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N1692BNY
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Mais si ! Souvenez-vous : c'est l'histoire judiciaire de cette association "loi 1901" qui avait déposé plainte avec constitution de partie civile, à l'encontre de trois chefs d'Etats africains en exercice et contre des personnes de leur entourage, pour détournement de fonds publics. Le doyen des juges d'instruction avait accueilli l'action, tel un chant du cygne ! Mais, sur appel du Parquet, la cour d'appel de Paris relevait que l'association avait pour objet la prévention et la lutte contre la corruption et qu'elle entendait donc pouvoir exercer l'action publique dans ce large domaine et être, ainsi, autorisée à se substituer aux Etats et au pouvoir légal de défendre l'intérêt général de la société qui a été donné, en France, au ministère public. Et de tambouriner en place publique, que, si le ministère public n'a pas le monopole de l'action publique et, si le but de l'association est parfaitement légitime, elle n'est pas recevable en sa constitution de partie civile qui vise la défense des intérêts généraux dont le ministère public à la charge.
Et, on y va, tout y passe : d'une part, l'aide publique au développement (APD) des 22 pays les plus riches du monde en faveur de l'Afrique a atteint 26 milliards de dollars en 2008, selon l'OCDE et l'Union européenne fournit 55 % du total mondial de l'aide publique au développement, ce qui en fait de loin le premier bailleur de fonds des pays en développement. D'autre part, la plainte évoque la propriété d'un hôtel particulier et de quatre appartements, tous situés dans le 16ème arrondissement de Paris, pour l'un des chefs d'Etat ; un hôtel particulier de 700 m², estimé entre 5 et 10 millions d'euros, dans les Yvelines, et un appartement dans le 7ème arrondissement de Paris, pour un autre ; au total le patrimoine immobilier des trois chefs d'Etat en France s'élèverait à 160 millions d'euros. Et, étant donné que les "victimes" de cette chasse financière aux sorcières dirigent des pays en demande importante de développement et de coopération internationale, la relation pécuniaire est toute trouvée : CQFD !
A un détail près ! Nos amis de Transparence International France, section française de Transparency International, principale organisation de la société civile qui se consacre à la transparence et à l'intégrité de la vie publique et économique, n'avaient pas lu... Hans Christian Andersen ! Ils y auraient appris que "Chacun et chaque chose à sa place ! On y vient toujours. L'éternité est longue, plus longue que cette histoire".
Alors, ici, je vous l'accorde : pas de petite gardeuse d'oies, pas de cordonnier et pas de branche cassée... Mais, "simplement", un cinglant rappel de la souveraineté étatique !
En effet, le problème avec le développement de l'Etat Providence et de la Justice sociale, c'est qu'on en oublierait presque l'Etat Gendarme cher aux théories classiques et notamment les fonctions régaliennes de l'Etat issues de sa souveraineté. Et, nul besoin de rappeler que parmi ces fonctions régaliennes (diplomatie, défense extérieure, police, émission de la monnaie) trône la Justice. Or, "la souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d'une République [...] c'est-à-dire la plus grande puissance de commander". Absolue et perpétuelle, la souveraineté l'est avant tout parce qu'elle "n'est limitée ni en puissance ni en charge à un certain temps", à lire Jean Bodin dans les Six livres de la République, en 1576. Mieux encore, selon Louis Le Fur, "la souveraineté est la qualité de l'Etat de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser" (Etat fédéral et confédérations d'Etats, thèse soutenue en 1896). Autrement dit, l'Etat souverain n'agit que par sa propre volonté, que la souveraineté soit populaire ou nationale ; cette souveraineté s'exerce, dans un Etat démocratique, selon des règles de droit ; et seul l'Etat peut décider de déléguer ou transférer une partie de sa souveraineté : c'est, bien entendu, toute la question des organisations internationales, des Unions étatiques, au premier rang desquelles l'Union européenne qui, par compétence subsidiaire nous dit-on, attente, avec le consentement des Etats concernés, à la souveraineté nationale. Mais, il ne faut pas s'y tromper : l'Etat conserve la "compétence de la compétence", c'est-à-dire le droit absolu de désigner qui peut se substituer à lui dans l'exercice de sa souveraineté... et, dans l'affaire qui nous retient cette semaine, l'exercice de la Justice.
Et, si d'aucuns estiment que "le combat mené jusqu'ici aura de toute évidence permis de briser un tabou sur la question des avoirs illicites en provenance des pays du Sud qui trouvent refuge dans ceux du Nord", la claque infligée aux aspirations supra-étatiques des organisations non gouvernementales, sur le modèle de l'ONU, de l'OMC et autres organisations gouvernementales, est nette et sans bavure. En France, c'est le Parquet qui est chargé de défendre l'intérêt général et non des associations "loi 1901" aux objectifs aussi louables soient-ils. Sans préjudice personnel des plaignants, point de constitution de partie civile semble dire la cour d'appel de Paris. A chacun sa place : au ministère public de protéger l'intérêt général, aux associations d'éveiller les consciences et, éventuellement, d'exercer leur influence sur les pouvoirs publics. Ce n'est pas parce que la diplomatie étatique peut être délégué à un Haut représentant communautaire pour les Affaires étrangères ; que la sécurité extérieure peut être déléguée à l'OTAN ; que la Banque centrale européenne régit notre monnaie ; que la dernière fonction régalienne absolue (si l'on excepte le Tribunal pénal international), la Justice, doit être bradée aux intérêts associatifs, voire particuliers -car, comme chacun le sait, le Parquet dirige l'action publique, exclusivement, dans l'intérêt général- !
"L'introduction [du concept de souveraineté] dans la philosophie politique aux débuts de l'époque moderne semble avoir eu pour effet un déplacement définitif des questions pertinentes : il ne s'agit plus de savoir si un pouvoir est juste (ce qui revient à subordonner l'existence du pouvoir à sa moralité), mais de savoir à qui appartient le pouvoir de commander et comment ce pouvoir a été conféré" nous enseigne Jean-Fabien Spitz dans John Locke et les fondements de la liberté moderne. Et bien, nous y sommes en plein.
A moins que nous nous trompions du tout au tout et que, dans cette affaire, il ne s'agissait pas de défendre la souveraineté étatique en matière de justice pénale, mais l'absolue diplomatie française en Afrique, de ces quarante dernières années ?
On relèvera, enfin, un brin pince sans rire et annonciateur des imbroglios à venir, que, dans un mémoire produit à l'instance, Mireille Delmas-Marty, Professeur au Collège de France, approuvait l'ordonnance de la juge d'instruction jugeant la plainte recevable, la tendance actuelle au renforcement des pouvoirs du Parquet et la perspective de la suppression du juge d'instruction ne faisant "que renforcer la nécessité de contre-pouvoirs". Elle soutenait, selon le Monde daté du 18 septembre 2009, l'évolution tendant à "élargir" le droit pour les "acteurs civiques" comme Transparence International France de porter plainte dans les affaires de corruption, "tout particulièrement lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, de lutter contre une criminalité à caractère transnational". Mireille Delmas-Marty est en lice pour intégrer, prochainement, le Conseil constitutionnel sur nomination du Président de l'Assemblée nationale...
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N1742BNT
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 03 Mars 2011
Alain Pouchelon : En tant que mandataire de tous les Bâtonniers des Barreaux de Province, ma première préoccupation sera de porter les voix de mes pairs au CNB, avec efficacité et conviction.
Par un concours idéal de circonstances, il m'est permis de remplir ma mission dans des conditions optimales. Le législateur a, en effet, souhaité que le Président de la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-Mer et le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de la cour d'appel de Paris soient vice-Présidents de droit du Conseil (2) -à la tête duquel Thierry Wickers a été réélu récemment-. La profession est invitée à s'adresser, enfin, aux pouvoirs publics, d'une seule voix. Celle-ci sera d'autant plus forte, que les liens qui unissent les représentants de ces trois institutions sont étroits et dépassent le cadre institutionnel (ce qui, néanmoins, n'élimine pas toute contradiction). Face aux enjeux actuels de la réforme des professions du droit, nous partageons la même motivation et associons nos efforts. Pour exemple, je reviens d'une réunion du Conseil de l'Ordre du Barreau de Paris, à laquelle j'ai été convié. Ce type d'initiatives sera, bien entendu, réitéré.
Cette réforme des institutions, introduite par le décret du 11 décembre 2009, est essentielle, mais insuffisante. Nous devons repenser la gouvernance, mutualiser les moyens. Il en va de la pérennité de nos institutions. Il faut savoir que le solde moyen de pertinence est de l'Ordre de 100 000 000 d'euros, permettant de générer 3 à 4 % d'intérêts (ce qui couvre le montant des charges des Ordres et des CARPA). Or, seuls le Barreau de Paris et deux autres cours d'appel atteignent ce seuil. L'Ordre est le rempart qui garantit aux avocats un exercice libre et indépendant. Ne perdons pas de vue que sa force est fonction de ses moyens économiques.
Ma seconde préoccupation sera de voir naître une réelle réflexion sur ce qu'est l'avocat, sur ses activités et sur sa déontologie. Cette étape préalable à l'investissement de nouveaux champs d'activités me semble primordiale, sous peine de perdre notre identité et de ne plus exercer dans le respect des principes essentiels de la profession. Je ne dis pas qu'il faille fermer les portes, au contraire. Toutefois, certaines activités relèvent parfois de métiers très différents du nôtre. Je pense à l'avocat fiduciaire, agent sportif, agent immobilier ou encore conseil financier. Nous exerçons une activité réglementée et sommes, à ce titre, soumis à un certain nombre de restrictions ou interdictions justifiées. A nous de le redéfinir si besoin est, mais, à chaque fois, en toute connaissance de cause. Pour exemple, nous nous sommes engagés, dans le cadre de l'activité de conseil financier, à mettre en place toutes les règles pour remplir nos obligations de vigilance, exercer notre pouvoir de dissuasion, afin d'éviter les déclarations de soupçon. Nous devons nous assurer de toutes les garanties qui nous protègerons de la délation.
Il est, donc, essentiel d'aboutir dans ces réflexions, sous peine d'instituer une déontologie hiérarchisée, en fonction de l'activité en cause, ce qui est, à mon sens, inenvisageable. Au contraire, l'occasion nous est donnée de participer à la construction d'une société de confiance, souhaitée par les pouvoirs publics. Notre déontologie est l'atout essentiel dont nous disposons dans ce cadre, notre argument le plus puissant. Ne la bradons pas. Nous partageons tous de fortes valeurs et un sens du service et de l'intérêt général, fondements d'un rapport de confiance avec les citoyens. Les autres professions qui exercent le droit à titre accessoire ne disposent pas de cette clef.
N'oublions pas, enfin, que nous sommes, déjà, autorisés à exercer de nombreuses activités dans le cadre de l'article 6 du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8), missions et mandats. Et l'acte d'avocat, qui constitue une avancée extraordinaire pour notre profession, est sur le point de naître. Il permettra d'élargir considérablement nos domaines d'intervention, tout en s'inscrivant complètement dans le cadre de notre activité. Il favorisera, en outre, l'image de l'avocat, qui, dans l'esprit du public, a toujours été cantonné au contentieux, alors que 80 % du chiffre d'affaires du monde du droit est généré par l'activité juridique.
Lexbase : La déontologie est un facteur d'unité entre les professionnels qui exercent le droit à titre principal, en ce qu'elle est partagée par chacun d'entre eux. L'envisagez-vous comme le socle du rapprochement de ces professions ?
Alain Pouchelon : Je regrette que le rapport "Darrois" n'ait pas pu préconiser la grande profession du droit, tant il est vrai que nous partageons les mêmes valeurs. La déontologie est, en effet, au coeur de notre exercice et représente, donc, un lien fort entre nous tous. Pour cette raison, elle doit être, à mon sens, commune et enseignée dans un cadre commun, qui pourrait prendre la forme d'une formation unique partagée par tous les professionnels, ainsi que l'a suggéré la commission "Darrois".
La grande profession du droit n'étant pas retenue, c'est l'interprofessionnalité qui est proposée. A mon sens, elle doit se traduire, en particulier, par l'ouverture du capital des structures d'exercice professionnel.
Lexbase : Lors de l'assemblée générale statutaire de la Conférence des Bâtonniers du 22 janvier dernier, le Garde des Sceaux a répondu à certaines craintes suscitées par la réforme de la procédure pénale. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Alain Pouchelon : Au cours de notre assemblée, le Garde des Sceaux a, effectivement, indiqué qu'un avant-projet de loi sur la réforme de la procédure pénale sera présenté d'ici quelques semaines à l'ensemble des acteurs concernés. Ce texte devrait être assorti de garanties, qui, en théorie, constitueraient des avancées ; le juge d'instruction serait remplacé par un juge avec plus de pouvoir, plus d'indépendance, la garde à vue offrirait d'avantage de garanties pour l'exercice des droits de la défense.
(NDRL : Michèle Alliot-Marie a, notamment, assuré qu'aucune affaire ne pourra être étouffée, à aucun stade de la procédure. Ainsi, au déclenchement de l'enquête :
- il sera inscrit dans le Code que le Garde des Sceaux ne pourra donner Ordre de ne pas poursuivre ;
- une obligation sera faite au procureur de désobéir un Ordre de classement sans suite ;
- si le procureur refuse de lui-même de déclencher l'enquête, les parties pourront exercer un recours devant le juge de l'enquête et des libertés ; et
- s'il n'y a pas de partie pour contester la décision du procureur, tout citoyen pourra contester la décision de classement du procureur.
A l'issue de l'enquête, toute décision de non-lieu pourra être contestée par les victimes devant le juge de l'enquête et des libertés, qui décidera de confirmer ou d'infirmer le non lieu.
Concernant la garde à vue, elle "sera à la fois limitée aux réelles nécessités de l'enquête et mieux adaptée à l'intervention de l'avocat. L'aveu en garde à vue sera insuffisant pour justifier à lui seul une condamnation. L'intervention de l'avocat dès la première heure de la garde à vue sera pérennisée", étant précisé, qu'il "aura connaissance et accès à tous les procès-verbaux d'interrogatoire du gardé à vue" et qu'"en cas de prolongation, il pourra assister à toutes les auditions". Enfin, il sera inscrit dans le Code de procédure pénale, qu'en toute hypothèse, les conditions de garde à vue ne sauraient porter atteinte à la dignité des personnes).
De mon côté, je fais le constat que les opposants à la suppression du juge d'instruction sont les mêmes que ceux qui le contestaient jusqu'à présent. Soulignons, également, que plus de 96 % des enquêtes sont, aujourd'hui, réalisées sans le concours de ce juge. Nous parlons, donc, des 4 % restants, qui, effectivement, ne sont pas neutres.
Pour assurer l'effectivité des droits de la défense, je pense qu'il faut envisager, le Parquet comme une partie à part entière, qui ne bénéficierait d'aucun statut particulier.
Concernant la garde à vue, l'avocat doit pouvoir être associé à la procédure dès son commencement et tout son long, avec un accès à toutes les pièces du dossier.
Les pouvoirs publics affirment qu'ils garantiront un procès équitable dans le cadre de la réforme. Mais, mettront-ils des moyens à la hauteur de leur engagement ? Nous attendons de voir. Le débat est actuellement ouvert concernant l'aide juridictionnelle. Le respect des droits de la défense passe nécessairement par l'accès effectif à la justice et, donc, par son financement. Or, l'Etat jusqu'à présent, se désengage progressivement et envisage de taxer un peu plus les avocats qui contribuent majoritairement au système. Il existe, pourtant, d'autres pistes autrement plus efficaces et équitables. Notamment, il faut explorer celle de la contribution au système via des fonds résultants des contrats de protection juridique (qui représentent environ 700 millions d'euros, quand l'aide juridique plafonne à environ 274 millions).
Lexbase : Certains points relatifs à la fusion des avoués et des avocats suscitent le mécontentement des seconds. Quel est votre sentiment sur la question ?
Alain Pouchelon : Il est prévu que les avoués soient indemnisés à 100 %, avec un droit de 150 euros par partie et une période transitoire qui pourrait aller jusqu'au 1er janvier 2012. Au cours de celle-ci, les avoués pourront aussi bien exercer les fonctions d'avoués que celles d'avocat, entraînant une distorsion de concurrence au détriment de ces derniers. L'équité commande une réciprocité dans les activités. Pour autant, si cela nous est interdit, il nous faudra réagir et nous mettre en Ordre de bataille quant à la numérisation des procédures grâce au RPVA.
(1) Au sein duquel il a été vice-président la Commission des Règles et Usages.
(2) Décret n° 2009-1544 du 11 décembre 2009, relatif à la composition du Conseil national des Barreaux et à l'arbitrage du Bâtonnier (N° Lexbase : L0440IGE).
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N1647BNC
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par Frédéric Dieu, Rapporteur public près la cour administrative d'appel de Marseille
Le 21 Octobre 2011
Les dispositions de l'article L. 146-4 II du Code de l'urbanisme régissent la constructibilité aux abords du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés par loi "littoral" du 3 janvier 1986. En vertu de ces dispositions, "l'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage" ne peut intervenir, dans les communes littorales, que si elle est "justifiée et motivée, dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau". La question de savoir ce qu'est une "extension limitée" a donné lieu à une abondante jurisprudence qui a permis de resserrer la fourchette dans laquelle peut se situer une urbanisation nouvelle.
Pour l'application de ces dispositions, il appartient, ainsi, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner si le projet qui lui est soumis élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (1). L'on voit donc qu'une approche globale, nécessitant de tenir compte de l'ensemble de l'opération projetée et de l'ensemble des constructions existantes, prévaut en la matière
Une difficulté classique se pose, à cet égard, lorsqu'il convient d'apprécier différentes opérations de construction dont aucune n'excède, en elle-même, le seuil de l'urbanisation limitée, mais qui, cumulées, le franchissent. C'est sur ce point que le Conseil d'Etat s'est prononcé dans deux affaires relatives à la réalisation d'un lotissement sur le territoire de la commune de La Rochelle. Le maire de la commune avait, en effet, autorisé la réalisation d'un lotissement constitué de deux îlots. Sur ce fondement, deux permis de construire avaient été délivrés en vue de la construction de bâtiments à usage d'habitation. Ce sont ces deux permis de construire que les requérants entendaient faire annuler. Ils entendaient démontrer que l'extension de l'urbanisation ainsi réalisée par les deux permis ne présentait pas un caractère limité.
Concernant le premier permis de construire, le Conseil d'Etat a exercé un contrôle classique de cassation, confirmant, en cela, la cour administrative d'appel de Bordeaux en exerçant (2). Il a donc estimé qu'au regard de la situation du terrain d'assiette de ce projet, de la destination des constructions envisagées et, enfin, de la densité du projet, l'extension de l'urbanisation autorisée par ce permis de construire pris individuellement présentait un caractère limité (3). En outre, le Conseil a considéré que la cour n'avait pas à prendre en compte, pour établir le caractère limité de l'extension de l'urbanisation réalisée par ce premier permis, les effets produits conjointement par les deux permis de construire.
Au contraire, concernant le second permis de construire portant sur un groupe d'habitations dans l'îlot n° 2 du lotissement, permis intervenu postérieurement, le Conseil d'Etat a considéré qu'"il appartenait à la cour administrative d'appel de Bordeaux de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce à la date d'édiction de cet arrêté", c'est-à-dire les effets produits globalement par l'ensemble de l'opération immobilière constituée des deux permis de construire. C'est pourquoi, selon le Conseil, "en jugeant que l'extension de l'urbanisation autorisée par ce second projet présentait un caractère limité, sans porter d'appréciation globale sur la conformité aux dispositions du II de l'article L. 146-4 de l'ensemble de l'opération immobilière autorisée par le permis de construire délivré le 28 mai 2004 au titre de l'îlot n° 1 du lotissement, et par ce second permis, relatif à l'îlot n° 2 du même lotissement, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une erreur de droit".
L'on voit donc que, lorsque plusieurs permis de construire sont délivrés au titre d'une même opération immobilière, la prise en compte de l'ensemble de l'opération n'intervient qu'à l'occasion de l'examen du deuxième permis de construire. L'on peut ajouter que, lorsque ces différents permis sont délivrés sur le fondement d'une autorisation de lotir intervenue antérieurement, l'appréciation de l'extension de l'urbanisation n'a pas à tenir compte, lors de l'examen du premier permis de construire, de l'ampleur et de l'objet de l'autorisation de lotir.
Enfin, il nous semble que l'obligation, pour le juge administratif, de tenir compte de l'ensemble de l'opération immobilière en cause pour examiner le caractère limité ou non de l'extension d'urbanisation ne vaudra que lorsqu'un double critère géographique et temporel sera rempli. Pour que l'on puisse, en effet, considérer que l'on est en présence d'une seule opération immobilière, il faut que les différentes constructions de cette opération ayant donné lieu à la délivrance de différents permis de construire soient proches géographiquement et temporellement. Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat, ce double critère était rempli puisque les deux permis de construire portaient sur un même lotissement et avaient été délivrés à moins de six mois d'intervalle. L'on peut, en revanche, penser que, dans le cas de constructions se succédant dans le temps dans des délais assez longs, il n'y aura pas lieu pour le juge administratif, lors de l'examen du respect par l'autorisation de construire délivrée de la condition d'extension limitée de l'urbanisation, de tenir compte du (ou des) permis de construire antérieurement délivré(s) dans la même zone.
Les dispositions de l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme applicables aux communes littorales prévoient la protection des "espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral", et des "milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques". Jusqu'à présent, la jurisprudence subordonnait l'application de cette protection à la seule condition que les espaces naturels concernés soit présentent un intérêt paysager, soit participent au maintien des équilibres biologiques.
Par ailleurs, en ce qui concerne le champ d'application territorial de ces dispositions, deux interprétations étaient envisageables. Une première interprétation restrictive consistait à considérer que seuls les espaces proches du rivage pouvaient bénéficier de cette protection. Une seconde interprétation extensive consistait à appliquer cette protection à tout espace du territoire d'une commune littorale, dès lors qu'il présentait les caractéristiques requises par l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme, et ce, indépendamment de toute considération liée à son éventuel éloignement du rivage. C'est cette seconde interprétation qu'a retenu le Conseil d'Etat dans une première décision rendue en 2006 (4), considérant que la protection prévue par les dispositions de l'article L. 146-6 était applicable à tout terrain répondant à ces caractéristiques, dès lors que ce terrain était situé sur le territoire des communes littorales, sans qu'il fût besoin que ce même terrain fût situé à proximité du rivage. Cette solution est logique, dès lors que l'article L. 146-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7341ACU) précise que "les dispositions du présent chapitre déterminent les conditions d'utilisation des espaces terrestres, maritimes et lacustres [...] dans les communes littorales définies à l'article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral". Ce dont il résulte que, dès lors qu'une partie du territoire communal est sur le littoral, l'ensemble de ce territoire est, par principe, assujetti aux prescriptions des articles L. 146-2 (N° Lexbase : L7342ACW) et suivants du Code de l'urbanisme, sauf à celle ayant un champ d'application territorial limité, telle la bande des 100 mètres instituée par l'article L. 146-4-III du Code de l'urbanisme.
Statuant sur une requête de la même commune, le Conseil d'Etat, par la décision du 30 décembre 2009, a censuré, cette fois, pour erreur de droit, un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille (5) qui, après avoir estimé que certains secteurs classés par le plan d'occupation des sols constituaient des espaces remarquables, en avait déduit que "ces terrains étaient soumis à la protection définie à l'article L. 146-6 du Code de l'urbanisme, dont les dispositions sont applicables sur l'ensemble de cette commune littorale, en écartant comme inopérant le moyen tiré de ce qu'ils ne sont pas situés à proximité du rivage". En effet, quand un texte réglementaire (C. urb., art. R. 146-1 N° Lexbase : L3674DYQ), pris pour l'application d'un texte législatif (C. urb., art. L. 146-6), précise que les "forêts et zones boisées proches du rivage de la mer" doivent être préservées, l'éloignement d'un secteur du rivage n'est indifférent à l'obligation de protection que si la proximité exigée par le règlement ajoute illégalement à la loi.
Par la décision "Commune du Lavandou" du 30 décembre 2009, le Conseil d'Etat considère, ainsi, implicitement que la précision apportée par les dispositions de l'article R. 146-1 du Code de l'urbanisme ne sont pas illégales. Il en déduit que les espaces boisés remarquables au sens de l'article L. 146-6 de ce code, qui sont situés sur le territoire d'une commune littorale, ne doivent être protégés que s'ils remplissent la condition de proximité du rivage exigée par l'article R. 146-1. Cette interprétation est conforme à la lettre des dispositions de l'article R. 146-6 du Code de l'urbanisme, qui, au sujet des espaces naturels à protéger au titre de l'article L. 146-6, mentionnent dans leur alinéa b) les forêts et zones boisées "proches du rivage de la mer et des plans d'eau". La solution retenue par le Conseil d'Etat dans la décision "Commune du Lavandou" du 30 décembre 2009 affirme explicitement ce qu'une décision "Commune de Grimaud" du 25 novembre 1998 (6) n'avait fait qu'indiquer implicitement en considérant, à propos de zones boisées dominant le rivage de la mer, que la protection de l'article L. 146-6 devait être réservée aux "espaces boisés proches du rivage".
La décision "Commune du Lavandou" du 30 décembre 2009 nuance, ainsi, la précédente décision du 27 septembre 2006 qui étendait la protection de l'article L. 146-6 à l'ensemble d'un terrain, assimilé à un espace remarquable, situé sur le territoire d'une commune littorale, qu'il soit situé, ou non, à proximité du rivage. Le caractère indifférent de la proximité ne se justifie, en effet, que s'il ne s'agit pas d'une zone boisée ou d'un autre espace pour lequel le voisinage du rivage est exigé par les textes. La solution retenue par le Conseil d'Etat dans la décision du 30 décembre 2009 ne vaut, ainsi, que pour les seules zones boisées, et non pour les autres espaces naturels, landes, marais...
Enfin, relevons qu'en ce qui concerne l'application des dispositions de l'article R. 146-1 du Code de l'urbanisme, la jurisprudence sur la proximité du rivage de la mer n'est pas encore établie. Il est fort probable, cependant, que l'appréciation des juges s'inspirera des solutions déjà intervenues en matière d'urbanisation limitée des "espaces proches du rivage", admise par les dispositions de l'article L. 146-4. La jurisprudence actuelle relative à ces dispositions retient trois critères : la distance séparant le terrain du rivage de la mer, les caractéristiques des espaces l'en séparant, et les conséquences à tirer de l'existence, ou de l'absence, d'une "covisibilité" entre le terrain et la mer. Le critère principal est la visibilité mais il convient de tenir compte, également, de l'existence ou de l'absence d'une "covisibilité" entre le terrain et la mer, ainsi que des caractéristiques des espaces l'en séparant. Si la zone n'est pas visible du rivage, dont elle est séparée par un espace urbanisé, elle n'est pas considérée comme en étant proche pour l'application des règles d'inconstructibilité (7).
Rappelons, tout d'abord, qu'en principe, dès lors que la commune est la titulaire du droit de préemption, celui-ci doit être exercé par le conseil municipal, lequel se réunit pour décider de la suite à donner à chacune des déclarations d'intention d'aliéner souscrites par les propriétaires désirant procéder à l'aliénation de leur bien. Le Code de l'urbanisme fixant des délais impératifs pour exercer le droit de préemption, l'examen des déclarations d'intention d'aliéner par le conseil municipal se trouve enfermé dans un laps de temps très restreint. En outre, si le maire peut réunir le conseil municipal autant de fois qu'il le juge utile, il lui est, néanmoins, difficile de le faire pour chacune des déclarations d'intention d'aliéner, sauf à faire siéger le conseil municipal de façon quasi permanente.
Aussi a-t-il paru nécessaire, pour faciliter le recours à la procédure de préemption, de permettre au conseil municipal de déléguer au maire l'exercice du droit de préemption. Dans ce but, le quinzième alinéa de l'article L. 2122-22 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0562IGW), qui énumère les cas de délégation de pouvoirs du conseil municipal au maire, permet à ce dernier "d'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le Code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues au premier alinéa de l'article L. 213-3 de ce même code (N° Lexbase : L1023HBI) dans les conditions que fixe le conseil municipal".
La possibilité de délégation au maire de l'exercice au nom de la commune des droits de préemption définis par le Code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, permet d'abord à celui-ci de préempter ou non, dès réception, le cas échéant, de l'avis du service des domaines, sans avoir à convoquer le conseil municipal pour délibérer et décider de la suite à donner à chaque déclaration d'intention d'aliéner. Le maire peut, ensuite, être chargé par délégation du conseil municipal de déléguer l'exercice de ces droits de préemption à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues au premier alinéa de l'article L. 213-3 du Code de l'urbanisme, dans les conditions que fixe le conseil municipal. Toutefois, si ces dispositions assouplissent et activent les procédures de préemption en conférant effectivement au maire le pouvoir de déléguer son exercice, une telle délégation ne pourra, aux termes mêmes du texte, être accordée dans les conditions qui seront fixées par le conseil municipal qu'au coup par coup, soit "à l'occasion de l'aliénation d'un bien". Les conditions dans lesquelles une telle délégation par le maire peut intervenir ne peuvent donc pas être librement organisées : en particulier, toute délégation à caractère permanent au profit d'un délégataire déterminé ou à caractère général (sur l'ensemble des zones concernées ou, encore, pour toute une catégorie de biens, par exemple) se trouve formellement proscrite.
Au total, l'on voit donc qu'en matière de préemption, le maire ne peut intervenir qu'en vertu d'une habilitation expresse et ponctuelle du conseil municipal. Ajoutons que la délégation qui lui est accordée est toujours limitée à la durée de son mandat et qu'elle lui fait obligation, en vertu des dispositions de l'article L. 2122-23 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1842GUR), de signer personnellement les décisions de préemption sans pouvoir reporter les effets de la délégation sur un adjoint ou un autre membre du conseil et de rendre compte, à chaque réunion obligatoire du conseil municipal, une fois par trimestre, des opérations qu'il a conclues ou refusées de conclure, en exécution de la délégation. Ce principe de compétence résiduelle et ponctuelle du maire en matière de préemption a été étendu par la Cour de cassation en matière de rétrocession d'un bien préempté.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 décembre 2009, est, en effet, venue préciser les compétences du conseil municipal en matière de décision de rétrocession d'un bien initialement préempté, rétrocession prévue et organisée par les dispositions de l'article L. 213-11 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1024HBK), selon lesquelles "si le titulaire du droit de préemption décide d'utiliser ou d'aliéner à d'autres fins un bien acquis depuis moins de cinq ans par exercice de ce droit, il doit informer de sa décision les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel et leur proposer l'acquisition de ce bien en priorité [...]". Est, ainsi, prévu par ces dispositions un droit de rétrocession au bénéfice de l'ancien propriétaire lorsque le bien préempté n'a pas fait l'objet, au bout de cinq ans, de l'utilisation prévue dans l'un des objets mentionnés à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme (8). En outre, si l'ancien propriétaire renonce à son droit de priorité, le bien doit être proposé à l'acquéreur évincé par la décision initiale de préemption. Relevons, cependant, que l'efficacité de cette mesure est amoindrie par la brièveté du délai durant lequel prévaut ce droit de rétrocession (9).
Dans l'espèce jugée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 16 décembre 2009, était en cause la répartition des compétences entre le maire d'une commune ayant préempté un bien et son conseil municipal dans le cadre d'une procédure de rétrocession. La cour d'appel avait en particulier écarté toute compétence du conseil municipal en la matière. La Cour de cassation a jugé, pour sa part, que, si le conseil municipal ne pouvait s'opposer au principe de la rétrocession lorsque les conditions de l'article L. 213-11 du Code de l'urbanisme sont remplies, il était, cependant, "seul habilité à décider du prix et des caractéristiques essentielles de celle-ci". La Cour suprême s'est, en effet, fondée sur les dispositions de l'article L. 2241-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2287IEG), selon lesquelles "toute cession d'immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de deux mille habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles". Ces dispositions donnent, ainsi, compétence au seul conseil municipal, à l'exclusion du maire donc, pour décider des conditions d'aliénation d'un bien appartenant au domaine privé de la commune. Au total, selon la Cour de cassation, en matière de rétrocession d'un bien préempté, l'intervention du conseil municipal est donc toujours nécessaire, ce qui signifie que le conseil municipal ne peut, en aucun cas, déléguer au maire la détermination des conditions de rétrocession.
Frédéric DIeu, Rapporteur public près la cour administrative d'appel de Marseille
(1) CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux (N° Lexbase : A6794DU8), BJDU, 2007, p. 50, conclusions C. Landais. Dans cette espèce, le Conseil a considéré qu'en jugeant que le périmètre à prendre en considération pour l'application des dispositions du II de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme était constitué par un petit compartiment de terrain correspondant au seul terrain d'assiette du lotissement de cinq lots sur lequel était implantée la maison d'habitation, la cour administrative d'appel n'avait pas tenu compte de l'ensemble des caractéristiques du quartier, et n'avait pas recherché si le projet contribuait à densifier les constructions, et qu'elle avait, ainsi, commis une erreur de droit.
(2) Le caractère limité ou non d'une extension relève de l'appréciation souveraine des juges du fond sauf dénaturation (cf. CE 4° et 5° s-s.r., 5 avril 2006, n° 272004, Société Les Hauts de Saint Antoine N° Lexbase : A9475DNA).
(3) Une telle approche "multicritère" est classiquement utilisée par le juge administratif : cf. CE Contentieux, 28 juillet 2000, n° 173229, Fédération pour les espaces naturels et l'environnement catalan (N° Lexbase : A7163AHR) ; CE 9° et 10° s-s-r., 14 novembre 2003, n° 228098, n° 228232 et n° 228371, Commune de Bonifacio (N° Lexbase : A1108DAB) ; CE 4° et 5° s-s.r., 5 avril 2006, n° 272004, Société Les Hauts de Saint Antoine, préc..
(4) CE 1° et 6° s-s-r., 27 septembre 2006, n° 275922, Commune du Lavandou (N° Lexbase : A3345DRC), BJDU, 2007, p. 40, conclusions Devys, AJDA, 2006, p. 2193, note Durand.
(5) CAA Marseille, 1ère ch., 16 mai 2007, n° 03MA01869 (N° Lexbase : A4953DXQ).
(6) CE Contentieux, 25 novembre 1998, n° 168029, Commune de Grimaud (N° Lexbase : A9045ASS), aux Tables, p. 1213.
(7) CE 9° et 10° s-s., 3 mai 2004, n° 251534, Mme Barrière (N° Lexbase : A0666DCN), aux Tables, p. 904 ; CE 4° s-s., 9 juin 2008, n° 291374, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire c/ Syndicat intercommunal pour le développement économique de la Côte d'Amour (N° Lexbase : A0459D9U).
(8) CE Contentieux, 14 janvier 1998, n° 160378, M. et Mme Vaniscotte (N° Lexbase : A6042ASL), aux Tables, p. 1222 ; Cass. civ. 3, 1er décembre 2004, n° 03-14.676, M. Michel Huido c/ Commune de Jouars-Ponchartrain, F-P+B (N° Lexbase : A1319DEL), Bull. civ. III, n° 223, BJDU, 2005, p. 293, observations Nesi, Constr.-Urb., 2005, n° 166, note Benoit-Cattin.
(9) Délai ramené de 10 à 5 ans par la loi "solidarité et renouvellement urbain" du 13 décembre 2000 (loi n° 2000-1208 N° Lexbase : L9087ARY).
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Réf. : Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 08-44.376, Société SNN Clermont, FS-P+B (N° Lexbase : A7680EQI)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé Sauf dispositions expresses contraires, la recodification est intervenue à droit constant. Il en résulte que s'appliquent au conseiller du salarié les dispositions de l'article L. 2411-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0148H9D) relatives à la durée de la protection d'un délégué syndical. |
I - La reconnaissance du principe de recodification à droit constant
Après avoir fait application en 2009 de ce qu'on peut appeler "le principe d'interprétation constante" du (nouveau) Code du travail, principe qui veut qu'en cas de doute sur l'interprétation d'une disposition réécrite à l'occasion de la recodification du Code, il convient de considérer que la nouvelle version doit s'interpréter comme l'ancienne (1), la Cour de cassation explicite sa doctrine et affirme, dans un arrêt en date du 27 janvier 2010, que, "sauf dispositions expresses contraires, la recodification est intervenue à droit constant".
Cette affirmation est parfaitement exacte au regard des termes des lois d'habilitation.
L'article 84, II, de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), habilitant le Gouvernement à procéder à la recodification de la partie législative du Code du travail par voie d'ordonnance, n'avait, certes, pas expressément mentionné la référence au droit constant, mais postulait cette méthode en précisant que "les dispositions codifiées en vertu du I sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances".
C'est pour calmer les inquiétudes qui se sont rapidement manifestées sur le respect de ce principe par la Commission de recodification que la référence formelle au "droit constant" a été introduite dans l'article 57 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006, pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social (N° Lexbase : L9268HTG), et qui a prolongé de 9 mois le délai laissé au Gouvernement pour parachever la recodification de la partie législative (2).
Le principe du "droit constant" étant posé, le Parlement a lui-même défini la marge de manoeuvre du Gouvernement, autorisé à procéder à "l'adaptation des parties législatives" du Code du travail "afin d'inclure les dispositions de nature législative qui n'ont pas été codifiées et pour remédier aux éventuelles erreurs ou insuffisances de codification", "assurer le respect de la hiérarchie des normes, la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l'état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions, codifiées ou non, devenues sans objet" (3).
Reste à déterminer dans quelle mesure le Gouvernement a respecté la lettre de mission qui lui avait été donnée et comment il convient de déterminer si les modifications intervenues dans la rédaction des textes, leur disposition dans le nouveau plan, les ajouts ou les suppressions réalisés, répondent à l'exigence du droit constant ou entrent dans les exceptions autorisées.
Lors de l'examen de la loi de ratification de l'ordonnance du 12 mars 2007 (ordonnance n° 2007-329, relative au Code du travail N° Lexbase : L6603HU4), le Conseil constitutionnel avait été saisi aux fins d'examen de la conformité de l'ordonnance aux deux lois d'habilitation, mais il avait refusé d'examiner le grief, considérant comme "inopérant à l'égard d'une loi de ratification le grief tiré de ce que l'ordonnance ratifiée aurait outrepassé les limites de l'habilitation" (4). En d'autres termes, le Conseil constitutionnel s'est vu confier par la Constitution le soin de vérifier la conformité des lois à la Constitution, mais non celle des ordonnances aux lois d'habilitation, cette dernière question relevant de la compétence du Conseil d'Etat lors de l'examen de la légalité de l'ordonnance avant sa ratification.
Au final, il apparaît que la vérification de la réalité de la recodification à droit constant ne s'impose nullement au juge en vertu d'une quelconque autorité s'attachant à une règle de droit, car ce principe, formulé dans les lois d'habilitation, ne s'imposait qu'au Gouvernement lors de la préparation de la recodification de la partie législative du Code du travail. On peut, toutefois, considérer, comme d'ailleurs l'a indiqué le Conseil lui-même, qu'en ratifiant l'ordonnance du 12 mars 2007, le Parlement a implicitement, mais nécessairement, considéré que, sous réserve des corrections réalisées, la recodification s'était réalisée conformément aux lois d'habilitation, c'est-à-dire en respectant le principe du droit constant.
II - La mise en oeuvre du principe d'interprétation constante et le statut protecteur du conseiller du salarié
C'est encore une fois la recodification des dispositions relatives aux représentants du personnel qui faisait ici difficulté (5), cette fois-ci du régime protecteur du conseiller du salarié.
Dans cette affaire, un salarié avait été inscrit sur la liste des conseillers du salarié par arrêté préfectoral du 26 février 2004 et ce, jusqu'au 21 février 2007. Il avait été convoqué à un entretien préalable au licenciement pour le 14 novembre 2007 et licencié le 19 novembre suivant. Estimant avoir été victime d'un licenciement illicite en raison de son statut protecteur, il avait saisi la juridiction prud'homale aux fins de réintégration et d'indemnisation, et obtenu gain de cause.
L'employeur, qui avait formé le pourvoi en cassation, prétendait que si le licenciement du conseiller du salarié est soumis à la procédure d'autorisation administrative prévue par le livre IV de la seconde partie du Code du travail, aucune prorogation de la période de protection n'est instituée en faveur de l'ancien conseiller du salarié au terme de son mandat.
Le moyen est rejeté. Après avoir affirmé que, "sauf dispositions expresses contraires, la recodification est intervenue à droit constant", la Cour de cassation indique "qu'il en résulte que s'appliquent au conseiller du salarié les dispositions de l'article L. 2411-3 du Code du travail relatives à la durée de la protection d'un délégué syndical".
L'ancien article L. 122-14-16, alinéa 2 (N° Lexbase : L5476ACS), disposait que le licenciement du conseiller du salarié "est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 (N° Lexbase : L0040HDT)". Dans la mesure où ce texte visait le licenciement du délégué syndical en exercice, mais aussi celui de l'ancien délégué dans les douze mois suivant la fin de son mandat, cette protection due à l'ancien représentant avait été très logiquement appliquée par analogie à l'ancien conseiller du salarié (6).
La recodification des dispositions relatives aux représentants du personnel a dans l'ensemble considérablement facilité la lecture du droit positif, tout en modifiant la présentation des règles ; les régimes protecteurs sont, désormais, regroupés au sein d'un même livre Quatrième et l'article L. 2411-1 (N° Lexbase : L3888IBM) livre une très opportune liste des salariés qui bénéficient de la protection contre le licenciement prévue par la loi, liste dans laquelle figure, bien entendu, en 16°, le "conseiller du salarié inscrit sur la liste dressée par l'autorité administrative et chargé d'assister les salariés convoqués par leur employeur en vue d'un licenciement".
La recodification de l'article L. 122-14-16, alinéa 2, semble, toutefois, défectueuse dans la mesure où le nouvel article L. 2411-21 ne fait plus expressément référence au régime protecteur du délégué syndical, comme c'était le cas auparavant grâce au renvoi à l'article L. 412-18 et se contente de viser "le licenciement du conseiller du salarié", sans autre précision.
Deux éléments pourraient laisser à penser que le nouvel article L. 2411-21 ne protège plus que le conseiller du salarié "en exercice", à l'exclusion de l'ancien conseiller une fois son mandat achevé.
En premier lieu, une fois son mandat achevé, le salarié ne peut plus être juridiquement qualifié de "conseiller du salarié", dès lors qu'il ne figure plus sur la liste préfectorale.
En second lieu, le Code du travail mentionne, désormais, expressément, pour d'autres salariés protégés, la protection due aux "anciens" représentants du personnel (7) ; a contrario, il ne semble pas inexact de considérer qu'à défaut de telle mention l'ancien représentant n'est plus protégé (8).
Ce n'est pas la voie choisie par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui a donc fait prévaloir l'esprit de la recodification sur la lettre et a considéré que les anciens conseillers du salarié ayant exercé leurs fonctions pendant un an devaient demeurer protégés après l'expiration de leur mandat, pendant une durée de 12 mois, à l'instar des anciens délégués syndicaux et conformément à la solution qui prévalait sur le fondement des anciennes dispositions du Code du travail antérieures au 1er mai 2008. Cette solution peut, d'ailleurs, se rapprocher de la volonté affirmée de protéger y compris les candidats aux élections au CHSCT oubliés par la loi et protégés en vertu d'un principe général (9).
Bien entendu, on ne peut que se féliciter que la Cour de cassation mette en oeuvre le principe d'interprétation constante du Code du travail, qui plus est pour assurer l'effectivité de la protection des salariés investis de fonctions au sein de l'entreprise, réalisant en cela le voeu du Parlement de ne pas réformer le droit du travail à l'occasion de la recodification.
On peut, également, souhaiter que les insuffisances de la recodification, fâcheuses quoi qu'excusables compte tenu de l'ampleur du travail à accomplir, seront régulièrement corrigées par le législateur, lorsque l'occasion se présentera.
(1) Lire nos obs., Le principe d'interprétation constante du (nouveau) Code du travail : première application par la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 350 du 15 mai 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0650BKB), chron. ss Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, Union départementale Force ouvrière de Savoie, F-P+B (N° Lexbase : A6583EGW).
(2) "I - Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X), le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l'adaptation des dispositions législatives du Code du travail à droit constant".
(3) Art. 84 de la loi n° 2006-1770, préc..
(4) Décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du travail (partie législative) (N° Lexbase : A7427D3H).
(5) Dans la précédente décision en date du 29 avril 2009 (Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-60.484, préc.), il s'agissait de la possibilité de désigner un délégué du personnel comme délégué syndical dans les entreprises dont l'effectif est inférieur à 50 salariés.
(6) Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-46.055, M. Patrick Perruet c/ Société Vincent (N° Lexbase : A3425ATZ) ; Cass. soc., 19 juin 2007, n° 05-46.017, M. Jacques Breton, FS-P+B (N° Lexbase : A8707DWE) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Egalité des salariés protégés devant le droit à réintégration, Lexbase Hebdo n° 276 du 5 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7600BB4).
(7) C'est le cas pour l'ancien délégué syndical pendant 12 mois s'il a exercé son mandat pendant au moins 1 an (C. trav., art. L. 2411-3, al. 2 N° Lexbase : L0148H9D), de l'ancien salarié mandaté pendant également 12 mois (C. trav., art. L. 2411-4, al. 3 N° Lexbase : L3924IBX), l'ancien délégué du personnel pendant 6 mois (C. trav., art. L. 2411-5, al. 2 N° Lexbase : L0150H9G), les membres du comité d'entreprise ayant siégé pendant au moins 2 ans pendant une durée de 6 mois (C. trav., art. L. 2411-8, al. 2 N° Lexbase : L0153H9K), les membres élus du CHSCT pendant 6 mois (C. trav., art. L. 2411-13, al. 2 N° Lexbase : L0158H9Q), les représentants des salariés au CA ou au CS des entreprises du secteur public (C. trav., art. L. 2411-17, al. 2 N° Lexbase : L0163H9W), ainsi que l'ancien conseiller prud'homme pendant 6 mois (C. trav., art. L. 2411-22, al. 2, 1° N° Lexbase : L0168H94).
(8) La question se pose également pour d'autres "oubliés" : les membres du groupe spécial de négociation ou du comité d'entreprise européen de l'article L. 2411-11 (N° Lexbase : L0156H9N) ou de la société européenne de l'article L. 2411-12 (N° Lexbase : L9699IAH).
(9) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-46.787, M. Martial Juif c/ Société BTB, FS-P+B (N° Lexbase : A7505BSR) et les obs. de S. Martin-Cuenot, La reconnaissance d'un principe général du droit à la protection contre le licenciement au profit des candidats aux élections professionnelles, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7317AAA).
Décision Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 08-44.376, Société SNN Clermont, FS-P+B (N° Lexbase : A7680EQI) Rejet CA Riom, ch. soc., 1er juillet 2008, n° 08/00163, SAS SNN Clermont (N° Lexbase : A3314EIL) Texte vise : C. trav., art. L. 2411-21 (N° Lexbase : L0167H93) Mots clef : conseiller du salarié ; protection ; recodification ; droit constant Lien base : (N° Lexbase : E9537ESZ) |
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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Jacques Barthélémy : Il y a un certain nombre d'années que j'ai la volonté de créer une institution à partir de ce cabinet afin que l'idée ayant motivé sa création devienne pérenne et s'inscrive dans le temps. J'ai, en effet, créé ce cabinet en 1965 avec la ferme intention d'être le premier, un leader par la compétence et la notoriété ; pour y parvenir, il ne faut pas que la société soit seulement une société de moyens. Dans cette optique, j'ai voulu lui donner une identité forte à partir de valeurs concrétisées par deux termes : concorde et excellence. Le premier implique l'idée que les résultats économiques doivent servir à l'épanouissement tant humain que matériel de tous et pas à la réussite patrimoniale de quelques-uns. La seconde sous-entend que le droit n'est pas une fin en soi, mais qu'il doit être au contraire au service d'une finalité plus grande, à savoir une meilleure conciliation entre protection des travailleurs et efficacité économique (1). Cette vision du rôle du droit social nécessite de la part du cabinet une approche organisationnelle du droit. La mise en oeuvre de cette conception nécessite l'ambition d'être créatif, donc de faire avancer le droit et de ne pas se contenter de commenter la dernière décision de Cour de cassation ou le dernier texte de loi. C'est en fonction de cette approche qu'a été créé le Cercle, lieu de réflexion prospective intéressant le droit social (donc pas seulement du travail).
Lexbase : Quelle vocation a-t-il ? Est-il destiné à suppléer une certaine forme de carence du droit social ?
Jacques Barthélémy : La maîtrise du droit du travail est obscurcie par la multiplication des textes législatifs et l'abondance de la jurisprudence. Il faut d'autant plus être imaginatif concernant ces évolutions qu'il a été conçu par et pour la civilisation de l'usine. Il doit donc s'adapter aux mutations du travail induites des progrès des TIC et de la mondialisation des échanges, sauf à sombrer dans des dérives technocratiques qui conduiront à son ineffectivité.
Ceci explique également que sont associés, au sein de ce cercle, des experts et des praticiens du droit, dans la perspective de confronter leurs opinions de manière à être plus créatifs. Le noyau dur est constitué par le cabinet, seule personne morale adhérente du Cercle de prospective sociale, et surtout son conseil scientifique, qui jouera un rôle important, que ce soit par les associés du cabinet, dont Michel Morand, président du cabinet et professeur associé à l'Université d'Auvergne ou par les universitaires Paul-Henri Antonmattéi, Pierre-Yves Verkindt et Gérard Vachet.
Sont également membres du Cercle des juristes en droit social, des responsables des ressources humaines de grands groupes et des représentants éminents de l'Administration du travail et de la Direction de la Sécurité sociale. Des économistes, des journalistes spécialisés, des sociologues seront également invités à rejoindre cet institut présidé par Jean Vantal (Vinci), Anne de Ravaran (Thalès) en étant la vice-présidente, Dominique Jourdan et André Derue, associés du cabinet Barthélemy étant respectivement secrétaire générale et trésorier.
Lexbase : Quels sont les premiers grands chantiers amorcés ? Pourquoi avoir choisi ces thèmes ?
Jacques Barthélémy : Il va s'agir de mener une activité de prospective à la fois sur de grands sujets de fond et sur des questions en phase avec l'actualité débouchant sur des propositions afin d'apporter des éléments de réponse concrets. Ces orientations expliquent les premiers thèmes choisis :
- le parcours professionnel ;
- les normes et leur support ;
- la convergence du droit du travail et de la protection sociale avec d'autres disciplines, notamment le droit fiscal ;
- la gestion de l'inaptitude ;
- et l'unité économique et sociale.
Sur chacun de ces thèmes, un groupe de travail a été mis en place, chacun étant présidé par un membre du conseil d'administration du Cercle. Tous les 3 mois une Assemblée plénière se réunira, un rapport sera rendu, lequel fera l'objet de communications et éventuellement sera remis aux autorités adéquates.
Ces thèmes sont considérés comme prioritaires. Ils sont parmi ceux qui me paraissent à l'heure actuelle comme soulevant le plus de difficultés. Pour l'animation de chacun des chantiers, il pourra être fait appel à la compétence d'autres experts extérieurs au Cercle.
Lexbase : Pour finir, qu'attendez-vous concrètement d'une telle institution ?
Jacques Barthélémy : Il s'agit, à l'instar du Cercle Montesquieu, d'en faire une institution de référence ici en droit social (et pas seulement en droit du travail), le projet est donc très ambitieux...
(1) Lire, à ce sujet, le Rapport de Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, Refondation du droit social : concilier protection des travailleurs et efficacité économique, Conseil d'analyse économique, janvier 2010.
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Le 07 Octobre 2010
Fabrice Marchisio, Avocat associé, Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral
18 février 2010
8h30 - 10h30
Hôtel Le Bristol
112 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris
Inscription gratuite sur réservation - Places limitées
Lucy Letellier
Option Droit & Affaires
Ligne directe : 01 53 63 55 56
lucy.letellier@optionfinance.fr
Option Finance SAS
91 bis, rue du Cherche-Midi
75006 PARIS
Tél. : 01 53 63 55 55
Fax : 01 53 63 55 60
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Réf. : Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 09-60.240, Fédération des employés et cadres Force ouvrière et a. c/ Société Bearingpoint France, FS-P+B (N° Lexbase : A7751EQ7)
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N1676BNE
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé Il résulte de l'article R. 2232-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0641IAY) que les contestations relatives à la régularité de la consultation des salariés sont introduites dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 2324-24 du Code du travail (N° Lexbase : L0215IA9). S'il appartient à l'employeur de déterminer les modalités d'organisation du vote, après la consultation des organisations syndicales, il ne peut, en organisant un vote électronique, déroger aux dispositions de l'article D. 2232-2, 1°, du Code du travail (N° Lexbase : L0648IAA), qui imposent un scrutin secret et sous enveloppe. |
I - Le référendum dans l'entreprise
Manifestation privilégiée de la démocratie directe, le référendum n'occupe qu'une place marginale dans la législation sociale. Admis de longue date dans certaines matières (1), son rôle a été quelque peu renforcé par la loi "Aubry II" du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 N° Lexbase : L0988AH3) et les lois du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 N° Lexbase : L1877DY8) et du 20 août 2008 (loi n° 2008-789 N° Lexbase : L7392IAZ) (2). On peut, à cet égard, rappeler que l'accord signé par un salarié mandaté doit être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés (C. trav., art. L. 2232-27 N° Lexbase : L5832IEQ). Par ailleurs, jusqu'au 1er janvier 2009, la validité d'un accord d'entreprise était subordonnée au respect des conditions posées par les articles L. 2232-12 (N° Lexbase : L3770IBA) à L. 2232-15 du Code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008 (loi n° 2008-789 du 20 août 2008, préc., art. 12-II). En application de l'article L. 2232-12, un accord d'entreprise pouvait être soumis à l'approbation des salariés, dès lors qu'il avait été signé par des syndicats ne satisfaisant pas à la condition de majorité.
Bien que cela ne ressorte pas véritablement de l'arrêt rapporté lui-même, il semble bien que ce cas de recours au référendum était en cause dans l'affaire soumise à la Cour de cassation (3). En l'espèce, une société employant plus de neuf cents salariés avait signé, le 24 décembre 2008, trois accords avec deux syndicats de l'entreprise. Consécutivement à la demande d'un syndicat de soumettre ces accords au vote des salariés pour approbation, l'employeur avait averti les organisations syndicales, par courriel du 9 janvier suivant, des modalités de ce référendum pour lequel il envisageait un vote électronique et les avait invitées à une réunion de consultation qui s'était tenue le 19 janvier 2009. L'employeur leur avait notifié ensuite les modalités d'organisation du vote électronique par lettre recommandée du 27 janvier 2009 et le référendum s'était déroulé du 26 mars au 1er avril 2009.
Contestant la régularité de ce vote au motif que le vote électronique pour l'adoption d'un accord d'entreprise serait illicite et que diverses irrégularités auraient été de nature à entacher la loyauté et la sincérité du scrutin, la fédération des employés et cadres force ouvrière, ainsi qu'un délégué syndical FO, avaient saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation du référendum.
Les demandeurs ayant été déboutés, ils ont porté l'affaire devant la Cour de cassation. Celle-ci était saisie d'un pourvoi principal portant sur la validité du référendum et d'un pourvoi incident intéressant la recevabilité de l'action du syndicat et de son délégué dans l'entreprise, formé par la société employeur. Si ce dernier pourvoi était préalable, nous nous attacherons d'abord à la réponse apportée au pourvoi principal qui intéresse les modalités du référendum.
Pour dire que la consultation des salariés sur les accords d'entreprise organisée par l'employeur par vote électronique était régulière, le tribunal avait retenu que les modalités de la consultation des salariés sur un accord d'entreprise, lorsqu'elle est légalement prévue, résultent des dispositions des articles D. 2232-2 et D. 2232-6 (N° Lexbase : L0638IAU) du Code du travail, qui ne prévoient aucune sanction en cas de procédure non conforme. Par ailleurs, les opérations de consultation par référendum doivent respecter les règles jurisprudentielles, résultant des principes généraux du droit électoral, permettant d'assurer la sincérité et le secret du vote. Enfin, cette modalité a été explicitement autorisée par la loi du 21 juin 2004 (loi n° 2004-575 N° Lexbase : L2600DZC) en ce qui concerne l'élection des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise.
Le jugement est censuré par la Cour de cassation au visa de l'article D. 2232-2 du Code du travail. Pour la Chambre sociale, "s'il appartient à l'employeur de déterminer les modalités d'organisation du vote, après consultation des organisations syndicales, il ne peut, en organisant un vote électronique, déroger aux dispositions de l'article D. 2232-2, 1°, du Code du travail qui imposent un scrutin secret et sous enveloppe".
Il est difficile de ne pas approuver cette solution qui procède de l'application d'un texte on ne peut plus clair du Code du travail. Il résulte, en effet, de l'article précité que "la consultation a lieu pendant le temps de travail, au scrutin secret et sous enveloppe. Son organisation matérielle incombe à l'employeur" (4). Partant, si l'obligation de déterminer les modalités d'organisation du vote pèse sur l'employeur, il n'a d'autre choix que d'adopter le scrutin secret et sous enveloppe. Il ne saurait donc être question, ainsi que l'avaient curieusement fait les juges du fond en l'espèce, de prendre acte du fait que le Code du travail autorise le recours au vote électronique en matière d'élections professionnelles dans l'entreprise (C. trav., art. L. 2314-21 N° Lexbase : L2633H9E et L. 2324-19 N° Lexbase : L9768H8B). Car, précisément, envisagé dans cette dernière hypothèse par la loi, le vote électronique ne l'est pas pour le référendum visé par l'ancien article L. 2232-12 et ses textes d'application.
On peut, en outre, considérer que ces textes sont d'ordre public absolu et que, par voie de conséquence, le vote électronique ne saurait pas même être prévu par un accord collectif d'entreprise, serait-il signé par l'ensemble des organisations syndicales représentatives.
II - La contestation du référendum
La société employeur faisait grief au jugement attaqué d'avoir déclaré la requête du syndicat et de son délégué recevable alors qu'en vertu de l'article D. 2232-7 du Code du travail (N° Lexbase : L0635IAR), les modalités d'organisation de la consultation, telles qu'elles ont été fixées par l'employeur, s'appliquent, sauf si elles ont fait l'objet d'une contestation devant le tribunal d'instance dans les huit jours de la notification. En déclarant, cependant, recevable le syndicat à contester lesdites modalités, postérieurement au scrutin, au motif que la notification aurait été reçue par l'entreprise elle-même le 29 janvier 2009 et que le syndicat n'en aurait eu connaissance que "plus tard", le tribunal d'instance, qui dispense le demandeur d'établir qu'entre la date susvisée et le 27 mars 2009, il n'avait pas été en mesure de respecter le délai précité, le tribunal a violé le texte susvisé.
Si la Cour de cassation rejette le pourvoi incident formé par la société, elle opère une substitution de motif. Ainsi que le rappelle la Chambre sociale, il résulte de l'article R. 2232-5 du Code du travail, que les contestations relatives à la régularité de la consultation des salariés sont introduites dans le délai de quinze jours prévu par l'article R. 2324-24 du Code du travail (N° Lexbase : L0215IA9). Or, selon les constatations du jugement, le tribunal avait été saisi, le 8 avril 2009, non pas d'une contestation des modalités de la consultation fixées par l'employeur, mais de la régularité de la consultation elle-même clôturée le 1er avril 2009. Le jugement se trouve, dès lors, légalement justifié par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués.
A l'instar des élections professionnelles dans l'entreprise (5), le référendum peut faire l'objet de deux types de contentieux que la Cour de cassation, dans le prolongement des textes légaux, entend à très juste titre bien distinguer. Tout d'abord, et en respectant un ordre chronologique, les syndicats représentatifs peuvent, en cas de désaccord sur les modalités d'organisation de la consultation retenues par l'employeur, saisir le tribunal d'instance qui statue en la forme des référés et en dernier ressort (C. trav., art. D. 2232-7 N° Lexbase : L0635IAR (6)). Ensuite, en application de l'article R. 2232-5, le tribunal d'instance, qui statue là encore en dernier ressort, peut être saisi de contestations relatives à l'électorat et à la régularité de la consultation.
Il importe de distinguer ces différentes actions dans la mesure où les délais de saisine du tribunal d'instance ne sont pas identiques. Lorsque la contestation porte sur les modalités d'organisation du référendum, il doit être saisi dans les huit jours qui suivent la notification des modalités d'organisation de la consultation. A défaut, s'appliquent les modalités arrêtées par l'employeur (C. trav., art. D. 2232-7, al. 2). Si la contestation concerne la régularité de la consultation, elle doit être introduite dans le délai prévu à l'article R. 2324-24 (C. trav., art. R. 2232-5) (7), soit quinze jours suivant la consultation.
En l'espèce, les juges du fond avaient fait application du délai de huit jours, considérant ainsi nécessairement que la contestation portait sur les modalités d'organisation de la consultation. Tel n'est pas la position retenue par la Cour de cassation, qui considère, au contraire, que le tribunal avait été saisi d'une contestation de la régularité de la consultation elle-même. Cette solution doit être approuvée. Sans doute, à la décharge des juges du fond, doit-on admettre que le litige trouvait son origine dans le recours au vote électronique, c'est-à-dire dans les modalités de la consultation. Mais les demandeurs, en contestant l'usage de cette technologie, remettaient en cause au final la régularité de la consultation elle-même. Il était, en outre, difficile qu'il en soit autrement, le tribunal ayant été saisi postérieurement à celle-ci. Or, par hypothèse, la contestation des modalités de la consultation doit intervenir avant la consultation elle-même. Il n'en demeure pas moins que l'arrêt est révélateur du fait qu'une même difficulté peut conduire à une contestation des modalités de la consultation et/ou d'une contestation de la régularité de la consultation elle-même. On peut se demander si la Cour de cassation adoptera ici la position qui était la sienne antérieurement à l'arrêt précité du 23 septembre 2009 en matière de contentieux préélectoral. On se souvient, en effet, que la Cour de cassation refusait d'examiner les pourvois relatifs à des jugements ayant eu à statuer sur un litige préélectoral, dès lors que le litige pouvait être réexaminé au titre du contentieux postélectoral.
Remarquons, enfin, que, saisi d'une contestation relative à la régularité de la consultation, le juge n'aura d'autre choix que de valider ou d'annuler la consultation (8) ; sanction qui, à l'évidence, ne saurait être retenue en cas de contestation sur les modalités de la consultation. Reste à savoir si, à l'instar à nouveau des élections professionnelles, la Cour de cassation réservera la possibilité d'une mise à l'écart de la sanction de la nullité lorsque l'irrégularité commise n'aura pas eu d'effet sur le résultat de la consultation.
Décision Cass. soc., 27 janvier 2010, n° 09-60.240, Fédération des employés et cadres Force ouvrière et a. c/ Société Bearingpoint France, FS-P+B (N° Lexbase : A7751EQ7) Cassation sans renvoi de TI Puteaux, contentieux des élections professionnelles, 26 mai 2009 Texte visé : C. trav., art. D. 2232-2 (N° Lexbase : L0648IAA) Mots-clefs : référendum, modalités, vote électronique (non), objet de la contestation, délai de saisine Lien base : |
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 11 décembre 2009, n° 301341, Société Ge Healthcare Clinical Systems, Publié au Recueil Lebon (N° Lexbase : A4265EPN)
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N1646BNB
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes
Le 07 Octobre 2010
L'intérêt de cette décision du 11 décembre 2009 réside, d'une part, dans la qualification donnée à la somme en litige par l'arrêt et dans le contenu juridique opposable que la Haute juridiction reconnaît, au regard de la loi fiscale, à une convention d'intégration. La Haute juridiction, ce faisant, retient une solution en harmonie avec la pratique comptable en étendant une jurisprudence du 12 mars 1982 qui concernait une indemnité d'assurance destinée à compenser des pénalités fiscales encourues par un comptable ayant commis des erreurs (CE Contentieux, 12 mars 1982, n° 17074 N° Lexbase : A9809AKI). D'autre part, la Haute juridiction esquisse, dans le silence des textes, les premiers traits d'un principe à préciser à l'avenir de libre répartition de la charge fiscale au sein d'un groupe fiscalement intégré, dès lors que cette répartition tient compte des résultats propres de chaque société du groupe.
I - La portée des obligations contractuelles résultant d'une convention d'intégration prévoyant le versement d'une indemnité compensant la perte du droit au report déficitaire, précisées au regard de la loi fiscale
En l'absence d'un intérêt de groupe et dans le silence de la loi, il est d'autant plus important que les dispositions de la convention d'intégration soient opposables.
A - Les déficits subis par les filiales pendant leur appartenance au groupe sont pris en compte pour la détermination du résultat d'ensemble
La société Datex Engstrom, devenue la société Datex Ohmeda a appartenu au groupe fiscal intégré The BOC Group SA, jusqu'au 1er octobre 2007. Cette société était liée à sa mère, la société The BOC Group, par une convention d'intégration qui stipulait que dans le cas où, pour une raison quelconque, le régime d'intégration cesserait de s'appliquer à la filiale, celle-ci serait indemnisée des surcoûts fiscaux emportés par son appartenance au groupe. Rappelons que dans le cadre du régime de l'intégration fiscale, aux termes de l'article 223 A du CGI, la société mère peut se constituer comme seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe. Ainsi, si chaque société détermine son résultat imposable, la société mère seule, société tête de groupe, a la qualité de redevable et acquitte l'impôt sur le résultat commun qui est la simple somme algébrique des résultats bénéficiaires ou déficitaires des sociétés membres du groupe. Surtout, les déficits réalisés par une filiale pendant sa période d'appartenance au groupe sont définitivement acquis à la mère et, en conséquence, lors de la sortie du groupe, la filiale perd la totalité des déficits qu'ils aient été utilisés ou qu'ils ne l'aient pas été.
En l'espèce, la société Datex Ohmeda a acquis le 4 avril 1998 l'intégralité des titres composant le capital social de la société Ohmeda. Dès lors et en application des dispositions de l'article 223 A du CGI, cette société est sortie du groupe fiscal intégré The BOC Group SA, dont elle faisait jusqu'alors partie. Elle a reçu en application de la convention qui la liait à son ancienne société mère une indemnité destinée à compenser la perte d'économie d'impôt futur résultant de la perte de ses déficits reportables. Le montant des déficits avait été évalué à la somme de 9 909 186 euros et l'indemnité fixée à la somme de 2 347 714 euros, la société a, alors, comptabilisé l'indemnité en produit exceptionnel puis l'a déduite de façon extra comptable pour la détermination de son résultat fiscal, le service a estimé que l'indemnité était imposable dès lors que la perte des déficits de la filiale résultait des règles fiscales de l'intégration voulues par le législateur, l'indemnité ne pouvant réparer un préjudice indemnisable et devant être qualifiée de subvention imposable.
La solution retenue par l'administration reposait, donc, sur la seule application de la loi fiscale et plus précisément sur son silence. Mais, ce silence peut être comblé ou suppléé par le recours à une convention d'intégration.
B - Les conventions d'intégrations peuvent prévoir un dédommagement pour tenir compte du fait que les déficits ne pourront être récupérés par les filiales qui sortent du groupe
De nombreux arguments militaient pour reconnaître le caractère non imposable de l'indemnité allouée, celle-ci compensant des charges par nature non déductibles du bénéfice imposable en application de l'article 213 du CGI (N° Lexbase : L3086HNM). Le rapporteur public a souligné, dans ses conclusions sous l'arrêt du 11 décembre 2009, que la répartition de l'impôt sur les sociétés entre les membres ne doit pas avoir pour effet d'aggraver la situation de ces sociétés par rapport au sort qui aurait été le leur en régime d'imposition séparée. La reconnaissance d'un préjudice né de la non utilisation du droit au report déficitaire pouvait apparaître d'autant plus tentante que l'article 89 de la loi de finances pour 2004 codifié à l'article 209, I alinéa 3 du CGI (N° Lexbase : L3322IG7), rend illimité dans le temps le droit au report en avant des déficits subis au titre des exercices ouverts depuis le 1er janvier 2004 et des déficits restant à reporter à la clôture de l'exercice précédant le premier exercice ouvert à partir de cette même date. Plus largement, il est vrai que l'absence de toute indemnisation se traduit, pour la filiale déficitaire sortante, par un manque à gagner chaque fois que les surcoûts liés à la dépossession des déficits ne sont pas compensés par des allègements fiscaux ou d'autres avantages nés du fait de son appartenance au groupe.
La convention d'intégration prend, alors, en compte opportunément les intérêts économiques en présence. Elle permet, notamment, de considérer les intérêts des actionnaires minoritaires et d'organiser la prévention des inconvénients liés à la sortie prématurée du groupe. Elle supplée en conséquence au silence de la loi et à l'absence de reconnaissance d'un intérêt de groupe. La solution retenue par le Conseil d'Etat, dans le silence de la loi, laisse au contrat le loisir d'organiser au mieux la concurrence des intérêts économiques des membres du groupe. La convention pose, alors, le principe du dédommagement lequel ne constitue pas pour la filiale un profit imposable car il répare une future surcharge d'impôts sur les sociétés résultant de la perte pour elles de la possibilité de toute imputation des reports déficitaires définitivement perdus. La convention permet, en l'espèce, de déterminer au vu de l'évaluation des bénéfices prévisionnels que la filiale était susceptible de réaliser, une indemnité compensant le préjudice résultant pour elle de la perte au profit du groupe intégré de déficits d'un montant de 2 347 714 euros subis pendant son appartenance au groupe. Ce faisant, le Conseil d'Etat prend appui et prolonge une solution déjà esquissée le 12 mars 1982. Selon ce dernier arrêt, les indemnités versées à un contribuable en vertu d'une obligation contractuelle, pour réparer une diminution de ses valeurs d'actif une dépense qu'il a exposée ou une perte de recettes, ne constituent des recettes concourant à la formation du bénéfice imposable que si la perte ou la charge qu'elles ont pour objet de compenser est, elle-même, de la nature de celle qui sont déductibles des bénéfices imposables.
La solution retenue en présence d'une sortie d'une filiale d'un groupe fiscalement intégré appelle des prolongements s'agissant de l'application du contenu des conventions en période d'intégration.
II - L'arrêt rapporté conforte la cohérence du régime de l'intégration et conduira à terme le Conseil d'Etat à préciser la portée des conventions pendant la période d'intégration
La suppression de l'article 223 J du CGI (N° Lexbase : L4228HL8) ne conduit pas à qualifier mécaniquement l'indemnité de subvention et devrait conduire le Conseil d'Etat à préciser à terme, la portée des conventions d'intégration durant la période d'intégration.
A - Une solution qui précise la nature de l'indemnité postérieurement à la suppression de l'article 223 J du CGI
La jurisprudence, souple lorsqu'il s'agit de reconnaître l'intérêt individuel des sociétés, notamment dans le cadre des groupes intégrés fiscalement, est souvent rigide en présence de l'intérêt du groupe pris en tant que tel. La solution retenue par le Conseil d'Etat, dans l'arrêt du 11 décembre 2009, en permettant la prise en compte les impératifs économiques liés à l'intégration offre une protection renforcée des minoritaires, en l'absence de reconnaissance de l'existence d'un intérêt de groupe comme cela a pu être souligné par le passé dans un arrêt du 28 avril 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 28 avril 2006, n° 277572, Ministre l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société SEEEE N° Lexbase : A1988DPC). Le Conseil d'Etat apporte, aujourd'hui, une nouvelle pierre à la suppression du décalage existant entre l'analyse économique et fiscale regardé comme une exception française. La décision du 11 décembre 2009 se place, en précisant une des conséquences fiscales d'une convention d'intégration, dans le prolongement de l'arrêt "Sofige" du 21 juin 1995 (CE Contentieux, 21 juin 1995, n° 132531, SA SOFIGE N° Lexbase : A4488ANK), à propos duquel Philippe Martin soulignait que le Conseil d'Etat tient compte de l'existence d'un groupe pour apprécier l'intérêt individuel de chacun de ses membres. La décision du 11 décembre 2009 marque, ainsi, une nouvelle étape dans la tentative de conciliation de l'économie et du droit fiscal dont la décision du 10 décembre 2004 (CAA Paris, 2ème ch., 10 décembre 2004, n° 00PA00036, Ministre l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société SEEEE N° Lexbase : A8261DEP), jugeant qu'une opération contraire à l'intérêt propre d'une société peut néanmoins constituer un acte de gestion normal si elle est conforme à celui du groupe auquel elle appartient, mais censurée par le Conseil d'Etat, le 28 avril 2006, était une illustration audacieuse.
Par ailleurs, la solution retenue peut apparaître comme une alternative rationnelle à la solution qui existait sous l'empire des dispositions de l'article 223 J du CGI et qui permettait en cas de sortie de groupe, à une filiale dont la contribution au résultat d'ensemble avait été négative de récupérer ses déficits nets, le groupe étant obligé en contrepartie de réintégrer dans le résultat d'ensemble, un montant égal à 1,5 fois le montant des déficits. Ce dispositif peu adapté s'appuyait sur une logique de pénalisation du groupe quand la solution retenue sous l'arrêt rapporté met en valeur une solution constructive de préservation des déficits de la filiale et d'arbitrage entre différents intérêts économiques. Cette solution aura certainement des prolongements.
B - Les prolongements espérés de l'arrêt du 11 décembre 2009
Le Conseil d'Etat se prononcera à terme sur les conséquences fiscales qui découlent des modalités de réparation de la charge d'impôt sur les sociétés entre membres du groupe qui sont prévues par les conventions d'intégration. Dès à présent, la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 5ème ch., 2 avril 2009, n° 05LY01975 N° Lexbase : A8825EGX) et la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 3ème ch., 22 septembre 2009, n° 08VE03647 N° Lexbase : A3000EPS) ont écarté l'argument tiré d'une impossibilité de prévoir une réallocation de l'économie d'impôt dans une convention d'intégration et jugées que les indemnités versées aux filiales ne sont pas des subventions indirectes au sens de l'article 223 R du CGI (N° Lexbase : L3793IGL).
La cour administrative d'appel de Lyon a, notamment, jugé que les modalités des conventions peuvent être librement déterminées par la société mère et ses filiales dans une convention d'intégration dès lors que les droits des associés ou actionnaires minoritaires ne sont pas lésés. La cour regardant l'écart existant entre la contribution d'impôt sur les sociétés réclamées aux filiales, calculée au prorata de leurs résultats, et le montant de l'impôt sur les sociétés dont elles auraient été redevables si elles été imposées séparément, comme ne constituant pas une subvention imposable. L'enjeu recouvert par un pourvoi en cassation de l'un de ces deux arrêts, conduisant le Conseil d'Etat à retenir la même solution que celle énoncée dans l'affaire commentée, conduirait à regarder les sociétés fiscalement intégrées comme libre de définir les modalités de répartition de la charge d'impôt sur les sociétés, sans risque fiscal, remettant ainsi en cause la position de la doctrine administrative exprimée dans une instruction du 26 juin 2002 (BOI 4 L-2-02, n° 59 N° Lexbase : X1534ABG).
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par Cédric Tahri, ATER à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Un mois plus tard, le Tribunal des conflits a décidé de prendre la première chambre civile à contre-pied en retenant la solution opposée. Fidèle à sa jurisprudence, il confie ledit contentieux aux juridictions administratives (T. confl., 14 décembre 2009, n° 3720, Mlle Sarli c/ Université de Montpellier I N° Lexbase : A8386EPB). En l'espèce, à la suite de l'annulation des délibérations du jury de l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle des avocats, Mlle S. avait sollicité l'indemnisation de son préjudice. La cour administrative d'appel de Marseille avait décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître de cette action ; et la cour d'appel de Montpellier, saisie aux mêmes fins, avait renvoyé au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence. Or, le Tribunal des conflits a rappelé la compétence de la juridiction administrative en ce qui concerne les recours contre les délibérations du jury de l'examen d'accès aux centres régionaux de formation professionnelle des avocats, organisé par les universités. Estimant que l'action indemnitaire en réparation du préjudice né de ces délibérations relevait du même ordre de juridictions, il en a déduit que ce litige était de la compétence du juge administratif.
Aussi, ces décisions contradictoires rendent inconfortable la position des candidats malheureux ambitionnant de former un recours contre la décision d'ajournement leur faisant grief. Ces derniers ne sont plus en mesure de connaître à l'avance la juridiction compétente pour connaître de leur recours, ce qui porte atteinte au principe de sécurité juridique. Cette situation est regrettable, mais elle illustre parfaitement la possible divergence d'appréciation de l'application de la loi dans le temps par le juge, en l'absence de disposition législative spéciale de droit transitoire. En effet, dans les deux affaires, l'examen avait été passé avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires. Or, cette loi permettait de régler le conflit de compétences au profit des juridictions administratives. Tout l'intérêt résidait donc dans l'application immédiate de ladite loi aux instances en cours...
Hélas, le législateur n'a fourni aucune précision sur ce point, de sorte que la Cour de cassation et le Tribunal des conflits restent cantonnés sur leurs positions. Toutefois, une ligne directrice semble se dessiner peu à peu : le contentieux des délibérations du jury de l'examen d'accès au CRFPA relève en principe du juge administratif (I) ; le juge judiciaire ne possède qu'une compétence inhabituelle en la matière... compétence dérogatoire qui a vocation à disparaître avec l'entrée en vigueur de la loi de 2004 (II).
I - La compétence naturelle du juge administratif
En se prononçant en faveur de la compétence du juge administratif, le Tribunal des conflits rend plus cohérent l'ensemble du contentieux relatif aux examens universitaires (A). Ainsi peut-on s'attendre à l'application d'une jurisprudence constante liée au contrôle minimum opéré par le juge administratif dans ce domaine (B).
A - L'unification du contentieux relatif aux examens universitaires
Une unification légitime. L'organisation des examens est partie intégrante de la mission de service public de l'enseignement, les résultats du contrôle des connaissances étant appréciés par un "organe administratif" (1), le jury. Le juge administratif est donc classiquement considéré comme le "juge naturel" des examens universitaires (2). Et, ce qui vaut pour les examens universitaires doit valoir aussi pour les examens d'entrée aux CRFPA. En effet, l'examen d'accès aux centres régionaux de formation à la profession d'avocat est organisé par les instituts d'études judiciaires (IEJ) des Universités, qui sont des établissements publics à caractère administratif. Il en résulte que les IEJ sont, eux-mêmes, des établissements publics à caractère administratif. Il ressort, par conséquent, que le litige concernant une décision d'ajournement à un examen d'accès à un centre régional de formation professionnelle doit être porté devant le juge administratif. Certaines décisions militent d'ailleurs en ce sens. A titre d'exemple, le tribunal administratif de Montpellier a annulé les délibérations du jury relatives à l'examen d'entrée au CRFPA pour rupture d'égalité des candidats et pour non-respect du règlement de l'examen (3). Sur les mêmes fondements, le tribunal administratif de Toulouse a annulé des délibérations au motif que le temps laissé à un candidat lors de l'exposé-discussion excédait la durée maximale prévue dans le règlement de l'examen (4). Bien que ces décisions restent isolées, elles constituent une première tentative d'unification du contentieux des examens universitaires puisque dans ce domaine particulier le juge administratif voit ses compétences étendues. Il faudra, cependant, attendre l'intervention du Tribunal des conflits pour que cette unification prenne corps véritablement, et cela malgré la position dissidente de la Cour de cassation.
Une unification difficile. L'unification du contentieux des examens universitaires débute avec la fameuse décision "Hellal c/ Université Paris 1" du 18 décembre 2006 (5). En l'espèce, le Tribunal des conflits a considéré que le recours formé par un candidat contre la délibération du jury de l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle des avocats du ressort de la cour d'appel de Paris, organisé par l'Université Paris I Panthéon - La Sorbonne, établissement public à caractère administratif, ressortissait à la compétence de la juridiction administrative. Il a donc suivi les conclusions du rapporteur public. Ce dernier avait précisé, de manière très opportune, quelle était la position de la Chancellerie dans cette affaire : "Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice a fait connaître que les articles 12 et 14 de la loi du 31 décembre 1971, dans leur rédaction issue de la loi du 11 février 2004, en ce qui concerne la compétence juridictionnelle en matière de recours sur les décisions relatives à la formation, étaient immédiatement applicables et que la compétence de la cour d'appel était donc limitée à la formation professionnelle hors examen d'accès au centre régional de formation professionnel. Le ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieure et de la Recherche s'est associé aux observations du garde des sceaux, ministre de la justice".
Pour autant, les arrêts les plus récents font douter de la portée de la décision du 18 décembre 2006. Même si le Tribunal des conflits a confirmé sa position dans l'arrêt commenté, force est de constater que certaines juridictions judiciaires continuent de faire de la résistance, à commencer par la cour d'appel de Toulouse (6). Quoi qu'il en soit, il appartient au candidat ajourné de diriger son recours contre l'Université organisant l'examen, et non contre l'institut d'études judiciaires, lequel n'est pas doté de la personnalité morale.
B - L'application des solutions relatives aux examens universitaires
Un contrôle minimum du bien-fondé des décisions du jury. En vertu d'une circulaire du 1er mars 2000 sur l'organisation des examens, "le jury délibère souverainement à partir de l'ensemble des résultats obtenus par les candidats". En conséquence, le juge administratif se refuse à discuter le bien-fondé de l'appréciation du jury non seulement sur la valeur des candidats et de leurs prestations (7), mais également sur la valeur des épreuves subies par les candidats (8). De la même façon, il refuse de consacrer un principe général du droit imposant l'anonymat des épreuves écrites lors d'un examen universitaire (9). Il exerce un contrôle minimal en la matière. L'autorestriction du juge dans ce domaine est cependant contrebalancée par un examen méticuleux des conditions d'exercice du pouvoir de notation. Le juge se montre ainsi soucieux de garantir aux candidats le respect par les jurys des règles qui président à l'organisation et au déroulement des examens et des délibérations.
Un contrôle strict de la régularité des délibérations du jury. Le juge exerce un contrôle strict sur la régularité des délibérations. Cette régularité suppose, d'abord, le respect des règles de désignation et de composition du jury, dans le cadre d'un contrôle de la légalité externe (incompétence éventuelle des membres du jury) comme interne (violation directe de la règle de droit) des décisions. Ainsi, il ressort de la décision "Dubois" du Conseil d'Etat, du 6 mars 1998 (CE Contentieux, 6 mars 1998, n° 128051, M. Dubois N° Lexbase : A6558ASP), qu'un candidat à un examen est fondé à demander l'annulation des délibérations du jury l'ayant ajourné au motif que les membres de ce jury n'ont pas été désignés par le président de l'Université, comme l'impose l'article 27 de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur (N° Lexbase : L7301AGI). La régularité des délibérations suppose ensuite, toujours au titre de la légalité interne, que les décisions prises ne soient pas fondées sur un texte illégal ou encore qu'elles ne révèlent pas d'erreur d'interprétation d'un texte. Tel est le cas lorsqu'un jury d'examen fonde son refus de délivrer un diplôme sur des motifs erronés, révélant une erreur d'interprétation de la réglementation.
En somme, le juge veille toujours étroitement au respect par les jurys des règles de droit qui président à l'organisation et au déroulement des examens, en faisant de la souveraineté d'appréciation des jurys un principe intangible.
II - La compétence inhabituelle du juge judiciaire
S'il est communément admis que le juge judiciaire puisse connaître de tout ce qui concerne la formation professionnelle des avocats (A), il en va différemment à propos des délibérations du jury de l'examen d'accès au CRFPA (B).
A - Une compétence reconnue en matière de formation
Une compétence exclusive. Le juge judiciaire connaît des recours exercés contre les décisions concernant la formation professionnelle des avocats. Cette compétence découle directement du dernier alinéa de l'article 14 de la loi de 1971, lequel dispose que : "Les recours à l'encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d'appel compétente". En d'autres termes, le juge administratif doit se déclarer incompétent lorsque le litige touche à la formation théorique et pratique du futur avocat. Autant dire que les juridictions judiciaires possèdent une compétence exclusive en la matière, ce que démontre la jurisprudence relative à l'examen de sortie des CRFPA (10).
Une compétence maintenue. La loi n° 2004-130 du 11 février 2004 n'a pas remis en cause la compétence dévolue à la cour d'appel, en l'occurrence celle dans le ressort de laquelle est institué le centre de formation. En effet, il ressort des travaux parlementaires que le législateur n'a pas voulu transférer le contentieux relatif à la formation professionnelle des avocats aux juridictions administratives. Bien au contraire, il est rappelé que le juge judiciaire est également compétent pour statuer sur les délibérations et les décisions d'un conseil de l'ordre en matière réglementaire ou disciplinaire.
B - Une compétence étendue aux délibérations
Une interprétation audacieuse des textes. Selon l'article 12 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1990, applicable aux espèces, la formation professionnelle exigée pour l'exercice de la profession d'avocat comprend notamment un examen d'accès à un centre régional de formation. Or, aux termes de l'article 14 de la même loi, les recours à l'encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d'appel compétente. De la lecture combinée de ces dispositions, certains auteurs déduisaient que l'examen d'entrée au CRFPA constituait la première étape de la formation professionnelle des avocats. La loi organisait en quelque sorte "[...] une formation à plusieurs étages" (11) : 1) Un examen d'accès à un centre régional de formation professionnelle ; 2) une formation théorique et pratique dans un centre, sanctionnée par le certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA). Cette interprétation audacieuse conduisit les juridictions judiciaires à se déclarer compétentes pour connaître des recours formés contre les délibérations du jury à l'examen d'entrée (12). Ainsi fut créé un bloc de compétences censé couvrir l'ensemble du contentieux de la formation professionnelle des avocats.
Une interprétation douteuse des textes. Une partie de la doctrine expliquait la solution retenue par deux arguments principaux. En premier lieu, la composition du jury d'examen -deux universitaires, trois avocats et un magistrat de l'ordre judiciaire -, héritée de la loi du 31 décembre 1971, confèrerait une sorte de "présomption de compétence" (13) à l'égard du juge judiciaire. Mais, cet argument n'est plus pertinent depuis que le décret n° 2006-374 du 28 mars 2006 (N° Lexbase : L9146HH9) a modifié la composition du jury. Celui-ci comprend désormais un magistrat de l'ordre administratif. En second lieu, la finalité de l'examen d'accès à un CRFPA serait d'exercer la profession d'avocat, non d'intégrer la fonction publique. Il est vrai qu'on peut difficilement soutenir le contraire ! Néanmoins, il peut être soutenu que cet examen d'entrée ne fait pas partie de la formation professionnelle des avocats : il se situe plutôt en amont de celle-ci (14). Dès lors, il semble préférable d'opérer un changement de compétence au profit des juridictions administratives, d'autant que cela participerait à l'unification du contentieux des examens universitaires.
En attendant, il convient de dissocier les recours exercés à la suite d'un échec à l'examen d'entrée au CRFPA et ceux exercés contre les décisions liées à l'obtention du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA). Les premiers sont soumis au contrôle du juge administratif ; les seconds -plus rares en pratique- sont examinés par le juge judiciaire.
(1) V. G. Vedel, Droit administratif, PUF, coll. Thémis, 1976, p. 320.
(2) V. B. Jallais, Les examens universitaires devant le juge administratif, AJDA, 2001, p. 736 ; O. Gohin, Le droit des examens et des concours, les apports de la jurisprudence récente, RD publ., 1988, p. 1647.
(3) V. TA Montpellier, 26 novembre 1993, Gaz. Pal., 1994, p. 108.
(4) V. TA Toulouse, 19 décembre 1997, M. Abdoulaye Faye c/ Université des sciences sociales, IEJ de Toulouse.
(5) V. T. confl., 18 décembre 2006, n° 3507, M. Hellal c/ Université Paris 1 (N° Lexbase : A1374DT3), JCP éd. G, 2007, I, 174, n° 2, obs. R. Martin ; RTD Civ., 2007, p. 630, obs. Ph. Théry.
(6) V. CA Toulouse, 18 février 2008, RG n° 07/04584.
(7) V. CE Contentieux, 20 mars 1987, n° 70993, Gambus (N° Lexbase : A3284APC), AJDA, 1987, p. 550, note X. Prétot.
(8) V. CE, 28 juillet 1849, Allard, Lebon, p. 437 ; CE, 22 juillet 1938, Dame Ferrère, Lebon, p. 713 ; CE, 10 mars 1954, Dlle Bodin, Lebon, p. 149.
(9) V. CE Contentieux, 1er avril 1998, n° 172973, M. Jolivet (N° Lexbase : A7490AS9), D., 1998, IR, p. 128.
(10) V. Cass. civ. 1, 21 janvier 1997, n° 95-11.525, M. Loca c/ Centre régional de formation professionnelle des barreaux du ressort de la cour d'appel de Paris (N° Lexbase : A0323ACX), Bull. civ. I, n° 29 ; Cass. civ. 1, 17 juillet 2001, n° 99-17.336, M. Olivier Jerez c/ Centre de formation des barreaux du Sud-Est (N° Lexbase : A2496AUY), Bull. civ. I, n° 231 ; CA Aix-en-Provence, 19 mai 2005, Boumedienne c/ Centre régional de formation professionnelle des avocats des barreaux du Sud-Est ; CE Contentieux, 23 mars 1998, n° 159617, M. Weber, M. Tape (N° Lexbase : A6651AS7), Rec. p. 102.
(11) V. S. Guinchard et J.-M. Mousseron, La formation des futurs avocats, JCP éd. G, 1992, n° 13, p. 151.
(12) V. CA Versailles, 19 septembre 2001 ; Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 03-16.149, M. Alexandre Vassilev c/ Président de l'Université de Paris X Nanterre, FS-P+B (N° Lexbase : A7486DI4), D., 2005, IR, p. 2034. Les juridictions administratives adoptaient une position similaire, v. TA Paris, 31 janvier 2001, Gaz. Pal., 2001, p. 739 ; CAA Marseille, 4ème ch., 4 septembre 2007, n° 04MA02174, M. et Mme Pierre Jean Clement (N° Lexbase : A6074DYM) ; CAA Bordeaux, 2ème ch., 15 février 2005, n° 01BX02297, M. Abdoulaye Faye (N° Lexbase : A6445DH8) ; CE Contentieux, 22 mars 2000, n° 205091, Mlle Kertudo (N° Lexbase : A3960AU9) ; CE 4° et 6° s-s-r., 29 juillet 2002, n° 240806, Mlle d'Alesio et autres (N° Lexbase : A2857AZT), AJDA, 2002, p. 1136.
(13) V. J.-F. Calmette, Unification du contentieux des examens universitaires, AJDA, 2007, p. 913.
(14) En ce sens, v. S. Guinchard, G. Montagnier, A. Varinard, Institutions juridictionnelles, Précis Dalloz, 9ème éd., 2007, n° 1024, p. 991.
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N1649BNE
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"
Le 24 Octobre 2023
Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la seconde partie du panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité de septembre à décembre 2009 (pour la première partie, voir Panorama de responsabilité civile médicale (septembre à décembre 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 381 du 11 février 2010 - édition privée générale N° Lexbase : N1594BND). Sera abordée, dans cette seconde partie, l'actualité relative à la responsabilité du fait des produits de santé.
2. Responsabilité du fait des produits de santé
2.1. Victimes contaminées
2.1.1. Préjudice spécifique de contamination (VHC)
Le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant de la contamination, notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et la crainte des souffrance, et intègre aussi les dommages esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis, qui ne peuvent donc être indemnisés une seconde fois.
- Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-16.172, Etablissement français du sang (EFS), F-P+B (N° Lexbase : A1535EPK)
Le préjudice spécifique de contamination n'inclut pas le préjudice indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire, s'agissant des troubles éprouvés avant la déclaration de la maladie, non pris en charge à ce stade au titre du préjudice spécifique de contamination.
- Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-15.853, Etablissement français du sang, FS-P+B (N° Lexbase : A1531EPE)
Le préjudice spécifique de contamination n'inclut pas le déficit fonctionnel ni des préjudices relevant de l'atteinte à l'intégrité physique.
Le préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C comprend l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques résultant de la contamination, notamment les perturbations et craintes éprouvées, toujours latentes, concernant l'espérance de vie et les souffrances, [...] aussi le risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie, les perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle, et les dommages esthétiques et d'agrément générés par les traitements et soins subis.
Il n'inclut pas le préjudice à caractère personnel du déficit fonctionnel, lorsqu'il existe, et qui doit donc être indemnisé en plus.
2.1.2. Recours de l'EFS contre le coresponsable de la contamination
Ayant retenu l'existence d'un lien causal entre la contamination et les vices affectant les produits sanguins dont la transfusion avait néanmoins été rendue nécessaire par les blessures occasionnées, la cour d'appel a pu en déduire, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'EFS devait supporter 80 % de l'indemnisation et l'auteur des blessures 20 %.
Les faits. Dans cette affaire, une personne avait été blessée par arme blanche et avait dû subir des interventions chirurgicales nécessitant des transfusions sanguines en 1985. Ayant appris en 1995 qu'elle était porteur du virus de l'hépatite C, elle avait assigné l'auteur de l'agression et l'EFS en réparation de ses préjudices. Ils furent condamnés in solidum par les juges du fond, la cour d'appel ayant jugé que l'EFS devait supporter 80 % de l'indemnisation et l'auteur de l'agression 20 %.
Ces derniers se sont alors pourvus en cassation en faisant valoir, dans un premier moyen, que les juges du fond avaient violé le principe de la réparation intégrale en réparant des préjudices de même nature. Dans un second moyen, l'EFS fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à supporter 80 % de l'indemnisation, la contribution à la dette devant, en l'absence de faute, avoir lieu par parts égales.
La solution. La Cour de cassation rejette les deux moyens du pourvoi.
En premier lieu, en dissociant le préjudice fonctionnel permanent de la victime de son préjudice spécifique de contamination, les Hauts magistrats estiment que la cour d'appel "a [...] indemnisé deux préjudices distincts".
En second lieu, la Cour de cassation estime "qu'ayant retenu l'existence d'un lien causal entre la contamination et les vices affectant les produits sanguins dont la transfusion avait [...] été rendue nécessaire par les blessures occasionnées par Mme Y, la cour d'appel a pu en déduire dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que l'EFS devait supporter 80 % de l'indemnisation et Mme Y 20 %".
Cette décision n'est pas surprenante puisqu'elle confirme qu'au stade du recours l'EFS doit être traité comme un responsable tenu pour faute, donc le recours contre d'autres coresponsables est donc subordonné à la preuve qu'ils ont commis une faute, et dans des proportions souverainement appréciées par les juges du fond compte tenu de la gravité des fautes respectives (1).
2.2. Médicament
2.2.1. Distilbène
La victime doit prouver qu'elle a été exposée au médicament litigieux, dès lors qu'il n'était pas établi que le diéthylstimbestrol était la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait. A défaut, elle doit être déboutée (pourvoi n° 08-10.081).
Dès lors que le DES a bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que la victime avait été exposée in utero à la molécule litigieuse, il appartient alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage (pourvoi n° 08-16.305).
En cas d'exposition de la victime à la molécule litigieuse, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage.
Le contexte. Plus de trois ans après les premières condamnations intervenues des laboratoires fabricant les deux médicaments de la famille du Distilbène (2), dont le caractère défectueux a été admis, la Haute juridiction était cette fois-ci saisie d'une nouvelle difficulté, liée à l'impossibilité pour certaines jeunes femmes exposées in utero au DES de prouver que leur mère s'était vu prescrire l'un des deux médicaments pendant leur grossesse, les traces des prescriptions ou de l'achat des médicaments pris près de trente années plus tôt n'ayant pas logiquement été conservées (3).
Première affaire et mise hors de cause des laboratoires. Dans la première affaire, une femme née en 1965 apprit en juin 1988 qu'elle était atteinte d'un adénocarcinome à cellules claires du col utérin, qu'elle imputa à la prise, par sa mère durant sa grossesse, de Distilbène.
Elle assigna alors son fabricant, la société UCB Pharma, mais également la société Novartis santé familiale, fabricant de l'autre médicament disponible sur le marché, le StillbestrolBorne, sans avoir toutefois été en mesure de fournir de preuve directe que sa mère s'était vue administrer du DES pendant sa grossesse, ce qui avait conduit la cour d'appel de Versailles à la débouter de ses demandes (4). La cour d'appel de Versailles avait, en effet, indiqué que "les attestations de mémoire de Mme Mauricette X non confortées par des documents médicaux source contemporains de sa grossesse, ne peuvent donc être admises comme preuve de l'exposition [...] au Distilbène durant la grossesse de sa mère, ni au titre des présomptions graves, précises et concordantes, exigées par l'article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1017ABB)".
Solution adoptée. Le pourvoi dirigé contre ce premier arrêt de la cour d'appel de Versailles, rendu le 29 novembre 2007, est donc rejeté, et la victime définitivement déboutée. Selon la Haute juridiction, les juges du fond avaient bien analysé les éléments de preuve fournis par la victime au regard de la notion de "présomptions graves, précises et concordantes", dont la première chambre civile de la Cour de cassation fait désormais un large usage pour admettre la preuve de l'imputabilité du dommage à un produit de santé (5) ou le caractère nosocomial d'une infection (6).
Pour la Cour de cassation, "il appartenait à [la demanderesse] de prouver qu'elle avait été exposée au médicament litigieux dès lors qu'il n'était pas établi que le diéthylstimbestrol était la seule cause possible de la pathologie dont elle souffrait".
Une solution classique. La solution se justifie donc par le fait que la pathologie en cause, à savoir un adénocarcinome à cellules claires du col utérin, pouvait avoir d'autres causes que l'exposition au DES, et que la patiente n'était ni en mesure d'écarter ces autres causes, ni de prouver avec certitude avoir été exposée in utero au DES.
Cette analyse est conforme aux solutions adoptées par la Cour de cassation lorsqu'elle recourt à des présomptions pour établir l'imputabilité d'un dommage à un événement donné, puisque c'est l'élimination des autres causes possibles de ce dommage qui rend vraisemblable l'origine que l'on cherche à établir, à défaut d'éléments tangibles permettant d'établir directement le caractère causal de cet événement (7).
Or, dans cette affaire, la victime n'était pas en mesure d'établir directement l'imputabilité de son cancer à l'exposition au Distilbène, et ne pouvait pas non plus présumer cette imputabilité dans la mesure où elle n'avait pas écarté les autres causes possibles de son mal.
La solution semble donc logique et conforme à la méthodologie imposée par la Cour de cassation lorsqu'elle contrôle le travail des juges du fond qui cherchent à établir l'imputabilité du dommage dans un contexte marqué par de fortes incertitudes factuelles ou scientifiques.
Certes, on pouvait discuter de l'interprétation faite par les juges du fond des pièces versées au dossier et du rejet de nombre d'entre-elles compte tenu de l'ancienneté des faits. Mais, et comme le rappelle (en forme de regret ?) de manière très explicite le communiqué qui accompagne la publication des deux arrêts sur internet, "la Cour de cassation, dont la mission est d'harmoniser l'interprétation de la loi et de s'assurer de la conformité des décisions de justice à la règle de droit, ne constitue pas un troisième degré de juridiction. Il ne lui appartenait pas, dès lors, de contrôler l'appréciation par la cour d'appel de la portée et de la valeur des éléments de preuve qui lui avait été soumis".
Deuxième et troisième affaires et condamnation des deux laboratoires. Dans les deuxième et troisième affaires, la patiente se trouvait dans une situation quasiment identique à la précédente. Pour ce qui concerne la première affaire évoquée (n° 08-16.305), la patiente était, également, née en 1965 et avait, elle aussi, souffert d'un adénocarcinome à cellules claires du col utérin qui avait été décelé et opéré en 1986. Elle avait été, également, déboutée en appel de l'ensemble de ses demandes car elle n'avait pas été en mesure de rapporter la preuve directe de son exposition au DES, sa mère n'ayant conservé aucun document de l'époque, le médecin ayant suivi la grossesse étant entre temps décédé et la pharmacie censé avoir délivré le médicament ne présentant aucune archive probante. La requérante ne pouvait se fonder que sur une mention portée sur son carnet de santé par sa mère, sans aucune datation possible, et par une attestation sur l'honneur, produite également par cette dernière en cours de procédure, ce qui avait là aussi conduit la cour d'appel de Versailles à les écarter en raison de leur faible force probante et du lien unissant le témoin à la plaignante (8).
Compte tenu du fait que la cour d'appel de Versailles avait soigneusement motivé la mise hors de cause des laboratoires, le rejet des pourvois semblait plus que vraisemblable.
La cassation. Or, si le premier arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi, le deuxième est cassé pour violation de la loi, tout comme d'ailleurs le troisième (n° 08-18.837) au prix d'une argumentation astucieuse mais qui peut laisser perplexe à plus d'un titre.
Cet arrêt est, en effet, cassé pour violation des articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1315 du Code civil, les juges ayant, dans la deuxième affaire, "constaté que le DES avait bien été la cause directe de la pathologie tumorale, partant que [la demanderesse] avait été exposée in utero à la molécule litigieuse, de sorte qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage", et dans la troisième "qu'en cas d'exposition de la victime à la molécule litigieuse, c'est à chacun des laboratoires qui a mis sur le marché un produit qui la contient qu'il incombe de prouver que celui-ci n'est pas à l'origine du dommage".
Pour bien comprendre les raisons de ces cassations, et singulièrement celle survenue dans la deuxième affaire rendue le même jour que le rejet des prétentions d'autres victimes, il convient de se plonger dans l'arrêt rendu par la cour de Versailles car ni la motivation de la cassation, ni le communiqué de presse ne permettent véritablement de comprendre les raisons d'une telle différence de traitement entre les deux requérantes.
Dans cette affaire, la cour de Versailles s'était, en effet, fondée sur les conclusions du collège expertal, particulièrement explicites, qui, "s'appuyant sur la base d'une analyse exhaustive de toute la littérature qui lui a été communiquée, affirme de façon formelle qu'après vérification approfondie, il n'a identifié aucune description d'un adénocarcinome vaginal de type de celui présenté par la requérante chez une jeune femme non exposée in utero aux estrogènes, qu'aucun travail épidémiologique sérieux n'a identifié le moindre facteur de risque dans l'apparition de tableaux tumoraux tels que présentés par [la requérante], qu'il ajoute qu'on peut donc affirmer sans la moindre ambiguïté que le DES a bien été la cause directe de la pathologie tumorale".
En d'autres termes, les experts, dont les conclusions avaient été adoptées par la cour d'appel, avaient exclu que la pathologie dont souffrait la patiente puisse avoir une autre cause que l'exposition au DES, ce qui constitue une différence capitale avec l'affaire précédente dans laquelle les experts, et dans leur sillage les juges, avaient considéré que la pathologie pouvait avoir d'autres causes. A partir du moment où la seule cause possible du dommage était l'exposition au DES, alors l'imputabilité pouvait valablement être présumée en dépit de l'absence de preuve documentaire directe.
L'application inédite de la théorie de la coaction. Un obstacle s'opposait toutefois à la mise en cause des laboratoires puisque la victime ne pouvait pas dire lequel des deux médicaments était en cause.
Pour sortir de cette impasse, la Cour de cassation a fait, ici, application d'une ancienne jurisprudence concernant les dommages causés par le membre indéterminé d'un groupe déterminé, ce qui permet de condamner in solidum chaque membre de ce groupe, à moins qu'il ne prouve n'avoir pas causé le dommage en question.
Une fois l'imputabilité de l'affection au DES admise, chaque fabricant est donc présumé responsable de l'entier dommage, dans la mesure où il est susceptible de l'avoir causé, à moins qu'il n'établisse, avec certitude (9), qu'il n'a pas pu le causer (10). Appliquée à notre affaire, la solution conduit la première chambre civile de la Cour de cassation à affirmer "qu'il appartenait alors à chacun des laboratoires de prouver que son produit n'était pas à l'origine du dommage", et que la cour d'appel, qui n'avait pas fait application de cette règle, doit voir son arrêt cassé.
Des solutions difficilement conciliables. L'examen comparé de ces décisions n'est pas sans susciter une double gêne tant elles aboutissent à des résultats opposés dans des circonstances pourtant si proches.
Un raisonnement artificiel. En premier lieu, la solution consistant à tenir pour vraisemblable l'hypothèse d'une exposition au DES, et de transférer sur les épaules des deux seuls laboratoires fabricant la molécule incriminée la charge, et le risque, de la preuve contraire, est incontestablement astucieuse, elle n'en est pas moins discutable sur le plan de la rigueur juridique.
L'analogie avec les solutions traditionnellement admises par la jurisprudence sur l'action collective est, en effet, en partie inexacte. Dans les affaires mettant en cause un groupe de chasseurs ou de délinquants, la présomption qui pèse sur chaque membre du groupe repose sur la certitude que le dommage a bien été causé par un membre du groupe et que chaque membre du groupe est susceptible de l'avoir causé puisqu'il participait, au même titre que les autres, à l'action dommageable, seule l'identité de la personne ayant causé le dommage demeurant donc incertaine. La condamnation de chaque membre se justifie alors à la fois par le fait qu'il est vraisemblable qu'il a pu causer le dommage et qu'il doit en répondre puisqu'il a, en quelque sorte, exposé par son action la victime à un risque de dommage qui s'est finalement réalisé.
Or, dans l'affaire de l'exposition au DES, il n'était ni allégué, ni établi que la mère ait pris les deux médicaments (11) ; il ne s'agit donc pas ici d'une hypothèse de "coaction" mais d'un doute portant sur le principe même de la participation de l'un des deux à l'action dommageable, sans qu'il soit donc question d'une action collective, ce qui est très différent.
Une preuve contraire impossible à rapporter. A ce premier obstacle, s'ajoute le caractère très artificiel de l'affirmation selon laquelle chaque laboratoire pourrait échapper à la condamnation en prouvant que son produit n'a pas causé le dommage. En l'absence de toute trace écrite de la prescription ou de la délivrance des produits, il semble en effet pratiquement impossible qu'un laboratoire parvienne à exhumer un document indiquant directement que la plaignante avait en réalité été exposée au produit du concurrent ; il paraît tout aussi impossible de prouver que le cancer dont elle souffrait avait une autre cause, car c'est précisément l'absence d'autre cause possible qui justifie la présomption qui pèse sur les laboratoires. La porte se referme donc derrière l'application de la présomption.
Un poids, deux mesures. Ces arrêts mettent également en lumière les limites de la logique qui prévaut, aujourd'hui, à la Cour de cassation dans ce genre d'affaires et qui consiste à laisser aux juges du fond le soin de décider souverainement s'il y a lieu ou non de condamner les laboratoires, dès lors qu'ils ont respecté les consignes méthodologiques par elle définies. Mais à condition de ne pas se contenter de cette première explication, comment justifier que, dans des circonstances aussi proches, la première victime soit déboutée et la seconde indemnisée, sous prétexte que les experts avaient dans la première considéré que d'autres causes pouvaient être envisagées pour expliquer le cancer, et au contraire acquis la certitude que le DES était nécessairement incriminé ? Est-il vraiment souhaitable de laisser s'instaurer en France de telles différences de traitement entre les victimes et de laisser les experts peser aussi lourd sur le débat judiciaire, surtout lorsqu'autant de doutes existent sur l'étiologie exacte des pathologies en cause ?
2.2.2. Vaccins anti hépatite B
Est légalement justifié le refus d'indemniser un patient qui imputait une poussée de sclérose en plaques à l'administration de doses de vaccins anti hépatite B, la cour d'appel ayant souverainement retenu que les données scientifiques et les présomptions invoquées ne constituaient pas la preuve d'un lien de causalité entre la vaccination et l'apparition de la maladie.
Contexte. Après s'être opposée à la reconnaissance d'un quelconque lien entre ces vaccins et les maladies, de type sclérose en plaques, présentées par certains patients de manière inexplicable (12), la Haute juridiction avait fait naître l'espoir en imposant aux juges du fond une méthode, fondée sur la recherche concrète de présomptions graves, précises et concordantes, et en cassant, pour la première fois, un arrêt d'appel qui avait débouté une victime de sclérose en plaques (13), puis de nouveau semé le doute (14), puis encore une fois donné des signes très encourageant en censurant un arrêt qui avait débouté une victime d'une affection post vaccinale (15), en entérinant une première condamnation d'un laboratoire dans une affaire de sclérose en plaques (16), puis, enfin, en allégeant considérablement le fardeau probatoire des victimes du Distilbène (17).
L'affaire. De nouveau, dans cet arrêt publié en date du 24 septembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation souffle le froid en rejetant sèchement le pourvoi d'une victime qui avait été déboutée en appel alors qu'elle imputait sa sclérose en plaques à l'administration de plusieurs doses d'un vaccin anti hépatite B (18).
Une jurisprudence difficilement compréhensible pour les victimes. Cette succession de solutions rendues en sens apparemment contraire a de quoi donner le tournis au plus solide des observateurs.
Elle s'explique pourtant assez simplement par le choix d'une méthode et la volonté de laisser les juges du fond apprécier souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve rapportés par les parties. Depuis la série d'arrêts rendus en mai 2008, dans les affaires mettant en cause les vaccins anti hépatite B dans l'apparition de maladies auto-immunes, la Cour de cassation a, en effet, clairement indiqué aux juges du fond qu'ils devaient nécessairement s'attacher à déterminer si les éléments de preuve apportés par les plaignants pouvaient constituer des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir l'imputabilité de ces affectations à la vaccination et le défaut des vaccins incriminés, et qu'ils pourraient exercer souverainement leur compétence dans ce cadre là. Et c'est exactement ce qui s'est passé dans cette décision ou, en dépit d'une motivation fouillée, le pourvoi a été rejeté au nom du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, même si on peut penser que le délai de six mois séparant la dernière injection de l'apparition des premiers symptômes de la sclérose en plaques était de nature à écarter la présomption d'imputabilité (19).
Comme on pouvait le craindre, et comme l'a d'ailleurs dernièrement rappelé la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'affaire du Distilbène (20), le rôle de la Cour de cassation n'est pas de statuer comme troisième degré de juridiction, mais de s'assurer de l'application uniforme du droit sur l'ensemble du territoire national.
Cette nouvelle décision qui refuse de condamner un laboratoire fabricant l'un des deux vaccins anti hépatite B démontre également qu'il ne fallait pas crier victoire trop tôt après la première condamnation intervenue en juillet 2009, car celle-ci reposait, non sur un jugement porté sur les qualités propres du vaccin mais sur les insuffisances de la notice d'information remise aux patients, notice qui avait été complétée il y a près de quinze ans (21).
Il n'est pas certain que la méthode mise en oeuvre, pourtant parfaitement conforme à la logique judiciaire, soit durablement tenable car elle donne finalement le sentiment d'une "justice-loterie" où la solution dépend moins de la règle de droit applicable que de la sensibilité d'un juge ou des convictions d'un expert. De nouveau, la logique qui anime le droit de la responsabilité montre ses limites et, de nouveau, les regards se tournent vers les pouvoirs publics qui, seuls, peuvent instaurer un régime d'indemnisation équitable pour tous.
(1) Dernièrement, Cass. civ. 2, 8 janvier 2009, n° 08-13.371, Société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (MATMUT), F-D (N° Lexbase : A1628ECB), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 346 du 10 avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0185BK3).
(2) Cass. civ. 1, 7 mars 2006, 2 arrêts, n° 04-16.180, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4988DN3) et n° 04-16.179, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4987DNZ), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 164, et les obs. ; RTDCiv., 2006, p. 565, note P. Jourdain ; RDC, 2006, p. 844, obs. J.-S. Borghetti. En appel : CA Versailles, 3ème ch., 30 avril 2004, 2 arrêts, n° 02/05924, UCB Pharma c/ Ingrid Criou (N° Lexbase : A0032DC8) et n° 02/05/925, UCB Pharma c/ Nathalie Bobet (N° Lexbase : A0033DC9), Resp. civ. et assur., 2004, chron. 22, nos obs. ; D., 2004, p. 2071, note A. Gossement ; LPA, 22 juin 2005, p. 22, note P.-L. Niel.
(3) Lamy Droit civil, n° 65, novembre 2009, p. 24 ; Droit de la famille, 20 septembre 2009, n° 7, p. 2, note A. Batteur ; Gaz. Pal., 25 et 26 novembre 2009, p. 14 à 20, note de J.-A. Robert et A. Regniault.
(4) CA Versailles, 29 novembre 2007, n° RG 06/7676.
(5) Pour l'imputabilité de poussées de sclérose en plaques à l'administration d'un vaccin anti hépatite B : Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-14.952 (N° Lexbase : A7009D84), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X), n° 05-10.593 (N° Lexbase : A6996D8M), n° 06-18.848 (N° Lexbase : A7014D8B) et n° 07-17.200, F-D (N° Lexbase : A7136D8S), et nos obs., Produits de santé : imputabilité de poussées de scléroses en plaques à des vaccins anti hépatite B et absence de preuve du caractère défectueux d'un médicament anti goutte, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4910BGX).
(6) Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-13.791, M. Jean-François Mariotti, FS-P+B (N° Lexbase : A0573EBT), Bull. civ. I, n° 245.
(7) Notre étude, Les présomptions d'imputabilité dans le droit de la responsabilité civile, Mélanges en l'honneur de Philippe le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 885 et s..
(8) CA Versailles, 10 avril 2008, RG n° 07/02482, SA UCB Pharma c/ Mme M.-E. Ferrero (N° Lexbase : A1646D9T).
(9) Chaque participant supporte ainsi la charge et le risque de la preuve contraire : CA Dijon, ch. civ., sect. B, 13 mai 2003.
(10) Comp. dernièrement, s'agissant du refus de consacrer une hypothèse de garde commune : Cass. civ. 2, 4 décembre 2008, n° 07-21.163, Mme Régine Kisielewski épouse Messialle, F-D (N° Lexbase : A5254EB9), Resp. civ. et assur., 2009, comm. 41, obs. H. Groutel.
(11) Dans la première affaire, au contraire, la requérante avait versé au débat un témoignage de sa mère indiquant qu'elle avait pris du Distilbène, et non l'autre médicament.
(12) Cass. civ. 1, 23 septembre. 2003, n° 01-13.063, Société Laboratoire Glaxo-Smithkline c/ Mme X, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5811C94), Resp. civ. et assur., 2003, nos obs., chron. 28 ; D., 2004, p. 898, note Y.-M. Sérinet et R. Mislawski ; JCP éd. G, 2003, II, 10179, note coll. ; RLDC, 2004, p. 11, chron. S. Hocquet-Berg ; RTDCiv., 2004, obs. P. Jourdain.
(13) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, préc. note (5) et nos osb. ; lire, notamment, J. Peigné, RDSS, 2008, p. 578 ; L. Grynbaum, JCP éd. G, 2008, II, 10131 ; P. Jourdain, RTDCiv., 2008, p. 492 ; S. Hocquet-Berg, Gaz. Pal., 9 octobre 2008 n° 283, p. 49 ; J.-S. Borghetti, RDC, 2008, p. 1186 ; P. Stoeffel-Munck, JCP éd. G, 2008, I, 186, n° 3.
(14) Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 07-16.449, Mme Fabienne Lavoisier, épouse Wiart, FS-P+B (N° Lexbase : A6369ECU), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (décembre 2008 à mars 2009) (seconde partie), préc. : sclérose en plaques post vaccinale.
(15) Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08-12.781, M. Jean-Philippe Guihaumé, FS-P+B (N° Lexbase : A4173EIE) : jeune garçon qui avait reçu la troisème dose de Stallergènes MRV et qui avait présenté, le même jour, une affection neurologique caractérisée par des convulsions et une épilepsie sévère évoluant vers une dégradation intellectuelle.
(16) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, Société Sanofi Pasteur MSD, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7250EID) et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0028BLM), Gaz. Pal., 13 août 2009, n° 225, p. 9, avis A. Legoux, Resp. civ. et assur., 2009, notre chron..
(17) Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 08-16.305, préc., Resp. civ. et assur., 2009, nos obs..
(18) JCP éd. G, n° 48, 23 novembre 2009, chron. N. Molfessis.
(19) Sur le rôle joué par ce délai, notre étude Les présomptions d'imputabilité dans le droit de la responsabilité civile, préc..
(20) Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, préc..
(21) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, préc..
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