La lettre juridique n°664 du 21 juillet 2016

La lettre juridique - Édition n°664

Éditorial

Monoparentalité, handicap : dangers de l'altruisme administratif

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Juillet 2016


Une mère de deux enfants de 8 et 6 ans, dont une petite fille trisomique, qui vivait, en France, avec seulement le montant de l'allocation enfant handicapé belge... s'est suicidée le 10 juillet 2016, malgré plusieurs appels "au secours" auprès des autorités Françaises, de la caisse d'allocations familiales, en particulier.

Pardonnez-moi de lâcher les grandes envolées "macron-économiques" ou micro-documentationistes pour les manchettes de "faits divers" ; mais ce suicide interpelle forcément au plan social... donc juridique.

Privée d'allocations logement (APL) et de revenu de solidarité active (RSA), la CAF se murait dans son impuissance à aider la jeune mère célibataire, car la perception des allocations belges, le père des enfants vivant et résidant dans ce pays, la privait du droit aux allocations françaises. Ne restait plus à la mère qu'à réclamer une pension alimentaire à son ancien conjoint, en Belgique... pour subvenir aux besoins urgents et vitaux de sa famille monoparentale... en France.

Evitons le pathos, mais souvenons-nous, d'abord, des paroles de Malraux dans La condition humaine : "La pire souffrance est dans la solitude qui l'accompagne".

Ensuite, la France peut s'enorgueillir d'avoir républicanisé la charité sous le sceau de la solidarité nationale. Cette solidarité qui établit une "relation entre personnes ayant conscience d'une communauté d'intérêts, qui entraîne, pour les unes, l'obligation morale de ne pas desservir les autres et de leur porter assistance". L'affaire est entendue : la solidarité est consubstantielle à la France ; et tous les discours sur "l'assistanat" ne feront que creuser le sillon de l'anti-cohésion nationale. C'est tellement identitaire que l'Union européenne clame cette solidarité du bout des lèvres au chapitre IX de sa Charte sociale européenne : "Afin de lutter contre l'exclusion sociale et la pauvreté, l'Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales" ; pour laisse la solidarité au chapitre de la subsidiarité.

L'affaire est donc entendue... entendue... Pas si évident que cela tout de même. La solidarité au sens large a ceci de commun avec son sens juridique qu'elle contraint pour la totalité dans le cadre d'une communauté d'intérêts. Ce que révèle malheureusement cette triste affaire, c'est qu'en appliquant le seul droit de la protection sociale, la France aide autrui... sans pour autant se sentir concernée par ce qui lui arrive. Et cela, ce n'est plus la solidarité, mais l'altruisme : son antithèse individualiste, sa négation organique. Prenons garde donc.

Enfin, ce suicide révèle une double solitude : celle d'une famille monoparentale et celle d'une mère d'une enfant handicapée. A cette double solitude, la France n'a pas su répondre par des gages de solidarité, mais n'a fait que renvoyer le problème, la charge sans doute, à la mère, à l'Etat voisin, la Belgique.

Ne nous étendons pas sur la solitude des parents d'enfants handicapés, trisomiques en particulier ; la loi de 2005 n'y aura rien changé : peu de personnel formé, des structures sociales submergées, une solidarité financière qui s'arrête aux portes du privé pourtant salvateur... la constante culpabilisation sociale d'avoir enfanter un handicapé -il faut vivre les formalités semestrielles de demande d'allocations pour un enfant trisomique, au stylo rouge sur fond noir, pour que la CAF évalue si l'enfant présente toujours un handicap de manière certaine-. Sans parler de la fuite des familles françaises en Belgique, pays où le handicap est mieux reconnu et mieux pris en charge qu'en France, justement.

Mais la solitude de la monoparentalité, qui plus est transnationale, a de quoi questionner, aujourd'hui encore. A noter que l'appréhension de la solitude en droit privé n'est pas une initiative hexagonale mais Québécoise. Dans "Le droit robinsonien", Nicholas Kasirer y a développé sa thèse, mais ce n'est pas le droit dans la solitude qui nous intéresse ici. C'est plus volontiers le droit contre la solitude étudié par Pierre Noreau, dans Construction et déconstruction du lien social en droit privé : le cas de la monoparentalité qui peut nous donner matière à réflexion.

L'auteur acte une vérité sévère : l'aménagement juridique de la monoparentalité fait contraste avec la réalité qui s'installe. La monoparentalité ne fait l'objet d'aucune reconnaissance formelle dans le Code civil -c'est vrai au Québec, comme en France-. Le régime juridique de cette monoparentalité est la somme des effets juridiques du divorce. Tout se passe comme si le divorce ne modifiait en rien les droits et devoirs du père -car c'est encore à la mère que la garde de l'enfant est le plus souvent confiée- ; mais la réalité est fort différente et d'autant plus celle à laquelle sont confrontées les populations les plus vulnérables. La réalité des couches sociales défavorisées est que, dans la mesure où il perçoit que le divorce (ou la séparation) fait disparaître la famille, le père se sent moins responsable. C'est à cette solitude qu'était confrontée la jeune mère célibataire qui s'est suicidée. Pierre Noreau dénonce cette contradiction entre l'effet pratique des règles et leur intention, l'écart entre "le droit civil instrumental et le droit civil symbolique". Le Code civil énonce l'idéal du maintien de la famille biparentale après le divorce ; le Règlement "Bruxelles II" (et "II bis") ne dit pas mieux.

Le symbole de la biparentalité énoncée dans le Code civil occulte la réalité de la monoparentalité qui s'installe dans la réalité. Alors, Pierre Noreau appelle à la constitution d'une véritable "société d'éducation", formée dès la naissance de l'enfant, en dehors de tout formalisme de l'union des parents, obligeant solidairement les parents à l'entretien et à l'éducation.

Nous n'en sommes pas encore là en France, mais l'établissement, depuis le 1er avril 2016, de la garantie contre les pensions alimentaires impayées va assurément dans le bon sens de la solidarité nationale, quand, dans 40 % des cas de séparation, la pension alimentaire n'est pas ou peu versée. Dès le premier mois d'impayé, la CAF verse l'allocation de soutien familial à titre d'avance et peut procéder au recouvrement de la pension auprès du parent qui la doit. Mais encore faut-il demander cette pension aux juridictions concernées : tel était le conseil avisé de la CAF donné à la mère esseulée. Avisé ? Dans les cas extrêmes, la cécité administrative devrait laisser la place au bon sens solidaire.

"L'isolement n'est pas la solitude absolue, qui est cosmique ; l'autre solitude, la petite solitude n'est que sociale" écrivait Ionesco dans Le solitaire. C'est cette petite solitude contre laquelle le droit doit lutter quitte à faire preuve encore de plus de créativité.

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Actes administratifs

[Jurisprudence] L'incommunicabilité de documents dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité des personnes - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 11 juillet 2016, n° 392586, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0790RXK)

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par Aurélie Bretonneau, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 21 Juillet 2016

Dans un arrêt rendu le 11 juillet 2016, le Conseil d'Etat a dit pour droit que les noms des fonctionnaires affectés à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ne sont pas communicables, du fait que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité des personnes. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Aurélie Bretonneau. Cette affaire de droit d'accès aux documents administratifs pose deux questions distinctes : l'une sur la portée de l'extinction du droit à communication que prévoit l'article 2 de la loi dite "CADA" n° 78-753 du 17 juillet 1978 (N° Lexbase : L6533AG3) (devenu L. 311-2 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L1866KNG), une fois que les documents administratifs font l'objet d'une diffusion publique ; l'autre sur la portée de l'incommunicabilité qu'organise l'article 6 de la loi (devenu article L. 311-5 du code N° Lexbase : L1869KNK) pour les documents dont la communication porterait atteinte à la sécurité des personnes.

Le litige oppose le Premier ministre à l'Association Ethique et Liberté. Cette dernière, souvent présentée -ceci explique peut-être cela- comme proche de l'Eglise de scientologie, souhaitait en effet obtenir communication d'un certain nombre de documents relatifs à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), placée auprès du Premier ministre et chargée "d'observer et d'analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales ou constituent une menace à l'ordre public ou sont contraires aux lois et règlements", de favoriser la coordination de l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre de ces agissements et d'informer tant l'administration que le public sur les risques liés aux dérives sectaires (décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 N° Lexbase : L7507A8K, art. 1er (1)). Plus précisément, l'association a, le 17 avril 2013, demandé au Premier ministre, par l'intermédiaire du directeur de la mission, de lui communiquer, premièrement, les noms des agents affectés dans les différents pôles opérationnels de la mission, deuxièmement, les noms des personnes composant le comité exécutif de pilotage opérationnel, troisièmement, les noms des personnalités composant le conseil d'orientation et quatrièmement, le montant des indemnités perçues par ces personnalités. L'absence de réponse du Premier ministre, même après un avis de la CADA du 24 juillet 2014 favorable à la communication, a conduit l'association à saisir le tribunal administratif de Paris.

Ce dernier, par un jugement du 11 juin 2015, a, d'une part, rejeté la demande portant sur le montant des indemnités en l'assimilant à une demande de renseignements ne relevant pas du droit d'accès organisé par la loi "CADA", d'autre part fait droit aux demandes relatives au nom des fonctionnaires, en enjoignant la communication dans un délai d'un mois. Le Premier ministre, qui n'avait pas défendu devant le tribunal administratif, se pourvoit en cassation contre ce jugement en tant seulement qu'il lui fait grief, c'est-à-dire pour la partie "nom des fonctionnaires", la partie "indemnités" n'étant donc plus en litige devant vous.

Le pourvoi soulève deux séries de moyens, l'une consacrée aux noms des personnes composant le comité exécutif de pilotage opérationnel et le conseil d'orientation, qui pose la question de l'extinction du droit de communication, l'autre consacrée au nom des agents répartis dans les pôles, qui pose la question de la protection de la sécurité publique et des personnes.

Par la première série de moyens, le Premier ministre conteste, sous l'angle de l'erreur de droit et de l'erreur de qualification juridique, l'affirmation des premiers juges selon laquelle les documents retraçant la composition du comité et du conseil sont communicables, alors qu'ils ont été publiés au Journal officiel et sont donc extournés du champ du droit à communication. A première vue, on voit mal comment donner tort au Premier ministre, dès lors, d'une part, que la loi dispose que "Le droit à communication ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique", d'autre part, qu'il est constant que les seuls documents correspondant à la demande sont des arrêtés du Premier ministre (des 3 mars 2003, 16 mars 2005, 30 mars 2005, 7 juillet 2006 et 29 janvier 2007 pour le conseil d'orientation, du 14 février 2007 pour le comité exécutif de pilotage opérationnel) et qu'ils ont bien été publiés au JORF. Or il ne fait aucun doute qu'une telle publication s'assimile à une diffusion publique au sens de cette disposition : vous en avez jugé ainsi pour une publication aux bulletins officiels des ministères (2), ce qui nous semble valoir a fortiori pour une publication au Journal officiel de la République française, conformément d'ailleurs à la position unanime des tribunaux administratifs (3), de la doctrine la mieux informée (4) et de la CADA.

Simplement, l'association fait valoir en défense que faute d'avoir défendu devant le tribunal administratif, le Premier ministre n'avait jamais fait valoir que les arrêtés étaient publiquement diffusés. Elle en déduit que le moyen est nouveau en cassation et, partant, inopérant à l'encontre du jugement attaqué.

Vous êtes familiers des complications que peuvent engendrer, en matière de CADA, le silence gardé par l'administration aux différents stades de la procédure. Nombre, en effet, des conditions mises par la loi du 17 juillet 1978 à la communication de documents dépendent de contingences dont seule l'administration a, la plupart du temps, connaissance : ainsi de l'existence même du document, qui peut ne jamais avoir été élaboré ou avoir été, depuis, détruit ou perdu ; de sa détention par une administration plutôt que par une autre personne, qui peut ne pas entrer dans le champ d'application de la loi ; de son caractère préparatoire ou non ; ou encore de la possibilité d'occulter ou non, en son sein, de diverses mentions couvertes par un secret. Il n'est pas rare que, faute de réponse, un demandeur s'enferre dans la croyance qu'un document existe tel qu'il l'imagine alors que ce n'est pas le cas, la CADA étant amenée à émettre un avis hypothétique à l'aveugle et le juge contraint de procéder à une mesure d'instruction à l'abri du contradictoire (5) pour tirer l'affaire au clair. Nous allons vous proposer de ne pas créer une complication de plus en jugeant qu'un moyen tiré de la publication au Journal officiel peut valablement surgir pour la première fois en cassation.

Votre jurisprudence en matière d'opérance -vous parliez jusqu'il y a peu de recevabilité- en cassation des moyens non soulevés devant les juges du fond se laisse moins aisément systématiser qu'on pourrait s'y attendre s'agissant d'une question qui touche au coeur de votre office de juge de cassation. Nous croyons pouvoir la résumer en ces termes : le moyen doit, d'abord, être soit né de l'arrêt (ou du jugement) attaqué, soit qualifié de moyen d'ordre public. Lorsqu'il remplit cette dernière condition, il faut ensuite qu'il soit ressorti des pièces du dossier soumis aux juges du fond, faute de quoi on ne peut reprocher à ces derniers de ne pas s'en être saisi (6). A quoi s'ajoute, dans la ligne la plus exigeante de votre jurisprudence, que le moyen en cause soit de pur droit et non mêlé d'appréciations de fait (7).

En l'espèce, le moyen n'est pas né du jugement attaqué. Il faut donc que les autres conditions soient remplies.

Il faut d'abord estimer que la question de savoir si un document fait l'objet d'une diffusion publique peut prétendre à l'appellation "moyen d'ordre public". Nous le pensons, dans la mesure où elle relève à nos yeux du champ d'application de la loi.

Deux raisons pourraient vous faire hésiter à retenir cette qualification.

D'abord, la diffusion publique d'un document administratif n'est pas consubstantielle à ce dernier et peut donc intervenir, voire d'ailleurs s'interrompre, dans le courant de son existence. Or, vous pourriez éprouver quelque réticence à consacrer un champ d'application de la loi à éclipses. Nous relevons toutefois que c'est déjà le sort de cette loi dans de nombreuses cas de figure : ainsi, et à titre d'exemple, le titre Ier de la loi du 17 juillet 1978 s'applique aux documents relatifs à une enquête publique avant cette enquête, mais cesse de s'appliquer pendant la durée de celle-ci, la CADA étant alors incompétente pour connaître des demandes, et retrouve à s'appliquer une fois l'enquête close.

Ensuite, la diffusion publique d'un document n'est pas toujours aisément décelable, de sorte qu'il pourrait être délicat d'obliger le juge à la soulever d'office : il en va ainsi de certaines publications non officielles que la CADA, à défaut de toute jurisprudence du Conseil d'Etat sur ce point, assimile à une diffusion publique en fonction d'un faisceau d'indices, par exemple dans le cas de la commercialisation d'un document pour une somme raisonnable, n'excédant pas les coûts de reproduction et l'amortissement du matériel utilisé (8), du dépôt de documents au greffe des tribunaux de commerce, dès lors qu'ils peuvent ensuite aisément être consultés soit sur place, soit, pour une somme modique, par l'intermédiaire du réseau Infogreffe, accessible par internet (9), des normes homologuées par l'AFNOR, consultables gratuitement au siège de l'organisme, dans ses antennes régionales et ses points d'accueil et accessibles par voie postale moyennant le paiement d'un montant fixé par l'émetteur de la norme (10) ou encore de la mise en ligne pérenne d'un document sur l'internet, au moins lorsqu'il peut être facilement identifié (ce qui dépend du référencement du site et de son organisation) et téléchargé (11). Mais nous pensons que la difficulté n'est qu'apparente, puisque les juges du fond ne sont jamais tenus de relever d'office un moyen d'ordre public qui ne ressort pas des pièces du dossier qui leur sont soumises.

A l'inverse, dans le sens de la qualification de moyen d'ordre public, la rédaction de l'article 2, aux termes duquel le droit d'accès ne s'exerce plus en cas de diffusion publique, semble bien signifier qu'à compter de cette date, la loi ne trouve plus à s'appliquer au document. Et vous jugiez d'ailleurs, avant que le législateur entende codifier votre jurisprudence à l'article 2, qu'un document publié n'est pas un document administratif au sens de la loi (12), ce qui relève bien d'une logique de champ d'application. Vous jugez également qu'est dépourvue d'objet une demande de communication portant sur un document publié dans un bulletin officiel en cours d'instance (13) : la logique veut donc bien qu'une demande de document faisant l'objet d'une diffusion publique soit irrecevable, ce qui se relève bien d'office.

Plus délicate est la question de savoir si la publication au JORF ressortait des pièces du dossier soumis au tribunal administratif. Bien entendu, la requérante ne l'affirmait pas en première instance, et le ministre non plus puisqu'il n'y a pas défendu. Nous serions toutefois d'avis que, compte tenu de sa nature particulière, le JORF et son contenu doivent être présumés connus du juge. Il est d'ailleurs fréquent que vous teniez pour acquis le contenu du journal officiel pour relever d'office l'existence d'un texte dont il aurait dû être fait application et que ne mentionnaient pas les parties. Par exemple, saisis d'un moyen de cassation contestant l'irrecevabilité retenue par les juges du fond pour des raisons factuelles, vous soulevez d'office le fait que cette irrecevabilité a été retenue sur le fondement d'un mauvais texte (14), alors même que le moyen tiré de ce qu'une fi de non-recevoir a été retenue à tort n'est pas d'ordre public (15). Plus proche de notre espèce, car nous admettons qu'il y a une différence de nature entre textes législatifs et réglementaires d'une part et décisions individuelles publiées de l'autre, il n'est pas rare que, saisis de contestation sur l'existence d'une délégation de signature, vous y coupiez court même sans qu'on vous l'indique lorsque celle-ci est publiée au JORF. Ainsi, et même si la question n'est pas tout à fait évidente, nous vous proposons d'admettre que le JORF fait, en quelque sorte, partie des documents se trouvant à disposition du juge de sorte que rien ne fait obstacle à ce qu'il soulève la publication qu'il y constate d'un document administratif et que son jugement peut valablement être annulé pour ce motif en cassation.

Quant à la condition, propre aux moyens nouveaux en cassation, tenant à ce que leur maniement n'implique aucune appréciation de fait, dont votre jurisprudence fait un usage pour le moins aléatoire, nous sommes favorable à ce que vous continuiez à l'appliquer, mais en la ramenant à une juste proportion. A cet égard, il nous semble que vous ne devez pas laisser la notion de fait occulter celle d'appréciation. En d'autres termes -et c'est d'ailleurs la façon que vous avez de raisonner en matière de substitution de motifs en cassation- peu importe que le moyen que vous maniez pour la première fois en cassation ait trait à des faits, pourvu que ces faits n'aient pas à être appréciés par vous, ce qui est le cas en présence de fait constant. Or en l'espèce, la publication des arrêtés litigieux au JORF que fait valoir le ministre est constante et absolument pas contestée par l'association, de sorte qu'il nous apparaîtrait tout à fait artificiel que vous ne la preniez pas en compte.

Nous sommes donc d'avis d'accueillir le moyen du ministre et de censurer, en conséquence, le jugement en tant qu'il annule le refus de communiquer ces arrêtés et enjoint leur communication, et de rejeter la demande tendant à la communication de ces documents qui, faisant l'objet d'une diffusion publique à la date d'introduction de la demande, ne relevaient pourtant pas du droit d'accès garanti par la loi "CADA", dispositif qui éviterait que le Premier ministre ait à se transformer en centrale d'impression de documents librement accessibles sur Légifrance.

Restent les conclusions dirigées par le Premier ministre contre le jugement en tant qu'il annule le refus de communiquer les documents relatifs au nom des agents opérationnels affectés dans les différents pôles de la mission. Le Premier ministre soutient que le jugement est entaché d'erreur de droit et de qualification à avoir estimé que ni la protection de la sécurité publique, ni celle de la sécurité des personnes, garanties par l'article 6 de la loi de 1978, n'était de nature à faire obstacle à la communication. Les explications fournies que donne le ministre dans son pourvoi, combinées à l'orientation de votre jurisprudence, nous conduisent à lui donner raison.

Par une décision du 22 février 2013 (16), vous avez admis que la divulgation de documents relatifs à la Miviludes puisse risquer de porter atteinte à la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes. Toutefois, vous avez fermement refusé d'assurer à la Miviludes une immunité institutionnelle totale et avez exigé que le juge n'oppose ce secret qu'au cas par cas, au vu du contenu des documents sollicités et, le cas échéant, de la possibilité d'en faire une communication partielle après occultation de certaines mentions.

En l'espèce, il n'est guère besoin de procéder à une mesure d'instruction de type "Banque de France c/ Huberschwiller" (17) pour évaluer le contenu précis des documents, qui ne comportent que le nom des fonctionnaires et leur pôle de rattachement. L'hypothèse d'une communication partielle après occultation préalable n'a pas non plus de sens, puisqu'elle priverait d'utilité la communication. Il faut donc simplement déterminer si, au regard des missions de la Miviludes et plus précisément des responsabilités assumées par les agents visés par la demande, la communication de leur identité serait susceptible de porter atteinte aux deux secrets invoqués.

Sous l'angle de la sécurité publique, il s'agit de déterminer si, d'une part, les missions des agents opérationnels visent à assurer la sécurité publique et, d'autre part, la divulgation de leur identité est de nature à entraver le bon déroulement de leurs missions.

Le premier point ne nous semble pas vraiment faire de doute, au moins pour ce qui concerne les missions consistant à analyser les agissements des sectes constituant une menace à l'ordre public et favoriser l'action préventive et répressive des pouvoirs publics à l'encontre de tels agissements. A titre d'exemple, le Premier ministre indique qu'à ce titre, la mission est notamment engagée dans la lutte contre la radicalisation djihadiste en collaboration étroite avec le comité interministériel de prévention de la délinquance.

Le pourvoi nous convainc que le second point est établi également. La Miviludes fonctionne sous l'autorité d'un président dont l'identité est connue. Sa gouvernance est assurée par les deux instances collégiales dont nous vous avons entretenus tout à l'heure dont la composition est publique également. Viennent alors les services opérationnels, placés sous l'autorité d'un secrétaire général magistrat de l'ordre judiciaire dont l'identité est publique. Ces services sont organisés en pôles thématiques, composés de conseillers mis à disposition par les ministères concernés par la politique publique de lutte contre les dérives sectaires dont l'identité n'est en pratique pas divulguée par la mission. Cette organisation est relayée au plan territorial par des correspondants "dérives sectaires" chargés de missions opérationnelles sur le terrain. En pratique, ces missions incluent des relations étroites avec les services de police et un échange avec ces services d'informations sensibles, de sorte que la divulgation de l'identité de ces interlocuteurs peut affaiblir le dispositif de veille et d'échange d'information et, ainsi, nuire à l'exercice des missions. Ainsi que le fait valoir le ministre, vous avez d'ailleurs déjà subordonné la communication à un requérant de fiches de police le concernant à la condition que soient occultés les noms des agents ayant consulté cette fiche, la divulgation de l'identité des personnes ayant eu connaissance de ces renseignements sensibles étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique (18). De façon plus générale, on comprend que la divulgation systématique de l'identité des personnes chargées d'une mission de veille, y compris donc aux personnes visées par cette mission, puisque la loi du 17 juillet 1978 est hermétique aux considérations d'intérêt pour agir hors champ particulier du II de l'article 6, soit de nature à porter atteinte au bon déroulement de cette mission et donc, compte tenu de la finalité de cette dernière en l'espèce, à la sécurité publique au sens du I de l'article 6.

En tout état de cause, il nous semble que la même solution pourrait prévaloir sous l'angle de la sécurité des personnes, notion qui peut trouver à viser les cas où la divulgation du document pourrait déboucher sur des représailles ciblées sur une personne, même sans mettre nécessairement en cause la sécurité publique en tant que composante de l'ordre public, y compris d'ailleurs parfois, ce qui est hétérodoxe, en tenant compte de l'identité du demandeur (19). Par la nature des renseignements qu'ils sont amenés à détenir sur les sectes et la possibilité qu'ils ont de leur assurer une publicité institutionnelle, on ne peut pas exclure que les agents de la Miviludes puissent faire l'objet de pressions. Le pourvoi indique ainsi que le président de la mission fait en cette qualité l'objet d'une protection policière. Et le risque peut s'étendre aux personnes membres de mouvements sectaires ou aux membres de leurs familles dont le mouvement s'apercevrait qu'ils entretiennent des contacts avec les correspondants de la Miviludes. Votre jurisprudence portant nettement la trace des risques qui peuvent s'attacher pour ces personnes à la dangerosité de certains mouvements sectaires (20), il nous semble que l'erreur de qualification est caractérisée, aussi, sur ce terrain.

Nous vous proposons donc d'accueillir aussi le second groupe de moyens du ministre et d'annuler le jugement en tant qu'il se rapporte aux documents révélant l'identité des membres des pôles de la mission.

Après cassation, vous pourrez tirer les conséquences de votre raisonnement sur la demande de première instance, en rejetant les conclusions relatives à la composition des organes collégiaux au motif que les documents font l'objet d'une diffusion publique, et celles relatives à la composition des services opérationnels au motif que sa divulgation porterait atteinte à la sécurité publique et des personnes protégées par le 2° du I de l'article 6 de la loi.

PCMNC - Annulation, rejet, et rejet des demandes de frais dits irrépétibles.


(1) Décret qui fait suite au décret n° 96-387 du 9 mai 1996, portant création d'un observatoire interministériel sur les sectes, pris dans la foulée du rapport n° 2468, déposé le 10 janvier 1996, d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale (dit rapport "Gest-Guyard") qui préconisait la mise en place, et au décret n° 98-890 du 7 octobre 1998, instituant une mission interministérielle de lutte contre les sectes.
(2) Pour le Bulletin officiel de la concurrence et de la consommation : CE, Sect., 17 janvier 1986, n° 62282 (N° Lexbase : A7547AMH).
(3) TA Paris, 23 juin 2006, n° 0508196 ; TA Nice, 17 avril 2007, n° 0604400.
(4) V. la rubrique "Documents administratifs : accès et réutilisation", tenue par A. Lallet au répertoire de contentieux administratif Dalloz.
(5) CE, Sect., 23 décembre 1988, n° 95310 (N° Lexbase : A7922AP4).
(6) CE, 6 janvier 1928, Sieur Grainetier, p.28 ; CE, 21 octobre 1959, Korsec, p. 533 ; CE, 1er mars 1972, Sieur Ducreux, p.179 ; CE, Sect., 26 juin 1992, n° 114728 (N° Lexbase : A7055ARQ).
(7) CE, 8 janvier 1982, n°s 19875 et 21978 (N° Lexbase : A0647ALK), T. p. 728.
(8) Pour les photographies aériennes de l'IGN : avis CADA n° 20071023 du 3 mai 2007.
(9) Conseil CADA n° 20050524 du 3 juillet 2005.
(10) Conseil CADA n° 20050541 du 17 février 2005.
(11) Avis CADA n° 20070320 du 25 janvier 2007 (N° Lexbase : X9000APZ).
(12) CE, 23 octobre 1987, Bertin, n° 36546 (N° Lexbase : A3898AP3), T. p. 739.
(13) CE, Sect., 17 janvier 1986, n° 62282 (N° Lexbase : A7547AMH).
(14) CE, 22 octobre 2010, n° 329949.
(15) CE, 15 avril 1996, n° 143556 (N° Lexbase : A8647ANL), T. p. 1130.
(16) CE, 22 février 2013, n° s 337987, 337988 (N° Lexbase : A5320I8K).
(17) CE, Sect., 23 décembre 1988, n° 95310, préc..
(18) CE, 3 juillet 2006, n° 262833 (N° Lexbase : A6451DQY).
(19) Voir fascicule "Documents administratifs : accès et réutilisation" du répertoire Dalloz de contentieux administratif, tenu par A. Lallet.
(20) CE, 17 février 1992, n° 86954 (N° Lexbase : A5377ARL), justifiant une atteinte au principe de neutralité religieuse de l'Etat ; CE, 18 mai 2005, n° 259982 (N° Lexbase : A3452DIP).

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Audiovisuel

[Brèves] Conditions de modification sans mise en concurrence des modalités de financement d'un service autorisé de télévision par TNT

Réf. : CE Ass., n°s 395824, 399098, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2118RXQ)

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N3793BWE

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Le 21 Juillet 2016

Les modalités de financement d'un service autorisé de télévision par TNT peuvent être modifiées sans mise en concurrence en cas d'existence d'un objectif d'intérêt général. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 13 juillet 2016 (CE Ass., n°s 395824, 399098, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2118RXQ, précisant CE Ass., 17 juin 2015, deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n°s 384826 N° Lexbase : A1541NLN et 385474 N° Lexbase : A1542NLP). Il peut être dérogé, à titre exceptionnel et lorsque cela est nécessaire pour atteindre un objectif d'intérêt général, au principe du recours à une procédure ouverte pour l'octroi des droits d'utilisation de radiofréquences pour la diffusion de services de télévision, comme il résulte du second alinéa de l'article 5, paragraphe 2 de la Directive 2002/20/CE du 7 mars 2002, relative à l'autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (N° Lexbase : L7187AZ9). Il appartient au CSA, saisi d'une demande d'agrément présentée sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 42-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 (N° Lexbase : L8240AGB), d'apprécier, en tenant compte du risque de disparition du service exploité par le demandeur, des risques qu'une modification de ses conditions de financement ferait peser sur la poursuite de l'exploitation d'autres services et des contributions respectives de ces services au pluralisme du secteur et à la qualité des programmes, si, en raison, notamment, de l'absence de fréquence disponible, l'impératif de pluralisme et l'intérêt du public justifient de ne pas recourir à une procédure ouverte. Si tel est le cas, le CSA doit délivrer l'agrément sollicité, sans qu'il en résulte en une méconnaissance des dispositions de la Directive dès lors que la modification de l'autorisation en ce qui concerne les conditions de financement du service doit alors être regardée comme nécessaire à la réalisation d'un objectif d'intérêt général.

newsid:453793

Construction

[Le point sur...] Droit de rétractation de l'acquéreur immobilier : quelles nouveautés ?

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N3788BW9

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par Marine Parmentier, Avocat au barreau de Paris

Le 21 Juillet 2016

Le droit de rétractation de l'acquéreur immobilier a fait l'objet de plusieurs modifications législatives récentes, qu'il s'agisse des lois "Alur", "Hamon" ou "Macron" ! Plusieurs décisions de la Cour de cassation viennent d'apporter des précisions pratiques importantes concernant sa mise en oeuvre. Les praticiens de la transaction immobilière doivent donc se tenir avisés de ces évolutions pour accompagner au mieux leur client. Tentons, en quelques lignes, de faire un point sur cette thématique. I - Les sources légales du droit de rétractation

Le droit de rétractation trouve son assise juridique dans l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2018KGT) qui dispose notamment que : "pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte".

Le délai de rétractation, initialement de sept jours, a été porté à dix jours par la loi "Macron" du 6 août 2015 (1). Ce nouveau délai est entré en vigueur le 8 août 2015 et concerne les contrats conclus à compter de cette date.

Les articles D. 271-6 (N° Lexbase : L1290K8B) et D 271-7 (N° Lexbase : L1291K8C) du Code de la construction et de l'habitation encadrant la mention manuscrite à insérer à l'avant-contrat en cas de remise en main propre de l'acte viennent d'être harmonisés avec le nouveau délai de dix jours par décret du 11 mai 2016 (2).

Rappelons qu'il existe un délai spécifique de rétractation de sept jours applicable aux promesses unilatérales de vente portant sur un terrain issu d'un lotissement soumis à permis d'aménager (C. urb., art. L. 442-8 N° Lexbase : L3480HZW).

En revanche, le délai de quatorze jours qui avait été prévu par la loi "Hamon" du 17 mars 2014 (3) spécifiquement pour protéger les consommateurs lorsque le contrat était conclu "hors établissement" (4) vient d'être exclu, par la loi "Macron", en ce qui concerne les transactions immobilières. Ce délai pouvait, par exemple, s'appliquer pour les avant-contrats qui étaient signés dans le cadre de vente sur plans dans un appartement témoin.

Aujourd'hui, demeurent donc les deux délais de sept et dix jours susvisés pour l'exercice du droit de rétractation.

Quant au point de départ de ce délai en cas de vente d'un lot de copropriété, rappelons que la loi "ALUR" (5) a mis à la charge du vendeur l'obligation de transmettre à l'acquéreur un nombre important d'informations au stade de l'avant-contrat, sous peine de reporter le point de départ du délai de rétractation au lendemain du jour où la remise est effectivement faite (CCH., art. L. 721-2 [LXB= L8656KGP] et L. 721-3 N° Lexbase : L8657KGQ).

Ainsi, l'article L. 721-3 du Code de la construction et de l'habitation précise que "lorsque les documents et les informations [...] exigibles [...] ne sont pas remis à l'acquéreur au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente, le délai de rétractation prévu à l'article L. 271-1 ne court qu'à compter du lendemain de la communication de ces documents et informations à l'acquéreur".

Les formalités de cette remise ont été simplifiées par ordonnance du 27 août 2015 (6) qui a modifié l'article L. 721-2 prévoyant désormais que : "la remise des documents peut être effectuée sur tous supports et par tous moyens, y compris par un procédé dématérialisé sous réserve de l'acceptation expresse par l'acquéreur. L'acquéreur atteste de cette remise soit dans l'acte contenant la promesse de vente par sa simple signature lorsqu'il s'agit d'un acte authentique soit, lorsque l'acte est établi sous seing privé, dans un document qu'il signe et qu'il date de sa main".

II - Le champ d'application du droit de rétractation

Littéralement, l'article L. 271-1 ne s'applique qu'à tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière.

Dans un arrêt du 4 février 2016 (7), la Cour de cassation a indiqué que le droit de rétractation n'est pas applicable lorsque la promesse porte sur la vente d'un terrain à bâtir. En effet, la faculté de rétractation prévue par l'article L. 271-1 précité ne concerne que les actes ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation.

Rappelons que la Cour de cassation a exclu du champ d'application du droit de rétractation les immeubles à usage mixte d'habitation et professionnel (8).

Eu égard à la qualité de l'acquéreur, rappelons que le droit de rétractation est ouvert à l'acquéreur non professionnel. Il a ainsi été jugé qu'une SCI, dont l'objet social est l'acquisition, l'administration et la gestion par location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers meublés et aménagés avait conclu une promesse de vente en rapport direct avec cet objet social, n'est pas un acquéreur non professionnel et ne peut donc pas bénéficier des dispositions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (9).

III - La régularité de la notification conditionne l'écoulement effectif du délai de rétractation

Les modalités de la notification. Il résulte de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation que l'avant-contrat est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.

Lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte.

La notification en cas de pluralité d'acquéreurs. Comment s'assurer que le délai de notification a bien couru, notamment lorsque le vendeur est en présence d'une pluralité d'acquéreurs ?

Lorsque les acquéreurs sont mariés, pacsés ou en concubinage, il est vivement recommandé de leur adresser une notification à chacun par lettre recommandée avec avis de réception. Même si cette formalité est respectée, il n'est pas exclu que l'un des époux réceptionne au nom des deux les deux lettres de notification. Une telle situation vient d'être soumise à la Cour de cassation. Les acquéreurs, des époux, avaient signé la promesse mais avaient refusé de réitérer l'acte devant notaire. Pour justifier leur positionnement, ils faisaient valoir que la notification n'avait pas été faite à l'égard de Madame, les deux avis de réception ayant été signés par le mari seulement.

Le vendeur faisait alors valoir que la Poste ne se décharge des lettres recommandées que par leur remise contre reçu au destinataire ou à son fondé de pouvoirs. Ainsi, si la notification prévue par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation est faite par lettres recommandées distinctes adressées à chacun des époux acquéreurs, la signature par l'un d'entre eux de chacun des deux accusés de réception, faisant présumer que le signataire a reçu pouvoir de se faire délivrer la lettre au nom de son conjoint, suffit à faire produire à la notification tous ses effets.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 2016 (10), rejette cet argumentaire. En l'espèce, l'accusé de réception de l'acte sous seing privé n'avait pas été signé par l'épouse et il n'est pas certain que cet acte lui ait été personnellement notifié. En outre, l'époux ne disposait d'aucun pouvoir exprès pour recevoir l'acte à sa place. Ainsi, le délai de rétractation prévu par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation n'a pas couru pour l'épouse et l'avant-contrat est annulé.

Même en présence d'époux, le pouvoir de représentation en ce domaine ne se présume pas. La Cour de cassation l'avait précédemment admis dans un arrêt du 9 juin 2010 pour le cas d'une notification faite par lettre unique aux deux époux acquéreurs, mais dont l'avis de réception n'était signé que par l'un d'eux (11). Par cette décision, la Cour de cassation indique qu'une notification effectuée non par lettres distinctes, adressées à chacun des époux acquéreurs, mais par une lettre unique libellée au nom des deux, ne peut produire d'effet à l'égard des deux époux que si l'avis de réception est signé par chacun d'eux ou si l'époux signataire était muni d'un pouvoir à l'effet de représenter son conjoint.

Récemment encore, la Cour de cassation a retenu, dans un arrêt du 2 juin 2016 (12), qu'est régulière une notification faite à trois acquéreurs (des époux et leur fille) par lettres distinctes envoyées au domicile de la fille à laquelle les parents avaient donné mandat de prendre en leur nom toutes les décisions relatives à l'achat de la propriété, la fille ayant signé les trois avis de réception, sans aucune protestation.

Le contenu de la lettre de notification. Il a été jugé qu'ajoute à l'exigence légale de notification de l'acte prévue à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel qui retient que le délai de rétractation n'a pas couru au motif que la lettre recommandée de notification ne faisait aucune référence à la faculté de rétractation ouverte aux acquéreurs (13). Ce principe vient d'être réaffirmé par la Cour de cassation dans l'arrêt du 2 juin 2016 précité (Cass. civ. 3, 2 juin 2016, n° 15-17.833, FS-D N° Lexbase : A8597RRT), la Haute juridiction approuvant les juges du fond qui avaient retenu que l'agence immobilière n'était pas tenue de mentionner dans la lettre de notification la faculté de rétractation des acquéreurs (en l'occurrence, il s'agissait en outre d'acquéreurs belges prétendant ignorer le régime du droit de rétractation).

Les effets d'une notification irrégulière. La notification irrégulière ne fait pas courir le délai de rétractation de sorte que le vendeur n'est pas assuré de la sécurité juridique de l'opération projetée...

Il a ainsi été jugé que lorsque le délai de rétraction n'a pas couru, la notification par l'acquéreur dans l'instance l'opposant à son vendeur de conclusions par lesquelles il déclare exercer son droit de rétractation satisfait aux exigences de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (14).

La sanction est donc lourde de conséquences...

Quels sont les recours du vendeur qui se voit opposer une notification irrégulière ? Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 10 mars 2016, le vendeur a tenté d'engager la responsabilité de l'intermédiaire, agent immobilier, en lui reprochant de ne pas avoir été vigilant sur cette problématique de signature. La Cour de cassation réfute également cet argumentaire en soulignant que sa mission ne s'étendait pas à la vérification des signatures des accusés de réception...

Donc, sauf obligation particulière mise à sa charge, l'agent immobilier ne peut voir sa responsabilité engagée de ce seul chef.

Quels sont les effets d'une signature de l'acte notarié sur une notification irrégulière ? Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation a confirmé que la signature sans réserve de l'acte authentique -eu égard à une notification irrégulière de l'avant-contrat- vaut renonciation de l'acquéreur à se prévaloir de toute irrégularité par la suite.

Ainsi, dans un arrêt du 10 mars 2016 (15), la Cour de cassation a indiqué qu'en l'état de la signature de l'acte de vente et de la prise de possession de l'immeuble vendu, les acquéreurs ne pouvaient plus prétendre exercer leur droit de rétractation.

Dans cette affaire, des époux avaient conclu avec un promoteur un contrat de réservation d'un appartement en l'état futur d'achèvement, dans une résidence de tourisme, vente ouvrant droit à réduction d'impôt sous condition de consentir un bail pour une durée minimale de neuf ans. La vente a ensuite été réitérée par acte authentique et les acquéreurs ont conclu un contrat de bail commercial portant sur la location de l'appartement acquis. Après réception des travaux les acquéreurs se plaignant de malfaçons et de la destination thérapeutique du local vendu, ont, après expertise, assigné le vendeur en annulation de la vente.

Cette demande était rejetée par les juges du fond, raisonnement confirmé par la Cour de cassation. La Haute juridiction relève que l'acte authentique de vente mentionne que celle-ci avait été précédée d'un contrat préliminaire établi par acte sous seing privé du 17 janvier 2004 avec avenant du 1er mai 2004, pour lesquels les acquéreurs reconnaissaient que les prescriptions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation avaient été respectées. Par conséquent, en l'état de la signature de l'acte de vente et de la prise de possession de l'immeuble vendu, les acquéreurs ne pouvaient prétendre exercer leur droit de rétractation.

Dans un autre arrêt du 7 avril 2016 (16), la Cour de cassation a confirmé que la signature sans réserve de l'acte authentique de vente vaut renonciation de l'acquéreur à se prévaloir de l'irrégularité de la notification du droit de rétractation.

En l'espèce, des époux avaient acquis d'un promoteur un appartement et un emplacement de stationnement en l'état futur d'achèvement, au titre d'un projet d'investissement locatif ouvrant droit à défiscalisation. Les acquéreurs, invoquant des manoeuvres dolosives de la part du vendeur, ont assigné notamment le vendeur en nullité de la vente et paiement de dommages-intérêts.

Au soutien de leur argumentaire, ils faisaient notamment valoir une notification irrégulière de l'avant-contrat qui n'aurait pas fait courir le délai de rétractation. La Cour de cassation rejette leur pourvoi et considère que, dès lors qu'ils avaient tous deux signé l'acte authentique de vente, sans émettre de réserve quant à l'absence de notification du contrat préliminaire de réservation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception séparée à chacun d'entre eux, ils avaient ainsi renoncé à se prévaloir d'une quelconque irrégularité de la notification de l'avant-contrat.

Ces deux décisions, si elles ont le mérite de faire primer la sécurité juridique de l'opération, sont importantes en pratique puisque les acquéreurs devront avoir pleine conscience, en signant l'acte authentique de vente, qu'une clause souvent de "style" reconnaissant la régularité de la notification peut être lourde de conséquences sur leur faculté à se prévaloir ensuite d'une potentielle irrégularité...

***

En conclusion, les praticiens, qu'il s'agisse d'intermédiaires traditionnels, d'avocats mandataires en transactions immobilières ou de notaires, doivent être très vigilants quant à la notification de l'avant-contrat entrant dans le champ d'application du droit de rétractation, ceci au regard de l'évolution des textes et des décisions jurisprudentielles n'ayant de cesse d'encadrer la mise en oeuvre de ce droit, parfois guidées par la protection de l'acquéreur, d'autres fois avec la volonté d'assurer la sécurité juridique de l'opération immobilière.


(1) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).
(2) Décret n° 2016-579 du 11 mai 2016 modifiant les articles D. 271-6 et D. 271-7 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1209K8B).
(3) Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX).
(4) C. consom., art. L. 121-21 ancien (N° Lexbase : L7773IZW ; cf. désormais, C. consom., art. L. 221-18 N° Lexbase : L1567K78 et L. 242-3 N° Lexbase : L1406K79) : "le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d'autres coûts que ceux prévus aux articles L. 121-21-3 à L. 121-21-5. Toute clause par laquelle le consommateur abandonne son droit de rétractation est nulle".
(5) Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY).
(6) Ordonnance n° 2015-1075 du 27 août 2015 relative à la simplification des modalités d'information des acquéreurs prévues aux articles L. 721-2 et L. 721-3 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8790KGN).
(7) Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 15-11.140, FS-P+B (N° Lexbase : A3203PKT).
(8) Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-21.145, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1712D48), Bull. civ. III, n° 15.
(9) Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 11-18.774, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0609IWH), Bull. civ. III, n° 153.
(10) Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 15-12.735, FS-D (N° Lexbase : A1693Q7T).
(11) Cass. civ. 3, 9 juin 2010, n° 09-14.053, FS-P+B (N° Lexbase : A0969E3B), Bull. civ. III, n° 206.
(12) Cass. civ. 3, 2 juin 2016, n° 15-17.833, FS-D (N° Lexbase : A8597RRT).
(13) Cass. civ. 3, 17 novembre 2010, n° 19.17.297, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5814GKK), Bull. civ. III, n° 206.
(14) Cass. civ. 3, 25 mai 2011, n° 10-14.641, FS-P+B (N° Lexbase : A8767HSI), Bull. civ. III, n° 85
(15) Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-26.339, FS-D (N° Lexbase : A1783Q78).
(16) Cass. civ. 3, 7 avril 2016, n° 15-13.064, FS-P+B (N° Lexbase : A1565RCX).

newsid:453788

Construction

[Brèves] Caractérisation de la volonté non-équivoque de ne pas réceptionner l'ouvrage

Réf. : Cass. civ. 3, 13 juillet 2016, n° 15-17.208, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2071RXY)

Lecture: 1 min

N3864BWZ

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Le 26 Juillet 2016

La prise de possession des lieux et le règlement de la quasi-totalité du marché à la société ayant réalisé les travaux de gros-oeuvre ne suffisent pas à caractériser une volonté non-équivoque de ne pas recevoir l'ouvrage. Tel est l'apport d'un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation rendu le 13 juillet 2016 (Cass. civ. 3, 13 juillet 2016, n° 15-17.208, FS-P+B+R N° Lexbase : A2071RXY). En l'espèce, M. et Mme A., assurés pour leur habitation auprès de la société X, ont confié la réalisation des travaux de gros-oeuvre de leur maison à la société B., aujourd'hui en liquidation judiciaire, assurée en responsabilité décennale auprès de la société Z. Ayant constaté des désordres après leur installation, M. et Mme A. ont obtenu en référé la désignation d'un expert et la réalisation de travaux d'urgence par la société U., assurée pour sa responsabilité professionnelle auprès de la société Z, puis ont, avec la société X, assigné en réparation la société Z, la société B., ainsi que son liquidateur judiciaire et la société U.. Pour rejeter les demandes de M. et Mme A. et de leur assureur, l'arrêt a retenu que les maîtres de l'ouvrage ont indiqué que leur installation dans les lieux ne pouvait plus être différée compte tenu de leurs impératifs financiers, qu'ils retenaient le solde du marché en attente de l'exécution de ses engagements par la société B., qu'ils avaient exprimé des réserves et fait état de risques de désordres structurels et que la preuve de la volonté, non-équivoque, des maîtres d'ouvrage d'accepter l'ouvrage, même avec réserves, n'était pas rapportée (CA Pau, 25 février 2015, n° 15/776 N° Lexbase : A1890NCY). A tort selon la Haute juridiction qui, au visa de l'article 1792-6 du Code civil (N° Lexbase : L1926ABX) censure les juges du fond (cf. les Ouvrages "Responsabilité civile" N° Lexbase : E4225ETN et "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E3683EY3).

newsid:453864

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2016

Réf. : Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.668, FS-P+B (N° Lexbase : A2001RWZ) ; Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.810, FS-P+B (N° Lexbase : A2152RWM)

Lecture: 12 min

N3882BWP

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

Le 21 Juillet 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Le Professeur Le Corre commente un arrêt publié au Bulletin rendu par la Chambre commerciale le 28 juin 2016 relatif à la sanction attachée à l'absence des formalités de conservation du privilège des créanciers postérieurs (Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.668, FS-P+B). Emmanuelle Le Corre-Broly a sélectionné, pour sa part, un autre arrêt rendu également par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 juin 2016 dans lequel la Haute juridiction revient sur la reprise des poursuites par la caution après la clôture de la procédure de liquidation judiciaire du débiteur principal pour insuffisance d'actif (Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.810, FS-P+B).
  • La sanction attachée à l'absence des formalités de conservation du privilège des créanciers postérieurs (Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.668, FS-P+B N° Lexbase : A2001RWZ ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E0425EUB)

La loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) avait remplacé les créances de la masse par les créances dites de l'article 40. Toutes les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire bénéficiaient du régime de l'article 40.

La loi de sauvegarde des entreprises a conservé le principe d'attribution d'un traitement préférentiel aux créances postérieures nées régulièrement après le jugement d'ouverture d'une sauvegarde, d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. Elle a, cependant, ajouté aux critères de postériorité et de régularité de naissance de la créance, un critère téléologique : la créance ne mérite le traitement préférentiel que si elle répond à une certaine finalité. Trois critères chronologiques sont posés pour les créances de la période d'observation de la sauvegarde ou du redressement judiciaire. Cinq critères sont posés en liquidation judiciaire, depuis l'ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH). L'un de ces critères vient d'ailleurs d'être retouché par le projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale le 12 juillet 2016 : celui de la continuation du contrat. Le projet de loi (art. 50-VII) modifie la fin du I de l'article L. 641-13 du Code de commerce. L'expression "décidée par le liquidateur" a été remplacée par l'expression "régulièrement décidée après le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, s'il y a lieu, et après le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire". Ainsi, le traitement préférentiel sera-t-il accordé en liquidation judiciaire si le contrat a régulièrement été poursuivi pendant la période d'observation. Cela suppose que les règles relatives à la naissance régulière des créances aient été respectées. On pense au titulaire de l'option, mais aussi, lorsque ce titulaire est le débiteur, à l'avis conforme du mandataire judiciaire pour la poursuite du contrat. Le traitement préférentiel sera également accordé si le liquidateur prend l'initiative de poursuivre le contrat ou répond positivement, dans les délais, à la mise en demeure de continuation du contrat.

Que l'on soit sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 ou sous celui de la loi sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), le traitement préférentiel reconnu aux créances postérieures se caractérise par deux prérogatives. D'une part, la créance postérieure peut être payée à l'échéance, contrairement aux créances soumises à la discipline collective, frappées par l'interdiction des paiements et soumises à l'obligation corrélative de déclaration au passif. D'autre part, la créance postérieure bénéficie d'un droit de priorité, que la loi de sauvegarde des entreprises a qualifié explicitement de privilège.

Sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, le privilège est attribué automatiquement, par le seul effet de la loi. En revanche, la loi soumet sa conservation à un certain formalisme : la créance doit être portée, dans un certain délai, à la connaissance des organes de la procédure collective. A défaut, les textes des articles L. 622-17 (N° Lexbase : L8102IZ4) et L. 641-13 (N° Lexbase : L8595IZD) du Code de commerce prévoient que le créancier perd son privilège.

Ces deux règles -paiement à l'échéance, paiement par privilège- sont unies par un lien de subordination, qui résulte clairement de la lettre des textes, tant sous l'empire de la loi de 1985, que depuis la loi de sauvegarde. Le droit de priorité ou le privilège n'a vocation à s'exercer qu'à défaut de paiement à l'échéance. De ce principe de subsidiarité, il est déduit que la règle du paiement à l'échéance est indépendante de l'ordre dans lequel s'exercent les privilèges. La possibilité d'obtention d'un titre est, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, comme sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005, indépendante de l'ordre des privilèges (1), qu'elle pourra donc parfaitement tenir en échec (2). Cela signifie que le créancier, par la prérogative du paiement à l'échéance, peut obtenir son paiement alors même qu'un créancier de rang préférable n'a pas été payé.

Le régime du traitement préférentiel est donc une danse à deux temps : lorsque l'heure est au paiement à l'échéance, il n'est pas encore l'heure de classer entre eux les créanciers.

Cette subsidiarité entre les deux corps de règle permet de comprendre la solution posée par un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 28 juin 2016.

En l'espèce, un créancier postérieur méritant -la créance était fondée sur le critère de la prestation fournie au débiteur pendant la période d'observation- n'avait pas entrepris de démarche pour porter sa créance postérieure privilégiée à la connaissance des organes de la procédure collective, lorsqu'il décide, au cours de la liquidation judiciaire de la société débitrice, d'assigner en paiement de sa créance de livraison effectuée en phase de redressement judiciaire l'administrateur et le liquidateur. Le tribunal entre en voie de condamnation. La cour d'appel (3) ne se range cependant pas à l'opinion des premiers juges, estimant que le créancier avait perdu le droit de se prévaloir de son droit de préférence dans les répartitions privilégiées, faute d'avoir conservé son privilège.

La question posée à la Cour de cassation est de savoir si le créancier conserve son droit d'être payé à l'échéance, alors qu'il n'a pas respecté les conditions de conservation de son privilège.

Sans surprise, la Cour de cassation va apporter une réponse positive à la question posée, en censurant la décision de la cour d'appel en ces termes : "l'absence d'inscription d'une créance sur la liste des créances postérieures instituée par le second de ces textes [C. com., art. R. 622-15 N° Lexbase : L6116I3W], qui n'est sanctionnée que par la perte du privilège du paiement prioritaire, est sans effet sur le droit de poursuite du créancier devant la juridiction de droit commun, lorsque sa créance répond aux conditions du premier texte [C. com., art. L. 622-17]".

Deux éléments conduisaient indiscutablement à une telle solution.

Le premier tient à la lettre des textes, qui envisage explicitement la sanction attachée à l'absence de démarche pour porter sa créance à la connaissance des organes de la procédure collective : les créances impayées, énonce le texte de l'article L 622-17, IV du Code de commerce, "perdent le privilège". S'agissant d'un texte restrictif de droits, qui enlève au créancier une prérogative que la loi lui donne, l'interprétation stricte s'impose. Si l'une des deux prérogatives est perdue, le droit d'être payé par privilège, l'autre doit subsister, à savoir le droit d'être payé à l'échéance. C'est en ce sens que s'était exprimée très largement la doctrine sur la question (4).

La seconde raison de poser cette solution tient à l'affirmation constante de la Cour de cassation selon laquelle la règle du paiement à l'échéance est indépendante de l'ordre dans lequel s'exercent les privilèges. C'est assez dire que la règle du paiement à l'échéance a vocation à s'exercer même si la règle du paiement par privilège a disparu.

Pour avoir méconnu l'indépendance entre les deux corps de règles, la cour d'appel ne pouvait qu'être censurée. Au surplus, la cour d'appel s'était reconnue un pouvoir qu'elle n'avait pas, en statuant sur le caractère privilégié de la créance. En effet, la question de la contestation du caractère privilégiée d'une créance postérieure éligible au traitement préférentiel est de la compétence exclusive du juge-commissaire, saisi par requête d'une discussion sur la liste des créances postérieures privilégiées. Il résulte de ce principe que la cour d'appel ne peut être amenée à connaître d'une telle discussion que sur appel de la décision du tribunal lui-même saisi du recours contre l'ordonnance du juge-commissaire.

On ne peut donc qu'approuver la solution posée de la manière la plus claire, à la façon d'un arrêt de principe, par la Cour de cassation.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • La reprise des poursuites par la caution après la clôture de la procédure de liquidation judiciaire du débiteur principal pour insuffisance d'actif (Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-21.810, FS-P+B N° Lexbase : A2152RWM ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E5009EU3)

Aux termes de l'article L. 643-11, I du Code de commerce (N° Lexbase : L8934KUG), le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur. La loi offre ainsi au débiteur personne physique la possibilité de saisir une nouvelle chance et de reconstituer en quelque sorte sa "virginité patrimoniale" (5). L'entrepreneur individuel malheureux peut "repartir à zéro" sans avoir à supporter ad vitam aeternam le poids des dettes qui n'auraient pas été réglées dans le cadre de sa procédure de liquidation judiciaire.

Cette bienveillance du législateur est cependant assortie de limites. L'une d'entre elles est instaurée au bénéfice des coobligés et des garants. Le II de l'article L. 643-11 du Code de commerce énonce, en effet, que "les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s'ils ont payé à la place de celui-ci".

Le texte ne distingue pas selon la qualité du codébiteur ou du garant. En conséquence, cette règle bénéficie à ces derniers qu'ils soient personnes physiques ou personnes morales. Le texte ne distingue pas davantage selon que le paiement effectué par le garant est antérieur ou postérieur à l'ouverture de la procédure collective du débiteur principal et ne fait aucune référence à la nature -subrogatoire ou personnelle- du recours exercé par la caution. Ainsi, des interrogations surgissent quant aux contours exacts de l'exception à la règle de l'absence de reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif instaurée en faveur des garants. La caution qui a effectué un paiement entre les mains du créancier avant l'ouverture de la procédure collective du débiteur principal peut-elle reprendre ses poursuites individuelles après clôture de la liquidation judiciaire ? Dans l'affirmative, peut-elle exercer son recours subrogatoire ? Autant de questions auxquelles un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 28 juin 2016, appelé à la publication au Bulletin, apporte clairement réponse, dissipant ainsi toute incertitude sur le sujet.

En l'espèce, une personne morale caution d'un prêt consenti par un établissement de crédit à un emprunteur personne physique avait été appelée en paiement par le créancier. La caution solvens avait ensuite actionné le débiteur principal et obtenu un titre exécutoire à son encontre avant qu'il ne soit placé en redressement puis liquidation judiciaire. La créance de la caution a été admise au passif puis, après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, la caution a, sur le fondement de l'article L. 643-11, II poursuivi le débiteur principal et obtenu sa condamnation devant la cour d'appel (6). Se pourvoyant cassation, le débiteur principal soutenait que la caution qui avait payé aux lieu et place du débiteur ne recouvrait pas le droit de reprendre des poursuites contre le débiteur lorsqu'elle a payé et obtenu, avant l'ouverture de la procédure collective, un titre exécutoire à son encontre. En d'autres termes, le débiteur principal considérait que la faculté de reprise des poursuites individuelles ne pouvait bénéficier qu'à la caution qui aurait effectué un paiement postérieur à l'ouverture de la procédure collective (7). Les Hauts magistrats rejettent cependant le pourvoi en jugeant "qu'ayant exactement énoncé que l'article L. 643-11, II du Code de commerce, qui autorise la caution qui a payé à la place du débiteur principal à le poursuivre, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de celui-ci pour insuffisance d'actif, ne distingue pas selon que ce paiement est antérieur ou postérieur à l'ouverture de la procédure collective, ni suivant la nature, subrogatoire ou personnel, du recours exercé par la caution, la cour d'appel en a déduit à bon droit que [la caution] remplissait les conditions prévues par ce texte".

Cette solution favorable au garant doit être approuvée sans réserve tant en ce qui concerne l'indifférence du moment du paiement effectué par la caution (I) que l'indifférence du fondement du recours de la caution (II).

I - Application de l'exception de l'article L. 643-11, II quel que soit le moment du paiement effectué par la caution

Statistiquement, les cautions sont plus généralement actionnées par le créancier après l'ouverture de la procédure collective du débiteur principal. Dans ce cas de figure, il ne fait aucun doute que trouvent à s'appliquer dispositions de l'article L. 643-11, II du Code de commerce.

Il doit en être de même lorsque la caution solvens a désintéressé le créancier avant l'ouverture de la procédure collective du débiteur. Il n'y a, en effet, aucune raison qu'il en soit autrement car, comme l'indique l'arrêt rapporté, le texte précité ne distingue pas selon que le paiement effectué par la caution l'est antérieurement ou postérieurement au jugement d'ouverture. Ce point méritait d'être souligné par les Hauts magistrats.

II - Application de l'exception de l'article L. 643-11, II quel que soit le fondement du recours de la caution

La caution solvens dispose de plusieurs recours en remboursement à l'encontre du débiteur principal.

Tout d'abord, elle dispose d'une action personnelle en remboursement évoquée à l'article 2305 du Code civil (N° Lexbase : L1203HIE) : "la caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal, soit que le cautionnement ait été donné au su ou à l'insu du débiteur".

Le recours personnel permet le remboursement intégral du paiement effectué par la caution, le remboursement de ses frais personnels (limités par l'article 2305 du Code civil à ceux engagés après la dénonciation au débiteur principal des poursuites engagées contre la caution), le remboursement des intérêts à partir de son propre paiement et l'obtention de dommages-intérêts si l'exécution de son obligation a causé un préjudice particulier à la caution.

La caution solvens bénéficie également d'une action subrogatoire en remboursement évoquée par l'article 2306 du Code civil (N° Lexbase : L1204HIG). Grâce à elle, la caution bénéficie de tous les droits dont disposait le créancier à l'encontre du débiteur principal. Ici, la caution "chausse les bottes du créancier désintéressé" (8).

L'avantage de l'action subrogatoire pour la caution est de lui permettre de bénéficier des sûretés du créancier. Cette action présente cependant l'inconvénient de ne permettre qu'un remboursement limité au montant payé par la caution.

Ces deux actions, subrogatoire et personnelle, se combinent, la caution pouvant agir sur les deux terrains, dans le cadre de son action diligentée à l'encontre du débiteur principal.

Dans le cadre de la reprise des poursuites individuelles rendue possible par le jeu de l'article L. 643-11, II du Code de commerce, la caution peut assurément exercer son recours personnel en remboursement. La doctrine puis la jurisprudence (9) ont considéré que la caution recourant en remboursement après le jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif pouvait également exercer le recours subrogatoire. En effet, ainsi que l'a observé un éminent auteur (10), même si le droit d'action du créancier est supprimé par la règle de d'interdiction de reprise des poursuites individuelles, la créance subsiste, de sorte que la subrogation de la caution dans le droit de créance est possible. Ainsi, cette distinction entre le maintien du débiteur et la disparition de l'obligation, qui justifie la solution, a-t-elle été parfaitement mise en évidence.

La solution clairement posée ici par la Chambre commerciale doit donc être approuvée sans réserve.

Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt commenté, la créance avait été déclarée par la caution au passif du débiteur principal. Remarquons cependant que, même si tel n'avait pas été le cas, la caution aurait pu exercer son recours contre le débiteur principal après clôture de la liquidation judiciaire du débiteur principal. En effet, le créancier qui peut reprendre de façon exceptionnelle l'exercice de son droit de poursuite individuelle après clôture de la procédure de liquidation judiciaire n'est pas privé de ce droit par le seul fait qu'il n'a pas déclaré sa créance (11). La solution est logique dans la mesure où la déclaration de créance au passif a pour objet de rendre opposable la créance à la procédure collective et de permettre ainsi le paiement du créancier dans le respect des règles de la procédure collective. L'absence de déclaration de créance n'entraîne, en revanche, aucune inopposabilité de la créance à l'égard débiteur en liquidation judiciaire (12), de sorte que la caution peut exercer un recours contre le débiteur ayant fait l'objet d'une liquidation judiciaire clôturée par insuffisance d'actif, même si elle n'a pas déclaré sa créance.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201)


(1) Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-25.134, F-D (N° Lexbase : A7182IUK).
(2) Cass. com., 13 octobre 1998, n° 94-19.892, publié (N° Lexbase : A5299ACA), Bull. civ. IV, n° 239 ; JCP éd. E 1998, Chron. 2063, n° 1-7-2, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll., 1999, 113, n° 24, obs. P. Canet ; CA Amiens, ch. éco., 5 mars 2009, n° 07/04059 (N° Lexbase : A2340HCN).
(3) CA Orléans, 13 février 2014, n° 12/03400 (N° Lexbase : A2310MEB).
(4) F. Pérochon, Les créanciers postérieurs et la réforme du 26 juillet 2005, Gaz. proc. coll., 2005, n° spéc. 7-8 septembre 2005, p. 57, spéc. p. 68, n° 62 ; A. A. Jacquemont, Procédures collectives, 7ème éd., Litec, 2011, n° 445 ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, "Domat", Montchrestien, 2011, 9ème éd., n° 666 ; P. Le Cannu, Droit commercial, Entreprises en difficulté, refonte de l'ouvrage de M. Jeantin, 7ème éd., Précis Dalloz, 2006, n° 780 ; Ph. Pétel, Procédures collectives, 8ème éd., Dalloz, 2014, n° 232 ; notre ouvrage, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 8ème éd., n° 456.19. Adde, G. Jazottes, Les innovations des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, Rev. proc. coll., 2005/4, p. 358 et s., spéc. p. 362 ; Ph. Froehlich et M. Sénéchal, Du jugement de liquidation judiciaire, LPA n° spéc. 9 février 2006, n° 29, p. 8 et s., spéc.. p. 19.
(5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 592.51.
(6) CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 26 juin 2014, n° 13/12711 (N° Lexbase : A8701MRP).
(7) Notons que la créance de recours de la caution actionnée après l'ouverture de la procédure collective du débiteur principal n'est pas une créance postérieure mais une créance antérieure car le fait générateur de la créance de la caution est trouvé non pas dans le paiement qu'elle effectue mais dans la conclusion de l'acte de cautionnement : Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.199, FS-P+B (N° Lexbase : A7318DCZ), Bull. civ. IV, n° 123 ; D., 2004, AJ 2046 ; Act. proc. coll., 2004/15, n° 185, note D. Legeais ; JCP éd. E, 2005, Chron. 31, p. 32, n° 15, obs. M. Cabrillac ; RD banc. fin., 2004/5, p. 326, n° 200, obs. D. Legeais et 2004/6, p. 410, n° 244, obs. F.-X. Lucas ; RTDCom., 2004, 812, note A. Martin-Serf ; RTDCiv., 2004, 758, n° 2, obs. P. Crocq ; Gaz. Pal., jur. 1 au 3 août 2004, p. 12, note P.-M. Le Corre ; P.-M. Le Corre, Lexbase, éd. aff., 2004, n° 129 (N° Lexbase : N2336AB7).
(8) Pour reprendre l'expression d'une éminente doctrine : M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Pétel, Droit des sûretés, Litec, 9ème éd., n° 273.
(9) Cass. com., 12 mai 2009, n° 08-13.430, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7969EGA) Bull. civ. IV, n° 67 ; D., 2009, AJ 1472, obs. A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2009/3, p. 44, n° 1, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2009, n° 189, note P. Cagnoli ; JCP éd. E, 2009, Chron. 1814, n° 6, note M. Cabrillac ; Gaz. Pal., 12-16 juillet 2009, Jur. 16, note S. Piedelièvre ; JCP éd. G, 2009, 135, note Ph. Simler ; RD banc. fin., 2009, n° 123, note A. Cerles ; Dr. et proc., 2009. 258, note Y. Picod ; RTDCiv., 2009, 553, obs. P. Crocq ; Rev. proc. coll. 2009, n° 112, note F. Macorig-Vénier ; RTDCom., 2009. 613, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; Defrénois, 2009. 481, 39078, n° 5, note D. Gibirila ; Rev. proc. coll., 2010, n° 16, note M.-N. Legrand ; LPA, 26 avril 2010, n° 82, p. 10, note M.-P. Dumont-Lefrand ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase, éd. priv., 2009, n° 355 (N° Lexbase : N6582BKY).
(10) P. Crocq préc., obs. sous Cass. com. 12 mai 2009, n° 08-13.430, préc..
(11) à En ce sens égal. : P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 592.72 ; J. Vallansan, Loi de sauvegarde des entreprises, Act. proc. coll., 2005/14.
(12) Contrairement à la règle posée par le Code de commerce lorsqu'est adopté un plan de sauvegarde ou de redressement.

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Entreprises en difficulté

[Brèves] Plan de cession et substitution du cessionnaire : sur l'obligation de garantie de l'auteur de l'offre

Réf. : Cass. com., 12 juillet 2016, n° 15-16.389, FS-P+B (N° Lexbase : A1901RXP)

Lecture: 2 min

N3878BWK

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Le 22 Juillet 2016

D'une part, il résulte de l'article L. 642-9, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3916HBN) que l'auteur de l'offre retenue par le tribunal, autorisé à se substituer un tiers cessionnaire, reste garant solidairement de l'exécution des engagements qu'il a souscrits dans sa proposition de reprise, parmi lesquels ceux relatifs à la poursuite des contrats qui y figurent en application de l'article L. 642-2, II , 1 du même code (N° Lexbase : L7331IZK) et dont la cession a été ordonnée par le jugement arrêtant le plan. L'engagement de poursuivre ces contrats résultant du plan arrêté par le tribunal ne s'étend pas à la garantie, envers les cocontractants cédés, de la bonne exécution des obligations en résultant par le cessionnaire substitué. Dès lors, la référence faite aux engagements souscrits par l'article L. 642-9, alinéa 3, du Code de commerce ne permet pas d'élargir la garantie de l'auteur de l'offre retenue, qui s'était substitué une société, à l'exécution des contrats en cours transférés par le jugement arrêtant le plan de cession. D'autre part, l'arrêt d'appel a relevé que les engagements souscrits par l'auteur de l'offre dans cette dernière, qui n'était pas destinée à la banque créancière, de reprendre le contrat de location financière en faisant son affaire personnelle de toutes conséquences attachées au renouvellement ou à la résiliation du contrat, s'inscrivaient dans un schéma légal et ne dérogeaient pas au caractère limité de la garantie prévue par l'article L. 642-9 du Code de commerce. Ainsi, faisant ressortir que ces engagements ne comportaient aucune garantie expresse envers le cocontractant cédé de la bonne exécution du contrat par le repreneur substitué, la cour d'appel a pu rejeter la demande de la banque en paiement, par l'auteur de l'offre, de l'indemnité de résiliation du contrat de location financière. Tel est le sens d'un arrêt rendu le 12 juillet 2016 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 12 juillet 2016, n° 15-16.389, FS-P+B N° Lexbase : A1901RXP). En l'espèce une société, qui avait conclu un contrat de location financière a été mise en redressement judiciaire le 10 mai 2011. Un jugement du 8 février 2012 a arrêté le plan de cession des actifs de la débitrice au profit de Mme D. ou de toute société qu'elle se substituerait, en ordonnant la cession du contrat de location financière qui avait été poursuivi. Un jugement du 28 mai 2013 a condamné la société, cessionnaire substituée, qui avait cessé de payer les loyers, à payer à la banque l'indemnité de résiliation contractuelle et à restituer le matériel. La cessionnaire ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a déclaré sa créance puis a assigné Mme D. en paiement de l'indemnité de résiliation. Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque contre l'arrêt d'appel qui a rejeté sa demande (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E7335E9K).

newsid:453878

Filiation

[Brèves] Motif légitime de refus de l'expertise biologique en matière de filiation : l'intérêt supérieur de l'enfant ne constitue pas en soi un motif légitime de refus

Réf. : Cass. civ. 1, 13 juillet 2016, n° 15-22.848, FS-P+B (N° Lexbase : A2025RXB)

Lecture: 1 min

N3844BWB

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Le 23 Juillet 2016

On sait que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder. L'intérêt supérieur de l'enfant ne constitue pas en soi un motif légitime de refus de l'expertise biologique. Telle est la précision apportée par la première chambre civile de la Cour de cassation aux termes d'un arrêt rendu le 13 juillet 2016 (Cass. civ. 1, 13 juillet 2016, n° 15-22.848, FS-P+B N° Lexbase : A2025RXB). En l'espèce, Ilham R. avait été inscrite à l'état civil comme étant née le 31 août 2006 de Mme B. et de M. R., son époux. En septembre 2010, M. Z. avait assigné ces derniers en contestation de la paternité de M. R. et en établissement judiciaire de sa paternité. Après avoir ordonné une expertise biologique à laquelle M. R. et Mme B. n'avaient pas déféré, le tribunal avait dit que M. R. n'était pas le père de l'enfant. Pour infirmer le jugement ayant ordonné une expertise biologique et rejeter l'action en contestation de paternité, la cour d'appel avait retenu que M. Z. avait introduit son action tardivement et que la finalité recherchée par ce dernier n'était pas de faire triompher la vérité biologique mais de se venger de Mme B., qui avait refusé de renouer une relation amoureuse avec lui, de sorte qu'en présence d'une action tardive et dont la finalité bafoue l'intérêt de l'enfant concernée, M. R. et Mme B. justifient d'un motif légitime de refus de l'expertise biologique (CA Metz, 2 juin 2015, n° 13/02437 N° Lexbase : A2445NL7). L'arrêt est censuré par la Cour suprême qui retient qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant relatif au caractère tardif de l'action, et alors que l'intérêt supérieur de l'enfant ne constitue pas en soi un motif légitime de refus de l'expertise biologique, la cour d'appel a violé les articles 310-3 (N° Lexbase : L8854G9S) et 332, alinéa 2 (N° Lexbase : L8834G93), du Code civil (cf. l’Ouvrage "La filiation" N° Lexbase : E4353EYU et N° Lexbase : E4377EYR).

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] L'intérêt de l'entreprise plus fort que la prise de risque excessive !

Réf. : CE Sect., 13 juillet 2016, n° 375801, publié recueil Lebon (N° Lexbase : A2108RXD)

Lecture: 2 min

N3849BWH

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Le 22 Juillet 2016

C'est au regard du seul intérêt propre de l'entreprise que l'administration doit apprécier, pour déterminer le caractère déductible d'une charge, si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale. Indépendamment du cas de détournements de fonds rendus possibles par le comportement délibéré ou la carence manifeste des dirigeants, il n'appartient pas à l'administration, dans ce cadre, de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par l'entreprise et notamment pas sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 13 juillet 2016 (CE Sect., 13 juillet 2016, n° 375801, publié recueil Lebon N° Lexbase : A2108RXD). En l'espèce, la société requérante a consenti à une autre société d'importants concours financiers entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2004. Au titre des exercices clos en 2003 et 2004, elle a constitué des provisions pour risque de non-recouvrement de ces créances. A l'issue de la vérification de comptabilité dont la société a fait l'objet, l'administration fiscale a réintégré dans le résultat de l'exercice clos en 2004 une somme de 7 560 500 euros correspondant à une fraction de la provision constituée à hauteur de 11 237 561 euros, au motif que la requérante n'avait pas agi dans le cadre d'une gestion commerciale normale. L'administration a remis en cause, à due concurrence, le report déficitaire auquel la banque avait procédé au titre des exercices clos le 31 décembre 2005 et 2006. Toutefois, la Haute juridiction n'a pas donné raison à l'administration. En effet, les juges du fond avaient, à tort, considéré que l'ensemble des circonstances de l'espèce devait être regardée comme révélant une "prise de risque inconsidérée de la banque" (CAA Versailles, 19 décembre 2013, n° 11VE04035 N° Lexbase : A7783MLT). Néanmoins, il fallait seulement rechercher si les décisions en cause étaient conformes à l'intérêt de l'entreprise, sans s'interroger sur l'ampleur des risques pris. Cette décision consacre de nombreuses jurisprudences récentes mettant en avant la place prépondérante de l'intérêt de l'entreprise afin de déterminer la déductibilité d'une dépense (TA Poitiers, 3 décembre 2015, n° 1300249 N° Lexbase : A7909N3C, CE 9° et 10° s-s-r., 10 février 2016, n° 371258, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7061PKQ, CE 9° et 10° s-s-r., 15 février 2016, n° 376739, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1013PL4) .

newsid:453849

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Caractérisation d'une prime de remboursement

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 11 juillet 2016, n° 375748, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9878RWR)

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N3850BWI

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Le 28 Juillet 2016

Dès lors qu'une créance inscrite au crédit d'un compte courant d'associé a été utilisée pour procéder à une augmentation de capital, les associés doivent être regardés comme ayant eu la libre disposition de la somme correspondante. Ainsi, si cette circonstance a conduit au dénouement d'une opération de prêt, la prime de remboursement qui apparaît est imposable. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 juillet 2016 (CE 9° et 10° ch.-r., 11 juillet 2016, n° 375748, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9878RWR). En l'espèce, lors d'une assemblée générale extraordinaire des associés d'une SARL, ces derniers ont décidé d'augmenter le capital social de la société par compensation avec leur compte courant, puis de réduire le capital de la société pour apurer ses dettes, par diminution de la valeur nominale des titres. A l'issue de la vérification de la comptabilité sociale de la SARL, l'administration fiscale a estimé que l'inscription, au crédit du compte courant d'associé ouvert au nom des associés, de la créance qu'ils avaient acquise, avait pour contrepartie la disparition de la créance née du prêt bancaire initialement contracté par la société. Elle en a déduit que la différence entre la valeur nominale et la valeur d'acquisition de la créance revêtait alors la nature d'une prime de remboursement. La Haute juridiction, selon la solution dégagée, a donné raison à l'administration qui a pu, à bon droit, estimer que la différence entre le montant de la créance utilisé et la valeur initiale d'achat de celle-ci constituait une prime de remboursement imposable .

newsid:453850

Licenciement

[Jurisprudence] Commissions paritaires de l'emploi : l'ANI du 10 février 1969 a un caractère programmatique

Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2016, n° 15-12.752, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0212RX7)

Lecture: 11 min

N3817BWB

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par Pascal Lokiec, Professeur à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Le 21 Juillet 2016

L'obligation de reclassement définie à l'article L. 1233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L2149KGP) peut être élargie par l'effet de dispositions conventionnelles (1), à commencer par celles de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 1969, sur la sécurité de l'emploi (modifié par avenants du 21 novembre 1974, du 20 octobre 1986, du 12 avril 1988, du 22 juin 1989, du 22 décembre 1993 et du 9 décembre 1994) (2). Cet accord prévoit la mise en place, dans les différentes branches professionnelles, de commissions nationales ou territoriales de l'emploi chargées, notamment, du reclassement externe des salariés licenciés pour motif économique. La saisine, ou plutôt l'absence de saisine de ces commissions par les employeurs, est source d'un contentieux important, le plus souvent initié par des salariés qui demandent des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre du non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement (externe). Tel fut le cas dans l'affaire ayant donné lieu à un arrêt important du 11 juillet 2016 qui définit, note explicative à l'appui (3), la nouvelle doctrine de la Cour de cassation quant à l'obligation de saisir la commission nationale ou territoriale de l'emploi. Une doctrine qui, désormais, écarte toute saisine obligatoire de la commission lorsque l'accord de branche se contente d'un renvoi à l'ANI.
Résumé

L'article 3 de l'accord du 30 avril 2003, relatif à la mise en place d'une commission paritaire de l'emploi et de la formation professionnelle applicable à l'ensemble des entreprises comprises dans le champ d'application de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité (N° Lexbase : X0720AEE), bien que se référant à l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969, sur la sécurité de l'emploi, n'attribuant pas de missions à cette commission en matière de reclassement externe, aucune obligation de saisine préalable de la commission paritaire de l'emploi destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise, avant tout licenciement pour motif économique de plus de dix salariés, n'est applicable.

Observations

I - Le recours aux commissions paritaires de l'emploi

Encore trop souvent méconnues, ces commissions interviennent, depuis près d'un demi-siècle, dans le contexte du licenciement pour motif économique.

Une mission de reclassement externe. L'article premier de l'ANI de 1969 a prévu, bien avant la consécration de l'obligation de reclassement par la Cour de cassation (4) et le Code du travail (5) (ce qui fait dire à notre collègue Patrick Morvan que les dispositions de l'ANI auraient été implicitement abrogées (6)), qu'en vue de contribuer à améliorer la situation de l'emploi, les parties signataires "décident que des commissions paritaires de l'emploi devront être instituées avant le 31 mai 1969 dans les différentes professions" (article 1). Ces commissions, qui peuvent être instituées au niveau national ou régional (article 2), ont notamment pour objet d'aider au reclassement externe des salariés des entreprises de la branche (articles 5 et 15). Informées par ces entreprises des projets de grands licenciements collectifs pour motif économique, elles collectent et diffusent les offres d'emplois à pourvoir à l'échelle de la branche. Même s'il y a là leur principale mission, ces commissions peuvent aussi aider à la construction du plan de sauvegarde de l'emploi, remplir une fonction de concertation, assurer des missions en matière de formation professionnelle, d'insertion professionnelle des jeunes (7), d'analyse prospective de l'évolution des emplois (8), etc. (9). L'accord du 20 avril 2006, relatif à la commission paritaire de l'emploi des industries de santé prévoit, par exemple, la communication à la commission paritaire de l'emploi des accords de méthode.

Le principe d'effet utile. Parant aux critiques récurrentes à l'adresse de ces commissions, qui ont pu être qualifiées de commissions "fantômes" (10), la Cour de cassation s'efforce, depuis plusieurs années, de leur conférer un effet utile (11). Cela veut dire, d'abord, qu'une fois reçues de la commission paritaire les informations sur les possibilités de reclassement, l'employeur a un travail de retranscription à accomplir, afin d'adapter les propositions au contexte de son entreprise. Cela veut dire, ensuite, saisir la commission "en temps utile, au regard du déroulement de la procédure de licenciement" (12). Concrètement, l'employeur doit la saisir avant les licenciements (13), dans un délai suffisant, c'est à dire pas simplement quelques jours avant lesdits licenciements (14). Comment s'apprécie cette antériorité ? Seule compte la date de saisine, l'employeur n'ayant pas à attendre la réponse de l'administration sur les offres de reclassement, et ce, même si la commission a accusé réception du courrier de l'employeur en l'informant qu'elle apportera son concours pour faciliter le reclassement (15). Concrètement, le seul moyen qu'a l'employeur d'échapper à l'obligation de saisir la commission (lorsque les conditions d'applicabilité sont réunies, v. infra II) est de rapporter la preuve de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait de saisir la commission paritaire de l'emploi compétente préalablement au licenciement (16).

Il est difficile de préciser davantage les modalités concrètes d'intervention de ces commissions, car elles varient d'une branche à l'autre, au gré des dispositions de l'accord de branche ayant procédé à leur mise en place. Même si le principe d'effet utile est d'application générale, les solutions jurisprudentielles peuvent donc valoir pour une branche, et pas pour une autre (les arrêts sont d'ailleurs, pour la plupart, rendus au visa de dispositions de l'accord de branche applicable). Il a, par exemple, été jugé, sur le fondement de l'article 28 de l'accord national sur l'emploi dans la métallurgie du 12 juin 1987 (N° Lexbase : X0654AEX), que l'employeur doit proposer au salarié, de manière écrite, précise et personnalisée, les offres de reclassement qui lui ont été transmises par l'intermédiaire de la commission compétente, après avoir vérifié que ces offres sont en rapport avec les compétences et les capacités du salarié. L'entreprise ne peut se contenter de les transmettre par courrier électronique au salarié sans vérifier l'adéquation entre les postes proposés par d'autres entreprises et les compétences du salarié, et sans même adresser une offre de reclassement précise (17). Il y a dans l'obligation de faire des offres "précises, concrètes et personnalisées" une transposition, au mot près, des exigences valant pour l'obligation légale de reclassement (18), ce qui laisse penser que cette exigence n'est pas propre aux commissions paritaires de la métallurgie. Il a également été jugé que, viole, dans ce même secteur, son obligation de reclassement, l'employeur qui ne transmet pas au salarié la liste des postes qu'il avait reçu de la commission territoriale de l'emploi avant la date de l'entretien préalable au licenciement (19). Par contre, lors de la saisine de la commission, l'employeur n'a pas à transmettre la liste et le profil individuel (identité, âge, ancienneté, fonctions antérieurement et au moment du licenciement, éventuels diplômes) des salariés dont le licenciement est envisagé (20). La solution est sans doute, elle aussi, d'application générale car, en pratique, la liste des salariés concernés par le licenciement économique n'est pas nécessairement connue de l'employeur à la date de saisine de la commission ; ce n'est qu'une fois que les salariés touchés par le licenciement sont identifiés dans l'entreprise qu'il parait possible d'individualiser le reclassement dans le cadre d'offres précises et personnalisées (21).

Un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La sanction attachée au non-respect de l'obligation de saisir la commission territoriale de l'emploi est aujourd'hui clairement établie. Il pouvait s'agir soit de la simple violation d'une condition de forme, soit de la violation de l'obligation de reclassement, auquel cas le salarié est en droit de prétendre à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation opte pour la seconde branche de l'alternative depuis un arrêt du 2 mai 2001. Etait en cause l'application de la Convention collective nationale du caoutchouc (N° Lexbase : X0606AE8) qui prévoit qu'en cas de licenciement économique, l'employeur doit, à défaut de pouvoir procéder au reclassement interne des salariés concernés, solliciter son organisation professionnelle qui s'efforcera, à son tour, de reclasser, dans le cadre local ou régional, le salarié congédié. La Cour de cassation a considéré que l'employeur qui n'a pas respecté cette obligation n'a pas "satisfait à l'obligation particulière prévue par la Convention collective applicable", privant le licenciement de cause réelle et sérieuse (22). Même solution dans l'affaire "Moulinex" qui concerne, cette fois, l'application de l'accord conclu dans le secteur de la métallurgie. Les juges du fond avaient considéré, en substance, que le reclassement externe constitue une obligation distincte de l'obligation de reclassement préalable au licenciement économique et n'est donc pas de nature à priver les licenciements de cause réelle et sérieuse. La Cour de cassation considère au contraire que "les dispositions conventionnelles, qui imposent de rechercher un reclassement à l'extérieur de l'entreprise en faisant appel à la commission territoriale de l'emploi, étendent le périmètre de reclassement et prévoient une procédure destinée à favoriser le reclassement à l'extérieur de l'entreprise avant tout licenciement. En conséquence, l'absence de saisine de cette commission constitue un manquement à l'obligation préalable au licenciement et prive celui-ci de cause réelle et sérieuse" (23). Cette jurisprudence, qui confère toute leur portée aux dispositions conventionnelles organisant le reclassement externe, est en parfaite adéquation avec celle intéressant la saisine d'une commission disciplinaire prévue par accord collectif. On se rappellera que l'absence de consultation d'une instance disciplinaire créée conventionnellement constitue la violation d'une garantie de fond qui rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse (24).

II - L'applicabilité de l'accord national interprofessionnel de 1969

Bien que l'ANI de 1969 ait été conçu, comme le révèle la lecture de son article 1er (25), pour s'appliquer à l'ensemble des branches, il n'est guère surprenant (et le peu de vitalité de certaines branches est une explication parmi d'autres) qu'il n'en ait pas été ainsi et que, dès lors, se pose en amont un problème d'applicabilité du dispositif des commissions paritaires de l'emploi. Deux difficultés principales se posent ici (26).

L'application du droit de la négociation collective. La première relève du droit des accords collectifs. On ne peut, logiquement, reprocher à l'employeur d'avoir méconnu une obligation conventionnelle de reclassement que si l'accord qui la régit lui était applicable. Dans une décision du 27 mai 2015 (27), les salariés qui réclamaient des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont déboutés sur le fondement du droit des accords collectifs, en raison de l'inapplicabilité de l'accord de branche mettant en place la commission territoriale. Cet accord n'avait pas été étendu, et leur employeur n'en n'était ni signataire, ni membre d'un groupement patronal signataire, si bien que les salariés ne pouvaient lui reprocher de ne pas avoir saisi ladite commission. Une telle solution serait sans portée pour les salariés concernés par la procédure de licenciement s'ils pouvaient directement se prévaloir de l'accord national interprofessionnel (qui a été étendu et élargi). Or, la Cour de cassation vient de décider que cet accord est purement "programmatique".

L'ANI, un accord "programmatique". La seconde difficulté, tient aux conditions d'applicabilité de l'ANI de 1969. Celui-ci peut-il recevoir application lorsque l'accord de branche ne met pas en place de commissions ou se contente de renvoyer, sans autres précisions (ou en se contentant de prévoir que les organisations patronales locales prendront les dispositions nécessaires), au dit ANI ? Nombre de conventions de branche ont fait, en effet, une transposition, a minima, de l'accord de 1969, en se contentant d'un simple renvoi ! Sur la validité d'un tel renvoi, la jurisprudence était, jusqu'à présent, incertaine, quoi que deux arrêts aient laissé entendre qu'un renvoi à l'ANI pourrait suffire à obliger les entreprises de la branche. Dans un arrêt du 30 septembre 2013, rendu à propos de l'article 54 de la Convention collective de l'industrie textile (N° Lexbase : X0651AET), qui renvoie à l'article 22 de l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969, lequel indique que "les organisations patronales locales prendront les dispositions nécessaires pour faciliter le reclassement du personnel intéressé dans les autres entreprises", la Cour de cassation a estimé que l'employeur était tenu de saisir la commission territoriale de l'emploi en se fondant sur les seuls articles 5 et 15 de l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 ("la société avait l'obligation conventionnelle de saisir la commission territoriale de l'emploi en application des articles 5 et 15 de l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969") (28). Dans un arrêt postérieur, la Cour de cassation s'est satisfait d'un simple renvoi, par l'article 25 de la Convention collective nationale de la fabrication de l'ameublement du 14 janvier 1986 (N° Lexbase : X0690AEB) (lequel, de surcroît, prévoyait une simple faculté de saisine de la commission paritaire de l'emploi, et non une saisine obligatoire), à l'ANI de 1969, pour conclure à l'obligation de saisine de ladite commission (29).

La clarification de la Cour de cassation. Ces solutions, que la Cour de cassation avait d'ores et déjà tempéré dans des décisions postérieures (30), sont révolues depuis un arrêt récent du 11 juillet 2016. Etait en cause l'article 3 de l'accord du 30 avril 2003, relatif à la mise en place d'une commission paritaire de l'emploi et de la formation professionnelle applicable à l'ensemble des entreprises comprises dans le champ d'application de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, lequel, bien que se référant à l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969, sur la sécurité de l'emploi, n'attribuait pas de missions à cette commission en matière de reclassement externe. Autrement dit, cet accord créée une commission paritaire de l'emploi, mais se contente de renvoyer ses missions à l'ANI de 1969, sans lui attribuer expressément de compétence en matière de reclassement externe. Pour la Cour de cassation, il ne peut être fait reproche, dans ce cas, à l'employeur de ne pas avoir saisi la commission paritaire de l'emploi. Le raisonnement de la Cour de cassation est explicité dans une note publiée sur son site : "Par cet arrêt, la Chambre sociale met fin aux hésitations et aux interrogations que sa jurisprudence avait pu susciter en ce qui concerne une éventuelle application autonome de l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969, sur la sécurité de l'emploi". On comprend, a contrario, que l'ANI ne peut recevoir aucune application autonome, ce qui signifie, d'une part, que l'accord de branche doit décider de créer les commissions territoriales de l'emploi dans le secteur considéré, d'autre part, qu'il doit leur confier une mission d'aide aux reclassements externes en cas de licenciements économiques collectifs.

Une telle solution emporte-t-elle la conviction ? Dans les faits, elle prive de toute force obligatoire les dispositions de l'ANI relatives aux commissions paritaires de l'emploi, ce que reconnaît la Cour de cassation dans sa note susvisée : "Par cette décision de principe, il est clair, désormais, que l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 n'a qu'un caractère programmatique et qu'il appartient donc aux partenaires sociaux de décider ou non de créer ces commissions territoriales de l'emploi et de leur confier ou non une mission d'aide aux reclassements externes en cas de licenciements économiques collectifs. S'ils ne l'ont pas fait, l'employeur n'est pas tenu à une quelconque obligation sur le seul fondement de l'accord national interprofessionnel".

Cette solution peine à convaincre, eu égard aux termes de l'ANI et, partant, à la volonté des parties signataires, puisque l'article III du préambule énonce que "convaincus que la généralisation des commissions paritaires de l'emploi [...] permettra à toutes les parties intéressées de progresser dans la connaissance des problèmes de l'emploi et, partant, de faciliter la solution des difficultés que peuvent rencontrer les travailleurs, les parties signataires sont convenues des dispositions ci-après qui règlent les conditions générales suivant lesquelles les commissions paritaires doivent être créées [...]" . Les articles 1er et 2 de l'accord définissent une obligation en prévoyant que les commissions "devront être instituées [...]" (art. 1), qu'elles "seront constituées" (art. 2). A supposer que la commission soit constituée, il est désormais décidé qu'elle n'aura pas à être saisie sur un problème de reclassement si l'accord de branche ne lui confère pas expressément cette mission. Là encore, cette solution conduit à priver de toute portée l'article 5 de l'ANI d'où il ressort que "si un licenciement collectif d'ordre économique pose des problèmes de reclassement non résolus au niveau de l'entreprise, les commissions paritaires de l'emploi compétentes seront saisies dans les conditions prévues à l'article 15 ci-après" (31).

Le caractère programmatique de l'ANI a-t-il été déduit de l'emploi du futur dans un certain nombre de ses dispositions ("devront", "seront", v. ci-dessus) ? Toujours est-il qu'il résulte de l'arrêt du 11 juillet 2016 que le sort des commissions paritaires de l'emploi dépend, désormais, exclusivement, des accords de branche qui, sur ce sujet, sont souvent soit silencieux, soit lacunaires. La restructuration attendue des branches professionnelles suffira-t-elle à donner une nouvelle vitalité au dispositif des commissions paritaires de l'emploi, qui auront bientôt un demi-siècle ?


(1) Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-42.795, F-D (N° Lexbase : A2511GNC).
(2) Voir le texte relatif à l'accord national interprofessionnel (ANI) du 10 février 1969, sur la sécurité de l'emploi (modifié par avenants du 21 novembre 1974, du 20 octobre 1986, du 12 avril 1988, du 22 juin 1989, du 22 décembre 1993 et du 9 décembre 1994).
(3) Voir la note explicative.
(4) Cass. soc., 8 avril 1992, n° 89-41.548 (N° Lexbase : A4960ABC).
(5) C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L2149KGP).
(6) P. Morvan, L'obligation irréelle de reclassement "extérieur" et les commissions paritaires de l'emploi fantômes, JCP éd. S, 2009, 1235.
(7) Accord national du 12 juin 1987, sur les problèmes généraux de l'emploi (Métallurgie) (N° Lexbase : X0654AEX), art. 2.
(8) Ibid..
(9) M. Morand, Licenciements économiques et commissions paritaires de l'emploi, Les cahiers du DRH, 2014, 207.
(10) P. Morvan, op. cit..
(11) Un arrêt reproche à l'employeur de n'avoir pas "mis utilement en oeuvre cette procédure" : Cass. soc., 5 juin 2012, n° 11-22.052, F-D (N° Lexbase : A3760INL).
(12) Cass. soc., 12 février 2014, n° 12-26.198, F-D (N° Lexbase : A3615MEM).
(13) Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 10-24.104, F-D (N° Lexbase : A6058ITK).
(14) Cass. soc., 5 juin 2012, n° 11-22.052, F-D, préc..
(15) Cass. soc., 12 février 2014, n° 12-26.198, F-D, préc..
(16) Cass. soc., 13 septembre 2012, n° 11-22.414, F-D (N° Lexbase : A7418ISK).
(17) Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-18.029, FS-P+B (N° Lexbase : A7656MEB).
(18) Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-45.207, F-D (N° Lexbase : A7762ERW).
(19) Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 11-23.853, F-D (N° Lexbase : A8624KIA).
(20) Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-24.303, FS-P+B (N° Lexbase : A1820NE7).
(21) A. Fabre, note sous Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-24.303, FS-P+B, préc., RDT, 2015, 331
(22) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-44.945 (N° Lexbase : A6426C8I).
(23) Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A7828D8G) ; formule reprise avec constance, Cass. soc., 16 mai 2013, n° 12-10.065, F-D (N° Lexbase : A5169KDS) ; v. aussi, Cass. soc., 10 février 2009, n° 08-40.057, F-D (N° Lexbase : A1379EDG).
(24) Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, inédit (N° Lexbase : A3552AU4) ; Cass. soc., 14 mars 2012, n° 10-24.247, F-D (N° Lexbase : A8910IEQ) ; Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT).
(25) "En vue de contribuer à améliorer la situation de l'emploi, les parties signataires décident que des commissions paritaires de l'emploi devront être instituées avant le 31 mai 1969 dans les différentes professions".
(26) L'applicabilité de l'obligation de saisir les commissions se pose sous d'autres angles. Notamment, le fait que l'entreprise soit en liquidation judiciaire, et qu'ainsi le liquidateur dispose d'un bref délai pour prononcer les licenciements ne le dispense pas de saisir la commission (Cass. soc., 19 avril 2013, n° 13-40.006, FS-P+B N° Lexbase : A4204KCP ; Cass. soc., 16 mai 2013, n° 12-10.065, F-D N° Lexbase : A5169KDS). La compétence du juge judiciaire n'est, par contre, pas systématique. La Cour de cassation (Cass. soc., 27 mai 2015, n° 13-26.985, FS-P+B N° Lexbase : A8181NIT) considère que lorsqu'une autorisation administrative de licenciement a été accordée à l'employeur, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier la régularité de la procédure antérieure à la saisine de l'inspecteur du travail, ce qui vise notamment les dispositions conventionnelles de reclassement instituées au titre de l'ANI de 1969 .
(27) Cass. soc., 27 mai 2015, n° 13-26.968, FS-P+B (N° Lexbase : A8184NIX).
(28) Cass. soc., 30 septembre 2013, n° 12-15.940, FS-P+B (N° Lexbase : A3297KM3).
(29) Cass. soc., 8 juillet 2014, n° 13-14.609, FS-P+B (N° Lexbase : A4205MUB).
(30) Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 13-20.403, FS-P+B (N° Lexbase : A0416MZG) ; Cass. soc., 27 mai 2015, n° 13-26.985, FS-P+B (N° Lexbase : A8181NIT).
(31) Pour une toute autre interprétation des dispositions de l'ANI de 1969, considéré par l'auteur comme conférant un caractère facultatif et subsidiaire aux commissions, v. P. Morvan, op. cit..

Décision

Cass. soc., 11 juillet 2016, n° 15-12.752, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0212RX7).

Rejet (CA Douai, 28 mars 2014, n° 13/00949 (N° Lexbase : A8455MPT).

Textes visés : ANI du 10 février 1969, sur la sécurité de l'emploi ; C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L2149KGP).

Mots-clés : Commission nationale ou territoriale de l'emploi ; licenciement économique ; obligation de reclassement (externe).

Lien base : (N° Lexbase : E9308ESK).

newsid:453817

Licenciement

[Brèves] Licenciement pour motif économique de plus de dix salariés : de l'absence d'obligation de saisine préalable de la commission paritaire de l'emploi destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise sur le seul fondement de l'ANI

Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2016, n° 15-12.752, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0212RX7)

Lecture: 2 min

N3741BWH

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Le 21 Juillet 2016

L'article 3 de l'accord du 30 avril 2003, relatif à la mise en place d'une commission paritaire de l'emploi et de la formation professionnelle applicable à l'ensemble des entreprises comprises dans le champ d'application de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité (N° Lexbase : X0720AEE), bien que se référant à l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 sur la sécurité de l'emploi, n'attribuant pas de missions à cette commission en matière de reclassement externe, aucune obligation de saisine préalable de la commission paritaire de l'emploi destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise, avant tout licenciement pour motif économique de plus de dix salariés, n'est applicable. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 11 juillet 2016 (Cass. soc., 11 juillet 2016, n° 15-12.752, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0212RX7, et la note explicative de la Cour de cassation sur cet arrêt).
M. X est entré au service de la société Y en qualité d'agent de sécurité, la relation de travail étant soumise à la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985. La société Y a été placée en liquidation judiciaire le 17 mai 2011, avec maintien de l'activité jusqu'au 6 septembre 2011. Le salarié a été licencié par lettre du 19 septembre 2011 du mandataire liquidateur dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique.
La cour d'appel (CA Douai, 28 mars 2014, n° 13/00949 N° Lexbase : A8455MPT) ayant débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce dernier s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Par cet arrêt, la Chambre sociale met fin aux hésitations et aux interrogations que sa jurisprudence avait pu susciter en ce qui concerne une éventuelle application autonome de l'ANI du 10 février 1969 sur la sécurité de l'emploi qui avait prévu que des commissions territoriales de l'emploi seront créées dans les branches professionnelles aux fins d'examiner les possibilités de reclassement externe en cas de licenciements collectifs pour motif économique. Par cette décision de principe, il est clair désormais que l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969 n'a qu'un caractère programmatique et qu'il appartient donc aux partenaires sociaux de décider ou non de créer ces commissions territoriales de l'emploi et de leur confier ou non une mission d'aide aux reclassements externes en cas de licenciements économiques collectifs. S'ils ne l'ont pas fait, l'employeur n'est pas tenu à une quelconque obligation sur le seul fondement de l'accord national interprofessionnel (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9308ESK).

newsid:453741

Licenciement

[Brèves] De l'appréciation portée par l'administration sur le caractère suffisant des mesures contenues dans le PSE au regard des moyens du groupe

Réf. : CE, 4° et 5° ch.-r., 13 juillet 2016, n° 387448, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2128RX4)

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N3801BWP

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Le 22 Juillet 2016

La circonstance qu'un employeur effectue des démarches actives auprès du groupe auquel appartient l'entreprise pour que celui-ci abonde les mesures du PSE est, par elle-même, sans incidence sur l'appréciation à porter sur le caractère suffisant de ces mesures, laquelle n'a légalement à tenir compte que des moyens, notamment financiers, que l'entreprise et le groupe auquel elle appartient sont susceptibles de consacrer aux différentes mesures contenues dans le plan. La connaissance qu'avait l'administration du placement de la société-mère du groupe sous procédure de sauvegarde, dont il ressortait d'ailleurs des pièces du dossier qui lui était soumis, qu'il avait eu lieu postérieurement à la décision d'homologation attaquée, ne pouvait par lui-même établir que l'administration avait porté l'appréciation qui lui incombe sur le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan au regard des moyens du groupe. La brièveté du délai imparti au liquidateur après le prononcé du jugement de cession, en vue de procéder aux licenciements dans des conditions garantissant l'intervention de l'assurance prévue par l'article L. 3253-6 du Code du travail, était sans incidence sur l'appréciation que doit porter l'administration sur le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan au regard des moyens du groupe. Telles sont les règles dégagées par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 13 juillet 2016 (CE, 4° et 5° ch.-r., 13 juillet 2016, n° 387448, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2128RX4 ; voir également sur ce thème Cass. soc., 29 septembre 2015, n° 14-12.743, F-D N° Lexbase : A5529NSL).
En l'espèce, le tribunal de grande instance a arrêté le plan de cession partielle de la société X et autorisé le licenciement de trente salariés puis le DIRECCTE a homologué le document unilatéral fixant le PSE, élaboré par l'administrateur judiciaire de la société. Saisi par le comité d'entreprise de la société X, l'Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie CGT et Mme Y, le tribunal administratif a annulé cette décision. La cour administrative d'appel ayant rejeté les appels de la société X, d'une part, et du ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, d'autre part, en jugeant que l'administration, avant d'octroyer l'homologation qui lui était demandée, n'avait vérifié le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan qu'au regard des seuls moyens de la société X, et non au regard des moyens du groupe dont elle fait partie, ces derniers se sont pourvus en cassation.
Cependant, en énonçant les règles susvisées, le Conseil d'Etat rejette leurs pourvois (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E4781EXD).

newsid:453801

Notaires

[Jurisprudence] Procédure disciplinaire contre un notaire : respect du contradictoire

Réf. : Cass. civ. 1, 1er juillet 2016, n° 15-11.243, F-P+B (N° Lexbase : A8525RR8)

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N3674BWY

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par Eric Meiller, Notaire, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Lyon III

Le 21 Juillet 2016

Le droit disciplinaire notarial doit respecter le principe du contradictoire interprété à la lumière de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme : spécialement, la décision doit constater que le notaire avait reçu communication des conclusions écrites du procureur, afin d'être en mesure d'y répondre ; et l'équité du procès implique que le notaire poursuivi soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier. Telle est la solution retenue par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 1er juillet 2016. On constate, depuis quelque temps, une inflation du contentieux disciplinaire notarial devant les juridictions suprêmes, dans l'espoir d'une annulation de la sanction au motif de son illégalité de fond ou de forme. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel a déjà été saisi à de multiples reprises de questions prioritaires de constitutionnalité concernant certains points du droit disciplinaire notarial (1). Parfois à juste titre : ainsi a été déclaré partiellement inconstitutionnel l'article 4 de l'ordonnance du 28 juin 1945, relative à la discipline des notaires (N° Lexbase : L7650IGG) (2). La présente espèce s'inscrit donc dans ce contexte plus général.

En l'espèce, un notaire avait été déclaré coupable d'infractions aux règles professionnelles notariales, et l'autorité disciplinaire avait prononcé à son encontre la peine de destitution outre diverses peines complémentaires. D'ailleurs, les faits ne semblent pas vraiment niés par le notaire concerné, ce dernier cherchant surtout à s'en expliquer ou à en relativiser la portée : retard de formalités (publication non faite plusieurs mois après le délai prévu pour la publicité foncière), approximation de rédaction (un acte mentionne une personne comme comparante, et la fin de l'acte précise que le concerné est en fait décédé depuis plusieurs mois), erreurs dans l'application du tarif des notaires au détriment du client (mais que le concerné rectifie lorsqu'elles sont mises en évidence par les inspecteurs comptables), et surtout une situation financière précaire, voire obérée. Là où se défend réellement le notaire, et là où se porte donc le débat, est de savoir si de tels faits peuvent relever d'une sanction disciplinaire. Et le notaire mis en cause invoque notamment à son soutien la jurisprudence selon laquelle seuls les usages mentionnés au règlement, approuvé par le ministre de la Justice, peuvent servir de fondement à une sanction disciplinaire, à l'exclusion des autres directives émanant des instances professionnelles (3).

La Cour de cassation n'esquisse pourtant aucune réponse sur la question du fond. Car, les motifs formels lui semblent suffisants pour casser entièrement la décision contre laquelle un pourvoi est formé. Une première série de motifs, classiques, tient au rôle du président de la chambre de discipline (II). Une seconde série, plus intéressante, découle du principe du contradictoire interprété à la lumière de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (I).

I - Irrespect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme

Les textes en matière de discipline ne prévoient que peu de garanties procédurales pour le notaire mis en cause. Au plus, est-il prévu que le notaire peut prendre connaissance au secrétariat-greffe des pièces du dossier le concernant (4). Raison pour laquelle les personnes mises en cause cherchent un secours dans les textes sur le procès équitable contenus dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, cette convention ayant une valeur supra-législative.

Parfois, cette invocation est vaine. Ainsi, il a été jugé que la peine pénale complémentaire d'interdiction d'exercer une certaine activité professionnelle et la sanction disciplinaire de destitution, susceptible de frapper un notaire, sont de nature différente, de sorte qu'un notaire peut bien être condamné au deux sans violation du principe non bis in idem (droit à ne pas être puni deux fois), notamment prévu à l'article 4 du protocole n° 7 adjoint à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (5). De même, il a été jugé que, le ministère public étant l'autorité de contrôle de l'activité notariale, le fait qu'il exerce les poursuites disciplinaires justifiées par les anomalies qu'il est amené à constater ne constitue pas une atteinte au droit à un procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (6).

De plus en plus souvent, néanmoins, le recours au texte européen est reconnu comme justifié. Ainsi, est considéré comme une violation de l'article 6 de la Convention européenne, le fait pour le notaire mis en cause de n'obtenir qu'en appel copie des plaintes des clients ayant déclenché son inspection, le privant ainsi d'un double degré de juridiction en matière disciplinaire (7). Sur le fondement du même texte, il a également été estimé qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne peut pas être partie au recours contre ses propres décisions, sauf à violer l'exigence d'un procès équitable (8).

En l'espèce, c'est de nouveau cet article 6, § 1, de la Convention qui est invoqué, en ce qu'il garantit le droit à un procès équitable (9). Est également visé l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), qui pose le principe du contradictoire, et dont l'idée est implicitement contenue dans le premier texte. Sur la base de ces textes, deux solutions sont ici déduites. Sur le premier point, il est décidé que, en matière disciplinaire, le notaire mis en cause ou son avocat doit pouvoir avoir la parole en dernier. La décision ne précisant pas que tel fut le cas, celle-ci se trouve censurée de ce chef. Dans un premier temps, la jurisprudence estimait que la Convention européenne impliquait seulement le droit de demander à avoir la parole en dernier (10). Désormais, la décision disciplinaire doit constater que le mis en cause ou son conseil a été invité à prendre la parole en dernier. D'abord jugé dans le cas d'une procédure disciplinaire contre un avocat (11), la solution est ici logiquement étendue à l'hypothèse du notaire. Sur le second point, il est décidé que la décision disciplinaire doit constater que le notaire et son avocat ont reçu communication des conclusions écrites du procureur, afin d'être en mesure d'y répondre utilement. Là encore, ce point fut déjà jugé dans le cas d'un huissier (12), et la solution est logiquement étendue au notaire (13).

Sur tous ces points, la jurisprudence nationale s'aligne sur la jurisprudence européenne. En effet, la Cour européenne des droits de l'Homme estime que la procédure disciplinaire relève du droit à un procès équitable (14). Elle considère également que le respect du principe de l'égalité des armes commande que la personne ait communication des observations du procureur, avec la possibilité de les commenter (15). Tout comme elle considère d'importance que la personne poursuivie puisse avoir la parole en dernier (16).

II - Irrespect de la procédure disciplinaire notariale

Le notaire peut être poursuivi disciplinairement, soit devant la chambre de discipline, soit devant le tribunal de grande instance (17). Toutes les peines, dont la plus grave, la destitution, peuvent être prononcées par le tribunal ; alors que la chambre de discipline ne peut prononcer que les peines les plus légères (18). L'espèce relevait donc de la première hypothèse. L'action disciplinaire devant le tribunal de grande instance est en principe exercée par le procureur de la République, même si cette action peut également être exercée par le président de la chambre de discipline agissant au nom de celle-ci, ainsi que par toute personne qui se prétend lésée par le notaire (19).

Le tribunal de grande instance est saisi en matière disciplinaire par assignation délivrée au notaire soit à la requête du procureur de la République, soit à celle du président de la chambre de discipline ou de la personne qui se prétend lésée (20). Les débats ont lieu en chambre du conseil, le ministère public étant entendu (21). Le président de la chambre de discipline présente également ses observations, le cas échéant, par l'intermédiaire d'un membre de la chambre (22).

Désormais, la chambre de discipline est une émanation du conseil régional des notaires (23). Cette formation disciplinaire comprend au moins cinq membres, de droit et désignés parmi les délégués au conseil régional (24). En sont membres de droit le président du conseil régional qui la préside, les présidents de chambre départementale ainsi que, le cas échéant, les vice-présidents de chambre interdépartementale (25).

La jurisprudence est stricte à ce propos. Le tribunal doit entendre le président de chambre ou son représentant (26), ce dernier ayant pour rôle d'éclairer la juridiction sur les aspects techniques de la profession notariale (27). Pour cette raison, le président ne peut pas se faire représenter dans ce rôle par un avocat (28). En l'espèce, c'est le président de la chambre départementale qui a été entendu. Certes, ce dernier est bien membre de la chambre de discipline. Mais cette qualité ne suffit pas, encore faut-il qu'il ait reçu mandat en ce sens du président de la chambre de discipline. Dans le même temps, le président de ladite chambre était bien présent à l'audience, ce dont la décision porte mention. Mais la même décision ne précise pas si ce dernier a bien présenté ses observations, comme cela est prévu par les textes. Aussi, sans surprise au regard de la jurisprudence en la matière, la décision est logiquement censurée pour ce double vice de procédure (29).


(1) Par ex., Cons. const., décision n° 2014-385, QPC du 28 mars 2014 (N° Lexbase : A9892MHT).
(2) Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 4, al. 3 censuré par décision du Conseil constitutionnel du 27 janvier 2012 (Cons. const., décision n° 2011-211 QPC, du 27 janvier 2012 N° Lexbase : A4116IB3).
(3) Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11-16.402, F-P+B+I (N° Lexbase : A1056ITB) ; JCP éd. N, 2013, n° 6, 1020, note G. Rouzet.
(4) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels, art. 14 (N° Lexbase : L4092IB8).
(5) Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-50.012, FS-P+B (N° Lexbase : A5344NGZ), JCP éd. N, 2015, n° 30, 1135, note J.-M. Brigant. Voir déjà, dans le même sens, au visa de l'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1372A9P) : Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 98-18.770 (N° Lexbase : A1120ATN) ; Bull. civ. I, n° 85.
(6) Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 00-16.319 (N° Lexbase : A4018ATY).
(7) Cass. civ. 1, 13 décembre 2002, n° 00-21.301, F-D (N° Lexbase : A7139A3S).
(8) Cass. civ. 1, 28 octobre 2015, n° 14-19.017, F-D (N° Lexbase : A5311NUA), JCP éd. N, 2016, n° 4, 1042, note G. Rouzet.
(9) Ce texte dispose : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice".
(10) Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 00-21.301 (N° Lexbase : A7139A3S).
(11) Cass. civ. 1, 16 mai 2012, n° 11-17.683, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7139A3S), JCP éd. N, 2012, n° 22, act. 570.
(12) Cass. civ. 1, 4 décembre 2001, n° 98-12.598, FS-P (N° Lexbase : A5570AXL).
(13) Déjà, dans le même sens, Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11-16.402, F-P+B+I (N° Lexbase : A1056ITB).
(14) CEDH, 23 juin 1981, Req. 6878/75 (N° Lexbase : A7178MK3).
(15) CEDH, 24 novembre 1997, Req. 138/1996/757/956 (N° Lexbase : A7660AWM).
(16) CEDH, 5 mars 2013, Req. 36605/04 (N° Lexbase : A4441I9D).
(17) Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 5.
(18) Ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 9.
(19) Ordonnnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, art. 10.
(20) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, art. 13.
(21) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, art. 16.
(22) Décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973, art. 16.
(23) Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, art. 5-1.
(24) Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, art. 5-1.
(25) Ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, art. 5-1
(26) Cass. civ. 1, 3 novembre 1993, n° 92-13.402 (N° Lexbase : A5392ABC), Defrénois, 1994, art. 35714, obs. G. Rouzet. Cass. civ. 1, 3 novembre 1993, n° 92-13.402 (N° Lexbase : A5392ABC).
(27) Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-14.816, F-D (N° Lexbase : A7849NMN).
(28) Cass. civ. 1, 31 mars 1998, n° 96-16.702 (N° Lexbase : A7961C7Y) ; Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 03-21.056, F-D (N° Lexbase : A4510DHI) ; JCP éd. N, 2005, n° 23, act. 275 ; Cass. civ. 1, 15 novembre 2005, n° 04-19.483, F-P+B (N° Lexbase : A5638DLE) ; JCP éd. N, 2005, n° 50, act. 630.
(29) Déjà, dans le même sens, Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11-16.402, F-P+B+I (N° Lexbase : A1056ITB).

newsid:453674

Procédures fiscales

[Jurisprudence] Cumul des sanctions pénales et fiscales : une validation constitutionnelle définitive ?

Réf. : Cons. const., 24 juin 2016, deux arrêts, n° 2016-545 QPC (N° Lexbase : A0909RU9) et n° 2016-546 QPC (N° Lexbase : A0910RUA)

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N3859BWT

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par Vincent Dussart, Professeur à l'Université Toulouse Capitole et membre de l'Institut Maurice Hauriou

Le 21 Juillet 2016

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par la Cour de cassation (1), de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) dont la résolution a été jointe dans deux décisions du 24 juin 2016 (Cons. const., 24 juin 2016, arrêts, n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC). L'une de ces QPC est le fruit d'une affaire particulièrement médiatisée : la découverte de sommes dissimulées par un ancien ministre du Budget sur un compte bancaire dans un pays étranger (2016-546 QPC). L'autre affaire concerne une question d'héritage non déclaré puis considéré comme ayant fait l'objet d'insuffisances de déclaration (2016-545 QPC). Ces deux affaires ont pour point commun de mettre en oeuvre contre les requérants des poursuites mais aussi la possibilité à venir de sanctions fiscales mais aussi pénales. La question qu'avait donc à traiter le Conseil est une problématique classique de la répression des comportements fiscaux déviants : le cumul de sanctions fiscales et pénales (2). Elle pouvait présenter un intérêt renouvelé en raison de l'existence d'une double décision du 18 mars 2015 rendue par le Conseil constitutionnel qui, dans une affaire de délit d'initiés, avait rendu inconstitutionnelles des dispositions aboutissant à un cumul de sanctions administratives et pénales (3). Etaient attaqués, dans les QPC du 24 juin 2016, d'une part, l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB) et, d'autre part, les mots "soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt" figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code (N° Lexbase : L9491IY8) (4). La position du Conseil constitutionnel était donc (à nouveau) attendue sur cette délicate et complexe question. Le suspens n'aura pas duré longtemps : les juges constitutionnels n'ont finalement pas modifié la jurisprudence sur la question du cumul des sanctions fiscales et pénales (I). Malgré tout, si le cumul reste possible, le Conseil a rappelé ses réserves d'interprétations classiques en la matière et en a introduit une nouvelle (II). I - Le maintien du cumul des sanctions fiscales et pénales

Comme le rappellent J. Grosclaude et P. Marchessou, "Les deux ordres de juridictions qui interviennent en qualité de juge fiscal admettent le principe du cumul" (5). On peut également citer L. Ayrault qui écrivait en 2014 : "La règle non bis in idem n'est pas utilement invocable en matière fiscale pour contester le prononcé de sanctions fiscale et pénale à l'égard d'un même manquement. Bien que plusieurs fondements juridiques existent, la jurisprudence est unitaire (Conseil constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour de cassation et Cour européenne des droits de l'Homme)" (6). La question est souvent abordée sous l'angle du principe de la proportionnalité de la sanction. En effet, on peut légitimement s'interroger sur le fait que des contribuables qui n'ont pas satisfait à leurs obligations fiscales subissent des majorations de droit proportionnelles et des sanctions pénales dont le quantum a été, récemment, très largement alourdi (7).

Avant la décision QPC du 18 mars 2015 du Conseil constitutionnel, la jurisprudence semblait effectivement bien établie. Dans une décision 89-260 DC du 28 juillet 1989 (N° Lexbase : A8202ACR), la juridiction constitutionnelle avait admis le cumul entre sanctions pénales et sanctions administratives (8). Cependant, la décision du 18 mars 2015 précitée a suscité chez des contribuables poursuivis, ou en passe de l'être, et leurs conseils des espoirs substantiels de mettre fin au cumul des sanctions. Dans cette affaire, le Conseil a examiné la constitutionnalité de l'article L. 465-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8953K84) relatif au délit d'initié et sa répression par le juge pénal et l'article L. 621-15 du même code (N° Lexbase : L8994K8M) relatif au manquement d'initié réprimé quant à lui par la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF). La Haute juridiction constitutionnelle a alors considéré que les délits d'initiés et les manquements d'initiés qualifiaient, en réalité, les mêmes faits. Le Conseil a poursuivi en indiquant que la répression des délits et des manquements d'initiés poursuivis avaient le même but, à savoir la protection du bon fonctionnement et de l'intégrité des marchés financiers. A été ensuite constaté le fait que les sanctions de manquement prononcées par la Commission des sanctions de l'AMF obéissaient finalement aux mêmes principes de fixation que celles prononcées par le juge pénal. Dès lors, les sanctions n'étaient pas de nature différente. Enfin, le Conseil a jugé que l'auteur d'un manquement et celui d'un délit relevaient, tous deux, de juridictions de l'ordre judiciaire. A la suite de cet examen minutieux de quatre critères distincts, le Conseil a estimé que le principe de nécessité des peines et des délits n'était pas respecté et que l'on ne pouvait cumuler ces deux sanctions. On le voit, cette décision ne pouvait manquer de laisser des espoirs à certains en ce qui concerne le cumul de sanctions ou de poursuites fiscales (administratives) et de sanctions pénales.

Dans les deux affaires examinées le 24 juin 2016, les requérants ont donc repris les critères dégagés par le Conseil dans sa décision du 18 mars 2015 pour contester le cumul des sanctions fiscales et pénales. Ils ont ainsi soutenu que "les sanctions administratives et pénales respectivement instituées par les articles 1729 et 1741 du CGI s'appliquent aux mêmes faits commis par une même personne, protègent les mêmes intérêts sociaux, sont d'une nature et d'une sévérité' équivalentes et, enfin, relèvent du même ordre de juridiction. L'application combinée de ces deux articles serait contraire a? la règle de non cumul des peines dite communément non bis in idem', au principe de nécessité' des délits et des peines ainsi qu'au principe de proportionnalité' des peines" (point 4 des deux décisions). Il était clair que la décision du 18 mars 2015 se trouvait être au coeur de l'argumentation des deux séries de requérants en reprenant point par point le raisonnement du juge constitutionnel à propos des sanctions en matière de manquement et de délits d'initiés (9).

Le Conseil devait, préalablement, régler une difficulté, certes mineure au regard de l'affaire, dans la décision 2016-545 QPC : il devait se prononcer sur le fait de savoir si l'examen des dispositions contestées de l'article 1729 du CGI n'avait pas déjà fait l'objet d'une précédente déclaration de conformité auquel cas, le recours serait irrecevable. Il va, dans le point 7 des deux décisions, à la fois juger que les circonstances ont changé notamment à cause de sa décision du 18 mars 2015, et rappeler les critères dégagés dans cette décision pour considérer que deux sanctions peuvent être assimilées et donc désobéir au principe de nécessité des délits et des peines. Ce point 7 mérite d'être cité, en partie : "le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 18 mars 2015 [...], que le cumul de l'application de dispositions instituant des sanctions, lorsque celles-ci sont infligées à l'issue de poursuites différentes en application de corps de règles distincts, peut méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines si différentes conditions sont réunies. Les sanctions doivent réprimer les mêmes faits, ne pas être d'une nature différente et relever du même ordre de juridiction et les intérêts sociaux protégés doivent être les mêmes. La modification des dispositions de l'article 1729 et la décision du 18 mars 2015 constituent un changement des circonstances de droit. Ce changement justifie, en l'espèce, le réexamen des dispositions de l'article 1729 du CGI".

Les deux articles contestés ont donc fait l'objet d'un examen spécifique avant d'être confrontés et ce à l'aune de l'article 8 de la DDHC (N° Lexbase : L1372A9P), qui prévoit que : "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Le principe ainsi posé est celui dit de la nécessité des délits et des peines. Chacun des deux articles a été validé avec, cependant, une très importante réserve d'interprétation en ce qui concerne l'article 1741 sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin et qui constitue, peut-être, un apport important de ces deux QPC.

Le cumul des sanctions reste donc possible. D'abord pour le Conseil constitutionnel, les deux articles litigieux poursuivent un même objectif tenant dans "la protection des intérêts financiers de l'Etat ainsi que l'égalité devant l'impôt" (10). Le Conseil considère que les deux procédures sont complémentaires mais seulement dans le cas des fraudes les plus graves. Ce caractère de "gravité" frappe d'ailleurs spécifiquement et tout particulièrement l'article 1741. La règle non bis in idem ne trouve donc toujours pas de valeur constitutionnelle. C'est le principe de nécessité des délits et des peines qui semble l'emporter sur toutes autres considérations, allié au principe de la nécessité de l'impôt (et donc du contrôle fiscal) posé à l'article 13 de la DDHC (N° Lexbase : L1360A9A).

La décision du 18 mars 2015 avait pourtant fixé une utile grille de critères pour considérer qu'un cumul de sanctions pouvait être réprimé : "Les sanctions doivent réprimer les mêmes faits, ne pas être d'une nature différente et relever du même ordre de juridiction et les intérêts sociaux protégés doivent être les mêmes" (11). Le juge constitutionnel aurait pu reprendre point par point, comme l'a fait la Cour de cassation dans ses décisions de renvoi, les critères dégagés dans la QPC du 18 mars 2015. On ne peut que constater qu'il ne le fait que de manière un peu sibylline. Ainsi, le premier critère tient à la répression des mêmes faits. Le Conseil emprunte une voie très particulière en considérant que les deux articles contestés ne visent, ensemble, que les infractions les plus graves et notamment en ce qui concerne l'article 1741 du CGI. De ce fait, peut-on admettre que le cumul de sanctions vise, en réalité, à accroître la sanction des manquements au nom du principe de nécessité de l'impôt. Le raisonnement adopté est que les faits les plus graves peuvent être châtiés dans un premier temps par l'article 1729 du CGI et que l'intervention de l'article 1741 vient, en fait, en renforcer la répression. Force est de constater que la question de l'identité des faits réprimés n'est pas clairement résolue. Le second critère dégagé en la matière impose que les sanctions ne soient pas de natures différentes. Les parties avaient soulevée en cours de procédure et lors de l'audience que la gravité des sanctions pécuniaires pouvait permettre d'assimiler les sanctions comme cela avait été fait dans la décision de 2015. La Haute juridiction constitutionnelle a donc repris ce critère en reconnaissant le caractère à la fois dissuasif et répressif des sanctions mais en insistant sur le fait que les sanctions pénales allaient plus loin dans le caractère répressif. Dès lors, les sanctions n'étaient pas tout à fait de même nature. Le Conseil ne traite pas réellement de la question du juge compétent (troisième critère) contrairement à la Cour de cassation qui proposait (dans sa saisine) de distinguer nettement les fonctions de juge de l'impôt (judiciaire) de celles de juge pénal. Il "a purement et simplement escamoté le problème" (12).

Si le Conseil constitutionnel maintient donc la possibilité de cumuler les sanctions fiscales et pénales, il a, malgré tout, réaffirmé mais aussi introduit des réserves d'interprétation importantes qui donnent un intérêt certain à ces deux décisions.

II - Un encadrement réaffirmé mais aussi renouvelé du cumul de sanctions fiscales et pénales

Trois réserves d'interprétation viennent encadrer le régime de cumul de sanctions fiscales et pénales.

La première réserve rappelée tient dans l'idée que l'arme pénale ne peut être utilisée que contre les fautes les plus graves commises par des contribuables. L'article 1741 permet d'engager, contre les contribuables ayant commis les infractions les plus graves, des procédures "complémentaires" selon les termes mêmes du Conseil. Celui précise, d'ailleurs, au point 21 de la décision n° 2016-546 QPC que "cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention". Il n'est sans doute pas étonnant de rappeler ici cette exigence de gravité en raison des caractères intrinsèques de la procédure pénale en matière fiscale. En effet, l'administration fiscale possède le monopole des poursuites pénales (13). Cette situation pleinement dérogatoire du droit pénal commun donne des pouvoirs exorbitants à l'administration fiscale. Dès lors, le législateur a mis en place une sorte de garantie, elle-même procédurale, qui tient dans l'intervention de la Commission des infractions fiscales (14). Cette dernière a pour fonction d'autoriser l'administration à porter plainte auprès du procureur de la République pour des faits supposés de fraude fiscale. M. Collet précise que "l'obligation faite à l'administration de recueillir l'avis favorable de ce collège de hauts magistrats l'engage à bien ficeler ses dossiers" (15). On peut désormais raisonnablement y ajouter l'ardente obligation de ne présenter que les cas de fraude les plus importants afin de satisfaire la garantie de gravité imposée par le Conseil constitutionnel. La CIF jouait déjà ce rôle avant même les décisions QPC du 24 juin 2016, elle pourrait se trouver ainsi confortée dans cette appréciation à porter sur les cas qui lui sont soumis.

La seconde réserve d'interprétation qui est rappelée est celle de la limitation du montant cumulé des pénalités fiscales et des amendes pénales malgré le cumul de sanctions. Il s'agit d'empêcher que le fraudeur se retrouve écrasé par des sanctions maximales en matière fiscale comme en matière pénale. Il s'agit de la réaffirmation d'un principe déjà existant (16). Le Conseil constitutionnel avait validé ce plafonnement sous la réserve que le principe de proportionnalité soit respecté. Dans la décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 (17), le Conseil a posé l'exigence d'une limite concrète : le montant total des sanctions prononcées ne peut être supérieur au montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues. Cette réserve est rappelée clairement dans les deux décisions du 24 juin 2016. En réalité, cette exigence liée au principe de proportionnalité des peines est simplement réaffirmée. Elle constitue une garantie théorique destinée à faire accepter finalement l'existence du cumul de sanctions. L. Ayrault a fait remarquer qu'en matière de fraude fiscale, les peines de privatives de liberté semblent privilégiées par le juge pénal contre les amendes pécuniaires. Il s'agirait d'une conséquence de ce plafonnement des sanctions cumulées (18). Il fait ensuite remarquer que la mise en oeuvre du principe non bis in idem aboutirait à ce que le juge pénal durcisse les peines infligées. Actuellement, le paiement des droits rappelés des intérêts de retard et des majorations semblerait finalement suffire au juge pénal.

La troisième réserve est peut-être la plus importante car elle vient mettre fin, en théorie, à ce qu'il convient d'appeler une bizarrerie juridique aux conséquences fâcheuses. La Cour de cassation avait pour jurisprudence que les décisions du juge de l'impôt ne lui étaient pas opposables en ce sens qu'elle considérait que l'autorité de la chose jugée attachée à ces décisions ne la liait pas. Cette jurisprudence pouvait avoir pour conséquence de faire en sorte qu'un contribuable soit totalement déchargé de l'impôt mais qu'il soit malgré tout condamné pour les mêmes faits pour fraude fiscale (19), la décision du juge pénal pouvant intervenir avant celle du juge fiscal. Le juge de l'imposition peut décharger le contribuable pour deux grandes séries de raisons : des motifs de procédure ou des motifs de fond. L'article 13 dans les deux QPC a pour ambition de mettre fin à ces anomalies dues au cumul de poursuites pénales et fiscales.

Cependant, comme le souligne le commentaire officiel de la décision par les services du Conseil (20), cette réserve devrait avoir une portée somme toute limitée. En effet, le contribuable peut être déchargé de la majoration prévue à l'article 1729 du CGI. Dans cette hypothèse, cette décharge n'interdira pas les poursuites pénales dès lors qu'elle est fondée sur motif de procédure. En revanche, si la décharge est accordée au motif que l'imposition est jugée dépourvue de fondement, la condamnation pénale sera exclue. Le commentaire officiel du Conseil rappelle cependant que : "Si une condamnation pour fraude fiscale est exclue lorsqu'une juridiction aura définitivement déchargé' le contribuable de l'impôt du? pour un motif de bien-fondé, cela n'empêche pas l'engagement des deux procédures. Par ailleurs, le juge pénal conservera toute latitude pour apprécier les autres éléments de la fraude fiscale. De la même manière, le juge de l'impôt demeurera tenu par les constatations matérielles faites par le juge pénal lorsque ce dernier a statue, mais non par la qualification ou l'interprétation qui en a été faite". La garantie introduite est donc intéressante mais limitée cependant.

Il apparaît que le Conseil aurait pu rester strictement sur les critères dégagés dans sa décision de mars 2015. Il semble, certes, les utiliser mais d'une manière finalement peu claire et parfois confuse. La solution adoptée peut être analysée en termes plus polémiques ! N'y avait-il pas volonté de maintenir à toute force les outils d'une répression de plus en plus forte des contribuables défaillants et fraudeurs ? Le contexte politique et médiatique de l'une des deux affaires a, peut-être, également incité le juge constitutionnel à maintenir un système de sanctions pénalisant mais sensé être d'autant plus dissuasif. La lutte contre la fraude fiscale est un objectif majeur des gouvernements récents qui reste une très importante priorité. Il n'en reste pas moins que la question du cumul des sanctions pourrait revenir par le biais de la jurisprudence européenne.


(1) Cass. crim., 30 mars 2016, deux arrêts, n° 16-90.001, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5104RAB) et n° 16-90.005, FS-P+B (N° Lexbase : A1597RBR).
(2) Voir J. Lamarque, Le cumul des sanctions fiscales et pénales, Revue générale des procédures, 1998, p. 347 à 356. L. Ayrault, Non bis in idem, les enjeux en matière fiscale, AJ pén., 2015, p. 185.
(3) Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC (N° Lexbase : A7983NDZ). Voir C. Arnaud, Le cumul des poursuites et des sanctions : divergences constitutionnelle et européennes, Revue française de droit administratif, septembre-octobre 2015, n° 5, p. 1019-1029 ; S. Fucini, L'interdiction du cumul des poursuites en matière d'abus de marché : la constitutionnalisation minimaliste du principe non bis in idem, Revue française de droit constitutionnel, octobre 2015, n° 103, p. 720-726 ; P. Idoux, L'inconstitutionnalité de la double répression des abus de marché, Revue Lamy de la Concurrence, juillet-septembre 2015, n° 44, p. 95-96 ; B. de Lamy, Le non-cumul des sanctions par la non constitutionnalisation du principe ne bis in idem, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, juillet-septembre 2015, n° 3, p. 705-710 ; V. Peltier, Une limitation constitutionnelle du cumul des peines, Droit pénal, mai 2015, n° 5, 45-46 ; F. Sudre, Principe non bis in idem et Convention EDH : la décision en trompe l'oeil du Conseil constitutionnel, La Semaine juridique, édition générale, 30 mars 2015, n° 13, 605-609 ; O. Dufour, C'est la fin des doubles poursuites... au terme de 26 ans de combat, LPA, 24 mars 2015, n° 59, 4-7 ; J.-H. Robert, Note sous décision n° 2015-453/454 et 2015-462 QPC, Revue pénitentiaire et de droit pénal, janvier-mars 2015, n° 1, 150-152.
(4) Dans la rédaction résultant de l'ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs (N° Lexbase : L0609ATQ), ainsi que dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L4518IS7).
(5) J. Grosclaude et P. Marchessou, Procédures fiscales, Dalloz, 8ème édition, 2016, p. 286.
(6) L. Ayrault, Sanction fiscale - Définition et régime juridique, JurisClasseur, Procédures fiscales, fasc. n° 385, n° 73 et s., 2014.
(7) Ainsi, l'amende possible prévue à l'article 1741 a été portée de 37 500 à 500 000 euros par la loi du 14 mars 2012 portant loi de finances rectificative pour 2012. Cette peine peut être portée à 2 000 000 d'euros lorsque les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités avec des moyens spécifiques décrits à l'article 1741.
(8) Voir, P. Avril et J. Gicquel, Note sous décision n° 89-260 DC, Pouvoirs, janvier 1990, n° 52, p. 189 ; B. Genevois, Le Conseil constitutionnel, la séparation des pouvoirs et la séparation des autorités administratives et judiciaires, RFDA, 1989, p. 671.
(9) On pourra s'en convaincre aisément en visionnant l'audition des parties sur le site du Conseil constitutionnel.
(10) Point 20 de la décision 2016-546 QPC.
(11) Point 7 de la décision 2016-546 QPC.
(12) Selon l'expression de S. Detraz, dans son commentaire sur ces QPC, Droit fiscal, 2016, n° 27, 7 juillet 2016, comm. 405, point 2.
(13) Voir M. Collet, P. Rollin, Procédures fiscales, 2ème édition, 2013, p. 188.
(14) Voir L. Ayrault, M. Sieraczel, la Commission des infractions fiscales : anlyse critique après trente ans d'existence, Mélanges Cozian, 2009, p. 679.
(15) Voir M. Collet, P. Rollin, Procédures fiscales, 2ème édition 2013, p. 189. Sur l'ensemble de la procédure pénale fiscale, voir M. Betch, Contentieux pénal - Procédure, JurisClasseur, Procédures fiscales, fasc. 720, spécialement sur le rôle de la CIF, voir n° 141 à 198, mis à jour 2015.
(16) Voir J. Grosclaude et P. Marchessou, Procédures fiscales, Dalloz, 8ème édition, 2016, p. 288.
(17) Cons. const., 30 décembre 1997, n° 97-395 DC (N° Lexbase : A8445ACR), Revue française de droit constitutionnel, 1998, p. 160-167 ; L. Philip, Loi de finances pour 1998, Actualité juridique, Droit administratif, 1998, p. 118-126 ; J.-E. Schoettl, La décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1997 relative à la loi de finances pour 1998, J.-C. Zarka, La Semaine juridique., édition générale, 1998, p. 261-262.
(18) L. Ayrault, Non bis in idem, les enjeux en matière fiscale, AJ pén., 2015, p. 188.
(19) Cass. crim., 13 juin 2012, n° 11-84.092, F-D (N° Lexbase : A8122IQU) ; Voir E. Meier et R. Torlet, L'indépendance des procédures fiscale et pénale, ou quand un train peut en cacher un autre, Droit fiscal, n° 42, 18 octobre 2012, comm. 488.
(20) Commentaire du Conseil constitutionnel, p. 22.

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Surendettement

[Brèves] Nature professionnelle de la dette de cotisations et contributions destinées à assurer la couverture personnelle sociale d'un gérant majoritaire de SARL

Réf. : Cass. avis, 8 juillet 2016, n° 16007 (N° Lexbase : A0213RX8)

Lecture: 1 min

N3825BWL

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Le 21 Juillet 2016

La dette de cotisations et contributions destinées à assurer la couverture personnelle sociale d'un gérant majoritaire de SARL et dont le recouvrement est poursuivi par l'URSSAF est de nature professionnelle, de sorte qu'elle échappe en tant que telle à l'effacement consécutif à la procédure de rétablissement personnel dans le cadre du dispositif de traitement du surendettement des particuliers. Telle est la solution énoncée par la Cour de cassation dans un avis rendu le 8 juillet 2016 (Cass. avis, 8 juillet 2016, n° 16007 N° Lexbase : A0213RX8). Elle avait été saisie par le juge du tribunal d'instance de Besançon d'une question ainsi libellée : "les cotisations de l'URSSAF destinées à assurer la couverture personnelle sociale d'un gérant de SARL, constituent-elles des dettes professionnelles, les excluant de tout effacement, dans le cadre d'un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire rendu exécutoire par le juge d'un tribunal d'instance, en application de l'article L. 332-5, alinéa 2, du Code de la consommation (N° Lexbase : L9004IZI ; C. consom., art. L. 741-3, nouv. N° Lexbase : L0701K74) ?" Selon la Cour, destinées à pourvoir au financement du système de Sécurité sociale, les cotisations et contributions recouvrées par les URSSAF auprès des gérants majoritaires de SARL sont par nature diverses. Cependant, assises sur le revenu de l'activité professionnelle au sens de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5349I3I) et versées au titre d'une activité professionnelle selon la définition donnée par la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-04.013, F-P+B N° Lexbase : A8451DBM), ces cotisations et contributions revêtent le caractère de dette professionnelle pour l'application du livre VII du Code de la consommation (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E2740E4A et N° Lexbase : E2898E44).

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Construction

[Le point sur...] Droit de rétractation de l'acquéreur immobilier : quelles nouveautés ?

Lecture: 10 min

N3788BW9

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par Marine Parmentier, Avocat au barreau de Paris

Le 21 Juillet 2016

Le droit de rétractation de l'acquéreur immobilier a fait l'objet de plusieurs modifications législatives récentes, qu'il s'agisse des lois "Alur", "Hamon" ou "Macron" ! Plusieurs décisions de la Cour de cassation viennent d'apporter des précisions pratiques importantes concernant sa mise en oeuvre. Les praticiens de la transaction immobilière doivent donc se tenir avisés de ces évolutions pour accompagner au mieux leur client. Tentons, en quelques lignes, de faire un point sur cette thématique. I - Les sources légales du droit de rétractation

Le droit de rétractation trouve son assise juridique dans l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2018KGT) qui dispose notamment que : "pour tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte".

Le délai de rétractation, initialement de sept jours, a été porté à dix jours par la loi "Macron" du 6 août 2015 (1). Ce nouveau délai est entré en vigueur le 8 août 2015 et concerne les contrats conclus à compter de cette date.

Les articles D. 271-6 (N° Lexbase : L1290K8B) et D 271-7 (N° Lexbase : L1291K8C) du Code de la construction et de l'habitation encadrant la mention manuscrite à insérer à l'avant-contrat en cas de remise en main propre de l'acte viennent d'être harmonisés avec le nouveau délai de dix jours par décret du 11 mai 2016 (2).

Rappelons qu'il existe un délai spécifique de rétractation de sept jours applicable aux promesses unilatérales de vente portant sur un terrain issu d'un lotissement soumis à permis d'aménager (C. urb., art. L. 442-8 N° Lexbase : L3480HZW).

En revanche, le délai de quatorze jours qui avait été prévu par la loi "Hamon" du 17 mars 2014 (3) spécifiquement pour protéger les consommateurs lorsque le contrat était conclu "hors établissement" (4) vient d'être exclu, par la loi "Macron", en ce qui concerne les transactions immobilières. Ce délai pouvait, par exemple, s'appliquer pour les avant-contrats qui étaient signés dans le cadre de vente sur plans dans un appartement témoin.

Aujourd'hui, demeurent donc les deux délais de sept et dix jours susvisés pour l'exercice du droit de rétractation.

Quant au point de départ de ce délai en cas de vente d'un lot de copropriété, rappelons que la loi "ALUR" (5) a mis à la charge du vendeur l'obligation de transmettre à l'acquéreur un nombre important d'informations au stade de l'avant-contrat, sous peine de reporter le point de départ du délai de rétractation au lendemain du jour où la remise est effectivement faite (CCH., art. L. 721-2 [LXB= L8656KGP] et L. 721-3 N° Lexbase : L8657KGQ).

Ainsi, l'article L. 721-3 du Code de la construction et de l'habitation précise que "lorsque les documents et les informations [...] exigibles [...] ne sont pas remis à l'acquéreur au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente, le délai de rétractation prévu à l'article L. 271-1 ne court qu'à compter du lendemain de la communication de ces documents et informations à l'acquéreur".

Les formalités de cette remise ont été simplifiées par ordonnance du 27 août 2015 (6) qui a modifié l'article L. 721-2 prévoyant désormais que : "la remise des documents peut être effectuée sur tous supports et par tous moyens, y compris par un procédé dématérialisé sous réserve de l'acceptation expresse par l'acquéreur. L'acquéreur atteste de cette remise soit dans l'acte contenant la promesse de vente par sa simple signature lorsqu'il s'agit d'un acte authentique soit, lorsque l'acte est établi sous seing privé, dans un document qu'il signe et qu'il date de sa main".

II - Le champ d'application du droit de rétractation

Littéralement, l'article L. 271-1 ne s'applique qu'à tout acte ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation, la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation ou la vente d'immeubles à construire ou de location-accession à la propriété immobilière.

Dans un arrêt du 4 février 2016 (7), la Cour de cassation a indiqué que le droit de rétractation n'est pas applicable lorsque la promesse porte sur la vente d'un terrain à bâtir. En effet, la faculté de rétractation prévue par l'article L. 271-1 précité ne concerne que les actes ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation.

Rappelons que la Cour de cassation a exclu du champ d'application du droit de rétractation les immeubles à usage mixte d'habitation et professionnel (8).

Eu égard à la qualité de l'acquéreur, rappelons que le droit de rétractation est ouvert à l'acquéreur non professionnel. Il a ainsi été jugé qu'une SCI, dont l'objet social est l'acquisition, l'administration et la gestion par location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers meublés et aménagés avait conclu une promesse de vente en rapport direct avec cet objet social, n'est pas un acquéreur non professionnel et ne peut donc pas bénéficier des dispositions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (9).

III - La régularité de la notification conditionne l'écoulement effectif du délai de rétractation

Les modalités de la notification. Il résulte de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation que l'avant-contrat est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.

Lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte.

La notification en cas de pluralité d'acquéreurs. Comment s'assurer que le délai de notification a bien couru, notamment lorsque le vendeur est en présence d'une pluralité d'acquéreurs ?

Lorsque les acquéreurs sont mariés, pacsés ou en concubinage, il est vivement recommandé de leur adresser une notification à chacun par lettre recommandée avec avis de réception. Même si cette formalité est respectée, il n'est pas exclu que l'un des époux réceptionne au nom des deux les deux lettres de notification. Une telle situation vient d'être soumise à la Cour de cassation. Les acquéreurs, des époux, avaient signé la promesse mais avaient refusé de réitérer l'acte devant notaire. Pour justifier leur positionnement, ils faisaient valoir que la notification n'avait pas été faite à l'égard de Madame, les deux avis de réception ayant été signés par le mari seulement.

Le vendeur faisait alors valoir que la Poste ne se décharge des lettres recommandées que par leur remise contre reçu au destinataire ou à son fondé de pouvoirs. Ainsi, si la notification prévue par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation est faite par lettres recommandées distinctes adressées à chacun des époux acquéreurs, la signature par l'un d'entre eux de chacun des deux accusés de réception, faisant présumer que le signataire a reçu pouvoir de se faire délivrer la lettre au nom de son conjoint, suffit à faire produire à la notification tous ses effets.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 2016 (10), rejette cet argumentaire. En l'espèce, l'accusé de réception de l'acte sous seing privé n'avait pas été signé par l'épouse et il n'est pas certain que cet acte lui ait été personnellement notifié. En outre, l'époux ne disposait d'aucun pouvoir exprès pour recevoir l'acte à sa place. Ainsi, le délai de rétractation prévu par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation n'a pas couru pour l'épouse et l'avant-contrat est annulé.

Même en présence d'époux, le pouvoir de représentation en ce domaine ne se présume pas. La Cour de cassation l'avait précédemment admis dans un arrêt du 9 juin 2010 pour le cas d'une notification faite par lettre unique aux deux époux acquéreurs, mais dont l'avis de réception n'était signé que par l'un d'eux (11). Par cette décision, la Cour de cassation indique qu'une notification effectuée non par lettres distinctes, adressées à chacun des époux acquéreurs, mais par une lettre unique libellée au nom des deux, ne peut produire d'effet à l'égard des deux époux que si l'avis de réception est signé par chacun d'eux ou si l'époux signataire était muni d'un pouvoir à l'effet de représenter son conjoint.

Récemment encore, la Cour de cassation a retenu, dans un arrêt du 2 juin 2016 (12), qu'est régulière une notification faite à trois acquéreurs (des époux et leur fille) par lettres distinctes envoyées au domicile de la fille à laquelle les parents avaient donné mandat de prendre en leur nom toutes les décisions relatives à l'achat de la propriété, la fille ayant signé les trois avis de réception, sans aucune protestation.

Le contenu de la lettre de notification. Il a été jugé qu'ajoute à l'exigence légale de notification de l'acte prévue à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel qui retient que le délai de rétractation n'a pas couru au motif que la lettre recommandée de notification ne faisait aucune référence à la faculté de rétractation ouverte aux acquéreurs (13). Ce principe vient d'être réaffirmé par la Cour de cassation dans l'arrêt du 2 juin 2016 précité (Cass. civ. 3, 2 juin 2016, n° 15-17.833, FS-D N° Lexbase : A8597RRT), la Haute juridiction approuvant les juges du fond qui avaient retenu que l'agence immobilière n'était pas tenue de mentionner dans la lettre de notification la faculté de rétractation des acquéreurs (en l'occurrence, il s'agissait en outre d'acquéreurs belges prétendant ignorer le régime du droit de rétractation).

Les effets d'une notification irrégulière. La notification irrégulière ne fait pas courir le délai de rétractation de sorte que le vendeur n'est pas assuré de la sécurité juridique de l'opération projetée...

Il a ainsi été jugé que lorsque le délai de rétraction n'a pas couru, la notification par l'acquéreur dans l'instance l'opposant à son vendeur de conclusions par lesquelles il déclare exercer son droit de rétractation satisfait aux exigences de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (14).

La sanction est donc lourde de conséquences...

Quels sont les recours du vendeur qui se voit opposer une notification irrégulière ? Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 10 mars 2016, le vendeur a tenté d'engager la responsabilité de l'intermédiaire, agent immobilier, en lui reprochant de ne pas avoir été vigilant sur cette problématique de signature. La Cour de cassation réfute également cet argumentaire en soulignant que sa mission ne s'étendait pas à la vérification des signatures des accusés de réception...

Donc, sauf obligation particulière mise à sa charge, l'agent immobilier ne peut voir sa responsabilité engagée de ce seul chef.

Quels sont les effets d'une signature de l'acte notarié sur une notification irrégulière ? Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation a confirmé que la signature sans réserve de l'acte authentique -eu égard à une notification irrégulière de l'avant-contrat- vaut renonciation de l'acquéreur à se prévaloir de toute irrégularité par la suite.

Ainsi, dans un arrêt du 10 mars 2016 (15), la Cour de cassation a indiqué qu'en l'état de la signature de l'acte de vente et de la prise de possession de l'immeuble vendu, les acquéreurs ne pouvaient plus prétendre exercer leur droit de rétractation.

Dans cette affaire, des époux avaient conclu avec un promoteur un contrat de réservation d'un appartement en l'état futur d'achèvement, dans une résidence de tourisme, vente ouvrant droit à réduction d'impôt sous condition de consentir un bail pour une durée minimale de neuf ans. La vente a ensuite été réitérée par acte authentique et les acquéreurs ont conclu un contrat de bail commercial portant sur la location de l'appartement acquis. Après réception des travaux les acquéreurs se plaignant de malfaçons et de la destination thérapeutique du local vendu, ont, après expertise, assigné le vendeur en annulation de la vente.

Cette demande était rejetée par les juges du fond, raisonnement confirmé par la Cour de cassation. La Haute juridiction relève que l'acte authentique de vente mentionne que celle-ci avait été précédée d'un contrat préliminaire établi par acte sous seing privé du 17 janvier 2004 avec avenant du 1er mai 2004, pour lesquels les acquéreurs reconnaissaient que les prescriptions de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation avaient été respectées. Par conséquent, en l'état de la signature de l'acte de vente et de la prise de possession de l'immeuble vendu, les acquéreurs ne pouvaient prétendre exercer leur droit de rétractation.

Dans un autre arrêt du 7 avril 2016 (16), la Cour de cassation a confirmé que la signature sans réserve de l'acte authentique de vente vaut renonciation de l'acquéreur à se prévaloir de l'irrégularité de la notification du droit de rétractation.

En l'espèce, des époux avaient acquis d'un promoteur un appartement et un emplacement de stationnement en l'état futur d'achèvement, au titre d'un projet d'investissement locatif ouvrant droit à défiscalisation. Les acquéreurs, invoquant des manoeuvres dolosives de la part du vendeur, ont assigné notamment le vendeur en nullité de la vente et paiement de dommages-intérêts.

Au soutien de leur argumentaire, ils faisaient notamment valoir une notification irrégulière de l'avant-contrat qui n'aurait pas fait courir le délai de rétractation. La Cour de cassation rejette leur pourvoi et considère que, dès lors qu'ils avaient tous deux signé l'acte authentique de vente, sans émettre de réserve quant à l'absence de notification du contrat préliminaire de réservation par lettre recommandée avec demande d'avis de réception séparée à chacun d'entre eux, ils avaient ainsi renoncé à se prévaloir d'une quelconque irrégularité de la notification de l'avant-contrat.

Ces deux décisions, si elles ont le mérite de faire primer la sécurité juridique de l'opération, sont importantes en pratique puisque les acquéreurs devront avoir pleine conscience, en signant l'acte authentique de vente, qu'une clause souvent de "style" reconnaissant la régularité de la notification peut être lourde de conséquences sur leur faculté à se prévaloir ensuite d'une potentielle irrégularité...

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En conclusion, les praticiens, qu'il s'agisse d'intermédiaires traditionnels, d'avocats mandataires en transactions immobilières ou de notaires, doivent être très vigilants quant à la notification de l'avant-contrat entrant dans le champ d'application du droit de rétractation, ceci au regard de l'évolution des textes et des décisions jurisprudentielles n'ayant de cesse d'encadrer la mise en oeuvre de ce droit, parfois guidées par la protection de l'acquéreur, d'autres fois avec la volonté d'assurer la sécurité juridique de l'opération immobilière.


(1) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC).
(2) Décret n° 2016-579 du 11 mai 2016 modifiant les articles D. 271-6 et D. 271-7 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1209K8B).
(3) Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX).
(4) C. consom., art. L. 121-21 ancien (N° Lexbase : L7773IZW ; cf. désormais, C. consom., art. L. 221-18 N° Lexbase : L1567K78 et L. 242-3 N° Lexbase : L1406K79) : "le consommateur dispose d'un délai de quatorze jours pour exercer son droit de rétractation d'un contrat conclu à distance, à la suite d'un démarchage téléphonique ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d'autres coûts que ceux prévus aux articles L. 121-21-3 à L. 121-21-5. Toute clause par laquelle le consommateur abandonne son droit de rétractation est nulle".
(5) Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (N° Lexbase : L8342IZY).
(6) Ordonnance n° 2015-1075 du 27 août 2015 relative à la simplification des modalités d'information des acquéreurs prévues aux articles L. 721-2 et L. 721-3 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L8790KGN).
(7) Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 15-11.140, FS-P+B (N° Lexbase : A3203PKT).
(8) Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 06-21.145, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1712D48), Bull. civ. III, n° 15.
(9) Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 11-18.774, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0609IWH), Bull. civ. III, n° 153.
(10) Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 15-12.735, FS-D (N° Lexbase : A1693Q7T).
(11) Cass. civ. 3, 9 juin 2010, n° 09-14.053, FS-P+B (N° Lexbase : A0969E3B), Bull. civ. III, n° 206.
(12) Cass. civ. 3, 2 juin 2016, n° 15-17.833, FS-D (N° Lexbase : A8597RRT).
(13) Cass. civ. 3, 17 novembre 2010, n° 19.17.297, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5814GKK), Bull. civ. III, n° 206.
(14) Cass. civ. 3, 25 mai 2011, n° 10-14.641, FS-P+B (N° Lexbase : A8767HSI), Bull. civ. III, n° 85
(15) Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-26.339, FS-D (N° Lexbase : A1783Q78).
(16) Cass. civ. 3, 7 avril 2016, n° 15-13.064, FS-P+B (N° Lexbase : A1565RCX).

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