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Le 17 Avril 2025
Mots clés : contrat de travail • autoentrepreneurs • travailleurs indépendants • livraison à domicile • précarité
L’agence de sécurité sanitaire (Anses) a récemment rappelé les risques physiques et psychosociaux, pour les livreurs de repas à domicile liés à l’usage de l’intelligence artificielle pour l’attribution des courses. Pour faire le point sur les risques auxquels ces forçats du bitume sont confrontés, Lexbase a interrogé Kevin Mention, avocat au barreau de Paris*.
Lexbase : Que vous inspire le dernier rapport de l'Anses sur les livreurs de repas à domicile ?
Kevin Mention : Ce rapport confirme ce que nous dénonçons depuis bien longtemps devant les tribunaux contre les sociétés de type Uber, Deliveroo, Stuart ou encore Frichti.
Il y a d'abord une grande précarité, avec des rémunérations dérisoires, souvent en dessous du SMIC. Il y a quelques années ces « plateformes » se vantaient de proposer plus qu'un SMIC, une comparaison déjà douteuse alors que leur modèle disait écarter le salariat. Si on tenait compte de l'absence de congés payés, de prime de précarité, de mutuelle, de prise en charge des transports, du barème kilométrique et de tout le reste, on était en réalité proche du SMIC voire déjà en deçà.
Aujourd'hui, les rémunérations sont bien plus faibles encore. Ces sociétés paient à la course et ont recours à de plus en plus de travailleurs sans papiers, que ce soit en direct ou via des comptes qui sont « sous-loués » (ce que le rapport dénonce comme pouvant s'apparenter à de la traite de personne). Ces travailleurs, que le film l'Histoire de Souleymane met en avant, doivent réaliser un maximum de courses et les acceptent donc toutes, même celles payées une misère (parfois 2 euros la livraison, pour livrer en 10 minutes après 10 minutes d'attente). Les sociétés en profitent pour payer de moins en moins.
Il y a peu, ces sociétés se sont vantées de garantir 11,75 euros de l'heure minimum. Le ministre du Travail de l'époque s'en était félicité sur Twitter. C'était 11,75 euros en moyenne sur un mois, uniquement pour le temps en course. Le SMIC est à 11,88 euros, avec 10 % en supplément pour les congés payés, avec le temps d'attente entre deux courses (les coursiers attendent souvent une demi-heure entre deux courses sans rémunération) qui est obligatoirement rémunéré pour les salariés, avec tous les avantages du salariat.
Et cette précarité financière est amplifiée avec une suspension ou une rupture de contrat unilatérale qui peut survenir n'importe quand, au moindre faux pas. Un peu trop de temps pour livrer une commande sous une chaleur caniculaire? Un avertissement pouvant mener à une rupture de contrat. Des détours trop réguliers car le coursier essaie de survivre en travaillant sur plusieurs plateformes? L'algorithme et le suivi GPS peuvent le détecter et une rupture de contrat peut survenir. Parfois du jour au lendemain, sans même un préavis...
À cette précarité financière s'ajoute la précarité physique et mentale. Le job est très dur et usant, il est aussi très risqué, et extrêmement fermé à la gente féminine. Tous les coursiers ont déjà connu une chute à vélo, certains sont blessés à vie, certains ont été défigurés à travers un pare-brise, et d'autres sont même morts dans l'indifférence la plus totale.
Avec les algorithmes des systèmes d'emprise mentale sont mis en place, le coursier est toujours incité à en faire plus, à aller plus vite, il sait que son travail est précaire donc il prend ce qu'il y a à prendre lorsqu'une rémunération est proposée, même dérisoire. Il doit se nourrir et payer son loyer à la fin du mois. Souvent, on nous demande si c'est grave de ne plus verser les cotisations URSSAF, cotisations que la plateforme ne prend pas en charge puisqu'elle ne déclare pas le travailleur comme un salarié bien qu'elle le fasse travailler comme tel. Le coursier gagne si peu qu'il ne lui reste pas assez pour finir le mois s'il doit les payer. Il suffit de se faire voler son vélo ou de casser son portable pour repartir dans le rouge. Combien de courses doivent être acceptées pour les remplacer?
Avec maintenant quelques années de recul, on voit aussi que les maladies professionnelles explosent. Problèmes musculaires, cystites, problèmes de prostate, blessures qui n'ont pas du tout été suivis. Il y a quelques jours, un coursier me disait avoir encore des douleurs de cheville deux ans après un accident et une rupture de contrat.
Mentalement, c'est pareil. On a du burn-out, une vulnérabilité très difficile à vivre, une rancœur contre ces sociétés qui exploitent et un sentiment d'impuissance. Le rapport de l'ANSES confirme ce que l'on voit chaque semaine.
Lexbase : Où en est-on de l'encadrement juridique de ces professions ?
Kevin Mention : Dans certains pays des décisions radicales sont prises, en Suisse ou en Espagne les Uber-eats et consorts doivent salarier les coursiers. Aux Pays-Bas les décisions en justice ont été rendues bien plus rapidement qu'en France et Deliveroo a dû quitter le pays tête baissée après un millier de requalifications en salariat.
En France, les juges peuvent participer à la sanction des abus. Mais sur un plan pénal (la dissimulation d'un emploi salarié sous un prétendu statut d'indépendant étant une infraction) c'est extrêmement long, les services sont débordés (énorme manque de moyens dans les juridictions ou encore chez les inspecteurs du Travail) et on voit parfois même des connivences des dirigeants français qui veulent que le système perdure (voir les « Uber Files » et l'enquête parlementaire qui a suivi). Une société comme Frichti a été prise la main dans le sac avec des livreurs quasiment tous sans papiers. On parle de centaines de personnes. Un autre employeur aurait subi une fermeture administrative immédiate : eux ont bénéficié de passe-droits, le ministère de l'Intérieur est même intervenu en leur faveur et les dirigeants ont pu céder leur société plusieurs millions d'euros quelques mois plus tard.
Sur le plan européen, une Directive (UE) n° 2024/2831 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024, relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme N° Lexbase : L3300MRN, vise à mettre en place plusieurs garde-fous comme une présomption de salariat et d'autres mécanismes de contrôle tel que sur le contenu des algorithmes qui contrôlent et dirigent les coursiers. Sauf que nos dirigeants français l'ont déjà quelque peu torpillée, comme en limitant le champ de cette présomption de salariat ou en s'opposant au contrôle automatique par l'inspection du travail dès lors qu'une décision de justice reconnaît du salariat déguisé.
Heureusement, quelques décisions devant les prud'hommes, les cours d'appel ou la Cour de cassation [1] viennent requalifier les contrats de prestation de service en contrats de travail avec toutes les conséquences financières que cela apporte. Mais c'est très long et toujours à titre individuel : le coursier doit faire la démarche et aller au bout. Il faut non seulement qu'il ait connaissance de ses droits, qu'il ait les moyens de les faire valoir, qu'il ait les preuves suffisantes pour démontrer être un salarié déguisé (à l'échelle de l'ensemble des coursiers, cette preuve est assez simple à apporter mais le travail dissimulé porte bien son nom. Depuis 2019, Deliveroo a par exemple supprimé quasiment tous les échanges écrits et privilégie encore les ordres à l'oral) et qu'il patiente plusieurs années.
Nous avons des coursiers qui ont déjà définitivement été reconnus victimes de travail dissimulé au pénal, qui travaillent encore en 2025 pour leur employeur condamné (Deliveroo en l'occurrence) et qui ne sont pour autant toujours pas déclarés !
Lexbase : Quelles sont les dernières décisions marquantes en la matière ?
Kevin Mention : Les décisions prud'homales condamnent régulièrement les pratiques des "plateformes". En ce début d'année 2025, nous avons par exemple déjà obtenu 24 décisions favorables contre Deliveroo et avons plaidé 80 autres dossiers qui sont en attente de délibéré.
Certaines sociétés et/ou dirigeants ont également été condamnés sur le plan pénal comme pour Take Eat Easy ou Deliveroo. Des poursuites sont en cours contre d'autres comme Frichti ou Foodora.
La Cour de cassation a déjà envoyé des signaux clairs comme dans ses arrêts « Uber » encore confirmés en mars 2025 [2].
Lexbase : Les pouvoirs publics sont-ils à la hauteur du problème selon vous ?
Kevin Mention : Malheureusement non, il y a une très claire complaisance entre les pouvoirs publics et ces sociétés. On ferme les yeux, ça fait baisser les chiffres du chômage et ça permet aux électeurs des grandes villes d'avoir leurs repas livrés pour pas cher. Mais avec des pseudo-indépendants aux cotisations quasi inexistantes (exit les cotisations patronales, exit les surcotisations en cas de multiplication des accidents du travail et des maladies professionnelles), c'est la collectivité qui paie sur le long terme.
[1] Cass. soc., 25 janvier 2023, n° 21-11.273, F-D N° Lexbase : A44209AX.
[2] Cass. soc., 5 mars 2025, n° 23-18.431, F-D N° Lexbase : A8606637 ; Cass. soc., 5 mars 2025, n° 23-18.430, F-D N° Lexbase : A862463S.
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par Robert Rézenthel, docteur en droit
Le 17 Avril 2025
Mots cles : domaine public • droit de propriété • contravention de grande voirie • lais et relais • pêche
Depuis l'Édit de Moulins du 15 février 1566 consacrant le domaine public et son inaliénabilité, les riverains de la mer doivent subir les caprices des flots [1], depuis notamment l'Ordonnance d'août 1681 sur la marine définissant le rivage de la mer. Les propriétaires concernés par la submersion marine sont impuissants face aux phénomènes météorologiques, s'ils peuvent tenter de se protéger à partir d'ouvrages réalisés sur leur terrain, toute occupation sur le domaine public maritime doit être préalablement autorisée par l'État [2].
I. La consistance du domaine public maritime
Il existe des exceptions à la domanialité publique maritime mais elles sont d'interprétation stricte [3]. Ainsi, les détenteurs de lettres patentes ne peuvent revendiquer la propriété des terrains qu'ils occupent sur le bord de mer en raison de l'imprécision des titres qu'ils détiennent.
L'appréciation de la consistance du domaine public maritime appartient à l'État. Selon le Tribunal des conflits, en l'absence de voie de fait, même lorsqu'un arrêt d'une cour d'appel devenu irrévocable admet l'existence du droit de propriété d'une personne sur des prés salés, les juridictions administratives sont compétentes pour apprécier la consistance dudit domaine [4].
Aucun texte législatif ou réglementaire n'affirme clairement que les propriétaires de terrains littoraux submergés par la mer perdent leur droit de propriété. Cette circonstance se déduit du caractère inaliénable et imprescriptible du domaine public. En d'autres termes, dès lors que ces terrains sont submergés ils font partie du domaine public. Même en cas de retrait des eaux, la domanialité publique subsiste contrairement à ce qu'avait jugé la Cour de cassation [5]. La Haute Juridiction précise toutefois que le droit de propriété subsiste sauf si la submersion a été de longue durée. C'est-à-dire selon le Conseil d'État qu'elle doit être « habituelle » [6] ou « régulière » [7].
L'interprétation de ces critères est laissée à l'appréciation des juges qui bénéficient semble-t-il d'un pouvoir discrétionnaire étendu. Il a été jugé en matière fiscale que « La condition d'habitude s'apprécie en principe en fonction du nombre d'opérations réalisées et de leur fréquence » [8] ; une telle interprétation n'est pas transposable à la submersion marine. Si l'effondrement de pans de falaises notamment en Normandie et dans les Hauts-de-France conduit à une submersion d'éboulis par la mer, dans cette hypothèse le propriétaire concerné par ce phénomène ne peut pas contester l'incorporation dans le domaine public maritime de la partie de son terrain en surplomb de la falaise qui s'est effondrée. En revanche, il est plus discutable qu'une telle incorporation résulte d'une submersion d'une partie d'un village lors d'une violente tempête, comme ce fut le cas en février 2010 avec la tempête Xynthia. À la suite d'une rupture de digue, le territoire de la commune de la Faute-sur-mer fut recouvert par près de 2 mètres d'eau.
Dans le cadre de la police de la contravention de grande voirie, le Conseil d'État rappelle [9] que le juge administratif n'est pas tenu par les arrêtés de délimitation du domaine public maritime naturel, il lui appartient de déterminer la consistance de ce domaine en se fondant sur les critères scientifiques fixés par les articles L. 2111-5 N° Lexbase : L0583LZM et R. 2111-5 N° Lexbase : L5580L7S du Code général de la propriété des personnes publiques. Ces arrêtés ne représentent que l'un des éléments d'appréciation. Cependant, ces critères sont imprécis et l'article R. 2111-5 n'indique pas s'ils sont ou non cumulatifs. Ce texte vise : « Les procédés scientifiques auxquels il est recouru pour la constatation sont les traitements de données topographiques, météorologiques, marégraphiques, houlographiques, morpho-sédimentaires, botaniques, zoologiques, bathymétriques, photographiques, géographiques, satellitaires ou historiques ».
Dans les ports maritimes, les travaux d'endiguement ont pour effet d'incorporer ipso facto dans le domaine public maritime les terrains gagnés sur la mer. On soulignera le surprenant arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux qui a estimé que les terrains formés par des sédiments résultant d'une opération de dragage du chenal d'un port de plaisance relevait de la gestion du concessionnaire du port « quand bien même les terrains en cause n'étaient pas matériellement inclus dans le périmètre de cette délégation [de service public], compte tenu de leur création postérieure à l'action portant concession » [10].
Le domaine public maritime naturel résulte de l'action des flots amplifiée par les courants marins et les tempêtes et cyclones. Dans les ports il peut exister du domaine public naturel, mais dès son aménagement il intègre le domaine public artificiel [11].
Il y a lieu de relever que le recul du trait de côte, et donc la progression du domaine public maritime naturel, ne connaît pas de limite à l'intérieur des terres, alors que la limite côté terre de la zone des cinquante pas géométriques dans les départements et territoires d'outre-mer ne recule pas malgré les effets de l'érosion [12].
Les lais et relais constituent à certains égards une énigme pour les juristes. Ces notions sont surtout définies par la doctrine [13], mais aucune époque de leur formation n'est mentionnée dans les textes. Peut-on sérieusement affirmer que la « Roche de Solutré » qui a été formée par la mer constitue un lais de mer au sens de l'article L. 2111-4 3° du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L0402H4N, faisant partie du domaine public maritime naturel.
L'occupation de ce domaine public connaît-elle aussi des zones d'ombre sur le plan juridique ?
II. L'occupation du domaine public maritime et le caractère sibyllin de certains textes
Sous une apparente clarté, les dispositions concernant l'utilisation du domaine public maritime soulèvent des interrogations. Ainsi, la loi dispose que « en dehors des zones portuaires et industrialo-portuaires, et sous réserve de l'exécution des opérations de défense contre la mer et de la réalisation des ouvrages et installations nécessaires à la sécurité maritime, à la défense nationale, à la pêche maritime, à la saliculture et aux cultures marines, il ne peut être porté atteinte à l'état naturel du rivage de la mer... » [14]. Cette protection du rivage ne concerne en réalité qu'une faible partie du domaine public maritime naturel. Celui-ci comporte [15] en outre le sol et le sous-sol de la mer territoriale et des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer, les lais et relais de la mer, la zone des cinquante pas géométriques, et les terrains littoraux réservés pour des besoins d'intérêt public d'ordre maritime, balnéaire ou touristique et qui ont été acquis par l'État.
Plus généralement, l'article L. 2124-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L7962K9R dispose que « Les décisions d'utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques... ». L'expression « tenir compte de » doit s'interpréter comme une nécessaire compatibilité avec les espaces terrestres voisins, critère qui permet une grande liberté d'interprétation par le juge en cas de litige.
Mme A. Bretonneau, rapporteure publique devant le Conseil d'État, a déclaré dans ses conclusions que « la notion de compatibilité... traduit une exigence plus lâche que le rapport de conformité, impliquant seulement que la norme inférieure ne compromette pas l'application de la norme supérieure » [16]. Tandis que M. D. Labetoulle reconnaissait que « La notion de compatibilité ne se laisse que malaisément définir dans l'absolu.. » [17].
Le législateur laisse planer le doute par une formule imprécise en affirmant « Les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique... » [18]. En d'autres termes, l'occupation du domaine public doit être conforme à sa destination. Il y a lieu de se reporter à la jurisprudence pour tenter de définir les contours de cette notion. Au XIX ème siècle, il a été jugé [19] que le domaine public maritime naturel devait permettre la baignade, la promenade, la pêche à pied, l'échouage des embarcations. Puis, dans le courant du XX ème siècle, ont été admis sur ce domaine : le déversement des eaux de drainage des marais [20], des équipements touristiques [21], et même une station de lagunage [22]. Dans le même temps, le Conseil d'État a considéré [23] que l'état du domaine public maritime peut constituer un aspect essentiel du site.
Plus récemment un établissement de dégustation de produits de la mer [24], ainsi qu'une activité de mareyage [25] ont été admis sur le domaine public maritime. C'est le cas également pour un parc éolien en mer, pour lequel il a été jugé que : « la réalisation de ce parc éolien participe à la mise en oeuvre des politiques publiques menées aux niveaux européen, national et local, en vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la lutte contre le réchauffement climatique et plus globalement de la préservation de l'environnement et répond, eu égard à sa nature et aux intérêts économiques sociaux qu'il présente, à une raison impérative d'intérêt public majeur » [26]. On peut encore citer l'extraction de sable en mer qui constitue également une activité compatible avec la destination du domaine public [27].
La loi désigne parfois des activités compatibles avec la destination du domaine public maritime naturel comme, la promenade, la pêche et les cultures marines [28]. À présent, l'objectif principal consiste à assurer la protection du caractère naturel de ce domaine, c'est ainsi que le législateur veut éviter l'implantation pérenne d'ouvrages exploités à des fins économiques, en interdisant la reconnaissance de droits réels sur le domaine public naturel [29]. Plus contestable est l'absence de reconnaissance par la loi du droit d'exploiter un fonds de commerce sur ce domaine [30]. En effet, si pendant longtemps la jurisprudence judiciaire considérait que le bail commercial constituait l'élément principal du fonds de commerce, la Cour de cassation a écarté ce critère et a jugé que le fonds de commerce était une « universalité mobilière » [31]. C'est-à-dire que le commerçant exerçant sur le domaine public pourrait être titulaire d'un fonds de commerce sans pour autant avoir le droit de se maintenir dans les lieux à l'expiration de son contrat d'occupation.
Sur le domaine public portuaire artificiel, on peut s'interroger sur le point de savoir si les bâtiments à usage commercial constituent ou non des biens de retour. Ceux-ci existent, selon la jurisprudence « lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique » [32], ils font partie des biens de retour qui appartiennent en principe au concédant dès leur construction ou acquisition [33].
Les bâtiments commerciaux construits et exploités dans les ports maritimes ne participent pas, en principe, au fonctionnement du service public, ils sont implantés sous le régime de l'autorisation d'occupation temporaire, et ne font pas l'objet de contrôles comme c'est le cas pour les biens des concessions. Il ne s'agit donc pas de biens de retour. A l'expiration des autorisations domaniales, c'est le droit commun qui s'applique, c'est-à-dire comme le prévoit l'article L. 2122-9 du Code de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L4000IPT : « À l'issue du titre d'occupation, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier existant sur la dépendance domaniale occupée doivent être démolis soit par le titulaire de l'autorisation, soit à ses frais, à moins que leur maintien en l'état n'ait été prévu expressément par le titre d'occupation ou que l'autorité compétente ne renonce en tout ou partie à leur démolition ». En l'absence de stipulations dans l'autorisation domaniale ou dans le cahier des charges de la concession, le propriétaire des locaux n'est pas tenu de les remettre en état à l' expiration de ladite autorisation.
Conclusion
Tandis que l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 N° Lexbase : L1294A9S prévoit que la loi détermine les principes fondamentaux du régime du droit de propriété, la jurisprudence reconnaît un large pouvoir d'appréciation aux juges pour déterminer la consistance et les conditions d'occupation du domaine public maritime. Un effort devrait être accompli pour améliorer la lisibilité des textes afin d'assurer la sécurité juridique qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle [34].
[1] M. Querrien, Le rivage de la mer ou la difficulté d'être légiste, EDCE, 1972, n° 25, p. 75 ; R. Hostiou, Le domaine public maritime naturel : consistance et délimitation, Rev. Jurid. de l'environnement, 1990, n° 4, p. 469 à 481.
[2] L'article 33 de la loi du 16 septembre 1807, relative au dessèchement des marais dispose qu'il appartient aux propriétaires riverains du rivage d'assurer la protection de leurs biens et que tout aménagement à cette fin sur le rivage doit être autorisé préalablement par l'État.
[3] CE Sect. 10 juillet 1970, n° 74606 N° Lexbase : A7354B71.
[4] T. confl., 24 février 1992, n° 2685 N° Lexbase : N7341BWS.
[5] Ass. Plén., 23 juin 1972, n° 70-12.960 N° Lexbase : A8937AYN.
[6] CE, 10 juillet 1981, n° 18331, 18332 et 18334 N° Lexbase : A3987AKU.
[7] CE, 22 octobre 2017, n° 400727 N° Lexbase : A7446WSL, concl. G. Pellissier.
[8] CE, 18 mars 2020, n° 425443 N° Lexbase : A95823IQ.
[9] CE, 25 septembre 2013, n° 354677 N° Lexbase : A9649KLX.
[10] CAA Bordeaux, 17 février 2022, n° 19BX02811 N° Lexbase : A3584737.
[11] CE, avis, 16 octobre 1980, n° 327217, note P. Delvolvé, Les modifications du domaine public maritime, RD imm. 1981, p. 291.
[12] Il s'agit de la déclaration du Gouvernement à l'occasion des débats parlementaires qui ont précédé le vote de la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963, relative au domaine public maritime. R. Rézenthel, La zone des cinquante pas géométriques et l'ancien domaine colonial : des vestiges de la colonisation, Dr. Voirie, 2017, n° 199, p. 161.
[13] P.-M. Juret, Le domaine public maritime, Dalloz, 1964, p. 30.
[14] CGPPP, art. L. 2124-2 N° Lexbase : L0406H4S.
[15] CGPPP, art. L. 2111-4.
[16] A. Bretonneau, conclusions sous CE Sect., 31 mars 2017, n° 392186 et 396938 N° Lexbase : N8399BYQ. Pour illustrer la notion de compatibilité elle cite l'arrêt : CE Ass, 22 février 1974, n° 91848 N° Lexbase : A4996B8K, Rec. p. 145.
[17] Cité par M. A. Lallet, sous ses conclusions sous CE 27 juillet 2015, n° 370454 N° Lexbase : A0771NNU.
[18] CGPPP, art. L. 2121-1.
[19] CE, 30 avril 1863, Ville de Boulogne-sur-mer, Rec. p. 403 concl. Robert.
[20] CE Sect., 3 mai 1963, Ministre des travaux publics et des transports c/ Commune de Saint-Brévin-les-Pins, Rec. p. 259, AJDA 1963, II, p. 356.
[21] CE, 20 mai 1977, n° 94912 N° Lexbase : A3725B8H, Rec. T. p. 1000.
[22] CE, 8 novembre 1985, n° 47081, JCP éd. G, 1986, II, 20651 note R. Rézenthel.
[23] CE 2 novembre 1979, n° 7865, N° Lexbase : A1661AKQ, Rec. T. p . 852 et 927.
[24] CAA Nantes 17 novembre 2023, n° 22NT01730 N° Lexbase : A72371Z3.
[25] CAA Nantes 6 juillet 2021, n° 20NT00776 N° Lexbase : A65984YZ.
[26] CAA Nantes 3 juillet 2020, n° 19NT01583 N° Lexbase : A139074A.
[27] CE 4 juillet 1980 ,n° 12717, 12823 et 12725 N° Lexbase : A8482AIY.
[28] C. env., art. L. 321-9 N° Lexbase : L6113HIA. L'exploitation de cultures marines sur le domaine public maritime fait l'objet d'une réglementation (CE, 27 avril 1987, n° 50792 N° Lexbase : A4788APZ).
[29] L'article L. 2122-5 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L0404H4Q indique « Les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables au domaine public naturel ». Or, dans cette sous-section l'article L 2122-6 dudit code admet l'octroi de droit réel aux occupants du domaine public.
[30] CGPPP, art. L. 2124-35 N° Lexbase : L5019I3B disposant que « La présente section n'est pas applicable au domaine public naturel ». Or, dans cette section il y a l'article L 2124-32-1 selon lequel « Un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l'existence d'une clientèle propre » ; CE 11 mars 2022, n° 453440, N° N° Lexbase : A38307QW.
[31] Cass. com., 12 novembre 1982, n° 90-20845 N° Lexbase : A4780ABN ; R. Rézenthel, L'exploitation du fonds de commerce sur le domaine public : vers la fin d'un malentendu, Gaz. Pal. 10 février 1998, p. 2.
[32] CE Ass., 21 décembre 2012, n° 342788 N° Lexbase : A1341IZP.
[33] R. Rézenthel, Les biens de retour dans les ports de plaisance et leur rapport avec le droit de propriété, Dr. Voirie, 2022, n° 228, p. 143.
[34] Cons const., décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020 N° Lexbase : A721138L.
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par Raphaël Barazza et Julien Nava, Avocats à la Cour
Le 17 Avril 2025
Le 6 février 2024, la Cour d’appel de Lyon a rendu un arrêt parfaitement motivé, devenu définitif, en matière de remboursement de droits antidumping institués par des Règlements européens finalement rendus invalides.
La Cour d’appel opère ici un rappel essentiel quant à l’importance du respect de la procédure de prise en compte de la dette douanière et condamne ainsi les Douanes au remboursement de plus de 400 000 euros de droits perçus indûment auprès d’une grande entreprise importatrice de chaussures à dessus de cuir originaires de Chine et du Vietnam.
Cette décision met en lumière l'importance fondamentale de la procédure de prise en compte de la dette douanière dans le cadre du droit européen.
Pour bien comprendre cette affaire, il est nécessaire de connaître la chronologie des règlements européens concernés :
Ce droit est devenu définitif pour une durée de deux ans après l’adoption par le Conseil de l’Union d’un Règlement (CE) n° 1472/2006, en date du 5 octobre 2006 N° Lexbase : L8044HX9.
Ces mesures ont à nouveau été étendues par le Conseil pour une période de 15 mois par un Règlement d'exécution (UE) n° 1294/2009, du 22 décembre 2009 N° Lexbase : L1528IGP.
Le droit antidumping en question expirant donc le 31 mars 2011.
En application de ces Règlements, la société requérante, s’est donc acquittée de droits antidumping sur la période comprise entre le 1er juin 2007 et le 31 mars 2011.
Dans ces conditions, la société requérante déposait, sur la base des articles 236 et 239 du Code des douanes communautaires – alors applicables - une demande de remboursement de la somme versée correspondant au montant des droits antidumping versés par elle entre le 1er juin 2007 et le 31 mars 2011.
À la suite de cet arrêt, la Commission reprenait l’enquête au point de l’illégalité en rétablissant les mêmes droits antidumping en adoptant donc le Règlement d'exécution (UE) n° 2016/223 du 17 février 2016 établissant une procédure d'examen de certaines demandes de statut de société opérant dans les conditions d'une économie de marché et de traitement individuel introduites par des producteurs-exportateurs chinois et vietnamiens, et exécutant l'arrêt rendu par la Cour de justice dans les affaires jointes C-659/13 et C-34/14.
Ainsi, la Cour rappelle à bon droit qu'il est de jurisprudence constante que, lorsque la CJUE déclare invalide un règlement instituant des droits antidumping, ces droits doivent être considérés comme n'étant pas légalement dus, au sens de l'article 236 du Code des douanes communautaire, et comme devant, en principe, être remboursés par les autorités douanières nationales dans les conditions prévues à cet effet.
Ce, faisant la Cour d’appel reprend à son compte le raisonnement d’un arrêt « Deichman » rendu par la CJUE en date du 15 mars 2018 rappelant notamment que : « ce n’est qu’une fois que la Commission aura mené à son terme la procédure reprise par le règlement litigieux, en réinstituant, aux taux appropriés, les droits antidumping institués par les règlements définitifs et de prolongation, que les autorités douanières nationales pourront déterminer les droits correspondants et les communiquer aux débiteurs[4] ».
Pour autant, il faut souligner que le remboursement intégral et immédiat n'est pas exigé en toutes circonstances et c'est bien à la Commission que revient le pouvoir d'adresser des injonctions aux autorités douanières pour qu'elles se conforment à l'obligation d'exécuter l'arrêt d'invalidation du Règlement [5].
Or, dans cette affaire, les autorités douanières ont omis de communiquer les droits définitifs dus par la Société demanderesse et de faire précéder cette communication d'une prise en compte, conformément aux dispositions des articles 217 et 221 de l'ancien Code des douanes communautaire.
Ceci a révélé l'irrégularité de la procédure et le fait que les droits payés par la Société requérante ont été indûment retenus par les autorités douanières.
Un tel raisonnement est parfaitement conforme à la notion même de « prise en compte » d'une dette douanière, qui doit être calculé par les autorités douanières dès qu'elles disposent des éléments nécessaires et faire l'objet d'une inscription par celles-ci dans les registres comptables ou sur tout autre support qui en tient lieu (au sens même de l’ex-article 217 du Code des douanes communautaire).
Ce montant devant faire ensuite l’objet d’une « communication » au débiteur selon des modalités appropriées dès qu'il a été pris en compte.
La Cour d’appel de Lyon rappelle ici un acquis procédural fondamental pour les assujettis et de manière parfaitement motivé eu égard au Droit de l’Union : « pour être recouvrés par la voie de l'avis de mise en recouvrement , les droits qui en font l'objet doivent avoir été régulièrement communiqués au débiteur et que, pour être régulière, cette communication doit avoir été précédée de leur prise en compte [6] ».
Ainsi, la jurisprudence française est en droite ligne avec la jurisprudence européenne et le respect de la chronologie suivante est impératif : la communication des droits doit avoir été précédée de leur prise en compte.
À défaut, les droits perçus encourent l’annulation.
[1] CJUE, 2 février 2012, aff. C-249/10 P, Brosmann Footwear (HK) Ltd c/ Conseil de l'Union européenne N° Lexbase : A6674IBS et CJUE, 15 novembre 2012, aff. C-247/10 P, Zhejiang Aokang Shoes Co. Ltd c/ Conseil de l'Union européenne N° Lexbase : A8695IWX.
[2] CJUE, 4 février 2016, aff. C-659/13 et C-34/14, C & J Clark International Ltd N° Lexbase : A5326PAI.
[3] En méconnaissance des exigences visées à l'article 2, paragraphe 7, point b), et à l'article 9, paragraphe 5, du Règlement (CE) n° 384/96, du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne
[4] CJUE, 15 mars 2018, aff. C-256/16, Deichmann SE, point 84 N° Lexbase : A8326XGH ; CJUE, 8 septembre 2022, aff. C-507/21 P, Puma SE c/ Commission européenne, point 84 N° Lexbase : A24018HE.
[5] CJUE, 15 mars 2018, aff. C-256/16, Deichmann SE, points 59, 60, 70 et 71 N° Lexbase : A8326XGH ; CJUE, 19 juin 2019, aff. C-612/16, C & J Clark International Ltd N° Lexbase : A7783ZEY ; CJUE, 11 janvier 2024, aff. C-517/22 P, Eurobolt BV c/ Commission européenne N° Lexbase : A20862DM.
[6] CJCE, 23 février 2006, aff. C-201/04, Belgische Staat c/ Molenbergnatie NV N° Lexbase : A1457DNB ; CJUE, 28 janvier 2010, aff. C-264/08, Belgische Staat N° Lexbase : A6688EQR ; Cass. com., 23 juin 2021, n° 19-10.019 et 19-14.472, F-D N° Lexbase : A39484XI.
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Le 17 Avril 2025
Mots-clés : compte bancaire • assurance-vie • actifs numériques • contribuable • résident
Détenir un compte bancaire, un compte d’assurance-vie ou un compte d’actifs numériques à l’étranger implique des obligations fiscales strictes pour les résidents fiscaux français. Lexbase a interrogé Thomas Gallice afin de faire le point sur les règles de déclaration, les risques en cas d’oubli et les bons réflexes à adopter pour éviter les sanctions.
Lexbase : Quelles sont les obligations fiscales de déclaration de comptes bancaires à l'étranger ?
Thomas Gallice : Toute personne domiciliée fiscalement en France, qu’il s’agisse d’une personne physique, d’une association ou d’une société dépourvue de forme commerciale, est tenue de déclarer, chaque année, les comptes bancaires qu’elle détient, utilise ou clôt à l’étranger. Cette obligation déclarative régie par l’article 1649 A du Code général des impôts N° Lexbase : L8953MCL vise aussi bien les comptes à usage personnel que professionnel, et qu’ils soient détenus à titre individuel, en indivision, ou par procuration.
Un compte est considéré comme utilisé dès lors qu’une opération de crédit ou de débit y est effectuée, même par une personne n’en étant pas formellement titulaire. Cette obligation s’applique à tous les établissements – banques, notaires, plateformes en ligne – qui reçoivent habituellement en dépôt des fonds ou des valeurs.
Il existe cependant une exception pour les comptes à l’étranger dédiés à des « des paiements d'achats ou des encaissements afférents à des ventes de biens », à condition qu’ils soient adossés à un compte en France et que le total des encaissements n’excède pas 10 000 euros par an. Cela vise notamment les portefeuilles de paiement de type PayPal.
Lexbase : Quelles sont les sanctions en cas de non-déclaration des comptes bancaires à l'étranger ?
Thomas Gallice : Elles sont multiples et, surtout, cumulatives.
Tout d’abord, en cas d’omission ou d’inexactitude dans la déclaration, une amende forfaitaire de 1 500 euros par compte et par année est prévue. Elle est portée à 10 000 euros si le compte est situé dans un État ou territoire non coopératif au sens de la coopération fiscale internationale. Cette amende est soumise à la prescription de quatre années de l’article L. 188 du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L3941ALK, donc plafonnée à 6 000 euros par compte.
Ensuite, si des avoirs ont été omis volontairement et que cela donne lieu à un redressement, une majoration de 80 % des droits est appliquée. Et lorsque les avoirs ne sont pas fiscalisés, ils sont présumés constituer un revenu imposable, sauf preuve contraire, ce qui entraîne une taxation d’office avec une majoration de 40 % et des intérêts de retard.
Enfin, il ne faut pas oublier que l’administration bénéficie, en cas de défaut de déclaration, d’un délai de reprise étendu à dix ans ce qui fait partie des plus gros délais de reprise et qui démontre l’importance de cette déclaration aux yeux du fisc.
Enfin, lorsqu’un compte non déclaré est identifié, l’administration peut exiger la communication de l’origine et de l’historique des avoirs sur dix années, sous peine d’une taxation à 60 % comme s’il s’agissait d’une donation déguisée.
Il n’est donc pas forcément simple de s’y retrouver pour un particulier et de savoir concrètement ce qu’il risque.
Lexbase : Comment les autorités fiscales contrôlent-elles la déclaration des comptes bancaires à l'étranger ? (coopération)
Thomas Gallice : Depuis l’entrée en vigueur des mécanismes d’échange automatique d’informations, les administrations fiscales disposent d’un outil redoutablement efficace. La France reçoit chaque année, de la part de plus de cent juridictions partenaires, les informations sur les comptes bancaires détenus à l’étranger par ses résidents fiscaux.
Au-delà de cette coopération internationale, l’administration peut, sur le fondement de l’article L. 23 C du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L6018M8E, adresser une demande d’informations à un contribuable n’ayant jamais déclaré de compte à l’étranger. Il dispose alors de 60 jours pour répondre, faute de quoi les avoirs sont réputés d’origine occulte et taxés à 60 %.
Ce délai est particulièrement court au regard de la quantité d’informations à fournir et peut réellement vous mettre en difficulté. Je pense à une affaire récente dans laquelle une cliente s’est retrouvée dans une situation très délicate.
L’administration lui a notifié qu’elle avait connaissance d’un compte bancaire à l’étranger, et lui demandait sous 60 jours les relevés bancaires sur dix années… Sauf que ce compte était au nom de sa mère qui était très âgée, et qui lui avait simplement donné procuration. Elle n’avait donc que très peu d’informations sur ce compte et a été particulièrement surprise par cette demande.
La cliente a ainsi dû correspondre avec un établissement bancaire étranger dans l’urgence et le tout sans maîtriser la langue locale pour un compte qui n’était pas réellement le sien et dont elle n’avait aucune connaissance de l’historique… Pour la petite histoire, l’établissement était portugais et répondait avec lenteur et uniquement en portugais, rendant la situation extrêmement difficile à gérer dans les délais restreints fixés par l’article L. 23C.
Lexbase : Les contrats d'assurance-vie / comptes de cryptomonnaie souscrits à l'étranger sont-ils soumis aux mêmes obligations ?
Thomas Gallice : Oui, et c’est d’ailleurs un point essentiel. Les contrats d’assurance-vie souscrits auprès d’un organisme étranger doivent être déclarés, y compris lorsqu’ils sont modifiés ou rachetés partiellement. Cela vaut aussi pour les contrats de capitalisation et les placements de même nature.
Cette obligation concerne tant la souscription que tout avenant ou remboursement survenu au cours de l’année précédente. C’est une obligation déclarative assez méconnue mais qui est sanctionnée par les mêmes pénalités et amendes que celles des comptes de dépôt à l’étranger plus classiques.
De la même manière, les comptes d’actifs numériques (cryptomonnaies, stablecoins, etc.) ouverts, utilisés ou clos auprès de plateformes étrangères doivent faire l’objet d’une déclaration spécifique. Là encore, il suffit d’une opération pour que l’obligation déclarative soit déclenchée. Le contribuable est présumé titulaire dès lors qu’il a la qualité de bénéficiaire économique ou d’ayant droit économique.
La difficulté avec ce type de compte c’est souvent d’obtenir les informations à déclarer car toutes les plateformes ne sont pas harmonisées !
Lexbase : Quels conseils donneriez-vous à un contribuable qui n’a pas encore déclaré ses comptes bancaires ou ses assurances-vie à l'étranger ?
Thomas Gallice : D’abord, de ne pas paniquer. Il est encore temps de régulariser, et cette démarche est relativement simple dans les cas standards. La déclaration peut se faire en ligne au moment de la campagne déclarative, et une fois faite une première fois, elle est automatiquement reprise les années suivantes en cochant simplement une case.
À l’ère des néo-banques et des plateformes de cryptomonnaies, il est fréquent qu’un contribuable oublie qu’il détient un compte à l’étranger. Le danger, c’est l’inertie : ne rien faire, c’est prendre le risque de subir les lourdes sanctions évoquées avec des délais particulièrement contraints ! Je recommande donc vivement de procéder à la régularisation, en toute transparence, d’autant plus que l’administration est assez compréhensive lorsqu’il s’agit d’un simple oubli lié à ces nouveaux comptes en ligne.
D’une manière plus générale, mieux vaut déclarer un compte que de devoir, dans l’urgence, retrouver des relevés étrangers sur dix ans, dans une langue qu’on ne parle pas, et pour un compte que l’on ne pensait même pas devoir déclarer. Cela arrive plus souvent qu’on ne le croit…
Pour les situations plus complexes – héritage de comptes non déclarés, montants importants, titulaires multiples – il est préférable de consulter un avocat afin de construire une stratégie adaptée, à la fois techniquement rigoureuse et pragmatique, ce que nous faisons régulièrement au cabinet.
En résumé : ne rien faire c’est s’exposer. Déclarer, c’est se protéger.
*Propos recueillis par Marie-Claire Sgarra, Rédactrice en chef de Lexbase Fiscal
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