La lettre juridique n°678 du 1 décembre 2016

La lettre juridique - Édition n°678

Bancaire

[Brèves] Réforme du dispositif de gel des avoirs

Réf. : Ordonnance n° 2016-1575 du 24 novembre 2016, portant réforme du dispositif de gel des avoirs (N° Lexbase : L3154LBG)

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N5393BWN

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Le 01 Décembre 2016

Une ordonnance de réforme du dispositif de gel des avoirs a été publiée au Journal officiel du 25 novembre 2016 (ordonnance n° 2016-1575 du 24 novembre 2016, portant réforme du dispositif de gel des avoirs N° Lexbase : L3154LBG ; lire N° Lexbase : N5408BW9). Cette ordonnance, prise sur le fondement du 5° du I de l'article 118 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (N° Lexbase : L4202K87), renforce la cohérence et l'efficacité du dispositif national de gel des avoirs que ce soit dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme ou dans le cadre de la mise en oeuvre des mesures de gel des avoirs décidées par le Conseil de sécurité des Nations Unies ou le Conseil de l'Union européenne. Ce texte :
- étend le champ des avoirs susceptibles d'être gelés, notamment aux biens immobiliers et mobiliers ;
- rend automatique l'interdiction, pour les personnes assujetties, de mettre à disposition des fonds et des ressources économiques au profit des personnes qui font l'objet d'une mesure de gel ;
- élargit les catégories de personnes assujetties au respect de ces mesures d'interdiction pour permettre le gel de certains versements de prestations en provenance d'organismes publics ;
- précise les modalités de déblocage partiel des avoirs gelés afin de prendre en compte la nécessité, pour la personne faisant l'objet de la mesure, de couvrir les frais du foyer familial et d'assurer la conservation de son patrimoine.
Ce dispositif rénové sera effectif à une date prévue par le décret d'application précisant ces nouvelles dispositions, et au plus tard le 1er juillet 2017.

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Bancaire

[Doctrine] Des idées juridiques à la rencontre du droit bancaire... et financier

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N5402BWY

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par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque de l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire"

Le 01 Décembre 2016

1. Les idées ne sont pas les réalités les mieux connues dans la pensée juridique. Du moins ne sont-elles pas les plus étudiées ; peut-être est-ce parce que l'idée livrée par un auteur peut aller à l'encontre du droit positif -notamment le droit écrit-. L'idée a un gène subversif contredisant l'ordre et le légitimisme que postule le Droit (le droit objectif) (1). Ainsi, on peut penser que l'idée importe moins en droit que dans d'autres disciplines où sa seule pertinence établit une vérité scientifique de la réalité sensible, un point du savoir. En science juridique, le droit est un instrument de pouvoir et, ce qui domine, c'est le droit tel que le pouvoir l'a édicté : la règle positive, celle en vigueur, celle voulue par l'autorité. Cette réalité et le respect du directum (droit en latin) n'a jamais commandé d'évincer toute idée pour ne laisser place qu'à la docilité. Le parlementaire, l'administrateur, le juge et tant d'autres ont besoin d'une latitude toute humaniste pour assurer leurs missions.
2. L'idée juridique est encore mal connue (2) car trouvailles et découvertes juridiques sont peu mises en valeur (3). La méthode générale de l'analyse juridique oblige à la reprise du droit écrit qui, finalement, laisse peu de place à l'idée juridique. Cela masque les idées elles-mêmes mais encore leur genre. On méconnaît la nature, le type, les fonctions et la structure des idées juridiques. En résulte-t-il une carence dans la méthode juridique ? Le point névralgique tient à la question de l'idée juridique nouvelle (malgré l'intérêt de l'étude des idées anciennes, qu'elles forment ou non le droit positif). L'idée "nouvelle" est celle en cause car elle suscite une façon de penser ayant vocation à modifier le sens du droit positif ou de la science juridique (les idées anciennes y parviennent certes parfois). Il est alors utile de préciser qu'une position n'est pas une idée : tout le monde peut avoir une position en s'attachant aux idées en cours. La proposition ou les propositions (méthode parfois pratiquée en fin de thèse) ne sont pas non plus nécessairement des idées juridiques car elles peuvent résulter de l'enchaînement méthodique de positions, sans le soupçon d'inventivité et de créativité utiles.

3. Après ces mots, l'idée juridique reste à expliciter (I) pour discuter quelques idées de droit bancaire et financier (4), et les annoter. On traitera ainsi l'idée juridique dans le secteur bancaire qui fourmille de nouvelles technologies stimulantes (II). Le terrain étant préparé, on examinera l'idée -ni trop générale ni trop spéciale- qu'il existe des principes (fondamentaux) du droit bancaire (III). L'idée, stimulante, se heurte au problème du domaine de ces principes puisqu'il existe désormais un droit bancaire et financier qui peut susciter ses propres principes (IV). Le principe même de cette nouvelle matière peut être renforcé, des exemples techniques et précis le confirmant, par l'idée selon laquelle le droit bancaire et financier existe par la monnaie (V). Nettement unifiée en un code, ce nouveau droit est néanmoins divisé en services donnant le droit applicable à une opération (VI).

I - L'idée juridique

4. Dans le jeu du droit, l'idée juridique apparaît comme une technique de second plan, peut-être parce que la majorité des juristes la conçoit ainsi ; le droit (au sens de science juridique) est une science sociale où les opinions dominantes fabriquent quotidiennement la réalité de la matière juridique (les litiges, les actes qui consignent la parole donnée, les actes unilatéraux). La pratique du pouvoir du droit en occulte les idées. Ainsi, le besoin pratique de compréhension du droit positif, pour rédiger les actes, trancher les litiges et administrer, masque l'idée. D'où l'opposition renouvelée (et néanmoins éculée) de la théorie (qui se veut peu ou prou monde des idées) et de la pratique (qui se veut monde des applications). Les idées sont ainsi cultivées discrètement.

5. Christian Atias, qui met la question en lumière (5), s'interroge pour incorporer l'idée aux théories juridiques qui, elles, prospèrent. Atias a confirmé sa démarche plus tard, fondant l'idée juridique dans les théories juridiques (6). Au préalable, il serait de bonne méthode de savoir de quoi on parle, car les théories ne sont que des combinaisons d'idées juridiques. L'idée juridique nous échappe. Mais elle se remarque parfois quand la haute administration l'offre au personnel politique qui la brandit dans les médias. L'idée devient droit (putatif), proposition politique. Elle change alors de champ disciplinaire pour, au moins en partie, tomber dans la science politique. Quand, plus avant, une idée est consacrée par la loi, son règne commence et s'achève presque dans ce même instant : l'idée n'est plus que loi. Il suffit alors d'étudier la loi pour saisir l'idée. Peut-on le croire ?

6. Les idées fleurissent singulièrement, notamment après usage vain des techniques d'interprétation, quand la règle positive ne fournit pas nettement la solution à la question posée. L'idée, alors, se place au coeur de la pratique et l'aide soit à sortir de l'ornière, soit à trouver les arguments pour demander une réforme législative, la pratique pouvant solliciter les auteurs pour connaître leurs analyses et même les diffuser. Mais cette approche est encore réductrice ou pessimiste.

7. On peut soutenir, optimiste, que toutes les circonstances d'analyse du/de droit suscitent toutes les idées possibles et inimaginables. Cette vérité perd de sa portée car il faut constater que les idées se rangent en diverses catégories. Celle qui attire tout auteur est ce que l'on pourrait appeler l'idée pure qui apporte un nouveau concept ou mécanisme, strictement juridique, qui, pour provenir de concepts ou mécanisme déjà juridiques, en sont nettement distincts tout en devenant un peu inévitable. L'idée juridique dont nous essayons de parler a vocation à s'imposer à l'esprit, quand d'autres idées initient seulement un argument à faire valoir ou non selon la situation, sans susciter une réalité générale de l'ordre juridique.

8. L'idée peut pourtant surgir à tout instant, comme dans toutes les sciences ou les opérations de l'esprit. L'idée juridique peut jaillir de toute activité professionnelle mais, confidentielle, cette idée devra être appareillée (détaillée en une forme rigoureuse) pour être soulignée et signalée. On ne peut donc pas retenir que les idées juridiques siègent dans l'activité doctrinale usuelle des universitaires ou autres qui écrivent selon les mêmes méthodes. En effet, même en doctrine (comme l'on dit), l'idée juridique reste dans un état diffus : elle n'est pas un thème, une technique, un caractère... un élément courant du savoir juridique.

9. Qu'est-ce qu'une idée juridique nouvelle ? Quand l'idée est-elle originale ? Sans doute la question a-t-elle des aspects usuels et maîtrisés. On peut objecter qu'il y a des idées à toute page de doctrine et que ce débat est proche de la naïveté que prête Molière à Monsieur Jourdain. Mais cela renforce aussi l'observation de la carence. Si les idées sont si fréquentes, comment se fait-il qu'il n'y ait pas une méthodologie des idées : comment les trouver, les caractériser, les valider, les exploiter voire y renoncer ? Autant de questions qui pourraient occuper les pages supérieures des manuels consacrés à l'introduction au droit, à la méthodologie ou à l'épistémologie juridique.

10. L'idée juridique peut conforter ou inverser une solution de droit positif ou, encore, en donner une purement nouvelle (déplacer le problème). Mutatis mutandis, l'idée peut produire le même effet sur la science juridique et modifier la méthode classique en l'admettant comme un élément du raisonnement -de la méthode-. Outre la méthode, la finalité de l'idée juridique est d'affecter l'un des éléments de la discussion juridique, notion générale ou précise, mécanisme général ou précis. L'ambition que l'on peut prêter à une idée a, peut-on penser, diverses fonctions : l'idée juridique peut apporter, adapter ou supprimer un élément de la discussion afin de modifier l'application de la règle de droit. Cet élément peut tenir à diverses facettes de la règle : aux conditions de la constitution de la situation juridique, de son exécution ou de sa sanction. Mais l'idée juridique concerne aussi et d'abord la matière même étudiée (la part du droit que l'on observe), la conception que l'on en a, soit... l'idée que l'on peut s'en faire ! Tel est le cas pour le droit bancaire (7). Mais avant d'engager ce point il faut voir l'idée dans le contexte financier.

II - L'idée juridique dans le contexte financier

11. Ce thème de l'idée interroge fortement en droit bancaire et financier. Depuis trente ans, ce qui est autant d'avance, le secteur bancaire et financier s'est singularisé pour être appelé "la finance" (8). Avant l'heure, le secteur a inventé une économie informatique, désormais presque entièrement numérique. La finance a inventé la dématérialisation des choses et des opérations.

Les idées portant les innovations technologiques ont transfiguré le secteur et fini par figurer dans la loi. L'idée même de dématérialisation, inventée du fait des progrès de l'informatique, est devenue une idée juridique puis commune à tous. L'exemple dit de "la dématérialisation des titres" a, de fait, et de droit, conduit à un instaurer en 1983 un véritable principe de dématérialisation des valeurs mobilières (les titres financiers) (9). Cela a affecté à la fois le droit bancaire et le droit financier (boursier).

L'idée a été portée par l'administration, les auteurs (notamment le célèbre commercialiste René Roblot) et légalement consacrée -d'abord dans la loi fiscale-. Voilà une idée, informatique et industrielle, devenue idée juridique puis règle légale voire principe juridique. Les idées des nouvelles matières bouleversent le droit et les idées acquises, le droit s'adapte dit-on. La dématérialisation galopante de ces dernières années montre que des secteurs ont invoqué et appliqué cette idée concrète de la dématérialisation. Voilà soulignée la problématique de l'origine des idées et la question (non réellement posée) du transfert d'une idée en droit.

12. Ce genre de dispositions, très innovantes, a été souvent consacré (par la pratique et la loi), puis codifié au Code monétaire et financier (10). Ainsi, peut-être mieux qu'ailleurs, on remarque dans ce code la vivacité, la profondeur et l'ampleur des changements. Ils suggèrent et finalement imposent des idées nouvelles qui sont autant de réalités générales, de techniques juridiques diverses (mécanismes, notions, choses, actes juridiques). Voilà un droit devenu un droit truffé d'idées non-juridiques ; certes, par le fait même de la loi, ces idées sont devenues juridiques, mais sans l'analyse les insérant harmonieusement (du moins pour l'esprit) dans l'ordre juridique. Alors que le droit des marchés financiers a été très étudié, le fait que le marché soit défini comme un système n'a pas été souligné (11), ce qui indique que les idées les plus nouvelles et flagrantes peuvent échapper aux observateurs (même l'idée légalement consacrée).

13. Ce domaine choque ainsi l'esprit par ces nouveautés. Chacune emporte, on le devine, de proposer nombre d'idées pour faire fonctionner les nombreuses opérations utiles à ce monde de l'argent, des créances et des titres. Au fil des situations nouvelles, toute analyse de droit bancaire peut être marquée par le besoin de savoir ce qu'est une idée. Ce mouvement technologique, qui guide l'évolution de l'économie et de la société, se conjugue à "l'explosion du droit" : la fameuse inflation législative. Le droit positif s'est transformé en un droit fugitif (12). Le droit bancaire témoigne de l'accélération du droit qui correspond à celle de la vie et de l'Histoire. Le tout forge un paradoxe : plus les idées se multiplient moins on a moins le temps d'y réfléchir s'agissant d'un droit fugitif ou éphémère.

Au plan national, régional (européen) ou international, le mouvement tient au fait que l'innovation technologique initiée par les entreprises donne le rythme de la vie sociale. Les Etats sont incapables d'assumer des transitions plus harmonieuses ou lentes. Pour dépasser le droit étatique, il suffit d'aller plus vite que lui !

La finance a ainsi pu imposer la mondialisation financière sans affronter la moindre norme... ou la moindre prohibition de technologies et techniques juridiques malfaisantes (13). C'est frappant : internet et surtout le web ont commencé sans droit, les monnaies électroniques commencent sans droit (14).

14. Toutefois, à Paris, à Bruxelles ou dans d'autres capitales, les administrateurs rédigent sans cesse de nouvelles lois. Ils recueillent alors la problématique de l'idée juridique dans sa gangue technologique et économique (15). Depuis cinquante ans, le secteur bancaire et financier précède la mutation technologique de la société informatique et numérique (16). La banque et ensuite l'ensemble de la finance sont devenus une industrie, notamment informatique. Ainsi, les idées nouvelles révolutionnaires ont été régulières et de tous ordres. Ainsi est né le droit bancaire et financier (l'Union bancaire européenne en dernier lieu, en droit européen). Le mouvement des idées juridiques est plus lent que celui de la technologie qui subitement offre des services à tous (17). Mais il s'accélère pour suivre ce mouvement des NTIC. Cet ensemble juridique, titanesque, est pour l'essentiel un magma de textes et d'institutions.

15. Les tentatives de réaction pour donner un sens à ce droit nouveau sont rares. Mais on remarque le droit de la régulation que Marie-Anne Frison Roche a porté en France et au-delà. La dernière version en est le droit de l'interrégulation consacré -c'était inévitable- aux données d'internet et au big data (18). En dernier lieu, elle propose de le compléter d'un intéressant droit de la compliance (19). Ce dernier ne saurait toutefois pas avoir la portée du premier dont il n'est à notre sens qu'une facette ou un démembrement visant à sérier les applications pratiques car, en droit et en fait, il change la façon de faire du droit. On peut aussi avoir l'idée, tant la loi regorge d'innovations, de rénover la matière par un classicisme de bon aloi qui, à l'inverse, ignore le cadre et la problématique de la régulation.

III - La question des principes du droit bancaire

16. Le droit bancaire est désormais assez ancien : il date du début des années soixante-dix. A cette époque, et même après la loi bancaire du 24 janvier 1984 (loi n° 84-46 N° Lexbase : L7223AGM), la colonne vertébrale de la matière était constituée des catégories d'établissements autorisés à pratiquer les opérations de banque. Les opérations, quoique distinguées, subissaient fortement l'idée que le droit bancaire existe par les établissements agréés. En retour, leur capacité bancaire se concevait très largement. Dans ce contexte, même si l'on peut discuter l'assertion, une tendance à chercher, deviner ou consacrer des principes du (seul) droit bancaire se comprenait. Cependant, dès les années 1990 le bancaire a été mélangé à ce que l'on appelait le droit boursier et ensuite le droit financier. Au fil des ans puis des décennies, la porosité des deux champs a rendu illusoire l'identité du droit bancaire et, corrélativement aujourd'hui, l'identification de principes de droit bancaire. Aucune oeuvre majeure sur les principes du droit bancaire ne semble du reste exister. On ne croit donc pas à la possibilité d'envisager avec profit une recherche des principes ou principes fondamentaux du droit bancaire (20) sans avoir préalablement défini le champ que constitue la matière.

17. L'exemple du principe de non-immixtion du banquier concrétise le propos. On a antérieurement signalé que, ce que nombre d'auteurs appellent l'obligation de vigilance est généralement évoquée pour signaler un arrêt de cassation qui en refuse l'idée (la formule n'est pas réellement consacrée), l'application et a fortiori le principe (21).

Voilà donc un principe du droit bancaire illusoire : la prétendue "obligation de vigilance" est en réalité une obligation de détecter les anomalies apparentes, c'est-à-dire une obligation de lire les documents que le professionnel manie et d'aviser en cas d'anomalie. Elle peut ressembler à celle imposée à tout professionnel qui a quelques responsabilités et mission délicate. La Cour de cassation ne consacre pas l'obligation de vigilance dans un arrêt de principe ou ne la systématise pas : ce serait faire un paquet pour l'évidence.

En revanche, il existe une obligation de vigilance administrative (au profit de l'administration, de TRACFIN) essentielle dans le droit de la lutte anti-blanchiment (la LAB), ce qui altère le principe de non-immixtion, plus précisément ce qui renie l'ancien et simple principe contractuel de non-immixtion (v. infra, numéros suivants) ; la loi a encore renforcé cette obligation en créant une sorte d'obligation de vigilance personnelle ou spéciale (22). Pour cette obligation à l'égard de l'administration, la Cour de cassation n'hésite pas, cette fois et à raison, à l'appeler "obligation de vigilance" (23), à la différence de l'autre qui est plus mise en avant par la doctrine que par le juge.

18. L'idée (au sens de position) pouvait hier se défendre qu'il faillait parer la règle de non-immixtion de la qualité d'un principe, voire d'un principe fondamental. La Cour de cassation évoque plus sobrement une (simple) obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires du client (24). Sans doute parce que la systématisation d'un principe jouerait pour le juge comme une prison. Au fond, pour en discuter, on résumera la règle traditionnelle en disant que le banquier, sans se désintéresser de son client, n'a pas à chercher le pourquoi et le comment des opérations que le client accomplit par son intermédiaire. Le client a la libre disponibilité de ses actifs, tout refus d'opérer du banquier au motif d'un contrôle inopiné serait une immixtion dans les affaires du client. Le banquier n'est ni un surveillant général ou directeur de conscience, ni un conseil omniscient devant objecter les points d'une opération qui peuvent interroger un professionnel (personne avisée ou très avisée). Le compte est le terreau de la règle, plus marginalement le crédit.

19. Ce principe n'est qu'une règle. Au plan théorique et fondamental, le droit de la lutte anti-blanchiment (dite LAB), aussi devenu un droit pour la lutte contre le terrorisme et la fraude fiscale, a changé la situation. Le banquier est devenu un surveillant général de ce que le client fait, de pourquoi et comment il le fait. Cela influence parfois la relation conventionnelle, sa formation ou son exécution (exigence de pièces). Mais le client peut le voir ou pas, le comprendre ou non, peu importe. La LAB change les choses. L'entrée en relation ne se fait qu'après que le professionnel ait inspecté les projets du client et, en vérité, l'exécution de toute opération passe par un canevas de contrôles (procédures) qui ruinent le prétendu principe de non-immixtion. Le professionnel doit faire de nombreuses investigations valant immixtion dans les affaires du client. La loi impose l'immixtion. Le pan législatif relativement nouveau de la LAB, résumée ici, donne au Code monétaire et financier un pilier législatif qui empêche de parler de principe de non-immixtion (25).

20. A elle seule, l'obligation de vigilance administrative qui oblige le banquier à un devoir de surveillance, pour satisfaire TRACFIN voire le ministère public, impose incidemment de se poser la question du domaine et de la réalité de la matière. En effet, ce principe de vigilance (administrative) intéresse toutes les opérations à caractère financier, toutes les opérations du Code monétaire et financier, lequel dépasse largement ce que l'on appelle traditionnellement le "droit bancaire" (dont notamment le droit des services d'investissement, le droit de l'investissement international, le droit des marchés). En vérité, on ne peut pas renouveler la matière par des principes de droit bancaire parce que, remplacé par le droit bancaire et financier, il prive cette thèse de méthode et, au fond, de substance propre du seul fait du redimensionnement de la matière.

IV - L'avènement d'un droit bancaire et financier et de ses principes

21. Le point précédent sur la LAB confirme l'émergence du droit bancaire et financier et d'un principe d'immixtion : il intéresse toutes les opérations de banque comme les autres (opérations boursières ou d'investissement). Le banquier doit connaître son client pour assurer un contrôle de la finance. La LAB impose celui des opérations de dépôts et de crédits, des investissements (services d'investissement), des services de paiement et de tous autres services financiers. Ces contrôles légaux obligent le professionnel à s'immiscer dans les affaires des clients. La LAB impose au professionnel, d'une part, une certaine pratique contractuelle (il demandera nombre de documents justificatifs et posera des questions pour comprendre les opérations envisagées) et, d'autre part, une pratique institutionnelle (constituer un service de conformité, instituer des procédures internes, dénoncer diverses situations aux autorités, notamment à TRACFIN, le cas échéant au parquet). L'analyse des documents vaut immixtion puisque le professionnel vérifie que l'opération a un sens et, s'il ne la comprend pas, il doit se la faire expliquer.

22. L'appellation "droit bancaire et financier" est utile car elle traduit une évolution et surtout un résultat. La matière qui est raisonnablement à étudier, pour saisir le monde juridique et financier actuel, est plus large que le droit bancaire de naguère. Cette halte sur l'avènement d'un droit rénové est une idée juridique générale mais typique : elle repose, en effet, sur le concept de matière juridique, systématiquement utilisée pour les récentes codifications ou, depuis plus longtemps, pour la spécialisation des juridictions ; en méthode, elle repose sur l'observation des lois du Code monétaire et financier mais également sur les faits sociaux et économiques. L'idée nouvelle exprime le besoin actuel de comprendre la finance. Le juriste note que le seul droit bancaire d'hier ne le permet pas : il n'incorpore pas divers services actuels. Le Code monétaire et financier, le droit positif, dresse ainsi la perspective de principes pour la règle écrite valant pour l'ensemble du code.

23. La nouvelle matière du droit bancaire et financier ouvre la voie à la démonstration de l'existence de principes du droit bancaire et financier. La matière peut exister sans principes, elle n'en dépend pas. On voit comment une idée change la perspective de la recherche, les questions et donc les réponses. On craint de gâcher une si belle perspective par des exemples qui ne seraient pas les meilleurs ; il faut cependant s'y risquer, pesant ainsi le poids des idées juridiques générales. Remettons le propos en perspective.

24. Voilà en tout cas l'idée de principes relancée. On est passé d'une idée très générale (une matière) à une de portée intermédiaire : rechercher des principes (26). Si le droit bancaire et financier est doté de principes, il faut les trouver, notamment par un recensement qui dépasse le présent travail. En revanche, le critère de la recherche consiste dans l'exigence de règles du Code monétaire et financier qui s'appliquent vraiment à toutes les professions ou opérations.

25. Dans cette ligne, il nous semble qu'on peut parler d'un principe de probité des dirigeants des entreprises à caractère financier (27) ou du principe du secret professionnel dans l'exercice des activités financières (28). Ni neuves, ni nouvelles, ces deux règles ont chacune été adaptée au point d'en faire des principes, notamment en élargissant leur domaine quant aux opérations ou aux personnes physiques potentiellement intéressées (les dirigeants sociaux dans le premier cas, ces mêmes dirigeants et tout salarié dans le second cas).

Désormais, tout dirigeant social doit présenter un relevé de casier judiciaire vierge de très nombreuses infractions (on ne les détaille pas, v. C. mon. fin., art. L. 500-1, II N° Lexbase : L0224LBW). On peut parler d'un principe de probité. Initialement applicable aux dirigeants des établissements de crédit, la disposition a été étendue à chaque fois qu'un type d'établissement a été créé, même s'il avait une activité moins cruciale que celle des banques qui composent le système monétaire.

Désormais, toutes les personnes physiques ayant à connaître la situation bancaire et financière d'une personne, au titre de ses activités professionnelles, sont tenues au secret professionnel. Par souci de pédagogie et de synthèse, on peut parler du principe du secret professionnel. On remarque à l'inverse que ce principe du secret professionnel est limité par une obligation de transparence au profit de multiples autorités légitimes (autorités judiciaires, administrations fiscale et douanière, autorités monétaire ...).

V - L'idée d'un rôle structurel de la monnaie

26. Rôle structurel, fondamental, premier... entendu, nous ne purgeons pas la question de la meilleure terminologie. La matière s'impose par sa masse, un code substantiel relatif aux opérations et activités financières. Ce droit bancaire et financier qui s'impose au premier regard du code peut interroger quand on le scrute. On en voudra pour preuve que si la finance semble s'opposer à l'économie réelle, la première étant souvent diabolique, l'autre non, on cherche en vain l'analyse ou l'idée expliquant leur différence de substance et, ainsi, permettre de séparer clairement l'une de l'autre. Alors que la question est dans tous les esprits, les juristes semblent l'ignorer (29). Cette question aux enjeux pratiques (compétence de l'arbitre) revient à creuser la spécificité de la matière : sur quelle idée le droit bancaire et financier se fonde-t-il ?

27. Après d'autres, mais fermement, on estime que la matière se fonde assez largement sur le "phénomène monétaire". L'expression vise les diverses circonstances faisant surgir les monnaies. L'uniformisation de ce phénomène laisse à la monnaie son potentiel de diversité et son intérêt (pratique et théorique) ; à tout moment une nouvelle forme de monnaie peut surgir, le cas échéant sans Etat ou organisme public, l'histoire l'apprend ; l'actualité tend à le confirmer : les blockchains permettent de voir apparaître des monnaies électroniques atypiques qui semblent violer le pouvoir monétaire des banques centrales. Mais, dans notre propos, le fait majeur et pertinent tient à ce que la plupart des pays ont une monnaie dont tout le monde connaît les caractéristiques et le fonctionnement.

28. Réfléchir à la monnaie dans un sens global rappelle que le droit bancaire se fonde et organise le système monétaire, lequel existe et fonctionne sur les banques (le système bancaire). A son sommet, une banque centrale incarne la confusion des deux systèmes puisqu'elle autorise/surveille les banques et qu'elle crée la monnaie. Jamais oubliée, car omniprésente, la monnaie s'envisage sous divers angles juridiques (droit des biens, échanges internationaux). On peut y voir un moyen d'Etat, une "monnaie-norme" (30). On peut y voir un objet servant au paiement (31). Entre divers discours, de droit public, de droit privé, un angle d'analyse plus spécialisé est possible. On n'y voit guère le produit d'une banque centrale travaillant avec des banques (dites commerciales) dont les comptes de dépôt, l'essentiel de la monnaie, sont une partie de la comptabilité de l'établissement. A l'autre bout, la banque centrale les finance ce qui les amène à créditer leurs comptes, encore de la comptabilité. Voilà pourquoi les opérations de banque sont réservées aux établissements de crédit : leur comptabilité est déjà de la monnaie (les saisies en attestent). Les banques sont donc incorporées au système monétaire parce que la monnaie leur est consubstantielle, le droit bancaire dérive et procède de la monnaie.

29. Voilà l'idée. Instrument primordial, d'intérêt général et quotidien, la monnaie justifie un système monétaire assurant sa pérennité. Ce système monétaire est fait de micro-considérations (consécration d'une unité théorique, validation du système décimal, choix d'un nom, choix de représentations physiques par des pièces et billets). Ce système est encore fait de macro-considérations : institution d'une banque centrale ou d'autorités adjointes qui autorisent les établissements (agrément, licence) à faire de façon professionnelle les opérations sur monnaie (dépôts/retraits ; tenues de comptes et opérations de paiement ; crédits) ; ces derniers mots signent la matière. Le droit bancaire a pour racine la monnaie. Les conséquences économiques sont nombreuses et considérables (32). Mais la principale est que la monnaie institue la liquidité absolue et parfaite : elle permet de tout acheter ou réparer, y compris des devises à raison du marché des changes (qui nous touche avec un cambiste au coin de la rue). Les opérations de marchés sont encore des opérations de crédit ou de financement et, bien que "bancairement désintermédiées", elles se rattachent encore à la monnaie (le droit des sociétés ne désignant lui qu'un opérateur du marché). Par extension, c'est le droit bancaire et financier qui a pour racine la monnaie.

30. Voilà en tout cas une idée précisée : trouver le fondement d'une matière juridique. Cela décevra les positivistes et nombre de praticiens estimant qu'une matière et son code existent parce qu'ils existent, un point c'est tout. Pourtant, l'idée d'un fondement théorique invite, dans tout problème de droit où est en cause la monnaie, la liquidité, à considérer le système dans son entier.

31. On prend en exemple une affaire, positive et technique, de titre exécutoire pour une dette libellée en devises. Elle a conduit de ce chef à une cassation (33). Le juge du fond avait considéré que le titre exécutoire (fondant une saisie) devait être annulé parce que la créance de la banque était en francs suisses ce qui renvoyait à une créance qui n'est pas liquide. La Cour de cassation juge l'inverse en visant les dispositions du Code des procédures civiles d'exécution relatives aux titres exécutoires constatant une créance liquide en indiquant que la conversion devait être faite au jour du commandement de payer (C. proc. civ. exé., art. L. 111-5 N° Lexbase : L5793IRY et art. L. 111-6 N° Lexbase : L5794IRZ). Ni le Code civil, ni le Code monétaire et financier ne réglemente la monnaie en détail et encore moins la conversion. La solution trouve cependant un solide fondement dans le système bancaire et monétaire. En effet, les autorités monétaires (la BCE et les banques centrales) ont pour mission légale de publier le cours des devises tel qu'il résulte du marché des changes. Le système financier a donc légalement vocation à favoriser les conversions monétaires. Le montant en monnaie étrangère est donc bien déterminable, comme le motive le juge du droit, par une simple conversion. Le titre exécutoire comportait donc bel et bien une créance liquide ; le droit bancaire et financier le dit mieux que la définition des titres exécutoires en disant la source, le cadre et le procédé de la conversion monétaire.

32. L'automaticité de la solution donne à réfléchir, en retour, sur le système monétaire, bancaire et financier (c'est ainsi qu'il faudrait l'appeler). Cet exemple minuscule est néanmoins d'une grande envergure. Il rappelle la raison d'être de ce système : la monnaie. L'objet principal du système est de fournir une monnaie, si possible stable (au plan interne et externe). La monnaie n'est pas un élément du système, comme une banque centrale (une autre institution peut faire l'affaire), les obligations (d'autres actifs existent), un marché (tant et tant existent...). Non, la monnaie est la finalité du système qui, avec elle, donne la liquidité tellement indispensable dans les conventions (prix, loyer, commissions, intérêts, honoraires...) et les réparations.

33. A la source de la matière et d'un code, la monnaie procède en droit de l'institut d'émission (émission de la monnaie par la banque centrale). Par-delà le Code monétaire et financier, les normes européennes ne permettant pas d'autres types d'instruments monétaires. La conséquence sur l'analyse du bitcoin et autres blockchains de ce type est claire et radicale : il est interdit de créer, d'une façon ou d'une autre, une monnaie autre que l'euro. ces initiatives portent atteinte à l'ordre public monétaire et financier (34).

34. On peut considérer la question outre le droit (question de légitimité politique, sociologique, économique...). L'idée de régulation peut tempérer la solution. C'est un véritable pouvoir de régulation dont sont aujourd'hui investies les banques centrales et leurs organes attenants du Système bancaire de banques centrales (SEBC). Ainsi, si le bitcoin et autres expériences ne sont pas systématiquement poursuivies, c'est parce que les autorités monétaires observent ce qui se passe au plan technologique et économique. L'intérêt général passe par l'expérimentation qui ravit les opérationnels mais aussi les économistes de la recherche (35). Cette pratique posera des problèmes ; si les opérateurs de blockchains à caractère monétaire ne sont pas poursuivis au pénal, les opérateurs pourront dénier la valeur de leurs paiements en invoquant que les inscriptions du registre ne sont pas de la monnaie, des unités monétaires. Retour à la case départ : le juge appliquera, le cas échéant, le Code civil pour annuler les opérations passées en une monnaie qui n'en est pas une, soit parce qu'il y verra un objet illicite ou une erreur sur l'objet ou une atteinte à l'ordre public économique.

VI - L'idée d'un droit des services

35. Cette idée a été présentée à propos d'arrêts de principe relatifs aux crédits immobiliers dans une chronique technique (36). La logique du droit européen marie idéalement des idées générales à des applications techniques des relations conventionnelles d'argent.

36. L'idée, tirée d'une observation patiente, consiste à relever que le droit européen établit des blocs législatifs instituant des services. Les Directives ou Règlements n'ont pas alors pour objet premier de réglementer des contrats ou conventions. Ces textes (37) instaurent des services, peu important (presque) les conventions permettant de les rendre. Ainsi, les opérateurs exerceront ces activités avec les contrats et dans le cadre de responsabilité du droit national. Cela est en harmonie avec la première finalité du droit européen qui est d'instituer un marché unique (donc en pratique des marchés uniques par service ou groupe de services interdépendant au plan économique...). L'objectif des dispositions européennes -qui se retrouvent en droit interne- est d'instaurer des marchés, des secteurs d'activités -des services-.

37. L'exemple précité tient à un délai de prescription biennal (C. consom., art. L. 137-2, anc. N° Lexbase : L7231IA3, art. L. 218-2, nouv. N° Lexbase : L1585K7T) dont on s'est demandé s'il s'appliquait à un crédit immobilier consenti à un consommateur. Cela revenait à s'interroger sur le point de savoir si un crédit était un service (de consommation) au sens du Code de la consommation. Or ce dernier est influencé par le droit européen. La question s'est posée à la faveur d'une tradition législative qui distingue les opérations consuméristes classiques des services bancaires et financiers (c'est généralement pertinent), et, aussi, à raison de l'absence d'une prescription spéciale s'agissant de ces crédits. L'idée que les crédits sont des services n'était soulignée ni en doctrine, ni en pratique. Les crédits étant des opérations de banque (notion forte de ses composantes : dépôts, crédits, techniques de paiement), on a pu dédaigner d'écrire que ces opérations ne visaient elles-mêmes que des services... Il a donc fallu que la Cour de cassation (38) statue pour juger que les crédits sont des services et, de surcroît, tout en le répétant, détailler le jeu de cette prescription que l'interrogation préalable avait troublé (39). Voilà comment une idée simple (les crédits sont des services) peut troubler l'analyse d'une notion majeure résultant d'une idée (législative), en rupture avec le discours habituel. Mais il est vrai que la Cour de cassation n'a pas, elle, hésité.

38. Toujours est-il que voilà soulignée une matrice de la législation européenne, la notion de services (services d'investissement, services de paiement, services de crédit, services de monnaie électronique...). Les services sont une activité économique qui peut être exercée au moyen de divers actes juridiques, de divers contrats ou conventions, lesquels sont soumis à des règles de principes (harmonisation du droit des Etats membres). Ainsi, l'idée nouvelle conduit à juger que, pour refuser une protection, un service de change n'est pas un service d'investissement (40) ; cette dernière catégorie de services demeure sans doute légèrement ouverte, mais le change n'y figure pas et n'a jamais eu vocation à s'y appliquer (on pourrait discuter cette option, mais c'est un débat un peu autre, quoique le juge (national ou européen) puisse faire des "coups de droit").

39. La situation est parfois encore plus complexe, comme en atteste le cas, remarquable et courant, de la mise en garde qui, dans une même opération, peut exister pour plusieurs actes et régimes, à savoir un crédit, un investissement et/ou une assurance. La conséquence pratique est que le client peut, voire doit, le cas échéant, se plaindre de la violation de trois obligations de mise en garde... L'idée devient très vite pratique ! En effet, le découpage du droit bancaire et financier présente un vif intérêt quand les services rendus au client sont conjoints (opération financière globale), ce qui impose néanmoins d'appliquer des blocs de règles distincts selon la question posée. Tel est le cas lorsqu'un crédit finance ou doit financer (service de crédit) des investissements (services d'investissement) (41).

40. La nouvelle matière n'autorise donc pas, au contentieux comme pour le conseil, à ignorer les services qui la découpent, le juge européen pouvant à l'occasion lui-même le rappeler. Très pratiquement, dans certaines opérations, le professionnel peut avoir à formaliser diverses mises en garde au client dont la différence d'objet (divers services) justifie de les faire de façon séparées (une pour un risque de crédit excessif, une pour une impossibilité de s'assurer appelant la consultation d'autres assureurs, une pour des placements risqués). Sans doute, une seule lettre pourrait suffire, mais faudrait-il qu'elle comporte clairement trois paragraphes pour exécuter la mise en garde relative à chaque acte juridique (et donc service) en cause.

41. Conclusion. La consécration du droit bancaire et financier par un code substantiel et logique permet d'en voir les suites théoriques et pratiques (principe de probité, principe d'immixtion, principe de dématérialisation, rôle de la monnaie, des services...). Ce panorama aurait pu être décuplé au moyen d'autres idées (personnalité financière de la personne morale, stabilité financière, systèmes électroniques valant marché, droit d'usage sur la monnaie déposée en compte bancaire, idée de taux abusif des taux toxiques, l'idée du pouvoir de régulation). La nécessité de travailler sur l'idée juridique, en manque de consécration, a permis de couper court. On a vu que le droit positif exige un examen attentif des idées juridiques qui miroitent de nombreuses facettes et fonctions. L'idée duplique, ajoute, fusionne, globalise, agrège, l'idée déplace, l'idée ampute, sépare, l'idée caractérise, singularise... L'idée la plus marquante semble conjuguer deux termes juridiques ou quasi-juridiques pour faire un concept neuf. Cela peut être le cas pour les innovations sociales ou technologiques marquées. Puissent ces lignes inviter à traiter la problématique de l'idée juridique pour la retrouver, à terme, en la forme de pages d'ouvrages de méthodologie ou d'introduction au droit. Dans une évolution où l'idée scientifique change le monde quotidiennement, cet intérêt ferait un peu espérer dans la force de l'analyse juridique.


(1) Rapprocher Dictionnaire de culture juridique, PUF, dir. Alland et Rials, 2003, V° Penser par soi-même, p. 1145, par G. Thuillier.
(2) L'idée juridique retient peu, même si l'idée est étudiée en droit dans des débats spécifiques (le débat d'idées et les règles de la responsabilité, l'idée protégée en droit de la concurrence...). Sinon, le terme idée sert seulement pour désigner des situations ("les fausses bonnes idées") qui ne valent pas réflexion sur les idées juridiques.
(3) La relative discrétion des idées juridiques tient aussi au fait que l'on diffuse beaucoup de droit mais moins d'idées juridiques ; l'idée juridique, que l'on peut assimiler à une découverte juridique, est souvent enfouie dans une longue étude (article ou thèse) : elles sont donc rarement testées par les praticiens. Mais parfois des idées deviennent célèbres : les groupes de contrat de Bernard Teyssié, l'obligation de couverture et l'obligation de paiement de Christian Mouly à propos de la caution, l'idée de la fusion des articles de compte du compte courant de Thaller.
(4) Notre ouvrage, Droit bancaire et financier, Mare et Martin, 2016, préf. Tricot, n° 2 et s..
(5) Ch. Atias, Théorie contre arbitraire, PUF, 1987, p. 69, n°31 ; l'intitulé de l'ouvrage à lui seul démontre cette inclusion de la question dans celle de la vie des théories juridiques ; en outre, le propos de Christian Atias à cet endroit même montre qu'il attache l'idée à la présentation d'une théorie.
(6) Ch. Atias, Epistémologie juridique, Dalloz, 2002, p. 179, n° 304.
(7) Construit sur quelques pans législatifs (décret-loi sur les effets de commerce, loi sur le chèque, lois sur les établissements de crédits), ces dispositions, qui étaient l'essentiel de la matière, ne sont aujourd'hui que des parties de la législation. Cette dernière se retrouve codifiée, on le sait, au Code monétaire et financier depuis 2000. En mettant cent textes de loi anciens et ceux adoptés depuis lors au même plan, le législateur a implicitement mais nécessairement redéfini la matière. Elle est constituée du Code monétaire et financier et de quelques autres rares dispositions qui, pour une raison ou une autre, n'ont pas été codifiées. Une matière existe parce que l'on s'en fait une idée, c'est le cas d'espèce : la codification repose sur l'idée que l'ensemble des activités et services à caractère financiers doivent être regroupées. Cela rationalise l'oeuvre législative mais invite aussi le législateur, en retour, à peaufiner cette rationalisation -singulièrement lors de l'adoption de nouveaux services, actes juridiques et personnes qui ont vocation à les accomplir-.
(8) On ne s'en explique pas tant la finance est considérée comme une évidence sociale, parfois même comme l'ennemie de la République ou des populations. Mais au-delà, la finance verte, écologique, éthique, alternative... attestent de la singularité du phénomène. Seule la science juridique semble avoir réussi à raté un mouvement social majeur et préoccupant en droit.
(9) Il existe aujourd'hui de très nombreux cas de dématérialisation : le mot cesse d'appartenir à la finance pour prendre un son sens général ; mais en droit, quasiment jusqu'en 2000, la dématérialisation était symbolisée par la dématérialisation des titres, sujet qui s'imposait alors depuis près de vingt ans.
(10) Négociations boursières électroniques, ordres électroniques, créations de marchés par des ordinateurs appelés "systèmes" puis, récemment, des systèmes imparfaits (système organisé de négociation, SON), échanges informatiques entre la banque centrale et les banques commerciales et, évidemment, la superstructure informatique de la dématérialisation faite de milliards de titres électroniques (actions et obligations), de millions de comptes de titres et de milliers de teneurs de comptes. De façon plus profonde et moins visible pour le public, les systèmes d'informations sont le pilier principal des établissements financiers et permettent autant la tenue des comptes, la gestion des flux et prêts que la gestion des instruments de paiements.
(11) Naturellement nous le mentionnons parce que, dans un livre presque entier consacré aux idées, nous avions étudié ce système qui fait, en large partie de façon autonome, les contrats en bourse (Les concepts émergent de droit des affaires, LGDJ, 2011, dir. Bergel et Le Dolley).
(12) Avec un droit ne posant de questions que sur une brève période, travailler les idées juridiques a un intérêt moindre. Au fil des dernières décennies, on voit la règle changer presque tous les ans. Cela ne favorise ni l'émergence, ni la valorisation des idées juridiques nouvelles qui se construisent mieux sur un droit durable posant diverses questions et donnant des réponses dans un temps long.
(13) Il n'est pas besoin de faire passer des réformes ou de stipuler des dérogations dans les contrats ou, encore, de créer un droit réservé à quelques-uns (notamment les professionnels). Non, il suffit d'aller vite. Les innovations technologiques sont ce prétexte. L'idée juridique n'a alors plus de place puisqu'il n'y a plus de droit applicable.
(14) Notre collègue politiste, le professeur K.-G. Giesen note cela avec la blockchain qu'il tient pour le dernier avatar du néocapitalisme pour assujettir les méthodes de travail (http://www.distinguos.info/). L'Etat est de fait affaibli sans savoir, ni pouvoir convenir de ne pas avoir de prise sur les évolutions, alors que toute pensée ou action sociale exige de passer par les concepts juridiques qui sont aussi des concepts de la vie quotidienne qui s'entendent de tous pour s'imposer à tous.
(15) Ainsi, on reprend cet exemple, les autorités européennes définissent le marché comme un système : l'idée devient juridique car la réalité technologique est purement et simplement transposée dans la loi. Or, la consécration légale d'une technologie doit viser à l'insérer dans l'ordre juridique existant, sa définition devant ipso facto suggérer des droits ou des obligations. En outre, les idées assenées dans les phrases de la loi sont imposées sans besoin de l'idée juridique. Cette dernière devient quelque peu automatiquement le droit positif (largement diffusé), en disant rien ou peu (malgré les travaux parlementaires, rapports, considérants) de la fabrication de l'idée et de ses caractères (nature et structure).
(16) Il l'a initiée et appliquée à grande échelle depuis les communications pour les virements internationaux, en passant par la dématérialisation des comptes et des titres financiers jusqu'à des opérations (contrats) totalement électroniques sur des marchés ou places financières définis par la loi comme des systèmes.
(17) La seule question du transfert d'une idée technologique en idée juridique n'a pas été étudiée, du moins systématiquement, avec un objectif d'anticipation de ce qu'allait être le droit des affaires avec la dématérialisation générale qui se profilait. A peine peut-on excepter la dématérialisation des titres qui, elle, a été souvent étudiée, mais généralement pour dire que rien ne changeait. Les plus grandes hésitations s'observent ainsi s'agissant de sujets comme celui de la blockchain ou de l'un des types de son application qu'on appelle, non sans abus, les crypto-monnaies.
(18) Internet, espace d'interrégulation, Dalloz et The Journal of Regulation, 2016, dir. M.-A. Frison-Roche.
(19) D., 2016, p. 1871.
(20) Varii auctores, Le renouvellement des principes fondamentaux du droit bancaire, Colloque, RDBF, septembre 2013, n° 5, Dossier 48, propos introductifs D. Legeais ("Quelques principes protecteurs des banques étaient mis en avant : le monopole bancaire, le secret bancaire, le devoir de non-immixtion, Le devoir de vigilance. Le banquier était tout puissant dans sa décision d'accorder ou de refuser un crédit, il ne pouvait être responsable qu'exceptionnellement.") ; adde : ibidem, Conclusion, Th. Bonneau, ce dernier note d'emblée la difficulté du sujet puisque les manuels ne comportent pas de section relative aux principes fondamentaux ; ajoutons que peut-être le termes "principes fondamentaux" n'étaient peut-être pas aussi essentiel que cela dans l'esprit animant ce projet de recherche, on le pense quand M. Bonneau conclut sur le fait que d'autres "thèmes" auraient pu être évoqués (crowdfunding, finance islamique) ce qui montre que, en fait de renouvellement des principes, ce sont les évolutions du droit bancaire qui étaient étudiées à travers des règles pouvant être vues comme des principes, mais sans certitude. La tentative aiguise l'esprit sur la question de l'existence ou non de principes, ce qui impose en méthode, au préalable, de déterminer le champ que l'on donne à la nouvelle matière.
(21) Voir en dernier lieu : Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.256, F-D (N° Lexbase : A2008RWB) ; v. notre analyse, L'évanescente obligation de vigilance de l'établissement financier, Lexbase, éd. aff. 2014, n° 386 (N° Lexbase : N2591BUI).
(22) Un nouvel article L. 561-29-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4816K8U) ; loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 N° Lexbase : L4202K87) permet à TRACFIN de désigner aux établissements tenus d'une obligation de vigilance à l'égard de la clientèle, pour six mois (période renouvelable), les personnes ou même opérations (eu égard à leur nature ou zones géographiques) un risque important de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
(23) Cass. com., 28 avril 2004, n° 02-15.054, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9943DBU), Bull. civ. IV, n° 72 ; JCP éd. E, 2004, 830, note J. Stoufflet. Cette jurisprudence est appliquée par les juges du fond : Rapport Com. Nat. Des sanctions, 2011, p. 89. Voyez très proche de la solution de 2004 une décision plus difficile à lire : Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.256, préc..
(24) Cass. com., 5 novembre 2002, n° 00-11.314, FS-P (N° Lexbase : A6691A39), Bull. Civ. IV, n° 157 ; Cass. com., 3 octobre 2006, n° 05-12.267, F-D (N° Lexbase : A7762DRW) ; Cass. com., 11 mai 2010, n° 09-66.611, F-D (N° Lexbase : A1789EXK).
(25) Ou bien on entend ce principe comme étant en réalité une règle significative et singulière, ce qui permet de s'exprimer de façon courante : il ne s'agit pas ici de proposer une police des mots mais une analyse.
(26) On passe les quelques visas de la Cour de cassation qui consacrent les rares principes généraux du droit privé ; dans ces cas, il s'agit de consacrer une règle jurisprudentielle. Le débat engagé ici est plus modeste.
(27) Le livre V du Code monétaire et financier relatif aux prestataires s'ouvre sur l'exigence de probité et d'honorabilité des dirigeants d'entreprises du secteur financier. L'article L. 500-1 du code (N° Lexbase : L0224LBW) interdit aux personnes qui ont fait l'objet, depuis moins de dix ans, d'une condamnation pour des crimes ou divers délits, d'occuper tout poste de direction d'une telle entreprise. Les infractions visées sont nombreuses et impliquent une vérification minutieuse si le casier judiciaire d'une personne n'est pas vierge
(28) En droit interne, le secret bancaire est un secret professionnel visant la plupart des activités et entités financières et bancaires (C. mon. fin., art. L. 511-33 N° Lexbase : L3120KGN et renvoi à l'article L. 511-6 N° Lexbase : L7360LAT). Ses sanctions sont celles du Code pénal (C. pén., art. L. 226-13 N° Lexbase : L5524AIG, renvoi du C. mon. fin., art. L. 571-4 N° Lexbase : L7848IZP ; les sanctions sont : un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende). La violation de ce secret est aussi une faute civile dont le client peut demander réparation, sauf violation du secret pour la bonne cause (preuves de fraudes fiscales)
(29) JDI, 2012, p. 286, n° 6, obs. S. Manciaux, Sentence CIRDI Abaclat et a. c/ République d'Argentine, 4 août 2011, n° ARB/07/5 ; l'opinion dissidente d'un des arbitres invoque au fond l'idée d'économie réelle ; cette dernière, toutefois, ne peut être bien comprise que si l'on cerne mal les spécificités et frontières de la finance.
(30) A. Desrameaux, Recherches sur le concept juridique de souveraineté monétaire, thèse Paris 2, 2006, dir. Bienvenu.
(31) En dernier lieu : Th. Le Gueut, Le paiement de l'obligation monétaire en droit privé interne, préface Synvet, LGDJ, 2016.
(32) Elles consistent en la possibilité d'une politique monétaire (son dernier avatar en Europe sont les prêts à taux négatifs), et en l'organisation de l'économie où la finance (à titre d'activité) est réservée à certains établissements (agréments) ; cela structure les relations entre elles et les autres entreprises dites industrielles et commerciales, ces dernières ayant des droits très significatifs : le droit traditionnel d'émettre des valeurs mobilières, le droit récent du prêt inter-entreprises, le crédit inter-entreprises dans un groupe de sociétés, le droit d'accorder au client des délais de paiement...
(33) Cass. civ. 2, 23 juin 2016, n° 15-12.113, F-P+B (N° Lexbase : A2646RUK).
(34) Nos obs., La monnaie, discret mais pressant sujet de droit bancaire et financier, Lexbase, éd. aff. 2014, n° 394 (N° Lexbase : N3676BUP)
(35) A. Collomb, L. Léger et C. Sok, Blockchain : l'automate comme autorité??, Rev. Banque et Stratégie, septembre 2016. Quand un juge ne saurait oublier la loi, l'autorité monétaire, qui mélange toutes sortes de prérogatives, peut se le permettre au nom même de ce qu'elle est le pouvoir de régulation (expression qui traduit une idée dans l'idée plus générale de la régulation). Allons encore plus loin.
(36) Cass. civ. 1, 11 février 2016, quatre arrêts, n° 14-28.383, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7326PKK) ; n° 14-27.143, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7325PKI) ; n° 14-29.539, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7327PKL) ; n° 14-22.938, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7324PKH) et nos obs., Lexbase, éd. aff., 2016, n° 457 (N° Lexbase : N1673BWU).
(37) Ils n'ignorent pas systématiquement les conventions (contrats spéciaux) utiles, non plus qu'ils ne délaissent quelques cas particuliers consistant en des interdictions ou des cas de responsabilités. Mais, comme souvent avec la règle qui uniformise les règles de divers Etats, conventions et cas de responsabilités peuvent être cités sans qu'il s'agisse d'une législation achevée (complète). La norme est simplifiée.
(38) Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-26.508, F-P+B+I (N° Lexbase : A6412IXR) : "les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par des professionnels".
(39) Nos obs. préc. note 36.
(40) Les opérations de change liées à des prêts en devise étrangère ne constituent pas un service d'investissement (CJUE, 3 décembre 2015, aff. C-312/14 [LXB= A3339NYC]) : inapplication des textes protecteurs de la Directive "MIF" 2004/39 du 21 avril 2004 (N° Lexbase : L2056DYS).
(41) Cass. com., 22 mai 2012, n° 11-17.936, F-P+B (N° Lexbase : A0678IM3), question de responsabilité civile à l'égard d'un client ayant déjà connu des pertes boursières ; Cass. com., 3 novembre 2004, n° 01-14.433, F-D (N° Lexbase : A7531DDB). Ce type de problème a toujours existé mais la notion de services n'interférait alors guère (Cass. com., 3 janv. 1996, n° 94-13.879 N° Lexbase : A5560CLI : refus du crédit promis car il avait été précédé de spéculations boursières du client peu sérieuses).

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Consommation

[Brèves] Sur les pratiques commerciales reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur : applications aux pratiques qui visent des professionnels

Réf. : Cass. crim., 22 novembre 2016, n° 15-83.559, F-P+B (N° Lexbase : A3537SLL)

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Le 02 Décembre 2016

D'une part, les allégations, indications ou présentations fausses de nature à induire en erreur, appréciées dans leur ensemble et portant sur des éléments visés à l'article L. 121-1, paragraphe I, 2° du Code de la consommation (N° Lexbase : L7808IZ9) ne peuvent être qualifiées de simples omissions au sens du paragraphe II de ce même article, de sorte qu'aux termes du paragraphe III, l'incrimination est applicable aux pratiques qui visent des professionnels. D'autre part, les mentions écrites figurant au contrat sont sans incidence sur l'existence d'allégations délibérément mensongères qui en ont déterminé la signature. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 novembre 2016 (Cass. crim., 22 novembre 2016, n° 15-83.559, F-P+B N° Lexbase : A3537SLL). En l'espèce, un prévenu a été déclaré coupable de pratiques commerciales trompeuses. Pour ce faire, les juges du fond ont relevé que, pour la période du 1er avril 2009 au 12 novembre 2010, alors qu'il s'était engagé auprès de trente et un professionnels, moyennant la perception d'un prix compris entre 158,80 euros et 717,60 euros, à réaliser dans plusieurs cantons l'édition et la livraison de cartes ou guides comportant des encarts publicitaires en leur annonçant oralement des dates de parution allant d'un mois à quelques mois et en leur laissant croire, pour emporter leur accord, à une publicité qui bénéficierait d'une large distribution, le prévenu n'a respecté aucun de ses engagements et ne justifie pas avoir réalisé la moindre livraison, ni entrepris la moindre démarche pour mener à bien l'exécution de ces contrats, dont le plus ancien remontait à avril 2009. Pour la période postérieure, les juges retiennent que tant l'argumentaire commercial personnellement développé par le prévenu auprès des quatre-vingt dix sept plaignants qu'il avait prospectés que l'imprécision, le caractère équivoque et ambigu des bons de commande qu'il établissait et faisait signer ne pouvaient qu'induire en erreur les clients sur la portée des engagements de l'annonceur, l'objet du contrat, et la condition essentielle que constituait la date et l'effectivité de la livraison, l'annonceur pouvant différer à jamais l'exécution de la prestation, sans que le client ne puisse émettre la moindre réclamation et obtenir le remboursement des sommes versées. Ils ajoutent que le prévenu a également fait croire aux clients qu'un site internet sur lequel devait paraître leur encart visuel était un outil efficace pour la recherche de professionnels alors qu'il était construit de manière rudimentaire sans référencement des cartes de visite et en annonçant, pour le promouvoir, une campagne de grande envergure qui n'a jamais été mise en oeuvre. Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation, énonçant la solution précitée, approuve la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments tant matériels qu'intentionnel, le délit de pratiques commerciales trompeuses dont elle a déclaré le prévenu coupable.

newsid:455461

Contrôle fiscal

[Brèves] Obligation de restitution de documents emportés avant le débat oral et contradictoire : vérification irrégulière en cas de méconnaissance et charge de la preuve de la restitution complète pour l'administration

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 23 novembre 2016, n° 392894, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5115SIB)

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Le 06 Décembre 2016

Lorsqu'à la demande du contribuable, le vérificateur emporte certains documents comptables, les documents emportés doivent être restitués dans leur intégralité avant la fin des opérations de vérification : l'absence de restitution au contribuable de tout ou partie des documents comptables ayant fait l'objet d'un emport étant susceptible de priver celui-ci d'un débat oral et contradictoire, il en résulte que la vérification de comptabilité est dans son ensemble entachée d'irrégularité, ce qui entraîne la décharge de tous les redressements trouvant leur source dans la vérification irrégulière, même si certains d'entre eux ne sont pas directement fondés sur l'examen des documents emportés et non restitués. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 23 novembre 2016 (CE 8° et 3° ch.-r., 23 novembre 2016, n° 392894, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5115SIB). En effet, lorsqu'à la demande du contribuable, le vérificateur emporte certains documents comptables, les documents emportés doivent être restitués dans leur intégralité avant la fin des opérations de vérification. Au cas présent, une société fait valoir que la restitution des documents qu'elle avait transmis était incomplète en désignant précisément les documents non restitués. Un acte d'huissier, dont les mentions font foi jusqu'à inscription de faux, indique que huit boîtes à archives ont été remises au gérant de la société. Si cette remise a été accompagnée d'un document intitulé "Procès-verbal de restitution de documents comptables et de pièces justificatives", ce document, qui n'est signé ni du contribuable, ni du représentant de l'administration fiscale, n'est pas de nature à attester du contenu effectif des boîtes. Par ailleurs, l'acte d'huissier, tel qu'il est rédigé, n'a pas pour objet de recenser les pièces contenues dans les boites, mais seulement d'authentifier la remise effective de ces boîtes à leur destinataire. Dans ces conditions, la requérante contestant précisément avoir reçu l'ensemble des documents comptables emportés, l'administration ne peut-être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, qu'elle a restitué, avant la fin des opérations de vérification, l'intégralité de ces documents. Cette décision apporte de nouvelles précisions s'agissant d'un principe établi de longue date par le Conseil d'Etat, qui énonce que la procédure d'emport de documents ne doit pas avoir pour effet de priver le contribuable des garanties assurant la possibilité d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur (CE Sect., 21 mai 1976, n° 94052, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1516AXG) .

newsid:455440

Environnement

[Brèves] Demande l'accès à des documents en matière environnementale : la protection du secret commercial et industriel ne peut être opposée à la divulgation d'informations relatives aux rejets de pesticides

Réf. : CJUE, 23 novembre 2016, deux arrêts, aff. C-442/14 (N° Lexbase : A3383SI7) et C-673/13 P (N° Lexbase : A3384SI8)

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N5473BWM

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Le 05 Décembre 2016

Lorsqu'une personne demande l'accès à des documents en matière environnementale, la notion d'"informations relatives à des émissions dans l'environnement" couvre notamment celles concernant la nature et les incidences des rejets d'un pesticide dans l'air, l'eau, le sol ou sur les plantes, la protection du secret commercial et industriel ne pouvant être opposée à la divulgation de telles informations. Ainsi statue la CJUE dans deux décisions rendues le 23 novembre 2016 (CJUE, 23 novembre 2016, deux arrêts, aff. C-442/14 N° Lexbase : A3383SI7 et C-673/13 P N° Lexbase : A3384SI8). La notion d'"émissions dans l'environnement" couvre notamment le rejet dans l'environnement de produits ou de substances, tels que les produits phytopharmaceutiques ou biocides ou les substances actives que ces produits contiennent, pour autant que ce rejet soit effectif ou prévisible dans des conditions normales ou réalistes d'utilisation du produit ou de la substance. Le Règlement (CE) n° 1367/2006 du 6 septembre 2006 (N° Lexbase : L2260HSI) et la Directive 2003/4/CE du 28 janvier 2003 (N° Lexbase : L4791A9C) couvrent non seulement les informations se rapportant à des émissions effectives, c'est-à-dire les émissions qui sont effectivement libérées dans l'environnement lors de l'application du produit phytopharmaceutique ou biocide sur les plantes ou dans le sol, mais aussi les informations concernant les émissions prévisibles de ce produit dans l'environnement. La Cour précise, en revanche, que sont exclues de la notion d'informations relatives à des émissions dans l'environnement celles qui se rapportent à des émissions purement hypothétiques. En outre, la notion d'"informations ayant trait/relatives à des émissions dans l'environnement" doit être interprétée comme couvrant non seulement les informations sur les émissions en tant que telles (c'est-à-dire les indications relatives à la nature, à la composition, à la quantité, à la date et au lieu de ces émissions), mais aussi les informations permettant au public de contrôler si l'évaluation des émissions effectives ou prévisibles, sur la base de laquelle l'autorité compétente a autorisé le produit ou la substance en cause, est correcte, ainsi que les données relatives aux incidences à plus ou moins long terme des émissions sur l'environnement.

newsid:455473

Fiscalité internationale

[Brèves] Retenue à la source sur les dividendes distribués à l'étranger par des personnes morales françaises : le rôle des juridictions administratives défini

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 23 novembre 2016, n° 383838, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5095SIK)

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N5447BWN

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Le 02 Décembre 2016

Les juges du fond apprécient souverainement, sous réserve de dénaturation si une société justifie ou non de ce que la création d'une autre société répond principalement à un objectif de gestion patrimonial, si un apport de titre à une société localisée dans l'Union européenne présente un intérêt géographique et économique et si les sociétés interposées dans la chaîne de participations poursuivent ou non une activité économique réelle ; le juge de cassation, quant à lui, exerce un contrôle de qualification juridique sur le point de savoir si, compte tenu de telles appréciations, pour l'application du 3 de l'article 119 ter du CGI (N° Lexbase : L3837KWZ), le montage revêt un caractère artificiel visant à dissimuler le véritable bénéficiaire de ces distributions et à tirer avantage du dispositif d'exonération de la retenue à la source. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 23 novembre 2016 (CE 8° et 3° ch.-r., 23 novembre 2016, n° 383838, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5095SIK). En l'espèce, la société requérante a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration, ayant constaté qu'elle avait distribué des dividendes à une société de droit luxembourgeois et, ayant estimé que le bénéficiaire effectif de ce versement était un résident uruguayen, a mis à sa charge la retenue à la source au taux de 25 %, au motif que cette distribution entrait dans le champ de l'exception prévue par les dispositions du 3 de l'article 119 ter du CGI. La Haute juridiction, qui a donné raison à l'administration, a confirmé, par son pouvoir de contrôle de la qualification juridique, le fait que les juges du fond avaient indiqué que l'administration fiscale a estimé, à juste titre, que la chaîne de participations en litige avait comme objet principal, au sens et pour l'application des dispositions du 3 de l'article 119 ter du CGI, de tirer avantage des dispositions du 1 de cet article relatives à l'exonération de la retenue à la source. En conséquence, la société ne pouvait bénéficier de cette exonération .

newsid:455447

Licenciement

[Brèves] Possibilité de prise en compte par l'employeur de la position exprimée par le salarié pour le reclassement du salarié inapte

Réf. : Cass. soc., 23 novembre 2016, n° 15-18.092, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3378SIX) et n° 14-26.398, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3377SIW)

Lecture: 2 min

N5385BWD

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Le 01 Décembre 2016

Peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur auquel il appartient de justifier qu'il n'a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, effectuée au sein de l'entreprise et des entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Relève du pouvoir souverain des juges du fond l'appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement. Telles sont les solutions dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 23 novembre 2016 (Cass. soc., 23 novembre 2016, n° 15-18.092, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3378SIX et n° 14-26.398, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3377SIW ; rupture avec la jurisprudence antérieure, voir Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.301, F-D N° Lexbase : A1147EL3).
En l'espèce, deux salariés d'une société sont déclarés inaptes à leur poste de travail et licenciés pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Les cours d'appel (CA Dijon, 11 septembre 2014, n° 13/00176 N° Lexbase : A4510MWX et CA Bordeaux, 12 mars 2015, n° 13/05209 N° Lexbase : A0958NDT) déclarent leurs licenciements fondés et déboutent les salariés de leurs demandes relatives à la rupture. Ils se pourvoient en cassation.
En énonçant les règles susvisées, la Haute juridiction rejette un des pourvois (n° 14-26.398) et casse partiellement l'autre arrêt (n° 15-18.092) concernant la requalification d'avenants temporaires. Il est ainsi relevé, dans le premier arrêt, que la cour d'appel a constaté que le salarié avait refusé des postes proposés en France en raison de leur éloignement de son domicile et n'avait pas eu la volonté d'être reclassé à l'étranger et, dans le second, que la cour d'appel a constaté que la salariée n'avait pas accepté des postes à Strasbourg et fait ressortir qu'elle n'avait pas eu la volonté d'être reclassée au niveau du groupe. Au regard de ces éléments et de ses autres constatations, les cours d'appel ont souverainement retenu dans l'un et l'autre cas que l'employeur avait procédé à une recherche sérieuse de reclassement (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3131ET7).

newsid:455385

Permis de conduire

[Brèves] Modification du délai de reconstitution intégrale des points du permis de conduire : prise en compte d'une infraction antérieure à l'entrée en vigueur d'une loi

Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 21 novembre 2016, n° 392555, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2613SIM)

Lecture: 1 min

N5483BWY

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Le 02 Décembre 2016

Lorsque la réalité de l'infraction a été établie postérieurement au 31 décembre 2010, la durée du délai de reconstitution intégrale des points du permis de conduire, déterminée par les dispositions de l'article L. 223-6 du Code de la route (N° Lexbase : L7678IP3), tel que modifié par l'article 76 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 (N° Lexbase : L5066IPC), est normalement de deux ans, sauf si l'une des infractions commises par l'intéressé depuis la délivrance de son permis de conduire ou, le cas échéant, depuis la date de la dernière reconstitution intégrale présenté le caractère d'un délit ou d'une contravention de la quatrième ou cinquième classe, auquel cas elle est portée à deux ans. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 21 novembre 2016 (CE 4° et 5° ch.-r., 21 novembre 2016, n° 392555, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2613SIM, voir dans le même sens CE, 5ème ch., 15 juin 2016, n° 393522, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1117RTK). Dès lors, en se bornant à relever que l'infraction qui avait donné lieu au paiement d'une amende par Mme X le 14 mars 2012 relevait d'une contravention de la troisième classe, pour en déduire qu'en l'absence d'infraction ayant entraîné retrait de points pendant une période de deux ans à compter de cette date, le capital de points du permis de l'intéressée avait été entièrement reconstitué en application du premier alinéa de l'article L. 223-6 précité, sans rechercher si elle avait commis un délit ou une infraction relevant de la quatrième ou de la cinquième classe depuis la délivrance de son permis de conduire ou depuis la dernière reconstitution intégrale de son capital de points, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

newsid:455483

Procédure pénale

[Brèves] Conditions de forme de l'arrêt de la chambre de l'instruction statuant en matière d'extradition

Réf. : Cass. crim., 15 novembre 2015, n° 16-85.335, FS-P+B (N° Lexbase : A3455SLK)

Lecture: 1 min

N5417BWK

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Le 01 Décembre 2016

L'arrêt d'une chambre de l'instruction, statuant en matière d'extradition, doit répondre, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale. Tel est le principal apport d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 15 novembre 2016 (Cass. crim., 15 novembre 2015, n° 16-85.335, FS-P+B N° Lexbase : A3455SLK). Dans cette affaire, le Gouvernement turc a demandé l'extradition de M. C. pour la mise à exécution d'un mandat d'arrêt délivré le 12 mai 2015 par le Parquet général d'Aksaray, faisant suite à sa condamnation prononcée le 10 janvier 2013 par le tribunal correctionnel d'Aksaray à une peine de trois ans et quatre mois d'emprisonnement pour le délit de privation de liberté personnelle, décision devenue définitive à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 24 mars 2015. Lors de la notification de la demande d'extradition, M. C. a indiqué ne pas consentir à sa remise. Pour émettre un avis favorable à la demande d'extradition, la cour d'appel a énoncé que l'atteinte au respect de la vie privée et familiale trouvant sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, la remise de la personne recherchée ne méconnaît pas les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). L'arrêt est censuré, au visa des articles 8 de la Convention précitée, 593 (N° Lexbase : L3977AZC) et 696-15 (N° Lexbase : L0815DYT) du Code de procédure pénale, par la Haute juridiction, qui retient qu'en se déterminant ainsi alors qu'il appartenait aux juges de répondre à l'argumentation de M. C., qui faisait valoir l'existence de liens familiaux stables en France, étant marié et père d'un enfant, en sorte que l'extradition était de nature à porter une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, l'arrêt ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence légale (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E0772E9H).

newsid:455417

Procédures fiscales

[Jurisprudence] La détention de fichiers illicites par l'administration fiscale ne porte pas, en soi, atteinte aux procédures de contrôle et de rectification

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 20 octobre 2016, n° 390639, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0128R8A)

Lecture: 8 min

N5456BWY

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par Vincent Dussart, Professeur à l'Université Toulouse Capitole

Le 01 Décembre 2016

Le Conseil d'Etat a jugé, le 20 octobre 2016, qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Toutefois, la seule circonstance que, avant de mettre en oeuvre à l'égard du contribuable les pouvoirs qu'elle détient aux fins de procéder au contrôle de sa situation fiscale et de recueillir les éléments nécessaires pour, le cas échéant, établir des impositions supplémentaires, l'administration aurait disposé d'informations relatives à ce contribuable issues de documents obtenus de manière frauduleuse par un tiers est, par-elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition (CE 8° et 3° ch.-r., 20 octobre 2016, n° 390639, mentionné aux tables du recueil Lebon). Au cas présent, le requérant a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle. A la suite de ce contrôle, il a fait l'objet d'une rectification assortie de pénalités pour manquements délibérés en matière d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux pour les années 2006 à 2010. Il avait volontairement remis à l'administration fiscale ses relevés de compte sur lesquels cette dernière s'était basée pour la rectification de son imposition et la mise en oeuvre des pénalités.

L'intéressé a donc porté recours devant le tribunal administratif de Paris (1) puis devant la cour administrative d'appel de Paris (2). Il voulait faire invalider les procédures de rectification et de sanction au motif que l'administration aurait utilisé des fichiers volés à la Banque HSBC pour fonder ces procédures. Les juges du fond l'ayant débouté, il a formé un pourvoi en cassation.

Cette décision s'inscrit dans la célèbre affaire des fichiers volés à la Banque HSBC de Genève. On rappellera ici qu'il s'agit de fichiers dérobés à cette banque par l'un de ses employés en 2006 et 2007 (3). En janvier 2009, une perquisition au domicile de cet employé a permis à la justice française de s'emparer de ces fichiers. L'administration fiscale s'est alors servie des fichiers pour fonder, notamment, des visites domiciliaires sur la base de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2641IX4) mais aussi des procédures de contrôle et de rectification. On peut rappeler que le Gouvernement avait, à l'époque, laissé une période de "régularisation spontanée" aux contribuables concernés, ce dont ne semble pas avoir profité le requérant.

Le recours du contribuable rectifié sous-entendait que le seul fait que l'administration fiscale dispose de documents litigieux devait invalider les procédures engagées contre lui. Le requérant a soutenu devant le juge du fond que l'administration violait ainsi le principe de loyauté (4).

Le Conseil d'Etat a d'abord rappelé les règles nécessaires à la bonne administration de la preuve devant le juge administratif en pratiquant une substitution de motif (I). Cette décision permet également de rappeler toute la faible charge juridique du principe de loyauté utilisé en matière de procédures fiscales (II).

I - Les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci

Le requérant appuyait sa demande d'invalidation des procédures ayant conduit à le soumettre à des impositions et des pénalités supplémentaires sur le fait que son nom figurait sur un fichier volé à la Banque HSBC. Selon le requérant, ce fichier aurait été utilisé contre lui pour déclencher un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle.

Comme le rappelle le sénateur François Marc dans un avis de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale : "le juge administratif, en tant que juge de l'impôt, estime de manière constante que l'administration ne peut pas se fonder sur des preuves qu'elle a obtenues ou qu'elle détient de manière manifestement illicite' ; en d'autres termes, les éléments qui lui sont directement transmis par des tiers sont irrecevables, ce qui explique notamment l'impossibilité' pour la DGFIP de faire usage de la liste dite HSBC' pour engager des procédures de redressement" (5). Le législateur, poussé par l'administration fiscale, avait tenté dans ce projet de loi d'introduire un article L. 10-0 AA du LPF (N° Lexbase : L3694I39) lui permettant d'utiliser des documents, même s'ils ont été déclarés illicites par un juge.

Le juge constitutionnel a eu à se prononcer sur cette question dans une décision du 4 décembre 2013. Il a précisé que l'on ne pouvait permettre "aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge" (6). Le Conseil constitutionnel a, ainsi, validé l'article 37 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière (N° Lexbase : L6136IYW), qui prévoit que dans le cadre des procédures fiscales, à l'exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B (perquisitions fiscales) et L. 38 (N° Lexbase : L2642IX7) du LPF (perquisitions douanières), ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l'administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance, soit dans les conditions prévues au chapitre II du titre II ou aux articles L. 114 (N° Lexbase : L1757IZ4) et L. 114 A (N° Lexbase : L1756IZ3) du LPF, soit en application des droits de communication qui lui sont dévolus par d'autres textes, soit en application des dispositions relatives à l'assistance administrative par les autorités compétentes des Etats étrangers.

Dans l'affaire que le Conseil d'Etat a examiné, le requérant arguait du fait que son nom figurait sur la "liste HSBC" et que c'est pour cela qu'il avait été contrôlé et ensuite fait l'objet de rectification et de pénalités pour manquement délibérés.

La cour administrative d'appel de Paris a écarté l'argument tiré du fait que le nom du requérant figurait bien sur la liste au motif que ce dernier n'apportait aucune preuve de la véracité de cette "inscription" sur la liste HSBC. Or, le requérant ne disposait pas de cette liste et ne pouvait donc prouver d'aucune manière que son nom figurait bien sur la liste. Le Conseil d'Etat a donc invalidé ce motif de rejet de la requête en indiquant que la "cour avait méconnu les charges de dévolution de la preuve". En effet, la cour administrative demandait au requérant, en quelque sorte, d'apporter un élément de preuve qu'il ne pouvait détenir et que seule détenait l'administration fiscale.

Le Conseil d'Etat n'a pourtant pas accueilli le recours. En effet, le simple fait pour l'administration de disposer d'un fichier illicite où figure bien le nom du contribuable ne saurait invalider les procédures de contrôle, de rectification et de sanction.

On peut y voir, peut-être, une amodiation du revirement de jurisprudence contenu dans la décision du 15 avril 2015 (7). Le Conseil d'Etat avait ainsi affirmé qu'eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), les dispositions relatives au droit de communication mentionnées aux articles L. 81 (N° Lexbase : L4555I7T) et L. 82 C (N° Lexbase : L3963KWP) du LPF "ne permettent pas à l'administration de se prévaloir, pour établir l'imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge".

En réalité, il apparaît donc que l'administration fiscale puisse utiliser les documents illicites pour déclencher la procédure de contrôle mais elle ne peut plus s'en servir dès lors que les opérations de contrôle ont débuté. Par conséquent, la question de la loyauté des moyens de preuve utilisés par l'administration se pose.

II - Les faibles potentialités induites par le principe de loyauté

Le requérant avait invoqué devant les juges du fond la méconnaissance du principe de loyauté. Dans sa décision du 2 avril 2015, la cour administrative d'appel évoque clairement ce principe en expliquant que le contribuable n'apporte pas la preuve de ce "que l'administration aurait méconnu le principe de loyauté".

Partant, elle écarte l'invalidation de la procédure d'examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont a été l'objet le requérant au motif que l'administration fiscale s'est fondée sur les seuls éléments de preuve fournis par le contribuable, à savoir les documents bancaires que ce dernier avait lui-même fourni mais aussi sur ses propres investigations. Le Conseil d'Etat considère que cette question relève de l'appréciation souveraine des faits appartenant aux juges du fond et ne la remet pas en cause.

Pourtant, il n'est pas interdit de se poser la question de l'utilisation de la "liste HSBC" où figurerait le nom du contribuable. Cette liste avait été volée par un salarié de cette banque. Elle présentait donc les caractères d'un document obtenu de manière frauduleuse. Il apparaît difficile au requérant, on l'a vu, de prouver que son nom soit sur la liste. Le deuxième point de l'arrêt démontre la difficulté pour ce requérant de démontrer que la liste a pu être utilisée contre lui. L'administration fiscale, en effet, devra utiliser des moyens d'investigations classiques, pour valider cette procédure. En prenant soin de ne jamais utiliser directement des documents illicites, elle ne court pas de risques de faire invalider les procédures de contrôle et de rectification. Le requérant pourra difficilement prouver que l'administration aura utilisé des documents de ce type.

Dès lors, on comprend pourquoi le Conseil d'Etat rejette le pourvoi en cassation sans pour autant citer moindrement et expressément le principe de loyauté évoqué par les juges du fond.

Certes, il fait allusion au "droit à ne pas procéder à sa propre incrimination" en rappelant d'ailleurs qu'il n'est pas d'ordre public. On peut rappeler ici que ce principe doit jouer notamment en matière pénale. Ainsi, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a réaffirmé fortement ce principe dans un arrêt du 6 mars 2015 (8). Dans cette affaire, est sanctionné le défaut de loyauté dans le recueil des preuves d'une infraction pénale. Ce défaut viole le droit de ne pas s'auto-incriminer.

En matière fiscale, le principe de loyauté a des contours flous et variables. Ainsi, la Charte du contribuable de 2005 indique le fait que "Nous avons une obligation de loyauté. Nous appliquons les textes fiscaux avec discernement et apprécions les situations avec impartialité, réalisme et cohérence. Nous ne cherchons pas à vous prendre en faute" (9). On le voit, ce principe semble n'avoir qu'un contenu incertain, notamment en ce qui concerne les procédures fiscales et tout particulièrement la question de la preuve.

Le professeur Martin Collet, dans une étude récente (10), indique que : "Bien que l'expression soit rarement définie, son contenu fait peu controverse : il s'agirait pour l'essentiel de recouvrir plusieurs exigences : 'tenir parole, ne pas piéger, ne pas dissimuler ". Il s'agit donc de "respecter la parole donnée [...] refuser les trahisons, les coups bas'" (11). En l'espèce, il s'agissait de ne pas utiliser de moyens illégaux de preuves.

Dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 juillet 2014 (12), et dans une affaire non fiscale, le rapporteur public Vincent Daumas avait proposé d'affirmer "le principe de loyauté dans l'administration de la preuve" sans pour autant être suivi par la Haute juridiction administrative. On doit constater qu'en matière fiscale, la loyauté n'est pas encore tout à fait acquise.

Sans pour autant justifier des faits de dissimulation en matière fiscale, on peut se demander si, dans cette affaire, nous ne sommes pas face à une forme de déloyauté et surtout d'hypocrisie. En effet, il aurait fallu que le contribuable ne donne pas ses relevés bancaires dans la procédure de contrôle. Ces derniers sont, selon le juge, à l'origine de la rectification. En ce cas, l'administration n'aurait pas pu utiliser les documents obtenus de manière illicite pour fonder sa procédure de rectification.

Le Conseil d'Etat, par son revirement de jurisprudence évoqué ci-dessus (13), pouvait laisser à penser au contribuable que l'on n'utiliserait pas contre lui des documents illicites dans le cadre d'une éventuelle rectification de son imposition. Dès lors, il pensait pouvoir collaborer avec l'administration. En revanche, le déclenchement du contrôle semble bien pouvoir être fondé sur des documents illicites, même si la preuve ne peut en apparaître vraiment.

Dans l'affaire analysée, il apparaît donc que le Conseil d'Etat soit toujours réticent à mentionner la loyauté de la preuve pourtant soulevée par le requérant et évoquée par les juges du fond.

Cette décision montre, à nouveau, comme l'avait très bien souligné Martin Collet, que "les références explicites à la loyauté de la preuve qui émaillent la jurisprudence n'apportent rien, juridiquement, aux solutions qu'elles accompagnent" (14). Le Conseil d'Etat ne semble donc pas décidé à participer à la construction d'un véritable principe de loyauté en matière de preuve dans la procédure fiscale.


(1) TA Paris, 11 décembre 2013, n° 1301457.
(2) CAA Paris, 2 avril 2015, n° 14PA00337 (N° Lexbase : A7197NQM).
(3) Voir sur cette affaire, un article du "Monde" datant du 25 octobre 2016.
(4) Voir M. Collet, La loyauté : un principe qui nous manque ?, Droit fiscal, n° 42-43 20, octobre 2016, 554 ; P. Michaud, L'obligation de loyauté en droit fiscal.
(5) F. Marc, Avis présenté au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, Sénat, 2013, p. 67.
(6) Cons. const., 4 décembre 2013, n° 2013-679 DC (N° Lexbase : A5483KQ7) ; voir M. Pelletier, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, Note sous 2013-679 DC, Revue française de droit constitutionnel, 2014, n° 98, p. 467-470 ; E. Bonis-Garçon, Critère de fixation du montant maximum de la peine encourue par une personne morale, Droit pénal, 2014, n° 2, p. 50-51 ; J.-H. Robert, Casuistique autour de la déloyauté des procédures fiscales, Droit pénal, 2014, n° 2, p. 38-40 ; C. de La Mardière, Loi sur la fraude fiscale : la France reste un Etat de droit, Constitutions, janvier-mars 2014, n° 2014-1, p. 76-79.
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2015, n° 373269, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9521NGQ), concl. Aladjidi, note R. Torlet et A. Taillefer, Droit fiscal, n° 25, 18 juin 2015, comm. 419.
(8) Ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339, P+B+R+I (N° Lexbase : A7737NCK) ; voir, E. Bonis-Garçon, L'apport de l'Assemblée plénière à la définition de la notion de procédé déloyal de recherche des preuves, La Semaine Juridique Edition Générale, n° 19-20, 11 mai 2015, 558.
(9) Charte du contribuable, 2005, p. 18.
(10) M. Collet, La loyauté : un principe qui nous manque ?, Droit fiscal, n° 42-43 20, octobre 2016, 554, point 1.
(11) G. Noël, La loyauté dans le couple "administration fiscale-contribuable ", In Mélanges en l'honneur de M. Cozian, Litec, 2009, p. 81. Cité également dans l'étude précitée de M. Collet.
(12) CE Sect., 16 juillet 2014, n° 355201, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4410MUU) ; RFDA, 2014, p. 924 ; Dr. adm., 2014, comm. 73, note G. Eveillard ; JCP éd. A, 2014, act. 630, obs. L. Erstein ; AJDA, 2014, p. 701, chron. A. Bretonneau et J. Lessi.
(13) CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2015, n° 373269, publié au recueil Lebon, concl. Aladjidi, note R. Torlet et A. Taillefer, Droit fiscal, n° 25, 18 juin 2015, comm. 419, préc..
(14) M. Collet, La loyauté : un principe qui nous manque ?, Droit fiscal, n° 42-43 20, octobre 2016, 554, point 10.

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Santé et sécurité au travail

[Jurisprudence] Les maître-mots du respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat : détection, réaction et évaluation

Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2016, n° 15-21.226, F-D (N° Lexbase : A2288SIL)

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 01 Décembre 2016

Que tous ceux qui pensaient que la Cour de cassation avait enterré l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur se rassurent, il n'en est rien ! Dès lors que ce dernier n'a pas mis en oeuvre tous les moyens dont il disposait pour informer les salariés, former l'encadrement et traiter les situations dangereuses ou simplement inconfortables dans l'entreprise, alors il risque d'être condamné à en réparer les conséquences sur un plan civil et/ou professionnel, et les juges du fond qui n'en auraient pas tiré toutes les conséquences encourront la censure de la Haute juridiction, comme le montre cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 16 novembre 2016 (I). Cette affaire permet de bien comprendre l'étendue des obligations pesant sur l'employeur qui doit détecter les risques, les traiter et veiller à l'efficacité des mesures mises en oeuvre (II).
Résumé

Doit être considéré comme ayant manqué à son obligation de sécurité de résultat, l'employeur qui ne pouvait ignorer le mal-être de ses salariés et n'a pas pris des mesures susceptibles d'y mettre efficacement un terme.

I - La Cour de cassation et la nouvelle grammaire de l'obligation de sécurité

Le contexte. La Chambre sociale de la Cour de cassation a entrepris, depuis quelques mois, de modifier sa jurisprudence, tant pour ce qui concerne les conditions de la prise d'acte ou de la résiliation judiciaire du contrat de travail, que de la condamnation de l'employeur en raison de manquements à son obligation de sécurité, les deux se trouvant d'ailleurs fréquemment associés.

S'agissant, tout d'abord, de la prise d'acte et de la résiliation judiciaire du contrat de travail, la Haute juridiction a modifié les termes du régime prétorien en mars 2014 : désormais, la rupture du contrat sera considérée comme imputable à l'employeur lorsque la gravité des fautes commises par ce dernier auront rendu impossible la poursuite de l'exécution du contrat de travail, le contrôle exercé sur les décisions rendues par les juges du fond étant "léger" (1), c'est-à-dire centré sur la cohérence entre les observations matérielles réalisées par les juges du fond et les conclusions tirées s'agissant de l'imputation des torts de la rupture à l'employeur.

S'agissant, ensuite, de l'intensité de l'obligation de sécurité qui pèse sur l'employeur, la Cour de cassation a ramené celle-ci à une "simple" obligation de respect des normes légales en matière de santé et de sécurité, sans condamner systématiquement l'employeur sur la base du seul constat que le salarié a subi un dommage à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail (2).

C'est dans ce double contexte que s'inscrit cette nouvelle affaire.

Les faits. Une salariée, engagée en 1987 comme employée administrative et occupant au moment du différend les fonctions de référent gestion, avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail fondée sur une violation par son employeur de son obligation de sécurité.

Elle avait été déboutée de sa demande par la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 7 mai 2015 n° 12/04272 N° Lexbase : A6612NHD) qui avait, certes, caractérisé un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, mais considéré que "pour autant l'intéressée ne démontr[ait] pas en quoi le manquement de ce dernier à cette obligation à l'égard de l'ensemble des salariés placés dans la même situation, qu'elle serait à l'origine d'un préjudice autre que moral lié à la dégradation de son état de santé et ferait obstacle à la poursuite de son contrat de travail".

La cassation. L'arrêt est cassé pour violation des articles 1184 du Code civil (art. 1221 nouveau N° Lexbase : L0942KZW) et L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L6801K9R) du Code du travail, la Haute juridiction reprochant à la cour d'appel de n'avoir pas tiré les conséquences légales de ses constatations, d'où il résultait que "l'employeur n'avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et que l'inobservation des règles de prévention et de sécurité était à l'origine de la dégradation de l'état de santé de la salariée [et] dont elle aurait dû déduire que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat rendait impossible la poursuite du contrat de travail".

L'intérêt de la décision. Cette décision est particulièrement intéressante dans la perspective d'une bonne compréhension des nouvelles consignes données par la Cour de cassation, tant pour ce qui concerne les conditions dans lesquelles le juge peut/doit admettre une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail (ou la justification de la prise d'acte) (3), et les demandes fondées sur la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, puisque dans cette affaire le contrôle, même léger, exercé par la Haute juridiction, conduit à la cassation de la décision entreprise.

II - Détecter, traiter et évaluer : les trois temps du respect par l'employeur de son obligation de sécurité

L'intérêt de la décision. L'étude de cette décision permet de dégager avec profit les trois temps du raisonnement qui peut conduire, soit à la mise hors de cause de l'employeur, soit au contraire à sa condamnation lorsqu'il est mis en défaut à chacune des étapes.

1° : détecter. La première condition pour que l'employeur soit condamné pour manquement à son obligation de sécurité est l'existence d'une atteinte avérée à la santé ou à la sécurité de ses salariés que l'employeur doit détecter. Dans cette affaire, il s'agissait de "stress" et de "mal être" de salariés qui travaillaient sur un plateau précis. Cette situation avait été dénoncée à la fois par le médecin du travail et le CHSCT, ce qui permettait d'en établir la véracité, et se traduisait concrètement "par un taux d'absentéisme élevé et un nombre important de départs", tous faits dont l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir connaissance.

Dans d'autres affaires également examinées ces derniers mois par la Cour de cassation, la connaissance par l'employeur du risque avait été déterminante du raisonnement (4), comme le fait que l'employeur n'ait pas permis au salarié d'être examiné par le médecin du travail, à l'occasion de la visite de reprise obligatoire, avait également conduit la Cour de cassation à imputer la responsabilité d'une prise d'acte à l'employeur indélicat (5). La même solution a continué à être retenue s'agissant de l'absence de visite médicale périodique obligatoire (6).

La collaboration de l'employeur avec le médecin du travail et le CHSCT participera naturellement de la démonstration que l'employeur a rempli ses obligations pour faire cesser un conflit interpersonnel potentiellement facteur de harcèlement pour l'un des salariés (7).

2° : traiter. La deuxième condition tient aux actions mises en oeuvre par l'employeur pour remédier aux difficultés rencontrées. Dans ses précédentes décisions, la Haute juridiction avait indiqué que l'employeur devait envisager "toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et, notamment, avait mis en oeuvre des actions d'information et de formation propres à prévenir la survenance de faits" (8). Ces actions doivent être pertinentes au regard des risques identifiés, c'est-à-dire adaptées, et suffisantes au regard des moyens nécessaires et des capacités financières de l'entreprise. Dans cette affaire, les juges du fond, et la Cour de cassation, soulignent que les mesures adoptées par l'entreprise ne semblaient pas spécifiques aux risques identifiées et tournées essentiellement vers une amélioration du management : le "plan de formation continue", ainsi que le "système d'entretiens individuels" étaient en effet "destinés à accompagner les gestionnaires et à leur permettre d'améliorer leur qualité de gestion", dans la perspective "reprendre en main un encadrement qu'il estimait trop laxiste". Rien ne semblait donc véritablement centré sur la question des risques psycho-sociaux, qu'il s'agisse de leur prévention ou de leur éradication.

3° : évaluer. La dernière condition, et qui est au coeur de la décision du 16 novembre commentée, concerne l'évaluation de l'efficacité des mesures mises en place. Cette obligation s'évince logiquement du dernier alinéa de l'article L. 4121-1 du Code du travail, aux termes duquel "l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes". Il ne peut donc pas se contenter de prendre des mesures qu'il juge utiles, et considérer ensuite l'affaire comme réglée. Il doit non seulement mesurer l'effectivité des mesures prises, c'est-à-dire veiller à ce qu'elles soient effectivement mises en place, mais aussi à leur efficacité, c'est-à-dire en mesurant leur impact réel sur les situations problématiques. Dans cette affaire, il était reproché à l'employeur non seulement la pertinence des mesures adaptées, qui n'étaient pas spécifiques aux risques relevés, mais aussi, et peut-être surtout, le fait qu'il n'en avait pas mesuré l'impact réel sur le mal être de ses salariés, ne pouvant pas ainsi "améliorer" les mesures prises.


(1) Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-23.634, FP-P+B (N° Lexbase : A2543MIZ), Lexbase, éd. soc., n° 567, 2014, comm. G. Auzero (N° Lexbase : N1832BUE) ; D., 2014, p. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc., 2014, p. 397, tribune J.-E. Ray ; ibid., p. 821, étude J. Mouly. Ce contrôle "léger" a été défini comme "un contrôle de légalité qui intervient lorsque la cour d'appel a tiré une conséquence juridique de ses constatations de fait qui était possible mais qui aurait pu être différente sans pour autant encourir la critique, et [...] s'exprime par une réponse au rejet selon laquelle le juge du fond a pu... statuer comme il l'a fait" : lire l'article de J.-F. Weber au BICC, n° 702 du 15 mai 2009 (fiche méthodologique). Pour reprendre également les termes de J.-L. Aubert, "le contrôle léger se réduit, pour l'essentiel, à une vérification de ce que cette motivation ne comporte ni contre-vérité ni contradiction, ou encore, selon la juste observation de M. Jérôme Betoulle (La distinction contrôle lourd/contrôle léger de la Cour de cassation. - Mythe ou réalité ?, JCP éd. G, 2002, I, 171), de ce qu'elle ne révèle pas une erreur typique de conception , une erreur manifeste ", in La distinction du fait et du droit dans le pourvoi en cassation en matière civile, Cycle Droit et technique de cassation 2004-2005, Troisième conférence.
(2) Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7767NXX) et les obs. de S. Tournaux, Lexbase, éd. soc., n° 636, 2015 (N° Lexbase : N0322BWT) ; Dr. soc., 2016, p. 457, chron. P.-H. Antonmattéi ; D., 2016, p. 144, note E. Wurtz ; JCP éd. S, 2016, 1011, étude M. Babin ; Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14.19.702, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2663RR3), nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 659, 2016 (N° Lexbase : N3164BW4).
(3) Sur lesquelles se référer à l’Ouvrage "Droit du travail" .
(4) Cass. soc., 12 janvier 2016, n° 14-24.992, F-D (N° Lexbase : A9324N3Q).
(5) Cass. soc., 28 janvier 2016, n° 14-15.374, F-D (N° Lexbase : A3372N7Z) ; contra Cass. soc., 20 octobre 2016, n° 15-17.375, F-D (N° Lexbase : A6553R9L), les juges ayant considéré que ce seul fait, ajouté au seul fait que l'employeur demeurait d'une somme modique, ne suffisait pas à justifier la rupture.
(6) Cass. soc., 18 mars 2016, n° 14-26.827, F-D (N° Lexbase : A3606Q83).
(7) Cass. soc., 3 décembre 2014, n° 13-18.743, F-D (N° Lexbase : A0653M7C), nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 595, 2014 (N° Lexbase : N5101BUH) : l'employeur avait également pris la décision, au cours d'une réunion du CHSCT, de confier une médiation à un organisme extérieur.
(8) Cass. soc., 1er juin 2016, préc..

Décision

Cass. soc., 16 novembre 2016, n° 15-21.226, F-D (N° Lexbase : A2288SIL)

Cassation partielle (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 7 mai 2015, n° 12/04272 N° Lexbase : A6612NHD)

Textes : C. civ., art. 1184 (art. 1221, nouveau N° Lexbase : L0942KZW), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK) ; C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L6801K9R).

Mots-clés : obligation de sécurité ; résiliation judiciaire.

Lien base : (N° Lexbase : E0612E9K)

newsid:455400

Sécurité sociale

[Brèves] Compétence du juge judiciaire pour connaître du litige relatif au remboursement d'indemnités journalières indues par un agent contractuel employé par une collectivité locale

Réf. : T. confl., 14 novembre 2016, n° 4071 (N° Lexbase : A3761SLU)

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Le 02 Décembre 2016

Au regard des articles L. 142-1 (N° Lexbase : L3194IGE) à L. 142-3 (N° Lexbase : L9121I8C), L. 321-1 (N° Lexbase : L8788KUZ) et L. 323-1 (N° Lexbase : L8821KUA) et suivants du Code de la Sécurité sociale, le litige relatif au remboursement des indemnités journalières perçues par un agent contractuel employé par une collectivité locale relève de la compétence des juridictions judiciaires. Telle est la réponse apportée par le Tribunal des conflits dans un arrêt rendu le 14 novembre 2016 (T. confl., 14 novembre 2016, n° 4071 N° Lexbase : A3761SLU ; cf. CE 1° et 6° s-s-r., 23 mars 2009, n° 313185, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1859EEL).
Dans cette affaire, le maire de Montpellier a émis contre Mme A., agent contractuel placé en congé maladie, un titre exécutoire en vue de récupérer les indemnités journalières de Sécurité sociale qu'elle avait perçues en plus de son traitement pendant la période du 1er janvier 2012 au 17 septembre 2012. Le tribunal de grande instance, le 9 décembre 2013, puis le tribunal administratif, le 15 avril 2014, se sont chacun déclaré incompétence pour connaître de la contestation de Mme A de ce titre exécutoire. La cour administrative d'appel (CAA Marseille, 9ème, 13 juillet 2016, n° 14MA02741 N° Lexbase : A1268RYM) a estimé que l'action contre le titre exécutoire du 6 novembre 2012 relevait de la compétence des juridictions judiciaires et a sursis à statuer et saisi le Tribunal des conflits.
Le Tribunal répondra telle la solution précitée (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E1436EUQ).

newsid:455496

Vente d'immeubles

[Brèves] Conséquences du retrait d'un permis de construire obtenu postérieurement à la vente

Réf. : Cass. civ. 3, 24 novembre 2016, n° 15-26.226, FS-P+B (N° Lexbase : A3496SL3)

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N5485BW3

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Le 08 Décembre 2016

L'annulation rétroactive du permis de construire obtenu après la vente est sans incidence sur l'erreur qui doit s'apprécier au jour de la formation du contrat et le retrait du permis de construire ne peut entraîner la nullité de celle-ci, ni donner lieu à la garantie des vices cachés, dès lors qu'il apparaît que l'acte notarié de vente comprenait un état des risques mentionnant que les parcelles étaient en zone inondable et étaient couvertes par un plan de prévention des risques et qu'au jour de la vente, le terrain litigieux était constructible. Telle est la substance d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 24 novembre 2016 (Cass. civ. 3, 24 novembre 2016, n° 15-26.226, FS-P+B N° Lexbase : A3496SL3). En l'espèce, par acte notarié du 22 août 2006, dressé par MM. N. et M., les époux V. ont vendu différentes parcelles de terrain pour lesquelles les acquéreurs ont obtenu un permis de construire. A la suite d'un recours gracieux du préfet, le permis de construire a été retiré par arrêté municipal, pour des motifs de sécurité, le lotissement se trouvant dans un secteur soumis à des risques naturels. Les acquéreurs, invoquant l'inconstructibilité du terrain, ont assigné les vendeurs en nullité du contrat de vente et en indemnisation de leur préjudice. En cause d'appel, la demande des acquéreurs en résolution et en nullité du contrat de vente, ainsi qu'en indemnisation a été rejetée au motif que l'inconstructibilité relevait de l'appréciation de l'administration et qu'il s'agissait donc d'un vice extrinsèque ne pouvant donner lieu à réparation sur le fondement de l'action en garantie des vices cachés ; et que l'annulation rétroactive du permis de construire accordé était sans incidence sur l'erreur qui doit s'apprécier au moment de la vente. Dès lors, le retrait du permis de construire postérieurement à la vente n'affectait pas sa validité et ne pouvait justifier son annulation (CA Grenoble, 1er septembre 2015, n° 12/02297 N° Lexbase : A3894NNK). Les acquéreurs ont alors formé un pourvoi à l'appui duquel ils soutenaient que lorsque le refus d'octroi d'un permis de construire en raison du caractère inconstructible du terrain était fondé sur des circonstances existant antérieurement à la vente, l'erreur commise par l'acquéreur qui croyait le terrain constructible est de nature à vicier son consentement. Mais également que le vice d'inconstructibilité affectant le terrain était inhérent au bien vendu. A tort selon la troisième chambre civile qui, énonçant la solution précitée, rejette le pourvoi des acquéreurs (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E2326EYS).

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