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N1477B34
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par Xavier Baki-Mignot, Doctorant à l’Université Jean Moulin Lyon III
Le 20 Janvier 2025
♦ CA Lyon, 6e ch., 12 septembre 2024, n° 21/08067 N° Lexbase : A74465ZS
♦ CA Lyon, 8e ch., 18 septembre 2024, n° 23/07288 N° Lexbase : A746353S
♦ CA Lyon, 1re civ. B, 29 octobre 2024, n° 22/08323 N° Lexbase : A58396DM
Mots-clefs : élagage • réduction • possessoire • empiétement
Solutions : Confirmatives.
Portée : Aucune.
Que dire quand il n’y a rien à dire ? On est confondu d’observer qu’aucune décision un tant soit peu remarquable tombant sous cette rubrique, n’est née des forces vives de la Cour d’appel de Lyon au cours des derniers mois. « Pas un seul petit morceau, dit le poète, de mouche ou de vermisseau… » Mais n’allons point crier famine, et jouissons plutôt de ce jeûne bienfaisant. Cette disette qui décontenance peut-être le chroniqueur est une bénédiction pour la société. Le droit atteint son plus haut degré de perfection lorsqu’il ressemble enfin à une mer sans lames, sans rouleaux, sans naufrages. Qu’importe alors s’il jette au chômage technique la communauté des savants avide de nouveautés et toujours prompte par réflexe existentiel à gonfler démesurément la moindre insignifiance jurisprudentielle (au hasard : les droits réels de jouissance spéciale ?). Car le droit n’est pas fait pour la doctrine, mais la doctrine pour le droit.
Il ne reste plus qu’à retrouver le goût de s’émerveiller devant la psalmodie tranquille des arrêts. Il est temps de chroniquer les sans-grades pénétrés d’humilité, ceux qui ne prétendent pas révolutionner la matière ni infléchir en quoi que ce soit les solutions, mais seulement entretenir ce qui a été construit et bien construit, et conserver religieusement le dépôt d’une sagesse passée qui nous dépasse. On a donc choisi, pour cette anti-chronique, trois arrêts dont le point commun est de n’avoir strictement aucun intérêt.
Le premier nous apprend qu’une haie dépassant deux mètres et plantée à moins de deux mètres de la ligne divisoire, doit être réduite à cette hauteur ; qu’en outre ses branches qui avancent sur l’héritage voisin doivent être élaguées. Rien en somme qui ne nous soit connu depuis près de cent cinquante ans [1]. Le texte réservant cependant en hauteur la prescription trentenaire, les défendeurs n’ont pas manqué de l’invoquer, attestations à l’appui, que la cour écarte poliment comme étant de pure complaisance. N’était donc pas démontrée « la prescription de l’action ». Il est vrai qu’on discute encore âprement la nature extinctive ou acquisitive de cette prescription [2]. Mais n’allons pas voir dans la formule de cet arrêt un parti pris théorique digne d’exégèse, alors qu’elle ne commandait ici aucune conséquence appréciable.
Le deuxième arrêt nous enseigne que le juge des référés, saisi sur le fondement de l’article 835 du Code de procédure civile N° Lexbase : L8607LYG, peut faire cesser un trouble illicite affectant la possession immobilière, sans que le possesseur soit tenu de prouver sa propriété du fonds. Aussi la cour infirme-t-elle l’ordonnance du président d’un tribunal qui avait cru (le croira-t-on ?) devoir exiger au possessoire la preuve d’une prescription acquisitive accomplie. Voilà donc en cause d’appel une application irréprochable de l’article 2278 du Code civil N° Lexbase : L7211IAC. Mais, la cour précise-t-elle, la possession du demandeur au possessoire doit être utile, donc présenter les mêmes caractères, hormis la durée, que ceux exigés pour prescrire ; jurisprudence constante [3]. Conditions satisfaites en l’espèce pour les demandeurs, sur la foi de divers éléments, photographies, croquis, établissant qu’ils entreposaient leurs effets personnels dans le hangar litigieux. Le défendeur, lui, ne faisait état que d’actes de possession équivoques ou non paisibles. Condamnation donc de ce dernier, sous astreinte, à déposer la porte en tôle cadenassée qu’il y avait installée par pure voie de fait.
Le troisième arrêt, enfin, rappelle qu’il n’y a point d’empiétement illicite lorsque le propriétaire du fonds empiété avait consenti lui-même à l’ouvrage. La jurisprudence est parfaitement en ce sens [4]. En l’espèce, un mur mitoyen, mal construit par quelque entrepreneur négligent, débordait sur le fonds d’un des deux voisins. Mais ce voisin avait validé le devis, et, pis, il avait « en sa qualité d’ingénieur » supervisé en quelque sorte les travaux. Il aurait mieux valu faire l’ignorant. Rejet de l’action en suppression. Patere parietem quem ipse fecisti…
[1] C. civ., art. 671 N° Lexbase : L3271ABR et 672 N° Lexbase : L3272ABS, dans leur rédaction issue de la loi de 1881, et art. 673 N° Lexbase : L3273ABT.
[2] J.-D. Pellier, Le double visage de la prescription de l’article 672 du code civil, D., janvier 2023, n° 1, p. 19.
[3] Cass. civ. 3, 20 novembre 1969 : Bull. civ. III, n° 735 ; Cass. civ. 3, 3 octobre 1969 : Bull. civ. III, n° 611 ; Cass. civ., 12 mars 1924 : D.H., 1924, p. 334 ; Req., 5 avril 1869 : D.P., 1869, I, p. 524.
[4] Cass. civ. 1, 8 mars 1988, n° 86-16.589 N° Lexbase : A7749AAA.
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N1506B38
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par Goulven Le Ny, Avocat au barreau de Nantes et David Blondel, juriste commande publique à la Ville de Mantes-la-Jolie, formateur à l’Ecole des Ponts Paristech et EFE
Le 17 Janvier 2025
Mots clés : marché public de travaux • influence déterminante • BEFA • opération complexe • cession avec charges d’intérêt général
Le critère de l’influence déterminante a été dégagé par le juge européen pour préciser ce qu’il fallait entendre par un ouvrage répondant aux besoins précisés par l’acheteur public. Ce critère est lui-même désormais complété par la jurisprudence des différents ordres de juridiction, qui converge. Il s’en déduit une dichotomie entre les opérations pour lesquelles l’acheteur public détermine des orientations générales, échappant à la commande publique, et les opérations pour lesquelles il formule des exigences spécifiques dépassant des orientations générales qui relèvent de la commande publique et de la catégorie des marchés de travaux. Les jurisprudences récentes rendues par les juridictions administratives, européennes et judiciaires permettent de déterminer plus finement les contours de ce qui constitue une orientation générale et de ce qui la dépasse de manière « spécifique ».
La jurisprudence européenne a progressivement dégagé le critère de « l’influence déterminante » de l’acheteur public sur la nature et la conception de l’ouvrage, critère repris par le législateur européen et aujourd’hui transposé dans le Code de la commande publique (1). Ce critère difficile à appréhender a fait l’objet d’applications récentes à la fois par la Cour de Justice de l’Union européenne, le Conseil d’État mais également la Cour de cassation, fournissant des espèces permettant d’identifier des hypothèses de requalification (2).
I. Le critère de « l’influence déterminante », origine et fondements juridiques actuels
Le critère de « l’influence déterminante » a été dégagé par la jurisprudence européenne (1.1), avant d’être repris par le législateur européen, et intégré dans le Code de la commande publique, où il cohabite avec une présomption (1.2).
A. L'identification du critère de l’influence déterminante dans la jurisprudence européenne
Le critère de l’influence déterminante de l’acheteur public a été dégagé par la jurisprudence européenne pour donner corps à la définition du marché public de travaux figurant dans la directive de 2004. Le marché de travaux était alors défini par référence à son objet, qui devait porter sur la réalisation d’un « ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur ».
Le juge européen a d’abord qualifié de marché public une opération de location d’un ensemble immobilier au motif que l’ensemble immobilier avait été réalisé « conformément aux spécifications très détaillées » explicitées par l’acheteur public au travers d’un « descriptif précis des bâtiments à construire, de leur qualité et de leurs équipements », allant bien au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un nouvel immeuble d’une certaine envergure [1].
C’est pour donner corps de manière plus précise à cette définition que le juge européen a dégagé le critère de l’influence déterminante de l’acheteur public, en ce que « il faut que ce dernier ait pris des mesures afin de définir les caractéristiques de l’ouvrage ou, à tout le moins, d’exercer une influence déterminante sur la conception de celui-ci » [2].
Dans cette affaire, il était question de la vente par un acheteur public à une société privée sur lequel cette dernière devait exécuter ultérieurement des travaux répondant à des objectifs de développement urbanistique définis par la ville. Le juge avait ici écarté la qualification de marché public de travaux que « Le simple fait qu’une autorité publique, dans l’exercice de ses compétences en matière de régulation urbanistique, examine certains plans de construction qui lui sont soumis ou prenne une décision en application de compétences dans cette matière ne répond pas à l’exigence relative aux «besoins précisés par le pouvoir adjudicateur», au sens de ladite disposition » [3].
Le juge européen a estimé caractérisée l’influence déterminante de l’acheteur public en constant l’existence dans les pièces contractuelles d’un cadre d’exigences, lequel précisait « les différentes caractéristiques techniques et technologiques de l’ouvrage projeté ainsi que, en fonction d’un ensemble de données statistiques relatives aux activités », allant jusqu’à évoquer le nombre de bureaux ou de salles nécessaire selon les fonctions ou la capacité d’accueil des parcs de stationnement [4].
B. Reprise par la législateur et intégration dans le Code de la commande publique
Le critère de « l’influence déterminante » dégagé par la jurisprudence européenne a été repris à la directive de 2014, qui dispose qu’est un marché public de travaux le contrat ayant pour objet « la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par le pouvoir adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception » [5].
Ce critère a été de ce fait introduit dans la législation interne lors de la transposition de cette Directive en 2015 (ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, relative aux marchés publics N° Lexbase : L9077KBS, article 5), puis codifié à l’article L. 1111-2 du Code de la commande publique N° Lexbase : L3878LR3.
Pour identifier un marché public de travaux, deux critères alternatifs cohabitent en droit interne [6].
Le premier consiste à présumer que constitue un marché public de travaux le marché public ayant pour objet l’exécution, ou la conception ou l’exécution de travaux dont la liste figure dans un avis annexé au Code de la commande publique [7].
La portée de la liste figurant à cet avis a été précisée par le Conseil d’État, qui l’analyse comme créant une présomption de réponse à un besoin de l’acheteur public lorsque le contrat porte sur des travaux figurant à cette liste, ce qui doit conduire à regarder le contrat comme un contrat de la commande publique [8].
Dans cet avis, le Conseil d’État considère qu’ « il ressort tout d’abord du cahier des charges que les passerelles envisagées, bien que destinées à plusieurs usages, ont vocation à être utilisées comme axe de déplacement et de franchissement de la Seine. La création de nouvelles voies et leur affectation à la circulation, y compris piétonne, relèvent de la satisfaction d’un besoin public. Les ponts figurent, en outre, sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique » publiée au Journal officiel du 27 mars 2016 en application du 1° du I de l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du 1° du I de l’article 6 de l’ordonnance du 29 janvier 2016, pour lesquelles existe une forme de présomption de réponse à un besoin de la personne publique ».
Les acheteurs publics doivent donc prêter une attention particulière à ce premier critère, qui semble présenter désormais une certaine automaticité.
Le deuxième critère consiste en une reprise du critère de l’influence déterminante de l’acheteur public sur la nature et la conception de l’ouvrage, critère qui a vocation à s’appliquer dans des situations où l’opération n’est pas présumée relever de la présomption de réponse a un besoin dégagé par le Conseil d’État, ce qui explique probablement la rareté des applications.
Est un marché public de travaux le contrat ayant pour objet « Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux exigences fixées par l'acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception », étant précisé qu’un ouvrage « est le résultat d'un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique » (CCP, art. L. 1111-2).
Si le Conseil d’État considère ce deuxième critère comme alternatif du premier, il est intéressant de noter qu’il analyse les deux critères afin de vérifier qu’en tout état de cause, il est question d’une commande publique.
Il pourrait être tentant d’omettre l’examen du premier critère, puisque que pour reprendre la doctrine, le deuxième « vise probablement à restreindre les hypothèses de qualification de marché de travaux » si bien que « n’y seront plus incluses les opérations dans lesquelles le pouvoir adjudicateur se borne à définir certaines exigences tout en n’exerçant aucune influence déterminante sur la nature ou la conception même de l’ouvrage » et que l’« on pense ici particulièrement aux ventes avec charges » [9].
Cependant, nous ne pouvons qu’inciter les acheteurs publics à reprendre la méthode utilisée par le Conseil d’État dans son avis de 2019 et examiner, par précaution, et en tout état de cause, les deux critères. Ceci afin de limiter les aléas concernant la qualification des montages contractuels complexes et choisir d’emblée la procédure de passation et le régime contractuel adéquat.
II. Le critère de « l’influence déterminante » précisé par des applications par les différentes juridictions s’agissant de montages juridiques variés
La jurisprudence récente fournit trois illustrations récentes, qui permettent d’illustration l’application de critère dans une variété de situations :
Il en ressort que de manière déterminante, c’est la nature des exigences posées par l’acheteur qui fait basculer l’opération dans le champ de la commande publique. Dès lors qu’il dépasse la fixation d’orientations générales, l’acheteur public est en risque de requalification.
A. Application par le Conseil d’État dans le cadre d’une BEFA portant sur la réalisation d’une extension d’un centre hospitalier
Le juge administratif s’est prononcé à plusieurs reprises en appliquant le critère de l’influence déterminante. Avant même que celui ne soit dégagé par la jurisprudence européenne, le Conseil d’État approuvait le tribunal administratif ayant prononcé la nullité d’un « contre de vente l’état futur d’achèvement » dont l’objet était « la construction même pour la compte de la collectivité d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu selon ses besoins propres », y voyant un contournement des « règles de concurrence, prévues par le code des marchés » [10].
Les juridictions du fond n’ont donc pas eu de difficulté à faire la synthèse de la jurisprudence interne et européenne. Ainsi, par exemple, a été écartée la qualification de commande publique, en regardant des « orientations générales » comme insuffisantes pour qualifier une commande publique [11].
Le Conseil d’État a confirmé cette tendance dans sa décision « SCI Victor Hugo » [12], reprenant et suivant d’ailleurs en cela le rapporteur public, la grille d’analyse dégagée par les juridictions européennes. Le rapporteur public Nicolas Labrune, relatant la jurisprudence européenne et interne explicitée ci-avant, affirmait aux juges du Conseil d’État que « votre propre jurisprudence ne dit pas autre chose » tout en pointant la rareté des précédents.
Il était question là encore d’un bail en l’état futur d’achèvement, concernant l’extension d’un centre hospitalier. Le Conseil d’État juge qu’il s’agit d’un marché public en raison :
Les conclusions du rapporteur public sont également très éclairantes sur la situation de fait et les éléments qui ont pu conduire à cette appréciation : « Ce contrat, [...] porte sur un ensemble indivisible de deux bâtiments existants et d’un bâtiment à construire. En ce qui concerne le bâtiment B, qui existe déjà, le centre hospitalier n’occupera que le rez-de-chaussée, qui s’étend sur 116 m², et il n’y a pas de travaux prévus. Quant au bâtiment A, lui aussi déjà construit et dont l’hôpital occupera les 651 m², des travaux sont prévus pour «l'adapter à une activité tertiaire », notamment en ouvrant des fenêtres et en créant un escalier de secours. Ces travaux d’adaptation du bâtiment A ne seraient peut-être pas suffisants, à eux seuls, pour caractériser un marché public. Mais ils sont indissociables des demandes du centre hospitalier concernant le bâtiment C, bâtiment de 487 m² à construire après la conclusion du contrat. Or l’implantation même de ce bâtiment C, dans la continuité du bâtiment A dont il constitue une extension « en L », a été conçue pour répondre aux besoins d’utilisation de ce bâtiment A par l’hôpital. Quant aux aménagements intérieurs de ce bâtiment C, il nous semble ressortir des pièces du dossier soumis aux premiers juges qu’ils sont destinés à répondre aux besoins spécifiques des usagers accueillis par le centre hospitalier, en particulier les enfants. Et, d’ailleurs, puisque ces aménagements sont conçus pour répondre au projet de l’établissement public d’installer dans le bâtiment des activités médicales et non pas des services administratifs, ils sont en réalité, presque de ce seul fait, suffisamment spécifiques pour être regardés comme répondant aux besoins précis du pouvoir adjudicateur. Dans ces conditions, il nous semble que l’influence de la personne publique sur la conception des ouvrages a bien été déterminante, de sorte que le contrat devait, comme l’a jugé la cour, être qualifié de marché public de travaux ».
La jurisprudence administrative paraît donc bâtie autour d’une dichotomie entre les opérations pour lesquelles l’acheteur public a fixé des orientations générales, qui ne relèvent pas de la commande publique, et les opérations pour lesquelles l’acheteur public est allé au-delà d’orientations générales, entraînant l’application du droit de la commande publique.
B. Application par la CJUE dans le cadre d’une opération complexe impliquant subvention et promesse d’achat portant sur un équipement sportif
La CJUE a été récemment amenée à statuer sur un ensemble contractuel comprenant un contrat de subvention et une promesse d’achat en vue de la réalisation d’un ouvrage du stade dont les spécifications techniques sont détaillées [13].
Si cet arrêt a principalement intéressé pour la requalification en marché public opérée concernant un ensemble contractuel complexe liant un contrat de subvention et un contrat immobilier, le juge européen a également été conduit à appliquer le critère de l’influence déterminante.
La CJUE y voit un marché public de travaux : « constitue un « marché public de travaux », au sens de cette disposition, un ensemble contractuel liant un État membre à un opérateur économique et comprenant un contrat de subvention ainsi qu’une promesse d’achat, conclus en vue de la réalisation d’un stade de football, dès lors que cet ensemble contractuel crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées » (pt 61).
Elle souligne que l’obligation de respecter les critères fixée par une fédération sportive est susceptible de révéler une influence déterminante, à vérifier par la juridiction de renvoi, dans le cas où ce règlement comporterait des exigences relatives, par exemple, aux dimensions du terrain de jeu, à la capacité du stade en nombre de spectateurs ou au nombre de places de parking prévues, ce qu’il revient également à la juridiction de renvoi d’examiner (pt 54).
Il est intéressant de noter que le fait que les exigences émanent de tiers est indifférent. Il suffit que l’acheteur les reprenne à son compte pour qu’elle traduise une influence déterminante.
L’élément déterminant est en réalité, pour le juge européen également, la nature des exigences posées par l’acheteur public, qui entraînent la qualification de commande publique dès lors qu’elles dépassent des orientations générales telles que la reprise des obligations découlant de la réglementation d’urbanisme.
C. Application par la Cour de cassation dans le cadre d’une cession avec charges d’intérêt général en matière de logement social
De son côté, la Cour de cassation a eu à connaître d’une promesse de cession avec charges d’intérêt général conclues entre une commune et deux promoteurs à la suite d’une consultation menée par un établissement public foncier, prenant des engagements de construction de logements en mixité sociale avec livraison à la commune, à titre de paiement partiel du prix ventes des terrains du domaine privé objet de la cession, d’un local brut et de places de stationnement [14].
Le maire s’est finalement ravisé et a refusé de réitérer la vente, estimant la procédure de passation irrégulière, ce qui a conduit les promoteurs à assigner la commune en réalisation forcée de la vente et paiement de la clause pénale stipulée à la promesse de vente.
C’est dans ce contexte que la Cour de cassation va être conduite à qualifier le contrat. Par une motivation à certains égards surprenante, mêlant la Directive de 2004 et le droit interne résultant de l’ordonnance de 2014, ainsi que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, la Cour de cassation va mobiliser à son tour le critère de l’influence déterminante pour qualifier le contrat.
Elle va écarter l’influence déterminante de l’acheteur public en reprenant à son compte les éléments relevés par la cour d’appel.
En premier lieu, l’appel à candidature ne mentionnait la réalisation d’environ 40 % de logements locatifs sociaux, ce qui correspondait à la proportion minimale imposée par le règlement local d’urbanisme.
En deuxième lieu, l’appel à candidature ne comportait aucune demande formulée par la commune sur la structure architecturale des bâtiments, laissant toute latitude aux opérateurs pour concevoir et réaliser le programme immobilier (catégories de logements et modes d’acquisition), sans définition par la commune des caractéristiques précises du projet.
En troisième lieu, et quand bien même la commune se réservait un local brut et un parc de stationnement et imposait 250 logements collectifs et une surface de plancher minimale à atteindre, la Cour constate qu’aucun élément probant n’établissait que ce local soit utilisé pour la réalisation d’un équipement public répondant à un besoin spécifiquement défini par la commune.
En conséquence, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui a jugé que l’opération n’était pas soumise aux règles de la commande publique.
La jurisprudence des juridictions judiciaires paraît donc également se stabiliser autour d’une dichotomie entre les opérateurs pour lesquels l’acheteur a fixé des orientations générales et les opérations dans lesquelles il est au-delà.
Si cela se déduit d’une lecture a contrario de cet arrêt de la Cour de cassation, la tendance est également marquée clairement par les juridictions du fond.
Ainsi par exemple, il a été jugé que l’acheteur qui a suivi et encadré la réalisation, ce qui résulte de différents courriels démontrant qu’il a adressé une notice descriptive sommaire, un plan de masse, des documents concernant les éléments techniques spécifiques à mettre en place dans l’ouvrage à construire en vente en l’état futur d’achèvement [15].
De même, il a été jugé qu’une opération de vente en l’état futur d’achèvement constituait un marché de travaux, l’acheteur public ayant « fait un certain nombre de remarques et de préconisations », portant sur le nombre de postes de travail et plus généralement sur des détails techniques (pose d'un isolant par l'extérieur sur l'ensemble des façades, volets roulants anti-relevage, brise-soleil, luminaires à LED dans les circulations, palier et sanitaires, téléphonie et informatique avec précablage avec performance de 10 Gbits, etc.). Le juge en déduit que c’est en considération des besoins de l’acheteur public que le projet a été réalisé, l’acheteur public ayant initié le projet et en ayant défini les caractéristiques du bâtiment à construire [16].
Les acheteurs publics, quand même ils relèvent du juge judiciaire, doivent tout autant veiller à ne pas excéder la détermination d’orientations générales au risque de voir leurs opérations requalifiées par des « spécificités ».
[1] CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-536/07, Commission c/ Allemagne, N° Lexbase : A5617EMY, pt. 58.
[2] CJCE, 25 mars 2010, aff. C-451/08, Hellmut Muller N° Lexbase : A9884ETA, pt 67.
[3] Idem, pt 68.
[4] CJCE, 10 juillet 2014, aff. C-213/13, Impresa Pizzarotti & C. SpA c/ Cne Bari N° Lexbase : A1868MUQ, pt. 46 et 47.
[5] Directive 2014/24/UE du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics N° Lexbase : L8592IZA, art. 2.
[6] Voir, sur le caractère alternatif de ces critères : CE, 22 janvier 2019, n° 396221 [LXB=].
[7] Avis relatif à la liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique N° Lexbase : L2786K93.
[8] CE, 22 janvier 2019, n° 396221, 5°.
[9] S. Nicinski (in O. Guézou (Dir.), Droit des marchés publics et contrats publics spéciaux, Le Moniteur.
[10] CE, 8 février 1991, n° 57679, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9835AQC.
[11] CAA Douai, 9 février 2021, n°19DA02146 N° Lexbase : A62564H8.
[12] CE, 3 avril 2024, n° 472476 N° Lexbase : A64072ZC.
[13] CJUE, 17 octobre 2024, aff. C-28/23 N° Lexbase : A73216AE.
[14] Cass. civ. 3, 26 octobre 2023, n° 22-19.444, F-D N° Lexbase : A70531QB.
[15] TJ Bordeaux, 25 octobre 2024, n° 22/09865 N° Lexbase : A49456DI.
[16] CA Orléans, 14 mai 2024, RG n° 21/02017 N° Lexbase : A25215CD.
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Réf. : Cass. civ. 2, 16 janvier 2025, n° 22-19.719, F-B N° Lexbase : A51936QE
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N1500B3X
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par La Rédaction
Le 20 Janvier 2025
La Cour de cassation a rendu une décision concernant la compétence du juge des référés en présence d'un juge de la mise en état. Elle précise que la désignation d'un juge de la mise en état dans une instance ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés pour statuer sur un litige distinct de celui dont est saisie la juridiction du fond.
L'affaire était relative à l'exercice du droit de préemption et opposait une SAFER à des consorts. La cour d'appel avait déclaré le juge des référés incompétent pour connaître d'une demande d'expulsion, au motif qu'un juge de la mise en état avait été désigné dans une instance en annulation de préemptions exercées. La Cour de cassation censure cette décision, considérant que la demande d'expulsion en référé avait un objet différent de l'instance au fond. Elle rappelle que l'article 789 du Code de procédure civile, qui confère une compétence exclusive au juge de la mise en état pour certaines mesures, ne s'applique pas lorsque le litige soumis au juge des référés est distinct de celui examiné au fond.
Cette décision assure aux parties de pouvoir obtenir une décision rapide sur des questions urgentes, telle que l’expulsion.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La procédure devant le tribunal judiciaire, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E91717GR : |
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Réf. : Cass. crim., 15 janvier 2025, n° 23-85.073, FS-B N° Lexbase : A47936QL
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N1504B34
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par Matthieu Hy, Avocat
Le 17 Janvier 2025
Le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut être autorisé à engager ou reprendre une procédure civile d’exécution sur un bien saisi pénalement lorsque le maintien de la saisie en la forme n’est pas nécessaire. Lorsque les conditions prévues par la loi sont réunies, le juge peut néanmoins refuser cette autorisation en raison de la mauvaise foi du créancier ou de l’atteinte disproportionnée que porterait la vente forcée à l’efficacité de la peine de confiscation si elle est prononcée.
À l’occasion d’une enquête ouverte des chefs de fraude fiscale aggravée, blanchiment aggravé et recel, un bien immobilier appartenant à la personne mise en cause a fait l’objet d’une saisie pénale. Le bénéficiaire d’une hypothèque judiciaire provisoire portant sur l’immeuble et publiée antérieurement à la saisie pénale immobilière a sollicité du juge des libertés et de la détention qu’il soit autorisé à engager une procédure de saisie immobilière sur le bien. La requête aux fins d’être autorisé à engager cette procédure civile d’exécution ayant été rejetée, il a formé appel de la décision. La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention au motif notamment que la conjoncture résultant de la guerre en Ukraine, le relèvement des taux d’intérêts et la baisse des prix de l’immobilier rendaient inopportune l’autorisation dans la mesure où une vente forcée serait, dans ces circonstances, de nature à diminuer l’assiette de la saisie pénale. Le créancier s’est pourvu en cassation.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation censure l’arrêt de la chambre de l’instruction aux motifs, d’une part, que la juridiction s’est prononcée uniquement par des motifs généraux extérieurs à la procédure et, d’autre part, qu’elle n’a constaté ni mauvaise foi du créancier ni risque d’atteinte disproportionnée à la garantie d’exécution de l’éventuelle peine de confiscation.
Si la saisie pénale, qui rend le bien indisponible [1], n’a pas pour effet de modifier l’ordre des sûretés sur le bien concerné, elle suspend ou interdit toute procédure civile d’exécution sur le bien concerné [2]. L’article 706-146, alinéa 1er, du même code N° Lexbase : L7240IM4 permet néanmoins au créancier de solliciter l’autorisation d’engager ou de reprendre une telle procédure à deux conditions. En premier lieu, il doit être muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible. En second lieu, il faut que le maintien de la saisie du bien en la forme ne soit pas nécessaire [3].
Toutefois, la réunion de ces deux conditions ne suffit pas à contraindre le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction, compétents par application de l’article 706-144, alinéa 1er [4], du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7644MM3, à faire droit à la requête du créancier.
En effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation expose que le juge peut rejeter la demande dans deux hypothèses. D’une part, tel est le cas s’il constate l’illégitimité de la procédure civile d’exécution en raison de la mauvaise foi du créancier. Ce cas de figure complète l’interdiction légale de toute vente amiable afin d’éviter une collusion entre le créancier et le mis en cause [5]. D’autre part, il peut refuser lorsqu’il constate que l’atteinte portée par ladite procédure à la garantie d’exécution de la confiscation que constitue la saisie pénale serait disproportionnée au regard notamment de la situation du créancier, de la nature de la créance ou de son montant, ou de l’évolution prévisible de la valeur du bien. En effet, la saisie pénale étant reportée sur le reliquat du prix de vente une fois désintéressés les créanciers inscrits antérieurement à la saisie pénale [6], la valorisation du bien intéresse l’autorité judiciaire. Ainsi, la Haute juridiction considère que la volonté du législateur est de concilier l’efficacité de la saisie pénale et la préservation des intérêts légitimes des créanciers.
[1] C. proc. pén., art.706-145 N° Lexbase : L7241IM7, al.1er.
[2] C. proc. pén., art.706-145, al.2.
[3] Cette condition, également posée à l’article 706-152, alinéa 1er, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7600MMG relative à l’hypothèse de la cession immobilière conclue avant la publication de la décision de saisie pénale mais publiée après cette publication, a été étendue par la jurisprudence à toute autorisation de vendre un bien faisant l’objet d’une saisie pénale à la requête de son propriétaire (Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 20-84.674, FS-B N° Lexbase : A5653447).
[4] Pour une illustration : Cass. crim., 28 juin 2023, n° 21-87.003, FS-D N° Lexbase : A832697I et n° 21-87.002, FS-B N° Lexbase : A266897X.
[5] C. proc. pén., art.706-146 N° Lexbase : L7240IM4, al.1er.
[6] Idem.
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Réf. : Cass. com., 18 décembre 2024, n° 23-14.518, FS-B N° Lexbase : A31726NS
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N1496B3S
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par Vincent Téchené
Le 16 Janvier 2025
► Ne commet pas d'excès de pouvoir le président d'un tribunal qui retient qu'ayant atteint l'âge limite d'exercice de la profession, un notaire avait l'obligation de céder ses parts sociales, de sorte que le prix de cession devait, à défaut d'accord entre les parties, être fixé par un expert désigné sur le fondement de l'article 1843-4 du Code civil.
La décision du président du tribunal de nommer un expert en application de l’article 1843-4 du Code civil N° Lexbase : L1737LRR est sans recours possible. L’appel réformation est toutefois désormais admis contre la décision du président refusant la désignation (Cass. com. 25 mai 2022 n° 20-14.352, FS-B+R N° Lexbase : A14857YN, Ph. Duprat, Lexbase Affaires, juin 2022, n° 721 N° Lexbase : N1817BZC). En revanche, en cas de nomination de l’expert, il n’est dérogé à cette règle qu’en cas d’excès de pouvoir du magistrat.
C’est ce qu’invoquait ici le notaire, associé d’une SCP. Il reprochait en effet au tribunal, saisi de la demande de nomination du tiers estimateur, d’avoir retenu que l’intéressé, ayant atteint l'âge limite d'exercice de sa profession, devait céder ses parts.
Mais la Cour de cassation déclare le pourvoi irrecevable, dès lors qu’il était dirigé contre une décision n'ayant pas consacré d'excès de pouvoir.
Depuis le 1er septembre 2024, le décret du 2 octobre 1967 (décret n° 67-868 N° Lexbase : L1983DY4), sur le fondement duquel la décision a été rendue, a été abrogé. Plus précisément, les dispositions des articles 33-1 et 28 se retrouvent désormais aux articles 42 et 35 du décret n° 2024-873, du 14 août 2024, relatif à l'exercice en société de la profession de notaire N° Lexbase : L3128MN8.
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