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N5640BIQ
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Les rédacteurs du Code civil n'auraient, sans doute, pas nié la nécessité de rendre plus lisible le droit des contrats, 200 ans après la promulgation du troisième Livre du Code de 1804. Leur entreprise ne fut pas autre que de réaliser la symbiose entre le droit écrit et le droit coutumier aux fins de sécurité juridique et de stabilité sociale du peuple français. Certes, il n'est pas question, aujourd'hui, que les Français s'insurgent à la lecture du projet de réforme du droit des contrats, mais l'incorporation des solutions éprouvées de la jurisprudence et l'insertion de définitions des concepts régissant la matière permettent la sécurité juridique par le biais d'une meilleure lisibilité et intelligibilité de notre droit des obligations. Rien n'empêche, par la suite, la Doctrine d'améliorer les définitions législatives et le juge de revoir sa position à l'épreuve du temps et de la pratique contractuelle.
En revanche, si la "liberté contractuelle", héritage des Lumières que les rédacteurs, en leur temps, avaient dû traduire dans le nouveau lien social issu de la Révolution, demeure l'un des piliers de cette réforme, ainsi que "l'ordre public" cher à Napoléon lui-même, il est permis de s'interroger sur les concepts de "bonne foi" et de "cohérence" érigés comme nouveaux principes directeurs du droit des contrats, tant la force obligatoire du contrat demeure la clé de voute de l'architecture même du droit des obligations, sans lequel l'existence précéderait l'essence...
Convenons, encore, que la conversation entre nos éminents membres de la commission "Catala" et l'aréopage des fondateurs de la "Constitution civile des Français", comme se plaisait à dénommer le Code de 1804, le Doyen Carbonnier, aurait pu être houleuse, à l'énoncé d'un abandon programmé de la théorie de la cause du contrat au profit d'un concept dit plus éclairant : l'intérêt du contrat. Là encore, il ne s'agit pas tant de simplifier le droit des obligations en supprimant la cause comme élément de formation et de validité du contrat que d'aligner le droit des contrats français sur le droit germanique qui lui préfère le "fondement contractuel du contrat" (geschäftsgrundlage), ou encore, le "trouble du but contractuel" (zweckstörungen). Les notions, à y regarder de près, ne sont pas si éloignées que cela. Et les causalistes de rappeler que la théorie de la cause prévaut largement dans le monde, la common law l'évoquant même sous le concept de consideration. Par conséquent, le compromis obligeait sans doute à abandonner le vocable, mais pas sa fonction... "Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne / La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne" (dans Le Menteur de Corneille).
Enfin, avec la théorie de l'imprévision, c'est la force obligatoire du contrat, elle-même, qui s'avère menacée. Même si Hugo Grotius, fondateur du droit international, nous enseigne que "la loi nous oblige à faire ce qui est dit et non ce qui est juste", le droit civil ne méconnaît pas, aujourd'hui, cette faculté de revenir sur l'étendu des obligations au contrat. La lésion permet, déjà, d'évacuer un certain nombre de problèmes liés au déséquilibre manifeste du contrat ; les procédures collectives et de surendettement permettent, également, de prendre en considération les imprévisions économiques afin de réviser les obligations du débiteur, réglant par là même la majeure partie des problèmes pouvant survenir dans la vie du contrat. Alors, quid de l'introduction formelle de l'imprévision, permettant au juge d'obliger les parties à renégocier le contrat, voire lui permettant de l'enterrer ? Là, encore, faut-il y voir la marque de l'alignement du droit des contrats français sur le droit germanique et la common law, pour lesquels la révision du contrat est toujours possible au regard de la liberté contractuelle.
Et, au-delà des querelles relatives à ces questions fondamentales et à d'autres (celle de l'offre irrévocable, de l'acceptation-réception, de la non-rétroactivité de la condition suspensive, etc.), c'est bien celle de l'attractivité du droit des contrats français qui se pose cruellement devant nous. Au même titre que la philosophie des Lumières et son bras séculier, la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, avaient une vocation universelle, le Code de 1804 est communément appelé "Code Napoléon", non pas parce que le Premier Consul a assisté à quelques séances de rédaction, mais plus fondamentalement parce que son universalisme, imposé par les conquêtes impériales, fut avéré par l'enracinement séculaire des principes dégagés pas nos cinq pères-rédacteurs à travers tous les continents. Et quoi de plus étrange, en effet, que de rechercher l'attractivité dans l'alignement juridique sur le système le moins communément choisi, le système germanique, ou sur celui le moins élaboré, fondé sur la pratique, la common law, lorsque la vocation universelle du droit civil français n'a jamais été, profondément, remise en cause ?
"Le mal de changer est-il toujours moins grand que le mal de souffrir ? Lorsque les citoyens suivent les lois, qu'importe qu'ils suivent la même ?" s'interrogeait Montesquieu, hostile, en son temps, à l'uniformisation du droit.
En trois ans, Locré aura recensé près d'une centaine de séances en Conseil d'Etat pour aboutir au texte du Code civil finalement promulgué le 30 ventôse de l'an XII, après trois tentatives avortées entre 1793 et 1797. Gageons que la Chancellerie ne connaîtra pas les mêmes affres aux fins de réformer le coeur même de notre droit civil. L'obligation est là, le compromis doit être bon.
Anne-Laure Blouet-Patin, Rédactrice en chef du pôle Presse, a souhaité recueillir le sentiment et l'analyse sur ce projet de réforme de Xavier Henry, Professeur et Directeur du Centre de recherche en droit privé de l'Université de Nancy.
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Réf. : Rapport de la Cour des comptes 2009
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N5673BIX
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"
Le 07 Octobre 2010
I - La participation des employeurs à l'effort de construction
Dans la première partie de son rapport 2009 ("Partie I : Les observations des juridictions financières - Politiques publiques"), la Cour des comptes consacre des développements sévères et très critiques sur la question de la participation des employeurs à l'effort de construction.
A - Etat des lieux
La création de la participation des employeurs à l'effort de construction remonte au vote de la loi n° 53-611 du 11 juillet 1953, portant redressement économique et financier. Ses modalités d'application ont été définies par le décret n° 53-701 du 9 août 1953, relatif à la participation des employeurs à l'effort de construction, qui a assujetti les employeurs exerçant une activité industrielle et occupant au minimum dix salariés à une obligation de consacrer des sommes représentant 1 % de leur masse salariale au logement de leurs employés. Une telle initiative répondait au souci du Gouvernement de l'époque de généraliser les initiatives prises par certains employeurs, notamment, dans le nord de la France, tendant à favoriser l'amélioration des conditions de logement de leurs salariés, sous la forme de prêts à faibles taux ou d'aides à la construction ou à la réhabilitation de logements sociaux, en contrepartie de droits de réservation. La participation des employeurs à l'effort de construction a vu, par la suite, son assiette réduite, puisque son taux a été abaissé à 0,45 % de la masse salariale en 1991, la différence servant, essentiellement, au financement des aides personnelles au logement. En ce qui concerne son champ d'application, sont, aujourd'hui, assujetties à la participation des employeurs à l'effort de construction les entreprises ne relevant pas du régime agricole et occupant vingt salariés au minimum. Le taux de participation s'applique à la masse salariale de l'année précédente (1).
Prélèvement obligatoire (ressources annuelles de 4 millions d'euros), la participation des employeurs à l'effort de construction est susceptible de constituer un levier puissant pour la politique du logement. Dans son rapport public 2006, la Cour mettait en évidence les défauts du système : coût élevé d'une gestion dispersée entre des collecteurs trop nombreux, risque de confusion de missions et de conflits d'intérêt tenant à la composition des instances dirigeantes, contrôles lacunaires, absence de débat au Parlement sur l'utilisation des crédits affectés à la politique du logement et absence d'évaluation de l'utilité des emplois des fonds de la participation des employeurs à l'effort de construction.
Le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion n° 497, déposé le 23 juillet 2008 (2), comporte un certain nombre de mesures tendant à réformer en profondeur la gouvernance du 1 % et les modalités de l'utilisation des ressources. En effet, le projet de loi rénove en profondeur la gouvernance du 1 % logement afin d'améliorer le pilotage et le suivi des actions qui seront mises en oeuvre, en fonction d'objectifs conformes aux priorités de la politique du logement. Conformément aux orientations arrêtées par le conseil de modernisation des politiques publiques du 4 avril 2008, l'article 3 du projet de loi propose une réforme d'ampleur de la gouvernance du 1 % logement, dont la caractéristique principale est la suppression du mode de gestion conventionnel et partenarial de l'emploi des fonds, auquel se substitue un mécanisme de détermination des emplois par la loi et le règlement. Il est, également, proposé une réforme substantielle des modalités de contrôle de l'utilisation de ces fonds, dont la mission incomberait, néanmoins, toujours à l'Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction (ANPEEC). Selon la Cour des comptes, la loi contribuera, sans doute, à une meilleure efficacité du système dans son ensemble.
La Cour a souhaité procéder à un nouveau contrôle de l'Union d'économie sociale pour le logement (UESL) et de l'ANPEEC qu'elle a élargi à la Foncière Logement et à un certain nombre de comités interprofessionnels du logement (CIL). Elle a constaté que la plupart des dysfonctionnements, constatés en 2006, dans la gouvernance de la participation des employeurs à l'effort de construction avaient perduré et elle souhaite, à nouveau, insister sur la nécessité d'une réforme en profondeur, qui concerne l'ensemble du réseau des collecteurs. Par ailleurs, même si les conditions d'utilisation des ressources se trouvent clarifiées, il importe que cette utilisation donne lieu à un débat devant le Parlement, éclairé par des projections financières fiables.
Les critiques formulées par la Cour des comptes porte, d'abord, sur le mode de gestion du dispositif. Elle constate une gestion centrale confuse et périlleuse, mise en danger par les conflits d'intérêt et par le défaut de contrôle ; des processus normatifs et décisionnels incertains ; une organisation locale lourde et coûteuse, marquée par l'insuffisante adaptation du réseau des collecteurs à l'évolution des missions, un défaut de mutualisation des tâches et un réseau toujours pléthorique et mal piloté.
D'autre part, la Cour des comptes s'est interrogée sur l'utilité des actions et leur cohérence avec une politique du logement. Elle constate l'utilité sociale non démontrée de plusieurs actions, en raison de l'évaluation toujours attendue des emplois des fonds de la Participation des entreprises à l'effort de construction (PEEC) et un bilan, à ce jour médiocre, des actions de la Foncière Logement. Aussi, la Cour suggère la nécessité d'une mise en cohérence avec les politiques publiques du logement, notamment, en raison d'un équilibre financier incertain.
B Recommandations
Le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion entend corriger les défauts qui affectaient la gouvernance du 1 % logement et qui ont permis de graves dérives et d'importants gaspillages de ressources issues de ce prélèvement obligatoire. La présentation des flux de la participation des employeurs à l'effort de construction dans les documents budgétaires annuels, instituée par la même loi, constitue une avancée pour le débat démocratique, selon la Cour des comptes. La reprise de l'initiative par l'Etat dans l'orientation des emplois des fonds de la participation des employeurs à l'effort de construction, dont les caractéristiques et les masses seront, désormais, fixées par décret, après consultation des partenaires sociaux, constitue une autre étape essentielle dans la nécessaire insertion de la participation des employeurs à l'effort de construction dans la politique nationale du logement.
Une fois les institutions de la participation des employeurs à l'effort de construction rénovées, une autre phase de réforme devra être engagée, celle relative au réseau des collecteurs, à sa réorganisation en cohérence avec le mouvement de décentralisation de la politique du logement et au sort à donner à leur patrimoine constitué à partir des excédents de la collecte et du résultat économique des emplois des fonds, afin qu'il serve le mieux possible à la collectivité.
Les recommandations qui suivent énoncent ces changements que la Cour considère comme nécessaires :
- concernant l'Etat : exercer effectivement le contrôle de l'UESL et de la Foncière Logement au moyen, notamment, d'un rapprochement entre la mission interministérielle d'inspection du logement social (MIILOS) et l'agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction ;
- concernant l'UESL et le réseau des collecteurs : engager un schéma directeur de regroupement des collecteurs, vraisemblablement sur une base régionale, afin de prendre en compte la décentralisation de la politique du logement, et mettre en place les conditions de leur insertion dans les politiques locales du logement ; disposer au niveau de l'UESL d'un tableau de bord permettant avec un petit nombre d'indicateurs, de suivre la productivité et la performance des collecteurs ; assurer la publication par les groupes de CIL de comptes consolidés ou, à tout le moins, combinés, afin de rendre compte des flux financiers entre les collecteurs et les sociétés de HLM dont ils sont actionnaires ; s'assurer que les collecteurs agissent en conformité avec les règles de la concurrence lorsqu'ils interviennent dans le secteur marchand ; réaliser et actualiser régulièrement des projections financières sur les ressources et les emplois de la participation des employeurs à l'effort de construction ; évaluer régulièrement l'efficacité sociale comparée des différents emplois de la participation des employeurs à l'effort de construction ; et engager une réflexion sur le sort des actifs des collecteurs ;
- concernant la Foncière Logement : faire expertiser les programmes immobiliers engagés et revoir les conditions d'intervention en fonction de l'utilité marginale des emplois alternatifs (c'est-à-dire au regard des autres utilisations possibles des fonds versés par l'UESL) ; revoir l'organisation et les relations avec les sous-traitants dans le strict respect des règles de la concurrence et en vue d'éviter tout conflit d'intérêt.
II - La formation à l'initiative des salariés
A - Etat des lieux
Mise en place par l'accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970 et la loi du 16 juillet 1971 (loi n° 71-575, portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l'éducation permanente N° Lexbase : L1987DYA), la formation professionnelle continue des salariés s'est, dès l'origine, organisée selon une double logique : l'insertion dans l'emploi et la mobilité sociale et professionnelle. A cette double préoccupation a correspondu la création de deux dispositifs distincts, dans leur philosophie comme dans leur mise en oeuvre. La formation des actifs occupés s'inscrit, à titre principal, dans le cadre du plan de formation de l'entreprise, de la seule responsabilité de l'employeur dans son élaboration et sa réalisation. Mais, tout salarié engagé dans la vie professionnelle depuis une certaine durée a droit, également, à sa seule initiative et à titre individuel, à bénéficier d'une autorisation d'absence, le congé individuel de formation (CIF), pour lui permettre de suivre une formation à finalité de développement personnel ou de reconversion professionnelle.
La loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8), qui a retranscrit dans le Code du travail les conclusions de l'accord national interprofessionnel signé par l'ensemble des partenaires sociaux le 5 décembre 2003, a, par ailleurs, créé, au bénéfice des salariés, une troisième voie d'accès à la formation : le droit individuel à la formation (DIF). Ce nouveau droit est, également, mobilisable par chaque salarié, selon des modalités très originales.
Dans le prolongement de ses récents travaux consacrés à la formation professionnelle (3), la Cour des comptes a, ainsi, examiné la place de ces deux dispositifs de formation à l'initiative des salariés que constituent le DIF et le CIF, cherché à apprécier leurs résultats et analysé leur mode de financement. Elle a, dans ce cadre, procédé au contrôle de différents organismes qui interviennent dans la gestion du CIF : le Fonds de gestion du congé individuel de formation pour l'Ile-de-France (FONGECIF-IDF, qui constitue la plus importante institution), l'Association de gestion du congé individuel de formation des industries électriques et gazières (AGECIF-IEG, spécifique aux salariés de ce secteur) et le Fonds unique de péréquation (FUP), notamment, chargé d'une fonction de mutualisation financière.
La Cour, à l'issue de ces enquêtes, constate que ces dispositifs n'apportent qu'une contribution très incomplète à la correction des inégalités d'accès à la formation professionnelle continue et à la sécurisation des parcours professionnels en raison, notamment, de leur absence de complémentarité, d'un faible nombre de bénéficiaires et de leur absence de ciblage sur les publics les plus fragiles. Sur un plan financier, ils se révèlent, particulièrement, lourds d'enjeux, faisant peser des risques considérables sur le financement du système de formation professionnelle.
B Recommandations
Dans un contexte de réforme de la formation professionnelle et dans le prolongement des préconisations de ses travaux antérieurs, la Cour des comptes a formulé un certain nombre de recommandations :
- recentrer, sans délai et très fortement, le DIF, en revenant sur le principe d'une ouverture généralisée qui creuse les inégalités de formation plus qu'elle ne les corrige, et en le réservant exclusivement aux seuls publics les plus fragiles, pour des formations permettant, effectivement, de sécuriser leurs parcours professionnel (salariés qui n'ont pas bénéficié d'une formation initiale débouchant sur une qualification, salariés des PME et TPE, seniors...) ;
- dédier au financement du DIF, ainsi recentré, une fraction de la contribution acquittée par les entreprises au titre du CIF, dans une logique de sécurisation et de mutualisation ;
- articuler étroitement CIF et DIF, selon une logique de droit différé à la formation pour les publics fragiles en situation de reconversion ou de mobilité professionnelle, en rendant obligatoire la mobilisation du DIF en cas de demande de CIF, et en mettant en place une portabilité limitée du CIF en cas de transition professionnelle, selon des modalités analogues à celles prévues pour le DIF par l'accord du 11 janvier 2008 ;
- fusionner les dispositifs du CIF-CDD et du DIF-CDD, en majorant la contribution des entreprises au CIF-CDD, pour élargir, sans nouveaux délais, les possibilités d'accès à une formation des titulaires des contrats à durée déterminée ;
- reconfigurer le réseau des Opacif en centralisant l'ensemble de la collecte au sein d'un organisme à caractère national et interprofessionnel, permettant une mutualisation complète des financements dédiés au CIF, en supprimant les Agecif et collecteurs spécifiques, et en confiant aux seuls Fongecif régionaux une mission d'instruction des demandes selon des priorités, des critères et des niveaux de prise en charge harmonisés ;
- mettre plus largement en place un système de mutualisation effectif des fonds de la formation professionnelle sur le plan national, notamment, en permettant la fongibilité des réserves du FUP au profit du financement de parcours de formation pour les salariés prioritaires, et par la création de "fonds régionaux pour la formation tout au long de la vie" au niveau régional.
III - Politiques de l'emploi
A - Les allègements et exonérations de charges sociales
La Cour des comptes consacre, dans son rapport 2009 ("Partie II : Les suites données aux observations des juridictions financières - Les suites données aux observations de la Cour des comptes), des développements utiles et corrosifs sur les politiques publiques de l'emploi. Dans deux rapports sur les exonérations de charges sociales transmis à la commission des finances de l'Assemblée nationale en juillet 2006 et octobre 2007 (4), la Cour avait relevé que les nombreux dispositifs d'allègement des charges sociales étaient insuffisamment évalués en dépit de la charge financière croissante qu'ils représentaient pour les finances publiques (27,8 millions d'euros en 2007, soit 1,5 % du PIB).
S'agissant des allègements généraux sur les bas salaires, leur efficacité sur l'emploi était trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité. Quant aux allègements ciblés sur des territoires ou des secteurs d'activité, leur manque de lisibilité et leur impact limité sur l'emploi justifiaient un réexamen des différents mécanismes. La Cour a bien noté le récent effort de recentrage de certains allègements ciblés. Toutefois, le dispositif des allègements généraux a vu sa complexité s'accroître et ses coûts progresser encore.
La Cour des comptes avait préconisé d'en réduire le coût global, de mieux les cibler sur les emplois les moins qualifiés et sur les entreprises qui en ont le plus besoin, et d'engager de nouvelles évaluations de leur effet sur l'emploi. Elle n'a été partiellement suivie que sur ce dernier point. Pour limiter le coût des allègements généraux, la Cour avait suggéré d'abaisser le seuil d'exonération de 1,6 à 1,3 SMIC. Les exonérations se concentrant sur les petites entreprises, elle avait, aussi, proposé d'en limiter le bénéfice aux entreprises de moins de 20 salariés.
Elle remarquait, également, que les allègements bénéficiaient pour l'essentiel à des activités tertiaires, notamment, la grande distribution, non soumises directement à la concurrence internationale, pour lesquelles ils constituaient un véritable effet d'aubaine (5).
La Cour des comptes souhaitait un réexamen d'ensemble. Les mesures récentes, si elles ne répondent pas à toutes les critiques, ont cherché, comme le souhaitait la Cour, à donner plus de cohérence au dispositif d'ensemble.
Les critères d'attribution des exonérations ciblées sur les territoires (zones franches urbaines, "ZFU", zones de redynamisation urbaine, "ZRU", zones de revitalisation rurale, "ZRR", départements d'outre-mer, "DOM") ont été partiellement harmonisés avec ceux des exonérations générales. La loi de finances pour 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, art. 190 N° Lexbase : L3783IC4) (6) a réformé le régime des aides accordées aux entreprises implantées dans une ZFU. Depuis le 1er janvier 2009, le montant de l'exonération décroît de manière linéaire lorsque la rémunération horaire est supérieure au SMIC majoré de 40 % et devient nul lorsque la rémunération horaire est égale à 2, 4 fois le SMIC du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 ; à 2, 2 fois le SMIC du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 et à deux fois le SMIC à partir du 1er janvier 2011.
Le dispositif d'exonération dans les zones de redynamisation urbaine a été recentré pour les nouveaux contrats sur les bas et moyens salaires (seuils compris entre 1,5 SMIC et 2,4 SMIC). Cette réforme simplifie cette aide, la rapproche du dispositif général et la rend moins coûteuse, mais elle ne contribuera pas à la rendre plus utilisée. La Cour des comptes avait préconisé sa pure et simple suppression.
Une évaluation récente de l'INSEE confirme les conclusions de la Cour sur le faible impact des aides sur les entreprises implantées dans les zones franches urbaines et estime que le coût annuel de l'emploi créé induit une charge supplémentaire pour l'Etat de 31 000 euros, ce qui, selon la Cour des comptes, est élevé, d'autant qu'il s'agit d'emplois pour lesquels l'effet de substitution ne peut être mesuré. Le dispositif d'exonération dans les zones de revitalisation rurale a été supprimé pour les organismes d'intérêt général et les associations, mais maintenu pour les entreprises, alors que la Cour avait constaté qu'il était peu utilisé et qu'il était sans portée sur l'activité, d'après une évaluation économétrique.
La loi de finances pour 2009 modifie, en revanche, le dispositif spécifique d'allègement des charges dans les DOM, dans le droit fil des recommandations de la Cour. Celui-ci devient identique pour toutes les entreprises (à l'exception des entreprises situées dans les nouvelles zones franches globales d'activités créées par la loi, qui bénéficient de seuils d'exonération plus élevés) et est recentré sur les bas et moyens salaires. Si aucune analyse de l'incidence sur le travail non déclaré de ces exonérations n'a été à ce stade menée, ce texte crée une commission nationale d'évaluation des politiques publiques dans les DOM.
Par ailleurs certaines exonérations sectorielles ont fait l'objet d'ajustements, il en est, ainsi, de la suppression partielle des exonérations spécifiques aux contrats de professionnalisation.
Enfin, la Cour des comptes s'est félicitée des avancées de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008, en faveur des revenus du travail (N° Lexbase : L9777IBQ), créant un dispositif de contrepartie aux exonérations de charges sociales (7). La loi du 3 décembre 2008 réduit de 10 %, dès le 1er janvier 2009, les principaux allègements de cotisations sociales patronales dont bénéficient les entreprises (allègements généraux sur les bas salaires et réductions ciblées sur les différentes zones), si elles n'ouvrent pas la négociation annuelle obligatoire sur les salaires lorsqu'elles y sont légalement tenues.
Mais ces remodelages ou suppressions de certains dispositifs interviennent, toutefois, après la création de nouvelles exonérations ciblées en 2007 et 2008 : bassins d'emploi à redynamiser, arbitres et juges sportifs, régime microsocial, intéressement de projet. Ainsi, la loi "Tepa" du 21 août 2007 est venue rendre le système d'exonérations encore plus complexe et plus coûteux. Elle a, en effet, créé de nouvelles exonérations générales portant sur les heures supplémentaires et complémentaires d'un coût total estimé à 2,9 millions d'euros pour 2008. Par ailleurs, ce texte et la loi sur le pouvoir d'achat du 8 février 2008 ont accru la complexité du système en étendant les exonérations, qui ne portaient que sur les charges patronales, aux cotisations salariales et à certains éléments exceptionnels de rémunération.
A plusieurs reprises, la Cour a souligné la nécessité d'une meilleure évaluation, à l'instar des travaux parlementaires publiés en 1999 (8). Cette préconisation a été davantage suivie d'effets. Trois nouvelles études d'évaluation des exonérations générales sur les bas salaires, par des méthodes économétriques sur des données récentes, ont été commandées en 2006 par le ministère chargé de l'Emploi, mais leurs résultats n'étaient pas encore disponibles à la fin de 2008. L'INSEE s'est, aussi, engagé dans un modèle de micro simulation, qui doit fournir des éléments d'appréciation nouveaux sur les effets économiques de ces allègements couplés aux évolutions concomitantes du SMIC. Toutefois, la loi "Tepa" n'a pas fait l'objet d'évaluation préalable, alors que la Cour des comptes avait recommandé de mieux évaluer ces dispositifs. Le nombre d'heures supplémentaires réalisées avant ce texte étant mal connu au départ, il sera très difficile de mesurer son impact avec exactitude et rigueur.
La loi de finances pour 2009 (art. 189) prévoit, enfin, que le Gouvernement remettra au Parlement, avant le 15 juin 2009, un rapport évaluant l'efficacité des allègements généraux et ciblés de cotisations sociales au regard de la politique de l'emploi, qui devra s'attacher à exposer le bilan et le coût de ces dispositifs, les méthodes envisageables pour en réduire la charge sur les finances publiques et les dispositifs alternatifs de soutien à l'emploi et aux entreprises.
B - Contrats aidés destinés aux publics en difficulté
En octobre 2006, la Cour des comptes a remis à la commission des finances du Sénat un rapport sur l'efficacité et l'efficience des contrats aidés (9). Elle préconisait une refonte structurelle de l'architecture de ces contrats par fusion ou suppression de certains dispositifs. Elle constatait la multiplication des types d'aides en direction des publics les plus éloignés de l'emploi : contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE), contrat d'avenir (CA), contrat d'insertion du revenu minimum d'activité (CI-RMA), en sus des contrats aidés destinés, dans le secteur marchand, aux personnes ne bénéficiant pas de minima sociaux. Afin de renforcer l'impact de ces aides en direction des publics en difficulté, la Cour recommandait la création d'un contrat unique d'insertion. La loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008, généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion (N° Lexbase : L9715IBG) (10), apporte une réponse aux observations de la Cour.
Conformément aux recommandations de la Cour et aux conclusions du Grenelle de l'insertion de mai 2008, le principe de la généralisation d'un contrat unique a été retenu par les pouvoirs publics. Des expérimentations de contrats uniques d'insertion ont été engagées sur la base des dispositions de la loi de finances pour 2007 (loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 N° Lexbase : L8561HTA), de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (N° Lexbase : L5929HU7) et de la loi du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat. Elles concernaient douze départements en juillet 2008.
La loi du 1er décembre 2008, généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion, supprime, ainsi, le contrat d'avenir et le CI-RMA et instaure un contrat unique d'insertion, décliné en deux volets selon qu'il concerne le secteur marchand ou le secteur non marchand. Ce nouveau contrat unique d'insertion reprend, tout en les aménageant dans le sens d'une plus grande souplesse, les grandes caractéristiques du CAE et du CIE, ce qui devrait faciliter l'appropriation du nouveau dispositif par les acteurs du service public de l'emploi et par les employeurs et permettre sa montée en charge rapide. Cette simplification de l'architecture juridique des contrats aidés répond aux préconisations de la Cour des comptes, qui s'attachera, également, à suivre la mise en oeuvre des autres recommandations qu'elle formulait pour renforcer l'efficacité et l'efficience des contrats aidés de la politique de l'emploi.
(1) Les ressources annuelles sont, principalement, constituées de la collecte versée par plus de 210 000 entreprises, qui emploient treize millions de salariés, et par les retours des prêts octroyés. La contribution est collectée par des comités interprofessionnels du logement (CIL), associations agréées, ou des sections "PEEC" des chambres de commerce et d'industrie. Le nombre de collecteurs est passé de 203 en 1998 à 116 en 2007. Ils sont à la tête de filiales et de sociétés soeurs, présents dans l'actionnariat de référence de 116 sociétés anonymes d'HLM représentant un patrimoine de 900 000 logements. Les fonds dits réglementés proviennent de la participation obligatoire à l'effort de construction. Ils s'élevaient, en 2006, à 3,7 millions d'euros, dont 1,4 de collecte et 2,3 de remboursements de prêts.
(2) D. Braye, Rapport Sénat n° 8, déposé le 8 octobre 2008 ; B. Bout, Avis Sénat n° 10, 14 octobre 2008 ; M. Piron, Rapport Assemblée nationale n° 1357, déposé le 18 décembre 2008 ; E. Pinte, Avis Assemblée nationale n° 1316, déposé le 10 décembre 2008 ; F. Scellier, Avis Assemblée nationale n° 1402, déposé le 21 janvier 2009.
(3) Cour des comptes, Rapport public annuel 2007 (pp. 249 à 284) : "la collecte de la contribution des entreprises à la formation professionnelle".
(4) Cour des comptes, Les exonérations de charges sociales en faveur des peu qualifiés, Communication à la Commission des finances, de l'économique générale et du plan de l'Assemblée nationale, juillet 2006. V., aussi, Cour des comptes, Communication à la commission des Finances, de l'économie générale et du Plan de l'Assemblée nationale - Les exonérations de charges sociales en faveur des territoires et des secteurs d'activité, dans Y. Bur, Rapport d'information n° 1001, Assemblée nationale, juin 2008.
(5) V. aussi Y. Bur, Rapport d'information n° 1001, préc..
(6) Lire nos obs., De quelques réformes en droit social/protection sociale introduites par la loi de finances 2009, Lexbase Hebdo n° 332 du 7 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2253BIB).
(7) Nos obs., Les contreparties aux exonérations de charges sociales : deux lois pour rien ?, Dr. soc., 2009, p. 168 ; M. Elbaum, Economie politique de la protection sociale, PUF, coll. Quadrige Manuels, 2008.
(8) D. Migaud, Rapport Assemblée nationale n° 1781, 7 juillet 1999, annexe 3, Les aides à l'emploi, rapporteur.
(9) Sénat, Annexe au rapport d'information n° 255 de M. Dassault, 21 février 2007.
(10) Lire nos obs., Généralisation du revenu de solidarité active par la loi du 1er décembre 2008, Lexbase Hebdo n° 330 du 10 décembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9256BHB).
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Réf. : Ordonnance n° 2009-106 du 30 janvier 2009, portant sur la commercialisation des produits d'assurance sur la vie et sur des opérations de prévoyance collective et d'assurance (N° Lexbase : L6936ICU)
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par Maître Caroline Letellier, Avocat Fromont, Briens & Associés
Le 07 Octobre 2010
I - Principes généraux
Quelle que soit la nature de l'opération d'assurance collective, à adhésion facultative ou obligatoire, la loi impose à l'assureur d'établir une notice d'information et au souscripteur de la remettre aux adhérents et d'en conserver la preuve. Le contenu de cette notice d'information est défini différemment selon que l'organisme assureur est une entreprise régie par le Code des assurances, une institution de prévoyance régie par le Livre IX du Code de la Sécurité sociale ou une mutuelle relevant du Livre II du Code de la mutualité. Ainsi, selon l'article L. 141-4 du Code des assurances (N° Lexbase : L2646HWW), la notice doit définir "les garanties et leurs modalités d'entrée en vigueur, ainsi que les formalités à accomplir en cas de sinistre". Les articles L. 932-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2789HI7) et L. 221-6 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L6030DKK) prévoient, quant à eux, qu'elle doit définir "les garanties [...] et leurs modalités d'entrée en vigueur, ainsi que les formalités à accomplir en cas de réalisation du risque. Elle précise, également, le contenu des clauses édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ou limitations de garantie ainsi que des délais de prescription". Des mentions spécifiques doivent, également, figurer sur les bénéficiaires des garanties en cas de décès.
En pratique, au-delà de ces dispositions légales, assureurs et souscripteurs ont tout intérêt à ce que les notices soient exhaustives, dans la mesure où la Cour de cassation considère que toute disposition non mentionnée dans la notice est inopposable aux adhérents. Cette jurisprudence vient directement sanctionner l'assureur qui peut, ainsi, être condamné à payer une prestation en l'absence, dans la notice, d'une clause limitant l'étendue de sa garantie (4). En outre, le souscripteur, alors même que l'obligation de rédiger la notice incombe à l'assureur, peut, également, voir sa responsabilité engagée en présence d'une notice inexacte ou incomplète.
La Cour de cassation considère, en effet, que l'employeur, en sa qualité de souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe, a le devoir de faire connaître de façon très précise au salarié adhérent, les droits et obligations qui sont les siens et que, débiteur, envers celui-ci, d'un devoir d'information et de conseil, "il est responsable des conséquences qui s'attachent à une information inexacte ayant induit l'assuré en erreur sur la nature, l'étendue, ou le point de départ de ses droits" (5). De même, dans un arrêt récent et remarqué du 16 avril 2008 (6), la Cour de cassation a condamné un employeur-souscripteur à verser, à une ancienne salariée, des dommages-intérêts en réparation du préjudice constitué par la perte de chance de maintien de la couverture du régime de remboursement de frais de santé, du fait de l'absence, dans le contrat d'assurance, d'une clause prévoyant les modalités d'un tel maintien (7).
Ces jurisprudences, qui pourraient surprendre tant il est vrai que l'employeur n'est pas un professionnel de l'assurance, exprime une volonté de la Haute juridiction de "responsabiliser" l'employeur, par la voie de l'obligation d'information et de conseil, ce dernier étant l'interlocuteur "naturel" des salariés adhérents. Même si la rédaction du contrat d'assurance et de la notice d'information incombe à l'assureur, le souscripteur est débiteur d'un devoir d'information et de conseil plus général à l'égard des adhérents et a intérêt à vérifier la qualité de la notice, quelle que soit la nature de l'opération d'assurance.
En outre, il faut veiller à formaliser la remise aux adhérents de cette notice (par exemple, par la signature d'une liste d'émargement ou d'un récépissé ou par tout autre moyen), la charge de cette preuve incombant au souscripteur. Or, l'expérience montre que de nombreux employeurs sont rarement en mesure de rapporter cette preuve et s'exposent, dans une telle hypothèse, à être condamnés au paiement de dommages et intérêts.
Enfin, il faut, également, rappeler que le souscripteur est tenu d'informer les adhérents de toutes modifications apportées à leurs droits et obligations (8). Dans le cadre de contrats souscrits auprès d'entreprises relevant du Code des assurances, l'article L. 141-4 dudit code prévoit que cette information doit être donnée par écrit aux adhérents, trois mois minimum avant la date d'entrée en vigueur des modifications (9). En pratique, ce délai n'est pas toujours respecté, faute, pour l'assureur, d'avoir communiqué la notice en temps voulu au souscripteur. La jurisprudence n'a pas, encore, eu l'occasion de se prononcer sur cette difficulté, le principe du respect du délai de trois mois ayant été introduit dans l'article L. 141-1 précité par la loi "DDAC" n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 et entré en vigueur le 1er janvier 2006. En l'absence de sanction prévue par le texte, on peut, néanmoins, supposer que la sanction consistera, là encore, en l'inopposabilité des modifications.
II - Règles spécifiques aux contrats d'assurance de groupe sur la vie à adhésion facultative comportant des valeurs de rachat ou de transfert
La loi "DDAC" du 15 décembre 2005 est venue renforcer le dispositif d'information applicable aux contrats d'assurance vie collectifs à adhésion facultative comportant des valeurs de rachat ou de transfert, en imposant de nouvelles obligations à l'assureur et au souscripteur. L'objectif poursuivi est d'améliorer la lisibilité et la compréhension de ce type de contrats dont le fonctionnement peut s'avérer complexe, notamment, lorsqu'ils sont libellés en unités de compte.
L'article L. 132-5-3 du Code des assurances (N° Lexbase : L9841HE9) impose, ainsi, à l'assureur de mentionner, dans la notice d'information, un certain nombre d'informations expressément énumérées par l'article A. 132-4 du même code (N° Lexbase : L4382HZC) (telles que les garanties souscrites, le rendement financier, la faculté de renonciation, la faculté de transfert, les valeurs de rachat ou de transfert, les informations spécifiques des contrats en unités de compte, etc.). Un encadré, dont la taille ne peut dépasser une page, doit être inséré en début de la notice et comprendre les informations et mentions limitativement énumérées par l'article A. 132-8 du même code (N° Lexbase : L4393HZQ). A titre d'exemple, l'assureur a l'obligation de mentionner les phrases suivantes : "La durée du contrat recommandée dépend, notamment, de la situation patrimoniale du souscripteur ou de l'adhérent, de son attitude vis-à-vis du risque, du régime fiscal en vigueur, et des caractéristiques du contrat choisi. Le souscripteur ou l'adhérent est invité à demander conseil auprès de son assureur", "les droits et obligations de l'adhérent peuvent être modifiés par des avenants au contrat, conclus entre [l'entreprise d'assurance] et [le souscripteur]. L'adhérent est préalablement informé de ces modifications". Le souscripteur doit, à cet égard, communiquer à l'adhérent les modalités d'adoption de ces avenants.
L'objectif poursuivi, et qui doit être expressément mentionné dans la notice, est "d'attirer l'attention [...] de l'adhérent sur certaines dispositions essentielles [...] de la notice. Il est important que [...] l'adhérent lise intégralement [...] la notice et pose toutes les questions qu'il estime nécessaires avant de signer le bulletin d'adhésion ".
Par ailleurs, lors de l'adhésion, le souscripteur doit remettre à l'adhérent un modèle de lettre destiné à lui faciliter l'exercice de la faculté de renonciation. On rappelle, en effet, qu'à la différence des opérations obligatoires, dans le cadre d'opérations facultatives, l'adhérent peut renoncer à son adhésion (C. assur., art. L. 132-5-3, L. 132-5-2 N° Lexbase : L9840HE8 et L. 132-5-1 N° Lexbase : L9839HE7). Cette faculté légale doit donc lui être rappelée par une mention expresse, rédigée ainsi : "L'adhérent peut renoncer à son adhésion au présent contrat pendant trente jours calendaires révolus à compter du [moment où le preneur est informé de l'adhésion au contrat]. Cette renonciation doit être faite par lettre recommandée avec accusé de réception, envoyée à l'adresse suivante [adresse à laquelle la lettre de renonciation doit être envoyée]. Elle peut être faite suivant le modèle de lettre inclus dans la notice ou le bulletin d'adhésion" (C. assur., art. A.132-4-2 N° Lexbase : L4384HZE).
L'enjeu de ce formalisme est de taille puisque la prorogation du délai de renonciation (dans la limite de 8 ans) et, par conséquent, la restitution des primes versées, sanctionnent le défaut de remise des documents et informations prévus par les textes. La jurisprudence, dans le cadre des dispositions légales antérieures, est, d'ailleurs, venue sanctionner lourdement les assureurs, en les condamnant à restituer les primes versées, sur la base de la faculté de renonciation, des années après l'adhésion (10).
Ce dispositif spécifique d'information (11), pourtant, déjà protecteur des adhérents, est, encore, renforcé par l'ordonnance du 30 janvier 2009, qui impose, désormais, à l'assureur de se renseigner sur les exigences et les besoins des adhérents.
Le nouvel article L. 132-27-1 du Code des assurances prévoit, ainsi, que, avant l'adhésion à un contrat mentionné à l'article L. 132-5-3 ou à l'article L. 441-1 (régime de retraite en points), l'assureur "précise les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ou l'adhérent, ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé. Ces précisions, qui reposent, en particulier, sur les éléments d'information communiqués par le souscripteur ou l'adhérent concernant sa situation financière et ses objectifs de souscription, sont adaptées à la complexité du contrat d'assurance ou de capitalisation proposé". A cet effet, l'assureur doit s'enquérir "auprès du souscripteur ou de l'adhérent de ses connaissances et de son expérience en matière financière. Lorsque le souscripteur ou l'adhérent ne donne pas les informations [sus- mentionnées], [l'assureur] le met en garde préalablement à la conclusion du contrat". Un décret doit préciser les modalités d'application de ces nouvelles obligations d'information, qui n'entreront en vigueur que le 1er juillet 2010. Mais ces nouvelles obligations d'information ne seront, en tout état de cause, pas applicables "lorsque la conclusion du contrat ou l'adhésion à celui-ci est faite sur présentation, proposition ou avec l'aide d'un intermédiaire [d'assurance]". Dans une telle hypothèse, c'est l'intermédiaire d'assurance qui est tenu à ces obligations (C. assur., art. L. 520-1 modifié N° Lexbase : L9817HEC).
Par ailleurs, s'agissant des régimes de retraite en points visés à l'article L. 441-1 du Code des assurances à adhésion facultative, un nouvel article L. 441-3 (N° Lexbase : L7072ICW) énumère les mentions devant figurer dans la notice d'information, étant précisé que le régime d'information prévu à l'article L. 132-5-3 n'est pas, ici, applicable.
L'application de ces nouvelles obligations aux contrats collectifs à adhésion facultative souscrits par un employeur au profit de ses salariés laisse perplexe. Certes, la souscription de ce type de contrats, par les employeurs, est, désormais, relativement rare, à la suite de la réforme de la loi "Fillon" (loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), qui a réservé le bénéfice des systèmes d'exonération de cotisations de sécurité sociale et de déductibilité fiscale aux seuls régimes collectifs à adhésion obligatoire.
Pour les cas concernés, on peut, néanmoins, s'interroger sur l'articulation de ces nouvelles obligations à la charge de l'assureur et celles du souscripteur. On a vu, en effet, que la tendance de la jurisprudence de la Cour de cassation est de faire de l'employeur un véritable "guide" des salariés en matière d'information, notamment, lors de l'adhésion, tant il est vrai que l'assureur n'est pas en contact direct avec les salariés. Dès lors, comment l'assureur pourra-t-il se renseigner sur les exigences et les besoins des salariés adhérents ? En pratique, on peut supposer que des questionnaires seront établis, lesquels transiteront, vraisemblablement, par le souscripteur. Compte tenu de la jurisprudence actuelle, sa responsabilité pourra-t-elle, alors, être engagée, par exemple, dans l'hypothèse où les informations demandées ou recueillies sont jugées incomplètes ou révèlent une incompréhension manifeste de l'adhérent ?
De même, le nouvel article L. 132-27 du Code des assurances (N° Lexbase : L7140ICG), institué par l'ordonnance du 30 janvier 2009, aux termes duquel "toutes les informations, y compris les communications à caractère publicitaire, relatives à un contrat d'assurance individuel comportant des valeurs de rachat, à un contrat de capitalisation ou à un contrat d'assurance de groupe sur la vie comportant des valeurs de rachat ou de transfert présentent un contenu exact, clair et non trompeur. Les communications à caractère publicitaire sont clairement identifiées comme telles", va-t-il infléchir la jurisprudence de la Cour de cassation ? On peut en douter, dans la mesure où la Haute juridiction fait peser sur le souscripteur un devoir d'information et de conseil très général et lui demande même de vérifier la clarté et l'exactitude des notices d'information. Si l'objectif de la réforme est de donner plus de clarté aux assurés, c'est au prix d'un dispositif complexe, dont la mise en oeuvre ne manquera pas de donner aux juges l'occasion d'en déterminer les contours.
(1) Prise en application de l'article 152 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR).
(2) Loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance (N° Lexbase : L5277HDS).
(3) Ordonnance n° 2008-1271 du 5 décembre 2008, relative à la mise en place de codes de conduite et de conventions régissant les rapports entre les producteurs et les distributeurs, en matière de commercialisation d'instruments financiers, de produits d'épargne et d'assurance sur la vie (N° Lexbase : L1135ICZ).
(4) Pour une illustration : Cass. civ. 2, 25 novembre 2004, n° 03-16.874, Mme Béatrice Constant c/ Société Suisse Santé, F-P+B (N° Lexbase : A0395DED).
(5) Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-46.617, Société Trefileurope c/ M. Michel Coin, F-D (N° Lexbase : A7801DA8).
(6) Cass. soc., 16 avril 2008, n° 06-44.361, Mme Brigitte Atahias, FS-D (N° Lexbase : A9606D7W).
(7) L'article 4 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, dite "Loi Evin" (N° Lexbase : L5011E4D), dispose que les contrats collectifs de salariés garantissant le remboursement de frais de santé doivent prévoir "les modalités et les conditions tarifaires des nouveaux contrats ou conventions par lesquels l'organisme maintient cette couverture" au profit, notamment, des retraités et des anciens salariés privés d'emploi bénéficiant d'un revenu de remplacement (sous réserve qu'ils en fassent la demande dans un délai de 6 mois suivant la rupture de leur contrat de travail).
(8) Dans le cadre d'opérations collectives à adhésion facultative, l'adhérent peut dénoncer son adhésion en raison des modifications.
(9) Il est intéressant de noter que ce délai de trois mois n'est pas prévu pour les contrats souscrits auprès d'institutions de prévoyance régies par le Livre IX du Code de la Sécurité sociale ou de mutuelles relevant du Livre II du Code de la mutualité, alors même que les dispositions en la matière tendent à une harmonisation, quelle que soit la nature de l'organisme assureur.
(10) A titre d'exemples, Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-12.338, Société La Mondiale Partenaire c/ M. Philippe Senacq, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4391DNX) ; Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-10.366, Société Axa Courtage c/ M. François Varagne, FS-P+B (N° Lexbase : A5091DNU).
(11) Un dispositif similaire a, également, été institué pour les contrats assurés par les institutions de prévoyance régies par le Livre IX du Code de la Sécurité sociale et les mutuelles relevant du Livre II du Code de la mutualité.
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Réf. : Cass. civ. 1, 8 janvier 2009, n° 06-17.630, Association UFC Que Choisir, FS-D (N° Lexbase : A1525ECH)
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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier
Le 07 Octobre 2010
Une autre clause visait l'hypothèse d'un usage abusif ou frauduleux du code secret délivré pour accéder à distance à ses comptes et procéder à des opérations notamment débitrices sur ceux-ci. Les juges du droit l'interprètent, indépendamment des dispositions du Code monétaire et financier exclusivement applicables aux codes de cartes de paiement (C. mon. fin., art. L. 132-4 N° Lexbase : L0913AWQ), non pas comme une clause exonératoire de responsabilité mais comme une clause "destinée à mettre en garde le client sur les mesures de sécurité élémentaires qu'il doit prendre". Le fait est qu'une telle clause ne visait, en l'occurrence, que l'usage abusif ou frauduleux, hypothèses dans lesquelles sur le fondement du droit commun la banque ne pouvait être tenue pour responsable (par analogie, et sous réserve du cas où le porteur d'une carte de paiement a fait opposition, le titulaire de la carte assume les risques d'une utilisation frauduleuse de la carte et de son code secret ; v., notamment, Cass. com., 9 avril 1996, n° 94-11.929, Crédit mutuel du Sud-Ouest, Agence de Cenon c/ M. Jean, Nicolas Rossi, inédit N° Lexbase : A2319CQX). Considérer cette clause comme abusive eut été, en réalité, instituer un nouveau fait générateur de responsabilité pour les banques : il est bien inutile, en effet, de chercher à limiter sa responsabilité lorsque le droit ne désigne pas la banque comme responsable. Il semble, par conséquent, logique de ne pas voir dans cette stipulation contractuelle une exonération de responsabilité, mais simplement une simple notice d'information et de mise en garde. Par cette clause, les droits des consommateurs n'étaient absolument pas diminués.
S'agissant de la mise à disposition de chéquiers, la clause contestée par l'association prévoit qu'après avoir été mis à la disposition du client au guichet de la banque, cette dernière envoie par courrier recommandé ledit chéquier au client, à sa demande ou en l'absence de retrait dans un délai de six semaines. L'association soulevait, en l'espèce, deux arguments pour voir reconnaître le caractère illicite de cette clause : en premier lieu elle contreviendrait à l'obligation faite aux banques de délivrer gratuitement les chéquiers à leurs clients (C. mon. et fin., art. L. 131-71 N° Lexbase : L9390HD7), argument rapidement écarté par la Cour. Le caractère abusif de la clause est lui aussi écarté, la Cour considérant que le client "assume les frais d'envoi lorsque, informé de la mise à disposition à l'agence, il n'a pas cru devoir profiter de leur délivrance gratuite dans le délai suffisant dont il dispose". Certes la clause est défavorable au client en ce qu'elle pourrait, mais uniquement au bout de six semaines, permettre de lui imputer des frais supplémentaires. Pour autant elle ne peut être considérée comme abusive dans la mesure où elle ne crée pas de "déséquilibre significatif en sa défaveur". Au contraire, celle-ci peut paraître plus équilibrée, en permettant au client de bénéficier de son droit à une délivrance gratuite, tout en ménageant dans l'hypothèse d'une certaine négligence de sa part, la possibilité pour la banque de ne plus conserver ledit chéquier entre ses mains. Il faut bien comprendre que le mécanisme des clauses abusives permet un rééquilibrage du contrat et non un rééquilibrage du rapport de force économique pour écarter toutes les clauses coûteuses pour le consommateur.
On ne peut être que plus dubitatif quant à la réponse apportée au septième moyen. Une clause du contrat de dépôt prévoyait que "certaines opérations, rares ou spécifiques, ne figurent pas sur le guide tarifaire des principales opérations et qu'il appartient au client de s'informer de leurs conditions financières auprès de son agence". Il s'agit là, en réalité, d'une clause de renvoi par le contrat à d'autres documents ou d'autres sources d'information, certes pour des opérations exceptionnelles, mais qui, en réalité, pourraient être considérées comme renforçant l'état d'ignorance et, par conséquent, le déséquilibre entre le profane, consommateur, et le sachant, professionnel banquier. La solution est d'autant plus critiquable ici que le pouvoir réglementaire, appliquant les principes fixés par la loi (C. mon. et fin., art. L. 312-1-1 N° Lexbase : L5762H9B), avait par un arrêté du 8 mars 2005 (N° Lexbase : L0882G88) imposé que la convention de compte de dépôt inclue "les commissions, tarifs ou principes d'indexation applicables à l'ouverture du compte de dépôt", sans exclure aucun tarif de cette obligation générale d'information.
Une autre clause stipulait que "les services entrant dans la gestion d'un compte de dépôts et les conditions de la convention sont susceptibles d'évoluer notamment pour les adapter aux besoins de la clientèle et aux évolutions financières ou techniques ainsi qu'aux mesures d'ordre législatif ou réglementaires. Nous en informerons la clientèle [...] La poursuite de la relation de compte ou l'absence de manifestation écrite d'un désaccord vaudra acceptation de votre part". Plus délicate sans doute est l'appréciation de cette clause. Bien évidemment, elle préserve la possibilité pour le consommateur de mettre un terme au contrat, pour autant elle a un champ d'application des plus larges qui permet l'adaptation non seulement aux évolutions financières et techniques ainsi qu'aux mesures d'ordre législatif ou réglementaires mais également aux besoins de la clientèle (hypothèse bien plus large évidemment). Surtout, on remarquera que la clause en ce qu'elle prévoit que c'est la volonté manifestée du client qui mettra un terme au contrat, expresse en signifiant son désaccord par écrit ou implicite en refusant de poursuivre les relations de compte, crée bien un déséquilibre significatif : c'est la banque qui est à l'origine de la modification unilatérale du contrat, pour autant il ne lui est pas nécessaire de demander expressément l'autorisation du client. Le déséquilibre naît de ce que le consommateur ne saurait pour sa part se prévaloir d'une telle prérogative et imposer une modification du contrat qui serait acceptée à défaut de manifestation contraire et expresse de la banque.
L'inventaire n'est pas terminé : la banque s'autorisait à refuser les chèques émis sur des formules non conformes aux normes en usage dans la profession (mais conformes à la loi, une sorte de chèque sur papier libre) et prévoyait une commission dans le traitement de pareils chèques. Il était difficile de reconnaître ici une clause abusive, dans la mesure où le traitement comme la mise à disposition de chèques sont gratuits. Il eut été déséquilibré, mais au détriment du professionnel cette fois, de refuser que devant les difficultés de traitement de ces chèques la banque ne puisse pas être mieux rémunérée.
Les deux dernières clauses enfin, validées par la cour d'appel sont, néanmoins, qualifiées d'abusives par la Cour de cassation qui casse sans renvoi et constate par conséquent immédiatement l'illicéité de celles-ci qui sont supprimées des contrats litigieux.
La première clause stipulait "qu'à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date d'édition d'un relevé de compte les écritures et opérations mentionnées sur celui-ci seront considérées comme approuvées". Pour les juges du droit pourtant, cette clause "est de nature à susciter ou entretenir la conviction du titulaire du compte qu'il se trouve privé de la possibilité de les contester, alors même qu'il n'aurait pu en connaître l'inexactitude qu'au-delà du délai". La stipulation est en réalité dangereuse en ce qu'elle entrave, selon la Cour de cassation, le droit du consommateur d'engager une action en justice. La solution mérite d'être approuvée sur ce point : certes le consommateur conserve le droit de saisir le juge contre une opération sur son compte de dépôt, mais à quoi bon le faire s'il ne peut apporter la preuve contraire des écritures opérées par la banque ? Une telle clause revient, en réalité, à réduire la possibilité d'une action en justice : si aucune contestation, même non judiciaire, n'intervient dans les trois mois de l'écriture, le client dans les faits perd toute chance de voir aboutir ses prétentions.
La dernière clause à envisager ici est elle aussi, et contrairement à l'arrêt d'appel, réputée non-écrite : "le compte de dépôt fonctionne comme un compte courant par lequel les créances et les dettes forment un solde de compte seul exigible". Or une telle stipulation, assimilant dans les faits le compte de dépôt à un compte courant est considérée comme abusive par les juges de la Cour de cassation. Les juges d'appel avaient invoqué l'absence de définitions légales ou réglementaires du compte de dépôt et du compte courant, laissant par la même toute liberté de les définir aux parties au contrat. Pour autant, s'il est vrai qu'il n'existe pas de définition légale ou réglementaire, le compte de dépôt et plus encore le compte courant (ce formidable outil à la fois de compensation et de paiement) n'en ont pas moins des régimes juridiques spécifiques. Le premier, offre d'accès aux services bancaires, fait l'objet d'une réglementation spécifique et protectrice du client, notamment lorsqu'il veut ouvrir un compte de dépôt (seul type de compte pour lequel le législateur a institué un droit à ouverture opposable aux établissements bancaires) ou lorsque l'établissement entend clôturer le compte de dépôt. Le compte courant n'implique aucunement un tel régime favorable au client. L'ambiguïté dans la formulation de la clause pouvait, par conséquent, laisser croire au client qu'il ne bénéficierait pas de tels droits. En substance pourtant, la requalification opérée par la clause ne pouvait priver le client de ces droits puisque ceux-ci étaient expressément visés par la loi. Le déséquilibre, il convient sur ce point de nuancer la position de la Cour de cassation, serait né non pas de l'impossibilité pour le consommateur de se prévaloir d'un droit institué par la loi, mais bien de sa fausse croyance en l'absence de ce droit. La clause était par conséquent abusive, si elle devait induire le consommateur en erreur mais elle était également spécialement illicite car contrevenant, comme l'avançait l'association de consommateur, aux dispositions du Code monétaire et financier.
Le douzième moyen, premier rejeté par la Cour, fera, une fois n'est pas coutume, office de conclusion. Devant la difficulté technique de ce type de contentieux, les lenteurs de notre système judiciaire incitent à être parfois dubitatifs sur l'efficacité de l'action en cessation instituée à l'article L. 421-6 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6513ABT). Alors que l'action en suppression avait été engagée par l'association de consommateurs en 2003, l'arrêt d'appel n'était rendu qu'en 2005, après que la banque défenderesse à l'action eut supprimé certaines clauses incriminées. Bien évidemment l'optimiste y verra le signe que la simple menace d'une action en justice ou un jugement de première instance peuvent avoir un effet dissuasif suffisant. Il reste pourtant que, dans cette affaire, la Cour de cassation n'a pas eu à se prononcer au fond sur la validité des dîtes clauses, ce que l'on regrettera. Cela aurait été évidemment l'occasion d'affirmer ce type de stipulations non écrites ou au contraire d'en valider le contenu. On regrettera enfin, mais ces propos n'engagent que l'auteur de ces quelques lignes, qu'en ces hypothèses la période pendant laquelle les clauses ont été maintenues n'a pu donner lieu à aucune indemnisation des victimes s'il devait en avoir. Devant la fréquence des contrats de compte de dépôt, si lesdites clauses avaient dû être considérées comme abusives, le préjudice subi par chaque consommateur (et non réparable au titre de l'action dans l'intérêt collectif de l'article L. 421-1 N° Lexbase : L6814ABY) n'aurait pu être réparé autrement que si chacun, pour peu qu'il en ait été informé, agisse en justice. Ce serait là le domaine de la "class action", mécanisme qui, après des tentatives infructueuses en droit interne, pourrait in fine, être introduit à l'initiative de la Commission européenne.
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Réf. : Loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, de finances pour 2009, art. 87 et art. 91 (N° Lexbase : L3783IC4)
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N5625BI8
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par Valérie Le Quintrec, Avocat à la cour, Cabinet Bancel Zuin Lefort - Paris
Le 07 Octobre 2010
1.1. Champ d'application du plafonnement
Par principe, seuls les avantages fiscaux octroyés en contrepartie d'un investissement ou d'une prestation sont visés.
Il s'agit principalement des "crédits et réductions d'impôt incitatifs" suivants :
- les investissements dans l'immobilier de loisir ;
- les investissements dans les résidences hôtelières à vocation sociale ;
- les investissements outre-mer ;
- la souscription au capital d'une PME ;
- le crédit d'impôt par télé-déclaration ;
- les Sofica - Sofipêche ;
- la loi "Malraux" ;
- les intérêts d'emprunt pour l'acquisition de la résidence principale ;
- l'aide fiscale pour l'emploi à domicile ;
- le crédit d'impôt pour frais de gardes de jeunes enfants.
Ne sont pas visés les avantages fiscaux liés à la situation personnelle du contribuable (pension alimentaire, handicap...) ou à la poursuite d'un objectif d'intérêt général sans contrepartie (dons aux associations).
Enfin, sont exclus du plafonnement les crédits d'impôt bénéficiant aux entrepreneurs individuels (BIC/BNC/BA) dès lors que ces avantages sont applicables en matière d'impôt sur les sociétés (ex : crédit d'impôt recherche).
De même, les crédits d'impôt correspondant à un impôt payé à l'étranger (sous forme de retenue à la source) sont exclus du dispositif de plafonnement.
1.2. Modalités d'application
Le montant du plafond est uniformément fixé à la somme de 25 000 euros + 10 % du revenu imposable du foyer fiscal (après déduction des charges déductibles du revenu global et des abattements spéciaux).
Exemple : si un contribuable a un revenu imposable proche de 100 000 euros, le plafond des niches fiscales est de : 25 000 + 10 000 = 35 000 euros.
Le revenu imposable à prendre en compte est le revenu net global imposable soumis au barème progressif (à l'exclusion, par conséquent, des plus-values mobilières ou immobilières imposables selon un taux forfaitaire).
En pratique, il y a lieu de procéder à un double calcul :
- montant de l'IR sans crédit d'impôt ;
- montant de l'IR avec crédit d'impôt,
l'écart entre les deux calculs devant être plafonné à 25 000 euros + 10 % du revenu global.
Si ce montant est supérieur au plafond, alors l'excédent est ajouté à l'impôt sur le revenu qui aurait dû être versé en l'absence de plafonnement. La fraction des réductions d'impôt ou des crédits d'impôt dépassant ce plafond est, par conséquent, définitivement perdue.
2. Investissements outre-mer et plafonnement de l'avantage fiscal
Un plafond spécifique de l'avantage fiscal lié aux investissements outre-mer (engagés à compter du 1er janvier 2009) a été instauré par la loi de finances pour 2009.
Au préalable, il convient de rappeler que, dans le cadre des schémas locatifs (1) :
a) le montant du crédit d'impôt est de 50 % ou 60 %, voire même de 70 %, selon différents critères (nature de l'investissement et/ou localisation de l'investissement) (2).
b) les investisseurs, de fait et par impératif législatif, accordent un avantage financier aux exploitants outre-mer puisqu'une quote-part (de 50 % ou 60 %) de l'avantage fiscal doit être extourné au profit de l'utilisateur, sous forme de loyers bonifiés ou de prix de cession faible.
Ne sera abordé, ici, que le plafonnement des avantages fiscaux afférant aux schémas dits locatifs et/ou dans le cadre des investissements immobiliers.
2.1. Plafonnement des réductions d'impôt
Pour une même année d'imposition, le montant des réductions d'IR lié à un investissement outre-mer est, en principe, limité à la somme de 40 000 euros. Toutefois, ce plafond est fixé à 100 000 euros ou 80 000 euros selon que le taux de rétrocession (extourné au profit de l'exploitant local) est égal à 60 % ou 50 % de la réduction d'impôt. En d'autres termes, l'avantage fiscal "facial" extourné au profit de l'exploitant n'est pas pris en compte pour le calcul du plafond de 40 000 euros, seule la réduction d'impôt revenant réellement à l'investisseur (et donc non rétrocédée à l'exploitant) étant retenue pour ce plafond.
Par ailleurs, les contribuables peuvent opter pour un plafonnement égal à 15 % du revenu du foyer. Toutefois, compte tenu de la rédaction de la loi, il n'est pas sûr que la part de la réduction d'IR rétrocédée à l'exploitant soit prise en compte pour le plafond (lorsqu'il est fixé, sur option, à 15 % du revenu imposable).
2.2. Opérations concernées par le plafonnement
Le plafond s'applique aux réductions d'impôt suivantes :
- réductions d'impôt visées à l'article 199 undecies A (N° Lexbase : L3781IAB) (secteur du logement ou sous forme de souscription au capital de certaines sociétés) ;
- réductions d'impôt visées à l'article 199 undecies B (N° Lexbase : L4054IC7) (investissements productifs neufs réalisés dans le cadre d'une entreprise relevant de l'IR, c'est-à-dire "schémas locatifs").
A la différence du plafonnement global des niches fiscales, le montant de la réduction d'impôt dépassant le plafond (propre aux investissements DOM-TOM) est reportable au titre de l'année suivante, mais ces reports sont inclus dans le plafonnement (propres aux investissements DOM-TOM) des années suivantes (3).
2.3. Montant du plafond
2.3.1. Investissements immobiliers
La réduction d'impôt afférente aux investissements immobiliers (art. 199 undecies A) est étalée sur 5 (ou 10) ans. La base de la réduction d'impôt est donc égale à 20 % (ou 10 %) des sommes effectivement payées.
C'est sur la réduction annuelle que s'applique le plafond de 40 000 euros (et non sur le montant total de la réduction d'impôt obtenue).
Exemple : si un contribuable acquiert un immeuble pour 200 000 euros (base défiscalisable), dans le cadre du logement intermédiaire, la base annuelle de la réduction d'IR est de 40 000 euros (200 000 x 20 %).
La réduction annuelle d'IR pour les 5 années est de 50 %, soit 20 000 euros (40 000 x 50 %). Ainsi, cette réduction d'IR est sous le plafond annuel de 40 000 euros.
En pratique, la mesure de plafonnement ne s'applique pas :
a) aux investissements réalisés dans le secteur du logement intermédiaire pour un montant inférieur (ou égal) à 400 000 euros TTC.
NB : le contribuable réalisant un tel investissement ne sera soumis au plafonnement global que s'il bénéficie d'autres réductions d'IR et si son revenu est inférieur à 150 000 euros (25 000 euros + 150 000 x 10 % = 40 000).
b) aux investissements réalisés dans le secteur du logement "libre" pour un montant maximum égal à 500 000 euros (sous réserve, bien entendu, de l'absence d'autres investissements outre-mer et/ou du plafond global).
2.3.2. Schémas locatifs (industriels - art. 199 undecies B)
Dans le cadre des schémas locatifs "industriels", le plafond de 40 000 euros est apprécié en tenant compte de la rétrocession d'une partie de la réduction d'impôt à l'entreprise exploitante (locataire). Ainsi, le plafond de 40 000 euros est applicable à 40 % du montant de la réduction d'impôt lorsque le taux de rétrocession minimal est fixé à 60 %. Il est applicable à la moitié de leur montant lorsque le taux est de 50 %.
De plus, le montant maximal imputable correspondant à la partie rétrocédée de la réduction d'IR est lui-même soumis à un plafonnement spécifique :
- de 60 000 euros dans les cas où l'avantage fiscal obtenu est rétrocédé à hauteur de 60 % à l'exploitant ;
- de 40 000 euros dans les cas où cette rétrocession est de 50 %.
Ainsi, au titre d'une même année d'imposition, le contribuable réalisant des investissements industriels (schémas locatifs) peut au total bénéficier d'un plafond global de 100 000 euros (60 000 + 40 000) si le taux de rétrocession est fixé à 60 % ou 80 000 euros (40 000 + 40 000) si ce taux est fixé à 50 %.
Exemple : un contribuable réalise en 2009 un investissement de 600 000 euros dans le cadre d'un schéma locatif.
Le montant du crédit d'impôt "théorique" est donc de 300 000 euros (600 000 x 50 %). Si 60 % de l'avantage fiscal doit être rétrocédé à l'exploitant, une somme de 180 000 euros (60 % x 300 000 euros) sera (indirectement) versée à l'entreprise locataire.
La partie nette de rétrocession de la réduction d'impôt est donc de 120 000 euros (300 000 - 180 000).
En application de la nouvelle loi, cette partie nette de rétrocession (120 000 euros) ne peut être imputée sur l'IR qu'à hauteur maximum de 40 000 euros pour 2009.
La partie non rétrocédée ne peut être imputée qu'à hauteur de 60 000 euros.
Ainsi, au total, le contribuable peut imputer 100 000 euros (40 000 + 60 000).
Le surplus (200 000 = 300 000 - 100 000) étant reportable sur les 5 années suivantes.
Cependant, le "plafonnement global - article 91" est bien entendu applicable.
Par exception, et sur option, le contribuable peut opter pour un plafonnement fixé à 15 % de son revenu net global imposable (du foyer fiscal). Cette option ne peut être optimale, pour les opérations de défiscalisation hors schémas locatifs, que si le montant du revenu imposable est supérieur à 266 668 euros car 15 % x 266 668 > 40 000 euros.
2.4. Ordre d'imputation
Aucun ordre d'imputation des réductions d'IR n'est prévu par la loi lorsque le contribuable réalise plusieurs investissements outre-mer. La solution la plus favorable consiste à imputer prioritairement les réductions d'IR prévues par l'article 199 undecies A (immobilier principalement) puisque cette réduction d'IR non imputée ne peut être reportée sur les années suivantes (contrairement aux réductions d'IR visées à l'article 199 undecies B du CGI).
2.5. Combinaison avec le plafonnement global
L'article 91 de la loi de finances pour 2009 prévoit un plafond global des réductions d'impôt et crédit d'impôt de 25 000 euros + 10 % du revenu imposable.
Bien entendu, les avantages fiscaux liés aux investissements outre-mer sont visés par le plafonnement global des "niches fiscales".
Il convient donc d'effectuer un double calcul :
- plafonnement propre aux investissements outre-mer ;
- puis le plafonnement global.
Conclusion
Au vu de ce qui précède, il apparaît que la loi sur le plafonnement des niches fiscales cherche à démocratiser la loi "Girardin" et vise à limiter les possibilités de défiscalisation des contribuables les plus fortement imposés. Quelques interrogations techniques restent, cependant, en suspens et seuls les décrets (éventuels) et/ou les commentaires administratifs viendront éclaircir ces éléments.
(1) Sur la notion d'investissements outre-mer et de schémas locatifs externalisés, lire nos obs., La notion d'investissements outre-mer au regard de l'impôt sur le revenu et leur valorisation au regard de l'ISF, Lexbase Hebdo n° 319 du 25 septembre 2008 - édition fiscale (N° Lexbase : N1953BHS).
(2) 60 % pour la Guyane, 60 % pour la rénovation hôtelière, 70 % pour la navigation de plaisance.
(3) Pour des raisons financières, a priori, un investisseur n'a pas d'intérêt à acquérir la réduction d'impôt future (principe du "one shot" des secteurs locatifs industriels).
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Réf. : CE référé, 30 janvier 2009, n° 324344, M. Abdelkader Benotsmane (N° Lexbase : A7476ECU)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
Le 07 Octobre 2010
L'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de cette disposition est subordonné à la condition qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention, dans les 48 heures, d'une mesure destinée à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Par ordonnance en date du 21 janvier 2009, la requête est rejetée au motif que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie.
Pour les besoins d'une interprétation unitaire et rapide du droit, notamment sur la notion de liberté fondamentale, c'est le Conseil d'Etat qui a reçu compétence d'appel à défaut des cours administratives d'appel. L'appel de l'ordonnance de référé-liberté rendue par le tribunal administratif doit être interjeté dans les quinze jours suivants la notification de l'ordonnance. Dans ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, ou un conseiller d'Etat désigné à cet effet, statue dans les 48 heures (3).
Dans cette logique, le requérant fait appel devant le Conseil d'Etat de l'ordonnance alors rendue en premier ressort, soutenant que la condition d'urgence était bien remplie eu égard, notamment, au fait qu'il avait préparé sa défense au sein du centre de rétention administrative et que l'urgence résultait des conséquences irrémédiables d'une extrême gravité qu'entraînerait l'exécution de la mesure d'obligation de quitter le territoire français vers l'Algérie.
Le ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire soutenant, quant à lui, que le recours était devenu sans objet dans la mesure où la décision contestée avait été exécutée le 24 janvier 2009, postérieurement à l'enregistrement de la requête d'appel, et avant l'audience du 29 janvier 2009, et que, dans tous les cas, le requérant n'était pas fondé à se prévaloir d'une situation d'urgence, dès lors qu'il n'avait pas contesté la mesure d'obligation de quitter le territoire français en temps opportun.
Pour le Conseil d'Etat, le fondement même de l'article L. 521-2 précité amenant à protéger les libertés fondamentales empêche que le recours soit dépourvu d'objet, même s'il y a eu exécution de la mesure administrative. En revanche, si la requête a conservé son objet, le requérant ne peut établir l'urgence de sa demande en faisant état "de ce que la mise à exécution est imminente un mois après la notification de l'obligation de quitter le territoire, alors qu'il n'a saisi le juge des référés du tribunal administratif qu'un mois et demi après cette notification".
Il y a là une application de la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat dans l'appréciation de l'urgence propre au référé-liberté, celui-ci faisant une interprétation spécifique de la condition d'urgence, plus restrictive que dans le référé-suspension, par souci d'éviter de banaliser le recours à la procédure du référé réservée à la protection des libertés fondamentales (I). Mais cette interprétation se rajoute au durcissement général constaté en matière de contentieux relatif à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, ce qui amène à fragiliser encore davantage la position des étrangers en la matière (II).
I - Une appréciation classique de la condition d'urgence dans le référé-liberté
La pratique de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative montre que les demandes sont le plus souvent rejetées en raison de l'inexistence et de l'absence d'atteinte, a fortiori grave et manifestement illégale, à une liberté fondamentale. La condition d'urgence n'est pas examinée de façon prioritaire par le juge, et il est rare que le juge des référés ou une formation collégiale du Conseil d'Etat se prononce explicitement, et de façon motivée, sur la condition d'urgence dans le référé-liberté. Tel n'est pas le cas dans l'arrêt d'espèce, le juge confirmant son interprétation classique en la matière, à savoir une interprétation autonome (A) et restrictive (B) de la condition d'urgence.
A - La lecture autonome de la condition d'urgence de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative
Les arrêtés d'expulsion ou de reconduite à la frontière d'étrangers, par les conséquences de leur exécution, sont appelés à former le terrain privilégié du référé-liberté comme ce fut le cas pour l'ancien sursis à exécution. Toutefois, la condition d'urgence n'est pas spécifique au référé-liberté puisqu'elle est naturelle à tous les référés d'urgence. La constatation de l'urgence peut donc emprunter des voies communes à l'ensemble de ces référés. La manière dont se concrétise l'urgence dans le référé-suspension de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), qui bénéficie d'une jurisprudence déjà abondante et motivée, a plus ou moins servi de modèle transposable au référé-liberté, à tout le moins lorsqu'une décision liberticide est en cause, ce qui est le plus souvent le cas. Il semblait falloir considérer l'urgence visée par les deux articles comme équivalente, voire identique, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre deux types d'urgence selon le référé engagé (4).
En réalité, l'identité des critères généraux d'appréciation de l'urgence n'implique pas qu'une signification identique soit donnée aux mêmes concepts. Dans les deux cas, l'urgence s'apprécie moins selon des critères préalables et précis que de manière concrète, en tenant compte des intérêts en cause dans les circonstances particulières à chaque espèce. L'urgence sera reconnue "lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre" (5). Cette exigence est satisfaite si l'exécution de la décision entraîne, pour le requérant, des conséquences difficilement réparables et quand bien même celles-ci pourraient être réparées par l'allocation de dommages et intérêts.
En revanche, dans le cas du référé-liberté, un troisième élément d'appréciation de l'urgence est mis en évidence, que l'on peut qualifier de "finaliste", dans la mesure où il doit s'analyser au regard de la finalité de l'article L. 521-2 précité, qui est de faire cesser très rapidement les situations attentatoires aux libertés fondamentales dont il est nécessaire d'apprécier le fondement et les conséquences.
Il y a une différence substantielle dans l'appréciation de la condition d'urgence entre les deux référés, et ceci malgré l'identité formelle. Dans le référé-suspension, il revient au requérant de démontrer "la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure provisoire dans l'attente d'une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de la décision litigieuse" (6), sachant que "le bref délai" est celui qui court entre le moment où le juge des référés est appelée à statuer, et donc à apprécier l'urgence, et le moment où il est prévisible que la légalité de la décision contestée sera examinée par le juge du fond. Lorsque l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir, ou l'appréciation de la légalité dans le cadre d'un contentieux objectif de pleine juridiction, n'est susceptible d'intervenir qu'après que la décision litigieuse aura été entièrement exécutée, la condition d'urgence au sens de l'article L. 521-1 précité est remplie. C'est en conséquence de cette appréciation finaliste qu'il a été décidé que le juge du référé-suspension devait parfois présumer que la condition d'urgence était remplie en considération des difficultés liées à l'exécution d'une décision d'annulation si celle-ci devait intervenir trop tardivement et que l'illégalité devait déjà être consommée.
A l'inverse, la circonstance que la condition d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du même code soit remplie ne suffit pas, en l'absence de circonstances particulières, à caractériser une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 précité (7). Le requérant doit justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier, à très bref délai, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être prononcées sur le fondement de l'article L. 521-2. L'entrée en vigueur d'une décision, ou la conséquence qu'une abstention continue à produire ses effets lorsque le juge des référés est appelé à apprécier la condition d'urgence, c'est-à-dire la circonstance que l'acte ou le comportement litigieux produise des effets immédiats et imminents, ne signifie pas que l'intervention d'une mesure en référé dans le délai de 48 heures mentionné par l'article L. 521-2 soit justifiée.
En vertu de ces principes, c'est au requérant, en application de l'article R. 522-1 du même code (N° Lexbase : L2528AQP), de "justifier de l'urgence de l'affaire". En ce sens, et c'est de la sorte qu'à jugé le Conseil d'Etat en l'espèce, il ne peut se prévaloir de l'urgence pour demander, sur le fondement de l'article L. 521-2 précité, la suspension d'une décision qui prend effet prochainement, mais qu'il a tardé à attaquer devant le juge administratif (8).
B - La lecture restrictive de la condition d'urgence de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative
C'est par souci d'éviter de banaliser le recours à la procédure du référé réservée à la protection des libertés fondamentales, que le juge administratif tend à faire une interprétation spécifique de la condition d'urgence, plus restrictive que dans le référé-suspension. Le juge utilise, en effet, l'expression "d'urgence au sens de l'article L. 521-2". Dans le cadre du référé-liberté, le requérant doit démontrer que l'intervention du juge des référés est nécessaire dans le délai de 48 heures prévu par l'article L. 521-2 (9).
Par exemple, la carence de l'administration à délivrer une autorisation provisoire de séjour, même si elle est illégale, ne change pas la situation de l'étranger qui s'est placé depuis longtemps en situation irrégulière (10). Pour autant, cette carence de l'administration aurait pu être, en soi, constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et comme lorsqu'en l'espèce, cette carence est prolongée, il y a urgence. Il y aurait atteinte à une liberté fondamentale en ce que la personne est placée dans une situation de précarité, dans une situation irrégulière, alors que l'administration est tenue de lui donner un titre et de régulariser sa situation. Ce n'est pas la solution qu'à retenue le Conseil d'Etat, la carence de l'administration, même illégale, ne changeant pas la situation dans laquelle le requérant s'est placé de son propre fait depuis de nombreuses années.
Il y a ici un rapprochement à faire avec la décision d'espèce dans la mesure où, certes, ce n'est pas la carence de l'administration qui est en cause, mais celle du requérant qui l'empêche d'invoquer l'urgence de la situation, ce dernier n'étant pas fondé, "pour établir l'urgence de la demande, à faire état de ce que la mise à exécution est imminente un mois après la notification de l'obligation de quitter le territoire, alors qu'il n'a saisi le juge des référés du tribunal administratif qu'un mois et demi après cette notification". En raison de l'atteinte grave et immédiate à la situation d'une personne menacée d'expulsion, il y a, en principe, urgence à suspendre une décision d'expulsion d'un étranger. Toutefois, il en va autrement lorsque l'imminence de la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire est due à la propre carence du requérant.
En agissant de la sorte, le juge rappelle que le référé-liberté reste "une procédure particulière", c'est-à-dire qu'elle ne doit être mise en oeuvre que de façon exceptionnelle. L'appréciation finaliste renforce ce caractère exceptionnel ; la procédure du référé-liberté ne faisant que compléter la procédure de droit commun qui est celle du référé-suspension.
De manière générale, le juge du référé-liberté prend en compte les divers intérêts en cause (11), comme l'attitude du demandeur. Par exemple, les négligences du requérant pour établir à son nom la taxe d'habitation justifiant de sa domiciliation ne justifient pas que des mesures soient prises dans le délai de quarante-huit heures pour sauvegarder une liberté fondamentale, à savoir une injonction à l'administration fiscale de délivrer une attestation d'inscription au rôle des contributions directes pour compléter son dossier de candidature aux élections régionales (12).
II - Une appréciation qui fragilise encore davantage la position des étrangers dans le contentieux des mesures d'éloignement
Les nouvelles règles de procédure définies dans le cadre de la réforme du contentieux des mesures d'éloignement sont, dans leur globalité, moins favorables aux étrangers requérants malgré la simplification de la procédure (A). L'appréciation finaliste et restrictive de l'urgence accentue, en ce sens, la difficulté de leur action contentieuse d'autant plus qu'il faut relever, au surplus, la présence d'une certaine complexité dans la nouvelle procédure (B).
A - Une procédure simplifiée moins favorable aux étrangers requérants
Auparavant, le juge administratif pouvait être saisi deux fois : une première fois dans un délai de droit commun sur la décision relative au séjour, et une seconde fois sur l'arrêté portant reconduite à la frontière notifié par voie postale, lorsque l'étranger n'avait pas obtempéré à l'invitation à quitter le territoire qui lui avait été adressée. Par le jeu des délais de jugement, le juge de la reconduite se prononçait en premier, dans les 48 heures, de sorte que l'intéressé avait déjà été reconduit lorsque la formation collégiale examinait la décision relative au séjour. De plus, cet examen perdait toute son utilité, dès lors que le juge de la reconduite avait déjà eu à appréhender la légalité de la décision relative au séjour par la voie de l'exception.
Le nouveau dispositif est plus cohérent. La phase administrative est simplifiée, le préfet prend un arrêté unique comprenant généralement trois articles, le premier portant sur le refus de titre de séjour, le deuxième enjoignant à l'étranger de quitter le territoire dans un délai d'un mois, et le troisième désignant le pays de renvoi.
Cette décision peut être exécutée d'office si la personne qui en a fait l'objet n'a pas quitté le territoire dans le délai qui lui était imparti, sans que le préfet n'ait à prendre un arrêté supplémentaire ordonnant sa reconduite à la frontière. La phase contentieuse est, également, simplifiée. Le juge administratif est saisi d'une seule requête tendant généralement à l'annulation des deux volets de la décision administrative, le volet "refus de séjour" et le volet "éloignement". Celle-ci est examinée en formation collégiale.
Pour autant, si l'accès au juge administratif est simplifié, il est aussi fragilisé par la loi en raison de l'institution d'un régime dérogatoire du droit commun des délais de recours contentieux à deux niveaux : outre le fait que les requérants potentiels sont contraints d'organiser leur défense dans un temps réduit de moitié (un délai d'un moins est accordé au requérant pour introduire le recours), un décret d'application du 23 décembre 2006 (13) est venu préciser que le délai de recours d'un mois "n'est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif préalable" (CJA, art. R. 775-2 N° Lexbase : L2823HWH).
Cet élément de procédure n'est pas en soi négligeable dans la mesure où, combiné à l'abaissement du délai, il revient, en pratique, à exclure toute possibilité pour les étrangers concernés d'introduire un recours devant l'autorité préfectorale en première intention. La seule possibilité pour l'étranger d'agir contre la décision dont il fait l'objet est alors de recourir au juge administratif. Ceci est pourtant contraire à la règle générale de procédure selon laquelle les délais de recours contentieux sont prorogés par l'introduction d'un recours administratif préalable (14). Nonobstant ce fait, il a été jugé que l'article R. 775-2 du Code de justice administrative précité pouvait légalement prévoir que l'introduction d'un recours administratif préalable n'aurait pas pour effet de proroger le délai d'un mois, eu égard à l'intérêt qui s'attache au règlement rapide de la situation des étrangers faisant l'objet d'une décision de refus de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire, ce délai d'un mois devant être regardé comme suffisant (15).
B - Une procédure complexe à l'exclusivité relative
C'est une formation collégiale qui examine, normalement, la situation de l'étranger et ce n'est que si l'étranger a été placé en rétention administrative avant que le tribunal n'ait statué qu'un juge unique sera désigné pour examiner, dans l'urgence, la légalité de l'obligation de quitter le territoire avec mention du pays de destination. C'est le cas en l'espèce mais il faut, au-delà, souligner une certaine complexité en la matière.
En cas de placement en rétention de l'étranger avant qu'il n'ait rendu sa décision, le juge statue, selon la procédure applicable aux arrêtés de reconduite à la frontière, sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi, au plus tard 72 heures à compter de la notification par l'administration de ce placement au tribunal. Dans cette hypothèse, c'est un juge unique qui se prononce, comme en l'espèce. Cela engendre, toutefois, un enchevêtrement de procédures, notamment lorsque la saisine du juge précède la mesure de rétention mais que le juge de la liberté et de la détention décide de la remise en liberté de l'intéressé avant que le tribunal administratif n'ait statué ; ce dernier doit, par conséquent, statuer selon la procédure de droit commun (16). Par ailleurs, ces dispositions ne modifient pas les règles en vigueur du Code de justice administrative relatives au principe de la collégialité des formations de jugement des tribunaux administratifs et à ses exceptions. Lorsque la demande de prolongation de la rétention administrative au-delà de 48 heures présentée par le préfet a été rejetée par le juge des libertés et de la détention, les conditions justifiant que l'étranger placé en rétention soit jugé dans un délai de 72 heures ne sont plus réunies ; la formation collégiale retrouve, par ailleurs, de plein droit sa compétence (17).
De même, au-delà d'une certaine complexité, il n'y a pas de procédure exclusive. Si les décisions par lesquelles l'administration refuse ou retire à un étranger le droit de demeurer sur le territoire français, l'oblige à quitter ce territoire et lui signifie son pays de destination, sont regroupées au sein d'un acte administratif unique, aucune disposition n'a pour effet de faire obstacle à ce que les intéressés contestent séparément devant le juge de la légalité chacune de ces décisions en soulevant, le cas échéant, des moyens distincts. Il appartient, dès lors, au juge d'apprécier la légalité de chaque décision au regard des moyens soulevés par les intéressés au soutien de leurs conclusions dirigées contre la décision en cause (18). Il y a application de la règle selon laquelle la question de la divisibilité d'un acte administratif relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. La Haute assemblée considère, ici, que si la loi a donné la possibilité à l'administration de regrouper deux décisions dans un tel acte, cela ne saurait priver le requérant de la possibilité de contester séparément chacune de ces deux décisions. Subséquemment, le juge apprécie la légalité de chaque décision au regard des moyens soulevés, sous une réserve cependant : en matière de légalité externe, le contrôle de la motivation ne peut être véritablement séparé. En effet, la motivation de la mesure d'obligation de quitter le territoire se confond nécessairement avec celle venant préalablement au soutien du refus ou du retrait du titre de séjour.
(1) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 511-1 (N° Lexbase : L1305ICC).
(2) Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration (N° Lexbase : L3439HKL), JO, 25 juillet 2006, p. 11047.
(3) Et comme l'ordonnance rendue en premier ressort, l'arrêt rendu en appel l'est à titre provisoire, et se trouve donc dépourvu de l'autorité de chose jugée à l'égard des juges : cf. CE, sect., 3 octobre 1958, Société des autocars garonnais, Rec. CE, p. 468.
(4) Voir, notamment, CE, 15 mars 2002, n° 244078, Delaplace (N° Lexbase : A7447AYH).
(5) CE sect., 19 janvier 2001, n° 228815, Confédération nationale des radios libres (N° Lexbase : A6576APA), RFDA, 2001, p. 378, concl. L. Touvet, AJDA, 2001, p. 150, chron. M. Guyomar et P. Collin.
(6) CE, 14 mars 2001, n° 229773, Ministre de l'intérieur c/ Mme Ameur (N° Lexbase : A2494ATK), DA, 2001, n° 124, RFDA, 2001, p. 673, concl. De Silva.
(7) CE, 16 juin 2003, n° 253290, Mme Hug-Kalinkova (N° Lexbase : A8740C89), Rec. CE, Tables, p. 931.
(8) CE référé, 26 mars 2001, n° 231736, Association Radio 2 couleurs (N° Lexbase : A2642ATZ), Rec. CE, Tables, p. 1134.
(9) CE référé, 28 février 2003, n° 254411, Commune de Pertuis (N° Lexbase : A2327EDK), AJDA, 2003, p. 1171, note P. Cassia et A. Béal.
(10) CE, 16 février 2004, n° 259679, Mme Bousbaa, épouse Chetioui (N° Lexbase : A3518DBW), AJDA, 2004, p. 891, concl. F. Lamy.
(11) CE référé, 14 mars 2003, n° 254827, Commune d'Evry (N° Lexbase : A2328EDL), Rec. CE, Tables, p. 931 : saisi d'une demande de suspension d'un arrêté municipal ordonnant la fermeture d'un établissement commercial pour des raisons d'hygiène et de sécurité, il apprécie la condition d'urgence (remplie en l'espèce) en tenant compte, non seulement de la situation de l'entreprise requérante, mais aussi de l'imminence des risques.
(12) TA Nice,14 février 2004, n° 0400650, M. Jean-Marie Le Pen c/ Directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, AJDA, 2004, p. 358, obs. M.-C. de Montecler.
(13) Décret n° 2006-1708 du 23 décembre 2006, modifiant la partie réglementaire du Code de justice administrative (N° Lexbase : L9572HTP), JO, 29 décembre 2006, p.19845.
(14) Cf. CE, 13 avril 1881, Bansais, D., 1882, 3, p. 49, concl. Le Vavasseur de Précourt, pour le recours hiérarchique, et CE, 12 janvier 1917, Marchelli, Rec. CE, p. 12, pour le recours gracieux.
(15) CE, 11 juillet 2007, n° 302040, Union syndicale des magistrats administratifs, Ligue des droits de l'Homme et autres (N° Lexbase : A2908DXY), AJDA, 2007, p. 2218, note Gründler.
(16) TA Rennes, 1er février 2008, n° 0800347, Camara.
(17) TA Rennes, 20 mars 2007, n° 0700953 et n° 0700954, Iziyev et Iziyeva.
(18) CE, avis, 19 octobre 2007, n° 306821, M. Hammou (N° Lexbase : A8000DYX), AJDA, 2007, p. 2009, RFDA, 2007, p. 1309.
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Réf. : Ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté (N° Lexbase : L2777ICT) et décret n° 2009-160 du 12 février 2009, pris pour l'application de l'ordonnance n° 2008-1345 (N° Lexbase : L9187ICA)
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Le 07 Octobre 2010
3. La volonté affichée de la réforme, tel que cela a été clairement exprimé par le Président de la République, a été de rendre plus attractive la procédure de sauvegarde. A cet égard, nous pourrons constater que l'objectif paraît atteint. Pour le reste, les modifications ont eu pour objet de clarifier le dispositif, de l'améliorer, de rendre plus cohérent les règles édictées en cas de conversion de la sauvegarde en redressement judiciaire et de rendre effectifs certains dispositifs, tel celui relatif à la liquidation judiciaire simplifiée.
4. Afin de faciliter la tâche du lecteur, et dans une optique délibérément pratique, la présentation générale de l'ordonnance et de son décret d'application sera effectuée par procédure. Nous envisagerons successivement la conciliation (I), la sauvegarde (II), les règles communes à la sauvegarde et au redressement judiciaire (III), le redressement judiciaire (IV), puis la liquidation judiciaire (V). Nous examinerons, ensuite, les sanctions (VI) et apporteront, enfin, quelques précisions en matière de voies de recours (VII).
I La conciliation
5. Les retouches à la procédure de conciliation ont pour objet essentiel de clarifier le dispositif.
6. On sait que la procédure de conciliation n'est pas une procédure collective de paiement et n'emporte donc pas arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution de la part des créanciers antérieurs. Pour cette raison, la loi du 26 juillet 2005 a permis au président du tribunal qui a ouvert la conciliation de paralyser les initiatives individuelles des créanciers pendant la recherche de l'accord de conciliation, le créancier pouvant se voir imposer les délais de grâce des articles 1244-1 (N° Lexbase : L1358ABW) à 1244-3 du Code civil, dès lors qu'il poursuivait le débiteur, ce qui supposait soit une action en justice tendant au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, soit une action tendant à l'exécution d'un titre exécutoire. L'ordonnance de réforme permet au débiteur de saisir le président du tribunal aux fins d'octroi des délais de grâce, dès lors qu'un créancier a poursuivi ou simplement mis en demeure le débiteur. La tâche du débiteur est ainsi facilitée puisqu'il peut agir très en amont pour tempérer les ardeurs d'un créancier.
7. Sous l'empire des textes anciens, il apparaissait que le tribunal, dans le cadre de la décision homologuant l'accord de conciliation, pouvait imposer aux créanciers non parties à l'accord des délais de grâce. Cette possibilité est clairement supprimée par le texte nouveau, les délais de grâce ne pouvant être imposés que pendant la recherche de l'accord de conciliation, cependant qu'ils subsistent après le constat ou l'homologation de l'accord. Ils pourront, toutefois, être supprimés, si le président du tribunal ou le tribunal, selon le cas, le décide, en cas de résolution de l'accord constaté ou homologué.
8. La loi de sauvegarde des entreprises a fixé à quatre mois la durée maximale de la conciliation, laquelle pouvait être prorogée d'un mois. Impérativement, avant le terme de ce délai, l'accord devait être constaté ou homologué. En pratique, des difficultés ont été rencontrées pour homologuer les accords avant le terme imparti. C'est pourquoi, afin d'assouplir le dispositif, le législateur décide, désormais, que si le tribunal a été saisi avant l'expiration du délai maximal de la conciliation, la durée de la procédure de conciliation est prorogée jusqu'à ce que le tribunal ait statué.
9. Le texte nouveau ouvre une possibilité d'appel aux personnes parties à l'accord homologué. Il s'agit, toutefois, d'un appel limité à la discussion sur l'octroi du privilège de la conciliation, encore dénommée par certains, dans un "franglais" plus que douteux, le privilège de la new money (1).
10. L'ordonnance de réforme a entendu préciser l'interdiction d'enchaîner immédiatement deux procédures de conciliation, ce qui serait revenu à tourner les règles édictées relativement à la durée de la procédure de conciliation. Désormais, il est interdit de demander l'ouverture d'une procédure de conciliation si moins de trois mois se sont écoulés depuis la précédente procédure de conciliation.
11. Le texte nouveau précise le dispositif relatif à la résolution de l'accord de conciliation, en cas d'inexécution par le débiteur. Il appartient à un créancier partie à l'accord de conciliation d'assigner le débiteur en résolution, devant le président du tribunal en cas d'accord constaté, ou devant le tribunal en cas d'accord homologué.
12. La loi de sauvegarde des entreprises avait entendu faire bénéficier les codébiteurs, les cautions et les garants autonomes, qu'ils soient personnes physiques ou personnes morales, des dispositions de l'accord de conciliation homologuée. Afin de renforcer l'attractivité de la procédure de conciliation, l'ordonnance de réforme va beaucoup plus loin. D'abord, elle ne fait plus de distinction selon que l'accord a été homologué ou qu'il a été simplement constaté. Dans les deux cas, les garants qu'elle détermine pourront bénéficier de l'accord de conciliation.
La liste de ces garants a été considérablement élargie, dans la procédure de conciliation, comme elle l'est dans la procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire.
Pourront bénéficier de l'accord constaté ou homologué, les personnes physiques ou morales coobligées, ainsi que celles qui ont consenti une sûreté personnelle. La notion englobe, comme par le passé, les cautions et les garants autonomes, mais les déborde largement pour permettre de prendre en compte les constitutions de lettres d'intention, les délégations imparfaites de créances, ou encore les promesses de porte fort- sûreté.
Bénéficieront, également, de l'accord constaté ou homologué, les personnes physiques ou morales qui ont constitué un bien en garantie. Il s'agit là de ce que l'on appelait, autrefois, les cautions réelles, avant la suppression du concept par la Chambre mixte de la Cour de cassation (Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18.210, Mme Yvette Pasquier, épouse Boudaud c/ BNP Paribas, Publié N° Lexbase : A9389DLC). Ainsi, toutes les personnes qui ont affecté un ou plusieurs biens de leur patrimoine, meubles ou immeubles, à la garantie de la dette du débiteur, pourront bénéficier des dispositions de l'accord de conciliation.
Bénéficieront, enfin, de l'accord constaté au homologué, les personnes physiques ou morales qui ont cédé un bien en garantie. Il s'agit là de prendre en compte la constitution d'une fiducie sûreté par un tiers qui a affecté à la garantie de la dette du débiteur une partie de ces biens en les transférant dans un patrimoine fiduciaire.
II La sauvegarde
13. Les modifications les plus importantes apportées par l'ordonnance de réforme intéressent assurément la procédure de sauvegarde. La solution ne doit pas surprendre car la volonté affichée du Président de la République, qui a demandé au ministère de l'Economie et des Finances et au ministère de la Justice d'améliorer le dispositif en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, était de rendre plus attractive la procédure de sauvegarde.
Voyons ce qu'il est advenu de cette recherche d'une plus grande attractivité.
15. La loi de sauvegarde des entreprises, qui doit son nom à la procédure phare qu'elle avait instituée, avait indiqué que la procédure de sauvegarde était accessible à des personnes rencontrant des difficultés, qu'elles ne pouvaient surmonter, de nature à les conduire à la cessation des paiements. Pour anticiper davantage le traitement des difficultés des entreprises, et éviter toute discussion sur la plus ou moins grande proximité de l'état de cessation des paiements, l'ordonnance de réforme supprime toute référence à la nécessité d'une prochaine caractérisation de l'état de cessation des paiements. Le texte se contente d'indiquer que le débiteur doit rencontrer des difficultés qu'il ne peut surmonter.
Comme par le passé, évidemment, le débiteur ne devra pas être en état de cessation de paiements pour obtenir le bénéfice d'une procédure de sauvegarde puisqu'il s'agit véritablement d'un bénéfice par rapport au redressement judiciaire. L'idée de la loi de sauvegarde de traiter de manière distincte la sauvegarde et le redressement judiciaire, afin d'assurer un traitement préférentiel au débiteur sous sauvegarde, par rapport à celui qui attend la cessation des paiements, et qui sera placé en redressement judiciaire, a été poursuivie beaucoup plus loin par l'ordonnance de réforme.
16. Le débiteur aura, d'abord, la possibilité de demander la désignation d'un administrateur judiciaire qu'il aura lui-même choisi. La confiance que le débiteur peut ainsi placer dans un administrateur qu'il aura choisi participe du caractère volontariste et responsable de la procédure de sauvegarde.
17. Dans la demande d'ouverture de la procédure de sauvegarde, le débiteur pourra indiquer qu'il effectuera lui-même, dans le délai qu'il propose, l'inventaire. Cette faculté participe de l'idée qu'il faut faire confiance au débiteur dès lors que ce dernier s'est placé sous la protection de la justice, alors qu'il n'en avait pas l'obligation. Le recours à un technicien tiers, pour réaliser l'inventaire, ne sera obligatoire que si le débiteur n'a pas fait cette demande ou si le débiteur ne s'est pas acquitté dans les délais de la confection de l'inventaire.
18. La prisée est supprimée en sauvegarde, dans la mesure où la procédure ne tend pas à une cession totale de l'entreprise, seule une cession partielle, décidée par le débiteur, et avec son consentement. Ici encore, il y a une marque de confiance du législateur envers ce débiteur responsable.
19. L'ordonnance de réforme fait clairement ressortir que le projet de plan est élaboré par le débiteur avec l'assistance de l'administrateur. C'est donc le débiteur, selon la lettre du texte, qui élabore le projet de plan et qui décide des mesures à prendre pour assurer le sauvetage de son entreprise.
20. Afin de faciliter l'adoption du plan, les règles relatives aux comités de créanciers ont été considérablement modifiées. Il ne s'agit, toutefois, pas d'un corps de règles spécifiques à la sauvegarde, puisque les règles sont identiquement applicables, en redressement judiciaire, pour l'élaboration du plan de redressement.
21. Les règles rigides fixant un calendrier très précis de constitution des comités, puis de présentation des propositions par le débiteur au comité, ont été supprimées.
22. Il existe désormais non pas deux, mais trois comités de créanciers.
Le premier comité reste constitué des établissements de crédit. Ce comité a vocation à réunir beaucoup plus de créanciers que par le passé, dans la mesure où, en cas de transmission des créances, les nouveaux titulaires des créances feront parti du comité des établissements de crédit, que les créances aient été au départ détenu par des établissements de crédit ou qu'elles l'aient été par des fournisseurs. Les difficultés rencontrées dans le dossier "Euro Tunnel" ont conduit le législateur à poser des règles nouvelles en cas de transmission des créances.
Le deuxième comité reste constitué des principaux fournisseurs. Devient un principal fournisseur, celui qui détient 3 % du montant des créances toutes taxes comprises, et non plus 5 % des créances hors-taxes.
Le troisième comité est représenté par l'assemblée des obligataires. Tous les obligataires de la société débitrice, quel que soit le pays d'émission des obligations, sont intégrés dans ce troisième comité et participeront au vote sur les propositions de plan, dans les mêmes conditions que les deux autres comités. Le refus sur les propositions de plan, comme celui de l'un des deux autres comités, entraînera l'impossibilité d'adoption du plan selon la technique des comités de créanciers.
23. Il est clairement prévu par le texte nouveau que les créanciers pourront présenter des propositions de plan, lesquelles, à l'appréciation du débiteur et de l'administrateur, seront soumises au comité dont ils font partie.
24. Les règles relatives au vote des comités de créanciers, qui sont désormais applicables à l'assemblée des obligataires, ont été modifiées. Il est, d'abord, prévu que les personnes dont les créances ont été payées totalement ne prennent pas part au vote. Pour le calcul des majorités, seules les personnes ayant voté sont comptabilisées. Le texte nouveau supprime la double majorité, en nombre de créanciers et en montant de créances, pour ne retenir que la majorité exprimée en montant de créances, soit deux tiers des créances calculées toutes taxes comprises.
25. Le texte nouveau prend le soin de préciser que les créanciers publics, qui sont nécessairement exclus des comités de créanciers, peuvent être consultés, comme les créanciers de droit commun non membres des comités, mais la consultation ne peut porter que sur les délais, puisque, en ce qui concerne les remises, des modalités particulières ont été posées par la loi.
26. Observons que la consultation des créanciers non membres des comités sera, désormais, effectuée non plus par l'administrateur, mais par le mandataire judiciaire.
27. Sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises, la procédure de sauvegarde se trouvait, sous un aspect particulier, nettement pénalisée par rapport à la procédure de redressement judiciaire : l'ouverture de la procédure de sauvegarde, contrairement à celle de redressement ou de liquidation judiciaire, n'entraînait pas remise des pénalités, majorations et intérêts de retard en matière fiscale. L'ordonnance de réforme supprime cette distinction et fait, désormais, bénéficier le débiteur en sauvegarde de cette règle.
La solution est importante au regard des remises fiscales s'inscrivant dans le cadre de l'élaboration du plan de sauvegarde. Il existe, en effet, un mécanisme de hiérarchisation des remises, lesquelles portent d'abord sur les majorations, pénalités et intérêts de retard, ensuite seulement sur le principal de la dette. On comprend aisément que s'il y a remise automatique des majorations, pénalités et intérêts de retard, les remises de dettes porteront maintenant directement sur le principal de la dette, ce qui est de nature à augmenter de manière substantielle, l'attractivité de la procédure de sauvegarde.
28. L'une des mesures les plus critiquables de la loi de sauvegarde des entreprises, intéressant la procédure de sauvegarde était, sans nul doute, la possibilité pour le tribunal de subordonner l'adoption du plan de sauvegarde à l'éviction des dirigeants, à l'incessibilité ou à la cession forcée de leurs parts ou actions. Ces techniques autoritaires s'inscrivaient très mal dans la procédure volontariste de sauvegarde et pouvaient constituer un repoussoir pour les dirigeants sociaux, pouvant craindre pour leur fonction directoriale, mais encore pour les atteintes qui pouvaient être portées à la détention du capital social. N'oublions pas qu'il s'agissait d'une expropriation généralement gratuite ou quasi gratuite, compte tenu de la faible valeur des parts de la société placée sous procédure collective. Cette mesure avait été critiquée par l'ensemble de la doctrine et a très justement été supprimée par l'ordonnance de réforme, qui ne la maintient désormais plus qu'en phase d'élaboration d'un plan de redressement.
29. Des efforts considérables ont été effectués par le législateur en faveur des garants personnes physiques du débiteur placé sous sauvegarde. Ces garants sont les mêmes que ceux bénéficiant de l'accord de conciliation constaté ou homologué (v. sous n° 12), sous une réserve importante : il ne s'agit ici que des personnes physiques, alors que dans la procédure de conciliation, il n'est fait aucune distinction selon que les garants sont des personnes physiques ou morales.
Tous ces garants pourront bénéficier, d'abord, de l'arrêt du cours des intérêts dont bénéficie lui-même le débiteur par l'effet de l'ouverture de sa procédure de sauvegarde. Cette règle est sans application dans le redressement judiciaire. Supprimant en cela une malfaçon de la législation précédente, elle est également inapplicable dans la procédure de liquidation judiciaire, alors que les textes anciens, par un renvoi malencontreux et en tout cas involontaire d'un texte de la procédure de sauvegarde, en faisaient bénéficier les garants d'un débiteur en liquidation judiciaire.
Tous ces garants bénéficieront, également, des dispositions du plan de sauvegarde, c'est-à-dire des délais et des remises, alors que les garants d'un débiteur ayant obtenu un plan de redressement, comme cela était déjà le cas sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, ne pourront en bénéficier.
L'ordonnance de réforme fait également bénéficier pendant l'exécution du plan de sauvegarde les garants de l'inopposabilité de la créance non déclarée régulièrement. Nous examinerons ci-après cette importante question (v. n° 44). Précisons immédiatement que ce bénéfice est édicté au profit exclusif des garants d'un débiteur sous sauvegarde, les garants d'un débiteur en redressement judiciaire n'en bénéficiant pas.
30. Afin de rendre plus attractive la procédure de sauvegarde, le législateur a également modifié les conséquences de la résolution d'un plan de sauvegarde en cas d'apparition de l'état de cessation des paiements. Sous l'empire de la législation antérieure, si la cessation des paiements apparaissait pendant l'exécution d'un plan de sauvegarde, la résolution du plan était obligatoire et s'accompagnait nécessairement de l'ouverture d'une liquidation judiciaire. Cette solution est abandonnée. Le tribunal aura, désormais, le choix de prononcer soit un redressement, soit une liquidation judiciaire. Le redressement judiciaire pourra donc déboucher sur un plan de redressement, ce qui met fin au principe "plan sur plan ne vaut". Cette règle est inapplicable à la résolution avec cessation des paiements du plan de redressement judiciaire, qui débouchera nécessairement sur l'ouverture d'une liquidation judiciaire.
31. Une mesure particulièrement intéressante, et qui illustre bien la volonté du législateur d'améliorer la situation du débiteur en sauvegarde, par rapport à celle du débiteur en redressement judiciaire, prévoit la possibilité pour le débiteur, dans le délai de deux ans à compter de l'arrêté du plan de sauvegarde, de faire procéder à la radiation des mentions relatives à la procédure et à l'exécution du plan, sur les registres sur lesquels ces mentions ont été portées. Cette disposition ne bénéficie pas au débiteur ayant obtenu un plan de redressement.
La mesure est destinée à restaurer le crédit du débiteur, en améliorant son image, car sa cotation Banque de France devrait s'en trouver modifiée.
32. Terminons en faisant état du maintien d'une solution, posée sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, qui apparaissait pourtant éminemment critiquable : celle de la possibilité d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité de la procédure de sauvegarde. Non seulement le législateur persiste, mais il signe, dans la mesure où il prend le soin de déterminer les personnes ayant le droit de saisir le tribunal aux fins d'extension de la procédure : administrateur judiciaire, mandataire judiciaire et ministère public. Le tribunal peut également se saisir d'office. La solution est valable tant en sauvegarde, qu'en redressement et en liquidation judiciaire. En outre, en liquidation judiciaire, le liquidateur à cette même qualité. Il est curieux que le législateur n'ait pas supprimé la possibilité d'extension d'une procédure de sauvegarde, qui est à l'initiative exclusive du débiteur. Cette possibilité peut constituer un repoussoir dans les groupes de sociétés, lorsque un chef d'entreprise décide de placer l'une de ses entreprises sous la sauvegarde, car il pourra craindre une extension à toutes les autres sociétés du groupe. La conservation de la solution paraît donc particulièrement inopportune. Elle est, en tout cas, aux antipodes de l'attractivité recherchée de la procédure de sauvegarde.
III - Les règles communes à la sauvegarde et au redressement judiciaire
33. Des règles ont été posées par l'ordonnance de réforme, en matière de sauvegarde. Par le jeu de renvoi de textes, ces modifications ont identiquement vocation à s'appliquer en redressement judiciaire.
34. La règle de l'interdiction des paiements est, d'abord, retouchée. Sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises, il était interdit de payer, après le jugement d'ouverture, les créances autres que celles mentionnées au I de l'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD). Il était, ainsi, interdit de payer les créances antérieures, sans aucune exception. Il était également interdit de payer les créances postérieures, non éligibles au traitement préférentiel, sous deux exceptions : les créances alimentaires et les créances nées de la vie courante du débiteur personne physique.
Le texte, de manière beaucoup plus claire, fait échapper à la règle de l'interdiction des paiements les créances alimentaires, qu'elles soient antérieures ou postérieures au jugement d'ouverture. Il supprime l'exception intéressant les créances postérieures nées pour les besoins de la vie courante du débiteur. La solution s'explique en réalité par la modification du domaine des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel.
35. Le texte nouveau crée une nouvelle exception à la règle de l'interdiction des paiements des créances antérieures. Désormais, le débiteur en sauvegarde, l'administrateur dans le redressement judiciaire s'il a reçu une mission de représentation, l'administrateur et son débiteur dans le redressement judiciaire si le premier a mission d'assistance, pourront se faire autoriser par le juge-commissaire à payer une créance antérieure afin de lever l'option d'achat du crédit-bail arrivant à terme pendant la période d'observation. Indiquons immédiatement que la règle est identique, au bénéfice du liquidateur, si le contrat de crédit-bail arrive à terme pendant la période de liquidation judiciaire.
36. Le texte nouveau a, ensuite, entendu coordonner les innovations apportées au droit des sûretés avec le droit des entreprises en difficulté, afin de ne pas rendre impossible le sauvetage de l'entreprise. Deux corps de règles ont été édictés en ce sens.
37. Tout d'abord, la loi du 4 août 2008, dite "LME" (loi n° 2008-776, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR), a accordé aux créanciers gagistes sans dépossession, par exemple les gagistes par inscription ou encore les gagistes sur matériel et outillage, un droit de rétention fictif. Ce droit de rétention est neutralisé par l'ordonnance de réforme pendant la période d'observation et pendant celle d'exécution des plans de sauvegarde et de redressement. En revanche, ce droit de rétention fictif conserve toute son efficacité, en cas de cession de l'entreprise ainsi qu'en liquidation judiciaire.
38. L'ordonnance de réforme a, également, entendu neutraliser le jeu de la fiducie sûreté, dans une hypothèse très précise : celle dans laquelle, par convention, les biens transférés dans un patrimoine fiduciaire ont été laissés à l'usage ou à la jouissance du débiteur. En ce cas, aucun transfert de biens au profit du bénéficiaire ne peut intervenir pendant la période d'observation, et pendant celle d'exécution des plans de sauvegarde et de redressement. Le sort de la convention de fiducie n'appartient pas à l'administrateur judiciaire ou au débiteur, puisque ce contrat échappe au régime de la continuation des contrats en cours. Ces personnes ne peuvent donc y mettre fin. En revanche, la convention par laquelle est assuré le maintien de la jouissance ou de l'usage des biens transférés dans un patrimoine fiduciaire au débiteur est soumise aux règles de la continuation des contrats en cours. La réalisation de la fiducie sûreté est ainsi paralysée pendant la période d'observation et pendant celle d'exécution du plan. Il n'y a, cependant, aucune atteinte à la fiducie sûreté. C'est la raison pour laquelle les créanciers titulaires de créances garanties par une fiducie, au titre de ces créances, ne seront pas membres des comités de créanciers et seront consultés comme les créanciers hors comités. Ils doivent être en mesure de décider eux-mêmes s'ils entendent ou non consentir des remises au débiteur puisque, a priori, ils ont la quasi certitude de pouvoir être payés à hauteur des biens transférés dans le patrimoine fiduciaire. Leurs créances ne sont donc pas atteintes par la procédure collective, seule la mise en oeuvre de la sûreté étant soumise à une paralysie provisoire. Les bénéficiaires d'une fiducie sûreté devront donc attendre la résolution des plans de sauvegarde ou de redressement, quelles qu'en soient les suites, ou le prononcé de la liquidation judiciaire, pour obtenir le transfert à leur profit des biens composant le patrimoine fiduciaire.
En cas de constitution d'une fiducie sûreté, si aucune convention ne laisse les biens transférés dans le patrimoine fiduciaire à l'usage ou à la jouissance du débiteur, le débiteur en sauvegarde, son administrateur en redressement judiciaire avec mission de représentation, le débiteur et son administrateur dans le redressement judiciaire lorsque le second a une mission d'assistance, pourront se faire autoriser par le juge-commissaire à payer une créance antérieure pour obtenir le retour des biens transférés dans le patrimoine fiduciaire, dans le patrimoine du débiteur. Il s'agit là d'une nouvelle exception à la règle de l'interdiction du paiement des créanciers antérieurs.
39. Les règles relatives à la continuation des contrats en cours ont également été modifiées. Pour l'essentiel, il faut retenir la possibilité nouvelle ouverte à l'administrateur judiciaire, qui n'a pas été mis en demeure, c'est-à-dire de manière spontanée, de demander la résiliation du contrat.
La résiliation du contrat doit être nécessaire à la sauvegarde ou au redressement de l'entreprise. En outre, elle ne doit pas porter une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. La demande sera présentée au juge-commissaire. Ce dernier ne se contentera pas de constater la résiliation, mais devra la prononcer. Les intérêts du cocontractant du débiteur doivent être pris en compte. Une procédure contradictoire est prévue devant le juge commissaire afin que le cocontractant puisse présenter les éléments d'appréciation. On peut, ici, prendre au moins deux exemples mettant en scène un bailleur. Dans la première situation, nous sommes en présence d'un débiteur bailleur à usage d'habitation. La résiliation du bail d'habitation peut lui permettre de vendre à un meilleur prix l'immeuble. Cependant, cela conduirait à mettre dehors le locataire, alors qu'il aurait toujours scrupuleusement respecté ses obligations. L'atteinte aux intérêts du cocontractant pourrait apparaître excessive. Dans une deuxième situation, nous sommes en présence d'un débiteur, loueur d'un fonds de commerce. S'il décide de résilier le contrat, il est mis fin à la location-gérance, ce qui constitue d'évidence une atteinte excessive aux intérêts du locataire-gérant.
Indiquons que la prérogative offerte à l'administrateur l'est également au débiteur, qui n'aura pas besoin d'un avis conforme du mandataire judiciaire pour prendre l'initiative de demander la résiliation du contrat, sans avoir été mis en demeure, dès lors qu'il y va de l'intérêt de la sauvegarde ou du redressement de l'entreprise.
40. Le régime du bail commercial avait, au lendemain de la loi de sauvegarde des entreprises, fait naître de sérieuses difficultés. La question essentielle était de savoir si l'on devait coordonner les règles relatives à la continuation des contrats en cours, avec les règles spécifiques posées en matière de bail des locaux professionnels. Toutes les interprétations avaient été soutenues. Il faut donc apprécier, à sa juste valeur, les éclaircissements apportés par l'ordonnance de réforme. Le doute n'est désormais plus permis : le mécanisme de l'option sur la continuation du contrat, qui résulte du jeu d'une mise en demeure, est sans application. C'est l'administrateur judiciaire, et à son défaut le débiteur, qui décide du sort du contrat de bail.
Le reste du dispositif antérieur reste applicable.
41. L'ordonnance de réforme a modifié le domaine des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel. Sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, qui avait innové en procédant à un tri entre les créances postérieures, trois types de créances postérieures nées régulièrement pouvaient bénéficier du traitement de faveur. Les deux premiers étaient représentés par les créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure et pour les besoins du déroulement de la période d'observation. Ces deux catégories sont conservées. La troisième catégorie de créances postérieures éligibles au traitement préférentiel était celle des créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité professionnelle pendant la période d'observation. L'ordonnance de réforme a supprimé l'exigence selon laquelle la créance devait être née pour les besoins de l'activité professionnelle du débiteur. En conséquence, toutes les créances, qui sont la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, sont désormais éligibles au traitement préférentiel lorsqu'elles sont nées régulièrement après le jugement d'ouverture.
Le domaine des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel se trouve ainsi élargi, en présence d'un débiteur personne physique. La situation s'en trouve considérablement simplifiée, puisqu'il n'est plus besoin, contrairement à la situation existant sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises, de prévoir spécifiquement le sort des créances postérieures nées pour les besoins de la vie courante du débiteur, qui, bien qu'elles ne fussent pas éligibles au traitement préférentiel, pouvaient néanmoins, par exception, être payées.
Indiquons que la solution est transposable en liquidation judiciaire. Continuent à bénéficier du traitement préférentiel, les créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l'activité en liquidation judiciaire. Bénéficieront, également, du traitement préférentiel, les créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant la poursuite provisoire de l'activité. Ici encore, la relation avec l'activité professionnelle du débiteur est supprimée.
42. L'ordonnance de réforme modifie le classement à l'intérieur des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel. Depuis la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR), dont la solution n'avait pas été modifiée par la loi du 26 juillet 2005, les créanciers postérieurs étaient classés en cinq rangs. L'ordonnance de réforme supprime le deuxième rang, occupé par le privilège des frais de justice. Désormais, les frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure sont payés juste après le super privilège des salaires et avant le privilège de la conciliation. Ces créances quittent donc le classement réservé aux créanciers postérieurs. En conséquence, il n'existe plus désormais que quatre rangs au sein des créanciers postérieurs privilégiés, du moins dans la liquidation judiciaire. En effet, dans la sauvegarde et le redressement judiciaire, le quatrième rang, anciennement occupé par l'AGS au titre des créances qu'elle a avancées, est également supprimé. La solution est logique, car les sommes avancées par l'AGS, correspondant à des créances postérieures relatives aux indemnités de rupture, sont, en dehors de la liquidation judiciaire, traitées comme des créances antérieures. Aucune disposition relative aux créances postérieures ne peut donc les régir. Ainsi, en sauvegarde et en redressement judiciaire, les créanciers postérieurs privilégiés ne sont plus, désormais, classés qu'en trois rangs.
43. L'ordonnance de réforme modifie les règles relatives au délai de déclaration de créances de la partie civile d'une infraction pénale. Si la décision définitive fixant les droits de la partie civile est antérieure à la publication au Bodacc du jugement d'ouverture de la procédure collective, le délai de déclaration de créances court à compter de cette publication. Dans le cas contraire, le délai de déclaration de créances de deux mois courra à compter de la date de la décision définitive fixant le montant de la créance de la partie civile.
44. L'une des innovations importantes de la loi de sauvegarde des entreprises tenait à la suppression de l'extinction des créances non déclarées régulièrement dans les délais. La loi n'avait, toutefois, pas précisé le sort de la créance non déclarée. Nous avions, lors des travaux parlementaires de la loi de sauvegarde, énoncé l'idée que cette créance était inopposable à la procédure collective.
L'ordonnance de réforme retient le concept d'inopposabilité : la créance non déclarée est inopposable au débiteur, pendant l'exécution de son plan de sauvegarde ou de redressement.
Le créancier ne pourra obtenir son paiement pendant la période d'observation et pendant la liquidation judiciaire du fait de la règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures, que celles-ci aient été ou non déclarées.
Le législateur crée une inopposabilité au débiteur de la créance non déclarée pendant l'exécution du plan de sauvegarde et de redressement. Elle se poursuit après complète exécution du plan de sauvegarde, ce qui revient à dire que le créancier, qui n'a pas déclaré régulièrement sa créance, ne pourra se faire payer par le débiteur. En revanche, cette inopposabilité ne se poursuit pas après complète exécution du plan de redressement. Le créancier pourra donc, à cette date, poursuivre à nouveau le débiteur, s'il n'a pas encouru la prescription.
L'inopposabilité de la créance non déclarée bénéficie aux garants personnes physiques d'un débiteur ayant obtenu un plan de sauvegarde, pendant l'exécution de celui-ci. Elle n'est, cependant, pas prolongée après complète exécution de ce plan. Il sera donc possible, à ce moment-là, de poursuivre le garant, si, du moins, le créancier n'a pas encouru la prescription. Le bénéfice de l'inopposabilité aux garants personnes physiques du débiteur pendant l'exécution du plan n'existe que pour le plan de sauvegarde, et non pour le plan de redressement.
Le créancier pourra, après clôture de la liquidation judiciaire, reprendre ses poursuites individuelles contre le débiteur. Toutefois, si la clôture de la liquidation judiciaire intervient pour insuffisance d'actif, le créancier ne pourra retrouver son droit d'agir que s'il se trouve dans une hypothèse exceptionnelle de reprise des poursuites individuelles après clôture pour insuffisance d'actif. Ici encore, il faudra qu'il n'ait pas encouru la prescription.
45. L'ordonnance de réforme modifie le point de départ de l'action en revendication. Depuis la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7), le législateur distinguait, lorsque le propriétaire était lié au débiteur par un contrat, selon que ce dernier était en cours, ou qu'il était arrivé à terme ou résilié, à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective. Si le contrat était en cours, le délai de l'action en revendication ne courait pas jusqu'à l'arrivée à terme ou à la résiliation du contrat. Cette règle est supprimée. Désormais, le point de départ du délai de l'action en revendication de trois mois est unique : il court toujours à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bodacc. Si le contrat est en cours, la restitution n'interviendra qu'au jour de la résiliation ou de l'arrivée à terme du contrat, sans que le propriétaire ait à exercer une nouvelle démarche.
L'ordonnance de réforme tient compte de la création de la fiducie, en prévoyant que le fiduciaire doit exercer l'action en revendication, comme tout propriétaire de meuble, dès lors que le bien transféré dans le patrimoine fiduciaire a été laissé par convention à l'usage ou la jouissance du débiteur.
46. L'ordonnance de réforme confère au commissaire à l'exécution du plan un monopole dans le recouvrement forcé des dividendes du plan de sauvegarde ou de redressement. L'action individuelle des créanciers apparaît ainsi irrecevable.
IV Le redressement judiciaire
47. L'ordonnance de réforme modifie la définition légale de l'état de cessation des paiements en apportant des compléments, qui ne sont que la résultante de l'interprétation de la Cour de cassation.
L'ordonnance de réforme conserve le principe selon lequel l'état de cessation des paiements est caractérisé lorsque le débiteur, avec son actif disponible, ne peut faire face à son passif exigible. L'ordonnance de réforme ajoute que le débiteur, qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible, n'est pas en état de cessation des paiements. La réserve de crédit doit en effet être ajoutée à l'actif disponible. Elle doit être prouvée par le débiteur. Les moratoires jouent, à l'inverse, sur la constitution du passif exigible. Il ne doit pas s'agir de la simple inaction du créancier dans le recouvrement de sa créance, mais de la volonté expresse du créancier de faire crédit au débiteur, de lui accorder des délais qui diffèrent, à due concurrence, l'exigibilité de la dette.
48. L'état de cessation des paiements constitue la condition classique d'ouverture du redressement judiciaire. Sous l'empire de la législation de sauvegarde, il était également prévu une conversion de la sauvegarde en redressement judiciaire en cas d'apparition de l'état de cessation des paiements. Ces solutions sont conservées.
Toutefois, afin d'éviter une rupture préjudiciable dans l'enchaînement des procédures, l'ordonnance de réforme prévoit que s'il apparaît qu'aucun plan de sauvegarde ne peut être arrêté et que la cessation des paiements est imminente, le débiteur peut demander la conversion en redressement judiciaire. Il y a ainsi un redressement judiciaire sans cessation des paiements.
49. L'ordonnance de réforme conserve le principe de conversion de la sauvegarde en redressement judiciaire s'il apparaît que la cessation des paiements préexistait à l'ouverture de la sauvegarde. Les textes antérieurs étaient particulièrement mal rédigés et une difficulté se présentait pour la fixation de la date de cessation des paiements, qui conditionnait le jeu des nullités de la période suspecte. L'ordonnance de réforme clarifie considérablement les données de la question.
Désormais, le tribunal qui convertit la sauvegarde en redressement judiciaire fixera la date de cessation des paiements. La période suspecte s'étendra de la date de cessation des paiements jusqu'au jugement d'ouverture de la sauvegarde, évitant ainsi de faire tomber sous le coup des nullités de la période suspecte les actes accomplis entre l'ouverture de la sauvegarde et la conversion en redressement judiciaire. Parallèlement, la demande de report de date de cessation des paiements, enfermée dans le délai d'un an du jugement d'ouverture, par principe, courra ici non du jugement d'ouverture de la sauvegarde, mais de la conversion en redressement judiciaire, afin de rendre effective la possibilité de remonter la date de cessation des paiements dans les 18 mois de la décision d'ouverture de la sauvegarde.
50. La loi de sauvegarde des entreprises avait conservé le principe selon lequel la demande d'ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire est exclusive de toute autre demande. La rédaction du texte allait même plus loin dans la mesure où, selon l'interprétation jurisprudentielle qui en avait été faite, il était interdit à un créancier de solliciter l'ouverture à titre subsidiaire d'une liquidation judiciaire, alors qu'il avait demandé à titre principal l'ouverture d'un redressement judiciaire, et inversement. Le tribunal, désireux de placer le débiteur en liquidation judiciaire, alors que le créancier avait sollicité le redressement judiciaire, devait nécessairement utiliser la technique de la saisine d'office. Désormais, le créancier pourra assigner à titre principal en redressement judiciaire et à titre subsidiaire en liquidation judiciaire, et inversement.
En présence d'une demande d'ouverture du redressement judiciaire, si la cour d'appel infirmait ou annulait le jugement d'ouverture prononçant le redressement judiciaire, elle ne pouvait, sauf à utiliser les règles de la saisine d'office, ouvrir une liquidation judiciaire. La solution est modifiée : désormais, la cour d'appel qui annule ou infirme un jugement statuant sur l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire peut, d'office, soit ouvrir la procédure de redressement judiciaire, soit prononcer la liquidation judiciaire. Identiquement, la cour d'appel qui annule ou infirme le jugement prononçant la liquidation judiciaire pourra, d'office, ouvrir un redressement judiciaire.
51. On se souvient qu'une grande discussion avait eu lieu, lors des travaux parlementaires de la loi de sauvegarde des entreprises, sur le point de savoir s'il était possible d'arrêter un plan de cession en redressement judiciaire ou s'il fallait réserver cette possibilité aux cas de prononcé de la liquidation judiciaire. Finalement, le principe avait été celui de l'arrêté du plan de cession en liquidation judiciaire, cependant que la possibilité avait été maintenue d'arrêter un plan de cession en redressement judiciaire. La solution est conservée.
Afin de parvenir à cette solution, les nouveaux textes prévoient que le tribunal devra nommer obligatoirement un administrateur judiciaire si la cession est envisagée en redressement judiciaire.
52. L'ordonnance de réforme retouche légèrement les cas de nullités de la période suspecte. Dans la rédaction que lui avait donnée la loi du 19 février 2007, instituant la fiducie (loi n° 2007-211 N° Lexbase : L4511HUM), le Code de commerce (C. com., art. L. 632-1-9° N° Lexbase : L3497ICI) frappait de nullité de droit tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire accompli pendant la dette suspecte. Le principe est conservé par l'ordonnance de réforme en présence d'une fiducie gestion. En revanche, en présence d'une fiducie sûreté, l'ordonnance de réforme aligne sur le droit commun des nullités de la période suspecte pour sûreté constituée en garantie d'une créance antérieure le régime des fiducies sûreté. En conséquence, si le transfert de propriété consacré par la fiducie sûreté est intervenu en garantie d'une dette concomitante, il reste valable. Au contraire, il sera frappé de nullité si la fiducie sûreté est constituée en garantie d'une créance antérieure.
Les mêmes règles sont posées pour la nullité des avenants au contrat de fiducie sûreté.
V La liquidation judiciaire
53. Les règles relatives à la liquidation judiciaire ont, dans l'ensemble, été peu retouchées par l'ordonnance de réforme.
Certaines solutions ont déjà été présentées, par exemple celles qui concernent la cessation des paiements, les nullités de la période suspecte, ou encore l'assignation en liquidation judiciaire par un créancier. L'essentiel des modifications concerne la liquidation judiciaire simplifiée.
54. De manière nouvelle, l'ordonnance de réforme prévoit l'application obligatoire de la liquidation judiciaire simplifiée dans certains cas, alors que, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, il avait été estimé que les règles de la liquidation judiciaire simplifiée étaient toujours facultatives.
La liquidation judiciaire simplifiée est désormais obligatoire si l'entreprise emploie ou employait, dans les six mois précédant l'ouverture de la procédure, au plus un salarié et a réalisé au plus 300 000 euros de chiffre d'affaires hors taxes, apprécié à la date de clôture du dernier exercice comptable.
Si la liquidation judiciaire simplifiée est obligatoire, le tribunal la décide dans le jugement qui ouvre la liquidation judiciaire s'il a les éléments en sa possession. Dans le cas contraire, le président du tribunal statuera d'office au vu du rapport que doit établir le liquidateur dans le mois de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire immédiate. En cas de conversion de la sauvegarde ou du redressement judiciaire en liquidation judiciaire, il est fait application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée dans le jugement prononçant la liquidation judiciaire.
Si le débiteur emploie ou employait entre deux et cinq salariés et a réalisé, au cours de l'exercice comptable précédent, un chiffre d'affaires hors taxes compris entre 300 000 et 750 000 euros, la liquidation judiciaire simplifiée est facultative. En cas de liquidation judiciaire immédiate, l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée sera décidée d'office par le président du tribunal au vu du rapport établi par le liquidateur dans le mois du jugement ouvrant la liquidation judiciaire.
55. L'ordonnance de réforme et son décret d'application modifient les voies de recours applicables aux décisions du juge-commissaire autorisant ou ordonnant la vente des biens meubles et immeubles du débiteur en liquidation judiciaire, en application des articles L. 642-18 (N° Lexbase : L3475ICP) et L. 642-19 (N° Lexbase : L3436ICA) du Code de commerce. Selon le texte ancien, le recours ouvert sur ces ordonnances était l'opposition devant le tribunal. Le ministère public pouvait ensuite interjeter appel du jugement statuant sur l'opposition. Au contraire, les autres opposants étaient privés du droit de former un appel réformation à l'encontre du jugement vidant l'opposition.
L'ordonnance de réforme simplifie le dispositif en prévoyant que l'ordonnance statuant sur les réalisations d'actifs est susceptible d'appel. Le recours devant le tribunal devient donc irrecevable.
56. Dans la liquidation judiciaire simplifiée obligatoire, le liquidateur peut, sans avoir sollicité l'autorisation du juge-commissaire, procéder à la vente des meubles du débiteur, dans les trois mois suivant la décision ordonnant l'application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée. Le choix appartient au liquidateur de vendre les biens de gré à gré ou aux enchères.
Dans la liquidation judiciaire simplifiée facultative, le tribunal ou le président du tribunal, selon le cas, déterminera, dans la décision de faire application des règles de la liquidation judiciaire simplifiée, les biens susceptibles d'être vendus de gré à gré. Les biens non visés devront être vendus aux enchères publiques. En outre, passé le délai de trois mois par rapport à la décision appliquant les règles de la liquidation judiciaire simplifiée, les biens devront nécessairement être vendus aux enchères publiques.
57. Une fois les créances susceptibles de venir en rang utile et les créances salariales vérifiées, il appartient au liquidateur d'établir un projet de répartition. De manière nouvelle, il est prévu que ce projet de répartition devra compléter l'état des créances. Ce document unique fera alors l'objet d'un dépôt au greffe suivi d'un avis d'insertion au Bodacc informant de ce dépôt au greffe. Cet avis fera courir le délai de réclamation à l'encontre de l'état des créances complété du projet de répartition. Ainsi, les réclamations formées, qui donneront lieu à audience devant le juge-commissaire, pourront porter non seulement sur l'état des créances, mais encore sur le projet de répartition.
58. L'ordonnance de réforme prévoit explicitement que la continuation des contrats en cours pourra intervenir, dans la liquidation judiciaire, indépendamment de toute poursuite provisoire de l'activité. C'était la solution jurisprudentielle adoptée sous l'empire de la loi du 10 juin 1994, mais la rédaction des textes, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, avait pu faire naître une difficulté, que s'est employée à dissiper l'ordonnance de réforme.
En cas de liquidation judiciaire, l'administrateur ou le liquidateur, en son absence, pourra demander la résiliation d'un contrat, sans avoir été mis en demeure, dès lors que la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent. Le juge-commissaire interviendra pour prononcer, et non pas seulement constater, la résiliation. Celle-ci ne sera prononcée que si l'atteinte portée aux intérêts du cocontractant n'est pas excessive.
59. Pour tenir compte des difficultés qui s'étaient présentées sous l'empire de la législation antérieure, la garantie de l'AGS pour la couverture des indemnités de rupture des contrats de travail en cas de poursuite provisoire de l'activité autorisée en liquidation judiciaire est prolongée. Alors que, sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises, les licenciements économiques devaient impérativement intervenir avant l'expiration de la période de poursuite provisoire d'activité, désormais, ils pourront être effectués au plus tard à l'expiration d'un délai de quinzaine qui court à la fin de la poursuite provisoire d'activité, les sommes dues pendant cette période étant couvertes par l'AGS.
60. La loi de sauvegarde des entreprises avait rendu impossible la cession, par le biais d'un plan de cession, de l'entreprise d'un professionnel libéral. Seuls les éléments corporels pouvaient être cédés, non la clientèle. Cette discrimination par rapport au fonds de commerce ou au fonds artisanal, mais également par rapport à la situation d'une société exerçant une profession libérale, avait été abondamment critiquée. L'ordonnance de réforme supprime l'impossibilité de céder le fonds libéral en plan de cession.
61. L'ordonnance de réforme restaure, comme cela était le cas avant la loi de sauvegarde des entreprises, l'interdiction de modifier, à la hausse, une offre de cession moins de deux jours ouvrés avant l'audience au cours de laquelle il doit être statué sur le plan cession.
62. Pour assurer l'efficacité de la fiducie sûreté, l'ordonnance de réforme prévoit l'impossibilité de la cession judiciaire des contrats assurant au débiteur la jouissance ou l'usage de biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire. De la sorte, le plan de cession ne pourra pas tenir en échec la réalisation de la fiducie sûreté, cette dernière n'étant neutralisée que pendant la période d'observation et en phase d'exécution du plan de sauvegarde ou de redressement.
63. L'ordonnance de réforme s'emploie à éclaircir les modalités procédurales de reprise des poursuites individuelles après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.
Si le créancier admis au passif est déjà titulaire d'un titre exécutoire, le président du tribunal doit constater, par voie d'ordonnance, que le créancier remplit les conditions pour reprendre ses poursuites individuelles.
Si le créancier admis au passif n'est pas titulaire d'un titre exécutoire, il doit saisir le président du tribunal qui lui délivre, par voie d'ordonnance, le titre exécutoire l'autorisant à reprendre ses poursuites individuelles.
Si la créance n'a pas été vérifiée, le créancier doit assigner le débiteur en paiement dans le cadre d'une instance classique. La compétence du tribunal de la faillite ne s'impose pas. La procédure d'injonction de payer ne peut être utilisée.
VI - Les sanctions
64. L'ordonnance de réforme commence par retoucher légèrement le dispositif applicable à la responsabilité du dispensateur de crédit.
Elle précise, d'abord, que le dispositif d'allégement de la responsabilité du dispensateur de crédit posé par l'article L. 650-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3503ICQ) ne s'applique qu'en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
La loi de sauvegarde des entreprises prévoyait que lorsque que le créancier engageait sa responsabilité, il y avait place à nullité de plein droit des sûretés affectées à la garantie de ses concours.
L'ordonnance de réforme substitue, à la nullité de plein droit, une nullité simplement facultative. En outre, le tribunal peut, au lieu de prononcer la nullité, se contenter de cantonner les garanties.
65. L'ordonnance de réforme limite le prononcé de la responsabilité pour insuffisance d'actif à l'hypothèse dans laquelle la personne morale débitrice a été placée en liquidation judiciaire. La résolution du plan de sauvegarde ou de redressement sera donc insuffisante.
L'ordonnance de réforme précise, mieux que ne le faisait le texte précédent, qu'en cas de condamnation pour insuffisance d'actif, le montant de la condamnation sera limité à cette insuffisance d'actif.
Le dirigeant condamné se voit privé, à titre de peine complémentaire, de la possibilité de participer aux répartitions provenant du montant de sa condamnation.
66. La mesure la plus remarquable, en matière de sanction, consiste assurément en la suppression pure et simple de l'obligation aux dettes sociales. Cette sanction avait remplacé le redressement ou la liquidation judiciaire prononcée à titre de sanction contre le dirigeant fautif. Mais cette filiation avait ensuite été oubliée et la doctrine avait alors avancé l'idée que l'obligation aux dettes sociales ne présentait pas de véritable spécificité par rapport à la responsabilité pour insuffisance d'actif.
La doctrine a été entendue : l'ordonnance de réforme supprime l'obligation aux dettes sociales.
Une disposition transitoire particulière est toutefois prévue. Si le tribunal a été saisi avant le 15 février 2009 d'une demande d'obligation aux dettes sociales, cette demande pourra continuer à prospérer même après cette date. En revanche, si à la date du 15 février 2009, le tribunal n'a pas été saisi d'une demande d'obligation aux dettes sociales, cette dernière est irrecevable, alors même qu'elle serait présentée dans le cadre d'une procédure collective ouverte contre une personne morale avant le 15 février 2009, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance de réforme.
67. L'ordonnance de réforme aligne le régime de l'interdiction de gérer et de la faillite personnelle prononcées par une juridiction répressive sur celui du prononcé de telles sanctions par la juridiction civile ou commerciale. En conséquence, la durée de ces mesures prononcées par la juridiction répressive sera, désormais, limitée à 15 ans.
VII Les voies de recours
68. L'ordonnance de réforme s'est employée à préciser les voies de recours ouvertes sur les décisions du tribunal statuant en matière de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire, de responsabilité pour insuffisance d'actif, de faillite personnelle et d'interdiction de gérer.
69. L'ordonnance de réforme fait apparaître que les décisions statuant sur la liquidation judiciaire immédiate sont susceptibles d'appel et de pourvoi en cassation de la part des institutions représentatives du personnel. Au contraire, les décisions statuant sur la conversion en liquidation judiciaire ne sont pas susceptibles d'appel et de contestation de la part de ces institutions. Ces solutions sont exactement aux antipodes de celles posées sous l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises.
L'ordonnance de réforme s'emploie à préciser les voies de recours sur l'extension d'une procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité ; il ne s'agit en réalité que de la reprise des solutions jurisprudentielles.
Sont susceptibles d'appel et de pourvoi en cassation, les décisions statuant sur l'extension, de la part du débiteur soumis à la procédure, du débiteur visé par l'extension, du mandataire judiciaire ou du liquidateur, de l'administrateur et du ministère public.
70. De manière nouvelle, l'ordonnance de réforme ouvre l'appel à l'encontre du jugement statuant sur le plan de sauvegarde ou de redressement à des créanciers. Le nouvel article L. 661-1-I, 6° du Code de commerce (N° Lexbase : L3320ICX), dans sa rédaction issue de l'ordonnance de réforme, ajoute en effet à la liste le "créancier ayant formé une contestation en application de l'article L. 626-34-1 (N° Lexbase : L3525ICK)".
Le nouvel article L. 626-34-1 oblige le créancier, membre d'un comité, ou l'obligataire, qui entendrait contester, selon le cas, les modalités de composition des comités de créanciers, de calcul des majorités au sein des comités, les modalités de composition de l'assemblée des obligataires ou de calcul des majorités au sein de l'assemblé des obligataires, à peine d'irrecevabilité, à former ses contestations relatives à l'application des articles L. 626-30 (N° Lexbase : L3490ICA) à L. 626-32, avant l'audience prévue, selon le cas, à l'article L. 626-9 (N° Lexbase : L3382ICA) ou à l'article L. 626-26 (N° Lexbase : L2418IB8).
Le créancier ou l'obligataire, qui a émis la contestation, qui n'est pas satisfait de la décision du tribunal ayant vidé sa contestation, peut interjeter appel de la décision ne lui ayant pas donné satisfaction. En bonne logique, et même si le nouvel article L. 661-1-I, 6° du Code de commerce ne le précise pas, il s'agira ici d'un appel limité au dispositif de la décision statuant sur l'arrêté du plan relatif à sa contestation. Rappelons à cet égard que, en application de l'alinéa deux de l'article L. 626-34-1 du Code de commerce, la contestation émise par un créancier ne pourra porter que sur la décision prise par le comité ou l'assemblée des obligataires dont il est membre. Symétriquement, le recours sur la décision du tribunal ne pourra porter que sur cette même décision.
L'ordonnance de réforme ajoute un nouveau titulaire du droit d'appel à l'encontre du jugement statuant sur la modification du plan de sauvegarde ou de redressement : le "créancier ayant formé une contestation en application de l'article L. 626-34-1". La contestation devra avoir été émise à l'occasion d'un vote sur la modification substantielle dans les moyens du plan.
71. Terminons en indiquant que le délai d'appel ouvert au parquet général est aligné sur celui ouvert au procureur de la République : il passe en conséquence de 15 à 10 jours. Le point de départ reste fixé à la réception par le procureur de la République de l'avis qui lui est donné de la décision du procureur de la République.
(1) L'expression est à prohiber, car l'argent frais peut être apporté dans une sauvegarde ou un redressement judiciaire et déclenchera, également, l'application d'un privilège (C. com., art. L. 622-17 N° Lexbase : L3493ICD) que l'on pourrait tout aussi bien qualifier de "privilège de la new money". L'utilisation du français, en France, à propos d'un texte juridique applicable en France, est donc largement préférable puisqu'elle a le mérite d'éviter toute ambiguïté.
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Réf. : Cass. soc., 4 février 2009, 3 arrêts, n° 07-11.884, CNRSI, FS-P+B (N° Lexbase : A9448ECW), n° 07-42.024, M. Pascal Aubeut, FS-P+B (N° Lexbase : A9556ECW) et n° 07-41.406, CAF de Paris, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9550ECP)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumés
Pourvoi n° 07-11.884 : au regard du respect du principe "à travail égal, salaire égal", la circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux ; il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence.
Pourvoi n° 07-41.406 : au regard du respect du principe "à travail égal, salaire égal", la circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux ; il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence.
Pourvoi n° 07-42.024 : au regard de l'application du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif n'a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l'entreprise lors de l'entrée en vigueur de l'accord collectif. |
Commentaire
I - Egalité salariale et prise en compte des parcours professionnels
Les partenaires sociaux sont amenés à intervenir périodiquement pour régler un certain nombre de difficultés liées à la modification des grilles de rémunération et à préciser, à cette occasion, les modalités d'application dans le temps de ces modifications.
Dans la plupart des hypothèses déjà rencontrées, les nouveaux accords modifient à la baisse les dispositions précédentes et comportent des mesures transitoires destinées à sauvegarder le niveau de rémunération des salariés qui avaient bénéficié des anciennes dispositions conventionnelles (2) ; des dispositions comparables sont mises en place lorsqu'un accord nouveau se substitue à un usage d'entreprise (3).
Dans ces hypothèses, la Cour de cassation a, logiquement, considéré que les salariés embauchés antérieurement à l'entrée en vigueur du nouvel accord ne se trouvent pas dans la même situation que ceux qui sont embauchés postérieurement, dans la mesure où le nouvel accord diminue leur niveau de rémunération et que la volonté de compenser ce préjudice constitue un motif justifiant la différence de traitement introduite entre des salariés qui exerceraient un travail égal ou de valeur égale.
C'est dans ce cadre, qui semble, aujourd'hui, bien en place, qu'interviennent deux nouveaux arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 février 2009 (pourvois n° 07-11.884 et n° 07-41.406), dans une configuration diamétralement opposées aux affaires habituellement traitées, puisque les accords litigieux traitaient moins bien les anciens salariés que les nouveaux.
La première espèce (pourvoi n° 07-11.884) concernait la Convention collective nationale de travail du personnel des caisses d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés non agricoles du 27 décembre 1972. La Caisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (la CANAM) et plusieurs organisations syndicales représentatives ont, en effet, convenu de refondre totalement la grille de classification et de revaloriser le niveau des rémunérations versées aux salariés relevant de ces caisses. L'avenant conclu s'accompagnait d'un protocole d'accord de transposition dans la nouvelle grille de classification, dont l'article 3-3 prévoyait que, "si la progression de la rémunération individuelle au titre de la transposition excède 6 % en 2002, sans préjudice de l'optimisation prévue à l'article 3.1, le salarié se verra appliquer, pour l'excédent, un plan de rattrapage sur les années ultérieures dans les conditions suivantes, par rapport à sa rémunération au 31 décembre 2001 : 6 % en 2002 ; 2 % en 2003 ; et 2 % en 2004. Les taux de progression fixés pour 2003 et 2004 pourront être révisés par avenant au vu du bilan prévu à la fin de l'année 2004 mentionné à l'article 3.5".
Estimant que ces dispositions, prenant effet le 1er janvier 2002, créaient une inégalité salariale entre les salariés en place et ceux nouvellement recrutés, la Fédération nationale des personnels des organismes sociaux CGT (FNPOS CGT), non signataire de l'avenant et de ses protocoles annexes, a saisi le tribunal de grande instance pour demander, notamment, l'annulation de cet article 3-3.
Le tribunal de grande instance de Paris, puis la cour d'appel de Paris, ont fait droit à ces demandes, après avoir considéré que ces dispositions introduisaient une différence de traitement injustifiée entre les salariés, selon leur date d'embauche, ce que contestait la CANAM. Cette solution est confirmée, ici, par le rejet du pourvoi.
La seconde espèce (pourvoi n° 07-41.406) concernait l'application de la Convention collective nationale du 8 février 1957 et du protocole d'accord du 14 mai 1992, portant classification des emplois des organismes de Sécurité sociale et de leurs établissements. Cinq assistantes sociales avaient saisi la juridiction prud'homale de demandes de rappels de salaires en faisant valoir que l'application combinée de ces dispositions conventionnelles avait créé une disparité de rémunération entre des salariés de même qualification exerçant le même emploi, puisque, en tant qu'agents en fonction au sein de la caisse d'allocations familiales de Paris au moment de la réforme, ayant été reclassées le 1er janvier 1993, elles percevaient une rémunération moindre que les agents nommés ultérieurement dans les mêmes fonctions à la suite de promotions.
Dans cette affaire, les juges du fond avaient, également, fait droit à ces demandes, ce que confirme la Haute juridiction par le rejet du pourvoi.
Dans les deux arrêts, les principes permettant de régler le différend sont les mêmes et sont conformes aux solutions rendues dernièrement par la Chambre sociale de la Cour de cassation : "au regard du respect du principe 'à travail égal, salaire égal', la circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux ; il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence" (4).
Le débat portait, dans la première affaire (pourvoi n° 07-11.884), sur la justification de la différence de traitement constatée. La CANAM avait mis en évidence, dans son pourvoi, la particularité du statut des caisses de Sécurité sociale et, singulièrement, leurs contraintes statutaires et budgétaires (5).
L'argument n'a pas convaincu la Cour de cassation ; celle-ci relève, en effet, à la suite de la cour d'appel, "que les contraintes budgétaires imposées par l'autorité de tutelle ne constituaient pas une justification pertinente, ces impératifs financiers n'impliquant pas nécessairement une différence de traitement entre les salariés en fonction de la date de leur engagement".
La solution ne peut qu'être approuvée.
Des contraintes financières peuvent parfaitement justifier une politique plus restrictive en matière de rémunération, qu'il s'agisse des salaires d'embauche, des rémunérations, des augmentations de salaire ou de la progression dans les carrières. Mais, ces difficultés doivent, logiquement, être supportées de manière égalitaire par l'ensemble du personnel, sans que l'employeur ne puisse traiter différemment les salariés en fonction de leur date d'embauche. On pourrait, à la rigueur, admettre qu'une différence de traitement favorise les anciens salariés, au nom de la nécessité de compenser le préjudice résultant du changement de conjoncture et de grille conventionnelle, ou de sacrifices passés qu'il conviendrait de compenser (6), mais certainement pas les défavoriser au profit des nouveaux engagés.
Dans la seconde affaire (pourvoi n° 07-41.406), la CAF tentait de justifier la différence de traitement par la différence des "parcours professionnels" et contestait, ainsi, que les salariés puissent se trouver dans une même situation.
En visant les "parcours professionnels", le demandeur tentait de se rattacher à la jurisprudence "CRAMIF", qui avait, pourtant, admis cet argument comme pertinent, ce qui pouvait augurer une cassation, puisque la cour d'appel de Paris avait écarté cette justification (7).
L'arrêt est, pourtant, rejeté et la justification considérée comme non pertinente, la Cour de cassation relevant, à la suite de la cour d'appel, "qu'aucun élément tenant à la formation, à la nature des fonctions exercées ou à l'ancienneté dans l'emploi ne distinguait les salariées qui se trouvaient dans une situation identique et que l'avancement plus rapide de celles qui avaient été promues assistantes sociales après le 1er janvier 1993, date d'entrée en vigueur du protocole d'accord du 14 mai 1992, n'était que la conséquence des modalités d'application du reclassement des emplois, défavorables aux salariées nommées dans ces fonctions avant l'entrée en vigueur du protocole", avant de conclure que la cour d'appel "a exactement déduit qu'il n'existait aucune raison objective pertinente justifiant la disparité de traitement".
L'arrêt est doublement intéressant.
En premier lieu, la Cour de cassation explicite la justification tirée des "parcours professionnels". Alors que, dans ces décisions précédentes, la Haute juridiction avait pu donner le sentiment que ce critère serait, en soi, suffisant pour justifier des différences de traitement (8), elle vient utilement préciser que ces "parcours professionnels" ne sont pertinents que s'ils valorisent "la nature des fonctions exercées ou [...] l'ancienneté dans l'emploi".
Ce faisant, la Cour semble s'écarter de la consécration d'un critère justificatif autonome, celui des "parcours professionnels spécifiques", reconnus depuis les premiers arrêts "CRAMIF", rendus en 2006, pour le rattacher à trois "valeurs sûres", la "formation" (9), la "nature des fonctions" (10) et l'"ancienneté dans l'emploi" (11).
Ce recadrage de la jurisprudence n'est pas véritablement surprenant, compte tenu de l'orientation prise ces derniers mois. On sait, en effet, que la Cour de cassation exige des juges du fond qu'ils recherchent concrètement l'existence d'indices objectifs et pertinents, écartant, ainsi, toute approche abstraite et dogmatique (12).
C'est, précisément, cette méthode qui avait conduit la cour d'appel de Paris, dans cette affaire, à contester le caractère pertinent de la justification avancée. Les magistrats parisiens avaient, en effet, considéré que le protocole d'accord du 14 mai 1992, portant classification des emplois des organismes de Sécurité sociale et de leurs établissements, en cause dans toutes ces affaires, introduisait des éléments justifiant les différences de traitement entre les salariés au détriment des anciens.
Les faits soumis aux magistrats parisiens étaient assez sensiblement différents des affaires antérieures, puisque ces derniers, qui ne contestaient pas que, pour un certain nombre de salariés, la prise en compte des "parcours professionnels spécifiques" puisse justifier les différences de traitement, avaient relevé que, pour d'autres salariés, cette justification ne pouvait être retenue, compte tenu du fait que ces "parcours" ne prenaient en compte ni l'ancienneté dans l'entreprise, ni la nature des fonctions.
En d'autres termes, la prise en compte du critère des "parcours professionnels" était purement rhétorique et ne reflétait aucune différence réelle et pertinente de situation.
C'est donc dans l'analyse de la situation concrète des salariés demandeurs qu'il convient de trouver la justification du rejet du pourvoi, et non dans la volonté de la Cour de ne plus considérer l'argument des "parcours professionnels spécifiques" comme pertinent. Tout est donc affaire de circonstances.
Ce nouvel arrêt montre qu'il est nécessaire, plus que jamais, de ne pas raisonner de manière abstraite, mais bien de manière très concrète, en tenant compte des particularités de chaque salarié au regard des justifications avancées. Les juges du fond doivent donc faire du "sur mesure" et ne pas se contenter d'un "prêt-à-porter".
C'est, d'ailleurs, certainement parce que les juges du fond ont pris la mesure des exigences méthodologiques de la Haute juridiction que leur décision avait été plus finement motivée et que celle-ci n'est pas cassée.
II - Egalité salariale et transfert d'entreprise
Le transfert de l'entreprise emporte, on le sait, transfert des contrats de travail (13), des usages et engagements unilatéraux de l'employeur (14), mais remet en cause les accords collectifs applicables dans l'entreprise, dès lors que le cessionnaire n'y est pas personnellement soumis, ce qui sera, bien entendu, toujours le cas des accords d'entreprise ou d'établissement (15).
On sait, désormais, que ce transfert, lorsqu'il menace le niveau des avantages jusque là garantis aux salariés de l'entreprise cédée, peut s'accompagner d'un maintien, total ou partiel, des avantages acquis sur le fondement des accords mis en cause, que ce maintien résulte de l'application de la règle légale du maintien des avantages individuels acquis (16), du maintien volontaire de ces avantages (17) ou des dispositions de l'accord de remplacement conclu avec le cessionnaire (18).
Si les salariés de l'entreprise cédée peuvent donc valablement bénéficier d'avantages qui seront refusés aux salariés de l'entreprise cessionnaire (19), ils peuvent, également, bénéficier des dispositions conventionnelles applicables dans l'entreprise cédante, à condition, toutefois, que les accords applicables dans celle-ci ne comportent pas des conditions qui les en excluent pour des raisons licites.
Or, on sait que les accords collectifs peuvent restreindre leur application à certains salariés, selon leur date d'embauche, à condition, toutefois, que cette restriction soit justifiée par la volonté de compenser un préjudice consécutif à des changements intervenus dans leur statut collectif (20).
Les salariés cédés peuvent donc se retrouver dans une situation assez paradoxale, puisque, en tant que salariés cédés, ils pourront revendiquer le bénéfice d'avantage dont sont valablement exclus les salariés de l'entreprise cessionnaire, mais ils pourront, également, se voir privés d'autres avantages réservés à certains salariés de l'entreprise cessionnaires.
Reste à déterminer si les clauses des accords collectifs conclus au sein de l'entreprise cessionnaire fixant comme condition d'attribution de certains avantages une date d'embauche sont opposables aux salariés de l'entreprise cédante qui avait été embauchés dans celle-ci avant la date butoir stipulée par les accords conclus dans l'entreprise cessionnaire.
C'est tout l'intérêt du troisième arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 février 2009 (pourvoi n° 07-42.024).
Dans cette affaire, deux salariés avaient été engagés par la société Ile-de-France tourisme (IFT) en qualité de conducteurs d'autocars, respectivement, les 2 mai 1994 et 13 janvier 1992. Leurs contrats de travail avaient été transférés à la société Transports Val d'Oise (TVO) les 12 et 6 septembre 2002. Ils avaient saisi le juge pour réclamer le bénéfice de dispositions de l'accord de réduction du temps de travail du 30 juin 1999 conclu au sein de la société TVO et n'avaient, finalement, pas obtenu gain de cause.
La question posée à la Cour de cassation était particulièrement intéressante. On sait, en effet, que le principe posé par l'ancien article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, devenu L. 1224-1, impose le maintien des contrats de travail et, avec lui, de l'ancienneté acquise par le salarié au sein de l'entreprise cédée (21). Dès lors, doit-on considérer que cette ancienneté doit produire pleinement effet au sein de l'entreprise cessionnaire et que le salarié doit être traité comme s'il avait été embauché par celle-ci à la date où il l'avait été dans l'entreprise cédée ou, au contraire, être traité comme un salarié intégrant cette entreprise à la date du transfert ?
A cette question, la Chambre sociale de la Cour de cassation répond, logiquement, que, "lorsque l'article L. 122-12, alinéa 2, devenu L. 1224-1 du Code du travail est applicable, le changement d'employeur s'opère au jour du transfert de l'entité économique dont relève le salarié ; [...] il en résulte que le salarié dont le contrat de travail est repris ne peut prétendre avoir été présent dans l'entreprise exploitée par le cessionnaire avant la date d'effet du transfert".
L'affirmation nous paraît parfaitement exacte. En effet, ce n'est pas parce que le salarié conserve le bénéfice de l'ancienneté acquise au service de l'entreprise cédée qu'il est, pour autant, censé avoir fait parti du personnel du cessionnaire antérieurement au transfert. Celui-ci ne produit aucun effet rétroactif, ce qui est heureux, car on imagine les conséquences que pourrait avoir une affirmation contraire : les salariés transférés réclameraient, en effet, dans le cadre des différentes prescriptions applicables, des rappels de salaires, primes et autres avantages, sur le fondement de l'accord applicable au sein de l'entreprise cessionnaire et pour la période antérieure au transfert, ce qui n'aurait pas de sens. La reprise d'ancienneté n'implique donc pas la rétroactivité de l'effet du transfert, mais, simplement, le prolongement du transfert des contrats avec tous les avantages qui y sont attachés.
L'arrêt est, également, intéressant en ce qu'il démontre, une nouvelle fois, que la justification des différences de traitement est à rechercher, notamment, dans la nature des avantages en cause (22). Ainsi, s'il est logique de considérer que, après le transfert, le salarié, qui relève du statut collectif applicable dans l'entreprise cessionnaire, doit, comme les autres salariés de l'entreprise cessionnaire, bénéficier des avantages dont l'application est subordonnée à une condition d'ancienneté, et ce, même si cette ancienneté a été acquise au service de l'entreprise cédée et conservée à l'occasion du transfert, il semble, également, logique qu'il ne bénéficie pas des dispositions conventionnelles qui ont réservé à certains salariés, en fonction de leur date d'embauche, le bénéfice de mesures destinées à compenser les pertes consécutives à un changement intervenu dans le statut collectif. Dans cette dernière hypothèse, en effet, ce n'est pas parce que les salariés sont issus du transfert qu'ils en seront privés, mais, simplement, parce qu'ils ont intégré l'effectif de l'entreprise postérieurement à la date butoir fixée par l'accord, et que cette différence de date d'embauche traduit une différence de situation. Les salariés de l'entreprise cédée seront, alors, traités comme les salariés embauchés dans cette même entreprise après le transfert, mais pas comme ceux qui avaient été embauchés antérieurement aux modifications conventionnelles intervenues dans le passé et qui se trouvent dans une situation distincte de la leur.
C'est donc bien, ici, la nature particulière de l'avantage en cause qui doit aider le juge à répondre au problème posé (selon que la cause de l'avantage est à rechercher dans la valorisation de l'ancienneté ou la compensation des pertes liées à la date d'embauche), et non le fait que les demandeurs sont, ou non, issus du transfert, si ce n'est pour déterminer à quel moment ceux-ci sont entrés dans l'effectif de l'entreprise cessionnaire.
(1) Cass. soc., 21 janvier 2009, 2 arrêts, n° 07-40.609, Société Bazar de l'Hôtel de Ville, F-D (N° Lexbase : A6445ECP) et n° 07-43.452, Société nationale de radiodiffusion Radio France, F-P+B (N° Lexbase : A6479ECX) et nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 336 du 4 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4803BIQ).
(2) Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, Société Transports de tourisme de l'océan c/ M. Jean-Pierre Gandon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8452DLM) et nos obs., Le principe "A travail égal, salaire égal" impuissant à réduire les inégalités résultant du passage aux 35 heures, Lexbase Hebdo n° 193 du 7 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1672AK7) ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 03-42.641, Société Sodemp, FS-P+B (N° Lexbase : A1936DSI) et nos obs., La volonté d'empêcher une baisse de rémunération justifie une inégalité salariale, Lexbase Hebdo n° 236 du 15 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5148ALA) ; Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-43.136, Association patronage de l'Institut régional des jeunes sourds et aveugles de Marseille, IRSAM Les Hirondelles, FS-P+B (N° Lexbase : A2978DUT) et nos obs., Justifications des inégalités salariales et date d'embauche des salariés, Lexbase Hebdo n° 250 du 28 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1031BAG).
(3) Cass. soc., 22 février 2006, n° 04-43.542, Mme Fabienne Audrain, épouse Orain c/ Caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Picardie, F-D (N° Lexbase : A1851DNU).
(4) Sur l'analyse de cette formule, lire nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, préc..
(5) Selon la Cour, "l'application du principe 'à travail égal, salaire égal' ne saurait être étendue au jeu de mécanismes complexes, ayant pour objet de permettre la signature immédiate d'un accord de progrès au profit du personnel, tout en étalant dans le temps les conséquences financières de cette évolution, lorsqu'elle intervient dans un service social à but non lucratif dont les dépenses de fonctionnement sont supportées par les fonds publics et demeurent subordonnées à un agrément ministériel ; [...] la cour d'appel, qui constate que le nouvel accord de classification, ainsi que le protocole d'accord de transposition comportant une clause d'écrêtement temporaire des salaires des personnels déjà en place, ont fait l'objet d'un "agrément par l'Etat" [arrêt attaqué, p. 3] ne pouvait, sans violer l'article L. 314-6 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L3078ICY) et sans faire une fausse application du principe susvisé, amputer d'une disposition financière essentielle le dispositif négocié par les partenaires sociaux".
(6) Cass. soc., 17 juin 2003, n° 01-41.522, M. Jean-Pierre Mayen c/ Société Alitalia, FS-P (N° Lexbase : A8783C8S) : "la cour d'appel a constaté que l'attribution d'un droit d'option, sur les actions nouvellement créées aux seuls salariés dont les contrats relevaient du droit italien, constituait la contrepartie des sacrifices que ces derniers avaient acceptés dans le plan de restructuration de 1996 et qu'il n'était pas établi que ce plan ait concerné les salariés en poste en France, aucune restructuration accompagnée de licenciements n'ayant été prévue en France ; [...] elle a, ainsi, fait ressortir, dans son arrêt, que l'avantage conféré aux salariés dont les contrats relevaient de la loi italienne reposait sur une raison objective, étrangère à toute discrimination en raison de la nationalité".
(7) Cass. soc., 3 mai 2006, n° 03-42.920, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif) c/ Mme Catherine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2459DPR) ; lire nos obs., L'égalité salariale n'est pas l'identité salariale, Lexbase Hebdo n° 214 du 11 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8019AK9), Dr. soc., 2006, p. 1048, obs. M.-T. Lanquetin ; Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-41.774, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif), F-D (N° Lexbase : A0047DQS) ; Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 05-44.404, F-D (N° Lexbase : A4681DQG) ; Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.565, Caisse d'allocations familiales des Hauts-de-Seine (CAF), F-D (N° Lexbase : A3607DRZ) ; Cass. soc., 28 novembre 2006, n° 06-40.224, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) du Loiret, F-D (N° Lexbase : A7954DSE) ; Cass. soc., 14 mars 2007, n° 06-41.932, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Essonne, F-D (N° Lexbase : A7563DUN) ; Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-43.418, Caisse d'allocations familiales (CAF) des Yvelines, F-D (N° Lexbase : A6632DYB).
(8) Décisions citées, note préc., qui se traduisaient par des cassations pour violation de la loi d'arrêts ayant écarté la justification avancée par les CAF et autres CRAMA.
(9) Dernièrement Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 05-45.324, Institut européen des sciences humaines, FS-D (N° Lexbase : A2953DXN) ; Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-40.999, M. Frédéric Chazal, F-D (N° Lexbase : A3976D7E) ; Cass. soc., 14 janvier 2009, n° 06-46.055, Mme Christine Lesage, FS-D (N° Lexbase : A3376ECZ). Lire nos obs., Les salariés qui exercent des fonctions différentes n'effectuent pas un travail de valeur égale, Lexbase Hebdo n° 313 du 17 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5377BGA).
(10) Dernièrement Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-40.999, préc..
(11) Lire nos obs., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, préc., et les décisions citées et analysées.
(12) Sur cette méthode, nos obs. préc..
(13) C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y).
(14) Cass. soc., 23 septembre 1992, n° 89-45.656, Assedic de l'Isère et autre c/ M. Ait Byalla Mohamed et autres (N° Lexbase : A1100AAY).
(15) C. trav., art. L. 2261-14 (N° Lexbase : L2442H9C).
(16) Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-42.128, Mme Julie Ashton, divorcée Romano, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4724DXA) et nos obs., La justification des inégalités salariales par le principe du maintien des avantages individuels acquis, Lexbase Hebdo n° 272 du 12 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2737BCD) ; Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M) et nos obs., Justification des inégalités salariales et cession de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 285 du 12 décembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3933BDZ).
(17) Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, Compagnie IBM France c/ M. René Dalbegue, FS-P (N° Lexbase : A0168DGC), Dr. soc., 2005, p. 323.
(18) Cass. soc., 4 décembre 2007, n° 06-44.041, Assedic Alpes-Provence, FS-P+B (N° Lexbase : A0465D3M), Dr. soc., 2008, p. 244.
(19) On sait, d'ailleurs, que le transfert des usages et engagements unilatéraux ne s'opère qu'au bénéfice des salariés de l'entreprise cédée et que les salariés de l'entreprise cessionnaire ne pourront les revendiquer : Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD) et nos obs., L'effet relatif des usages et engagements unilatéraux transférés au nouvel employeur, Lexbase Hebdo n° 194 du 14 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1904AKQ).
(20) Voir notre étude préc., La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts.
(21) Cass. soc., 12 mars 1987, n° 83-44.612, Société à responsabilité limitée Epel c/ M. Ibrahimy (N° Lexbase : A7338AAZ). La règle est d'ordre public et il ne peut y être dérogé : Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-60.529, Syndicat CFDT Adour Pyrénées fédération chimie énergie c/ Société Elf Atochem (N° Lexbase : A8763AHZ).
(22) Ainsi, Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, Société Alain Bensoussan, FP-P+B (N° Lexbase : A0480D7W) et nos obs., Chaud et froid sur la protection du principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3474BEE) : "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence".
Décisions
1° Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-11.884, Caisse nationale du régime social des indépendants (CNRSI), venant aux droits de la Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes (CANAM), FS-P+B (N° Lexbase : A9448ECW) Rejet CA Paris, 18ème ch., sect. C, 11 janvier 2007 Textes concernés : principe "à travail égal, salaire égal" Mots clef : différence de traitement ; justification ; contraintes budgétaires Lien base : 2° Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-42.024, M. Pascal Aubeut, FS-P+B (N° Lexbase : A9556ECW) Rejet CA Versailles, 15ème ch., 18 janvier 2007 Mots clef : principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; formation ; nature des fonctions exercées ; ancienneté ; parcours professionnel Lien base : 3° Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-41.406, Caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9550ECP) Rejet CA Paris, 21ème ch., sect. C, 18 janvier 2007 Mots clef : transfert d'entreprise ; principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; date d'embauche Lien base : |
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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle Presse
Le 07 Octobre 2010
Professeur Xavier Henry : L'insertion de définitions dans un texte législatif a toujours fait débat. La doctrine est, en général, réservée sur cette pratique, mais les universitaires ne sont pas forcément objectifs en la matière puisqu'à défaut de définitions légales, ils estiment que c'est à la doctrine de s'en charger... Il est, toutefois, incontestable que l'inscription dans la loi d'une définition figée peut parfois apparaître comme un frein à l'évolution. Par ailleurs, un "désaccord doctrinal" étant un pléonasme, il est souvent difficile de trancher entre les différentes définitions proposées par les auteurs. Si les solutions de compromis ne sont pas forcément les meilleures, prises individuellement, il ne faut, cependant, pas oublier que, dans une perspective législative, il importe également de maintenir une certaine cohérence. Ce sont donc de multiples contraintes contradictoires qu'il faut tenter de concilier.
Plus précisément, l'insertion de définitions a été un objectif clairement affiché du projet "Catala", dans un souci de lisibilité du droit. Cette préoccupation semble parfaitement légitime. Cette position n'a pas été fondamentalement remise en cause par les projets ultérieurs. Il faut, par ailleurs, souligner que cette pratique n'est pas systématique et que les différents rédacteurs ont su rester prudents, en se gardant bien, par exemple, de définir la notion de bonne foi. Il n'en reste pas moins que tous les projets, en proposant des définitions, s'exposent nécessairement à la critique. Certaines d'entre elles méritent sans doute d'être revues (promesse unilatérale et pacte de préférence, contrat d'adhésion -v. la critique formulée D., 2009., chron. 28-, obligation d'information pour ne citer que ces exemples). Mais, il faut aussi ajouter, pour être tout à fait sincère, que si le lecteur est souvent amené à faire des réserves sur telle ou telle définition, il en ajouterait bien quelques unes en plus. Ainsi, une définition de l'obligation de mise en garde et de l'obligation de conseil aurait pu être une bonne occasion de clarifier ces questions, souvent confondues en jurisprudence. De même, la notion de contrat innomé reste un peu sommaire et elle passe sous silence la question des contrats complexes, dont la pratique est pourtant courante.
Pour conclure sur ce point, le rôle des définitions ne doit pas être surestimé. Les conditions d'application d'une institution sont au moins aussi importantes et leur mise en oeuvre jurisprudentielle l'est tout autant.
Lexbase : L'introduction dans le Code civil d'un titre consacré aux principes directeurs du droit des contrats, pendants des principes directeurs du procès du Code de procédure civile, a soulevé quelques critiques de la part de la doctrine arguant soit d'un terme ("directeur") inapproprié, soit tout simplement d'un titre inutile. Partagez-vous cette impression ?
Professeur Xavier Henry : Au-delà du débat terminologique, le problème soulevé est loin d'être négligeable, même si sa portée doit être mesurée.
Parmi les principes retenus, figure tout d'abord la liberté contractuelle (art. 15 et 16 du projet de la Chancellerie). Je ne pense pas que cette présence prête à contestation, d'autant que la généralité de la formulation ne fait nullement obstacle aux innombrables limitations qui lui ont été apportées et qu'en cas de doute, faire primer cette liberté réjouira plutôt les adversaires de ces principes directeurs.
Le deuxième principe est le respect de l'ordre public. Là encore, il est difficile de s'en offusquer, d'autant qu'actuellement ce principe figure à l'article 6 du Code civil (N° Lexbase : L2231ABA). Cette position lui donne déjà un rôle "directeur", qui dépasse d'ailleurs le droit des contrats. Dans cette perspective, il n'est pas sûr sur l'article 6 disparaisse et le texte nouveau n'en serait qu'une réaffirmation dans un domaine particulier.
Avec les principes concernant l'exécution et la bonne foi, il est permis d'hésiter davantage. Il est impossible d'écarter d'un revers de main le risque, parfois avancé, qu'un principe de bonne foi, érigé en règle supérieure, ne puisse ouvrir la voie à un interventionnisme accru du juge qui, dès la moindre hésitation, pourrait porter atteinte au contrat. Cette position appelle plusieurs réflexions. La première est que les textes fixant ces principes directeurs doivent être lus dans la continuité, or la bonne foi ne fait que suivre un article qui prône un strict respect de la force obligatoire du contrat. Tout dépendra de l'interprétation combinée de ces deux dispositions. La seconde est que justement, derrière ce débat, il est facile de percevoir un présupposé récurrent de méfiance à l'égard du juge et de son interventionnisme dans le contrat. Il serait peut-être souhaitable de dépasser ces sentiments traditionnels pour examiner cette question de façon plus réfléchie. La Cour de cassation n'est pas vraiment laxiste dans l'application de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et on ne peut pas dire, non plus, qu'elle ait utilisé de façon particulièrement hardie et extensive les possibilités que lui offrait par exemple l'article 1135 (N° Lexbase : L1235ABD). D'un autre côté, il est vrai que la Cour n'a pas hésité à forcer le contrat pour y insérer des obligations de sécurité ou de renseignement. Mais est-on prêt à revenir en arrière sur ces solutions ? Les droits étrangers et le droit communautaire (par exemple, la Directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives N° Lexbase : L7468AU7) font souvent référence à la bonne foi sans que la sécurité juridique en soit pour autant anéantie.
Le projet de la Chancellerie contient, dans sa première version, un dernier principe de "cohérence". Celui-ci est une véritable innovation qui s'inspire sans doute d'une brillante thèse récente mais, pour l'instant, il semble difficile d'en mesurer les conséquences, même si quelques décisions de la Cour de cassation ont effleuré l'idée (v. notamment Cass. com., 8 mars 2005, n° 02-15.783, FS-P+B N° Lexbase : A2476DH8, Bull. civ. IV, n° 44), tout en se fondant sur la bonne foi (le devoir de cohérence y apparaît plutôt comme un sous-critère de la bonne foi : dans l'arrêt du 8 mars, le banquier avait méconnu l'unité de compte stipulée par la convention tout en se revendiquant de celle-ci). Ainsi, on enseigne en général qu'en cas de formation progressive du contrat, à la suite de longues négociations, les parties estiment lors du contrat récapitulatif final que tous les documents échangés en cours de négociation ne peuvent servir à interpréter cette convention. La cohérence n'est donc pas du tout, dans cette situation, un objectif revendiqué. Il est difficile de voir sur quel principe supérieur fonder l'idée d'une absence de versatilité : l'important est que justement cette versatilité disparaît lorsque le contrat est conclu. C'est le contenu voulu qui est obligatoire. La question principale n'est donc pas la cohérence au regard de l'attente légitime du cocontractant, mais le degré d'intégration de cette attente dans la convention. Il est permis de se demander si, au fond, la formulation générale du principe ne tente pas de recouvrir des situations ponctuelles et différentes concernant, par exemple, la délimitation du contenu du contrat, au regard des éléments publicitaires, l'évolution d'un contrat successif ou l'exécution d'un groupe de contrats. Ce dernier principe me semble donc le plus contestable et nécessiterait une évaluation précise ou une formulation plus stricte, qui risque dans ce cas de lui retirer son caractère de principe "directeur". Il a disparu de la seconde version, ce qui supprime l'objection. Il convient d'ajouter que, dans le projet de l'Académie des sciences morales, l'article 6 qui contient une idée similaire comporte un alinéa 2 selon lequel "la simple tolérance ne suffit pas à rendre la confiance légitime". Honnêtement, la formulation est inquiétante car la simple tolérance, concept connu du droit des biens, est l'objet d'une jurisprudence parfaitement obscure et imprévisible...
Lexbase : Aux termes de l'article 85 du projet ("Chaque partie doit avoir un intérêt qui justifie son engagement"), l'on constate la disparition de la "cause" au profit de la notion d'"intérêt". Comment expliquez-vous la fin de la théorie de la cause et le choix qui s'est porté sur l'intérêt -terme vague et difficile à cerner- ?
Professeur Xavier Henry : En premier lieu, la "fin de la théorie de la cause" est peut-être programmée, elle n'est pas encore réalisée ! Il ne s'agit pour l'instant que de projets. Sur la raison de cette éventuelle suppression, l'explication est connue : "l'eurocompatibilité" censée conforter l'attractivité du droit français (sur laquelle, v. Chron. préc., et infra ). La cause a plusieurs fonctions et il faut envisager l'influence concrète de sa disparition sur chacune d'elles.
- S'agissant de la cause dite "immédiate" ou objective, censée vérifier l'utilité du contrat et assurer une protection du contractant, la substitution de la notion d'intérêt ne porte pas atteinte aux solutions traditionnelles. La modification du texte initial (art. 87), pour y ajouter la précision (art. 86) que la condition d'intérêt n'est pas remplie, dans un contrat onéreux lorsque la contrepartie est illusoire et dérisoire, me semble très surprenante. La jurisprudence aurait très bien pu arriver au même résultat, en interprétant le nouveau concept d'intérêt. Cette évolution illustre bien la difficulté d'analyse des nouveaux textes, qui sont lus au prisme de la jurisprudence antérieure et non en tentant d'imaginer celle susceptible de se développer à partir de ceux-ci.
La modification risque, au contraire, de permettre une protection accrue en intégrant dans la notion d'intérêt, à part entière, des solutions jusqu'ici un peu isolées, comme la fameuse affaire de la création d'un point-vidéo (Cass. civ. 1, 3 juillet 1996, n° 94-14.800, Société Nouvelle DPM c/ Madame Piller et autre N° Lexbase : A8518AB4). Au fond, l'opposition tranchée des auteurs sur la question est un désaccord véritable sur ces solutions extensives intégrant certains mobiles déterminants dans la cause objective : il faut trancher en opportunité entre protection du contractant et sécurité juridique, quel que soit le concept en cause (j'ai personnellement toujours pensé que la confusion de la cause objective et de la cause immédiate était une erreur, ou en tout cas un parti pris). Ce débat n'est pas du tout artificiel et, à mon sens, il s'inscrit dans le cadre plus vaste des instruments de protection offerts au juge dans le cadre du droit commun (et non en droit de la consommation) pour lutter contre les abus et les déséquilibres contractuels. Mon sentiment, déjà exprimé ailleurs, est que compte tenu de l'importance des pouvoirs conférés au juge dans le cadre du droit de la consommation, notamment par le biais de l'élimination des clauses abusives, il est préférable de laisser au droit de la consommation un domaine raisonnable, tout en améliorant les dispositifs de protection du droit commun (sur ce point, les trois projets sont insuffisants). La doctrine me semble souvent assez angélique sur l'utilisation de la liberté contractuelle. Pour ne citer qu'un exemple, il suffirait d'évoquer les contrats couplés de location et de prestation de services. Le prestataire (distribution de boissons, télésurveillance, publicité dans des commerces) se présente chez des commerçants (démarchage professionnel...) en mettant en avant le service fourni alors qu'il est également mandaté par un loueur pour conclure un contrat de location. Le loueur achète les biens (enfin on le suppose, car les biens sont très indifférenciés), les met à disposition sans option d'achat et se charge alors d'encaisser les loyers et d'en redistribuer une fraction au prestataire (enfin on le suppose, compte tenu du nombre important de liquidation chez les prestataires). En cas de disparition du prestataire, la fraction redistribuée est variable unilatéralement par la seule volonté du bailleur... et bien sûr à son seul profit. Autrement dit, le preneur peut être condamné à payer plusieurs années la location d'un bien inutile. La Cour de cassation a multiplié les arrêts courageux en cette matière, en faisant obstacle à des clauses de divisibilité conventionnelle des contrats, ce qui, au fond, revient à faire perdurer l'intérêt ou la cause au-delà de la conclusion du contrat. Ici encore, la question principale n'est pas uniquement technique : où place-t-on la limite entre l'utile et le juste, et l'inutile et l'injuste ? Il faut remarquer que l'abandon de la jurisprudence antérieure à 1995 relative à l'article 1129 du Code civil (N° Lexbase : L1229AB7) et l'absence de sanction des conditions potestatives sous l'influence du créancier sont des lacunes gênantes.
- S'agissant de la cause illicite, instrument de protection sociale, la disparition de la cause laisse en revanche, a priori, un vide. Est-ce pour autant dramatique ? Tel n'est sans doute pas le cas. Tout d'abord, les illustrations traditionnelles font quand même un peu sourire (vente d'une maison de tolérance, d'une fumerie d'opium ou d'une maison de jeux). Ici aussi, il faudrait réévaluer le dispositif et on risquerait de se rendre compte que, dans la plupart des hypothèses, c'est la répression pénale qui est la seule efficace et que l'utilisation de la cause illicite purement civile est assez théorique. Ensuite, les tribunaux, à défaut de cause, pourront s'appuyer sur l'article 88 du projet qui dispose qu'est "illicite le contrat prohibé par la loi ou contraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs". Certes, la section 4 sur la licéité du contrat n'est qu'une subdivision d'un chapitre consacré au contenu du contrat. Mais, il faut rappeler que, si le besoin s'en fait vraiment sentir, la jurisprudence n'hésitera pas à étendre ponctuellement la notion d'objet. Elle a déjà procédé de la même manière pour les clauses d'indexation lorsqu'il s'est agi de préciser les indices en lien avec l'activité des parties ou l'objet du contrat. Pour les prêts, elle a autorisé une référence à l'objet du contrat financé, alors que juridiquement il s'agit d'un mobile de l'emprunteur. La suppression d'une notion ne peut rester sans répercussion sur les notions voisines. Une réflexion similaire, qui déborde le cadre de cet entretien, pourrait s'appliquer à la réforme de la prescription : compte tenu de l'extrême brièveté du délai retenu, il y a fort à parier que la théorie de l'inexistence retrouve une certaine vigueur (par exemple, comment sanctionner des contrats perpétuels si l'action est prescrite au bout de cinq ans et que l'exception de nullité n'est plus possible parce que le contrat a été exécuté ?).
- Reste la dernière fonction, souvent sous-estimée : le rôle de la cause en matière de qualification. La position classique est souvent la suivante : la cause objective est toujours identique pour les contrats de même type, elle est donc sans intérêt. Alors que justement, c'est parce qu'elle est la même, qu'elle peut permettre d'identifier le contrat. Et parmi les diverses causes objectives envisageables, ce sont souvent les mobiles individuels qui permettent de trancher, ce qui montre bien que les deux concepts ne sont pas cloisonnés. Quand le juge constate qu'une personne a remis une somme d'argent à une autre, et qu'il se demande s'il s'agit d'un prêt, d'une donation, d'un dépôt ou d'un gage, que fait-il sinon rechercher l'objectif poursuivi par les parties ? Deux remarques sur ce point. D'une part, il est très difficile de voir comment se passer de cette recherche de finalité, quel que soit le nom qu'on lui donne. D'autre part, sous un angle comparatiste, comment procèdent les droits étrangers pour distinguer un contrat d'un autre ? Ne font-ils pas de la cause sans le savoir ? Seuls des spécialistes de droit comparé pourraient répondre à cette question, mais dans l'affirmative, cela permettrait peut-être de montrer que la théorie française de la cause n'est pas si particulière que cela...
Lexbase : Allant à l'encontre d'une jurisprudence établie depuis 1876 (affaire du "Canal de Craponne") qui excluait le recours à la théorie de l'imprévision, l'article 136 du projet permet au juge, avec l'accord des parties, de procéder à l'adaptation du contrat ou, à défaut, d'y mettre fin dans les conditions qu'il fixe, consacrant par là même l'acceptation pure et simple de la révision pour imprévision. Que pensez-vous de cette innovation ?
Professeur Xavier Henry : Je me contenterai de deux remarques. La première est que je trouve assez surprenant que l'hostilité à la rescision pour lésion soit si unanimement partagée, alors que la révision pour imprévision ne semble plus heurter. Pourtant, dans le premier cas, les données économiques étaient connues des parties et le rôle du juge est clairement délimité. Sans aller jusqu'à une généralisation complète, une rénovation raisonnable du régime de la lésion était peut-être envisageable (lésion de moitié dans les ventes d'immeuble et non des sept douzième -taux incompréhensible-, lésion en cas de prix excessif et non seulement en cas de prix faible, lésion mobilière limitée à des secteurs précis où l'enjeu financier est important et le prix évaluable, etc.). La révision pour imprévision est au fond beaucoup plus dangereuse, car ses conséquences sont très difficilement évaluables.
Par ailleurs, en droit administratif, la révision est classiquement fondée sur l'idée de continuité du service public, autrement dit sur un motif dépassant le strict contrat. Il est faux de dire que cela n'existe pas en droit privé, mais le motif est alors attaché à la situation globale d'une personne ou d'une entreprise, et non à la survie d'un contrat : c'est la sauvegarde de l'emploi (procédures collectives) ou le maintien d'un minimum vital (surendettement) qui permettent de porter atteinte aux contrats passés par une personne ou une entreprise en difficulté. Est-il souhaitable d'ouvrir plus grande la porte ? Quel fondement invoquer pour dépasser la loi contractuelle ? Les réponses à ces deux questions ne sont pas aisées et c'est ce qui m'amène à ma seconde remarque. Dans ces domaines, les enjeux ne sont pas uniquement juridiques, ils sont aussi et surtout économiques. Les analyses doctrinales sont, en général, très pauvres sur les aspects économiques et on a parfois l'impression que l'on s'apprête à trancher sans repère précis. Des données existent-elles, en France ou à l'étranger, pour évaluer l'impact de l'insertion de la rescision pour lésion ou de la révision pour imprévision ? Est-ce le cloisonnement disciplinaire qui par tradition fait obstacle à leur diffusion ? Le soutien des économistes du droit est dans doute en l'espèce indispensable.
Lexbase : Au final, quel regard portez-vous sur ce texte et quelles sont selon vous ses qualités premières et ses défauts principaux, auxquels il faudrait remédier ?
Professeur Xavier Henry : Le projet me semble encore très perfectible et inégal. Il a parfois simplifié la rédaction d'articles du projet "Catala", de façon satisfaisante, ou corrigé certains défauts qui avaient pu être relevés. Il a le mérite d'essayer de faire bouger un peu les lignes, en contenant quelques ruptures. Mais son inconvénient absolument fondamental est d'être parcellaire, contrairement au projet "Catala". Des éléments aussi essentiels que l'effet relatif ou la responsabilité contractuelle ne sont pas abordés. Par ailleurs, mais le reproche concerne ici tous les projets, le droit des contrats spéciaux reste à l'écart, alors que son contenu est en lien très étroit avec la théorie générale.
Enfin, il me semble que l'approche purement textuelle, incluant implicitement la jurisprudence de complément, est réductrice si l'objectif est vraiment de rendre attractif le droit français. Je ne vais prendre qu'un exemple qui me paraît très significatif : la promesse unilatérale et le pacte de préférence. Tous les projets ont pour objectif de briser une jurisprudence unanimement critiquée de la troisième chambre civile sur la rétractation du promettant (Cass. civ. 3, 15 décembre 1993, n° 91-10.199, Consorts Cruz c/ Mme Godard N° Lexbase : A4251AGK) et de protéger davantage le bénéficiaire, dans des termes différents et avec quelques difficultés de définition. Mais au fond, le résultat est le même : le bénéficiaire évincé par un tiers de mauvaise foi sera mieux protégé. Sauf qu'une telle vision est purement académique, et éloignée des préoccupations pratiques ! On ne tient pas compte des années de procédure et du coût nécessaires pour arriver à cette satisfaction. La seule réforme utile est de s'assurer que tous les tiers seront de mauvaise foi. La difficulté principale concerne les immeubles et donc la publicité foncière. Elle est connue depuis longtemps : le pacte de préférence et la promesse unilatérale impliquent tous les deux une interdiction de vendre à un tiers qui peut être analysée, dans l'absolu, comme une restriction au droit de disposer soumise à une publicité obligatoire sanctionnée par l'inopposabilité. Le problème est que le décret de 1955 (décret n° 55-22 N° Lexbase : L9182AZ4) mentionne expressément la promesse unilatérale parmi les contrats relevant d'une publicité facultative et qu'il omet le pacte de préférence (ce qui a permis à la troisième chambre civile de le soumettre un temps à une publicité obligatoire -Cass. civ. 3, 16 mars 1994, n° 91-19.797, Société Morillon-Corvol c/ Société Les Sauts de l'Aigle et autre N° Lexbase : A6553ABC-). C'est cette incohérence qu'il faut supprimer (toutes les options doivent être envisagées et tous les obstacles évalués : nature réelle ou personnelle de l'obligation de ne pas vendre, exigence du caractère authentique pour la publicité, régime unique ou optionnel, etc.). La publicité foncière soulève peu de contentieux, mais c'est plutôt bon signe : cela signifie que le dispositif fonctionne bien et qu'il permet un règlement des conflits sans recours au juge (la menace d'une disparition de la publicité foncière, en raison de l'application de l'article 1382 du Code civil N° Lexbase : L1488ABQ, est une vue de l'esprit doctrinale, inventée à partir de quelques arrêts). Cet exemple montre que l'amélioration du droit positif dans son ensemble n'est pas seulement une question de modification des textes, ni même de réforme de la motivation des arrêts de cassation. Le périmètre est infiniment plus large et il peut englober des réflexions sur des pratiques nouvelles, utilisant le cas échéant la technologie moderne (informatique et internet) ou remettant en cause des organisations actuelles (le projet d'acte sous signature juridique est-il vraiment séparable des débats actuels sur la création d'une grande profession du droit ?).
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