Réf. : Décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, portant diverses dispositions relatives à l'aide juridique (N° Lexbase : L9928LBC)
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par Anne Laure Blouet Patin
Le 14 Janvier 2017
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par Pascal Mendak, Directeur associé chez Legal'Dev - Groupe Fargo
Le 05 Janvier 2017
Pour comprendre les évolutions et les textes actuels, un bref retour au passé s'impose. Hervé Chemouli rappelle que la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L8851IPI) a eu pour effet de permettre le regroupement capitalistique de plusieurs professions au moyen d'un outil, la holding pluri professionnelle ou SPFPL. "C'est la genèse de cette interprofessionnalité capitalistique qui a permis d'ouvrir le capital des structures d'exercice à d'autres professionnels que les avocats comme les notaires, les experts comptables ou les mandataires judiciaires".
Quant à la loi "Macron", elle a bouleversé les majorités prévues par la loi de 2011. C'est ce qui a permis la détention majoritaire par des professionnels non exerçants ; et, au surplus, avec la possibilité de n'intégrer qu'un seul membre comme justifiant l'activité exercée, ajoute Hervé Chemouli, lequel met l'accent sur les principales nouveautés :
- la première concerne les sociétés de droit commun qui peuvent dorénavant être créées par les avocats ;
- la seconde, la société pluriprofessionnelle d'exercice qui introduit l'interprofessionnalité d'exercice et dont on attend le décret d'application au plus tard le 1er juillet 2017.
II - Les choix possibles
Exercice individuel, SCP, société d'exercice libéral, holding SPFPL monoprofessionnelle, ou pluriprofessionnelle, le choix est large.
Déjà, lors de l'événement de formation "Campus" du barreau de Paris en juillet 2016, au lendemain de la publication des décrets "Macron" du 29 juin 2016 (1), Hervé Chemouli et Jack Demaison encourageaient fortement les avocats à se regrouper via de nouvelles structures, créer ou se rapprocher de réseaux : répartition optimisée des bénéfices, des outils et une logistique informatiques partagés, des potentiels de communication accrus, les moyens de se concentrer davantage sur le coeur de son activité tout en optimisant la complémentarité. Bien entendu, des pactes d'associés devront prévoir les détails des organisations avec rigueur et précision.
A écouter ces éminents praticiens, les avocats individuels sont voués pour une majeure partie à disparaître sauf à adopter un positionnement de niche porteur et y exceller. Ni plus, ni moins...
La démarche de développement passe donc par un rapprochement organisé, idéalement accompagné de conseils spécialisés, une communication orchestrée avec précision pour définir les territoires de communication des avocats, mettre en valeur les expertises et proposer une véritable stratégie de marque...
Regroupement de cabinets d'avocats, rapprochement de professions différentes, tout est possible ou presque.
A - Le choix des SEL et des holdings SPFPL
Les avocats peuvent se regrouper et constituer des holdings monoprofessionnelles qui intègrent des sociétés SEL, par exemple, constituées uniquement d'avocats. Une telle holding peut être créée afin d'acheter les murs du cabinet ou investir dans un autre cabinet ; il est possible, depuis la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de créer des holdings pluriprofessionnelles intégrant des sociétés de professionnels exerçant des professions différentes (avocats et sept professions réglementées tels les experts-comptables, les notaires, les huissiers les conseils propriété industrielle notamment, à l'exclusion des commissaires aux comptes).
Audrey Chemouli et Jack Demaison rappellent à l'occasion de la conférence "Legal Me up" de l'Incubateur du barreau de Paris, qu'avec la loi du 6 août 2015 la majorité du capital ET des droits de vote de la SPFPL peut être détenue par des personnes exerçant des professions différentes de celles des sociétés d'exercice ou de droit commun (voir ci-dessous).
La majorité du capital et des droits de vote d'une société d'exercice libérale d'avocats peut désormais être détenue par toute personne physique ou morale exerçant la profession d'avocat ou l'une des professions juridiques ou judiciaires, qu'elles se situent en France ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou en Suisse.
Dans l'hypothèse de la détention par des personnes exerçant une autre profession juridique ou judiciaire que la profession d'avocat, la SEL doit au moins comprendre, parmi ses associés, une personne exerçant la profession d'avocat. Les mêmes règles s'appliquent pour la détention de la majorité du capital et des droits de vote de la SEL par une SPFPL pluriprofessionnelle.
Bouleversement s'il en est, les majorités de détention du capital ont été donc totalement refondues par les dispositions "Macron", selon Hervé Chemouli ; un cabinet d'avocat peut être, par exemple, détenu à 99 % par une autre profession...
Ces nouvelles structures permettent donc désormais de créer des groupes, les doter de vraies marques différenciantes et de capitaliser sur les investissements réalisés (informatiques, logistiques et communication).
Sur la patrimonialité évoquée par Jack Demaison à la conférence "Legal Me up", les récents textes s'inscrivent dans un contexte de dépatrimonialisation avec loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, notamment dans les SCP, afin de pas pénaliser les associés restants quand d'autres se retirent. Il est tout à fait possible de prévoir dans les statuts que la clientèle ne sera pas valorisée lors d'un départ d'un associé.
B - "Société de droit commun" ou société commerciale : un vecteur de business development ?
Depuis la loi "Macron", et les décrets d'application du 29 juin 2016, les avocats ont désormais la possibilité de créer toute forme de société commerciale (SA, SARL, SAS) à l'exception des SNC, ou société en commandite par action ou en commandite simple, car leur statut leur interdit d'avoir la qualité de commerçant. L'objectif étant de se donner les moyens financiers de développer des activités à forte densité capitalistique, telles des plateformes à haute valeur ajoutée technologique.
Xavier Hubert, ex-conseiller juridique d'Emmanuel Macron rappelle que le capital de la société commerciale créée peut être détenu par les professions juridiques et judiciaires établies en France ou dans un Etat membre de l'UE ou bien encore en Suisse. Le fait qu'un avocat suisse puisse intégrer une structure française peut présenter un intérêt pour un cabinet français, dès lors que l'avocat suisse a la faculté d'être mandataire fiduciaire et peut ainsi compléter l'offre d'un cabinet situé en France.
Selon Xavier Hubert, un avocat peut être donc présent capitalistiquement dans plusieurs cabinets sans exercer dans ces cabinets, créer des filiales et sous filiales. Il pourra exercer, à titre secondaire, dans un autre barreau au sein d'une filiale.
Quant au formalisme des autorisations, l'article 5 du décret du 25 mars 1993 (N° Lexbase : L4321A4S) pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à statut (N° Lexbase : L3046AIN) dispose que, lorsque les avocats sont issus de barreaux différents, ils informent leur Bâtonnier qui saisit le conseil de l'Ordre. Ce dernier a ensuite de 45 jours pour se prononcer. La société elle-même doit aussi faire une demande d'inscription au barreau de son siège social.
Le champ des possibles est infini, car il induit la création potentielle de groupes et filiales tant avec des structures françaises de l'Union européenne que de la Suisse.
Le métier d'avocat pourra donc être exercé dans deux lieux différents, à charge pour l'avocat de saisir le Bâtonnier dans le respect des règles prévues à cet effet.
Quant aux sociétés pluriprofessionnelles d'exercice de l'ordonnance 2016-394 du 31 mars 2016 (N° Lexbase : L3874K7M), attendues par les uns, rejetées par les autres, elles ne pourront voir le jour qu'après publication d'un décret attendu au plus tard le 1er juillet 2017. Ces sociétés ne semblent pas susciter un grand intérêt selon les intervenants présents lors de la conférence du CNB, qu'ils soient avocats ou notaires... On se demande réellement si ce type de structure répond avec pertinence aux attentes des professionnels concernés.
C - Activités accessoires et connexes
C'est l'une des grandes nouveautés ; l'avocat par le biais de la constitution de sociétés commerciales pourra se lancer dans la commercialisation de différents biens et services.
Ces biens et services, nous disent les textes (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 111 N° Lexbase : L8168AID), doivent être exercés à titre accessoire et être connexes à l'exercice de la profession.
Le caractère accessoire de l'activité découle de ses caractéristiques "organiques" et non pas financières. Si les textes n'apportent pas de définition du terme, la notion d'"accessoirité" suppose qu'il y ait un "rapport" avec la profession d'avocat, selon Xavier Hubert lors de la conférence de l'Incubateur. Cela donne lieu, toutefois, à une très grande variété de choix possibles, tels la gestion patrimoniale, les activités d'assurance, même si, dans l'esprit des rédacteurs il s'agissait de permettre la création de plateformes de consultations et de services en ligne, ajoute Xavier Hubert. Une précision de taille : le chiffre d'affaires généré par l'activité exercée à titre accessoire peut dépasser celui de l'activité principale. On voit ici les nombreuses opportunités offertes par ce texte et les rapprochements possibles entre les acteurs de la legal tech et les avocats. De véritables groupes entre sociétés mères et filiales de nationalités différentes. Les projets vont déjà bon train dans certains cabinets (Solegal, Dentons, EY et bientôt 1134 créent ou vont constituer des structures collaboratives ad hoc).
Les règles déontologiques de la profession assureront, toutefois, les garde-fous nécessaires, les auteurs de la loi "Macron" laissant les instances professionnelles gérer ce sujet important...
Les biens et services sont dits "connexes" lorsqu'ils sont destinés à des clients des avocats (pas seulement leurs clients) ou à d'autres membres de la profession. Selon la fiche du CNB, dédiée aux incompatibilités, "l'avocat ou la société d'avocat qui fait usage de la dérogation en informe par écrit, le conseil de l'Ordre du barreau dont il ou elle relève. [...] Le conseil de l'Ordre peut lui demander tous renseignements ou documents utiles pour lui permettre d'apprécier si une telle activité est compatible avec les règles de déontologie de la profession".
Par ailleurs, les précisions apportées par le CNB dans les fiches qu'il a éditées en juillet 2016 clarifient ce nouveau régime : "l'avocat est autorisé à exercer des mandats sociaux dans les sociétés ayant pour objet la gestion d'intérêts familiaux ou l'exercice de la profession d'avocat". Le type de service cité par la notice du décret reprise par le CNB peut être l'édition juridique, la formation professionnelle, ou encore la mise à disposition de moyens matériels ou de locaux au bénéfice d'autres avocats ou sociétés d'avocats").
Alors même que des avocats se rencontrent et projettent de collaborer ensemble sans structures dédiées, gageons que cette "boîte à outils" d'ingénierie sociétaire, qui permet avant tout aux avocats de se donner les moyens de leurs développements, constituera l'une des voies pour initier de belles opportunités de croissance.
(1) Décrets n° 2016-878 (N° Lexbase : L1249K97), n° 2016-879 (N° Lexbase : L1268K9T) et n° 2016-882 (N° Lexbase : L1248K94), du 29 juin 2016 (JO du 30 juin 2016).
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Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 23 décembre 2016, n° 392815, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8794SXY)
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Le 07 Janvier 2017
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Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 9 décembre 2016, n° 391840, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4014SPD)
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par Gilles Pellissier, Rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 05 Janvier 2017
Les faits sont les suivants. Entre le mois de mai 2007, au cours duquel elle a conclu une promesse de vente pour l'acquisition d'une friche industrielle de plus de 60 000 m² sur le territoire de la commune de Grasse en vue d'y réaliser un parc d'entreprises, et le mois de février 2008, la société X, qui exerce une activité de marchand de biens immobiliers, a été en pourparlers avec la communauté d'agglomération Pôle Azur Provence (CAPAP), devenue depuis communauté d'agglomération des pays de Grasse, qui avait accepté de participer au projet dès lors qu'il devait être destiné en priorité aux industries de la parfumerie. La communauté d'agglomération a ainsi manifesté son soutien au projet en se prononçant pour l'octroi des autorisations d'urbanisme nécessaires, en indiquant qu'elle se porterait caution du paiement du prix de vente du terrain et en faisant état, jusqu'au mois de janvier, de son souhait de mettre en place un partenariat avec la société X. Elle a cependant changé d'avis face à l'hostilité au projet des entreprises du secteur et, par une délibération du 15 février 2008, le maire de Grasse, qui préside également la communauté d'agglomération, a décidé d'exercer au profit de celle-ci son droit de préemption du terrain. Estimant avoir été victime d'une rupture abusive des relations précontractuelles avec la CAPAP et d'une faute de la commune de Grasse qui, en exerçant son droit de préemption, avait manqué à son engagement de ne pas entraver la réalisation du projet, la société X a saisi le tribunal administratif de Nice de conclusions aux fins de condamnation de l'établissement public et de la commune à l'indemniser des préjudices subis, qu'elle évaluait à un peu moins de 500 000 euros en ce qui concerne la CAPAP et à un peu plus de 2,3 millions d'euros en ce qui concerne la commune.
Par deux délibérations des 19 et 26 juin 2009, les assemblées délibérantes de la CAPAP et de la commune de Grasse ont respectivement approuvé un protocole transactionnel tripartite aux termes duquel, en contrepartie de l'engagement de la société à se désister de tous recours, la CAPAP accepte de payer à la société une somme de 450 000 euros au titre des frais qu'elle avait exposés dans la croyance légitime d'un partenariat économique et lui accorde une réduction de 300 000 euros sur le prix d'achat d'un terrain au titre du gain manqué du fait de la décision de préemption de la commune, qu'elle déclare subroger, ainsi que de la garantir de tout redressement fiscal de TVA durant les quatre années suivantes. M. Y, conseiller municipal de la commune de Grasse, a saisi le tribunal administratif de Nice de conclusions aux fins d'annulation des deux délibérations de la CAPAP et de la commune. Par deux jugements du 9 juillet 2013, le tribunal administratif a fait droit à ces demandes, au motif que la commune ne s'étant pas engagée expressément auprès de la société X, celle-ci n'était pas fondée à se prévaloir d'une rupture abusive des relations contractuelles, ce qui rendait sans objet la transaction. Saisie par la société X, la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 18 mai 2015, confirmé ces jugements par un raisonnement différent (CAA Marseille, 6ème ch., 18 mai 2015, n° 13MA03627 N° Lexbase : A9167SXS). Après avoir relevé que la CAPAP et la ville avaient commis une faute commune en soutenant le projet de la société puis en ne respectant pas l'engagement qu'elles avaient ainsi pris à son égard de ne pas empêcher la réalisation de son projet, elle a estimé que l'imprudence de la société X, "qui a engagé des dépenses avant tout accord formel et avant l'expiration du délai permettant à la commune d'exercer son droit de préemption", faisait obstacle à ce qu'elle put prétendre à l'indemnisation des bénéfices qu'elle attendait de l'opération. Elle en a conclu que la réduction de 300 000 euros accordée à la société étant dépourvue de cause, elle constituait une libéralité et que cette libéralité n'étant pas divisible des autres stipulations de la transaction, qui formait un tout, celle-ci était illicite.
Le moyen le plus intéressant du pourvoi formé par la société X à l'encontre de cet arrêt est tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise la cour administrative d'appel en appréciant la condition tenant à l'interdiction des libéralités pour chaque chef de préjudice et non au regard de l'équilibre global des concessions réciproques consenties par les parties. Il ne fait à nos yeux aucun doute que la condition de licéité de la transaction tenant à ce qu'elle ne constitue pas une libéralité consentie par la personne publique doit être appréciée globalement, c'est-à-dire en comparant l'ensemble des concessions réciproques grâce auxquelles les parties sont parvenues à un accord.
L'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités représente une limite posée à leur liberté contractuelle afin de protéger les deniers publics dont elles ne sauraient disposer librement. Elle fait obstacle à ce qu'elles contractent ou à ce que soient mises à leur charge des obligations sans contrepartie. En effet, une libéralité est, aux termes de l'article 893 du Code civil (N° Lexbase : L0034HPX), "l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne". A l'obligation sans cause est assimilée l'obligation manifestement disproportionnée à sa cause. Dans le cadre d'une transaction, cette règle rejoint celle, fondée sur l'objet même de la transaction, selon laquelle les parties doivent faire des concessions réciproques, mais sa portée la dépasse puisqu'elle impose également que ces concessions ne soient pas excessivement déséquilibrées. Elle conduit ainsi à une évaluation comparée du contenu des concessions réciproques que ne fait pas le juge judiciaire (voir sur ce point les conclusions de G. Le Chatelier sur l'avis d'assemblée précité) mais qui représente une garantie de la protection des deniers publics. La libéralité résulte de ce que la personne publique ne retire aucun avantage de l'engagement de son cocontractant à ne pas poursuivre en justice l'exercice d'un droit, ce qui est le cas lorsqu'elle n'a aucune obligation à son égard, ou de ce que le prix qu'elle paie pour cet avantage est tellement supérieur à celui-ci qu'il ne peut être regardé comme ayant une contrepartie. L'identification d'une libéralité implique par conséquent une comparaison entre les termes de la transaction. Ainsi, dans ses conclusions sur la décision "Sieur Mergui" (CE Sect., 19 mars 1971, n° 79962 N° Lexbase : A2915B8H, p. 235), le président Rougevin-Baville précisait que le principe selon lequel une personne publique ne peut être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas ne saurait conduire à censurer "une éventuelle exagération de l'indemnité convenue, car après tout, une transaction peut être plus ou moins bonne et la collectivité peut se montrer relativement large sur un point afin d'obtenir satisfaction sur un autre". Comme l'expliquait Gilles Le Chatelier dans ses conclusions sur l'avis d'Assemblée que nous avons cité, "il s'agira donc de mettre en balance, d'une part, la valeur de la part de sa créance à laquelle renoncera l'administration et, d'autre part, l'avantage au regard de l'intérêt général que représente la conclusion de la transaction, notamment en termes de résolution plus rapide du litige. Un déséquilibre trop marqué entre les deux termes de l'équation sera alors la marque d'une libéralité de la part de la collectivité publique que vous ne pourrez valider".
Lorsque, comme en l'espèce, la transaction a pour objet l'indemnisation de plusieurs préjudices, la circonstance que l'un d'entre eux ne soit pas à la charge de la personne publique, soit qu'il n'existe pas, soit que la personne publique n'en soit pas responsable, ou qu'il est excessivement indemnisé, ne saurait, par elle-même, conférer à la transaction le caractère d'une libéralité. Certes, si la transaction ne portait que sur la réparation de ce préjudice, elle constituerait une libéralité, puisque la personne publique ne retirerait aucun avantage de l'engagement de son cocontractant à renoncer à une action en justice qui n'a aucune chance d'aboutir à ce qu'elle soit condamnée. Mais, dès lors que la transaction a pour objet d'éviter à la personne publique une procédure contentieuse tendant au moins en partie à la réalisation d'obligations qu'elle doit à son cocontractant, le juge ne peut se borner à constater que la somme que la personne publique a accepté de payer est en partie dépourvue de cause pour la qualifier de libéralité. Il doit encore vérifier que cette somme est excessive au regard de l'obligation qui demeure à la charge de la personne publique et dont son cocontractant renonce à poursuivre l'exécution en justice. Le juge chargé du contrôle de licéité de la transaction ne doit tenir compte que de son résultat, même si l'appréciation de la valeur de la renonciation à agir en justice conduit à évaluer les droits du cocontractant de la personne publique.
La présente espèce offre une bonne illustration de ce cas de figure car la transaction avait pour objet d'indemniser la société requérante de deux chefs de préjudice bien distincts : d'une part, le préjudice qu'elle avait subi du fait de l'espérance légitime d'un partenariat économique qu'avait fait naître la CAPAP et qui l'avait conduite à engager en vain des frais pour la réalisation du projet ; d'autre part, le préjudice subi du fait de la décision de préemption du terrain par la commune, qui lui fait perdre le bénéfice de l'opération immobilière projetée. La transaction distinguait nettement ces deux chefs de préjudice et les sommes que la CAPAP, qui s'était subrogée à la commune, puisque celle-ci avait exercé son droit de préemption à son profit, acceptait de payer pour chacun d'eux, 450 000 euros pour le premier, 300 000 euros en réduction du prix de vente d'un autre lot pour le second. La cour administrative d'appel a estimé que la décision de préemption de la commune n'avait pas causé de préjudice à la société requérante. Mais, dès lors que, comme elle l'a relevé, la transaction formait un tout indivisible, elle ne pouvait s'arrêter au constat de ce qu'une partie des concessions de la personne publique était sans cause pour juger illicite la transaction. Elle devait encore vérifier que les sommes que la personne publique acceptait de payer étaient manifestement disproportionnées au regard de la créance que la société avait sur elle et qu'elle renonçait à poursuivre en justice. Pour le dire autrement, l'indivisibilité de la transaction primait sur la distinction qu'elle faisait entre les différents préjudices sur lesquels elle portait.
Vous pourriez certes considérer qu'en jugeant que la convention formait un tout indivisible, la cour a implicitement mais nécessairement estimé que le montant global des sommes versées par la CAPAP était manifestement disproportionné au regard de la seule créance que la société avait sur elle, tenant à l'indemnisation des frais engagés pour la réalisation du projet. Mais, d'une part, cela ne correspond pas aux motifs de l'arrêt, qui qualifient de libéralité l'une des sommes prévues par la transaction et, d'autre part, la portée de votre décision sera plus claire en censurant le raisonnement de la cour.
Si vous partagez cet avis, vous n'aurez pas besoin d'examiner les deux autres moyens du pourvoi, qui ne sont pas fondés. D'une part, la méconnaissance de l'interdiction des libéralités était bien soulevée par les demandeurs en première instance, même si leur argumentation à l'appui de ce moyen n'était pas exactement celle qu'a retenue la cour. En tout état de cause, ce moyen est d'ordre public. D'autre part, la cour ne nous paraît pas avoir inexactement qualifié les faits en retenant une imprudence de la société requérante ni dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'elle lui faisait perdre tout droit à indemnisation du fait de la décision de préemption. Elle n'avait effectivement aucune assurance d'acquérir le terrain et si la commune s'était lors de la première promesse de vente engagée à ne pas préempter le bien, cette promesse était devenue caduque et n'avait pas été réitérée à l'occasion de la seconde promesse de vente.
Vous pourrez parfaire l'illustration des modalités d'appréciation de la condition relative à la prohibition des libéralités dans les transactions en réglant l'affaire au fond. La transaction litigieuse a pour objet de régler les conséquences dommageables du comportement de la CAPAP et de la commune de Grasse au cours de leurs relations avec la société X et plus précisément de leur revirement qui les ont conduites, après avoir soutenu le projet d'investissement immobilier de la société, à prendre une décision de préemption de l'acquisition du terrain qui a fait obstacle à sa réalisation. Comme vous l'avez jugé à plusieurs reprises, si une personne publique a toujours la faculté de renoncer pour un motif d'intérêt général à ce qu'elle a promis, sa responsabilité peut être engagée si son comportement a légitimement conduit le destinataire de la promesse à prendre des décisions qu'il n'aurait pas prises sans elle. Par légitimement nous voulons dire que le destinataire de la promesse doit avoir fait preuve de la prudence qui s'impose face à des promesses et ne saurait être indemnisé des risques qu'il a éventuellement pris en tenant pour acquis ce qui ne l'était pas. Vous n'indemnisez donc que les préjudices directement liés au fait d'avoir donné des assurances qui n'ont pas été tenues et tenez compte, dans l'appréciation du droit à indemnisation, de l'éventuelle imprudence de la victime.
Dans le champ contractuel, par exemple, la promesse non tenue de signer un marché vous conduit à indemniser le cocontractant potentiel des dépenses qu'il a exposées dans cette perspective, mais non son manque à gagner, car il n'y a jamais de droit acquis à la signature d'un contrat (CE, 11 octobre 1985, n° 38789 N° Lexbase : A3278AMD; CE, 10 décembre 1986, n° 46629 N° Lexbase : A7652B7K). Une promesse ne pouvant faire naître une obligation de résultat, elle ne confère aucun droit à la conclusion du contrat ou à la réalisation du projet. La Cour de cassation tient le même raisonnement (Cass. com, 26 novembre 2003, n° 00-10.949, FS-P N° Lexbase : A2938DA3) (1). Dans un cas qui n'est pas si éloigné de la présente espèce, où un maire avait promis à une société de soumettre au conseil municipal le projet de lui vendre un bien du domaine privé dont elle était locataire mais n'avait jamais mis cette promesse à exécution, vous avez jugé que la société ne pouvait prétendre qu'à la réparation du préjudice directement causé par cette faute, tel que celui correspondant, le cas échéant, aux dépenses qu'elle avait pu engager sur la foi de cette promesse (CE, 1er mars 2012, n° 346673 N° Lexbase : A8946IDP, aux Tables).
En l'espèce, le comportement des collectivités a pu légitimement conduire la société X à développer son projet en vue de l'acquisition du terrain et de son aménagement. Mais la société ne pouvait ignorer que l'engagement des collectivités pouvait changer. La décision de préempter ne nous paraît pas fondamentalement différente d'une décision de ne pas conclure un contrat, dont elle est en quelque sorte l'envers. En d'autres termes, si la société a légitimement pu penser que les collectivités ne feraient pas usage de leur droit de préemption, elle n'avait aucun droit à ce qu'elles ne le fassent pas. La perte des bénéfices escomptés de l'acquisition du terrain n'est donc pas directement liée à la promesse non tenue. En revanche, les frais qu'elle a exposés pour la préparation du projet l'ont été sur la foi des engagements des collectivités et doivent donc être réparés.
En acceptant par la transaction litigieuse d'indemniser le préjudice lié aux frais exposés et au manque à gagner, les collectivités prennent donc en charge une obligation qui leur incombe et une obligation à laquelle elles ne sont pas tenues. Cette dernière est sans cause et ne saurait être prise en compte dans l'évaluation des coûts et avantages de la transaction, qui doit mettre en balance les 750 000 euros que les collectivités acceptent de payer à la société en contrepartie de sa renonciation à poursuivre en justice la seule créance qu'elle détient à leur encontre et qui porte sur les frais qu'elle a engagés. La société évalue ces frais à 500 000 euros. Les avantages d'une résolution amiable du litige ne nous paraissent pas justifier une augmentation d'un tiers de la somme maximale que la société pourrait prétendre obtenir en justice. Dès lors, le montant de la transaction apparaît manifestement excessif et par conséquent constitutif d'une libéralité. Vous pourrez donc confirmer par ce motif l'annulation des délibérations attaquées prononcée par le tribunal administratif.
Vous pourrez également, comme vous le demande M. Y, demandeur en première instance, enjoindre aux parties à la transaction, qui est entièrement exécutée, de procéder à sa résolution amiable dans un délai de quatre mois ou, à défaut, de saisir le juge du contrat. En revanche, votre décision, qui n'a pas pour effet de faire disparaître la transaction, n'implique pas nécessairement que la société X reverse les sommes qui lui ont été payées en exécution de la convention. Même si les parties ou le juge en prononcent la résolution, les parties pourront toujours conclure une nouvelle transaction fixant au bénéfice de la société une indemnisation moins excessive.
Et par ces motifs nous concluons :
- à l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il rejette les requêtes d'appel de la société X (art. 1er) et fait droit aux conclusions d'appel incident de M. Y (art. 2) ;
- au rejet des requêtes d'appel de la société X ;
- à ce qu'il soit enjoint aux parties de prendre les mesures que nous avons décrites ;
- à ce que vous rejetiez le surplus des conclusions de M. Y ;
- à ce que vous mettiez à la charge de la société X et de la communauté d'agglomération des pays de Grasse le versement à M. Y de 1500 euros chacune.
(1) Le contentieux de la fonction publique en offre d'autres exemples : la personne qui démissionne de ses fonctions sur la base d'une promesse de recrutement non suivie d'effets a droit à indemnisation mais l'imprudence éventuellement commise peut conduire à un partage de responsabilité (CE, 1 décembre 1972, Demoiselle Texier , n° 9391, T. ; CE, 2 octobre 2002, n° 233883 N° Lexbase : A3585A38, T. ; cf. également dans la même logique CE, 27 juillet 1988, n° 63928 N° Lexbase : A7750APQ, p. 304).
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Réf. : Décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016, relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du Code civil et à diverses dispositions en matière successorale (N° Lexbase : L0098LCM)
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Le 06 Janvier 2017
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Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 23 décembre 2016, n° 375746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8787SXQ)
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Le 06 Janvier 2017
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Réf. : CJUE, 21 décembre 2016, aff. C-203/15 et C-698/15 (N° Lexbase : A7089SXT)
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N5914BWX
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Le 05 Janvier 2017
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Réf. : CJUE, 21 décembre 2016, aff. C-201/15 (N° Lexbase : A7097SX7)
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N5951BWC
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Le 07 Janvier 2017
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Réf. : CE référé, 14 décembre 2016, n° 405269 (N° Lexbase : A8810SXL)
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N6042BWP
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Le 05 Janvier 2017
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Réf. : Décret n° 2016-1792, du 20 décembre 2016, relatif à la complicité des contraventions du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8950LB4)
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N6045BWS
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Le 12 Janvier 2017
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N5962BWQ
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par Romain Ruiz, Avocat au barreau de Paris
Le 05 Janvier 2017
"Se voiler la face, vivre d'illusions, refuser le temps qui passe, c'est vivre moins qu'une pierre" (5).
Prenant acte de ses propres constatations, dont l'écho résonne bien au-delà des frontières du Val-de-Marne, le juge administratif de Melun a considéré "qu'une telle situation affecte la dignité des détenus et est de nature a engendrer un risque sanitaire pour l'ensemble des personnes fréquentant l'établissement [...] constituant par la même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale" (6).
Par conséquent, la maison d'arrêt de Fresnes a été condamnée, non par un tribunal révolutionnaire, mais par une autorité judiciaire du XXIème siècle, à "prendre dans les meilleurs délais" toutes les mesures nécessaires pour pallier le "risque de surinfection bactérienne et de propagation de maladies", (i) en "intensifiant l'action de dératisation", et (ii) en "bétonnant les zones sableuses de l'établissement, ainsi qu'en rebouchant les égouts par lesquels les rats peuvent s'infiltrer au sein de l'établissement [...] notamment dans les parties de l'immeuble où la concentration des rongeurs est maximale" (7).
Si l'on ne pouvait alors que se féliciter d'une telle décision, dont les termes viennent aujourd'hui grossir les rangs des condamnations "pénitentiaires" françaises, l'absence de terme fixé pour la réalisation de ces travaux sanitaires ne fournissait aucune garantie quant à un quelconque délai prévisible d'achèvement.
C'est donc sans réelle surprise que, le 14 décembre 2016, Mme Adeline Hazan, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a fait publier au Journal officiel des "recommandations en urgence" concernant cette même maison d'arrêt de Fresnes (8).
Entre autres réjouissances, on peut notamment y lire que "la présence des rats et des punaises est connue des autorités. Pourtant, elle n'a pas été traitée par des mesures proportionnées au problème : les protocoles de désinfection et de dératisation mis en place sont ponctuels, partiels et inefficaces" (9).
Pire encore, "saisi à plusieurs reprises par des personnes détenues, le CGLPL a interrogé la direction du centre pénitentiaire de Fresnes dès le début de l'année 2016. Celle-ci s'est contentée de mesures insuffisantes et de réponses rhétoriques dépourvues de tout lien avec la réalité qui a pu être observée quelques mois plus tard. A l'occasion d'un de ces échanges, le chef d'établissement répondait le 26 mai 2016 par une liste vague des diligences mises en oeuvre, qui n'incluait aucune mesure 'défensive' ou 'systémique' [notamment sur l'étanchéité des réseaux d'assainissement] et il concluait : 'vous constaterez que la plupart des actions sont réalisées, ou en cours de réalisation. Il m'est fait état que les actions entreprises ont eu pour effet de réduire la présence de rongeurs de manière significative. Des travaux importants demeurent à prévoir et doivent conforter l'inflexion constatée. J'ai bon espoir qu'ils permettront de limiter ce phénomène qui fait l'objet de mon attention et mobilise mes services'. Cette lettre, produite devant le tribunal administratif de Melun, saisi le 3 octobre 2016 par la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP), semble avoir servi de fondement à la décision de la juridiction et emporté sa conviction. La juridiction administrative précise en effet dans sa décision du 6 octobre 2016 que 'l'administration, en l'occurrence, démontre que la situation est en voie d'amélioration' et enjoint l'administration pénitentiaire de prendre dans les meilleurs délais les mesures prévues. On peut cependant craindre que le respect de cette injonction ne soit pas de nature à résoudre la difficulté rencontrée car les mesures prévues par l'administration ne semblent pas être d'une portée très différente de celles qui ont déjà été prises en vain. L'amélioration alléguée en mai par le directeur du centre pénitentiaire n'est en rien conforme à la réalité observée quatre mois plus tard. Le CGLPL ne peut donc que s'étonner que l'administration se soit prévalue de ce courrier devant un juge à une date où son caractère irréaliste était devenu évident" (10).
Or, face à cet état de fait, qui déshonore notre Etat de droit, c'est un renvoi de responsabilité permanent que propose la Justice.
Et pourtant, ce "désastre carcéral" (11) est connu, reconnu, presque intégré à la pratique judiciaire actuelle.
De fait, le "thème" de l'insalubrité carcérale inonde tellement les prétoires que, depuis un arrêt rendu le 28 novembre 1996, la Cour de cassation considère qu'une chambre de l'instruction n'a pas à "porter une appréciation sur les conditions matérielles de l'incarcération" d'un prévenu ou d'un mis en examen sollicitant sa mise en liberté (12).
Plus précisément, dans cette décision, la Chambre criminelle confirme un arrêt rendu par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris du 13 août 1996 qui avait "rejeté la demande de mise en liberté formée par le prévenu" fondée sur "la violation des articles 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (N° Lexbase : L4764AQI), 144 (N° Lexbase : L9485IEZ) et suivants, D. 53 (N° Lexbase : L1542IPS) et 593 du Code de procédure pénale" au motif :
- qu'"il n'y a pas lieu pour la chambre d'accusation de porter une appréciation sur l'état de la maison d'arrêt de Saint-Denis ;
- qu'après avoir relevé qu'il n'appartient pas aux juges de porter une appréciation sur les conditions matérielles de l'incarcération, qui ressortissent de la seule administration pénitentiaire, l'arrêt attaqué retient, pour écarter cette argumentation, que l'unique objet de la saisine de la Chambre d'accusation porte sur le bien-fondé de la détention provisoire au regard de l'article 144 du Code de procédure pénale ;
- et qu'en se prononçant ainsi, la chambre d'accusation a justifié sa décision".
Or, si cet arrêt semble s'être clairement positionné sur l'étendue de la saisine de la chambre de l'instruction, il convient, tout d'abord, de remarquer que "la Chambre criminelle se contente de rejeter le moyen dont elle était saisi, sans ériger la solution en principe" (13).
Surtout, la jurisprudence de la Cour de cassation doit aujourd'hui être appréciée à l'aune de l'article préliminaire du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 (N° Lexbase : L0618AIQ), qui prévoit que "les mesures de contraintes dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l'objet sont prises [...] sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire" (14).
En effet, l'examen ou l'application de cet article, nécessairement "judiciaire", ne peut, par construction, être décidé par "la seule administration pénitentiaire" ou même par le seul juge administratif saisi en ce sens.
Cet article ne peut donc, conformément à la lettre même du texte, qu'être appliqué par une "autorité judiciaire".
Or, les seules autorités "judiciaires" susceptibles d'opérer un contrôle sur les "mesures de contraintes dont la personne suspectée ou poursuivie" peut faire l'objet sont :
- (i) le juge d'instruction ;
- (ii) le juge de la liberté et de la détention et, le cas échéant ;
- (iii) la chambre de l'instruction.
Cantonner l'appréciation des conditions de détention à la seule administration pénitentiaire ainsi qu'à son juge de tutelle revient donc aujourd'hui à opérer une interprétation contra legem du Code de procédure pénale.
Surtout, dans l'espèce précitée du 13 août 1996, la cour d'appel de Paris était invitée par l'appelant à "porter une appréciation sur l'état de la maison d'arrêt" dans laquelle il était détenu (15).
Il semble, toutefois, que, compte tenu des injonctions faites à la maison d'arrêt de Fresnes, les autorités judiciaires n'ont plus à porter une quelconque "appréciation" sur les conditions de détention des détenus.
Elles n'ont donc plus qu'à tirer les conséquences légales des constats d'ores et déjà opérés par le tribunal administratif de Melun et par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Cette compétence des autorités judiciaires pour statuer sur la légalité de l'incarcération dès la détention provisoire est d'autant plus fondamentale que les principes posés par l'article préliminaire du Code de procédure pénale s'étendent, par construction, sur l'ensemble des dispositions du Code de procédure pénale et donc sur celles de l'article 144 (N° Lexbase : L9485IEZ) qui, selon la Cour de cassation, lie exclusivement la Chambre de l'instruction.
Il est donc nécessaire, aujourd'hui, d'ajouter aux sept critères posés par l'article 144 du Code de procédure pénale celui de l'absence d'atteinte à la dignité de la personne détenue, fût-ce provisoirement.
II -... cachez ces mots que je ne saurais voir
"Arrivé à Fresnes, je fus entassé pendant onze jours dans une cellule réservée normalement à un seul détenu. Là il y avait cinq autres hommes pas rasés et répugnants, tous couchés par terre sur des matelas dégueulasses [...] je me mis à haïr cette société à qui je reconnaissais le droit de punir mais pas celui de m'abaisser dans ma dignité d'homme" (16).
De par son seul positionnement au sein du Code de procédure pénale, l'article préliminaire a, depuis l'origine, vocation à irradier l'ensemble des dispositions subséquentes.
Au prix d'une formulation dépourvue du moindre équivoque, celui-ci dispose, depuis l'adoption de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, que "les mesures de contraintes dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l'objet [...] doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne".
L'article préliminaire fixe ainsi des "principes directeurs généraux" dans lesquels doivent nécessairement s'inscrire les garanties procédurales prévues par n'importe quel article du Code de procédure pénale.
A ce titre, la Cour de cassation a d'ores et déjà eu l'occasion d'appliquer certaines dispositions du Code de procédure pénale à l'aune de l'article préliminaire :
- s'agissant de l'article 154 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4962K8B) concernant les commissions rogatoires (17) ;
- s'agissant de l'article 197 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5025K8M) concernant l'audiencement de la chambre de l'instruction (18) ;
- ou encore s'agissant de l'article 40-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0951DYU) concernant les attributions du procureur de la République (19).
L'article 144 (N° Lexbase : L9485IEZ) ne fait, à ce titre, pas exception.
Il est donc nécessaire de l'examiner à la lumière des dispositions de l'article préliminaire, et notamment à l'aune de la garantie fondamentale qu'il comporte s'agissant de "l'atteinte à la dignité de la personne".
A ce titre, si l'article 144-1, alinéa 2, du Code de procédure pénale dispose que "le juge d'instruction ou s'il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire [...] dès lors que les conditions prévues à l'article 144 [...] ne sont plus réunies", il est toutefois "évident que n'importe quelle juridiction doit ordonner la mise en liberté de la personne dès lors que les conditions légales de son maintien ne sont pas réunies" (20).
C'est d'ailleurs précisément le rôle qu'a voulu conférer le législateur à l'article préliminaire.
En effet, selon M. Charles Jolibois, rédacteur du rapport parlementaire de la loi du 15 juin 2000 pour le Sénat, "cet article doit s'adresser au juge pour faciliter l'interprétation et l'application du Code de procédure pénale", de sorte que les "principes généraux" qu'il contient "[n'ont] pas seulement une valeur pédagogique, mais pourront être utilisés par les juridictions pour interpréter l'ensemble du Code de procédure pénale" (21).
Il en va de même des travaux parlementaires menés devant la Commission mixte paritaire réunie à l'occasion de l'examen du texte et au cours desquels "a [été] approuvé cette volonté pédagogique d'inscrire des grands principes dans le Code de procédure pénale [en] considérant qu'il faudrait en tirer les conséquences dans l'ensemble du texte" (22).
C'est donc bien pour que les dispositions du Code de procédure pénale soient lues conformément aux principes qu'il contient que le législateur a créé un article préliminaire.
On peine, en effet, à comprendre comment l'article préliminaire pourrait se voir refuser un rôle de phare dans l'océan normatif que constituent les 937 articles du Code de procédure pénale.
En cantonner les effets à certaines dispositions éparses dudit code reviendrait d'ailleurs à le vider purement et simplement de sa substance.
Et ce d'autant plus que son contenu fait cruellement écho à une jurisprudence européenne d'une bien triste actualité, qui porte en elle le "droit de tout détenu à des conditions conformes à la dignité humaine" c'est-à-dire le droit à ne pas être soumis "à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention" (23).
Force est toutefois de constater, dans ce catalogue de jurisprudence, qui constitue une véritable carte postale de l'Europe carcérale, la France fait office, depuis de trop nombreuses années, de très mauvais élève (24).
Dès lors, si "les causes d'une incarcération sont fondamentalement politiques", les causes d'une libération doivent l'être elles aussi (25).
Depuis la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 (N° Lexbase : L9584IPN), telle qu'actualisée par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (N° Lexbase : L4202K87), la garde à vue semble avoir cédé son statut de "résidu de barbarie" aux barreaux de nos prisons (26).
Si la mobilisation récente du barreau de Paris contre cette ignominie carcérale est tout aussi fondamentale qu'elle est porteuse d'espoir, on peine malheureusement à croire en un sursaut du corps judiciaire (27).
Il est peut-être temps alors, en cette année électorale qui s'annonce, que la loi libère ceux que (l'absence de) liberté opprime.
"Les types comme nous, qui travaillent dans les ranches, y a pas plus seul au monde. Ils ont pas de famille. Ils ont pas de chez-soi. Ils ont pas de futur devant eux" (28).
(1) Compte-rendu de la séance du 22 août 1789 de l'Assemblée constituante, qui vit naître de l'article IX de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen.
(2) TA Melun, 6 octobre 2016, n°1608163 (N° Lexbase : A0955R7I).
(3) Ibid, p. 5.
(4) Il s'agit d'une maladie infectieuse dont les réservoirs principaux sont les rongeurs qui, par leur urine, contamine le sol et les eaux (voir site : http://www.pasteur.fr/fr/institut-pasteur/presse/fiches-info/leptospirose).
(5) Hafid Aggoune, Les Avenirs, 2004.
(6) TA Melun, 6 octobre 2016, précité, p. 5.
(7) TA Melun, 6 octobre 2016, précité, p. 7.
(8) Journal officiel de la République française, 14 décembre 2016, "Recommandations en urgence relative à la maison d'arrêt de Fresnes".
(9) Ibid., p. 3.
(10) Ibid., p. 3.
(11) Farhad Khosrokhavar, Prisons de France, éd. Robert Laffont, p. 395 et 396.
(12) Cass. crim., 28 novembre 1996, n° 97-83.987 (N° Lexbase : A3897CKK).
(13) Revue Droit pénal, avril 1997, n° 54.
(14) C. pr. pén., art. préliminaire du Code de procédure pénale, alinéa 3 (N° Lexbase : L6580IXY).
(15) Cass. crim., 28 novembre 1996, n° 97-83.987, précité.
(16) J. Mesrine, L'instinct de mort, éd. Flammarion, p.166.
(17) Cass. crim., 2 février 2005, n° 04-86.805, F-P+F (N° Lexbase : A8831DG8).
(18) Cass. crim., 6 janvier 2004, n° 02-88.468 (N° Lexbase : A0521SYX).
(19) Cass. crim., 20 avril 2005, n° 04-82.427 (N° Lexbase : A0522SYY).
(20) Ch. Guery, Répertoire Dalloz "Détention provisoire", n° 192.
(21) Extraits du rapport parlementaire n° 283 fait au nom de la Commission des lois par M. Charles Jolibois concernant la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, instituant l'article préliminaire du Code de procédure pénale.
(22) Extrait du rapport parlementaire n° 349 (1999-2000) de M. Charles Jolibois, fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 mai 2000.
(23) CEDH, 26 octobre 2000, Req. 30210/96 (N° Lexbase : A7218AWA) ; CEDH, 15 juillet 2002, Req. 47095/99 (N° Lexbase : A0406SYP) ; CEDH 18 janvier 2005, Req. 41035/98, disponible en anglais ; CEDH 20 janvier 2005, Req. 63378/00, disponible en anglais ; CEDH, 5 avril 2005, Req. 54825/00, disponible en anglais ; CEDH, 7 avril 2005, Req. 53254/99, disponible en anglais ; CEDH 2 juin 2005, Req. 66460/01, disponible en anglais ; CEDH 16 juin 2005, Req. 62208/00, disponible en anglais ; CEDH, 15 septembre 2015, Req. 11353/06 (N° Lexbase : A9755NNM) ; CEDH 4 février 2003, Req. 52750/99, disponible en anglais ; CEDH 4 février 2003, Req. 50901/99 (N° Lexbase : A0407SYQ) ; CEDH, 20 janvier 2011, Req. 19606/08 (N° Lexbase : A0834GQX) - à ce titre, le temps passé en détention, fût-elle provisoire, est indifférent : CEDH, 4 octobre 2005, Req. 3456/05, disponible en anglais.
(24) Pour une revue récente des condamnations "carcérales" de la France : cf. tableau statistique inclus dans le rapport annuel 2012 de la CEDH ; et notamment : CEDH, 20 janvier 2011, Req. 19606/08 ([LXB=A0834GQ]) ; CEDH, 25 avril 2013, Req. 40119/09 (N° Lexbase : A5593KC7) : condamnation pour "traitement inhumain et dégradant" en raison de "l'effet cumulé de la promiscuité et [des] manquement relevés aux règles d'hygiène".
(25) Gabriel Mouesca, La Nuque Raide, éd. Zortziko, 2006.
(26) Jean-Yves Le Borgne, La garde à vue : un résidu de barbarie, éd. du Cherche Midi, 2011.
(27) Cf. article sur le site internet du Figaro.
(28) John Steinbeck, Des souris et des hommes, 1937.
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newsid:455962
Réf. : CE référé, 23 décembre 2016, n° 405791, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0519SYU)
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N6061BWE
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Le 10 Janvier 2017
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newsid:456061
Réf. : Ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016 (N° Lexbase : L9155LBP)
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N5931BWL
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Le 06 Janvier 2017
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newsid:455931
Réf. : Loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 (N° Lexbase : L9288LBM) et Cons. const., décision n° 2016-742 DC, du 22 décembre 2016 (N° Lexbase : A8630SXW)
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Le 05 Janvier 2017
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 28 décembre 2016, n° 385232, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3671SYM)
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Le 10 Janvier 2017
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