteur mais également des auteurs qui doivent, par principe, bénéficier d'une rémunération proportionnelle aux recettes d'exploitation. A n'en pas douter, cette approche téléologique a eu une influence prédominante dans la décision prise par l'Assemblée plénière.
Il n'en reste pas moins que le producteur de l'oeuvre audiovisuelle ne se trouve investi des droits des artistes-interprètes que pour autant qu'un contrat a été conclu avec ceux-ci, en bonne et due forme (22). Par ailleurs, l'autorisation de l'artiste-interprète reste requise dans l'hypothèse d'un enregistrement autonome utilisé ultérieurement pour une production audiovisuelle. La présomption légale de cession étant limitée à l'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle en tant que telle, le régime de droit commun de l'article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle trouve encore à s'appliquer en cas d'exploitation séparée de la prestation sonore de l'artiste-interprète (23). Il appartiendra donc aux producteurs de rester particulièrement vigilants à la rédaction des contrats conclus avec les artistes-interprètes, sous peine de voir s'effondrer l'édifice de la présomption légale de cession. En effet, la présomption étant censée assurer un équilibre des intérêts en présence, elle ne saurait constituer un blanc-seing pour le producteur mais impose en toute hypothèse que les parties nourrissent des relations marquées du sceau de la confiance et de la transparence.
(1) Page 14 du rapport de Monsieur le rapporteur Philippe Semeriva (rapport très complet dont nous tirons notre exposé des thèses en présence).
(2) CA Lyon, 16 février 2016, n° 13/06290 (N° Lexbase : A0165Q9Y).
(3) CA Paris, , Pôle 5, 1ère ch., 18 janvier 2012, n° 09/29162 (N° Lexbase : A0726IBI) ; ayant recours à une motivation quasiment identique : CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 15 février 2012, n° 10/06787 (N° Lexbase : A5585ICT).
(4) Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-16.583, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3721KEK).
(5) Cass., civ. 1, 29 mai 2013, préc..
(6) Cass. civ.1, 5 juillet 2017, n° 16-14.292, F-D (N° Lexbase : A8423WLK).
(7) Avis n° 636 de Monsieur le Premier Avocat général Philippe Ingall-Montagnier.
(8) Pour reprendre l'expression de Monsieur le Conseiller rapporteur Semeriva.
(9) CJUE, 9 février 2012, aff. C-277/10, point 78 (N° Lexbase : A2217IC4).
(10) Les moyens soulevés par les parties sont présentés de façon très complète dans le rapport de Monsieur le Conseiller Semeriva.
(11) Contenant une liste non exhaustive des oeuvres protégées au titre du droit d'auteur.
(12) Citant à titre d'exemple la musique du film "Le grand bleu".
(13) Décisions citées dans le rapport : CA Versailles, 24 février 2000, CA Paris, 4ème ch., sect. A 9 mai 2005, n° 04/09292 (N° Lexbase : A7913DKB), RTDCom., 2006, p. 376 et CA Paris, 4ème ch., sect. B, 19 janvier 2007, n° 05/19007 (N° Lexbase : A9212M4X) ; cf. également TGI Paris, 3ème ch., 3 octobre 2013, 11/13562 (N° Lexbase : A6997KM4).
(14) Les moyens soulevés par les parties sont présentés de façon très complète dans le rapport de Monsieur le Conseiller-Rapporteur Semeriva.
(15) En ce sens, cité dans le rapport : CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 juin 2010, n° 09/13188 (N° Lexbase : A2875E4A) et CA Paris, Pôle 5, 1ère ch.,15 février 2012, n° 10/06787 (N° Lexbase : A5585ICT).
(16) Cette différence de traitement avait d'ailleurs été entérinée par CA Paris, 10 novembre 1992, RIDA 1994, n° 160, p. 223.
(17) Exemples cités par M. Tafforeau, Communication Commerce Electronique, octobre 2011, chronique 9.
(18) Laquelle pourrait s'expliquer par l'importance de la gestion collective des droits en matière musicale, ainsi que le l'expose le Professeur Caron (Communication Commerce Electronique n° 9, septembre 2013, comm. 87).
(19) Cf. avis n° 636 du Premier Avocat général Ingall-Montagnier, préc., p. 5.
(20) L'avis n° 636 précité va dans le même sens, au motif que cette exigence d'une apparition de l'interprète à l'image "ne figure pas dans la loi et n'en résulte pas même indirectement".
(21) En ce sens, TGI Paris, 3ème ch., 14 janvier 2016, n° 14/18546 (N° Lexbase : A5088N49).
(22) CA Paris, 4ème ch., sect. A, 26 février 2003, 2001/02474 (N° Lexbase : A5195A7K) ; TGI Paris, 3ème ch., 28 mai 2009, n° 09/00720 (N° Lexbase : A4665EIM) : la simple présence de l'artiste lors de la séance d'enregistrement ne saurait suffire à caractériser l'existence d'un contrat ; CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 22 octobre 2010, n° 09/15636 (N° Lexbase : A6022GCZ) : absence d'autorisation écrite ; TGI Paris, 3ème ch., 10 décembre 2010, n° 09/02142 (N° Lexbase : A2728GRH) : une feuille d'engagement ne répond pas aux exigences de l'article L. 212-4 ; CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 11 juin 2014, n° 13/01862 (N° Lexbase : A2831MRB) ; cf. également TGI Paris, 3ème ch., 28 novembre 2013, n° 12/00039 (N° Lexbase : A6152KRB) et TGI Paris, 3ème ch., 14 janvier 2016, n° 14/18546 (N° Lexbase : A5088N49), rappelant qu'un contrat n'était pas obligatoirement conclu par écrit avant l'entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985.
(23) Ex : exploitation d'une chanson interprétée dans le cadre d'un film.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 (N° Lexbase : A4835XHK)
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N3318BX8
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par Charlotte Moronval
Le 29 Mars 2018
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