Lecture: 6 min
N1458BSS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Alors, que dire de cet arrêt, rendu le 28 avril 2011, par la Cour de cassation qui retient que la publication par un journal hebdomadaire des extraits de procès-verbaux de l'enquête préliminaire diligentée par le Parquet de Nanterre dans l'affaire "Bettencourt", laquelle publication est interdite en vertu de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881, était de nature à causer un préjudice personnel à Mme B. ; et qui, à titre de réparation, confirme la provision de 10 000 euros prononcée par la cour d'appel de Paris au bénéfice de la victime ? Une énième affaire de violation du secret de l'instruction, l'article incriminé, "Affaire Bettencourt : comment gagner un milliard (sans se fatiguer)", publiant des extraits de procès-verbaux de l'enquête préliminaire ?
On pourrait juger, d'ailleurs, sévère la condamnation de l'hebdomadaire, si l'on se souvient du déchaînement médiatique qu'a entraîné l'affaire en cause, impliquant jusqu'aux plus hautes autorités de l'Etat. On pourrait, également, se rappeler que les derniers contentieux afférents au secret de l'instruction et à l'article 11 du Code de procédure pénale sont plutôt laxistes en la matière. Le 5 mai 2008, le Conseil d'Etat estimait que la communication du rapport sur l'effondrement du terminal de l'aéroport de Roissy n'est pas susceptible de porter atteinte au secret de l'instruction ; le 13 octobre 2009, la Cour de cassation a jugé que la prérogative permettant à l'Autorité de la concurrence de demander aux juridictions d'instruction et de jugement la communication des procès-verbaux ou rapports d'enquête ayant un lien direct avec des faits dont elle était saisie, lesquels étaient, à la suite de la notification des griefs, communiqués aux parties et soumis au débat contradictoire, ne constituait pas par elle-même une atteinte au principe de l'égalité des armes ; et le 7 janvier 2010, la même Cour a déclaré que les dispositions des articles 11 et 197 du Code de procédure pénale étaient sans application après la clôture de l'instruction et que la partie civile était en droit de communiquer à des tiers pour les besoins de leur défense dans une procédure commerciale, les copies des pièces de la procédure pénale... Et, se réjouir que la Haute juridiction, tel Orphée, veuille bien ramener le secret de l'instruction des Enfers, en confirmant cette condamnation sur le terrain de l'article 38 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, disposition dérogatoire qui rappelle combien les impératifs d'une bonne administration de la justice interdisent certaines publications faites au cours des différentes étapes de la procédure judiciaire. Et, puisque toute reproduction, même partielle, comme dans l'article déféré, du contenu des actes est incriminée selon une jurisprudence constante, l'affaire était entendue -avant même d'avoir été jugée !-.
Mais, on pourrait également être interpellé par la disparition programmée du secret de l'instruction, du fait, tout simplement, de la disparition annoncée du juge d'instruction. Certains, le Garde des Sceaux en tête, ont pu estimer caduc ce secret, la réforme de la procédure pénale en préparation rendant "effectivement un peu inutile cette idée de secret de l'instruction". Et, certains magistrats de se réjouir, à l'unisson du Président de la République, de la "disparition du secret de Polichinelle" : "Si le secret de l'instruction n'existe plus, si personne ne le respecte, alors il est inutile de maintenir dans le code cette fiction". Le comité "Léger" sur la réforme des procédures pénales souhaite, d'ailleurs, "afin de clarifier la situation", supprimer ce secret, "souvent considéré comme fictif", mais "maintenir le secret professionnel et les sanctions qui s'y attachent".
Pourtant, quelque symbolique puisse paraître le maintien du secret de l'instruction, au regard de la pratique et du large champ d'application du secret professionnel, au point que Christophe Régnard, secrétaire général de l'Union syndicale des magistrats et juge d'instruction, prévienne que "si l'on fait sauter ce verrou, même intellectuel, ça va être la porte ouverte à la divulgation de tout et n'importe quoi dans la presse", c'est nécessairement le régime d'indemnisation des victimes qui pourrait bien également en pâtir.
En effet, l'atteinte au secret de l'instruction par voie de presse est directement sanctionnée par l'article 38 de la loi de 1881. Il faut, et il suffit, que le juge constate la violation du secret de l'instruction, pour qu'il retienne, dès lors, un préjudice à l'encontre de la victime et prononce une indemnisation. L'arrêt du 28 avril 2011 ne procède pas autrement quand il estime que, faisant une exacte application de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la cour d'appel avait, sans se contredire, pu en déduire, dès lors que des actes dressés par les services de police au cours d'une enquête sont des actes de procédure au sens de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881, que Mme B. était fondée à invoquer, du seul fait de cette publication, un préjudice personnel.
Or, la loi relative à la liberté de la presse ne recèle aucune réserve à l'égard de la violation du secret professionnel. Certes, l'article 226-13 du Code pénal, auquel renvoie pourtant l'article 11 du Code de procédure pénale pour le quantum des sanctions pénales, incrimine la violation du secret professionnel ; mais, il appartient à la victime supposée préjudiciée d'apporter le preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité... sans compter la question épineuse de l'évaluation du préjudice qui, dans le cadre du secret de l'instruction, est souvent moral. En clair, toute la charge de la preuve pèse sur la victime de la violation et, contrairement à ce qu'avait pu affirmer Christophe Régnard, "les mêmes personnes se plaindront quand il y aura divulgation dans la presse et les mêmes poursuites auront lieu", mais le fondement de l'action diffèrera et les conséquences pécuniaires ne seront pas a fortiori les mêmes.
Par ailleurs, la Cour de cassation a pu reconnaître, notamment en 2004, que le caractère absolu du secret professionnel ne saurait contrevenir aux dispositions de l'article 6 § 1 (procès équitable) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme -disposition fourre tout s'il en est-... Et, si l'on ajoute les prescriptions de Tracfin, les atteintes légales au secret médical et les difficultés croissantes pour un avocat, notamment, à assurer le secret de ses correspondances, le moins que l'on puisse dire est que la protection du secret de l'instruction placée sous l'égide du secret professionnel pourrait être aussi poreuse que la protection de ce dernier.
Et, qu'on se le dise, le secret de l'instruction n'est en rien un "secret de Polichinelle" ! Seuls les protagonistes de l'affaire sont au courant du secret en cause et chacun d'entre eux sait ce que l'autre sait : c'est le propre d'un débat contradictoire et d'un procès équitable. En revanche, porter sur la place publique un tel secret, au risque de violer également, et bien souvent, la présomption d'innocence fausse, nécessairement, le débat. Qu'y a-t-il de commun entre le secret de l'instruction et celui qui est confié à ce roi qui ignorait tout de l'infirmité d'un seigneur à l'adresse duquel Polichinelle vouait une détestation (une infirmité fantoche -ce seigneur aurait le corps couvert de plumes- et divulguée à chacun des courtisans, sous le sceau du secret à chaque fois, si bien que tous étaient au courant, mais ne savaient pas que l'autre avait également connaissance du même secret) ?
Mais que voulez-vous : la révélation est légitime lorsqu'elle porte sur des faits appartenant à l'Histoire (CA Paris, 30 juin 1961) ou relevant de l'actualité judiciaire (TGI Paris, 6 décembre 1979). Et, assurément l'affaire "Bettencourt", affaire d'Etat, relève désormais tant de l'Histoire que de l'actualité judiciaire ; actualité judiciaire qui fit les choux gras d'une presse du XIXème siècle consacrée par la loi de 1881. Ainsi, défaire le lien intime entre la presse et l'actualité judiciaire relève, peut-être tout simplement, de l'onirisme. Comme Orphée remontant les limbes de l'Hadès avec Eurydice, la Cour de cassation contemplant, une dernière fois, le secret de l'instruction pourrait bien ne plus jamais le revoir... sous quelque forme que ce soit.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421458
Réf. : Cass. soc., deux arrêts, 28 avril 2011, n° 09-40.464, F-P+B (N° Lexbase : A5360HP9) et n° 09-72.165, FS-P+B (N° Lexbase : A5361HPA)
Lecture: 8 min
N1508BSN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 12 Mai 2011
Résumé
Au sens de l'article L. 1242-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1442H9B), et sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire, toute période d'essai exprimée en jours se décompte en jours calendaires. |
Commentaire
I - Le décompte maintenu de la période d'essai en jours calendaires
La durée de la période d'essai du contrat de travail fut l'un des objets centraux de la réforme de l'essai, intervenue à l'occasion de la loi du 25 juin 2008 (1). En effet, s'agissant du contrat de travail à durée indéterminée, la loi a introduit pour la première fois au Code du travail des durées maximales d'essai, que cela concerne la période initiale ou son renouvellement (2).
La mesure nouvelle ne l'était pas complètement, dans l'absolu, puisque certaines durées maximales d'essai avaient déjà été envisagées pour certaines professions ou pour certains contrats. Au titre des professions particulières, on trouve par exemple le cas des assistants maternels pour lesquels la loi imposait déjà une durée de trois mois d'essai (3). Au titre des contrats spécifiques figurait, de longue date, le contrat d'apprentissage (4) et, depuis la loi "Auroux" de 1982, la durée de la période d'essai du contrat de travail à durée déterminée (5).
En effet, l'article L. 1242-10, alinéa 2, du Code du travail dispose que, "sauf si des usages ou des stipulations conventionnelles prévoient des durées moindres, cette période d'essai ne peut excéder une durée calculée à raison d'un jour par semaine, dans la limite de deux semaines lorsque la durée initialement prévue au contrat est au plus égale à six mois et d'un mois dans les autres cas". La durée de la période d'essai du contrat à durée déterminée est donc proportionnelle à la durée du contrat lui-même, comme cela est d'ailleurs le cas s'agissant du contrat de mission (6).
Comme toujours lorsqu'il s'agit d'un délai, des interrogations ont très tôt été soulevées s'agissant de la computation de celui-ci.
Longtemps, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le décompte de la période d'essai du contrat de travail à durée indéterminée devait s'effectuer en jours ouvrés (7), position relayée par l'administration du travail dans les années 1990 (8). Une position similaire était adoptée s'agissant de la période d'essai du contrat à durée déterminée (9).
Cependant, par un important arrêt rendu le 29 juin 2005, la Chambre sociale a nettement changé d'optique en jugeant que "toute période d'essai exprimée en jours se décompte en jours calendaires" (10). La formule, par sa généralité, semblait concerner tout aussi bien la période d'essai du contrat à durée déterminée que celle du contrat à durée indéterminée. C'est donc l'application de cette règle au contrat à durée déterminée qui est clairement précisée en l'espèce.
Un salarié avait été engagé par contrat à durée déterminée s'étalant du 27 décembre 2005 au 31 mars 2006, le contrat stipulant une période d'essai de huit jours. L'employeur rompit la période d'essai le 6 janvier 2006, ce qui inclina le salarié à saisir le juge prud'homal d'une demande d'indemnité compensatrice de salaire et d'une indemnité de fin de contrat. La cour d'appel de Dijon débouta le salarié de ses demandes au motif que la période d'essai aurait dû se décompter en jours travaillés, si bien que la rupture du contrat était intervenue avant que la période d'essai ne prenne fin.
La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article L. 1242-10 du Code du travail et motive sa décision sur le fondement de ce texte. Elle juge, en effet, que "sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire, toute période d'essai exprimée en jours se décompte en jours calendaires".
Dans cette seconde affaire, un salarié avait été engagé par contrat d'accompagnement vers l'emploi à durée déterminée de six mois à compter du 23 juillet 2007 en qualité de technicien informatique. Le contrat stipulait une période d'essai d'un mois, ce qui permit à l'employeur de mettre fin au contrat de travail le 6 août 2007 en s'affranchissant des règles du licenciement. Le salarié saisit pourtant la juridiction prud'homale pour faire juger que la rupture, intervenue après l'issue de la période d'essai, était abusive. Le raisonnement du salarié tenait logiquement à ce que la période d'essai du contrat de travail à durée déterminée ne pouvait en principe, par application de l'article L. 1242-10 du Code du travail, excéder deux semaines. La cour d'appel de Douai débouta pourtant le salarié de ses demandes. En effet, si elle confirma le raisonnement du salarié selon lequel la période d'essai devait être ramenée d'un mois à deux semaines, elle jugea en revanche que la période d'essai devait être calculée en jours travaillés si bien qu'au moment de la rupture, le contrat de travail avait pris fin.
La Chambre sociale, par un visa et une argumentation en tous points identiques au premier arrêt, casse la décision des juges d'appel, la période d'essai devant être calculée en jours calendaires.
A première vue, il ne s'agit donc que de reprendre la règle déjà posée en 2005 par la même Chambre sociale. Cependant, différents apports s'élèvent de l'analyse de ces deux arrêts. Ils apportent, d'abord, la confirmation que la règle s'applique tout aussi bien au contrat à durée indéterminée qu'au contrat à durée déterminée. Ils précisent, ensuite, que la règle n'est pas impérative et que le contrat ou la convention collective de travail peut l'aménager. A la réflexion, ces deux apports sont sérieusement contestables.
II - Le décompte contestable de la période d'essai en jours calendaires
La transposition de la règle applicable au contrat à durée indéterminée au contrat à durée déterminée paraît logique, à la fois parce qu'elle était pressentie dans l'arrêt de 2005 ("toute période d'essai"), mais aussi parce qu'il n'existe pas de différence de nature juridique entre la période d'essai de chacun de ces deux contrats (11).
Le visa de l'article L. 1242-10 est parfaitement logique puisque ce texte comporte les dispositions spécifiques à la durée de la période d'essai du contrat à durée déterminée. Nul besoin, donc, de se référer aux règles plus générales applicables à la période d'essai du contrat à durée indéterminée. On ne s'étonnera pas non plus de l'absence de l'article 642 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6803H74) au visa qui, pourtant, règle la question du décompte en jours ouvrés d'un délai de procédure (12). En effet, la Chambre sociale en fait une application pour le moins cavalière, si bien qu'il serait pour le moins curieux de rappeler cette règle...
Que penser de ce mode de décompte appliqué à la période d'essai du contrat à durée déterminée ?
A la vérité, il est bien difficile de trouver une justification à la solution adoptée ici par la Chambre sociale.
Passons sur l'argument textuel tiré de l'article 642 du Code de procédure civile car, après tout, il est loin d'être certain que le délai d'essai constitue bien un délai de procédure. Il n'en reste pas moins que l'application de la règle énoncée par la Chambre sociale, pour les contrats à durée indéterminée comme pour les contrats à durée déterminée, va clairement à l'encontre de la finalité même de la période d'essai. Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre, la définition de l'essai est la même. Cette définition a, en tous les cas, été précisée par le législateur pour le contrat à durée indéterminée à l'article L. 1221-20 du Code du travail (N° Lexbase : L9174IAZ) qui dispose que "la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent" (13). Comment apprécier les qualités du salarié les jours où celui-ci ne travaille pas ? Le décompte de la période d'essai ainsi opéré ôte toute utilité à au moins deux septièmes de la durée de l'essai, cela sans compter les éventuels jours fériés.
La position adoptée par la Chambre sociale ne se concilie d'ailleurs que difficilement avec une autre règle relative, elle aussi, au délai d'essai. En effet, en cas de suspension de la période d'essai, par exemple en cas de maladie du salarié, le délai de la période d'essai est suspendu afin, justement, de maintenir l'utilité de l'essai (14).
Pourquoi une telle logique n'est-elle pas transposée au décompte de la durée de l'essai ? L'argument le plus pertinent, mais qui on l'aura compris, ne convainc pas, est celui de la faveur faite au salarié par ce mode de calcul. En effet, ce décompte raccourcit, de fait, la durée de l'essai dont le caractère dérogatoire et défavorable au salarié a été démontré (15). Du moins pourrait-on le croire... En effet, une autre règle insidieusement énoncée par l'arrêt remet clairement en cause cette interprétation.
Par une incise aux allures d'obiter dictum, la Chambre sociale de la Cour de cassation énonce que le décompte de la durée de l'essai s'opère par jours calendaires, "sauf disposition conventionnelle ou contractuelle contraire".
En somme, si le décompte de la période d'essai doit s'opérer, en principe, en jours calendaires, cette règle n'est pas impérative et peut être écartée par les parties au contrat de travail ou par les partenaires sociaux. Plus précisément encore, on pourrait donc être tenté de conclure que le mode de décompte de la période d'essai n'est pas d'ordre public absolu puisqu'il peut être aménagé.
De prime abord, rien ne s'oppose à ce que cette règle ne soit pas d'ordre public. Créée de toute pièce par la Chambre sociale, en opposition même avec le Code de procédure civile, il aurait été surprenant que la règle soit classée au rang de celles auxquelles on ne peut pas du tout déroger. Pour autant, l'incise de la Chambre sociale étonne. En effet, la dérogation aux règles légales, conventionnelles ou même jurisprudentielles, en droit du travail, est autorisée par principe à condition que la dérogation soit plus favorable au salarié. C'est là l'essence même de l'ordre public social, ordre public particulier qui prédomine en droit du travail. Or, en permettant aux parties de déroger à la règle de computation qu'elle établit, la Chambre sociale ne permet, en réalité, que de dégrader le régime juridique de l'essai en défaveur du salarié.
En effet, l'aménagement contractuel ou conventionnel sous entendu par la Chambre sociale tient, évidemment, à écarter la règle du décompte en jours calendaires pour appliquer un décompte en jours ouvrables ou en jours ouvrés. Or, une telle dérogation est clairement moins favorable au salarié qui verra, là encore de facto, la durée de son essai prolongé dans le temps par rapport au mode de calcul prévu par principe.
Ce dernier argument démontre que la solution adoptée par la Chambre sociale est non seulement peu convaincante quant aux finalités de l'essai mais, plus encore, qu'elle est incohérente quant à l'éventuelle volonté de protéger le salarié contre le caractère dérogatoire de l'essai. Nous l'avions déjà soutenu, mais nous le répétons, espérant un jour être entendu : le mode de calcul de la période en jours calendaires est donc particulièrement inadapté (16).
(1) Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B). Voir les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL) ; J. Mouly, Sur le caractère impératif de la durée des nouvelles périodes d'essai, SSL, 28 avril 2008, n° 1351, p. 6 ; Une innovation ambiguë : la réglementation de l'essai, Dr. soc., 2008, p. 288 ; A. Sauret, La période d'essai, JCP éd. S, 2008, 1364.
(2) C. trav., art. L. 1221-19 (N° Lexbase : L8751IAD) et L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3).
(3) CASF, art. L. 423-9 (N° Lexbase : L4179H8B).
(4) Quoique le législateur n'ait pas expressément qualifié la période de deux mois initiant le contrat d'apprentissage de "période d'essai", v. C. trav., art. L. 6222-18, al. 1er (N° Lexbase : L9755IEZ).
(5) C. trav., art. L. 1242-10 (N° Lexbase : L1442H9B).
(6) C. trav., art. L. 1251-14 (N° Lexbase : L1544H93).
(7) Cass. soc., 25 janvier 1989, n° 86-40.668 (N° Lexbase : A3389AB7).
(8) Circulaire DRT n° 90/18, 30 octobre 1990 (N° Lexbase : L2859AIQ), BO trav. n° 24, 18 décembre 1990.
(9) Cass. soc., 4 février 1993, n° 89-43.421 (N° Lexbase : A1867AAE).
(10) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 02-45.701 (N° Lexbase : A8387DIH) ; Dr. soc., 2005, p. 1036, obs. J. Savatier.
(11) Quand bien même les règles des articles L. 1221-20 (N° Lexbase : L9174IAZ) et suivants du Code du travail ne concernent, stricto sensu, que la période d'essai du contrat à durée indéterminée alors que la seule disposition relative à la période d'essai du contrat à durée déterminée figure à l'article L. 1242-10 du même code (N° Lexbase : L1442H9B). Sur l'unité de la notion d'essai, v. notre ouvrage, L'essai en droit privé - Contribution à l'étude de l'influence du droit du travail sur le droit privé, LGDJ, Bibl. de droit social, 2011.
(12) La troisième chambre civile juge, pour sa part, que ce texte est applicable à d'autres délais que les délais de procédure, position qui n'est donc plus partagée par la Chambre sociale. V. Cass. civ. 3, 18 février 2004, n° 02-17.976 (N° Lexbase : A3076DBK) ; JCP éd. G, 2004, II, 10095, note A. Billemont.
(13) Déjà la jurisprudence.
(14) Cass. soc., 4 février 1988, n° 85-41.134 (N° Lexbase : A6731AAK). De la même manière, s'agissant des congés annuels, v. Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.314 (N° Lexbase : A2967DHD).
(15) L'essai en droit privé - Contribution à l'étude de l'influence du droit du travail sur le droit privé, préc., pp. 249 et s..
(16) Ibid, p. 342.
Décisions
1 - Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-40.464, F-P+B (N° Lexbase : A5360HP9) Cassation partielle, CA Dijon, ch. soc., 7 mai 2008. Textes visés : C. trav., art. L. 1242-10 (N° Lexbase : L1442H9B) Mots-clés : période d'essai, contrat à durée déterminée, décompte, jours calendaires. Liens base : (N° Lexbase : E7779ESW) 2 - Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-72.165, FS-P+B (N° Lexbase : A5361HPA) Cassation, CA Douai, ch. soc., 31 mars 2009, n° 08/01800 (N° Lexbase : A0588ETX) Textes visés : C. trav., art. L. 1242-10 (N° Lexbase : L1442H9B) Mots-clés : période d'essai, contrat à durée déterminée, décompte, jours calendaires. Liens base : (N° Lexbase : E7779ESW) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421508
Réf. : Cass. soc., 28 avril 2011, deux arrêts, n° 09-70.619, FS-P+B (N° Lexbase : A5359HP8) et n° 10-13.979, FS-P+B (N° Lexbase : A5362HPB)
Lecture: 9 min
N1471BSB
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur agrégé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 14 Mai 2011
Résumés
Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-70.619 : lorsque l'employeur notifie au salarié une sanction emportant modification du contrat de travail, il doit informer l'intéressé de sa faculté d'accepter ou refuser cette modification. Cass. soc., 28 avril 2011, n° 10-13.979 : lorsque le salarié refuse une mesure de rétrogradation disciplinaire notifiée après un premier entretien préalable, l 'employeur qui envisage de prononcer un licenciement au lieu de la sanction initiale doit convoquer l'intéressé à un nouvel entretien dans le délai de la prescription de deux mois prévu à l'article L. 1332-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1867H9Z) ; le refus du salarié interrompt ce délai, mais pas sa maladie. |
I - L'information du salarié sur le droit de refuser la modification disciplinaire de son contrat de travail
Les origines du pouvoir de refus du salarié. La Cour de cassation a décidé, à partir de l'arrêt "Hôtel le Berry" rendu en 1998 (2), de permettre au salarié de refuser la modification de son contrat de travail consécutive au prononcé par l'employeur d'une sanction disciplinaire, ce qui équivaut de fait au droit de refuser la sanction disciplinaire elle-même.
Lorsque le salarié exerce ce droit, l'employeur peut prononcer une nouvelle sanction qui peut aller jusqu'au licenciement, y compris pour faute grave, ce qui doit inciter les salariés à réfléchir sur la portée de leur refus (3).
La Cour de cassation avait été amenée à préciser sa jurisprudence depuis, et notamment à indiquer que, si l'employeur inflige directement la modification disciplinaire du contrat au salarié, sans lui laisser le loisir de discuter, cette sanction est nulle, puisque prononcée en violation de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), et le prive de surcroît du pouvoir d'y substituer une nouvelle sanction qui ne requerrait pas le consentement du salarié (le licenciement) dans la mesure où il a épuisé son pouvoir disciplinaire en notifiant la modification disciplinaire, fut-elle nulle (4).
La Cour de cassation avait également considéré que l'employeur, qui ne renonce pas à sa sanction après que le salarié eut exprimé son refus, commet une faute qui justifie la prise d'acte, à ses torts, du contrat de travail (5).
L'affirmation inédite d'un devoir d'information sur le droit de refus. Pour la première fois, la Chambre sociale de la Cour de cassation impose à l'employeur qui notifie au salarié la sanction qui emporte modification de son contrat de travail d'informer le salarié de "sa faculté d'accepter ou de refuser cette modification".
L'affaire. Une salariée engagée en qualité d'assistante commerciale, statut employé, avait été promue au poste de responsable de réservation, position assimilée cadre. Ultérieurement, l'employeur lui avait notifié une mesure de rétrogradation au poste d'agent de réservation avec une baisse de rémunération. La salariée avait alors pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur puis saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes. Quelques semaines plus tard, l'employeur l'avait avisée qu'il transformait la sanction en simple avertissement.
La juridiction prud'homale avait donné raison à la salariée, ce que contestait l'employeur dans le cadre de son pourvoi, mais la Haute juridiction confirme la solution.
La solution. Après avoir affirmé que "lorsque l'employeur notifie au salarié une sanction emportant modification du contrat de travail, il doit informer l'intéressé de sa faculté d'accepter ou refuser cette modification", la Cour a, en effet, considéré qu'"après avoir exactement rappelé qu'une modification du contrat de travail, y compris à titre disciplinaire, ne pouvait être imposée à la salariée, a constaté que la rétrogradation avait été notifiée avec effet définitif et en a déduit que Mme R. avait été fondée à prendre acte de la rupture".
La clarification de la procédure. L'arrêt est important car il clarifie une situation souvent complexe et permet de bien distinguer l'hypothèse dans laquelle l'entreprise impose au salarié une modification disciplinaire de son contrat de travail, de celle dans laquelle il lui propose cette modification.
Dans cette affaire, les termes du courrier adressé à la salariée étaient univoques et il s'agissait bien de la notification de la sanction disciplinaire emportant modification des fonctions contractuelles de celle-ci, et donc de son contrat de travail. Par ailleurs, la salariée avait attendu neuf jours à compter de la date à laquelle la sanction prenait effet pour la contester, ce qui suffisait pour considérer que l'employeur avait de fait exécuté la sanction.
Pour la Cour de cassation, l'employeur qui veut se réserver la possibilité de retirer la modification/sanction en cas de refus de la salariée et d'y substituer soit une nouvelle proposition, soit une nouvelle sanction, doit clairement informer la salarié de son droit de la refuser et ce afin de ne pas confondre ce courrier avec la notification de la sanction.
Le renforcement des "droits de la défense" dans les procédures disciplinaires. Cette nouvelle condition présente un autre mérite que celui de la clarification car elle rehausse de manière sensible les droits des salariés dans les procédures disciplinaires, et plus largement dans les procédures susceptibles de conduire l'employeur à engager une procédure disciplinaire, en particulier le droit à l'information sur ses droits. De très nombreux salariés ne savent, en effet, certainement pas qu'ils peuvent s'opposer à une modification de leur contrat de travail décidée par l'employeur à titre disciplinaire, ne serait-ce que parce qu'il est de l'essence même du pouvoir disciplinaire que de s'exercer de manière unilatérale, autoritaire serions-nous tenté de dire (6).
Cette tendance à renforcer les garanties du salarié en obligeant l'employeur à l'informer sur son droit de refus s'est récemment illustrée à propos de la fouille des effets personnels du salarié, puisque l'employeur doit informer le salarié qu'il a le droit de s'opposer à cette fouille s'il veut ultérieurement se fonder sur cet accord (7).
L'appel à une application "intelligente" de la nouvelle solution. Si cette solution mérite donc, pour ces deux raisons, d'être approuvée, il ne faudrait pas qu'elle soit appliquée de manière trop formaliste et que les tribunaux soient intransigeants sur les mentions qui devront désormais accompagner ces lettres de "proposition" de sanction. Ce qui compte est, en effet, que le salarié sache qu'il peut refuser la sanction envisagée par l'employeur, et donc que la formulation du courrier permette au salarié de comprendre qu'il peut le faire. Il appartiendra donc, du moins peut-on le souhaiter, aux juges du fond, d'analyser la valeur de ces mentions.
L'appel à une formalisation plus claire de la procédure. Il nous semble, toutefois, et sans d'ailleurs que cette remarque ne contredise la précédente, qu'il serait nécessaire d'imposer aux employeurs également la mention qu'en cas de refus l'employeur sera en droit, dans le délai de deux mois, d'y substituer une nouvelle sanction, de manière à ce que la décision prise par le salarié, et dont on sait qu'elle peut le conduire à perdre son emploi, soit parfaitement éclairée.
Dans ces conditions, il est plus que légitime de se demander si toutes ces précisions n'excèdent pas le rôle du juge et si une intervention législative ne serait pas préférable pour encadrer d'une manière générale les procédures de modification du contrat de travail, comme cela avait été le cas en 1993 pour les modifications envisagées pour une motif économique ?
II - Les conséquences du refus du salarié sur le délai imparti à l'employeur pour prononcer une nouvelle sanction disciplinaire
Précisions procédurales sur le régime de la modification disciplinaire du contrat de travail. La reconnaissance du droit du salarié de s'opposer à la modification disciplinaire de son contrat de travail a immédiatement entraîné des interrogations sur le respect de la procédure disciplinaire, et singulièrement des deux délais imposés à l'employeur pour engager la procédure (8) et notifier la sanction (9).
Dans une première décision rendue en 2001, la Cour de cassation avait considéré que l'engagement de la procédure disciplinaire ayant conduit à la première proposition de sanction interrompt le délai de poursuite de deux mois et qu'un nouveau délai de deux mois recommence à courir à compter de la date de l'entretien préalable avec le salarié (10).
Dans une décision rendue en 2007, la Cour de cassation avait également considéré que l'employeur qui veut notifier une nouvelle sanction doit reconvoquer le salarié à un nouvel entretien préalable, ce qui fait courir un nouveau délai de notification d'un mois à compter de ce nouvel entretien (11).
Confirmation de l'existence d'un nouveau délai de deux mois pour reconvoquer le salarié. C'est le départ d'un nouveau délai de poursuite de deux mois qui se trouve ici confirmé.
L'affaire. Une salariée avait été employée en qualité de responsable des cures thermales et convoquée à un entretien préalable à licenciement, à la suite duquel l'employeur lui avait proposé la modification de ses fonctions et demandé de signer un avenant à son contrat de travail. La salariée ayant refusé, elle a fait l'objet d'un licenciement disciplinaire notifié huit mois plus tard. Ayant contesté les conditions de son licenciement, celle-ci avait obtenu gain de cause, ce que confirme le rejet du pourvoi.
La solution. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "lorsque le salarié refuse une mesure de rétrogradation disciplinaire notifiée après un premier entretien préalable, l'employeur qui envisage de prononcer un licenciement au lieu de la sanction initiale doit convoquer l'intéressé à un nouvel entretien dans le délai de la prescription de deux mois prévu à l'article L. 1332-4 du Code du travail", le refus du salarié interrompant ce délai.
Or, dans cette affaire, la cour d'appel avait relevé que l'intéressée avait refusé à deux reprises, dans les deux mois qui avaient suivi le premier entretien préalable, la modification qui lui avait été proposée, et qu'elle avait été convoquée ensuite près de six mois plus tard au retour d'un congé maladie qu'elle avait pris juste après son dernier refus. Dans ces conditions, "la prescription étant acquise, le licenciement ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse".
Une solution confirmative justifiée. La solution, qui confirme celle adoptée dès 2001, est parfaitement justifiée car le refus du salarié replace l'employeur dans la situation où il se trouvait lorsqu'il a eu connaissance des fautes commises par le salarié. Rappelons qu'il aura tout intérêt à ne pas tarder s'il veut cette fois-ci notifier au salarié un licenciement pour faute grave, car celui-ci doit l'être dans un délai restreint qui est bien inférieur à deux mois (12).
Reste que cette solution n'est pas sans faire difficulté sur un plan pratique.
Première difficulté pratique : le régime du délai de deux mois. L'arrêt rappelle que l'arrêt maladie du salarié n'interrompt pas le délai de deux mois laissé à l'employeur, après le premier entretien préalable, pour reconvoquer le salarié à un nouvel entretien (13). La solution peut sembler discutable, mais l'employeur devra convoquer un salarié absent pour cause de maladie et dont il est plus que vraisemblable qu'il ne pourra pas se présenter ...
Seconde difficulté pratique : le traitement du salarié qui refuse de prendre position. En second lieu, on sait qu'un nouveau délai de deux mois est laissé à l'employeur après le premier entretien pour reconvoquer le salarié, et qu'il dispose d'un mois après le deuxième entretien pour notifier un éventuel licenciement pour faute, mais on ne sait pas de quel délai le salarié doit disposer pour prendre position sur la première sanction qui lui est "proposée". Or, à s'en tenir aux solutions aujourd'hui dégagées, le nouveau délai de deux mois commence à courir non à partir de la réponse du salarié, mais à partir du premier entretien. Lorsque le salarié demande à réfléchir et qu'il ne répond pas formellement à la proposition qui lui a été faite, l'employeur se trouve donc en porte à faux car il est alors sous la pression du délai de deux mois pour reconvoquer, et même du délai restreint s'il envisage un licenciement pour faute grave, sachant, par ailleurs, qu'il doit surseoir à appliquer la sanction tant qu'elle n'a pas été formellement acceptée par le salarié. Il est alors tentant de donner au salarié un délai de réflexion lors du premier entretien et de lui indiquer qu'à défaut de réponse dans le délai imparti il est censé avoir soit accepté, soit refusé la proposition, mais en toute hypothèse que son silence aura un sens et des conséquences. Or, pareil délai n'a aucune valeur juridique. Dès lors, comment procéder et forcer le salarié à prendre position s'il reste taisant ? Il nous semble que dans cette hypothèse la prudence veut qu'à défaut d'acceptation manifeste du salarié, il faille le reconvoquer à un nouvel entretien pour lui notifier son licenciement.
Ces dernières hésitations renforcent notre conviction : une intervention du législateur sur ces questions s'impose !
(1) Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, publié (N° Lexbase : A1981ABY).
(2) Cass . soc., 16 juin 1998, n° 95-45.033, publié (N° Lexbase : A5390ACM), Dr. soc., 1999, p. 3 , et la chron..
(3) Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-44.476, F-P+B ([LXB=A0428DD9 ]), v. nos obs., Le prix du refus (à propos du droit de s'opposer à la modification du contrat de travail consécutive à une sanction disciplinaire), Lexbase Hebdo n° 130 du 22 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2390AB7).
(4) Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-44.570, FS-P+B (N° Lexbase : A2931EIE), v. nos obs., Modification du contrat de travail et exercice du pouvoir disciplinaire : la Cour de cassation intransigeante, Lexbase Hebdo n° 357 du 2 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9754BKH).
(5) Cass. soc., 3 avril 2007, n° 05-43.008, F-D (N° Lexbase : A8999DUT), v. nos obs., Modification du contrat de travail : renoncer ou mourir !, Lexbase Hebdo n° 257 du 26 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9022BAE).
(6) En ce sens notre chronique précédente sous l'arrêt "Hôtel le Berry".
(7) Cass. soc., 11 février 2009, n° 07-42.068, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1262ED4). Cette jurisprudence, directement inspirée des solutions antérieures en matière de fouille des armoires et conforme au respect des droits de la défense, ne doit pas être confondue avec celle qui autorise l'employeur à avoir accès aux dossiers ou fichiers présents sur le lieu de travail, même s'ils sont identifiés comme "personnels", avec pour seule obligation, dans cette hypothèse, d'informer le salarié pour que celui-ci puisse être présent, ou se faire représenter, lors de l'accès.
(8) Deux mois à compter de la connaissance des faits : C. trav., art. L. 1332-4.
(9) Un mois à compter de l'entretien préalable : C. trav., art. L. 1332-2 ([LXB=L1864H9W ]).
(10) Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-41.217 (N° Lexbase : A2190AWZ), Bull. civ. V , n° 304.
(11) Cass. soc., 27 mars 2007, n° 05-41.921, FS-P+B+R ([LXB=A7974DUU ]) et nos obs., Précisions sur la procédure applicable au salarié qui refuse une modification disciplinaire du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 255 du 4 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6276BAP), D., 2007, somm. p. 2268, note M.-C. Amauger-Lattès, RDT, 2007, p. 459, obs. S. Frossard, JCP éd. G, 2007, II, note D. Jacotot .
(12) Dernièrement, Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 09-41.294, FS-P+B ([LXB=A3748GBG ]), Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY).
(13) Cass. soc., 13 juillet 1993, n° 91-42.964 (N° Lexbase : A3835AAB), Bull. civ. V, n° 202 .
Décisions
Cass. soc., 28 avril 2011, n° 09-70.619, FS-P+B (N° Lexbase : A5359HP8) Rejet, CA Versailles, 5ème ch. civ., 3 septembre 2009 (N° Lexbase : A9078G4Y) Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Cass. soc., 28 avril 2011, n° 10-13.979, FS-P+B (N° Lexbase : A5362HPB) Rejet, CA Lyon, ch., soc., sect. B, 6 janvier 2010 Textes concernés ; C. civ., art. 1134 et C. trav., L. 1332-4 (N° Lexbase : L1867H9Z) Mots-clés : contrat de travail, sanction disciplinaire, proposition, mentions Liens base : (N° Lexbase : E2779ET4) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421471
Réf. : CEDH, 3 mai 2011, Req. 56759/08 (N° Lexbase : A2837HQ7)
Lecture: 8 min
N1510BSQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
Le 12 Mai 2011
L'arrêt "Negrepontis-Giannis c/ Grèce" n'est pas la première décision rendue par la Cour de Strasbourg sur cette question délicate. Combiné avec l'arrêt "Wagner et J.M.W.L. c/ Luxembourg" du 28 juin 2007 (2), il permet de considérer qu'il existe désormais, en droit européen, une obligation pour les Etats de reconnaître les effets des jugements étrangers établissant un lien familial, même si ceux-ci sont contraires à l'ordre public national. Cette reconnaissance suppose cependant que le lien établi par le jugement en cause corresponde à une vie familiale effective.
I - L'obligation de reconnaître les jugements étrangers établissant un lien familial
La Cour européenne des droits de l'Homme, comme elle le fait désormais systématiquement dans les affaires dans lesquelles est en cause une filiation adoptive, rappelle au préalable que, si le droit d'adopter ne figure pas en tant que tel au nombre des droits garantis par la Convention, les relations entre un adoptant et un adopté sont en principe de même nature que les relations familiales protégées par l'article 8 (N° Lexbase : L4798AQR), l'adoption conférant à l'adoptant les mêmes droits et obligations que ceux d'un père ou d'une mère à l'égard de son enfant légitime (3).
La Cour note, en outre, que les droits successoraux entre enfants et parents, en cause en l'espèce, sont si étroitement liés à la vie familiale qu'ils tombent sous le coup de l'article 8, comme elle l'affirme depuis l'arrêt "Marckx c/ Belgique" du 13 juin 1979 (4). Elle précise, également, que la question du nom, qui constitue l'un des effets du jugement d'adoption dont le requérant réclamait la reconnaissance en Grèce, entre également dans le champ d'application de l'article 8, au titre du droit à la vie privée et familiale.
L'obligation de reconnaître le jugement d'adoption prononcé à l'étranger est, en réalité, formulée par la Cour européenne de manière négative puisqu'elle se place sur le terrain de l'ingérence. En effet, elle "rappelle que, dans l'arrêt Wagner et J.M.W.L. c/ Luxembourg' du 28 juin 2007, elle a affirmé que le refus par les tribunaux luxembourgeois d'accorder l'exequatur d'un jugement d'adoption constituait une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale". La Cour européenne considère de la même façon dans l'arrêt du 3 mai 2011 qu'"il ne fait pas de doute que la vie privée et familiale du requérant a été perturbée par le refus des juridictions grecques de reconnaître son adoption, ce qui a constitué, de l'avis de la Cour une ingérence incontestable dans le droit protégé par l'article 8".
Dès lors que l'ingérence était qualifiée, il convenait de s'interroger sur le fait de savoir si elle était justifiée. Les autorités judiciaires grecques s'étaient fondées sur les dispositions de leur droit interne qui, comme c'est le cas en droit français, subordonne la force de chose jugée et la force exécutoire d'une décision étrangère à sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs. Au regard de ces dispositions, la Cour européenne considère que le refus de reconnaître le jugement d'adoption étranger était à la fois prévue par la loi et justifié par la volonté de protéger l'ordre public.
Il restait à apprécier la proportionnalité de l'atteinte au regard de l'objectif poursuivi. La Cour européenne rappelle d'emblée que, certes, dans le domaine en litige, les Etats jouissent d'une large marge d'appréciation et qu'elle ne saurait se substituer aux autorités grecques compétentes pour définir la politique la plus opportune en matière d'adoption.
Elle se réfère cependant à l'arrêt "Wagner" dans lequel elle avait condamné le fait, pour les juges nationaux, d'être passés outre le statut juridique créé valablement à l'étranger. Elle conclut de la même manière dans l'arrêt du 3 mai 2011 en affirmant que "les motifs avancés par la Cour de cassation pour refuser de reconnaître l'adoption du requérant ne répond pas à un besoin social impérieux" et qu'en conséquence "ils ne sont donc pas proportionnés au but légitime poursuivi en ce qu'ils ont eu pour effet la négation du statut de fils adoptif du requérant".
La formule de la Cour européenne, se référant à un besoin social impérieux, peut susciter un doute quant à la généralité de la solution de cet arrêt. Dans le corps de celui-ci, la Cour insiste, en effet, sur la nature de la règle à laquelle le jugement d'adoption américain porte atteinte, à savoir l'interdiction faite aux prêtres d'adopter. Cette règle est fondée sur des dispositions de nature ecclésiastique datant, en outre, comme le souligne la Cour elle-même, des septième et neuvième siècle, et dont la portée en droit positif fait l'objet de dissensions. Il est relevé dans l'arrêt que les juges dissidents de la Cour de cassation ont souligné que la question ne se heurtait pas à une règle d'une importance fondamentale majeure et reflétant une conviction sociale et religieuse ferme en Grèce. Il résulte de cette analyse que la contrariété à l'ordre public évoquée par les autorités nationales pour refuser de reconnaître le jugement d'adoption pouvait être contestable aux yeux de la cour. Dans le même sens, la Cour européenne avait, dans l'arrêt "Wagner", mis implicitement en cause la pertinence, au fond, du motif de refus de la reconnaissance du jugement péruvien prononçant l'adoption, lequel résidait dans l'interdiction faite en droit interne à une personne célibataire d'adopter. La Cour avait, en effet, fait observer qu'en la matière, la situation se trouve à un stade avancé d'harmonisation en Europe, une étude de la législation des Etats membres révélant que l'adoption par les célibataires est permise sans limitation dans la majorité des quarante-six pays. Elle avait, en outre, précisé qu'il existait au Luxembourg, avant les faits litigieux, une pratique selon laquelle les jugements péruviens ayant prononcé une adoption plénière étaient reconnus de plein droit au Luxembourg.
Ainsi, dans les deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme condamnant un refus de reconnaissance d'un jugement étranger d'adoption, le motif avancé par les autorités nationales ne fait pas l'objet d'un consensus. Cette limitation de la portée de la condamnation européenne conduit à se demander si le juge européen adopterait la même solution dans l'hypothèse de la filiation d'un enfant né d'une mère porteuse, puisque la prohibition de la maternité de substitution qui motive ce refus est, quant à lui, pour l'instant au moins, objet d'un consensus parmi les Etats du Conseil de l'Europe.
II - La condition de l'effectivité de la vie familiale établie par le jugement
La reconnaissance des effets du jugement étranger en Grèce est subordonnée par le juge de Strasbourg à l'effectivité du lien unissant l'adoptant et l'adopté.
La Cour affirme, tout d'abord, dans l'arrêt du 3 mai 2011 que, "pour les besoins de la présente affaire, il lui suffit de constater que les autorités judiciaires avait émis un acte d'adoption et que cet acte était censé produire des effets dans la vie quotidienne du requérant et de sa famille". Elle ajoute que celui-ci "n'a jamais été remis en cause par le requérant". Par cette formule, la Cour paraît souligner la légalité du jugement étranger et le fait qu'il établissait un lien correspondant à une relation familiale effective.
Selon la Cour européenne, le fait que l'adopté et l'adoptant n'aient pas entrepris, avant le décès de ce dernier, des démarches communes dans le but de voir reconnaître le jugement d'adoption en Grèce, ne peut avoir d'influence sur le lien juridique et effectif qui les unissait, même si ce défaut de reconnaissance impliquait l'ignorance, par les frères et soeurs du défunt, du lien de filiation adoptive.
Surtout, au moment d'apprécier la proportionnalité du refus de l'Etat grec de reconnaître le jugement d'adoption, la Cour relève que l'adoption a duré 24 ans avant que la Cour de cassation n'y mettre un terme par ses arrêts et que "les parties n'ont fourni aucun élément tendant à démontrer que la réalité des liens entre le requérant et son père adoptif ait été mis en cause avant que la question de la succession se pose". Il est précisé, à plusieurs reprises dans l'arrêt, que l'adoption prononcée aux Etats-Unis correspondait à une volonté des deux personnes concernées et particulièrement de l'adoptant d'officialiser une relation affective et effective. Ce dernier avait clairement exprimé sa volonté de faire de son neveu son héritier.
La réalité de la filiation consacrée par le jugement dont la reconnaissance est en cause constitue ainsi une condition de l'obligation de l'Etat de lui faire produire effet sur son territoire. Ce n'est en effet pas seulement le fait de ne pas avoir exécuté une décision de justice, même étrangère, qui est condamné par la Cour européenne ; la cour considère par ailleurs que "compte tenu des textes sur lesquels s'est fondé la Cour de cassation pour refuser de donner effet à la décision d'adoption, et des conclusions de la Cour à cet égard sous l'angle de l'article 8 de la Convention, le principe de proportionnalité n'a pas été non plus respecté sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR)". L'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale se caractérise, au regard de l'article 8 de la Convention, par le fait que le refus de faire produire des effets au jugement d'adoption empêche le requérant de bénéficier des différents effets juridiques de la vie familiale en cause, en l'espèce les droits successoraux et le droit au nom. La réalité de la vie familiale constitue ainsi, selon la Cour européenne, à la fois une condition de la reconnaissance du jugement étranger mais également l'objectif poursuivi par cette reconnaissance, c'est-à-dire permettre à l'enfant de bénéficier de tous les effets du lien de filiation judiciairement établi.
De ce point de vue, il est possible que la Cour européenne condamne le refus de la France de reconnaître la filiation établie à l'étranger des enfants nés à l'issue d'une convention de mère porteuse, d'autant que, contrairement à l'arrêt "Negrepontis-Giannis c/ Grèce", cette hypothèse concerne des mineurs et est donc également régie par le principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant qui a d'ailleurs largement fondé l'arrêt "Wagner c/ Luxembourg".
Toutefois, la Cour européenne pourrait considérer, contrairement à ce qu'elle a fait dans l'arrêt du 3 mai 2011 à propos de l'interdiction d'adopter des prêtres, que le refus de reconnaître les effets d'une convention de mère porteuse constitue un besoin social impérieux...
(1) Cass. civ. 1, 6 avril 2011, trois arrêts, n° 09-66.486 (N° Lexbase : A5705HMA), n° 10-19.053 (N° Lexbase : A5707HMC) et n° 09-17.130 (N° Lexbase : A5704HM9), FP-P+B+R+I ; nos obs., Convention de gestation pour autrui à l'étranger : l'intérêt de l'enfant sacrifié sur l'autel de l'ordre public, Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N9639BRG).
(2) CEDH, 28 juin 2007, Req. 76240/01 (N° Lexbase : A5260EA3), RTDCiv., 2007, p. 738, obs. J.-P. Marguénaud.
(3) F. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 5ème éd, GACEDH, p. 523.
(4) CEDH, 13 juin 1979, Req. 6833/74 (N° Lexbase : A8858DMZ), GACEDH, comm. n° 49.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421510
Lecture: 9 min
N9760BRW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 12 Mai 2011
Jean-Claude Drié : Le contrôle des groupes français dits "consolidés" entre dans les attributions normales de la DVNI. Ces groupes font l'objet de vérifications de comptabilité, qui s'exercent régulièrement, c'est-à-dire tous les trois ou quatre ans. Ainsi, avec un droit de reprise de trois ans, on voit que cette permanence du contrôle assure par là même une permanence dans les exercices vérifiés et peu d'années passent au travers d'une vérification. C'est la dixième brigade de vérification qui a en charge ce type de contrôle. Il y a encore peu de temps, la vingt-troisième brigade avait aussi ce type d'attribution, mais la défection progressive du régime fiscal du BMC a réduit le nombre de groupes et, corrélativement, le nombre de fonctionnaires en charge du contrôle.
Aujourd'hui, seulement cinq groupes français ont un agrément BMC, alors qu'à la création du régime, ils étaient plus de dix. On se pose souvent la question : pourquoi aussi peu de groupes ? Parce que ce régime fiscal est totalement méconnu et n'est décrit dans aucun ouvrage ; c'est un régime fiscal très confidentiel, décrit dans l'instruction 4 H-4-95 (N° Lexbase : X7814AAN), et, pourtant, très avantageux. En une phrase, je dirais qu'il permet à un groupe d'imputer en France des pertes réalisées à l'étranger par des filiales détenues à au moins 50 %. Ce régime permet de fonctionner comme une grande intégration fiscale et son obtention s'effectue, effectivement, sur agrément, d'où une grande sécurité dès sa mise en place.
Les contrôles s'effectuent de manière hors norme dans les rapports contribuable/administration. Le chef de brigade établit pour deux années une liste de filiales à vérifier qu'il soumet, pour simple avis, au groupe concerné. Les dates d'intervention sont alors programmées en commun accord car il est important de prendre en considération les contraintes locales. Quand, par exemple, vous êtes obligé d'aller en Chine ou en Australie, les déplacements ne s'effectuent pas sans un minimum de préparation.
Dès que les filiales sont arrêtées en termes de date d'intervention, le chef de brigade désigne deux vérificateurs en charge de la vérification de comptabilité. Ces derniers vont devoir, avant leur déplacement, produire une liste de questions préalables à poser à la filiale. Cette liste est établie à partir d'un contrôle sur pièces des déclarations fiscales de la société, déclarations examinées sur les bases des normes locales et aussi à partir des bilans qui ont été francisés. Ce dernier point est important car dans ce régime, la société soumise au BMC doit déterminer, bien sûr, son résultat local, mais aussi son résultat comme si elle devait déposer sa déclaration en France, ce que l'on nomme le résultat francisé.
Ce contrôle sur pièces effectué au moins un mois avant le départ, les deux vérificateurs peuvent ensuite se rendre sur place, après obtention d'un ordre de mission de l'administration centrale. Le voyage s'effectue toujours accompagné d'un représentant fiscal du groupe. Les frais de déplacements sont automatiquement pris en charge par ce même groupe, du fait de l'agrément. Ainsi, l'administration ne supporte aucun frais de déplacement lors de ses interventions.
Sur place, les vérificateurs peuvent rester en moyenne une dizaine de jours. Le travail dans la société s'effectue de manière ininterrompue. Il y a un véritable travail d'audit fiscal à effectuer en un temps record.
La mission s'achève par un débriefing local mais le terme du contrôle s'effectuera à Paris, après examen de tous les points soulevés dans l'ensemble des sociétés vérifiées.
Dans tous les cas de figure, même s'il y a des rectifications, le dialogue entre la DVNI et le groupe est constant. Les éventuels rappels d'impôt envisagés sont discutés avec le chef de brigade et les vérificateurs et, éventuellement, devant le bureau des agréments.
Lexbase : Quels sont les moyens, humains et matériels, de la DVNI ? Quelles sont ses relations avec les entreprises qu'elle contrôle, en termes de périodicité notamment ?
Jean-Claude Drié : La DVNI, implantée à Pantin à côté de la Direction nationale des enquêtes fiscales et la Direction générale des entreprises, est dirigée par un délégué interrégional des impôts et deux directeurs départementaux. Comme elle est une direction de contrôle, elle est organisée de façon très militaire : elle possède sept divisions, vingt-six brigades de vérification générale (BVG) et neuf brigades de vérification des comptabilités informatisées (BVCI).
La direction compte environ 500 personnes, en grande majorité des fonctionnaires de catégorie A.
Les relations avec les grandes entreprises sont de très bonne qualité. Cela est dû à l'état d'esprit et au niveau de ses agents ; à la DVNI, la règle c'est la compétence, le dialogue contradictoire, la courtoisie. J'insiste sur la compétence car les textes fiscaux sont réellement examinés et le droit est bien connu, même si la direction est toujours à la recherche de "gisements de rectifications". Au cours des réunions de brigade, la jurisprudence et l'évolution du droit sont examinés, et des échanges parfois passionnés s'effectuent entre vérificateurs.
Cette direction est, assurément, à part dans le monde administratif fiscal. Malheureusement, ce niveau de qualité ne se retrouve pas dans les autres directions où il n'est pas exceptionnel que l'avocat fiscaliste présente au vérificateur la doctrine de sa propre administration afin qu'il l'applique !
Les grandes sociétés sont vérifiées périodiquement, c'est-à-dire tous les quatre ou cinq ans. Ainsi, peu d'années passent au travers d'une vérification. Cette régularité des contrôles s'explique par le tissu fiscal particulièrement exceptionnel et riche. Il est vrai qu'une société d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires peut être vérifiée très régulièrement, alors que le boulanger de notre quartier peut l'être tous les vingt ans... Les enjeux pour l'Etat sont tout de même différents.
D'ailleurs, cette adaptation des contrôles aux enjeux me paraît une très bonne chose, notamment parce qu'elle peut éviter des vérifications très lourdes administrativement au niveau des TPE et des PME, qui ne sont jamais préparées à ce genre d'intervention.
Lexbase : En pratique, quels sont les groupes auxquels s'applique le régime du bénéfice mondial et consolidé ? Pourquoi sont-ils si peu nombreux ? L'économie fiscale que peut espérer un groupe peut-elle être importante ?
Jean-Claude Drié : Comme je l'ai dit, les groupes soumis au régime du BMC sont peu nombreux car le régime n'est pas connu. L'économie fiscale attendue peut être très importante car elle favorise la prise en compte de pertes réalisées à l'étranger. Pourquoi ce régime ? Parce qu'il fallait, à l'époque de sa création, favoriser l'implantation des sociétés françaises à l'étranger et, notamment, les sociétés pétrolières. Ainsi, la prospection du pétrole, les forages, etc., coûtent extrêmement cher. Le BMC est un régime incitatif. L'Etat l'a conçu afin d'aider financièrement les groupes français à l'étranger.
Bien entendu, l'économie fiscale peut être importante puisque les pertes étrangères sont imputées sur l'impôt dû en France. Il y a un véritable calcul à faire avant toute adhésion.
Dès l'entrée dans le régime, le groupe est obligé d'y rester cinq ans. Ensuite, le renouvellement s'effectue tous les trois ans. Certains groupes, devenus bénéficiaires à l'étranger, ont quitté le régime. D'autres n'ont pas voulu y entrer par manque d'information, ou encore parce qu'ils pensaient que la contrainte fiscale était trop lourde. Or, la contrainte fiscale du régime peut être tout à fait bien maitrisée quand les conditions du BMC sont bien connues. Cette méconnaissance du régime est assurément le principal facteur de désaffection. Pourtant, au-delà des économies fiscales, il est un régime formidable pour évacuer tout risque de prix de transfert. En effet, le régime porte, en lui-même, la fin de toute mise en cause des politiques de prix au sein du groupe : la consolidation du résultat en est le vecteur.
Lexbase : Que pensez-vous de la proposition de la Commission européenne portant sur l'instauration d'une assiette commune consolidée à l'impôt sur les sociétés (ACCIS), dont l'un des volets permettraient justement aux groupes intracommunautaires de consolider leurs résultats au sein de l'Union européenne ?
Jean-Claude Drié : L'ACCIS est une bonne idée, parce qu'elle unifie les règles d'imposition. Ainsi, un groupe de sociétés n'aurait à se conformer qu'à un seul régime fiscal, établi au niveau de l'Union européenne, pour le calcul de ses revenus imposables, alors qu'aujourd'hui chaque filiale du groupe est soumise au droit de chacun des Etats d'implantation. De plus, les groupes implantés dans plus d'un Etat membre de l'UE pourraient remplir une seule déclaration fiscale pour l'ensemble des activités dans l'Union.
Il y a bien, comme dans le BMC, une consolidation des bénéfices et des déficits. A une base commune, il y aurait ensuite une redistribution de l'impôt dans chaque Etat, sur la base des immobilisations, de la main-d'oeuvre et du chiffre d'affaires de chaque entité.
Il existerait un Etat membre considéré comme "l'Etat principal", celui, bien sûr, de la société tête de groupe.
Ce projet, qui avait été un peu abandonné en 2008 pour des raisons politiques, semble renaître de ses cendres. La Commission européenne a présenté, en mars 2011, une proposition de Directive en ce sens.
Le régime serait optionnel et un calcul fiscal serait donc à faire par le groupe de sociétés qui souhaiterait se le voir appliquer.
Par rapport au régime du BMC, il convient de bien mettre en exergue le fait qu'en l'état actuel des projets, l'ACCIS reste, bien entendu, un projet strictement européen. Seules les sociétés d'un groupe de l'UE pourraient être concernées. L'avantage du BMC est de concerner toutes les sociétés d'un groupe, quelles que soient leur implantation dans le monde.
Lexbase : Le régime du bénéfice mondial et consolidé a fait l'objet d'une proposition de loi, enregistrée à la Présidence du Sénat le 23 février 2011, qui prévoit, dans son article 1er, son abrogation. Que pensez-vous de l'impact, positif ou négatif, que pourrait avoir la suppression de ce régime ?
Jean-Claude Drié : En effet, une proposition de loi vise à supprimer le BMC. Le motif est, avant tout, politique, et s'inscrit dans un raisonnement qui dépasse celui du BMC. Il se fonde sur le fait que le taux réel de l'IS pour les grandes entreprises est beaucoup plus faible que celui des PME. Cette réalité reflète le fait que les grandes entreprises ont plus de chance de mettre en oeuvre des mécanismes légaux de réduction de leur impôt que les petites entreprises. En effet, le crédit d'impôt recherche, par exemple, s'applique à un certain niveau de sociétés, ce qui ne touche guère, par définition, les petites entreprises de plomberie, de boulangerie ou autres... Il ne faut pas oublier que ces mécanismes légaux existent parce que le législateur n'a de cesse d'utiliser l'impôt comme un outil incitatif et directif de l'économie.
Cette proposition de loi s'inscrit donc dans ce contexte très politique. Pour le fiscaliste, la suppression du régime du BMC ne va pas avoir un grand impact puisque seulement une poignée de sociétés, et non des plus importantes, en bénéficient. Budgétairement, l'impact de la mesure serait insignifiant.
Cette proposition de loi va-t-elle dans le bon sens ? Compte tenu de l'effort réalisé par l'UE pour avoir une assiette commune avec l'ACCIS, on peut penser que, manifestement, le BMC était en avance sur son temps et le supprimer aujourd'hui va à contre-courant des efforts des parlementaires pour travailler sur une base élargie.
Le BMC est, en effet, une base élargie, même s'il s'agit d'une base élargie "à la française". Supprimer le BMC est bien sûr possible, mais ce serait supprimer ce coup de pouce à l'implantation à l'étranger. Gageons que s'il devait être supprimé, nous puissions le retrouver sous la formule de l'ACCIS. En effet, les groupes de sociétés, tout au moins français, seraient, dès lors, incités à se développer dans l'UE, même s'il faudrait dégager des pertes provisoirement.
NB : le projet de loi a été rejeté en première lecture par le Sénat le 28 avril 2011, à 180 voix contre 151.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:419760
Lecture: 11 min
N1405BST
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 24 Mai 2011
C'est une décision inédite qui vient d'être rendue et qui intéressera le monde de l'aéronautique. Rendue en matière d'impôt sur les sociétés, elle met en scène une société dont l'activité est le transport public aérien, et qui a comptabilisé une provision pour grosses réparations (1) au titre de l'exercice clos en 1998, pour un montant de 579 000 francs (88 268 euros), à raison de l'installation d'un système de sécurité anti-collision, due à l'évolution de la réglementation aérienne. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause la provision car, selon son analyse, elle avait trait à l'acquisition d'un actif pouvant être amorti.
Après que la société ait été déboutée en première instance (TA Lyon, 3 mai 2005, n° 0300173 N° Lexbase : A6485ELR), elle forma appel du jugement. Les conseillers de la cour administrative d'appel vont confirmer la position des premiers juges, après avoir visé les dispositions de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), aux termes desquels "le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant [...] notamment [...] : 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice" (CAA Lyon, 5ème ch., 8 avril 2008, n° 05LY01034, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1039D9D).
En effet, pour la cour, l'acquisition d'un système anti-collision, qui est un bien durable, est constitutif d'un investissement, qui peut, par conséquent, être amorti. Toute la difficulté est, alors, de faire le départ entre la provision et l'amortissement. L'amortissement est la dépréciation irréversible d'un bien, alors qu'une provision, constituée sur un actif de l'entreprise, constate une dépréciation probable, qui peut être réversible : une provision pour créance douteuse ne signifie pas que tout espoir de recouvrement serait vain ! En revanche, s'agissant de l'amortissement d'une machine-outil, l'obsolescence technologique et son usage rendent inéluctable la perte de valeur. Pour reprendre la formule de la doctrine, "les provisions sont des anticipations de dépenses ou de charges, qui apparaissent 'probables' à la fin d'un exercice mais qui ne se réaliseront effectivement que durant un exercice suivant" (2).
La cour rappelle alors les critères classiques, déjà énoncés par le Conseil d'Etat (parmi une jurisprudence abondante : CE 9° et 7° s-s-r., 26 novembre 1975, n° 95718, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8183B8L ; CE 8° et 9° s-s-r., 6 décembre 1996, n° 149923, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2208APH ; CE 3° et 8° s-s-r., 21 janvier 2008, n° 292664, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5941D4S ; CE 3° et 8° s-s-r., 3 février 2011, n° 325834, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2610GR4), et justifiant la constitution d'une provision : outre que les pertes ou charges doivent être nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante -tout impressionnisme juridique est exclu !-, il faut que ces pertes ou charges soient probables, eu égard aux circonstances constatées à la clôture de l'exercice, qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise, et, enfin, si la provision tend à permettre, ultérieurement, la réalisation de travaux d'entretien ou de réparation, que ceux-ci excèdent, par leur nature et par leur importance, les travaux d'entretien ou de réparation dont le coût entre dans les charges annuelles normales de l'entreprise.
Par conséquent, une provision ne peut être constituée lorsque la dépense à venir aura, pour contrepartie, l'acquisition d'un nouvel élément d'actif, ou si elle entraîne, normalement, une augmentation de la valeur pour laquelle un élément immobilisé figure au bilan de l'entreprise, ou, encore, qui aura pour objet de prolonger de manière notable la durée probable d'utilisation d'un élément de cette nature. Ainsi, il a été jugé que des travaux provisionnés, relatifs à la démolition et le reprofilage du sol et le coulage d'une dalle en béton, n'étaient pas constitutifs d'une immobilisation, dès lors qu'ils n'entraînaient pas une modification de la configuration ou de la nature des locaux (CE 3° et 8° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 306228, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6968GNE). La société requérante n'ayant pu démontrer qu'il ne s'agissait pas d'un investissement susceptible d'ouvrir droit à un amortissement, son pourvoi est rejeté.
En cassation, la société requérante ne verra pas sa thèse triompher : confirmant en tous points l'arrêt rendu par la juridiction lyonnaise, les juges du Palais-Royal relèveront que les conseillers de la cour administrative d'appel n'ont pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis (pour un exemple de contrôle du juge de cassation, lorsqu'une juridiction d'appel dénature une pièce d'un dossier, en l'espèce une note d'honoraires d'un avocat : CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2010, n° 315056, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1084GDI ; ou lorsqu'une cour administrative d'appel dénature les écritures dont elle est saisie : CE 9° et 10° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 318070, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6992GNB). De même, ils n'ont entaché leur décision d'aucune contrariété de motifs, après avoir relevé que le système anti-collision était un accessoire de l'avion (pour des exemples de contrôle de contrariété entre les motifs et le dispositif : CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2009, n° 307048, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6014EMP ; CE 9° et 10° s-s-r., 16 mars 2005, n° 253316, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2778DHD), ni anticipé sur l'application des normes IFRS (3). Enfin, l'argumentation de la société, selon laquelle cet élément corporel n'augmentait pas la durée d'utilisation de l'avion et ne le valorisait pas est écartée, dès lors qu'il constituait un élément d'actif autonome.
La jurisprudence a précisé les activités qui relevaient, ou non, des bénéfices agricoles, étant entendu que "des divergences [peuvent] subsister entre le droit fiscal et le droit rural" (4). Le droit fiscal applicable aux activités équestres obéit à des règles particulières : en 2003, le législateur est intervenu pour, d'une part, assujettir aux bénéfices agricoles, à compter des exercices ouverts à partir du 1er janvier 2004, des revenus provenant des activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation dans les activités autres que celles du spectacle (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004 N° Lexbase : L6348DM3) ; d'autre part, les entreprises équestres sont soumises, depuis lors, à un régime réel exclusif du forfait. Par principe, les éleveurs de chevaux relèvent des bénéfices agricoles, mais il est fait une distinction entre l'activité d'élevage avec sol (activité agricole) et l'activité d'élevage sans sol (activité non agricole). La consultation de la jurisprudence est de première importance afin de qualifier les faits au regard du régime fiscal applicable : ainsi, lorsqu'un éleveur de chevaux se consacre à la dernière phase de développement du cheval, cette activité est considérée comme étant agricole (5) (CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2009, n° 312227, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0365EQL). Cette référence au cycle biologique de l'animal peut être courte : il peut en être ainsi d'une période de quatre semaines au cours desquelles il est procédé au débourrage des jeunes chevaux en améliorant leur condition physique, et notamment leur musculature, ainsi que leur comportement, par des soins et des compléments alimentaires, puis, par un travail adapté, afin de les rendre aptes à supporter la charge d'un cavalier et de pouvoir les revendre comme chevaux de selle (CAA Bordeaux, 3ème ch., 28 novembre 2006, n° 03BX02470, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8143DSE).
Au cas particulier, une société à responsabilité limitée soumise au régime des sociétés de personnes (CGI, art. 8 N° Lexbase : L2311IB9) a fait l'objet, à la suite d'une vérification de comptabilité, de redressements concernant l'impôt sur le revenu et les contributions sociales pour les exercices 1999, 2000 et 2001. A ce titre, l'administration refusait l'imputation sur le revenu global des contribuables de la quote-part des déficits de la société, car son activité était agricole et non industrielle et commerciale. En effet, afin de limiter la possibilité pour les contribuables d'imputer de trop généreux déficits agricoles sur la globalité de leurs revenus, la loi fiscale fixe un plafond particulier. Ainsi, pour l'imposition des revenus de 2010 (6), les dispositions de l'article 156 du CGI (N° Lexbase : L0428IPK) interdisent leur prise en compte lorsque le total des revenus nets d'autres catégories est supérieur à 106 225 euros : il y a alors une "tunnélisation" des déficits agricoles -qui n'est pas propre aux BA (7)-, qui ne pourront être imputés que sur de futurs bénéfices agricoles.
La cour administrative d'appel de Douai va valider le raisonnement de l'administration fiscale qui considérait que l'activité de la société était agricole car, sur les vingt-cinq chevaux composant l'écurie, dix étaient des produits d'élevage, deux des juments porteuses et trois des juments reproductrices et, entre 1993 et 2001, quatorze naissances de chevaux ont eu lieu sur trente-cinq chevaux ayant transité par cette société. Par ailleurs, le service s'est appuyé sur le rapport de gestion de la société, établi dix-huit mois après la création de la société, indiquant que son activité était l'élevage : bien souvent considérée comme une responsabilité subalterne, parfois même confiée à une secrétaire qui mettra à jour, d'un exercice à l'autre, les chiffres contenus dans ce rapport, le fait que l'administration fiscale se soit appuyée, notamment, sur le rapport de gestion, illustre l'intérêt à porter à sa rédaction. Cette précaution trouvera, par ailleurs, tout son sens lors d'une vérification de comptabilité, car l'administration fiscale opposera les termes du rapport de gestion au contribuable (QE n° 26956 de M. Patrick Beaudouin, JOAN 8 juillet 2008, p. 5848, réponse publ. 14 octobre 2008, p. 8840, 13ème législature N° Lexbase : L0078IQX ; s'agissant d'une holding animatrice de groupe : CA Paris, 1ère ch., 14 octobre 2005, n° 03/16746 (8) N° Lexbase : A2179DLB ; TA Rennes, 2ème ch., 18 novembre 1999, n° 94-1383 ; RJF, juin 2000, n° 808). L'activité d'élevage sera, également, corroborée par une déclaration d'embauche et l'application du régime de la mutualité sociale agricole aux salariés de l'entreprise. Dans cette décision, le Conseil d'Etat opère un contrôle de la dénaturation des faits et dit pour droit que l'exercice parallèle d'une activité de préparation à la course de chevaux, pour les besoins de laquelle la société a équipé une carrière d'entraînement, n'a pas disqualifié son activité prépondérante, qui était bien agricole. Par conséquent, la quote-part des déficits issue de cette exploitation ne peut être imputée sur le revenu global des contribuables.
Enfin, au moyen, régulièrement soulevé devant le juge de l'impôt, selon lequel, lors d'une précédente vérification de comptabilité de la société, le service n'avait procédé à aucun redressement, le Conseil d'Etat oppose une jurisprudence classique et bien établie, selon laquelle il ne peut y avoir de prise de position formelle dans ces circonstances (LPF art. L. 80 B N° Lexbase : L0896IPU) : CE 7° et 8° s-s-r., 24 février 1988, n° 65430, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6665APK) (9) ; CE 3° et 8° s-s-r., 26 novembre 2007, n° 276262, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9609DZW) ; CE 3° et 8° s-s-r., 28 mai 2003, n° 237967, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1231C9H) ; pour une VASFE (vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble), aujourd'hui ESFP (examen contradictoire de la situation fiscale des personnes physiques) : CE 9° et 10° s-s-r., 20 novembre 2002, n° 234600, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0778A4L). Il en est, d'ailleurs, de même, lorsque l'administration accorde un dégrèvement qui n'est pas motivé (CE 9° et 10° s-s-r., 10 décembre 2010, n° 307322, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7162GM9 (10)).
Les aléas de la vie des affaires conduisent souvent les entreprises à constituer des provisions sur les créances qu'elles détiennent à l'encontre de leurs débiteurs, soit parce qu'elles sont douteuses, c'est-à-dire justifiées par la situation économique incertaine du débiteur, soit parce qu'elles sont litigieuses, car étant à la source d'un contentieux entre les parties. Outre que la provision doit porter sur une créance inscrite à l'actif du bilan et qu'elle doit être conforme à une gestion normale de l'entreprise (doc. adm. 4 E 3321, 26 novembre 1996, n° 2), l'événement en cours à la clôture de l'exercice doit être probable (CE, 24 juillet 1981, n° 17972, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4463AKI) et le risque de non-recouvrement doit être nettement précisé -ce qui interdit tout calcul approximatif- (CE 7° et 8° s-s-r., 18 juin 1975, n° 93550, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8011AYD).
La jurisprudence relative aux provisions pour créances douteuses fait preuve d'un grand pragmatisme économique. C'est ainsi qu'elle n'exige pas que les poursuites du créancier soient effectuées par voie judiciaire : l'échec d'un recours par voie amiable ne s'oppose pas, par principe, à la constitution d'une provision (CE 8° et 7° s-s-r., 19 juin 1989, n° 58984, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1230AQM ; CE 8° et 9° s-s-r., 20 juin 1997, n° 99429, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0598AEU).
L'arrêt ici commenté a trait à une société à responsabilité limitée (SARL) qui demandait à la cour la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2000 et 2001. Les faits de l'espèce ont trait à la constitution d'une provision pour dépréciation d'une créance détenue sur une société civile immobilière dont la SARL était associée à hauteur de 49 % du capital. La société requérante faisait valoir que la provision n'avait pas été constituée à raison des pertes constatées par la filiale mais afin de faire face à la perte d'une partie de son avance en compte courant, ne pouvant être remboursée à la suite de la vente d'un terrain qui constituait l'unique actif de la société civile. Pour le créancier, la justification d'une telle provision était due à l'insuffisance de l'actif net de la filiale et l'absence d'associés solvables. L'objet social de la société civile, filiale de la société requérante, était la construction d'immeubles en vue de leur vente. Ne relevant pas de l'IS, les associés ont liquidé l'impôt en fonction de leur propre régime d'imposition. Au visa des articles 8, 218 bis (N° Lexbase : L4046HLG) et 239 ter (N° Lexbase : L4961HLC) du CGI, la cour dit pour droit qu'il est possible, pour ces associés, de constater une provision pour dépréciation de leur participation au capital de cette société civile, à la condition que des circonstances postérieures à l'acquisition des titres, sans lien avec l'activité de la société, rendent probables une dévalorisation d'un élément du patrimoine de la société civile. Mais ces mêmes associés ne peuvent pas constituer une provision "en vue de tenir compte de résultats déficitaires de l'activité de la société qui, même probables, ne seront qu'ultérieurement constatés dans les écritures de celle-ci et dont alors, seulement, ils pourront déduire la part qui leur revient". Cette position est conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat, formulée en ce sens dès 1974 (CE 9° et 10° s-s-r., 1er avril 2005, n° 254319, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4340DH9 ; CE 9° et 8° s-s-r., 3 juin 1994, n° 123220, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1390ASB ; CE 7° et 9° s-s-r., 29 janvier 1992, n° 75083, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5162ARM ; CE 7° et 8° s-s-r., 27 novembre 1974, n° 91410, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8778B8M).
(1) Depuis l'adoption du règlement CRC 2003-07 (N° Lexbase : X6193ACD) du 12 décembre 2003 (PCG art. 322-3), la terminologie a évolué puisque les termes "provisions pour grosses réparations ou grandes révisions" ont été remplacés par "provisions pour gros entretien ou grandes révisions".
(2) C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5ème édition, 2009, p. 653.
(3) International financial reporting standards.
(4) C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5ème édition, 2009, p. 522.
(5) "La cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, juger que le cycle biologique de développement du cheval ne se limite pas à la phase de croissance de l'animal, mais peut se prolonger à l'âge adulte, par des opérations visant à améliorer sa condition physique et à renforcer ses aptitudes naturelles pour le rendre conforme à sa destination, c'est-à-dire apte au dressage qui sera choisi".
(6) Pour les faits de l'espèce, la limite était de 200 000 francs, soit 30 490 euros.
(7) Pour une explication de ce phénomène de "tunnélisation" : "l'article 72 de la loi de finances pour 1996 (loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 N° Lexbase : L0868BDI) a, en effet, aménagé les modalités d'imputation des déficits relevant des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) en pratiquant une distinction entre les BIC professionnels, pour lesquels la possibilité d'imputation du déficit sur le revenu global a été maintenue et les BIC non professionnels, pour lesquels les déficits ne peuvent plus s'imputer que sur des bénéfices de même nature ( tunnélisation'). Il s'agissait en effet de supprimer un levier fiscal' à l'investissement des particuliers dans le domaine industriel et commercial, qui bénéficiait en particulier au secteur de l'hôtellerie, dans la mesure où l'équipement hôtelier apparaissait en France comme étant en surcapacité. Concrètement, cette tunnélisation' des déficits BIC non professionnels empêche le contribuable de déduire ces déficits de son revenu global, ce qui en pratique revient à supprimer un avantage fiscal, puisque, dans la quasi-totalité des cas, les contribuables ne disposent pas des revenus industriels et commerciaux sur lesquels ils pourraient imputer leurs déficits industriels et commerciaux. Cette disposition prévoyait explicitement une exception en faveur des investissements outre-mer, en raison des contraintes économiques particulières de ces territoires et de la nécessité d'y attirer des investissements privés.", R. du Luart, rapport général n° 85 tome 3 annexe 33 - projet de loi de finances pour 1998 adopté par l'Assemblée nationale.
(8) "Que les réunions du directoire, les rapports de gestion des comptes consolidés et du commissaire aux comptes précités établissent que SAFRAL a bien exercé, pendant les années concernées, le rôle d'orientation de la politique commerciale dévolu à la société mère au sein du groupe par la convention du 8 janvier 1982, notamment par les décisions suivantes : décision de prise de participation dans la société allemande Wamcke et de développement du groupe en Europe de l'Est, décision de regrouper l'activité saumon surgelé au sein de la société Armorie, développement des activités du groupe à l'étranger (Espagne et Belgique)".
(9) "Considérant que, si la société requérante se prévaut, sur le fondement des dispositions précitées, de ce que, lors d'une vérification de comptabilité antérieure, portant sur les années 1971 à 1974, l'inspecteur, tout en notifiant divers redressements, s'est abstenu, sciemment selon elle, de remettre en cause le système de rattachement des créances dont la société requérante faisait application et qui était le même que celui qu'elle a appliqué pour les années 1976 et 1977, cette attitude du vérificateur de l'époque ne peut être regardée comme une interprétation formellement admise par l'administration au sens des dispositions précitées ; considérant, il est vrai, que la société requérante se prévaut également des dispositions de l'article L. 80 B du LPF, aux termes duquel : la garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A (N° Lexbase : L4634ICM) est applicable lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal' ; que, toutefois, ces dispositions ne sont, en tout état de cause, pas applicables en l'espèce, dès lors que l'attitude adoptée par l'agent vérificateur pour les années 1971 à 1974 ne peut être regardée comme une prise de position formelle par l'administration sur l'appréciation d'une situation de fait".
(10) "Considérant que la décision de l'administration d'accorder le dégrèvement du supplément d'impôt sur le revenu établi au titre de 1996, qui n'est pas motivée, ne constitue pas une prise de position formelle sur l'appréciation d'une situation de fait au sens de l'article L. 80 B du LPF ; que, dès lors, la requérante ne peut s'en prévaloir sur le fondement de cet article".
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421405
Lecture: 7 min
N0689BSC
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique et Sophia Pillet, SGR Droit social
Le 12 Mai 2011
Anthony Bem : Un fonctionnaire d'une petite commune française, après une dure journée de travail et des tensions avec son supérieur hiérarchique, le maire de la commune en question, est rentré chez lui et a inscrit sur le "mur" de son profil Facebook des propos diffamatoires à l'encontre de ce dernier. Il avait, en outre, indiqué sur son profil Facebook le nom de son employeur, à savoir la commune qui l'embauchait. Ayant eu connaissance des invectives, le maire a fait établir un constat des propos à caractère diffamatoire tenus à son encontre par ce fonctionnaire et le convoque pour le révoquer, ce qui suppose, au préalable, l'intervention d'un conseil de discipline, à la tête duquel se trouve le président du tribunal administratif local.
Lexbase : Le même type d'affaire se déroulant dans une entreprise privée a donné lieu à un licenciement. Est-ce la différence de degré entre les deux types de sanction qui a justifié la clémence des juges ?
Anthony Bem : En effet, le 19 novembre 2010, les juges des prud'hommes ont validé le licenciement de salariés qui avaient diffamé leur hiérarchie sur Facebook. Dans cette affaire, deux salariés disaient faire partie d'un "club des néfastes" et respectant un rite consistant à se "foutre de la gueule" de leur supérieure hiérarchique. Deux autres employées avaient répondu : "Bienvenue au club". Toutefois, la révocation d'un fonctionnaire relève du droit public alors que le licenciement d'un salarié relève du droit privé et des articles L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC) et suivants du Code du travail. Selon la jurisprudence, la faute grave est une violation des obligations du contrat de travail qui empêche le maintien du salarié dans l'entreprise pendant l'exécution du préavis (3). La révocation est la sanction professionnelle des fonctionnaires qui réprime les fautes professionnelles les plus graves de ces derniers. L'article 89 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L5971GTC), en fait, d'ailleurs, une sanction disciplinaire du quatrième groupe, c'est à dire le dernier dans l'échelle des sanctions définies par l'administration publique.
Elle s'apparente donc à un licenciement, mais ses conséquences peuvent être plus dramatiques pour la personne concernée puisque le fonctionnaire révoqué perd la qualité de fonctionnaire à vie. Il ne peut donc plus espérer retrouver un emploi dans la fonction publique par la suite, alors qu'un salarié licencié pour faute peut tout à fait être embauché à nouveau dans le secteur privé, dans une autre entreprise. L'enjeu était donc important pour ce fonctionnaire d'obtenir au mieux l'annulation du constat d'huissier ayant relevé ses propos, ce qui a été relativement facile puisque ce constat était largement erroné, ou de limiter la sanction à une simple suspension du contrat limitée dans le temps.
Lexbase : Le conseil de discipline de Versailles a reconnu l'absence de preuve des faits. Pour quelles raisons le constat d'huissier produit par le maire a-t-il été annulé ?
Anthony Bem : L'évolution des contentieux liés à internet a conduit les juges à établir un véritable droit jurisprudentiel relatif aux conditions de validité des constats dressés pour apporter la preuve d'un contenu litigieux sur la toile. En effet, il ne suffit pas d'allumer son ordinateur et de réaliser des captures d'écran pour bénéficier d'une preuve irréfutable. Il faut faire réaliser un constat par un huissier de justice, par le centre d'expertises informatiques (CELOG), ou encore par l'agence pour la protection des programmes (APP) en fonction du contenu à constater, ces deux dernières sociétés étant de droit privé et constituées de professionnels de l'informatique et d'internet qui ont été homologués par les tribunaux pour établir des constats.
D'une part, les huissiers de justice ne peuvent pas valablement constater l'existence d'éventuels contenus litigieux sur le site internet édité par la société Facebook Inc depuis leur profil Facebook personnel (4). D'autre part, la preuve internet doit respecter un certain nombre de pré-requis techniques qui permettent de s'assurer de sa fiabilité et de "vérifier au moyen du journal de connexion du serveur interrogé les pages réellement consultées pendant les opérations de constat" (5). Ainsi, de manière constante, à défaut de respecter les mesures techniques listées ci-après, le constat d'huissier est sanctionné par le défaut de force probante (6).
Dans cette affaire, c'est dans ce contexte qu'il a été demandé de constater le défaut de force probante du constat réalisé par l'huissier de justice à la demande du maire compte tenu :
- de l'absence de capacité juridique de la personne ayant requis le constat d'huissier ;
- de l'absence de mention de l'adresse URL du site de la société Facebook ;
- du non-respect des obligations d'impartialité, d'objectivité et de loyauté ;
- de l'absence d'informations techniques, de vérification informatique et inhérentes à la navigation sur internet nécessaires au constat dont l'absence d'indication du fournisseur d'accès et le numéro de client, de la version de la mise à jour de l'antivirus de l'ordinateur, la version de mise à jour de la base de données, de la base de donnée des virus et programmes malveillants, de l'heure des travaux préparatoires et des constatations matérielles, de la purge des cookies, de l'historique, du cache, des pages vierges par défaut, du serveur proxy, le numéro IP de la machine ayant servi à dresser le constat, de la connexion internet faite depuis un serveur mandataire ou proxy, des URL des pages capturées ;
- des carences et fautes de l'huissier concernant ses constatations internet en tant que telles ;
- de l'absence de description du cheminement effectué par l'huissier pour accéder à la page internet contenant l'infraction et procéder formellement à la description des conditions d'accès au site cible ;
- de l'affirmation de l'huissier selon laquelle la page est "accessible à tous". Cependant, cette affirmation était erronée puisqu'en réalité il s'est connecté sous son profil Facebook personnel de sorte que les pages litigieuses n'ont pu être visibles que pour les membres de Facebook ou les "amis" Facebook, ce qui exclut le caractère public des propos selon l'interprétation a contrario de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Reims le 9 juin 2010 (7) ;
- et, de l'absence de démonstration par l'huissier du caractère public des propos prétendument diffusés sur internet.
Par conséquent, le conseil de discipline de Versailles a considéré que "les allégations, qui sont contestées pour la plupart, ne sont pas toujours assorties des précisions suffisantes et ne sont pas accompagnées d'éléments de preuve permettant de les tenir pour établies". La question de la preuve des contenus diffusés sur internet, et sur Facebook en particulier, est donc fondamentale afin d'établir la preuve de la faute commise et par voie de conséquence de permettre de prononcer une sanction à l'encontre d'un salarié ou d'un fonctionnaire.
Lexbase : Le conseil de discipline de Versailles a considéré que les faits reprochés à l'agent public constituaient une faute professionnelle mais a donné un avis défavorable quant à la révocation en relevant que le fonctionnaire n'avait pas connaissance du caractère public de son message. Comment expliquez-vous cette solution ?
Anthony Bem : Le secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique a déclaré, à propos du blog d'un fonctionnaire, que l'attitude de l'administration "dépend [...] du contenu du blog. Dans ses écrits, le fonctionnaire auteur doit observer [...] un comportement empreint de dignité [...]. En tout état de cause, il appartient à l'autorité hiérarchique, dont dépend l'agent, d'apprécier si un manquement à l'obligation de réserve a été commis et, le cas échéant, d'engager une procédure disciplinaire" (8). Ainsi, dès lors que l'on travaille dans le secteur public, la sphère de la vie privée se réduit pour laisser plus de place à la fonction en elle-même. En l'espèce, le conseil de discipline a considéré que les écrits du fonctionnaire, objet de la procédure disciplinaire, n'étaient pas emprunt de la dignité suffisante au respect du devoir de réserve. Surtout, le fonctionnaire a reconnu avoir diffusé les propos diffamatoires, injurieux et dénigrants sur Facebook, ce qui a permis au conseil de discipline de dire que "ces faits doivent être tenus pour établi". L'aveu est, en effet, "la reine des preuves" dans le cadre d'une procédure. Le conseil de discipline a donc considéré que les propos tenus par le fonctionnaire étaient contraires au devoir de réserve qui repose sur tout agent public : "Les faits reprochés au fonctionnaire constituent une faute professionnelle de nature à justifier une sanction disciplinaire [...] ces faits constituent un manquement grave de cet agent à ses obligations statutaires". Toutefois, il tient compte de ce que " il [le fonctionnaire] reconnait ne pas avoir su qu'il pouvait limiter son accès et que cette page personnelle était accessible à tous" et qu'il s'est "excusé" de son comportement.
Le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (9) et la cour d'appel de Reims (10) n'avaient pourtant pas tenu compte de cet élément. Dans ce dernier cas, la cour d'appel a, notamment, dit qu'à partir du moment où l'on n'avait pas privatisé ses contenus, ils étaient publics, et qu'il existait donc un caractère diffamatoire des propos diffusés de manière publique. Ils ont, ainsi, attaché le caractère public aux propos tenus de manière implicite. On entre dans un problème de droit fondamental en matière de preuve internet, et plus précisément en matière de diffamations sur les réseaux sociaux : la preuve que les propos sont publics sur Facebook. En effet, n'importe qui peut y avoir accès. Or, les huissiers ne le font jamais dans la mesure où on ne le leur demande pas. Trop peu d'avocats connaissent la jurisprudence en cette matière. Pour l'ensemble de ces raisons, le conseil de discipline a prononcé une simple suspension d'un mois à l'encontre du fonctionnaire qui a conduit le maire a accepté le maintien de celui-ci à son poste. Ainsi, cette première délibération rendue à l'encontre d'un fonctionnaire précise ce que risquent les agents publics qui publient des propos injurieux ou diffamants à l'encontre de leur hiérarchie ou de leur employeur sur internet et les réseaux sociaux tels que Facebook et illustre la différence de traitement susceptible d'exister entre les secteurs public et privé pour des faits comparables.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:420689
Lecture: 7 min
N1546BS3
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 12 Mai 2011
I - Droit de l'internet
Un arrêt la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 mars 2011 a rappelé, à propos de la plateforme Ebay, que "la seule accessibilité d'un site internet sur le territoire français n'est pas suffisante pour retenir la compétence des juridictions françaises". Elle précise qu'il convient de déterminer "si les annonces litigieuses étaient destinées au public de France". La Cour de cassation s'était déjà prononcée dans ce sens dans un arrêt du 11 janvier 2005 (Cass. com., 11 janvier 2005, n° 02-18.381, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A9994DEU).
Le 14 avril 2011, l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu ses conclusions dans une affaire opposant la société collective d'auteur belge, la SABAM, à un fournisseur d'accès à internet (FAI). La SABAM avait obtenu en première instance la condamnation du FAI et une injonction de bloquer certaines oeuvres musicales sur le réseau peer-to-peer. La cour d'appel de Bruxelles, saisie du litige, a préféré poser une question préjudicielle à la CJUE sur la légalité de la mesure du filtrage. L'avocat général de la CJUE estime que cette mesure de filtrage a un caractère disproportionné, notamment au regard de la charte des droits fondamentaux.
II - Communications électroniques
Par un communiqué de presse en date du 1er avril 2010, l'ARCEP constate que Orange et SFR ont dépassé les niveaux de déploiement de service de téléphonie 3G prévus par la mise en demeure qu'elle leur avait adressée pour une mise en conformité avant le 31 décembre 2010. Afin de vérifier ce taux de couverture 3G, le régulateur s'est basé sur la carte de couverture 3G transmise par chacun des opérateurs et sur une vérification du taux de la population couverte. L'ARCEP prévoit d'utiliser la même méthode pour le contrôle des prochaines échéances de déploiement.
III - Droit de l'informatique
Dans une ordonnance en référé en date du 29 décembre 2010, le tribunal administratif de Lille a prononcé l'annulation d'un marché public qui faisait référence à la marque "Oracle" sans aucune justification particulière et sans la mention "ou équivalent". Pour le tribunal, imposer une marque ou un fournisseur de progiciel dans un marché public est prohibé par l'article 6 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2695ICS).
IV - Droit d'auteur et oeuvres numériques
L'objet du décret du 1er avril 2011, publié au Journal officiel du 3 avril 2011, est de moderniser le dispositif de soutien à l'utilisation de nouvelles techniques de fabrication de traitement de l'image et du son. Ce décret se caractérise par la mise en place d'une commission dénommée "Commission des aides financières aux nouvelles technologies en production" qui évaluera l'opportunité de l'octroi d'une subvention aux entreprises de production réalisant à l'aide de nouvelles techniques stéréoscopiques certaines oeuvres cinématographiques et audiovisuelles énumérées par le décret. Ce dispositif se soustrait au régime des aides de minimis du Règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission européenne du 15 décembre 2006, concernant l'application des articles 87 et 88 du Traité aux aides de minimis (N° Lexbase : L1322HUI).
Annoncé à l'article L. 331-23 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3476IEH), le décret relatif aux indicateurs de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) a été publié au Journal officiel du 13 avril 2011. Il dresse la liste des indicateurs qui justifie la délivrance du label permettant aux usagers d'un service de communication au public en ligne d'identifier l'offre comme étant légale.
Le texte de la Commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique a finalement tranché pour la réintroduction de la clause d'extra-territorialité imposant le tarif unique aux acteurs étrangers vendant des livres sur le territoire français. Ce texte, adopté par le Sénat le 5 mai dernier sera soumis au vote des députés réunis en séance publique le 17 mai 2011.
V - Dématérialisation des échanges
Les documents signés de façon manuscrite, scannés et introduits dans un fichier compressé zip, signé électroniquement ne peuvent être considérés comme signés électroniquement. Cette décision a été confirmée par le tribunal administratif de Toulouse dans son ordonnance de référé du 9 mars 2011 à propos du refus par le CNRS d'un acte de candidature d'une société ayant répondu à un appel d'offres.
Le 4 avril 2011, une proposition de Règlement du Conseil, relatif à la publication électronique du Journal officiel de l'Union européenne (JOUE), a été adoptée par la Commission européenne. A compter du 1er janvier 2012, la version électronique pourrait être utilisée en justice puisqu'elle aurait la même valeur juridique que la version papier du JOUE. Cette proposition entrera en vigueur sous réserve d'une adoption à l'unanimité du Conseil et de l'approbation du Parlement européen.
VI - Données personnelles
Le programme annuel des contrôles de la CNIL pour l'année 2011 a été adopté le 24 mars 2011. En plus des contrôles sur des sujets jugés prioritaires tels que la sécurité des données de santé ou encore les flux de données transfrontières, la CNIL s'est fixée un objectif d'au moins 150 contrôles sur les dispositifs dits "de vidéoprotection".
La CNIL a défini des bonnes pratiques visant à protéger la liberté d'aller et venir de façon anonyme des possesseurs de smartphones. Parmi ses recommandations, la CNIL préconise que la conservation des données de localisation associées à un point d'accès WiFi ne dépasse pas 5 ans. Concernant la géolocalisation sur téléphone mobile, la CNIL recommande qu'en cas d'identifiant unique attribué au téléphone par le gestionnaire de la base cartographique, celui-ci soit aléatoire et que l'utilisateur puisse supprimer les données de localisation qui le concernent.
La CNIL a adopté une autorisation unique AU-028 pour le traitement des "informations préoccupantes" collectées par les Cellules de Recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) des conseils généraux dans le cadre de la protection à l'enfance dans leur département. Cette autorisation unique porte notamment sur le suivi personnalisé de l'enfant. Les traitements opérant des présélections de catégories d'enfants et toute interconnexion avec d'autres fichiers sont exclus du bénéfice de cette autorisation unique.
VII - Communications électroniques
Dans un communiqué de presse du 19 avril 2011, la Commission européenne a indiqué quelle envisageait la révision en 2012 des règles établies en septembre 2009 relatives au financement public des infrastructures des réseaux de communication à haut début. La Commission européenne, qui a élaboré un questionnaire, a donné aux acteurs du secteur jusqu'au 31 août 2011 pour faire connaître leur point de vue.
VIII - Noms de domaine
Dans l'anticipation du futur cadre juridique des noms de domaine qui entrera en vigueur le 1er juillet 2011, l'OMPI et l'AFNIC ont décidé de suspendre les procédures alternatives de résolution des litiges mises en place pour résoudre les contentieux en la matière. L'AFNIC travaille à la mise en place d'une nouvelle procédure en adéquation avec le nouvel encadrement juridique des noms de domaine.
IX - Droit des marques
Par une décision du 12 avril 2011, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a répondu à une question préjudicielle posée par la Cour de la cassation relative à l'étendue d'application des sanctions prononcées par un tribunal des marques communautaires. La CJUE estime que "la portée de l'interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d'une marque communautaire prononcée par un tribunal des marques communautaires [...] s'étend, en principe, à l'ensemble du territoire de l'Union européenne". De même, les mesures coercitives accompagnant l'interdiction sont applicables sur le territoire des Etats membres dans lesquels cette interdiction produit effet.
X - Commerce électronique
Dans une ordonnance en référé du 28 avril 2011, le tribunal de grande instance de Paris, saisi par l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), a enjoint huit fournisseurs d'accès à internet (FAI) à bloquer un site de jeux d'argent en ligne non agrée. En défense, l'hébergeur du site et les FAI avaient mis en avant le fait que le site est édité en langue anglaise et qu'il ne vise pas spécifiquement le public français. Le TGI a néanmoins jugé les demandes de l'ARJEL fondées au motif qu'"il est manifeste que le cheminement de l'internaute français ou établi en France pour la constitution d'un compte et la réalisation d'un pari est aisé et qu'il est possible en français par simple utilisation du traducteur automatique qui est proposé", le tribunal ajoutant que "les offres de paris portent sur certains matches de football se déroulant en France".
FERAL-SCHUHL / SAINTE-MARIE, société d'avocats
www.feral-avocats
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421546
Lecture: 15 min
N1462BSX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)
Le 12 Mai 2011
A - Notion de disposition législative
1 - Qu'est-ce qu'une "disposition législative" ?
L'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) permet, on le sait, de contester a posteriori la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une "disposition législative". Mais cette dernière expression peut s'entendre, soit, sur la base d'un critère formel, comme visant toute règle adoptée sous forme d'une loi (de même que l'article 37, alinéa 2 N° Lexbase : L1297A9W, mentionne les "textes de forme législative"), soit, sur la base d'un critère matériel, comme visant toute disposition ayant une force législative, quelle que soit sa forme. Dans cette seconde acception, sont visées, outre les lois au sens formel, les ordonnances ratifiées ou ayant eu, d'emblée, valeur de loi comme celles prises à la Libération ou celles adoptées dans le délai de quatre mois à compter de la promulgation de la Constitution de 1958, sur le fondement des dispositions transitoires de son article 92, qui autorisait le Gouvernement à prendre "en toutes matières les mesures qu'il jugera nécessaires à la vie de la Nation, à la protection des citoyens ou à la sauvegarde des libertés" et dont il a été fait un très large usage (1).
Ces ordonnances ont eu valeur législative ou organique dès leur promulgation, sans que le législateur ait été amené à les ratifier, et elles n'ont jamais été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel qui n'avait pas encore été installé. Si la loi organique du 10 décembre 2009 (loi n° 2009-1523, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L0289IGS) n'a apporté qu'un maigre élément de réponse à cette question, puisqu'elle précise seulement qu'une QPC peut être soulevée à l'encontre d'une "loi du pays" de Nouvelle-Calédonie, acte adopté par le Congrès de Nouvelle-Calédonie avec valeur législative d'après l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999, il ne faisait guère de doute que la jurisprudence privilégierait le critère matériel, car le critère formel, au regard du recours massif aux ordonnances depuis la fin des années 1990, aurait fait échapper bon nombre de textes au contrôle a posteriori, et serait allé à l'encontre des objectifs poursuivis par la réforme.
Deux décisions du Conseil constitutionnel viennent lever définitivement tout doute. Dans sa décision n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011 (Cons. const., décision n° 2010-87 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1520GQD), relative à la réparation du préjudice résultant de l'expropriation, le Conseil s'est, en effet, prononcé sur la constitutionnalité de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation publique (N° Lexbase : L2935HLB), disposition issue de l'article 11, alinéa 2, de l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958, portant réforme des règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L2987DYB), prise sur le fondement des dispositions transitoires de l'article 92 de la Constitution.
Dans sa décision n° 2010-107 QPC du 17 mars 2011 (Cons. const., décision n° 2010-107 QPC du 17 mars 2011 N° Lexbase : A8915HC8), relative au contrôle de légalité des actes des communes en Polynésie française, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la constitutionnalité d'une disposition issue d'une ordonnance prise sur le fondement de l'habilitation permanente établie par l'article 74-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5163IBT), pour l'extension, avec les adaptations nécessaires, ou l'adaptation des dispositions de nature législative en vigueur à l'organisation particulière d'une collectivité d'outre-mer ou de la Nouvelle-Calédonie dans les matières qui demeurent de la compétence de l'Etat. Le Conseil constitutionnel vérifie alors, d'abord, que l'ordonnance a bien été ratifiée et constitue, par suite, une "disposition législative" au sens de l'article 61-1 de la Constitution, condition nécessaire pour faire l'objet d'une QPC.
En l'occurrence, l'ordonnance était devenue caduque faute de ratification dans les dix-huit mois de sa publication comme l'impose l'article 74-1, mais le Conseil a retenu que sa ratification avec effet rétroactif par l'article 66-IV de la loi du 27 mai 2009, pour le développement économique des outre-mer (loi n° 2009-594 N° Lexbase : L2921IEW) a eu pour effet de lui donner valeur législative dès sa publication. Cette solution pourrait sembler de portée limitée mais il faut rappeler que les ordonnances prises sur le fondement d'une loi d'habilitation conformément à l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X) doivent également, depuis la révision du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK), faire l'objet d'une ratification expresse. On peut donc penser que, saisi d'une QPC visant une disposition issue d'une telle ordonnance, le Conseil vérifiera, également, qu'elle a bien été expressément ratifiée en admettant, le cas échéant, que le législateur l'ait ratifiée de manière rétroactive.
2 - Applicabilité d'une disposition législative au litige
Une disposition législative ne peut être considérée comme étant applicable au litige si le requérant n'est pas susceptible d'y être soumis (CE 3° et 8° s-s-r., 19 janvier 2011, n° 344011, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1574GQD).
B - Droits et libertés invocables
1 - Principe d'égalité devant l'impôt
Le Conseil constitutionnel synthétise sa jurisprudence en indiquant que le principe d'égalité devant l'impôt présente deux versants : le principe d'égalité devant la loi fiscale (article 6 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1370A9M) et le principe d'égalité devant les charges publiques (article 13 du même texte N° Lexbase : L1360A9A) (Cons. const., décision n° 2010-88 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1521GQE, relative à l'évaluation du train de vie).
2 - Principe de libre administration des collectivités territoriales
Depuis l'entrée en vigueur de la QPC, le Conseil constitutionnel avait déjà reconnu à trois reprises la possibilité d'invoquer le principe de libre administration des collectivités territoriales dans le cadre d'une QPC (voir Cons. const., décision n° 2010-12 QPC du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5938E3C, n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8926E9H, et n° 2010-56 QPC du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9273GB3). Dans la décision n° 2010-107 QPC, précitée, il a admis qu'il soit invoqué par un syndicat mixte. Le principe de libre administration des collectivités territoriales ne profite pourtant directement qu'à celles-ci, dès lors que l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L) dispose qu'elles "s'administrent librement par des conseils élus". Leurs établissements publics, en revanche, sont régis par le principe de spécialité et l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) distingue bien les "collectivités territoriales" des "catégories d'établissements publics".
Le commentaire de la décision à paraître aux Cahiers cite également la déclaration interprétative faite par la France lors de la ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale aux termes de laquelle : "les collectivités locales et régionales auxquelles s'applique la Charte sont les collectivités territoriales qui figurent aux articles 72, 73 (N° Lexbase : L1343A9M), 74 (N° Lexbase : L1344A9N) et au titre XIII de la Constitution ou qui sont créées sur leur fondement. La République française considère, en conséquence, que les établissements publics de coopération intercommunale, qui ne constituent pas des collectivités territoriales, sont exclus de son champ d'application".
Le Conseil a pourtant déjà admis que ce principe soit invoqué au cas où la loi porterait atteinte à la libre administration de la collectivité territoriale qui a créé l'établissement public ou, en cas d'établissement commun à plusieurs collectivités, à la libre administration de celle-ci (Cons. const., décision n° 2007-548 DC du 22 février 2007 N° Lexbase : A3119DU3, considérants n° 11 et n° 12, et n° 2009-594 DC du 3 décembre 2009 N° Lexbase : A3192EPW à propos du syndicat des transports d'Île-de-France, considérant n° 20). Mais la QPC conduisant le Conseil constitutionnel à exercer un contrôle abstrait, la situation du requérant, qui n'est d'ailleurs jamais évoquée dans ces décisions, est sans effet sur les modalités du contrôle : le Conseil recherchera donc seulement si la disposition contestée porte, en elle-même, atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Autrement dit, alors qu'une disposition législative n'est contestable que si le requérant y est soumis (CE 3° et 8° s-s-r., 19 janvier 2011, n° 344011, supra), l'invocabilité d'un droit ou d'une liberté garanti par la Constitution, à l'inverse, est indépendante de sa situation.
II - Fonctionnement de la procédure
A - Procédure devant les juridictions ordinaires et suprêmes
1 - Formation de la QPC
La Cour de cassation juge que le mémoire soulevant une QPC ne peut être déposé après le dépôt de l'avis du conseiller commis (Cass. crim., 11 janvier 2011, n° 10-85.626, F-D N° Lexbase : A1727GXA) La QPC est alors irrecevable au regard des dispositions de l'article 590 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3974AZ9). Devant le juge administratif en revanche, le dépôt d'une QPC après l'audience est possible (CE 3° et 8°s-s-r., 28 janvier 2011, n° 338199, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7489GQG). En effet, la QPC déposée après l'audience est soumise aux "règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction". Le juge doit donc en prendre connaissance et il peut toujours en tenir compte en la soumettant alors à la contradiction mais il n'est tenu de le faire "que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office" (CE, Sect., 27 février 2004, n° 252988 N° Lexbase : A3647DBP, Rec., p. 93). Or, par construction, une QPC ne peut exposer ni une circonstance de droit que le juge devrait relever d'office, ni une circonstance de fait, et on voit même mal comment elle pourrait exposer une circonstance de droit nouvelle. La décision de rouvrir l'instruction pour l'examiner sera donc prise de manière discrétionnaire par le juge, et ne sera qu'un usage de sa "faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice" de tenir compte de cette production tardive.
2 - QPC et exercice des voies de recours
Le Conseil d'Etat a été conduit à préciser les conditions dans lesquelles peuvent se combiner l'exercice des voies de recours ouvertes devant lui et le régime procédural de la QPC. Ainsi, un refus de transmission d'une QPC par une cour ne peut être contesté, à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt qui statue sur le litige, que dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé. Dans le prolongement de cette première solution, le Conseil d'Etat juge, également, que la possibilité de soulever pour la première fois une QPC en cassation ne saurait permettre à celui qui a déjà présenté une QPC devant une juridiction statuant en dernier ressort de contourner ces règles de procédure (CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2011, n° 342536, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2667GR9).
On retiendra de cet arrêt :
- d'abord, que l'écrit distinct et motivé s'impose à tous les stades de la procédure, et ce dès la formation du recours, à peine d'irrecevabilité ne donnant, d'ailleurs, lieu ni à avertissement, ni à invitation à régulariser (CJA, art. R. 771-4 N° Lexbase : L5757IGC et R. 771-14 N° Lexbase : L5775IGY). En appel et en cassation, seul le mémoire distinct et motivé constitue donc la contestation du refus de transmission alors qu'en lui-même, le pourvoi en cassation ou l'appel formé contre la décision ne constitue pas une telle contestation. L'arrêt juge, en effet, que le mémoire complémentaire ne peut pas faire office de mémoire distinct ;
- ensuite que, bien que soulever une QPC revienne à essayer de faire juger, in fine, qu'un acte administratif est dépourvu de base légale, la QPC n'est pas un moyen de légalité interne mais une cause juridique autonome. En application de la jurisprudence "Intercopie" (CE, Sect., 20 février 1953, Rec. CE, p. 88), le mémoire distinct critiquant un refus de transmettre une QPC doit donc être déposé dans le délai de recours contentieux. Cette solution est, d'ailleurs, en phase avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a choisi de faire de la QPC un contrôle de constitutionnalité a posteriori et abstrait. Ainsi, le refus de transmettre une QPC, parce que celle-ci est une demande distincte du litige, n'ayant finalement ni le même objet, ni la même cause que celui-ci, doit être contesté séparément et dès l'ouverture du délai de recours contentieux ;
- enfin, qu'un requérant ayant vu les premiers juges refuser de transmettre une QPC qu'il avait présentée ne peut pas soulever devant le Conseil d'Etat une QPC portant sur la même disposition législative en l'appuyant sur les mêmes moyens à l'occasion d'un pourvoi en cassation. L'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, précité, permet donc au requérant de soulever pour la première fois une QPC devant le juge de cassation, mais pas de soulever une nouvelle fois une QPC déjà écartée par le juge a quo.
Les mêmes textes étant applicables, la même solution devrait être retenue devant le Conseil d'Etat statuant comme juge d'appel. Cette solution devrait encore prévaloir lorsque le jugement d'un tribunal administratif est contesté devant une cour administrative d'appel, nonobstant l'effet dévolutif de l'appel. La contestation devant le juge d'appel du refus de transmettre une QPC est, en effet, strictement encadrée par les dispositions de l'article R. 771-12 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5748IGY), et il serait inopportun de permettre aux parties de contourner les règles posées par ce texte. De plus, alors que l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 dispose que le moyen d'inconstitutionnalité "peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat", l'article 23-1 indique plus précisément que le moyen d'inconstitutionnalité "peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel". Or, par construction, un moyen de constitutionnalité n'est pas soulevé "pour la première fois en cause d'appel" si le tribunal administratif a auparavant refusé de le transmettre au Conseil d'Etat.
Enfin, une QPC ne devrait pas pouvoir être posée de nouveau en cassation lorsqu'un tribunal administratif a refusé de la transmettre sans que la cour administrative d'appel n'ait été saisie de ce refus. En effet, "le refus de transmission dessaisit la juridiction du moyen d'inconstitutionnalité" d'après l'article R. 771-10 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5791IGL). Si la juridiction d'appel n'en a pas été saisie, il faut considérer que ce refus est devenu définitif une fois l'instance parvenue au stade de la cassation -une telle solution illustrant de nouveau l'autonomie de la QPC au fondement, en définitive, de l'ensemble des solutions consacrées par cet arrêt-.
B - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation : la notion de question nouvelle
Alors qu'elle avait refusé de renvoyer une question portant sur l'absence de motivation des arrêts des cours d'assises en estimant que la question n'était pas sérieuse, la Chambre criminelle renvoie cette question en estimant, cette fois-ci, qu'elle est nouvelle car elle "est fréquemment invoquée devant la Cour de cassation" (Cass. crim., 19 janvier 2011, n° 10-85.159, F-P+B N° Lexbase : A7374GQ8). La nouveauté d'une question pourrait-elle être appréciée de manière quantitative ?
C - La procédure devant le Conseil constitutionnel
1 - Impartialité du Conseil constitutionnel
S'il arrive que des membres du Conseil se déportent, la décision rendue n'en dit rien et l'on ignore si l'absence d'un membre est due à un empêchement ou à un choix de l'intéressé, à moins qu'il ne s'agisse de désinvolture. De même, le commentaire aux "Cahiers" se contente d'indiquer laconiquement que tel membre "a estimé devoir s'abstenir de siéger" (voir, par exemple, Cons. const., décision n° 2010-88 QPC, du 21 janvier 2011 N° Lexbase : A1521GQE, "évaluation du train de vie", n° 2010-96 QPC du 4 février 2011 N° Lexbase : A1689GRY, "zone des 50 pas géométriques", ou n° 2010-111 QPC du 25 mars 2011 N° Lexbase : A3848HHY, "indemnité légale pour travail dissimulé", décisions dont les commentaires sont à paraître aux Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 32). On aimerait pourtant être renseigné sur les raisons qui ont conduit un membre du Conseil à s'abstenir de siéger car une telle publicité permettrait aux justiciables de savoir quelle portée le Conseil constitutionnel donne à l'exigence d'impartialité qui s'impose à lui comme à toute juridiction. Elle permettrait, également, aux requérants de faire un arbitrage mieux informé entre l'attente d'une décision de déport (qui peut être légitimement attendue mais ne pas survenir) et le dépôt d'une demande de récusation sur le fondement de l'article 4 du règlement de procédure du Conseil.
2 - Eléments constitutifs de l'instance
Le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie pour les QPC prévoit que les "secondes observations ne peuvent avoir d'autre objet que de répondre aux premières". Il y a donc cristallisation du débat contentieux au moment du dépôt des premières observations. Dans sa décision n° 2011-111 QPC du 25 mars 2011, précitée, le Conseil constitutionnel a donc refusé de répondre à des griefs tirés de la violation du principe d'égalité devant la loi, du principe de proportionnalité des peines, et des articles 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration de 1789 et 64 de la Constitution (N° Lexbase : L1330A97) soulevés dans ses secondes observations par une requérante qui n'avait invoqué que le principe d'individualisation des peines dans ses premières observations. Mais la décision écarte comme inopérant le grief tiré de la violation du principe d'individualisation des peines, avant d'ajouter, dans son dernier considérant, que "les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit". C'est dire que les différents griefs soulevés par la requérante, s'ils semblent avoir été écartés comme irrecevables, ont, en réalité, été rejetés au fond et que le principe de l'autorité de chose jugée s'oppose, désormais, à ce qu'ils soient invoqués au soutien d'une QPC. La règle de la cristallisation du débat contentieux semble alors avoir surtout pour effet d'alléger le travail du Conseil en lui permettant de rejeter des griefs d'inconstitutionnalité par un considérant dépourvu de motivation.
D - Effets dans le temps des décisions QPC
A l'occasion de deux décisions rendues le même jour, le Conseil constitutionnel a précisé, par un considérant de principe, les effets dans le temps de ses décisions et les conditions dans lesquelles ces effets peuvent être modulés (Cons. const., du 25 mars 2011, décision n° 2010-108 QPC N° Lexbase : A3844HHT, "pension de réversion des enfants" et n° 2010-110 QPC N° Lexbase : A3846HHW, "composition de la commission départementale d'aide sociale"). Ce considérant se lit ainsi : "si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution N° Lexbase : L1328A93 réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets, que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration".
En principe, l'effet abrogatif de la déclaration d'inconstitutionnalité interdit donc que les juridictions appliquent la disposition législative en cause non seulement dans l'instance ayant donné lieu à la QPC, mais, également, dans toutes les instances en cours à la date de cette décision, et ce, que le Conseil l'indique expressément ou non. Cette règle s'impose aux juridictions ordinaires, pour lesquelles elle est même d'ordre public : en l'absence d'une mention expresse d'applicabilité dans la décision du Conseil constitutionnel, elles ne peuvent en aucun cas appliquer à une instance en cours une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil.
Si ce principe supporte des exceptions, celles-ci ne peuvent être qu'expressément prévues par une décision du Conseil constitutionnel. Celui-ci peut, tout d'abord, reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Dans ce cas, l'inconstitutionnalité n'est pas prise en compte dans les instances en cours et la disposition législative doit être appliquée jusqu'à la date de son abrogation fixée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci peut encore déroger, expressément, au caractère d'ordre public de la déclaration d'inconstitutionnalité pour les instances en cours. Dans ce cas, le bénéfice de la déclaration d'inconstitutionnalité est conditionné par l'invocation du moyen par une partie. Les effets que la disposition législative a déjà produits ne peuvent, ensuite, être remis en cause que par une mention expresse dans la décision du Conseil. Enfin, le Conseil constitutionnel doit préciser expressément dans sa décision les effets que la déclaration d'inconstitutionnalité qu'il prononce pourrait avoir sur les situations déjà constituées au moment de la déclaration d'inconstitutionnalité. En l'absence de mention expresse en ce sens dans la décision du Conseil constitutionnel, l'inconstitutionnalité de la loi ne peut pas être invoquée dans des instances qui seraient introduites postérieurement à cette même décision : le silence de la décision du Conseil doit s'interpréter comme limitant les effets passés de la déclaration d'inconstitutionnalité aux seuls litiges en cours.
(1) Voir A.-M. Le Pourhiet, L'article 92 de la Constitution de 1958, Economica, 1981.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421462
Lecture: 22 min
N1521BS7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marc Sztulman, Doctorant en droit public à l'Université de Toulouse I - Capitole
Le 12 Mai 2011
Avant de partir plus en aval concernant la procédure de la QPC, un rapide détour par la théorie s'impose, on doit au juriste Autrichien Hans Kelsen d'avoir élaboré au début du siècle dernier, une théorie pure du droit (6). Dans cette perspective, une norme pour exister doit être insérée dans un ensemble de normes donc être incluse dans un ordre juridique. Ce postulat de l'aspect organisé des normes au sein d'un ordre juridique (7) permet au juriste de chercher la clef qui les organise.
Ce sésame repose sur un principe (8) : pour qu'une norme soit à sa place, il faut qu'elle soit compatible avec la norme qui lui est directement supérieure. La représentation spatiale de cette compatibilité prend la forme d'une pyramide (9) permettant de représenter tant leurs qualités, la place dans la hiérarchie ; que leurs importances quantitatives.
Afin de faire respecter l'harmonie triangulaire de cet ensemble normatif, il doit être mis en place un contrôle de compatibilité entre une norme et celles qui lui sont supérieures. Dans cette étude, nous nous intéresserons aux rapports entre la Constitution et la loi. Partant, deux types de contrôles de constitutionnalité peuvent être effectués, l'un a priori, l'autre a posteriori. Le moment de la scission entre ces deux procédures est celui de la promulgation de la loi par le Président de la République (10).
Le premier système, le contrôle a priori prévu à l'article 61 (11) de la Constitution a été mis en place dès 1959, aujourd'hui 621 décisions ont été rendues en application de ce dernier. En 2008 le droit positif comprenait environ 11 000 lois. Ce chiffre s'est accru ces dernières années du fait de la multiplication de lois prises, comme le déplorait Renaud Denoix de Saint Marc en 2000, "pour frapper l'opinion ou répondre aux sollicitations des différents groupes sociaux, l'action politique a pris la forme d'une gesticulation législative" (12).
Les différents textes relatifs au contrôle de constitutionnalité des lois a priori prévoient un encadrement important des possibilités d'utilisation de cette procédure. Ces limites tiennent tant à des éléments ratione temporis (la saisine doit avoir lieu entre le vote et la promulgation) qu'aux autorités de saisines limitativement énumérées.
Pris dans cette tenaille entre des modalités de contrôle a priori trop restrictives et une inflation législative galopante, le contrôle a priori des lois, avant la mise en place de la QPC, n'avait concerné que 5,6 % des lois.
Ce faible pourcentage connaît deux principaux facteurs d'explication, le premier, le plus évident, concerne l'existence dans notre ordre juridictionnel d'un grand nombre de dispositions législatives antérieures à 1959 (13). Ces dernières peuvent être catégorisées en fonction du moment de leurs édictions. La première catégorie concerne les lois toujours en vigueur, prises sous un régime précédent la Vème République. La seconde catégorie concerne les lois, prises à l'aurore de la Vème République, c'est le cas notamment des ordonnances de l'article 92 de la Constitution (14).
Second élément visant à faciliter la compréhension de cette faiblesse statistique, l'hypothèse où aucune autorité n'a voulu ou pu saisir le Conseil constitutionnel dans cette perspective, deux cas de figure sont possibles.
Avant la révision constitutionnelle de 1974 (15), la saisine parlementaire étant impossible, l'opposition n'était donc pas en mesure de saisir le Conseil, après la révision, 60 députés ou 60 sénateurs tant de l'opposition que de la minorité de la majorité (16) peuvent saisir le Conseil constitutionnel. Cependant, et cette aporie est valable indépendamment de la révision constitutionnelle de 1974, en cas de consensus volontaire (17) entre la majorité et l'opposition, la saisine a priori du Conseil constitutionnel est impossible comme ce fut le cas pour la loi "Gayssot" en 1990 (loi n° 90-615 du 13 juillet 1990, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe N° Lexbase : L3324IKC).
Face à ces lacunes tant systémiques que subjectives, il est apparu nécessaire de modifier le contrôle de constitutionnalité afin d'encadrer, voire de limiter ces travers. Deux possibilités s'offraient alors au pouvoir constituant : soit, une restructuration du contrôle de constitutionnalité a priori par voie d'action, soit la mise en place d'un contrôle a posteriori ou par voie d'action, ou par voie d'exception. Dans le cadre d'une voie d'action, la seule prétention du demandeur est l'annulation de l'acte, au contraire dans le cadre de la voie d'exception l'inconstitutionnalité de l'acte n'est pas une prétention, mais un moyen.
Ces deux systèmes divergent aussi dans leurs effets, si la voie d'exception conduit à un effet inter partes, la norme étant écartée pour le procès en cours, la voie d'action quant à elle produit des effets erga omnes, la norme contestée étant écartée définitivement.
Dans les deux tentatives réalisées en France en 1990, puis en 1993, d'instaurer une question préjudicielle de constitutionnalité, sur le modèle du contrôle de conventionnalité, la sanction de la question était l'inapplicabilité inter partes (18).
Contrairement aux deux réformes avortées, qui prévoyaient une question préjudicielle de constitutionnalité, la révision de la Constitution du 23 juillet 2008 a introduit dans notre droit une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question est dite prioritaire, car comme le note Marc Guillaume "la question doit être traitée avant toutes les autres alors, face à une question préjudicielle, le juge doit d'abord statuer sur les autres moyens ; il ne pose la question préjudicielle et ne sursoit à statuer que si aucun de ces autres moyens ne lui permet de régler le litige".
La question préjudicielle de constitutionnalité n'a pas été retenue dans la réforme constitutionnelle de 2008 (19) au profit de la QPC en vigueur depuis le 1er mars 2010.
La mise en place de la QPC a donné lieu à une effervescence doctrinale rare tenant tant à la thématique du renforcement de "l'Etat de droit" qu'à la question de l'évolution du Conseil constitutionnel. "Big Bang juridictionnel" selon l'expression de Dominique Rousseau, elle poursuit au-delà des interprétations de la doctrine trois objectifs.
Le premier, qui nous intéresse directement, est de donner un droit nouveau au justiciable, il s'agit pour le justiciable et son conseil d'avoir "une nouvelle arme" dans une stratégie juridique désormais plus critique vis-à-vis du légicentrisme. Comme le remarque le Président du Conseil : "Les questions [...] portent sur des sujets importants, récurrents dans notre société et qui n'ont pas trouvé de solutions. Les questions sont importantes pour les Français dans leur vie quotidienne" (20).
Cette attitude est encouragée par le deuxième objectif qui a pour but de purger l'ordre juridique des dispositions potentiellement inconstitutionnelles, en effet dans notre ordre juridique subsistaient des lois n'ayant pu être soumises au contrôle de constitutionnalité : les lois antérieures à 1958, les ordonnances de l'article 92 de la Constitution, les lois de pays de la Nouvelle-Calédonie, les lois référendaires.
Enfin, toujours encouragé par une défiance grandissante face à la loi "expression de la volonté générale", le dernier objectif que poursuit la réforme de 2008 est d'assurer la prééminence de la Constitution dans l'ordre interne : il était anormal que le juge ordinaire puisse écarter une loi pour son inconventionnalité, mais ne pouvait connaître de son inconstitutionnalité.
Partant, la révision du 28 juillet 2008 insère un article 61-1 dans notre Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), précisant : "Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé".
Cette référence est précisée par une loi organique (21) qui modifie les articles 23-1 à 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3). Dans le cadre de son contrôle automatique des lois organiques, le Conseil constitutionnel l'a déclarée conforme (22) en formulant cependant trois réserves d'interprétations.
Avant de nous intéresser en détail à la procédure et à ses modalités, il est important de fixer le cadre dans lequel s'exerce la QPC. "Chose des parties", elle est au sein du "dialogue des juges" une arme dans les mains du Conseil constitutionnel. Cependant, le Conseil constitutionnel par crainte de l'accusation de "gouvernement des juges", refuse dans le cadre de la QPC de statuer ultra petita, il ne s'intéresse qu'aux dispositions contestées.
Toujours face à cette épée de Damoclès, les juges de la rue de Montpensier refusent de se substituer au Parlement, c'est le sens de la décision n° 2010-14 QPC sur la garde à vue (N° Lexbase : A4551E7P), dans laquelle le Conseil donne au législateur un délai de six mois pour légiférer. D'autre part, dans cette même perspective, le Conseil refuse de présumer du sens des futures lois comme le montre la décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011, relative au mariage homosexuel (N° Lexbase : A7409GQH).
Cependant, les effets des décisions QPC sont considérables et peuvent directement concerner une juridiction. Concernant les effets des décisions, le premier le plus important est l'effet erga omnes y compris aux contentieux en cours. Dans sa décision relative aux tribunaux maritimes commerciaux (décision n° 2010-10 QPC du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5937E3B), le Conseil constitutionnel a doté sa décision d'un effet rétroactif, cette dernière s'appliquant à l'ensemble des affaires en cours devant les tribunaux maritimes commerciaux ainsi qu'à toutes les condamnations prononcées n'ayant pas acquis un caractère définitif.
Au-delà de l'effet de ces décisions et de la politique jurisprudentielle mise en place par le Conseil constitutionnel, on peut s'interroger sur l'évolution de cette procédure théorique au regard de la pratique ou comment la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité a été intégrée tant par le juge à l'instance (le juge a quo), que par les "cours suprêmes" (23).
Présenter et décrire la procédure est certes nécessaire, mais on ne peut faire l'économie de fixer avant tout le référentiel. Ainsi avant d'aller plus en aval dans la procédure, il sera question, dans un premier temps, du cadre de référence dans lequel s'ancre la QPC puis, dans un second temps, de la procédure à suivre pour introduire une QPC.
I - Le cadre de référence de la question prioritaire de constitutionnalité
Ces jalons possèdent un aspect organique relatif tant à la question de l'introduction d'une QPC que du juge compétent pour en connaître. Ils contiennent aussi un aspect matériel tenant tant à la notion de "disposition législative" qu'à celle de "droits et libertés garantis par la Constitution".
A - Le cadre organique de la QPC, une interprétation littérale de la loi organique
Il s'agit avant tout de trancher la question de la juridiction devant laquelle peut être introduite une QPC. Dans cette perspective, on ne peut faire l'économie de citer les premiers mots de l'article 61-1 de la Constitution qui prévoit : "Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction", cet article est précisé par l'article 23-1, alinéa 1er, de la loi organique qui dispose : "Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présentée dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office".
En délimitant les juridictions pouvant connaître d'une QPC, la loi organique exclut de facto un certain nombre de juridictions. Première juridiction exclue, le Tribunal des conflits ; cette mise au ban ne pose aucun problème puisque ce dernier renvoie automatiquement une affaire à une juridiction relevant soit de la Cour de cassation soit du Conseil d'Etat. En outre, il semblerait que cette limitation des juridictions implique aussi l'exclusion de la cour supérieure d'arbitrage qui connaît des recours pour excès de pouvoir ou violation de la loi formés par les parties contre les sentences arbitrales. Concernant la question des juridictions pouvant connaître d'une QPC, se pose le problème du Conseil constitutionnel en formation électorale, ce problème plus théorique que pratique emporte un certain nombre de conséquences : le Conseil constitutionnel, dans une interprétation téléologique de la QPC, acceptera-t-il le dépôt de ce moyen ? Si cette hypothèse s'avère positive, s'auto filtrera-t-il ?
Aux termes d'une interprétation plus littérale, le Conseil constitutionnel peut refuser la QPC au motif que, dans sa formation électorale, il ne dépend ni de la Cour de cassation, ni du Conseil d'Etat. Cette interprétation aurait pour corollaire l'existence d'un noyau de loi insusceptible de recours : les lois électorales politiques à l'échelon national.
Maintenant que la question de la juridiction compétente a été ébauchée, on peut s'intéresser au moyen d'introduire une QPC devant ces dernières. Toujours aux termes de l'article 23-1, alinéa 1er, la QPC est déposée devant une juridiction dans un mémoire "distinct et motivé" comme la remarque la décision relative à la loi organique : "le Conseil constitutionnel n'étant pas compétent pour connaître de l'instance à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, seuls l'écrit ou le mémoire distinct et motivé' ainsi que les mémoires conclusions propres à cette question prioritaire de constitutionnalité doivent lui être transmis".
Cette référence appelle des remarques liminaires tenant tant à la nature du mémoire qu'à l'opportunité de son utilisation : le mémoire est distinct tant pour faciliter la transmission, que pour limiter le rôle du Conseil. Ce dernier est alors exclu du statut de Cour suprême au profit de son rôle historique de juge de la loi. Ainsi, "le Conseil ne pourra s'immiscer dans l'affaire au fond dès lors qu'il ne disposera que des écrits relatifs, à la QPC". Cette disposition qui peut paraître uniquement procédurale est fondamentale. En outre, le mémoire est motivé pour éviter une utilisation abusive. Enfin, au-delà de la précision normative, la QPC n'est pas un moyen d'ordre public, puisqu'elle doit être utilisée par une partie. Cette dernière est donc au coeur d'une stratégie judiciaire du demandeur entre contrôle de conventionalité et de constitutionnalité. Cependant concernant le volet pénal, il est à noter que le ministère public est à même d'introduire une QPC, en contrariant ainsi la stratégie judiciaire.
Une question centrale concerne le rédacteur du mémoire, exception faite des questions posées directement devant les Cours suprêmes qui nécessitent en principe le ministère d'un avocat à la cour, la QPC peut être posée par un avocat à la cour, voir dans certaines hypothèses, notamment devant le Conseil d'Etat, être dispensée du ministère d'avocat. Concernant l'aide juridictionnelle, elle est majorée en cas de QPC, mais ne peut être établie uniquement pour la QPC, puisque la QPC est un moyen lors d'une instance en cours.
B - L'aspect matériel de la QPC, une interprétation extensive de la loi organique
L'aspect matériel c'est-à-dire l'existence d'une "disposition législative [qui] porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit" suscite une série d'interrogations. Cependant, deux d'entre elles nous semblent plus pertinentes, car elles touchent les définitions mêmes de "disposition législative" et de "droits et liberté que la Constitution garantit".
Première interrogation, la question de la notion de "la disposition législative" choisie au détriment de la loi. Cette préférence nous amène à considérer que le critère qui intéresse le constituant n'est ni organique, ni fonctionnel. Le critère pertinent est l'emplacement dans la hiérarchie des normes. Sont ainsi considérées comme des dispositions législatives les normes supra décrétales et infra conventionnelles. Ce taxon contient donc : les lois au sens de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), les ordonnances de l'article 92 de la Constitution de 1958, qui visaient à faciliter la transition entre la IVème et la Vème République, les lois de pays de Nouvelle-Calédonie. Des précisions s'imposent concernant les lois organiques. Actuellement contrôlées automatiquement, ces dernières ne l'ont été qu'à partir du mois de mars 1959, pour celles postérieures à cette date, elles peuvent être contestées dans une QPC en cas de changement de circonstances.
Les lois référendaires en tant qu'émanation de la souveraineté nationale ne peuvent pas faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité (24) a priori et l'on peut raisonnablement penser que cette exclusion volontaire s'applique aussi dans le cadre d'un contrôle a posteriori.
Maintenant qu'une définition (par liste) a été donnée à la notion de disposition législative, on peut s'interroger sur celle de "droits et libertés garantis par la Constitution".
Les deux projets de réforme avortés s'intéressaient aux droits fondamentaux, la QPC quant à elle s'intéresse aux "droits et libertés", partant, on peut s'interroger : quels droits, pour quelles libertés ? Le premier élément de réponse est matériel, il s'agit des droits et libertés contenus dans la Constitution, quels sont-ils ?
Dans un premier temps, il convient de s'intéresser aux dispositions qui y sont naturellement incluses : la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, le Préambule de 1946, la Charte de l'environnement de 2004 et certaines dispositions du corps de la Constitution : l'article 1er (N° Lexbase : L0827AH4) ou l'article 66 (N° Lexbase : L0895AHM).
Premier problème rencontré, celui des "objectifs à valeur constitutionnelle", ces derniers sont des impératifs de vie en société qui doivent guider l'action normative, créés par le Conseil constitutionnel (25) dès 1982 (26), ils représentent comme le note Guillaume Drago : "un procédé juridique posant en termes d'exigences de rang constitutionnel une éthique sociale limitative des libertés individuelles sous le contrôle direct du Conseil constitutionnel" (27).
Quant à leurs utilisations à l'appui d'une QPC, aux termes d'une interprétation croisée des décisions n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010 (N° Lexbase : A6284EXZ) et n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010 (N° Lexbase : A9190E47), il semblerait que le conseil privilégie une approche au cas par cas, l'OVC devrait garder un caractère supplétif.
Ne sont pas considérés comme des droits et libertés garantis par la Constitution : les dispositions relatives à la procédure parlementaire, l'incompétence négative (28) -on peut la définir à la suite de Dominique Rousseau (29) comme le fait pour le législateur "d'être resté en deçà de sa compétence", elle peut être considérée comme la sanction de l'absence de précision-. Quant à la reconnaissance dans le cadre d'une QPC, de l'incompétence négative comme droit et liberté garantie par la Constitution, la décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 (N° Lexbase : A9571EZI) nous donne un éclairage intéressant. Dans cette dernière, le juge de la rue de Montpensier a précisé que "la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit".
Aux termes de la décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 (N° Lexbase : A6494DCI), les lois de transpositions de Directives échappent au contrôle de constitutionnalité classique a priori, c'est aussi le cas dans le cadre de la QPC.
II - Le cadre procédural de la question prioritaire de constitutionnalité : le double filtre
Si la procédure est composée d'un double filtre, il nous faut constater que ces derniers ne remplissent pas la même fonction et n'ont pas la même finalité. Avant d'arriver devant les juges de la rue de Montpensier, la procédure peut démarrer devant le juge a quo, puis se poursuivre devant une Cour suprême.
A - Un premier filtre quantitatif, visant à protéger les Cours suprêmes
L'article 23, alinéa 2, de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifié par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS) précise : "La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation". Il est procédé à cette transmission si trois critères sont remplis. Des remarques s'imposent sur ce filtre, depuis l'arrêt du Conseil d'Etat "Arrighi" du 6 novembre 1936, les juridictions ordinaires se refusaient à contrôler la constitutionnalité des lois, elles y sont désormais, de facto, invitées grâce aux trois critères du premier filtre.
Le premier critère porte sur le lien matériel entre la disposition contestée et le procès, comme le précise l'ordonnance de 1958 : "La contestation porte sur une disposition législative qui commande l'issue du litige ou la validité de la procédure". Ce critère renforce l'idée que la QPC est un simple moyen lors d'un procès et non que ce dernier puisse être considéré comme l'accessoire du contrôle de constitutionnalité.
En outre, le deuxième critère suppose une connaissance du droit constitutionnel par les juges de l'instance, en effet l'article 23, alinéa 2, prévoit comme le principe selon lequel : "Le Conseil n'a pas déjà tranché soit dans ses motifs soit dans ses dispositifs". Cette formulation est très large puisque les interprétations données dans les motifs se trouvent dotées de la même force normative que la décision en elle-même du juge constitutionnel. Cependant ce critère, pourra limiter la transmission de question portant sur des lois ayant déjà été soumises au contrôle a priori et doté d'un considérant balais (30). Face aux dispositions législatives ayant déjà fait l'objet d'un contrôle a priori ou a posteriori, se pose cependant l'épineux problème du "changement de circonstances". Ce changement peut concerner soit les faits soit le droit. Si le changement de circonstances de fait, déjà reconnu par la jurisprudence du Conseil (31), n'a pas besoin de précision supplémentaire, on peut noter que le changement de "circonstance de droit" s'entend vis-à-vis de la norme constitutionnelle qui sert de référence et non par rapport à la "disposition législative".
Enfin, ce critère conduira les juridictions à prendre connaissance de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le troisième critère implique que la question ne soit pas dépourvue de "caractère sérieux". On retrouve toute l'ambiguïté d'une formulation qui donne un pouvoir discrétionnaire au juge a quo, sans pour autant en limiter la portée. Seule l'absence de caractère sérieux pouvant servir de fondement a un refus de transmission.
Maintenant que le filtre a été explicité, on peut s'intéresser à ses modalités d'exercice. Modalité cardinale, la question du temps et plus précisément la signification de l'expression : "sans délai". Cette dernière signifie aux termes d'une jurisprudence établie (32) : "dans le plus bref délai". Le refus par le juge constitutionnel de la transmission immédiate s'explique par la volonté de permettre aux juridictions de gérer le contentieux de masse, en permettant aux juridictions de joindre les requêtes. Cependant il existe des exceptions dues à l'existence d'un délai législatif. Devant le juge pénal, le délai de transmission est de deux mois en première comparution lorsque le prévenu est en détention provisoire. Face au juge administratif le délai est de deux mois pour le logement ou le relogement, de trois mois pour les obligations de quitter le territoire français et tombe à 72 heures dans le contentieux du placement en rétention des étrangers.
Enfin pour le juge de cassation le délai est de trois mois lorsqu'un pourvoi est formé contre un arrêt de renvoi en cour d'assises.
Les décisions de transmission ou de non-transmission doivent être motivées par le juge de l'instance, en cas de refus de transmission, aucun recours n'est envisageable, la QPC étant un moyen, elle ne peut faire l'objet d'un contentieux distinct, dans cette perspective. L'appel du refus de transmission par le juge a quo sera fait en même temps que l'appel de la décision au fond, en cas de transmission, le juge a quo doit surseoir à statuer, mais il peut énoncer des mesures conservatoires, notamment concernant les référés. Les articles 126-5 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5751IG4) et R* 49-26 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0604IQG) (33), prévoient que le juge n'est pas tenu de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité lorsque la Cour, ou le Conseil constitutionnel, est déjà saisi d'une question mettant en cause cette disposition législative par le même moyen.
On ne peut que déplorer l'absence de statistique exacte concernant le nombre de QPC déposée devant les juridictions du fond, le Conseil constitutionnel les estime à environ 2 000.
Maintenant qu'il a été question du premier filtre, on peut s'intéresser au contrôle de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat.
B - Le second filtre plus qualitatif permettant l'effectivité de la QPC
Concernant le Conseil d'Etat, on est dans le registre de l'incantatoire, il y a une croyance générale dans les bienfaits de la QPC comme le remarque Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat, cette juridiction aurait un "devoir de coopération loyale".
La position de la Cour de cassation est plus intéressante comme le souligne Guy Carcassonne : "elle a pris des décisions dont on dira si l'on veut être poli qu'elles peuvent surprendre, si l'on veut être franc qu'elles sont choquantes, si l'on est rigoureux qu'elles provoquent la consternation".
Après ses remarques introductives, on peut s'interroger sur la procédure suivie devant les juridictions suprêmes. Prévue elle aussi dans l'ordonnance du 7 novembre 1958, la procédure est régie par l'article 23-3 de cette dernière qui précise : "Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l'article 23-2 ou au dernier alinéa de l'article 23-1, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux".
Ce dernier article vient compléter l'article 61-1 de la Constitution qui précise dans sa dernière partie : " le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé".
Concernant ce second filtre, bien que l'on retrouve les deux premiers critères du premier filtre, le dernier critère, quant à lui, mérite quelques observations. Le dernier critère est un critère alternatif. La QPC porte en elle une question nouvelle qui doit s'apprécier au regard de la disposition constitutionnelle à laquelle la disposition législative est confrontée. Cette hypothèse vise sûrement le cas d'une disposition constitutionnelle qui n'a encore jamais été appliquée, notamment parce qu'elle serait récente, par exemple la Charte de l'environnement. Si la question n'est pas nouvelle, elle peut "présenter un caractère sérieux", cette formulation est différente du premier filtre. Ce nouveau critère plus restrictif permet aux Cours de jouer pleinement leurs rôles sans désavouer pour autant leurs juridictions.
Devant les Cours suprêmes, des observations sont possibles pour les parties dans un délai d'un mois. Cependant en cas de transmission du juge de l'instance vers le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation, des observations peuvent être produites dans un délai d'un mois. Pour cette production devant le Conseil d'Etat si le ministère d'avocat est obligatoire pendant l'instance, alors les observations doivent être produites par un avocat au conseil, concernant la Cour de cassation la représentation par un avocat au conseil est obligatoire dans les matières où ce ministère est obligatoire (34). Ces observations loin d'être des dispositions purement superflues ont une réelle influence sur la transmission au Conseil constitutionnel.
Il nous faut cependant remarquer qu'en cas de divergence d'interprétation entre la Cour suprême et le juge a quo, la question préjudicielle fait rentrer le contrôle de constitutionnalité dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme (35) (N° Lexbase : L7558AIR).
Le filtre exercé par les Cours suprêmes a, dans la pratique, entraîné un certain nombre de prises de position ambigu de la part du juge du Quai de l'Horloge. La première prise de position problématique concerne le refus de transmission des QPC portant sur l'interprétation et non sur le texte des dispositions législatives par la Cour de cassation. Cette position de principe est difficilement défendable dans la mesure où d'un point de vue logique, le lecteur est co-auteur du texte, toute lecture possédant une interprétation (36).
D'un point de vue juridique, l'existence de réserve d'interprétation neutralisante de la part du Conseil constitutionnel montre bien que c'est l'interprétation et non le texte qui détermine la constitutionnalité.
Seconde décision problématique prise par la Cour de cassation : l'interprétation large donnée par la Cour de cassation au critère de l'existence d'un doute sérieux notamment vis à vis de son refus de transmission d'une QPC (37) portant sur la loi "Gayssot", sans aucune sympathie pour les thèses négationnistes, ce refus a pu être perçu comme une décision difficilement défendable.
Enfin, le refus du caractère prioritaire de la question de constitutionnalité au profit de la question préjudicielle de conventionnalité. Devant la limpidité de l'exposé nous ne pouvons que reprendre la présentation faite par X. Magnon de cette désormais célèbre question : "La question préjudicielle soulevée par la Cour de cassation dans deux arrêts avant dire droit du 10 avril 2010, portant sur une demande de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui vise à ce que la Cour de justice apprécie la compatibilité avec le droit de l'Union du caractère prioritaire de la QPC, aura généré une chaîne inédite d'événements singuliers et significatifs. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat s'inviteront dans le débat en opposant une réponse ferme en faveur de la compatibilité de la nouvelle voie de droit constitutionnel avec le droit de l'Union. La Cour de justice, suivant une procédure accélérée, apportera une solution plus nuancée, en imposant une exception communautaire à la priorité de la question de constitutionnalité. Suite à cet arrêt, la Cour de cassation oppose une fin de non-recevoir à la transmission de la QPC faute pour elle [...] de disposer des instruments lui permettant de répondre aux exigences posées par la Cour de justice" (38), le législateur organique se range à l'interprétation donnée par les deux juridictions du Palais-Royal et insère au sein de la loi organique n° 2010-830, portant sur le Conseil supérieur de la magistrature, un imposant cavalier législatif (39) pour amoindrir le poids du premier président de la Cour de cassation et ainsi changer le comportement de cette dernière.
Ainsi du bon fonctionnement de ces procédures, dépend en grande partie l'effectivité de la QPC qui en retour modifie en profondeur le rôle des juges passant immanquablement du rôle kafkaïen (40) de "sentinelle de la loi" (41) à celui de sentinelle du droit.
(1) Voir en ce sens la Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P).
(2) Voir en ce sens la Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 (N° Lexbase : A3871GLX).
(3) J.-L. Warsmann, Rapport n° 2838, sur l'évaluation de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.
(4) Jean-François Copé, Le Figaro, 7 juillet 2010.
(5) Voir en ce sens la décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010 (N° Lexbase : A2100GBE).
(6) Kelsen, Théorie pure du Droit, 1962.
(7) "Relativement à une entité, l'ensemble des règles de Droit qui la gouvernent" in Cornu.
(8) Ce principe reposant a son tour sur un postulat selon lequel les normes ne peuvent pas être auto poïétique.
(9) "Les normes d'un ordre juridique, dont cette norme fondamentale est le fondement de validité commun, sont -comme le montre le processus de remontée jusqu'à la norme fondamentale [...]- une pyramide ou hiérarchie de normes qui sont superposées, ou subordonnées les unes aux autres, supérieures ou inférieures" Hans Kelsen, Théorie pure du Droit, p. 266.
(10) Constitution, art. 10 (N° Lexbase : L0836AHG).
(11) Constitution, art. 61 (N° Lexbase : L0890AHG).
(12) Renaud Denoix de Saint-Marc, Trop de lois tue la loi, entretien au Journal du Dimanche, 21 janvier 2001.
(13) Décision n° 59-1 DC du 14 mai 1959, Dispositions du règlement de l'Assemblée nationale relatives à l'élection des membres de la Haute Cour de Justice (N° Lexbase : A7767ACN).
(14) Constitution, art. 92.
(15) Loi constitutionnelle n° 74 904 du 29 octobre 1974, portant révision de l'article 61 de la Constitution (N° Lexbase : L9947IGI).
(16) Voir en ce sens (la fameuse) Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse (N° Lexbase : A7913AC3).
(17) Dans cette perspective certains auteurs de la doctrine constatait "la non-saisine du Conseil constitutionnel en 1990, principalement motivée par la peur de l'opposition de se faire l'allié objectif' du Front National" in Dominique Rousseau et Pierre-Yves Gahdoun, Chronique de jurisprudence constitutionnelle, 2010.
(18) C'est-à-dire la non-prise en compte durant un procès en cours d'une loi portant atteinte aux droits fondamentaux.
(19) La loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République.
(20) Jean Louis Debré, Le monde, 29 mai 2010.
(21) Loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution.
(22) Cf., décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 (N° Lexbase : A3193EPX).
(23) Cette expression recouvre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, puisque au sommet de leurs ordres elles "régulent" l'ordre juridique.
(24) Voir en ce sens la Décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962 (N° Lexbase : A7807AC7).
(25) François Luchaire, Brèves remarques sur une création du Conseil constitutionnel : l'objectif de valeur constitutionnelle, Revue française de droit constitutionnel 4/2005 (n° 64), p. 675-684.
(26) Voir en ce sens la Décision n° 41-82 DC du 27 juillet 1982 loi relative à la communication audiovisuelle.
(27) Guillaume Drago, Contentieux constitutionnel français, p. 238 .
(28) Alors même que cette dernière est utilisée dans la procédure prévue à l'article 61 de la Constitution de 1958.
(29) D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, 2001, p. 136, in Florence Galletti Existe-t-il une obligation de bien légiférer ?, Revue française de droit constitutionnel 2/2004 (n° 58), p. 387-417.
(30) "La motivation se termine par un considérant dit 'considérant-balai' qui constate qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question en ce qui concerne les autres dispositions -non contestées- de la loi déférée. En effet, sauf pour les textes soumis obligatoirement à son contrôle, le Conseil constitutionnel se refuse à délivrer, selon l'expression consacrée, un 'brevet général de constitutionnalité de la loi'. Pour les lois ordinaires, la décision statue sur les dispositions contestées et celles examinées d'office. Lorsqu'il y a lieu à censure, la décision déclare inconstitutionnelles les dispositions censurées. Lorsque aucune censure n'est opérée, la décision se borne à relever que les dispositions contestées ne sont pas contraires à la Constitution" Olivier Dutheillet de Lamothe, rapport français présenté au séminaire international de justice constitutionnelle organisé par le Centre d'études constitutionnelles et administratives de l'Université catholique de Louvain à Bruxelles, 6 et 7 décembre 2001.
(31) Voir en ce sens la décision n° 2008-573 DC (N° Lexbase : A1390ECH), considérant 23.
(32) Voir en ce sens la décision n° 2003-483 DC du 20 novembre 2003, considérant 77.
(33) Dispositions résultantes du décret n° 2010-148 du 16 février 2010 (N° Lexbase : L5740IGP).
(34) Sauf si les observations émanent de la personne condamnée, de la partie civile concernant les lois de la presse ou du demandeur en cassation devant la Chambre criminelle.
(35) CEDH, 26 juin 1993, Ruiz Mateos c/ Espagne.
(36) Olivier Cayla, Lire l'article 55 : comment comprendre un texte établissant une hiérarchie des normes comme étant lui-même le texte d'une norme ?, Cahiers du Conseil constitutionnel 7 (1999).
(37) Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-80.774, P+B (N° Lexbase : A1974EXE) : "Mais attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux dans la mesure où l'incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l'infraction de contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par des membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, infraction dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d'expression et d'opinion".
(38) X. Magnon, La QPC face au droit de l'Union : la brute, les bons et le truand, RFDC, 2010, 84, 762-791.
(39) F. Rome, Un cavalier surgit de la nuit..., Rec. Dalloz, 2010, p. 1545.
(40) F. Kafka, Le Procès, Gallimard.
(41) Expression reprise par Vincent Lamanda in, Jean-Luc Warsman, rapport, préc..
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421521
Lecture: 17 min
N1557BSH
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Dussart, Professeur à l'Université Toulouse I - Capitole.
Le 12 Mai 2011
Lors de l'adoption des mesures constitutionnelles (Const., art. 61-1 N° Lexbase : L5160IBQ), puis organiques (ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 32-1 et suivants N° Lexbase : L0276AI3), qui ont permis la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, de nombreux observateurs et acteurs entendus lors des auditions parlementaires ont souligné l'utilité et l'intérêt qu'aurait ce nouveau droit ouvert au justiciable. Ainsi, Guy Carcassonne, Professeur à l'Université Paris X-Nanterre, indiquait devant la Commission de l'Assemblée nationale : "[...] il y a sans doute des filons' : le droit fiscal et, surtout, le droit douanier sont très menacés (2)". De même, Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation, précisait, lors de son audition par la même commission : "cette réforme concerne toutes les lois promulguées qui n'ont pas été soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, ce qui pourrait concerner de nombreuses dispositions fiscales ou douanières, mais aussi pénales (3)".
La pratique semble avoir donné raison, en partie, à ces dires. Ainsi, "l'essentiel des questions prioritaires de constitutionnalité enregistrées au Conseil d'Etat concerne la matière fiscale, qui représente environ 35 % du total. [...] La place du contentieux fiscal est encore plus déterminante au niveau des cours et des tribunaux administratifs : 64 % des questions prioritaires de constitutionnalité enregistrées et 54 % des questions transmises au Conseil d'Etat portent sur cette matière (4)". On peut également illustrer ce succès apparent par le constat de Jean-Louis Nadal dès le mois d'octobre 2010 : "Plus de cinquante questions ont porté sur les visites domiciliaires effectuées sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0549IHS) (5) ". Les saisines des juges du fond sont donc nombreuses en matière fiscale. Au 6 mai 2011, vingt-deux questions prioritaires de constitutionnalité avaient été examinées par le Conseil constitutionnel en matière fiscale, sur un total de cent six questions, représentant un traitement d'environ 20 %. Il y a donc une réelle utilisation de ce contrôle de constitutionnalité en matière fiscale.
Nous vous proposons de tirer un premier bilan de l'application de la nouvelle procédure en matière fiscale. Dans un premier temps, nous rappellerons les principes fondamentaux du droit fiscal constitutionnel sur lesquels s'appuie le Conseil constitutionnel. En effet, les arguments juridiques ne manquent pas aux contribuables et à leurs conseils. Il faudra, ensuite, préciser quels sont les premiers apports de cette nouvelle procédure au droit fiscal au travers l'examen des décisions rendues par le Conseil constitutionnel. En revanche, nous ne reviendrons pas ici sur les aspects généraux de la procédure qui ont été traités par les autres intervenants.
I - Les arguments susceptibles d'être invoqués en matière fiscale
Le droit fiscal repose sur des sources constitutionnelles nombreuses et variées (6). Le Conseil constitutionnel doit faire application de nombreux principes, dégagés par sa propre jurisprudence, en plus des textes constitutionnels qui sont, finalement, très généraux. Trois grandes séries de règles ont valeur constitutionnelle : le principe de la légalité de l'impôt, le principe de la nécessité de l'impôt et le principe d'égalité des contribuables devant l'impôt. L'ensemble de ces principes est fondé sur l'interprétation parfois audacieuse des articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (N° Lexbase : L6813BHS). Le droit fiscal est moins sensible que d'autres domaines du droit à l'influence du droit communautaire. Dès lors, tout l'intérêt de la question prioritaire de constitutionnalité apparaît. De plus, la révision constitutionnelle de 2008 (loi n° 2008-103 du 4 février 2008, modifiant le titre XV de la Constitution N° Lexbase : L7923H3T) n'a pas transféré le contrôle de la conventionalité des lois au Conseil constitutionnel, même si, comme l'indiquent les Professeurs Jean et Jean-Eric Gicquel, "la symétrie avec le contrôle de conventionalité est rétablie (7)". Ce contrôle reste de la compétence du juge judiciaire ou du juge administratif, même lorsque la loi concerne des droits fondamentaux. Par conséquent, l'intérêt pour la question prioritaire de constitutionnalité ne peut qu'être renforcé pour les praticiens du droit fiscal par ce fait.
L'article 61-1 de la Constitution dispose que la question prioritaire de constitutionnalité ne peut porter que sur "les droits et libertés que la Constitution garantit". Ainsi, il ne saurait être question d'invoquer l'inconstitutionnalité d'une question directement liée aux mesures d'adoption de la norme législative. On sait que. Même si la législation fiscale se trouve essentiellement contenue dans les lois de finances, il n'est pas possible de soulever la question des principes budgétaires de sincérité, de spécialité, d'unité ou encore d'universalité budgétaire, comme le rappelle Florence Deboissy. De même, il apparaît impossible de soulever la constitutionnalité des éventuels "cavaliers budgétaires" contenus dans les lois de finances (8). En effet, il s'agit de principes et de règles qui ne concernent que les relations entre les deux assemblées et le Gouvernement, et qui ne mettent pas en cause les droits et libertés fondamentaux.
L'impossibilité de soulever des questions relatives au principe de la légalité de l'impôt est le premier point qu'il convient d'évoquer. Dès l'adoption du nouveau dispositif, la possibilité, pour les contribuables, d'utiliser le principe de la légalité fiscale a été écarté. En effet, le champ d'application de la question prioritaire de constitutionnalité est limité au respect des droits et libertés garantis par la Constitution. Or, le principe de légalité découle de l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, repris par l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L0860AHC) qui donne compétence quasi exclusive au législateur qui prévoit que la matière fiscale est réservée au pouvoir législatif. Ce principe est solidement établi, même si le Gouvernement est à l'origine de la législation fiscale. En effet, comme il a déjà été indiqué plus haut, l'essentiel de cette législation se trouve dans les lois de finances (initiale ou rectificative), dont l'initiative appartient exclusivement au pouvoir exécutif, en application de l'article 38 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (loi n° 2001-692 N° Lexbase : L1295AXA), mais aussi des articles 39 (N° Lexbase : L0865AHI) et 47 (N° Lexbase : L0873AHS) de la Constitution (9). Il n'en demeure pas moins que le principe de la légalité de l'impôt reste un principe à valeur constitutionnelle que le Conseil constitutionnel fait respecter dans son contrôle a priori. La Haute juridiction constitutionnelle a eu l'occasion, dans la première question prioritaire de constitutionnalité en matière fiscale dont elle eut à connaître, de se prononcer sur le principe de légalité (10). La question portait sur la conformité à la Constitution de l'article 273-I alinéa 1-3° du CGI (N° Lexbase : L5384HLY). Le justiciable a soulevé deux griefs relatifs au problème de l'incompétence négative du législateur. Le premier touchait à la méconnaissance par celui-ci de l'étendue de ses attributions, le second à la délégation inconstitutionnelle de sa compétence au pouvoir réglementaire. Reprenant le sens des travaux parlementaires opérés lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Conseil a fixé une règle de principe, applicable à tout litige : "la méconnaissance du législateur ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit". Le Conseil constitutionnel a fait application de cette règle générale à la matière fiscale. Il a jugé que les dispositions de l'article 14 de la Déclaration de 1789, relatives au consentement à l'impôt, mises en oeuvre par l'article 34 de la Constitution, "n'instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué, à l'occasion d'une instance devant une juridiction, à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution".
Le principe d'égalité devant l'impôt sera largement utilisé dans les années à venir au soutien des recours. Ce principe est essentiellement fondé sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (11), mais aussi l'article 6 : "pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". Sous cet angle, le traitement fiscal différencié des contribuables peut faire l'objet de contestations, même si le Conseil a précisé que le principe d'égalité ne s'opposait pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes. De plus, il est admis que déroger au principe d'égalité au nom de l'intérêt général, est valable et peut résulter d'un intérêt budgétaire ! Dans tous les cas, la différence de traitement doit être en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (12).
En troisième lieu, la question de la rétroactivité en matière fiscale pourrait être soumise au juge constitutionnel. Cette question entre, on le sait, dans le cadre plus général de la sécurité juridique. Il n'existe pas d'interdiction constitutionnelle de principe de la rétroactivité en matière fiscale. Cependant, le Conseil a posé certaines limites : le législateur peut adopter des dispositions rétroactives en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles (13). Le caractère disproportionné d'une disposition légale rétroactive pourrait, ainsi, être mis en cause dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité.
Un quatrième angle d'attaque pour les justiciables réside dans la problématique de la proportionnalité des sanctions fiscales. Dans une décision du 30 décembre 1997, le Conseil constitutionnel avait jugé que : "nonobstant les garanties de procédure dont il est ainsi assorti, ce nouvel article pourrait, dans nombre de cas, donner lieu à l'application de sanctions manifestement hors de proportion avec la gravité de l'omission ou de l'inexactitude constatée, comme d'ailleurs avec l'avantage qui en a été retiré (14)". Dès lors, il ne serait pas étonnant de voir des sanctions contestées sur ce fondement.
Il est, à l'heure actuelle, impossible d'invoquer des objectifs à valeur constitutionnelle à l'appui des questions prioritaires de constitutionnalité. Cependant, certains pourraient s'avérer intéressants à terme. On peut notamment évoquer l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Ainsi, dans la décision n° 2003-473 DC, le Conseil constitutionnel a jugé que "l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et la garantie des droits requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité inutile". Il n'a, toutefois, prononcé aucune censure sur ce fondement. De plus, le Conseil a instauré une exigence complémentaire : la nécessité pour une loi de ne pas être rédigée de façon excessivement complexe. La loi de finances pour 2006 prévoyait un plafonnement global des avantages fiscaux (appelés couramment "niches fiscales"). L'article 78 de cette loi de finances pour 2006 a été censuré au titre de la complexité excessive de la loi, et ce sans se référer explicitement au principe de clarté ou à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité, même si cette exigence de non-complexité excessive concrétise l'un des aspects de l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi. Impossible de l'utiliser pour l'instant, mais nous espérons une inflexion de la politique du Conseil constitutionnel pour l'avenir.
II - Réflexions sur les vingt-trois questions prioritaires de constitutionnalité rendues en matière fiscale depuis le 1er mars 2010
Depuis le 1er mars 2010, le Conseil a rendu vingt-trois décisions en matière fiscale (15). Cinq d'entre elles ont abouti à des déclarations d'inconstitutionnalité : la première est issue de la décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010 (N° Lexbase : A7696GBN), dans laquelle le Conseil a invalidé des dispositions sur la base du principe d'égalité devant les charges publiques. Elle concernait la Compagnie agricole de la Crau, qui était soumise à un prélèvement fiscal dérogatoire issu d'une loi de 1941. La seconde décision n° 2010-78 QPC, en date du 10 décembre 2010 (N° Lexbase : A7113GME), a remis en cause le principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture. La troisième décision a mis fin à la publication et l'affichage automatique des jugements de fraude fiscale en application du quatrième alinéa de l'article 1741 du CGI (N° Lexbase : L1670IPK) ; Cons. const., décision n° 2010-72/75/82 QPC, 10 décembre 2010 N° Lexbase : A7111GMC). Le 21 janvier 2011, la décision n° 2010-88 QPC a invalidé une partie de l'article 168 du CGI (N° Lexbase : L2378IPR), relatif à la taxation des éléments du train de vie. Enfin, la dernière déclaration d'inconstitutionnalité n° 2010-97 QPC du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1690GRZ), est relative à la taxe sur l'électricité. Cette dernière décision devrait voir un effet limité puisque les taxes sur l'électricité ont été réformées dans la loi de finances initiale pour 2011.
La première décision du 14 septembre 2010 concernait, en pratique, une seule société agricole et a, par conséquent, eu un effet également limité. Seules les trois autres décisions d'annulation ont une portée plus large et, pour tout dire, plus intéressante. La décision n° 2010-78 a montré que le Conseil pouvait s'attaquer à la question complexe de l'intangibilité du bilan d'ouverture. On rappellera que toute société doit établir un bilan à l'ouverture d'un exercice. Celui-ci doit être identique à celui établi à la clôture de l'exercice précédent, en application de l'article L. 123-19 du Code de commerce (N° Lexbase : L5577AIE). Si une erreur a été commise, elle doit être corrigée selon la règle de la "correction symétrique des bilans" et remontée jusqu'au bilan de l'exercice au cours duquel lequel l'erreur a été commise. Depuis une décision du Conseil d'Etat du 7 juillet 2004 (16), les erreurs pouvaient être corrigées sans que s'applique la limitation dans le temps au dernier exercice prescrit. Par l'article 43 de la loi de finances rectificative pour 2004 (17), le législateur a rétabli, sous certaines conditions, le principe d'intangibilité. Pour les impositions établies avant le 1er janvier 2005, l'article 43-IV de la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004-1485, 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 N° Lexbase : L5204GUB) a maintenu, au profit de l'Etat uniquement, et à l'exclusion du contribuable, le bénéfice des conséquences de la jurisprudence du Conseil d'Etat du 7 juillet 2004. La société requérante contestait le fait que seul le contribuable soit privé du bénéfice de cette jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a annulé la disposition litigieuse après avoir constaté qu'elle portait atteinte à l'équilibre des droits des parties. Il s'est fondé sur la violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
La décision n° 2010-72/75/82 qui a invalidé les dispositions du quatrième alinéa de l'article 1741 a sanctionné une peine obligatoire qui consistait dans l'affichage d'un jugement de fraude fiscale en mairie et sur la porte des locaux professionnels du condamné. Plusieurs requérants avaient soulevé cette question. Il s'est agit à la fois de faire disparaître une peine non modulable et ressentie comme infamante par les contribuables.
A la lecture de ces décisions d'inconstitutionnalité, on peut constater que ce sont des décisions qui n'impactent pas fondamentalement le droit fiscal matériel, et donc le calcul de l'impôt. Elles concernent surtout le droit fiscal formel, et portent sur des points particuliers. Il n'y a pour l'instant pas eu de révolution fiscale majeure, contrairement à ce que pouvaient espérer certains contribuables et leurs conseils.
Ainsi, le Conseil n'a pas souhaité se substituer au législateur, dans ce domaine comme dans d'autres, ni initier de réformes fiscales d'ampleur.
Le Conseil constitutionnel a d'abord fermé tout un angle d'attaque qui aurait pu s'avérer redoutable pour la stabilité de la législation fiscale : l'incompétence négative du législateur (Cons. const., décision n° 2010-5 QPC,18 juin 2010 N° Lexbase : A9571EZI). Dans cette affaire était en cause la conformité à la Constitution de l'article 273 I alinéa 1 du CGI (N° Lexbase : L5384HLY). Les requérants avaient soulevé deux griefs relatifs à la méconnaissance, par le législateur, de l'étendue de ses propres attributions, et à la délégation de sa compétence au pouvoir réglementaire. Le Conseil a validé, en quelque sorte, les travaux parlementaires de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. L'incompétence négative ne peut donc être invoquée, sauf si un droit ou une liberté que la Constitution garantit est mis en jeu. Partant, le Conseil a jugé que l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme, relatif au consentement à l'impôt "n'institue pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué, à l'occasion d'une instance devant une juridiction, à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution". Cette décision est importante par son ampleur : de nombreuses dispositions fiscales auraient pu être contestées sur cette base.
Initialement, la Cour de cassation a été saisie de plus de cinquante questions relatives à l'article L. 16 B du LPF. Il était donc logique que la question des "perquisitions fiscales" prévues dans cet article arrive devant la juridiction constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation de plusieurs questions auxquelles il a répondu par deux décisions. Dans la première décision, en date du 30 juillet 2010, le Conseil a d'abord relevé que certaines des dispositions renvoyées par le juge a quo avaient déjà été jugées conformes à la Constitution. En effet, peuvent reparaître devant lui des dispositions déjà jugées conformes si un changement de circonstances de droit a eu lieu depuis. Ce n'était pas le cas ici. Cette décision a donc contribué, avec d'autres, à forger la politique des juges de la rue Montpensier sur cette question épineuse des changements de circonstances. Sur le fond, le Conseil n'a pas remis en cause le dispositif modifié de l'article L. 16 B du LPF, en jugeant que les dispositions introduites par la loi du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776 N° Lexbase : L7358IAR) ne sont pas contraires au droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'interprétation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. Il faut ajouter que le Conseil a prononcé un non-lieu à statuer dans une deuxième décision du 6 août 2010 : "considérant que, par sa décision susvisée du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les 1° et 3° du paragraphe IV de l'article 164 de la loi du 4 août 2008 susvisée ; que, par suite, il n'y a pas lieu d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions". La jurisprudence concernant l'article L. 16 B du LPF semble donc bien verrouillée par le Conseil.
Des saisines en matière d'impôt de solidarité de la fortune étaient attendues en raison des contestations nombreuses, portant tant sur le principe que sur les modalités de cette imposition (18). La première question prioritaire de constitutionnalité en la matière est venue, non de la Cour de cassation comme on aurait pu le penser, mais du Conseil d'Etat. En effet, ce dernier a été saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une instruction fiscale. A l'occasion de ce recours, une question prioritaire de constitutionnalité a été posée. Trois griefs ont été soulevés à propos de l'impôt de solidarité sur la fortune. Le principe d'égalité devant l'impôt a été invoqué contre la différence de traitement entre les contribuables mariés et les concubins notoires, d'une part, et les personnes ne vivant pas en concubinage notoire, d'autre part. Le Conseil a répondu à cet argument que ces dernières personnes bénéficient chacune de la franchise d'imposition dont les premières ne bénéficient, ensemble, qu'une seule fois. En fait, déjà examiné cette question avait déjà été examinée par lui dans la décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981 (N° Lexbase : A8033ACI). Le fait que la décision concernait l'impôt sur les grandes fortunes et non l'impôt de solidarité sur la fortune ne marque pas un changement de circonstances majeures impliquant la reconsidération de la constitutionnalité de la notion de foyer fiscal pour cet impôt. Toujours en ce qui concerne le foyer fiscal, le fait qu'il n'existe pas de personnalisation de l'impôt par le biais d'un système de quotient familial, comme pour l'impôt sur le revenu, n'est pas contraire au principe d'égalité. Selon les requérants, l'impôt de solidarité sur la fortune frapperait des biens non productifs de revenus et serait dès lors inconstitutionnel. Le Conseil a rappelé que cet impôt frappait le patrimoine même improductif de revenus. Il n'y aura donc pas de grand soir fiscal en ce qui concerne l'impôt de solidarité sur la fortune !
Les autres questions en matière fiscale semblent plus circonscrites dans leur objet mais n'en présentent pas moins un indéniable intérêt. Ainsi, par exemple, la décision "taxe sur les salaires", du 17 septembre 2010 (décision n° 2010-28 QPC N° Lexbase : A4759E97), a provoqué l'ire de certains praticiens. Le Conseil constitutionnel avait été saisi, le 24 juin 2010, par le Conseil d'Etat (CE, 8° et 3° s-s-r., 24 juin 2010, n° 338581 N° Lexbase : A2809E3G), d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'Association sportive Football Club de Metz sur la constitutionnalité de l'article 231 du CGI (N° Lexbase : L5250IME), relatif à la taxe sur les salaires. A nouveau était invoqué le principe d'égalité : le Conseil a estimé que le législateur pouvait assujettir de manière différente à la taxe sur les salaires des entreprises qui sont dans une situation différente. Il a ainsi pu ne soumettre à la taxe sur les salaires que les entreprises exonérées de TVA ou non soumises à cette taxe sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires. D'autre part, le montant de la taxe sur les salaires est calculé à partir d'un barème progressif, appliqué à la masse salariale imposable. En retenant ce critère, le législateur n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation. Ce dernier point est intéressant. Le Conseil a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle "pour l'application du principe d'égalité devant l'impôt, la situation des redevables s'apprécie au regard de chaque imposition prise isolément". Dès lors, il a refusé de comparer la situation des entreprises soumises à la taxe sur les salaires et à la taxe sur la valeur ajoutée. A partir de là, il se contente d'un simple contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation. Le refus de comparer deux impositions pourtant liées a été très contesté en doctrine (19).
Une autre décision intéressante est celle relative aux centres de gestion agréés du 23 juillet 2010 (décision n° 2010-16 QPC N° Lexbase : A9194E4B). Le Conseil a été amené à se prononcer sur la conformité du 1° du 7 de l'article 158 du CGI (N° Lexbase : L1667IPG), qui institue une majoration de 25 % des bénéfices professionnels imposables à l'impôt sur le revenu pour les contribuables soumis au régime réel d'imposition qui n'adhèrent pas à un centre ou à une association de gestion agréé. Le Conseil a, d'abord, dû se prononcer sur le fait que la question prioritaire de constitutionnalité portait sur une disposition qui a, ensuite, été modifiée par le législateur. Mais cette disposition a été reconnue applicable au litige par le Conseil d'Etat. Pour le Conseil constitutionnel, le justiciable a, malgré tout, le droit de voir examinée la conformité de cette disposition à la Constitution. Le cas échéant, la décision d'inconstitutionnalité doit pouvoir, logiquement, lui bénéficier. La procédure doit ainsi conserver un "effet utile". Le Conseil a examiné la conformité du texte litigieux au regard du principe d'égalité devant les charges publiques. Le Conseil a rejeté ce grief de manière laconique : "qu'ainsi, la différence de traitement entre adhérents et non adhérents demeure justifiée à l'instar du régime antérieur et ne crée donc pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être rejeté". On peut, ici, indiquer que le Conseil motive ses décisions de manière très limitée. Les décisions apparaissent très courtes. Il serait appréciable que le Conseil puisse aller plus loin dans la motivation de ses décisions.
La question prioritaire de constitutionnalité est donc très utilisée en matière fiscale. Il apparaît, cependant, que le Conseil d'Etat, comme la Cour de cassation, jouent leur rôle de filtre avec une grande efficacité. Certains renvois sont encore en instance de jugement mais, malgré tout, les résultats ne sont, pour l'instant, pas à la hauteur de l'attente des praticiens de la fiscalité. L'enthousiasme est peut être en train de retomber en matière fiscale. Il n'y aura, sans doute, pas de décisions susceptibles d'entraîner des remboursements massifs d'impôt. Le Conseil constitutionnel pourra-t-il s'affranchir totalement du contexte économique de la France ? Comment sera appliquée la question prioritaire de constitutionnalité dans un contexte budgétaire difficile ? Pourrait-on imaginer qu'une décision puisse venir priver l'Etat de ressources fiscales importantes ? Cela est peu probable.
(1) Marc Guillaume, La question prioritaire de constitutionnalité et le droit fiscal, Revue de droit fiscal, 7 avril 2011, n° 14.
(2) Jean-Louis Warsmann, Rapport d'information n° 2838 sur l'évaluation de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, Assemblée nationale, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, octobre 2010, p. 144.
(3) Ibid, p. 168.
(4) Ibid, p. 42, audition de Jean-Marc Sauvé.
(5) Ibid, p. 91, audition de Jean-Louis Nadal.
(6) Sur la question des sources, lire, notamment, Jean Lamarque, Olivier Négrin et Ludovic Ayrault, Droit fiscal général, Litec, 2010, pp. 286 à 329 ; Stéphane Caporal et Anne Jussiaume, Droit constitutionnel fiscal, Jurisclasseur administratif, Fascicule 1464.
(7) Jean Gicquel et Jean-Eric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, 24ème édition, 2010, p. 748.
(8) Florence Deboissy, Question prioritaire de constitutionnalité : la fin d'un angle mort, Revue de droit fiscal 18 février 2010, n° 7, act. 42.
(9) Sur cette compétence exclusive, lire Jean-Luc Saidj et Luc Saidj, Finances publiques, 6ème édition, Editions Dalloz, 2009, p. 315.
(10) Décision n° 2010-5 QPC, du 18 juin 2010 (N° Lexbase : A9571EZI ; lire Laurence Ladoux, Question prioritaire de constitutionnalité : le principe du consentement à l'impôt n'est pas invocable, Les nouvelles fiscales n° 1051, 1er septembre 2010, p. 3 ; RJF, octobre 2010, n° 940).
(11) Sur ce principe, lire, notamment, Didier Ribes, Le principe d'égalité fiscale, Revue juridique de l'entreprise publique, 2008, n° 650, pp. 3-9 ; Eric Meier et Guillaume-Henri Boucheron, Les droits et libertés constitutionnels en matière fiscale, Revue de droit fiscal, 2010, n° 12, pp. 14-34.
(12) Cons. const., décision n° 87-232 DC, 7 janvier 1988 (N° Lexbase : A8176ACS) ; Cons. const., décision n° 2001-456 DC, 27 décembre 2001 (N° Lexbase : A7029AXM) ; et Cons. const., décision n° 2002-464 DC, 27 décembre 2002 (N° Lexbase : A2081DIW).
(13) Cons. const., décision n° 2001-453 DC, 18 décembre 2001 (N° Lexbase : A6598AXN).
(14) Cons. const., décision n° 97-395 DC, 30 décembre 1997 (N° Lexbase : A8445ACR).
(15) Toutes ces décisions sont disponibles en ligne sur le site internet du Conseil constitutionnel, accompagnées d'un dossier documentaire.
(16) CE Assemblée, 7 juillet 2004, n° 230169, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0698DD9).
(17) Loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004.
(18) Lire, notamment, sur cette question, Wanda Mastor, L'impôt de solidarité sur la fortune à l'épreuve de la Constitution, Recueil Dalloz, 12 mai 2005, n° 19, pp. 1257-1260.
(19) Dominique Villemot, L'erreur manifeste d'appréciation. A propos de Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, 17 septembre 2010. Feuillet Rapide, 2010, n° 40, p. 31-32.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421557
Lecture: 6 min
N1561BSM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
Le 12 Mai 2011
Rémy Le Bonnois : La proposition de loi prévoit, en effet, la création d'une base de données en matière de réparation du dommage corporel recensant l'ensemble des transactions et des décisions judiciaires et administratives ayant trait à l'indemnisation de ces dommages. Sur le principe, ce n'est pas une mauvaise chose, notamment en matière administrative... En effet, il n'est pas possible d'avoir accès aux évaluations retenues par les juridictions administratives, en dehors des dossiers du cabinet, ce qui représente un panel insuffisant, aussi important soit-il.
Donc, sur le principe, l'idée est bonne, mais elle présente certains dangers du point de vue des victimes.
Le fait de disposer d'une banque de données et de barèmes indiquant ce que valent chacun des postes de préjudice est satisfaisant, à condition qu'il s'agisse de barèmes indicatifs auxquels le juge n'est pas tenu. Celui-ci doit, en effet, pouvoir s'écarter du barème en fonction du cas qui lui est soumis puisque l'indemnisation d'un préjudice doit impérativement être individualisée.
Dans les grandes juridictions, où les magistrats sont spécialisés, cela ne pose pas de difficultés particulières. C'est, en revanche, dans les juridictions où les juges sont moins expérimentés que cela peut devenir problématique du fait d'un risque d'application systématique du barème. Il faut donc impérativement que le barème reste indicatif.
Le deuxième écueil, selon moi, est celui d'une uniformisation vers le bas. En effet, certains tribunaux, certaines cours publient depuis longtemps des barèmes et force est de constater que les fourchettes d'évaluation des indemnisations tendent à diminuer. Pourtant, les indemnisations proposées ne sont déjà pas très généreuses d'une manière générale.
Lexbase : Et s'agissant de la réactualisation du barème de capitalisation ?
Rémy Le Bonnois : C'est une bonne initiative car il n'a jamais été réactualisé depuis 1986 et il était déjà défavorable aux victimes... Néanmoins, je ne suis pas sûr qu'il faille laisser l'initiative d'établir ce barème à l'administration.
Différents barèmes pourraient être proposés par les compagnies d'assurance, par la chambre des notaires, par des revues, etc.. Je pense qu'il conviendrait de prévoir plusieurs barèmes et que c'est au juge qu'il appartient de retenir celui qui lui paraît le mieux adapté.
Quoi qu'il en soit, il faut faire confiance au juge ; il est important qu'il puisse disposer d'un maximum d'informations, mais ensuite, c'est lui le mieux placé pour évaluer le montant de l'indemnisation. On ne peut pas tout résoudre sous forme de lois ; il faut préserver le pouvoir d'appréciation des juges.
Lexbase : Etes-vous favorable à l'encadrement des opérations d'expertise médicale ?
Rémy Le Bonnois : La proposition de loi prévoit d'interdire à un médecin d'être conseil de la victime d'un accident de la circulation vis-à-vis d'une compagnie d'assurance dont il est aussi habituellement médecin conseil. Le texte prévoit, par ailleurs, l'obligation, pour les médecins de déclarer auprès des conseils départementaux de l'ordre des médecins, les noms des compagnies d'assurance pour lesquels ils travaillent.
Je crois effectivement qu'il faut faire en sorte que les médecins soient clairement identifiés. Il existe des médecins-conseils des compagnies d'assurance, des médecins-experts-judiciaires, et des médecins de recours. C'est évident qu'il existe des incompatibilités entre ces trois types de spécialistes, qui ont pourtant des compétences équivalentes. Dans certaines villes de province, il arrive fréquemment qu'un médecin-expert soit aussi médecin-conseil d'une compagnie d'assurance, et il est évident que cela pose un problème d'indépendance ; c'est humain, sans qu'il s'agisse de mauvaise foi.
L'indépendance des médecins est un point fondamental que les avocats spécialisés revendiquent depuis toujours. Cela étant, une telle réglementation sera confrontée à des difficultés d'application dans les petites villes de province, alors qu'aujourd'hui on ne dispose pas de médecin de recours dans toutes les grandes villes de France, et a fortiori encore moins dans les petites villes. La réforme est importante ; des solutions seront trouvées (pôles de compétences...).
Lexbase : Que pensez-vous de l'officialisation de la nomenclature "Dintilhac" ?
Rémy Le Bonnois : C'est une bonne mesure. En effet, même si cette nomenclature est déjà appliquée de manière quasi systématique par les tribunaux, c'est en matière amiable, qu'il conviendrait d'imposer aux compagnies d'assurance l'application de la nomenclature. Cette mesure constituerait un réel apport sachant que 95 % des dossiers sont réglés dans le cadre d'une procédure amiable contre 5 % dans le cadre d'une procédure judiciaire.
Si la victime a recours à un cabinet d'avocats spécialisés en matière de réparation de dommages corporels, même si le rapport d'expertise amiable est un peu incomplet, le conseil saura répondre à tous les chefs de préjudice. Mais cela n'est bien évidemment pas le cas lorsque la victime est seule ou si son avocat n'est pas spécialisé ; certains chefs de préjudice, qui peuvent être très importants, sont alors oubliés.
Prenons l'exemple des incidences professionnelles, le médecin-conseil va relever l'inaptitude professionnelle, c'est certain ; de même, en cas de changement de poste, s'il s'accompagne d'une perte de gains ; en revanche, s'agissant des préjudices tels que la pénibilité professionnelle, la dévalorisation professionnelle, etc., l'impasse est nettement plus probable. Or, il faut savoir qu'à Paris, les incidences professionnelles représentent l'un des postes les plus importants au niveau de l'indemnisation.
Si l'on oblige donc les médecins conseils des compagnies d'assurance et les compagnies d'assurance à se référer à la nomenclature "Dintilhac", ils seront obligés d'y répondre, ce qui est favorable à la victime.
Lexbase : Auriez-vous d'autres suggestions de réforme qui pourraient être prises en compte dans le cadre de cette proposition de loi ?
Rémy Le Bonnois : Je pense qu'une réforme capitale, dépassant le cadre de la loi du 5 juillet 1985 et concernant la réparation des dommages corporels en général, est à envisager ; il s'agirait de retirer à l'ordre administratif, ce que l'on appelle le plein contentieux, ou à tout le moins le contentieux des accidents médicaux.
Il s'agirait de transférer tout le contentieux de la réparation des dommages corporels au juge judiciaire, comme cela est notamment le cas pour les accidents de la circulation. Le problème vient de ce qu'un même préjudice peut donner lieu à une indemnisation pouvant aller du simple au triple selon qu'il est évalué par le juge administratif ou le juge judiciaire.
Au lieu d'exiger un référentiel dans les juridictions administratives dans un objectif d'uniformisation, il me semblerait préférable que ce contentieux soit transféré aux juridictions judiciaires, ce qui amènerait une unité au niveau de la jurisprudence et de l'évaluation du préjudice. Il s'agit de la vraie réforme à mener.
Par ailleurs, la proposition envisage la présence obligatoire d'un médecin aux côtés de la victime. C'est une excellente chose, mais l'on peut se demander si la présence d'un juriste ne pourrait pas également être suggérée, et d'un juriste spécialisé dans la réparation des dommages corporels. En effet, le médecin est un technicien qui va pouvoir évaluer les différents taux, mais quand on parle d'expertise, il s'agit d'expertise médico-légale ; or, trop de médecins ignorent les aspects juridiques. Ces juristes que j'évoque sont bien sûr les avocats spécialisés ou des experts d'assurés.
Sans que le recours soit obligatoire, il suffirait simplement de prévoir une mention incitative à ce sujet.
Il conviendrait également de supprimer la convention IRCA (indemnisation et recours corporel automatique) en matière d'accidents de la circulation. Cette convention prévoit que la gestion des dossiers est réalisée, dans un premiers temps, par la compagnie d'assurance de la victime ; si la première expertise médicale révèle que la victime est atteinte de plus de 5 % d'incapacité, la gestion est alors transférée à la compagnie du véhicule impliqué responsable. L'objectif de la convention est de réduire les coûts de gestion. Mais le problème est que cela engendre des effets pervers. Cela implique, notamment, que la provision versée par la compagnie d'assurance va s'avérer dérisoire lorsqu'elle sait pertinemment que l'incapacité est supérieure à 5 % et que le dossier sera ainsi géré par la suite par la compagnie qui doit payer.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421561
Réf. : CA Amiens, ch. éco., 8 mars 2011, n° 09/01543 (N° Lexbase : A1545HAH)
Lecture: 11 min
N1479BSL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole
Le 12 Mai 2011
A - Les cas jurisprudentiels précédents
La précarité de la situation à laquelle se trouvent confrontés les dirigeants sociaux (1), notamment ceux révocables ad nutum, conduit à l'élaboration et la mise en oeuvre d'un certain nombre de correctifs. Outre le bénéfice de garanties en cas de perte d'emploi et de pensions de retraite, il existe diverses tentatives de protection contractuelle, mais qui ne sont pas légales si bien que leur validité est souvent contestée et contestable.
La jurisprudence frappe de nullité toute clause des statuts ou toute convention qui tend à supprimer, entraver ou restreindre la liberté de révocation d'un dirigeant (2). Pareille conséquence tient généralement à l'importance de la charge financière qu'elle entraîne pour la société. C'est notamment le cas lorsque l'indemnisation ou le reclassement dans une autre fonction du dirigeant révoqué représente une masse financière ou une contrainte si importante pour la société qu'elle constitue un obstacle à l'éviction de ce dirigeant. La motivation du caractère illicite de la disposition statutaire ou conventionnelle est explicite ou implicite dans les décisions de justice.
Parmi les stipulations statutaires ou les conventions extra-statutaires atteintes de nullités, parce que nuisibles directement ou indirectement au droit de révocation, ont été relevées :
- l'instauration d'une règle de quorum et de majorité excédant celle posée par la loi pour les assemblées ;
- l'allocation d'une indemnité de préavis de douze mois (3) ou d'une indemnité prévue sous le couvert d'un contrat de travail (4) ;
- ou encore, les conventions dissuadant de mettre fin aux attributions directoriales. C'est en particulier le cas d'un protocole d'accord selon lequel une société qui acquiert les parts d'une autre société s'engage en cas de révocation du président de cette dernière, à racheter celles-ci au double de leur valeur au jour de la cession (5). Pareille clause fait indubitablement échec au principe d'ordre public de la libre révocation des mandataires sociaux.
Sont illicites pour cette raison, les clauses qui garantissent aux dirigeants leur maintien dans leur fonction pour une durée déterminée (6), ou leur reclassement dans un autre poste, en cas de révocation (7).
D'autres conventions sont, au contraire, considérées comme valables, parce qu'elles ne portent pas atteinte au principe de la libre révocabilité. C'est le cas notamment :
- de la convention entre un dirigeant et une société tierce qui a pris l'engagement de racheter ses actions si ses fonctions prennent fin ;
- de l'engagement pris par un tiers de dédommager le dirigeant évincé ;
- ou encore, de la promesse de consentir un contrat de travail faite par une société du groupe au dirigeant quittant ses fonctions au sein d'une filiale, quelle qu'en soit la cause (8).
Est également licite le contrat de travail conclu avant la désignation d'un salarié en qualité de dirigeant (9). Il en va pareillement de l'indemnité convenue alors que l'intéressé n'est pas encore mandataire social (administrateur, ni directeur général) (10).
Le critère dont il convient souvent de tenir compte est celui de l'auteur de la convention. Dès lors que celle-ci émane d'une personne physique ou morale dépourvue de tout pouvoir de décision au sein de la société, notamment du conseil d'administration, du conseil de surveillance ou de l'assemblée, la convention n'est pas prohibée parce qu'elle ne fait pas obstacle au libre exercice du droit de révocation (11). Il ne faut pas non plus oublier l'intérêt dans lequel la société a agi (12).
B - Le présent cas d'espèce
Qu'en est-il, en l'espèce, de la clause statutaire prévoyant qu'en cas de révocation pour un quelconque motif, quand bien même serait-il juste, le gérant percevrait une indemnité de révocation d'un montant égal à sa dernière rémunération annuelle ? De surcroît, cette disposition énonçait qu'à chaque anniversaire, ce montant serait augmenté du douzième de ladite rémunération. L'indemnité serait versée au jour de la cessation du mandat social. Enfin, en cas de soumission de l'indemnité aux charges sociales, la société assumerait celles-ci.
Dans le présent litige, la cour d'appel d'Amiens ne manque pas de rappeler d'emblée le principe de nullité de toute clause statutaire ou conventionnelle dissuasive de la révocation de tout dirigeant par les associés. Forte de cela, elle décide qu'est exorbitante l'indemnité de révocation du gérant de SARL représentant un an de sa rémunération, soit 66 000 euros nets de charges sociales. En effet, le résultat d'exploitation de la société était constamment déficitaire, celle-ci ne devenant bénéficiaire que dans trois ou quatre ans, peu importe que cette somme soit dérisoire par rapport au chiffre d'affaires.
Cette décision est conforme à la tendance jurisprudentielle qui apprécie le caractère dissuasif de la clause litigieuse au regard de la taille de l'entreprise. Ainsi, a-t-il été jugé que la clause par laquelle une société mère s'engage à allouer au directeur général d'une filiale une indemnité d'un million de francs (environ 150 000 euros) n'est pas de nature à peser sur la décision de révoquer ce dirigeant, aussi bien en raison de l'importance du capital de la mère (égal à une fois et demi le montant de l'indemnité), que de ses résultats sur les trois derniers exercices (13).
Si la mise en oeuvre de la révocation contrôlée s'appuie sur la preuve de l'existence d'un juste motif en l'absence de laquelle la victime de la mesure peut obtenir des dommages-intérêts, en revanche, l'octroi d'une indemnisation peut être écarté par une stipulation statutaire (14).
II - La révocation du gérant pour de justes motifs, sans brutalité, ni vexation
A - Le juste motif de révocation
Bien que devant répondre au principe de la libre révocation qui est d'ordre public, l'éviction des dirigeants sociaux obéit à deux régimes.
Certains d'entre eux ne bénéficient d'aucune garantie ; ils sont révocables ad nutum, c'est-à-dire discrétionnairement, sans motif et sans préavis. Il s'agit des administrateurs, notamment du président du conseil d'administration de la société anonyme moniste, et du président du directoire de la société anonyme dualiste.
D'autres sont davantage protégés en ce que leur révocation est contrôlée, ce qui signifie qu'elle doit s'appuyer sur un juste motif en l'absence duquel ils perçoivent une indemnisation. C'est le cas des gérants des sociétés civiles, de la société en nom collectif (16), de la société en commandite simple et de la SARL, du directeur général et des directeur généraux délégués de la société anonyme traditionnelle, s'ils ne sont pas administrateurs, ainsi que des membres du directoire ou du directeur général unique de la société anonyme moderne.
En l'espèce, le gérant non associé de la SARL, co-gérant majoritaire d'avril 2007 à novembre 2007, date de sa révocation, bien qu'ayant déposé une demande de permis de construire le 7 novembre 2006 qui avait reçu une suite favorable le 30 août 2007, avait omis de déposer concomitamment une demande de certificat d'obligation d'achat par EDF de l'énergie produite. Il n'avait effectué cette démarche que le 15 octobre 2007, alors que depuis le 10 octobre la société avait un acquéreur potentiel pour le parc, si bien que cette demande avait été rejetée le 17 octobre, à la suite de quoi cet acquéreur avait renoncé à l'achat. Par cette négligence, ce gérant avait mis la société en péril.
C'est donc cette faute de gestion assortie de la perte d'un marché de plusieurs millions d'euros révélatrice d'incompétence qui a été reprochée au dirigeant lors de la séance houleuse de l'assemblée des associés du 15 novembre 2007 au cours de laquelle il a été révoqué sur le champ par une décision unanime. Par conséquent, en dépit de ses revendications, les associés lui ont refusé toute indemnité de départ, y compris celles contractuellement prévues.
Les intéressés justifient cette destitution immédiate des attributions directoriales, non seulement par les griefs ci-dessus exposés, mais encore par la perte de confiance précédemment constatée et en raison de laquelle il lui avait été adjoint deux co-gérants allemands (en la personne des deux gérants personnes physiques des sociétés allemandes). En effet, s'il ne fait aucun doute que la faute commise par le dirigeant constitue un juste motif de destitution, celui-ci ne se définit pas seulement au regard de son comportement, mais encore en fonction de l'incidence de ce comportement sur la société. Ainsi, l'éviction de l'intéressé peut-elle se fonder sur son attitude qui est "de nature à compromettre l'intérêt social ou le fonctionnement de la société" (17), et à entraîner une perte de confiance à son encontre de la part des associés. En pareille circonstance, la jurisprudence évoque l'idée de "juste motif sans faute" du dirigeant destitué. Il en a été ainsi :
- de la divergence entre les associés et le dirigeant sur les mesures à prendre pour redresser la situation de la société (18) ;
- de la mésentente entre deux dirigeants, dès lors que celle-ci est de nature à compromettre l'intérêt social (19) ;
- de la perte de confiance des associés résultant de la transgression par le dirigeant de leurs instructions relatives au maniement des fonds sociaux et à la gestion des comptes bancaires (20) ;
Statuant sur la question du juste motif de la révocation du gérant, la cour d'appel d'Amiens accueille ici le recours formé par la SARL et conclut donc à l'existence d'un semblable motif lié à la mise en péril durable de la société et à la perte de confiance des associés. Néanmoins, si le juste motif peut exister en dehors de toute faute, la révocation étant alors justifiée par l'intérêt social, la perte de confiance ne suffit pas toujours à justifier à elle seule la destitution du dirigeant. En effet, pour être bien fondée, la révocation doit souvent s'appuyer sur des éléments de nature objective. Cela semble le cas dans la présente affaire où l'essentiel du motif d'éviction du gérant a porté sur l'absence de dépôt d'une demande de certificat d'obligation d'achat et la perte du marché de plusieurs millions d'euros qui a fait "capoter" le projet de cession en cours. La perte de confiance qui s'en est suivie n'a été qu'une conséquence, et non la cause de la révocation. D'ailleurs, à la suite de cette perte de confiance, les associés n'avaient pas évincé ce gérant, mais lui avaient adjoint deux associés co-gérants majoritaires partageant avec lui les responsabilités, notamment le budget et le financement ainsi que l'aspect technique des projets, tandis qu'auparavant il détenait l'entière responsabilité de l'activité et des projets. Il a tout de même conservé la gestion générale, les relations et la représentation de la société à l'égard des tiers.
Toujours est-il qu'à l'évidence en l'espèce, l'éviction du gérant de SARL s'est appuyée sur un juste motif.
B - Les circonstances normales de la révocation
Au-delà de la dualité de régime qui caractérise la révocation des dirigeants sociaux, celle-ci doit : d'une part, avoir été régulièrement prononcée, c'est-à-dire par l'organe compétent pour prendre la décision ; d'autre part, sans abus de droit, c'est-à-dire conformément à la procédure de la contradiction (21) et dans des conditions ni vexatoires, ni injurieuses. Le caractère régulier et non abusif constitue effectivement une limite à la libre révocation des dirigeants sociaux.
En ce qui concerne les dirigeants dont la révocation est contrôlée, tels que les gérants et les membres du directoire, les notions de juste motif et d'abus de droit sont indépendantes l'une de l'autre. Une révocation peut être justement motivée tout en étant abusive, compte tenu des circonstances dans lesquelles elle est intervenue. Elle peut être à la fois non justement motivée et abusive, ce qui permet au dirigeant évincé d'agir en dommages-intérêts sur les deux terrains de l'absence de juste motif et de l'abus de droit (22).
Par ailleurs, une révocation abusive se distingue d'une révocation irrégulière. Ainsi, un gérant avait été révoqué par une décision d'une assemblée générale convoquée par les associés majoritaires sans respecter le délai minimal de convocation. Au motif de cette irrégularité l'ayant empêché de participer à l'assemblée, ce dirigeant estimait que celle-ci révélait une intention vexatoire des associés et réclamait leur condamnation à lui verser des dommages-intérêts. Sa demande avait été rejetée, car bien qu'intervenue dans des conditions de forme irrégulières, sa révocation reposait sur un juste motif et non sur le dessein de lui nuire, si bien qu'aucune faute personnelle ne pouvait être retenue à l'encontre des associés (23).
En l'espèce, le dirigeant révoqué estime que la réunion de travail tenue le 15 novembre 2007 avec les associés gérants ayant pour objet le refus de certificat d'obligation d'achat s'est transformée en assemblée générale dont l'ordre du jour est devenu "sa révocation", sans lui laisser le temps de préparer sa défense. Par conséquent, à l'issue de cette assemblée, il aurait été révoqué immédiatement de manière brutale et vexatoire.
La version des faits donnée par la société demanderesse en appel est différente. Certes lesdits associés ont provoqué à la date indiquée une réunion de travail destinée à éclaircir la situation relative au rejet par le Préfet, en raison de sa tardiveté, de la demande de certificat d'obligation d'achat. Confrontées à l'absence de justification de l'intéressé, les deux sociétés associées représentées par leurs gérants respectifs, lesquelles étaient également co-gérantes de la SARL, ont provoqué une assemblée générale avec pour ordre du jour la révocation immédiate du dirigeant, troisième co-gérant non associé.
Par ailleurs, malgré le défaut de convocation des associés dans le délai de quinze jours (24), tous ont été présents à l'assemblée convoquée dans l'urgence par les autres gérants de la société et aucun d'eux n'en a contesté la validité. En effet, il importe peu que l'assemblée ait été convoquée le matin pour l'après-midi, dès lors que ledit délai pour convoquer l'assemblée est prévu dans l'intérêt des associés lesquels ont approuvé la réunion à bref délai au regard de l'urgence et de la gravité de la situation. Il importe peu également que le gérant évincé n'ait pas disposé d'une période plus importante pour assurer sa défense, dans la mesure où le délai effectif dont il a bénéficié a été suffisamment long et où il a eu connaissance des faits qui lui ont été reprochés.
En outre, le cogérant dont la révocation était à l'ordre du jour et pour laquelle lecture ayant été donnée, avait été de nouveau convié à s'expliquer sur les griefs qui lui étaient faits, après rapport spécial de la gérance.
Enfin, faute de justification de sa part, il a été révoqué à la décision unanime des associés. De ces faits souverainement appréciés par elle, la cour d'appel d'Amiens déduit que l'éviction a été prononcée dans des conditions normales, c'est-à-dire ni brutales, ni vexatoires, et le principe de la contradiction a été respecté. Aussi, rejette-t-elle la demande de dommages-intérêts du cogérant révoqué.
Cet arrêt se situe dans le droit fil d'une précédente décision de la Cour de cassation selon laquelle le gérant destitué ne peut invoquer le non-respect du principe du contradictoire, dès lors qu'il a été informé de sa révocation, mis en position de présenter ses observations préalablement, mais ne s'est pas rendu à la réunion à laquelle il a été invité pour discuter du sort de son mandat social (25).
La situation tranche notablement avec celle où a été jugée abusive la révocation d'un cogérant de SARL décidée par une assemblée dont l'ordre du jour a seulement comporté la mention du litige opposant l'intéressé aux autres gérants, sans envisager expressément sa révocation, d'autres critiques lui ayant été formulées seulement au cours de l'assemblée (26).
(1) J.-J. Caussain, La précarité de la fonction de mandataire social. Révocation et modes de protection, Bull. Joly Sociétés, 1993, p. 523.
(2) Cass. com., 2 juin 1987, n° 85-16.467 (N° Lexbase : A8295AAH) ; Bull. Joly Sociétés p. 501, note P. Le Cannu.
(3) Cass. com., 17 janvier 1984, n° 82-14.771 (N° Lexbase : A0305AAK), Bull. civ. IV, n° 21 ; Dr. sociétés juin 1984, n° 162, obs. M. Germain.
(4) T. com. Paris, 21 octobre 1996, RJDA, 8-9/1997, n° 1051.
(5) CA Versailles, 12ème ch., 11 juillet 1991, n° 368/91 (N° Lexbase : A9504A77), RJDA, 12/1991, n° 1040 ; Cass. soc., 15 mars 1983, n° 81-40.368 (N° Lexbase : A3741AGN, JCP éd. G, 1983, II, 20002, note A. Viandier ; Cass. com., 17 janvier 1984, préc..
(6) Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-42.061 (N° Lexbase : A0339AU4) ; RJDA, 10/1999, n° 1094.
(7) Cass. com., 2 juin 1987, n° 85-16.467 (N° Lexbase : A8295AAH), Bull. Joly Sociétés, p. 501, note P. Le Cannu ; Cass. com., 3 mai 1995, n° 93-17.776 (N° Lexbase : A2552AGM), RJDA, 10/1995, n° 1113.
(8) J.-J. Caussain, art. préc., note 1, p. 27.
(9) Cass. soc., 20 mars 1996, n° 92-41.581 (N° Lexbase : A6691AX4) ; RJDA, 7/1996, n° 927
(10) Cass. com., 16 janvier 1990, n° 88-12.342 (N° Lexbase : A8503AX9).
(11) CA Versailles, 3ème ch., 1er décembre 1988, n° 2268/88 (N° Lexbase : A9705A7L) ; Bull. Joly Sociétés, 1989, p. 172.
(12) Cass. com., 7 février 1989, n° 87-16.464 (N° Lexbase : A5286AAZ), Bull. civ. IV, n° 58.
(13) CA Paris, 25ème ch., sect. B, 26 juin 1998, n° 96/10645 (N° Lexbase : A9419A7Y) ; RJDA, 12/1998, n° 1370.
(14) Cass. civ. 3, 6 janvier 1999, n° 96-22.249 (N° Lexbase : A4541AGB), JCP éd. E, 1999, n° 15, p. 668, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain ; Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 498, note A. Couret ; Rev. sociétés, 1999, p. 380, note B. Saintourens ; Dr. sociétés, mars 1999, n° 34, obs. Th. Bonneau ; RJ com., 2000, p. 143, nos obs., décision rendue à propos d'une société civile immobilière, mais extensible aux sociétés commerciales.
(15) R. Baillod, Le juste motif de révocation des dirigeants sociaux, RTDCom., 1983, p. 395 ; J.-J. Burst, Le juste motif de révocation des membres du directoire, LPA, 10 novembre 1986, n° 135, p. 16.
(16) M. Rémond, La révocation du gérant selon l'article 18 de la loi de 1966 [désormais C. com., art. L. 221-12 N° Lexbase : L5808AIX], Rev. sociétés, 1972, p. 421.
(17) En ce sens, Cass. com., 24 avril 1990, n° 88-20.183 (N° Lexbase : A9573ATQ), BRDA, 13/1990, p. 9 ; Cass. com., 4 mai 1993, n° 91-14.693 (N° Lexbase : A5691ABE), RJDA, 12/1993, n° 1048 ; Cass. com., 4 mai 1999, n° 96-19.503 (N° Lexbase : A6699AXE), JCP éd. E, 1999, n° 29, p. 1237, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain, Defrénois 1999, p. 1188, obs. J. Honorat, Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 914, note P. Le Cannu, Dr. sociétés, août-sept. 1999, n° 126, obs. Th. Bonneau, RJ com. 2000, p. 238, nos obs., mésentente entre deux cogérants de nature à compromettre l'intérêt social ; CA Versailles, 4 mars 2004, BRDA, 10/2004, n° 5, comportement d'un gérant de SARL de nature à compromettre le fonctionnement de la société.
(18) CA Paris, 24 novembre 1998, RJDA 7/1999, n° 793 ; CA Paris, 25ème ch., sect. A, 17 janvier 2003, n° 2002/03317 (N° Lexbase : A9256A4L), RJDA 6/2003, n° 606.
(19) Cass. com., 4 mai 1999, préc., note 17 ; CA Paris, 5ème ch., sect. C, 5 novembre 1999, n° 1997/139 (N° Lexbase : A7612A3C), RJDA, 2/2000, n° 177.
(20) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 24 octobre 2003, n° 2002/04024 (N° Lexbase : A6295DAE), RJDA 2/2004, n° 178.
(21) P. Le Cannu, Le principe de contradiction et la protection des dirigeants, Bull. Joly Sociétés 1996, p. 11 ; N. Binctin, La légalité procédurale en droit des sociétés, LPA, 12 septembre 2006, n° 182, p. 3.
(22) Cass. com., 1er février 1994, n° 92-11.171 (N° Lexbase : A6775ABK), Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 413, not. R. Baillod ; JCP éd. G, 1995, II, 22432, nos obs. ; Rev. sociétés, 1995, p. 281, note Y. Chartier.
(23) Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-18.651, F-D (N° Lexbase : A7440DL7), BRDA, 2/2006, n° 6 ; Dr. sociétés, février 2006, n° 24, obs. J. Monnet ; R. Kaddouch, La responsabilité personnelle de l'associé lors de la révocation du dirigeant, Lexbase Hebdo n° 197 du 12 janvier 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N3095AKT).
(24) C. com., art. R. 223-20, al. 1er (N° Lexbase : L0116HZC).
(25) Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.631, F-P+B (N° Lexbase : A1784ETA), LPA, 17 juin 2010, n° 120, p. 16, note O. Roumélian ; Rev. sociétés 2010, p. 452, note B Saintourens, à propos du gérant non associé d'une EURL ; sur cet arrêt, également, nos obs., La révocation du gérant non associé d'une EURL, RLDA, mai 2010, n° 2840.
(26) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 10 octobre 2006, n° 05/17037 (N° Lexbase : A7303DSB) ; RJDA, 2/2007, n° 168.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:421479