Réf. : CCJA, 14 juillet 2016, n° 143/2016 (N° Lexbase : A9113WY8)
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par Daphtone Lekebe Omuali, Enseignant-chercheur, Responsable de Parcours-Types études Judiciaires et Droit privé fondamental
Le 23 Novembre 2017
L'arrêt n° 143/2016 du 14 juillet 2016 de la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) revient sur la question de la juridiction compétente en matière de cassation des aspects pénaux des Actes uniformes, conformément à l'option de concours de compétences normatives, prévue à l'alinéa 2 de l'article 5 du Traité de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) (5). Une lecture combinée de ces dispositions avec celles de l'article 14 du même Traité conduit à une difficulté liée à la détermination de la juridiction compétente pour connaître du pourvoi ; notamment lorsque celui-ci implique à la fois une disposition d'incrimination et la mise en oeuvre de sanctions pénales. C'est sur cette difficulté que se prononcent les juges d'Abidjan dans l'espèce, objet de la présente analyse.
Les faits et la procédure de l'espèce s'énoncent comme suit :
L'affaire débute, sur le plan judiciaire, par l'arrêt n° 2 rendu le 23 mars 2015 par la Cour de répression de l'enrichissement illicite du Sénégal dite "CREI" (6), qui condamne, en premier et dernier ressort, à des peines d'emprisonnement et d'amendes ainsi qu'à certaines peines complémentaires, pour enrichissement illicite et complicité d'enrichissement illicite (7) les nommés K. M. W., I. A., M. P., K. A., M. A., E. R. et M. T.. C'est contre cet arrêt que les sieurs A. et P. ont formé deux pourvois en cassation, l'un devant la Cour suprême du Sénégal d'abord et l'autre déféré à la censure des magistrats de la Cour commune de justice et d'arbitrage. La procédure devant la Cour suprême sénégalaise ne sera pas examinée ici. Devant la CCJA, les requérants évoquent, pour soutenir la compétence de cette juridiction, que l'arrêt de la CREI a retenu la fraude dans la constitution des sociétés AHS en se fondant sur de simples déclarations verbales de témoins, en violation des règles de preuve prévues par les articles 10, 13, 390, 391, 393 à 396 de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique (N° Lexbase : L0647LG3) ; cette fraude étant, selon eux, qualifiée d'infraction pénale par les dispositions de l'article 886 du même Acte uniforme. Ainsi, l'appréciation des moyens de cassation fondés sur la violation des dispositions susvisées dudit Acte uniforme ne peut relever que de la compétence de la CCJA. De son côté, l'Etat du Sénégal soulève l'incompétence de la Cour commune de justice et d'arbitrage au motif que l'arrêt de la CREI a statué sur des incriminations de corruption et d'enrichissement illicite relevant du droit pénal interne du Sénégal et les sanctions pénales ont été prononcées par la juridiction correctionnelle sénégalaise.
L'arrêt de la CCJA fait penser à de nombreux problèmes dont certains n'ont pas reçu de réponse de sa part. Il s'agit des questions suivantes : en premier lieu, les incriminations pour lesquelles les demandeurs ont été condamnés devant la CREI relèvent-elles de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique ou, au contraire, du droit pénal sénégalais ? En second lieu, l'irrecevabilité du pourvoi peut-elle être soulevée avant l'exception d'incompétence de la Cour ? Toutes ces questions, évoquées en filigrane dans l'arrêt, ne retiendront pas notre attention.
La question centrale est celle de la détermination de la juridiction compétente statuant en cassation lorsque la décision critiquée applique des sanctions pénales, autrement dit la question de savoir quelle est, entre la CCJA et la Cour suprême nationale, la juridiction compétente pour connaître du pourvoi lorsque celui-ci critique une disposition d'incrimination dans une décision appliquant les sanctions pénales ? La réponse de la CCJA est sans équivoque. Selon les Juges suprêmes OHADA, "[...] même si une décision soulève des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des Règlements prévus au Traité [...], elle ne peut ressortir de la compétence de la CCJA dès l'instant où elle applique des sanctions pénales". Cette solution, rendue par la formation la plus solennelle de la Cour, affirme avec vigueur la compétence exclusive de la juridiction nationale de cassation (I), dès lors qu'il y a application des sanctions pénales. Cependant, une lecture plus nuancée des dispositions de l'article 14 du Traité de Québec invite à préconiser un partage de compétence entre la CCJA et les juridictions nationales statuant en cassation (II).
I - Une compétence exclusive supposée
Aux termes de l'article 14, alinéa 3, et 4 du Traité, "saisie par la voie de recours en cassation, la Cour se prononce sur des décisions rendues par les juridictions d'appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des Règlements prévus au présent Traité à l'exception des décisions appliquant des sanctions pénales". La CCJA considère, au regard de cette disposition, que, seule, la Cour suprême nationale doit être compétente pour connaître du pourvoi lorsque la décision attaquée applique les sanctions pénales (A), et ce même en cas de violation des dispositions des Actes uniformes (B).
A - En cas d'application des sanctions pénales
L'analyse des dispositions de l'article 14, alinéa 3, in fine invite à écarter la compétence de la CCJA dès lors que la décision critiquée "applique des sanctions pénales". Cette disposition, perçue comme le signe d'un musellement de la compétence de la CCJA à travers la limitation de l'objet du pourvoi (8), est a priori compréhensible au regard de l'option de "concours voulu de compétences normatives" entre l'OHADA et les Etats parties au Traité (9). En effet, aux termes de l'article 5, alinéa 2, du Traité, "les Actes uniformes peuvent inclure des dispositions d'incrimination pénale. Les Etats parties s'engagent à déterminer les sanctions pénales encourues". Même si la Cour commune de justice et d'arbitrage n'évoque pas expressément cette disposition, il semble que la lecture combinée des articles 5 et 14 du Traité fondent son incompétence dès lors qu'il y a application des sanctions pénales. La CCJA doit donc se déclarer incompétente et, par voie de conséquence, retenir la compétence exclusive de la juridiction nationale statuant en cassation si la décision attaquée fait application des sanctions pénales.
Cependant, une telle analyse n'emporte pas entière conviction. Elle tend notamment à faire "croire que les pourvois en cassation en matière pénale doivent nécessairement être portés devant les juridictions nationales statuant en cassation et qu'ils ne peuvent, en aucun cas être soumis à la Cour commune de justice et d'arbitrage, seraient-ils fondés sur un moyen tiré de la violation d'un Acte uniforme" (10). Cette conviction est d'autant plus renforcée que, visiblement, se pose un véritable problème de terminologie. Toute décision judiciaire en matière pénale applique presque toujours fatalement une sanction pénale, sauf en cas d'acquittement ou d'exemption de peines (11). S'il est vrai que le pourvoi peut, en pareille occurrence, être exercé par le ministère public, il paraît superflu de soutenir que les rédacteurs du Traité n'ont entendu réserver cette voie de recours devant la CCJA qu'au seul représentant du Parquet national. Il en résulte donc que l'application d'une sanction pénale par le juge national ne peut pas être érigée en une cause de l'incompétence de la CCJA. S'il en était ainsi, la Cour commune de justice et d'arbitrage ne serait jamais compétente pour connaître des pourvois en matière pénale des Actes uniformes. Or, il nous semble que ce qui fixe la compétence de la CCJA, c'est moins le contenu de la décision attaquée que les moyens de critique soulevés par le demandeur au pourvoi. De la sorte, on pourrait considérer que lorsque, comme en l'espèce, seule est contestée la qualification de l'incrimination, la compétence de la CCJA devrait s'imposer. Les juges de la CCJA n'ont pas retenu cette position, sans doute parce que ces conséquences aboutiraient à une appréciation indirecte des sanctions pénales prononcées par le juge national, et surtout parce que la CCJA dispose d'un pouvoir d'évocation (12). Toute la difficulté semble donc provenir de l'emploi, par les rédacteurs du Traité, d'une expression ambigüe de "décisions appliquant les sanctions pénales" que la CCJA reprend presque machinalement à chaque fois (13).
Il ne peut pas être entendu que, selon le vocabulaire des auteurs du Traité relatif à l'harmonisation du Droit des affaires en Afrique, "décision appliquant des sanctions pénales" serait synonyme de "décision rendue en matière pénale". Une telle position, partagée par un auteur (14), se heurte à la nécessité d'assurer l'unité d'interprétation des Actes uniformes, surtout lorsque notamment est mise en cause la violation d'une disposition d'incrimination OHADA.
B - Malgré la violation de la norme d'incrimination
Les demandeurs au pourvoi dans l'espèce commentée fondent celui-ci sur la violation par la Cour de répression de l'enrichissement Illicite du Sénégal des dispositions de l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, en ses articles 10, 13, 390, 391, 393 à 396 et 886. Ils reprochent à la CREI d'avoir retenu contre eux la fraude dans la constitution des sociétés AHS en se fondant sur de simples déclarations verbales de témoins, ignorant, estiment-ils, les règles établies par les dispositions de l'Acte uniforme précité. Ils invitaient donc la CCJA à se prononcer sur l'application des dispositions du droit OHADA, ce qui, conformément à l'article 14 du Traité, relève de sa compétence. La Cour commune de justice et d'arbitrage relève, pour faire droit à une exception d'incompétence soulevée par l'Etat sénégalais, que "même si une décision soulève des questions relatives à l'application des Actes uniformes et des règlements prévus au Traité [...], elle ne peut ressortir de la compétence de la CCJA dès l'instant où elle applique les sanctions pénales". Au regard de cette solution, il apparaît que la Cour de l'OHADA fait une distinction, du reste contestable, entre les décisions rendues en matière pénale appliquant les sanctions pénales et celles n'appliquant pas les sanctions pénales ; seule la dernière catégorie de décisions semble pouvoir échoir à la compétence de cette Cour.
Ainsi, la Cour communautaire érige la présence d'une sanction pénale prononcée par une juridiction nationale en un obstacle à sa propre compétence. Autrement dit, dès lors que la décision attaquée a prononcé des peines, elle ne pourrait faire l'objet du pourvoi devant la CCJA, quand bien même le moyen de celui-ci porterait uniquement sur la qualification de l'incrimination. La Cour se montre donc -exagérément pourrait-on dire- soucieuse et respectueuse du domaine de compétence des Etats en s'abstenant de se prononcer sur un pourvoi dès l'instant où celui-ci conteste une décision "appliquant les sanctions pénales".
Mais, l'incompétence de la CCJA en cas d'application des sanctions pénales entraîne des conséquences fâcheuses, tant sur le plan pratique que théorique. Sur le plan pratique, une telle solution prive le justiciable OHADA de la possibilité de discuter, devant la juridiction communautaire, des dispositions d'incrimination pourtant harmonisées ; ce qui pourrait constituer une atteinte au droit à un recours effectif, considéré comme un principe constitutionnel du procès (15). De même, elle écarte les infractions OHADA de la logique d'une interprétation commune. Bref, sur ce point, la CCJA manquerait à sa mission qui est de garantir l'unité d'interprétation du droit OHADA si elle s'abritait derrière l'application des sanctions pénales nationales pour ne pas connaître des pourvois fondés sur la qualification des incriminations. Cette stratégie de l'évitement n'est pas favorable à la répression uniforme des violations des Actes uniformes, car il suffit à "une cour nationale de condamner à des sanctions pénales, mêmes légères, pour faire échapper la décision à un contrôle de la CCJA, laquelle a cependant pour fonction d'assurer l'uniformité d'interprétation de l'Acte uniforme" (16).
Sur le plan théorique, refuser de connaître d'un pourvoi qui met en cause la violation d'une disposition d'incrimination des Actes uniformes au motif que des sanctions pénales seraient appliquées, c'est subordonner la force des incriminations OHADA aux peines contenues dans la loi nationale, de sorte que la présence de celles-ci suffit à faire obstacle à l'appréciation de celles-là. Une telle analyse heurte la logique même du droit pénal. En droit pénal en effet, il est nécessaire de faire apparaître le processus logique et d'indiquer que "c'est dans ses éléments qu'une infraction trouve la mesure de sa gravité, la peine ne faisant ensuite que l'exprimer" (17). De telle manière que les incriminations sont non seulement antérieures aux peines, mais également, leur appréciation n'est pas dépendante de ces dernières. Dans un système où l'incrimination et la peine qui lui est attachée sont édictées par des autorités différentes, la technique de renvoi exprime la prééminence des incriminations sur les peines et il n'est guère utile de rechercher une quelconque hiérarchie. Il convient donc de restaurer la CCJA dans ses fonctions de gardienne d'interprétation unique des Actes uniformes, y compris dans leurs aspects pénaux. Certes que la CCJA a peut-être bien voulu combattre toute velléité des justiciables d'éluder la justice nationale en attribuant une qualification de droit OHADA à des faits qui tombent sous le coup de la loi nationale. Il faut, néanmoins, réaffirmer la nécessité de préserver l'harmonisation des règles communautaires, sans nier le rôle des juridictions internes de cassation. Un tel équilibre passe, en matière pénale, par le partage de compétence entre la CCJA et les juridictions nationales statuant en cassation.
II - Un partage de compétences préconisé
Le partage de compétences en matière d'interprétation des aspects pénaux des Actes uniformes entre la CCJA et les juridictions nationales statuant en cassation résulte de l'option de répartition de compétences normatives entre l'OHADA et les Etats membres en matière de droit pénal (18). Doit-on alors conclure, ainsi que s'interrogeait un auteur (19), que le contentieux judicaire en matière pénale est attribué concurremment à la Cour commune de justice et d'arbitrage (compétente pour contrôler les qualifications) et aux juridictions nationales statuant en cassation (compétente pour contrôler l'interprétation des normes de sanction) ? Une telle option, théoriquement envisageable (A), se révèle, néanmoins, difficile à mettre en oeuvre (B).
A - Une solution théoriquement envisageable
Le choix des demandeurs au pourvoi devant la CCJA dans la présente affaire est fondé sur l'idée que l'option de concours de compétences normatives voulu par les rédacteurs du Traité de l'OHADA (20) devrait entraîner des conséquences, notamment sur le plan procédural, et aboutir à un éclatement du contentieux entre la Cour de l'OHADA et les "juridictions nationales statuant en cassation". La réserve émise à l'article 14, alinéa 3, in fine, ne devrait pas être interprétée comme écartant absolument la compétence de la CCJA en matière d'interprétation des incriminations des Actes uniformes. Une telle analyse ferait de la Cour commune de justice et d'arbitrage une pourfendeuse de l'unification des règles dont elle a la charge d'assurer une interprétation uniforme. Il n'y a donc pas de conflits entre les dispositions de l'article 5, alinéa 2, que la Cour ne donne pas l'impression de soupçonner l'existence mais qui portent pourtant en elles la virtualité d'un partage de compétence judiciaire, et celles de l'article 14, alinéa 3, qu'elle vise expressément. Si l'interprétation littérale de la dernière disposition fait apparaître un tel conflit, il ne saurait être résolu en application de l'adage "specialia generalibus derogant" (21). L'éviction de cet adage s'explique ici par l'antinomie des deux règles ; l'une (Traité OHADA, art. 5, al.2) étant une règle de droit substantiel et l'autre (Traité OHADA, art. 14, al. 3) une règle de nature processuelle. On ne se trouve donc pas en présence d'une règle générale et d'une règle spéciale (22), car "l'antinomie suppose la contradiction dans l'égalité" (23). La contradiction apparente entre ces deux règles ne peut pas non plus aboutir à la disparition de l'une au profit de l'autre. En tout état de cause, la Cour commune de justice et d'arbitrage devrait changer sa lecture des dispositions de l'article 14, alinéa 3, du Traité. Une interprétation consistant à attribuer, aux juridictions nationales statuant en cassation, une compétence exclusive pour statuer sur les pourvois en matière d'interprétation des incriminations prévues par les Actes uniforme ne saurait être admise par cela seul qu'elle conduirait à avoir autant d'interprétation qu'il y a d'Etats parties. Les rédacteurs du Traité de l'OHADA ne peuvent l'avoir souhaité et l'objectif d'élaboration et d'adoption des règles juridiques communes (24) s'y oppose fermement. Il ne peut en être autrement car, "il n'y a pas de loi commune lorsque l'unification législative ne s'est pas accompagnée d'une unification juridictionnelle" (25). Dès lors, l'option de partage de compétence doit être privilégiée et celle-ci ne se pose pas qu'en matière pénale ; elle concerne également d'autres domaines régis par les Actes uniformes, comme par exemple en matière de recouvrement de créances (26).
En somme, il convient de rappeler avec force que la nécessité d'assurer une unité d'interprétation des Actes uniformes impose de reconnaître à la CCJA une compétence en matière d'interprétation des dispositions d'incriminations communautaires, et notamment lorsqu'elles sont seules en cause dans le pourvoi. De même, la juridiction nationale statuant en cassation est seule compétente "lorsque le pourvoi tend à faire sanctionner la violation d'une règle de procédure [nullité des actes de procédure, la violation d'une règle de compétence] ou la violation de l'obligation de motiver [défaut de motifs, insuffisance de motifs ou contradiction de motifs]" (27). Il devrait en être de même lorsque le pourvoi tend à faire censurer la violation de la norme de sanction, lorsque notamment celui-ci est "fondé sur la violation de la norme de sanction à laquelle renvoie l'Acte uniforme portant l'incrimination" (28). Cette solution est non seulement conforme aux objectifs du Traité mais elle concilie également les dispositions de l'article 5, alinéa 2, avec celles de l'article 14, aliéna 3, du Traité. Il faut, néanmoins, reconnaître que la mise en oeuvre de cette solution ne va pas sans poser quelques difficultés.
B - Une solution difficile en pratique
L'option de l'éclatement du contentieux pénal OHADA entre la CCJA et les juridictions nationales statuant en cassation soulève deux séries de difficultés majeures, lesquelles expliquent en partie l'orientation de la Cour dans la présente affaire. La première, propre à l'espèce, est relative au sort des sanctions pénales prononcées par le juge national en cas de cassation à la suite du pourvoi, et la seconde, d'ordre général et pouvant se présenter à l'avenir, concerne la désignation de la juridiction compétente en cas de pourvoi "mixte".
Dans la première hypothèse, il faut craindre que le juge communautaire soit amené, en raison de son pouvoir d'évocation, à apprécier de manière indirecte les sanctions pénales dont l'appréciation relève, ainsi que nous l'avons montré, de la compétence de la juridiction nationale statuant en cassation. Il suffit de songer à l'hypothèse où, dans la présente affaire, la CCJA se soit déclarée compétente et ait cassé l'arrêt rendu par la CREI en date du 23 mars 2015. Son pouvoir d'évocation (29) l'aurait alors conduit à juger de l'affaire en appréciant la violation des normes d'incriminations, alors que l'article 5 du Traité lui interdit de se prononcer sur les peines relevant du droit national. La difficulté resterait donc entière mais non pas insoluble.
Dans la seconde hypothèse concernant un pourvoi "mixte", c'est-à-dire un pourvoi dans lequel une partie entend critiquer une décision en se fondant, d'une part, sur la violation d'une règle de procédure ou de compétence ou sur la violation d'une norme de sanction, et d'autre part sur la violation de la norme d'incrimination. Se trouvent donc impliqués dans un même pourvoi, deux normes relevant, en théorie, des juridictions différentes. Le Professeur Ndiaw Diouf excluait, en pareille hypothèse, toute possibilité "de former un seul pourvoi avec deux moyens destinés à être soumis à deux juridictions différentes" (30). Sur cette question de pourvoi mixte, la CCJA a clairement exprimé sa position s'agissant des pourvois dans des domaines autre que le droit pénal, en désapprouvant de manière ferme une jurisprudence nationale. Par principe, la CCJA est donc compétente pour connaître du pourvoi dans lequel sont mises en cause à la fois des règles communes et nationales. La difficulté en matière pénale tient donc à son incompétence à apprécier une disposition du droit pénal national. Une telle difficulté trouve sa source dans le pouvoir d'évocation de la Cour et elle peut donc être résolue en instituant, de lege ferenda, un "renvoi exceptionnel" en cas de cassation par la CCJA de "décisions appliquant les sanctions pénales".
L'intérêt d'un tel renvoi est double. D'une part, il permet de sauvegarder les domaines respectifs de compétence de la CCJA et des juridictions nationales de cassation. Ainsi, la CCJA pourrait connaître des pourvois critiquant la violation de la norme d'incrimination, même lorsque la décision attaquée applique les sanctions pénales, dès lors qu'une éventuelle cassation entraînerait le renvoi vers une juridiction nationale, qui seule reste compétente pour apprécier la peine. D'autre part, ce "renvoi exceptionnel" garantirait une application uniforme des incriminations prévues par les Actes uniformes. L'harmonisation du droit pénal des affaires dans le cadre de l'OHADA, même si elle reste tributaire du pouvoir de sanctions des Etats membres, n'aurait de sens que si elle s'accompagne d'une interprétation unique dont la CCJA reste la gardienne par excellence.
En définitive, il convient de rappeler, au terme de cette analyse, ce propos des auteurs pour qui le droit OHADA est "un droit fort et puissant" (32). Mais la "force" d'un droit se mesure à l'aune de la correcte application qui en est faite, de laquelle dépendent la sécurité juridique et judiciaire des justiciables. L'institution de la CCJA répond à cette finalité. Certes, il faut contenir sa compétence dans des proportions raisonnables, afin d'éviter des "querelles" de compétence avec les juridictions nationales statuant en cassation et qui pourraient sérieusement écorner la légitimité de ses décisions ; mais force est de reconnaître que l'impératif de l'application uniforme des Actes uniformes, y compris dans leurs aspects pénaux, passe inexorablement par la reconnaissance de la plénitude du pouvoir d'interprétation à la CCJA en cas de violation du droit uniforme. De ce point de vue, les restrictions qu'elle s'impose en matière d'interprétation des dispositions pénales ne paraissent pas soutenables. Les incriminations des Actes uniformes ne sont pas du droit national en cela qu'elles sont sanctionnées par des peines contenues dans les législations des Etats-parties. Les Actes uniformes peuvent laisser la liberté aux Etats-partie de compléter leur arsenal ou même concéder des dérogations spéciales (33), ce qui n'altère en rien le caractère uniforme de ce droit. En refusant d'apprécier un pourvoi dans lequel seraient en cause des dispositions pénales contenues dans les Actes uniformes, la CCJA "livre" les règles communes à l'interprétation diversifiée des juridictions nationales.
(1) R. Njeufack Temgwa, Précisions sur la compétence judiciaire de la CCJA, in Les Réformes de droit privé en Afrique, Actes du colloque organisé par le Laboratoire d'Etudes et de Recherche sur le Droit et les Affaires en Afrique (LERDA), 13-14 novembre 2014-Université de Dschang (Cameroun), PUA, 2016, p. 403-411.
(2) Selon une expression empruntée à G. Morin, La révolte des faits contre le code. Les atteintes à la souveraineté de l'individu. Les formes actuelles de la vie économique : les groupements. Esquisse d'une structure nouvelle des forces collectives, éd. Bernard Grassat, 1920.
(3) J. Fometeu, Le clair-obscur de la répartition des compétences entre la Cour commune de justice et d'arbitrage et les juridictions nationales de cassation, Juris Périodique n° 73/2008, p. 89 et s..
(4) J. Issa-Sayegh, La fonction juridictionnelle de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA, ohadata, D-02-16.
(5) Le rêve de créer l'OHADA remonte aux lendemains des indépendances. Si l'on y prend garde, la balkanisation politique doit engendrer une balkanisation juridique . On rêve alors d'un système juridique pour sauver l'important acquis de l'époque antérieure qu'est le droit commun des Etats francophones. L'idée d'un droit harmonisé est née. Une première tentative est éphémère : c'est le Bureau africain et mauricien des recherches et d'études législatives (BAMREL) crée le 5 juillet 1975 dans le cadre de l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM). L'idée est reprise en avril 1991 à Ouagadougou par les ministres des Finances de la zone franc et ayant en commun l'usage du français. Une réunion des mêmes ministres, tenue à Paris les 2 et 3 octobre 1991, la ficelle : unifier le droit des affaires pour rationaliser et améliorer l 'environnement juridique des entreprises. Une "mission de haut niveau" étudie la faisabilité du projet. La Conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique, réunie à Libreville en octobre 1992, accepte le projet. L'OHADA est engendrée. La naissance survient un an plus tard. En effet, le Traité créant l'OHADA est signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis et est entré en vigueur le 18 septembre 1995. Il est révisé le 17 octobre 2008 à Québec au Canada. L'OHADA compte actuellement 17 Etats membres (le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo, la Côte -d'Ivoire, le Gabon, la Guinée, la Guinée Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, le Niger, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad, le Togo, l'Union des Comores). L'objectif de l'OHADA est de sécréter un droit nouveau et adapté dans le domaine du droit des affaires. Le domaine du droit des affaires de l'OHADA est fixé à l'article 2 du Traité qui précise qu'"entrent dans le domaine du droit des affaires l'ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d'exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l'arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait, à l'unanimité, d'y inclure, conformément à l'objet du présent Traité et aux dispositions de l'article 8 ci-après". Plusieurs Actes uniformes ont été adoptés et sont entrés en vigueur. Il s'agit de : l'Acte uniforme du 11 mars 1999, relatif au droit de l'arbitrage (N° Lexbase : L1333LGH), l'Acte uniforme portant sur le droit commercial général du 17 avril 1997 (révisé en décembre 2010) (N° Lexbase : L3037LGL), l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique du 17 avril 1997 (révisé en janvier 2014) (N° Lexbase : L0647LG3), l'Acte uniforme du 24 mars 2000, portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises, l'Acte uniforme du 17 avril 1997, portant organisation des sûretés (révisé le 15 décembre 2010) (N° Lexbase : L9023LGB), l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution du 10 avril 1998 (N° Lexbase : L0546LGC), l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif (révisé le 10 septembre 2015) (N° Lexbase : L0547LGD), l'Acte uniforme du 22 mars 2003, relatif aux contrats de transport de marchandises par route (N° Lexbase : L1410LGC), l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives du 15 décembre 2010 (N° Lexbase : L1886LGX) (V. P. G. Pougoué et Y. R. Kalieu Elongo, Introduction critique à l'OHADA, Yaoundé, 1ère éd. P.U.A, 2008, pp. 21 et s.).
(6 ) Il s'agit d'une juridiction pénale spécialisée créée par la loi sénégalaise n° 81 -54 du 10 juillet 1981 et qui est chargée uniquement de réprimer l'enrichissement illicite et tout délit de corruption ou de recel connexe.
(7) Toutes ces sanctions sont prononcées en application des dispositions des lois 81-54 du 10 juillet 1981 et des articles 30 et suivants, 45, 46 et 163 bis du Code pénal sénégalais, 451, 709 et suivants du Code de procédure pénale.
(8) R. Njeufack Temgwa, Précisions sur la compétence judiciaire de la CCJA, loc. préc., p. 405.
(9) N. Diouf , Actes uniformes et droit pénal des Etats signataires du Traité de l'OHADA : la difficile émergence d'un droit communautaire dans l'espace OHADA, www.ohada.com, Ohadata D-05-41.
(10) N. Diouf, art. préc., p.12.
(11) L'article 308 du Code de procédure pénale congolais dispose en effet que "si l'accusé est absous ou acquitté, il est immédiatement en liberté s'il n'est retenu pour autre cause".
(12 ) E. A. Assi, La Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA : un troisième degré de juridiction, RIDC, 4-2005, p. 943.
(13) CCJA, 7 juin 2012, n° 053 /2012 (N° Lexbase : A3709WQG).
(14) P. G. Pougoué, Présentation générale et procédure en OHADA, PUA, 1998, p. 15 : "La Cour n'est pas compétente pour la décision à caractère pénal même si celle-ci concerne les Actes uniformes".
(15) P. Martens, Les principes constitutionnels du procès dans la jurisprudence récente des juridictions constitutionnelles européennes, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 14 (Dossier La justice dans la Constitution) - mai 2003.
(16) M. Gore, Compétence de la CCJA : exclusion des décisions appliquant des sanctions pénales (Traité OHADA , art. 14, al. 3 et 4), note sous CCJA, Ass. plén., 14 juillet 2016, n° 143/2016 (N° Lexbase : A9113WY8).
(17) G. Roujou de Boubee, Brèves observations sur l'avant-projet de Code pénal, Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz-Sirey , 1985, p. 723.
(18) Traité, art. 5 al. 2.
(19) N. Diouf, loc. préc., p. 13.
(20) Traité, art. 5, al.2.
(21) H. Roland, L. Boyer, Adages du droit français, 4ème éd., Paris, Litec, 1999, n° 152, p. 296.
(22) Sur la distinction entre règles générales et règles spéciales, voir : Ch. Goldie-Genicon, Contribution à l 'étude des rapports entre droit commun et droit spécial des contrats, LGDJ, 2009 , spéc., n° 347 et s..
(23) Ph. Malaurie, Antinomies des règles et de leur fondement, in Le droit privé français à la fin du XXème siècle, Etudes offertes à Pierre Catala, Litec 2001, p. 26.
(24) Traité, art. 1.
(25) P. Mayer et V. Heuze, Droit international privé, Paris, Domat Montchrestien, 10ème éd., 2010, n° 93, p. 71.
(26) F. Anoukaha, La délimitation de la compétence entre la Cour commune de justice et d'arbitrage et les Cours suprêmes nationales en matière de recouvrement des créances, Juris périodique, n° 59, juillet - décembre 2004, p. 118.
(27) N. Diouf, préc..
(28) Ibid.
(29) E. N'sie', La Cour commune de justice et d'arbitrage, Penant, 1998, n° 828, p. 308.
(30) Loc. préc..
(31) CCJA, 31 mai 2007, n° 021/2007 (N° Lexbase : A9122WYI).
(32) P. G. Pougoué et Y. R. Kalieu-Elongo, Introduction critique à l'OHADA, PUA, 2008.
(33) P. G. Pougoué, Notion d'Actes uniformes, in Encyclopédie du droit OHADA (Dir.), Lamy, 2011, p. 24.
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Réf. : Cass. civ. 2, 26 octobre 2017, n° 16-23.599, FS-P+B (N° Lexbase : A1419WXT)
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N1302BXI
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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier
Le 29 Novembre 2017
Néanmoins, le mot conserve un sens profane indéniable et s'applique à la profession d'avocat avec moins de solennité que celui de "ministère" qui subsiste néanmoins dans le droit positif (2). De façon détaillée, le Règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8) (3), dès 2005, énumère les missions de l'avocat. Dans une telle acception, on doit comprendre que la mission, comme l'exprime le droit du travail, est une tâche limitée, à durée déterminée ou indéterminée.
En matière de prescription, la détermination de la mission et de son terme revêt une importance particulière. En effet, un texte spécial (4) fait courir de la fin de la mission la prescription de l'action en responsabilité civile engagée contre l'avocat. En vérité, ce texte ne s'applique pas qu'aux avocats puisqu'il concerne "l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les personnes en justice". Pour être complet, la responsabilité de l'avocat n'est pas couverte dans son entier par cette disposition puisque l'avocat qui agit exclusivement dans le domaine juridique ne saurait être concerné. Au regard de la responsabilité civile, cette notion de fin de mission revêt un intérêt particulier, mais les décisions en cette matière sont aussi rares que les commentaires de la doctrine (5).
En matière d'honoraire, la règle applicable est moins stable et moins ancienne (6). L'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) n'a touché qu'au délai, ramené à cinq ans, par la loi du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I), pour la prescription en matière de responsabilité civile. En revanche, pour la rémunération de l'avocat il faut encore distinguer les frais et émoluments, exigibles en certaines matières, les frais et honoraires correspondant à la plus grande partie des situations rencontrées. Pour les frais et émoluments dus en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires, il faut se référer au nouveau tarif des notaires (7). Plus récemment encore un décret du 2 août 2017 (8) évoque, pour les questions d'honoraires, la mission de l'avocat. Pour le régime de la prescription, deux règles subsistent aujourd'hui pour le recouvrement des honoraires. En droit commun la prescription est de cinq ans (9). En revanche, quand il s'agit d'un consommateur la prescription est de deux ans (10). Un arrêt récent (11) fournit un éclairage sur la notion de consommateur qui ne peut s'appliquer aux prestations fournies à une société commerciale, une société à actions simplifiée.
On relèvera qu'en matière d'honoraires les textes, à la différence de la règle applicable à la responsabilité civile, ne précisent pas que la prescription court de la fin de la mission. Néanmoins, la solution prétorienne est claire et se trouve encore rappelée dans des décisions de la Cour de cassation publiées au Bulletin. Ainsi, il a été jugé par la Haute Juridiction que "la prescription de l'action des avocats pour le paiement de leurs honoraires court à compter de la date à laquelle leur mission a pris fin" (12).
La décision commentée, promise à une publication au Bulletin, se fonde aussi, pour marquer le départ de la prescription, sur la fin de la mission.
Si, tant pour l'action en responsabilité civile que pour l'action en recouvrement d'honoraires la prescription court de la fin de la mission, on mesure que son appréciation n'est pas forcément facile à effectuer. Dans les cabinets certifiés aux normes ISO, des processus rendent l'appréciation aisée : l'avocat est tenu de retourner les pièces du dossier et d'adresser un questionnaire de satisfaction, mais cette situation couvre une minorité d'hypothèses. Pour les autres situations, il arrive que la question soit simple à trancher. Ainsi, lorsqu'un avocat quitte l'exercice actif pour devenir avocat honoraire, la fin de la mission est le jour où il cesse son activité, même s'il ne signale pas au client son départ en retraite (13).
Faisant la part belle à l'appréciation du juge, une décision rappelle qu'"aucune disposition ne prévoit la forme que doit revêtir la constatation de la fin de la mission pour peu qu'elle soit claire" (14). En appréhendant cette situation délicate, il peut arriver que le juge n'ait d'autre ressource que de mesurer le silence persistant des clients (15) ou d'analyser des correspondances pour voir s'il en ressort un engagement non équivoque de renoncer à se prévaloir de la prescription (16).
Dans l'arrêt qui vient d'être rendu, la Cour de cassation critique une appréciation dualiste du premier juge. Celui-ci avait indiqué que la prescription extinctive courait "à compter de la date à laquelle le mandant a pris fin, soit à la date de la décision juridictionnelle mettant fin au contentieux". On peut penser que la censure de la Cour de cassation s'exerce parce que l'appréciation du cours de la prescription ne laisse aucune option. Elle résulte d'un critère unique : la fin de la mission, que le premier juge avait ici qualifiée "mandat", sans que l'on puisse voir une différence dans le choix de cette terminologie inhabituelle.
Les faits auraient mérité d'être explicités davantage pour que l'on puisse apprécier la portée de cet arrêt. La cliente avait obtenu des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral par un jugement du 16 juillet 2012. Elle avait écrit à son avocat pour lui indiquer qu'elle choisissait un autre conseil devant la cour d'appel.
L'arrêt ne renseigne pas mieux que le pourvoi sur la date de cette lettre qui, selon nous, donne une date certaine à la fin de la mission.
L'avocat avait établi sa note d'honoraires le 14 août 2012 et l'avait adressée à sa cliente, mais avait attendu le 28 juillet 2014 pour saisir le Bâtonnier de l'action en recouvrement des honoraires. On peut donc penser que la lettre de la cliente était postérieure au 28 juillet 2012, ce qui écarterait le bénéfice de la prescription. Enfin, le pourvoi éclaire un argument qui avait servi d'aliment au premier juge pour définir la fin de la mission. La convention d'honoraires ne prévoyait l'intervention de l'avocat que dans le cadre d'une procédure devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale, rien n'étant prévu pour un éventuel concours devant la cour d'appel.
Si, clairement, seule la fin de la mission marque le départ de la prescription, on peut s'interroger sur une décision de la Cour de cassation (17), rendue par la première chambre cette fois, avec également une publication au Bulletin.
Pour retenir la prescription, la Haute juridiction estime qu'"l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de l'appel".
On ne peut manquer de relever ainsi, d'une chambre à l'autre de la Cour de cassation, des motivations différentes, voire contradictoires. Pour la responsabilité de l'avocat, la motivation de l'arrêt est d'autant plus étonnante que l'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) invite expressément à recourir à la notion de "fin de mission". Si les décisions dans ces matières ne sont pas fréquentes, elles n'ont cependant rien d'exceptionnel. On attendra donc avec intérêt de prochaines illustrations qui rendront la jurisprudence plus cohérente.
(1) Damien, Les avocats du temps passé, éd. H. Lefèbvre, 1973, p. 29 et 30.
(2) Loi du 31 décembre 1971, art. 5 et 9.
(3) Loi du 31 décembre 1971, art. 6.2.
(4) C. civ., art. 2225 (N° Lexbase : L7183IAB).
(5) J. Jeannin, La notion de fin de mission de l'avocat, Dalloz Avocats, 2013, p. 53.
(6) B. Beignier et J. Villacèque, Droit et déontologie de la profession d'avocat, 2ème éd., Gaz. Pal, 2016.
(7) Arrêté du 26 février 2016, selon les modalités prévues au titre IV bis du Livre IV du Code de commerce (N° Lexbase : L5960LAY).
(8) Décret n° 2017-1226 du 2 août 2017, portant diverses modifications relatives à la profession d'avocat (N° Lexbase : L3857LGX).
(9) Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-15.013, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4644NEQ ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47), Gaz. Pal., 6-7 mai 2015, note M. Mignot.
(10) C. consomm., anc art. L. 137-2 (N° Lexbase : L7231IA3, désormais art. L. 218-2 N° Lexbase : L1585K7T).
(11) Cass. civ. 2, 8 décembre 2016, n° 16-12.284, F-D (N° Lexbase : A3937SPI ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
(12) Cass. civ. 2, 10 décembre 2015, n° 14-25.892, F-P+B+I (N° Lexbase : A9029NY3 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
(13) Cass. civ. 1, 30 janvier 2007, n° 05-18.100, FS-P+B (N° Lexbase : A7829DT7 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1057E7B), Bull. civ. I, n° 43, JCP G, 2007, IV, 1477, RLDC, 2007/36 n° 2446.
(14) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 30 novembre 2010, n° 10/03855 (N° Lexbase : A5738GMH).
(15) CA Paris, 21 février 2012, n° 10/15749 (N° Lexbase : A0685IDQ).
(16) Cass. civ. 2, 17 novembre 2016, n° 15-28.464, F-D (N° Lexbase : A2352SXE).
(17) Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 14-23.200, FS-P+B (N° Lexbase : A9310N39 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9775ET9).
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Réf. : CE, 15 novembre 2017, n° 403275 (N° Lexbase : A0224WZC)
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par Yann Le Foll
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Réf. : CJUE, 14 novembre 2017, aff. C-671/15 (N° Lexbase : A8644WYS)
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par Vincent Téchené
Le 23 Novembre 2017
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Réf. : CE, 15 novembre 2017, n° 409278, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1723WZT)
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N1294BX9
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par Yann Le Foll
Le 23 Novembre 2017
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Réf. : Cass. civ. 1, 15 novembre 2017, n° 15-16.265, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0220WZ8)
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 23 Novembre 2017
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Réf. : CNDA, 26 septembre 2017, n° 16029802 (N° Lexbase : A4427WUI)
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par Caroline Lantero, MCF en droit public à l'UCA, EA4232, Avocate associée
Le 06 Décembre 2017
A - L'exclusion : une clause d'indignité
Il ressort du texte même de la Convention de Genève, des recommandations du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) et d'une jurisprudence désormais constante que l'examen de la demande de statut de réfugié porte chronologiquement, en premier lieu, sur la qualification (les clauses d'inclusion) puis, mais seulement dans un second temps, sur les clauses d'exclusion dudit statut.
Les clauses d'exclusions sont inscrites à l'article 1F de la Convention de Genève : "Les dispositions de cette Convention, ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser: a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes; b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés; c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies".
L'exclusion du statut de réfugié est une clause d'indignité qui donne tout son sens à l'institution de l'asile. Certaines personnes, bien que répondant à la définition (risque de persécution en raison de motifs définis), ne méritent pas le statut. Le HCR résume ainsi ce qui s'est dégagé de la conférence des plénipotentiaires lors de la rédaction de la Convention dans une note de son comité exécutif : "L'idée selon laquelle une personne ne mérite pas la protection en qualité de réfugié a trait aux liens intrinsèques existant entre les idées d'humanité, d'équité et le concept de réfugié. Les objectifs primordiaux de ces clauses d'exclusion sont de priver de cette protection les auteurs d'actes haineux et de crimes graves de droit commun et de préserver le pays d'accueil de l'entrée de criminels qui présentent un danger pour la sécurité de ce pays. Si la protection fournie par le droit des réfugiés permettait d'offrir la protection aux auteurs de graves délits, la pratique de la protection internationale entrerait directement en conflit avec le droit national et international et s'inscrirait en faux contre la nature humanitaire et pacifique du concept de l'asile. Sous cet angle, les clauses d'exclusion contribuent à sauvegarder l'intégrité du concept de l'asile" (4).
En toute logique, le candidat au statut qui tombe sous le coup d'une clause d'exclusion n'aura jamais le statut de réfugié, puisqu'elle surgit normalement au moment où sa demande est examinée. Au mieux, il aura pu l'avoir. Il arrive pourtant que des circonstances surgissent après la reconnaissance du statut, et tombent dans le champ d'application des clauses d'exclusion (cf. infra).
B - La cessation : une victoire sur la persécution
Les clauses mettant fin au statut sont justifiées par le fait que la protection a idéalement vocation à être temporaire. Elles sont inscrites à l'article 1C de la Convention de Genève : "Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d'être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus; 1) Si elle s'est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité; ou 2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l'a volontairement recouvrée; ou 3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité; ou 4) Si elle est retournée volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée; ou 5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité. Etant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s'appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures. ; 6) S'agissant d'une personne qui n'a pas de nationalité, si, les circonstances la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugié ayant cessé d'exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle".
La cessation consiste essentiellement à constater le rétablissement d'une protection étatique pour le réfugié, c'est-à-dire la fin de la crainte de persécutions. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une clause de "retrait", bien qu'elle ait longtemps été improprement qualifiée comme telle par les organes français de détermination du statut.
En droit administratif, le terme retrait s'entend dans un sens rétroactif, ce qui ne correspond pas à la réalité du réfugié qui ne dispose, certes, plus du statut pour l'avenir, mais qui doit être considéré comme en ayant bénéficié jusqu'alors.
Le statut de réfugié ayant un caractère purement recognitif, il n'est ni "octroyé", ni "retiré". Il est reconnu, et il y est mis un terme. On regrette que cette "maladresse" sémantique ait été récemment inscrite dans la loi. Le titre premier du livre consacré au droit d'asile dans le CESEDA, jusque-là sobrement intitulé "Généralités", s'appelle, depuis la loi du 29 juillet 2015, "Conditions d'octroi de l'asile".
Surtout, il ne s'agit pas d'une clause punitive. Pourtant, on observe un glissement très net de la cessation -"victoire" vers une cessation- "punition" dans le droit positif. Initialement prévue pour souligner l'aspect palliatif de la protection internationale et la préséance évidente d'une protection nationale, elle a pris progressivement un caractère punitif. D'abord dans la pratique jurisprudentielle, puis dans le droit de l'UE, puis, depuis la loi du 29 juillet 2015, dans le CESEDA.
Ainsi, l'Ofpra peut mettre fin au statut lorsque le réfugié n'aurait pas dû être reconnu ou lorsque la reconnaissance résulte d'une fraude (pas de difficulté majeure sur ce point), mais également lorsque la situation du réfugié régulièrement reconnu entre dans le champ des clauses d'exclusions de l'article 1F de la Convention de Genève (5), ou encore s'il "y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ;" ou si "La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société" (6).
C - L'expulsion : une clause de protection du pays d'accueil
Aux termes de l'article 32 de la Convention de Genève, "Les Etats contractants n'expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public". L'expulsion du réfugié est donc conventionnellement admise et prévue. Toutefois, elle doit se faire dans le respect des garanties de la défense et ne pas conduire à expulser le réfugié vers un pays où il serait menacé. C'est le grand principe posé par l'article 33 de la Convention de Genève, connu pour être la pierre angulaire du droit des réfugiés, qui pose le principe de non-refoulement : "Aucun des Etats Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques". On évoque plus rarement la seconde partie de cet article, qui prévoit que "Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays". Il s'agit là d'une autre clause d'expulsion, encore plus grave, puisqu'elle autorise le refoulement, et consiste inévitablement en une privation de protection.
Mais il ne faut pas confondre ces clauses d'expulsion avec celles de cessation prévues à l'article 1C de la Convention, ni avec les clauses d'exclusion prévues à l'article 1F. A priori, il est difficile qu'une personne passe à travers les mailles de l'article 1F s'il entre dans le champ d'application de l'article 33 § 2. Toutefois, l'article 33 § 2 n'exigeant pas que le crime eût lieu en dehors du pays d'accueil et avant l'arrivée de la personne, il est utile à la protection de l'Etat d'accueil lorsque le réfugié représente une menace pour lui, et c'est en toute logique cet article (ou l'article 32) qui doit être activé lorsque les circonstances changent après la reconnaissance du statut et que le réfugié est regardé comme une menace pour la sécurité du pays d'accueil.
II - Des clauses inutiles, des clauses perméables et des clauses étendues
A - La clause de refus/cessation : inutile et inconventionnelle ?
Les dispositions de l'article L. 711-6 du CESEDA, issues de la loi du 29 juillet 2015, permettent de refuser ou de mettre fin au statut lorsqu'il y a "des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat" ou lorsque "La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société". Il s'agit là d'un quasi-doublon de l'article 33 § 2 de la Convention de Genève sur l'expulsion.
En cela, cette clause doublement valable pour le refus initial comme pour la cessation du statut constitue un contournement très net de la Convention de Genève et ne devrait constituer ni une clause d'expulsion, ni (encore moins) une clause de refus initial : l'ordre d'examen fixé par la Convention de Genève est très clair : il convient d'abord d'examiner les clauses d'inclusion, puis les clauses d'exclusion du statut. Il n'existe donc pas de disqualification automatique. Cette disposition est trop récente dans le droit positif pour connaître son utilisation en tant que clause de refus initial, mais la CNDA court-circuite heureusement les difficultés à venir.
En l'espèce, la clause mixte de refus/cessation avait été utilisée par l'Ofpra pour mettre fin au statut de réfugié de l'intéressé dont l'appartenance à un groupe terroriste et la participation à des actes de terrorisme avaient été établis par le juge pénal.
La Cour nationale du droit d'asile vient rétablir une discipline chronologique à respecter et neutralise incidemment l'article L. 711-6 précité. Cette disposition ne saurait être un automatisme et n'exonère pas l'Ofpra (ni la CNDA elle-même) de procéder d'abord à l'examen de la qualification au statut. Ainsi, et pour respecter le schéma classique : 1. Etude de l'inclusion ; 2. Etude de l'exclusion ; 3. Cessation, la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 711-6 du CESEDA semble n'avoir pas de place, être un dispositif inutile et surabondant au regard de toutes les clauses conventionnelles susceptibles d'être appliquées.
En statuant ainsi, la Cour évite de répondre au moyen tiré de l'inconventionnalité de l'article L. 711-6 du CESEDA ou de la contrariété de l'article de la directive qu'il transpose avec la Charte des droits fondamentaux de l'UE. Mais la question demeure entière.
B - La perméabilité des clauses conventionnelles d'exclusion et de cessation
La jurisprudence française a admis depuis longtemps que si l'exclusion (Convention relative au statut des réfugiés, Genève 28 juillet 1951, art. 1F) ne peut pas être fondée sur la clause permettant l'expulsion du réfugié (Convention relative au statut des réfugiés, Genève 28 juillet 1951, art. 33 § 2), la cessation peut, quant à elle, être fondée sur une clause d'exclusion si les circonstances n'avaient pas été connues à l'époque de l'examen de la demande (7). Dans ces cas, l'intégration de la clause d'exclusion dans les clauses de cessation relève de la logique suivante : si l'organisme de détermination du statut avait eu connaissance de la commission de ce crime au moment de la reconnaissance du statut, le candidat réfugié serait tombé sous le coup de la clause d'exclusion (8).
De plus, il est possible de mettre fin au statut sur le fondement d'une clause d'exclusion, même si les faits tombant sous le coup de cette dernière clause ont lieu après la reconnaissance du statut, laquelle ne résulte donc ni d'une erreur, ni d'une fraude. Cette lecture de la Convention de Genève a été validée par le HCR, dans le cadre de la publication de ses principes directeurs, en précisant bien, toutefois, que sur les trois clauses d'exclusions inscrites dans l'article 1F, seules les clauses (a) ("ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité") et (c) ("se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies"), le permettent. La CNDA prend d'ailleurs appui sur ces principes directeurs pour faire valoir que ces clauses sont applicables pour "des faits ou circonstances qui se seraient produits postérieurement à la date à laquelle l'auteur de tels agissements aurait été reconnu comme réfugié". Le moyen tiré de l'inconventionnalité de cette modalité d'exclusion a posteriori (introduite à l'article L. 711-4 du CESEDA par la loi du 29 juillet 2015), avait été soulevé, mais, et bien que la CNDA n'ait finalement pas à répondre, il ne semble pas pouvoir prospérer, en tout état de cause, du fait même de la rédaction de l'article 1F qui ne précise les exigences de date et de lieu que s'agissant de la commission de crimes graves de droit commun. Celui-ci doit avoir eu lieu avant la reconnaissance du statut et hors du pays d'accueil. Aucune précision s'agissant des agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies, qualification opportunément retenue par la cour pour conclure à l'exclusion du statut de l'intéressé.
C - L'extension de la notion d'agissements contraires aux buts et principe des Nations-Unies
Le requérant avait été reconnu coupable de financement d'une entreprise terroriste et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste, acte susceptible -à notre sens- de tomber sous le coup de la clause 1F (b) : un crime grave de droit commun (9). Mais ce crime ne constitue une clause d'exclusion que si elle a eu lieu en dehors du pays d'accueil. Son action a donc été qualifiée par la CNDA d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies.
Cette notion est ambiguë. Il peut paraître étonnant que ces termes d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies -inscrits dans une Charte qui s'adressent aux Etats, et non aux individus- soient incorporés dans une clause visant à exclure un individu d'un statut protecteur. Au sens de la Charte des Nations-Unies, seuls les Etats sont susceptibles de se rendre coupables de tels agissements. Ainsi, si un demandeur de statut de réfugié est visé par cette clause, il ne peut l'être qu'en qualité de membre du pouvoir ayant contribué à la violation des principes en question. Cet article pourrait avoir été rédigé pour sanctionner les personnes ayant collaboré avec les ennemis des (alors futures) Nations-Unies pendant la seconde guerre mondiale, c'est-à-dire essentiellement les autorités nazies. La raison d'être de cette clause est donc que des persécuteurs ayant été eux-mêmes à l'origine de mouvement de réfugiés, et se retrouvant un jour dans la situation d'un persécuté ne puissent profiter d'une convention contre l'esprit de laquelle ils ont globalement oeuvré. C'est d'ailleurs la position du HCR (10). Ainsi, un ancien dictateur ne peut "prétendre bénéficier du statut de réfugié, dès lors qu'il avait couvert de son autorité les graves violations des droits de l'Homme commises en Haïti pendant la période où il exerçait les fonctions de président de la République, la commission de recours, à qui il appartenait de rechercher si lesdites violations étaient susceptibles d'être regardées comme des 'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies' au sens de l'article 1er paragraphe F de la Convention" (11). Le Conseil d'Etat a par la suite précisé que l'individu devait s'être rendu "personnellement coupable" de tels agissements et pas seulement adhérer intellectuellement (12). Sa jurisprudence a été constante depuis (13) et il a même rejeté la notion de "responsabilité intermédiaire" (14)". Dans un arrêt récent, et qui devrait rester isolé dans sa rédaction tant il sème la confusion (il sera pourtant mentionné aux Tables), le Conseil d'Etat a accepté la notion de "participation" au sujet de l'épouse d'une personne ayant séquestré et torturé, au domicile conjugal, un fonctionnaire du HCR, reconnue comme ayant "contribué à un crime grave de droit commun, constitutif d'un agissement contraire aux buts et principes des Nations-Unies" (15). La confusion opérée ici entre crime grave de droit commun (qui doit avoir été commis hors du pays d'accueil et avant l'admission à la protection) et agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies est parfaitement incompréhensible.
Le juge du fond de l'asile estime, depuis les années 2000, que les actes de terrorismes sont constitutifs d'agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies, lorsque l'intéressé est un membre actif d'une organisation terroriste notamment (16), ou lorsqu'il participe à la dimension internationale du terrorisme en faisant de la propagande terroriste sur internet (17) ou lorsqu'il finance directement des opérations terroristes (18).
Dans l'arrêt commenté, l'intéressé avait présidé et organisé des collectes de fond pour une association culturelle, en France, jugée comme étant la vitrine légale d'un mouvement armé fondé en Turquie, classé comme terroriste. Afin de faire entrer les actes commis par l'intéressé dans une telle qualification, la CNDA poursuit son travail d'élargissement de la notion et convoque des résolutions du conseil de sécurité très ultérieures à la Charte (et, curieusement, toutes postérieures au 11 septembre 2001), pour en déduire que ce type d'acte relève des agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies.
Soulevant d'office cette clause d'exclusion (19), la cour estime qu'"il appartenait au directeur général de l'Ofpra de déterminer si, à la date de sa décision, M. K. était encore un réfugié. Dans le cadre de son office de plein contentieux, il appartient au juge de l'asile de procéder à cette vérification".
C'est donc dans le cadre de cet office que la CNDA examine en premier lieu si l'intéressé entre toujours dans la définition du réfugié et estime que c'est le cas ("Eu égard à l'ensemble de ces éléments et alors que les informations générales librement accessibles au public précitées ne permettent pas de penser que les persécutions dont M. K. a déjà fait l'objet dans son pays, ne se reproduiront pas, les craintes de persécutions à l'égard des autorités énoncées par l'intéressé en cas de retour en Turquie, en raison de ses origines kurdes et de son engagement au sein du "DHKP-C", doivent être tenues pour fondées"). Puis, elle examine s'il tombe sous le coup d'une clause d'exclusion et estime que c'est le cas ("Son action de soutien d'un groupe terroriste revêt une dimension internationale, tant du fait que l'action de [l'association] en France avait vocation à appuyer les activités opérationnelles du mouvement en Turquie que du fait que ce groupe s'attaquait aux intérêts d'une puissance étrangère sur le sol turc"). En conclusion, elle juge que l'intéressé est ipso facto exclu du statut et qu'il n'est pas utile d'actionner l'article L. 711-6 pour mettre fin à la protection, puisqu'il ne peut plus être regardé comme un réfugié.
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Réf. : Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-14.630, F-P+B (N° Lexbase : A7021WZ3)
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N1329BXI
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par Vincent Téchené
Le 23 Novembre 2017
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Réf. : Cass. com., 15 novembre 2017, n° 16-10.504, F-P+B+I (N° Lexbase : A0221WZ9)
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N1300BXG
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par Vincent Téchené
Le 23 Novembre 2017
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Réf. : Cass. civ. 2, 16 novembre 2017, n° 16-24.864, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1935WZP)
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N1298BXD
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par Aziber Seïd Algadi
Le 23 Novembre 2017
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N1311BXT
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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"
Le 23 Novembre 2017
Le réexamen des décisions rendues par une juridiction civile et ayant autorité de la chose jugée constitue une innovation de la loi "J21" (1). Cette voie de recours a été créée sur le modèle du réexamen des décisions pénales pour assurer l'exécution d'une condamnation prononcée par la CEDH. Ce dispositif est entré en vigueur le 15 mai 2017 à la suite de la publication du décret n° 2017-396 du 24 mars 2017, portant diverses dispositions relatives à la Cour de cassation (N° Lexbase : L3728LDG) (2). En application de ces textes, la Cour de cassation a été saisie d'une demande de réexamen dans une affaire célèbre de gestation pour autrui.
Cette affaire remonte aux années 2000. Un couple français a eu recours à une mère porteuse aux Etats-Unis et a obtenu, en application du droit californien, que les deux parents du couple soient reconnus comme les pères et mères de leurs deux filles nées de la mère porteuse. Après de multiples rebondissements judiciaires, les actes de naissance ont été transcrits en France puis annulés par une décision de la cour d'appel de Paris en 2010. Cette annulation conduisait la juridiction française à refuser de reconnaître en France les effets d'une filiation établie à l'étranger. Dans deux arrêts rendus le 26 juin 2014 (3), la CEDH a condamné la France, en affirmant que le refus de reconnaître la filiation entre les enfants conçus par GPA et les parents d'intention porte atteinte au droit au respect de la vie privée des enfants qui "implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation" (§ 99 arrêt "Menesson" CEDH, 26 juin 2014, Req. 65192/11 N° Lexbase : A8551MR7). En août 2015, les époux ont exercé une nouvelle action, cette fois devant le juge des référés, pour voir ordonner la transcription, sur les registres de l'état civil, des actes de naissance des enfants. Déboutés par la cour d'appel, ils se sont pourvus en cassation.
Les différents moyens du pourvoi ne portent que sur la question de l'étendue des pouvoirs du juge des référés, mais, de façon inattendue, la Cour de cassation profite de cet arrêt pour rappeler et préciser les règles d'application dans le temps du nouveau recours institué par la loi "J21" dans plusieurs attendus particulièrement motivés.
La Cour pose d'abord comme principe qu'aucune disposition en vigueur avant le 15 mai 2017 ne permet qu'une décision, par laquelle la Cour a condamné la France, puisse avoir pour effet, en matière civile, de remettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à une décision devenue irrévocable. La Cour de cassation avait déjà affirmé en 2005 que le droit français ne permettait pas de réexaminer les affaires civiles à la suite d'une condamnation de la CEDH (4). Puis la première chambre civile énonce que la loi "J21" a créé une procédure de réexamen en matière civile, dont l'entrée en vigueur est fixée au 15 mai 2017. Toutefois, cette loi permet aux personnes qui invoquent des décisions de la CEDH, antérieures à cette date, de former une demande de réexamen durant une année à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Enfin, la Cour de cassation note que, dans l'espèce qui lui est soumise, la demande de transcription devant le juge des référés a été formée avant la date d'entrée en vigueur de la loi, date à laquelle aucune procédure de réexamen n'était en vigueur. Le rejet de l'action par la cour d'appel se trouvait ainsi justifié.
En résumé, conformément aux dispositions transitoires de la loi "J21", les personnes qui souhaitent obtenir le réexamen d'une décision rendue par une juridiction française en contrariété avec une décision de la CEDH doivent demander le réexamen de leur affaire dans les conditions fixées par les articles 1031-8 (N° Lexbase : L3789LDP) et suivants du Code de procédure civile. Si la décision de la CEDH a été rendue avant le 15 mai 2017, la demande doit être formée dans l'année à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Lorsque la décision de la CEDH a été rendue après le 15 mai 2017, la demande de réexamen doit être formée dans l'année à compter de la date de cette décision.
2 - La clause attributive de compétence est inopérante à l'égard des mesures d'instruction in futurum ordonnées sur requête (Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-12.196, F-P+B+I N° Lexbase : A4161WRK ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E0710EUT)
L'article 48 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1215H4R) énonce une règle de validité des clauses attributives de compétence territoriale lorsque ces clauses ont été convenues entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant. L'arrêt commenté en réduit la portée, tout en soulignant une fois encore l'originalité de la procédure de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49).
Dans cette espèce, deux sociétés commerciales ont conclu une cession d'actions. Par la suite, l'un des contractants a soupçonné des détournements d'actifs de la part de son partenaire. Il a saisi le président du tribunal de commerce de Nanterre sur requête afin de voir confier à un huissier la mission de réaliser des mesures d'investigation dans les locaux du cocontractant. Ce dernier a alors sollicité la rétractation de l'ordonnance en invoquant l'incompétence territoriale de la juridiction. En effet, le contrat de cession d'action comportait une clause attribuant la compétence territoriale aux juridictions situées dans le ressort de la cour d'appel de Paris.
Saisie de la demande de rétractation, la cour d'appel de Versailles a estimé que la clause attributive de compétence trouvait à s'appliquer en l'espèce. Elle a ainsi affirmé que le contrat se trouvait "au coeur du litige" et, qu'étant conclue entre commerçants, la clause attributive de juridiction devait produire son plein effet.
Cette argumentation pouvait sembler convaincante et fondée sur la force obligatoire de la convention. Toutefois, l'arrêt est cassé. Il donne l'occasion à la Cour de cassation d'affirmer dans un chapeau explicite que "le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur [l'article 145 du Code de procédure civile] est le président du tribunal susceptible de connaître de l'instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d'instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées, sans qu'une clause attributive de compétence territoriale puisse être opposée à la partie requérante".
Cette affirmation n'est pas nouvelle. Elle comporte deux règles distinctes qui découlent du particularisme des mesures d'instruction in futurum.
D'une part, la Chambre commerciale s'approprie la solution adoptée par la deuxième chambre civile qui définit une règle de compétence territoriale alternative. Le demandeur peut s'adresser, soit à la juridiction qui serait éventuellement compétente pour juger le fond du litige, soit celle du lieu où la mesure d'instruction doit être exécutée, même partiellement. Cette solution affirmée dans un important arrêt rendu le 15 octobre 2015 (5) est, en réalité, plus ancienne (6).
D'autre part, la Chambre commerciale réitère une solution adoptée depuis 2016 selon laquelle une clause attributive de compétence ne peut être opposée à la partie requérante à une mesure d'instruction. Ici encore, la solution est directement inspirée d'une jurisprudence initiée par la deuxième chambre civile (7).
Cet arrêt a donc le mérite d'aligner la position de la Chambre commerciale sur celle adoptée par la deuxième chambre civile. Il n'en reste pas moins que ce courant jurisprudentiel laisse planer deux incertitudes.
D'une part, on peut se demander si la mise à l'écart de la clause attributive de compétence se limite à la procédure de l'ordonnance sur requête ou si elle s'impose également lorsque l'article 145 est mis en oeuvre par la voie du référé. En d'autres termes, est-ce le caractère non contradictoire de la procédure qui conduit à écarter légitimement le contrat, ou faut-il comprendre que l'article 145 échappe globalement aux clauses attributives de juridiction ?
D'autre part, lorsque la Cour de cassation affirme que la clause attributive de compétence est inopposable à la partie requérante, cela n'exclut pas que cette dernière puisse s'en prévaloir. Ainsi, il est possible que la Cour de cassation ait laissé ouverte une troisième option de compétence au requérant qui souhaiterait se prévaloir du bénéfice de la clause.
3 - Autorité de la chose jugée du pénal sur le civil et sursis à statuer : un aspect procédural de l'affaire du "Médiator" (Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, F-P+B+I N° Lexbase : A3786WSZ ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E3903EU4)
L'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil a pour effet de provoquer une obligation de sursis à statuer lorsque la juridiction civile est saisie d'une action donc l'avenir pourrait dépendre de la solution donnée par le juge pénal. L'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9885IQ8) dispose ainsi qu'il est sursis au jugement de l'action civile tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. Depuis la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 (N° Lexbase : L5930HU8), l'alinéa 3 du même article dispose que la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.
Cette restriction du domaine du sursis à statuer permet au juge civil de statuer sans retard chaque fois que l'enjeu du procès civil se distingue de celui du procès pénal. Elle a également pour finalité de neutraliser les plaintes dilatoires exercées par certains plaideurs pour retarder l'issue d'un procès civil. Ainsi, un employeur en conflit avec son employé devant le conseil des prud'hommes ne pourra retarder l'issue de son procès civil en agissant au pénal contre son employé pour lui reprocher une faute constitutive d'une infraction (vol de documents, d'informations, etc.).
L'utilisation du procès pénal dans un but dilatoire est illustrée par l'arrêt rendu le 20 septembre 2017 par la Cour de cassation dans le volet civil de l'affaire "Médiator". Une victime des effets secondaires du médicament a assigné la société S. en réparation de son préjudice devant la juridiction civile. Le laboratoire pharmaceutique a alors formulé une demande de sursis à statuer en invoquant l'existence de poursuites pénales n'ayant pas fait l'objet d'une décision définitive. La demande de sursis ayant été rejetée par les juridictions du fond, il s'est pourvu en cassation en invoquant notamment le principe de l'autorité de la chose jugée du criminel sur le civil.
L'argumentation du pourvoi était intéressante. La société S. soutenait que le fait générateur de responsabilité civile reposait sur les mêmes éléments matériels que l'infraction pénale faisant l'objet des poursuites. Selon ce moyen, il existait un lien étroit entre les poursuites pour tromperie, homicides et blessures involontaires d'un côté, et le débat civil sur l'existence d'un défaut du produit, d'une absence d'information sur ses effets indésirables et enfin d'un éventuel risque de développement.
En rejetant le pourvoi, la première chambre civile apporte des précisions riches sur les contours du sursis à statuer. Reprenant la substance de l'article 4 du Code de procédure pénale, elle affirme que le sursis à statuer ne s'impose que lorsque la juridiction civile "est saisie de l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction". Elle ajoute ensuite que "dans les autres cas, quelle que soit la nature de l'action civile engagée, et même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil, elle apprécie dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire s'il y a lieu de prononcer un sursis à statuer".
La Cour de cassation distingue ainsi l'action civile qui découle directement de l'infraction de l'action en réparation qui, tout en trouvant son origine dans l'infraction, n'est pas juridiquement fondée sur la commission de l'infraction, c'est-à-dire sur l'existence d'une faute intentionnelle ou d'imprudence. Tel était le cas en l'espèce, de l'action fondée sur la défectuosité du Médiator qui a été jugée "indépendante de l'action publique". Il n'y avait donc pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir au pénal.
Cette décision présente une synthèse de l'évolution jurisprudentielle. Ainsi, dès les années 50, la Cour de cassation jugeait qu'une action en responsabilité sans faute, fondée sur l'article 1384, alinéa 1er (N° Lexbase : L3102ICU), ne devait pas subir l'effet du sursis à statuer (8). La nouvelle rédaction de l'article 4 du Code de procédure pénale, issue de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 ne faisait qu'entériner cette solution. En 2002, la première chambre civile avait également jugé que la question du sursis à statuer relevait du pouvoir discrétionnaire de la juridiction du fond (9).
Il découle de cette évolution légale et jurisprudentielle que l'action civile échappe en grande partie au sursis à statuer. Cette solution se justifie par une volonté de ne pas entraver le cours de la procédure devant les juridictions civiles, mais elle a pour effet secondaire d'entraîner un risque de contradiction de jugements. Indirectement, elle fait donc obstacle à l'autorité de la chose jugée du criminel sur le civil. Pour éviter cet écueil, la Cour de cassation apporte deux nuances. D'une part, le pouvoir discrétionnaire des juridictions du fond s'exerce dans les deux sens. Cela signifie que, si le sursis à statuer ne s'impose pas, rien n'empêche la juridiction du fond de le prononcer (10). D'autre part, à l'issue de la procédure pénale, si une contrariété de jugements apparaît de telle sorte que les deux décisions sont inconciliables, cette contrariété constitue un motif autonome de cassation de la décision civile (11).
4 - Actualité de la procédure devant la cour d'appel
Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL) a modifié en substance la procédure devant la cour d'appel, mais il n'a pas fait taire la jurisprudence. Bien au contraire, qu'il s'agisse du régime antérieur à l'entrée en vigueur du décret (1er septembre 2017) ou postérieur, les arrêts rendus par la Cour de cassation en la matière sont toujours aussi nombreux et ils traduisent à chaque fois une évolution du régime de l'appel. Nous reprenons ici les solutions les plus marquantes des derniers mois.
Plusieurs décisions rendues en 2017 illustrent ce nouveau principe qui a été partiellement consacré dans le Code de procédure civile. L'hypothèse est la suivante : un plaideur interjette appel, mais il s'aperçoit que son recours est irrégulier et encoure la caducité. Il décide alors de régulariser sa situation en formant un nouveau recours. Le Code de procédure civile et les décisions rendues par la Cour de cassation font désormais obstacle à cette tentative de régularisation. L'article 911-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7243LEY) dispose que la partie dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité ou déclarée irrecevable "n'est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l'égard de la même partie". La solution est donc clairement établie dès lors que l'appel est frappé d'une sanction. La question demeure lorsque le plaideur anticipe la sanction et forme un second recours avant que le premier ait été anéanti. C'est l'hypothèse qui a été tranchée dans l'arrêt du 11 mai 2017. Une partie avait formé un appel principal le 2 juin 2014 et, se doutant de l'irrégularité de son appel, avait déposé un second appel principal le 13 février 2015, alors que le jugement n'avait pas encore été signifié. En théorie, les deux appels étaient donc réalisés dans les délais. Le 15 mars 2015, le conseiller de la mise en état a déclaré caduc le premier appel. La question se posait donc de savoir si le second appel, qui était régulier, produisait son plein effet. La Cour de cassation répond par la négative. Elle juge le second recours irrecevable "faute d'intérêt à interjeter appel". En effet, ce recours avait été formé avant même que le précédent ne soit déclaré caduc. La solution est sévère puisque le plaideur se voit désormais interdire toute possibilité de former un second appel régulier lorsqu'il prend conscience de l'irrégularité du premier. Qu'il se trouve en amont ou en aval de la décision du CME déclarant le premier appel caduc, le second recours est nécessairement irrecevable.
Cette solution a été étendue à la saisine de la cour d'appel après cassation. Suivant la procédure en vigueur avant le décret du 6 mai 2017, des époux impliqués dans une affaire ayant fait l'objet d'un renvoi devant une cour d'appel ont adressé une déclaration de saisine à la cour d'appel de renvoi par un courrier de leur avocat. Cette saisine a été déclarée irrecevable par un arrêt irrévocable et les époux ont formé une nouvelle déclaration de saisine. Ici, la question était de savoir si cette seconde déclaration avait pour effet de saisir la cour de renvoi. La Cour de cassation répond, une nouvelle fois, par la négative. Elle affirme que "l'irrecevabilité de la déclaration de saisine confère force de chose jugée au jugement de première instance, lorsque la décision cassée a été prononcée sur appel de ce jugement, rendant irrecevable toute nouvelle déclaration de saisine tendant à déférer à la cour d'appel la connaissance de ce jugement". La solution constitue un prolongement du principe "appel sur appel ne vaut" et la Cour de cassation en étend ici les effets à la saisine de la juridiction de renvoi. Certes, il ne s'agit pas d'une voie de recours au sens strict, mais il s'agit bien d'une modalité de saisine de la juridiction du second degré. L'article 1032 (N° Lexbase : L6820LEC) qui prévoit que "la juridiction de renvoi est saisie par déclaration au greffe de cette juridiction" s'impose donc comme une règle incontournable. En application de la réforme du 6 mai 2017, cette déclaration doit être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie (C. pr. civ., art. 1034 N° Lexbase : L7257LEI) et ce, à peine d'irrecevabilité relevée d'office.
Par principe, le sort de l'appel incident dépend de celui de l'appel principal. Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour de cassation affirmait que "l'appel incident, peu important qu'il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l'appel principal" (12). Cette solution a été confirmée, au moins partiellement, dans la nouvelle formulation de l'article 550 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7231LEK), qui date du décret du 6 mai 2017. Selon cette disposition, l'intimé, qui est forclos pour interjeter appel à titre principal, peut encore le faire à titre incident dans les délais imposés par le Code. Toutefois, l'appel incident est irrecevable si l'appel principal n'est pas lui-même recevable ou s'il est caduc. L'anéantissement de l'appel principal conduit ainsi à la disparition de l'appel incident. L'arrêt rendu le 19 octobre 2017 vient nuancer cette solution. En l'espèce, une société HLM avait fait appel d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire, mais entre-temps, le locataire avait quitté les lieux de sa propre initiative. L'appel principal a donc été déclaré sans objet. Dans la même affaire, le locataire avait formé un appel incident concernant les modalités de la mesure d'expulsion. L'appel principal ayant été déclaré sans objet, on pouvait penser que l'appel incident devait être jugé irrecevable. Pourtant, la Cour de cassation prend le contrepied de cette analyse. Elle affirme qu'une cour d'appel peut, sans excéder ses pouvoirs, examiner l'appel incident dont elle avait été saisie par l'intimée, même après avoir déclaré sans objet l'appel principal. Cette décision montre qu'il existe des situations particulières dans lesquelles l'appel incident survit à l'anéantissement de l'appel principal. La relation de dépendance entre les deux recours n'est donc pas systématique.
Les décisions relatives à la caducité et à l'irrecevabilité de l'appel relèvent de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état depuis sa désignation et jusqu'à la clôture de l'instruction. En application de l'article 914 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7247LE7), les parties doivent donc soulever l'irrégularité de ces recours "par des conclusions, spécialement adressées à ce magistrat".
La question qui se pose est de savoir si la Cour est, elle-même, compétente pour statuer sur ces recours lorsqu'elle est saisie après la clôture de l'instruction, c'est-à-dire à un moment où la compétence exclusive du CME a cessé. Cette question est désormais résolue par l'article 914, alinéa 2, qui pose deux règles distinctes. D'une part, les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d'appel la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. D'autre part, lorsque l'instruction est close, la cour d'appel peut, d'office, relever la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci. Ainsi, les parties qui ont traversé sans heurt l'étape de la mise en état ne sont pas à l'abri d'une possible sanction si la cour décide de se saisir d'office de la question de la caducité ou de l'irrecevabilité.
Le Code de procédure civile n'était pas aussi clair dans le régime antérieur au décret du 6 mai 2017. A cet égard, une application dans le temps de ce texte pouvait donc s'avérer problématique. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation vient d'harmoniser ces règles de compétence par deux arrêts rendus le 11 mai 2017.
Dans le premier arrêt (n° 15-27.467), la cour reprend la solution de l'article 914 selon laquelle "les parties ne sont plus recevables à invoquer la caducité de la déclaration d'appel après son dessaisissement". En l'espèce, le CME n'avait pas été saisi de la question de la caducité et une partie avait soulevé cette question devant la cour. Cette dernière avait alors tranché la question et déclaré l'appel caduc en raison du non-respect du délai de communication des conclusions. Cette solution est censurée par la Cour de cassation. En effet, la cour d'appel avait accueilli un incident soulevé par une partie devant elle alors qu'elle ne pouvait "retenir la caducité qu'en la relevant d'office". La juridiction du fond a ainsi violé l'article 914 du Code de procédure civile.
Dans le second arrêt (n° 16-14.868), les faits étaient différents. La question de la caducité n'avait été soulevée par aucune des parties et la cour d'appel l'avait relevé d'office, après avoir ordonné la réouverture des débats afin que les parties concluent sur cette question. La Cour de cassation valide cette fois la sanction prononcée par la cour d'appel. Elle affirme que la compétence exclusive du CME durant la mise en état et l'interdiction faite aux parties d'invoquer la caducité devant la Cour "ne fait pas obstacle à ce que la cour d'appel relève d'office la caducité".
Ces deux arrêts interviennent opportunément pour harmoniser l'état du droit avant et après l'entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017.
(1) Nous renvoyons ici à notre chronique intitulée "Justice du XXIème siècle : enfin la loi ! A propos des aspects de procédure civile de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, Lexbase, éd. priv., n° 681, 2016 (N° Lexbase : N5779BWX).
(2) Ce décret aménage, dans son chapitre IV, la procédure de réexamen en matière civile.
(3) CEDH, 26 juin 2014, Req. 65192/11 (N° Lexbase : A8551MR7).
(4) Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-47.130, FS-P (N° Lexbase : A6001DKH).
(5) Cass. civ. 2, 15 octobre 2015, n° 14-17.564, FS-P+B (N° Lexbase : A5902NTR).
(6) Cass. civ. 2, 17 juin 1998, n° 95-10.563 (N° Lexbase : A5066ACM).
(7) Même arrêt.
(8) Cass. civ. 2, 24 avril 1958, Gaz. Pal. 1958, 1, 417.
(9) Cass. civ. 1, 2 juillet 2002, n° 00-14.471 (N° Lexbase : A0417AZH).
(10) Cass. soc., 17 septembre 2008, n° 07-43.211, FS-P+B (N° Lexbase : A4090EAQ).
(11) Ass. plén., 3 juillet 2015, n° 14-13.205, P+B+R+I (N° Lexbase : A5553NMM). cf. notre commentaire, Contrariété des jugements : notion de décisions inconciliables et déni de justice in Chronique de procédure civile, Lexbase, éd. priv., n° 625, 2015 (N° Lexbase : N8920BUW).
(12) Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-13.801, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8860NHM ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile N° Lexbase : E1477EUA).
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Réf. : CE référé, 16 novembre 2017, n° 415063 (N° Lexbase : A1981WZE)
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par Elisa Dechorgnat
Le 23 Novembre 2017
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