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N3895BW8
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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse 1 Capitole), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires
Le 28 Juillet 2016
A cet égard, le paysage juridique des sociétés a connu des modifications d'ordre général ou particulier et a assisté à l'émergence de nouvelles formes sociales.
1. Le premier point mis en exergue réside dans la comparaison entre les sociétés civiles et les sociétés commerciales marquée par le rapprochement opéré entre elles par la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 (2) (D. Gibirila, Sociétés civiles et sociétés commerciales : une distinction justifiée malgré un rapprochement avéré entre elles N° Lexbase : N3670BWT). Ce texte a repris de nombreuses dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales afin de les appliquer aux sociétés civiles. L'évolution propice à la commercialisation des sociétés civiles s'est traduite par une refonte législative du titre IX du livre III du Code civil (3) relatif aux sociétés.
Les autres sujets d'étude ne sont pas moins importants ; loin s'en faut.
2. Il en va ainsi de la dépénalisation du droit des sociétés (M.-C. Sordino, Réflexions sur la dépénalisation du droit des sociétés commerciales N° Lexbase : N3894BW7). A ce propos, la loi "Warsmann II" (4) a accentué le mouvement de dépénalisation du droit des affaires entrepris depuis plusieurs années, notamment en abrogeant certaines infractions relatives au droit des sociétés. De plus, elle a allégé le régime de certaines sanctions pénales (suppression de peines d'emprisonnement mais peines d'amendes alourdies), notamment en ce qui concerne la non libération des actions de numéraires d'au moins la moitié ou la non libération intégrale des actions d'apport avant l'immatriculation de la société (5) ; la négociation des actions de numéraires non libérées de moitié (6) ...
Cette dépénalisation connaît toutefois des limites. Le législateur a intégré deux mesures renforçant les pouvoirs d'enquête et aggravant les sanctions pénales dans les lois du 11 octobre 2013 (7) et du 6 décembre 2013 (8).
La nouvelle rédaction des articles L. 241-3 (N° Lexbase : L9516IY4) et L. 242-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L9515IY3) prévoit qu'en cas de condamnation pour abus de bien sociaux, abus de pouvoirs ou de voix, distribution de dividendes fictifs ou présentation de comptes sociaux infidèles, les dirigeants sociaux encourent la peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille de l'article 131-26 du Code pénal (N° Lexbase : L2174AMH).
Par ailleurs, un nouveau délit d'abus de bien sociaux aggravé a été créé. Il est puni de 7 ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende. Cette infraction est destinée à sanctionner certaines méthodes de dissimulation de l'abus de bien social, en particulier le recours à des comptes bancaires étrangères ou des intermédiaires ou des structures étrangères.
3. Une ordonnance du 22 janvier 2009 (9) a supprimé la notion française d'appel public à l'épargne au profit des notions européennes d'offre au public de titres financiers et d`admission aux négociations sur un marché réglementé, afin d'adapter le droit français à la Directive européenne 2003/71CE du 4 novembre 2003 (10). Ses dispositions sont entrées en vigueur le 1er avril 2009 (B. François, Admission sur un marché financier, offre au public et financement participatif : derniers avatars de l'appel public à l'épargne (Première partie) N° Lexbase : N3661BWI et Admission sur un marché financier, offre au public et financement participatif : derniers avatars de l'appel public à l'épargne (Seconde partie) N° Lexbase : N3662BWK).
L'offre au public de titres financiers comporte l`une des deux opérations suivantes : une communication adressée sous toute forme et par n'importe quel moyen à des personnes. Elle contient une information suffisante sur les conditions de l`offre et sur les titres à offrir, afin de mettre un investisseur en mesure de décider d`acheter ou de souscrire ces titres financiers ; un placement de titres financiers par des intermédiaires financiers (11).
En réalité, bien que la suppression de la notion d'appel public à l'épargne soit perçue comme un véritable bouleversement, celui-ci est surtout d'ordre terminologique. L'appel public à l'épargne et l'offre au public sont deux notions formellement différentes, mais substantiellement très proches et superposables.
4. S'agissant de la direction et de l'administration de la société anonyme (Fl. Maury, Direction et administration de la société anonyme "à la française", cinquante ans après la loi du 24 juillet 1966 N° Lexbase : N3888BWW), l'avènement de la loi sur les nouvelles régulations économiques (loi "NRE") (12) constitue une étape importante de l'évolution du droit des sociétés. Pour l'essentiel, ce texte a, d'une part dissocié les pouvoirs du président et du conseil d'administration et du directeur général, d'autre part, distingué les pouvoirs de ces deux organes de ceux du conseil d'administration. Le président, à l'instar du conseil d'administration lui-même, a perdu son pouvoir de direction générale et de représentation de la société qui a été transféré au directeur général. La loi de sécurité financière ("LSF") du 1er août 2003 (13) l'a même privé du pouvoir de représenter ledit conseil que lui avait auparavant octroyé la loi "NRE". Son rôle a donc été considérablement réduit (14).
Il appartient au conseil d'administration d'opter à tout moment pour la dissociation ou non des fonctions signalée. Il n'est pas tenu par son choix initial ; sauf stipulation contraire des statuts, il peut à tout moment changer les modalités d'exercice. En toute hypothèse, c'est le directeur général qui est soit le président du conseil d'administration, soit une autre personne physique nommée exclusivement par le conseil en dehors de toute proposition du président, qui détient le pouvoir de représenter la SA et de l'engager à l'égard des tiers (15). Il peut être assisté par ou plusieurs personnes (cinq au maximum), des directeurs généraux délégués nommés par le conseil d'administration sur sa proposition et ayant vocation à occuper auprès de lui la mission d'assistance autrefois dévolue au directeur général auprès du président.
5. La société anonyme, moniste ou dualiste, ne saurait fonctionner sans commissaire aux comptes (D. Vidal, Le contrôle légal et judiciaire des opérations sociales : quelle protection pour l'entreprise sociale ? N° Lexbase : N3392BWK) dont l'absence est pénalement sanctionnée (16). Etant investis d'une mission légale de contrôle des comptes sociaux, ils sont garants du bon fonctionnement de la société et participent à la défense des intérêts de tous les acteurs de la vie sociétaire, qu'ils soient internes au groupement social comme les actionnaires et les salariés, ou externes tels que les créanciers ou les épargnants.
Si leur présence au sein de ces sociétés ne date pas d'aujourd'hui, mais d'avant la loi du 24 juillet 1966, il est bien évident que cet organe de contrôle a notablement évolué tant dans son organisation que dans son fonctionnement, sous l'impulsion entre autres, des lois "NRE" du 15 mai 2001 et de sécurité financière du 1er août 2003. Entre autres, l'unification de son statut, quelle que soit la société au sein de laquelle il intervient, l'organisation de son activité en ordre professionnel, l'accroissement des garanties apportées par les professionnels au renforcement de son indépendance, mais également l'alourdissement de ses obligations. Par ailleurs, la mission des commissaires aux comptes tend à devenir d'intérêt public.
6. En ce qui concerne la dissolution de la société, le régime instauré par la loi du 24 juillet 1966 a été plusieurs fois complété ou modifié ultérieurement (Ch. Lebel, Dissolution et liquidation des sociétés ou l'évolution de la disparition de la société en 50 ans, depuis la loi du 24 juillet 1966 N° Lexbase : N3673BWX). A l'opposé, si le Code de commerce était mutique en matière de liquidation, celle-ci relève essentiellement de la loi de 1966.
Sur le premier point, la dissolution, le législateur a précisé ou introduit des causes de dissolution propres aux sociétés de personnes telles que décès de l'associé, la condamnation à une mesure d'interdiction d'exercer une activité commerciale prononcée à l'égard d'un associé de société en nom collectif, ou spécifiques aux sociétés anonymes et aux sociétés à responsabilité limitée, notamment la perte des trois quarts du capital social. Par ailleurs, depuis l'avènement de ce texte, la réunion des droits sociaux en une seule main n'est plus une cause de dissolution de plein droit de la société, ainsi que la liquidation judiciaire de celle-ci.
Sur le second point, la liquidation, hormis le régime mis en place par la loi de 1966, les nouveautés ont pu porter, entre autres, sur la société unipersonnelle dont le patrimoine est transmis à l'associé unique, à condition selon la loi "NRE" du 15 mai 2001 ajoutant un dernier alinéa à l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM), qu'il s'agisse d'une personne morale.
7. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) (B. Saintourens, La société unipersonnelle : entre dogmatisme et pragmatisme introduite dans le droit des sociétés français N° Lexbase : N3394BWM) en même temps que l'EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée) par une du 11 juillet 1985 (17) permet notamment à une seule personne physique ou morale de constituer une société sans recourir à un associé de complaisance (prête-noms ou associés fictifs) et, par conséquent, d'éviter les sociétés de façade. Elle est destinée également, d'une part, à favoriser l'esprit d'initiative de l'entrepreneur individuel en lui offrant la possibilité de limiter sa responsabilité au patrimoine social en séparant celui-ci de son patrimoine personnel ; d'autre part, à faciliter et encourager la transmission des entreprises familiales. Il est vrai que l'EURL est concurrencée, outre par la SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle), par l'auto-entreprise mise en place par la loi de modernisation de l'économie ("LME") (18) et par l'EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée) instaurée le 15 juin 2010 (19). Cela résulte de ce qu'elle ne connaisse pas le succès escompté, puisque seules 6,2 % des entreprises sont des EURL, c'est-à-dire près de dix fois moins que les entreprises en nom propre.
8. L'entrée des sociétés d'exercice libéral (SEL) dans le droit des sociétés est remarquable (B. Brignon, Loi de 1966 versus loi de 1990 : l'élève aurait-il dépasser le maître ? N° Lexbase : N3391BWI). Elle est l'oeuvre de la loi du 31 décembre 1990 (20) entrée en vigueur le 1er janvier 1992 et dernièrement réformée par la loi "Macron" (21) et l'ordonnance du 31 mars 2016 sur la pluriprofessionnalité d'exercice (22). Elle permet à tous les professionnels libéraux d'organiser leur activité à caractère civil au sein d'une société à forme commerciale, par conséquent à risque limité, et ainsi d'éviter une responsabilité illimitée telle que dans une société civile professionnelle (SCP). Autrement dit, elle rend possible "l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé". Elle généralise ainsi la possibilité de recourir aux formes de la SARL pluripersonnelle ou unipersonnelle (SELARL), de la société anonyme (SELAFA), de la société en commandite par actions (SELCA) et de la société par actions simplifiée (SELAS).
Le législateur vise un triple objectif : permettre aux professionnels libéraux de faire face à la concurrence étrangère en recourant dans une certaine mesure à des capitaux extérieurs ; permettre par l'interprofessionnalité, à des professionnels libéraux d'une même famille (médecins, infirmiers) ou de familles différentes (avocats, experts-comptables) de se retrouver au sein d'une même structure et ainsi développer des groupements aptes à affronter la concurrence ; recourir à la fiscalité des sociétés commerciales, plus favorable que celle des sociétés civiles.
Ces différents avantages contribuent au succès des SEL qui représentent près de 50 % des structures d'exercice des activités libérales.
9. La société par actions simplifiée (SAS) (M. Rakotovahiny L'émancipation de la SAS de la loi du 24 juillet 1966 N° Lexbase : N3893BW4) a été instituée par la loi du 3 janvier 1994 (23), afin de contrebalancer le formalisme lourd de la société anonyme qui constitue un obstacle à l'élaboration d'une structure de rapprochement et de coopération. Cela justifie qu'elle s'applique aisément dans la filiale commune où des partenaires très avertis des techniques contractuelles utilisent aux mieux sa souplesse.
Cette nouvelle forme sociale échappe au dirigisme de la société anonyme qui laisse peu de place à la liberté individuelle. La souplesse de son fonctionnement permet d'échapper aux contraintes de celle-ci imposée par la loi "NRE" du 15 mai 2001, sans compter le succès qu'elle connaît avec les innovations apportées par la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche (24) et la "LME" du 4 août 2008. Bien que marquée par un fort intuitus personae et susceptible de fonctionner avec une seule personne physique ou morale, cette structure sociétaire présente la particularité de relever des sociétés de capitaux, tout en se différenciant sensiblement de la société anonyme dont elle n'est pas une sous-catégorie. Elle est aujourd'hui une société de première importance ; son nombre n'a pas cessé de croître (4240 en janvier 2000 et 188 735 en septembre 2009 ; 399 immatriculations au tribunal de commerce de Paris en 1995 et 11 246 en 2014) alors que dans le même temps celui des SA a singulièrement régressé (157 927 en janvier 2000 et 44 629 en septembre 2009 ; 2015 immatriculations au greffe du tribunal de commerce de Paris en 1995 ; 170 en 2014) (25).
En définitive, "Rien ne sera plus jamais comme avant", eu égard aux différentes innovations effectuées par le législateur en droit des sociétés. Néanmoins, "L'histoire est un perpétuel recommencement" (26), car à n'en point douter, d'autres réformes viendront modifier, voire bouleverser le paysage juridique des sociétés.
(1) Loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, sur les sociétés commerciales (N° Lexbase : L6202AGS), D., 1966, p. 265.
(2) Loi n° 78-9 du 4 janvier 1978, modifiant le titre IX du livre III du Code civil, (N° Lexbase : L1471AIC).
(3) C. civ., art. 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ) à 1873.
(4) Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives (N° Lexbase : L5099ISN)
(5) C. com., art. L. 242-1 (N° Lexbase : L5779IST).
(6) C. com., art. L. 242-3 (N° Lexbase : L5778ISS).
(7) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique (N° Lexbase : L3622IYS).
(8) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW).
(9) Ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009, relative à l'appel public à l'épargne et portant diverses dispositions en matière financière (N° Lexbase : L5928ICK).
(10) Directive européenne 2003/71CE du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la Directive 2001/34/CE (N° Lexbase : L4456DMY)
(11) C. mon. fin., art. L. 411-1, modifié (N° Lexbase : L6070ICS).
(12) Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ).
(13) Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB).
(14) C. com., art. L. 225-51 (N° Lexbase : L5922AI8).
(15) C. com., art. L. 225-51-1, al. 1er (N° Lexbase : L2183ATZ) et L. 225-56, I, al. 2 (N° Lexbase : L5927AID).
(16) C. com., art. L. 820-4, 1° (N° Lexbase : L3311IQP).
(17) Loi n° 85-697 du 11 juillet 1985, relative à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (N° Lexbase : L2051A4Q).
(18) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR).
(19) Loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (N° Lexbase : L5476IMR).
(20) Loi n° 90-1258 du 30 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN).
(21) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).
(22) Ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016, relative aux sociétés constituées pour l'exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (N° Lexbase : L3874K7M).
(23) Loi n° 94-1 du 3 janvier 1994, instituant la société par actions simplifiée (N° Lexbase : L2852AWK).
(24) Loi n° 99-587 du 12 juillet 1999, sur l'innovation et la recherche (N° Lexbase : L1179AR4).
(25) Ph. Merle (avec la collaboration de A. Fauchon), Sociétés commerciales, n° 2, Précis Dalloz 2016, 19e éd.
(26) Thucydide. Historien grec né en -460 dans une famille noble d'Athènes ; il reçoit un commandement militaire en -424 mais ne peut empêcher la chute d'Amphipolis. Cet échec lui vaut d'être condamné à l'exil.
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Réf. : T. confl., 4 juillet 2016, n° 4062 (N° Lexbase : A8656RXU)
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N3945BWZ
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Le 30 Juillet 2016
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Réf. : CA Versailles, 15 juillet 2016, n° 15/08931 N° Lexbase : A4222RXN
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N3939BWS
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Le 11 Octobre 2024
Si le client est fondé à solliciter la restitution des pièces qu'il a confiées à son conseil, il ne peut en revanche demander la restitution des pièces adverses ; il ne peut davantage demander la restitution des minutes et copies exécutoires des décisions intervenues. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la cour d'appel de Versailles, rendu le 15 juillet 2016 (CA Versailles, 15 juillet 2016, n° 15/08931 N° Lexbase : A5743RXY). Dans cette affaire, un client formulait plusieurs griefs à l'encontre de ses avocats estimant ainsi que ces derniers avaient commis des faits de nature pénale et des manquements à leurs obligations déontologiques et professionnelles. Il est rappelé que lorsque l'affaire est terminée ou qu'il en est déchargé, l'avocat restitue sans délai les pièces dont il est dépositaire ; les contestations concernant la restitution des pièces sont réglées suivant la procédure prévue en matière de montant et de recouvrement des honoraires. Ce faisant les griefs relevant de la responsabilité civile ou pénale professionnelle de l'avocat ne sont pas de la compétence du juge taxateur. En revanche, la cour d'appel décide qu'il sera fait droit à la demande de restitution des pièces mais seulement en ce qui concerne les pièces qu'il a personnellement confiées à au conseil ; lesquelles ne peuvent toutefois être déterminées au regard des termes de la sommation de communiquer. Seules les pièces que le client a personnellement remises à l'avocat doivent être restituées.
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Réf. : Décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail (N° Lexbase : L2693K8A)
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N3890BWY
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par Gaël Balavoine, Avocat au barreau de Caen, ancien avoué à la cour, titulaire d'une spécialisation en procédure d'appel et Blandine David, Avocat au barreau de Paris, titulaire d'une spécialisation en procédure d'appel - Cabinet BMP & Associés
Le 24 Août 2016
I - Sur l'institution du défenseur syndical
L'article R. 1461-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2663K87), issu du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 dispose, en son alinéa 2, qu'"à défaut d'être représentées par la personne mentionnée au 2° de l'article R. 1453-2 (N° Lexbase : L2640K8B), les parties sont tenues de constituer avocat".
La personne visée par l'article R. 1453-2 du Code du travail est le défenseur syndical dont le statut a été créé par la loi "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC).
L'article 258 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a, en effet, institué un nouvel article L. 1453-4 du Code du travail (N° Lexbase : L6233ISN) rédigé ainsi : "un défenseur syndical exerce des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale. Il est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche, dans des conditions définies par décret".
Le décret d'application de ce texte législatif, qui aurait dû paraître au mois de mars 2016, a finalement été publié au Journal officiel n° 0167 du 20 juillet 2016.
Il s'agit du décret n° 2016-975 du 18 juillet 2016, relatif aux modalités d'établissement de listes, à l'exercice et à la formation des défenseurs syndicaux intervenant en matière prud'homale (N° Lexbase : L3694K9P).
Pour l'établissement de la liste, le texte prévoit que :
- la liste des défenseurs syndicaux est établie au niveau régional par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés mentionnées à l'article L. 1453-4 du Code du travail (C. trav., art. D. 1453-2-1, al. 1er N° Lexbase : L3783K9Y) ;
- la liste est arrêtée dans chaque région par le préfet de région et publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de région ; elle comporte notamment les nom, prénom, profession du défenseur, le nom de l'organisation syndicale ou professionnelle qui le propose et, au choix de cette organisation, les coordonnées de l'organisation ou celles des intéressés ; cette liste est tenue à la disposition du public à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, dans chaque conseil de prud'hommes et dans les cours d'appel de la région (C. trav., art. D. 1453-2-3 N° Lexbase : L3785K93) ;
- la liste est révisée tous les quatre ans avec possibilité de modification à tout moment si nécessaire à la demande des organisations syndicales ou de l'autorité administrative ; le texte prévoit que, sauf à justifier d'un motif légitime, l'absence d'exercice de la mission pendant une durée d'un an entraîne le retrait d'office de la liste des défenseurs syndicaux (C. trav., art. D. 1453-2-5 N° Lexbase : L3787K97).
Concernant l'exercice des fonctions de défenseur syndical, le décret dispose que les défenseurs syndicaux exercent leurs fonctions à titre gratuit (C. trav., art D. 1453-2-1, al. 2 N° Lexbase : L3783K9Y) et ce, sous peine de radiation d'office par le préfet de région (cf. C. trav., art. D. 1453-2-6 N° Lexbase : L3788K98). Le défenseur syndical peut être inscrit sur la liste de la région de son domicile ou du lieu d'exercice de leur activité professionnelle (C. trav., art. D. 1453-2-1, al. 3).
Enfin, concernant le champ territorial d'intervention du défenseur syndical, le texte édicte un article D. 1453-2-4 du Code du travail (N° Lexbase : L3786K94) qui prévoit :
- que l'inscription du défenseur syndical sur la liste permet l'exercice de la fonction de défenseur syndical dans le ressort des cours d'appel de la région à l'inverse donc de l'avocat qui ne pourra postuler que devant la cour d'appel dont dépend son barreau de rattachement ;
- que lorsqu'il aura assisté ou représenté la partie appelante ou intimée en première instance, le défenseur syndical pourra continuer à assister ou représenter celle-ci devant une cour d'appel qui a son siège dans une autre région, dérogation qui n'est pas prévue pour l'avocat.
II - Sur les modalités de la représentation
A compter du 1er août 2016, les parties au litige prud'homal auront l'obligation de se faire représenter devant la cour d'appel soit par un avocat, soit par un défenseur syndical qui devra être inscrit sur la liste susvisée.
Pour pouvoir postuler devant la cour d'appel dans le cadre d'un litige, l'avocat doit impérativement être inscrit à un barreau du ressort de la cour saisie.
L'article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi dite "Macron", qui entrera en vigueur le 1er août 2016, prévoit que les avocats "peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel".
A priori, pour pouvoir représenter une partie devant la Chambre sociale de la cour d'appel dans le cadre d'un litige prud'homal, l'avocat devrait donc impérativement être inscrit à un barreau du ressort de la cour saisie.
Le système de multipostulation, institué par l'article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), au profit de certains barreaux ne devrait pas permettre de déroger à cette règle.
Il convient de rappeler que les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre ne peuvent former une déclaration d'appel devant la cour d'appel de Paris que dans l'affaire pour laquelle ils ont postulé devant celui des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny ou Créteil qui a rendu la décision attaquée, ou devant la cour d'appel de Versailles dans l'affaire pour laquelle ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Pour l'application de ce texte, la Cour de cassation considère que "la postulation consiste à assurer la représentation obligatoire d'une partie devant une juridiction et qu'un avocat ne postule pas lorsque la représentation n'est pas obligatoire" (Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 14-29.185 N° Lexbase : A9588N4U).
Dès lors, l'avocat, qui assiste une partie devant un conseil des prud'hommes dépendant d'une cour extérieure au ressort de celle à laquelle son barreau est rattaché ne pourrait plus continuer à assurer seul la défense de son client en cause d'appel en matière prud'homale, y compris pour les barreaux bénéficiant du système de multipostulation et devrait, sous peine de nullité des actes qu'il pourrait régulariser (4), solliciter l'intervention d'un avocat postulant inscrit dans le ressort de la cour d'appel saisie.
L'état du droit semble toutefois devoir évoluer sur ce point puisque le Conseil national des barreaux précise, aux termes d'une fiche d'information technique diffusée à la profession le 27 juillet 2016, que "le ministère de la Justice a considéré que le régime de la postulation territoriale n'était pas applicable devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale, y compris en Alsace-Moselle, dans la mesure notamment où il échappe au monopole général d'assistance et de représentation par avocat puisque le défenseur syndical peut exercer des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale'" (C. trav. nouvel art. L. 1453-4 N° Lexbase : L5961KGU - loi du 6 août 2015, art. 258).
L'originalité du système institué permet donc aux parties de se faire également représenter en cause d'appel par un défenseur syndical.
A l'inverse de l'avocat qui bénéficie d'un mandat ad litem, le défenseur syndical devra justifier d'un mandat spécial, les dispositions de l'article 416 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0432IT8) ne prévoyant aucune dispense le concernant.
La régularité de l'appel interjeté par le défenseur syndical sera donc conditionnée à la justification d'un pouvoir spécial de représentation pour interjeter appel dans l'intérêt d'un justiciable (salarié ou employeur). Ce pouvoir devra avoir été donné spécialement pour assurer la représentation de la partie dans le cadre du procès d'appel (Cass. soc., 23 septembre 2015, n° 14-16.304, F-D N° Lexbase : A8339NPK).
Il en ira de même pour la constitution régularisée par le défenseur syndical.
En l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation, ce pouvoir spécial pourra être produit "jusqu'au moment où le juge statue" (Cass. soc., 26 mars 2014, n° 13-10.225, F-D N° Lexbase : A2498MID).
Si le défenseur syndical intervient pour la partie appelante, son pouvoir devra impérativement avoir être donné par le salarié ou l'employeur avant l'expiration du délai d'appel. A défaut, la nullité ou l'irrecevabilité de l'appel pourrait être encourue (même arrêt, Cass. soc. 26 mars 2014, 13-10.225, F-D).
La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation devrait, néanmoins, évoluer pour intégrer les nouvelles règles résultant des dispositions de l'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9), issues de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I). En effet, l'alinéa 1er de cet article édicte que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. L'alinéa 2 de ce texte précise qu'il en est de même entre autres lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. La Cour de cassation, saisie de l'application de ce texte, a précisé que l'article 2241 du Code civil ne distinguant pas dans son alinéa 2 entre le vice de forme et l'irrégularité de fond, l'assignation, même affectée d'un vice de fond produit un effet interruptif (Cass. civ. 2, 11 mars 2015, n° 14 -15.198, FS-P+B N° Lexbase : A3293NDC, Procédures, 2015, comm. 151, obs. Y. Strickler). Elle a également jugé que, dès lors que la déclaration d'appel est l'acte de saisine de la cour d'appel et que le délai d'appel est un délai de forclusion, l'article 2241, alinéa 2, du Code civil s'applique à la déclaration d'appel annulée sur le fondement de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q) (Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-22.088, F-P+B N° Lexbase : A6522MY9, Bull. civ. II, n° 215).
Dans ces conditions, la régularisation d'un appel, formé par un défenseur syndical dépourvu de pouvoir régulier devrait pouvoir intervenir jusqu'à ce que le juge statue et ce conformément aux dispositions de l'article 121 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1412H43). Il devrait en être de même pour l'avocat qui aurait régularisé appel d'une décision par un conseil des prud'hommes dépendant d'une cour extérieure au ressort de celle à laquelle son barreau est rattaché.
Lorsque le défenseur syndical interviendra pour la partie intimée, pour éviter toute difficulté, le pouvoir spécial devra être donné antérieurement à la régularisation de sa constitution et au plus tard au dépôt de ses conclusions d'intimé. L'irrégularité de sa constitution et, par ricochet, de ses écritures pourrait conduire au prononcé de l'irrecevabilité prévue par l'article 909 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0163IPQ), ce qui aurait pour effet d'empêcher son mandant de faire valoir toute demande et toute défense en cause d'appel...
III - Sur les modalités des échanges dans le cadre de la procédure devant les chambres sociales
L'assujettissement de la procédure d'appel à la procédure contentieuse avec représentation obligatoire entraîne l'application des articles 930-1 (N° Lexbase : L0362ITL) et 930-2 (N° Lexbase : L2619K8I) du Code de procédure civile.
Le premier de ces textes impose aux avocats d'adresser tous les actes à la juridiction d'appel par voie électronique et ce, à peine d'irrecevabilité relevée d'office.
Le texte prévoit également que "les avis, avertissements ou convocations sont remis aux avocats des parties par voie électronique, sauf impossibilité pour cause étrangère à l'expéditeur. Lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe. En ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué".
De la régularisation de l'acte d'appel au prononcé de l'arrêt, l'avocat sera donc obligé d'adresser chacun de ses actes par voie électronique via le portail RPVA que ce soit à la cour d'appel ou à l'avocat constitué pour l'autre partie.
En l'état des paramétrages actuels du RPVA et du RPVJ, cette transmission par voie électronique ne sera pas possible pour l'avocat qui interviendrait devant une cour d'appel autre que celle du ressort dans lequel est établi son domicile professionnel s'il est admis qu'il puisse postuler seul comme cela est annoncé.
Le Conseil national des barreaux préconise alors de faire appel au dispositif prévu à l'article 930-1, alinéa 2 du Code de procédure civile selon lequel "lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe" et indique avoir
"engagé des discussions avec le ministère de la Justice afin de dégager les solutions techniques qui permettront, à terme, d'ouvrir la communication électronique au niveau national pour l'accomplissement des actes de procédure devant l'ensemble des chambres sociales des cours d'appel".
En attendant la mise en place de ces solutions techniques, l'avocat qui interviendrait devant une cour d'appel autre que celle du ressort dans lequel est établi son domicile professionnel devra donc, d'une part, se ménager la preuve d'une impossibilité de transmission de l'acte par voie électronique pour une cause qui lui est étrangère et, d'autre part, remettre au greffe, dans le délai d'appel ou le délai imparti pour conclure, les actes établis sur support papier.
Cette remise devra intervenir dans le respect des modalités prévues par les articles 930-1, alinéa 2, et 966 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1085H4X) :
-remise de la déclaration d'appel en autant d'exemplaires que de parties destinataires, plus deux, sur lesquels le greffier mentionnera la date et portera son visa avant d'en restituer immédiatement un exemplaire,
-remise des autres actes en deux exemplaires constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie, ainsi que sur l'original qui est immédiatement restitué.
Se pose néanmoins la question des modalités d'envoi au greffe, étant observé qu'il ne sera plus possible d'interjeter appel par pli recommandé -comme le permet actuellement l'article 932 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1007H43) en matière de procédure sans représentation obligatoire, et que la Cour de cassation considère comme irrecevables les recours formés par lettre recommandée lorsque les textes applicables prévoient une déclaration au greffe (cf. par exemple : Cass. com., 29 avril 2014, n° 12-20.988, F-D N° Lexbase : A7009MKS pour une tierce opposition formée par LRAR contre une décision rendue en matière de redressement judiciaire collectives).
A priori, un déplacement physique au greffe s'imposera.
Sous réserve de cette situation particulière, le recours au papier sera désormais totalement interdit à l'avocat sauf :
- lorsque l'intimé n'aura pas constitué un représentant en cause d'appel ; il faudra alors lui dénoncer la déclaration d'appel (C. pr. civ., art. 902 N° Lexbase : L0377IT7) et les conclusions (C. pr. civ., art. 911 N° Lexbase : L0351IT8) par voie d'huissier de justice ;
- ou lorsque son contradicteur sera un défenseur syndical qui, n'étant pas avocat, n'aura pas accès au réseau RPVA.
Dans l'un et l'autre cas, la copie de l'acte qui aura été délivré par voie papier à son destinataire devra être transmise à la cour par voie électronique.
En présence d'un défenseur syndical régulièrement constitué dans le procès d'appel, l'avocat devra obligatoirement lui notifier tous ses actes. En effet, l'article R. 1461-1 du Code du travail dispose en son alinéa 2 que : "les actes de cette procédure d'appel qui sont mis à la charge de l'avocat sont valablement accomplis par la personne mentionnée au 2° de l'article R. 1453-2 (N° Lexbase : L2640K8B). De même, ceux destinés à l'avocat sont valablement accomplis auprès de la personne précitée" (5).
Le décret ne comporte aucune disposition concernant la forme de la notification des actes destinés au défenseur syndical.
L'article 961 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0350IT7) prévoit que, devant la cour d'appel, "les conclusions des parties sont signées par leur avocat et notifiées dans la forme des notifications entre avocats", c'est-à-dire soit par signification, soit par notification directe laquelle suppose la remise de l'acte en double exemplaire à son destinataire qui restitue aussitôt à son contradicteur l'un des exemplaires après l'avoir daté et visé (C. proc. civ., art. 671 N° Lexbase : L6854H7Y et s.).
Une interprétation stricte de l'article R. 1461-1 du Code du travail implique donc une notification des actes au défenseur syndical dans les mêmes conditions de forme que les notifications entre avocats.
La notification des conclusions au défendeur syndical devant intervenir dans le délai de leur remise au greffe (C. pr. civ., art. 911), soit dans les délais requis par les articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP), 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) et 910 (N° Lexbase : L0412IGD), et les conclusions devant être remises au greffe avec la justification de leur notification (C. pr. civ., art. 906, alinéa 2 N° Lexbase : L0367ITR), il sera nécessaire d'anticiper l'expiration du délai afin de pouvoir justifier en temps utile de la notification des écritures.
Au regard de l'état des textes régissant les notifications, la notification directe ne restant prévue qu'entre avocats par l'article 673 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6856H73), il nous semble judicieux de préconiser un échange entre l'avocat et le défenseur syndical par voie de signification par huissier de justice. La signification ayant date certaine, l'avocat pourra justifier que sa délivrance est intervenue dans les délais requis par les articles 908, 909 et 910 du Code de procédure civile.
S'agissant de la communication des pièces, elle pourra être effectuée selon les modalités prévues par l'article 961, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0350IT7) et il conviendra de solliciter du défenseur syndical l'apposition de sa signature et de la date sur le bordereau de communication de pièces.
Le défenseur syndical n'ayant pas accès au réseau RPVA, l'obligation de procéder par voie dématérialisée ne lui est pas applicable.
L'article 930-2 du Code de procédure civile édicte que : "les dispositions de l'article 930-1 ne sont pas applicables au défenseur syndical "
L'alinéa suivant prévoit donc que "les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe"
Concernant plus spécifiquement l'acte d'appel régularisé par le défenseur syndical, le même article prévoit que "la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué".
Le texte ne prévoit pas de sanction.
Le défenseur syndical devra donc notifier tous ses actes de procédure, de la constitution à la régularisation des conclusions, par voie papier à l'avocat de la partie adverse ou à cette dernière si elle n'a pas constitué.
Pour les mêmes raisons que celles exposées pour l'avocat, et sous les mêmes réserves, cette notification devra être régularisée soit par voie d'huissier, soit par notification directe.
Le défenseur syndical aura également l'obligation de déposer à la cour d'appel sous forme papier les actes délivrés dans les délais requis.
Cette dualité de représentation combinée avec la technicité du procès d'appel sera sans nul doute à l'origine de difficultés importantes d'application qui donneront lieu à de multiples incidents.
Il est regrettable que cette réforme n'ait pas été suivie d'un minimum d'adaptation des dispositions réglementaires actuellement en vigueur à la particularité de la situation et de la matière prud'homale.
(1) L'article 46 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 dispose que : "le 1° de l'article 10 et les articles 28 à 30 sont applicables aux instances et appels introduits à compter du 1er août 2016".
(2) L'appel des décisions rendues par les tribunaux de l'incapacité ou les tribunaux des affaires de Sécurité sociale reste soumis à la procédure sans représentation obligatoire.
(3) Ce texte dispose que : "il est institué un droit d'un montant de 225 euros dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel. Le droit est acquitté par l'avocat postulant pour le compte de son client soit par voie de timbres mobiles, soit par voie électronique. Il n'est pas dû par la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Le produit de ce droit est affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoués près les cours d'appel. Ce droit est perçu jusqu'au 31 décembre 2026. Les modalités de perception et les justifications de l'acquittement de ce droit sont fixées par décret en Conseil d'Etat".
(4) La constitution d'un avocat non habilité à représenter en justice une partie devant une juridiction déterminée est une cause de nullité affectant au fond les actes accomplis devant cette juridiction (C. pr. civ., art. 117, dernier alinéa N° Lexbase : L1403H4Q).
(5) Cet article constitue une déclinaison de l'article 652 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6815H7K) qui prévoit que : "lorsqu'une partie a chargé une personne de la représenter en justice, les actes qui lui sont destinés sont notifiés à son représentant sous réserve des règles particulières à la notification des jugements".
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Réf. : CJUE, 19 juillet 2016, aff. C-526/14 (N° Lexbase : A2938RX4)
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Le 29 Juillet 2016
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Réf. : CA Reims, 5 juillet 2016, n° 16/00770 (N° Lexbase : A3642RWS)
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Le 06 Août 2016
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Réf. : Cons. const., 22 juillet 2016, n° 2016-554 QPC (N° Lexbase : A7430RXH)
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Le 02 Août 2016
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Réf. : CEDH, 21 juillet 2016, Req. 9063/14 (N° Lexbase : A6741RXX)
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Le 28 Juillet 2016
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 27 juin 2016, 4 arrêts, n° 398585 (N° Lexbase : A4275RUU), n° 399506 (N° Lexbase : A4277RUX), mentionnés aux tables du recueil Lebon, et n° 399024 (N° Lexbase : A4276RUW), n° 399757 (N° Lexbase : A4278RUY), inédits au recueil Lebon
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N3977BW9
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par Olivier Teixeira, Avocat, CMS Bureau Francis Lefebvre
Le 29 Juillet 2016
Des exonérations sont également prévues. Elles concernent notamment les distributions des sociétés d'investissements immobiliers cotés (SIIC) et les distributions de dividendes entre sociétés d'un même groupe intégré au sens de l'article 223 A (N° Lexbase : L1889KG3) ou 223 A bis (N° Lexbase : L7788I8X) du CGI.
Très rapidement, de nombreuses voix ont mis en doute la compatibilité de cet impôt (1) avec le droit communautaire, le droit constitutionnel ou encore le droit conventionnel.
Ces critiques ont pris une dimension encore plus forte ces derniers mois avec l'ouverture, par la Commission européenne, d'une procédure d'infraction contre la France en février 2015. L'institution européenne estime en effet que la contribution de 3 % pourrait être contraire aux articles 4.1 et 5 de la Directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 (N° Lexbase : L5957IR3), concernant le régime fiscal applicable aux sociétés mères et filiales (Directive mère-fille), et à la liberté d'établissement codifiée à l'article 49 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (N° Lexbase : L2697IPL).
Plus récemment, un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 4 avril 2016 a renvoyé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil d'Etat portant sur la conformité à la Constitution de cette contribution (TA Montreuil, 4 avril 2016, n° 1600379 N° Lexbase : A7152RIQ). Cette décision a été immédiatement suivie de l'introduction de trois recours en excès de pouvoir destinés à annuler les précisions de la doctrine administrative qui a été publiée au BoFip le 2 mars 2016 sous la référence BOI-IS-AUT-30 (N° Lexbase : X2468AMD). Chacun de ces recours a été accompagné d'une QPC.
En tout, quatre QPC ont donc été examinées par le Conseil d'Etat. Les décisions de la Haute assemblée ont été rendues le 27 juin 2016 (CE 3° et 8° ch.-r., 27 juin 2016, n° 398585, n° 399506, mentionnés aux tables du recueil Lebon, et n° 399024, n° 399757, inédits au recueil Lebon).
Dans une première décision, le Conseil d'Etat a conclu au renvoi d'une QPC au Conseil constitutionnel et, dans une seconde décision, au renvoi de deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Ces deux décisions confirment, s'il était encore permis d'en douter, le caractère sérieux des fragilités juridiques de la contribution de 3 %. Les deux dernières décisions rendues par le Haut conseil ont conclu, en revanche, au rejet des QPC.
Revenons plus en détail sur ces quatre décisions.
1. La QPC n° 399506 : renvoi au Conseil constitutionnel
Dans cette affaire, la requérante soutenait que le régime d'exonération de la contribution de 3 % aux sociétés ayant constitué un groupe fiscalement intégré créait :
- une première différence de traitement entre sociétés françaises selon qu'elles ont opté ou non pour le régime de l'intégration fiscale ;
- une seconde différence de traitement entre les groupes français, d'une part, et les groupes internationaux, d'autre part (i.e. cas des filiales françaises détenues à 95 % par des sociétés étrangères qui ne peuvent pas opter pour le régime de l'intégration fiscale).
Ces différences de traitement seraient ainsi contraires aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, garantis par les articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 13 (N° Lexbase : L1360A9A) de la DDHC. Elles ne seraient en effet justifiées ni par une différence objective au regard de l'objet de la contribution, ni par aucune raison d'intérêt général.
En d'autres termes, l'exonération des seules sociétés intégrées serait sans rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur.
Cet objectif est rappelé dans les conclusions du Rapporteur public, Nathalie Escaut. La contribution "répond, aux termes des travaux parlementaires, à un double objectif : d'une part, obtenir des recettes fiscales pour compenser la suppression de la retenue à la source sur les OPCVM [...], et, d'autre part, inciter les sociétés à ne pas distribuer leurs bénéfices mais à les réinvestir, ce qui correspondait à un engagement pris par le Président de la République lors de la campagne présidentielle".
Au vu de ces éléments, le Conseil d'Etat a considéré que rien ne justifiait de manière évidente de restreindre le champ d'application de l'exonération de la contribution de 3 % aux seules sociétés fiscalement intégrées et a, en conséquence, décidé de transmettre une QPC portant sur les mots "entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A" mentionnés à l'article 235 ter ZCA, I, 1° du CGI.
Cette décision se comprend d'autant mieux que :
- le législateur avait, lui-même, prévu dans le projet initial de la loi de finances rectificative pour 2012 d'exonérer de la contribution de 3 % toutes les distributions aux sociétés mères détenant au moins 10 % du capital social de leurs filiales ;
- le contrôle de constitutionnalité d'un impôt au regard des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ne doit pas dépendre du cadre juridique dans lequel se placent des entreprises mais des différences de données économiques et financières objectives (2).
Les sociétés non intégrées, détenues à 95 % par une société mère française ou étrangère, sont donc invitées à préserver leurs droits en introduisant sans tarder une réclamation contentieuse en vue d'obtenir, sur le terrain constitutionnel, le dégrèvement de la contribution de 3 % versée à raison de distributions intervenues depuis le 1er janvier 2014.
Rappelons que le Conseil constitutionnel dispose d'un délai de trois mois pour rendre sa décision. Or, seules les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel pourront bénéficier, le cas échéant, de l'effet abrogatif de la déclaration d'inconstitutionnalité des mots "entre sociétés du même groupe au sens de l'article 223 A" mentionnés à l'article 235 ter ZCA du CGI (3).
2. La QPC n° 399024 : renvoi de deux questions préjudicielles
2.1. La première question préjudicielle : moyen tiré de l'incompatibilité de la contribution de 3 % avec l'article 4 de la Directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011
2.1.1. Exemple de situation visée
Une société filiale, située en France ou dans l'UE, paie des dividendes à sa société mère, située en France, qui la détient à au moins 10 %. La société mère est exonérée au titre de cette distribution en vertu du régime des sociétés mères et filiales. La société mère redistribue les dividendes reçus à ses propres actionnaires. Cette redistribution est soumise à la contribution de 3 %.
2.1.2. Les moyens développés
Le raisonnement suivi par les requérants reposait sur l'idée suivante : la contribution de 3 % conditionne l'exonération des dividendes reçus de filiales situées dans l'UE à leur conservation par la société mère française. Or, l'article 4, § 1 de la Directive mère-fille prévoit que, lorsqu'une société mère perçoit des bénéfices distribués, l'Etat membre de celle-ci doit, soit les imposer en accordant un crédit d'impôt correspondant à l'impôt sur les sociétés acquitté par la filiale distributrice, soit s'abstenir d'imposer ces bénéfices. La France a choisi la méthode de l'exonération à travers le régime des sociétés mères et filiales des articles 145 (N° Lexbase : L3836KWY) et 216 (N° Lexbase : L3879KWL) du CGI.
Dès lors, en assujettissant à une contribution de 3 % les redistributions de dividendes par une société mère française, la France soumet de facto à l'impôt les bénéfices distribués par les filiales situées dans l'UE.
Le Conseil d'Etat a estimé que ce raisonnement soulevait une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne et, ce faisant, a renvoyé une question préjudicielle à la CJUE. On relèvera avec intérêt que le Rapporteur public n'a pas jugé décisif l'argument de l'administration, directement inspiré de la décision du Conseil d'Etat sur le précompte (4), selon lequel l'exonération posée par l'article 4 de la Directive mère-fille ne viserait que les flux entrants chez la société mère et non leurs redistributions à ses actionnaires.
La question transmise à la CJUE permettra enfin de préciser la portée exacte de l'article 4 même si certains contours ont déjà été esquissés par le passé. On se souviendra de la décision du 12 février 2009 (5) par laquelle la CJUE a condamné la législation belge qui conditionnait l'exonération des dividendes distribués par une filiale à l'existence d'un minimum d'imposition dans le chef de la société mère ou encore les conclusions de l'Avocat général rendues sous une affaire de 2006 (6) dans lesquelles ce dernier estimait que l'article 4 avait pour essence de prévenir une double imposition économique dans l'Etat de la société mère, la filiale ayant déjà acquitté l'impôt sur les sociétés dans son Etat de résidence.
2.1.3. Les conséquences pratiques pour les contribuables souhaitant préserver leurs droits
Les sociétés (notamment holdings) qui ont versé la contribution de 3 % à raison de redistributions de dividendes qui ont été précédemment reçus de filiales qu'elles détiennent à au moins 10 %, devront introduire une réclamation contentieuse sur le fondement de l'article 4 de la Directive mère-fille et, à titre subsidiaire, de l'article 5 (cf. infra, § 2.2.) avant le 31 décembre 2016 afin de demander le dégrèvement des contributions versées depuis le 1er janvier 2014. Les réclamations déposées à compter du 1er janvier 2017 ne pourront demander que le remboursement des contributions versées depuis le 1er janvier 2015.
2.2. La seconde question préjudicielle : moyen tiré de l'incompatibilité de la contribution de 3 % avec l'article 5 de la Directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011
2.2.1. Exemple de situation visée
Une société filiale, située en France, distribue des dividendes à sa société mère, située en France ou dans un Etat tiers, qui la détient à au moins 10 %. Cette distribution est soumise à la contribution de 3 %.
2.2.2. Les moyens soulevés
Les requérants ont développé un argumentaire subsidiaire tiré de ce que, si la contribution de 3 % n'est pas une imposition sur les bénéfices prohibée par l'article 4 de la Directive mère-fille, elle ne peut dès lors constituer qu'une retenue à la source prohibée par l'article 5.
La jurisprudence communautaire définit une retenue à la source comme une imposition "dont le fait générateur est le versement des dividendes ou de tout autre rendement des titres, dont l'assiette de cet impôt est le rendement de ceux-ci et dont l'assujetti est le détenteur de ces titres" (7).
Le troisième critère fixé par la CJUE fait ici clairement défaut. Cependant, son importance est loin d'être décisive puisque la Cour a eu l'occasion de l'écarter dans deux décisions de 2001 (8) et de 2000 (9).
C'est sans doute la fragilité de ce dernier critère qui a conduit la Commission européenne à engager une procédure d'infraction contre la contribution de 3 % sur le fondement notamment de l'article 5 de la Directive ou encore la Cour constitutionnelle belge à renvoyer une question préjudicielle le 28 janvier 2015 sur la qualification de retenue à la source concernant une imposition, la fairness tax, présentant de grandes similitudes avec la contribution de 3 %. Cette imposition belge est, en effet, due lorsqu'une société belge redistribue des dividendes au cours d'un exercice ultérieur à celui de leur encaissement.
Le Conseil d'Etat a logiquement décidé d'interroger la CJUE sur la compatibilité de la contribution de 3 % avec l'article 5 de la Directive mère-fille.
2.2.3. Les conséquences pratiques pour les contribuables souhaitant préserver leurs droits
Des réclamations pourront être introduites dans les mêmes délais que ceux exposés au point 2.1.3. (incompatibilité avec l'article 4 de la Directive).
2.3. Les moyens écartés par la Conseil d'Etat
Les requérants faisaient valoir que l'incompatibilité de la contribution de 3 % avec les articles 4 et 5 de la Directive mère-fille était susceptible de créer une discrimination à rebours au détriment des sociétés françaises contraire aux principes d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques protégée par les articles 6 et 13 de la DDHC.
Une discrimination à rebours peut se définir comme le fait pour des résidents français (ou des résidents d'Etats tiers) de subir une différence de traitement à leur détriment en raison d'un texte de droit interne qui, du fait de sa non-conformité au droit communautaire, ne trouve pas à s'appliquer aux résidents communautaires ou plus généralement à des situations régies par le droit communautaire alors qu'il reste applicable en dehors de ces situations.
Cet argument s'inscrivait dans le prolongement d'une décision du Conseil constitutionnel (10) par laquelle ce dernier a jugé qu'une discrimination à rebours pouvait méconnaître les principes constitutionnels d'égalité devant l'impôt et devant les charges publiques.
Le Conseil d'Etat a néanmoins estimé que la situation au cas particulier était différente en ce que la méconnaissance par l'article 235 ter ZCA des articles 4 et 5 de la Directive n'a pas encore été tranchée par la CJUE. Dès lors, la question posée était prématurée et ne méritait pas, à ce stade, d'être envoyée au juge constitutionnel. Il s'agit là d'une application directe des principes dégagés par les Sages dans une décision rendue le 31 mai 2016 (11). On notera enfin que la Haute assemblée a pris le soin de préciser qu'une nouvelle QPC pourrait être présentée au Conseil d'Etat si la décision de la CJUE était favorable aux contribuables.
3. Les deux QPC rejetées
3.1. La question posée par la QPC n° 399024
Parmi les nombreux moyens invoqués, on retiendra que la société requérante soutenait que la contribution de 3 % ne prenait pas en compte les facultés contributives des sociétés puisqu'elle était sans lien avec les bénéfices réalisés par la société distributrice et demeurait due en cas de résultat déficitaire.
Le Conseil d'Etat n'a pas été convaincu par cet argument, rappelant que la contribution de 3 % n'est versée que, lorsque une société décide de distribuer (décision qui est nécessairement prise au regard de la situation financière de la société) et qu'en tout état de cause, aucun principe constitutionnel n'interdit qu'une imposition soit établie lorsqu'une société est en situation déficitaire, ni n'impose que l'assiette d'une imposition soit limitée au bénéfice d'une société.
On retiendra également que la requérante faisait valoir qu'une filiale détenue à 95 % au moins par une société mère établie dans un Etat membre de l'UE pouvait se prévaloir de la liberté d'établissement garantie par l'article 49 TFUE pour éviter l'assujettissement à la contribution de 3 % alors qu'une filiale française détenue à 95 % au moins par une société mère établie dans un Etat tiers à l'UE ne le pouvait pas, caractérisant ainsi une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi et devant de charges publiques.
Le Conseil d'Etat a rejeté cet argument estimant que "cette différence de traitement ne résulte[rait] pas de l'interprétation de la loi par le juge de l'impôt mais de l'application directe de l'article 235 ter ZCA du CGI".
3.2. La question posée par la QPC n° 399757
La question posée avait trait aux modalités d'entrée en vigueur de la contribution.
La requérante estimait qu'en soumettant à la contribution de 3 % les montants distribués à compter de la date de publication de la loi de finances rectificative pour 2012, soit le 17 août 2012, les bénéfices mis en réserve antérieurement à cette date, qui avaient déjà fait l'objet d'une imposition à l'impôt sur les sociétés, se trouvaient à nouveau imposés. Cette situation porterait atteinte à la garantie des droits prévue à l'article 16 de la DDHC (N° Lexbase : L1363A9D).
La Haute assemblée n'a pas donné suite à ce raisonnement, estimant que la contribution de 3 % s'est appliquée "à des faits générateurs, constitués par la mise en paiement de la distribution, postérieurs à la publication de la loi du 16 août 2012". Il ne pouvait dès lors y avoir une attente légitime quant au fait que des bénéfices, placés en réserve antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, puissent échapper à toute imposition en cas de distribution.
A n'en pas douter, les prochains mois seront décisifs quant à l'avenir de la contribution de 3 %. Celle-ci pourrait bientôt voir son champ d'application sensiblement réduit. En effet, si l'on ajoute, aux fragilités déjà mises en lumière dans les décisions du Conseil d'Etat, celles fondées sur une possible incompatibilité avec la liberté d'établissement visée à l'article 49 du TFUE ou avec les clauses de non-discrimination prévues dans les conventions fiscales conclues par la France avec des Etats étrangers, les hypothèses dans lesquelles la contribution de 3 % pourraient encore trouver à s'appliquer risquent de devenir marginales (distributions à des personnes physiques ou encore à des sociétés bénéficiaires détenant moins de 10 % du capital social de la société distributrice). L'administration semble avoir intégré ces fragilités. On observe depuis quelques mois des demandes de renseignements au stade de l'instruction des réclamations contentieuses (demande de justificatifs sur l'origine des sommes distribuées, l'identité, le régime fiscal et le taux de détention des bénéficiaires, etc.) qui laissent à penser que si les décisions à venir étaient favorables aux contribuables, l'administration exigerait, comme dans les contentieux sur les OPCVM étrangers, pléthore de pièces justificatives afin de s'assurer de la comparabilité des situations et, le cas échéant, réduire les montants à dégrever.
(1) C. Valentin et B. Lacombe, La nouvelle contribution de 3 % sur les revenus distribués à l'épreuve du droit communautaire, RTDF, n° 3, 2012 ; Ph. Derouin, La contribution de 3 % sur les montants distribués et le régime des sociétés mères et filiales : de Charybde en Scylla ?, Droit fiscal, n° 40, 4 octobre 2012, 457 ; E. Dinh, Contribution de 3 % au titre des montants distribués : quelle compatibilité avec les engagements internationaux de la France, Droit fiscal, n° 10, 7 mars 2013, 178.
(2) Cons. const., 16 janvier 1982, n° 81-132 DC, cons. 55 (N° Lexbase : A8037ACN) : Rec. Cons. const., 1982, p. 18.
(3) Passé ce délai, les sociétés françaises, détenues à 95 % par une société située dans l'UE ou l'EEE pourront toujours tenter de faire valoir, dans le respect du délai de réclamation de droit commun, que la contribution de 3 % crée une différence de traitement incompatible avec la liberté d'établissement prévue à l'article 49 du TFUE ou porte atteinte à la Directive mère-fille.
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 3 juillet 2009, n° 317075, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5650EI4), Rec. CE, 2009, p. 248.
(5) CJUE, 12 février 2009, aff. C-138/07 (N° Lexbase : A1099ED3).
(6) Conclusions L.-A. Geelhoed sous : CJCE, 12 décembre 2006, aff. C-446/04, points 104 et 105 (N° Lexbase : A8519DSC).
(7) CJUE, 26 juin 2008, aff. C-284/06, § 55, 56 et 61 (N° Lexbase : A3211D9S) ; CJUE, 8 juin 2000, aff. C-375/98 (N° Lexbase : A4687ATR).
(8) CJUE, 4 octobre 2001, aff. C-294/99 (N° Lexbase : A1301AW4).
(9) CJUE, 8 juin 2000, aff. C-375/98, préc..
(10) Cons. const., 3 février 2016, n° 2015-520 QPC (N° Lexbase : A4423PA3) : RJF, 4/16, n° 366.
(11) CE Ass., 31 mai 2016, n° 393881, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4095RR4) : Dr. fisc., 2016/16, act. 369.
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Réf. : CE référé, 22 juillet 2016, n° 400913, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7463RXP)
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Le 29 Juillet 2016
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Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 22 juin 2016, n° 383246, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9125RT7)
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par Emmanuelle Cortot-Boucher, Rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 28 Juillet 2016
Le 19 janvier 2011, elle a eu, au cours de son service, une conversation téléphonique avec la femme d'un détenu, Mme Y, qu'elle connaissait et qui avait été placée sur écoute dans le cadre d'une enquête pénale. Cette femme cherchait à savoir si son fils, M. Z, faisait l'objet de recherches, ce à quoi Mme X, après avoir consulté l'application "Winstru", a répondu par la négative.
Sur instruction du procureur général, le procureur de la République du tribunal de grande instance de Fort-de-France a alors demandé à la police judiciaire d'ouvrir une enquête préliminaire visant Mme X à raison de faits pouvant constituer une violation du secret professionnel. Dans le cadre de cette enquête, celle-ci a été entendue par les services de la police judiciaire, le 30 mars 2011. Au cours de l'audition, elle a eu lecture de la retranscription de l'écoute téléphonique qui avait enregistré sa conversation avec Mme Y. Elle a alors reconnu avoir commis une indiscrétion, a dit regretter son manque de vigilance et a indiqué qu'elle en tirerait les leçons pour l'avenir.
Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a été rapidement informé du résultat de cette audition. Par un arrêté du 11 juillet 2011, il a prononcé à l'égard de Mme X une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours, avec sursis, au motif que les faits reprochés à l'intéressée "constituaient une violation manifeste du secret professionnel et étaient graves puisqu'ils auraient pu permettre de renseigner un criminel en fuite", les développements ultérieurs de l'enquête pénale ayant finalement conduit à rechercher M. Z pour des faits d'homicide.
L'intéressée a contesté cette sanction, sans succès, devant le tribunal administratif de Fort-de-France, puis la cour administrative d'appel de Bordeaux. Elle se pourvoit désormais en cassation.
1 - Elle soutient en premier lieu que la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant qu'elle avait avoué avoir informé une tierce personne de ce que M. Z n'était pas recherché par les services de police.
La requérante fait valoir que le procès-verbal de son audition ne cite pas le nom de ce dernier, ce qui est exact.
L'arrêt de la cour n'en est pas pour autant critiquable car il ne cite pas non plus le nom de M. Z. Il se borne à indiquer que "les faits de violation du secret professionnel reprochés à [Mme X] ont été révélés par une écoute téléphonique de la conversation qui s'est tenue le 19 janvier 2011 entre la requérante et l'épouse d'un détenu au centre pénitentiaire de Ducos, qui l'interrogeait pour savoir si une personne dont était donné le nom était recherchée". Il relève ensuite que, "au cours de cette audition, la requérante a reconnu les faits". Le moyen de dénaturation pourra donc être écarté comme manquant en fait.
2 - Mme X soutient en deuxième lieu que la cour a entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation et commis une erreur de droit en jugeant qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la communication de l'écoute téléphonique qui établissait les faits qui lui étaient reprochés.
Le pourvoi se prévaut de votre récente décision d'Assemblée du 30 décembre 2014, "Bonnemaison" (1), par laquelle vous avez infléchi votre conception de l'autonomie de l'action disciplinaire et de l'action pénale. Depuis une décision de Section du 28 janvier 1994 "Conseil départemental de l'ordre des médecins de Meurthe-et-Moselle" (2), vous jugiez en effet que "[le juge disciplinaire] ne peut pas, sans méconnaître sa compétence, subordonner sa décision sur l'action disciplinaire à l'intervention d'une décision définitive du juge pénal".
Votre décision "Bonnemaison" est revenue sur cette interdiction de principe en ouvrant au juge disciplinaire une faculté nouvelle. Elle juge ainsi que, s'il appartient en principe au juge disciplinaire de statuer sur une plainte dont il est saisi sans attendre l'issue d'une procédure pénale en cours concernant les mêmes faits, il peut néanmoins surseoir à statuer si une telle mesure est utile à la qualité de l'instruction ou à la bonne administration de la justice.
Au cas d'espèce, le pourvoi fait valoir que la faculté ouverte par votre décision d'Assemblée devait impérativement être mise en oeuvre par la cour car elle était nécessaire, vous dit-on, à l'exercice des droits de la défense et au respect de l'égalité des armes. Seule la fin de l'instance pénale mettant en cause M. Z, en effet, pouvait permettre de lever le secret de l'instruction sur l'écoute téléphonique mettant en cause Mme X et donc rendre possible la communication de cette écoute dans le cadre de l'instance disciplinaire en cours. A défaut d'avoir sursis à statuer, la cour aurait donc méconnu les droits de la défense et violé l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR).
Mais l'application que le pourvoi vous invite à faire de votre jurisprudence "Bonnemaison" nous paraît spécieuse. Car, d'une part, l'intéressée ne fait pas elle-même l'objet d'une procédure pénale. Nous vous l'avons dit, elle ne demande pas le sursis à statuer afin que le juge disciplinaire puisse prendre en compte les constatations de fait du juge répressif sur les agissements qui lui sont reprochés à titre disciplinaire. Elle ne sollicite le sursis à statuer que pour les besoins de la communication d'une pièce qui est couverte par le secret de l'instruction, imposé par l'article 11 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7022A4T). L'hypothèse est donc différente, et la faculté ouverte par votre décision "Bonnemaison", qui n'est du reste pas une obligation, a priori ne joue pas.
D'autre part, nous ne croyons pas justifié d'imposer un sursis à statuer en matière disciplinaire à chaque fois qu'un requérant indiquerait vouloir obtenir communication d'une pièce couverte par le secret de l'instruction. Une telle obligation, en effet, s'accommoderait mal de la célérité qu'exige l'action disciplinaire. Elle ne nous paraît du reste pas nécessaire pour assurer la protection des droits de l'agent que l'administration entend sanctionner.
Ainsi que le rappelle votre décision du 26 novembre 2012 "Cordière" (3), en effet, le juge de l'excès de pouvoir forme sa conviction au vu des éléments versés au dossier par les parties, et il n'a à mettre en oeuvre les pouvoirs d'instruction dont il dispose pour demander à l'administration de produire une pièce en défense que lorsque les allégations du requérant ne sont pas sérieusement démenties. De deux choses l'une, donc : soit les pièces du dossier établissent les faits reprochés à l'agent et la sanction prononcée pourra être confirmée, sous réserve qu'elle soit proportionnée, sans qu'il soit besoin d'attendre la production d'une pièce complémentaire ; soit les faits ne sont pas établis en l'absence de cette pièce complémentaire, et la sanction sera annulée par le juge, à moins qu'il ne décide de faire usage de ses pouvoirs d'instruction et de demander la production de la pièce en cause.
Au cas d'espèce, nous vous l'avons dit, la sanction prononcée par l'arrêté litigieux n'est pas fondée sur l'écoute téléphonique du 19 janvier 2011, mais sur le procès-verbal d'audition de Mme X du 30 mars suivant qui contient les aveux de l'intéressée. Une telle pièce ne nous paraît pas insuffisante par elle-même pour fonder la sanction contestée ; elle n'appelle pas nécessairement la communication de l'écoute téléphonique qui y est mentionnée pour acquérir valeur de preuve.
De manière générale, en effet, l'aveu est considéré devant les juridictions françaises comme une preuve valide, même lorsqu'il n'a pas été fait devant un juge et possède ainsi un caractère "extrajudiciaire". Devant les juridictions judiciaires, et notamment répressives, le juge est libre de lui donner la force probante qu'il estime devoir lui reconnaître et, le cas échéant, de se laisser entièrement convaincre par un aveu (4).
Lorsque vous statuez en matière disciplinaire, votre ligne n'est pas différente de celle suivie par le juge pénal. Vous appliquez le principe de liberté de la preuve tout en considérant que les aveux peuvent avoir valeur probante. Ainsi, par une décision du 26 juillet 1982, "ministre c. Simoné" (5), vous avez jugé qu'une sanction était valablement fondée sur des aveux faits dans le cadre de la procédure disciplinaire, alors même que l'agent sanctionné s'était rétracté ultérieurement dans le cadre d'une procédure judiciaire engagée à raison des mêmes agissements. A vos yeux, les aveux obtenus dans le cadre d'une procédure disciplinaire peuvent donc légalement fonder une sanction, sans qu'il soit nécessairement besoin que les faits reprochés à l'intéressé soient établis indépendamment de ces aveux.
Nous ne voyons donc pas d'erreur de droit dans le raisonnement de la cour qui a jugé que l'absence de communication de l'écoute téléphonique litigieuse ne méconnaissait ni les droits de la défense, ni l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. En particulier, la requérante ne peut pas utilement se prévaloir de la décision du 29 juillet 1998 "Marchi" (6) qui juge régulière une procédure disciplinaire conduite à l'égard d'un magistrat au motif qu'une écoute téléphonique réalisée à l'appui d'une procédure pénale a bien été versée au dossier. Dans cette affaire, en effet, la sanction contestée était directement fondée sur l'écoute téléphonique en cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Nous vous proposons donc d'écarter le moyen d'erreur de droit dont vous êtes saisis, ainsi que le moyen d'insuffisance de motivation, qui manque en fait.
3 - Mme X soutient en troisième lieu que la cour a méconnu son office et dénaturé les pièces du dossier faute d'avoir ordonné une mesure d'instruction en vue d'obtenir la communication de l'écoute téléphonique litigieuse.
Vous laissez à l'appréciation souveraine des juges du fond le choix des mesures nécessaires à l'instruction des affaires pendantes devant eux (7). Le moyen est donc correctement qualifié et il rejoint, vous l'avez compris, celui que nous venons d'examiner. Si vous nous avez suivie dans nos précédentes analyses, vous rejetterez l'idée que la cour ait eu à attendre l'issue de la procédure pénale visant M. Z pour se faire communiquer l'écoute litigieuse. Vous écarterez donc le moyen dans ses deux volets.
4 - Mme X soutient en quatrième lieu que la cour a commis une erreur de droit et entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation faute d'avoir recherché si les informations contenues dans l'écoute téléphonique litigieuse étaient susceptibles ou non d'être couvertes par le secret de l'instruction.
Mais le moyen tiré de ce que le secret de l'instruction ne faisait pas obstacle à la communication de l'écoute litigieuse était inopérant dès lors que la cour confirmait la sanction au vu du seul procès-verbal d'audition de l'intéressée, lequel figurait au dossier. La cour n'avait donc pas à y répondre et elle n'a pas commis d'erreur de droit en s'abstenant de l'accueillir.
5 - Mme X soutient en cinquième et dernier lieu que la cour a commis une erreur manifeste d'appréciation dans la qualification juridique des faits de l'espèce en jugeant que la sanction prononcée à son égard n'était pas hors de proportion avec les faits reprochés.
Depuis votre décision d'Assemblée du 13 novembre 2013 "Dahan" (8), vous exigez des juges du fond qu'ils procèdent à un contrôle normal sur le point de savoir si la sanction infligée à un agent public est proportionnée à la gravité des fautes commises.
Dans votre décision d'Assemblée "Bonnemaison", précitée, vous avez ajouté que "si le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise".
La portée de ce codicille un peu mystérieux a été précisée par votre décision du 27 février 2015 "La Poste" (9) : vous procédez désormais à une recherche de l'erreur manifeste dans la qualification juridique des faits opérée par les juges du fond sur le point de savoir si la sanction contestée est proportionnée à la gravité des faits reprochés à l'agent. Il s'agit, en quelque sorte, d'un "mini-contrôle de qualification juridique des faits" ou, pour le dire autrement, d'un "super contrôle de dénaturation".
Au cas d'espèce, nous n'avons guère de doute à écarter l'existence d'une erreur manifeste que la cour aurait commise en jugeant que la sanction contestée était proportionnée. Une exclusion temporaire de fonction de deux semaines avec sursis nous paraît, à vrai dire, constituer une sanction assez clémente pour des faits de violation du secret professionnel dont l'intéressée ne pouvait ignorer qu'ils étaient susceptibles de concerner une personne recherchée par la police pour des faits graves, ce qui s'est d'ailleurs révélé être le cas.
Par une décision du 21 novembre 2003 "Poukalo" (10), vous aviez d'ailleurs validé le choix d'une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois dont quatre avec sursis, pour un commissaire de police dont l'indiscrétion avait permis à un individu surveillé par la police d'être informé de cette surveillance et de s'y soustraire. Vous vous limitiez certes alors à la recherche d'une erreur manifeste d'appréciation, mais au stade de la cassation, compte tenu de la ligne fixée par votre décision "La Poste", cette solution nous paraît pouvoir continuer à vous inspirer. Nous vous proposons donc d'écarter le dernier moyen de la requérante.
Par ces motifs, nous concluons au rejet du pourvoi.
(1) CE Ass. 30 décembre 2014, n° 381245 (N° Lexbase : A8359M84), Rec., p. 443.
(2) CE, 28 janvier 1994, n° 126512, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9226AR7).
(3) CE, 26 novembre 2012, n° 354108 (N° Lexbase : A6325IXK), Rec., p. 394.
(4) Cass. civ. 3, 13 juin 1968, Bull. civ. III, n° 276 ; Cass. civ 1, 28 octobre 1970, n° 68-14.135 (N° Lexbase : A3572CKI), Bull. civ. I, n° 287.
(5) CE, 26 juillet 1982, n° 34740 (N° Lexbase : A8050AKD), Rec., p. 287.
(6) CE, 29 juillet 1998, n° 173940 (N° Lexbase : A8013ASL).
(7) CE, Sect., 17 avril 1964, Rec., p. 262.
(8) CE Ass., 13 novembre 2013, n° 347704 (N° Lexbase : A2475KPD), Rec., p. 279.
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 27 février 2015, n° 376598, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5178NCR).
(10) CE, 21 novembre 2003, n° 243959 (N° Lexbase : A2859DA7), Rec., T. p. 834 et 835.
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Réf. : Cass. soc., 13 juillet 2016, n° 16-40.209, FS-P+B (N° Lexbase : A1889RXA)
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 28 Juillet 2016
Résumé
Est transmise au Conseil constitutionnel la QPC mettant en cause l'article L. 1235-3, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L1342H9L), visant à octroyer au salarié, licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, lorsque le licenciement est opéré dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, en ce qu'il porterait atteinte notamment au principe d'égalité devant la loi et à la liberté d'entreprendre. La disposition contestée a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008 (N° Lexbase : A7427D3H), mais la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-715 DC du 5 août 2015 (N° Lexbase : A1083NNG) constitue un changement des circonstances de droit qui justifie le réexamen de la disposition législative critiquée. |
Commentaire
I - Des "changements des circonstances" permettant le réexamen d'une disposition déjà validée
Cadre juridique. L'article 23-2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 (N° Lexbase : L0289IGS), qui met en oeuvre la procédure de la QPC inscrite depuis 2008 aux articles 61-1 (N° Lexbase : L5160IBQ) et 62 (N° Lexbase : L0891AHH) de la Constitution, dispose que seule une disposition qui "n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel" peut être l'objet d'une QPC,"sauf changement des circonstances" (1).
On s'est rapidement interrogé sur la notion de "changement des circonstances". La circulaire d'application SG/SADJPV du 1er mars 2010 (N° Lexbase : L3725IMW) a défini cette hypothèse comme "les changements intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée". Le texte donne comme exemple de changement intervenu dans les normes applicables (on parlera alors de "changement des circonstances de droit") l'adoption, en 2005, de la Charte de l'environnement. S'agissant des changements sociologiques (on parlera alors de changement de circonstances "de fait"), la circulaire indique qu'il peut s'agir des "changements intervenus dans les domaines marqués par une évolution rapide des techniques, comme la bioéthique ou les technologies de l'information et de la communication, ou encore les évolutions démographiques, s'agissant, par exemple, d'une loi procédant à la délimitation de circonscriptions électorales". Le Conseil ne l'a, pour le moment, que rarement admis (2), par exemple, en matière de gardes à vue (3) ou de la soi-disant "clause de conscience" des maires tenus de célébrer des mariages entre personnes de même sexe (4).
On s'est demandé, également, si un changement intervenu dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel pourrait justifier que ce dernier soit de nouveau saisi de la question de la conformité d'une disposition déjà validée (5).
En 2012, la Chambre sociale de la Cour de cassation a refusé de considérer que l'abrogation par le Conseil constitutionnel du délit pénal de harcèlement sexuel de l'article 222-33 du Code pénal (N° Lexbase : L8806ITC) (6) pourrait avoir une influence sur la validation, en 2002, des textes d'incrimination du harcèlement moral, qui sont rédigés de manière distincte, et qui sont plus précis dans leur élément légal (7). Elle n'a donc pas écarté, par principe, le fait qu'une nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel puisse constituer un fait justifiant le réexamen d'un texte validé par le passé, mais a simplement considéré que, dans l'espèce, la solution concernant le harcèlement sexuel n'était pas susceptible d'exercer d'influence sur l'examen des textes concernant le harcèlement moral (8).
La Chambre criminelle l'a, pour sa part, admis dernièrement, et a considéré que la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui a changé les modalités et l'intensité de son contrôle concernant le cumul des poursuites au regard du principe de nécessité des délits et des peines (9), l'a conduite à transmettre des QPC sur des dispositions déjà validées (10).
Appréciation en l'espèce. C'est donc la première fois, ici, que la Chambre sociale de la Cour de cassation considère qu'une décision du Conseil constitutionnel constitue un "changement des circonstances de droit" autorisant le réexamen effectif de la constitutionnalité d'une disposition précédemment validée.
La QPC mettait en cause, ici, la constitutionnalité de l'article L. 1235-3, alinéa 2, du Code du travail, visant à octroyer au salarié, licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, lorsque le licenciement est opéré dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, en ce qu'il porterait atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe d'égalité devant la loi et à la liberté d'entreprendre.
Ce texte faisait, en effet, partie des dispositions expressément validées lors de l'examen par le Conseil constitutionnel de la loi de ratification de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, portant recodification de la partie législative du Code du travail (N° Lexbase : L6603HU4) (11). L'article L. 1235-3 avait été mis en cause, non pas au regard du principe d'égalité devant la loi, comme c'est le cas ici, mais au titre des dispositions considérées, à l'époque, par les auteurs de la saisine, comme contraires à l'exigence d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, argument qui avait été écarté par le Conseil.
On pourrait souhaiter, d'une manière générale, que le fait qu'une QPC soit posée sur un argument de constitutionnalité distinct du précédent pourrait suffire à caractériser un "changement des circonstances de droit" rendant la question recevable, celle-ci devant être transmise dès lors que ce grief serait suffisamment sérieux.
Tel n'est pas le critère retenu par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui préfère viser la décision intervenue en 2015 lorsque le Conseil constitutionnel avait censuré le barème des indemnités de licenciement inscrit dans la loi dite "Macron" (12).
On se rappellera que dans cette décision le Conseil devait statuer sur la constitutionnalité de l'article 266 de la loi relatif à l'encadrement du montant de l'indemnité prononcée par le conseil de prud'hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le texte prévoyait un plafonnement de l'indemnité selon un double critère prenant en compte l'ancienneté du salarié et la taille de l'entreprise.
Le Conseil avait reconnu la légitimité de l'objectif ainsi poursuivi ("assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l'emploi en levant les freins à l'embauche"), mais avait considéré que le "critère des effectifs de l'entreprise" n'était pas "en adéquation avec l'objet de la loi", contrairement au critère de "l'ancienneté dans l'entreprise".
Un réexamen de la conformité du texte à la Constitution était donc doublement nécessaire, non seulement parce le premier examen n'avait, en réalité, pas porté sur l'objet même de la norme, mais simplement sur sa qualité rédactionnelle, mais également parce que le Conseil constitutionnel a clairement manifesté son hostilité à un barème d'indemnisation opérant des différences entre salariés selon l'effectif de l'entreprise, ce qui, bien entendu, pose la question de la constitutionnalité de l'article L. 1235-3 du Code du travail.
II - De la validité des conditions de l'actuel régime d'indemnisation des salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse
Questions posées. Pour la Haute juridiction, "la question posée présente un caractère sérieux, en ce que le traitement différencié des entreprises selon leur taille pour l'indemnisation du préjudice subi par leurs salariés, qui résulte de l'article L. 1235-3 du Code du travail, est susceptible de méconnaître le principe d'égalité devant la loi". Le moins que l'on puisse dire est que la Cour ne donne guère d'indication sur son appréciation du caractère sérieux de la question, et que celui-ci pourrait bien se justifier par le seul changement de circonstances résultant de la décision du 5 août 2015. Il faudra donc chercher ailleurs l'analyse des chances de succès de la QPC.
Eléments fournis par le Conseil lors de la décision du 5 août 2015. Le texte déféré au contrôle du Conseil en 2015, en même temps que d'autres dispositions de la loi "Macron", visait à plafonner le montant des dommages et intérêts accordés aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse. Les requérants prétendaient que ce texte instituait "en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, une différence de traitement injustifiée entre les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse en fonction de la taille de l'entreprise". L'argument a été retenu, non pas parce que cette différence n'était pas justifiée (car elle l'était), mais parce que le critère retenu (les effectifs) n'était pas "en adéquation avec l'objet de la loi".
Le commentaire aux Cahiers n'a pas véritablement fourni d'explication décisive, mais confirmé ce qu'on avait compris. Pour le rédacteur du commentaire, en effet, "la décision se fonde ainsi sur l'objet de la disposition en cause, qui est de déterminer le montant de la réparation du préjudice subi par le salarié. La situation traitée par le législateur est personnelle, dès lors qu'elle est propre à un salarié qui a subi un licenciement illégal. En outre, la distinction selon les effectifs des entreprises s'apparenterait à une différenciation selon la capacité contributive du débiteur, qui ne peut être un critère pour la détermination du préjudice subi".
Analyse des chances de succès. Reste à déterminer en quoi ce raisonnement serait susceptible d'entraîner la censure de l'actuel article L. 1235-3 du Code du travail, dans sa version rétablie, après la censure des dispositions modificatives prévues par la loi "Macron".
A première vue, les motifs qui ont conduit à la censure du barème "Macron" pourraient sembler devoir conduire à celle de l'actuel article L. 1235-3 : il s'agit bien du régime indemnitaire applicable aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse et d'une différence de traitement dans le montant des indemnités, fondée sur le critère de l'effectif dont le Conseil constitutionnel nous a dit, en 2015, qu'elle n'était pas "en adéquation avec l'objet de la loi".
Pourtant, les deux textes légaux ne sont pas véritablement comparables.
Le barème "Macron" visait, en effet, à encadrer les indemnités par le biais de fourchettes constituant donc, en limite basse, un plancher, et en limite haute, un plafond ; de ce point de vue, l'actuel article L. 1235-3, qui comporte un plancher, pourrait bien se voir appliquer la même solution.
L'analogie est toutefois trompeuse, dans la mesure où le motif de la censure prononcée en 2015 visait (uniquement) l'instauration d'un "plafond" aux indemnités, comme l'a indiqué très précisément le Conseil dans le considérant 152 de sa décision, et non d'un plancher, qui ne porte, bien entendu, pas atteinte aux droits des victimes, bien au contraire, puisqu'il s'agit de leur accorder une indemnité minimale qui pourra donc être majorée lorsque l'importance du préjudice le justifiera et qui sera, en toute hypothèse, due, même si le préjudice réellement subi est moindre.
L'argument tombe donc ici et il n'est pas possible de considérer que la messe serait dite.
Par ailleurs, mais les deux arguments sont liés, la QPC a été posée ici, non du point de vue des salariés, mais de celui des employeurs, par l'un d'entre eux. L'égalité de traitement doit donc s'apprécier, non pas du point de vue du droit à réparation des salariés, mais de celui de la responsabilité pour faute des entreprises, et du point de vue de leur liberté contractuelle.
Il faut donc bien comprendre l'objet ici de la discussion pour tenter d'anticiper le sort qui lui sera réservé.
La QPC met en cause l'existence d'un plancher d'indemnisation qui peut donc conduire à accorder au salarié des sommes d'un montant supérieur au préjudice subi, c'est-à-dire à une véritable pénalité légale (13). Reste donc à savoir si le critère choisi, l'effectif de l'entreprise et donc, pour reprendre les explications fournies lors de la décision rendue en 2015, la prise en compte de leur "capacité contributive" est "en adéquation avec l'objet de la loi" et que le législateur poursuit bien un "but d'intérêt général".
Il nous semble qu'une double réponse positive s'impose.
En premier lieu, puisqu'il s'agit d'infliger, aux entreprises qui prononcent un licenciement sans cause réelle et sérieuse, une pénalité civile, il est logique de tenir compte de la capacité contributive des fautifs pour en circonscrire le champ d'application, et le critère de l'effectif semble pertinent, même si on sait que la capacité contributive de l'entreprise dépend plus de son chiffre d'affaires que de son effectif salarié. Mais on peut considérer que le législateur pouvait retenir ce critère qui n'est pas dépourvu de tout lien avec l'objet de la loi.
En second lieu, il semble bien que cette différence de traitement repose sur un but d'intérêt général, qui est de préserver la santé économique et financière des entreprises en ne leur imposant pas de charges financières disproportionnées à leurs capacités contributives.
Reste à se demander si, du point de vue des salariés, cette différence de traitement est justifiée et si le critère de l'effectif comme déterminant du plancher est, là encore, fondé sur un critère en adéquation avec l'objet de la loi, et fondé sur un but légitime. Dans la mesure où il ne s'agit que d'un plancher et que le juge peut, s'il estime qu'il ne répare pas intégralement le préjudice causé au salarié employé par une entreprise de moins de onze salariés, lui accorder des indemnités supérieures, il ne semble pas qu'il y ait d'atteinte au principe d'égalité.
Conclusion. Il est des hypothèses où la Cour de cassation transmet des QPC parce qu'elle considère que certains textes portent atteinte à des droits ou des libertés que la Constitution garantit et méritent d'être censurés ; d'autres où elle pense que, compte tenu de certaines évolutions intervenues dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, des clarifications s'imposent. C'est sans doute à cette seconde catégorie qu'appartient cette nouvelle transmission. Il ne nous semble pas que la décision intervenue en 2015 entraînera mécaniquement l'abrogation de la version du même texte issue de la loi du 13 juillet 1973, dans la mesure où la perspective est doublement différente (la question porte sur les droits des entreprises, et le texte actuel garantit des planchers, et n'impose pas de plafonds). Dans ces conditions, et compte tenu de la justification du critère d'effectif de l'entreprise (préserver la capacité contributive), il nous semble que l'article L. 1235-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1340H9I) pourrait donc survivre à cette tentative d'abordage !
(1) Egalement les décrets n° 2010-148 (N° Lexbase : L5740IGP) et n° 2010-149 (N° Lexbase : L5741IGQ) du 16 février 2010 et les circulaires DACS, n° 04/10 du 24 février 2010, relative à la présentation de la question prioritaire de constitutionnalité (N° Lexbase : L7652IGI) et SG/SADJPV du 1er mars 2010, relative à la présentation du principe de continuité de l'aide juridictionnelle en cas d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L3725IMW).
(2) Cons. const., décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 (N° Lexbase : A3193EPX). Ecartant un tel changement : Cons. const., décision n° 2010-9 QPC du 2 juillet 2010 (N° Lexbase : A5939E3D). Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P) : "en l'absence de changement des circonstances, depuis la décision du 2 mars 2004 susvisée [Cons. const., décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 N° Lexbase : A3770DBA], en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de procéder à un nouvel examen de ces dispositions". Cons. const., décision n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010 ([LXB=A8927E9]).
(3) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, préc..
(4) Cons. const., décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013 (N° Lexbase : A0317KN3) : célébration du mariage, absence de "clause de conscience" de l'officier de l'Etat civil.
(5) Le Conseil a admis qu'un changement dans la jurisprudence de la CEDH pourrait constituer une circonstance nouvelle : Cass. crim., 20 août 2014, n° 14-80.394, FS-P+B (N° Lexbase : A8661MUC) ; Cass. crim., 17 décembre 2014, n° 14-90.043, F-D (N° Lexbase : A2853M88).
(6) Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC (N° Lexbase : A5658IKR) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 485 du 17 mai 2012 (N° Lexbase : N1900BTK).
(7) Cass. crim., 11 juillet 2012, n° 11-88.114, F-D (N° Lexbase : A8863I3N) ; Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 12-40.051, F-P+B (N° Lexbase : A8804IQ7) ; Cass. soc., 1er mars 2013, n° 12-40.103, F-P+B (N° Lexbase : A9983I8A) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 495, 2012 (N° Lexbase : N3231BTT).
(8) Pour la justification de cette affirmation, notre commentaire, préc.., p. 7.
(9) Cons. const., décisions n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 (N° Lexbase : A7983NDZ) et n° 2015-513/514/526 QPC du 14 janvier 2016 (N° Lexbase : A5893N3N).
(10) Cass. crim., 30 mars 2016, deux arrêts, n° 16-90.001, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5104RAB) et n° 16-90.005, FS-P+B (N° Lexbase : A1597RBR).
(11) Cons. const., décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008 (N° Lexbase : A7427D3H).
(12) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC) ; Cons. const., décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 (N° Lexbase : A1083NNG) et les obs. de A. Fabre, Lexbase, éd. soc., n° 623 du 3 septembre 2015 (N° Lexbase : N8672BUQ).
(13) Sur cette démonstration, notre ouvrage, Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, n° 282, 1997, Préface J. Hauser, 398 p..
Décision
Cass. soc., 13 juillet 2016, n° 16-40.209, FS-P+B (N° Lexbase : A1889RXA). Texte visé : C. trav., art. L. 1235-3, al. 2 (N° Lexbase : L1342H9L). Mots clef : QPC ; circonstances nouvelles ; défaut de cause réelle et sérieuse ; égalité devant la loi ; liberté d'entreprendre. Liens base : (N° Lexbase : E4684EXR). |
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Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 22 juillet 2016, n° 396597, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8639RXA)
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Le 16 Août 2016
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Réf. : CEDH, 30 juin 2016, Req. 29151/11 (N° Lexbase : A7326RUU)
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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II
Le 28 Juillet 2016
Les faits étaient les suivants : une personne avait déposé plainte avec constitution de partie civile contre personne dénommée des chefs de faux et usage de faux, ce qui avait débouché sur l'ouverture d'une information judiciaire. Au cours de la procédure d'instruction, la partie civile avait changé d'avocat, son nouvel avocat adressant un courrier au juge d'instruction pour l'informer de ce changement. Ce dernier avait également déposé des observations et formulé une demande d'actes. Mais le magistrat instructeur refusait la demande d'instruction complémentaire qui était sollicitée en considérant que la constitution de ce nouvel avocat était irrégulière. Il estimait, en particulier, que les dispositions de l'article 115 du Code de procédure pénale, qui fixe les règles s'agissant de la désignation d'avocat lors de l'instruction, n'avaient pas été respectées en ce qu'elles imposent une déclaration au greffe ou lorsque la partie ne réside pas dans le ressort de la juridiction, une lettre envoyée en recommandé avec accusé de réception. Si le requérant avait adressé cette lettre par la suite et interjeté appel de l'ordonnance rendue par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction jugeait l'appel irrecevable pour défaut de qualité à agir de l'avocat de l'appelant. Puis, le juge d'instruction rendait, après régularisation de la situation du conseil, une ordonnance de non-lieu qui était frappée d'appel par ce dernier. Toutefois, la chambre de l'instruction considérait que l'appel était irrecevable car le changement d'avocat fait par lettre recommandée avec accusé de réception n'était pas valable, la partie demeurant dans le ressort de la juridiction.
Le pourvoi formé à l'encontre de cet arrêt ayant été rejeté (Cass. crim., 26 octobre 2010, n° 10-80.912, F-D N° Lexbase : A7652GLY), le justiciable saisissait la Cour européenne des droits de l'Homme en invoquant la violation du principe du contradictoire, en premier lieu, et du droit d'accès à un tribunal consacré par l'article 6 § 1 de la Convention européenne, en second lieu.
S'agissant du premier aspect, le requérant prétendait que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel d'une ordonnance de non-lieu, ne pouvait relever d'office l'irrecevabilité de l'appel sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations. Il estimait que, dans leurs écritures d'appel, les parties n'avaient pas discuté de la recevabilité de l'appel. Toutefois, la Cour européenne n'a pas fait droit à cette argumentation. Elle a relevé que le ministère public avait pris des réquisitions écrites concluant à l'irrecevabilité de l'appel tenant au défaut de qualité à agir du nouvel avocat et a noté que, conformément aux dispositions des articles 194 (N° Lexbase : L3906IR4) et 197 (N° Lexbase : L5025K8M) du Code de procédure pénale, d'une part, ces réquisitions avaient effectivement été versées au dossier de la procédure, comme en atteste l'arrêt de rejet de la Cour de cassation, ce que ne conteste pas le requérant, et, d'autre part, elles étaient à la disposition des conseils des parties. Ce premier aspect relatif au principe du contradictoire, qui n'a pas fait l'objet d'un quelconque constat de violation, est évidemment moins capital que le second qui intéresse les règles de désignation de l'avocat lors de l'instruction prévues par l'article 115 du Code de procédure pénale. Sur ce point, la Cour européenne -en considérant que les droits de la défense avaient été entravés- a nécessairement jugé trop lourdes ces règles (I), ce qui a conduit à un constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne parfaitement justifié (II).
I - Les règles de désignation d'avocat lors de l'instruction jugées trop lourdes
Il convient de revenir sur les règles relatives à la désignation d'un avocat lors de l'instruction préparatoire (A) avant d'examiner le constat de violation résultant de leur lourdeur (B).
A - Les règles applicables à la désignation d'avocat lors de l'instruction
Si aucune forme particulière n'est imposée à la désignation d'avocat lors du jugement ou de l'enquête, tel n'est pas le cas lors de l'information judiciaire. C'est l'article 115 du Code de procédure pénale qui constitue la disposition de référence. Modifiée par l'article 117 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8), la nouvelle rédaction applicable à compter du 1er octobre 2004 était destinée à renforcer le formalisme dans la désignation d'un nouvel avocat. L'objectif clairement affiché du législateur était ainsi de sécuriser les procédures conformément aux préconisations du rapport annuel de la Cour de cassation de 1995 (V. Rapport annuel de la Cour de cassation pour l'année 1995, 4ème suggestion, p. 23) qui pointaient un certain nombre de difficultés qui avaient pu naître de désignations imprécises et de changements d'avocat en ne permettant pas toujours de déterminer l'avocat devant être convoqué notamment lors du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention ou de l'audience devant la chambre de l'instruction (V. Travaux préliminaires relatifs à la modification de l'art. 115, Rapport n° 441, 24 septembre 2003 du sénateur Zochetto).
Cet article, composé, de quatre alinéas prévoit que les parties peuvent à tout moment de l'information faire connaître au juge d'instruction le nom de l'avocat choisi par elles. La désignation initiale peut intervenir au cours d'un interrogatoire ou d'une audition sans aucune forme particulière. C'est seulement en dehors de cette hypothèse et donc en cas de changement d'avocat ou de désignation ultérieure d'un autre avocat ou de plusieurs autres avocats aux côtés de l'avocat initial qu'un formalisme a été instauré.
Il est prévu que la désignation doit faire l'objet, en principe, d'une déclaration au greffier du juge d'instruction et être constatée, datée par le greffier qui la signe ainsi que la partie concernée. Si celle-ci ne peut signer, il en est fait mention par le greffier. Toutefois, lorsque la partie ne réside pas dans le ressort de la juridiction compétente, la déclaration au greffier peut être faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La circulaire du 21 septembre 2004 (N° Lexbase : L5213IWY), relative à la présentation de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : L1768DP8) précise qu'il paraît toutefois possible qu'en pratique cette déclaration soit faite également par le nouvel avocat désigné, si celui-ci se déplace pour le compte de son client en étant muni à cette fin d'une lettre signée de la partie et adressée au juge et qui sera jointe au dossier, l'avocat devant alors signer la déclaration prévue par l'article 115.
D'autres modalités de désignation différentes sont possibles lorsque la personne mise en examen est détenue afin, naturellement, de s'adapter à sa situation de détention. Dans ce cas, la désignation doit faire l'objet d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire et est constatée et datée par le chef de l'établissement qui la signe ainsi que la personne détenue. De la même manière que la personne non détenue, si la personne détenue ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l'établissement. Il est précisé que ce document est adressé sans délai, en original ou en copie et par tout moyen, au greffier du juge d'instruction et que la désignation de l'avocat prend effet à compter de la réception du document par le greffier. Il est également possible que la personne détenue rédige un courrier de désignation déposé par l'avocat au greffier qui l'annexe à la déclaration. La personne mise en examen doit alors confirmer son choix dans les quinze jours.
Ces règles, mues par un certain pragmatisme en s'adaptant à la situation de la personne mise en examen, sont néanmoins marquées par une lourdeur qui a été jugée excessive dans le cas d'espèce.
B - La lourdeur excessive des règles prévues à l'article 115 du Code de procédure pénale
Certes, ces règles résultant de la loi du 9 mars 2004 sont destinées à prévenir les risques d'annulation des procédures. Et d'ailleurs, devant la Cour européenne, le Gouvernement faisait ici notamment valoir que les règles de désignation telles que prévues par les dispositions de l'article 115 du Code de procédure pénale assurent aux justiciables une certaine sécurité juridique, en évitant que des actes d'instruction soient déclarés nuls a posteriori, tout en leur garantissant le respect des droits de la défense et leur représentation par un avocat. Selon lui, le formalisme qui devait être respecté afin d'informer le juge d'instruction d'un changement d'avocat poursuivait donc un but légitime et la déclaration au greffe ne constitue qu'"une formalité simple et rapide pour éviter des annulations de procédure".
A l'inverse, le requérant avait indiqué qu'il ne voyait pas en quoi la déclaration au greffe serait une "formalité simple et rapide" en considérant qu'un envoi postal pourrait lui être préféré quel que soit le lieu de résidence de la partie intéressée. Ainsi, la décision d'irrecevabilité de son appel souffrirait, selon lui, d'un formalisme excessif et il précisait que, au vu des conséquences entraînées par cette décision, il s'était vu imposer une charge disproportionnée (§ 28).
Ce sont ces arguments qui vont convaincre la Cour européenne. Après avoir rappelé qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes, elle a, néanmoins, précisé que les règles en question, ou l'application qui en est faite, ne devraient pas empêcher le justiciable d'utiliser une voie de recours disponible (§ 36).
Or, en l'espèce, tel a bien été le cas, le requérant ayant été empêché d'interjeter valablement appel, ce qui a conduit au constat de violation retenu par la Cour européenne sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme qui paraît d'autant plus justifié au regard du bref délai imparti (dix jours) pour interjeter des ordonnances rendues par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention.
II - Le constat justifié de violation des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne
Le constat de violation est justifié parce qu'il permet de couper court à une position de la Chambre criminelle qui peut être qualifiée d'ambiguë (A) et permet de mieux garantir les droits du justiciable par le renforcement du droit d'accès au juge et des droits de la défense (B).
A - La remise en cause de la position ambiguë de la Chambre criminelle
La position de la Chambre criminelle n'a pas toujours été des plus claires s'agissant de l'application des dispositions de l'article 115 du Code de procédure pénale.
Ainsi, la Cour de cassation a considéré comme valable, à l'occasion d'un arrêt de 2013, une procédure dans laquelle ces formalités n'avaient pas été respectées, dès lors que cela n'avait pas porté atteinte aux intérêts de cette partie (Cass. crim., 9 avril 2013, n° 13-80.502, F-D N° Lexbase : A0846KCC). Dans cette affaire, un pourvoi avait été formé par une personne mise en examen qui n'avait pas été placée en détention provisoire en dépit des réquisitions contraires du Parquet qui avait donc interjeté appel de l'ordonnance. La personne mise en examen avait fait le choix d'un premier avocat puis, par lettre adressée au seul président de la chambre de l'instruction, elle désignait un second avocat. L'avis d'audience devant la chambre de l'instruction avait été adressé à ce dernier, qui n'a pas comparu, et au deuxième avocat, qui a déposé un mémoire mais a été substitué à l'audience par un troisième avocat, entendu en ses observations. Le mis en examen formait un pourvoi contre cet arrêt qui avait décidé de le placer en détention provisoire en faisant valoir que, puisqu'il n'avait pas déclaré choisir un nouvel avocat auprès du greffier du juge d'instruction, seul le premier avocat aurait dû être avisé de l'audience et avait qualité pour le défendre. Cette argumentation qui se fonde sur une lecture stricte des dispositions de l'article 115, conforme à la jurisprudence, n'a, toutefois, pas convaincu la Haute juridiction. Elle a, en effet, rejeté le pourvoi en considérant que "le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que [le premier avocat] choisi n'ait pas été avisé, dès lors que l'irrégularité invoquée n'a pas eu pour effet de porter atteinte à ses intérêts, le second avocat choisi ayant déposé un mémoire devant la chambre de l'instruction et ayant été substitué à l'audience".
Au regard de cette décision, on a du mal à comprendre ce qui justifie, dans l'espèce soumise à la Cour européenne, la décision d'irrecevabilité de l'appel formé par l'avocat nouvellement désigné alors que la Chambre criminelle avait paru subordonner l'application des règles de l'article 115 du Code de procédure pénale à la preuve d'un grief qui était ici inexistant.
On sait également qu'elle s'était prononcée par un arrêt de 2012 (Cass. crim., 27 novembre 2012, n° 11-85.130, F-P+B N° Lexbase : A7008IZL) en affirmant que si l'avocat qui fait une déclaration d'appel n'est pas tenu de produire un pouvoir spécial, il ne peut exercer ce recours lorsqu'une information est en cours que si la partie concernée a préalablement fait le choix de cet avocat et en a informé la juridiction d'instruction selon les formes prévues par la loi ; cette solution s'inscrivant elle-même dans le droit fil d'un précédent tout autant intransigeant (Cass. crim., 9 janvier 2007, n° 06-84.738, F-P+F N° Lexbase : A6975DTI, Bull. crim., n° 3 ; Cass. crim., 16 septembre 2014, n° 13-82.758, F-P+B+I N° Lexbase : A5592MWZ [cas d'un correspondant local], Bull. crim., n° 186). Ces décisions ont été vivement critiquées notamment à la lumière de l'article 502 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5045K8D), auquel renvoie l'article 186 du même code (N° Lexbase : L2763KGG), qui n'impose que la signature de la déclaration d'appel par le greffier et par l'appelant lui-même, ou par un avocat.
Ces exigences s'avéraient extrêmement contraignantes pour l'avocat du mis en examen et leur intérêt assez peu évident, si ce n'est entraver de manière excessive le droit d'accès au juge et les droits de la défense. On ne peut donc que se réjouir du constat de violation qui vient renforcer ces droits.
B - Le droit d'accès à un tribunal et les droits de la défense renforcés
Cet arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui renforce le droit d'accès au juge et les droits de la défense, n'est pas sans rappeler d'autres décisions allant dans le même sens.
On peut citer, par exemple, un arrêt par lequel la Cour européenne avait jugé que constitue une violation du droit fondamental à un tribunal le refus, par les juridictions françaises, de l'assimilation à une déclaration formelle au greffe, prévue par l'article 173 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8645HW4), d'une simple requête en annulation déposée au greffe, et comportant toutes les mentions obligatoires (CEDH, 26 juillet 2007, Req. 35787/03 N° Lexbase : A5133DXE). Rappelons que, dans cette affaire, la Cour de Strasbourg avait condamné la France parce que ses juridictions avaient estimé irrecevable une requête en nullité déposée au greffe de la chambre de l'instruction par l'avocat de la personne poursuivie, le greffier ayant tamponné cette requête, avec date et heure du dépôt, et apposé sa signature, mais sans que l'avocat ait été invité à formellement effectuer une "déclaration" de cette requête. La Cour avait alors estimé que le "dépôt" de la requête en annulation remplissait tous les objectifs du formalisme de l'article 173 du Code de procédure pénale et a jugé que le formalisme imposé par les juridictions françaises était excessif, cet excès ayant créé une disproportion entre "le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d'autre part, le droit d'accès au juge". Un autre exemple est fourni par l'affaire "P. c/ France" du 15 décembre 2011 (CEDH, 15 décembre 2011, Req. n° 29938/07 N° Lexbase : A7462RXN) à l'occasion de laquelle la Cour européenne a encore condamné la France en raison du formalisme imposé s'agissant de l'appel formé sur la base de l'article 186-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5030K8S). Cet article autorise la partie à interjeter appel des ordonnances de renvoi devant une juridiction correctionnelle que dans le cas d'une correctionnalisation qu'elle conteste. Le président de la chambre de l'instruction avait rendu une ordonnance de non-admission de l'appel en considérant que l'indication de l'objet de l'appel ne résultait pas de l'acte d'appel lui-même et, sur ce point, que la Cour européenne a considéré que cette condition n'était pas requise par l'article 186-3 du Code de procédure pénale, ni par aucune disposition de ce code et que le requérant avait été soumis à un formalisme excessif.
Le présent arrêt s'inscrit dans le droit fil de ces décisions. Certes, la Cour européenne a pris le soin de rappeler que le "droit à un tribunal", dont le droit d'accès constitue un aspect, n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l'Etat, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation, tout en précisant que les limitations appliquées ne doivent toutefois pas restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. Mais elle a précisé que ces limitations ne se concilient avec l'article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (§ 35).
Or, en l'espèce, la Cour européenne a retenu que, concrètement, le juge d'instruction était parfaitement informé du changement d'avocat et a relevé qu'après avoir dans un premier temps jugé la désignation irrecevable, ce magistrat l'avait ensuite validée, ainsi qu'en attestent expressément les termes de son ordonnance du 29 juin 2009. Elle a également noté que l'avocat général près la Cour de cassation avait rendu un avis de cassation à l'occasion duquel il avait souligné le fait que l'avocat du requérant était fondé à considérer que sa désignation était régulière, le juge d'instruction n'ayant rien trouvé à redire à la notification de sa désignation, alors qu'il l'avait critiquée une première fois. La Cour en a donc conclu que la décision d'irrecevabilité de la cour d'appel, confirmée par la Cour de cassation, "a été de nature à entraver l'exercice des droits de la défense, le requérant et son avocat ne pouvant plus, à ce stade, régulariser une désignation validée par le juge d'instruction" et "constate que le requérant a donc été privé d'un examen au fond de son recours". Elle estime que, "dans les circonstances de l'espèce, où il avait notifié l'identité de son nouvel avocat au juge d'instruction et à son greffier, il s'est vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d'une part, le souci légitime d'assurer le respect des conditions formelles pour désigner un nouvel avocat durant l'instruction et, d'autre part, le droit d'accès au juge" (§§ 41-42). La somme de 4 000 euros a été allouée au demandeur en réparation du préjudice moral subi ainsi que 8 730,80 euros au titre des frais et dépens.
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Réf. : Ass. plén., 22 juillet 2016, n° 16-80.133, P+B+R+I (N° Lexbase : A7470RXX)
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N3911BWR
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Le 28 Juillet 2016
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Réf. : Décret n° 2016-975 du 18 juillet 2016, relatif aux modalités d'établissement de listes, à l'exercice et à la formation des défenseurs syndicaux intervenant en matière prud'homale (N° Lexbase : L3694K9P)
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Le 02 Août 2016
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Réf. : Projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
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N3932BWK
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Le 29 Juillet 2016
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N3895BW8
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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse 1 Capitole), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition affaires
Le 28 Juillet 2016
A cet égard, le paysage juridique des sociétés a connu des modifications d'ordre général ou particulier et a assisté à l'émergence de nouvelles formes sociales.
1. Le premier point mis en exergue réside dans la comparaison entre les sociétés civiles et les sociétés commerciales marquée par le rapprochement opéré entre elles par la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 (2) (D. Gibirila, Sociétés civiles et sociétés commerciales : une distinction justifiée malgré un rapprochement avéré entre elles N° Lexbase : N3670BWT). Ce texte a repris de nombreuses dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales afin de les appliquer aux sociétés civiles. L'évolution propice à la commercialisation des sociétés civiles s'est traduite par une refonte législative du titre IX du livre III du Code civil (3) relatif aux sociétés.
Les autres sujets d'étude ne sont pas moins importants ; loin s'en faut.
2. Il en va ainsi de la dépénalisation du droit des sociétés (M.-C. Sordino, Réflexions sur la dépénalisation du droit des sociétés commerciales N° Lexbase : N3894BW7). A ce propos, la loi "Warsmann II" (4) a accentué le mouvement de dépénalisation du droit des affaires entrepris depuis plusieurs années, notamment en abrogeant certaines infractions relatives au droit des sociétés. De plus, elle a allégé le régime de certaines sanctions pénales (suppression de peines d'emprisonnement mais peines d'amendes alourdies), notamment en ce qui concerne la non libération des actions de numéraires d'au moins la moitié ou la non libération intégrale des actions d'apport avant l'immatriculation de la société (5) ; la négociation des actions de numéraires non libérées de moitié (6) ...
Cette dépénalisation connaît toutefois des limites. Le législateur a intégré deux mesures renforçant les pouvoirs d'enquête et aggravant les sanctions pénales dans les lois du 11 octobre 2013 (7) et du 6 décembre 2013 (8).
La nouvelle rédaction des articles L. 241-3 (N° Lexbase : L9516IY4) et L. 242-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L9515IY3) prévoit qu'en cas de condamnation pour abus de bien sociaux, abus de pouvoirs ou de voix, distribution de dividendes fictifs ou présentation de comptes sociaux infidèles, les dirigeants sociaux encourent la peine complémentaire d'interdiction des droits civiques, civils et de famille de l'article 131-26 du Code pénal (N° Lexbase : L2174AMH).
Par ailleurs, un nouveau délit d'abus de bien sociaux aggravé a été créé. Il est puni de 7 ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende. Cette infraction est destinée à sanctionner certaines méthodes de dissimulation de l'abus de bien social, en particulier le recours à des comptes bancaires étrangères ou des intermédiaires ou des structures étrangères.
3. Une ordonnance du 22 janvier 2009 (9) a supprimé la notion française d'appel public à l'épargne au profit des notions européennes d'offre au public de titres financiers et d`admission aux négociations sur un marché réglementé, afin d'adapter le droit français à la Directive européenne 2003/71CE du 4 novembre 2003 (10). Ses dispositions sont entrées en vigueur le 1er avril 2009 (B. François, Admission sur un marché financier, offre au public et financement participatif : derniers avatars de l'appel public à l'épargne (Première partie) N° Lexbase : N3661BWI et Admission sur un marché financier, offre au public et financement participatif : derniers avatars de l'appel public à l'épargne (Seconde partie) N° Lexbase : N3662BWK).
L'offre au public de titres financiers comporte l`une des deux opérations suivantes : une communication adressée sous toute forme et par n'importe quel moyen à des personnes. Elle contient une information suffisante sur les conditions de l`offre et sur les titres à offrir, afin de mettre un investisseur en mesure de décider d`acheter ou de souscrire ces titres financiers ; un placement de titres financiers par des intermédiaires financiers (11).
En réalité, bien que la suppression de la notion d'appel public à l'épargne soit perçue comme un véritable bouleversement, celui-ci est surtout d'ordre terminologique. L'appel public à l'épargne et l'offre au public sont deux notions formellement différentes, mais substantiellement très proches et superposables.
4. S'agissant de la direction et de l'administration de la société anonyme (Fl. Maury, Direction et administration de la société anonyme "à la française", cinquante ans après la loi du 24 juillet 1966 N° Lexbase : N3888BWW), l'avènement de la loi sur les nouvelles régulations économiques (loi "NRE") (12) constitue une étape importante de l'évolution du droit des sociétés. Pour l'essentiel, ce texte a, d'une part dissocié les pouvoirs du président et du conseil d'administration et du directeur général, d'autre part, distingué les pouvoirs de ces deux organes de ceux du conseil d'administration. Le président, à l'instar du conseil d'administration lui-même, a perdu son pouvoir de direction générale et de représentation de la société qui a été transféré au directeur général. La loi de sécurité financière ("LSF") du 1er août 2003 (13) l'a même privé du pouvoir de représenter ledit conseil que lui avait auparavant octroyé la loi "NRE". Son rôle a donc été considérablement réduit (14).
Il appartient au conseil d'administration d'opter à tout moment pour la dissociation ou non des fonctions signalée. Il n'est pas tenu par son choix initial ; sauf stipulation contraire des statuts, il peut à tout moment changer les modalités d'exercice. En toute hypothèse, c'est le directeur général qui est soit le président du conseil d'administration, soit une autre personne physique nommée exclusivement par le conseil en dehors de toute proposition du président, qui détient le pouvoir de représenter la SA et de l'engager à l'égard des tiers (15). Il peut être assisté par ou plusieurs personnes (cinq au maximum), des directeurs généraux délégués nommés par le conseil d'administration sur sa proposition et ayant vocation à occuper auprès de lui la mission d'assistance autrefois dévolue au directeur général auprès du président.
5. La société anonyme, moniste ou dualiste, ne saurait fonctionner sans commissaire aux comptes (D. Vidal, Le contrôle légal et judiciaire des opérations sociales : quelle protection pour l'entreprise sociale ? N° Lexbase : N3392BWK) dont l'absence est pénalement sanctionnée (16). Etant investis d'une mission légale de contrôle des comptes sociaux, ils sont garants du bon fonctionnement de la société et participent à la défense des intérêts de tous les acteurs de la vie sociétaire, qu'ils soient internes au groupement social comme les actionnaires et les salariés, ou externes tels que les créanciers ou les épargnants.
Si leur présence au sein de ces sociétés ne date pas d'aujourd'hui, mais d'avant la loi du 24 juillet 1966, il est bien évident que cet organe de contrôle a notablement évolué tant dans son organisation que dans son fonctionnement, sous l'impulsion entre autres, des lois "NRE" du 15 mai 2001 et de sécurité financière du 1er août 2003. Entre autres, l'unification de son statut, quelle que soit la société au sein de laquelle il intervient, l'organisation de son activité en ordre professionnel, l'accroissement des garanties apportées par les professionnels au renforcement de son indépendance, mais également l'alourdissement de ses obligations. Par ailleurs, la mission des commissaires aux comptes tend à devenir d'intérêt public.
6. En ce qui concerne la dissolution de la société, le régime instauré par la loi du 24 juillet 1966 a été plusieurs fois complété ou modifié ultérieurement (Ch. Lebel, Dissolution et liquidation des sociétés ou l'évolution de la disparition de la société en 50 ans, depuis la loi du 24 juillet 1966 N° Lexbase : N3673BWX). A l'opposé, si le Code de commerce était mutique en matière de liquidation, celle-ci relève essentiellement de la loi de 1966.
Sur le premier point, la dissolution, le législateur a précisé ou introduit des causes de dissolution propres aux sociétés de personnes telles que décès de l'associé, la condamnation à une mesure d'interdiction d'exercer une activité commerciale prononcée à l'égard d'un associé de société en nom collectif, ou spécifiques aux sociétés anonymes et aux sociétés à responsabilité limitée, notamment la perte des trois quarts du capital social. Par ailleurs, depuis l'avènement de ce texte, la réunion des droits sociaux en une seule main n'est plus une cause de dissolution de plein droit de la société, ainsi que la liquidation judiciaire de celle-ci.
Sur le second point, la liquidation, hormis le régime mis en place par la loi de 1966, les nouveautés ont pu porter, entre autres, sur la société unipersonnelle dont le patrimoine est transmis à l'associé unique, à condition selon la loi "NRE" du 15 mai 2001 ajoutant un dernier alinéa à l'article 1844-5 du Code civil (N° Lexbase : L2025ABM), qu'il s'agisse d'une personne morale.
7. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) (B. Saintourens, La société unipersonnelle : entre dogmatisme et pragmatisme introduite dans le droit des sociétés français N° Lexbase : N3394BWM) en même temps que l'EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée) par une du 11 juillet 1985 (17) permet notamment à une seule personne physique ou morale de constituer une société sans recourir à un associé de complaisance (prête-noms ou associés fictifs) et, par conséquent, d'éviter les sociétés de façade. Elle est destinée également, d'une part, à favoriser l'esprit d'initiative de l'entrepreneur individuel en lui offrant la possibilité de limiter sa responsabilité au patrimoine social en séparant celui-ci de son patrimoine personnel ; d'autre part, à faciliter et encourager la transmission des entreprises familiales. Il est vrai que l'EURL est concurrencée, outre par la SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle), par l'auto-entreprise mise en place par la loi de modernisation de l'économie ("LME") (18) et par l'EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée) instaurée le 15 juin 2010 (19). Cela résulte de ce qu'elle ne connaisse pas le succès escompté, puisque seules 6,2 % des entreprises sont des EURL, c'est-à-dire près de dix fois moins que les entreprises en nom propre.
8. L'entrée des sociétés d'exercice libéral (SEL) dans le droit des sociétés est remarquable (B. Brignon, Loi de 1966 versus loi de 1990 : l'élève aurait-il dépasser le maître ? N° Lexbase : N3391BWI). Elle est l'oeuvre de la loi du 31 décembre 1990 (20) entrée en vigueur le 1er janvier 1992 et dernièrement réformée par la loi "Macron" (21) et l'ordonnance du 31 mars 2016 sur la pluriprofessionnalité d'exercice (22). Elle permet à tous les professionnels libéraux d'organiser leur activité à caractère civil au sein d'une société à forme commerciale, par conséquent à risque limité, et ainsi d'éviter une responsabilité illimitée telle que dans une société civile professionnelle (SCP). Autrement dit, elle rend possible "l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé". Elle généralise ainsi la possibilité de recourir aux formes de la SARL pluripersonnelle ou unipersonnelle (SELARL), de la société anonyme (SELAFA), de la société en commandite par actions (SELCA) et de la société par actions simplifiée (SELAS).
Le législateur vise un triple objectif : permettre aux professionnels libéraux de faire face à la concurrence étrangère en recourant dans une certaine mesure à des capitaux extérieurs ; permettre par l'interprofessionnalité, à des professionnels libéraux d'une même famille (médecins, infirmiers) ou de familles différentes (avocats, experts-comptables) de se retrouver au sein d'une même structure et ainsi développer des groupements aptes à affronter la concurrence ; recourir à la fiscalité des sociétés commerciales, plus favorable que celle des sociétés civiles.
Ces différents avantages contribuent au succès des SEL qui représentent près de 50 % des structures d'exercice des activités libérales.
9. La société par actions simplifiée (SAS) (M. Rakotovahiny L'émancipation de la SAS de la loi du 24 juillet 1966 N° Lexbase : N3893BW4) a été instituée par la loi du 3 janvier 1994 (23), afin de contrebalancer le formalisme lourd de la société anonyme qui constitue un obstacle à l'élaboration d'une structure de rapprochement et de coopération. Cela justifie qu'elle s'applique aisément dans la filiale commune où des partenaires très avertis des techniques contractuelles utilisent aux mieux sa souplesse.
Cette nouvelle forme sociale échappe au dirigisme de la société anonyme qui laisse peu de place à la liberté individuelle. La souplesse de son fonctionnement permet d'échapper aux contraintes de celle-ci imposée par la loi "NRE" du 15 mai 2001, sans compter le succès qu'elle connaît avec les innovations apportées par la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche (24) et la "LME" du 4 août 2008. Bien que marquée par un fort intuitus personae et susceptible de fonctionner avec une seule personne physique ou morale, cette structure sociétaire présente la particularité de relever des sociétés de capitaux, tout en se différenciant sensiblement de la société anonyme dont elle n'est pas une sous-catégorie. Elle est aujourd'hui une société de première importance ; son nombre n'a pas cessé de croître (4240 en janvier 2000 et 188 735 en septembre 2009 ; 399 immatriculations au tribunal de commerce de Paris en 1995 et 11 246 en 2014) alors que dans le même temps celui des SA a singulièrement régressé (157 927 en janvier 2000 et 44 629 en septembre 2009 ; 2015 immatriculations au greffe du tribunal de commerce de Paris en 1995 ; 170 en 2014) (25).
En définitive, "Rien ne sera plus jamais comme avant", eu égard aux différentes innovations effectuées par le législateur en droit des sociétés. Néanmoins, "L'histoire est un perpétuel recommencement" (26), car à n'en point douter, d'autres réformes viendront modifier, voire bouleverser le paysage juridique des sociétés.
(1) Loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, sur les sociétés commerciales (N° Lexbase : L6202AGS), D., 1966, p. 265.
(2) Loi n° 78-9 du 4 janvier 1978, modifiant le titre IX du livre III du Code civil, (N° Lexbase : L1471AIC).
(3) C. civ., art. 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ) à 1873.
(4) Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives (N° Lexbase : L5099ISN)
(5) C. com., art. L. 242-1 (N° Lexbase : L5779IST).
(6) C. com., art. L. 242-3 (N° Lexbase : L5778ISS).
(7) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique (N° Lexbase : L3622IYS).
(8) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW).
(9) Ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009, relative à l'appel public à l'épargne et portant diverses dispositions en matière financière (N° Lexbase : L5928ICK).
(10) Directive européenne 2003/71CE du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la Directive 2001/34/CE (N° Lexbase : L4456DMY)
(11) C. mon. fin., art. L. 411-1, modifié (N° Lexbase : L6070ICS).
(12) Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ).
(13) Loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB).
(14) C. com., art. L. 225-51 (N° Lexbase : L5922AI8).
(15) C. com., art. L. 225-51-1, al. 1er (N° Lexbase : L2183ATZ) et L. 225-56, I, al. 2 (N° Lexbase : L5927AID).
(16) C. com., art. L. 820-4, 1° (N° Lexbase : L3311IQP).
(17) Loi n° 85-697 du 11 juillet 1985, relative à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (N° Lexbase : L2051A4Q).
(18) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR).
(19) Loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (N° Lexbase : L5476IMR).
(20) Loi n° 90-1258 du 30 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN).
(21) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).
(22) Ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016, relative aux sociétés constituées pour l'exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (N° Lexbase : L3874K7M).
(23) Loi n° 94-1 du 3 janvier 1994, instituant la société par actions simplifiée (N° Lexbase : L2852AWK).
(24) Loi n° 99-587 du 12 juillet 1999, sur l'innovation et la recherche (N° Lexbase : L1179AR4).
(25) Ph. Merle (avec la collaboration de A. Fauchon), Sociétés commerciales, n° 2, Précis Dalloz 2016, 19e éd.
(26) Thucydide. Historien grec né en -460 dans une famille noble d'Athènes ; il reçoit un commandement militaire en -424 mais ne peut empêcher la chute d'Amphipolis. Cet échec lui vaut d'être condamné à l'exil.
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par Marie-Christine Sordino, Professeur à l'Université de Montpellier, Co-directrice de l'Equipe de droit pénal
Le 28 Juillet 2016
I - L'amorce de la politique de dépénalisation
L'existence de certaines pratiques participe d'une dépénalisation de fait (A). Elles ont précédé l'adoption d'une réelle dépénalisation législative (B).
A - Des pratiques traduisant une dépénalisation de fait
Un mouvement de dépénalisation s'est fait jour face aux délits concernant les sociétés commerciales, de manière empirique, au sein des tribunaux, bien que cela ne repose pas nécessairement sur une politique d'ensemble délibérée.
En effet, certaines infractions ne sont pas jugées au fond, l'instruction se clôturant par un non lieu, après des années d'information concernant des dossiers techniques et complexes, dont certains prennent parfois appui sur des territoires différents ou sont perpétrés au sein de groupes de sociétés (19).
Faute de preuves, les commissions rogatoires internationales ne donnant pas forcément de résultat et, bien que des efforts soient réalisés dans le domaine de l'entraide entre Etats, le traitement des dossiers peut être confronté à des blocages et des retards considérables.
De même, la consécration législative d'alternatives à la poursuite, telles que la composition pénale, peut faire échapper au procès pénal classique l'auteur d'infractions dont le maximum encouru au titre de la peine privative de liberté est de cinq ans.
Ce seuil correspond au quantum moyen de la peine encourue pour des infractions d'affaires, ce qui est le cas, notamment, pour les délits de publication de comptes annuels infidèles, de répartition de dividendes fictifs ou d'abus de biens sociaux, infractions les plus emblématiques du droit pénal des sociétés.
D'autres infractions, notamment dans les domaines de la concurrence et du droit fiscal, donnent lieu à des mécanismes de transaction, qui court-circuitent le procès pénal.
B - L'adoption d'une réelle dépénalisation législative
Une dépénalisation législative a débuté en droit des sociétés (20) et constitue une étape importante dans ce processus. C'est ainsi qu'un mouvement de dépénalisation a été amorcé depuis le début des années 1990, alors que le volet pénal du droit des sociétés semblait figé depuis l'entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 1966.
La dépénalisation a débuté par la création d'injonctions judiciaires (1°), cette politique ayant été par la suite consolidée (2°).
1° - La création des injonctions judiciaires
Le premier pas a été franchi par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, sur les nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ dite loi "NRE") (a), qui consacre une politique de dépénalisation par le recours à la sanction civile, en lieu et place de la sanction pénale (b). Le crimen demeure, donc le comportement est toujours passible de sanctions non pénales, ce qui constitue l'une des variantes de la politique de dépénalisation.
a) Le premier pas franchi par la loi "NRE"
La loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 a amorcé le mouvement en supprimant certaines infractions et en créant une procédure d'injonction judiciaire, destinée à contraindre le dirigeant de société à communiquer des documents sous astreinte.
Elle l'a placée dans les articles L. 238-1 (N° Lexbase : L8353GQG) et suivants du Code de commerce.
Cette création avait déjà été proposée en 1996 dans le rapport du sénateur Philippe Marini, consacré à la modernisation du droit des sociétés, trente ans après l'adoption de la loi du 24 juillet 1966 (21).
b) Une politique de dépénalisation par la sanction civile
Une politique de dépénalisation peut opter pour le passage vers un réseau de sanctions civiles, voire administratives (22).
C'est ainsi que la loi du 25 janvier 1985, consacrée à l'entreprise en difficulté (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), a préféré opter pour une dépénalisation au profit de la sanction civile ou professionnelle.
L'injonction judiciaire illustre la consécration d'une telle politique.
Le recours à la technique de l'annulation de la décision litigieuse ou de l'assemblée générale en est une autre, mais elle est plus risquée sur le plan de la sécurité juridique, en raison des effets rétroactifs de celle-ci.
2° - La consolidation de la politique de dépénalisation
Ce sont les deux lois n° 2003-721 (N° Lexbase : L3557BLC) et n° 2003-706 (N° Lexbase : L3556BLB) du 1er août 2003, respectivement sur l'initiative économique et sur la sécurité financière, qui ont poursuivi le mouvement (23), d'abord en élargissant le domaine des injonctions (a) et, ensuite, en réorganisant la protection des actionnaires et obligataires (b).
a) L'élargissement du domaine des injonctions
La première des deux lois du 1er août 2003 (n° 2003-721) prévoit l'élargissement du domaine des injonctions, au sein de l'article L. 238-3 du Code de commerce, en cas d'omission de porter la mention de la dénomination et du capital sur les documents, la réduction des sanctions pénales pour les sociétés par actions simplifiées et l'allègement du volet pénal de la constitution de la SARL.
b) La protection des actionnaires et obligataires
La seconde loi du 1er août 2003 (n° 2003-706) réaménage la protection des actionnaires et obligataires par le recours à la nullité de la décision litigieuse.
C'est notamment le cas de l'assemblée générale au cours de laquelle a eu lieu une violation des dispositions concernant les droits de vote des actionnaires.
Il en est ainsi notamment de l'article L. 235-2-1, nouveau, du Code de commerce (N° Lexbase : L1393HIG).
C'est également le cas de la nullité encourue en cas de non-respect des droits des porteurs de titres lors d'une augmentation de capital prévue par l'article L. 225-149-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L9343GUL).
II - L'accélération de la politique de dépénalisation
L'accélération textuelle (A) ainsi que les propositions du rapport rédigé sous l'impulsion de Monsieur Jean-Marie Coulon (B) conduisent à pousser la réflexion plus avant.
A - L'accélération textuelle
Deux ordonnances adoptées en 2004 (1°), ainsi que des textes postérieurs (2°) amplifient le mouvement.
1° - Les ordonnances
Il s'agit des ordonnances n° 2004-274 du 25 mars 2004 (N° Lexbase : L4315DPI) (a) et n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7) (b).
a) L'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004
L'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004, portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises, constitue la troisième étape de la dépénalisation du droit des sociétés. L'ordonnance est le fruit du chapitre V de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA).
Quatre éléments nouveaux sont à noter.
D'abord, les SARL se voient désormais autorisées à émettre des obligations, sous réserve de respecter les deux critères d'établissement des comptes de trois exercices approuvés par les associés et d'obligation de nomination d'un commissaire aux comptes. Les articles. L. 241-2 (N° Lexbase : L3102DYK) et L. 223-11 (N° Lexbase : L0107HZY) du Code de commerce sont donc modifiés en ce sens.
Ensuite, le champ d'application de la procédure d'injonction est étendu dans deux directions.
Dans un premier temps, l'article L. 238-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L3101DYI) est créé et permet à "tout intéressé" de demander au président du tribunal d'enjoindre "sous astreinte au président de l'assemblée générale des actionnaires ou des obligataires de transcrire les procès-verbaux desdites assemblés sur un registre spécial tenu au siège social". Est, en conséquence, dépénalisée l'omission de conserver ou transcrire les procès-verbaux sur un registre spécial.
Dans un second temps, les articles L. 242-12 (N° Lexbase : L6426AIT) et L. 242-13 (N° Lexbase : L6427AIU) du Code de commerce sont abrogés. Ainsi, le fait, soit de s'abstenir de porter à la connaissance des actionnaires les renseignements exigés, soit de ne pas adresser une formule de procuration à un actionnaire qui le demande, en vue de la tenue de l'assemblée, entre désormais dans le domaine des injonctions.
Puis, l'article L. 245-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3158DYM) est réécrit. L'émission d'obligations négociables dont la valeur est inférieure au minimum légal est abrogée, ce qui apparaît logique, dans la mesure où le décret n° 99-257 du 1er avril 1999 (N° Lexbase : L4769AR3) a supprimé ledit minimum.
Enfin, l'article L. 242-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L6421AIN) est abrogé. L'omission de constater les délibérations du conseil d'administration de la société anonyme est donc dépénalisée. La sanction pénale est remplacée, soit par le recours à une action en nullité, soit par une injonction judiciaire.
b) L'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004
L'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales, poursuit dans la politique législative de dépénalisation en agissant sur trois axes.
En premier lieu, l'ordonnance vise à aligner le régime des assemblées d'obligataires sur celui des assemblées d'actionnaires. A cet effet, l'article L. 245-11, 2° du Code de commerce (N° Lexbase : L8330GQL) est abrogé, alors qu'il incriminait le fait de se faire passer pour un obligataire lors de l'assemblée et de participer au vote. L'article L. 242-9, 2° du Code de commerce (N° Lexbase : L6423AIQ) qui réprimait un comportement identique dans le cas d'une assemblée d'actionnaires avait été, lui, abrogé antérieurement par l'une des deux lois du 1er août 2003.
L'ordonnance abroge également les alinéas 2 à 5 de l'article L. 245-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L8331GQM) qui fulminaient des sanctions à l'encontre de certaines personnes ayant participé de manière illicite à une assemblée d'obligataires.
En second lieu, les alinéas 1er à 3 de l'article L. 245-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L8329GQK), prévoyant des sanctions pénales pour des infractions en rapport avec les actions à dividende prioritaire sans droit de vote sont abrogés et des injonctions de faire en vue d'assurer la représentation desdits actionnaires sont créées.
L'ordonnance supprime dans le même temps les titres à dividende prioritaire sans droit de vote et les remplace par des actions de préférence.
En dernier lieu, l'article L. 242-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8328GQI) est abrogé. Incriminant le fait de participer sciemment à des négociations illicites d'actions, le comportement peut être poursuivi sur le fondement d'une qualification de complicité du délit prévu à l'article L. 242-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L5778ISS), à savoir la négociation illicite d'actions.
2° - Les textes postérieurs
Il s'agit, d'une part, du décret n° 2006-1566 du 11 décembre 2006 (N° Lexbase : L7100HT7) (a) et, d'autre part, de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives (N° Lexbase : L5099ISN) (b).
a) Le décret n° 2006-1566 du 11 décembre 2006
Le décret n° 2006-1566 du 11 décembre 2006 réforme le décret n° 67-236 du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L0729AYN).
Afin de mettre un terme à la controverse judiciaire portant sur la possibilité de sanctionner pénalement l'absence de dépôt des comptes sociaux au greffe du tribunal de commerce, (qui était elle-même née d'une difficulté relative à la codification de la partie législative du Code de commerce), le décret du 11 décembre 2006 crée un article unique, l'article R. 247-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L0515HZ4), visant à sanctionner d'une amende de 1 500 euros, prévue pour les contraventions de la 5ème classe, le fait de ne pas satisfaire aux obligations de dépôt des comptes sociaux (C. com., art. L. 232-21 N° Lexbase : L5750ISR à L. 232-23).
En outre, le texte abroge les dispositions sanctionnant pénalement la violation du droit pour l'associé non gérant de prendre connaissance de certains documents, ainsi que le non-respect des règles applicables aux actes et documents émanant de la société, aux procès-verbaux des délibérations des associés, aux comptes annuels et consolidés et aux rapports de gestion.
b) La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives
La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 poursuit le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés (24), en abrogeant certaines infractions, en élargissant le domaine de l'injonction et en supprimant les peines privatives de liberté dans des délits relatifs à la constitution de la société.
Les apports de ce texte se mesurent, principalement, au moment de la constitution de la société, lors de son fonctionnement et de sa disparition.
- Le dispositif pénal relatif à l'immatriculation des sociétés
L'article L. 123-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L9114IMI) incriminait un délit d'omission, puisqu'il s'agissait de sanctionner celui qui ne défère pas, dans les quinze jours de la date où elle est devenue définitive, à une ordonnance enjoignant de requérir une immatriculation, une mention ou une radiation. Cette infraction était punie d'une amende de 3 750 euros (25).
La loi du 22 mars 2012 modifie l'article L. 123-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L5728ISX) afin de permettre au juge d'assortir son injonction d'une astreinte financière, de manière à inciter les commerçants concernés à régulariser rapidement leur situation. Le maintien d'une infraction pénale ne se justifiant plus, l'article L. 123-4 est donc abrogé.
Dans le même temps, la loi du 22 mars 2012 laisse subsister une infraction de commission, prévue par l'article L. 123-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5731IS3), correspondant à un degré plus élevé de gravité, consistant à donner, de mauvaise foi, des indications inexactes ou incomplètes en vue d'une immatriculation, d'une radiation ou d'une mention complémentaire ou rectificative au registre du commerce et des sociétés. Ce délit demeure puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 4 500 euros.
- La constitution de la société
Le délit d'omission de déclaration du capital dans les statuts de la SARL est abrogé par la loi du 22 mars 2012.
En parallèle, ce texte modifie les dispositions relatives au délit d'émission illicite d'actions, en diminuant les cas incriminés et en diminuant les peines encourues.
Selon l'article L. 242-1, ancien, du Code de commerce (N° Lexbase : L6245ICB) était incriminé, "le fait, pour les fondateurs, le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme, d'émettre ou négocier des actions ou des coupures d'actions sans que les actions de numéraire aient été libérées à la souscription de la moitié au moins ou sans que les actions d'apport aient été intégralement libérées avant l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés.
Un emprisonnement d'un an peut, en outre, être prononcé si les actions ou coupures d'actions sont émises sans que les actions de numéraire aient été libérées à la souscription d'un quart au moins ou sans que les actions d'apport aient été intégralement libérées antérieurement à l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés".
Désormais, l'article L. 242-3 du même code (N° Lexbase : L5778ISS) n'incrimine plus que le fait, pour les fondateurs et dirigeants d'émettre des actions ou coupures d'actions de numéraire non libérées du montant prévu à la souscription ou des actions d'apport non intégralement libérées avant l'immatriculation de la société. Les peines d'emprisonnement sont abrogées et, en revanche, le quantum de l'amende passe de 9 000 euros à 150 000 euros.
La loi du 22 mars 2012 modifie également le délit de négociation illicite d'actions.
L'article L. 242-3, ancien, du Code de commerce (N° Lexbase : L7330DAQ), incriminait le fait pour les dirigeants de sociétés anonymes de négocier des actions de numéraire qui n'étaient pas demeurées sous la forme nominative jusqu'à leur entière libération ou des actions de numéraire pour lesquelles le versement du quart n'avait pas été effectué.
Cependant, la loi du 22 mars 2012 prévoit désormais qu'une action de numéraire qui n'est pas nominative jusqu'à son entière libération puisse être annulée. Cette nullité facultative, dont le prononcé est laissé à l'appréciation du juge, peut être demandée par tout intéressé, donc, par la société.
En conséquence, les fondateurs, dirigeants et actionnaires n'encourent plus de sanction pénale pour avoir négocié des actions de numéraire qui ne sont pas demeurées sous forme nominative jusqu'à leur libération. Il en est de même pour les personnes ayant établi ou publié la valeur de telles actions ou encore la valeur d'actions non libérées du quart de leur valeur et pour les fondateurs et dirigeants n'ayant pas maintenu les actions de numéraire sous forme nominative jusqu'à leur entière libération.
En vertu de l'article L. 242-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5779IST), peuvent être auteurs de l'infraction les fondateurs, le président du conseil d'administration, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme. Ils encourent une amende de 150 000 euros, cette amende pouvant être doublée dans le cas où les actions font l'objet d'une offre au public.
L'article L. 242-3 du Code de commerce incrimine le comportement des titulaires ou porteurs d'actions (sont ainsi visés les établissements financiers sur les comptes desquels les titres sont enregistrés). La peine encourue est identique.
La loi du 22 mars 2012 a donc scindé en deux articles distincts le délit de négociation des dirigeants ou fondateurs et le délit de négociation des porteurs d'actions.
L'article L. 242-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8328GQI) prévoyait qu'est puni des peines visées à l'article L. 242-3 le fait, pour toute personne, d'avoir établi ou publié la valeur des actions ou promesses d'actions visées audit article.
Cette infraction était indépendante du délit de négociation illicite d'actions, bien qu'elle prenne place à côté de lui et réprime "toute personne", ce qui est plus large. Son élément matériel consistait, soit à établir la valeur du titre entaché de l'irrégularité (il s'agit d'une évaluation comptable destinée à justifier la valeur du titre offert), soit à publier ladite valeur (entendu comme tout moyen de faire connaître la valeur du titre à un ensemble d'individus indéterminés, par une diffusion écrite, dans la presse ou dans des prospectus ou orale). Le délit était analysé comme intentionnel et induit le plus souvent de la matérialité des faits.
La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 a abrogé ce délit et renvoie désormais au droit commun de la complicité.
- Les opérations sur le capital
Le délit d'émission illicite de titres lors d'une augmentation de capital a été partiellement dépénalisé. C'est ainsi que ne sont plus incriminées l'émission d'actions avant l'établissement du certificat du dépositaire ou la signature du contrat de garantie ainsi que l'émission d'actions sans que les formalités préalables à l'augmentation de capital aient été remplies. Le texte prévoit l'abrogation de la peine d'emprisonnement encourue.
Ne constitue plus un délit le fait pour les dirigeant de procéder à une réduction de capital, sans assurer la publicité de la décision de réduction du capital, au registre du commerce et des sociétés et dans un journal d'annonces légales. Si les organes de gestion ou de direction autorisés par l'assemblée générale à effectuer la réduction de capital ne respectent pas leur obligation de publier au registre du commerce et des sociétés le procès-verbal relatif à l'opération, la réalisation de celle-ci peut être annulée par le juge, en application de l'article L. 225-204, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6009ISD).
- Les infractions relatives aux opérations sur les propres titres de la société
Est dépénalisé le fait pour les dirigeants de société de souscrire, acquérir, prendre en gage, conserver ou vendre au nom de la société des actions émises par celle-ci.
En revanche, sont incriminées par le nouvel article L. 242-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L5774ISN), l'utilisation à d'autres fins des actions achetées pour faire participer les salariés aux résultats de l'entreprise, pour attribuer des actions gratuites ou pour consentir des stock-options et l'avance, au mépris de l'interdiction édictée à l'article L. 225-216 du Code de commerce (N° Lexbase : L2857IX4), des fonds sociaux à un tiers ou l'octroi par la société d'un prêt ou d'une sûreté au profit d'un tiers pour que celui-ci souscrive ou achète les actions de la société.
- Les infractions relatives aux assemblées générales
N'est plus pénalement sanctionnée l'omission par les dirigeants de SA ou de SCA d'annexer à la feuille de présence les pouvoirs donnés à chaque mandataire ou consistant à ne pas avoir constaté les décisions de l'assemblée par un procès-verbal signé des membres du bureau.
Les irrégularités concernant la feuille de présence et le procès-verbal peuvent entraîner le prononcé d'une sanction civile consistant en une nullité facultative des délibérations prises, alors qu'elles étaient sanctionnées par une nullité de plein droit. La loi du 22 mars 2012 étend le domaine de la nullité facultative au fait de ne pas annexer à la feuille de présence les pouvoirs donnés aux mandataires.
Le défaut de réunion de l'assemblée générale en vue de l'approbation des comptes d'une SARL, d'une société anonyme ou d'une société en commandite par actions dans les six mois de la clôture de l'exercice ou, en cas de prolongation, dans le délai fixé par décision de justice est dépénalisé par la loi du 22 mars 2012. La sanction devient civile, à savoir, une injonction. En conséquence, à défaut de réunion de l'assemblée dans les délais, le ministère public ou tout intéressé peut demander en référé au président du tribunal d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, aux dirigeants de convoquer l'assemblée ou de désigner un mandataire pour y procéder (voir les articles L. 223-26, alinéa 1er N° Lexbase : L8875I34 et L. 225-100, alinéa 1er N° Lexbase : L6003IS7 du Code de commerce).
En revanche, le délit de défaut de présentation des comptes sociaux à l'assemblée générale est conservé, mais la loi du 22 mars 2012 opère une distinction, en fonction de la forme sociale.
C'est ainsi que, pour les gérants de SARL, la peine de six mois d'emprisonnement encourue antérieurement est abrogée, seule étant désormais encourue une amende de 9 000 euros (C. com., art. L. 241-5 N° Lexbase : L5780ISU et L. 242-10 N° Lexbase : L5777ISR), alors que les peines antérieurement prévues sont maintenues dans les SA et les SCA, à savoir six mois d'emprisonnement et 9 000 euros d'amende (C. com., art. L. 242-10).
Le droit pénal n'intervient pas de manière systématique dans cette étape de la vie de la société commerciale. Il n'est prévu que dans des situations déterminées.
- La dissolution
Certaines dispositions de droit pénal existaient lorsque se produisait la perte de plus de la moitié du capital social avant la dissolution. Il faut noter, qu'en dehors même de tout aspect de nature pénale, la survenance de cet événement constitue un "clignotant important qui doit attirer l'attention des dirigeants.
Un délit intentionnel, puni d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 4 500 euros, était incriminé dans la SARL, en application de l'article L. 241-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6411AIB), la SA, par l'article L. 242-29 (N° Lexbase : L6443AIH), la SCA, en vertu de l'article L. 243-1 (N° Lexbase : L6446AIL), la SAS, par l'article L. 244-1 (N° Lexbase : L5772ISL) et la société européenne par l'article L. 244-5 (N° Lexbase : L3844HBY). La condition préalable était remplie lorsque, du fait de pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres devenaient inférieurs à la moitié du capital social. L'élément matériel consistait dans le fait de ne pas, dans les quatre mois suivant l'approbation des comptes ayant fait apparaître ces pertes, consulter les associés afin de décider s'il y avait lieu à dissolution anticipée de la société ou de ne pas déposer au greffe du tribunal de commerce, inscrire au registre du commerce et des sociétés et publier dans un journal d'annonces légales, la décision adoptée par les associés.
La loi du 22 mars 2012 a abrogé cette infraction, mais maintient de manière heureuse, au sein de l'article L. 223-42 du Code de commerce (N° Lexbase : L5867AI7), l'obligation pour les dirigeants de faire décider par les associés, dans les quatre mois qui suivent l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, s'il y a lieu à dissolution anticipée de la société.
La Cour de cassation a rappelé l'application immédiate de cette abrogation, car il s'agit d'une loi nouvelle plus douce, en application du principe de rétroactivité in mitius (26).
A défaut de provoquer une décision ou si les associés n'ont pu délibérer valablement, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. La dépénalisation du droit des sociétés s'appuie ici sur l'abrogation de dispositions pénales purement techniques, accessoires à un devoir posé par le droit commercial.
- La liquidation
Le liquidateur est soumis au respect d'obligations, dont les omissions sont classiquement réprimées par le droit pénal. N'est visé, à l'évidence, que le liquidateur amiable.
Ainsi, aux termes de l'article L. 247-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6476AIP), était incriminé et puni de 6 mois d'emprisonnement et 9 000 euros d'amende, le fait de ne pas convoquer les associés, en fin de liquidation, pour statuer sur le compte définitif, sur le quitus de sa gestion et la décharge de son mandat et pour constater la clôture de la liquidation ou de ne pas, dans le cas prévu à l'article L. 237-10 (N° Lexbase : L6384AIB), déposer ses comptes au greffe du tribunal, ni demander en justice l'approbation de ceux-ci.
Et l'article L. 247-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L6477AIQ) fulminait les mêmes peines pour le fait de ne pas présenter dans les six mois de sa nomination, un rapport sur la situation active et passive, sur la poursuite des opérations de liquidation, ni solliciter les autorisations nécessaires pour les terminer, de ne pas établir les comptes annuels au vu de l'inventaire et un rapport écrit dans lequel il rend compte des opérations de liquidation au cours de l'exercice écoulé, dans les trois mois de la clôture de chaque exercice et de ne pas déposer à un compte ouvert dans un établissement de crédit au nom de la société en liquidation, dans le délai de quinze jours à compter de la décision de répartition, les sommes affectées aux répartitions entre les associés et les créanciers, ou de ne pas déposer à la Caisse des dépôts et consignations, dans le délai d'un an à compter de la clôture de la liquidation, les sommes attribuées à des créanciers ou à des associés et non réclamées par eux.
La loi du 22 mars 2012 procède à un réaménagement des sanctions.
D'abord, elle abroge l'article L. 247-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6476AIP) et les infractions pénales qu'il contenait.
Puis, elle modifie l'article L. 247-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L5770ISI), en ne maintenant l'existence d'un délit que dans deux cas, constitués par le fait de ne pas déposer sur un compte ouvert dans un établissement de crédit au nom de la société en liquidation, dans le délai de quinze jours à compter de la décision de répartition, les sommes réparties entre les associés et les créanciers ou de ne pas déposer à la Caisse des dépôts et consignations, dans le délai d'un an à compter de la clôture de la liquidation, les sommes attribuées à des créanciers ou à des associés qui n'ont pas été réclamée.
Le nouveau texte ne fait plus encourir de peine privative de liberté au liquidateur, mais a porté le maximum de l'amende encourue de 9 000 euros à 150 000 euros.
En parallèle, la loi prévoit, à l'encontre du liquidateur, des injonctions sous astreinte, soit de déposer au greffe la décision de dissolution, soit de remplir les obligations visées à l'article L. 237-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L5765ISC) (27).
B - Les propositions du rapport "Coulon"
Le contenu du rapport (1°) nous conduit à fixer des lignes directrices en vue de préconiser une politique raisonnée de dépénalisation (2°).
1° - Le contenu du rapport "Coulon"
Le rapport consacré à "La dépénalisation de la vie des affaires" (28) confié par le Garde des Sceaux en octobre 2007 à Monsieur Jean-Marie Coulon, Premier président honoraire de la cour d'appel de Paris a été remis le 20 février 2008 (29).
Il suggère, en droit pénal des sociétés, de resserrer le domaine du droit pénal, afin de lui restituer sa fonction première, qui est celle de protéger les valeurs sociales essentielles.
Afin de mener à bien cet objectif, la commission suggère de poursuivre le mouvement déjà engagé de dépénalisation, en substituant la sanction pénale par une injonction de faire ou une nullité (avec prudence, toutefois pour celle-ci, en raison des effets rétroactifs qu'elle engendre).
Sont ainsi visés le défaut de réunion de l'assemblée générale et l'absence de décision du gérant de la SARL lorsque les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social. Il est à noter que le rapport propose d'abroger le délit d'abus de voix, "tombé en désuétude" et "couvert par l'abus de pouvoirs".
2° - La fixation de lignes directrices d'une politique raisonnée de dépénalisation
La doctrine utilise souvent le terme de dépénalisation. Cependant, peu d'auteurs en proposent réellement une définition. Le rapport du Conseil de l'Europe consacré à la décriminalisation distingue entre décriminalisation et dépénalisation (30). Alors que celle-ci désigne soit une désescalade dans l'échelle des peines, soit le recours à un autre réseau de sanctions tel que le droit civil, celle-là vise le fait de faire sortir le comportement répréhensible, c'est-à-dire le crimen, du champ pénal.
La dépénalisation du droit des sociétés doit s'entendre de manière à englober les deux types de réduction du droit pénal. C'est d'ailleurs en ce sens que le rapport "Coulon" propose des mesures de "désincrimination", entendue comme la suppression de la qualification pénale ou comme une réduction du périmètre de la qualification pénale, ce qui revient à notre définition.
Poser les critères de la dépénalisation constitue la tâche la plus délicate (31). Ainsi, l'analyse quantitative du nombre de condamnations prononcées est nécessaire mais insuffisante à justifier à elle seule une dépénalisation. En effet, l'existence d'un fort chiffre obscur constitue une réalité indéniable en droit des affaires. Il serait vain de penser que le droit pénal n'a d'efficacité que si la sanction est prononcée en faisant fi des valeurs expressive et pédagogique de la loi pénale.
Aussi, convient-il d'adjoindre des critères davantage qualitatifs, spécifiques comme ceux qui tiennent à la forme sociale ou à l'ouverture du capital social ou plus généraux comme l'existence d'une autre qualification incriminant un comportement identique.
Une ligne directrice de la dépénalisation doit être déterminée.
Lorsque le droit pénal apparaît accessoire et n'intervient que comme l'instrument permettant au droit des sociétés de faire exécuter ses propres normes, la dépénalisation peut être aménagée. Elle affecte alors en priorité le non-respect d'obligations dont la sanction peut utilement être remplacée par un mécanisme civil. Il s'agit de procéder à l'abrogation d'infractions qui ne sanctionnent que des manquements à des obligations purement formelles, à la diminution des peines encourues ou au remplacement de la sanction pénale par une sanction de nature civile.
Ce mouvement est perceptible à certaines époques de la vie de la société commerciale. En effet, lors de sa constitution, le droit pénal apparaît comme traduisant plutôt un ordre public de direction. En conséquence, le droit pénal est plus technique, répondant à des impératifs d'ordre commercial et il est aisé de dépénaliser lors de cette phase.
Il en est de même lors de la phase de disparition sociale, par la dissolution et la liquidation, qui porte l'expression d'un ordre public de direction.
En revanche, lors de la constitution, si le droit pénal exprime la protection de valeurs sociales correspondant à son mode classique d'intervention, la dépénalisation est plus difficilement réalisable. C'est le cas, notamment, du délit de surévaluation des apports en nature, qui sanctionne le comportement de ceux qui désirent tromper les tiers afin de leur faire croire que le capital social est plus élevé et leur inspirer confiance, en même temps qu'ils obtiendront davantage de fraction en propriété dudit capital (32). Cette infraction n'a pas été dépénalisée au cours des vagues législatives successives portant dépénalisation et il ne nous semble pas qu'elle puisse l'être.
Ainsi, seraient maintenues en droit positif des infractions qui répriment la violation portée à des biens juridiques protégés représentant des valeurs importantes du groupe social (la confiance, la loyauté, la probité, l'égalité entre actionnaires ou obligataires). Le délit d'abus de biens sociaux, le délit de publication de comptes annuels infidèles ainsi que le délit de répartition de dividendes fictifs ne pourraient donc pas faire l'objet de dépénalisation.
Toutes ces infractions sanctionnent des atteintes portées à ces valeurs sociales essentielles. La phase de fonctionnement de la société commerciale est, en effet, davantage empreinte d'ordre public de protection.
L'impératif n'est pas de réduire coûte que coûte la place du droit pénal en droit des sociétés commerciales, l'essentiel est de mieux pénaliser.
En témoigne l'insertion, au sein des articles L. 241-3 (N° Lexbase : L9516IY4) et L. 242-6 (N° Lexbase : L9515IY3) du Code de commerce par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW), d'une circonstance aggravante au délit d'abus de biens sociaux, désormais puni de sept ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende lorsqu'il a été réalisé ou facilité au moyen "soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger, soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger".
Ce texte, adopté à la suite de l'affaire "Cahuzac" répond, comme pour l'affaire "Stavisky", à un besoin de législation de conséquence, à une réaction des pouvoirs publics à l'émotion exprimée par le corps social, "à chaud".
A notre sens, bien qu'il opère une repénalisation législative, celle-ci apparaît n'être que de circonstance, ce qui ne remet pas en cause la politique de dépénalisation en cours dans le domaine du droit des sociétés commerciales.
(1) L. Constantin, Le droit pénal des sociétés par actions, PUF, 1968 ; Ph. Merle, Sociétés commerciales et droit pénal, in Mélanges R. Merle, 1993, p. 125.
(2) Bilan et perspectives du droit pénal de l'entreprise, Rapport au IXème Congrès de l'Association française de droit pénal, Lyon, Economica, 1989.
(3) W. Jeandidier, L'art de dépénaliser : l'exemple du droit des sociétés, in Mélanges offerts à J.-L. Aubert, Dalloz, 2005, p. 449.
(4) A. Vitu, Regards sur le droit pénal des sociétés, in Mélanges Roblot, 1984, p. 247.
(5) A. Chavanne, Le droit pénal des sociétés et le droit pénal général, Rev. sc. crim., 1964, p. 683.
(6) M. Delmas-Marty, L'inflation pénale, VIème Congrès de l'Association française de droit pénal, Montpellier, novembre 1983.
(7) J. Hamel, préface, Le droit pénal spécial des sociétés anonymes, Dalloz, 1955, p. 8.
(8) A. Viandier et J.-J. Caussain, JCP éd. E, 1990, 15 677.
(9) A. Dalsace, Réflexions d'un commercialiste sur le droit pénal des sociétés, Rev. sociétés, 1966, p. 400 ; Regards sur le droit pénal des sociétés, in Etudes R. Roblot, 1984, p. 257 et s..
(10) G. Ripert, Le déclin du droit, LGDJ, 1949, n° 56.
(11) Ph. Conte. et W. Jeandidier, Droit pénal des sociétés commerciales, Litec, Affaires Finances, 2004.
(12) J.-H. Robert et H. Matsopoulou, Traité de droit pénal des affaires, PUF, coll. Thémis, 2004, n° 232.
(13) P. Lascoumes et G. Moreau-Capdevielle, Des finesses des citadins à la délinquance des sociétés commerciales, Rev. sc. crim., 1984, p. 707 ; nos obs., Humanisme et droit pénal des affaires : qui est l'Homme derrière le col blanc ?, in Mélanges offerts à Madame le Professeur G. Giudicelli-Delage, LexisNexis, 2016, à paraître ; nos obs., A la recherche du profil criminologique du délinquant d'affaires, in Actes du colloque, Criminologie et droit pénal : entre guerre et paix ?, Faculté de droit et science politique de Montpellier, 2015, p. 53 et s..
(14) B. Bouloc, Sur la pénalisation et la dépénalisation dans le droit pénal des affaires, RJCom., 2004, p. 131 ; J.-B. Herzog, Rêveries d'un pénaliste solitaire sur le droit des sociétés, D. 1966, chr., p. 91.
(15) B. Bouloc, Qualité d'actionnaire et droit pénal, Rev. sociétés, 1999, p. 743.
(16) B. Bouloc, Faut-il réformer le droit pénal des sociétés ?, Rev. sociétés, 2000, p. 129.
(17) J. Foyer, Le dévoiement pénal, Dr. pénal, 1995, supplément au n° 4, p. 4 et s..
(18) A. Touffait et J.-B. Herzog, Observations sur l'évolution du droit pénal des sociétés, Rev. sc. crim., 1968, p. 777 ; A. Touffait, J. Robin, A. Audureau et J. Lacoste, Délits et sanctions dans les sociétés, Sirey, 2ème éd., 1973 ; H. Launais et L. Accarias, Droit pénal spécial des sociétés par actions et à responsabilité limitée, Dalloz, 1964.
(19) B. Bouloc, Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. sociétés, 1988, p. 181.
(20) W. Jeandidier, L'art de dépénaliser : l'exemple du droit des sociétés, in Mélanges offerts à J.-L. Aubert, Dalloz, 2005, p. 449.
(21) La modernisation du droit des sociétés, La documentation française, Collection des rapports officiels, 1996.
(22) M. Delmas-Marty et G. Giudicelli-Delage,Droit pénal des affaires, PUF, coll. Thémis, 1990, p. 248 et s..
(23) J.-H. Robert, Dépénalisation saupoudrée, Dr. pénal, 2003, comm., n° 114 ; J.-H. Robert, Tableau récapitulatif des dépénalisations opérées depuis 2003 dans le droit des sociétés par actions, Dr. pénal, 2005, chron. n° 3, p. 6 ; B. Bouloc, La dépénalisation dans le droit des affaires, D., 2003, Cahier droits des affaires, chron. p. 2492 ; B. Bouloc, Sur la pénalisation et la dépénalisation dans le droit des affaires, RJCom, 2004, p.131 ; nos obs., Succession de textes portant dépénalisation du droit des sociétés, Gaz. Pal., 14 septembre 2004, p. 2 et s..
(24) R. Salomon, Dispositions pénales de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, Dr. sociétés, juin 2012, comm. 110 ; B. Saintourens et Ph. Emy, Nouvelle étape de "simplification" du droit des sociétés par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, Rev. soc., 2012, p.335.
(25) Notre ouvrage, Droit pénal des affaires, Bréal, coll. Grand amphi, 2012, p. 73.
(26) Nos obs., Illustrations de l'application du principe de rétroactivité in mitius en droit des sociétés commerciales, à propos de Cass. crim., 20 mai 2015, n°13-87.727, F-D (N° Lexbase : A5246NI7), Bull. Joly. Entrep. en diff., septembre-octobre, 2015, p. 308 et s..
(27) Le remboursement intégral ou partiel des actions ordinaires effectué avant le remboursement intégral des actions à dividende prioritaire peut faire l'objet d'une annulation, en application de l'article L. 237-30, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L5767ISE).
(28) H. Matsopoulou, Un premier regard sur la " dépénalisation de la vie des affaires, D., 2008, p. 864 et s. ; nos obs., Flux et reflux au sein du droit des affaires. A propos de la "dépénalisation de la vie des affaires", Gaz. Pal., 24 mai 2008, n° 145.
(29) Rapport, La dépénalisation de la vie des affaires, La Documentation française, collection des rapports officiels, mars 2008.
(30) Rapport sur la décriminalisation, Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1980, spéc. p. 13 et 17.
(31) M. Van de Kerchove, Symbolique et instrumentalité. Stratégies de pénalisation et de dépénalisation dans une société pluraliste, in Punir mon beau souci, pour une raison pénale, sous la direction de F. Ringlheim, Bruxelles, 1984, p.123 et s.
(32) J.-H. Robert., Majoration frauduleuse d'apports en nature, D., 1974, chr., p. 97.
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