Lecture: 6 min
N3660BWH
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 08 Juillet 2016
Vous allez me dire que je suis un récidiviste ; en ce que je commets perpétuellement le même éditorial à intervalle régulier, comme d'autres publient le même roman tous les ans, qui sur l'appréhension de la mort (d'Ormesson) ou de l'amour (Lévy).
Moins anthropologique toutefois sera ma prose sur cette nouvelle question de la diversité des doctrines, ou plus précisément, de ses sources.
Soyons honnête, la question ne fut pas posée en ces termes en France, mais au Québec, qui le 26 octobre prochain, sous la présidence de Catherine Martel, Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l., organisera une conférence avec Edith Guilhermont de l'Université de Sherbrooke et Karim Renno, avocat-blogueur chez Renno Vathilakis Inc..
Le teasing -une gageure quand on évoque le Québec et que l'on francise le mot "blog"- est édifiant :
"Des monographies obsolètes dès leur publication. Des revues obscures auxquelles personne n'a accès. Des articles dont la révision s'éternise. Trop fixe, trop conservateur, trop lent. Certains crient au déclin de l'imprimé juridique. Pendant ce temps, la blogosphère juridique s'agite : ces commentaires, souvent produits en temps réel, sont-ils appelés à remplacer la doctrine traditionnelle ? Les formats sont multiples : certains proposent des commentaires étoffés, d'autres des capsules dont la brièveté est l'atout, d'autres encore, se présentent comme des répertoires. Timidement, quelques juges y prennent appui. Cette formation de l'ABC-Québec se veut une présentation de la blogosphère québécoise, tant au plan externe qu'interne".
Je ne sais pas à Montréal, mais en France, le déjeuner-causerie (sic) ferait certainement des remous. C'est la raison pour laquelle l'association Juriconnexion, chargée de promouvoir l'accès au droit, son intelligibilité, son opérationnalité, en fait, aujourd'hui la communication. Mais ce faisant, la question de la nature de la doctrine de demain et des nouveaux canaux de diffusion était, déjà, posée, il y a tout juste un an, par Vincent Canu, dans son éditorial de juin 2015 pour la Revue des Loyers et auquel nous avions répondu.
C'est dire que le positionnement de la doctrine, son renouvellement, la question de sa nature taraudent les juristes, professionnels comme universitaires.
C'est que l'on part de beaucoup plus loin. Observez la formulation de la question : il s'agit simplement de déterminer si les blogs, dans leurs formats, leur réactivité, leur liberté, constituent la doctrine de demain -ça c'est au Québec- ; quand je vous assure que la première interrogation en France est de savoir si un blog peut, d'abord, être considéré comme de la doctrine.
Dans son acceptation la plus large, la doctrine concerne tous les écrits consacrés aux questions juridiques autres que les jugements ; elle équivaudrait à la littérature juridique. Voilà pour la définition anglo-saxonne. Une définition plus restreinte, de droit continental en somme, tendrait à considérer que la doctrine ne concerne que le droit savant, qui émane généralement des professeurs et chercheurs des facultés de droit, par opposition aux ouvrages pratiques, qui émanent souvent des praticiens. On la retrouve sous différents formats : traités, monographies, articles dans des revues spécialisées, commentaires d'arrêts et essais.
Je bats ma coulpe : quand on pense que certains se demandent s'il y a une doctrine Lexbase alors que l'on publie des revues hebdomadaires, numérotées, référencées, depuis 18 ans, sous la plume de Christophe Radé, d'Etienne Vergès, de Deen Gibirila, de Pierre-Michel Le Corre, de Pierre Tifine, de Thibault Massart, de Christophe Willmann, de Pascal Lokiec, d'Adeline Gouttenoire, de Gaël Piette, de Christian Louit, de Frédéric Douet, de David Bakouche, d'Hervé Causse, de Gilles Auzéro, de Sébastien Tournaux, de Romain Ollard et j'en omets car la liste serait bien plus longue que vous ne le pensez... Alors un blog... tenu par un avocat... de la Doctrine ? Pensez-vous donc !
Et bien, si je m'inscris en faux sur l'analyse de nos cousins québécois, dans des monographies obsolètes dès leur publication, des revues obscures auxquelles personne n'a accès, des articles dont la révision s'éternise, des éditeurs trop fixes, trop conservateurs, trop lents, je conçois parfaitement que la doctrine s'enrichisse de diversités de fins, de styles, d'auteurs et de médias. Finalement, seule la qualité de l'interprétation prévaut si cette doctrine, publiée dans les revues savantes, sur internet ou sur les blogs, sert un même intérêt : comprendre l'ordre existant pour donner sens à sa vie et à son action, fut-elle contestatrice, comme le revendique Alain Supiot, dans son essai sur la fonction anthropologique du droit, Homo juridicus.
L'éminent Professeur écrit : "Mieux vaudrait revenir à ce qui a fait la grande singularité du Droit : non pas les croyances sur lesquelles l'Occident a prospéré, mais les ressources d'interprétation qu'il recèle. Comme n'importe quel autre système normatif, le Droit remplit une fonction d'interdit : il est une Parole qui s'impose à tous et s'interpose entre chaque homme et sa représentation du monde. Partout ailleurs, cette fonction anthropologique a été le lot des religions, qui, en conférant un sens commun à la vie humaine, ont jugulé le risque de voir chacun sombrer dans le délire individuel auquel nous expose l'accès au langage. [...] Le droit peut donc servir des fins diverses et changeantes, aussi bien dans l'histoire des systèmes politiques que dans celle des sciences et des techniques, mais il les sert en subordonnant le pouvoir et la technique à une raison humaine. Il est donc aussi faux de le réduire, comme on tend le faire aujourd'hui, à une "pure technique" vide de signification que de le rapporter, comme on le faisait hier, aux règles d'un supposé Droit naturel. Car, dans chaque cas, on manque l'essentiel, qui est la capacité du Droit de mettre à la raison les formes diverses d'exercice du pouvoir politique ou de la puissance technique".
S'il n'est pas "pure technique", alors pourquoi les seuls savants pourraient gloser dessus ? Je me souviens d'un mauvais procès fait par un Professeur émérite à Félix Rome, critiquant le fait que ces éditoriaux ne constituaient pas de la Doctrine juridique -ce à quoi l'éditorialiste(s) de Dalloz n'aspirait nullement au passage-. Et pourtant... L'analyse du droit, de la légistique, y est souvent incisive et pertinente... elle permet justement cette intelligibilité et cette mise en perspective qu'il manque parfois avec la "pure technique".
Vincent Canu faisait référence à un excellent article de Pierre J. Dalphond, juge à la Cour d'appel du Québec, écrit à partir d'une allocution prononcée le 31 mars 2008 à l'occasion de la Conférence annuelle de la Revue de droit de McGill. Ce dernier identifie clairement les défis de la doctrine, aujourd'hui : la prolifération des outils électroniques de recherche ; la disparition possible des traités et monographies sous format Livre ; le désir du praticien de trouver, toujours plus vite, la solution au cas en litige ; l'accélération des changements sociaux et la nécessité de modifications constantes aux normes légales qui en résulte ; le rôle de plus en plus restreint du Code civil dans les rapports sociaux ; la disparition d'une culture juridique ; le nouveau rôle du droit et, par voie de conséquence, du juge (la décision judiciaire risquant de devenir l'élaboration du compromis du jour).
Nous avions répondu, alors, par l'essor de la Doctrine pratique qui échappe à la doctrine traditionnelle et universitaire, non par ses auteurs, mais par les enjeux sociétaux et rétrospectifs qu'elle obère pour répondre à de simples questions : la loi ou la jurisprudence me permettent-elles d'agir ainsi ? Quel est le bon modus operandi ? Quel est le bon comportement juridique à adopter ? Autant de questions qui requièrent des réponses pragmatiques, parfois à la lisière du droit, des réponses d'applicabilité directe. Au final, la doctrine pratique laisse peu de place au questionnement sans réponse, en qualité de meilleur ennemi du vide juridique.
Le blog constitue un média comme un autre pour diffuser toutes les doctrines. Nombre de Professeurs tiennent des blogs, voire de grande qualité, surtout parmi les auteurs écrivant chez Lexbase. La question n'est donc pas le format, mais assurément la qualité de l'auteur et de son interprétation. Car l'on ne peut résolument pas laisser l'intelligibilité de la Parole à n'importe qui : l'enjeu sociétal est trop important. Le coupable n'est pas le porte-voix, mais celui qui tonne de la voix...
Quant à l'accès à cette doctrine ? C'est l'éternelle question de la gratuité de l'analyse contre la scientificité de la publication qu'il faut dépasser par les valeurs (immédiateté, personnalisation, interprétation, authenticité, accessibilité, incarnation, mécénat, trouvabilité) qui innerve les éditeurs juridiques. Cette gratuité, cette diversité de la doctrine, ne doivent pas, en revanche, confiner les éditeurs juridiques à la legal tech. La valeur ajoutée d'un éditeur juridique sera de combiner la doctrine de ses auteurs à l'algorithme du big data. Si la Doctrine migre entièrement vers les blogs, c'est cette combinaison qui s'étiolera ; pire le droit pourrait paradoxalement devenir une science exacte chez les éditeurs, quand il resterait une science humaine sur les blogs juridiques... Une fois encore, tout est une question de savant dosage entre l'offre doctrinale et les besoins documentaires des professionnels, d'abord, des sujets de droit, ensuite.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453660
Réf. : Cass. civ. 2, 30 juin 2016, n° 15-22.842, F-P+B (N° Lexbase : A2168RW9)
Lecture: 2 min
N3600BWA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 08 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453600
Réf. : Cass. crim., 7 juin 2016, n° 16-81.694, F-P+B (N° Lexbase : A7038RSH)
Lecture: 9 min
N3398BWR
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy
Le 07 Juillet 2016
Au début du mois de janvier 2016, le juge des libertés et de la détention a été saisi d'une demande de prolongation de la détention provisoire et a adressé une convocation au premier avocat en date du 18 janvier 2016 pour un débat contradictoire du 27 janvier suivant. La veille de ce débat, le premier avocat a indiqué au juge des libertés et de la détention qu'il n'intervenait plus au soutien des intérêts du mis en examen. Dont acte. Mais les choses se sont encore corsées lors de la tenue du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire ! Ainsi, le mis en examen a, évidemment, été extrait de la maison d'arrêt où il a été détenu. Son premier avocat n'est pas venu puisqu'il avait déposé mandat la veille... et c'est le second avocat qui s'est présenté pour défendre la remise en liberté de son client ! Le débat de prolongation de la détention provisoire étant public, cet avocat a pu entrer dans l'étroit cabinet du juge des libertés et de la détention, mais n'a pu prendre la parole... puisqu'il n'était pas régulièrement désigné ! A l'issue du débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention a prolongé le mandat de dépôt pour une durée de six mois et avant de reprendre le chemin de la maison d'arrêt, le mis en examen a fait un crochet -accompagné de son escorte- par le greffe du juge d'instruction où il a pu régulariser la constitution du second avocat. Ce dernier a donc pu interjeter appel de l'ordonnance du juge des libertés et de détention et faire valoir, devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, que le débat de prolongation de la détention provisoire était nul, faute pour le mis en examen d'avoir pu être assisté par le conseil de son choix. Toutefois, par un arrêt rendu en 9 février 2016, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en retenant que si le mis en examen n'avait pas été assisté lors du débat de prolongation, c'était pour deux raisons inhérentes au juge des libertés et de la détention : d'une part, le premier avocat avait déposé mandat la veille du débat et, d'autre part, le mis en examen avait omis de régulariser la désignation de son second avocat depuis la maison d'arrêt.
Le pourvoi en cassation est rejeté par la Chambre criminelle qui considère que la chambre de l'instruction a justifié sa décision dès lors que la seconde avocate "ne s'était pas fait régulièrement désigner par M. Y. avant le débat contradictoire préalable à une éventuelle prolongation de la détention provisoire de ce dernier, sans qu'il soit établi, ni même allégué, qu'elle en ait été empêchée pour une cause tenant au service de la justice, et dès lors, d'une part, que le demandeur ne peut utilement se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 115 du Code de procédure pénale, qui ne visent que la désignation intervenant au cours d'un interrogatoire ou d'une audition par le juge d'instruction, d'autre part, que le formalisme édicté par cet article pour les désignations d'avocat au cours de l'information, qui assure une juste conciliation entre le respect des droits de la défense et la bonne administration de la justice, n'est pas contraire aux articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme visés au moyen".
Au travers de cet imbroglio procédural, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise les modalités de désignation d'un nouvel avocat à l'approche d'un débat contradictoire de prolongation devant le juge des libertés et de la détention : il est impossible de désigner un nouvel avocat devant le juge des libertés et de la détention (I), de sorte que la régularisation du nouvel avocat doit nécessairement intervenir avant le débat (II).
I - Impossibilité de désigner le nouvel avocat pendant le débat contradictoire
L'apport de la décision commentée est simple : aucune nouvelle désignation d'avocat ne peut intervenir à l'occasion du débat devant le juge des libertés et de la détention. D'emblée, il convient de relever qu'aucune disposition du Code de procédure pénale ne tranche la question devant le juge des libertés et de la détention. En effet, les articles 145-1 (N° Lexbase : L4872K8X) et 145-2 (N° Lexbase : L3506AZU) du Code de procédure pénale précisent les formalités relatives au déroulement du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire, sans envisager l'hypothèse d'une nouvelle désignation au cours du débat sur la détention. C'est ainsi que le moyen du pourvoi invitait la Chambre criminelle de la Cour de cassation à appliquer, par analogie, les prescriptions de l'article 115 du Code de procédure pénale, relatives à la désignation du nouvel avocat devant le juge d'instruction.
Toutefois, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, totalement approuvée par la Cour de cassation, a refusé de procéder à cette lecture extensive du texte. Et, il faut bien le relever, l'article 115 du Code de procédure pénale était de sens bien trop étroit pour que cette interprétation analogique puisse prospérer. C'est ainsi qu'en son premier alinéa, le texte pose en guise de principe que "les parties peuvent à tout moment de l'information faire connaître au juge d'instruction le nom de l'avocat choisi par elles". C'est donc bien devant le juge d'instruction qu'il convient de faire connaître l'identité du nouvel avocat désigné pour assurer la défense du mis en examen. A contrario, la Chambre criminelle de la Cour de cassation en déduit que cette déclaration ne peut être faite devant le juge des libertés et de la détention. Aussi, et puisque le juge des libertés et de la détention n'est pas assimilé au juge d'instruction au regard des règles de désignation, le deuxième alinéa de l'article 115 du Code de procédure pénale n'est pas davantage applicable au moment du débat de prolongation de la détention provisoire. Ce texte prévoit que "sauf lorsqu'il s'agit de la première désignation d'un avocat par une partie ou lorsque la désignation intervient au cours d'un interrogatoire ou d'une audition, le choix effectué par les parties en application de l'alinéa précédent doit faire l'objet d'une déclaration au greffier du juge d'instruction". Certes, à première vue, ce texte offre un formalisme réduit : il suffit que le juge prenne acte de la désignation du nouvel avocat. Mais encore faut-il rappeler aussi que la désignation d'un nouvel avocat doit intervenir "au cours d'un interrogatoire ou d'une audition", ce qui renvoie nécessairement à la nomenclature des actes réalisés par le juge d'instruction, et non par le juge des libertés et de la détention. Il était donc impossible pour la personne mise en examen de régulariser la désignation d'un nouvel avocat à l'occasion du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention. Cette analyse textuelle présente évidemment un degré maximum de sécurité juridique dans la mesure où elle évite toute discussion "parasite" devant le juge des libertés et de la détention où l'attention de la justice se concentre donc sur la privation de liberté du mis en examen. Mais, il ne faudrait pas perdre de vue l'essentiel : le carcan tissé par les textes risquait peut-être de mettre à néant l'exercice des droits de la défense dans le cadre d'une information judiciaire de nature criminelle.
II - Nécessité de désigner le nouvel avocat avant le débat contradictoire
Les textes étaient donc particulièrement clairs et l'analogie, proposée par le moyen du pourvoi, vouée au rejet. Mais, aussi, devait-on être sensible au tableau -assez singulier- qu'offrait le débat contradictoire mené devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nancy.
Voilà une personne mise en examen et placée sous mandat de dépôt criminel depuis dix-huit mois, comparaissant sans l'assistance de son avocat initial (qui ne s'était pas déplacé puisqu'il avait prévenu la veille du débat qu'il déposait mandat), ni celle de son nouvel avocat (qui s'était déplacé au débat contradictoire mais n'avait pu prendre la parole...). N'y avait-il pas là une atteinte aux droits de la défense, consommée par la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) ? On sait par ailleurs que la Cour de cassation se montre très attentive à la présence de l'avocat lors du débat de prolongation de la détention provisoire. Ainsi, par un arrêt en date du 4 décembre 2007, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait considéré que "l'absence de convocation de l'avocat au débat contradictoire ayant empêché celui-ci d'assister le demandeur, portait nécessairement atteinte aux intérêts de celui-ci" (1). Outre la présomption de grief aux droits de la défense, le couperet de la Haute juridiction était dévastateur puisque la cassation avait été prononcée sans renvoi, le mis en examen étant remis en liberté d'office par la Chambre criminelle.
Malgré tout, le simple fait que le juge des libertés et de la détention refuse d'entendre le nouvel avocat ne suffisait pas à caractériser une atteinte aux droits de la défense. Et pour cause : le mis en examen n'avait pas été privé de l'assistance d'avocat en raison d'un dysfonctionnement du service public de la justice. Bien au contraire, le mis en examen se trouvait privé de tout conseil pour deux raisons indépendantes du fonctionnement du greffe du juge des libertés et de la détention. D'une part, son premier avocat avait déposé mandat et avait donc choisi de ne pas se présenter au débat de prolongation. Cette circonstance ne peut évidemment être mise à la charge du juge des libertés et de la détention, voire de son greffier. D'autre part, son nouvel avocat n'était pas régulièrement désigné. Et sur ce second point, la personne mise en examen ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même... Les termes de l'arrêt rappellent qu'au cours du mois de septembre 2015, le second avocat s'était bien présenté au greffe du juge d'instruction et avait déclaré être désigné par le mis en examen. Toutefois, cette désignation n'a jamais été confirmée dans les formes et délai prévus par l'article 115, alinéa 4, du Code de procédure pénale. Rappelons qu'aux termes de ce texte, un avocat peut, certes, adresser un courrier au greffe du juge d'instruction indiquant sa désignation, mais la personne mise en examen doit confirmer son choix dans les quinze jours par le biais d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. A défaut, la désignation est réputée caduque.
Reste qu'en définitive, la Chambre criminelle considère qu'il est impossible de régulariser la désignation d'un nouvel avocat à l'occasion du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention. Cet arrêt ne fixe peut-être pas le dernier état de la jurisprudence puisque l'attendu conclusif de l'arrêt commenté laisse une porte entre-ouverte. Il est relevé par la Cour de cassation que le second avocat ne s'était pas fait régulièrement désigner avant le débat contradictoire "sans qu'il soit établi, ni même allégué, qu'elle en ait été empêchée pour une cause tenant au service de la justice". En présence d'une "cause tenant au service de la justice", la régularité du débat contradictoire pourrait être compromise. A l'avenir, l'ingéniosité des plaideurs donnera, sans aucun doute, corps à cette notion...
(1) Cass. crim., 4 décembre 2007, n° 07-86.794, F-P+F (N° Lexbase : A2911D39), Bull. crim., n° 297.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453398
Réf. : Décret n° 2016-884 du 29 juin 2016, relatif à la partie réglementaire du Code de la consommation (N° Lexbase : L0525K9C)
Lecture: 2 min
N3526BWI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453526
Réf. : CE 2° et 7° ch-r.., 30 juin 2016, n° 393805, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9991RUL)
Lecture: 1 min
N3632BWG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 08 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453632
Réf. : TGI Nanterre, 6ème ch., 26 juin 2015, n° 11/07236 (N° Lexbase : A0523NMC) ; TGI Paris, 9ème ch., 10 novembre 2015, n° 13/04996 N° Lexbase : A3508N3C) ; TGI Paris, 9ème ch., 7 janvier 2016, n° 12/15120 (N° Lexbase : A2927PKM)
Lecture: 18 min
N3537BWW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Lorraine
Le 07 Juillet 2016
Les administrations publiques locales (APUL) (2) ont dégagé en 2015 un solde de 700 millions d'euros après un déficit de 8,5 milliards d'euros en 2014. Malgré cet excédent, elles présentent un endettement s'élevant, en 2014, à 9,3 % et, en 2015, à 9,4 % de la dette publique (soit 189,5 milliards d'euros en 2014 et 196,5 milliards d'euros en 2015). Ces emprunts locaux ne peuvent financer que des investissements (3). 70 % des investissements publics en France sont d'ailleurs réalisés par les APUL (4). Avant la décentralisation de 1982, les emprunts devaient être préalablement autorisés par le préfet. Aujourd'hui, ils ne sont soumis qu'à une obligation de transmission (5).
Traditionnellement, les collectivités locales empruntent auprès d'un nombre restreint de banques. Il s'agissait essentiellement de la Caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales (CAECL) créée en 1966, rebaptisée Crédit local de France en 1987, puis entièrement privatisée depuis 1993 et portant le nom de Dexia Crédit local depuis 1997 en raison de son rapprochement avec son homologue belge. On comptait auparavant la Caisse des dépôts et consignation (CDC) (6), dont émanait la CAECL, et la Caisse d'épargne (intervenant sur le marché de l'emprunt local par le biais de Natixis depuis 2004 et son rapprochement avec la Banque populaire). La libéralisation des marchés financiers a, depuis les années 80, ouvert à la concurrence les prêts aux collectivités locales (7).
Les emprunts structurés se distinguent des emprunts traditionnels (à taux fixe comme variable) en raison des options qu'ils contiennent et des réductions de taux en cas d'évolution favorable de la conjoncture économique qu'ils permettent. La vente des options (qui sont en fait des produits financiers) était censée réduire les annuités. La crise immobilière puis bancaire, américaine puis internationale de 2008 a, au contraire, conduit à une augmentation exponentielle des taux d'intérêt, rendant ces emprunts toxiques pour le budget de la collectivité concernée. La crise des emprunts toxiques s'explique par le manque de déontologie des banques, de prudence des élus et de contrôles de l'Etat. Les exécutifs locaux, habitués à des taux préférentiels et peu méfiants envers des banques souvent proches de l'Etat, cherchaient à profiter de la baisse des taux intervenus dans les années 90 et au début des années 2000. Les banques, de leur côté, entendaient reconstituer leurs marges (réduites par la baisse des taux) en développant des prêts structurés. Même les Chambres régionales des comptes n'ont pu, dans un premier temps, détecter les dangers les caractérisant.
D'après la Cour des comptes, Dexia est responsable des deux-tiers des créances toxiques du secteur public local français (8). La banque a accordé pour 11,2 milliards d'euros de prêts structurés (encours au 31 décembre 2012), à raison de 20 % par DCL (Dexia crédit local) et de 80 % par DMA (Dexia municipal agency, aujourd'hui appelée Caffil, Caisse française de financement local). Les créances toxiques de Dexia ont obligé les Etats français, belges et luxembourgeois en 2008, lors de la crise financière mondiale, puis en 2011, lors de la crise de l'euro, à organiser son sauvetage. La crise de 2008, dite des "subprimes", était une crise des liquidités. Les banques ne pouvaient plus se refinancer à cause du manque de confiance régnant entre elles après la faillite de certaines d'entre elles. Ce refus des banques de prêter de l'argent à d'autres banques a obligé les Etats à injecter de l'argent public, creusant par là même les déficits publics. La crise de l'euro de 2011, quant à elle, trouve son origine dans le doute des investisseurs face à la capacité de certains Etats de la zone euro de rembourser leurs dettes souveraines, agravées par la crise de 2008. Cette anticipation négative a entraîné une envolée des taux d'emprunt, rendant plus difficile leur refinancement et menaçant de les conduire au défaut souverain.
Le second sauvetage a conduit à la mise en résolution de Dexia : elle doit vendre ses actifs sans en acquérir de nouveaux en vue de son extinction (9). Cette gestion extinctive a été autorisée par la Commission européenne dans le cadre d'un PRO (plan de résolution ordonné) (10). Un expert indépendant surveille pour le compte de la Commission son bon déroulement. La SFIL (Société de financement local) est l'établissement de crédit créé en vue de désensibiliser les emprunts toxiques vendus par Dexia aux collectivités locales. La désensibilisation est la réduction de l'encours des dettes à risque des collectivités locales. Elle peut prendre des formes différentes, comme le plafonnement des taux d'intérêt ou la diminution de la durée structurée. La SFIL est détenue à 75 % par l'Etat, la CDC en possédant 20 % et la Banque postale 5 %. La SFIL contrôle à 100 % la Caffil tandis que Dexia SA détient entièrement DCL. Entre 2013 et 2015, DCL a désensibilisé la moitié de ses emprunts toxiques et la SFIL, le quart (11). En juin 2015, DCL possède encore 1,05 milliards de prêts toxiques et la SFIL, 5,8 (12).
Le jugement n° 11/03778 du TGI de Nanterre du 8 février 2013 (N° Lexbase : A6629I7N) dans l'affaire "Seine Saint Denis contre Dexia" a fait prévaloir le taux légal (0,04 %) par rapport au taux stipulé en raison de l'absence du TEG (taux effectif global) dans le fax de confirmation du contrat. Cette application du taux légal à la place du taux stipulé dans les emprunts structurés est une jurisprudence constante et ancienne. Dans la même veine, le TGI de Paris, dans son jugement n° 11/04698, avait aussi ramené le 25 mars 2014 au taux légal un emprunt toxique contracté par la Seine Saint Denis auprès de la banque Depfa (Deutsche Pfandbriefbank) en raison de l'absence de TEG (13).
Cette jurisprudence était porteuse de conséquences désastreuses pour les banques des collectivités locales, au premier rang desquelles figuraient Dexia et aujourd'hui la SFIL, et donc aussi l'Etat et le contribuable.
La loi n° 2014-844 de validation du 29 juillet 2014, relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par des personnes morales de droit public (N° Lexbase : L8472I38), a été reconnue conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014 (N° Lexbase : A6670MUL). Une première mouture de ce dispositif avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, relative à la loi de finances pour 2014 (N° Lexbase : A9152KSR), en raison de son extension considérée à juste titre trop large. Conformément à une recommandation de la Cour des comptes (14), cette loi du 29 juillet 2014 légalise rétrospectivement l'absence de TEG lors de la vente de prêts structurés. Cette loi rétroactive est destinée à éviter l'application du taux légal à la place du taux stipulé dans les produits structurés.
Le Fonds de soutien aux collectivités locales possédant des emprunts toxiques a été institué par l'article 92 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances initiale pour 2014 (N° Lexbase : L7405IYW), et l'article 111 de la loi "NOTRe" (loi n° 2015-991 du 7 août 2015 N° Lexbase : L1379KG8) . Depuis la loi "NOTRe", le Fonds de soutien peut prendre en charge les indemnités de remboursement anticipé jusqu'à 75 % et non plus 45 % comme auparavant (16). La loi de finances initiale pour 2016 (loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 N° Lexbase : L2719KWM), quant à elle, a doublé le montant du Fonds de soutien aux collectivités locales possédant des emprunts structurés afin de faire face à l'appréciation du franc suisse par rapport à l'euro dont l'envolée renchérissait davantage les taux d'intérêt des emprunts toxiques (17)...
La doctrine d'emploi du Fonds de soutien aux personnes publiques ayant souscrit des emprunts à risque, décidée par le CNOS (18) en 2013, a été précisée par le décret n° 2014-444 du 29 avril 2014 (N° Lexbase : L0916I3C) et son arrêté d'application du 22 juillet 2015 (N° Lexbase : L2629KDQ). Elle décrit les modalités d'intervention du Fonds de soutien aux organismes locaux vicitimes d'emprunts structurés et définit les contrats pouvant bénéficier des aides du Fonds de soutien (19).
Comme les collectivités n'avaient que jusqu'au 30 avril 2015 pour déposer une demande au Fonds de soutien et que l'acceptation de son aide empêche la poursuite des contentieux juridictionnels, les élus locaux ont dû décider en quelques mois s'ils préféraient la voie contentieuse ou l'aide du Fonds. Les tribunaux compétents ont alors interrompu les procédures jusqu'au printemps 2016 afin de laisser aux collectivités la possibilité de retirer leurs assignations. La création du Fonds de soutien a eu pour conséquence de réduire le nombre de contentieux à une centaine de procédures devant les tribunaux.
Le CNOS du 26 mai 2016 a établi que les 676 collectivités ou établissements locaux ayant déposé un dossier au Fonds de soutien ont reçu une proposition d'aide du Fonds. 1163 prêts sont concernés. Dans 61 % des cas, la collectivité locale ou l'établissement public a répondu. 90 % des réponses (représentant plus de 97 % des aides) sont positives. En somme, les accords ne concernent pour l'instant qu'un peu plus de la moitié des demandes.
L'aide du Fonds de soutien est en effet destinée à prendre en charge partiellement des IRA (indemnités de remboursement anticipé) auxquelles donnent lieu l'accord de sortie de l'endettement toxique négocié entre la collectivité et la banque. L'accord le plus important pour le moment concerne la Métropole de Lyon et le nouveau Rhône qui se sont défaits de la dette toxique du département du Rhône. La SFIL a exigé 424 millions d'euros d'IRA, 225 millions étant pris en charge par le Fonds de soutien, alors que le capital restant dû était de 217 millions d'euros.
Les collectivités doivent de surcroît rembourser les aides du Fonds. Pour cela, il leur faut s'endetter davantage. Paradoxalement, les collectivités les plus faibles financièrement peuvent ainsi être tentées de préférer le recours contentieux à l'aide du Fonds.
Les auditions du président du Conseil d'administration ainsi que du président du Comité directeur de Dexia (le 13 janvier 2016) puis du PDG de la SFIL (le 27 janvier 2016) par la Commission des finances de l'Assemblée nationale ont montré que la sortie des emprunts toxiques, loin de les faire disparaître, transfère leur risque sur l'Etat (20). Les emprunts repris, en effet, ne sont pas soldés mais seulement "confinés" (21).
De la même manière, le rapport public annuel de la Cour des comptes critique en 2016 les risques pour l'Etat et les contribuables que font courir les désensibilisations menées par la SFIL et DCL ainsi que l'extinction de Dexia. D'une part, une remontée des taux d'intérêt, aujourd'hui historiquement bas, d'autre part, l'augmentation des garanties nécessaires pour couvrir les ventes d'actif pourraient peser sur les finances publiques et entraîner des pertes de plusieurs milliards pour l'Etat (22).
D'autres instruments sont venus protégés dans l'avenir les collectivités locales face aux emprunts risqués. Tout d'abord, la Charte "Gissler" de 2009 est une charte de bonne conduite dans laquelle associations d'élus et établissements bancaires s'engagent à respecter certains principes afin d'éviter la souscription d'emprunts toxiques. Elle est annexée à la circulaire du 25 juin 2010, relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (N° Lexbase : L1609IRZ).
Ensuite, le nouvel article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2580KGN), introduit par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires (N° Lexbase : L9336IX3), réduit le risque de taux. Il prévoit, d'une part, l'obligation de respecter des valeurs maximales fixées par des indices définis par un décret en Conseil d'Etat (23). Il impose, d'autre part, la conclusion d'un contrat d'échange de devises si l'emprunt est souscrit dans une monnaie étrangère.
Par ailleurs, cette même loi a créé l'Agence France local comptant 11 collectivités au départ et aujourd'hui 91 (24). L'Agence France locale (AFL) a été mise en place le 22 octobre 2013 (25) afin de financer les collectivités locales. Elle se compose de deux entités juridiquement distinctes : d'une part, l'AFL société territoriale, qui a une fonction d'orientation et, d'autre part, l'AFL société financière, qui a une fonction opérationnelle. Elle mutualise depuis mars 2015 les emprunts de ses adhérents sur le marché obligataire.
La loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (N° Lexbase : L3048IZW), dite loi "MAPTAM" rend en outre obligatoire un débat annuel sur la dette au sein de l'organe délibérant et fait expirer les délégations de l'exécutif en matière d'emprunt avec le début de la campagne électorale renouvelant l'organe délibérant dont il dépend.
Peut-être que la création prochaine d'une loi annuelle de financement des collectivités locales, de plus en plus débatue dans les revues et par les praticiens, permettrait de compléter l'arsenal présenté et de plafonner plus sûrement l'endettement local.
Notons enfin que, si les collectivités locales doivent procéder à une couteuse procédure de publicité et de mise en concurrence pour les marchés de biens et de services de quelques dizaines de milliers d'euros, les contrats d'emprunt qui représentent souvent des sommes bien plus conséquentes sont conclus de gré à gré (26). La conclusion de contrats d'emprunt doit cependant respecter dans tous les cas les principes généraux de transparence et de non discrimination inscrits dans les Traités européens.
Saint-Cast-le-Guildo est une commune de 3 500 habitants située dans les Côtes d'Armor. La commune conteste devant les tribunaux un prêt conclu avec DCL. L'écart entre les cours du franc suisse et de l'euro servant de base pour déterminer le taux d'intérêt applicable dans la phase structurée du remboursement, le montant des intérêts dus a explosé. En tant que première application de la loi de validation relative au TEG, cette jurisprudence, rendue après l'expiration du délai de candidature pour l'aide du Fonds de soutien, inaugure une ère nouvelle dans le contentieux des emprunts structurés.
Le juge de première instance a refusé d'admettre la nullité du contrat de prêt. Il a rejeté le dol avancé par la commune. En effet, les conditions du dol ne sont pas réunies. D'une part, il aurait fallu que la tromperie joue un rôle déterminant dans la volonté de s'engager de la victime, ce qui n'est pas évident ici. D'autre part, il est difficile de parler de manoeuvres de la banque destinées à tromper son client puisque, ni la crise de 2008, ni la détérioration de la parité entre l'euro et le franc suisse n'étaient prévisibles. La commune devra donc continuer à rembourser l'emprunt jusqu'en 2035. Ce jugement ne concernant que la période allant jusqu'en 2014, le litige relatif aux taux d'intérêt trop élevés entre 2014 et 2035 n'est toujours pas réglé. L'autre solution pour la commune consisterait à sortir du contrat en payant à la banque des IRA. Le TGI a reconnu la légalité des IRA mais ne se prononce cependant pas sur leur caractère excessif. En effet, il faudrait pour cela que le préjudice soit actuel pour la commune, ce qui n'est pas encore le cas en l'absence de sortie du contrat. Il s'agit peut-être là d'un moyen qui pourrait dans l'avenir prospérer puisque les IRA représentent 138 % du capital dû restant, ce qui représente plus de 4 millions d'euros à ajouter au 3,4 millions restant à rembourser...
Le tribunal reconnaît en revanche que Saint-Cast-le-Guildo est un emprunteur non averti. En effet, les agents municipaux ne présentaient pas une compétence financière approfondie, d'une part, et, d'autre part, la commune n'était pas grandement aguerrie dans le maniement des emprunts structurés les plus complexes. La reconnaissance du caractère d'emprunteur non averti ne va pas de soi pour les collectivités locales. La Seine-Saint-Denis, en raison du profil de ses agents et de son expérience dans le domaine des emprunts structurés, s'était par exemple vu refuser ce qualificatif dans le jugement du TGI de Nanterre du 8 février 2013. Etre un partenaire non averti entraîne une protection particulière de la commune lorsqu'elle risque de s'endetter au-delà de ses possibilités de remboursement. Cela est d'autant plus le cas lorsque l'emprunt proposé se caractérise par sa complexité. Au-delà de son devoir normal d'information, pesait donc sur la banque un devoir renforcé d'information. Vu que le taux d'intérêt initial de 2007, qui s'élevait à 3,99 %, a dépassé les 15 % à partir de 2011, DCL aurait dû mettre en garde son cocontractant, et ce d'autant plus que la volatilité du taux d'intérêt ne connaît aucun plafonnement contractuel (ou "cap"). La banque aurait dû détailler les différents scenarii possibles d'évolution de la conjoncture et les risques afférents à chacun d'eux pour son client. En revanche, le juge ne reconnaît aucun devoir de conseil allant au-delà du devoir de mise en garde. Un tel devoir de conseil aurait conduit la banque à exprimer sa propre opinion pour aider son client à prendre sa décision.
Le manquement de DCL à ses obligations de mise en garde constitue pour la commune une perte de chance actuelle et certaine de ne pas contracter que le juge fixe à 50 %. DCL et Caffil doivent ainsi solidairement rembourser à la commune, pour la période structurée qui a débuté en 2010, la moitié des intérêts payés au-dessus du taux s'appliquant avant celle-ci, soit 826 260 d'euros. La commune doit cependant verser à Caffil 1,5 million d'euros pour intérêts dus entre 2012 et 2014 et intérêts de retard.
Le maire a interjeté appel. Devant la cour d'appel de Versailles, il vise la nullité du contrat pourtant refusée en première instance. Il se dit prêt à aller jusque devant les juges européens. La loi de validation autorisant rétroactivement l'absence de TEG dans les contrats de prêt toxique est en effet peut-être contraire à la jurisprudence de la CEDH. Il est possible qu'elle ne poursuive aucun intérêt général légitime. D'une part, cette validation législative dégrade la situation des finances locales. D'autre part, l'Etat se comporte ici de façon partiale en visant son intérêt financier en tant qu'actionnaire de la banque.
La Seine Saint Denis a contracté auprès de Depfa un prêt de 200 millions d'euros le 16 novembre 2001, dont le remboursement s'étale jusqu'au 15 novembre 2017. Le département a par la suite signé un swap de taux s'élevant à 15 millions d'euros avec Natixis le 28 septembre 2006. Un swap est un échange de taux d'intérêt destiné à sécuriser des taux d'emprunts antérieurs en contrepartie d'une nouvelle détermination des taux applicables. Ce swap a lui-même été "contre-swapé" auprès de Depfa le 3 mai 2007. Devant l'envolée des taux du swap, la Seine-Saint-Denis a assigné Natixis le 28 mars 2013 afin de faire annuler le contrat par le TGI de Paris.
Le caractère spéculatif du swap, avancé par la Seine Saint Denis, signifierait que le contrat ne poursuit aucun intérêt général local et serait donc illégal parce qu'incompétemment conclu. Le juge ne reconnaît pas ce caractère spéculatif, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, le swap ici critiqué se borne à couvrir le risque d'un emprunt sous-jacent. Il n'excède pas la couverture de l'emprunt avec Depfa. Son appartenance à la famille des contrats aléatoires ainsi que sa nature d'instrument financier (C. mon. fin., art. L. 211-1 N° Lexbase : L9870DY9 alors en vigueur) ne suffisent pas pour octroyer au swap un caractère spéculatif. Le jugement note même que le swap aurait pu être avantageux pour le département sans la crise financière, que la banque ne pouvait naturellement pas prévoir.
Ensuite, la circulaire du 15 septembre 1992, relative aux contrats de couverture du risque de taux d'intérêt offerts aux collectivités locales et aux établissements publics locaux (N° Lexbase : L1586K9M) (qu'elle reprend du Conseil national de la comptabilité), ne peut être utilement invoquée pour démontrer le caractère spéculatif du swap litigieux. En effet, en tant que circulaire, ce texte ne possède qu'une valeur interprétative et non normative. Il ne peut donc ajouter à la loi, qui, à l'époque des faits, ne limitait pas la liberté contractuelle des collectivités locales en matière d'emprunts. Pour cela, il faudra en effet attendre la loi de 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ainsi que le décret de 2014 la précisant sur ce point.
Les moyens tendant à montrer le vice du consentement ne vont pas plus prospérer. Le juge prend soin d'expliquer que les exigeantes conditions permettant d'identifier une erreur ou un dol ne doivent pas être confondues avec un éventuel défaut d'information.
En revanche, le jugement confirme que la Seine-Saint-Denis est un opérateur averti. La juridiction estime que la riche expérience du département dans le domaine des swaps suffit pour s'en persuader. Le juge ne prend pas la peine de vérifier précisément la qualification des agents départementaux, ni les structures variées des swaps conclus. Ces deux derniers éléments semblent sous-entendus par le nombre important de contrats d'échange de taux gérés par le département. Ce raisonnement est à rapprocher du jugement du TGI de Paris du 29 janvier 2015 (TGI Paris, 9ème ch., n° 11/09601 N° Lexbase : A4938NEM). Le faible nombre de produits structurés souscrits impliquait de s'attarder sur les divergences entre ces produits afin de concrètement se prononcer sur le caractère d'opérateur non averti du syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains. L'absence d'agents spécialisés avait alors achevé de convaincre du caractère d'opérateur non averti du syndicat intercommunal.
La Seine-Saint-Denis étant donc un opérateur averti, seule une obligation d'information pesait sur le banquier. Aucune obligation de mise en garde ne venait renforcer cette obligation d'information. En ce qui concerne l'obligation de conseil, elle ne pourrait découler que des termes du contrats. Le silence du swap à son sujet est donc suffisant pour en dispenser Natixis en l'espèce.
L'obligation d'information signifie que la banque a satisfait à ses obligations si elle a informé son cocontractant des risques de variation "des taux d'intérêt, des parités de change, des cours des actions et des indices boursiers". Comme c'est le cas dans cette affaire, le TGI déboute logiquement la Seine-Saint-Denis. Le Département doit exécuter le swap jusqu'à son terme et dédommager la banque pour l'interruption du paiement des intérêts dus.
Le litige tranché par le TGI de Paris dans son jugement du 7 janvier 2016 entre la commune de Laval et la banque Depfa a aussi pour objet un contrat de swap. Le taux d'intérêt applicable a été indexé sur l'évolution de l'écart entre l'euro et le franc suisse dans la phase structurée du remboursement. Signé en 2007, le prêt a vu sa phase structurée débuter en 2010.
En premier lieu, la banque aurait dû informer son client des risques liés au caractère potentiellement illimité de l'augmentation des taux d'intérêt contractuellement applicables. La prestation de la banque constitue en effet un service d'investissement (C. mon. fin., art. L. 533-4 N° Lexbase : L3078HZZ alors en vigueur). En l'absence de plafonnement, le contrat présente un risque d'augmentation illimitée du taux d'intérêt applicable compromettant le remboursement par la commune.
En second lieu, le TGI reconnaît que la commune de Laval est un emprunteur non averti bien qu'elle dépasse les 50 000 habitants. Elle n'avait en effet jamais conclu de swap auparavant et son expérience en matière de produits structurés était limitée à trois contrats. Il en découle que non seulement une obligation d'information, mais aussi une obligation de mise en garde pesaient sur la banque. Même si la crise financière était difficilement prévisible, la banque aurait dû avertir son client des risques auxquels il s'exposait en s'engageant.
Là encore, le juge observe en l'espèce qu'aucune obligation de conseil ne découle du contrat contesté. Il ne la retient donc pas.
La violation par la banque de ses obligations précontractuelles d'information ne peut toutefois pas entraîner l'annulation du contrat. Le TGI a en effet rejeté les arguments de la commune censés fonder l'annulation du contrat.
Tout d'abord, les éventuels vices du consentement n'ont pu être examinés en raison de leur prescription par cinq ans. Comme la computation du délai de prescription débute avec la signature du contrat le 30 novembre 2006, l'assignation, en date du 16 décembre 2012, a eu lieu hors délai. Le juge n'a donc pas pu se prononcer sur le dol et l'erreur invoqués.
Ensuite, l'incompétence du représentant de la commune n'a pas pu non plus être établie puisque la délégation du conseil municipal mentionne le swap critiqué et que ce contrat poursuit un intérêt général local (alléger le remboursement d'un emprunt antérieur finançant des investissements communaux).
Enfin, la nature spéculative du contrat n'a pas pu non plus être établie. D'une part, le but visé par la commune était de couvrir les risques liés à un emprunt précédent en tentant d'en réduire le taux d'intérêt. Il y aurait spéculation si la commune avait recherché un avantage financier au-delà de l'encours de l'emprunt, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. D'autre part, les limitations à la liberté de s'endetter des collectivités locales et de gérer activement leur dette (i.e. : le décret cité du 28 août 2014) ne sont entrées en vigueur que le 1er octobre 2014.
La victime n'a donc droit qu'à des dommages-intérêts destinés à réparer la chance perdue de ne pas contracter. Le contrat devra être exécuté jusqu'à son terme. Le taux d'intérêt applicable s'est pourtant très fortement dégradé avec l'entrée dans la période structurée de l'emprunt en s'envolant de 4 % à plus de 43,83 % au 23 janvier 2015 ! La voie de la sortie du contrat avec paiement d'IRA est tout aussi peu attractive puisque celles-ci s'élèvent à la même date à 33,4 millions d'euros.
Le juge renvoie alors à une médiation judiciaire la fixation du préjudice et du dédommagement.
(1) Notre prochaine chronique portera sur la création annoncée des lois annuelles de financement des collectivités locales.
(2) Les administrations publiques locales englobent, pour simplifier, les collectivités locales, leurs groupements et leurs établissements publics ainsi que les organismes consulaires (chambre d'agriculture, chambre des métiers...) et les SAFER.
(3) L'amortissement du capital emprunté doit être inscrit en section d'investissement et ne peut être abondé que par des ressources définitives (de fonctionnement ou d'investissement). Les intérêts et les frais financiers annexes sont, en revanche, comptabilisés en section de fonctionnement.
(4) Observatoire des finances locales, rapport du 16 juillet 2015, p. 6.
(5) En raison de leur nature de contrat de droit privé, un éventuel contrôle a posteriori de légalité par le juge administratif ne pourrait de toute façon porter que sur l'approbation de l'organe délibérant, voire la signature de l'exécutif local en cas de délégation (la subdélégation n'étant possible qu'au niveau communal) de l'organe délibérant. La gestion active de la dette peut aussi faire l'objet d'une délégation à l'exécutif local depuis 2002.
(6) Créée en 1816, la CDC va commencer à financer les investissements des collectivités locales dès 1821 et plus largement à partir de 1837, date à partir de laquelle elle peut utiliser les fonds collectés par la Caisse d'épargne.
(7) Depuis la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 (N° Lexbase : L5412ASA), l'autorisation préalable a même été supprimée pour les émissions obligataires à l'étranger. L'article L. 1611-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8438AAR), soumettant à autorisation les emprunts auprès du public, ne semble plus utilisé aujourd'hui.
(8) Cour des comptes, Rapport public annuel, 2016, p. 450.
(9) L'Etat français cherche prioritairement à céder les actifs de Dexia tandis que la Banque de France tend principalement à protéger l'eurosystème, c'est à dire la stabilité de la zone euro.
(10) En tant que banque de taille sensible, Dexia est soumise aux tests et contrôles mis en place par l'Union bancaire. Comme Dexia ne vend plus de prêts et donc n'acquiert pas d'actifs nouveaux, la BCE n'exige cependant pas un respect aussi rigoureux des conditions auxquelles les autres banques sont soumises.
(11) DCL vise surtout à limiter les risques contentieux tandis que la SFIL (sous l'impulsion de son principal actionnaire : l'APE, l'agence des participations de l'Etat) s'emploie en premier lieu à limiter les pertes pour l'Etat.
(12) Cour des comptes, Rapport sur les finances publiques locales, 2015, p. 180. L'article 32 III de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires, prévoit que le Gouvernement remette au Parlement chaque année un rapport sur les emprunts structurés des collectivités locales. Cette disposition est pour l'instant restée inappliquée alors que la circulaire du 22 mars 2012 (N° Lexbase : L1587K9N) met en place un suivi départemental de la dette des collectivités locales dont les résultats pourraient être centralisés.
(13) Le jugement du TGI de Nanterre du 7 mars 2014 (TGI Nanterre, 6ème ch., 7 mars 2014, n° 12/06737 N° Lexbase : A5037MGN) annule même un prêt toxique de dix millions d'euros indexé en partie sur le franc suisse, malgré la présence du TEG, en raison de l'absence d'indication sur son mode de calcul. Là encore, le taux légal d'intérêt s'est appliqué au prêt.
(14) Cour des comptes, Dexia : un sinistre coûteux, des risques persistants, juillet 2013, p. 190.
(15) Le premier Fonds de soutien de 50 millions d'euros créé par la troisième loi de finances rectificative pour 2012 du 29 décembre 2012 s'est révélé insuffisant. Il est passé à 1,5 milliards d'euros sur 10 ans en 2013.
(16) Il est en partie financé par la taxe au profit du Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits structurés dits "emprunts toxiques". Les établissements de crédit en sont les principaux assujettis.
(17) Il est à présent doté de 200 millions d'euros sur 15 ans, soit 3 milliards d'euros.
(18) Le Comité national d'orientation et de suivi, en charge du pilotage du Fonds, associe l'administration, le Parlement, les collectivités locales et des personnalités qualifiées.
(19) Le décret n° 2014-810 du 16 juillet 2014 (N° Lexbase : L7945I3N) institue un service à compétence nationale dénommé "service du pilotage du dispositif de sortie des emprunts à risque".
(20) Les comptes rendus des auditions sont disponibles sur le site de l'Assemblée nationale.
(21) Interview de V. Rabault (Rapporteur général du buget à la Commission des finances de l'Assemblée Nationale) à la Gazette des communes, 11 février 2016.
(22) Cour des comptes, Rapport public annuel, op. cit., p. 447, sq..
(23) Décret n° 2014-984 du 28 août 2014 (N° Lexbase : L1451I4I).
(24) L'Agence de notation Moody's a attribué à l'AFL une note fort convenable de "Aa2", mais assortie d'une perspective négative.
(25) CGCT, art. L. 1611-3-2 (N° Lexbase : L8297KGE).
(26) Malgré la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE, 23 février 2005, n° 264712 N° Lexbase : A7529DGX) et la position de la Commission européenne sous l'empire de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative aux passations de marchés publics (N° Lexbase : L1896DYU), les contrats d'emprunt sont exclus des procédures de passation de marché public. Aujourd'hui, l'article 14-8 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics (N° Lexbase : L9077KBS), transposant la Directive (CE) 2014/24 du 26 février 2014, sur la passation de marchés publics (N° Lexbase : L8592IZA), reprend cette disposition.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453537
Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 8 juin 2016, n° 383259, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2407RSX)
Lecture: 8 min
N3597BW7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christian Louit, Professeur agrégé des Facultés de droit et Avocat
Le 07 Juillet 2016
Sont modifiés en vertu de la loi l'article 39 duodecies (N° Lexbase : L3833KWU), ainsi que l'article 145 du CGI (N° Lexbase : L3836KWY), interdisant un régime de faveur à des sociétés établies dans un Etat ou territoire non coopératif.
L'article 39 duodecies, 2, c dispose que "le régime des plus-values à court terme s'applique à l'occasion de la cession de titres de sociétés établies dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238 A (N° Lexbase : L3230IGQ)". Il exclut donc, quel que soit le caractère de la plus-value, le régime plus favorable des plus-values à long terme.
En vertu du même article 22 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009, et de la même façon, de l'article 145-6, i, "le régime fiscal des sociétés-mères n'est pas applicable [...] aux produits des titres d'une société établie dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A (N° Lexbase : L3333IGK)".
Ces dispositions s'inscrivent dans le cadre d'une lutte renforcée contre les paradis fiscaux et l'évasion fiscale internationale. Rappelons que les Etats et territoires non coopératifs, notion introduite dans le droit français par cet article 22, codifiée à l'article 238-0 A du CGI, correspondent à "des entités politiques qui ne respectent pas les standards internationaux d'échanges d'informations en matière fiscale" (François Marc, rapporteur pour avis de la Commission des finances du Sénat, avis n° 730, p. 124).
Cette liste est mise à jour chaque année par arrêté des ministres chargés de l'Economie et du Eudget, après avis du ministre des Affaires étrangères. Elle comprenait début 2014 les Etats et territoires suivants : Botswana, Brunei, Guatemala, Iles Marshall, Iles vierges Britanniques, Montserrat, Nauru et Niue, les Bermudes et Jersey en ayant été retirés en 2014.
Le scénario de la pièce dont nous sommes spectateurs a été le suivant : saisine du Conseil d'Etat pour irrégularité de la doctrine administrative parce qu'elle se bornait à reprendre le texte de loi (on lui reproche en règle générale, par le moyen d'un recours pour excès de pouvoir, d'ajouter à la loi).
Or en matière fiscale, la compétence législative est exclusive, d'où l'intervention d'une QPC (1) (I). Intervient alors une décision du Conseil constitutionnel en réponse à cette QPC (II). Puis enfin l'annulation par l'arrêt ici commenté des dispositions contestées du BoFip (III).
I - L'arrêt du Conseil d'Etat du 20 octobre 2014, acte I (CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2014, n° 383259, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7126MYL)
L'Association française des entreprises privées (AFEP) et six grandes sociétés françaises ont, dans un premier temps, formé un recours pour excès de pouvoir assorti d'une QPC à l'encontre des paragraphes 420 à 510 et 650 à 680 des commentaires administratifs publiés au BoFip (BOI-INT-DG-20-50-20140211 N° Lexbase : X5852ALC).
Le recours pour excès de pouvoir est celui par lequel il est demandé au juge administratif, a priori le Conseil d'Etat, de prononcer, de manière exclusive, l'annulation d'un acte administratif au motif que cet acte est illégal, autrement dit édicté en méconnaissance d'une règle de fond ou de forme qui s'imposait à l'administration.
En matière fiscale, le législateur étant seul compétent, lorsqu'une instruction ou une circulaire ajoute à la loi, et acquiert ainsi un caractère réglementaire, elle est de ce fait a priori illégale et doit donc être annulée. Ce n'est pas le cas lorsque l'instruction se borne à donner l'interprétation qu'appelle un texte législatif, le recours pour excès de pouvoir étant alors irrecevable.
Au cas d'espèce, les commentaires du BoFip se bornent à reprendre le texte législatif et sont attaqués pour cette raison car ils portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.
Les dispositions législatives dont sont issus les commentaires n'ont pas déjà été déclarés conformes par le Conseil constitutionnel. La question prioritaire de constitutionnalité sera donc renvoyée au Conseil constitutionnel. Il est sursis à statuer sur le recours pour excès de pouvoir formé par l'AFEP et autres jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité.
II - La décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2015, acte II (Cons. const., 20 janvier 2015, décision n° 2014-437 QPC N° Lexbase : A4823M9I)
Le Conseil constitutionnel reconnaît à la lutte contre la fraude fiscale le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle. Ceci étant, il a toujours considéré que ce principe devait être concilié avec d'autres tels que l'égalité devant la loi et les charges publiques ou encore celui de proportionnalité : toute atteinte portée à l'exercice d'une liberté fondamentale doit toujours être adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif de prévention poursuivi.
Il avait déjà rappelé cette nécessaire conciliation dans sa décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, relative à la loi portant sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (Cons. const., 4 décembre 2013, n° 2013-679 DC N° Lexbase : A5483KQ7). L'article 57 de cette loi permettait d'ajouter à la liste des ETNC les Etats et territoires non membres de l'Union européenne qui n'ont pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative dont les stipulations ou la mise en oeuvre assurent l'obtention des renseignements nécessaires par la voie de l'échange sur demande ou automatique, ainsi que les Etats et territoires non membres de l'UE qui n'ont pas pris l'engagement de mettre en place un échange tant sur demande que par voie automatique avec la France.
Le Conseil constitutionnel avait jugé que les conséquences qui résultaient des nouveaux critères d'inscription d'un Etat ou territoire sur cette liste revêtaient, pour les entreprises qui y ont une activité, un caractère disproportionné à l'objectif poursuivi et étaient de nature à entraîner une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Les dispositions de l'article 57 de la loi méconnaissaient en conséquence les exigences découlant de l'article 13 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1360A9A).
La clause de sauvegarde, dont l'association et les sociétés requérantes dénonçaient l'absence dans les commentaires administratifs contestés, permet au contribuable de faire la preuve qu'il n'a pas tenté d'échapper à l'impôt. Nous étions donc, du fait de la loi, devant une présomption irréfragable de fraude fiscale.
Le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion, à plusieurs reprises déjà, de juger que de telles présomptions peuvent porter atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques : l'impôt est en effet déterminé sans lien avec les facultés contributives (voir par exemple la décision : Cons. const., 29 décembre 2012, n° 2012-661 DC N° Lexbase : A6287IZU) (2)
Au cas d'espèce, les requérants faisaient valoir, par le biais de la QPC, que la différence de traitement instituée par les dispositions contestées de l'article 145 du CGI entre les sociétés-mères selon que leurs filiales sont établies ou non dans un ETNC méconnaît le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques, en posant une présomption irréfragable de fraude fiscale.
Il en est de même pour l'article 39 duodecies, 2, c et l'article 219, I, a sexies (N° Lexbase : L6543K8T) qui régissent le régime des plus et moins-values sur cession de titres.
Curieusement, le Conseil constitutionnel ne suit pas la démarche des requérants. Il juge "que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit être écarté".
Il considère par ailleurs que "le niveau d'imposition susceptible de résulter, au titre de la loi fiscale française, de l'application des dispositions contestées n'est pas tel qu'il en résulterait une imposition confiscatoire".
Il formule cependant une réserve d'interprétation, qui est fondamentale pour le contribuable français en raison de la protection dont il bénéficie au regard de la doctrine administrative, du fait de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM) : le contribuable doit être admis à "apporter la preuve de ce que la prise de participation dans une société établie dans un Etat ou territoire non coopératif correspond à des opérations réelles qui n'ont ni pour objet, ni pour effet de permettre dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans un tel Etat ou territoire".
S'ouvre dès lors l'acte III, c'est-à-dire la décision du Conseil d'Etat du 8 juin 2016 ici commentée.
III - L'acte III et dernier de cette pièce assez originale : l'arrêt principalement commenté du 8 juin 2016
La construction réalisée par ces trois décisions est sophistiquée, sinon bouleversante.
Les mêmes requérants, suite à la décision du Conseil constitutionnel de janvier 2015, ont de nouveau saisi le Conseil d'Etat en demandant à la Haute assemblée de constater que l'administration ne tenait pas compte dans ses commentaires de la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel.
Ils réitèrent leur demande d'annulation des commentaires du BoFip déjà attaqués parce que trop conformes à une loi contraire aux normes juridiques supérieures.
Ils requièrent également qu'une injonction sous astreinte de modifier les paragraphes en cause soit notifiée à l'administration fiscale.
Rappelons que, de façon inusitée, il est reproché aux commentaires administratifs de ne pas avoir ajouté à la loi, au cas présent, la possibilité d'une preuve de leur bonne foi.
Pour le Conseil d'Etat, les réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée. Elles lient en conséquence le juge administratif et donc par définition les services fiscaux. La doctrine administrative ne peut dès lors plus s'abriter derrière la loi : elle peut être illégale alors même qu'elle n'apporte rien.
En conséquence, les commentaires du BoFip relatifs à l'imposition des dividendes dans le cadre du régime des sociétés-mères-filles, qui dénient au contribuable conformément à la loi de faire la preuve que les participations détenues dans un ETNC correspondent à des opérations réelles et n'ont pas un but de fraude fiscale, doivent être annulés.
Il en est de même des commentaires administratifs traitant les plus-values de cession de titres.
Le Conseil d'Etat juge en revanche inutile d'enjoindre à l'administration de publier de nouveaux commentaires, conformes à cette jurisprudence, de façon que la garantie établie par l'article L. 80 A du LPF joue pleinement.
En conclusion, la situation actuelle est la suivante :
Malgré l'arrêt du Conseil d'Etat, le BoFip relatif à l'article 145, publié le 9 juin, tient compte de la réserve de constitutionnalité ; les services ne résistent pas cependant à la tentation de saisir l'occasion pour apporter des conditions restrictives à la possibilité d'une preuve contraire (implantation physique et cycle commercial complet).
Mais le CGI, donc la loi, avait vu préalablement de son côté certains des articles en cause mis en harmonie avec la jurisprudence. Ainsi, en est-il de l'article 145, qui concerne le régime des sociétés mères et filiales, qui dispose dans son 6° que le régime de faveur continue de s'appliquer si la société-mère apporte la preuve que les opérations de la société établie hors de France "correspondent à des opérations réelles qui n'ont ni pour objet, ni pour effet de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation des bénéfices dans un Etat ou territoire non coopératif" (loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015, art. 29 (V) et 36 N° Lexbase : L1131KWS).
Remarquons pour finir que la réduction des présomptions irréfragables semble une tendance assez générale : la lutte contre la fraude fiscale ne doit pas tout permettre et cela est plutôt satisfaisant (v. nos obs, Etablissement stable et pénalité de 80 % pour activité occulte : une avancée de la jurisprudence du Conseil d'Etat, Lexbase, éd. fisc., n° 639, 2016 N° Lexbase : N0825BWH).
(1) Rappelons que la saisine directe du Conseil constitutionnel à l'encontre d'une loi notamment n'est pas possible pour un citoyen.
(2) Voir également le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 janvier 2015.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453597
Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 27 juin 2016, n° 398585, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4270RUP) et CE 3° et 8° ch.-r., 27 juin 2016, n° 399024, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4276RUW)
Lecture: 1 min
N3580BWI
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453580
Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 27 juin 2016, n° 399506, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4277RUX)
Lecture: 1 min
N3581BWK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453581
Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 1er juillet 2016, n° 398546, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1908RWL)
Lecture: 2 min
N3646BWX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 09 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453646
Réf. : Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0019RWM)
Lecture: 9 min
N3547BWB
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Daniel Boulmier, Maître de conférences de droit privé à l'Université de Lorraine - Institut régional du travail
Le 07 Juillet 2016
Cette inquiétude n'est pas dépourvue de fondement si l'on s'en tient à l'affaire ici commentée, telle qu'elle a été résolue par la cour d'appel de Basse-Terre (CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n° RG 13/00225 N° Lexbase : A3397MYH). (I). L'arrêt de la cour d'appel a, certes, été censuré par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un sens favorable pour le salarié, mais au-delà du cas d'espèce, les sources d'inquiétude n'ont pas, pour autant, totalement disparues (II). Il reste alors à souhaiter que le travail législatif en cours sur les lanceurs d'alerte permette, enfin, de placer tous les lanceurs d'alerte dans un environnement propice à l'exercice de leurs missions salutaires pour la collectivité (III) (15). Espérons que le projet de loi en cours de discussion, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, vienne lever ces restrictions jurisprudentielles à la protection des lanceurs d'alerte.
Résumé
Le fait, pour un salarié, de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l'entreprise, qui lui paraissent anormaux, qu'ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas, en soi, une faute. Toutefois, la Cour de cassation réserve la nullité de la sanction, lorsque le salarié a pris connaissance des faits dans l'exercice de ses fonctions et si les faits, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales. |
Observations
I - La cour d'appel de Basse-Terre, peu protectrice des lanceurs d'alerte
Un salarié occupait le poste de directeur administratif et financier de l'association guadeloupéenne de gestion et de réalisation des examens de santé et de promotion de la santé, association qui a pour mission de gérer le centre d'examen de santé, structure sanitaire faisant partie du dispositif général de la santé publique en Guadeloupe. Il est amené à dénoncer au procureur de la République les agissements d'un membre du conseil d'administration et du président de l'association, agissements qu'il avait, en sa qualité de directeur administratif et financier refusé de couvrir. Par courrier du 23 octobre 2010, il informe le procureur de la République qu'il avait refusé de payer une facture de 15 600 euros présentée par le responsable médical de l'association, lequel n'avait jamais tenu le rôle qui aurait dû être le sien, et qu'avec le soutien actif du président de l'association il s'était fait nommer directeur de la structure avec toutes les compétences, notamment financières. Il fait également savoir que le président de l'association insistait pour créer un emploi fictif à temps plein à 5 800 euros bruts sur quatorze mois pour le responsable médical, et faisait état de tentative d'escroquerie ou d'extorsion de fonds à l'encontre de l'association, en se servant de sa signature.
Après notification d'une mise à pied conservatoire, le salarié est licencié par lettre du 29 mars 2011, pour faute lourde. Il saisit alors le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes à titre d'indemnités et de rappels de salaire. Par jugement du 22 janvier 2013, le salarié est débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné aux dépens ; il relève appel de ce jugement.
La cour d'appel de Basse-Terre admet que l'intervention du salarié "repose sur des faits qui effectivement sont susceptibles de constituer des infractions pénales" et que sa bonne foi ne peut être mise en doute. Elle signale alors que "l'article L. 1132-3-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9414IYC) dispose qu'aucune personne ne peut, notamment, être sanctionnée, licenciée ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions" ; toutefois, elle émet une réserve d'importance puisqu'elle observe que, si le licenciement du salarié ne peut être considéré comme fondé sur une cause réelle et sérieuse, "la nullité de ce licenciement ne peut être prononcée. En effet, les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail résultent de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (article 35) (N° Lexbase : L6136IYW), et n'étaient pas applicables à l'époque du licenciement" (16). En outre, la cour d'appel écarte l'application de l'article L. 1161-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0763H97), ce texte portant uniquement sur la dénonciation ou le témoignage de faits de corruption, ce dont ne relevaient pas les comportements portés à la connaissance du procureur de la République.
Apparaît alors ici en pleine lumière l'inconséquence du législateur qui, depuis 2007, agit par petits pas sur la question des lanceurs d'alerte, se refusant à une protection générale. Si le salarié avait lancé son alerte après le 6 décembre 2013, la cour d'appel indique en creux qu'elle lui aurait accordé la nullité de la rupture au titre de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail ; il n'est pas bon d'être lanceur d'alerte trop tôt, hors des chemins déjà balisés par le législateur (17).
II - La Chambre sociale de la Cour de cassation, restrictivement protectrice des lanceurs d'alerte
Saisie d'un pourvoi par le salarié, l'employeur ayant formé un pourvoi incident, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient donc de se prononcer, par un arrêt du 30 juin 2016 dont la quadruple distinction entend marquer l'importance (18), si tant est que l'arrêt soit si important.
Dans son pourvoi incident, l'employeur reprochait à la cour d'appel d'avoir qualifié la rupture comme étant sans cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences indemnitaires attachées. La Cour de cassation balaye les arguments de l'employeur qui persistait à voir dans le comportement du salarié une faute grave ; elle décide que "le fait pour un salarié de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l'entreprise qui lui paraissent anormaux, qu'ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute" (19). Deux conditions pour écarter la notion même de faute. Tout d'abord, il peut être fait état, par le salarié lanceur d'alerte, de faits, dès lors que ces faits lui "paraissent" anormaux ; les faits peuvent donc se relever au final "normaux", sans que le lanceur d'alerte puisse être inquiété. Ensuite, les faits, dont il est fait état, ne doivent pas nécessairement relever d'une qualification pénale.
Le pourvoi principal du salarié porte également sur la qualification de la rupture, telle que retenue par la cour d'appel de Basse-Terre (20), mais en ce qu'elle en écarte la nullité. La Cour de cassation censure cette décision au visa de l'article 10 §b1 de la Convention EDH (N° Lexbase : L4743AQQ) (21), article selon lequel "toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière".
Elle pose, tout d'abord, le principe selon lequel "en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité".
Puis, appliquant ce principe aux faits de l'espèce, elle reproche à la cour d'appel d'avoir écarté la nullité de la rupture, après avoir retenu que l'article L. 1132-3-3 du Code du travail n'était pas applicable à l'époque des faits, que l'article L. 1161-1 du même code était sans rapport avec les faits dénoncés, et qu'aucun autre texte applicable ne prévoyait la nullité, alors que "le licenciement était motivé par le fait que le salarié, dont la bonne foi ne pouvait être mise en doute, avait dénoncé au procureur de la République des faits pouvant être qualifiés de délictueux commis au sein de l'association".
La solution est, à première vue, intéressante, car elle semble immuniser les lanceurs d'alerte par la nullité des décisions prises à leur encontre, même en l'absence de texte spécifique les protégeant, l'article 10 § 1 de la Convention EDH étant brandi comme "le" texte de protection des lanceurs d'alerte ; mais après analyse, la solution est fortement restrictive.
Dans le principe qu'elle énonce, la Cour de cassation réaffirme que l'alerte doit avoir été faite de "bonne foi", ceci est en continuité de sa jurisprudence adoptée en matière de témoignage (22). Toutefois, une interrogation doit être soulevée quant à l'étendue du principe, posant la nullité de la décision prise à l'encontre d'un salarié lanceur d'alerte. En effet, la Cour de cassation se réfère à des "faits dont il [le salarié] a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales". Est-ce à dire, alors, que, si le salarié faisait état de faits, dont il aurait eu connaissance "hors de ses fonctions" et/ou si les faits rapportés n'étaient pas de "nature à caractériser des infractions pénales", la nullité serait écartée ? Si c'est cette interprétation qu'il faut retenir -et la note explicative accompagnant l'arrêt va dans ce sens-, l'arrêt perd alors beaucoup de l'importance que lui accorde sa quadruple distinction, importance que les médias se sont empressés de relayer, certainement un peu trop vite, dès le 30 juin 2016.
L'immunité du salarié lanceur d'alerte, telle que posée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, est alors loin d'être systématique, puisque ne concernant que les cas où les faits sont connus dans l'exercice des fonctions du salarié (23) et si les faits sont de nature pénale ; dans tous les autres cas, dès lors que la bonne foi sera également admise, la rupture en répression de l'alerte sera seulement sans cause réelle et sérieuse !
III - Le travail législatif en cours, un espoir pour tous les lanceurs d'alerte
Comme nous l'avons déjà précisé, l'incertitude actuelle sur la protection d'un salarié lanceur d'alerte, réside dans le fait que le législateur français n'a pas, d'emblée, fait le choix de protéger les lanceurs d'alerte en général, comme le recommande le Conseil de l'Europe. Le Conseil d'Etat, dans son étude précitée sur les lanceurs d'alerte, a relevé le manque de cohérence des dispositifs en vigueur (24) et formulé quinze propositions. Le projet de loi, relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, adopté par l'Assemblée nationale le 14 juin 2016, qui puise dans les propositions du Conseil d'Etat, et dont la discussion s'est poursuivie au Sénat le 4 juillet 2016 (25), introduit des dispositions applicables à tous les lanceurs d'alerte, quel que soit le fondement de l'alerte. Ce "statut" général de lanceurs d'alerte entraînera alors l'abrogation des multiples textes spécifiques aux témoins et lanceurs d'alerte adoptés depuis 2007 (26), et que nous avons listés en introduction. Nous sommes toutefois étonné que l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles, propre aux témoignages des travailleurs sociaux et dont la protection est insuffisante, ne soit pas lui-même abrogé ; mais, nul doute que les travailleurs sociaux pourront pleinement revendiquer le bénéfice des nouvelles dispositions générales propres aux lanceurs d'alerte, en lieu et place de l'article L. 313-24.
En conclusion, il nous faut confronter la définition du lanceur d'alerte posée par le projet de loi précité, avec la solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 30 juin 2016. Selon le projet de loi, est un lanceur d'alerte "une personne qui révèle, dans l'intérêt général et de bonne foi, un crime ou un délit, un manquement grave à la loi ou au règlement, ou des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l'environnement ou pour la santé ou la sécurité publiques, ou qui témoigne de tels agissements" (27). Il ressort alors de cette définition, que la connaissance des faits révélés par le lanceur d'alerte ne doit pas nécessairement trouver sa source dans "l'exercice de ses fonctions" et que les faits révélés ne doivent pas nécessairement être de "nature à caractériser des infractions pénales". De ce strict point de vue, le projet de loi assure une protection des lanceurs d'alerte plus large que ne le fait la jurisprudence que vient d'initier la Chambre sociale de la Cour de cassation. Toutefois, pour en arriver à cette évolution souhaitée, il faut, bien évidemment, attendre que la loi soit finalement adoptée en ces termes (28).
(1) Le salarié présente des éléments de faits laissant supposer que la sanction est consécutive au témoignage ou à l'alerte ; il incombe alors à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers au témoignage ou à l'alerte.
(2) Ce qui, en cas de licenciement, implique la réintégration du salarié et les conséquences financières qui y sont attachées.
(3) C. trav., art. L. 1132-3 (N° Lexbase : L0678H9Y).
(4) C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM).
(5) C. trav., art. L. 1153-3 (N° Lexbase : L8843ITP).
(6) "La définition des révélations protégées doit inclure tous les avertissements de bonne foi à l'encontre de divers types d'actes illicites, y compris toutes les violations graves des droits de l'homme, qui affectent ou menacent la vie, la santé, la liberté et tout autre intérêt légitime des individus en tant que sujets de l'administration publique ou contribuables, ou en tant qu'actionnaires, employés ou clients de sociétés privées", Conseil de l'Europe, Assemblée parlementaire, recommandation 1729 (2010), spéc. pt. 6.1.1.
(7) Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L2607H3X), JO, 14 novembre 2007, p. 18648 ; C. trav., art. L. 1161-1 (N° Lexbase : L0763H97).
(8) Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011, relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (N° Lexbase : L5048IRE), JO, 30 décembre 2011, p. 22667 ; C. santé publ., art. L. 5312-4-2 (N° Lexbase : L6582IR9).
(9) Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013, relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (N° Lexbase : L6336IWL), JO, 17 avril 2013, p. 6465 ; C. santé publ., L. 1351-1 (N° Lexbase : L6385IWE).
(10) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique (N° Lexbase : L3622IYS), JO, 12 octobre 2013, p. 16829 ; C. trav., art. L. 1132-3-3 (N° Lexbase : L9414IYC).
(11) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW), JO, 7 décembre 2013, p. 19941 ; spéc. art. 25.
(12) Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, relative au renseignement (N° Lexbase : L9309KBE), JO, 26 juillet 2015, p. 12735 ; C. sécu. int., L. 861-3 (N° Lexbase : L0812KC3).
(13) Ce texte prend sa source dans la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE), JO, 17 novembre 2016, p. 18311.
(14) V. nos obs., Les lanceurs d'alerte dans les établissements et services sociaux et médicaux-sociaux (à propos de l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles N° Lexbase : L5632HDX), RDSS, 3/2015, p. 488 ; nos obs., Le leurre de la protection des travailleurs sociaux en cas de dénonciation d'actes de maltraitance (à propos de l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles), RDSS, 2006, 992 ; nos obs., Le témoignage de mauvais traitements : du bon usage de l'article L. 313-24 du Code de l'action sociale et des familles , RDSS, 2008, 126.
(15) Le Conseil d'Etat n'a-t-il pas précisé dans l'introduction à son rapport d'avril 2016 (CE, Le droit d'alerte, signaler ; traiter ; protéger, 12 avril 2016) que : "le lanceur d'alerte n'est ni un dissident, qui s'opposerait radicalement à une collectivité, ni un partisan de la désobéissance civile, qui revendiquerait une contre-légitimité'. Il n'est pas non plus un délateur ou un sycophante, qui agirait dans son intérêt personnel, ni un calomniateur, qui chercherait à nuire ou à jeter l'opprobre. Le lanceur d'alerte signale, de bonne foi, librement et dans l'intérêt général, de l'intérieur d'une organisation ou de l'extérieur, des manquements graves à la loi ou des risques graves menaçant des intérêts publics ou privés, dont il n'est pas l'auteur".
(16) CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n° RG 13/00225 (N° Lexbase : A3397MYH).
(17) V., pour un tout autre domaine, l'affaire "Cahuzac" et le rejet par le juge du statut de lanceur d'alerte au profit d'Olivier Thérondel (ancien agent de la cellule antiblanchiment Tracfin, Libération, 16 mai 2014), au motif que ce statut a été consacré postérieurement aux faits, le 6 décembre 2013 (loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, préc.). On pense également, à l'affaire "Téfal", dans laquelle l'inspectrice du travail et le lanceur d'alerte sont condamnés au pénal : voir la presse début décembre 2015 ; SSL, n° 1705, 11 janvier 2016, p. 11. On pense encore, plus récemment, à la condamnation à douze mois de prison et 1 500 euros d'amende, d'Antoine Deltour à l'origine de l'affaire "LuxLeaks", v. la presse, juin 2016.
(18) L'arrêt est marqué FS-P+B+R+I.
(19) Déjà en ce sens : Cass. soc., 14 mars 2000, n° 97-43.268 (N° Lexbase : A6362AGQ), Bull. civ. V, n° 104.
(20) Le pourvoi du salarié portait également sur une autre question qui ne sera pas ici traitée, il s'agissait d'une demande en rappel de salaires liée à la requalification en temps plein de son contrat de travail à temps partiel.
(21) Dans la note explicative qui accompagne l'arrêt, il est directement fait état des jurisprudences de la CEDH "qui considèrent que les sanctions prises à l'encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d'un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur leur lieu de travail constituent une violation à leur droit d'expression au sens de l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ)" (CEDH, 18 octobre 2011, n° 10247/09) ; CEDH, 12 février 2008, n° 14277/04 N° Lexbase : A7465D4A).
(22) Cass. soc., 14 mars 2000, n° 97-43.268 (N° Lexbase : A6362AGQ), Bull. civ. V, n° 104 ; Cass. soc., 22 février 2006, n° 03-43.369, F-D (N° Lexbase : A1723DN7) ; Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH), Bull. civ. V, n° 66 ; Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18.035, FP-P+B+R (N° Lexbase : A3661ICL), Bull. civ. V, n° 55 : dans ce dernier arrêt la Cour de cassation précise que "la mauvaise foi [...] ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce".
(23) Cette réserve est surprenante puisque, précisément, il n'est pas fait application de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail précité. Cette référence "aux fonctions" du salarié, rappelle la jurisprudence restrictive de cette même Chambre sociale en matière de recevabilité des pièces de l'entreprise produites comme preuve dans un procès prud'homal, le salarié devant en avoir "eu connaissance à l'occasion de ses fonctions" : Cass. soc., 30 juin 2004, n° 02-41.720, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8130DC4), Bull. civ. V, n°187 ; nos obs., Vol de documents, mais hold-up sur les droits d'agir, JSL, n° 157, p. 4.
(24) CE, Le droit d'alerte, signaler ; traiter ; protéger, préc., spéc. p. 46.
(25) TA Sénat, n° 691, 15 juin 2016.
(26) A l'exception de l'article L. 861-3 du Code de la sécurité intérieure, qui est modifié pour tenir compte de la loi nouvelle.
(27) TA Sénat n° 691, préc., art. 6A.
(28) En effet, le Sénat se montre particulièrement réticent au volet "lanceurs d'alerte" de ce projet de loi, texte qui, pourtant, participerait grandement, en sécurisant les lanceurs d'alerte, à améliorer la transparence dont notre démocratie fait encore cruellement défaut.
Décision
Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0019RWM). Cassation partielle (CA Basse-Terre, 13 octobre 2014, n° RG 13/00225 N° Lexbase : A3397MYH). Texte visé : CESDH, art. 10 § 1 (N° Lexbase : L4743AQQ). Mots-clés : lanceurs d'alerte ; nullité du licenciement. Lien base : (N° Lexbase : E9239ESY). |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453547
Réf. : Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-10.557, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0019RWM)
Lecture: 2 min
N3532BWQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453532
Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 29 juin 2016, n° 386581, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3189RWZ)
Lecture: 2 min
N3566BWY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 08 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453566
Réf. : Cass. com., 14 juin 2016, n° 14-28.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7820RSG)
Lecture: 7 min
N3535BWT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
Le 07 Juillet 2016
Il est intéressant de remarquer dès à présent que la Cour de cassation rejette le pourvoi, tout en retenant une solution fort différente, du point de vue de la portée de la SCOPIC, de l'arrêt d'appel.
L'arrêt ne pouvant être correctement appréhendé qu'au regard de l'origine et la raison d'être de la SCOPIC, encore faut-il les rappeler (I), avant de discuter le bien-fondé de la solution en ce qu'elle considère que cette clause a une portée semblable à l'article 14 (II).
I - La Special Compensation P & I Clause
L'assistance maritime est l'opération entreprise pour assister un navire, ou un engin assimilé, en danger. Contrairement au sauvetage en mer, qui concerne l'aide aux personnes, l'assistance maritime vise les biens, c'est-à-dire le navire et sa cargaison. S'agissant d'une aide portée aux biens, il est considéré que l'assistant a droit à une rémunération, afin d'inciter les bonnes volontés (2).
Mais traditionnellement, la rémunération de l'assistant est subordonnée à un résultat utile. En d'autres termes, si l'assistance n'a pas permis de sauver, au moins partiellement, le navire et/ou sa cargaison, l'assistant n'aura pas droit à rémunération, quels que soient les efforts déployés : c'est la règle No cure, no pay (3).
L'effet pervers de cette règle est double (4). D'une part, il y a le risque que l'assistant, voyant que le navire et la marchandise transportée sont condamnés, soit dissuadé d'agir puisque ses perspectives de rémunération sont obérées. D'autre part, la récompense étant plafonnée à la valeur des biens sauvés (C. transp., art. L. 5132-4, III N° Lexbase : L4306IQK), l'assistant peut être tenté de ne pas déployer tous les efforts possibles, en fonction de leur coût. Or, si le navire ou sa cargaison présentent un risque pour l'environnement, la règle No cure, no pay peut se révéler particulièrement problématique.
Ainsi qu'il fut justement relevé, "l'approche de l'assistance a changé, la protection de l'environnement passe désormais avant celle des biens transportés" (5). La Convention de Londres du 28 avril 1989 prévoit, dans son article 14, que "si l'assistant a effectué des opérations d'assistance à l'égard d'un navire qui par lui-même ou par sa cargaison menaçait de causer des dommages à l'environnement [...], il a droit de la part du propriétaire du navire à une indemnité spéciale équivalant à ses dépenses", même en l'absence de résultat utile (6). L'intention était louable, mais a rapidement montré ses limites. En particulier, la notion de dommage à l'environnement était trop sujette à discussion, la Convention y voyant des "préjudices matériels importants" (art. 1.d). Or, par définition, il n'est possible de savoir si le préjudice est important qu'après sa survenance, ce qu'a précisément pour but d'éviter l'assistance...
Aussi, les assistants et les P & I Clubs, ces derniers étant assureurs de responsabilité civile de l'armateur, ont-ils imaginé la SCOPIC. Cette clause, qui a pour but de se substituer à l'indemnité de l'article 14, permet à l'assistant, même en l'absence de résultat utile, de percevoir une rémunération couvrant au moins tous ses frais. Il y a ainsi deux hypothèses concevables. Soit l'assistance est couronnée de succès. L'assistant a alors droit à rémunération, qui sera versée par l'assureur corps. Soit l'assistant n'obtient aucun succès. Il sera alors payé par le P & I Club, sur la base de la SCOPIC. La sécurité pour l'assistant est renforcée par le fait qu'une garantie de paiement de la rémunération SCOPIC doit être fournie par le Club, dans les deux jours de la notification de la soumission des opérations à la SCOPIC. Cette garantie est d'un montant de 3 millions de dollars.
Enfin, il convient de préciser que la SCOPIC est un système de rémunération basé sur un barème journalier, pour chaque type de matériel employé par l'assistant au cours de l'opération (7). Par conséquent, plus l'application de la SCOPIC dure dans le temps, plus la somme à verser sera élevée. C'est la raison pour laquelle l'assisté, comme l'assistant, peut mettre fin aux opérations couvertes par la SCOPIC, ce qu'avait fait l'armateur dans l'espèce considérée.
II - Une solution discutable sur la portée de la SCOPIC
L'arrêt est parfaitement fondé sur un point : c'est lorsqu'il affirme que l'indemnité de l'article 14 de la Convention de Londres, de même que la SCOPIC, visent toutes les dépenses, sans opérer de distinction entre celles engagées pour sauver le navire et celles engagées pour éviter un dommage à l'environnement. C'est effectivement le cas, et cela se comprend aisément. En effet, il est particulièrement difficile, en pratique, de distinguer les opérations (et donc les dépenses) motivées par la volonté de sauver le navire et celles visant à protéger l'environnement. L'espèce même soumise à la Chambre commerciale en constitue un exemple révélateur. L'assistant a récupéré les soutes. Une telle opération, qui consiste à pomper le carburant présent dans le navire assisté, peut se justifier par la volonté d'éviter un dommage à l'environnement, mais aussi par le souci d'alléger le navire assisté, pour pouvoir l'empêcher de sombrer, ou tenter de le remonter à la surface. Il n'est donc pas judicieux de distinguer entre les dépenses engagées pour le navire et celles engagées pour l'environnement (8). Dès lors, la demande du P & I Club, qui soutenait que la part des frais engagés pour préserver le navire devait être prise en charge par les assureurs corps, ne pouvait aboutir.
En revanche, l'arrêt est plus critiquable lorsqu'il considère que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article 14. Malgré le rejet du pourvoi, la Cour de cassation dément sur ce point l'arrêt de la cour d'appel de Paris. Cette dernière avait en effet estimé que la SCOPIC ne pouvait être réduite à l'indemnité de l'article 14, par un argument qui mérite d'être ici reproduit: "la clause SCOPIC a pour objet, d'une part, d'améliorer les conditions de calcul de l'indemnité spéciale, d'autre part, d'étendre ses conditions d'application à toutes circonstances et non plus seulement en cas de dommage environnemental ; [...] elle rémunère L'habileté et les efforts des assistants pour sauver le navire, les autres biens et les vies humaines', visé par l'article 13, non pas à l'once des résultats mais à celui des efforts et de l'investissement déployés ; [...] dès lors, sa portée, puisqu'elle tend au sauvetage des biens, des personnes et non plus seulement à préserver l'environnement, ne saurait être assimilée à celle de l'article 14 limitée à l'environnement".
Très judicieusement, la cour de Paris avait remarqué que la SCOPIC va plus loin que l'indemnité de l'article 14. Non seulement, elle est rédigée de manière très précise, établissant un barème des frais liés aux ressources humaines et matérielles : il suffit de constater que la SCOPIC 2014 se compose de 16 articles, enrichis par des annexes. En outre, la SCOPIC, contrairement à ce que pourrait laisser penser son origine, n'est pas limitée aux hypothèses de dommages environnementaux. Elle peut ainsi jouer pour l'assistance à un navire ne menaçant pas l'environnement (9). L'explication en est, encore une fois, qu'il est difficile de faire le départ entre les opérations et dépenses qui concernent le navire et celles qui concernent l'environnement.
Il nous semble donc inexact de considérer que la SCOPIC a une portée semblable à celle de l'article 14.
Néanmoins, il faut souligner que le résultat auquel aboutit la Cour de cassation n'est pas choquant : le P & I Club, subrogé dans les droits de l'armateur, ne peut se retourner contre l'assureur corps du navire, en raison de la clause excluant la garantie de ce dernier pour l'indemnité spéciale de l'article 14 ou toute autre disposition de portée semblable. Dès lors, l'indemnité SCOPIC pèsera sur le Club, et non sur l'assureur corps. Or, il est incontestable que c'est là l'esprit même de la SCOPIC, créée à l'initiative entre autres des P & I Clubs : c'est à l'assureur corps de verser la rémunération "normale" de l'assistance en cas de résultat utile (puisqu'il assure le navire), et c'est au Club de verser les indemnités de l'article 14 ou celles résultant d'une SCOPIC (10).
(1) CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 11 septembre 2014, n° 12/05684 (N° Lexbase : A3238MWT), DMF, 2014. 982, obs. J.-F. Rebora.
(2) En effet, contrairement au sauvetage, l'assistance n'est pas obligatoire, sauf pour le navire abordeur, lorsque le péril est la conséquence de l'abordage (C. transp., art. L. 5262-6 N° Lexbase : L7067IN3).
(3) Article 2§2 de la Convention du 23 septembre 1910, article 10 de la loi du 7 juillet 1967 (devenu C. transp., art. L. 5132-3 N° Lexbase : L4307IQL), article 12 de la Convention de Londres du 28 avril 1989.
(4) G. Gautier, Assistance maritime et environnement : Du compromis de Montréal aux discussions de la Conférence de Pékin sur le projet ISU, DMF, 2013, 108.
(5) S. Miribel, Assistance maritime: où en sommes-nous ?, DMF, 2012, 465.
(6) Avant même que la Convention de Londres ne s'empare de la question, le contrat type LOF 1980 prévoyait une indemnité majorée ("safety net") pour récompenser les efforts des assistants pour protéger l'environnement.
(7) J.-F. Rebora, La SCOPIC, DMF, 2003, 260.
(8) En ce sens, v. également G. Gautier, Assistance maritime et environnement..., préc. note 1, spéc. p. 111.
(9) P. Bonasies, "La convention internationale de 1989 sur l'assistance", DMF, 2003, 239, spéc. p. 255.
(10) Notons à ce sujet que la rémunération de l'assistance est admissible en avarie commune, au contraire de l'indemnité spéciale de l'article 14 et de l'indemnité SCOPIC (Règle VI-d des Règles d'York et d'Anvers 2016).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453535
Réf. : Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale (N° Lexbase : L4202K87)
Lecture: 11 min
N3543BW7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Romain Ollard, Professeur à l'université de la Réunion, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit pénal" et "Procédure pénale"
Le 07 Juillet 2016
Idéologie de la réforme. Hormis le second titre de la loi, la réforme est largement irriguée d'une idéologie sécuritaire fondée sur la lutte contre le terrorisme, dans la droite ligne des précédentes réformes anti-terroristes (10). Le trait saillant de cette législation nouvelle réside dans l'organisation de régimes d'exception, comme presque toutes les lois anti-terroristes adoptées en France depuis maintenant une trentaine d'années. Au fil des réformes, qui s'empilent à un rythme effréné, les procédures dérogatoires se multiplient en la matière, laissant ainsi, peu à peu, l'exception se normaliser de manière pérenne. Quoi que l'on ait pu s'en défendre, la réforme du 3 juin 2016 n'échappe pas à cette tendance lourde en consacrant en droit commun diverses dispositions prévues dans le cadre de l'état d'urgence, qu'il s'agisse par exemple de l'autorisation des perquisitions de nuit (11) ou des mécanismes de contrôle administratif ou d'assignation à résidence des individus présumés avoir séjourné sur le théâtre d'opérations terroristes (12). La mécanique est bien rôdée car la loi d'exception est toujours une réaction à un fait divers dramatique, de sorte que l'émotion suscitée permet d'obtenir une forme de consensus social, aussi bien dans l'opinion publique que dans le corps politique d'ailleurs.
Aspects de droit pénal de la réforme. Cantonnée à ses seuls aspects de droit pénal, la réforme du 3 juin 2016 initie plusieurs modifications, d'inégales importances, non seulement en droit pénal général par la création -toute symbolique- d'une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale fondée sur l'usage de leur arme par les agents de la force publique (I), mais encore en droit pénal spécial par la création d'incriminations nouvelles (II).
I - La création du fait justificatif d'usage des armes par les agents de la force publique
Nouvelle cause d'irresponsabilité pénale autorisant l'usage des armes par les forces de l'ordre. Hormis plusieurs nouveautés concernant le droit de la peine, notamment la création d'une forme de perpétuité réelle pouvant être prononcée à l'encontre de terroristes (13), la réforme est essentiellement marquée, dans ses aspects de droit pénal général, par la création d'une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale qui autorise les agents de la force publique à faire usage de leur arme dans un contexte d'attentats tels que la France en a connu en novembre 2015. Aux termes de l'article 51 de la loi du 3 juin 2016, se trouve désormais inséré au sein du Code pénal un nouvel article 122-4-1 (N° Lexbase : L4817K8W), ainsi rédigé : "n'est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321-1 du Code de la défense ou l'agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis, lorsque l'agent a des raisons réelles et objectives d'estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme".
Domaine ratione personae. Ce nouveau fait justificatif est strictement limité, ratione personae d'abord, puisqu'elle ne pourra bénéficier qu'aux seuls "fonctionnaires de la police nationale", aux "agents des douanes" ainsi qu'aux militaires "de la gendarmerie nationale" ou déployés "sur le territoire national" pour assurer la défense et la sécurité civiles "dans le cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321-1 du Code de la défense". De ce point de vue, la nouvelle cause d'irresponsabilité apparaît comme un fait justificatif spécial en ce sens que, contrairement aux autres causes d'irresponsabilité prévues dans la partie générale du code, elle n'a pas vocation à bénéficier à l'ensemble des citoyens et aurait dès lors sans doute dû trouver place, comme dans la première mouture du texte, au sein du Code de la défense. Il apparaît ainsi, d'une part, qu'un particulier ne saurait en aucune manière bénéficier de cette cause d'irresponsabilité quand bien même réunirait-il en sa personne l'ensemble des conditions d'application du texte ; tout au plus ce particulier pourrait-il invoquer alors la légitime défense d'autrui dont les conditions d'application semblent très proches (14). D'autre part, les agents de la force publique faisant usage de leur arme pourront bénéficier d'une pluralité de causes d'irresponsabilité puisque, en sus du texte nouveau, les officiers de gendarmerie, pour s'en tenir à eux, étaient déjà autorisés par la loi à déployer la force armée dans certains cas précis, notamment lorsque des "violences [...] sont exercées contre eux" (15) ou "lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les [...] moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt"(16). Plus généralement, en cas d'usage de leur arme, les forces de l'ordre peuvent invoquer la légitime défense (17) en présence d'un danger pour eux-mêmes ou pour autrui, ce qui permet d'ailleurs de douter de l'utilité même de cette nouvelle cause d'irresponsabilité pénale (18).
Domaine ratione materiae : condition de proportionnalité. Ratione materiae ensuite, si le nouveau texte subordonne formellement l'irresponsabilité pénale à quatre conditions -tenant à la nécessité et à la proportionnalité de l'usage des armes, à la temporalité de cet usage et, enfin, à la probabilité de la réitération des actes réalisés- elles semblent pouvoir être ramenées aux seules conditions de nécessité et de proportionnalité. Sur cette dernière condition d'une part, l'article 122-4-1 énonce que l'usage de l'arme doit être "strictement proportionné" et exercé "dans le but exclusif d'empêcher la réitération [...] d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre". Or, ces deux conditions semblent se fondre dans la mesure où l'exigence de proportionnalité semble toujours satisfaite lorsque l'agent entend prévenir la réitération de meurtres ou tentatives de meurtre : dès lors que la vie d'autrui est en danger immédiat, l'usage des armes à l'encontre des assaillants paraît ipso facto proportionné. En réalité, l'appréciation -et les difficultés- se déporteront sur l'appréciation de la probabilité de réitération des actes commis car, à défaut d'une telle probabilité, l'usage de l'arme ne sera ni proportionné ni même nécessaire. Outre que la probabilité de la réitération doit être appréciée "au moment où il [l'agent] fait usage de son arme" et non a posteriori, au regard des indices glanés plus tard au cours de l'enquête, l'usage de l'arme doit être fondé, nous dit le texte, sur "des raisons réelles et objectives d'estimer que réitération est probable au regard des informations dont il dispose" à cet instant, ce qui implique que l'agent se fonde, non point sur de simples soupçons subjectifs résultant d'un pur jugement d'appréciation, mais sur une apparence objective rendant vraisemblable la participation de l'individu ciblé aux actes homicide préalables. Si la distinction est claire en théorie, l'on sait qu'elle est particulièrement malaisée à mettre en oeuvre, ainsi qu'en témoigne l'intarissable contentieux en matière de flagrance.
Domaine ratione materiae : condition de nécessité. D'autre part, à l'instar des autres causes objectives d'irresponsabilité pénale, le nouvel article 122-4-1 du Code pénal exige que l'agent de la force publique ait fait un "usage absolument nécessaire" de son arme et ce, "dans le but exclusif d'empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d'un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d'être commis", ce qui signifie qu'il ne doit pas exister aucun autres moyens, pour empêcher cette réitération, que de faire usage de son arme : la nécessité étant ici qualifiée d' "absolue" (19), l'usage de l'arme doit constituer l'ultime recours, ce qui est d'ailleurs confirmé par le fait que cet usage doit être réalisé dans le but "exclusif" de prévenir la réitération. Le texte exige encore que cette réitération le soit dans un "temps rapproché", ce qui peut être rattaché de la condition de nécessité : tandis que l'usage de l'arme n'est pas encore nécessaire s'il intervient de façon trop précoce, avant que l'agent n'ait acquis une certitude suffisante quant à la réitération, il n'est plus nécessaire si cet usage intervient tardivement, après la réitération, au moment de la fuite des assaillants par exemple (20). Si la volonté de la loi d'encadrer cette cause d'irresponsabilité pénale d'un point de vue temporel est sans doute louable, la référence à une réitération "dans un temps rapproché" reste particulièrement imprécise, laissant une marge d'appréciation quasi absolue au juge, d'autant qu'au moment où il est fait usage de l'arme, la réitération est simplement hypothétique.
Utilité du fait justificatif nouveau ? L'examen de ces conditions met en exergue un chevauchement certain avec la légitime défense des personnes, dès lors que celle-ci -qui doit également être nécessaire et proportionnée- peut être invoquée pour assurer la légitime défense d'"autrui" (21). La seule différence perceptible réside peut-être dans la temporalité de la riposte puisque la légitime défense d'autrui doit intervenir "dans le même temps" que l'agression, ce qui implique une concomitance, là où l'article 122-4-1 est plus lâche, se contenant d'évoquer une réitération intervenant "dans un temps rapproché". Toutefois, il n'est pas certain que cette différence de rédaction soit significative tant il est vrai que la jurisprudence se montre souple en matière de légitime défense d'autrui en admettant les ripostes préventives dès lors que l'agression -quoi que non encore effective- est probable, spécialement lorsque la légitime défense est invoquée par des agents de la force publique (22). Dans ces conditions, il est possible de douter de l'utilité réelle du nouveau fait justificatif, ce qui est d'autant plus regrettable que, symboliquement, il introduit officiellement dans notre Code pénal un "permis de tuer". On notera d'ailleurs à cet égard que cette nouvelle cause d'irresponsabilité, n'étant plus désormais considérée comme une hypothèse particulière d'état de nécessité, comme dans la première mouture du texte (23), se situe au sein du Code pénal immédiatement après le fait justificatif fondé sur l'autorisation de la loi.
II - La création d'incriminations nouvelles
Lutte contre la propagande terroriste. En premier lieu, outre l'aggravation de la répression relative à diverses infractions (24), notamment celle de non-dénonciation de crime (25), la réforme du 3 juin 2016 s'est attachée à créer, à l'initiative du Sénat, deux nouveaux délits qui s'inscrivent directement dans la prévention du phénomène de radicalisation en s'attaquant aux moyens de propagande du terrorisme (26). D'une part, le nouvel article 421-2-5-5 du Code pénal (N° Lexbase : L4801K8C) vient sanctionner (27) l'extraction, la reproduction et la transmission intentionnelles de données faisant l'apologie publique d'actes de terrorisme dans le but d'entraver les procédures de retrait ou de blocage judiciaire ou administratif mises en oeuvre (28). D'autre part, un nouvel article 421-2-5-2 (N° Lexbase : L4801K8C) punit (29) la consultation habituelle d'un site internet faisant l'apologie du terrorisme ou provoquant à de tels actes. Pour répondre aux critiques selon lesquelles l'incrimination pourrait permettre la répression du simple "curieux" (30), la loi s'est attachée à encadrer strictement le délit non seulement en définissant précisément le site internet incriminé qui doit comporter "des images ou représentations montrant la commission" d'actes de terrorisme "consistant en des atteintes volontaires à la vie" mais surtout, en prévoyant différentes réserves à l'application du délit. La répression ne saurait en effet intervenir lorsque la consultation est "effectuée de bonne fi", qu'elle s'insère dans le cadre de recherches professionnelles, journalistiques ou scientifiques -ce qui rassurera l'universitaire-, ou qu'elle est "réalisée afin de servir de preuve en justice". Quoi-que ces deux nouveaux délits soient destinés à lutter contre la propagande terroriste, la loi a toutefois exclu à leur égard l'application des dispositions dérogatoires relatives à la garde à vue et à la perquisition en matière de criminalité organisée (31), dans la droite ligne de la position du Conseil constitutionnel qui estime que l'aménagement des droits de la défense ne peut se justifier qu'en cas de risque grave d'atteinte à la sécurité ou à la vie des personnes (32), ce qui n'est manifestement pas le cas de ces deux délits. Relevons, pour finir, que la réforme du 3 juin 2016 a refusé de considérer comme un acte de terrorisme autonome (33), ainsi que l'avait suggéré le Sénat, le séjour intentionnel sur un théâtre étranger d'opérations de groupements terroristes(34), ce qui apparaît sage eu égard aux difficultés qu'il peut y avoir à identifier la notion de "groupements terroristes".
Lutte contre le trafic d'armes. En second lieu, afin de prévenir les actions terroristes, la réforme entend promouvoir la lutte contre le trafic d'armes (35) en incriminant toute la chaîne des intervenants, de l'acquisition à la cession en passant par la simple détention, sans autorisation (36), des armes de catégories A ou B (37). Bien plus, même en présence d'une telle autorisation, celui qui serait "régulièrement détenteur" d'une telle arme peut être pénalement sanctionné dès lors qu'il la transporte, hors de son domicile, "sans motif légitime" (38). Afin de parfaire un tel dispositif préventif, se trouve encore incriminé tout acte qui aurait pour objet ou pour effet d'entraver l'identification des armes, qu'il s'agisse de constituer ou reconstituer une arme ou d'en changer la catégorie (39) ou qu'il s'agisse de supprimer, d'altérer (40) ou de contrefaire (41) des marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature apposés sur les armes. Au plan des incriminations, il faut enfin relever qu'un nouvel article 222-55 (N° Lexbase : L4785K8Q) punit désormais -signe d'une bien triste actualité, en France comme à l'étranger- le fait, pour une personne habilitée à le faire, de pénétrer ou de se maintenir dans un établissement scolaire en étant porteuse d'une arme sans motif légitime, ce qui permet en pratique d'atteindre tant les élèves que le personnel enseignant ou assimilé. Au plan de la répression, toutes ces infractions ont en commun d'aggraver les peines en cas d'action collective, lorsqu'elles sont commises en bande organisée ou par deux personnes au moins agissant en qualité d'auteur ou de complice, et de prévoir diverses peines complémentaires tenant à l'interdiction de séjour sur le territoire français (42), à l'interdiction de détenir une arme (43) ou à la confiscation des armes appartenant ou utilisée par la personne condamnée (44). Pour ces deux dernières peines complémentaires, l'article 222-62 du Code pénal (N° Lexbase : L4792K8Y) énonce que leur prononcé est "obligatoire", ce qui pourrait constituer un grief d'inconstitutionnalité dès lors que le Conseil constitutionnel s'est lancé, depuis plusieurs années, dans la chasse aux peines automatiques (45).
Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En dernier lieu, parmi les dispositions très techniques de la réforme du 3 juin 2016 destinées à lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme (46) -qui tiennent notamment (47) au renforcement des obligations de vigilance à l'égard de la clientèle (48) ainsi que des pouvoirs des agents des douanes (49)-, il en est une qui retient particulièrement l'attention. Aux termes de l'article 322-3-2 du Code pénal (N° Lexbase : L4812K8Q), se trouve désormais puni le transport, la détention ou le fait de faire commerce d'un bien culturel "en sachant que ce bien a été soustrait d'un territoire qui constituait, au moment de la soustraction, un théâtre d'opérations de groupements terroristes et sans pouvoir justifier la licéité de l'origine de ce bien". C'est là un nouveau cas de recel de choses, classé parmi les infractions de destruction du bien d'autrui, qui se trouve ainsi incriminé ayant la particularité d'instituer une présomption -simple- de responsabilité lorsqu'un individu sera trouvé en possession d'un bien culturel tel que défini au texte : opérant un renversement de la charge de la preuve, le nouvel article 322-3-2 du Code pénal admet que le détenteur du bien culturel puisse succomber à la responsabilité pénale toutes les fois qu'il ne sera pas en mesure de justifier de son origine licite (50).
(1) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 54 et s..
(2) C. proc. pén., art. 39-3 (N° Lexbase : L4827K8B).
(3) Depuis longtemps réclamée (v.La juridictionnalisation de l'enquête pénale, Colloque Bordeaux, 30 avril 2014, Cujas, 2015) et initiée par la loi du 27 mai 2014 opérant transposition de la Directive européenne relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY) (C. proc. pén., art. 388-5 N° Lexbase : L2768I3W), cette introduction du contradictoire au stade de l'enquête préliminaire est cependant largement illusoire dès lors, d'une part, que le suspect ne peut accéder à l'entier dossier de la procédure qu'à l'issue d'un délai d'un an ou si le procureur de la République envisage de le poursuivre (C. proc. pén., art. 77-2, I N° Lexbase : L4940K8H) et, d'autre part, que le procureur de la République apprécie souverainement, sans qu'aucun recours ne soit organisé contre sa décision, "les suites devant être apportées" aux observations et demandes d'actes formulées par le suspect.
(4) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 106 et s..
(5) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 112 et s..
(6) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 115.
(7) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 116.
(8) Titre I (art. 1er et s.), divisé en deux chapitres, l'un consacré à l'efficacité des investigations judiciaires (art. 1er et s. : accès et interceptions des correspondances électroniques, art. 2 et 3 ; sonorisation des lieux, art. 4, etc.), l'autre à la répression (art. 8 et s. : peines, création d'incriminations, etc.).
(9) Titre II, art. 54 et s..
(10) V. loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 (N° Lexbase : L8220I49) renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (R. Ollard, O. Desaulnay, La réforme de la législation anti-terroriste ou le règne de l'exception pérenne Dr. pén., 2015, Etudes 1) et Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 (N° Lexbase : L9309KBE), relative au renseignement (R. Ollard, O. Desaulnay, Le renseignement français n'est plus hors la loi, Dr. pén., 2015, Etude 17.
(11) Dans le cadre de la criminalité organisée, même en enquête préliminaire (C. proc. pén., art. 706-90 al. 2 N° Lexbase : L4852K89).
(12) C. sécu. int., art. L. 225-1 (N° Lexbase : L4818K8X) et s..
(13) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 11 modifiant les articles 421-7 du Code pénal (N° Lexbase : L4798K89) et 720-5 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4877K87) et créant l'article 730-2-1 du même code (N° Lexbase : L4803K8E).
(14) V. infra.
(15) C. déf., art. L. 2338-3, 1° (N° Lexbase : L9660KCR).
(16) C. déf., art. L. 2338-3, 4°(N° Lexbase : L9660KCR).
(17) C. pén., art. 122-4 (N° Lexbase : L7158ALP).
(18) V. infra.
(19) Comp. Pour une semblable exigence de stricte nécessité, en matière de légitime défense des biens (C. pén., art. 122-5, al. 2 N° Lexbase : L2171AMD) ou s'agissant du fait justificatif -purement prétorien- fondé sur l'exercice des droits de la défense (Cass. crim. : "strictement" nécessaire à l'exercice des droits de la défense).
(20) Dans ce dernier cas, il serait toutefois possible pour l'agent ayant fait usage de son arme d'invoquer l'autorisation de la loi à déployer la force armée "lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les [...] moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt" (C. déf., art. L. 2338-3, 4°N° Lexbase : L9660KCR).
(21) C. pén., art. 122-5, al. 1er (N° Lexbase : L2171AMD).
(22) V. O. Cahn, Le droit en débats, Dalloz actualité, 26 janvier 2016.
(23) Dans la première version du texte, il était en effet prévu d'insérer un nouvel article L. 434-2 au sein du Code de la sécurité intérieure qui prévoyait que l'usage de son arme par un agent de la force publique dans les conditions décrites constituait "un acte nécessaire à la sauvegarde des personnes, au sens de l'article 122-7 du Code pénal", de sorte que ce nouveau fait justificatif apparaissait comme une hypothèse particulière d'état de nécessité.
(24) V. par exemple C. pén., art. 434-15-2 (N° Lexbase : L4889K8L).
(25) Outre que la non-dénonciation d'un crime consistant en une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation constitue une cause d'aggravation de la répression, le délit peut désormais être réprimé malgré l'existence de liens familiaux entre l'auteur du crime et l'auteur de la non-dénonciation (C. pén., art. 434-2 N° Lexbase : L4873K8Y).
(26) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 18.
(27) De cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
(28) Procédures prévues à l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 (N° Lexbase : L2600DZC) du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ou à l'article 706-23 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8442I4G).
(29) De deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
(30) V. déjà, dans le cadre de l'infraction d'entreprise terroriste individuelle, C. pén., art. 421-2-6, 2°, c (N° Lexbase : L8396I4Q).
(31) C. proc. pén., art. 706-88 (N° Lexbase : L2768KGM).
(32) Cons. const., décision n° 2014-420/421 QPC, du 9 octobre 2014 (N° Lexbase : A0029MYQ), D., 2014, 2278, notre A. Botton.
(33) V. toutefois, C. pén., art. 421-2-6 (N° Lexbase : L8396I4Q) intégrant un tel fait parmi les composantes de l'entreprise terroriste individuelle.
(34) V. proposition d'art. 421-2-7 : "Constitue un acte de terrorisme le fait d'avoir séjourné intentionnellement à l'étranger sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes afin d'entrer en relation avec un ou plusieurs de ces groupements, en l'absence de motif légitime".
(35) Section 7, chapitre II du titre II du livre II du Code pénal.
(36) Autorisation prévue au I de l'article L. 2332-1 du Code de la défense (N° Lexbase : L3670ISQ), en violation des articles L. 312-1 (N° Lexbase : L1776IX3) à L. 312-4, L. 312-4-3 (N° Lexbase : L1722IX3), L. 314-2 (N° Lexbase : L1791IXM) et L. 314-3 (N° Lexbase : L1790IXL) du Code de la sécurité intérieure.
(37) C. pén., art 222-52 (N° Lexbase : L4782K8M).
(38) C. pén., art. 222-54 (N° Lexbase : L4784K8P).
(39) C. pén., art. 222-59 (N° Lexbase : L4789K8U).
(40) C. pén., art. 222-56 (N° Lexbase : L4786K8R).
(41) C. pén., art. 222-58 (N° Lexbase : L4788K8T).
(42) C. pén., art. 222-63 (N° Lexbase : L4793K8Z).
(43) C. pén., art. 222-62, 1° (N° Lexbase : L4792K8Y).
(44) C. pén., art. 222-62, 2°. Adde, art. 222-66 (N° Lexbase : L4796K87).
(45) V. par exemple, Cons. const., décision n° 2010-6/7 QPC, du 11 juin 2010 ; Cons. const., décision n° 2010-40 QPC, du 29 septembre 2010, RSC, 2011, 182, obs. B. de Lamy ; Cons. const., décision n° 2011-211 QPC, du 27 janvier 2012 (N° Lexbase : A4116IB3) ; Cons. const., décision n° 2011-218 QPC, du 3 février 2012 (N° Lexbase : A6685IB9). Le mécanisme pourrait toutefois être sauvée par la suite du texte qui énonce que "la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur".
(46) Chapitre V de la loi du 3 juin 2016.
(47) V. également, pour des dispositions instaurant un plafonnement de la valeur monétaire maximale stockée sur les cartes monétaires électroniques rechargeables lorsqu'elles ne peuvent être rattachées à un utilisateur identifiable, art. 31 créant un nouvel art. L. 315-9 (N° Lexbase : L4815K8T) au sein du Code monétaire et financier.
(48) Art. 32 et s. créant un nouvel art. L. 561-29-1 au sein du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4816K8U) et modifiant les articles L. 561-26 (N° Lexbase : L4925K8W) et s. du même code Adde, art. 40 modifiant l'art. L. 152-1 (N° Lexbase : L9537IYU).
(49) Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, art. 86 et s..
(50) Comp., pour l'instauration de semblables mécanismes, C. pén., art. 321-6 (N° Lexbase : L6140HHU) ; 225-6, 3° (N° Lexbase : L2192AM7) ("recel-prostitution").
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453543
Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 27 juin 2016, n° 386165 (N° Lexbase : A4258RUA)
Lecture: 2 min
N3618BWW
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 09 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453618
Réf. : Cons. const., décision n° 2016-548 QPC, du 1er juillet 2016 (N° Lexbase : A9975RUY)
Lecture: 1 min
N3529BWM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Juillet 2016
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:453529