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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Combien de morts Jean Nicot, ambassadeur de France au Portugal, a-t-il sur la conscience, pour avoir cru aux vertus médicinales d'une plante indienne sur les migraines d'un enfant-roi (François II), décédé, pourtant, à l'âge de 16 ans ? La nicotiane, alors "herbe de Monsieur Le Prieur", "herbe sainte", "herbe à tous les maux", "panacée antarctique" avait, alors, une excuse : celle de ne pas être confrontée au principe de précaution dans la France colbertiste des fermes à tabac. Et, à ce mélange poétique d'alcaloïdes psychotropes manquait, encore, le polonium 210, substance hautement cancérigène, mais garantissant une saveur incomparable, adjointe tardivement aux 4 000 autres composés chimiques du tabac à fumer.
Certes, si l'affaire était restée circonscrite dans les tabagies de Wusterhausen, elle n'en aurait pas mené large. Avec 4,9 millions de décès imputables au tabagisme par an, un décès toutes les huit secondes, l'affaire allait bien finir par faire grand bruit. Ce n'est pas moins de 5 000 milliards de cigarettes qui sont écoulées, chaque année, dans le monde ; dont 5 milliards, rien qu'en France. Alors, les chances, même pour un non-fumeur, de passer à côté des méfaits du tabac sont minces, voire, statistiquement nulles....
Oui, on se doutait bien, depuis 1775, qu'il y avait un lien entre le tabac et le développement de cancers... Et, on le savait pertinemment avant la seconde Guerre Mondiale, au point que les nazis tentèrent d'en interdire l'usage aux fins d'éviter leur dégénérescence (sic). Etudes à l'appui, les majors manufacturières vantaient, encore, dans les années 60, les vertus médicinales et psychotropes du tabac, en sachant ce qu'ils mettaient dans la composition de leur produit... Mais, pour sortir le calumet de la paix, il aura fallu attendre 2008 et une interdiction totale de l'usage du tabac fumé dans les lieux publics, du moins en France...
Et, ce n'est que quelques temps auparavant, en 2005, que la Cour de cassation retenait que l'employeur est tenu, à l'égard de ses salariés, à une obligation générale de sécurité de résultat en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l'entreprise. En contrepartie, il est investi du pouvoir de sanctionner la méconnaissance par ses salariés de la législation anti-tabac. Et, la Chambre sociale d'approuver, dans un arrêt du 1er juillet 2008, le licenciement pour faute grave d'un salarié qui avait violé une interdiction de fumer édictée pour des raisons de sécurité. Mais, les juges hésitent parfois face à la gravité de la sanction encourue (voir un arrêt rendu par la cour d'appel le Paris, 17 juin 2009) : fumer une cigarette dans les toilettes de l'établissement... si cela n'entraîne pas a fortiori un licenciement, cela pose de réelles questions relatives à la dépendance et au respect de soi...
Alors que penser de cette décision du tribunal administratif de Toulouse qui, le 17 mars 2011, prononça l'indemnisation d'une enseignante ayant développé un cancer lié au tabagisme passif subi sur son lieu de travail ?
L'enseignante demandait l'indemnisation des différents préjudices liés au cancer du poumon qu'elle avait développé, estimant que cette pathologie cancéreuse était directement imputable au milieu tabagique dans lequel elle a exercé son métier pendant trente années. A force d'expertises, le tribunal indiquait que l'exposition professionnelle de l'enseignante au tabagisme passif est avérée et que l'adénocarcinome bronchique primitif diagnostiqué avait pour cause principale l'exposition active ou passive à la fumée de tabac. Au final, pour les juges toulousains, il existait bien un lien certain et démontré entre l'exposition passive à la fumée de tabac en milieu professionnel et le risque de développer un cancer bronchique primitif.
Outre le fait qu'une enseignante passe 320 heures sur son lieu professionnel par an, on apprend, théorie de la cause adéquate oblige, que si la durée de l'exposition est essentielle dans la survenue de la pathologie, elle n'est pas, non plus, de nature à remettre en cause ce lien de causalité. La salle des profs tue ! On le savait déjà depuis cette sordide histoire d'un enseignant d'éducation physique qui avait mis fin à ses jours, le 30 avril 2010, en se tirant une balle dans la tête dans la salle des professeurs du collège Haut-de-Penoy à Vandoeuvre-lès-Nancy, en Meurthe-et-Moselle... Mais, c'est désormais à l'Etat qu'il incombe d'assurer son obligation de sécurité de résultat au sein de ses établissements scolaires -profs et élèves dans le même sac-, à la même enseigne que les entreprises privées.
Les premiers articles scientifiques sur le rôle délétère du tabagisme passif datent du milieu des années 1980... Et, si l'on excepte la loi du 10 janvier 1991 de peu d'effet, il aura fallu attendre le 1er février 2007, pour qu'il soit interdit de fumer dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail, dans les établissement de santé, dans l'ensemble des transports en commun, et dans toute l'enceinte (y compris les endroits ouverts tels les cours d'écoles) des écoles, collèges et lycées publics et privés, ainsi que des établissements destinés à l'accueil, à la formation ou à l'hébergement des mineurs. Et, ce n'est que depuis le 1er janvier 2008, que cette interdiction est étendue aux débits de boissons, hôtels, restaurants, débits de tabac, casinos, cercles de jeux et discothèques.
25 ans pour que les autorités étatiques réagissent fermement... L'Etat va-t-il, pour autant, subir le revers de son inaction, au regard de la présente jurisprudence ? Si, selon les études scientifiques, on estime entre 3 000 et 5 000 le nombre de non-fumeurs tués par le tabagisme passif par an en France, "seulement" 289 non-fumeurs sont atteints d'une pathologie mortelle du fait de l'usage du tabagisme sur leur lieu de travail... Le ratio, aussi cynique soit-il, pourrait malheureusement conforter l'Etat au regard du principe de précaution... de ses deniers ; lui qui taxe le tabac depuis 1621...
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
Le 24 Mai 2011
Lexbase : Quelles sont les raisons qui ont conduit à l'adoption outre-Manche de ce texte particulièrement sévère ?
Vincent Béglé : C'est probablement l'affaire "BAE", du nom de ce groupe britannique qui avait conclu avec l'Arabie Saoudite une série de contrats de vente d'armements, pour une valeur de plus de 50 milliards d'euros, qui a incité à l'adoption de ces nouvelles règles. Des soupçons de corruption pesant, une enquête avait été démarrée par le Serious Fraud Office (1), mais le Gouvernement de Tony Blair l'a enterrée, au nom de la "sécurité nationale". L'opinion a été très critique ; les parlementaires ont adopté ensuite une loi très ambitieuse, dans un large consensus.
Lexbase : Quelles sont les principales dispositions du UK Bribery Act ?
Vincent Béglé : Différents chapitres de l'UK Bribery Act traitent en détail des délits traditionnels : la corruption active (section 1), la corruption passive (section 2) et, plus spécifiquement, la corruption de fonctionnaire ou d'agent public étranger (section 6). Il doit être relevé que le droit anglais condamne tant la corruption publique que la corruption privée (par exemple l'employé d'une entreprise qui est soudoyé par un fournisseur afin de remporter un contrat). Surtout, la mesure phare de l'UK Bribery Act est la création d'un nouveau délit (section 7) qui peut engager la responsabilité de la personne morale et l'introduction de mesures préventives pour combattre le risque de corruption.
Lexbase : La mesure phare du UK Bribery Act est donc la création de ce nouveau délit, par une personne morale, de défaut de prévention de la corruption. Quels sont les éléments constitutifs de ce délit ?
Vincent Béglé : Ainsi, aux termes de ce nouveau délit (failure to prevent bribery), engage sa responsabilité pénale et s'expose notamment à une amende illimitée :
(i) toute personne morale dans le monde ayant "une activité, même partielle, au Royaume-Uni" ;
(ii) dont l'une des "personnes associées", fournissant des services pour le compte de la personne morale -tels les employés, filiales ou agents ;
(iii) est responsable d'actes ou de tentatives de corruption (au titre des sections 1 et 6), entrepris dans le but d'obtenir pour la personne morale une affaire ou un avantage ;
(iv) sauf pour la personne morale à démontrer qu'elle avait mis en place et fait fonctionner des règles et des contrôles -des "procédures adéquates", conçues pour prévenir de tels actes de la part de ces "personnes associées"-.
Lexbase : Pourquoi la publication des lignes directrices était-elle tant attendue ? Quelles précisions apportent-elles ? Quelle est la valeur de ces lignes directrices ?
Vincent Béglé : La publication de ces lignes directrices était prévue par la loi, pour expliciter la notion et les contours de ce que doivent être ces procédures adéquates.
Six principes ont été développés, on en retiendra deux. D'abord, ces procédures doivent être proportionnées à l'échelle de l'entreprise et aux risques concrets de corruption. Il n'y a pas de taille unique. Pour cela, une cartographie des risques doit être conduite, afin d'y adapter les règles et procédures. Le deuxième principe est que cette démarche doit être soutenue de manière forte et claire par les hauts dirigeants de la personne morale.
Sur un autre terrain, les lignes directrices sont également venues apporter des précisions sur d'autres notions de la loi -"personnes associées", champ territorial, etc.- mais comme elles n'ont pas valeur de loi, pour n'être que des suggestions du Gouvernement, il est difficile de prévoir à quel degré les tribunaux s'en inspireront.
Lexbase : En quoi cette réglementation est-elle susceptible de concerner les entreprises françaises ?
Vincent Béglé : L'UK Bribery Act rend nécessaire la mise en place de procédures adéquates, proportionnées, pour toute entreprise, française ou non, soit qui aurait une activité au Royaume-Uni, soit qui serait partenaire d'entreprises britanniques, car ces dernières vont devoir, dans certains cas, à leur tour, contrôler la conformité de celles avec qui elles s'allient.
Cette nécessité provient aussi de ce que globalement, nous assistons à un mouvement général de renforcement drastique de la lutte contre la corruption. Certains pays ont déjà des obligations similaires à l'UK Bribery Act, comme l'Espagne, et plusieurs autres sont en train de s'y diriger -sous la pression de l'OCDE-. Dans une économie mondialisée, il deviendra inutile et dangereux de chercher à échapper à la mise en place de ces procédures internes. Surtout, les sanctions potentielles de pratiques de corruption deviennent très dures : amendes colossales, dommages-intérêts pour les victimes, pertes des financements publics, exclusion des marchés publics, ou encore mise à l'écart par les partenaires qui ne souhaitent pas être associés à une entreprise "à risques".
A moins de trois mois de l'entrée en vigueur de la loi, le 1er juillet prochain, les entreprises françaises doivent prendre connaissance plus en détail de ces règles. Elles doivent surtout démarrer rapidement la phase d'analyse des risques, que l'avocat peut guider en assurant sa confidentialité. Cela permettra ensuite la mise en place des règles, procédures et formations nécessaires pour être "immunisé" contre le nouveau délit. Plusieurs entreprises ou groupes français y sont d'ailleurs déjà parvenus.
(1) Le Serious Fraud Office est une agence du Gouvernement, responsable de l'enquête et de la poursuite des cas graves ou complexes de fraude et de corruption.
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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 27 Mars 2014
Lexbase : Les avocats peuvent, désormais, exercer la fonction d'agent sportif. Quelles sont les modalités à respecter ? Doivent-ils obtenir une licence ?
Antoine Séméria : Pour, comprendre l'évolution de la profession d'agent sportif, il faut revenir à sa définition énoncée à l'article L. 222-7 du Code du sport (N° Lexbase : L5080IM4), "l'activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d'un contrat soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement, soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail ayant pour objet l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d'une licence d'agent sportif". Cette profession a été marquée par plusieurs phases législatives. La loi n° 2000-627 du 6 juillet 2000 (N° Lexbase : L0778AIN) est venue instaurer un examen d'agent afin d'obtenir une licence. Cependant, depuis cette loi, des difficultés étaient apparues face aux questions de double-mandat et de rétro-commission. Le législateur a souhaité davantage encadrer et moraliser la profession d'agent sportif par la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010 (N° Lexbase : L5043IMQ) en pointant certaines incompatibilités ou en supprimant la possibilité pour des personnes morales de détenir une licence. La protection des sportifs mineurs avait également été renforcée (2). Durant le processus de discussion de cette loi, les liens entre cette profession et celle des avocats avaient été étudiés, des sénateurs ayant proposé d'exclure ces derniers de cette activité, le courtage se rapprochant d'actes de commerce. La loi du 9 juin 2010 n'ayant pas repris cette proposition, nous sommes restés face à un statu quo.
Un débat houleux a eu lieu entre le Sénat et les barreaux de France et, plus particulièrement, celui de Paris, afin de passer d'une possibilité d'interdiction d'exercer cette licence au souhait d'une exemption de la licence pour exercer cette activité. Le Conseil national des barreaux a, par la suite, fait déposer un amendement dans le projet de loi de modernisation des professions juridiques permettant de représenter un sportif en qualité de mandataire pour la conclusion d'un contrat mentionné à l'article L. 222-7 du Code du sport sans à avoir à obtenir la licence d'agent sportif. Cet amendement proposait ainsi de modifier et de rectifier la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (3). L'article de ladite loi a donc été modifié. Une nouvelle profession s'ouvre aux avocats.
Cette évolution de la profession d'agent sportif témoigne du développement, du conseil et du contentieux en droit du sport (assistance lors de la négociation et de la rédaction des contrats de travail, partenariat, sponsoring, mécénat et gestion du droit à l'image, fiscalité, patrimoine du sportif, dopage, ect.). Une véritable "niche" se crée et de plus en plus d'avocats tentent de s'immiscer dans ce domaine. C'est, d'ailleurs, la volonté du cabinet 36 Quai Avocats de développer ce pôle de compétence, dans le but d'assister au mieux les sportifs, clubs ou agents. Par la loi de modernisation des professions judiciaires, se développe une autre brèche qui risque de créer une vive polémique. 50 000 avocats peuvent désormais potentiellement devenir agent sportif sans qu'ils aient à obtenir de licence à ce titre !
Désormais, les sportifs, les entraîneurs et les clubs peuvent se faire représenter par un avocat dans les mêmes champs de compétences que les agents sportifs.
Pourquoi dispenser les avocats de la licence obligatoire à tout agent sportif ? La question reste entière même s'il est vrai qu'il est envisageable que le législateur ait pris en compte les évidentes compétences juridiques en matière de conseil et de contentieux de l'avocat spécialiste en droit du sport.
Lexbase : Il a été souvent pointé l'existence d'incompatibilités (4) entre ces deux professions notamment l'interdiction d'exercer d'autres activités commerciales. Qu'en pensez-vous ? Ce risque d'incompatibilité n'est-il pas la conséquence de l'absence de qualification unique de la relation agent/sportif entre mandat (simple, d'intérêt commun), courtage, entremise ?
Antoine Séméria : Il s'agit de deux professions bien distinctes. A chacun son domaine et ses compétences : l'avocat n'est et ne sera jamais un commerçant. On aurait tort de penser que la loi de modernisation des professions judiciaires tendrait à faire de la profession d'avocat un "fourre-tout", en introduisant de nouveaux domaines de compétence (sport, immobilier, notariat...).
Certes, la qualification juridique de la profession d'agent n'est pas claire : les missions sont souvent très différentes et distinctes, la nature juridique dépendant des missions confiées par le donneur d'ordre (club ou sportif). Si l'intermédiaire a la mission de rechercher un cocontractant avec des informations précises mais sans détenir le pouvoir d'engager contractuellement son client, l'agent pourra être lié par un contrat de courtage, par exemple. Dans ce cas, quel peut être le rôle de l'avocat dans cette activité ? Le risque d'intervenir dans le cadre d'un acte de commerce est patent. Nous sommes dans une intermédiation qui peut rentrer dans le domaine des incompatibilités.
En revanche, si le sportif demande à l'agent ou l'avocat d'agir en son nom et pour son compte dans la négociation de son contrat avec un club, l'avocat est compétent, puisqu'il agit alors dans le cadre d'une activité classique de mandat.
Nous voyons ainsi que nous sommes dans deux activités bien différentes entre un rôle d'intermédiaire, d'assistance, de "cocooning" du sportif où l'agent a toute sa place et une intervention postérieure pour sécuriser la relation contractuelle club/joueur où l'avocat peut intervenir.
Afin de pouvoir distinguer ces deux professions, il est utile de se reporter aux définitions : toutefois, force est de constater que celle de l'activité de l'agent sportif est très imprécise. Il s'agit d'un intermédiaire dont le rôle est de faciliter la conclusion d'un contrat. Nous avons eu un début de réponse sur la qualification juridique de cette activité par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 1er décembre 2009 (5) qui qualifie l'agent sportif comme étant un intermédiaire dans une opération d'entremise avec des parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunérée d'une activité sportive sans que, pour autant, il interfère nécessairement dans la conclusion d'un tel contrat. Il n'existe ainsi aucune notion juridique existante sur cette activité. Si l'on revient à la question précise des incompatibilités entre avocat et agent sportif, il est important de souligner que la loi de modernisation des professions judiciaires précise que l'avocat n'intervient que dans un rôle de mandataire et non dans celui de courtier. Ainsi, dans le cadre de son activité de mandataire, je suis favorable à ce que ce dernier puisse exercer la profession d'agent.
Cependant se pose la question du secret professionnel vis-à-vis des clients. L'agent sportif, après l'obtention de sa licence a, ainsi, l'obligation de s'inscrire sur une liste mise à jour par la fédération auprès de laquelle il exercera son activité. L'avocat aura-t-il aussi cette obligation ? Le cas échéant, sur quelle liste ? Sûrement auprès du conseil de l'Ordre mais, également, auprès de la fédération concernée. Le secret professionnel pourrait être ainsi mis à rude épreuve
La dispense de l'obtention d'une licence nous invite, enfin, à nous interroger. Pourquoi doit-il être exempté, notamment sur l'examen du tronc spécifique à chaque sport ? Cette exemption concerne-t-elle toutes les disciplines sportives ? Chaque discipline possède ses propres règlements (règle du jeu, règle disciplinaire, charte). L'agent sportif doit ainsi obtenir une licence spécifique propre à chaque fédération. En écartant l'obligation d'obtenir cette licence, l'avocat pourrait ainsi exercer dans toutes les disciplines. N'est-ce pas un peu délicat de confier à une seule et même personne la gestion d'intérêts sur des disciplines diverses avec une réglementation particulière ? Il n'existe aucun encadrement sur l'étendue des disciplines concernées où l'avocat pourra, désormais, intervenir. Néanmoins, il y a fort à parier que l'avocat interviendra dans sa sphère de compétence.
Le rapport "Darrois" est certes très utile mais nous sommes face à une ouverture un peu trop large de la profession alors que ce sont des professions bien distinctes.
Lexbase : A quel moment, concrètement, pourra intervenir l'avocat agent sportif ?
Antoine Séméria : Le champ d'intervention de l'avocat pourra être assez large dans le cadre de son rapport avec le sportif. Notamment, il pourra le représenter, l'assister dans une relation contractuelle avec toute personne physique ou morale intéressée par le savoir-faire dudit sportif. Il pourra, également, l'assister pour tout contrat concernant l'exploitation de son nom ou de son image. Des conseils juridiques voire judiciaires pourront être aussi donnés au club ou au sportif. L'avocat sera également compétent pour assister le sportif devant les instances disciplinaires.
L'avocat reste ainsi une pièce maîtresse dans le schéma tripartite instauré avec les clubs et les agents. Sa principale mission devra rester celle de la sécurisation des rapports juridiques ; celle de la gestion de la carrière du sportif demeurera dévolue à d'autres conseillers.
Une collaboration entre agent et avocat est indispensable afin d'assurer plus de sécurité juridique au sportif concerné.
Il faudra, cependant, formaliser par contrat le champ d'intervention de chacun pour plus de sérénité. Nous ne sommes pas à l'abri d'un important contentieux sur cette question.
Lexbase : De quelle manière va se composer la rémunération des avocats. Quel va être le rôle de la Carpa ?
Antoine Séméria : Aujourd'hui, nous ne pouvons encore expliquer le rôle précis que la Carpa assumera dans ce domaine. Il faudra voir avec le temps quelles seront les modalités de paiement des avocats par les joueurs, les clubs ou les entraîneurs. La rémunération des avocats sera, de toute manière, alignée sur celle de l'agent, c'est-à-dire un montant maximum de 10 %. Nous assisterons donc à un parallélisme des formes entre agents et avocats. En réalité, les avocats ne toucheront pas des commissions mais des honoraires. Des questions se posent d'ores et déjà : les avocats percevront-ils uniquement 10 % de commission sur le transfert du joueur ou devront-ils facturer en outre des honoraires ? Quelle sera la complémentarité entre honoraires et commissions ?
La question de la rémunération pourra, également, poser problème et créer certaines dérives par l'utilisation de la pratique du prête-nom. Nous serions ainsi dans une relation d'apporteur d'affaire avec une pratique de rétrocession des commissions directement perçues par des avocats, pouvant désormais exercer la fonction d'agents, envers des personnes n'ayant pas cette qualité. Nous serions ainsi face à un même schéma d'opacité et de dangerosité reproché à ce milieu depuis de nombreuses années. La déontologie de l'avocat sera au centre de cette question.
Il est à noter aussi que le métier d'agent sportif fait souvent l'objet de mesures particulières et dérogatoires. Récemment, la loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 N° Lexbase : L9901INZ) est venue assujettir à l'impôt sur le revenu les commissions versées par le club pour rétribuer la profession d'agent, dérogation qui n'existe pas, par exemple, dans le milieu artistique. L'article 103 est ainsi revenu sur le régime dérogatoire prévu par la loi du 9 juin 2010 qui énonçait que la rémunération de l'agent n'était pas qualifiée d'avantage. Les clubs sportifs voulant prendre en charge la rémunération due par le sportif à son agent vont être ainsi imposés. L'avenir nous dira si l'administration fiscale prévoira un mécanisme similaire pour l'avocat dans ce domaine.
Lexbase : L'avocat sera-t-il soumis aux mêmes sanctions pénales que les agents ? Quelles sont-elles ? Quel sera le rôle du conseil de l'Ordre des avocats ?
Antoine Séméria : Nous sommes encore ici face à un parallélisme entre avocat et agent. Ce seront les mêmes sanctions pénales énoncées à l'article L. 222-20 du Code du sport (N° Lexbase : L5085IMB). Dans certains cas, l'avocat est effectivement passible de condamnations pénales : je ne pense donc pas que l'avocat exerçant la fonction d'agent sportif soit exonéré de toute responsabilité pénale. Et c'est heureux ! La méconnaissance par un avocat de ses obligations en matière de tarification ou de secret professionnel ainsi que celles relatives à la conclusion d'un contrat de travail sportif avec un mineur est passible d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Le montant de l'amende peut être porté au-delà de 30 000 euros jusqu'au double des sommes indûment perçues en cas de violation de fixation d'honoraires en fonction uniquement du résultat judiciaire. Enfin, les infractions aux règles concernant les rémunérations de toute nature personnelle perçue pour l'exercice d'une activité sportive par des enfants de 16 ans et moins, soumis à l'obligation scolaire, seront punis d'une amende de 7 500 euros.
Par ailleurs, l'avocat sera soumis aux mêmes obligations que l'agent. Il devra déposer les contrats conclus auprès des fédérations concernées afin d'obtenir une homologation. Si elles constatent une omission, ce ne sont pas les règlements disciplinaires des fédérations qui vont s'appliquer mais ces dernières auront l'obligation d'informer le Bâtonnier du barreau concerné qui sanctionnera l'avocat. Désormais, les fédérations, le sportif ou le club professionnel pourront ainsi saisir le Bâtonnier.
(1) Loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 (N° Lexbase : L8851IPI), sur une étude du projet de loi, v. les obs. de A.-L. Blouet Patin, Modernisation des professions judiciaires ou juridiques : état des lieux pour la profession d'avocat, Lexbase Hebdo n° 57 du 16 décembre 2010 - édition profession (N° Lexbase : N8417BQS).
(2) V. les obs. de G. Auzero, Encadrement et moralisation de la profession d'agent sportif, Lexbase Hebdo n° 401 du 1er juillet 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4396BPI).
(3) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ).
(4) J.-M. Marmayou, L'avocat peut-il être agent sportif ?, D. 2007, p. 746. A. Semeria, L'avocat peut-il exercer la profession d'agent sportif ?, LPA, 6 août 2009, p. 6 et Le doute sur l'existence d'incompatibilités entre avocat et agent sportif est enfin levé, LPA, 4 juin 2010, p. 6.
(5) CA Toulouse, 1er décembre 2009, RG n° 08/00966 (N° Lexbase : A8782HNL). Cet arrêt est à rapprocher de CA Douai, 21 mars 2011, n° 10/03808 (N° Lexbase : A9766HLB). Sur ce point, voir La requalification du contrat d'agent sportif en mandat d'intérêt commun - Questions à Steve Cygler et Laëtitia Croisé, Avocats au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 437 du 17 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N0686BS9).
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Réf. : Cass. civ. 3, 23 mars 2011, n° 06-20.488 (N° Lexbase : A7581HIM)
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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
Le 28 Avril 2011
Sauf accord amiable entre les parties, un bail commercial ne prend fin, éventuellement pour être renouvelé, qu'à la suite de la délivrance d'un congé ou d'une demande de renouvellement (C. com., art. L. 145-9 N° Lexbase : L2243IBP).
Aux termes de l'article L. 145-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2308IB4), "à défaut de congé, le locataire qui veut obtenir le renouvellement de son bail doit en faire la demande soit dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail, soit, le cas échéant, à tout moment au cours de sa reconduction". Ce n'est toutefois pas seulement à défaut de congé que le preneur peut former une demande de renouvellement : il pourra, en effet, avoir intérêt à former une telle demande, alors même que le bailleur aura délivré un congé, pour mettre un terme au bail avant qu'il n'ait une durée effective supérieure à douze ans, le loyer en renouvellement n'étant pas dans ce cas plafonné (C. com., art. L. 145-34 N° Lexbase : L2271IBQ). La Cour de cassation a en effet précisé que par l'expression "à défaut de congé", il faut entendre "à défaut de congé délivré pour la date d'expiration contractuelle du bail" (Cass. civ. 3, 18 décembre 1991, n° 90-10.109 N° Lexbase : A2942ABL). Cependant, cette règle ne s'applique pas en présence d'un congé refusant le renouvellement (Cass. civ. 3, 21 février 2007, n° 05-21.623, FS-P+B+R N° Lexbase : A4149DU9).
L'article L. 145-10 du Code de commerce précise également que la demande de renouvellement doit être délivrée "au bailleur" par acte extrajudiciaire, cette forme étant prescrite à peine d'inefficacité de la demande de renouvellement (Cass. civ. 3, 11 février 1987, n° 85-16.162 N° Lexbase : A6607AAX ; voir également Cass. civ. 3, 10 juillet 1996, n° 94-18.249 N° Lexbase : A9989ABL et Cass. civ. 3, 5 novembre 2003, n° 01-17.530, FS-P+B N° Lexbase : A0655DAI). La demande doit reproduire le quatrième alinéa de l'article L. 145-10 du Code de commerce qui dispose que : "dans les trois mois de la signification de la demande en renouvellement, le bailleur doit, dans les mêmes formes, faire connaître au demandeur s'il refuse le renouvellement en précisant les motifs de ce refus. A défaut d'avoir fait connaître ses intentions dans ce délai, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement du bail précédent".
Cet alinéa règlemente le fonctionnement de la demande de renouvellement. Une fois cette demande délivrée, le bailleur dispose de trois mois pour refuser le renouvellement. S'il garde le silence dans ce délai, il sera réputé avoir accepté le renouvellement. L'objet de cette acceptation tacite ne porte que sur le principe du renouvellement et le bailleur, ou le preneur s'il y a intérêt, pourra solliciter, en cas de désaccord, la fixation judiciaire du loyer en renouvellement (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 8 mars 2006, n° 05/00756 N° Lexbase : A5523DPA). Le bailleur peut aussi accepter expressément le renouvellement.
L'acceptation de la demande de renouvellement, tacite ou expresse, n'est pas irrémédiable. Le bailleur qui a accepté pourra en effet ensuite le refuser en exerçant son droit d'option (C. com., art. L. 145-57 N° Lexbase : L5785AI4), l'arrêt rapporté rappelant que ce droit peut être exercé avant la saisine du juge en fixation du loyer en renouvellement (cf., en ce sens, Cass. civ. 3, 15 février 1983, n° 81-11.486 N° Lexbase : A7589AG8).
Le bailleur peut aussi refuser le renouvellement, mais il devra notifier ce refus avant l'expiration du délai de trois mois précité. Ce refus devra être donné par acte extrajudiciaire indiquant les motifs du refus et, à peine de nullité, que le locataire, qui entend contester le refus de renouvellement ou demander le paiement d'une indemnité d'éviction, devra saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date à laquelle est signifié le refus (C. com., art. L. 145-10).
Dans l'arrêt rapporté, la demande de renouvellement avait été notifiée le 26 mai 2003. Le bailleur disposait donc d'un délai de trois mois courant à compter de cette date pour refuser le renouvellement expirant en conséquence le 26 août 2003. Le refus de renouvellement, délivré en l'espèce le 19 août 2003, était donc intervenu dans les délais prescrits. Toutefois, dans la mesure où les locaux loués avaient été vendus entre la date de la demande de renouvellement, notifiée au bailleur devenu vendeur et celle du refus, la question s'est posée de savoir si le vendeur avait toujours "qualité" pour refuser le renouvellement.
II - Sur les effets de la vente de l'immeuble sur le processus de renouvellement d'un bail commercial
L'article L. 145-10 du Code de commerce détermine le destinataire de la demande de renouvellement. Il précise en effet qu'elle doit être adressée au "bailleur" (qui certes n'est pas nécessairement le propriétaire) ou au gérant (mandataire du bailleur), sauf stipulations ou notifications contraires de la part de celui-ci.
Ce texte prévoit également que s'il y a plusieurs propriétaires, la demande adressée à l'un d'eux vaut, sauf stipulations ou notifications contraires, à l'égard de tous. Toutefois, l'application de ce texte semble limitée à l'indivision en pleine propriété car il a été jugé que la demande de renouvellement notifiée à des propriétaires indivis titulaires de la nue-propriété et de la moitié de l'usufruit, mais non à l'usufruitier de l'autre moitié, n'était pas régulière (Cass. civ. 3, 4 février 2009, n° 07-20.982, FS-D N° Lexbase : A9508EC7). En présence d'un démembrement du droit de propriété entre un nu-propriétaire et un usufruitier, la demande de renouvellement adressée à l'usufruitier seul a été jugée, de manière implicite, régulière (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-20.512, FS-P+B N° Lexbase : A4470EPA).
S'agissant de l'auteur de la réponse à la demande de renouvellement, le texte ne vise que le "bailleur". Il s'agira, en principe, de celui qui a reçu la demande de renouvellement. A défaut d'autre précision, il convient, afin de déterminer le titulaire du droit de refuser le renouvellement en cas de vente survenant après notification de la demande, de se pencher sur les effets de la vente du bien objet d'un bail.
A cet égard, l'article 1743 du Code civil (N° Lexbase : L1791IE3) dispose que, "si le bailleur vend la chose louée, l'acquéreur ne peut expulser le fermier, le métayer ou le locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine". Le bail sera opposable à l'acquéreur même s'il n'a pas été conclu par acte authentique ou s'il n'a pas date certaine, si ce dernier avait connaissance de l'existence du bail (Cass. civ. 3, 12 mars 1969, n° 67-11.470 N° Lexbase : A2579AU3 ; Cass. civ. 3, 20 juillet 1989, n° 88-13.413 N° Lexbase : A7817AGM). Plus qu'une simple opposabilité, la vente de l'immeuble entraîne une véritable cession du bail, l'acquéreur devenant partie à ce contrat et endossant, par l'effet de la vente, la qualité de bailleur. Cette transmission s'effectue de plein droit et son opposabilité n'est pas subordonnée à la publication à la conservation des hypothèques de l'acte de vente des locaux (Cass. civ. 3, 4 mai 2000, n° 98-20136 N° Lexbase : A0319CGW).
La transmission du bail n'opère, en principe, ses effets que pour l'avenir, à compter de la vente, et laisse subsister entre les parties initiales ses effets passés.
Ainsi, l'acquéreur de l'immeuble ne peut agir contre le locataire pour des manquements au bail antérieurs à la vente, sauf cession de créance ou subrogation expresse (Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 01-00.696, FS-P+B N° Lexbase : A9066AZS). Toutefois, l'acquéreur a qualité pour solliciter judiciairement le constat de l'acquisition d'une clause résolutoire antérieure à la vente (Cass. civ. 3, 30 mai 1990, n° 89-12.586 N° Lexbase : A7887AG9). Concernant les obligations du bailleur, seul le vendeur est, en principe, tenu de restituer au preneur le dépôt de garantie qu'il a reçu dans la mesure où il s'agirait d'une dette personnelle (Cass. civ. 3, 25 février 2004, n° 02-16.589, FS-P+B N° Lexbase : A3760DBU). La frontière entre les obligations nées avant ou après la vente n'est donc pas toujours aisée à tracer.
S'agissant plus précisément de l'indemnité d'éviction, il a été jugé qu'elle constitue une dette personnelle à la charge du bailleur ayant refusé le renouvellement du bail et dont il n'est pas déchargé par la vente de l'immeuble (Cass. civ. 3, 25 avril 1968, n° 67-12.366 N° Lexbase : A2621AUM ; Cass. civ. 3, 30 mai 2001, n° 00-10.111 N° Lexbase : A4702ATC). Toutefois, l'acquéreur de l'immeuble peut s'engager à l'égard du vendeur à prendre en charge le paiement de l'indemnité d'éviction, cette délégation imparfaite de paiement permettant au preneur de ne réclamer qu'au seul acquéreur le paiement de l'indemnité (Cass. civ. 3, 5 mars 2008, n° 06-19.237, FS-P+B N° Lexbase : A3242D79).
Parallèlement, le congé délivré au preneur par le vendeur de l'immeuble profite à l'acquéreur qui peut se prévaloir des effets de congé et solliciter, par exemple, la fixation judiciaire du loyer en renouvellement (Cass. civ. 3, 15 mars 1989, n° 87-20.226 N° Lexbase : A7827AGY).
L'arrêt commenté apporte une pierre supplémentaire au régime jurisprudentiel des effets de la vente d'un bien loué entre les bailleurs et le preneur. En présence d'une demande de renouvellement notifiée avant la vente, le vendeur pourra refuser ce renouvellement jusqu'à la vente. Il sera alors débiteur de l'indemnité d'éviction. A compter de la vente, et si le vendeur n'a pas répondu, seul l'acquéreur pourra refuser le renouvellement, même s'il n'a pas été le destinataire de la demande. Pour cette dernière raison, le vendeur devra informer l'acquéreur de l'existence de cette demande afin de le mettre en mesure de prendre une décision sur le renouvellement. A défaut, le vendeur pourrait engager sa responsabilité s'il en résultait un préjudice pour l'acheteur. En effet, la demande de renouvellement notifiée par le vendeur après la vente, comme le précise l'arrêt du 23 mars 2011, est nulle : le refus ne produisant aucun effet, le bailleur est censé avoir accepté tacitement le principe du renouvellement.
La Cour de cassation, dans l'arrêt du 23 mars 2011, envisage également la possibilité d'une "régularisation" de la "nullité" du refus de renouvellement qui aurait été donné postérieurement à la vente par le vendeur. Il s'agira a priori plus que d'une simple régularisation : l'acheteur devra, s'il est encore dans le délai de trois mois comme le relève la Haute cour, délivrer un véritable refus de renouvellement.
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
Le 29 Avril 2011
Steve Cygler et Laëtitia Croisé : La profession d'agent sportif est encadrée juridiquement par des dispositions légales et réglementaires, et en dernier lieu, par la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010 (N° Lexbase : L5043IMQ). Un décret d'application devrait être prochainement publié concernant cette loi.
Cette loi a été proposée en 2008 dans l'objectif de "pallier les défaut de la législation actuelle comme l'encadrement insuffisant des activités des agents extracommunautaires, un régime d'incompatibilité trop restreint et des contrôles déficients conduisant la généralisation des pratiques illégales" ; en somme, une volonté de moraliser et de durcir l'encadrement de la profession d'agent sportif.
Deux dispositions du Code du sport définissent l'activité d'agent sportif et concernent ainsi la qualification juridique du "contrat d'agent sportif", contrat conclu entre un agent et un sportif et/ou un club (ou un organisateur d'événement sportif) et/ou désormais un entraîneur.
Avant la loi n° 2010-626 du 9 juin 2010, il s'agissait de :
- l'article L. 222-6 du Code du sport (N° Lexbase : L6393HN4) qui disposait que "toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive doit être titulaire d'une licence d'agent sportif" ;
- l'article L. 222-10 du Code du sport (N° Lexbase : L6397HNA) qui disposait que "un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties au même contrat, qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer. Le mandat précise le montant de cette rémunération, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu. Toute convention contraire aux dispositions du présent article est réputée nulle et non écrite".
Ces deux articles ont été modifiés par la loi du 9 juin 2010 et l'activité d'agent sportif est désormais définie aux articles suivants :
- l'article L. 222-7 du Code du sport (N° Lexbase : L5080IM4) qui dispose que "l'activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d'un contrat soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement, soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail ayant pour objet l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d'une licence d'agent sportif".
- l'article L. 222-17 du Code du sport (N° Lexbase : L0800IPC) qui dispose que "un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7.
Le contrat écrit en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 précise : 1° Le montant de la rémunération de l'agent sportif, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu par les parties qu'il a mises en rapport ; 2° La partie à l'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-7 qui rémunère l'agent sportif. Lorsque, pour la conclusion d'un contrat mentionné à l'article L. 222-7, plusieurs agents sportifs interviennent, le montant total de leurs rémunérations ne peut excéder 10 % du montant de ce contrat. Le montant de la rémunération de l'agent sportif peut, par accord entre celui-ci et les parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7, être pour tout ou partie acquitté par le cocontractant du sportif ou de l'entraîneur. L'agent sportif donne quittance du paiement au cocontractant du sportif ou de l'entraîneur. Toute convention contraire au présent article est réputée nulle et non écrite".
Suivant l'article L. 222-7 du Code du sport (auparavant l'article L. 222-6 dudit code), la définition de l'activité d'agent sportif correspond à celle du contrat de courtage (ou d'entremise), contrat au terme duquel l'agent aurait pour unique rôle de mettre en relation les différentes parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive moyennant rémunération.
En revanche, l'article L. 222-17 du Code du sport ne fait plus référence expressément, comme l'ancienne rédaction de l'article L. 222-10 dudit code, à la notion de "mandat" afin de qualifier la mission de l'agent et par voie de conséquence le contrat liant l'agent à un sportif ou un entraîneur ou un club (ou à un organisateur d'événement sportif).
Ainsi, à la "première" lecture de ces deux articles du Code du sport, il semblerait que le législateur ait voulu qualifier le contrat d'agent sportif en un simple contrat de courtage (ou d'entremise), estimant que l'agent sportif est un simple intermédiaire. D'une manière générale, la mission du courtier est de mettre en rapport les parties afin de faciliter les transactions sans intervenir directement lors de la conclusion du contrat stricto sensu moyennant le versement d'une rémunération alors que "le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom" (C. civ., art. 1984 N° Lexbase : L2207ABD).
Toutefois, il convient de noter que la notion de mandat n'est pas occultée et omise des nouvelles dispositions légales. A cet égard, en cas de mandat, l'agent sportif a un pouvoir de représentation du sportif ou de l'entraîneur ou du club dans la mesure où il agit "au nom et pour le compte de" afin d'accomplir un acte juridique. Il ressort, ainsi, des débats parlementaires que le rôle d'intermédiaire qu'a un agent sportif recouvre plusieurs activités dont l'activité de conseil et d'assistance, l'activité de prospection et de recherche, activités pour lesquelles l'agent sportif peut recevoir un mandat. En outre, l'article L. 222-17 du Code du sport prohibe toujours le double "mandatement" d'un agent sportif qui "ne peut agir que pour le compte d'une des parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-7".
Dans ce contexte, à la lumière de ces nouvelles dispositions légales, l'agent sportif pourra continuer soit de mettre simplement en relation un sportif ou un entraîneur et un club ou organisateur d'événement sportif, soit d'assister et/ou de conseiller le sportif ou l'entraîneur ou le club ou l'organisateur d'événement sportif dans le cadre de la conclusion d'un contrat soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement.
Ainsi, il appartiendra aux parties de définir strictement l'étendue des missions de l'agent sportif, leurs droits et obligations respectifs ; ce qui aura une incidence sur la qualification juridique du contrat d'agent sportif (courtage ou mandat) et ainsi sur les conditions et modalités de rupture d'un tel contrat. A défaut, le juge aura le pouvoir, en l'absence de volonté et claire et non équivoque des parties, de qualifier juridiquement le contrat d'agent sportif et d'en tirer toutes les conséquences en cas de contentieux.
Les conditions et modalités de rupture anticipée (notamment charge de la preuve) sont différentes selon la qualification juridique du contrat.
En effet, un contrat de courtage ne peut être révoqué qu'en cas de faute grave du cocontractant alors que le mandat est révocable ad nutum (C. civ., art. 2004 N° Lexbase : L2239ABK) ou suivant les conditions et clauses du mandat à moins qu'il ne soit qualifié de mandat d'intérêt commun.
Lexbase : Quel est le sens et la portée de la jurisprudence tendant à requalifier les contrats en mandat d'intérêt commun ?
Steve Cygler et Laëtitia Croisé : Le mandat est généralement donné dans le seul intérêt du mandant mais il peut aussi être donné dans l'intérêt du mandant et d'autres personnes (mandataire ou tiers) ou dans l'intérêt exclusif du mandataire (l'agent sportif). Il y a mandat "d'intérêt commun" lorsque le mandat donné peut concerner, outre les intérêts du mandant, les intérêts d'un tiers ou ceux du mandataire.
Le mandat "d'intérêt commun" est l'oeuvre combinée de la jurisprudence et de la doctrine et peut être défini comme "un mandat de collaboration poussant le mandataire à agir aussi bien dans l'intérêt du mandant que dans le sien propre" (1).
Concernant la qualification juridique du contrat d'agent sportif, différentes cours d'appel (2) ont été amenées à qualifier ledit contrat en un mandat "d'intérêt commun" au motif que le mandataire, chargé de la gestion de la carrière professionnelle, aux cas particuliers, d'un joueur, a un intérêt certain à l'essor de cette carrière compte tenu des incidences économiques qu'entraînent ses performances et de sa notoriété sur les conditions financières d'engagement et les prétentions salariales du joueur. La carrière du sportif devient la chose commune des parties au mandat.
Les cours d'appel dont, en dernier lieu, la cour d'Appel de Douai, ont retenu une telle qualification juridique du contrat d'agent sportif, après avoir fait une analyse de chaque clause contractuelle afin de vérifier la volonté des parties au moment de la conclusion du contrat et l'étendue des droits et obligations de chaque partie.
Une telle qualification est importante eu égard aux conditions et modalités de rupture d'un mandat "d'intérêt commun". Ledit mandat ne peut, en effet, être révoqué légitimement que du consentement mutuel des parties ou suivant les conditions et clauses du contrat (sauf en cas de clauses jugées comme abusives) ou encore pour une cause légitime reconnue en justice.
La qualification du mandat "d'intérêt commun" a pour effet de mettre à la charge de l'auteur de la rupture anticipée illégitime du mandat le versement d'une indemnisation au profit de l'autre partie. Ainsi, en cas de rupture anticipée du contrat par le sportif et en l'absence d'une cause légitime de rupture, l'agent sportif percevra une indemnisation évaluée sur le fondement d'une perte d'une chance de percevoir la rémunération qu'il aurait dû obtenir en cas de réalisation de sa mission et si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme et d'un préjudice moral.
La qualification du contrat d'agent sportif en un mandat "d'intérêt commun" permet d'octroyer une plus grande protection de chaque partie au contrat et d'inscrire les relations agent / sportif dans une stabilité, une loyauté, une confiance afin de mener à bien un projet commun sur le moyen et long terme qui combinera aussi bien l'intérêt financier que l'intérêt sportif.
Lexbase : Dans quels cas préconisez-vous la conclusion d'un mandat d'intérêt commun ? Quelles sont les conditions et les modalités à prévoir pour la rédaction du contrat ?
Steve Cygler et Laëtitia Croisé : La conclusion d'un mandat d'intérêt commun est, de prime abord, à notre sens, opportune pour l'agent sportif lorsqu'il existe un fort intuitu personae avec le sportif ou lorsque ce dernier débute sa carrière sportive professionnelle.
L'intérêt et l'avantage du mandat d'intérêt commun sont de responsabiliser chaque partie dans le cadre de la bonne exécution du contrat et d'encadrer les conditions et modalités de rupture du contrat d'agent sportif.
Aussi, d'une manière plus générale, le contrat d'agent sportif doit être conclu en la forme d'un mandat "d'intérêt commun" lorsque l'agent sportif a la volonté de développer avec le sportif un projet commun sur le long terme.
Un mandat d'intérêt commun est opportun et, à notre sens, entièrement justifié lorsque l'agent sportif assiste et conseille le sportif pour tout ce qui a trait à l'exercice rémunéré d'une activité sportive, à la carrière et aux activités extra-sportives de ce dernier (contrats de sponsoring, d'assurance, contrats relatifs aux droits à l'image, etc.).
Aux fins de conforter les intérêts respectifs des parties, le mandat devra bien préciser la volonté des parties de conclure un "mandat d'intérêt commun", l'étendue de la mission de l'agent, les droits et obligations de chaque partie et éventuellement une clause d'indemnité afin de déterminer par avance la nature et le mode de calcul des dommages et intérêts que pourrait percevoir l'agent en cas de rupture anticipée et non justifiée du mandat. L'insertion d'une telle clause serait d'autant opportune qu'elle serait applicable même en cas de requalification du contrat d'agent sportif en un contrat autre qu'un mandat d'intérêt commun.
(1) Cass. com., 8 octobre 1969, Bull. civ. IV, n° 284.
(2) CA Aix-en-Provence, 17 avril 2002, n° 393, bull. Aix, 2002-02, note 7, p. 88 ; CA Toulouse, 2ème ch., sect. 2, 1er décembre 2009, n° 08/00966 (N° Lexbase : A8782HNL) ; CA Reims, civ. 1ère sect., 25 mars 2008 ; CA Douai, 21 mars 2011, 1ère ch., sect. 1, n° 10/03808 N° Lexbase : A9766HLB).
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique et Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 28 Avril 2011
Anne-Marie Le Pourhiet : Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK), l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) indique que "des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'Etat. Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des finances publiques". Cet objectif est donc déjà inscrit dans le "marbre" constitutionnel, mais dans des termes et selon des modalités peu contraignants, puisque l'adoption d'une loi de programmation n'est pas obligatoire, et que, si elle est adoptée (comme c'est le cas de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010, précitée), elle n'est pas forcément soumise au Conseil constitutionnel. Surtout, il s'agit d'une loi ordinaire dont les dispositions ne s'imposent pas aux autres lois ordinaires que sont les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, lesquelles peuvent donc y déroger, au même titre que n'importe quelle autre disposition législative. C'est cette absence de contrainte que le rapport "Camdessus" a proposé d'abandonner, au profit d'un système plus coercitif.
Lexbase : L'idée force qui préside au projet de loi est la création d'une nouvelle catégorie de textes dénommés "lois-cadres d'équilibre des finances publiques". Quelle sera leur fonction exacte ?
Anne-Marie Le Pourhiet : La fonction des lois-cadres d'équilibre des finances publiques serait d'établir des normes contraignantes pour assurer à un horizon pluriannuel (trois à cinq ans) l'équilibre des comptes publics. Il s'agit de programmer l'évolution de l'ensemble des finances publiques en harmonie avec nos engagements européens, de telle sorte que ces textes devront traiter, non seulement des dépenses et recettes de l'Etat et de la Sécurité sociale, mais aussi des autres éléments des comptes publics, tels que les finances locales, celles de l'assurance chômage et des régimes complémentaires de retraite. Elles devront déterminer le montant maximum des dépenses de l'Etat et de la Sécurité sociale pour chacune des années programmées, ainsi que l'enveloppe des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires, en cohérence avec l'objectif daté de retour à l'équilibre. L'exposé des motifs du projet de révision constitutionnelle indique qu'une fongibilité entre plafonds de dépenses et mesures nouvelles en recettes pourra être autorisée pour assurer au législateur financier une certaine marge de manoeuvre, tout en préservant l'effort global de redressement. Mais la détermination du contenu exact de ces lois-cadres est renvoyée à une future loi organique dont on ne connaît pas encore les dispositions.
Lexbase : Quels changements dans la procédure législative seraient apportés par le nouveau monopole des lois de finances et de financement de la Sécurité sociale ? Une inscription dans la Constitution ne risque-t-elle pas de figer une situation qui est pourtant conjoncturelle ?
Anne-Marie Le Pourhiet : Les changements sont évidemment importants puisque l'on propose de créer une architecture hiérarchique complexe qui fait intervenir le Conseil constitutionnel à chaque niveau. La loi organique précitée devra d'abord respecter la Constitution, puisque les lois organiques sont obligatoirement soumises au Conseil constitutionnel avant leur promulgation (article 46 de la Constitution N° Lexbase : L1307A9B). C'est déjà le cas des lois organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale, dont il ne faut pas oublier qu'elles s'imposent déjà au législateur financier. Ensuite, les lois-cadres d'équilibre des finances publiques, qui seront élaborées selon une procédure proche de celles des lois financières ordinaires (monopole de l'initiative gouvernementale, priorité d'examen à l'Assemblée nationale, délais de discussion butoirs pour chaque assemblée, renvoi possible à la commission mixte paritaire après une seule lecture, possibilité d'engager la responsabilité du Gouvernement sur le texte devant l'Assemblée nationale) seront aussi automatiquement soumises au Conseil constitutionnel avant leur promulgation, celui-ci devant contrôler leur conformité tant à la Constitution, qu'à la législation organique. Enfin, les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale, qui devront, désormais, réunir toutes les dispositions fiscales et de recettes de Sécurité sociale pour éviter leur dispersion et favoriser la lisibilité et l'évaluation, ne pourront être adoptées en l'absence de loi-cadre d'équilibre des finances publiques. Si le Conseil constitutionnel est saisi de ces lois financières (ce qui est le cas chaque année en pratique) il aura à vérifier leur conformité à la Constitution, à la législation organique et à la loi-cadre d'équilibre. Les pouvoirs financiers seront donc, ainsi, ensevelis sous plusieurs couches de normes verticales.
On ne peut pas dire que l'on fige dans la Constitution elle-même une situation conjoncturelle, dans la mesure où la seule norme de fond inscrite expressément dans la Constitution, comme c'est déjà le cas depuis 2008, reste le "simple" objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques, que l'on peut considérer comme un principe permanent de bonne gestion. En revanche, les modalités conjoncturelles et pluriannuelles du retour à l'équilibre seront inscrites dans des lois-cadres, dont le contenu est appelé à évoluer en fonction du redressement obtenu et que tout Gouvernement peut faire modifier selon la procédure prévue. Celle-ci implique un passage devant le Conseil constitutionnel, qui aura à vérifier le respect de l'objectif d'équilibre, ainsi que celui de la législation organique et de la procédure imposée par la Constitution. Toutefois, en l'absence de majorité renforcée pour adopter ou modifier ces textes, le dernier mot peut être donné à l'Assemblée nationale, l'article 49 § 3 de la Constitution (N° Lexbase : L1311A9G) (engagement de la responsabilité du Gouvernement devant les députés), leur étant applicable. Il n'est donc pas du tout impossible de retoucher ces lois-cadres, à condition que le Conseil constitutionnel juge cette modification conforme à l'objectif constitutionnel d'équilibre. Lorsqu'il est confronté à un objectif à valeur constitutionnelle, le Conseil juge que le législateur a une obligation de moyen lui imposant seulement de "tendre vers" sa réalisation, c'est-à-dire qu'il se réserve le pouvoir de censurer les dispositions dont il juge qu'elles régressent par rapport à l'objectif fixé. C'est ce que l'on appelle l'"effet cliquet", dont l'élaboration jurisprudentielle a débuté en 1984 (Cons. const., décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 N° Lexbase : A8085ACG).
Lexbase : Quelle peut être l'efficacité réelle de cette réforme ? Ne risque-t-on pas d'assister à une prise de pouvoir du juge constitutionnel sur le politique ?
Anne-Marie Le Pourhiet : L'efficacité ne peut pas être nulle puisque le Gouvernement et les parlementaires seront obligés de peser leurs initiatives au regard des règles qu'ils se sont imposées, même s'il n'est pas impossible de les modifier, comme je viens de le démontrer. Ce qui paraît étonnant dans cette réforme, comme dans celle de 2008, imposant au Gouvernement de produire des études d'impact à l'appui de ses projets de lois, dans le but d'endiguer l'inflation législative, c'est de voir que nos dirigeants s'avouent incapables de s'autoréguler spontanément au point qu'ils se fabriquent une camisole juridique, une sorte de "ceinture de stabilité" (par allusion aux ancestrales ceintures de chasteté) pour se contraindre eux-mêmes. On a le sentiment qu'ils disent au juge constitutionnel : "Retenez-moi !". Mais s'ils choisissent eux-mêmes de donner aux juges le pouvoir de se prononcer sur le respect de principes très vagues, supposant un pouvoir d'appréciation largement discrétionnaire, il ne faut pas qu'ils viennent ensuite se plaindre d'un illégitime "Gouvernement des juges" qui entraverait les choix démocratiques. Celui qui abdique son pouvoir entre les mains du juge ou de l'expert européen est ensuite mal venu de s'en plaindre. Les juristes connaissent bien l'adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans ("nul n'est fondé à invoquer sa propre turpitude").
Lexbase : Une proposition de Directive européenne sur les cadres budgétaires nationaux vise à renforcer le rôle de la programmation pluriannuelle des finances publiques et des règles budgétaires nationales. Ne risque-t-elle pas d'entrer en conflit avec le projet de loi constitutionnelle ?
Anne-Marie Le Pourhiet : Le but n'est certainement pas d'entrer en conflit avec la Directive puisque la révision a précisément pour objet, en s'inspirant du modèle normatif allemand, de nous obliger à respecter nos engagements européens en matière de stabilité. C'est la raison pour laquelle le projet de révision constitutionnelle prévoit aussi que le Gouvernement doit adresser les projets de programme de stabilité aux deux assemblées avant leur transmission à la Commission. La déclaration n° 17, annexée au Traité de Lisbonne, négocié par notre Président de la République et ratifié par nos assemblées, réaffirme le principe de primauté du droit européen sur le droit interne, il faut donc l'assumer. Et comme le Conseil constitutionnel considère que l'obligation de transposer les Directives résulte elle-même d'une "exigence constitutionnelle" fondée sur l'article 88-1 de la Constitution (N° Lexbase : L1350A9U) relatif au Traité de Lisbonne (Cons. const., décision n° 2004-496 DC, du 10 juin 2004, loi pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : A6494DCI), nous sommes juridiquement cernés de toutes parts.
Toutefois, compte tenu de l'opposition des parlementaires socialistes au projet de révision constitutionnelle, il est de toute façon peu probable qu'il recueille la majorité requise des trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès, et donc qu'il soit adopté.
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Réf. : TA Cergy-Pontoise, 3 février 2011, n° 1100321 (N° Lexbase : A3818HKM)
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par Elsa Bintz Rémond, Avocat à la Cour, Cabinet Danièle Véret
Le 28 Avril 2011
Le débat concernait les personnes visées aux articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971, et leur habilitation à exercer le droit à titre accessoire en complément de leur activité professionnelle principale. Il s'agissait, dans un premier temps, de qualifier les actes de services juridiques, objet du marché public (I), de vérifier l'habilitation de l'association à exercer la prestation, objet du litige (II) et ce, dans le cadre d'un exercice à titre accessoire (III). Il s'agissait ensuite, dans un second temps, de tirer les conséquences du non-respect du périmètre du droit, tel que défini par la loi du 31 décembre 1971 (IV).
I - La qualification des actes relevant de services juridiques, objet du marché public
La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, encadre strictement les prestations juridiques en matière de conseil, et, plus précisément, en matière de rédaction d'actes sous seing privé et de consultation juridique. Ainsi, l'article 54 affirme que "nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui [...] s'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66". En l'absence de définition légale de ces conseils et écrits juridiques, de nombreuses interrogations se sont posées, auxquelles le ministère de la Justice et les juges, tant de droit privé que de droit public, ont tenté de répondre.
Concernant les actes sous seing privé, le Garde des Sceaux considère qu'il "s'agit d'actes générateurs de droits ou d'obligations" (2). En outre, la consultation juridique doit être entendue comme "[...] toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis sur une situation soulevant des difficultés juridiques ainsi que sur la (ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre, concourant, par les éléments qu'elle apporte, à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation" (3). Néanmoins, elle "doit être distinguée de l'information à caractère documentaire qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné" (4).
Cette distinction reprend l'autorisation reconnue à toute personne, habilitée ou non, pour "la diffusion en matière juridique de renseignements et informations à caractère documentaire" énoncée à l'article 66-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Ainsi, une consultation juridique requiert une personnalisation du conseil sur la base d'un raisonnement juridique qui est donné à une personne déterminée et qui répond à des questions spécifiques soulevées. Cette dernière définition de la consultation juridique est reprise par la cour d'appel de Lyon dans un arrêt du 5 octobre 2010 : "[...] la consultation juridique peut être définie comme une prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis concourant par les éléments qu'il apporte à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation [...] il se distingue de l'information à caractère documentaire qui consiste seulement à renseigner un interlocuteur sur l'état de droit et de la jurisprudence relativement à un problème donné" (5).
Dans l'ordonnance du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 3 février 2011, le juge des référés précontractuels a rejeté l'argumentation de la commune, laquelle estimait que les prestations objet du marché relevaient de l'article 66-1 de la loi de 1971, à savoir des prestations d'information juridique à caractère documentaire et que, dès lors, la réglementation sur la consultation juridique ne s'appliquait pas en l'espèce. Pour ce faire, le juge a analysé les documents de la consultation du marché, lesquels mentionnaient, au titre des prestations à exécuter, "des prestations de permanence juridique" avec "réception en entretien individuel" et le code CPV (6) de "services de conseil juridique".
Le juge des référés a, dès lors, conclu que les actes prévus au marché comprenaient "notamment la délivrance de conseils juridiques personnalisés" et qu'il s'agissait de prestations de consultation juridique. Cette qualification était d'autant plus importante qu'elle emportait l'obligation pour l'attributaire du marché de respecter les habilitations requises pour l'attribution d'un marché comportant l'exercice de tels actes.
II - Les personnes habilitées à fournir des consultations juridiques
Les articles 56 et suivants de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 classent les personnes autorisées à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé en deux catégories principales : les professionnels, dont la consultation juridique ou la rédaction d'actes constituent l'activité principale ; et les personnes exerçant une autre activité professionnelle, réglementée ou non. Au titre des professionnels du droit, la loi énumère les avocats, les avoués, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires priseurs, les administrateurs judiciaires et les mandataires liquidateurs (article 56). On retrouve dans la seconde catégorie de personnes autorisées à délivrer des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé, et ce, sous certaines conditions, les professeurs et maîtres de conférence de droit (article 57) et les juristes d'entreprise (article 58), les organismes chargés d'une mission de service public (article 61), les associations (article 63), les syndicats et associations professionnels (article 64), les divers organismes professionnels ou interprofessionnels (article 65).
D'autres professionnels non listés expressément peuvent fournir des consultations et des rédactions d'actes. Il s'agit des personnes exerçant une activité professionnelle réglementée (article 59) ou non, mais justifiant d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé (7) (article 60). La qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public "résulte, en principe, d'un diplôme délivré par l'Etat ou un organisme public sanctionnant une formation spécialisée en vue de l'exercice d'une activité professionnelle non réglementée. Elle peut aussi résulter d'un diplôme sanctionnant une formation spécialisée dispensée par un organisme privé, dès lors que ce diplôme est reconnu par l'Etat" (8).
Par ailleurs, selon les mêmes sources, il faut entendre par "notion d'organisme professionnel" agréé "tout organisme professionnel qui, par une décision d'une autorité de l'Etat ou par l'effet d'une convention passée entre l'Etat et lui, a été habilité à attester ou certifier la qualification professionnelle des personnes exerçant l'activité non réglementée correspondante" (9).
En l'espèce, l'attributaire du marché, à savoir l'association, exerçait, selon le juge, une activité professionnelle non réglementée, pour laquelle elle justifiait d'une qualification reconnue par un organisme public "pour effectuer une mission d'intérêt général consistant à assurer l'accès des femmes à l'information sur leurs droits". Si l'association constituait une personne habilitée à fournir une consultation juridique, cette délivrance ne pouvait se faire que dans le cadre d'un exercice du droit à titre accessoire.
III - La délivrance des consultations juridiques dans le cadre d'un exercice à titre accessoire
L'article 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 impose aux personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée des conditions supplémentaires pour l'exercice de la rédaction des consultations et actes sous seing privé. En effet, celles-ci peuvent uniquement, dans les limites de la qualification qui leur a été reconnue, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité. Ainsi, l'obligation pour ces professionnels d'exercice des actes juridiques, à titre accessoire et en rapport avec leur activité, devrait empêcher l'attribution d'un marché public dont l'objet principal consiste en des prestations de conseils juridiques de domaines variés (10).
Dans son ordonnance du 3 février 2011, le juge des référés précontractuels est parvenu à la même conclusion, puisqu'il considère que l'association ne peut "être candidate à l'attribution d'un marché ayant pour objet principal des prestations de consultation juridique dans tous les domaines juridiques". Il en tire alors les conséquences qui s'imposent.
IV - Les conséquences du non-respect du périmètre du droit de la consultation juridique
Se porter candidat à une procédure de mise en concurrence en méconnaissant le périmètre du droit en matière de consultation juridique, instauré par une loi impérative n° 71-1130 du 31 décembre 1971, constitue une irrégularité. Le juge se verrait donc contraint, en application de l'article 53 III du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2765ICE) de constater que, non seulement le pouvoir adjudicataire n'aurait pas dû choisir un candidat dont l'offre était irrégulière, mais aurait, également, dû l'éliminer automatiquement dès l'ouverture des plis.
L'attribution d'un marché public en l'absence d'habilitation du candidat pour l'exécution des prestations expressément visées dans le marché constitue donc un manquement aux obligations de mise en concurrence, auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs.
En matière de référé précontractuel, le juge administratif, saisi avant la conclusion du marché, devrait prononcer l'annulation de la procédure de mise en concurrence en cause (11) et enjoindre le pouvoir adjudicateur à organiser une nouvelle procédure. De même, lors d'un recours de plein contentieux ou d'un référé contractuel, une telle irrégularité devrait aboutir à la même solution pour manquement essentiel d'une obligation ne pouvant être réparée. En effet, même si d'autres solutions sont mises à la disposition du juge administratif, telle que la contrainte de se conformer à ses obligations ou la suspension de l'exécution, voire la résiliation, lorsque la violation consiste dans un manquement de qualification, impérative selon la loi, seule l'annulation peut être prononcée pour défaut de capacité de l'un des cocontractants.
Dans tous les cas, il appartient au juge administratif, à l'instar du juge judiciaire, de contrôler le respect de la légalité quant à l'exercice de la consultation en matière juridique et de la rédaction des actes sous seing privé, puisqu'il s'agit d'un domaine qui ne peut pas être exercé librement par tout professionnel. Il conviendrait que les personnes chargées de dépouiller les candidatures soient plus vigilantes et qu'elles vérifient systématiquement si les candidats respectent les conditions de capacité en prouvant leur qualification, le cas échéant.
Le contrôle du juge n'étant exercé qu'a posteriori, puisque le juge doit être saisi par les personnes habilitées à engager les recours, à savoir, notamment, "celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué" (12), cela oblige les professionnels du droit, et, notamment, les avocats, à analyser au cas par cas, l'objet exact des marchés et d'agir devant les juridictions concernées pour défendre leurs intérêts, et par voie de conséquence, le respect du périmètre du droit. En l'espèce, dans son ordonnance du 3 février 2011, le juge a fait une stricte application du texte en prononçant l'annulation de la procédure de mise en concurrence lancée par la commune, et a joué, ainsi, parfaitement son rôle de régulateur. Néanmoins, il est étonnant qu'il n'ait condamné la commune qu'au paiement d'une somme des plus modiques (200 euros) au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4), somme dérisoire par rapport au temps nécessaire à l'avocat pour la défense de ses intérêts.
(1) En effet, l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 précise que, "Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et les avoués près les cours d'appel".
(2) QE n° 19358 de M. Roger Besse, JO Sénat du 2 janvier 1992, p. 13, réponse publ. 28 mai 1992, p. 1225 (N° Lexbase : L9979IPB).
(3) QE n° 24085 de M. Alain Fouché, JO Sénat du 27 juillet 2006, p. 1991, réponse publ. 7 septembre 2006, p. 2356 (N° Lexbase : L9980IPC).
(4) QE n° 24085, précitée.
(5) CA Lyon, 8ème ch., 5 octobre 2010, n° 09/05190 (N° Lexbase : A2588GD9). Voir, également, TA Besançon du 28 février 2008, n° 0600368 (N° Lexbase : A8854D8G), AJDA, 2008, p. 1050 : le prestataire devait "apporter des réponses écrites aux questions posées [...] ainsi, eu égard à son objet même, le marché en litige ne peut être regardé comme ayant pour objet la seule diffusion de renseignements et informations à caractère documentaire, mais bien la consultation juridique au sens de l'article 54 de la loi n° 71-1130". Ce jugement a ensuite été confirmé par un arrêt datant de 2009 (CAA Nancy, 4ème ch., 23 mars 2009, n° 08NC00594 N° Lexbase : A5945EHN).
(6) Le code CPV (vocabulaire Commun Pour les Marchés Publics) est une classification mise en place au niveau européen pour faciliter la saisie des appels à la concurrence et permettre aux entreprises de repérer les appels d'offres qui les concernent.
(7) Entre 80 000 à 100 000 personnes pourraient entrer dans cette catégorie selon le rapport : Réforme de certaines professions judiciaires et juridique, fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 janvier 1997.
(8) QE n° 11669 de M. Luc Dejoie, JO Sénat du 29 octobre 1998, p. 3415, réponse publ. 11 mars 1999, p. 791 (N° Lexbase : L9978IPA).
(9) QE n° 11669, précitée.
(10) TA Besançon du 28 février 2008, n° 0600368, confirmé par un arrêt datant de 2009, CAA Nancy, 4ème ch., 23 mars 2009, n° 08NC00594 : la société X "exerce une activité professionnelle non réglementée, pour laquelle elle justifie d'une qualification reconnue par un organisme public [...] elle n'est par suite habilitée par les dispositions précitées des articles 54 et 60 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 qu'à la pratique du droit à titre accessoire de son activité principale [...] elle ne peut dès lors, sans méconnaître ces dispositions légales, être candidate à l'attribution d'un marché ayant pour objet principal des prestations de consultation juridique".
(11) CJA, art. L. 551-2 (N° Lexbase : L1559IEH).
(12) CJA, art. L. 551-10 (N° Lexbase : L1610IED) et L. 551-14 (N° Lexbase : L1603IE4).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4) ; n° 10-30.242, P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7) ; n° 10-30.313, P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8)
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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 28 Avril 2011
La première portait sur le point de savoir si le régime de la garde à vue et, plus particulièrement, l'article 63-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0962DYB) étaient conformes au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Sans surprise, l'Assemblée plénière conclut à la non-conformité en jugeant que "pour que le droit à un procès équitable [...] soit effectif et concret, il faut en règle générale, que la personne gardée à vue puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires".
La seconde question avait trait à l'effet immédiat ou différé de la décision d'inconventionnalité ainsi prononcée. Après avoir rappelé que "les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation", l'Assemblée plénière décide implicitement mais nécessairement de l'application immédiate du droit conventionnel en censurant la décision des juges du fond ayant conclu à la régularité de la garde à vue et en rejetant au contraire les pourvois formés contre les trois décisions ayant conclu à son irrégularité.
En conséquence, à compter de cette date, les gardes à vue devront impérativement, à peine d'irrégularité, respecter le droit de la Convention européenne. Si la solution (II) ne peut être comprise que replacée dans son contexte (I), c'est surtout sa portée exacte qui interroge (III) tant de nombreuses incertitudes demeurent quant à la manière dont les gardes à vue devront être appliquées avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, prévue seulement dans deux mois.
I - Le contexte de la solution
La déclaration de non-conformité du régime de la garde à vue à la CESDH prononcée par l'Assemblée plénière ne doit pas surprendre tant il est vrai que, depuis quelques mois, les juges -judiciaires, européens et constitutionnels- font feu de tout vent contre le régime légal en vigueur. Rarement aura-t-on assisté à un tel déferlement de décisions de justice décidant à l'unisson que le régime français de la garde à vue est contraire au droit à un procès équitable. Le célèbre "dialogue des juges" se muait alors en un véritable leitmotiv, tendant à la mise à mort de la garde à vue à la française.
Ce fut d'abord la Cour européenne des droits de l'Homme qui lança les premières salves en posant, dans les arrêts "Salduz" (1) et "Dayanan" (2), l'exigence de l'assistance effective d'un avocat pendant la durée de la garde à vue, suivie d'ailleurs en ceci par certaines juridictions du fond françaises, qui n'hésitaient plus désormais à déclarer le régime des gardes à vue contraire aux principes de la Convention (3). Mais, concernant la Turquie et non directement l'Etat français, ces décisions n'avaient pas une portée décisive puisqu'il fallait extrapoler sur le régime de la garde à vue turque pour en déduire (prudemment) des conséquences sur le régime français. L'incertitude n'allait toutefois pas durer puisque la Cour de Strasbourg condamna l'Etat français, dans un arrêt "Brusco contre France", pour violation du droit à un procès équitable au motif, notamment, que la personne gardée à vue ne bénéficie pas de l'assistance effective d'un avocat dès le début de la mesure et pendant les interrogatoires (4).
Ce fut ensuite le Conseil constitutionnel qui poursuivit l'assaut en déclarant non conformes à la Constitution les dispositions relatives à la garde à vue de droit commun (5). Selon les juges de la rue de Montpensier, "la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée". Considérant plus précisément que si une restriction aux droits de la défense peut être prévue, elle ne saurait en revanche être "imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier". Aussi, le Conseil décida-t-il que la personne placée en garde à vue doit pouvoir bénéficier, en règle générale, de "l'assistance effective d'un avocat" pendant toute la durée de la mesure.
Ce fut enfin la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui porta la dernière estocade dans trois arrêts du 19 octobre 2010 (6) en décidant, sur le fondement de l'article 6 de la CESDH, que "sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat".
Mais pour audacieuses qu'elles furent sur le fond, ces décisions des juridictions internes décidèrent de différer dans le temps l'application de leurs solutions, jusqu'au 1er juillet 2011, date butoir fixée par la Conseil constitutionnel et reprise par la Chambre criminelle, afin de ménager le principe de sécurité juridique et de laisser le temps aux pouvoirs publics de procéder à la réforme annoncée. C'est dans ce contexte hostile qu'intervenait la décision de l'Assemblée plénière, qui porte le coup de grâce au régime français de la garde à vue : la mise à mort du régime de la garde à vue doit, selon la Haute juridiction, être immédiate.
II - L'apport de la solution
Après avoir rappelé que "les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation", l'Assemblée plénière décide implicitement d'une application immédiate du droit conventionnel en censurant la décision des juges du fond ayant conclu à la régularité de la garde à vue et en rejetant au contraire les pourvois formés contre les trois décisions ayant conclu à son irrégularité.
Ce faisant, l'Assemblée plénière prend le contre-pied tant du Conseil constitutionnel qui avait décidé de différer l'abrogation des dispositions relatives à la garde à vue de droit commun au 1er juillet 2011 afin de laisser le temps au législateur de réformer la matière et de ne pas créer un vide juridique préjudiciable pour l'ordre public (7), que de la Chambre criminelle ayant jugé que les règles par elle énoncées "ne peuvent s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice". Sans doute peut-on comprendre, dans un premier mouvement, les arguments ainsi invoqués tenant à la sécurité juridique et à une bonne administration de la justice tant il est vrai que l'abrogation ou la neutralisation sans délai du régime de la garde à vue pourrait se révéler préjudiciable pour l'ordre public, entraînant non seulement de fâcheuses conséquences dans la lutte contre la criminalité mais encore de graves désorganisations au sein des services de police ne sachant plus très bien à quel saint se vouer ou plutôt quel régime juridique appliquer.
Mais un tel effet différé du droit à un procès équitable était difficilement soutenable sur le plan des principes, tout d'abord, puisqu'une telle décision revenait à cautionner le fait que 700 000 gardes à vue environ (8), manifestement contraires tant à la Constitution qu'à la Convention européenne, soient réalisées. Or, le seul souci de ne pas bouleverser les pratiques policières ne saurait justifier la violation des droits de l'Homme, même pendant une période limitée d'une année (9). Dans l'opposition entre des considérations purement pragmatiques et le droit fondamental à un procès équitable, le combat était perdu d'avance : si le principe de sécurité juridique peut être présenté comme inhérent au droit de la Convention, il ne saurait être invoqué pour priver un justiciable d'un droit qui lui est reconnu (10). La modulation dans le temps opérée par les juridictions internes est d'autant plus contestable que la liberté de choix reconnue à l'Etat quant aux moyens de s'acquitter de ses obligations conventionnelles "ne saurait lui permettre de suspendre l'application de la Convention en attendant l'aboutissement d'une réforme" (11). Vainement invoquerait-on alors, pour justifier l'effet différé du droit à un procès équitable, le principe constitutionnel d'égalité devant la loi pénale entre ceux qui bénéficient de la solution et ceux qui, n'ayant pas formé de pourvoi, ne peuvent en bénéficier (12).
Car, sur un plan plus technique ensuite, la solution rendue par l'Assemblée plénière n'est pas contraire à la prohibition de la rétroactivité des revirements de jurisprudence posée par la Cour européenne. En matière pénale en effet, l'interdiction de la rétroactivité des revirements ne vaut que pour les revirements plus sévères qui aggravent la responsabilité, et non pour ceux qui ont pour effet d'améliorer les droits du justiciable (13). Or, si la décision de l'Assemblée plénière peut bien apparaître comme un revirement de jurisprudence au regard des décisions antérieures ayant décidé de moduler dans le temps les effets de leur solution, le revirement ainsi opéré est assurément favorable à la personne poursuivie. En conséquence, s'agissant d'un revirement in mitius, la rétroactivité inhérente à la décision n'entre point dans le domaine de la prohibition.
La solution de l'Assemblée plénière d'appliquer immédiatement le droit conventionnel paraît ainsi pleinement justifiée : en reprenant les termes d'une décision de la Cour suprême du Royaume-Uni du 26 octobre 2010 confrontée à une situation similaire concernant la garde à vue écossaise (14), il est possible d'affirmer qu' "il ne saurait être question [...] de rendre une décision qui favoriserait le statu quo ante simplement sur des raisons d'opportunité. La question est de pur droit. Il faut y faire face, quelles qu'en soient les conséquences". Et de fait, les pouvoirs publics, particulièrement les services de police et de gendarmerie, vont effectivement devoir faire face, avant l'entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue, à l'application immédiate du droit de la Convention. C'est là envisager la portée de la solution rendue par l'Assemblée plénière.
III - La portée de la solution
En vertu de la décision de l'Assemblée plénière, les autorités publiques vont devoir faire application sans délai du droit conventionnel, sous peine d'exposer les gardes à vue menées à des recours en nullité systématiques. Mais, avant l'entrée en vigueur de la réforme de la garde à vue prévue dans deux mois, quel régime juridique les autorités vont-elles devoir appliquer ?
Certes, deux grands pans de la garde à vue française ont été pointés du doigt par les jurisprudences européenne et nationale, ce qui devrait donner aux autorités les grandes lignes de la marche à suivre. La mise en conformité du droit français avec l'exigence de notification du droit de garder le silence, tout d'abord, ne suscitera guère de difficultés pour les autorités policières. En revanche, l'exigence de l'assistance effective d'un avocat, ensuite, risque de susciter davantage de difficultés de mise en oeuvre. Si le Conseil constitutionnel (15) et la Cour européenne (16) sont unanimes à considérer que, pour y satisfaire, la personne gardée à vue doit bénéficier de la présence de son conseil dès le début de la mesure et lors des interrogatoires, la portée de cette exigence demeure en effet pour le moins incertaine tant il existe une multitude de degrés dans l'assistance. Le terme assistance doit-il être interprété restrictivement, comme visant uniquement l'office de défense et de conseil de la personne gardée à vue, ou doit-il au contraire être entendu largement, selon les directives de la Cour de Strasbourg, comme incluant la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le contrôle des conditions de détention ? L'assistance effective d'un avocat implique-t-elle une communication du dossier à l'avocat ? L'avocat pourra-t-il poser des questions au cours de la garde à vue ? Autant d'incertitudes qui risquent non seulement de voir les recours en annulation des procédures se multiplier mais encore d'engendrer la création de régimes de garde à vue multiples du fait des divergences de pratiques mises en place d'un service de police à l'autre.
Toutefois, l'arrêt d'Assemblée plénière a, peut-être, entendu juguler par avance ces risques en rendant sa décision le 15 avril 2011, et non le 1er avril comme elle l'avait initialement annoncé. En effet, cette date n'est sans doute pas fortuite puisqu'elle intervient le lendemain de la publication de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue. Or, bien que l'entrée en vigueur de cette loi nouvelle soit officiellement repoussée au premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 (17), elle pourrait néanmoins constituer un guide précieux pour les autorités de police qui pourraient se fonder sur elle pour dégager un régime uniforme des gardes à vue. Bien qu'entrant juridiquement en vigueur dans deux mois, la loi nouvelle pourrait de fait être appliquée dès aujourd'hui, comme un modèle à suivre pour les autorités de police et de gendarmerie.
La loi nouvelle ayant ainsi vocation a être appliquée dès maintenant, il faut, pour terminer, en dire quelques mots.
Sans doute cette loi intègre-t-elle en son sein les principaux acquis tant constitutionnels qu'européens tenant, d'une part, à l'exigence de notification du droit au silence (18) et, d'autre part, à l'exigence de l'assistance effective d'un avocat, dès le début de la mesure et pendant les interrogatoires (19). Sans doute encore la loi prend-elle acte de la méthode imposée par la Cour européenne à propos du régime des gardes à vue dérogatoires (20), qui décide qu'une "restriction systématique" du droit pour le gardé à vue d'être assisté par un avocat fondé, non sur des "des raisons impérieuses résultant des circonstances de l'espèce" (21) mais sur des catégories abstraites d'infractions identifiées d'après leur gravité, "suffit à conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention" (22). Conformément à ces préceptes, la loi nouvelle prévoit en effet que le procureur de la République ne peut autoriser le report de la présence de l'avocat lors des auditions ou confrontations qu'à titre exceptionnel, "si cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête" (23).
Toutefois, malgré de notables avancées, la loi nouvelle ne gomme pas toutes les scories. Deux des points les plus symboliques de la réforme seront seuls ici envisagés.
Tout d'abord, la loi nouvelle n'a pas reconduit l'institution si controversée de l'audition libre, un temps envisagée. Toutefois, bien que formellement abandonnée, la question risque de rebondir avec l'article 15 de la loi qui prévoit que le placement en garde à vue n'est pas obligatoire, même si les conditions en sont réunies, dès lors que la personne présentée devant l'officier de police judiciaire n'est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs. Or, d'une part, il y a fort à parier que les enquêteurs auront beau jeu de recourir à cette faculté afin d'éluder le régime protecteur de la garde à vue. Et d'autre part, dès lors que la personne suspectée réunit en sa personne les conditions de la garde à vue, il est difficilement justifiable que les mêmes droits ne lui soient pas accordés.
Ensuite et surtout, sourde aux avertissements de la Cour de Strasbourg, la loi a décidé de reconduire le système actuel en confiant le contrôle de la garde à vue au ministère public (24). Certes, cette solution peut se prévaloir de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a pu décider, dans sa décision du 30 juillet 2010, que "l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du Siège et du Parquet" (25). L'argument paraît cependant bien faible en ce qu'il se fonde sur un critère purement formel tiré du statut de la magistrature selon lequel le corps judiciaire comprend à la fois les magistrats du Siège et ceux du Parquet (26), et non sur un critère matériel fondé sur l'indépendance des magistrats chargés de contrôler la garde à vue. Or, l'on sait qu'une telle position heurte de front la jurisprudence de la Cour européenne qui a jugé, dans les arrêts "Medvedyev" (27) et "Moulin" (28), que le procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5 § 1 et 3 de la Convention (N° Lexbase : L4786AQC) dès lors qu'il lui manque non seulement l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif (29), mais encore l'impartialité du fait des prérogatives de poursuites qui lui sont conférées (30). La solution retenue par la loi nouvelle pourrait toutefois se trouver légitimée par l'intervention du juge des libertés et de la détention, c'est-à-dire d'un magistrat du Siège, pour la prolongation de la garde à vue au-delà de 48 heures (31). Mais là encore, l'argument paraît bien faible car de deux choses l'une. Soit, l'intervention du ministère public en tant qu'autorité judiciaire est suffisante comme organe de contrôle, et l'intervention postérieure d'un magistrat du Siège pour la prolongation de la garde à vue devient dès lors inutile : si le ministère public est une autorité judiciaire, pourquoi exiger l'intervention ultérieure d'un magistrat du Siège ? Soit, l'intervention d'un magistrat indépendant est nécessaire au respect de la Convention et, alors, elle devrait intervenir dès le placement en garde à vue.
Gageons que, malgré la réforme, les controverses relatives au régime de la garde à vue ne sont pas prêtes de se tarir.
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)
Le 28 Avril 2011
Il est traditionnel de traiter des limites d'un dispositif après en avoir fait la description. Une fois n'est pas coutume, c'est la démarche inverse qui sera ici adoptée. En effet, au regard des attentes qui existent sur le thème de la pénibilité et de la plasticité de la notion, il semble nécessaire de ne pas créer d'espoirs inconsidérés. Il ne faut pas se méprendre sur la portée du dispositif.
A - Le contexte d'adoption et la nature de la compensation
La première limite du dispositif tient au contexte de son adoption. Le volet "pénibilité" de la loi portant réforme des retraites est une concession destinée à faire mieux accepter le recul des limites d'âge pour faire valoir ses droits à pension (4). Le mécanisme de compensation institué a par conséquent pour seul effet de permettre à des salariés de solliciter une retraite anticipée. Ainsi, la liquidation à 60 ans est maintenue pour les salariés justifiant d'un taux minimum d'incapacité permanente (v. infra). En d'autres termes, avec ces textes, la reconnaissance de l'exposition à des facteurs de pénibilité ne produit des effets qu'au moment de la retraite et uniquement dans le champ du droit de la Sécurité sociale. Sous réserve de remplir les conditions que les décrets viennent de préciser, l'assuré pourra prétendre à une pension de retraite à taux plein à 60 ans, indépendamment de la durée d'assurance dont il justifie.
B - Une logique discutable et restrictive
L'apport du texte en matière de compensation de la pénibilité devrait s'avérer réduit, voire fort réduit. Le dispositif repose sur un parti-pris discutable puisque l'exposition durable à des facteurs de pénibilité ne permet pas en elle-même de déclencher le bénéfice de la compensation (5).
Il a ainsi été décidé de ne prendre en considération que des situations de pénibilité ayant emporté des conséquences visibles sur l'état de santé du salarié (lésions avérées) et ce, avant l'âge de 60 ans. Par conséquent, se trouvent ignorées de jure les situations de pénibilité dont les manifestations interviennent après la retraite. Par ailleurs, sont également oubliées les situations de pénibilité dont les effets n'ont pas de visibilité "pathogène" mais peuvent contribuer à diminuer l'espérance de vie ou affectent, parfois très substantiellement, les conditions de vie.
De surcroît, le bénéfice de la compensation suppose que les effets pathogènes de la pénibilité puissent être rattachés à un risque professionnel au sens du droit de la sécurité sociale (risque AT-MP) (6), ce qui constitue en soi une difficulté en raison de la complexité de certaines voies de reconnaissance des maladies professionnelles et du phénomène de sous-déclaration. Pour rependre les termes d'un auteur, "l'on voit ici que la reconnaissance de la pénibilité ouvrant droit à compensation est entièrement rivée à l'existence d'un dommage certain et déjà éprouvé par le salarié, puisque celui-ci doit avoir été victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle résultant donc d'un risque professionnel" (7). Qui plus est, ce dommage doit se traduire par une situation d'incapacité permanente de travail (8). Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'avancée est loin d'être aussi spectaculaire qu'annoncée
C - Des conditions de mise en oeuvre sélectives
La rigueur des conditions posées par les décrets d'application devrait éteindre les derniers espoirs que l'adoption du principe de la compensation "retraite" avait pu susciter lors des débats sur la réforme des retraites à l'automne 2010. Les textes réglementaires étaient très attendus puisqu'ils leur revenaient de fixer les taux d'IPP. La demande de retraite anticipée pour pénibilité peut être sollicitée par des assurés ayant un taux d'IPP d'au moins 10 %, sachant qu'entre 10 et 20 %, les conditions à remplir sont beaucoup plus draconiennes que lorsque l'on justifie d'un taux d'au moins 20 % (v. infra).
Les statistiques de la branche AT-MP permettent de prendre la mesure de l'effet de seuil induit par les taux retenus (9). Pour la dernière année connue (2009), les données fournies sont "éloquentes" pour la question qui nous intéresse : le taux moyen d'incapacité permanente pour les accidents du travail est de 10,3 % ; en matière de maladies professionnelles, le taux moyen d'IPP est de 15,4 % (10). Il convient d'ajouter que 83 % des maladies reconnues sont des TMS pour lesquels le taux d'IPP est en moyenne plus faible (mais non précisé par le document).
II - La retraite anticipée pour pénibilité présumée
En application de l'article L. 351-1-4-I du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3106IND), une retraite anticipée peut être sollicitée par les assurés justifiant d'un taux d'IPP d'au moins 20 % (11) mais dans des conditions qui diffèrent selon que l'IPP fait suite à une maladie professionnelle ou un accident du travail.
A - IPP d'au moins 20 % consécutive à une maladie professionnelle
Dans cette hypothèse, qui est l'hypothèse de principe, nul n'est besoin de faire état d'une exposition durable à des facteurs de risques contrairement à la situation des demandeurs dont le taux d'IPP est compris entre 10 et 20 % (v. infra). Au plan procédural, le dossier à constituer ne présente a priori pas de difficulté particulière. Il doit contenir, d'une part, la décision de notification de la rente et, d'autre part, celle de la date de consolidation. La demande est faite auprès de la caisse de retraite qui rendra une décision de prise en charge. La liquidation de la retraite peut alors intervenir au taux plein et ce même si l'assuré ne justifie pas de la durée requise d'assurance (CSS, art. L. 351-1-4-II).
On se situe ici le coeur du dispositif institué, là où le demandeur dispose d'un véritable droit à retraite anticipée pour pénibilité. Pour autant, le nombre effectif de bénéficiaires ne devrait pas nécessairement être important en raison de l'effet de seuil du taux de 20 % mais aussi eu égard à la complexité de certaines voies de reconnaissance des maladies professionnelles et à l'existence d'un phénomène de sous-déclaration.
B - IPP d'au moins 20 % consécutive à un accident du travail
La situation de l'assuré est plus complexe lorsque le taux d'IPP d'au moins 20 % est consécutif à un accident du travail. Dans cette hypothèse -qui devrait a priori être nettement moins fréquente que la précédente-, la loi exige que l'accident ait entraîné des lésions identiques à celles indemnisées au titre d'une maladie professionnelle (12). L'arrêté du 30 mars 2011 fixe à cet effet la liste de référence de ces "lésions identiques". Il énumère plusieurs catégories de lésions (13) et, pour chacune d'entre elles, sont précisées les pathologies retenues. Cette condition supplémentaire pour les victimes d'accident du travail suscite des interrogations puisque les lésions dont il s'agit sont celles qui ont été identifiées pour la construction des tableaux de maladies professionnelles ; or, cette identification repose sur l'analyse des conséquences qu'emporte l'exposition, souvent durable, à un risque dans le cadre de l'exercice d'une activité professionnelle. La pertinence de la condition fait donc débat ; elle vise sans doute à éviter qu'un accident sans aucun lien avec des facteurs de pénibilité mais emportant une IPP d'au moins 20 % puisse permettre de bénéficier de la retraite anticipée pour pénibilité. On doit noter que, dans cette hypothèse, l'article R. 351-37 (N° Lexbase : L5268DYR) précise que le silence gardé pendant plus de quatre mois par la caisse vaut décision de rejet.
III - La retraite anticipée pour pénibilité prouvée
La possibilité d'une retraite anticipée pour pénibilité est ouverte pour les salariés faisant l'objet d'un taux d'IPP compris entre 10 et 20 %. Mais l'ouverture est pour le moins étroite au regard tant des conditions de fond que de mise en oeuvre posées par les décrets d'application.
A - Conditions de fond
Dans ce second cadre, la condition relative au taux d'IPP ne suffit pas à faire jouer la compensation. Ce taux ne constitue en réalité qu'une porte d'entrée. S'y ajoutent plusieurs autres conditions qui sont de véritables exigences pour l'assuré.
Une durée minimale d'exposition que le décret n° 2011-353 a fixé à 17 ans (CSS, art. D. 351-1-10-II N° Lexbase : L9038IPG) ! L'exigence est élevée. Sa réalisation supposera le plus souvent que le salarié se soit stabilisé dans un même secteur d'activité l'ayant exposé durablement à certains facteurs de risques. Dès lors, on peut regretter qu'une logique collective déclinée par secteur professionnel n'ait pas été privilégiée.
Une exposition à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels visés à l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3099IN4). Au terme du décret n° 2011-354 (14), ces facteurs de risques relèvent de trois catégories :
- des contraintes physiques marquées (manutentions manuelles de charges (15), postures pénibles définies comme positions forcées des articulations, certaines vibrations mécaniques (16)) ;
- un environnement physique agressif (agents chimiques dangereux (17), activités exercées en milieu hyperbare, exposition à des températures extrêmes ou au bruit (18)) ;
- certains rythmes de travail (travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif caractérisé par la répétition d'un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d'une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini).
La liste est limitative. Sans surprise, en sont exclus les facteurs de risques psychosociaux, spécialement le risque "stress" (19). Pour l'heure, un environnement psychologiquement agressif n'est pas un facteur de risque professionnel au sens des textes relatifs à la retraite anticipée pour pénibilité. Plus surprenant, les risques d'exposition aux rayonnements, notamment aux rayonnements ionisants, ne figurent pas non plus dans la liste ; on peut raisonnablement penser qu'il s'agit là d'un oubli que le pouvoir réglementaire ne tardera pas à réparer.
La liste est également "verrouillée" par le renvoi aux définitions, normes et mesures du droit du travail. Par exemple, le travail exercé de nuit n'est un facteur de risque professionnel (et donc de pénibilité) que si le salarié entre dans la catégorie des travailleurs de nuit au sens des articles L. 3122-29 à L. 3122-31 du Code du travail (N° Lexbase : L0385H97) ; l'exposition au bruit ne peut être retenue qu'en référence aux valeurs limites réglementairement fixées, etc. Ainsi, est recherchée une forme d'objectivation qui devrait éviter des discussions byzantines et, dans la plupart des cas, rendre plus aisée la constatation de l'exposition à des facteurs de risques professionnels. Mais, on doit regretter que les situations à la périphérie des normes et mesures retenues n'ouvrent aucune perspective de reconnaissance alors même que les conditions d'exercice du travail (par exemple, ambiance acoustique) ont pu, pour certains salariés, être un facteur d'aggravation de leurs problèmes de santé.
Un lien de causalité directe entre l'incapacité permanente dont est atteint le salarié et l'exposition à ces facteurs de risques professionnels. Le caractère restrictif du dispositif apparaît ici nettement. L'assuré ne bénéficie d'aucune présomption de causalité. De surcroît, cette condition devrait conduire à ne faire droit qu'aux situations où l'exposition à des facteurs de pénibilité a été l'élément déclencheur des problèmes de santé du salarié et non simplement un élément aggravant.
B - Conditions de mise en oeuvre
Charge de la preuve. Il appartient à l'assuré d'apporter "des modes de preuve". Autrement dit, le salarié supporte la charge probatoire. Il ne bénéficie d'aucune présomption.
L'objet de la preuve est double : d'une part, la durée d'exposition à certaines facteurs de risques professionnels ; d'autre part, le lien de causalité entre son IPP et cette exposition. Pour parvenir à établir ces éléments, l'article D. 351-1-12 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9040IPI) -issu du décret n° 2011-353- précise que "les justifications apportés par l'assuré [...] [reposent] sur tout document à caractère individuel remis à celui-ci dans le cadre de son activité professionnelle (20) et attestant de cette activité". Et le texte de citer, de façon non exhaustive comme en atteste l'adverbe notamment précédant l'énumération, des documents administratifs tels que des bulletins de paie ou des contrats de travail mais également des documents plus techniques, spécialement la fiche d'exposition à des facteurs de pénibilité à établir par l'employeur en application de l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (21). Enjeu de la démarche de prévention, la traçabilité des expositions devient aussi un enjeu individuel pour le salarié. Nul doute qu'au-delà de la fiche d'exposition dont la tenue et l'actualisation relèvent des prérogatives de l'employeur, c'est le dossier médical en santé au travail établi par le médecin du travail qui constituera la clé de voûte de la démarche initiée par l'assuré (22).
Procédure. Le nouveau dispositif repose sur l'avis d'une commission ad hoc, avis qui s'imposera à l'organisme débiteur de la pension de retraite. En effet, cette commission doit valider les modes de preuve apportés par l'assuré et apprécier l'effectivité du lien de causalité entre l'incapacité permanente dont il est atteint et l'exposition durable à certains facteurs de risques professionnels (CSS, art. L. 351-1-4, dernier alinéa N° Lexbase : L1331IPY).
Il s'agit d'une commission dite pluridisciplinaire instituée auprès de chaque caisse de retraite (23). Elle comprend 5 membres (24) : le directeur de la caisse de retraite, le médecin-conseil régional, l'ingénieur-conseil chef du service de prévention des risques professionnels de la CARSAT, un professeur des universités-praticien hospitalier particulièrement qualifié en matière de pathologie professionnelle, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Si elle l'estime nécessaire, la commission peut recueillir l'avis du médecin inspecteur régional du travail (25). Au regard de la proximité de la composition de la commission "pénibilité" -tout du moins en ce qui concerne les autorités médicales présentes- et de celle du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CSS, art. D. 461-27 N° Lexbase : L9510IGC) et de la connexité de leurs compétences, on peut s'étonner que les dossiers de compensation de la pénibilité n'aient pas été confiés au CRRMP. Peut-être est-ce le signe d'une volonté de conférer davantage de pouvoir aux administratifs qu'aux médecins comme peut le suggérer la présence du directeur de la caisse et de la DIRRECTE ?
Le parallèle avec la procédure devant le CRRMP paraît devoir tourner court puisqu'ici, il appartient à l'assuré d'apporter les documents justificatifs. Aucune phase d'instruction ou d'enquête préalable n'est instituée et la commission "pénibilité" n'est destinataire d'aucun élément autre que ceux que le salarié lui soumet à l'appui de sa demande ; ainsi, la procédure ne prévoit pas le recueil de l'avis du médecin du travail de la ou des entreprises où l'assuré a été employé portant notamment sur la maladie et la réalité de l'exposition de celui-ci à un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprises (26). Toutefois, on doit relever que l'assuré peut être entendu par la commission, à la demande de celle-ci ou de sa propre initiative, et se faire assister par une personne de son choix. L'avis de la commission s'impose à la caisse de retraite (CSS, art. L. 351-1-4), étant précisé que le silence gardé par cette dernière pendant plus de quatre mois vaut rejet de la demande de retraite anticipée.
(1) Y. Struillou, auteur d'un rapport sur "Pénibilité et retraite" (COR, avril 2003), a d'ailleurs pu écrire que la loi de 2003 contenait des "dispositions à faible teneur normative [adoptées] à l'issue d'un débat décevant". Y . Struillou, Pénibilité et réforme des retraites : en attendant Godot ?, RDT, 2004, p. 548.
(2) Décrets du 30 mars 2011, n° 2011-352 N° Lexbase : L9031IP8), n° 2011-353 (N° Lexbase : L9032IP9) et n° 2011-354 (N° Lexbase : L9033IPA) et arrêté du 30 mars 2011 (N° Lexbase : L9198IPD), publiés au Journal officiel du 31 mars 2011.
(3) Les textes réglementaires seront applicables aux demandes déposées pour des pensions prenant effet à compter du 1er juillet 2011, la demande pouvant être déposée avant cette date.
(4) Lors de la réforme précédente des retraites (loi "Fillon" de 2003), c'est le dispositif des carrières longues qui avait servi de "monnaie d'échange".
(5) Cela traduit la volonté de ne pas développer une approche collective de la pénibilité au travail... tout du moins dans le cadre du dispositif de compensation "retraite".
(6) D'où un financement assuré par la branche AT-MP prenant la forme d'une majoration spécifique de la cotisation patronale AT-MP afin de couvrir les dépenses supplémentaires engendrées par ces départs à la retraite anticipés (CSS, art. D. 242-6-4 N° Lexbase : L0881IPC).
(7) B. Lardy-Pélissier, La pénibilité : au-delà de l'immédiat et du quantifiable, RDT, 2011, p. 160.
(8) Certains médecins considèrent que le taux d'IPP n'est pas un bon indicateur pour mesurer la pénibilité. V. l'interview de A. Touranchet dans la Semaine Sociale Lamy n° 1459 du 20 septembre 2010, p. 5.
(9) V. les statistiques rendues publiques à l'occasion du vote de la LFSS pour 2011 (dans le cadre du programme de qualité et d'efficience de la branche AT-MP).
(10) Taux calculé sur la moitié de toutes les maladies professionnelles ayant donné lieu à arrêt de travail.
(11) Taux fixé par le décret n° 2011-353 (CSS, art. D. 351-1-9 N° Lexbase : L9037IPE). A noter que le taux peut être atteint par l'addition de plusieurs taux d'IPP sous réserve qu'un taux d'IPP au moins égal à 10 % ait été reconnu au titre d'une même maladie professionnelle ou d'un même accident du travail.
(12) L'identité des lésions sera appréciée par un médecin-conseil du service médical au vu notamment des conclusions médicales figurant sur la notification de rente.
(13) Lésions cardio-vasculaires, dermatologiques, digestives, neurologiques, psychiatriques, hématologiques, stomatologiques, ophtalmologiques, systémiques, ORL, lésions dues aux maladies infectieuses, lésions de l'appareil locomoteur, de l'appareil respiratoire, de l'appareil urinaire et génital masculin.
(14) C. trav., art. D. 4121-5 N° Lexbase : L9055IP3).
(15) Aux termes de l'article R. 4541-2 du Code du travail (N° Lexbase : L9121H9P), "on entend par manutention manuelle, toute opération de transport ou de soutien d'une charge, dont le levage, la pose, la poussée, la traction, le port ou le déplacement, qui exige l'effort physique d'un ou de plusieurs travailleurs".
(16) Il s'agit de celles mentionnées à l'article R. 4441-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0751IA3). De ce texte, il découle que l'on entend par vibration transmise aux mains et aux bras une vibration mécanique qui, lorsqu'elle est transmise aux mains et aux bras chez l'homme, entraîne des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, notamment des troubles vasculaires, des lésions ostéo-articulaires ou des troubles neurologiques ou musculaires. Quant à la vibration transmise à l'ensemble du corps, elle renvoie à une vibration mécanique qui, lorsqu'elle est transmise à l'ensemble du corps, entraîne des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, notamment des lombalgies et des microtraumatismes de la colonne vertébrale.
(17) Sont visés ceux mentionnées aux articles R. 4412-3 (N° Lexbase : L1528IAT) et R. 4412-60. (N° Lexbase : L1343IAY) du Code du travail, ce dernier texte évoquant les agents cancérogènes, mutagènes ou repro-toxiques.
(18) Dans les conditions mentionnées à l'article R. 4431-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0861IA7).
(19) Sans surprise puisque les partenaires sociaux en 2008 avaient exclu les risques psychosociaux du champ de la négociation et les parlementaires du champ de la discussion en 2010.
(20) A priori, des documents externes à l'entreprise ne pourraient être utilement produits (par exemple, une attestation émanant du médecin traitant de l'assuré).
(21) Ou tout document comportant des informations équivalentes.
(22) L'article L. 4324-2 du Code du travail, issu de la loi portant réforme des retraites, précise que le dossier médical retrace "les informations relatives à l'état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis ainsi que les avis et propositions du médecin du travail [...]".
(23) Une par CARSAT pour le régime général.
(24) CSS, art. D. 351-1-11-II (N° Lexbase : L9039IPH).
(25) Ou, à défaut, d'un médecin du travail désigné par la DIRECCTE.
(26) En revanche, cet avis figure dans le dossier que la CPAM remet au CRRMP lors de sa saisine, dossier qui contient également un rapport circonstancié du ou des employeurs de la victime décrivant notamment chaque poste de travail détenu par celle-ci depuis son entrée dans l'entreprise et permettant d'apprécier les conditions d'exposition de la victime à un risque professionnel (CSS, art. D. 461-29 N° Lexbase : L9592ADM).
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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
Le 28 Avril 2011
Dans cette affaire, les faits sont les suivants : un groupe fournit à titre principal des services d'assurances exonérés de TVA. Dans ce groupe se trouvent une filiale et deux sous-filiales. Deux de ces sociétés ont un taux de récupération de la TVA payée en amont d'environ 1 % ; dès lors, elles ne peuvent déduire que 1 % de la TVA grevant l'achat des équipements. L'activité principale de la troisième société est d'acquérir des actifs et de les donner ensuite en crédit-bail. Une société détenue par le consultant en TVA du groupe, sans pour autant faire partie de ce groupe. La seule activité de cette société consiste à louer des actifs à l'une des sous-filiales et à les sous-louer ensuite à la filiale et l'autre sous-filiale.
L'ensemble de ces opérations avait pour objectif d'échelonner le paiement de la TVA afin de différer la charge fiscale. En effet, grâce à ce montage, les sociétés du groupe ne supportaient pas le coût de la TVA non déductible sur le montant total des équipements, mais sur le montant des loyers des équipements réparti sur la durée des contrats de crédit-bail. Ainsi, ce montage ne permet pas de diminuer la charge fiscale mais de la différer. La question est de savoir si ce montage constitue une pratique abusive telle qu'elle a été définie en matière de TVA par la Cour de justice.
Dans un premier temps, l'administration fiscale du Royaume-Uni a rejeté la demande d'une des filiales qui visait à déduire la TVA payée en amont sur les biens livrés durant la période d'octobre 2000 à octobre 2004. Selon elle, ces opérations ne constituaient pas une activité économique et présentaient un caractère abusif. Prenant en compte l'arrêt "Halifax" (1), elle a renoncé à prétendre que ces opérations ne comportaient pas le caractère d'activité économique, mais elle a continué à soutenir qu'elles constituaient une pratique abusive.
Par un jugement en date du 7 février 2007, le VAT et Duties Tribunal a décidé que l'objectif principal de ces opérations était de différer la charge de TVA et que cet avantage n'était pas contraire à l'objectif des dispositions communautaires. L'administration fiscale britannique a fait appel de cette décision. La juridiction d'appel a rejeté la demande de l'administration et confirmé la décision du VAT et Duties Tribunal. L'administration a déposé un recours contre cette décision rendue en appel devant la High Court of Justice.
Cette dernière a décidé de poser les questions préjudicielles dont les plus importantes sont les suivantes. D'une part, le fait qu'une entreprise largement non assujettie à la TVA opte pour une structure de crédit-bail impliquant un tiers plutôt que pour une acquisition directe crée-t-il "un avantage fiscal contraire aux objectifs poursuivis par la 6ème Directive (Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9), au sens du point 74 de l'arrêt 'Halifax' ?" (2). D'autre part, la prise en crédit-bail d'actifs par des entreprises non assujetties, ou partiellement non assujetties, au regard des décisions "Halifax" (3), "Part Service Srl" (4) et "Ampliscientifica et Amplifin" (5), constitue-t-elle un abus de droit de la part de ces entreprises, alors que, dans le cadre de leurs transactions commerciales normales, elles ne se livrent pas à des opérations de crédit-bail.
Selon les trois décisions citées dans la question préjudicielle, l'existence d'une pratique abusive est avérée si deux conditions cumulatives sont réunies. La première est relative au fait que les opérations en cause, malgré l'application formelle des dispositions communautaires en matière de TVA et de la législation nationale transposant ces dispositions, doivent avoir pour résultat l'obtention d'un avantage fiscal dont l'octroi serait contraire à l'objectif de ces dispositions. La seconde condition concerne l'existence d'un ensemble d'éléments de nature à démontrer que l'obtention de l'avantage fiscal constitue le but essentiel des opérations en cause. Dans la décision commentée, la Cour de justice confirme la nécessité de réunir ces deux conditions (6).
Dans cette affaire, la question principale est de savoir si la mise en oeuvre des opérations de crédit-bail en impliquant une société tierce, plutôt que d'acquérir directement des actifs, avait pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal -en l'espèce l'échelonnement du paiement de la TVA venant grever l'achat des équipements-, avantage qui aurait été contraire à l'objectif poursuivi par les dispositions de la 6ème Directive.
La CJUE a jugé que le recours au crédit-bail par une entreprise non assujettie ou partiellement non assujettie en lui permettant d'étaler sur la durée du contrat la charge de TVA ne constituait pas une pratique abusive. En effet, que l'entreprise loue ou achète un équipement n'a pas de conséquence sur le montant de la TVA qu'elle pourra ou non déduire. En l'espèce, il s'agit d'un avantage au point de vue de la trésorerie de l'entreprise. Par ailleurs, le droit communautaire organise la soumission à la TVA des opérations de crédit-bail. Dès lors, le choix du contrat de crédit-bail plutôt que celui de l'achat direct ne peut être considéré comme contraire à l'objectif poursuivi par la 6ème Directive, elle-même organisant le régime de la TVA en matière de crédit-bail.
Selon la Cour de justice, les deux éléments qui dans cette affaire auraient pu être susceptibles d'être pris en compte au titre des pratiques abusives sont, d'une part, la minoration des loyers et, d'autre part, l'implication d'une société tierce de nature à empêcher l'administration fiscale britannique de pouvoir calculer la valeurs des loyers en cause (pt. 45).
Dans la décision "Halifax", la CJCE avait affirmé que "lorsque l'assujetti a le choix entre deux opérations, la 6ème Directive ne lui impose pas de choisir celle qui implique le paiement du montant de TVA le plus élevé. Au contraire, [...] l'assujetti a le droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale" (7). Dans l'affaire commentée, la solution de la CJUE s'inscrit dans la perspective de la jurisprudence "Halifax" qui reconnaît le "droit du contribuable à l'optimisation fiscale" (8). D'autant plus que l'optimisation fiscale réalisée n'a pas pour conséquence une baisse de charge de la TVA mais un simple échelonnement. S'il est admis que le contribuable puisse limiter sa dette fiscale -qui peut le plus, peut le moins-, il peut, aussi, à tout le moins, la fractionner.
S'agissant de la question relative à la pertinence de la notion de "transactions commerciales normales", la CJUE répond de manière brève et claire que "l'existence d'une pratique abusive résulte non pas de la nature des transactions commerciales auxquelles l'auteur des opérations en cause se livre normalement, mais de l'objet, de la finalité et des effets de ces opérations" (9). Le juge communautaire affirme ainsi le caractère objectif des opérations qui peuvent être constitutives de pratiques abusives. Pour rappel, cette notion est présente dans la décision "Halifax" (10) ainsi que la décision "Ampliscientifica et Amplifin" (11), mais elle n'apparaît pas dans l'arrêt "Part Service Srl" (12). Il semble peu aisé de définir cette notion. Les conclusions de l'Avocat général invitent à prendre en considération "la nature objective de l'opération plutôt que la motivation subjective du contribuable" (13). Le caractère objectif est aussi un gage de sécurité juridique en évitant de donner à l'administration un pouvoir d'appréciation trop large car trop subjectif (14).
Les faits de cette décision sont relativement complexes. La société est établie en Allemagne, elle ne possède pas d'établissement au Royaume-Uni, mais y est immatriculée en tant qu'assujettie à la TVA non établie. Elle assure le financement du leasing d'une société qui a son siège au Royaume-Uni, par plusieurs accords en date du 28 mars 2001.
Dans un premier temps, la société achète des véhicules de tourisme à une société filiale d'un groupe britannique. Ensuite, les sociétés ont conclu un autre accord avec option de vente pour ces véhicules ; la société ayant le droit de contraindre à racheter les véhicules. Enfin, la société allemande, en tant que bailleur, a conclu un contrat de bail avec la société britannique, en qualité de preneur, pour ces mêmes véhicules. A la fin du contrat, la société britannique devait verser à la société allemande la valeur résiduelle des véhicules. Entre le 28 mars 2001 et le 29 août 2002, la société allemande a facturé la location de ces véhicules à la société britannique sans faire apparaître de TVA.
Le 29 août 2002, la société allemande a cédé les contrats de location à une filiale allemande de la Royal Bank of Scotland, qui a facturé à la société britannique le montant des redevances pour la période du 29 août 2002 au 27 juin 2004, toujours sans mentionner de TVA. Enfin, la filiale allemande de la banque, venant aux droits de la société allemande, a exercé l'option de vente auprès de la société britannique qui a dû racheter ces voitures, opération qui a été soumise à TVA facturée par la filiale allemande de la banque.
Ces opérations avaient pour résultat l'absence de taxation des redevances de leasing. En effet, ces redevances ne sont pas imposables à la TVA selon le droit britannique car ce sont des prestations de services soumises au régime allemand, Etat dans lequel le prestataire, la société allemande, avait son siège. En revanche, pour le droit allemand, ces opérations sont considérées comme des livraisons de biens, dès lors elles sont taxables au Royaume-Uni, Etat de livraison des biens. Enfin, la TVA a été acquittée sur le montant de la vente des véhicules au Royaume-Uni.
La société allemande a demandé à l'administration fiscale britannique la déduction intégrale de la TVA qui lui avait été facturée en amont par la société britannique lors de l'achat des véhicules en se fondant sur l'application de l'article 17, § 3, a de la 6ème Directive. Selon cette disposition, l'assujetti peut déduire -ou obtenir le remboursement- dans la mesure où les biens et services pour lesquels la TVA a été payée en amont sont utilisés pour des activités économiques imposables effectuées à l'étranger qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations avaient été réalisées dans le même Etat membre.
Or, selon l'administration fiscale, la taxe versée en amont ne pouvait être déduite ou remboursée si aucune taxe n'avait été facturée en aval. De plus, la société allemande aurait mis en oeuvre un montage ayant pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal contraire aux objectifs de la Directive et donc se serait livrée à une pratique abusive.
Ce sont ces deux points qui ont été principalement soulevés dans le cadre des questions préjudicielles. D'une part, à savoir si par l'article 17, § 3, a de la 6ème Directive autorise un Etat membre à refuser à un assujetti la déduction de la TVA acquittée en amont sur l'acquisition de biens dans cet Etat, lorsque ces biens ont été utilisés pour des opérations de leasing réalisées dans un autre Etat membre, opérations effectuées en aval et qui n'ont pas été assujetties à la TVA dans le second Etat membre. D'autre part, si en cas de réponse négative à la précédente question, il y aurait lieu d'examiner si le principe d'interdiction des pratiques abusives serait applicable au regard du montage juridique.
La première question présente un intérêt sensible quant au droit à déduction. En effet, selon la Cour de justice "la logique du système mis en place par la 6ème Directive [...] la déduction des taxes en amont est liée à la perception des taxes en aval" (15). Cependant, dans la décision commentée, l'application du droit à déduction dans une perspective du respect du principe de neutralité fiscale (16) n'est pas aussi simple.
Déjà, il faut noter que le montage juridique en cause n'est possible que du fait d'une divergence dans l'application de la 6ème Directive. En effet, le droit allemand et le droit britannique qualifient différemment une même opération -le paiement de redevance de leasing- pour le premier il s'agit d'une livraison de biens alors que pour le second c'est une prestation de services.
Par ailleurs, l'article 17, § 3, a de la 6ème Directive implique que, si le droit à déduction existe dans un Etat membre, il puisse s'appliquer à des opérations dont la TVA a été payée en amont dans un autre Etat membre, comme si ces opérations avaient été réalisées dans le même Etat membre. Pour la Cour, cette disposition ne permet pas de prendre en considération le fait que la TVA en aval ait été payée ou non. Le droit à déduction dépend uniquement de la question de savoir si les opérations en cause ouvraient droit à déduction dans l'Etat membre de déduction, même si la TVA d'amont n'avait pas été payée dans l'autre Etat. En l'espèce, cette solution s'impose d'autant plus que l'absence de paiement de la TVA d'aval est la conséquence de la divergence entre les législations des Etats membres.
Sur la notion de pratique abusive, cette décision vient confirmer la jurisprudence "Halifax". La CJUE rappelle (pt. 49) les deux conditions cumulatives qui doivent être réunies pour la notion de pratique abusive puisse être retenue (17). Ainsi, elle relève que les opérations ont été réalisées dans le cadre d'une activité économique réelle. Une des conditions n'étant pas remplie, le principe d'interdiction des pratiques abusives ne trouvait pas à s'appliquer.
Cette décision présente l'intérêt de la nouveauté car, à notre connaissance, la Haute juridiction administrative ne s'est jamais encore prononcée sur la question relative au critère de la distorsion de concurrence dans le cadre de l'article 256 B du CGI (N° Lexbase : L5161HLQ).
L'article 256 du CGI (N° Lexbase : L5148HLA) énonce que les prestations de services et les livraisons de biens sont soumises à TVA si elles sont effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. L'article 256 A du CGI (N° Lexbase : L5157HLL) définit la notion d'assujetti au regard de l'exercice d'une activité économique. Le principe qui ressort de ces dispositions est l'imposition à la TVA de toutes les prestations de services effectuées à titre onéreux. Cependant, le premier alinéa de l'article 256 B du CGI indique qu'il existe une exception : "les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsion dans les conditions de la concurrence". Le second alinéa énonce une série d'opérations qui, même effectuées par des personnes morales de droit public, sont néanmoins assujetties à la TVA. Hormis la liste définie au second alinéa, il ressort de cette disposition qu'a priori les collectivités territoriales ne sont pas assujetties à la TVA sauf en cas de distorsion de concurrence.
Précisément, dans l'affaire soumise au Conseil d'Etat, il s'agissait de savoir si le droit d'accès à une plage perçu par une commune devait ou non être assujettie à la TVA. Cette commune a réalisé, sur une plage naturelle du lac d'Annecy, différents travaux d'aménagement. Notamment, elle a mis en place des installations dont elle effectue la surveillance ainsi que le nettoyage. En contrepartie, elle réclame aux usagers un droit d'accès à ces installations durant la période estivale. Dans le cadre d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a considéré que cette activité devait être assujettie à la TVA par application des dispositions de l'article 256 B du CGI. En conséquence, elle a procédé à un redressement pour la période du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1999 (18). Par un jugement en date du 4 décembre 2003, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la commune en vue de la décharger de ces impositions. La cour administrative d'appel de Lyon a confirmé la décision des juges du tribunal (CAA Lyon, 2ème ch., 7 juin 2007, n° 04LY00124 N° Lexbase : A9059DWG).
Il faut noter ici que la rédaction communautaire diffère de celle adoptée par le législateur français. En effet, l'article 4 § 5 de la 6ème Directive 77/388 /CEE, devenu l'article 13 de la Directive 2006/112/CE (Directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L7664HTZ) dispose que le non-assujettissement à la TVA des organismes de droit public, agissant en qualité d'autorités publiques, est la règle. Par exception à cette règle, le deuxième alinéa prévoit que ces organismes doivent néanmoins s'acquitter de la TVA dès que le non-assujettissement des activités conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. Enfin, le troisième alinéa détermine une liste d'activités pour lesquelles les organismes de droit public, même s'ils exercent ces activités en tant qu'autorités publiques, seront toujours soumis à TVA.
Cependant, cette différence ne posait pas de difficultés particulières car la CJUE avait décidé "qu'il incombait à chaque Etat membre de choisir la technique normative appropriée pour transposer dans son droit la règle de non-assujettissement établie par cette disposition" (19). Ainsi, la CJUE ne rentrait pas dans le débat de décider de la question de l'assujettissement ou non des personnes morales de droit public. Il appartenait aux autorités nationales d'apprécier le champ d'application des dispositions communautaires. C'était le juge national qui appréciait les circonstances de chaque espèce, afin de savoir s'il existait ou non une distorsion de concurrence (20).
La CJUE a sensiblement modifié sa jurisprudence en la matière par un arrêt en date du 16 septembre 2008 (21), rendu en formation solennelle. Par cette décision, le juge communautaire a décidé que la notion de distorsion de concurrence devait être appréciée au regard de l'activité exercée en tant que telle. La Cour a, ainsi, fait prévaloir l'approche fiscale sur la perspective concurrentielle. En effet, le principe est l'assujettissement à la TVA de toutes les activités économiques, l'exception prévue pour les organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doit être interprétée de manière stricte afin de respecter le principe de neutralité fiscale.
La dérogation à l'assujettissement à la TVA de certaines activités exercées, par des organismes publics en tant qu'autorité publique, repose sur la "présomption faible selon laquelle ces activités de nature essentiellement réglementaires liées à l'usage de prérogatives de puissance publique. Dans ces conditions, le non-assujettissement à la TVA de ces activités n'a potentiellement pas d'effet anticoncurrentiel avec celles exercées par le secteur privé, dès lors qu'elles sont généralement assumées à titre exclusif ou quasi exclusif par le secteur public" (22). Mais, comme l'indique l'Avocat général, cette présomption est faible, car dès qu'une activité peut être exercée aussi par le secteur privé, son non-assujettissement peut avoir pour effet une distorsion de concurrence. Dès lors, l'absence d'assujettissement aurait pour conséquence de remettre en cause le principe de neutralité fiscale.
L'appréciation de la distorsion de concurrence se fait sur le seul critère de l'activité, sans qu'il soit nécessaire de se référer à la notion de marchés locaux pertinents (23). Le principe de neutralité fiscale impose que des opérations de même nature soient soumises aux mêmes règles de TVA (24). Cette solution permet, aussi, de garantir la sécurité juridique des opérateurs "lesquels, en cas de référence au marché local seraient, dans la mesure où l'exercice concret des activités économiques évolue constamment, exposés au risque de modification de leur régime de TVA" (25). De même, l'appréciation de la distorsion de concurrence est réalisée non seulement en prenant en considération la concurrence réelle, mais aussi la concurrence potentielle qui existe dès lors qu'un opérateur privé a la possibilité d'entrer sur le marché.
Par cette décision, les juges de la Haute juridiction administrative ont pris acte du changement de la jurisprudence de la CJUE quant à l'appréciation de la distorsion de concurrence pouvant intervenir en cas de non-assujettissement de certaines activités des personnes morales publiques. Il apparaît qu'à partir de cette décision le domaine des activités non assujetties à la TVA va considérablement se réduire, car dès que ces activités pourront être exercées par d'autres opérateurs -publics ou privés- la distorsion de concurrence sera présumée en cas de non-assujettissement. On ne peut que conseiller aux organismes publics d'examiner le régime de TVA de leurs activités à la lumière de cette nouvelle jurisprudence.
(1) CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02 (N° Lexbase : A0045DNY).
(2) CJCE, 21 février 2006, op. cit., pt. 24.
(3) CJCE, 21 février 2006, op. cit.
(4) CJCE, 21 février 2008, aff. C-425/06 (N° Lexbase : A0006D7D).
(5) CJCE, 22 mai 2008, aff. C-126/07 (N° Lexbase : A6664D8C).
(6) Pts. 28, 29 et 30.
(7) CJCE, 21 février 2006, op. cit., pts. 72 et 73.
(8) Olivier Fouquet, Interprétation française et interprétation européenne de l'abus de droit, RJF, 5/06, pp. 383-385, p. 384.
(9) Pt. 44.
(10) CJCE, 21 février 2006, op. cit., pt. 69.
(11) CJCE, 22 mai 2008, op. cit., pts. 27 et 28.
(12) CJCE, 21 février 2008, op. cit.
(13) Conclusions de l'Avocat général, Mazak Jan, présentées le 26 octobre 2010, pt. 33.
(14) Sur un raisonnement similaire mais portant sur la définition des opérations ayant pour but essentiel l'obtention d'un avantage fiscal, cf. Olivier Fouquet, op. cit. p. 384.
(15) CJCE, 30 mars 2006, aff. C-184/04, pt. 24 (N° Lexbase : A8302DNS).
(16) CJCE, 10 juillet 2008, aff. C-25/07, pt. 14 (N° Lexbase : A5465D9B).
(17) Sur ces deux conditions, lire, dans cette chronique, le commentaire de l'arrêt CJUE, 22 décembre 2010, aff. C-103/09.
(18) Faits établis dans l'arrêt CAA Lyon, 2ème ch., 7 juin 2007, n° 04LY00124.
(19) CJCE, 17 octobre 1989, aff. C-231/87 et aff. C-129/88, pt. 19 (N° Lexbase : A7343AHG).
(20) CJCE, 8 juin 2006, aff. C-430/04 (N° Lexbase : A7835DPU).
(21) CJCE, 16 septembre 2008, aff. C-288/07 (N° Lexbase : A3602EAN).
(22) Conclusions de l'Avocat général, Poiares Maduro, présentées le 12 juin 2008, CJCE, 16 septembre 2008, aff. C-288/07, op. cit., pt. 31.
(23) CJCE, 16 septembre 2008, op. cit., pt. 40.
(24) CJCE, 7 septembre 1999, aff. C-216/97, pt. 20 (N° Lexbase : A0499AWE).
(25) Yolande Serandour, TVA : chronique de l'année 2008, L'année fiscale 2008, Droit fiscal, 2009, n° 9, comm. 214, p. 49-60.
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par Xavier Berjot, avocat associé Ocean Avocats
Le 28 Avril 2011
A - Conséquences du principe
Selon l'article L. 3133-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0495H99) : "le 1er mai est jour férié et chômé".
Ce jour obligatoirement férié et chômé ne doit entraîner aucune perte de rémunération, conformément aux dispositions de l'article L. 3133-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0498H9C), selon lesquelles les salariés rémunérés à l'heure, à la journée ou au rendement ont droit à une indemnité égale au salaire perdu du fait de ce chômage, à la charge de l'employeur.
Pour ce qui concerne le quantum de cette indemnité, l'article D. 3133-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9496H9L) dispose que celle-ci est "calculée sur la base de l'horaire de travail et de la répartition de la durée hebdomadaire du travail habituellement pratiquée dans l'établissement".
Enfin, la Cour de cassation (1) a précisé que l'employeur ne peut positionner le 1er mai comme jour de RTT, même si l'accord d'aménagement du temps de travail de l'entreprise prévoit que l'employeur peut choisir la date de certains jours de RTT.
B - Coïncidence du 1er mai et du dimanche
La question se pose de savoir si les salariés peuvent bénéficier d'un complément de rémunération ou d'un jour de repos supplémentaire, dans la mesure où le 1er mai coïncide cette année avec un dimanche, jour de repos hebdomadaire.
D'après une ancienne réponse ministérielle, "lorsque le 1er mai coïncide avec le repos hebdomadaire, le salarié ne saurait prétendre à aucune compensation ni en temps ni en argent" (2).
C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation, s'agissant de la coïncidence du 1er mai et du samedi correspondant à un jour de repos hebdomadaire (3).
Par conséquent, le salarié ne peut prétendre à une rémunération plus importante ou à un jour de repos supplémentaire, sauf disposition contraire d'une convention collective, d'un accord d'entreprise ou d'un usage.
C - Exception : 1er mai travaillé
Dans les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail, les salariés occupés le 1er mai ont droit, en plus du salaire correspondant au travail accompli, à une indemnité égale au montant de ce salaire, à la charge de l'employeur (4).
Aucun texte ne dresse la liste des entreprises visées par le texte, et il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si la nature de l'activité de l'entreprise lui permet ou non d'interrompre son activité le 1er mai (5).
Quant à l'assiette de l'indemnité, il y a lieu de prendre en compte le salaire réel, c'est-à-dire tous les éléments de salaire, y compris les primes inhérentes à la nature du travail.
En pratique, le 1er mai travaillé est donc payé avec une majoration de 100 %.
II - Lundi de Pâques et 8 mai : jours fériés ordinaires
A - Conséquences du principe
Contrairement au 1er mai, le lundi de Pâques et le 8 mai sont des jours fériés ordinaires, qui ne sont pas obligatoirement chômés.
Par conséquent, l'employeur peut prévoir que les salariés travailleront le lundi de Pâques et le 8 mai, sauf si une convention collective ou un accord d'entreprise en disposent autrement, et sous réserve de respecter les dispositions applicables en matière de durée du travail.
De même, il n'est pas interdit de prévoir que ces journées seront imputées comme jours de RTT ou retenues au titre de la journée de solidarité.
En cas de chômage du lundi de Pâques et du 8 mai, le salarié ne doit subir aucune perte de salaire, à condition de remplir les conditions cumulatives suivantes (6) :
- totaliser au moins trois mois d'ancienneté dans l'entreprise ou l'établissement ;
- avoir accompli au moins 200 heures de travail au cours des deux mois précédant le jour férié ;
- avoir été présent le dernier jour de travail précédant le jour férié et le premier jour de travail suivant, sauf autorisation d'absence préalablement accordée.
Ces dispositions ne s'appliquent pas aux salariés travaillant à domicile, aux salariés saisonniers, aux salariés intermittents et aux salariés temporaires.
Il convient de préciser que les salariés ne remplissant pas les conditions visées ci-dessus peuvent bénéficier des dispositions de l'arrêté du 31 mai 1946 prévoyant le paiement des jours fériés chômés pour les salariés payés mensuellement, sans condition d'ancienneté.
Par conséquent, aucune retenue sur salaire ne peut être pratiquée au titre des jours fériés non travaillés, et la rémunération doit être intégralement maintenue (salaire de base, rémunération variable, primes diverses, etc.).
B - Lundi de Pâques et 8 mai travaillés
Lorsque le lundi de Pâques et le 8 mai sont travaillés, les salariés ne bénéficient d'aucune majoration de rémunération, sauf disposition plus favorable de la convention collective, d'un accord d'entreprise ou, encore, d'un usage.
En pratique, les salariés perçoivent leur rémunération, sans majoration particulière.
C - Coïncidence du 8 mai et du dimanche
Le fait que le 8 mai coïncide cette année avec un dimanche ne permet légalement pas aux salariés de bénéficier d'un complément de rémunération ou de récupérer ce jour férié perdu.
Certaines conventions collectives prévoient néanmoins que les jours fériés ainsi perdus sont récupérés sous la forme d'une journée de repos.
Enfin, le travail des salariés le 8 mai prochain doit obéir aux règles relatives aux dérogations au repos dominical, codifiées aux articles L. 3132-12 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L0466H97).
(1) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-41.575, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3130DX9).
(2) Réponse Legendre : AN 17 juillet 1976, p. 5301.
(3) Cass. soc. 5 décembre 1973, n° 72-40.299 (N° Lexbase : A2550CGK).
(4) C. trav., art. L. 3133-6 (N° Lexbase : L0500H9E).
(5) Cass. crim., 8 février 2000, n° 99-82.118 (N° Lexbase : A6308AGQ).
(6) C. trav., art. L. 3133-3 (N° Lexbase : L0494H98).
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