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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Il n'est point besoin d'être cynique pour constater que la vie des affaires, loin d'être bâtie sur la confiance ou le gentlemen agreement, est entachée de la plus grande suspicion à l'égard de tous et de tout. Assurément, cela ne relève jamais de l'appréciation personnelle, mais les aléas de la vie, les catastrophes naturelles, l'économie chahutée ou, tout simplement, une gestion imprudente obligent les acteurs économiques à s'assurer toujours plus contre le risque. La négation du risque, voilà l'enjeu d'un développement économique, et plus singulièrement entrepreneurial, sain au XXIème siècle -jusqu'à la négation de l'esprit d'entreprise ?-.
Alors, rien d'étonnant à ce que la traditionnelle garantie de passif accordée par le vendeur, lors de la cession de son entreprise, au profit d'un acquéreur soucieux de ne pas "découvrir un lièvre", notamment, social ou fiscal, quelques mois voire quelques années après avoir repris l'affaire, ne suffise plus à la sérénité bien ordonnée du nouveau chef d'entreprise ou simple actionnaire majoritaire. Ce dernier se souvient de ses lectures shakespeariennes, et lui qui a sans doute emprunté pour acquérir l'affaire qu'il croit florissante, n'a pas envie de se retrouver comme le marchand de Venise, Antonio, victime de la perte en domino de ses navires bondés d'épices et d'étoffes, et n'ayant comme seule garantie que de livrer une livre de sa chaire à l'usurier Sherlock... Morale (économique) de cette histoire, qui se déroule à la fin du XVIème siècle, c'est que ce marchand bien imprudent eut mieux fait d'assurer son affaire, le principe de réassurance ou de contre-garantie étant parfaitement développé en Italie depuis le XIVème siècle !
Et, à la manière de ces marchands italiens qui répartissaient les valeurs transportées sur plusieurs navires contre-garantissant une partie des marchandises par l'émission de titres payables par les acheteurs, en cas d'aléa ou de disparition totale du bateau, ou de ces assureurs cherchant la garantie d'un tiers pour couvrir la partie du trajet la plus exposée aux conditions climatiques ou politiques dangereuses, le cessionnaire d'une affaire cherchera l'assurance que le cédant pourra honorer la garantie de passif. C'est l'essor de la garantie de garantie de passif dont les tenants revêtent plusieurs formes.
La plus classique tient dans la contractualisation de sûretés personnelles (caution ou garantie à première demande), voire de sûretés réelles (gages et autres hypothèques) ; mais comme "à mauvais payeur, mauvaises garanties" (Homère, l'Odyssée), la garantie de garantie de passif consistera, bien souvent, en la souscription d'une assurance ad hoc, par le vendeur (actionnable par l'acquéreur) ou par le l'acquéreur (actionnable à première demande). C'est sur ce dernier mécanisme que Lexbase Hebdo - édition privée générale a souhaité revenir avec Raphaël Piotraut, souscripteur, Département Fusions et Acquisitions, AIG Europe.
Certes depuis le Code d'Hammourabi (premières esquisses de la réassurance), la souscription d'une telle garantie de garantie nécessite des trésors d'audit, une cartographie des risques, et de savants calculs de probabilité pour prévoir... l'imprévisible. Mais, "rien n'assure aussi vite la prospérité des uns que les erreurs des autres" (Francis Bacon).
Au final, il s'agit, tout en évitant le séquestre, sur plusieurs années, du prix de cession, de favoriser les reprises d'entreprise, quel que soit le contexte économique, en minimisant le risque rationnel, pour ne s'attacher qu'au risque inhérent à toute activité économique : la rencontre d'une offre satisfaisante et d'une demande identifiable.
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Lexbase : Quel est le mécanisme de l'assurance de la garantie de passif ? Que couvre une telle police ?
Raphaël Piotraut : L'assurance de la garantie de passif, contrat accessoire à la garantie, peut, aussi bien, être mise en place au profit du vendeur (police d'assurance vendeur), qu'au profit de l'acquéreur (police d'assurance acquéreur).
Le mécanisme repose sur le transfert de risques à l'assureur -l'aléa transféré étant constitué par le fait futur que l'une des déclarations et garanties faites par le vendeur dans la garantie s'avère fausse, inexacte, incomplète, etc., postérieurement à la réalisation de l'opération-, moyennant le paiement d'une prime d'assurance. Dans les deux cas (assurance vendeur ou assurance acheteur), la police joue en cas de non-respect, d'inexactitude ou d'omission de l'une des déclarations du cédant figurant dans la garantie de passif, constaté(e) postérieurement à la conclusion du deal, mais dont l'origine ("le fait générateur") serait antérieure.
Le contrat d'assurance couvrira, selon le cas :
- soit, la perte du vendeur, tenu, en cas de mise en jeu de la garantie, d'indemniser l'acquéreur et il s'agit, alors, d'une assurance de type responsabilité civile, portant sur l'indemnisation d'un tiers en cas de préjudice subi du fait du cédant ;
- soit, la perte du cessionnaire, tenu de décaisser un certain montant, préalablement à son indemnisation par le cédant. Il s'agit, ici, d'une assurance dommage, visant à couvrir le préjudice directement subi par la société cédée ou indirectement subi par l'acquéreur, en tant qu'actionnaire de la cible.
En principe, la police peut couvrir absolument toutes les déclarations formulées par le cédant dans la garantie de passif (qu'elles concernent les matières fiscales, sociales, environnementales, les litiges et les contrats en cours, etc.). Il n'existe, en effet, aucune exclusion de principe. Pour autant, il faudra que l'assureur ait eu toutes les informations utiles, notamment, celles figurant dans les rapports d'audit (si l'assuré est l'acquéreur).
Le plus souvent, le contrat d'assurance "collera" véritablement aux termes de la convention de la garantie de passif. Les mêmes seuils et plafonds se retrouveront dans les deux contrats. De la même façon, l'assurance de la garantie de passif ne couvrira pas les exclusions de responsabilité expressément négociées entre les parties (il en va, ainsi, des faits portés à la connaissance du repreneur et figurant, par exemple, dans les annexes à la garantie).
Néanmoins, la police peut, plutôt que refléter les termes de la garantie de passif, venir en complément de celle-ci (cas du topping). Aux termes de la garantie de passif, le vendeur plafonne son exposition financière à un certain montant qui sert alors de franchise à l'assureur et ce dernier vient compléter ce montant par une limite d'assurance qui permet de répondre au mieux aux exigences de sécurité de l'acquéreur. De la même façon, dans le cas d'une police acquéreur, la durée de couverture peut excéder celle figurant dans la garantie de passif.
Lexbase : S'agit-il d'une relation tripartite ? Quels sont les rapports entre le cédant, le cessionnaire et l'assureur ?
Raphaël Piotraut : Qu'il s'agisse de la police d'assurance vendeur ou de la police d'assurance acheteur, il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une relation tripartite, ceci, en vertu de l'effet relatif des contrats (C. civ., art. 1165 N° Lexbase : L1267ABK). Tout au plus, des échanges pourront avoir lieu entre le vendeur, l'acquéreur et l'assureur préalablement à la mise en place de la police d'assurance.
Il est vrai, toutefois, que, dans le cas de la police vendeur, le transfert de responsabilité ne sera pas parfait, puisque l'acquéreur, co-contractant du cédant, mais étranger au contrat d'assurance, notifiera à ce dernier toute mise en jeu de la garantie, en cas de survenance d'un "fait générateur". Le cédant restera, ainsi, l'interlocuteur unique du cessionnaire et ignorera même, parfois, dans le cas d'une police mise en place postérieurement à l'acquisition, l'existence du contrat d'assurance. Il existe, cependant, un cas où l'acquéreur aura son mot à dire : lorsque le cédant souhaitera remplacer un mécanisme de contre-garantie de la garantie de passif par la police d'assurance.
Dans le cas de la police d'assurance acquéreur, le transfert de responsabilité est quasi parfait : le cessionnaire peut agir directement contre l'assureur, qui l'indemnisera, sans possibilité de se retourner contre le vendeur, sauf en cas de dol ou de fraude, ce qui reste très marginal (C. civ., art. 1116 N° Lexbase : L1204AB9). Le cédant est, dans cette configuration, totalement exclu du mécanisme.
Enfin, certains tiers seront amenés à interagir avec l'assureur. Il en va, notamment, ainsi, quand ce dernier a connaissance d'informations confidentielles les concernant -ce qui est nécessairement le cas- (contenues dans les index de data room, les rapports d'audit). L'assureur s'engage, alors, à respecter la plus stricte confidentialité et peut aller jusqu'à renoncer à tout recours à l'encontre des conseils qui sont intervenus dans le deal. En outre, il arrive très souvent, dans le cadre de LBO (leverage buy out), que l'assureur s'engage à verser directement à la banque apporteuse du financement les indemnités d'assurance, via le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui (C. civ., art. 1121 N° Lexbase : L1209ABE), s'il s'agit d'une assurance acquéreur, ou celui de la délégation imparfaite (C. civ., art. 1275 N° Lexbase : L1385ABW et 1276 N° Lexbase : L1386ABX), s'il s'agit d'une assurance vendeur. Dans ce type de montage, l'assurance peut, également permettre de sécuriser la dette senior, si le défaut de remboursement du banquier par le cessionnaire est dû en tout ou partie à la survenance d'un "fait générateur".
Lexbase : Quel est le prix d'une telle police ? Quelles sont les modalités de son versement ?
Raphaël Piotraut : Le prix de la police d'assurance, qui consiste en un pourcentage du montant du plafond garanti par la police d'assurance, sera négocié dans le cadre de chaque dossier. Si, toutefois, une moyenne devait être faite, elle se situerait actuellement entre 2 à 3,5 % de ce montant.
Le paiement de la prime d'assurance constitue une condition de l'entrée en vigueur de la police. Celui-ci intervient en une seule fois, le jour du signing ou du closing, selon ce qui aura été négocié entre les parties.
Lexbase : Quels sont les avantages de la mise en place d'une assurance de la garantie de passif ? En quoi la police serait-elle plus avantageuse que les autres mécanismes juridiques permettant de sécuriser la convention de garantie de passif ?
Raphaël Piotraut : Les avantages de la mise en place d'une police d'assurance de la garantie de passif sont importants et nombreux, tant pour le vendeur, que pour l'acquéreur.
Lorsque l'on sait qu'une garantie de passif peut représenter de 10 à 30 % (voir 50 % dans le contexte économique actuel) de la valorisation de la cible, le recours à ce mécanisme par le vendeur, dont le patrimoine, à défaut, doit être suffisamment large pour couvrir toute mise en jeu de la garantie et qui se doit de figer ses actifs dans cette éventualité, prend, alors, tout son sens.
La mise sous séquestre, quant à elle, implique qu'une partie du prix d'acquisition de la cible soit indisponible pendant toute la durée de la garantie. La caution bancaire et la garantie bancaire à première demande sous-tendent, de leur côté, la fourniture par le cédant, d'un certain nombre de garanties à la banque et donc, de la même façon, le plus souvent, une indisponibilité d'une partie du prix de cession. Enfin, la mise en place d'une sûreté personnelle supposera une hypothèque ou un nantissement venant grever les biens personnels du vendeur, ce à quoi il consentira difficilement. La procédure sera, en outre, difficile à mettre en oeuvre pour l'acquéreur.
D'une part, l'assurance de la garantie de passif ne présente aucun de ces inconvénients et l'avantage d'être moins onéreuse que ce type de mécanismes. Le vendeur appréciera, également, d'être indemnisé par l'assureur concomitamment à son décaissement au profit de l'acquéreur.
D'autre part, l'assurance permettra, également, de régler certains conflits d'intérêts, notamment, dans le cadre de MBO (management buy out), où le manager en place peut se trouver à devoir actionner la garantie contre lui-même, ou dans le cadre d'un spin off, avec maintien d'une relation commerciale ou industrielle avec l'ancienne maison mère.
Côté acquéreur, la police lui conférera un avantage décisif par rapport aux autres personnes éventuellement intéressées par le deal, dont les contre-garanties consisteront en une mise sous séquestre ou une caution. La mise en place de l'assurance permettra, en outre, au cessionnaire de contourner les difficultés d'un éventuel refus de solidarité, au titre de la garantie de passif, de la part des cédants. La couverture de l'assurance est, par ailleurs, renforcée, puisque le dol du vendeur sera, ici, couvert par la police. De façon plus générale, celle-ci concourra à améliorer les relations entre le vendeur et l'acquéreur, notamment par le jeu de l'action directe de ce dernier à l'encontre de l'assureur, évoquée précédemment. La police pouvant être élaborée sur mesure, les garanties accordées peuvent, comme nous l'avons vu, être plus importantes que celles consenties par le cédant. Enfin, un traitement fiscal avantageux peut être mis en place : la prime d'assurance, en tant que frais d'acquisition, est, en effet, déductible immédiatement.
Certains avantages bénéficient, enfin au vendeur comme à l'acquéreur. Notamment, la police d'assurance sera, toujours, le cas échéant, interprétée en faveur de l'assuré. Vient, ainsi, se superposer à un rapport juridique égalitaire (celui relatif à la garantie de passif), un rapport contractuel plus protecteur pour le "consommateur" d'assurance.
(1) Rudyard Kipling.
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Réf. : Cass. civ. 1, 11 juin 2009, n° 08-11.755, Mme Annie Bègue, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0514EIU)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale
Le 07 Octobre 2010
En l'espèce, suivant deux actes sous seings privés des 25 mars 1996 et 2 décembre 1996, un établissement de crédit a consenti à deux époux deux prêts. Le mari, ayant ensuite été placé en redressement puis en liquidation judiciaires, la banque a assigné l'épouse, par acte du 16 juillet 2004, en remboursement de ces prêts. Pour faire droit à cette demande et rejeter l'exception de nullité du taux d'intérêt des prêts litigieux, soulevée par l'emprunteuse, la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion a retenu que la prescription était acquise, l'action en nullité n'ayant pas été intentée dans le délai de cinq ans à compter des actes et a considèré que l'épouse, qui a signé ceux-ci, ne pouvait arguer, sans du reste en établir la date exacte, avoir découvert tardivement les erreurs.
La Cour régulatrice censure la décision des juges du fond estimant que ceux-ci avaient violé les articles au visa duquel son arrêt est rendu.
Les articles 1907 du Code civil et L. 313-2 du Code de la consommation imposent que le taux conventionnel, pour le premier, le taux effectif global, pour le second, soient déterminés par écrit. Aucun texte ne consacre de façon générale la sanction du non-respect de cette obligation, seuls les articles L. 311-33 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6726ABQ), pour les prêts à la consommation, et L. 312-33 du même code (N° Lexbase : L6763AB4), pour les prêts immobiliers, prévoyant la déchéance du droit aux intérêts. La jurisprudence a, dès lors, comblé cette lacune en appliquant une solution claire dans ce domaine : que le taux conventionnel n'ait pas été mentionné par écrit ou qu'il soit simplement erroné, la sanction est la nullité de ce taux auquel est substitué le taux légal (cf., par exemple, Cass. com., 15 octobre 1996, n° 94-14.938, M. Moggia et autres N° Lexbase : A1422ABB ; pour une mention erronée, cf., not., Cass. com., 10 juin 2008, n° 06-19.452, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0335D9B). Le taux d'intérêt erroné sera, le plus souvent, la résultante de l'absence de prise en compte par le prêteur d'éléments jugés comme devant être intégrés dans le calcul du TEG. A titre d'exemple, la souscription de parts sociales auprès de l'organisme qui subventionne le contrat étant imposée comme condition d'octroi du prêt et les frais ainsi rendus obligatoires afférents à cette adhésion ayant un lien direct avec le prêt souscrit doivent être pris en compte pour la détermination du TEG, de même que les frais d'assurance-incendie, laquelle était, également, exigée par le prêteur (Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 02-13.206, F-P+B N° Lexbase : A0245DES). En revanche, les charges liées aux garanties dont le crédit est assorti ainsi que les honoraires d'officiers ministériels, qui ne sont pas déterminables à la date de l'acte de prêt, ne sont pas compris dans le taux effectif global (Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 05-19.853, F-P+B N° Lexbase : A9386DWK) et a contrario, si à la date de l'acte, les frais de notaire et d'inscription hypothécaire sont déterminables, ils entrent dans le calcul du TEG (Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 02-11.171, FS-P+B N° Lexbase : A4441DHX). Dernièrement, le Cour de cassation a même jugé qu'il incombe à la banque, qui a subordonné l'octroi du crédit à la souscription d'une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci, avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement (Cass. civ. 1, 13 novembre 2008, n° 07-17.737, F-P+B N° Lexbase : A2325EBQ).
Certains, à qui la sanction de la nullité de la stipulation d'intérêt peut apparaître relativement sévère, notamment lorsque l'irrégularité affectant le TEG est minime, lui préfèreraient la mise en jeu de la responsabilité civile du banquier qui permettrait de "combiner sanction du manquement et réparation du préjudice" (cf., sur ce point, A. Gourio et N. Aynès, JCP éd. E, 2008, n° 2221, note sous Cass. com., deux arrêts, 10 juin 2008, n° 06-19.905, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0336D9C et n° 06-19.452, préc.,). Soit, mais la Cour de cassation n'entend pas cette critique et s'en tient à sa jurisprudence traditionnelle, en témoigne d'ailleurs l'arrêt commenté. Elle considère que la mention écrite du taux d'intérêt légal est une règle de formalisme ayant pour objet de protéger l'emprunteur. Il s'agit, dès lors, d'une nullité relative qui se prescrit par cinq ans en application de l'article 1304 du Code civil. On rappellera, à ce niveau, que depuis la loi du 17 juin 2008 de réforme de la prescription civile (loi n° 2008-561, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I, et les obs. d'E. Vergès, Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N6679BGH), la nature de la nullité ne joue plus sur le délai de prescription puisque relative ou absolue, elles se prescrivent toutes par cinq ans.
Cette prescription court, selon l'arrêt rapporté, du moment où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur, c'est-à-dire la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur, ou lorsque tel n'est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l'emprunteur. En d'autres termes, la première chambre civile opère une distinction selon que, d'une part, la convention de prêt ne mentionne aucun taux d'intérêt ou que l'erreur peut être décelée à la seule lecture de ladite convention, auxquels cas la nullité court à compter de l'acte, ou que, d'autre part, les éléments contenus dans le contrat de prêt ne permettent pas à l'emprunteur d'avoir conscience de l'erreur que contient le TEG, et dans ce cas le délai de prescription quinquennale court du jour de la révélation de l'erreur. Il ne s'agit pas d'une solution inédite ; loin s'en faut, puisque la première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'opérer cette distinction et de considérer, notamment, que le point de départ du délai de prescription ne courrait pas nécessairement à compter du jour de la convention mais pouvait être retardé au jour où l'emprunteur a eu connaissance du caractère erroné du TEG (Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-10.876, Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME) c/ Société civile immobilière (SCI) La Garbine, FS-P sur le premier moyen N° Lexbase : A4961DN3), solution qu'elle a récemment réaffirmée dans un arrêt qui n'a été soumis à aucune publicité (Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-12.292, F-D N° Lexbase : A5848EAT).
Alors, pourquoi, la première chambre civile rédige-t-elle la solution énoncée dans son arrêt du 11 juin 2009 à la manière d'un attendu de principe et le soumet-elle à une publication maximale ?
Sans doute entend-elle confirmer avec force sa jurisprudence face à la position en partie différente adoptée sur ce point par la Chambre commerciale, qui ne s'était pas encore prononcée sur le sujet, dans deux arrêts du 10 juin 2008 (Cass. com., 10 juin 2008, deux arrêts, n° 06-19.905, préc. n° 06-19.452, préc.). En effet, selon elle, et à cet égard à l'instar de la première chambre civile, l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel engagée par un emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle court à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le taux effectif global (TEG). Toutefois, et là se situe la différence, le point de départ de cette prescription est, s'agissant d'un prêt, la date de la convention et, dans les autres cas, la réception de chacun des écrits indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué. Il n'y a donc pas lieu, selon la Chambre commerciale, de distinguer selon le vice affectant le taux effectif global : qu'il ait été omis ou qu'il soit erroné, dans tous les cas, le délai court à compter de la réception de l'écrit sur lequel figure ou aurait dû figurer le taux effectif global. En pratique, s'agissant d'un prêt, la date à retenir est donc toujours celle du contrat.
La solution de la Chambre commerciale devait être saluée et approuvée puisqu'elle mettait fin à l'incertitude inhérente à la solution retenue par la première chambre civile qui portait, en effet, en germe une sorte d'imprescriptibilité : tant que l'emprunteur n'a pas connaissance de l'erreur contenue dans le TEG, pour quelques circonstances que ce soit, il conservera la possibilité d'agir en nullité de la stipulation. D'ailleurs, certains avaient même souhaité, à la lecture des décisions de la Chambre commerciale que "cette solution d'équilibre, conciliant les impératifs de la sécurité juridique et la légitimité de la protection des emprunteurs qui disposent d'une délai de cinq ans pour vérifier ou faire vérifier le TEG mentionnait devrait constituer dans le futur la jurisprudence unifiée de la Cour de cassation" (A. Gourio et N. Aynès, préc.). L'arrêt du 11 juin 2009, du moins pour l'instant, anéantit les espoirs ainsi formulés que seule une formation plus solennelle de notre Haute juridiction pourrait rassurer tant l'on doute que l'instauration d'un délai butoir de prescription de vingt ans instauré par la loi du 17 juin 2008 (C. civ., art. 2232, al. 1er N° Lexbase : L7217IAK : "le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit") y parvienne.
Alors, quel constat tiré de cette opposition de chambres ? D'abord que l'une (la Chambre commerciale) comme l'autre (la première chambre civile) entendent rester dans leur "périmètre d'attribution", puisque les arrêts du 10 juin 2008 comme celui du 11 juin 2009 précisent que les principes dégagés ne s'appliquent qu'à la catégorie de prêts qu'elles ont à connaître. En effet, les arrêts de la Chambre commerciale énoncent formellement que le point de départ de la prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt, engagée par un emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle est la date de la convention. De même, l'arrêt de la première chambre civile du 11 juin 2009, prend-il le soin de préciser que la solution est dégagée en cas d'octroi d'un crédit à un consommateur ou à un non professionnel.
Aussi, on peut dire que la jurisprudence de la Cour de cassation nous invite à opérer une nouvelle distinction :
- soit l'emprunteur n'est pas un professionnel, auquel cas le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel d'un prêt d'argent court à compter de la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur, ou lorsque tel n'est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l'emprunteur (position de la première chambre civile dans l'arrêt du 11 juin 2009) ;
- soit l'emprunteur est un professionnel, et dans ce cas le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel d'un prêt d'argent court, nécessairement, à compter de la date de la convention.
Cette distinction ne nous semble pas très heureuse, dans la mesure où si, dans certaines circonstances, l'existence d'une prescription abrégée peut être une bonne chose, notamment dans un contexte d'affaires qui suppose sécurité et rapidité, le fait que le point de départ d'un même délai de prescription puisse différer en fonction de la qualité de la personne qui agit nous apparaît plutôt source d'insécurité et d'inégalité infondées.
Les deux positions se rapprochent, toutefois, sur un point important : première chambre civile et Chambre commerciale s'accordent pour appliquer leurs solution à l'exception de nullité de la stipulation, ajoute, néanmoins, l'arrêt du 11 juin 2009 "dans un acte de prêt ayant reçu un commencement d'exécution", solution au demeurant fort classique.
Pour finir sur une note plus positive, on remarquera, enfin, que la solution consacrée par la première chambre civile de la Cour de cassation, comme celle d'ailleurs qu'avait énoncée un an auparavant la Chambre commerciale, sont en parfaite harmonie avec le nouvel article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), issu de la loi du 17 juillet 2008, qui dispose que "les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". Voilà confimé ce que nous affirmions plus avant : ceux qui pensaient que la nouvelle loi pouvaient mettre les deux chambres de la Cour de cassation à l'unisson devront donc se résigner à attendre une solution rendue en formation plus solennelle.
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Réf. : CE, 29 mai 2009, n° 300599, Mme Bourges (N° Lexbase : A3360EHW)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
Le 07 Octobre 2010
Les juges suprêmes rejettent le pourvoi, et considèrent que les dispositions selon lesquelles l'intégration prend effet dans le délai d'un an qui suit la réussite à l'examen professionnel d'une secrétaire de mairie n'a pas "pour objet, et ne sauraient avoir légalement pour effet, d'imposer à l'autorité territoriale dont relèvent ces fonctionnaires de procéder à cette intégration dans les effectifs de la commune lorsque celle-ci ne dispose pas d'un emploi vacant d'attaché territorial et que l'organe délibérant [...] n'a pas décidé de créer un tel emploi". Pour le Conseil d'Etat, le cas échéant, l'intégration d'une secrétaire de mairie ayant réussi l'examen en cause "peut avoir lieu par voie de mutation dans une autre collectivité disposant d'un tel emploi vacant". Le verdict du Conseil d'Etat illustre bien les difficultés rencontrées par le juge pour assurer l'équilibre entre deux principes a priori antinomiques, le principe constitutionnel de libre administration qui reconnaît aux autorités territoriales la maîtrise du recrutement et de la gestion de leurs fonctionnaires, et la garantie de l'emploi, assurée à ces derniers par le système de la carrière (II). Les fonctionnaires territoriaux relèvent des mêmes droits et obligations que les fonctionnaires d'Etat et hospitaliers, mais leur recrutement présente immanquablement un caractère particulier ce dont témoigne la décision d'espèce (I).
I - Une décision qui rappelle le caractère particulier du recrutement des fonctionnaires territoriaux
Le raisonnement du juge se fonde, en l'espèce, sur deux éléments essentiels de la particularité du recrutement des fonctionnaires territoriaux : la spécificité du caractère de la notion de "cadre d'emploi" (A), et le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales dans la gestion individuelle des agents (B).
A - Un rappel de la spécificité du cadre d'emploi dans la fonction publique territoriale
L'unité, la comparabilité et la spécificité constituent les trois fondements théoriques de la fonction publique territoriale. L'unité s'exprime, sur le terrain du droit, par l'assujettissement de l'ensemble des fonctionnaires des collectivités territoriales à un statut commun. La comparabilité s'explique par la nécessité de pouvoir comparer les deux fonctions publiques en termes de métiers et de carrières des fonctionnaires. Il s'agit de penser la fonction publique territoriale sur le modèle de la fonction publique d'Etat, afin que toutes les deux atteignent les mêmes buts et offrent les mêmes garanties. La notion est synonyme d'égalité et répond, justement, à une revendication de reconnaissance statutaire et pécuniaire identique par rapport à la fonction publique d'Etat (7).
La fonction publique territoriale est pourtant caractérisée par une grande diversité d'employeurs (8) tout comme de catégories professionnelles (9), et il peut paraître, en ce sens, difficile d'appliquer ces principes d'unité et de comparabilité. Malgré cette diversité, le législateur a voulu, dès le début, instituer cette sorte de parité entre la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale. La notion de "cadre d'emplois" n'existait pas aux origines de la loi statutaire du 26 janvier 1984, relative à la fonction publique territoriale (10), puisque le modèle retenu était le même que celui de la fonction publique d'Etat, à savoir le corps. Mais sont apparus, assez rapidement, la marge et le risque d'erreur à transposer un système unifié conçu pour la fonction publique de l'Etat où, malgré la diversité apparente des ministères et des services extérieurs, il existe un employeur seul et unique, l'Etat, à la fonction publique territoriale, dont les membres sont au service de quelques dizaines de milliers d'employeurs qui sont autant de personnes publiques indépendantes. Pour cette raison, l'exigence de comparabilité a progressivement laissé la place, puis disparu, au profit du principe de spécificité. Ce principe propre à la fonction publique territoriale réside dans le fait que le législateur a souhaité maintenir les agents sous l'autorité des employeurs territoriaux, tout en cherchant à unifier leur gestion dans le cadre d'un statut unique. En ce sens, c'est la loi n° 87-529 du 13 juillet 1987 (11), qui, tout en préservant les acquis essentiels de la loi statutaire du 26 janvier 1984, a assoupli les structures de gestion pour affirmer davantage l'autonomie des autorités territoriales.
C'est ainsi que le système de "corps" est remplacé par le système de "cadre". Comme le corps, le cadre constitue un regroupement de fonctionnaires soumis au même statut particulier et titulaires d'un grade leur donnant vocation à occuper un ensemble d'emplois. Mais le cadre d'emploi est une sorte de "corps éclaté", dans la mesure où chaque collectivité et chaque établissement gèrent les cadres d'emploi qu'ils créent (12). Cette nouvelle organisation marque avec force l'abandon du principe de comparabilité au profit de la spécificité. Ainsi, les fonctionnaires territoriaux appartiennent à des cadres d'emplois régis par des statuts particuliers (13). Ces statuts particuliers ont un caractère national et sont communs à tous les agents des communes, des départements, des régions et de leurs établissements publics (14).
Le cadre d'emploi regroupe les fonctionnaires soumis au même statut particulier, titulaires d'un grade leur donnant vocation à occuper un ensemble d'emplois. Chaque titulaire d'un grade a vocation à occuper certains des emplois correspondant à ce grade. Pour ce faire, chaque statut particulier définit la hiérarchie des grades, le nombre d'échelons dans chaque grade, les règles d'avancement d'échelon et de promotion au grade supérieur afférent au cadre d'emplois (15). Il précise, également, les conditions d'accès soit par concours, soit par promotion interne, ainsi que les dispositions particulières liées au détachement du fonctionnaire.
C'est le cas, en l'espèce, du décret n° 2001-1197 du 13 décembre 2001, qui a mis en place un dispositif progressif d'intégration des membres du cadre d'emplois des secrétaires de mairie dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux. Les secrétaires de mairie qui souhaitent bénéficier de ces intégrations doivent réussir un examen professionnel, sur titre avec épreuves pour ceux qui justifient des titres requis pour l'inscription au concours d'attaché territorial, et sur épreuve sans condition de diplôme pour les autres fonctionnaires (16).
Les cadres d'emploi sont édictés par décret en Conseil d'Etat, sur proposition, ou après avis, du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT). Ces statuts particuliers sont d'application nationale, de sorte que les collectivités territoriales ne peuvent ni créer, ni modifier les cadres d'emplois. Un conseil municipal ne peut délibérer en contradiction avec les textes régissant le statut de la fonction publique territoriale et les statuts particuliers de chaque cadre d'emploi, élément qui aurait pu être pris en considération par le juge à travers la disposition visant l'intégration dans le cadre d'emploi des attachés territoriaux, au plus tard dans le délai d'un an qui suit la date à laquelle ils sont déclarés lauréats de l'examen professionnel (17). Toutefois, ce n'est pas ce qu'a retenu le juge, ce dernier privilégiant le principe de libre administration dans la gestion individuelle des agents.
B - Un rappel quant au respect du principe de libre administration dans la gestion individuelle des agents
Quasiment ignorée sous la IVème République, la notion de libre administration n'a été utilisée durant les vingt premières années de la Vème République que comme règle de répartition des compétences entre la loi et le règlement national. Puis la notion est progressivement devenue une règle de fond protégeant les collectivités. Le changement est définitivement acquis avec la décision du Conseil constitutionnel du 23 mai 1979, relative à la Nouvelle-Calédonie (18). Pour la première fois, le juge n'opère plus un partage de compétence mais exerce un contrôle de fond sur la loi. Principe de valeur constitutionnelle (19), la libre administration permet de contrôler l'action du législateur et de contrôler ses pouvoirs en matière de collectivités territoriales. Si cette conception des choses n'avait certainement pas été imaginée par les rédacteurs de la Constitution, le Conseil constitutionnel a, par la suite, rappelé dès 1984 que le législateur devait veiller à ce qu'un seuil minimum de compétences reste dévolu aux employeurs territoriaux (20). En ce sens, le législateur doit concilier l'établissement de garanties statutaires pour les agents territoriaux et la libre gestion de leur personnel par les autorités locales. Si la plupart des limitations que la loi apporte sont justifiées, il y a certaines dispositions jugées non justifiées qui présentent une contrainte excessive de nature à porter atteinte au principe de libre administration (21).
L'accès des citoyens à la fonction publique territoriale est donc caractérisé par la liberté dont jouit "l'autorité territoriale" dans la sélection des candidats à la nomination. Cette liberté est comparable à celle dont dispose les employeurs privés dans les relations contractuelles qu'ils engagent avec les demandeurs d'emploi. Ayant pris acte de cet état de fait, l'article 4 de la loi du 26 janvier 1984 précitée dispose que "les fonctionnaires territoriaux sont gérés par la collectivité ou l'établissement dont ils relèvent ; leur nomination est faite par l'autorité territoriale". L'article 40 de cette même loi dispose, en outre, que "la nomination aux grades et emploi de la fonction publique territoriale est de la compétence exclusive de l'autorité territoriale". Pour identifier "l'autorité territoriale", il faut relever qu'il y a une compétence de principe des collectivités dans la gestion de leur personnel qui se répartit entre exécutif territorial et assemblée délibérante. La première se voit reconnaître un rôle important en matière de gestion individuelle des agents. La seconde a plutôt un rôle d'organisation générale des services, qui encadre largement les possibilités d'action de l'autorité territoriale en matière de gestion de personnel. L'autorité exécutive territoriale a compétence exclusive pour prendre les principales décisions affectant la carrière des agents : la nomination (22), comme la plupart des autres décisions individuelles (les mutations internes, la notation, l'avancement d'échelon, l'avancement de grade ou encore l'exercice du pouvoir disciplinaire). Elle tire son pouvoir d'une double légitimité : une légitimité politique, le maire étant élu au suffrage universel direct par le peuple pour gérer une collectivité, il doit pouvoir conserver une certaine liberté dans la gestion et le recrutement de ses agents, sans pour autant aller à l'encontre des garanties statutaires ; et une légitimité institutionnelle, le maire, comme les organes exécutifs des autres collectivités étant "le chef de l'administration" (23), il est au sommet de l'organigramme et dispose de la légitimité pour prendre les décisions en dernier ressort intéressant la gestion des services et des agents y travaillant.
Les assemblées délibérantes des différentes collectivités territoriales ont, en revanche, compétence pour fixer l'organisation générale des services. A ce titre, il appartient à l'assemblée délibérante, et à elle seule, de décider de l'organisation des différents services publics gérés par la collectivité et, notamment, de décider de leur mode de gestion, public ou privé. Or ce choix a une incidence évidente sur la gestion des personnels fonctionnaires et sur la politique de recrutement que l'autorité territoriale devra mener. C'est l'article 34 de la loi du 26 janvier 1984 précitée (N° Lexbase : L4045E39), qui pose le principe selon lequel "les emplois de chaque collectivité ou établissement sont créés par l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement". Ce dernier procède librement à la création et à la suppression des emplois dans l'intérêt du service, sous réserve de l'application de règles spécifiques de seuils démographiques ou de quotas. Ce pouvoir d'organisation des services revêt une importance particulière en matière de gestion des personnels. Il conditionne, en effet, les décisions de l'autorité territoriale en matière de recrutement ou de gestion individuelle de la carrière des agents. En ce sens, le rôle des deux autorités est complémentaire et leur accord est nécessaire à la création d'un emploi vacant, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.
II - Une décision qui confirme la recherche, par le juge, d'un équilibre entre liberté de gestion et garanties liées au système de carrière
Le juge n'hésite pas, dans sa recherche d'équilibre entre la liberté de gestion et les garanties de carrière, à s'opposer, en l'espèce, à la volonté du pouvoir réglementaire d'un recrutement par l'employeur d'origine (A). Ce faisant, il fait prédominer le principe de libre administration et rappelle l'interdiction subséquente et classique des nominations pour ordre (B).
A - Un équilibre matérialisé par l'opposition, en l'espèce, à la volonté du pouvoir réglementaire d'un recrutement par l'employeur d'origine
Malgré la réforme importante dont il a bénéficié et qui a, notamment, fait passer le cadre d'emplois de la catégorie A à la catégorie B (24), le cadre d'emplois des secrétaires de mairie a continué de connaître des difficultés importantes. Elles tiennent, pour l'essentiel, au caractère atypique du statut qui ne différencie pas grade et emploi (25), et ne favorise pas suffisamment la fluidité des déroulements de carrière et la mobilité fonctionnelle des agents. Le décret précité du 13 décembre 2001, qui avait obtenu un avis favorable du CSFPT, a entendu y remédier et offrir, en particulier, des possibilités de gestion et de déroulement des carrières plus complètes à ces fonctionnaires. Il a, ainsi, été prévu une possibilité d'intégration de ces fonctionnaires dans celui du cadre d'emplois des fonctionnaires territoriaux, et une mise en extinction conséquente du cadre d'emploi des secrétaires de mairie. Une intégration progressive assortie d'un mécanisme de sélection a, néanmoins, été justifiée par une série de considérations qui tiennent autant à la variété des niveaux de qualification et de recrutement des secrétaires de mairie qu'au souci de veiller à un équilibre avec les agents relevant du cadre d'emplois des attachés territoriaux, voire encore aux éventuelles possibilités d'avancement aux grades d'attaché principal et de directeur territorial. Indispensable au regard des perspectives de carrière nouvelles ainsi offertes, le mécanisme de sélection (26) doit permettre à l'essentiel des membres du cadre d'emplois des secrétaires de mairie d'intégrer le cadre d'emplois des attachés durant les cinq premières années et comme dit précédemment, les intégrations prononcées au premier grade d'attaché devront l'être au plus tard dans l'année suivant la date de réussite à l'examen professionnel (27). A terme, on le rappelle, le cadre d'emploi des secrétaires de mairie est appelé à disparaître, absorbé par le cadre d'emploi des attachés territoriaux.
Il est clair que l'intention des auteurs du décret était donc que l'intégration soit prononcée par l'employeur d'origine, c'est-à-dire celui qui emploie l'agent en tant que fonctionnaire du cadre d'emploi des secrétaires de mairie, sans que cela contredise, a priori, le principe de libre administration des collectivités territoriales. Le Conseil d'Etat s'est même prononcé en ce sens dans un cas assez similaire, à propos de dispositions prévoyant l'intégration de certains fonctionnaires dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux (28). Le juge suprême rappelant, notamment, que les dispositions en cause avaient eu "pour objet de permettre l'intégration directe de fonctionnaires dans le cadre d'emplois des attachés territoriaux au titre de la constitution initiale de ce cadre d'emplois", qu'elles avaient été prises en application l'article 38 b de la loi du 26 janvier 1984 (N° Lexbase : L6947AHR), selon lequel les fonctionnaires peuvent, par dérogation, être recrutés sans concours "lors de la constitution initiale d'un corps ou d'un cadre d'emplois ou de la création d'un emploi par transformation de corps, de cadres d'emplois ou d'emplois existants" et que, par suite, elles ne méconnaissent pas le principe de libre administration des collectivités territoriales (29). Ainsi, les dispositions du décret du 13 décembre 2001, elles aussi prises en application de l'article 38 de la loi du 26 janvier 1984, avaient pour objet de permettre "l'intégration totale ou partielle des fonctionnaires d'un cadre d'emplois dans un autre cadre d'emplois classé dans la même catégorie" (art. 38 e), et que, établies en ce sens et conformément à la décision de 2001, elles ne méconnaissaient pas davantage le principe de libre administration.
Il était peut-être logique de revendiquer, en ce sens, l'intégration de droit d'un secrétaire de mairie, lauréat de l'un des examens professionnels précités, mais encore fallait-il qu'un emploi d'attaché soit réellement créé ou libéré pendant la période d'un an au sein de la collectivité dont relève l'agent concerné. C'est en ce sens que le Conseil d'Etat revient sur sa jurisprudence initiale, indiquant que les dispositions en cause sont contraires au principe de libre administration. On peut citer, à cet égard, la décision prise dans le même sens et le même jour par le juge suprême dans des faits assez similaires, le tribunal administratif ayant juste, dans ce cas d'espèce, fait droit à la demande de l'intéressée en se fondant sur son droit à l'intégration dans l'année suivant la réussite à l'examen professionnel (30). L'interprétation effectuée par le Conseil d'Etat marque, ainsi, les limites de cette recherche d'équilibre entre le principe de libre administration et les garanties accordées au fonctionnaire. C'est le principe de libre administration qui est donc mis en avant, au détriment des garanties règlementaires. L'exercice, par les intéressés, de leur droit à être intégrés en qualité d'attaché territorial dans les communes dont ils relèvent est subordonné à l'existence d'un emploi vacant que le conseil municipal n'est pas tenu de créer. La nomination hors de la création d'un emploi vacant relèverait d'une nomination pour ordre qui, de manière constante, est interdite dans le droit de la fonction publique.
B - Un équilibre matérialisé par le rappel à l'interdiction subséquente des nominations pour ordre
Le principe selon lequel une nomination n'est régulière que si elle a pour objet exclusif de pourvoir à un emploi vacant a été dégagé par la jurisprudence (31), puis repris dans les statuts généraux successifs (32). Il est actuellement énoncé par l'article 12 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L5205AHA), où, selon les termes du troisième alinéa, "toute nomination, ou toute promotion, dans un grade qui n'intervient pas exclusivement en vue de pourvoir un emploi vacant et de permettre à son bénéficiaire d'exercer les fonctions correspondantes est nulle". Rappelée en l'espèce, la règle ainsi énoncée prohibe de manière absolue toutes les nominations fictives, qualifiées de "nominations pour ordre", qui n'ont pas pour objet de pourvoir effectivement aux besoins de l'administration dans le poste dont l'intéressé devrait remplir les fonctions. Le fait de savoir si l'agent nommé dans ces conditions en retire un avantage personnel, même si c'est fréquemment le cas, est ici sans importance. De semblables nominations sont donc entachées d'irrégularité, en vertu d'une jurisprudence constante depuis l'arrêt de Section du 30 juin 1950, "Sieur Massonaud" (33). Ces décisions sont juridiquement inexistantes et leur caractère "nul et non avenu" peut être reconnu à toute époque sans que soient opposables les délais de recours. L'autorité administrative peut et doit, en conséquence, retirer à toute époque ces décisions qui ne sont jamais créatrices de droits.
Le caractère décisif de la nomination pour ordre est le caractère fictif de la mesure et dépend donc uniquement du point de savoir si celle-ci a eu, ou non, pour objet de pourvoir réellement aux besoins de l'administration, c'est-à-dire dans le poste dont l'intéressé doit remplir les fonctions. Le caractère nul et non avenu de la nomination, qui doit être relevé d'office (34), entraîne la nullité des mesures subséquentes rendues possibles par cette nomination.
La qualification de nomination pour ordre est appliquée à divers types de situation dans lesquelles la nomination n'a pas pour objet exclusif de pourvoir à un emploi vacant. Il en va ainsi, par exemple, des nominations qui n'ont d'autre but que de permettre aussitôt une promotion (35) (ce qui rejoindrait le cas d'espèce), un détachement (36), ou une mise à disposition (37).
Sont, également, des nominations pour ordre celles qui concernent des agents en réalité maintenus dans leur position d'origine : détachement ou emploi de chargé de mission (38). Ces agents n'occupent pas des emplois sur lesquels ils sont nommés. Enfin, a de même été qualifiée une nomination à un emploi de directeur de cabinet du maire qui visait, en réalité, à pourvoir l'emploi de directeur général des services, lequel n'était pas vacant (39), ou l'avancement de grade d'un directeur d'établissement territorial d'enseignement artistique de première catégorie prononcé pour occuper un emploi qui n'était pas, en réalité, vacant, même si son titulaire en avait été écarté par une mesure de suspension (40). L'ensemble de cette jurisprudence souligne l'attention portée par le juge administratif à la régularité des nominations dans l'administration, ainsi que la rigueur avec laquelle il sanctionne les nominations fictives. Celles-ci ne sont à l'abri d'aucune contestation, fut-elle très tardive, et leur apparente régularité n'est pas forcément un gage de leur longévité.
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 07 Octobre 2010
Maître Marsaudon : Aux termes de l'article 1er du CGI (N° Lexbase : L9234HZZ), dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la codification de l'article 11-1 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 (N° Lexbase : L2417HY8), "les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus. Les conditions d'application de ce droit sont définies à l'article 1649-0 A". La problématique de l'espèce relève du 2 de l'article 1649-0 A du CGI (N° Lexbase : L0945ICY) qui précise que "sous réserve qu'elles aient été payées en France et, [...], qu'elles aient été régulièrement déclarées, les impositions à prendre en compte pour la détermination du droit à restitution, sont : [...] b. L'impôt de solidarité sur la fortune établi au titre de l'année qui suit celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4" (nous soulignons).
Si l'instruction du 26 août 2008 (BOI 13 A-1-08 N° Lexbase : X3967AEN) précise, dans son paragraphe 18, que les impôts ou compléments d'impôts payés à la suite "d'une relance ou d'une procédure de rectification engagée par l'administration ne peuvent être pris en compte pour la détermination du droit à restitution" (nous soulignons), elle renvoie "pour plus de précisions" au n° 34 de l'instruction du 15 décembre 2006 (BOI 13 A-1-06 N° Lexbase : X7799AD9). Or, ce paragraphe 34 précise l'interprétation que donne l'administration centrale de la notion d'impositions "régulièrement déclarées" au sens de l'article 1649-0 A. Il s'agit des impôts correspondant aux montants qui figurent sur une déclaration déposée avant l'engagement d'une procédure administrative contraignante au sens que l'instruction définit. L'examen des cas d'engagement d'une procédure contraignante qui y sont énoncés montre que la caractéristique d'une procédure contraignante est l'envoi par l'administration au contribuable d'un document coercitif exigeant une réponse de la part de ce dernier (mise en demeure de souscrire une déclaration, demande d'éclaircissement, procédure de rectification...). Le terme "relance" doit donc nécessairement s'analyser au regard du texte de cette doctrine (1).
Au cas particulier, le contribuable a souscrit une déclaration rectificative d'ISF alors qu'il ne se trouvait pas dans une des situations d'engagement à son encontre d'une procédure contraignante. En effet, et en l'espèce, la vérificatrice d'une direction spécialisée avait procédé, en premier lieu, à une rectification des revenus déclarés par le foyer fiscal au titre des années 2004 (rehaussement d'un résultat BIC) et 2005 (taxation d'une plus-value de cession de titres) par proposition de rectification n° 2120 du 21 juin 2007. En second lieu, à la suite de ce contrôle sur pièces de l'impôt sur le revenu des années 2004 et 2005, la même inspectrice s'est également penchée sur les déclarations d'ISF du foyer fiscal. Ainsi qu'elle l'écrivait le 23 janvier 2008 aux contribuables, elle se plaçait alors "dans le cadre du contrôle sur pièces de [leurs] déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune".
Dans ce cadre, une discussion s'est ouverte de façon informelle entre le service et les contribuables sur la qualification de biens professionnels, exonérés d'ISF en vertu des dispositions de l'article 885 N (N° Lexbase : L8819HL9) et suivants du CGI, que ces derniers avaient initialement donnée aux parts sociales d'une EURL possédées par l'un des époux. Après de nombreux échanges oraux et rendez-vous de travail, toujours dans un cadre informel amiable, les contribuables ont pris le parti de renoncer spontanément à cette qualification et de déposer des déclarations d'ISF rectificatives au titre des années 2005, 2006, 2007 et 2008 prenant en compte, dans l'actif taxable, la valeur des parts de l'EURL déterminée contradictoirement avec l'inspectrice. En contrepartie, le service renonçait à la prescription sexennale ainsi qu'à l'application de tout intérêt de retard.
Il faut saluer cette démarche hors normes du service qui a privilégié la discussion (sur près de 11 mois) pour aboutir à un accord des contribuables ayant donné lieu au dépôt, le 12 novembre 2008, desdites déclarations rectificatives accompagnées du règlement spontané des impositions complémentaires correspondantes. Ainsi, la déclaration rectificative relative à l'ISF 2007 a été souscrite sans mise en oeuvre d'une procédure contraignante telle que définie par la doctrine administrative citée supra.
Par ailleurs, il convient d'ajouter que l'engagement d'un contrôle sur pièces des déclarations d'ISF du foyer fiscal n'avait, en tout état de cause, aucune incidence sur le montant des impôts à prendre en compte pour la détermination du bouclier fiscal. En effet, les instructions du 15 décembre 2006 et du 28 août 2008 précitées admettent que les impôts à retenir sont ceux qui figurent sur une déclaration souscrite spontanément par un contribuable, c'est-à-dire déposée avant l'engagement d'une "procédure administrative contraignante" dont l'administration fournit une définition rappelée ci-dessus. Aucune référence n'est faite à l'engagement d'un contrôle sur pièces, étant rappelé que la doctrine administrative ne peut pas donner lieu à interprétation et doit être appliquée strictement. Dans ces conditions, il importe peu de relever qu'une déclaration a fait l'objet d'un contrôle si celui-ci n'a pas été suivi de la mise en oeuvre d'une procédure administrative contraignante.
Ainsi, s'agissant, en l'espèce, de la déclaration rectificative d'ISF 2007, il suffisait de constater qu'elle n'avait donné lieu à aucune procédure administrative contraignante pour conclure à la prise en compte de l'impôt en résultant dans le calcul du "bouclier fiscal". C'est ce qui a été fait par les contribuables et n'a pas été accepté par le service local.
Lexbase : En quoi l'ordonnance rendue par le juge des référés vous semble-t-elle critiquable ?
Maître Marsaudon : Par l'ordonnance du 19 juin 2009, le juge des référés a rejeté la requête au motif que "l'obligation de restitution dont se prévalent les requérants n'apparaît pas comme non sérieusement contestable". Le juge semble avoir tiré cette appréciation du fait que la déclaration rectificative avait eu lieu dans le cadre d'un contrôle sur pièces de l'ISF en cause, s'appropriant ainsi l'unique argument de défense de l'administration.
Cette ordonnance apparaît critiquable en ce qui concerne l'application erronée des textes dont elle procède.
En effet, s'agissant des impositions à prendre en considération pour le calcul du "bouclier fiscal", la loi (CGI, art. 1649-0 A) pose pour seule condition "qu'elles aient été régulièrement déclarées" (nous soulignons), sans autre précision. Pour l'application de cette condition un peu vague, l'administration centrale a assimilé la notion de déclaration régulière à celle de déclaration souscrite spontanément pour -ensuite- définir celle-ci comme "toute déclaration déposée avant l'engagement d'une procédure administrative contraignante" (nous soulignons) (instruction du 15 décembre 2006, BOI 13 A-1-06, n° 34) (2). C'est dans cette articulation spécifique que se situe l'apport essentiel de la doctrine administrative, opposable au service sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), quant à la portée à donner à la notion d'impositions "régulièrement déclarées".
Ainsi, est régulière la déclaration spontanée, alors qu'est spontanée la déclaration qui n'est pas contrainte par une procédure spécifique. Or, dans l'ordonnance critiquée, si le juge s'est appuyé sur la doctrine administrative précitée, il ne l'a fait que partiellement en s'en tenant au seul premier volet de l'articulation, i.e. à la notion de déclaration "souscrite spontanément", tout en lui donnant un sens beaucoup plus large puisque, selon lui, l'intervention d'un contrôle sur pièces ferait échec à cette spontanéité.
Mais, dès lors qu'il s'appuyait sur la doctrine administrative le juge se devait de l'appliquer complètement, en recherchant si le dossier avait donné lieu à une procédure contraignante, d'où, à notre sens, le mal-fondé de l'ordonnance critiquée.
Lexbase : Qu'en est-il de la motivation de l'ordonnance rendue par le juge des référés ?
Maître Marsaudon : Il est constant que le juge des référés doit suffisamment motiver son ordonnance en indiquant les faits qui fondent sa décision. Si l'ordonnance du 19 juin 2009 semble respecter ce principe en apparence, tel n'est en fait pas le cas.
En effet, la circonstance qu'un contrôle sur pièces du dossier ISF des contribuables soit intervenu au cas particulier ne suffisait pas en elle-même à justifier le caractère contestable de l'obligation à remboursement. Ainsi qu'on le sait, chaque année, l'administration procède a des dizaines de milliers de contrôles sur pièces de dossiers de contribuables depuis ses bureaux et, seule, une fraction minoritaire desdits contrôles donne ensuite lieu à une procédure administrative contraignante. Il n'existe, en conséquence, aucun lien mécanique ni automatique entre contrôle sur pièces et procédure contraignante.
Dès lors, l'intervention en l'espèce d'un tel contrôle ne pouvait aucunement constituer en elle-même un élément de fait de nature à fonder le rejet de la demande des contribuables. Le juge aurait dû vérifier in concreto si les requérants étaient ou non dépourvus de toute chance d'obtenir le remboursement demandé, i.e. vérifier si les conditions posées par la doctrine administrative dont ils se prévalaient expressément étaient effectivement remplies.
Il est constant que le juge ne l'a pas fait et que, pour ce seul motif, l'ordonnance devrait encourir, également, la censure pour insuffisance de motivation.
Lexbase : Quelle est la suite à donner à cette affaire ?
Maître Marsaudon : Par construction, le référé provision est une procédure utilisée à l'encontre d'une administration qui, pour une raison ou une autre, tarde à remplir l'obligation dont elle est débitrice à l'égard du requérant. Il n'est donc pas surprenant qu'en défense cette administration tente de contester l'obligation dont le justiciable demande au juge des référés d'ordonner l'exécution rapide.
Mais, ce dernier se doit d'éviter de confondre obligation contestée et obligation contestable. Seule, une étude approfondie des conditions de droit de l'affaire ainsi qu'une vérification concrète des faits lui permet d'éviter cet écueil. Tel n'ayant pas été le cas en l'espèce, il faut espérer que le juge d'appel sera plus vigilant. Une instance au fond a également été introduite devant le tribunal administratif de Paris.
(1) Sachant que, ainsi que l'avait rappelé Jérôme Turot dans une chronique remarquée, l'on doit s'attacher à la lettre de la doctrine administrative et non à son esprit (qu'elle ne peut revendiquer) (J. Turot, La vraie nature de la garantie contre les changements de doctrine, RJF, 5/92, pp. 371 et s., cf. en particulier son "II - La doctrine n'a aucun esprit", pp. 375 et 376).
(2) La même définition apparaît constante puisqu'elle est donnée par la doctrine administrative pour écarter les déclarations tardives spontanées du champ de la majoration de 10 % prévue au nouvel article 1758 A-II du CGI en matière d'impôt sur le revenu (instruction du 14 février 2008, BOI 13 N-1-08 N° Lexbase : X0440AEZ).
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Réf. : Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-44.570, Société Darty Ouest, FS-P+B (N° Lexbase : A2931EIE)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Une modification du contrat de travail, y compris à titre disciplinaire, ne peut être imposée au salarié. Aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction. Dès lors, l'employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire en appliquant immédiatement la rétrogradation, de telle sorte qu'il ne pouvait prononcer ultérieurement un licenciement pour le même fait. |
Commentaire
I - L'obligation faite à l'employeur d'attendre la décision du salarié sur la sanction envisagée
La Cour de cassation a étendu, en 1998, sa jurisprudence "Raquin" (1) à l'hypothèse dans laquelle la modification du contrat de travail du salarié résulte d'une sanction disciplinaire infligée par l'employeur (2). Le salarié est donc en droit, ici comme ailleurs, de refuser la modification de son contrat de travail.
En cas de refus du salarié, l'employeur peut renoncer à son projet de sanction et lui en infliger une autre sans se heurter au principe non bis in idem, qui interdit de sanctionner deux fois une personne pour une même faute.
Depuis l'arrêt "Hôtel Le Berry", qui a fixé les grandes lignes de cette jurisprudence, la Cour de cassation a apporté deux séries de précisions.
La première concerne la procédure à respecter. L'employeur qui envisage une nouvelle sanction, en lieu et place de celle qui a été refusée par le salarié, doit le reconvoquer à un nouvel entretien individuel ; le délai d'un mois dans lequel l'employeur devra prononcer la sanction partira de ce nouvel entretien (3).
La seconde concerne l'étendue du pouvoir de sanction après le refus opposé par le salarié à la modification de son contrat de travail : il demeure entier et l'employeur peut prononcer alors un licenciement pour faute grave (4). On avait pu craindre que le choix, dans un premier temps, d'une sanction autre que le licenciement immédiat, n'empêche ultérieurement l'employeur de prononcer cette sanction, dans la mesure où il avait démontré, en refusant de licencier dans un premier temps, que le départ immédiat du salarié de l'entreprise ne s'imposait pas.
La Cour de cassation apporte, dans cet arrêt en date du 17 juin 2009, une nouvelle précision, qui montre aux employeurs qu'ils n'ont jamais intérêt à "passer en force" lorsque la jurisprudence leur impose de négocier.
Dans cette affaire, un salarié, qui avait la qualité de chef des ventes, avait fait l'objet, le 14 février 2006, d'une mesure de rétrogradation au poste de vendeur expert, applicable à réception de la notification de cette sanction. Il avait contesté cette mesure par lettre du 20 février 2006, avant de saisir, le 28 mars 2006, le conseil de prud'hommes pour en obtenir l'annulation. Par lettre du 11 avril 2006, il avait été licencié pour faute grave.
La cour d'appel de Bordeaux avait fait droit à l'ensemble de ses demandes et considéré ce licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans son pourvoi, l'employeur faisait valoir que le licenciement pour faute grave, prononcé le 11 avril 2006, se substituait à la rétrogradation refusée par le salarié le 20 février, et qu'il était inexact d'avoir considéré les faits comme prescrits, au moment de la nouvelle sanction, dans la mesure où ce délai avait été interrompu par la première sanction et que la nouvelle sanction avait été prononcée dans les deux mois suivant le refus opposé par le salarié à la première sanction.
Le pourvoi est rejeté et l'arrêt confirmé. Selon la Haute juridiction, en effet, "une modification du contrat de travail, y compris à titre disciplinaire, ne peut être imposée au salarié" ; or, la cour d'appel avait "constaté que la rétrogradation avait été mise en oeuvre sans l'accord du salarié". Ensuite, "aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction" et l'employeur "avait épuisé son pouvoir disciplinaire en appliquant immédiatement la rétrogradation, ne pouvait prononcer ultérieurement un licenciement pour le même fait".
II - Une solution excessivement sévère
Cette décision est particulièrement intéressante, car elle sanctionne de manière astucieuse l'employeur qui n'avait pas tiré toutes les conséquences de la nécessité d'obtenir l'accord du salarié sur la modification de son contrat de travail induite par la première sanction envisagée. Dans cette affaire, en effet, l'employeur avait eu la malencontreuse idée de préciser, alors qu'il avait notifié sa rétrogradation disciplinaire au salarié, que cette sanction prenait effet immédiatement ; on imagine que, joignant le geste à l'écrit, il avait fait en sorte que le salarié quitte immédiatement ses anciennes fonctions de chef des ventes pour intégrer tout aussi immédiatement celles de vendeur expert.
Cette volonté de mettre en oeuvre la sanction de manière immédiate, sans laisser au salarié un délai raisonnable pour l'accepter, ou la rejeter, a donc incité les juges à considérer qu'il ne s'agissait pas d'une simple proposition de modification du contrat pour motif disciplinaire, mais bien d'une modification unilatérale. C'est la première étape du raisonnement.
Dans un second temps, la Cour tire les conséquences de cette analyse.
La première tient à l'application de la règle non bis in idem. Dans la mesure où la sanction de rétrogradation a déjà été prononcée, l'employeur a perdu le droit de sanctionner le salarié une seconde fois. Dès lors, le licenciement pour faute grave prononcé par l'employeur après que le salarié eut refusé la rétrogradation, ne peut sanctionner les faits pour lesquels le salarié avait été rétrogradé ; la faute grave tombant, le licenciement apparaît, dès lors, dépourvu de cause réelle et sérieuse : CQFD !
Techniquement, la solution semble indiscutable. En imposant la rétrogradation sans attendre la décision du salarié, l'employeur prononce bien une sanction disciplinaire, même illicite. S'il décide par la suite de licencier le salarié, il sanctionne deux fois les mêmes faits et prive sa décision de cause réelle et sérieuse.
La solution retenue semble bien sévère pour l'employeur.
Juridiquement, tout d'abord, on aurait tout aussi bien pu sauver le licenciement en considérant que la rétrogradation avait été infligée sous la condition que le salarié ne s'y oppose pas ; le salarié s'y opposant, on aurait pu, alors, considérer la sanction comme caduque, ce qui aurait validé, par voie de conséquence, le licenciement.
Il semblait, également, possible de s'inspirer du régime du retrait des actes administratif, en permettant à l'employeur de retirer la première sanction, en raison du refus opposé par le salarié rendant celle-ci illicite, et d'y substituer une sanction licite.
L'employeur se voit alors infliger une double peine qui peut sembler bien sévère : la rétrogradation va être annulée, puisqu'elle a été infligée au salarié sans son accord et le licenciement pour faute grave, que l'employeur pensait pouvoir valablement substituer à la rétrogradation refusée, est privé de cause réelle et sérieuse.
Répétons-le, nous persistons à contester la solution adoptée depuis l'arrêt "Hôtel le Berry", car nous considérons que, lorsque l'employeur prononce contre le salarié une sanction disciplinaire, donner le droit au salarié de la refuser, sous prétexte que celle-ci se traduirait par une modification de son contrat de travail, dénature l'essence même du pouvoir disciplinaire de l'employeur et conduit celui-ci à raisonner de manière stratégique. Puisqu'il ne craint pas d'être privé du pouvoir d'infliger au salarié un licenciement pour faute grave, que le salarié ne pourra pas refuser, l'employeur pourra être tenté de proposer au salarié, dans un premier temps, une sanction moins importante, emportant généralement la modification de ses fonctions et de sa rémunération, tout en sachant que le salarié ne l'acceptera pas. L'employeur passera alors pour magnanime en cas de procès prud'homal et le salarié comme un ingrat et un imprudent qui n'aura pas su saisir la chance qui s'offrait à lui ; devant le juge prud'homal, cette distribution des rôles profitera alors très certainement à l'employeur, là où la règle devait favoriser le salarié.
Il nous semble que la solution qui prévalait avant 1999 était préférable et que le contrôle de proportionnalité exercé par le juge sur la sanction disciplinaire infligée au salarié suffisait à garantir ce dernier contre le risque d'arbitraire. Redisons-le, l'employeur qui rétrograde le salarié à titre disciplinaire ne modifie pas le contrat de travail, il inflige une sanction disciplinaire, car c'est bien la faute commise par le salarié et la sanction qui lui sont infligées, qui sont bien la cause de la modification du contrat, et non la volonté de l'employeur de le modifier. C'est tout ce qui fait la différence entre les deux hypothèses.
Décision
Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-44.570, Société Darty Ouest, FS-P+B (N° Lexbase : A2931EIE) Rejet CA Bordeaux, ch. soc., sect. A, 4 septembre 2007, n° 06/05477, SNC Darty Ouest c/ M. Nicolas Laréquie (N° Lexbase : A3522D7L) Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots clef : sanction disciplinaire ; modification du contrat de travail ; accord du salarié ; mise en oeuvre immédiate ; application de la règle non bis in idem Lien base : |
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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du Pôle Presse
Le 07 Octobre 2010
Christian Boyer : Avant de répondre à cette importante question, je souhaiterai faire quatre mises au point sur votre présentation, si vous le permettez. Tout d'abord le projet de loi prévoit que c'est au 1er janvier 2010, et non 2011, que la fusion, en réalité une suppression, s'opère. Ensuite la simplification annoncée est un leurre ou une falsification de la vérité. Chaque justiciable devra avoir un avocat postulant devant la cour d'appel, exactement comme il doit aujourd'hui avoir un avoué. Quant au coût il est avéré qu'il sera supérieur pour le justiciable, la disparition du tarif rendant le coût de la postulation libre. Il sera supérieur pour le contribuable, une partie des diligences des avoués étant transférées aux fonctionnaires du greffe. Il sera nettement supérieur pour les avocats qui devront investir pour la communication électronique pour un coût minimum dans une petite structure de 10 000 euros (le chiffre d'affaire des avoués d'une cour comme Toulouse réparti entre les avocats du ressort sera de moins de 300 euros par avocat ce qui permet de cerner le déficit pour un avocat ou le surcoût pour un justiciable...). Enfin vous évoquez la satisfaction du CNB. C'est passer sous silence ses derniers communiqués, révolté contre la suppression du tarif et la période transitoire.
Pour répondre à votre question elle-même, l'avoué, devant la cour d'appel, représente la partie, accomplit sous sa responsabilité tous les actes de procédure et travaille de concert avec l'avocat. Il est le copilote du procès, un spécialiste de la procédure et un généraliste du droit. Sa proximité quotidienne avec le juge fait de lui un contre-pouvoir nécessaire au sein du pouvoir judiciaire. Une comparaison juste avec le monde médical permettrait de dire que cette suppression ferait du médecin de campagne du jour au lendemain un chirurgien cardiaque... chacun comprendra la difficulté.
Pascal Bugis : La distinction réside en ce qu'actuellement dans certaines matières, un avocat ne peut postuler devant la cour d'appel. Autrement dit les actes de procédure sont accomplis exclusivement par l'avoué qui assure la mise en état du dossier et se charge ensuite de l'exécution de l'arrêt obtenu. Cette distinction mérite d'exister tout autant à mon sens que demeure le système de la mise en état. Dans la mesure où elle ne disparaît pas, il n'y a effectivement aucun intérêt financier, ni pratique pour le justiciable à ouvrir la postulation à l'avocat. La vraie question me paraît donc être : la mise en état est-elle nécessaire?
La pratique montre que dans les matières où elle n'existe pas (appels prud'homaux) l'on perd en souplesse ce que l'on ne gagne pas en vitesse d'évacuation. Le rapport avec le magistrat se réduit à une fiche fixant des délais à chaque partie et la date d'audience. C'est le prêt-à-porter alors que la mise en état assure un côté sur mesure. C'est toute une conception de la gestion du procès qui en découle: peu ou pas de rapports entre magistrats et conseils des parties, automatisation maximum des aspects procéduraux. De là à dire que la part humaine de la décision de justice cède peu à peu à la réglementation...
Lexbase : Le chapitre premier du projet de loi prévoit donc l'intégration des avoués dans la profession d'avocat. Concrètement cette disposition va donner la possibilité aux avocats de postuler devant la cour d'appel de leur ressort. Quels regards portez-vous l'un et l'autre sur cette nouvelle attribution de l'avocat ?
Christian Boyer : Tout est possible. La loi peut tout. Tous les avocats le veulent-ils ? La nouvelle mission qui va leur être confiée, chacun veut-il et peut-il l'exercer ? Il ne s'agit pas ici d'un problème de compétence que chacun pourrait développer, mais de temps, d'énergie, de moyens financiers. Ce qui est certain c'est que l'éloignement du juge sera incontournable. Il y aura donc disparition du contre-pouvoir évoqué précédemment. Tout le procès d'appel va devenir électronique. Le magistrat, quelles que soient sa bonne volonté et son humilité, sera plus puissant parce que plus isolé. En outre il faut savoir que le coût moyen d'équipement pour permettre à un cabinet d'avocat de suivre une procédure devant la cour est (sous) estimé à 10 000 euros, hors formation et temps passé. De nombreux avocats seront donc exclus de fait de procédures que les avoués assuraient avec eux. Leur inquiétude se manifeste maintenant tous les jours.
Pascal Bugis : Je vois surtout que, d'ores et déjà, la postulation a subi d'énormes brèches et que l'avocat est éjecté de fait de pans entiers du contentieux judiciaire et administratif. Veut-on aller plus loin et évacuer toute notion de postulation ? L'idée est peut être -certainement- que moins il y aura obligation de recourir à des professionnels de la justice, moins il y aura de procès. On a pu mesurer la pertinence de ce type de raisonnement en ce qui concerne le système de santé... On ne peut juger de l'opportunité d'une telle réforme à court terme. Il faut chercher l'objectif réellement poursuivi par les politiques et se demander s'il s'agit vraiment et simplement de supprimer une profession. A mon sens sûrement pas !
Lexbase : Il est prévu, aux termes du chapitre deux du projet, qu'une indemnité soit versée aux avoués en raison de la perte qu'ils auraient quant à la possibilité de présenter leur successeur à l'agrément du Garde des Sceaux, droit qu'ils avaient acquis de leur prédécesseur en lui payant un prix de cession. Estimez-vous que l'indemnisation initialement envisagée, soit près de deux tiers de la valeur de l'office, soit en adéquation avec la réalité économique et qu'adviendrait-il des personnels employés au sein de l'étude ?
Pascal Bugis : C'est une réforme qui commencerait donc par des dépenses et qui se caractériserait par un coût social. Au delà de ce simple constat et sur cette épineuse question, Maître Boyer me semble bien mieux à même d'évaluer la pertinence des propositions financières annoncées...
Christian Boyer : Quant aux personnels, le ratio d'employés pour un avoué est 1 avoué pour 5 salariés, alors que 1 avocat emploie 0,5 salarié. L'avoué sait gérer de la masse de contentieux. Il est structuré et organisé pour cela. Il n'est pas difficile de considérer que sur 2 000 salariés d'avoués, moins de 150 resteront au mieux embauchés dans les futurs cabinets d'avocats des ex-avoués. Il faut souligner ici l'impéritie de l'Etat qui est inquiet ou scandalisé lorsque Michelin supprime 1 000 emplois avec des précautions sociales remarquables, ou lorsque Continental envisage un plan social avec une indemnité de départ de 50 000 euros, mais qui ne fait rien du tout pour les 2 000 emplois qu'il supprime du jour au lendemain, sans aucun motif économique. Les responsables politiques qui parlent de "patrons voyous" devraient regarder la poutre de leur oeil...
Quant à l'indemnisation des avoués, elle est envisagée par l'Etat à hauteur de 66 % d'une évaluation faite par lui sur des critères totalement différents des cessions auxquelles il a donné son agrément. Il s'agit d'une expropriation forcée. Qui accepterait de voir sa maison expropriée pour les 2/3 de sa valeur, l'Etat indiquant au surplus que la valeur d'achat (qu'il aurait lui-même vérifiée et agréée) était trop chère et qu'il y aurait déjà lieu de prendre une valeur de calcul de base minorée de 40 % en moyenne ? Le seul mot juste est ici celui de spoliation. Espérons que les députés et sénateurs auront un sens de l'équité qui évitera des recours devant toutes les juridictions françaises et européennes. Et il convient de souligner qu'il ne s'agit que de la valeur de la charge d'avoué, sans aucune considération du préjudice professionnel et autre préjudice de liquidation.
Lexbase : Le chapitre quatre du texte offrirait la possibilité aux avoués d'exercer simultanément leur profession et celle d'avocat pendant une période transitoire d'une durée de un an. Pensez-vous, à l'instar du Conseil national des Barreaux, que cette disposition soit superflue car risquant de désorienter le justiciable ? Quelles leçons devrait-on tirer de la fusion en 1991 des professions d'avocat et de conseil juridique pour bien réussir cette "nouvelle fusion" ?
Christian Boyer : Cette double question mérite une mise au point importante : loin des démagogies de mode, les avocats responsables, tous barreaux confondus, ayant une vision cohérente de leur fonction, admettent tous que la fusion de 1991 a été une catastrophe : perte d'identité, perte d'âme, perte de crédibilité...
Mais aucune leçon n'en a manifestement été tirée par la profession. Incapables de protéger un périmètre du droit clairement identifié par la loi, ils "foncent tête baissée" dès qu'ils repèrent un professionnel ayant une activité cousine ou juridique annexe. On a vu les conseils en propriété industrielle, les agents immobiliers pour l'instant épargnés. On a craint pour les notaires. On voit poindre les experts-comptables et les juristes d'entreprise. Les généalogistes ne sont pas loin de l'oeil du cyclone. Quand on sait que les concierges et les coiffeurs prodiguent quotidiennement d'excellents conseils, on imagine les passerelles à venir et les fusions futures.
Quant à la période transitoire elle est bonne en son principe. C'est même la seule mesure de cette loi qui ait un sens et vise à sauvegarder le fonctionnement des cours d'appel. Permettre aux greffes, magistrats, avocats, avoués, justiciables de s'adapter, de prendre leurs marques, se réorganiser.
Le CNB ne craint nullement une désorientation du justiciable, mais le libre choix des justiciables entre l'avocat de première instance et l'avoué devenu avocat et reconnu comme spécialiste.
En revanche, le leurre c'est la durée : un an prévu dans le projet alors que le rapport "Darrois" préconise la suppression totale de la postulation en 2014, cela n'a aucun sens.
Un an alors que la Chancellerie a compris que la mise à niveau informatique de 80 % des avocats nécessitera au moins dix ans, c'est soit une utopie, soit une volonté de massacrer le second degré de juridiction.
2014 est un objectif ambitieux si l'Etat met en place des moyens énormes, matériels, humains... le veut-il ? Le peut-il ?
Pascal Bugis : Je suis très proche de la perception de Maître Boyer. La fusion absorption est très gratifiante pour celui qui absorbe, jusqu'au jour où il tombe sur plus vorace que lui. En l'espèce, la chaîne alimentaire est dominée par les professions du chiffre. Ces grands prédateurs attendent que le menu fretin du droit ait fini de s'entre-tuer pour sortir du bois. Aujourd'hui, dans certaines grandes entreprises qui font profession d'avocat, regardez qui dirige... Comptables ou juristes? D'accord encore avec Maître Boyer lorsqu'il justifie le peu de perspicacité d'une profession dont l'essence même devrait la pousser à la vigilance et à l'esprit critique. Le mirage de profits immédiats semble constituer le seul horizon perceptible de nos instances ordinales. Loisel aurait certainement dévasté l'amour-propre de notre profession actuelle en assénant quelque chose comme : "Cécité sur crédulité ne vaut..."
Lexbase : Au final, quelles appréciations portez-vous l'un et l'autre, de part vos activités respectives, sur cette fusion de deux professions juridiques clés et sur sa future mise en oeuvre ?
Christian Boyer : Cette fusion est, en réalité, un petit verrou que le pouvoir exécutif fait sauter dans un schéma beaucoup plus vaste, dont les avocats et les magistrats les plus clairvoyants commencent à peine à se rendre compte : la marginalisation, voir l'effacement du pouvoir judiciaire.
Les avoués passeront avant le juge d'instruction, suivant le juge unique ou rapporteur. La loi organise la disparition des ordres d'avocats des TGI au profit d'un ordre par cour, en attendant un ordre national... Viendra le dépôt de dossiers électroniques, aggravant une déjudiciarisation rampante. Les commissions administratives remplacent partout le juge. N'y a-t-il pas là un danger pour la société ? Par ailleurs, et de façon aussi grave pour les valeurs fondatrices de notre pays, on constate que d'une profession à rémunération tarifée, gage d'égalité entre le petit et les puissants, nous allons passer à une justice davantage soumise à la loi du marché... et des marchands. La Justice marchandise... ? Est-il utile d'exposer les dangers d'un tel système ?
Pascal Bugis : Au risque de me répéter, cela dépend des véritables ambitions de nos dirigeants. Soit il s'agit d'une réformette sans véritable autre but que d'afficher une simplification systémique. Les conséquences en seraient très douloureuses pour les avoués, mais pratiquement inexistantes pour les justiciables. Soit cette réforme s'inscrit dans un plan général beaucoup plus radical et elle annonce une remise en question touchant les professions judiciaires dans leur ensemble. Cela ouvrirait évidemment un questionnement essentiel sur la place et le rôle du système judiciaire tel que nous le connaissons.
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Réf. : Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG)
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par Marion Del Sol, Maître de conférences à l'Université de Rennes I et Directrice du Master 2 Droit du travail et de la protection sociale
Le 07 Octobre 2010
Depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 N° Lexbase : L9699DLS), l'Acoss est investie d'une mission d'harmonisation afin que les lois et règlements relatifs aux cotisations et contributions sociales donnent lieu à une application homogène par l'ensemble des Urssaf. A cet effet, l'article L. 243-6-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1828IEG) autorise tout cotisant à solliciter l'arbitrage de l'Acoss lorsqu'il est confronté à des interprétations contradictoires de la part de différentes Urssaf concernant certains de ses établissements placés pourtant dans la même situation.
L'article 75-I-2° de la loi du 12 mai 2009 étend le recours à cette procédure à un cotisant appartenant "à un ensemble de personnes entre lesquelles un lien de dépendance ou de contrôle existe", c'est-à-dire à un groupe au sens du Code de commerce. Une entreprise du groupe peut solliciter l'arbitrage de l'Acoss lorsqu'il apparaît des interprétations contradictoires -à situations identiques- concernant une autre entité appartenant à ce même ensemble. C'est alors la procédure décrite par le décret du 11 avril 2007 (7) (CSS, art. R. 243-43-1 N° Lexbase : L3366HZP) qui doit être mise en oeuvre (8). Elle permet d'aboutir à une position harmonisée. Mais on peut regretter que l'ajout fait à l'article L. 243-6-1 ne permette une harmonisation d'interprétation qu'entre deux entreprises du même groupe et non pour l'ensemble des entités placées dans la même situation. La limite s'explique par le fait que le dispositif d'arbitrage ne peut intervenir -contrairement à la procédure de rescrit (v. infra II)- qu'a posteriori, seulement lorsque les Urssaf ont déjà pris position sur la pratique en cause (par exemple, en matière de frais professionnels)... ce qui peut se faire à des moments très différents en fonction des activités de contrôle de chaque organisme de recouvrement, voire ne pas se faire pour certaines entreprises du groupe.
II - Aménagement du dispositif du rescrit social
Depuis le 1er octobre 2005, les employeurs peuvent solliciter une décision explicite des Urssaf sur leur droit à bénéficier de certains dispositifs d'allègement et d'exonération de cotisations sociales (9). Il s'agit ainsi de sécuriser les relations cotisants/Urssaf, puisque la réponse de l'organisme de recouvrement (décision explicite) (10) lui est opposable pour l'avenir tant que la situation de fait exposée dans la demande ou la législation au regard de laquelle la situation du demandeur a été appréciée n'ont pas été modifiées (CSS, art. L. 243-6-3 N° Lexbase : L1911IEI).
L'article 75-I-3° modifie l'alinéa 9 de l'article L. 243-6-3 afin de tenir compte de la réalité des groupes d'entreprises. Ainsi, "si le demandeur appartient à un ensemble de personnes entre lesquelles un lien de dépendance ou de contrôle existe, au sens des articles L. 233-1 (N° Lexbase : L6304AIC) et L. 233-3 (N° Lexbase : L4050HBM) du Code de commerce, et que sa demande comporte expressément ces précisions, la décision s'applique à toute autre entreprise ou personne morale appartenant à ce même ensemble". Ainsi, une décision obtenue consécutivement à l'interrogation sollicitée par une entreprise du groupe peut produire des effets (opposabilité) dans les relations qu'entretiennent les autres entreprises avec l'organisme de recouvrement dont elles relèvent. Encore importe-t-il que la situation, objet du rescrit, soit caractérisée à l'identique, mais également que la demande initiale ait précisé l'appartenance à un ensemble de sociétés. Une société-mère dont les filiales ont des pratiques sociales alignées peut donc avoir intérêt à inciter une des entreprises à former un rescrit "groupe" afin que le traitement de ces pratiques par la branche recouvrement soit harmonisé, quelle que soit l'implantation géographique de chacune des structures concernées.
La loi du 12 mai 2009 complète le régime juridique du rescrit concernant les groupes en ajoutant une phrase à l'alinéa 10 de l'article L. 243-6-3. Dorénavant, si une entreprise cotisante appartenant à un groupe est affiliée auprès d'un nouvel organisme de recouvrement, elle peut se prévaloir d'une décision explicite prise par l'Urssaf dont elle relevait précédemment sous réserve que ladite décision explicite précise ces liens de dépendance ou de contrôle.
Parmi les préconisations faites par le rapport "Fouquet" (11), était citée la nécessité de parfaire les relations entre cotisants et organismes de recouvrement, notamment en créant une documentation administrative consolidée opposable qui serait consultable sur internet. Dans le même ordre d'idées, était également suggérée la publication des réponses aux rescrits quand leur anonymisation est possible. L'article 75-I-3° entrouvre la porte à cette démarche de publication qui ne deviendra réalité que lorsqu'un décret viendra -conformément au dernier alinéa de l'article L. 246-3 modifié- définir "les conditions dans lesquelles les décisions rendues par les organismes de recouvrement font l'objet d'une publicité". La lecture du texte laisse à penser que devra être organisée la publicité systématique et exhaustive des décisions de rescrit et non d'une simple sélection.
III - Clarification de la procédure de répression des abus de droit
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 (loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 N° Lexbase : L5482H3G) avait institué une procédure de répression des abus de droit ouvrant la possibilité pour les Urssaf de rendre inopposables les actes "litigieux" à leur égard et de procéder à leur requalification en restituant son véritable caractère à l'opération litigieuse.
Cette procédure est inspirée très largement de celle applicable de longue date en matière fiscale (12). Cependant, les dispositions adoptées à l'époque étant lacunaires et imprécises (13), le rapport "Fouquet" avait préconisé de refondre cette procédure "afin de reprendre la notion de fraude à la loi consacrée par la jurisprudence communautaire et de l'harmoniser avec la sphère sociale".
La définition de l'abus de droit de l'article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1943IEP) est enrichie par la loi du 12 mai 2009. Jusqu'à présent, l'alinéa 1er ne renvoyait qu'aux seuls actes ayant pour objet d'éviter le paiement de cotisations ou contributions sociales. Aujourd'hui, il précise que lesdits actes constitutifs d'un abus de droit peuvent présenter un caractère fictif ; ou bien ils correspondent, par la recherche "d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs" à des actes inspirés "par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les contributions et cotisations sociales d'origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles". L'abus de droit renvoie à des hypothèses de fraudes ou de manoeuvres en vue d'éluder ou de minimiser le paiement de charges sociales où il s'agira, le plus souvent, de masquer la situation réelle par un acte juridique apparemment régulier mais non sincère. La distinction avec une démarche d'optimisation sociale, qui consiste à choisir un cadre juridique plutôt qu'un autre, devra donc être faite ; ce ne sera, sans doute, pas chose aisée.
A noter que la procédure de répression de l'abus de droit ne peut être mise en oeuvre pour des actes pour lesquels le cotisant a recouru à l'arbitrage de l'Acoss (CSS, art. L. 243-6-1) ou a sollicité un rescrit dès lors qu'il n'a pas obtenu de réponse dans les délais impartis aux organismes sollicités pour se prononcer (14).
Lorsque l'Urssaf a notifié des rectifications au cotisant sur le fondement de l'abus de droit, une contestation peut intervenir devant le comité des abus de droit (15). Le plus souvent, c'est le cotisant qui saisira ce comité ; la loi ouvre, toutefois, aux Urssaf le droit d'en faire autant sous réserve d'y être autorisée par l'Acoss (16). Cette précision a été apportée par la loi du 12 mai 2009.
En ce qui concerne la phase postérieure à l'avis du comité, on savait déjà que, si les organismes de recouvrement ne se conforment pas à cet avis, il leur appartient d'apporter la preuve du bien-fondé de la rectification appliquée au cotisant. La loi du 12 mai 2009 ajoute qu'en cas d'avis du comité favorable aux Urssaf, "la charge de la preuve devant le juge revient au cotisant".
La loi du 12 mai 2009 est, également, l'occasion pour le législateur de préciser le montant de la pénalité qui sera appliqué en cas d'abus de droit. Elle correspond à 20 % des cotisations et contributions dues.
IV - Portée renforcée des décisions prises par les Urssaf
La sécurité juridique des relations cotisant/Urssaf peut être affectée par l'indépendance juridique des organismes de recouvrement les uns par rapport aux autres. En effet, il a été jugé que les Urssaf constituant autant de personnes morales distinctes, la décision prise par l'une n'engage pas, en principe, les autres (17). Le nouvel alinéa 9 de l'article L. 243-6-3 apporte un premier tempérament à cette autonomie en matière de rescrit social à l'intérieur des groupes de sociétés (voir II). L'article L. 243-6-4 (N° Lexbase : L1907IED) en apporte un second d'application plus générale : "dans le cas d'un changement d'organisme de recouvrement lié à un changement d'implantation géographique de l'entreprise ou de l'un de ses établissements, ou à la demande de l'organisme de recouvrement, un cotisant peut se prévaloir, auprès du nouvel organisme, des décisions explicites rendues par le précédent organisme dont il relevait, dès lors qu'il établit que sa situation de fait ou de droit est identique à celle prise en compte par le précédent organisme". Par conséquent, en cas de changement d'Urssaf, le cotisant peut opposer à son nouvel "interlocuteur social" les décisions explicites rendues à son égard par l'ancien (à situation inchangée) ; ici, peu importe l'origine de la décision explicite qui peut faire suite à une procédure de rescrit ou être consécutive à une opération de contrôle.
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