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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
(Fleurer le plan de travail...)
Chacun sait que le calcul des impôts locaux s'effectue à partir de la valeur locative cadastrale du bien immobilier (propriété bâtie ou non bâtie) dont le contribuable est propriétaire ou simplement occupant. Et, parce que tous les immeubles ne font pas l'objet d'une exploitation ou d'une location, cette valeur locative cadastrale correspond à un loyer théorique annuel tiré du bien en question, comme s'il avait été loué dans des conditions normales.
(Abaisser la pâte feuilletée... et la piquer rapidement à la fourchette)
Le problème, c'est que la dernière évaluation générale des immeubles imposables a eu lieu en 1960 pour les propriétés non bâties, et en 1970 pour les propriétés bâties. Il s'est agi, alors, d'établir, par commune, rien de moins qu'un zonage géographique des communes en zones locatives homogènes, ainsi que les valeurs de référence ou de comparaison dans chaque zone locative, pour chaque type et catégorie de biens (non bâti cultivé, non cultivé, à bâtir ; bâti d'habitation, commercial ou industriel). L'opération fut lourde et la révision générale qui devait avoir lieu tous les six ans s'est avérée unique !
On peut, alors, aisément imaginer que, depuis l'ère pompidolienne, le paysage français a fortement évolué : les zones rurales d'hier sont devenues des villes nouvelles d'aujourd'hui ; le visage des quartiers de chaque ville a profondément été marqué par le développement des habitations à loyers modérés, par la multiplication des dessertes de transports, ou encore par le développement des normes et cadres environnementaux pour le bâti comme pour le non-bâti... autant de facteurs emportant de lourdes conséquences sur l'évaluation de la valeur locative des biens imposables.
(Réaliser une crème pâtissière vanillée et disposer la première plaque sur le plan de travail)
Aussi, pour palier cette absence de révision générale, les valeurs locatives des propriétés sont sensées être actualisées tous les trois ans, au moyen de coefficients correspondants à l'évolution de ces valeurs entre 1970 et celles retenues pour l'actualisation. Ces coefficients sont fixés pour les propriétés non bâties, par région agricole ou forestière départementale et par groupe ou sous-groupe de natures de culture ou de propriété. Ils sont, également, fixés pour les propriétés bâties, par secteur géographique et par nature ou catégorie de biens. La valeur locative de l'ensemble des locaux à usage d'habitation ou professionnel peut être actualisée au moyen d'un coefficient unique par département. Or, seule l'actualisation triennale de 1980, avec le 1er janvier 1978 pour date de référence, a été effectuée. Les actualisations ultérieures ont été remplacées par des revalorisations annuelles forfaitaires. Ainsi, les valeurs locatives foncières sont majorées par application de coefficients forfaitaires fixés par les lois de finances, pour tenir compte de la variation des loyers.
(Etaler la crème pâtissière régulièrement à l'aide d'une spatule métallique courbée. Positionner sur le dessus une seconde plaque de pâte feuilletée. Presser avec la main afin de bien faire adhérer)
Dès lors, on voit bien que certaines règles revêtent un caractère général et s'appliquent à toutes les catégories de locaux confondues. Mais, l'évaluation des propriétés bâties s'effectue, essentiellement, suivant des règles qui varient en fonction de la nature des immeubles considérés qu'il s'agisse de locaux d'habitation ou à usage professionnel ordinaire, de locaux commerciaux ou assimilés, etc..
Cette valeur locative est déterminée pour chaque propriété ou fraction de propriété normalement destinée à une utilisation distincte. Chaque propriété ou fraction de propriété est appréciée d'après sa consistance, son affectation, sa situation et son état, à la date de l'évaluation. En vertu du principe de l'égalité proportionnelle selon lequel tous les immeubles doivent supporter des charges fiscales équilibrées, les règles de détermination des valeurs locatives visent à dégager le loyer normal que le bien pourrait produire.
(Etaler une seconde couche de crème pâtissière)
Et, s'ajoute, comme pour consolider le Dédale de l'évaluation locative, les méthodes d'appréciation par voie de comparaison ou d'appréciation directe, lorsque cette évaluation de la valeur locative théorique est contestée par le contribuable. Le contentieux prolifique en la matière montre, justement, l'étendue du problème et l'incompréhension de nombreux contribuables rebelles devant le fait que leur bien soit taxé sur la base d'une valeur souvent déconnectée de la réalité et, plus singulièrement, déconnectée du jeu réel de l'offre et de la demande.
(Enfin, disposer la dernière abaisse de pâte cuite)
Ainsi, c'est au Conseil d'Etat qu'il échoit d'apporter des précisions concernant les règles gouvernant le choix de la méthode d'évaluation à utiliser pour le calcul de la valeur locative cadastrale d'un bien ; ce fut le cas, dernièrement, dans deux arrêts rendus le 5 juin 2009, sur lesquels revient, cette semaine, Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes. A titre technique et informatif, les juges décident qu'en vertu des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI, la valeur vénale des immeubles évalués par voie d'appréciation directe doit d'abord être déterminée en utilisant les données figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété de l'immeuble, si ces données, qui peuvent résulter notamment d'actes de cession, de déclarations de succession, d'apports en société ou, s'agissant d'immeubles qui n'étaient pas construits en 1970, de leur valeur lors de leur première inscription au bilan, ont une date la plus proche possible de la date de référence du 1er janvier 1970. Si ces données ne peuvent être regardées comme pertinentes du fait qu'elles présenteraient une trop grande antériorité ou postériorité par rapport à cette date, il incombe à l'administration fiscale de proposer des évaluations fondées sur les deux autres méthodes comparatives prévues à l'article 324 AC de l'annexe III au CGI, en retenant des transactions qui peuvent être postérieures ou antérieures aux actes ou au bilan mentionnés ci-dessus dès lors qu'elles ont été conclues à une date plus proche du 1er janvier 1970. Ce n'est que si l'administration n'est pas à même de proposer des éléments de calcul fondés sur l'une ou l'autre de ces méthodes et si le contribuable n'est pas davantage en mesure de fournir ces éléments de comparaison qu'il y a lieu de retenir, pour le calcul de la valeur locative, les données figurant dans les actes constituant l'origine de la propriété du bien ou, le cas échéant, dans son bilan. CQFD !
(Un mille-feuille se compose toujours de trois épaisseurs de pâte feuilletée !)
Pierre par pierre s'édifie l'imbroglio relatif à la fixation de la valeur locative imposable des biens immobiliers. Et, la jurisprudence chargée de démêler le fil d'Ariane, alimente finalement sans cesse le tonneau des Danaïdes, en attendant l'Arlésienne, c'est-à-dire la nécessaire révision générale des valeurs locatives cadastrales dont tout le monde parle et que personne ne voit jamais ! L'image n'est pas d'Epinal, si l'on se souvient que l'article 47 de la loi n° 90-669 du 30 juillet 1990 disposait du principe de cette révision générale, laissant le soin, à une seconde loi, de fixer la date d'application de cette révision. Or, cette seconde loi n'est jamais intervenue.
(Disposer le mille-feuille sur une grille)
La nouvelle d'Alfonse Daudet, tirée des Lettres de mon moulin, en 1869, aura tôt fait d'inspirer les commentateurs avertis, tant le nombre d'amendements déposés depuis près de vingt ans, aux fins d'organiser cette révision donne la nette impression que si tout le monde la juge nécessaire, beaucoup ne la souhaitent pas véritablement. Mais enfin pour quelles raisons, outre la lourdeur d'une telle opération ?
(Remplir un cornet à décor avec le fondant coloré et tracer des lignes parallèles)
Sans doute parce que les premières intéressées, c'est-à-dire les collectivités locales, pourraient voir d'un mauvais oeil une manne financière d'importance leur échapper du fait de l'application directe d'une nouvelle révision réalisée sur la base d'une appréciation in concreto. Car, l'on sait bien que nombre de locaux commerciaux sont surévalués et que l'on ne prend pas suffisamment en compte la volatilité de la valeur du fonds de commerce, ou encore qu'il existe une différence de valeur toute théorique entre une résidence principale et une résidence secondaire. Si l'on ajoute que le système de péréquation entre collectivités locales ou territoriales ne permet pas une harmonisation efficace sur le territoire national, -péréquation qui pourrait compenser cette perte de revenus attendue par certaines collectivités-, et que la décentralisation accélérée semble engendrer de nombreux déçus qui attendent toujours le redéploiement financier y afférent, on comprend, dès lors, qu'une révision générale, "soeur Anne" de gros chambardements dans la perception et la redistribution des impôts locaux, ne fasse pas l'unanimité...
(Parer les côtés du mille-feuille... avec un couteau scie pour le rendre présentable)
Le dernier amendement en la matière fut déposé à l'occasion du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2009. Adopté en commission des finances contre l'avis du Gouvernement, cet amendement a finalement été retiré à la demande pressante d'Eric Woerth, ministre du Budget, l'estimant prématuré (sic), alors que le rapport du comité "Balladur" aborde précisément cette question.
(Réserver au frais jusqu'au moment de le servir)
Bon appétit ou bonne lecture, c'est selon !
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 5 juin 2009, n° 300630, Société Hotel Grill Bureau de Salon de Provence, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A7218EHS) et n° 304534, Société Auto Guadeloupe développement (N° Lexbase : A7221EHW)
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes
Le 07 Octobre 2010
Les deux arrêts prolongent la jurisprudence du 25 novembre 2005 (CE 8° s-s., 25 novembre 2005, n° 263670, Société Groupe Envergure N° Lexbase : A8211DLP) qui confirmait l'arrêt du 30 juillet 2003 (CE 3° et 8° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 236456 SCI de la clinique de Miramas N° Lexbase : A2442C9C) et rappellent que la date de référence pour fixer la valeur locative est celle du 1er janvier 1970. Pour évaluer la valeur locative de locaux commerciaux, en l'absence d'actes ou de données propres au bien figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété d'un l'immeuble, le repli sur les dispositions réglementaires de l'article 324 AC de l'annexe III est naturel, mais le point de savoir ce qu'il convient de faire en présence de données propres au bien mais trop éloignées de la date de référence du 1er janvier 1970, n'avait pas été tranché. Les deux arrêts de 2009 présentent, donc, la méthode à suivre pour la détermination de la valeur locative des locaux commerciaux par voie d'appréciation directe lorsque les données propres au bien ressortant du bilan sont regardées comme trop éloignées de la date de référence du 1er janvier 1970. Ils appliquent, ainsi, l'avis "SCI Paris-Montreuil" du 24 novembre 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 24 novembre 2006, n° 297098, SCI Paris-Montreuil N° Lexbase : A7665DSP) qui précisait, déjà, que la reconstitution de la valeur vénale du terrain d'assiette du local, prévue au second alinéa de l'article 324 AC de l'annexe III, doit également être effectuée sur la base de transactions aussi proches que possible du 1er janvier 1970.
1. L'article 324 AB de l'annexe III, relatif à l'évaluation de la valeur vénale par référence à des éléments propres au local à évaluer, auquel renvoie la première phrase de l'article 324 AC, ne peut être mis en oeuvre que si ces éléments sont suffisamment proches du 1er janvier 1970
En l'absence de révision des valeurs locatives cadastrales depuis 1970, le Conseil d'Etat, dans ses deux arrêts du 5 juin 2009 "Société Hôtel Grill Bureau de Salon de Provence" et "Société Auto Guadeloupe développement", valorise une mise en oeuvre réaliste et fidèle à la lettre des dispositions réglementaires prévues aux articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI.
1.1. L'évaluation par voie d'appréciation directe présente un caractère subsidiaire dont l'importance s'est accrue en l'absence de révision générale des bases cadastrales depuis le 1er janvier 1970
Les arrêts du Conseil d'Etat du 5 juin 2009 précisent les cas où les données figurant dans les actes constituant l'origine de la propriété du bien ou dans le bilan doivent être écartées pour l'évaluation de la valeur locative de locaux commerciaux. C'est l'article 1498 du CGI qui fixe la méthode applicable aux locaux commerciaux. Le 1° de l'article 1498 du CGI prévoit que, pour les biens donnés en location à des conditions de prix normales, la valeur locative retenue est celle qui ressort de la location, donc le plus souvent des stipulations du bail. Le 2° de l'article 1498 du CGI précise que, pour les biens non loués, et pour les biens loués à des conditions de prix anormales, la valeur locative est déterminée par comparaison avec des immeubles de référence choisis dans la commune ou, pour des immeubles présentant un caractère particulier ou exceptionnel en dehors de la commune. Le 3° de l'article 1498, qui est celui dont font application les deux arrêts du Conseil d'Etat "Auto Guadeloupe Développement" et "Hôtel Grill Bureau de Salon-de-Provence" du 5 juin 2009, prévoit que, de manière subsidiaire, lorsque les méthodes des 1°) et 2°) ne s'appliquent pas, la valeur locative est déterminée par voie d'appréciation directe. La méthode d'évaluation par appréciation directe présente un caractère subsidiaire (CE, 3° et 8° s-s-r., 25 novembre 2005 n° 264323 Société Natiocrédibail N° Lexbase : A8212DLQ).
L'article 1498 du CGI n'organise pas les règles de l'évaluation de la valeur locative ; elles ont été précisées par les dispositions réglementaires des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI. L'article 324 AB de l'annexe III au code dispose que l'évaluation directe de l'immeuble est opérée par application d'un taux d'intérêt constaté au 1er janvier 1970 à sa valeur vénale, telle qu'elle serait constatée à la date de référence si l'immeuble était libre de toute location au 1er janvier 1970. En l'absence d'éléments faisant apparaître une estimation de la valeur vénale au 1er janvier 1970 de l'immeuble à évaluer, l'article 324 AC de l'annexe III au CGI précise que la valeur vénale est appréciée d'après la valeur vénale d'autres immeubles d'une nature comparable ayant fait l'objet de transactions "récentes", et qui sont regardées par la jurisprudence comme des transactions intervenues à des dates proches du 1er janvier 1970 (CE Contentieux, 15 juin 1988, n° 59556, De Croy N° Lexbase : A6729APW).
La mise en oeuvre des deux méthodes prévues par les dispositions de l'article 324 AC de l'annexe III au CGI pouvait apparaître comme une méthode subsidiaire à celle décrite par l'article 324 AB de l'annexe IIII au CGI et ne devoir être mise en oeuvre qu'en l'absence d'acte ou de données propres au bien ressortant du bilan. Ce n'est pas la lecture que fait le Conseil d'Etat qui fait de la date de référence du 1er janvier 1970 l'alpha et l'oméga de l'évaluation et impose lorsque les données propres au bien ou ressortant du bilan sont trop éloignées de la date de référence de rechercher des termes de comparaison plus proche de cette date du 1er janvier 1970. Les deux arrêts du Conseil d'Etat du 5 juin 2009 prolongent, ainsi, l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat à la notion de transactions récentes qu'il regarde comme des transactions intervenues à des dates proches du 1er janvier 1970 (CE, 15 juin 1988, n° 59556, précité).
1.2. Les arrêts en date du 5 juin 2009 précisent les règles de la méthode pour la mise en oeuvre des dispositions réglementaires relatives à l'appréciation directe
Le Conseil d'Etat, dans un avis du 24 novembre 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 24 novembre 2006, n° 297098, SCI Paris-Montreuil, précité) avait eu l'occasion de présenter les règles à appliquer en l'absence d'acte et de toute autre donnée faisant apparaître une estimation de la valeur vénale au 1er janvier 1970. Mais qu'en est-il lorsque l'administration dispose de données figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété de l'immeuble ou ressortant du bilan mais à une date éloignée du 1er janvier 1970 ? L'interprétation des dispositions réglementaires devait être précisée. En effet, les dispositions réglementaires font référence à une notion de date la plus proche possible de la date de référence du 1er janvier 1970 et la lettre des dispositions réglementaires de l'article 324 AC semble n'inviter à sa mise en oeuvre qu'en l'absence d'acte et de toute donnée récente. Le Conseil d'Etat éclaircit l'interprétation des textes en demeurant fidèle à l'idée que l'évaluation doit s'effectuer en s'appuyant sur des termes le plus proche possible de la dernière révision des valeurs locatives cadastrales.
Dans un considérant de principe, repris par les deux arrêts de juin 2009, le Conseil d'Etat énonce les règles de la méthode : la valeur vénale des immeubles évalués par voie d'appréciation directe doit d'abord être déterminée en utilisant les données figurant dans les différents actes constituant l'origine de la propriété de l'immeuble si ces données ont une date la pus proche possible du 1er janvier 1970. Mais, si ces données, alors même qu'elles existent, présentent une trop grande antériorité ou postérité par rapport au 1er janvier 1970, l'administration a l'obligation de proposer des évaluations fondées sur les deux autres méthodes comparatives prévues à l'article 324 AC de l'annexe III en retenant des transactions conclues au plus près du 1er janvier 1970. Ce n'est que si l'administration n'est pas à même de proposer des éléments de calcul fondés sur l'une ou l'autre de ces méthodes et si le contribuable n'est pas davantage en mesure de fournir des éléments de comparaison qu'il y a lieu de retenir, pour le calcul de la valeur locative, les données figurant dans les actes constituant l'origine de la propriété du bien ou, le cas échéant, dans son bilan.
2. La lettre des dispositions réglementaires et la référence du CGI au 1er janvier 1970 sont l'alpha et l'oméga de la mise en oeuvre des dispositions des articles 324 AB et AC de l'annexe III
Les arrêts du 5 juin 2009 rappellent que le Conseil d'Etat a le souci d'éviter tout arbitraire dans la détermination de la valeur locative des locaux commerciaux et qu'il n'est pas comptable des difficultés de mise en oeuvre des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI.
2.1. Les arrêts du Conseil d'Etat de juin 2009 confirment que le juge n'est pas comptable des difficultés d'application de l'article 1498 du CGI en l'absence de révision des valeurs locatives cadastrales
Madame Monique Liebert-Champagne, dans une fameuse chronique parue en 1987 (RJF, 1987, page 75 et s.), rappelait que la méthode définie aux articles 324 AB et 324 AC du CGI avait pu poser des problèmes d'application dans le cas, notamment, de constructions exceptionnelles. Elle soulignait les ambiguïtés de la mise en oeuvre de ces règlements qui conduisaient à rapprocher la méthode d'appréciation directe, dans le cas où le coût de reconstruction ne peut être pris en compte, de la méthode par comparaison. Les arrêts du 5 juin 2009 ne lèvent pas l'ambiguïté puisqu'ils consacrent les deux méthodes comparatives de l'article 324 AC de l'annexe III au CGI dans le cadre d'une évaluation par appréciation directe du 3° de l'article 1498 du CGI. L'avis du 24 novembre 2006 "SCI Paris-Montreuil" précisait que l'administration pouvait se référer à des transactions portant sur des immeubles comparables et dont la date est la plus proche possible du 1er janvier 1970. Les deux arrêts du 5 juin 2009 font de la mise en oeuvre des méthodes comparatives une obligation et soulignent qu'il incombe à l'administration de rechercher si des transactions sur des biens comparables sont intervenues à une date plus proche de la date de référence du 1er janvier 1970 lorsque les données figurant dans les actes ou données figurant au bilan ne sont pas pertinentes.
Le Conseil d'Etat, dans les deux arrêts du 5 juin 2009, retient, ainsi, une interprétation stricte des dispositions réglementaires des articles 324 AB et 324 AC précisant les modalités d'application de l'article 1498 du CGI et qui se réfèrent à des termes le plus proche possible de la date de référence soit le 1er janvier 1970. C'est au nom de la fidélité à la lettre des dispositions réglementaires des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI et sur le fondement d'une approche réaliste que les solutions des deux arrêts du 5 juin 2009 sont retenues par la Haute juridiction ; il y va de la cohérence d'ensemble de l'interprétation donnée par le juge aux dispositions qui organisent les modalités de l'appréciation directe des valeurs locatives. L'interprétation littérale du texte oblige l'administration à rechercher des transactions intervenues à une date proche de 1970 et permet le respect du principe d'égalité proportionnelle entre contribuables qui sous-tend l'ensemble des règles de détermination des valeurs locatives cadastrales.
2.2. Il appartient au pouvoir réglementaire, s'il l'estime nécessaire, de modifier les dispositions des articles 324 AB et 324 AC de l'annexe III au CGI
Le Conseil d'Etat poursuit, donc, avec les deux arrêts de juin 2009, son effort pour concilier les impératifs contradictoires qu'il avait mis en évidence dans son avis du 24 novembre 2006 en jugeant que les dispositions de l'article 324 AC de l'annexe III au CGI "n'excluent [...] pas qu'en l'absence d'acte ou de toute autre donnée récente faisant apparaître une estimation de l'immeuble à évaluer susceptible d'être retenue, l'administration se réfère à des transactions portant sur des immeubles de nature comparable et dont la date est la plus proche possible du 1er janvier 1970". Ce respect de la date de référence ne va pas sans difficultés dans la mesure où il est souvent délicat de trouver des transactions pertinentes et alors même qu'il est tenant de s'en tenir aux données propres au bien même si elles sont éloignées de la date de référence. Mais, ces désagréments sont nés de l'absence de révision des valeurs locatives et le juge n'est pas comptable.
Certes les textes vieillissent, mais c'est tout d'abord l'absence de révision générale qui complique leur mise en oeuvre. Il appartient au pouvoir réglementaire de lever l'obstacle de la lettre des dispositions réglementaires en modifiant la règle. L'article 1498 du CGI ne dit rien, en effet, sur les modalités d'application de l'évaluation par appréciation directe ; il suffirait en conséquence de modifier les règlements d'application. Reste que, dans tous les cas, l'obligation qui pèse sur l'administration est une obligation de moyen, la règle d'interprétation des articles 324 AB et 324 AC du CGI posée par le Conseil d'Etat, dans les deux arrêts du 5 juin 2009, n'ayant de sens que dans la perspective de préserver la méthode d'appréciation directe et la cohérence d'ensemble d'un dispositif.
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Le 07 Octobre 2010
I - La hiérarchie des moyens, un principe directeur consacré par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation
Les juges ne peuvent examiner un moyen présenté à titre subsidiaire qu'après avoir rejeté le moyen présenté à titre principal (Ass. plén., 29 mai 2009, n° 07-20.913, Société Nicolas Gaultier et Catherine Kistner-Gaultier c/ Société Allen Systems Group France, P+B+R+I N° Lexbase : A3448EH8)
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de consacrer un important principe de procédure civile qui existait déjà de façon latente, mais parfois controversé dans le système juridique français : le principe de hiérarchie des moyens. Après le principe de concentration des moyens (1), et celui de l'estoppel (2), la Cour de cassation poursuit, avec l'arrêt du 29 mai 2009, un mouvement de consécration de ce que l'on pourrait appeler "les nouveaux principes directeurs de la procédure civile". Il s'agit là d'un mouvement d'ampleur, qui ne bouleverse pas en profondeur les équilibres de la procédure civile, mais place la Cour de cassation au premier plan pour faire évoluer l'architecture de cette matière.
L'arrêt du 29 mai 2009 laisse entrevoir, de prime abord, un double problème de prescription et d'aveu judiciaire. A l'occasion d'un procès, l'une des parties ayant subi une défaite au fond avait été condamnée par une cour d'appel aux dépens. Ces dépens contenaient les honoraires de l'avoué de l'adversaire. Pourtant, la partie condamnée n'avait pas honoré sa dette envers l'avoué et ce dernier se retourna contre son propre client (la société Allen) pour obtenir le règlement de ses honoraires fixés à 110 777,15 euros. Pour éviter de payer cette somme importante, la société Allen invoqua deux moyens, l'un à titre principal et l'autre à titre subsidiaire.
A titre principal, le client de l'avoué invoqua le moyen tiré de la courte prescription des dettes de l'ancien article 2273 du Code civil (N° Lexbase : L2560ABG) (3). Cet article, applicable au moment des faits, prévoyait que l'action des avoués pour le paiement de leurs frais et salaires se prescrivait par deux ans. Dans les faits, l'action de l'avoué était effectivement prescrite. A titre subsidiaire, la société Allen contestait la justification de la somme réclamée. Elle considérait ainsi que cette somme devait être payée par son adversaire condamné aux dépens et, de surcroît, que la somme demandée par l'avoué n'était pas justifiée au regard de l'intérêt du litige. Dans ce moyen subsidiaire, la société Allen contestait le principe même de la créance et elle reconnaissait implicitement ne pas avoir payé la somme.
Or tout le problème était là. L'ancien article 2273 du Code civil instituait ce qu'il était convenu d'appeler une "prescription présomptive de paiement". Si l'avoué omettait de réclamer le montant de ses frais et salaires dans les deux ans, on présumait qu'il en avait reçu le paiement. Pour cette raison, l'ancien article 2275 du Code civil (N° Lexbase : L2562ABI) prévoyait que celui auquel la prescription était opposée pouvait déférer le serment à celui qui l'opposait. Le serment pouvait alors anéantir la présomption de paiement et le délai de prescription de droit commun devait alors s'appliquer. La même solution était appliquée en cas d'aveu de non-paiement par le débiteur (4).
En l'espèce, la société Allen avait formulé un aveu implicite de non-paiement des sommes réclamées par l'avoué dans la mesure où elle contestait, non seulement être débitrice de ces sommes, mais encore leur montant disproportionné au regard de l'intérêt du litige. On déduisait aisément de cette argumentation que la société reconnaissait ne pas avoir payé les sommes (5).
On se trouvait donc face à une contradiction. En principe, les juges du fond devaient statuer sur la prescription (fin de non-recevoir) avant d'examiner le fond du litige (existence de la créance, identification du débiteur, montant, paiement). En statuant d'abord sur la fin de non-recevoir, elle devait faire application de l'article 2273 et constater que la prescription biennale était acquise. L'action étant irrecevable, la juridiction ne pouvait examiner la question du paiement. Toutefois, les juges pouvaient aussi constater que l'aveu du débiteur était dans le litige puisque la société Allen contestait la créance au fond (6). Les juges pouvaient déduire de cette contestation un aveu et faire application de l'article 2275 qui excluait la prescription biennale. La situation paraissait inextricable.
L'issue du litige nécessitait d'opérer un choix entre deux options, entre deux principes : celui de la hiérarchie des moyens et celui de la globalisation des moyens (7).
Dans le premier arrêt rendu dans cette affaire par la deuxième chambre civile le 21 décembre 2006 (8), la Cour de cassation avait d'abord affirmé que "la courte prescription de l'article 2273 du Code civil, reposant sur une présomption de paiement, doit être écartée lorsqu'il résulte de l'aveu du débiteur qu'il n'a pas acquitté sa dette". La deuxième chambre civile avait ensuite opté, sans le dire, pour la globalisation des moyens en considérant que la contestation à titre subsidiaire de la créance entraînait "par là même" la reconnaissance de l'absence de paiement.
On comprend, ici, que le principe de globalisation des moyens consiste, pour le juge, à appréhender dans un même temps l'ensemble des moyens invoqués par les parties à titre principal et à titre subsidiaire. Telle fut d'ailleurs la position prise devant l'Assemblée plénière par l'avocat général. Pour le Haut magistrat, dans cette affaire, "le subsidiaire apparaît indissolublement lié au principal puisqu'il en constitue l'élément d'appréciation nécessaire et qu'il est la condition même de son application". Selon ce raisonnement, la reconnaissance du paiement ne pouvait être appréhendée de façon distincte, car ce moyen était indissociable de celui fondé sur la prescription. Effectivement, le délai de prescription (de deux ans ou de droit commun) dépendait de l'aveu ou du silence du prétendu débiteur. L'avocat général prétendait ainsi qu'en présence de deux moyens "indissolubles", le principe de hiérarchie des moyens ne pouvait trouver à s'appliquer. L'argument n'était pas seulement convaincant techniquement. La solution paraissait, également, équitable. Comment admettre, en effet, qu'un débiteur ayant présenté dans ses conclusions un aveu implicite, bénéficie dans le même temps d'une prescription qui résultait, en réalité, d'une simple présomption contredite par l'aveu (9) ?
Telle ne fut pas, pourtant, la position prise par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. Dans un motif qui n'est pas dénué de complexité, la Cour de cassation affirme que "ne peuvent constituer un aveu des conclusions par lesquelles, après avoir invoqué la prescription, une partie conteste, à titre subsidiaire, l'existence ou le montant d'une créance ; que le premier président ayant relevé que la contestation du montant des dépens n'était présentée qu'à titre subsidiaire, le moyen n'est pas fondé".
La complexité du motif provient du fait que l'on y trouve deux éléments distincts. La première règle énoncée par la Cour de cassation concerne la portée des conclusions présentées à titre subsidiaire. Les juges affirment ainsi que ces conclusions "ne peuvent constituer un aveu". La solution n'est pas nouvelle. Elle a déjà été retenue par la Chambre des requêtes (10), plus récemment par la deuxième chambre civile (11) ou par la Chambre commerciale, qui a considéré que l'aveu présenté dans des conclusions subsidiaires avait un caractère équivoque (12). La subsidiarité du moyen rendrait donc l'aveu équivoque et lui ferait perdre toute portée juridique. L'Assemblée plénière semble faire sienne cette argumentation (13).
Mais en filigrane, la décision de la Haute juridiction contient le principe qui fonde la solution : celui de la hiérarchie des moyens. Le principe n'est pas énoncé dans l'arrêt, mais on en trouve une première expression dans les conclusions en défense déposées devant la Cour de cassation : "le subsidiaire, subordonné à l'échec du principal, n'est toujours mis en oeuvre qu'à titre conditionnel". La formule reprend celle d'un auteur cité par le rapporteur ; "un subsidiaire n'est destiné à prendre le relais de la demande principale que si celle-ci est rejetée" (14). La solution semble inspirée par le bon sens, mais elle dépend, en réalité, d'une certaine philosophie du procès : celle contenue dans le principe dispositif. En recul, depuis que le Code de procédure civile a consacré l'avancée de la coopération entre les parties, le principe dispositif laisse ici une empreinte visible. Le juge ne peut examiner le subsidiaire en même temps que le principal, car les parties sont maîtres de l'ordre dans lequel elles présentent leurs prétentions et moyens. Le conseiller rapporteur parle ainsi, à juste titre, d'une stratégie des parties que le juge se doit de respecter (15). Une stratégie de défense se construit comme un combat. Si l'adversaire échoue sur la première ligne, les soldats des lignes-arrières ne seront pas impliqués dans la bataille.
Si elle est inspirée par le principe dispositif, la hiérarchie des moyens emporte des conséquences importantes. Notamment, le juge ne pourra puiser dans un moyen subsidiaire des éléments qui permettraient de statuer sur le moyen présenté à titre principal. L'aveu contenu dans un moyen subsidiaire est peut-être équivoque, mais avant toutes choses, le juge ne peut tirer aucune conséquence de cet aveu pour statuer sur la fin de non-recevoir présentée à titre principal.
La règle peut être contestée. Elle l'a été puisque l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile a finalement été contredit par la décision de l'Assemblée plénière, mais la solution a le mérite de la clarté. Plus qu'une hiérarchie, c'est une véritable scission des moyens que la Cour de cassation vient de consacrer.
II - Nullités : vice de fond et vice de forme, une distinction toujours problématique
La désignation du défendeur par l'enseigne sous laquelle il exerce son activité constitue un vice de forme susceptible d'être régularisé (Cass. civ. 2, 14 mai 2009, n° 08-10.292, FS-P+B N° Lexbase : A9731EGI)
La distinction entre nullités pour vice de forme et pour vice de fond n'en finit pas de susciter des difficultés d'interprétation. Le régime procédural favorable des nullités de fond conduit souvent les plaideurs à préférer cette qualification. On a pu croire un moment, avec l'arrêt rendu en Chambre mixte du 7 juillet 2006 (16), que les choses étaient éclaircies. Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait tranché en faveur du caractère limitatif de la liste des vices de fond de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q). En d'autres termes, une nullité pour vice de fond ne peut être retenue que dans les hypothèses de défaut de capacité ou de pouvoir. Mais les problèmes ont ressurgi assez rapidement dès lors qu'il s'est agit de qualifier l'irrégularité.
Dans l'arrêt commenté du 14 mai 2009, un demandeur en justice avait assigné son adversaire sous l'appellation "Garage Michel Y" comme s'il s'agissait d'une personne morale. Pourtant, ce "garage" n'existait pas en tant que personne morale et seul le garagiste, Michel Y, était inscrit au registre du commerce et des sociétés. Le garagiste était intervenu en cours d'instance et le juge de première instance considérait que l'assignation désignant une personne morale inexistante était ainsi régularisée.
Pourtant, la cour d'appel avait réformé l'ordonnance en considérant que "l'inexistence d'une personne morale assignée en justice puis demanderesse en garantie ne peut être couverte par une intervention en cours d'instance". La solution n'était d'ailleurs pas nouvelle. Elle avait été consacrée dans d'autres arrêts de la Chambre commerciale (17). Pour la cour d'appel, le défaut de personnalité morale étant conçu comme une nullité de fond (18), la simple intervention d'une personne physique au cours de l'instance n'était pas susceptible de régularisation.
Dans un nouveau revirement de situation, l'arrêt d'appel est cassé par la deuxième chambre civile au motif que "la désignation du défendeur par l'enseigne sous laquelle il exerce son activité constituait un vice de forme susceptible d'être régularisé". En d'autres termes, le demandeur n'avait pas assigné une personne morale inexistante et dépourvue de capacité, mais une personne physique sous un nom erroné. L'irrégularité de fond se transformait alors en irrégularité de forme susceptible d'être régularisée par un simple changement de désignation.
La solution doit être approuvée, car la sanction de la nullité de fond et de l'impossibilité de régularisation serait disproportionnée au regard du vice constaté. La position adoptée par la deuxième chambre civile constitue, à ce titre, le prolongement d'une jurisprudence bien établie (19).
III - Fin de non-recevoir : reconnaissance de la clause de conciliation, une construction jurisprudentielle aboutie
Lorsqu'une clause de médiation a été stipulée, la saisine d'une juridiction ne peut intervenir qu'en cas d'échec ou de refus de la médiation et une partie au contrat ne peut, par avance, refuser une procédure de médiation qui n'a pas encore été mise en oeuvre (Cass. civ. 1, 8 avril 2009, n° 08-10.866, F-P+B N° Lexbase : A4982EGM)
Depuis l'arrêt rendu en Chambre mixte du 14 février 2003 (20), la Cour de cassation a construit un véritable mécanisme qui repose sur deux instruments juridiques, les fins de non-recevoir et le contrat, pour dynamiser les modes alternatifs de règlement des litiges que sont la médiation et la conciliation. Cette politique volontariste de la Haute juridiction vient de s'achever avec l'arrêt du 8 avril 2009. Il paraît intéressant d'en retracer les trois grandes étapes.
Dans son arrêt du 14 février 2003, la Cour de cassation avait formulé le principe selon lequel "licite, la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en oeuvre suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent". L'apport de cet arrêt était triple. La Cour admettait, d'abord, que l'action en justice soit maitrisée par les parties au moyen d'un contrat. Elle affirmait, ensuite, qu'une clause de conciliation constitue une fin de non-recevoir dans la mesure où l'une des parties aurait refusé de se soumettre à ce préalable imposé par le contrat. Elle ajoutait, enfin, que la procédure de conciliation prévue dans le contrat suspendait la prescription de l'action (21). Cet arrêt fondateur rendu en Chambre mixte constituait, à cet égard, un important revirement de jurisprudence (22).
La première chambre civile avait poursuivi cette construction jurisprudentielle dans un arrêt du 30 octobre 2007 (23). La Cour de cassation avait, ainsi, reconnu la validité et la portée d'une clause prévoyant une procédure de conciliation. Une telle procédure instituée dans un contrat s'imposait également aux parties qui étaient tenues par une double obligation : la tentative de conciliation et le respect de la procédure de conciliation.
Enfin, dans l'arrêt commenté du 8 avril 2009, la Cour de cassation étend sa jurisprudence aux clauses de médiation. Elle considère ainsi que l'une des parties à un contrat dans lequel est stipulée une clause de médiation ne peut saisir la juridiction qu'en cas d'échec ou de refus de la conciliation. Dans le cas contraire, la partie qui saisit directement la juridiction voit son action opposée à une fin de non-recevoir. Tel est le cas d'une partie qui refuserait par avance de se soumettre à une procédure de médiation.
Cet arrêt constitue l'aboutissement de l'oeuvre jurisprudentielle débutée en 2003 car elle applique à la médiation les principes dégagés pour la conciliation. On sait que les procédures de médiation et de conciliation sont très proches. Elles tendent toutes les deux à provoquer l'accord des parties. Si la conciliation peut être conduite entre les parties ou avec l'aide du juge, la médiation s'en distingue en ce qu'elle fait nécessairement appel à un tiers (24). Même si son apport ne doit pas être exagéré, cet arrêt est tout de même important, car il permet de considérer que les procédures alternatives, dans leur ensemble, peuvent être aménagées par contrat, qu'elles s'imposent aux parties, en raison de la force obligatoire du contrat, mais aussi au juge en raison de la fin de non-recevoir qui y est attachée.
Les clauses de médiation/conciliation peuvent être ainsi comparées aux clauses compromissoires, avec cette nuance que les parties, si elles doivent se soumettre au mode alternatif, sont toujours libres de refuser la transaction. C'est, d'ailleurs, ce que précise à juste titre l'arrêt du 8 avril 2009. En distinguant le refus de la médiation et le refus de la procédure de médiation, la Cour de cassation donne la clé de compréhension du mécanisme. Le refus de la procédure peut consister à ne pas désigner le médiateur ou à ne pas se présenter devant lui. Un tel refus sera sanctionné par une fin de non-recevoir. A l'inverse, le refus de la médiation, consiste à rejeter une proposition formulée par le cocontractant. Ce refus marquera l'échec de la mesure alternative et la recevabilité de l'action en justice.
La Cour de cassation a ainsi achevé une oeuvre utile en conciliant la procédure et le droit des contrats. Loin de l'idée d'une justice privée, ce mouvement jurisprudentiel contribue à l'essor des modes alternatifs de règlement des litiges (25).
Etienne Vergès, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université de Grenoble II
(1) Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, M. Gilbert Cesareo, P+B+R+I (N° Lexbase : A4261DQU), D., 2006, p. 2135, Procédures, n° 10, octobre 2006, comm. 201. Voir aussi, nos obs. in La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II, Lexbase hebdo n° 284 du 6 décembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N3670BDB), point II.
(2) Ass. plén., 27 février 2009, n° 07-19.841, Société Sédéa électronique c/ Société Pace Europe (anciennement dénommée X-Com multimédia communications), P+B+R+I (N° Lexbase : A3925EDQ), et nos obs., in La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II - mars 2009, Lexbase Hebdo n° 344 du 1er avril 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9948BIB), point I.
(3) Ces dispositions ne sont plus en vigueur depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 (N° Lexbase : L9102H3I) qui a réformé la prescription civile. Sur ce sujet, lire nos obs., Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6679BGH).
(4) Le serment et l'aveu n'étaient d'ailleurs pas les seuls moyens de combattre la présomption puisque la Cour de cassation avait admis qu'une reconnaissance de dette anéantissait cette présomption : Cass. civ. 1, 15 janvier 1991, n° 88-15.286, Epoux Gruner c/ Garage 2000 (N° Lexbase : A3650AHN), Bull. civ. I, n° 17 ; note E. du Rusquec, JCP éd. G, 1992, II, 21863.
(5) Le conseiller-rapporteur devant l'Assemblée plénière l'exprime avec clarté : "Que le défendeur ait avancé dans le débat le fait d'un non-paiement de la dette dont le règlement est poursuivi ne saurait être contesté".
(6) Il s'agissait alors d'un "fait adventice" : faits que le juge peut déduire des pièces qui lui ont été soumises mais que les parties ont omis ou ont volontairement ignoré.
(7) Ces deux principes se dégagent du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions de l'avocat général. Voir le dossier sur le site de la Cour de cassation.
(8) Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 05-20.613, Société civile professionnelle (SCP) Gaultier et Kistner-Gaultier, FS-P+B (N° Lexbase : A1040DTP).
(9) D'où l'expression de "prescription présomptive de paiement".
(10) Cass. Req., 29 octobre 1894, S., 1895, I, p. 36.
(11) Cass. civ. 2, 11 février 1998, n° 96-19.106, Mme X c/ M. X (N° Lexbase : A2834ACX), Bull. civ. II, 1998, n° 48.
(12) Cass. com., 26 novembre 2002, n° 97-11.608, Banque Crédit universel c/ M. Jean-Claude Bonnet, F-D (N° Lexbase : A1306A47).
(13) Même si le lien entre subsidiarité et caractère équivoque est loin d'être évident.
(14) R. Perrot, Procédures, 2007, comm. 57, La portée d'un subsidiaire.
(15) "Respecter la volonté des parties, c'est au premier chef, ne point méconnaître la hiérarchie qu'elles ont elles-mêmes établie entre leurs demandes, le juge devant se lier à la volonté du justiciable, maître de sa stratégie, et respecter l'ordre dans lequel il entend que ses prétentions soient examinées", Rapport du conseiller op. cit..
(16) Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, Société Hollandais Kinetics Technology international BV (KTI) et autres, P+B+R+I (N° Lexbase : A4252DQK), Bull. ch. mixte, n° 6.
(17) Par ex. Cass. com., 7 décembre 1993, n° 91-19.339, Société Jules Roy c/ Société Belani et autres (N° Lexbase : A6540ABT), JCP éd. G, 1994, II, 22286.
(18) Voir déjà pour un pourvoi formé par la COB, organisme sans personnalité morale, Cass. com., 26 octobre 1993, n° 91-17.570, Commission des opérations de Bourse c/ M. Mizon, ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la Compagnie diamantaire d'Anvers, et autres, publié (LXB=A7316AXA]), D., 1994, p. 237.
(19) Pour ne citer qu'un arrêt parmi beaucoup d'autres, Cass. civ. 2, 24 mai 2007, n° 06-11.006, Société l'Industrielle du Ponant (IDP), FS-P+B (N° Lexbase : A4884DWS).
(20) Cass. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423, M. Daniel Poiré c/ M. Daniel Tripier, P (N° Lexbase : A1830A7W), Bull. ch. mixte, n° 1.
(21) Cette dernière règle a, depuis, été consacrée à l'article 2238 du Code civil (N° Lexbase : L7223IAR).
(22) Par ex., contra, Cass. civ. 1, 23 janvier 2001, n° 98-18.679, Clinique du Morvan (N° Lexbase : A4046ARB) : "la clause du contrat d'exercice professionnel subordonnant une action judiciaire à une conciliation des parties par l'autorité ordinale, qui ne constitue pas une fin de non-recevoir, n'est pas d'ordre public et ne se trouve assortie d'aucune sanction".
(23) Cass. civ. 1, 30 octobre 2007, n° 06-13.366, M. Albert Scémama, F-P+B (N° Lexbase : A2306DZG).
(24) C. pr. civ., art 127 (N° Lexbase : L1426H4L) et s.. En réalité, cette distinction est surtout vraie s'agissant de la conciliation et de la médiation en cours d'instance. En matière contractuelle, les clauses de conciliation et de médiation peuvent présenter des similitudes importantes.
(25) En ce sens, X. Delpech, Consécration de la clause de médiation, Dalloz 2009, p. 1284.
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Le 07 Octobre 2010
Le service proposé par la société Google via son service Adwords, et plus généralement la pratique des liens commerciaux, viennent de faire l'objet d'une nouvelle décision, rendue par le tribunal de grande instance de Paris dans un jugement du 7 janvier 2009, opposant notamment la société Voyageurs du Monde à la société Google.
Les précédentes jurisprudences (1) en la matière étaient partagées entre, d'une part, sanctionner l'activité de Google via son service publicitaire sur le terrain de la contrefaçon et, d'autre part, la sanctionner sur le terrain de la responsabilité civile.
Il apparaît aujourd'hui, comme le confirme le jugement du 7 janvier 2009, que les juges semblent manifestement se tourner vers une solution qui vise à sanctionner la pratique des liens commerciaux sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) au détriment des dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à la contrefaçon. En outre, les juges tendent, désormais, à condamner les prestataires de liens commerciaux sur le fondement de la publicité mensongère.
1 - L'absence de condamnation sur le fondement de la contrefaçon
A l'image de nombreuses décisions rendues précédemment, le tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 7 janvier 2009, a considéré que la société Google n'était pas contrefacteur lorsqu'elle propose des noms de marque dans sa liste de mots clés via son service Adwords. Cette solution repose sur le raisonnement suivant : lorsque l'annonceur choisit comme mot clé un nom de marque, la société Google n'a aucun moyen de savoir, a priori, si ce dernier est le titulaire de la marque ou, à tout le moins, s'il est investi d'un droit d'utilisation sur la marque en vertu d'un contrat de licence ou de distribution conclu avec le titulaire de la marque.
C'est pourquoi, le tribunal de grande instance de Paris considère qu'"il ne saurait être reproché aux sociétés Google de contrefaçon de marque ; ces actes illicites ne sont constitués que lorsque l'annonceur a choisi l'une de ces dénominations comme mot clef sans avoir l'autorisation du titulaire. En associant comme résultat à une requête à partir du nom commun d'un produit ou un service une marque visant dans leur enregistrement ce produit ou ce service, la société Google ne fait pas un usage illicite de celle-ci car lorsque l'outil suggère le nom d'une marque, Google ne sait pas a priori si l'annonceur va choisir cette marque et dans l'hypothèse d'un choix si son client est autorisé à l'utiliser, par exemple en tant que distributeur de produits authentiques ou licenciés".
La solution retenue par les magistrats semble devoir être approuvée. D'ailleurs, d'autres arguments viennent conforter la solution retenue et plus particulièrement un argument juridique qui s'appuie sur les dispositions du Code de la propriété intellectuelle. En effet, l'article L. 713-2 (N° Lexbase : L3729ADH) dispose que : "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : a) la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : formule, façon, système, imitation, genre, méthode', ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement ; b) la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée".
C'est ainsi que sur ce fondement, le tribunal de grande instance de Paris a considéré, à de nombreuses reprises, que le fait de "proposer un mot-clé à un annonceur ne réalise pas un acte de contrefaçon ; qu'en effet si Google utilise la marque pour référencer et présenter les liens commerciaux de l'annonceur, cet usage du signe ne s'accompagne d'aucune proposition de produits ou services visés à l'enregistrement de la marque opposée mais participe d'une activité de prestataire de services de publicité ; que l'identité de services à ceux désignés dans l'enregistrement exigée par l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle n'est donc pas réalisée" (2).
Les magistrats du TGI de Paris semblent ainsi vouloir mettre en avant le fait que seul l'annonceur peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la contrefaçon. En effet, ces derniers réitèrent, à plusieurs reprises, que "seul l'annonceur qui sait qu'il n'est pas autorisé à utiliser la marque choisie comme mot-clé commet par ce choix un acte de contrefaçon puisque le public concerné à savoir l'internaute qui tape le mot-clé va mettre en relation les produits ou services qu'il propose sur son annonce avec la marque lors de l'affichage des résultats".
Il peut apparaître regrettable que les annonceurs qui ont, en pratique, nécessairement une part de responsabilité, puisque ce sont eux qui, en définitive, choisissent les mots-clés afin de référencer leur site internet, ne soient que très rarement mis en cause par les sites internet qui se prétendent victimes. En effet, on peut penser que, si ces derniers étaient systématiquement poursuivis et sanctionnés pour contrefaçon de marque, nombre d'entre eux seraient désormais découragés de retenir comme mots clés des noms protégés au titre du droit des marques.
Par conséquent, la décision du 7 janvier 2009 du TGI de Paris, qui refuse de sanctionner le moteur de recherche sur le fondement de la contrefaçon, confirme la solution qui tend à retenir la responsabilité des prestataires de liens commerciaux sur le fondement de la responsabilité civile.
2 - La condamnation sur le terrain de la responsabilité civile
Aux termes du jugement du 7 janvier 2009, les magistrats parisiens considèrent que : "Google commet une faute sur le fondement de 1382 du code civil en ne vérifiant pas après le choix par l'annonceur d'un mot-clé constituant une marque ou une dénomination sociale ou un nom de domaine que cette utilisation par l'annonceur est licite tant au regard du droit des marques qu'au regard des règles de loyauté du commerce". Les juges reprochent ainsi au moteur de recherche de ne pas avoir pris de "mesures de précaution" et considèrent qu'"il appartient à Google de mettre en place tous les moyens techniques possibles et disponibles" afin de permettre un filtrage efficace des requêtes donnant l'affichage de liens commerciaux illicites. Ces reproches ont déjà été formulés précédemment en jurisprudence, il reste cependant à déterminer, techniquement, quels procédés pourraient être mis en place par les prestataires de liens commerciaux. En tout état de cause, Google ne semble pas encore y être parvenu et son système de "TM Monitor liste" n'apparaît pas suffisant pour protéger les droits des titulaires de marque.
En outre, contrairement aux nombreuses affaires où son service Adwords a été mis en cause, la société Google ne semble pas, en l'espèce, avoir invoqué le bénéfice du régime de responsabilité allégée issu de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (loi n° 2004-575, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC, ci-après "LCEN") qui, jusqu'à aujourd'hui, lui a presque systématiquement été refusé (3).
En effet, dans les précédentes affaires où elle a été mise en cause, la société Google a tenté de bénéficier de l'application des dispositions de l'article 6-I, alinéa 2, de la "LCEN" en faisant valoir qu'elle n'exerçait qu'une "simple activité de prestataire de stockage d'informations et que l'activité publicitaire proposée aux annonceurs sous le termes Adwords consisterait en une simple prestation de stockage d'informations, de sorte qu'elle ne pourrait générer une responsabilité que dans l'hypothèse où, ayant été saisie par une autorité judiciaire, il n'a pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu". La société Google tentait ainsi de démontrer qu'elle ne jouait qu'un rôle purement passif et neutre dans la mise à disposition de son service Adwords.
Toutefois, dans les précédentes affaires, les juges ont systématiquement rejeté les arguments de la société Google notamment en considérant que cette dernière ne se bornait pas à assurer une prestation de stockage d'informations.
Ils distinguent ainsi nettement le service de moteur de recherche où la société Google joue un rôle purement passif, de son activité de régie publicitaire où cette dernière joue activement un rôle en organisant la rédaction des annonces, en décidant de leur présentation et de leur emplacement, en mettant à disposition des annonceurs des outils informatiques destinés à modifier la rédaction de ces annonces ou la sélection des mots clés et en incitant les annonceurs à augmenter la redevance publicitaire afin d'améliorer la position de leur annonce.
Cette solution a été très largement approuvée en doctrine et réitérée en jurisprudence dès lors que, d'une part, ni les moteurs de recherche, ni les prestataires de services de liens commerciaux, ne sont expressément visés par les dispositions de la "LCEN" et que, d'autre part, l'application du régime allégé de responsabilité issu de ce texte se justifie par le rôle passif joué par les prestataires techniques de l'internet, ce qui n'est manifestement pas le cas du service de régie publicitaire proposée par la société Google via son service Adwords.
Ces arguments systématiquement opposés à la société Google peuvent expliquer l'absence de toute demande formulée sur ce fondement par la société défenderesse.
Mais encore, cette absence n'est peut-être pas sans lien avec les trois arrêts de la Cour de cassation du 20 mai 2008 (4) ayant donné lieu à un renvoi en interprétation devant la Cour de justice des Communautés européennes des textes communautaires dont sont notamment issues les disposions de la "LCEN" concernant le régime de responsabilité des prestataires techniques de l'internet. En effet, les arrêts préjudiciels de la Cour de justice en la matière sont particulièrement attendus par l'ensemble des professionnels du secteur de l'internet, et peut expliquer l'absence de demande formulée sur ce point par Google dans l'affaire ayant donné lieu au jugement du 7 janvier 2009.
En outre, si ces dernières années, la question qui se posait essentiellement était de savoir si la pratique des liens commerciaux devait être sanctionnée sur le fondement de la contrefaçon ou du droit commun de la responsabilité, il faut noter que d'autres dispositions peuvent venir fonder la condamnation du service de régie publicitaire proposé par Google, comme en atteste la décision du TGI de Paris du 7 janvier 2009.
3 - La condamnation sur le fondement de la publicité mensongère
En l'espèce, on peut remarquer que les sociétés Voyageurs du Mondes et Terres d'Aventure invoquaient deux dispositions afin de voir sanctionner Google au titre de la publicité mensongère. Il s'agissait, d'une part, de l'article 20 de la "LCEN" qui dispose que : "Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée. L'alinéa précédent s'applique sans préjudice des dispositions réprimant les pratiques commerciales trompeuses prévues à l'article L. 121-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2457IBM)", et d'autre part, de l'article L. 121-1 du Code de la consommation dans sa rédaction tant antérieure que postérieure à la loi du 4 août 2008 (loi n° 2008-776, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR) qui prohibent, pour la première, toute représentation fausse ou de nature à induire en erreur sur les caractéristiques du service, objet de la publicité, ou, pour la seconde, toute pratique commerciale créant une confusion avec une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent.
Les demanderesses soutenaient que, lorsque l'internaute entrait dans le moteur de recherche de Google les termes "voyageurs du monde", "terre d'aventure", ou ces mêmes termes avec des variances orthographiques, les liens hypertextes qui s'affichaient n'étaient pas clairement identifiés comme étant publicitaires et que, par conséquent, l'affichage de liens publicitaires hypertextes à destination des sites concurrents de celui recherché par l'internaute dans sa requête constituait une pratique de publicité trompeuse.
Les juges n'ont pas ici tenu compte des arguments de la société Google qui consistaient à faire remarquer que les liens dits commerciaux étaient visuellement nettement identifiés comme tels puisque, sur la page de résultat, ces derniers apparaissent dans une bannière isolée et étaient ainsi facilement distincts des résultats dits naturels du moteurs de recherche.
Les magistrats ont, tout d'abord, considéré que contrairement à ce que prétendait la société Google, la même couleur et le même graphisme étaient utilisés pour les résultats naturels et pour les liens commerciaux, de sorte que rien ne distinguait les deux types de liens hypertextes quant à leur présentation.
En outre, il a été jugé que l'affichage de liens hypertextes vers des sites concurrents à ceux de la marque ayant fait l'objet de la requête entraîne une confusion pour l'internaute sur l'origine des services ainsi proposés par les différents sites sur lesquels ces liens renvoient. En effet, les juges ont considéré que : "le placement de liens hypertextes publicitaires suivant la saisie par l'internaute d'une requête comportant la reproduction des signes privatifs des demanderesses et cherchant dès lors les sites de celles-ci, incite ce dernier à penser à une association entre les services des demanderesses et ceux proposés par ces liens".
En conclusion, il est manifeste que les juges semblent définitivement se tourner sur le terrain de l'article 1382 du Code civil pour sanctionner les prestataires de liens commerciaux au détriment des dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à la contrefaçon. En outre, on peut penser que, à l'avenir, la condamnation de ces prestataires sur le fondement de la publicité mensongère sera systématiquement requise et prononcée par les magistrats dans un souci de protection du consommateur.
Dans cette espèce, les titulaires des droits d'exploitation du film "Joyeux Noel" ont constaté l'accès audit film par visionnage en streaming (c'est-à-dire sans possibilité de téléchargement) depuis le site Dailymotion. Comme il est d'usage, ils ont fait procéder à un constat d'huissier et ont assigné à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Paris la société Dailymotion sur les motifs de la contrefaçon et de la concurrence déloyale.
En première instance, les juges ont retenu la responsabilité du prestataire technique selon le raisonnement suivant :
- l'exploitation du site lui permet de développer une activité de prestataire technique ;
- elle a connaissance de ce que le site stocke des contenus illicites protégés par le droit d'auteur sans les retirer ou en rendre l'accès impossible ;
- et par l'accord de leur mise en ligne, elle commet une faute engageant sa responsabilité civile pour fourniture de moyens à une contrefaçon.
Or, ainsi qu'il le sera détaillé, la cour d'appel a réformé ce jugement en faisant un exposé détaillé des principes de la loi pour la confiance dans l'économie numérique.
1 - La nature du service offert par Dailymotion : éditeur ou hébergeur ?
Dans son considérant sur la nature du service offert par la société Dailymotion et partant le régime de responsabilité lui afférent, la cour a très justement relevé que le prestataire technique met en place plusieurs moyens d'information en vue d'interdire la diffusion de contenus contrefaisants à destination des internautes.
En l'espèce, la cour a relevé que la société Dailymotion prenait ses "mesures de mise en garde et d'alerte" au travers :
- des conditions générales d'utilisation du site ;
- de l'insertion d'une mention avant chaque mise en ligne de contenus par un internaute ;
- du recours à la procédure de signalement de contenu contrefaisant ;
- du recours à la technologie avec reconnaissance des empreintes numériques ;
- du partenariat avec des utilisateurs en vue de la promotion de leurs oeuvres, activité au demeurant pour laquelle Dailymotion reconnaît l'exercer en tant qu'éditeur.
Tout d'abord, la cour en écartant le moyen des intimés selon lequel la "LCEN" devrait être révisée rappelle avec force le principe selon lequel "le critère du partage ainsi opéré réside dans la capacité d'action du service sur les contenus mis en ligne" pour l'appliquer aux faits de l'espèce et retenir que les opérations réalisées par la société Dailymotion sont soit purement techniques, soit nécessaires pour la diffusion du contenu proposé par les internautes.
Ensuite, la cour dans un considérant plus que détaillé écarte le critère selon lequel l'exploitation commerciale par le biais de la commercialisation d'espaces publicitaires permettrait de retenir la qualification d'éditeur dès lors que cette activité ne génère pas de détermination des contenus mis en ligne. Fort de ce constat, elle rappelle que seule la détermination des contenus en ligne doit être un critère pertinent et déterminant à la qualification d'éditeur.
En conclusion, la cour retient le statut d'hébergeur et confirme sur ce point le jugement de première instance.
2 - La responsabilité applicable en l'espèce : le régime de la responsabilité dite allégée de l'hébergeur
Sur la responsabilité encourue par la société Dailymotion, elle écarte l'argumentaire retenu par les juges de première instance selon lequel le régime dit de responsabilité allégée de l'hébergeur n'aurait pas vocation à s'appliquer quand les "activités sont générées ou induites par le prestataire lui-même".
Il est ici intéressant de relever que la cour rappelle les principes de la "LCEN" selon lesquels la responsabilité de l'hébergeur ne peut être retenue que dans les termes de son article 6-I-2. Or, en l'espèce, les informations communiquées par les intimés à Dailymotion à l'appui de leur mise en demeure ne sont pas conformes aux prescriptions de l'article 6-I-5 de la "LCEN". En effet, les intimés n'ont communiqué ni le procès-verbal de constat d'huissier, ni fait usage de la procédure de signalement.
La responsabilité de Dailymotion ne peut donc être retenue faute pour les intimés d'avoir apporté la preuve des manquements commis par le prestataire technique.
3 - L'obligation de conservation de données d'identification par Dailymotion en tant qu'hébergeur
A toutes fins, l'un des intimés invoque le manquement par Dailymotion à son obligation de conservation des données d'identification et partant la perte d'une chance de poursuivre les auteurs des infractions. Or, une fois encore, l'intimé n'apporte pas la preuve dudit manquement et ne démontre pas, en outre, avoir utilisé sans résultat les informations communiquées par Dailymotion.
Cet arrêt s'inscrit donc dans la mouvance de la jurisprudence récente qui tente de redonner à chaque acteur le statut qui lui revient tout en donnant une nouvelle dimension à leur responsabilité à l'image de la solution dégagée par les dernières décisions (5) en la matière.
Or, le décret d'application sur la conservation des données d'identification plus que très attendu permettra peut être d'apporter des solutions aux problèmes ici rencontrés par les juges.
L'arrêt de la Chambre criminelle du 6 janvier 2009 annonce la fin d'un marathon judiciaire qui aura duré plus de douze ans. Avant le 8 avril 1997, Jean-Louis Costes, artiste performer et musicien français, publie sur internet trois articles sur le site internet dont l'adresse url est : "altern.costes.org". Afin d'assurer une meilleure visibilité desdits articles, l'auteur ajoute une nouvelle adresse url : "costes.org" sur laquelle il les publie à compter du 10 juillet 1997.
Dans son jugement de première instance du 28 janvier 1999, le tribunal correctionnel considérant les contenus comme étant en tous points identiques conclut à la prescription de l'action publique : aucun acte interruptif de prescription n'ayant été pris dans le court délai de trois mois à compter de la première publication des trois articles sur internet.
La cour d'appel avait infirmé ce jugement dans un arrêt rendu le 15 décembre 1999 (6) et avait condamné l'auteur à 7 500 euros d'amende avec sursis. Le 27 novembre 2001 (7), la Cour de cassation avait cassé ces deux arrêts en prononçant une première solution de principe selon laquelle : "le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'article 65 de cette loi est fixé à la date à laquelle le message a été, sur ce site, pour la première fois mis à la disposition des utilisateurs du réseau, quelle que soit l'ampleur de l'accès offert pour accéder audit site et sans que la création d'un nouveau moyen d'accès, par l'adjonction d'un nom de domaine supplémentaire, ne vienne modifier le cours de la prescription [...]".
L'affaire a alors été renvoyée devant la cour d'appel qui a, quant à elle, décidé le 29 janvier 2004 (8) que l'action publique n'était pas prescrite.
L'arrêt ici étudié vient donc mettre un terme à ce marathon judiciaire en statuant ainsi :
"[...] la simple adjonction d'une seconde adresse pour accéder à un site existant ne saurait caractériser un nouvel acte de publication de textes figurant déjà à l'identique sur ce site, [...]. Par ces motifs, [...], constate l'extinction de l'action publique".
Cet arrêt est important et ce à plus d'un titre. Il est vrai que les débats judiciaires et législatifs autour de l'action publique spécifique au délit de diffamation ou d'injure publique font rage depuis la création de l'internet.
La loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 avait essayé de poser une première pierre à l'édifice en considérant que : "les dispositions des chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sont applicables aux services de communication en ligne. Toutefois, l'action publique et l'action civile résultant de crimes, délits et contraventions prévus par ladite loi se prescrivent après trois mois révolus à compter de la date à laquelle cesse la mise à disposition du public du message susceptible de déclencher l'une de ces actions".
Cette première initiative législative tendant à reporter le point de départ du délai de prescription à compter de la cessation de la diffusion des propos sur internet fût cependant censurée par le Conseil constitutionnel.
Elle n'est toutefois pas restée lettre morte. En effet, le sénateur de la Sarthe, Marcel-Pierre Cléach, a soumis au Sénat une proposition de loi visant à allonger le délai de prescription de trois mois à un an. Le 4 novembre 2008, le Sénat a adopté le texte suivant :
"Le délai de prescription des infractions pour diffamation ou injure prévu par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 est porté à un an lorsque ces infractions ont été commises par l'intermédiaire d'un service de communication en ligne".
Un seul amendement fut adopté sur ce texte avec l'aval de la ministre de la Justice, Rachida Dati, visant à exclure de son champ d'application les entreprises de presse et partant les sites internet qu'elles publient. Au jour où nous écrivons ces lignes, la proposition de loi est en cours d'examen à l'Assemblée nationale.
La jurisprudence a, quant à elle, construit le régime du délai de prescription des infractions liées à la diffamation et à l'injure avec une certaine régularité. L'arrêt précité du 27 novembre 2001 qui s'inscrivait déjà dans une certaine constance avait énoncé le principe selon lequel la date du premier acte de publication, pris en tant que point de départ du délai de prescription, s'entend comme "celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à disposition des utilisateurs du réseau".
La Haute cour réaffirme ce principe et y apporte un ajout majeur en en délimitant le périmètre de façon restrictive, ce qui ne peut aller que dans le sens de l'interprétation de la loi pénale, en excluant l'adjonction d'une seconde adresse d'un acte de publication distinct. En outre, la solution de principe ici posée laisse sous-entendre que, a contrario, la publication d'un contenu modifié d'ores et déjà existant constituerait quant à elle une nouvelle publication faisant alors courir un nouveau délai de prescription.
Tant les initiatives législatives que les décisions judiciaires tendant à prendre en compte les spécificités de l'internet ne peuvent qu'être saluées. Ces actions loin de dénaturer l'esprit du texte de la loi de 1881 viennent l'adapter aux moyens de communication numérique. En effet, le point de départ du délai de prescription des actions civiles et publiques est similaire pour les écrits papiers et pour les écrits numériques, ce qui les distingue est soit l'acte de renouvellement, soit, si la proposition de loi venait à être adoptée par l'Assemblée nationale, la durée de la prescription. Le premier aménagement prend en considération le fait qu'un contenu posté sur internet ne sera retiré que par un acte volontaire de son auteur contrairement à un article de journal qui est entièrement liée à celle de la parution dudit titre de presse. Le second aménagement se fonde quant à lui sur l'immensité du réseau internet
Pour toutes ces raisons, le principe ici annoncé par la Haute cour prend toute son importance.
Nathalie Biltz,
Avocat au Barreau de Paris,
Lamy & Associés
(1) TGI Nanterre, 2ème ch., 13 octobre 2003, n° 03/00051, Viaticum et Luteciel c/ Google France (N° Lexbase : A8184C9Y), Expertises, décembre 2003, p. 427, note S. Bouvier-Ravon, Légipresse, 2004, III, p. 13, note M.-E. Haas et L. Tellier-Loniewski, Propr. intell., juillet 2004, n° 12, p. 811, obs. E. Logeais ; TGI Nanterre, 2ème ch., 17 janvier 2005, n° 03/10608, Accor c/ Overture, Overture Services (N° Lexbase : A3506DGX), Propr. industr., 2005, comm. 30 ; TGI Paris, 12 juillet 2006, n° 05/10708, GIFAM c/ Google (N° Lexbase : A0476DSG), Comm. com. électr., 2006, comm. 144, note L. Grynbaum.
(2) TGI Paris, 3ème ch., 2ème sect., 8 décembre 2005, n° 04/11009 Kertel c/ Google et Cartephone (N° Lexbase : A5273DNM), Propr. industr., 2006, comm. 24 ; TGI Paris, 12 juillet 2006, préc., Comm. com. électr., 2006, comm. 144, note L. Grynbaum ; TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 13 février 2007, n° 06/00884, Laurent C. c/ Google France (N° Lexbase : A6526D4H) ; TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 12 décembre 2007, n° 06/00884, Syndicat Français de la Literie c/ Google (N° Lexbase : A6526D4H), Prop. ind., 2008, comm. 11, p. 29, note P. Tréfigny.
(3) A noter, cependant, un jugement du TGI de Strasbourg qui a considéré que : "de part la généralité de leurs termes, l'application de ce régime ne dépendant ni de la nature des signaux stockés (écrits, images, sons ou messages de toute nature...), ni de la fonction (commerciale, publicitaire, informative...) des données concernées, la Société Google France apparaît fondée à se prévaloir de ses dispositions légales tant pour son activité de moteur de recherche que pour celle de prestataire de services publicitaires dans le cadre de son service Adwords" (TGI Strasbourg, 1ère ch. civ, 20 juillet 2007, Atrya c/ Google, Société Distri K, Société Techni Fenêtres et Société K par K, Prop. ind., 2007, comm. 87, P. Tréfigny).
(4) Cass. com., 20 mai 2008, 3 arrêts, n° 05-14.331, Société Google France, FS-D (N° Lexbase : A6999D8Q), n° 06-15.136, Société Google France, FS-P+B (N° Lexbase : A7010D87), n° 06-20.230, Société Google France, FS-D (N° Lexbase : A7019D8H).
(5) TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 15 avril 2008, n° RG 08/01371, J.-Y. Lafesse et a. c/ Dailymotion (N° Lexbase : A4124D8A) et TGI Paris, 15 avril 2008, M. Omar S. et M. Fred D., SARL Korokoro, SARL Cocojet c/ SA Dailymotion, D., 2008, 1341.
(6) CA Paris, 11ème ch., sect. A, 15 décembre 1999, n° 99/02123, Costes Jean-Louis (N° Lexbase : A6396AX8).
(7) Cass. crim., 27 novembre 2001, n° 01-80.134 Jean-Louis Costes/ Ministère Public, la LICRA, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, le MRAP et l'UEJF (N° Lexbase : A6396AX8).
(8) CA Paris, 29 janvier 2004, 11ème ch., sect. B, n° 02/00043, M. Jean-Louis C. c/ Licra et autres (N° Lexbase : A2437DBU)
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Réf. : Cass. soc., 4 juin 2009, n° 07-43.198, M. Jacques Jacqueton c/ Société HSBC Hervet, FS P+B (N° Lexbase : A6206EHC)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures. La cour d'appel, qui a constaté que le contrat de travail prévoyait expressément, au titre de la rémunération variable, que le salarié devait bénéficier d'une prime de performance annuelle au titre du système de rémunération en vigueur au sein de la banque sur lequel l'employeur ne communiquait aucun élément, a pu décider que le salarié avait droit à ce titre au paiement de la prime calculée selon les mêmes critères que les années antérieures. |
Commentaire
I - Le rôle du juge dans la fixation de la rémunération du salarié en cas de désaccord avec son employeur
La rémunération versée au salarié peut résulter du contrat de travail ou de la convention collective applicable dans l'entreprise, plus rarement d'usages. Lorsque cette rémunération comporte une part variable, généralement assise sur les résultats du salarié, se posera la question des modalités de détermination des objectifs liés au salarié.
A défaut de dispositions particulières, il a été admis que l'employeur pouvait, dans le cadre de son pouvoir de direction, les fixer unilatéralement (1), sous réserve qu'ils soient "raisonnables et compatibles avec le marché" (2) et d'exercer ce pouvoir de fixation de bonne foi (3), tout en donnant au salarié les moyens de les atteindre (4). Une telle clause est valable, "dès lors qu'elle est fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, ne fait pas porter le risque d'entreprise sur le salarié et n'a pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels" (5).
Le contrat peut, également, stipuler que la fixation des objectifs fera l'objet d'un accord avec le salarié, généralement dans le cadre de l'évaluation annuelle de ses compétences et résultats.
A défaut d'accord, l'employeur ne peut fixer unilatéralement les objectifs sans modifier unilatéralement le contrat de travail (6).
En l'absence d'accord entre l'employeur et le salarié, il appartient au juge de fixer la rémunération (7) en fonction, le cas échéant, des usages dans l'entreprise et dans la profession (8) ou, à défaut, en fonction des données de la cause (9).
C'est ce que confirme ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 juin 2009.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, en 2001, en qualité de directeur de succursale bancaire avant d'être licencié, en 2004, pour insuffisance professionnelle. Il avait, pour la première année, bénéficié d'une prime de performance, mais pas les années suivantes faute d'accord intervenu avec le salarié sur les objectifs à atteindre. La cour d'appel avait donné raison au salarié et condamné l'entreprise à lui verser, pour les trois années de présence où il avait été privé de la prime, l'équivalent des sommes perçues la première année.
Dans son pourvoi, le demandeur considérait que ce que les juges avaient, à tort, qualifié de "prime de performance" n'était, en réalité, qu'"un complément ponctuel à la rémunération fixe", ce qui interdisait d'en reconduire le principe et le montant sur les années ultérieures.
Après avoir rappelé "que, lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures", la Haute juridiction constate, avec la cour d'appel, "que le contrat de travail prévoyait expressément au titre de la rémunération variable que le salarié devait bénéficier d'une prime de performance annuelle au titre du système de rémunération en vigueur au sein de la banque" et que "le salarié avait droit à ce titre au paiement de la prime calculée selon les mêmes critères que les années antérieures".
Cette solution est parfaitement justifiée. Dès lors que le principe du droit à la prime a été vérifié et que les parties ne sont pas parvenues à se mettre d'accord sur les objectifs du salarié, la solution la plus simple et la plus juste, pour le juge, est de s'en tenir à la pratique des parties des années précédentes, au titre d'une forme de maintien des avantages acquis.
II - La marge de manoeuvre de l'employeur
L'employeur est, en matière de rémunération, dans une situation très favorable puisqu'il détient le plus souvent les éléments dont le salarié aurait besoin pour déterminer l'étendue de ses droits. La jurisprudence a logiquement considéré que, lorsque le montant de la rémunération dépendait d'éléments détenus par l'employeur, ce qui est généralement le cas lorsque ce montant varie avec l'importance du chiffre d'affaire réalisé, alors l'employeur doit communiquer au salarié ces éléments (10). D'une manière comparable, l'employeur doit faire connaître au salarié "les règles déterminant l'octroi" des avantages dont il doit bénéficier, de manière à permettre une "vérification par les salariés non attributaires", qui s'inquiéteraient du respect du principe "à travail égal, salaire égal" (11).
Il ressort, également, de cet arrêt en date du 4 juin 2009 que l'employeur doit communiquer au juge les éléments qui lui permettraient de déterminer le montant de la prime du salarié, à défaut d'avoir pu trouver un accord avec lui lors de la fixation de ses objectifs annuels, s'il veut échapper à la reproduction mécanique du niveau de la rémunération antérieure. Ce n'est qu'à défaut d'informations communiquées par l'employeur sur le "système de rémunération en vigueur au sein de la banque" que le juge avait reconduit, par défaut, le montant des années antérieures. Le principe de la reconduction à l'identique des montants adoptés les années antérieures constitue donc une solution de secours ; le juge pourrait, en effet, parfaitement fixer le montant des sommes dues au salarié à un niveau inférieur à celui des années précédentes, à condition, toutefois, de s'en justifier.
(1) Cass. soc., 22 mai 2001, n° 99-41.838, Société des expertises Galtier c/ M. Benoît Farrouilh (N° Lexbase : A5360AGM), JCP éd. G, 2002, II, 10066, note V. Renaux-Personnic.
(2) Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.028, M. Evrard c/ Société Samsung information systems et autre, publié (N° Lexbase : A4728AG9) ; Cass. soc., 14 novembre 2000, n° 98-42.371, Mme Ders c/ Société Affichage Giraudy, publié (N° Lexbase : A7799AHC), Dr. soc., 2001, p. 99, obs. P. Waquet ("réaliste").
(3) Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-41.263, M. Christophe Barreau, FS-D (N° Lexbase : A6852DTX).
(4) Cass. soc., 10 février 2004, n° 01-45.216, M. Georges Arbona c/ Société KPMG Fiduciaire de France, FS-P+B (N° Lexbase : A2693DBD) et nos obs., L'employeur doit prouver qu'il a fourni au salarié les moyens de réaliser la prestation de travail pour laquelle il était engagé, Lexbase Hebdo n° 108 du 18 février 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0558ABB).
(5) Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 00-13.111, M. Robert Saucier c/ Société Fiduciaire juridique et fiscale de France (Fidal), publié (N° Lexbase : A0669AZS), Dr. soc., 2002, p. 998, et les obs..
(6) Cass. soc., 30 mai 2000, n° 97-45.068, Société Canon France c/ M. Le Gac et autre, publié (N° Lexbase : A8730AHS) ; Cass. soc., 16 juin 2004, n° 01-43.124, Société Les Biscottes Roger c/ M. Jean Dailliez, FS-P (N° Lexbase : A7322DC8).
(7) Cass. soc., 22 mai 1995, n° 91-41.584, M. Von Oertzen c/ Editions Weka (N° Lexbase : A0893ABP), Bull. civ. V, n° 161 ; Cass. soc., 20 octobre 1998, n° 96-40.908, Société SVP c/ M. Cahuzac (N° Lexbase : A5611ACS), Bull. civ. V, n° 436 ; Cass. soc., 26 octobre 1999, n° 98-41.521, Société Reprotechnique c/ Mel Younsi (N° Lexbase : A5567AW4) : "le droit à une rémunération variable résultait du contrat de travail ; [...] à défaut d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombait au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes" ; Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 02-14.140, Mlle Isabelle Monsenego c/ Société d'avocats JSD Ernst-Young, FS-P+B (N° Lexbase : A5567AW4) : "lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et à défaut d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultats dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années antérieures" ; Cass. soc., 22 mars 2007, n° 05-44.902, Société Idestyle technologie, F-D (N° Lexbase : A7475DUE) : "attendu, cependant, que, lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes, de sorte que, si l'objectif de résultat dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années précédentes" ; Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-45.608, M. Yann Vlassoul, F-D (N° Lexbase : A2029EEU) ; Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-43.778, Mme Virginie Lezla, F-D (N° Lexbase : A6210EHH).
(8) Cass. soc., 18 mars 2003, n° 00-45.664, Mme Ginette Fitoussi c/ M. Christophe Ancel, inédit (N° Lexbase : A5474A7U) ; Cass. soc., 22 mars 2007, n° 05-44.902, préc. (si l'objectif de résultat dont le contrat de travail fait dépendre la rémunération variable n'a pas été déterminé, il appartient au juge de le fixer par référence aux années précédentes) ; Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 06-43.345, Association Ligue pour l'adaptation du diminué physique au travail (LADAPT), FS-P+B (N° Lexbase : A7475DUE) (le "point AFPA" disparu, il appartient aux juges de rechercher quelle aurait été la valeur de ce point tant que l'usage qui s'y référait pour déterminer l'évolution de la rémunération n'avait pas été dénoncé, ni remplacé par un accord au même objet).
(9) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-41.428, M. Christophe Torikian, F-D (N° Lexbase : A6422EHC) : "lorsque le droit à une rémunération variable résulte du contrat de travail et, à défaut, d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et, à défaut, des données de la cause".
(10) Cass. soc., 18 décembre 2001, n° 99-43.538, M. Gérard Wolff c/ M. Bor, FS-P+B (N° Lexbase : A7229AXZ) ; Cass. soc., 18 juin 2008, n° 07-41.910, Société Corporate Express, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2113D97) : "le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail ; [...] la cour d'appel a constaté que les salariés se trouvaient dans l'impossibilité de vérifier la justesse de leur rémunération faute pour l'employeur de leur en communiquer l'ensemble des bases de calcul et, qu'au surplus, la société n'avait jamais appliqué, dans la réalité, le coefficient multiplicateur unique de marge qu'elle indiquait avoir retenu" (lire les obs. de S. Tournaux, La rémunération, toujours et encore plus contractuelle !, Lexbase Hebdo n° 311 du 2 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4903BGP). Même solution lorsque le droit du salarié résulte d'un engagement unilatéral de l'employeur : Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-40.709, Mme Martine Barbier, épouse Pellen, FS-D (N° Lexbase : A4985EAU) et nos obs., Chose promise, chose due ! Nouvelles précisions jurisprudentielles relatives au régime des primes versées en vertu d'un engagement unilatéral de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 323 du 23 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4820BHY).
(11) Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-41.879, M. Flavien Bru, inédit (N° Lexbase : A7241EBS).
Décision
Cass. soc., 4 juin 2009, n° 07 43.198, M. Jacques Jacqueton c/ Société HSBC Hervet, FS P+B sur le second moyen du pourvoi principal (N° Lexbase : A6206EHC) Rejet CA Paris, 22ème ch. sect. B, 7 mai 2007, n° 05/08607, M. Jacques Jacqueton c/ Société HSBC Hervet (N° Lexbase : A9710DXW) Texte concerné : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots clef : rémunération ; part variable ; désaccord des parties ; rôle du juge Lien base : |
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Réf. : Cass. civ. 2, 11 juin 2009, 5 arrêts, FS-P+B+R+I, n° 08-17.581 (N° Lexbase : A0518EIZ), n° 07-21.768 (N° Lexbase : A0512EIS), n° 07-21.816 (N° Lexbase : A0513EIT), n° 08-11.853 (N° Lexbase : A0515EIW), n° 08-16.089 (N° Lexbase : A0516EIX)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Il résulte de l'article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4583H9M) que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. |
Commentaire
I - Recours de la caisse de Sécurité sociale
A - Recours contre l'employeur
En principe, la caisse n'a aucun recours contre l'employeur ou un préposé en cas d'accident du travail s'ils sont l'auteur des dommages (2), sauf faute intentionnelle ou faute inexcusable. Il en va différemment si l'accident est un accident de trajet ou un accident de la circulation qualifié d'accident de travail. En cas d'accident de trajet, la caisse peut agir contre l'employeur, auteur du dommage, dans les conditions de droit commun, comme s'il s'agissait d'un tiers (CSS, art. L. 455-1 N° Lexbase : L5305ADT) ; il en est de même en cas d'accident de circulation qualifié d'accident du travail (CSS, art. L. 455-1-1 N° Lexbase : L5306ADU).
B - Recours contre un tiers
Le législateur a retenu le principe du remboursement à la caisse de Sécurité sociale des sommes qu'elle a versées (CSS, art. L. 452-5, al. 2 N° Lexbase : L5304ADS). Lorsque l'accident du travail est, également, un accident de la circulation, seules les prestations énumérées versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou à son assureur. Il s'agit des prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de Sécurité sociale. Ce recours a un caractère subrogatoire (loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, préc., art. 30), la caisse de Sécurité sociale ne peut agir que si la victime pouvait elle-même agir, ce qui suppose que l'auteur du dommage soit un tiers ; que l'employeur ait commis une faute intentionnelle ; que l'accident soit un accident de trajet ou, enfin, que l'accident de la circulation soit qualifié d'accident du travail.
Les prestations versées par une caisse de Sécurité sociale à la victime d'un dommage résultant d'une atteinte à la personne ouvrent droit à un recours de caractère subrogatoire contre la personne tenue à réparation (ou son assureur), à condition que ces prestations aient un lien direct avec le fait dommageable (3).
Peuvent être remboursées à la caisse de Sécurité sociale et, ainsi, déduites de l'indemnité globale mise à la charge des tiers responsables, les sommes correspondant au paiement par l'organisme de Sécurité sociale des frais d'hospitalisation et de soins à vie (4), des frais de cure et de réadaptation (5), des frais futurs de soins et de médicaments (6), des frais de séjour dans un centre de formation professionnelle et de soins de réadaptation fonctionnelle en relation de cause à effet avec l'accident (7), les sommes correspondant au versement d'un capital décès (8), des prestations postérieures à la consolidation des blessures (9), d'indemnités journalières (10), etc..
Dans la limite de l'indemnité de droit commun réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, l'organisme social est en droit de récupérer l'ensemble de ses dépenses et spécialement les arrérages à échoir de la rente, le cas échéant, sur la base d'un montant réduit, déterminé en fonction du solde de l'indemnité demeurant disponible après déduction des prestations échues (11).
Enfin, il faut préciser que l'article L. 454-1, alinéa 6 et 7, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9367HEN) permet à la caisse de Sécurité sociale, en contrepartie des frais engagés pour obtenir ce remboursement des prestations, de recouvrer une indemnité forfaitaire auprès du tiers responsable, au profit du fond national des accidents du travail de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est fixé par cet article (12).
Le recours de la caisse de Sécurité sociale s'exerce dans les limites de la part d'indemnité qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel correspondant aux souffrances physiques ou morales, par elle endurées, et au préjudice esthétique et d'agrément ou de la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit (CSS, art. L. 454-1).
Le droit au remboursement de la caisse a seulement pour limite le montant de l'indemnité réparant, compte tenu du partage de responsabilité, l'atteinte à l'intégrité physique de la victime (13). Le préjudice résultant de l'atteinte à l'intégrité physique de la victime d'un accident, qui sert de limite au remboursement des prestations versées par les tiers payeurs, doit être apprécié, par le juge, en tous ses éléments , même s'il est en tout ou partie réparé par le service de ces prestations (14).
Le juge judiciaire doit évaluer le montant de l'indemnité due à la victime en déduisant le montant de la créance de la caisse évaluée à la date où il statue (15). De même, le juge administratif saisi du recours formé par un organisme de Sécurité sociale aux fins de recouvrer le montant de ses débours auprès de la personne publique tenue à réparation des conséquences de l'accident survenu à un assuré social, doit évaluer la perte des revenus subie par celui-ci du fait de l'incapacité temporaire totale, sans se borner à prendre en compte le montant des indemnités journalières versées à l'assuré pendant la période considérée (16).
En l'espèce, la Cour de cassation vient, par ces cinq arrêts du 11 juin 2009, d'élargir l'assiette de recours, en annulant, dans chacune des cinq espèces, les arrêts rendus par les juges du fond, alors que, dans chaque espèce, la caisse de Sécurité sociale ou la victime avaient fait un recours subrogatoire contre l'auteur du préjudice, demandes déboutées par les juridictions du fond. Ainsi, un juge du fond, pour débouter la caisse primaire d'assurance maladie de Paris de son recours subrogatoire contre une conductrice et son assureur pour la rente accident du travail, a retenu que l'objet de cette rente est de contribuer à la réparation du préjudice subi par l'intéressée dans sa vie professionnelle du fait de son handicap et non à celle du déficit fonctionnel permanent, lequel comprend exclusivement les incidences de ce handicap sur la vie personnelle de la victime : dans ces conditions, la caisse qui n'établit pas avoir effectivement, préalablement et de manière incontestable, versé une prestation indemnisant le déficit fonctionnel permanent de la victime est donc mal fondée en sa demande (pourvoi n° 08-17.581).
Dans une autre affaire, un commissaire de police a été victime d'un accident de la circulation, constituant un accident de service, dans lequel était impliqué le véhicule d'un conducteur, assuré auprès de la société Pacifica. Blessé et bénéficiaire d'une allocation temporaire d'invalidité versée par l'Etat, la victime a assigné le conducteur et l'assureur en réparation de son préjudice, en présence de l'agent judiciaire du Trésor. La cour d'appel a décidé qu'en l'absence de préjudice professionnel ou d'incidence professionnelle, il n'y a pas lieu de déduire l'allocation versée à la victime (pourvoi n° 07-21.816).
La Cour de cassation, par les arrêts rapportés, infirme la décision d'appel, en arguant de l'article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale, selon lequel la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. En l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
Lorsque la responsabilité du tiers auteur de l'accident est partagée avec la victime, la caisse de Sécurité sociale peut poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité, mise à la charge du tiers, qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales endurées par elle et au préjudice esthétique et d'agrément. En cas de partage de responsabilité entre le tiers et la victime, il faut tenir compte de la responsabilité imputable à la victime. La caisse de Sécurité sociale ne pouvant se retourner contre celle-ci, elle ne pourra se retourner contre le tiers que sur la part des indemnités mises à la charge de ce dernier, compte tenu du partage de responsabilité.
Si la responsabilité du tiers est partagée avec l'employeur, la caisse de Sécurité sociale ne peut poursuivre en remboursement devant le juge, que dans la mesure où les indemnités dues par elle dépassent celles qui auraient été mises à la charge de l'employeur en vertu du droit commun (CSS, art. L. 454-1, al. 4). La jurisprudence s'est déjà prononcée en ce sens (17).
II - Tiers responsable
A - Responsabilité exclusive du tiers
La victime ou ses ayants droit peut réclamer au tiers responsable la réparation totale du préjudice causé, mais uniquement pour la partie du préjudice non réparée par la Sécurité sociale (frais supplémentaires, pretium doloris, préjudice moral, esthétique...). La victime est admise à faire valoir ses droits par priorité sur la caisse (CSS, art. L. 455-3, dernier alinéa N° Lexbase : L5308ADX). La caisse de Sécurité sociale, qui a servi les prestations, dispose d'une action en remboursement à l'encontre du tiers responsable. La victime dispose d'une action dans la mesure où le préjudice apprécié selon le droit commun n'est pas couvert par les prestations et indemnités forfaitaires légales.
Dans les cas où les rentes accident du travail sont inférieures à la réparation de même nature due à la victime ou à ses ayants droit en vertu du droit commun, des rentes supplémentaires peuvent être allouées en capital. Celles qui ne seraient pas allouées en capital doivent, dans les deux mois de la décision définitive ou de l'accord des parties, être constituées par le débiteur à la caisse nationale de retraite pour la vieillesse (CSS, art. L. 454-1, al. 7 N° Lexbase : L9367HEN). Lorsque, l'état de la victime s'étant amélioré, la rente a été supprimée, la victime ne saurait, sans porter atteinte à l'autorité de la chose jugée, obtenir du tiers responsable une indemnité qui ne lui a pas été allouée et qui correspondrait à la différence entre le montant du dommage global et celui des prestations qu'elle a perçues de la caisse (18). La victime pourra agir contre le tiers ou la personne responsable de celui-ci par la voie civile ou par la voie pénale (en présence d'une infraction).
Les prestations versées par la caisse de Sécurité sociale à la victime d'un accident du travail doivent être déduites de l'indemnité à laquelle le tiers responsable est tenu envers la victime pour réparer les atteintes à son intégrité physique (19). Le tiers (ou son assureur) ne peut être condamné à indemniser entièrement la victime au motif que la caisse de Sécurité sociale n'a pas comparu et n'a pas fait connaître le montant de sa créance qui ne pourra donc être prise en considération pour la détermination du préjudice. La créance de la caisse de Sécurité sociale doit être évaluée à la date où le juge statue (20). La caisse étant tenue de servir les prestations prévues par la législation sur les accidents du travail et la victime ne pouvant poursuivre la réparation du préjudice contre le tiers auteur de l'accident, selon le droit commun, que dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par la législation professionnelle, toute convention contraire aux règles ainsi posées est nulle (21).
B - Partage de responsabilité
La victime d'un accident du travail, en cas de partage de responsabilité de cet accident entre l'employeur (ou son préposé) et un tiers étranger à l'entreprise, peut obtenir de ce tiers, dans les conditions de droit commun, la réparation de son entier dommage dans la mesure où celui-ci n'est pas indemnisé par les prestations de sécurité sociale (22). Mais, en cas de partage de responsabilité d'un accident du travail entre un tiers étranger à l'entreprise et l'employeur (ou son préposé), le tiers condamné à réparer l'entier dommage de la victime ne peut disposer de plus de droits que cette dernière : il n'a donc de recours ni contre l'employeur (ou ses préposés), ni contre leur assureur, sauf faute intentionnelle de leur part (23).
Lorsque la faute inexcusable de l'employeur est constatée en même temps que la faute d'un tiers, la victime ne peut pas subir de réduction de sa majoration de rente dans la mesure où seule la faute inexcusable de la victime elle-même peut avoir cet effet sur le fondement de l'article L. 453-1 (24).
(1) CSS, art. L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB) : une indemnité en capital est attribuée à la victime d'un accident du travail atteinte d'une incapacité permanente inférieure à un pourcentage déterminé. Son montant est fonction du taux d'incapacité de la victime et déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret dont les montants sont revalorisés dans les conditions fixées à l'article L. 351-11 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7655DKQ). Il est révisé lorsque le taux d'incapacité de la victime augmente tout en restant inférieur à un pourcentage déterminé. Cette indemnité est versée lorsque la décision est devenue définitive. Elle est incessible et insaisissable.
CSS, art. L. 434-2 (N° Lexbase : L4583H9M) : le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime, ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité. Lorsque l'incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum, la victime a droit à une rente égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci. Dans le cas où l'incapacité permanente est égale ou supérieure à un taux minimum et oblige la victime, pour effectuer les actes ordinaires de la vie, à avoir recours à l'assistance d'une tierce personne, le montant de la rente est majoré. En aucun cas, cette majoration ne peut être inférieure à un montant minimum affecté des coefficients de revalorisation fixés dans les conditions prévues à l'article L. 341-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5082ADL).
(2) Cass. crim., 11 février 2003, n° 01-86.341, X. Lucien, F-D (N° Lexbase : A3405EIX), RJS, 2003, n° 668.
(3) Ass. plén. 7 février 1997, n° 93-17.292, JCP éd. G, 1997, II, 22838, note X. Prétot ; Cass. civ. 2, 17 décembre 1997, n° 95-17.534, Consorts Nedelec c/ Compagnie Le Continent et autre (N° Lexbase : A0609ACK), TPS, 1998, comm. 97, note X. Prétot ; Cass. civ. 2, 29 avril 1997, n° 94-20.313, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Van de Kapelle et autres (N° Lexbase : A0095ACI), Resp. civ. et assur., 1997, chron. 18, obs. H. Groutel.
(4) Cass. mixte, 29 mai 1970, n° 69-90.570, Bousquié c/ Gil (N° Lexbase : A6596AGE).
(5) Cass. soc., 27 juin 1963, Bull. civ. IV, n° 549.
(6) Cass. soc., 23 janvier 1969, Bull. civ. V, n° 51.
(7) Cass. soc., 6 mai 1981, n° 80-10.758, CPAM de Calais c/ Consorts Clercin, Levis (N° Lexbase : A3564AG4).
(8) Cass. crim., 2 juillet 1957, Bull. civ. V, n° 3.
(9) Ass. plén., 21 avril 1967, n° 65-10.891, Moulay et autres (N° Lexbase : A6523AGP).
(10) Cass. soc., 20 avril 1983, n° 82-12019, Delattre c/ Directeur de la CPAM Saint-Quentin, publié (N° Lexbase : A2612CIL).
(11) Cass. soc., 9 avril 1992, n° 90-15.131, Agent judiciaire du Trésor c/ Mme Nicolaï et autres (N° Lexbase : A5137ABU).
(12) Cass. soc., 26 avril 2001, n° 99-19.698, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var (N° Lexbase : A2931ATQ), RJS, 2001, n° 923.
(13) Cass. civ. 2, 18 décembre 1978, n° 77-14.639, Consorts Picard, Boula, Caisse de Réassurance Mutuelle c/ Delay (N° Lexbase : A3374AG3).
(14) Cass. crim., 22 octobre 1997, n° 96-84.684, Daquin Jean (N° Lexbase : A1309ACH), Resp. civ. et assur., 1998, comm. 13.
(15) Cass. civ. 2, 17 décembre 1997, n° 96-10.337, Compagnie La Lutèce et autre c/ M. Serra et autre (N° Lexbase : A0995ACT), Resp. civ et assur., 1998, comm. 84 ; TPS, 1998, comm. 96, note X. Prétot.
(16) CE, 30 décembre 1998, n° 129401, Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne (N° Lexbase : A8534ASU), RJS, 1999, n° 441.
(17) Voir, par exemple, Cass. civ. 2, 16 octobre 1985, n° 84-14.956, Les assurances générales de France AGF c/ Witwickai, Consorts Griselle et autres (N° Lexbase : A5567AAG).
(18) Cass. mixte, 22 juin 1973, n° 71-14.593, Dame Carlino c/ Zaoui (N° Lexbase : A5698CIU).
(19) Cass. soc., 31 octobre 1991, n° 89-12.093, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde c/ M. Almont (N° Lexbase : A4558ABG), D., 1993, somm. 271, obs. X. Prétot ; JCP éd. S, 1992, II, 21800.
(20) Cass. civ. 2, 17 décembre 1997, n° 96-10.337, Compagnie La Lutèce et autre c/ M. Serra et autre (N° Lexbase : A0995ACT).
(21) Cass. soc., 14 décembre 1972, n° 71-10.976, CPAM Metz c/ C/ Dlle Dietsch, publié (N° Lexbase : A4838CHN).
(22) Ass. plén., 22 décembre 1988, n° 86-91.864, M. Delestre et autre (N° Lexbase : A4001AGB), JCP éd. S, 1989, II, 21236, JCP éd. G, 1989, I, 3402 ; D., 1989, 105 ; D., 1989, somm. 238, obs. X. Prétot ; RJS, 1989, n° 193.
(23) Ass. plén., 31 octobre 1991, n° 88-17.449, M. Maatoug et autres (N° Lexbase : A1074AAZ), JCP éd. S, 1992, II, 21800, RJS, 1992, n° 78, D. 1993, somm. 271, obs. X. Prétot.
(24) Cass. soc., 19 décembre 2002, n° 01-20.447, Mme Pascaline Hervé c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Angers, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4913A4Q), JCP éd. E, 2003, 903, obs. G. Vachet ; RJS, 2003, n° 251 ; D., 2003, p. 1792.
Décisions
1° Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 08-17.581, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0518EIZ) Cassation CA Paris, 17ème ch., sect. A, 5 mai 2008, n° 05/17709, CPAM de Paris et le service contentieux c/ Mme Zahra Amaima (N° Lexbase : A5694D8E) Textes visés : CSS, art. L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB) et art. L. 434-2 (N° Lexbase : L4583H9M) ; loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, art. 29 et art. 31 (N° Lexbase : L7887AG9) Mots-clefs : accident du travail ; rente ; objet ; indemnisation ; handicap ; vie professionnelle (oui) indemnisation deficit fonctionnel permanent ; indemnisation (oui) Lien base : (N° Lexbase : E1768EP8) 2° Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 07-21.768, Mme Marie-Louise Berning, épouse Desroches, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0512EIS) Cassation CA Lyon, 10ème ch. civ., 6 novembre 2007 Textes visés : CSS, art. L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB) et art. L. 434-2 (N° Lexbase : L4583H9M) ; loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, art. 29 et art. 31 (N° Lexbase : L7887AG9) Mots-clefs : accident du travail ; rente ; objet ; indemnisation ; handicap ; vie professionnelle (oui) indemnisation deficit fonctionnel permanent ; indemnisation (oui) Lien base : (N° Lexbase : E1768EP8) 3° Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 07-21.816, Agent judiciaire du Trésor, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0513EIT) Cassation CA Aix-en-Provence, 10ème ch., sect. B, 26 septembre 2007 Textes visés : CSS, art. L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB) et art. L. 434-2 (N° Lexbase : L4583H9M) ; loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, art. 29 et art. 31 (N° Lexbase : L7887AG9) Mots-clefs : accident du travail ; rente ; objet ; indemnisation ; handicap ; vie professionnelle (oui) indemnisation deficit fonctionnel permanent ; indemnisation (oui) Lien base : (N° Lexbase : E6338BKX) 4° Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 08-11.853, Agent judiciaire du Trésor, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0515EIW) Cassation CA Paris, 17ème ch., sect. A, 5 novembre 2007, n° 03/11796, M. Lallemand Jean-Pierre et autres c/ M. Frédéric Hodier (N° Lexbase : A0515EIW) Textes visés : CSS, art. L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB) et art. L. 434-2 (N° Lexbase : L4583H9M) ; loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, art. 29 et art. 31 (N° Lexbase : L7887AG9) Mots-clefs : accident du travail ; rente ; objet ; indemnisation ; handicap ; vie professionnelle (oui) indemnisation deficit fonctionnel permanent ; indemnisation (oui) Lien base : (N° Lexbase : E6338BKX) 5° Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 08-16.089, Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0516EIX) Cassation CA Paris, 17ème ch., sect. A, 8 novembre 2004, n° 03/11609, M. Nazareth Tarlayan c/ SNCF (N° Lexbase : A4321DER) et CA Paris, 17ème ch., sect. A, 26 novembre 2007, n° 03/11609, M. Nazareth Tarlayan c/ SNCF (N° Lexbase : A8122D39) Textes visés : CSS, art. L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB) et art. L. 434-2 (N° Lexbase : L4583H9M) ; loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, art. 29 et art. 31 (N° Lexbase : L7887AG9) Mots-clefs : accident du travail ; rente ; objet ; indemnisation ; handicap ; vie professionnelle (oui) indemnisation deficit fonctionnel permanent ; indemnisation (oui) Lien base : (N° Lexbase : E1768EP8) |
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
L'ordonnance transpose la Directive "recours" (4) environ six mois avant la date butoir imposée aux Etats, mais diffère l'entrée en vigueur du nouveau régime : le texte s'applique aux contrats pour lesquels une consultation aura été engagée à compter du 1er décembre 2009. Peut-être le législateur souhaite-t-il ce laps de temps pour donner la parole à la doctrine, aux candidats et à leurs conseils, en vue d'une éventuelle amélioration du dispositif ? L'occasion nous en étant donnée,, Lexbase Hebdo - édition publique a fait le point avec Maître Marc Richer, avocat associé du cabinet Richer, cabinet spécialisé dans les contrats publics, sur les conséquences pratiques de l'ordonnance quant à l'effectivité des recours ouverts aux candidats évincés.
Lexbase : L'ordonnance a modifié le régime applicable au référé précontractuel, en instaurant, notamment, une période d'interdiction de signature automatique en cas de saisine du juge des référés. Quels sont les objectifs poursuivis ?
Marc Richer : Les nouveaux articles L. 551-4 (N° Lexbase : L1601IEZ) et L. 551-9 (N° Lexbase : L1566IEQ) du Code de justice administrative, introduits par l'ordonnance du 7 mai 2009, qui concernent respectivement les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices, disposent, en effet, que "le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu'à la notification [à ces derniers] de la décision juridictionnelle".
Il faut savoir que sous l'empire du régime antérieur, pour contester efficacement et rapidement la passation du contrat, les candidats évincés ne disposaient que du référé précontractuel, celui-ci devant être introduit avant la signature du contrat, la saisine étant, à défaut, irrecevable.
Pour interrompre le processus de passation du contrat, le candidat évincé devait obtenir du juge qu'il rende une première ordonnance enjoignant à l'acheteur public de ne pas signer pendant une période de vingt jours maximum.
Or, le prononcé de cette première ordonnance pouvait, selon les juridictions, intervenir à l'issue d'un délai très inégal, de quelques heures à quelques jours selon les tribunaux !
Il s'agissait d'un véritable obstacle matériel à l'exercice du référé précontractuel, puisque celui-ci, déposé dans les temps, avant l'expiration du délai d'attente de dix jours dit période de stand still entre la notification du rejet de l'offre et la signature du contrat, pouvait aboutir à un non lieu.
Quant à la violation de la période de standstill, prévue à l'article 80-I du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2691ICN), qui dispose qu'"un délai d'au moins dix jours est respecté entre la date à laquelle la décision de rejet est notifiée aux candidats dont l'offre n'a pas été retenue et la date de signature du marché ou de l'accord-cadre", elle ne pouvait être sanctionnée que par un recours au fond dont la durée est totalement déconnectée de la vie économique (de deux à six ans selon les juridictions !). La règle énoncée à l'article 80-I n'en devenait, finalement, que théorique. Le Conseil d'Etat, en admettant le référé-suspension contre les marchés signés en violation de ce délai, avait marqué un progrès.
Ce problème est réglé, aujourd'hui, avec l'introduction du référé contractuel et l'obligation du juge de prononcer la nullité du contrat signé, si les périodes de standstill (énoncées aux articles L. 551-4 et L. 551-9 du Code de justice administrative et 80-I du Code des marchés publics) ont été violées.
L'ordonnance du 7 mai 2009 a, également, amélioré significativement le régime du référé précontractuel, en prévoyant, que "le juge ne peut statuer avant un délai fixé par voie réglementaire" (CJA, art. L. 551-11 N° Lexbase : L1578IE8). Grâce à cette disposition, toutes les saisines des candidats évincés pourront être prises en compte dans le cadre de la procédure, ainsi que l'indique le rapport au président de la République, relatif à l'ordonnance du 7 mai 2009 : "le principe d'un délai pendant lequel le juge ne peut statuer a pour objet de faire en sorte qu'il ne statue que lorsque tous les recours ont été déposés". Le recours est, ainsi, optimisé, puisque le juge statuera au vu de l'ensemble des moyens soulevés par tous les requérants. Il est, ainsi, mis fin à l'incroyable cacophonie qui accompagnait la passation de certains gros contrats, donnant lieu à deux, trois, voire quatre procédures de référé précontractuel déposées sur un délai d'une semaine, parfois la veille de l'audience concernant la première procédure !
Lexbase : L'ordonnance introduit, également, un nouveau recours, le référé contractuel, dont le dispositif est très similaire à celui du référé précontractuel. Peut-on, désormais, considérer que le candidat évincé a à sa disposition l'ensemble des moyens lui permettant de contester efficacement une passation de marché irrégulière ?
Marc Richer : L'introduction du référé contractuel complète, en effet, opportunément les recours déjà ouverts aux candidats évincés. Surtout, il pallie les inconvénients du recours "Tropic", en tout cas pour les contestations ayant trait aux règles de publicité et de mise en concurrence. En particulier, dans le cadre de ce recours, le candidat évincé ne peut espérer obtenir un jugement, au mieux, que dans les deux ans à compter de la saisine du juge. Il arrive, même souvent, que le contrat ait entièrement épuisé ses effets avant que le juge ne statue.
La longueur de la procédure décourage, donc, la plupart de nos clients, qui attendent des délais compatibles avec la réalité économique du terrain. Et, même si les parties peuvent introduire, depuis la jurisprudence "Tropic", un référé suspension contre le contrat signé, il faut savoir que l'urgence, qui doit nécessairement être démontrée dans ce type de référé, n'a jamais été retenue par les juges, sauf en cas de signature sans avoir laissé le temps d'introduire un référé précontractuel. La jurisprudence "Tropic", si elle a été considérée comme un grand progrès d'un point de vue théorique, est, en réalité, une révolution avortée pour les praticiens, d'un point de vue essentiel dans la vie économique : le délai.
Pour autant, ce recours "Tropic" présente, tout de même certains avantages pour ceux qui auront la patience d'attendre quelques années : il ne se limite pas aux contestations relatives à la mise en concurrence ou à la publicité, mais est, au contraire, ouvert quelque soit le grief soulevé et quelque soit le contrat en cause. Des dommages et intérêts peuvent, en outre, être alloués, ce qui est exclu dans le cadre des référés précontractuel et contractuel. Enfin, le délai, de deux mois à compter de la signature du contrat, laissé au candidat évincé pour saisir le juge, est un avantage supplémentaire pour le candidat évincé. L'ordonnance du 7 mai 2009 ne prévoit, quant à elle, aucun délai pour saisir le juge des référés contractuels, le texte se bornant à énoncer que "le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5 d'un recours régi par la présente section ". Il avait été question, lors de l'élaboration du texte, de fixer le délai de saisine à un mois à compter de la publication d'un avis d'attribution et à six mois à compter de la signature du contrat, pour les contrats ne faisant pas l'objet d'un tel avis. Le décret d'application du texte éclaircira peut-être ce point.
Lexbase : Quant aux pouvoirs laissés au juge, ne sont-ils pas, à vos yeux, trop importants ?
Marc Richer : Les pouvoirs du juge diffèrent, selon que le référé est précontractuel ou contractuel. Néanmoins, ils restent importants dans les deux cas, ce qui est une bonne chose, tout du moins, du point de vue du candidat évincé.
Dans le cadre du référé précontractuel, ses pouvoirs ont, depuis toujours, été potentiellement très importants. Il s'agit de pouvoirs de pleine juridiction lui permettant d'enjoindre à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations, d'annuler la procédure de passation, la suspendre ou la reprendre où et quand il le souhaite.
La théorie du "bilan", annoncée par la jurisprudence communautaire (4), et introduite par l'ordonnance du 7 mai 2009, offre, en outre, au juge un pouvoir supplémentaire de modulation quant aux sanctions applicables, s'il "estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages". Enfin, le texte permet au juge de prononcer des mesures d'office, alors même que les moyens n'auraient pas été soulevés par les requérants.
Dans le cadre du référé contractuel, les pouvoirs du juge sont plus limités. Il "dispose du pouvoir de prononcer la nullité du contrat, de décider de son abrégement ou de prononcer des pénalités financières [...], ses pouvoirs [étant néanmoins] encadrés, au regard de la gravité des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence" (5). Par ailleurs, le législateur lui impose de prononcer l'annulation du contrat dans un certain nombre de cas. Pour autant, celui-ci pourra, toujours, écarter l'annulation, si des "raisons impérieuses d'intérêt général" le justifient (6).
Cet encadrement très strict de la procédure de passation des commandes publiques est opportun, il contraint l'administration à encore plus de rigueur et de vigilance.
Lexbase : La France a-t-elle choisi une transposition de la Directive "recours" a minima, fidèle ou le texte dépasse-t-il les exigences fixées au niveau communautaire ?
Marc Richer : L'ordonnance du 7 mai 2009 transpose efficacement la Directive "recours", allant même, sur certains points, bien plus loin que les exigences posées par le droit communautaire. Il en va, notamment, ainsi, de la suspension automatique de la procédure de passation en cas de saisine du juge des référés précontractuels et de l'impossibilité pour le juge de statuer avant l'écoulement d'un certain délai, afin que tous les recours puissent être déposés et pris en compte.
Certes, cette ordonnance ne révolutionne pas la matière.
Mais elle apporte des ajustements concrets que l'avocat spécialisé en droit des contrats publics, professionnel de terrain, apprécie. Il est évident que dans certaines situations, cette ordonnance sauvera le droit à un recours effectif de candidats évincés.
(1) Plutarque, extrait de la Vie des hommes illustres.
(2) CE Contentieux, 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation (N° Lexbase : A4715DXW).
(3) Lire F. Brenet, La transposition de la Directive "recours" par l'ordonnance du 7 mai 2009 : entre modernisation et innovation, Lexbase Hebdo n° 113 du 28 mai 2009 - édition publique (N° Lexbase : N4450BKZ).
(4) Directive (CE) 2007/66 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 (N° Lexbase : L7337H37), modifiant les Directives (CE) 89/665 du 21 décembre 1989 (N° Lexbase : L9939AUN) et 92/13 du 25 février 1992 (N° Lexbase : L7561AUL), en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, dite Directive "recours".
(5) CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-503/04, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A4387DXR).
(6) Rapport au président de la république relatif à l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique.
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Le 07 Octobre 2010
- Grégory Benteux, avocat, cabinet Gide - Loyrette - Nouel
- Guéric Jacquet, chargé de mission à la direction générale de la modernisation de l'Etat
- Dominique Jamois, directeur du département gestion des risques, cabinet Ernst & Young
- Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat
Vendredi 26 juin 2009
18h00 - 20h00
La conférence sera suivie d'un débat avec la salle, ainsi que d'un cocktail.
Assemblée nationale
126 rue de l'Université
75007 Paris
(salle 62-37)
Gratuit
En raison du nombre de place limité l'inscription est obligatoire.
M. Julien Vial
E-mail : aensd1@gmail.com
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Lexbase : La cession de titres sociaux et celle du fonds de commerce ayant toutes deux la même finalité, quels éléments feront la différence pour le repreneur ?
Jean-Marc Grosperrin : La différence entre un share deal et un asset deal tient au périmètre concerné par la cession. Dans le premier cas, l'objet du transfert est l'entreprise dans sa globalité, composée de l'ensemble de son actif et de son passif. Dans le second cas, seuls les actifs de la société passent d'une main à l'autre. Dans le cadre d'un asset deal la cession porte, plus précisément, sur l'universalité juridique constituée de l'ensemble des éléments corporels (matériel, outillage, marchandise) et incorporels (droit au bail, nom, enseigne, brevets et marques, clientèle et achalandage), à l'exclusion de tout passif, avantage majeur de ce type d'opération. Sont, ainsi, éludées, dans le cadre de la cession de fonds de commerce, toutes les problématiques liées à la gestion du passif et, donc, à la mise en place, après avoir effectué les audits nécessaires, d'une convention de garantie de passif entre l'acquéreur et le vendeur, puisque seuls les actifs nécessitent d'être garantis.
Ce type de convention est, en revanche, inéluctable, aujourd'hui plus que jamais, dans le cadre d'un share deal. Or, les audits, qui permettent de déterminer au mieux le risque éventuel pris par l'acquéreur sont chronophages et nécessitent qu'il soit fait appel à plusieurs experts et conseils. Les coûts y afférents sont, souvent, non négligeables et les négociations portant sur l'étendue des garanties consenties et les modalités de leur mise en oeuvre sont, quant à elles, longues et peuvent se révéler très complexes.
L'asset deal présente cet autre avantage de simplifier la gestion de la reprise sur les moyen et long termes. Il est, en effet, parfois plus aisé d'intégrer une activité au sein d'une société du groupe déjà existante, que de gérer une entité supplémentaire, dans sa globalité. La question de l'intégration d'une nouvelle entreprise au sein de l'organigramme du groupe n'est pas toujours évidente : elle implique, en effet, une multiplication des acteurs, des coûts, des formalités et des obligations, en général. Or, ceci peut facilement être contourné via la cession du fonds de commerce, dès lors qu'existe au sein du groupe, une société dont tout ou partie de l'activité est similaire à celle de la cible. La gestion est, alors, rationalisée. C'est, notamment, pour cette raison que les entreprises anglo-saxonnes privilégient souvent ce type de deal. En particulier, les groupes d'une certaine importance l'ont souvent intégré dans leurs guidelines. De ce fait, l'asset deal gagne, indéniablement, en importance en France, lorsqu'il s'agit de minimiser les conséquences opérationnelles de la reprise.
Enfin, dans le cadre de la cession d'un fonds de commerce, il est plus simple pour le repreneur de faire le tri entre les contrats qu'il souhaite conserver et ceux dont il n'a pas l'utilité (puisqu'il a, éventuellement, lui-même, ses propres partenaires). L'asset deal implique qu'à l'exception des contrats de travail, du bail commercial et des contrats d'assurance, aucun des contrats ne peut être transféré sans l'accord préalable du tiers cocontractant. Le transfert au repreneur des contrats qui l'intéressent constituera, alors, une condition suspensive de la vente. Dans le cadre de la cession de droits sociaux (tout comme, d'ailleurs, dans celui de l'apport partiel d'actif et de la fusion), tous les contrats (en dehors des contrats comportant une clause de changement de contrôle qui serait exercée par le cocontractant) restent attachés à la société cédée, la condition suspensive portant, donc, sur la résiliation des contrats que le repreneur ne souhaite pas reprendre. Or, il est plus facile et moins chronophage, pour l'acquéreur, de conserver des relations commerciales avec un partenaire, plutôt que de mettre fin, sans esbroufe, à des relations contractuelles.
Pour ces raisons, l'asset deal est, souvent, une option intéressante pour le repreneur. Et si le share deal paraît plus favorable pour le vendeur, qui, en cédant sa société, "se débarrasse", également, du passif, il ne faut pas oublier que cette cession du passif impacte nécessairement le prix.
Lexbase : Qu'en est-il d'un point de vue fiscal ?
Jean-Marc Grosperrin : Qu'il s'agisse des droits d'enregistrement ou de l'imposition des plus-values, l'asset deal sera, très souvent, plus onéreux que le share deal.
Les droits d'enregistrement dus en cas de cession d'un fonds de commerce, ont été réformés par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR). Ils étaient, auparavant, fixés à 5 % du montant du prix négocié par les parties et des immobilisations, pour tout montant égal ou supérieur à 23 000 euros. Ils sont, désormais, de 3 %, lorsque ce montant est fixé entre 23 000 et 200 000 euros et de 5 %, au-delà, sans plafond. Les droits d'enregistrement prélevés au titre de la cession de titres sont, quant à eux de 3 % de la valeur des actions vendues, avec un plafond de 5 000 euros par cession (à l'exception des sociétés à prépondérance immobilière, spécialité française, demeurant soumises à un droit de 5 % non plafonné).
Dès lors, le taux d'imposition, en cas de cession de fonds de commerce, sera plus favorable à celui de la cession de titres, uniquement dans l'hypothèse où le montant du prix et des immobilisations est inférieur ou égal à 23 000 euros.
L'imposition des plus-values réalisées par le fonds de commerce cédé et celle des plus-values afférentes aux titres sont, pour leur part, équivalentes. Dans les deux cas, le taux global d'imposition est de l'ordre de 33,33 % à 34,43 %. Toutefois, il existe une exonération importante, dans le cadre d'un share deal, qui n'a pas d'équivalent en cas de cession de fonds de commerce : lorsque les titres cédés sont détenus depuis plus de deux ans avant la cession et qu'ils correspondent à des titres de participation d'un point de vue comptable (ces conditions étant cumulatives), seulement 5 % de la plus-value sera taxée à 33,33 %. Ici encore les sociétés à prépondérance immobilière font exception.
Lexbase : Existe-t-il des moyens permettant de limiter la prise de risques dans le cadre d'un share deal ?
Jean-Marc Grosperrin : Il existe, en effet, des outils qui permettent de limiter la prise de risques de l'acquéreur, dans le cadre d'une cession de droits sociaux. La garantie de passif en est l'élément phare, mais le temps requis par les audits et leurs coûts sont relativement contraignants. Par ailleurs, il faut bien reconnaître qu'il est toujours plus simple de traiter un problème en amont, que dans le cadre d'un contentieux. Or, de telles conventions génèrent, indéniablement, des litiges. Enfin, l'efficacité de ces conventions ne se cantonne pas au rapport de force entre les parties, mais dépendra beaucoup de leur vigilance et de leur rigueur, ainsi que celles de leurs conseils, lors de leur élaboration. En d'autres termes, le vendeur devra toujours faire ses meilleurs efforts, dans son propre intérêt comme dans celui de l'acquéreur, pour s'assurer que ses déclarations et garanties sont exactes. Cet exercice contraignant, mais nécessaire à la prévention des litiges, doit se faire au moment de la négociation de la garantie de passif.
Les contrats de garantie de passif ont atteint, en France, un degré important de sophistication, permettant une "hyper-identification" du risque, et sont, désormais, relativement standardisés. La plupart d'entre eux sont dérivés des contrats anglo-saxons, qui inondent le marché depuis ces vingt dernières années. Ceux-ci comportent des déclarations très nombreuses et détaillées, qui peuvent, parfois, ne pas être bien appréhendées par les dirigeants qui en seront les auteurs. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que ce n'est pas tant l'objet sur lequel portent les déclarations ou le nombre de déclarations figurant dans le contrat qui importe, que le montant d'indemnisation fixé et la durée pendant laquelle celle-ci peut être demandée. Ainsi, des dizaines, voire des centaines de déclarations ne pallieront pas l'absence de seuil et/ou de plafond d'indemnisation, ni une durée de couverture de seulement six mois, par exemple. La pratique la plus courante, toutefois en matière fiscale, consiste à faire correspondre la durée des garanties avec les prescriptions applicables. On trouve, également, de façon récurrente, ce principe en matière de propriété des titres. Pour les autres matières, la durée varie généralement entre dix-huit mois et trois ans.
Enfin, parallèlement à l'exercice des garanties de passif, les acquéreurs ont, également, recours à des actions fondées sur le dol. Grande Arlésienne de la matière, ce fondement sera, souvent, invoqué par l'acquéreur, lorsque les termes de la convention ne permettront pas de recours sur le fondement de la garantie de passif.
Lexbase : Existe-t-il des inconvénients à l'asset deal ?
Jean-Marc Grosperrin : Bien entendu, l'asset deal ne présente pas que des avantages, mais les inconvénients sont peu nombreux et, outre la fiscalité, n'influent pas, en réalité, sur la décision du repreneur de procéder à ce type d'opération. Ils tiennent, notamment, au formalisme rigoureux et à sa sanction. Le contrat de cession de fonds de commerce répond à un formalisme très strict. Il doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires, à peine de nullité. Le vendeur et l'acquéreur doivent élaborer ensemble la liste complète et détaillée des actifs transmis ; cette liste doit être établie avec une grande vigilance, afin de s'assurer du périmètre des actifs transférés.
Il faut, également, garder à l'esprit que les créanciers peuvent faire opposition pendant les dix jours à compter de la seconde publication de l'opération au Bodacc -sauf en matière fiscale, où ce délai est porté à quatre mois-, délais pendant lesquels le vendeur et l'acquéreur sont solidairement tenus des dettes. Pour faire face aux mauvaises surprises, la pratique impose, de longue date, de séquestrer le prix. S'il est, toutefois, difficile de négocier l'absence de séquestre, la durée de celui-ci est, généralement, écourtée.
En outre, l'asset deal peut impliquer une cession de l'immeuble d'exploitation (supposant de la documentation, le recours à un notaire et des coûts supplémentaires), lorsque l'activité l'exige et que l'immeuble appartient au cédant. Celui-ci peut, toutefois, également, décider de louer les locaux. S'il n'est que locataire, le problème ne se posera pas, puisque le droit au bail sera cédé dans le cadre de la cession de fonds de commerce.
Enfin, il convient, dans ce cas, de purger le droit de préemption des communes (institué par l'article 58 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises [LXB=7582HEK]), qui, en pratique, reste très théorique dans son exercice, et procéder à la consultation du comité d'entreprise ou des représentants du personnel (cette condition en matière sociale s'appliquant également au share deal).
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Réf. : Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.346, Société Oise protection c/ M. Saïd Habti et a., F-P+B (N° Lexbase : A6405EHP)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a exactement énoncé que l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, qui prévoit la possibilité d'une obligation formelle du port de l'uniforme pour les agents de maîtrise affectés à certains postes fixes ou itinérants, ne concernait que les salariés en contact avec la clientèle ; Attendu, ensuite, que la cour d'appel a constaté que l'uniforme était représentatif de la société employeur et que les salariés, en leur qualité d'agents vidéo n'avaient pas pour mission de procéder à des interpellations et que leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle ; qu'exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1338H9G), la cour d'appel a pu décider que les licenciements ne procédaient pas d'une cause réelle et sérieuse. |
Commentaire
I - Une solution dictée par l'interprétation de la convention collective applicable
En l'espèce, et pour aller à l'essentiel, deux salariés de la société Oise protection chargés, en leur qualité d'agent de maîtrise, des fonctions d'agents vidéo au sein d'un magasin Carrefour, avaient refusé de porter l'uniforme que l'employeur leur imposait, ce qui avait entraîné leur licenciement pour faute grave. Consécutivement à l'action intentée par les salariés, les juges d'appel avaient jugé que leur licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
A l'appui de son pourvoi en cassation, la société employeur soutenait que l'annexe V, relative aux agents de maîtrise, à la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité prévoit, en son article 5, que "la fonction d'agent de maîtrise entraîne pour certains postes d'emploi fixes ou itinérants l'obligation de porter un uniforme pendant la durée du service". Par conséquent, en retenant qu'il résultait de ce texte que "l'obligation de porter un uniforme concerne les salariés qui sont en contact avec la clientèle" pour faire droit aux demandes des salariés, la cour d'appel n'aurait pas légalement justifié sa décision au regard de ladite convention collective.
L'employeur arguait, par ailleurs, que peuvent être en contact avec la clientèle les agents qui ne sont pas chargés d'interpeller les gens et que tenus de donner des détails par téléphone ou talkie walkie à leurs collègues, les agents en cause pouvaient se trouver en contact avec la clientèle sur laquelle ils devaient "donner des détails".
Ces arguments n'ont pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi en relevant, d'abord, que la cour d'appel a exactement énoncé que l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, qui prévoit la possibilité d'une obligation formelle du port de l'uniforme pour les agents de maîtrise affectés à certains postes fixes ou itinérants, ne concernait que les salariés en contact avec la clientèle. La Chambre sociale souligne, ensuite, que la cour d'appel a constaté que l'uniforme était représentatif de la société employeur et que les salariés, en leur qualité d'agents vidéo, n'avaient pas pour mission de procéder à des interpellations et que leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle. Par conséquent, exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du Code du travail, la cour d'appel a pu décider que les licenciements ne procédaient pas d'une cause réelle et sérieuse.
A lire le motif de principe retenu par la Cour de cassation, il apparaît que la solution retenue procède de l'interprétation de la convention collective.
Comme nous venons de le voir, était en cause, en l'espèce, l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985, étendue par arrêté du 25 juillet 1985. Cet article stipule, en son alinéa 1er, que "la fonction d'agent de maîtrise entraîne pour certains postes d'emploi fixes ou itinérants l'obligation formelle du port de l'uniforme pendant la durée du service". Quant à son alinéa 2, il précise que "l'uniforme professionnel étant représentatif de la société employeur, il ne doit en aucun cas être porté en dehors des heures de service".
Ainsi, l'on s'aperçoit que l'article en cause ne précise pas de manière expresse que le port de l'uniforme pour les agents de maîtrise ne concerne que les salariés en contact avec la clientèle. C'est pourtant la solution qui a été retenue par la cour d'appel, approuvée en cela par la Cour de cassation. On pourrait juger cela critiquable si, ce faisant, les juges du fond avaient dénaturé une stipulation claire et précise de la norme conventionnelle applicable. Or, tel ne nous semble pas être le cas.
En effet, l'article 5 de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité stipule que l'obligation formelle de porter un uniforme ne concerne que "certains postes d'emploi fixes ou itinérants" (nous soulignons). En d'autres termes, il y a lieu de comprendre que certains agents de maîtrise ne sont pas soumis à une telle obligation. Mais il reste alors à déterminer les salariés de cette catégorie astreints au port de l'uniforme et ceux qui échappent à cette obligation. Or, de ce point de vue, la convention collective apparaît pour le moins obscure. Toutefois, l'alinéa 2 de l'article précité interdit le port de l'uniforme professionnel en dehors des heures de service parce qu'il est "représentatif de la société employeur". A lire le motif de l'arrêt d'appel tel qu'il figure dans le moyen annexé à la décision, c'est de cette stipulation que procède la déduction selon laquelle l'obligation de porter un uniforme concerne les salariés qui sont en contact avec la clientèle.
Si certains pourront juger que cette interprétation est aventureuse, elle peut, néanmoins, être approuvée. En effet, parce que l'uniforme est "représentatif de la société employeur", il permet d'identifier les fonctions des personnes qui le porte. Mais cette identification n'a de sens que si les salariés de la société de gardiennage sont en contact avec la clientèle du magasin qu'ils sont chargés de surveiller et, éventuellement, des salariés du magasin dans lequel ils travaillent. Les salariés qui passent leur temps enfermé dans un local, afin de scruter un écran de contrôle n'ont nul besoin d'être identifiés par qui que ce soit.
Ainsi interprétée, la convention collective applicable ne pouvait que conduire à dénier toute justification aux licenciements prononcés dès lors que, ainsi que le relève la Cour de cassation à la suite des juges du fond, les salariés en cause, "en leur qualité d'agents vidéo n'avaient pas pour mission de procéder à des interpellations et que leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle".
Fondée sur la seule interprétation des stipulations de la convention collective applicable, la solution est confortée par les prescriptions légales et, plus particulièrement, par l'article L. 1121-1 du Code du travail.
II - Une solution confortée par la protection des libertés individuelles
On se souvient que dans la fameuse affaire dite "du bermuda", la Cour de cassation avait décidé que "la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales" (1). Si une telle solution peut être discutée en ce qu'elle écarte la qualification de liberté fondamentale (2), elle n'en confirme pas moins que le salarié conserve la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu de travail. Une telle liberté n'est, cependant, pas sans limites et l'employeur peut y apporter des restrictions.
Mais le pouvoir de direction de l'employeur se trouve, également, enfermé dans de strictes limites. Conformément aux prescriptions de l'article L. 1121-1 du Code du travail, la Cour de cassation considère avec constance qu'un employeur peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires si elles sont justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché (3).
Il ressort de la jurisprudence de la Chambre sociale en la matière que la justification des contraintes vestimentaires est plus facilement admise lorsque le salarié est en contact avec la clientèle (4). Cela étant, et pour en revenir à l'arrêt qui nous intéresse, on ne saurait, toutefois, affirmer que l'employeur peut imposer le port d'un uniforme à un salarié pour la seule raison qu'il est en contact avec la clientèle. A l'évidence, ce n'est pas la même chose d'exiger le port une tenue correcte et d'imposer de revêtir d'un uniforme. On peut, néanmoins, considérer que la nécessité de permettre l'identification des fonctions du salarié ou son appartenance à une société particulière peut constituer une justification suffisante.
Ainsi que nous l'avons vu, il n'y avait, en l'espèce, nul besoin de recourir à l'article L. 1121-1 du Code du travail. Celui-ci aurait pu, en revanche, être utilement mobilisé si la convention collective s'était bornée à affirmer que tous les agents de maîtrise devaient porter un uniforme pendant la durée du service. Les salariés n'ayant aucun contact avec la clientèle auraient, en effet, pu soutenir que l'obligation en cause n'était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir.
Cela étant, on peut se demander s'il n'aurait tout de même pas été opportun pour les salariés de soutenir que les stipulations de la convention collective étaient contraires à l'article L. 1121-1 du Code du travail. Plus précisément, ces derniers auraient pu avancer que l'atteinte portée à leur liberté de se vêtir à leur guise était illicite et que, par voie de conséquence, leur licenciement reposant sur une cause illicite, il devait être anéanti. Cela leur aurait permis de solliciter leur réintégration ou, à défaut, une indemnisation plus conséquente que celle versée lorsque le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Une telle issue n'aurait, cependant, pas été inéluctable. En effet, il convient de rappeler que la Cour de cassation n'accepte de sanctionner un licenciement par la nullité que si une disposition particulière le prévoit ou en cas de violation d'une liberté fondamentale. Or, nous l'avons vu, la Chambre sociale se refuse à voir dans la liberté de se vêtir à sa guise une liberté fondamentale. Une évolution apparaît, ici, souhaitable car il est difficile de se satisfaire qu'un licenciement en relation directe avec une atteinte injustifiée à une liberté individuelle soit simplement déclaré sans cause réelle et sérieuse.
(1) Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, M. Cédric Monribot c/ Société Sagem (N° Lexbase : A6668CK8) et les obs. de Ch. Figerou, La liberté de se vêtir : une liberté certes, mais pas fondamentale, Lexbase Hebdo n° 74 du 4 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7609AA3).
(2) V., en ce sens, Ph. Waquet, Le bermuda ou l'emploi, Dr. soc., 2003, p. 812 ; B. Bossu, note ss. Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.220, M. Cédric Monribot, F-D (N° Lexbase : A2446EB9), JCP éd. S, 2009, 1200.
(3) V. en dernier lieu, Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.220, préc..
(4) Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43.988, Mme Nicole Brunet c/ Société LR immobilier (N° Lexbase : A0702AXB) : l'employeur peut interdire le port du survêtement à une salariée en contact avec la clientèle ; Cass. soc., 12 juillet 1989, n° 86-40.987, Jegou c/ SA Monfredo matériaux (N° Lexbase : A8250AGN) : est constitutif d'une cause réelle et sérieuse le licenciement d'un salarié qui, alors qu'il est en contact avec la clientèle, fait preuve de négligence dans sa tenue vestimentaire.
Décision
Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.346, Société Oise protection c/ M. Saïd Habti et a., F-P+B (N° Lexbase : A6405EHP) Rejet, CA Versailles, 11ème ch., 18 septembre 2007 Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) ; Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, art. 5 de l'annexe V Mots-clefs : libertés individuelles ; contraintes vestimentaires ; port de l'uniforme ; obligation conventionnelle ; limites Lien base : |
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