La lettre juridique n°407 du 9 septembre 2010

La lettre juridique - Édition n°407

Éditorial

Pourquoi transiger, lorsqu'on peut rompre... avec le sourire ?

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N0416BQH

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"La séparation et le divorce sont des poignards à deux tranchants : il faut s'en blesser d'un côté pour les enfoncer de l'autre" - proverbe chinois.

Exit la philosophie confucéenne ! La modernité, c'est l'absence de contrariété... Pardon : la prévention des conflits, dit-on, en bon juriste de formation.

Plus 24 % en un an ! En voilà une mesure gouvernementale plébiscitée : bien qu'il s'agisse de la hausse des ruptures conventionnelles... Et, c'est peut-être là que le bât blesse... 20 553 en mars, 20 293 en avril, 19 0502 en mai... Oui, mais 24 194 ruptures en juin 2010 ! Et hop ! La tendance repart à la hausse... Depuis août 2008, plus de 350 000 ruptures conventionnelles ont été validées et seules 9 % des demandes ont été rejetées... C'est dire que, une fois n'est pas coutume, les politiques comme l'administration décentralisée y ont mis du leur pour que cela tourne à bon compte...

Un succès vous dis-je ! Il s'agissait d'"inscrire dans la loi [en l'espèce, la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail, publiée au Journal officiel du 26 juin 2008] [une] nouvelle procédure, en faisant en sorte qu'elle soit rapide, peu onéreuse et entourée de garanties [qui] permettra au plus grand nombre de salariés de recourir, le cas échéant, à un type d'accord réservé jusqu'à présent, de fait, à une minorité de cadres supérieurs acceptant de se risquer (avec le soutien d'un conseil juridique) dans des procédures au cas par cas" nous livre, sans pudeur, le rapport d'information y afférent.

Nous voilà rassurés : non seulement la mesure fait un tabac en ce contexte de crise économique non résorbé, mais en plus elle est juste et équilibrée puisque la rupture se fait par consentement mutuel -si, si, c'est écrit dans la loi et ses motifs-.

Finalement, cette rupture conventionnelle, c'est un peu la procédure de divorce par consentement mutuel de la réforme de 2005 appliquée au droit du travail ! Plus d'incompatibilité d'humeur entre l'employeur et le salarié -la jurisprudence trouvant chiche le motif ainsi évoqué, alors qu'il est le plus souvent le reflet d'une vérité des plus banales-, la rupture conventionnelle permet de ne pas évoquer de motif de rupture -et ce n'est pas faute d'avoir vu défiler les amendements en ce sens-. Mieux : on ne sait pas qui de l'employeur ou du salarié souhaite véritablement en finir avec cette union contrainte et forcée... qui n'a que trop duré.

Déjudiciarisation : le mot est lâché. Tel est la clé de voûte de toutes ces procédures de règlement parallèles des "contrariétés" -pesons nos mots, puisque, officiellement, il n'y a pas de rupture conventionnelle, ni de divorce par consentement mutuel, s'il y a conflit-, excluant, en premier lieu, l'avocat conseil, empêcheur de tourner en rond, avant d'obérer un juge par trop long à se décider -c'est qu'il occupe désormais deux fauteuils à lui tout seul-...

Et, la procédure de rupture conventionnelle a de beaux jours devant elle, lorsque l'on s'attache à la jurisprudence la plus récente qui précise, en matière de transaction, que le juge doit vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales... Mieux encore : le motif invoqué dans la lettre de licenciement, trop vague pour être matériellement vérifiable, étant exclusif d'une faute grave, le licenciement et la transaction sont nuls -gloups !-.

D'aucuns savent que l'article 2044 du Code civil définit la "transaction" comme un contrat par lequel des parties "terminent une contestation, ou préviennent une contestation à naître". Et, qu'il convient de bien distinguer la rupture négociée de la transaction, cette dernière ne pouvant prendre place qu'après une rupture opérée dans les formes (un licenciement ou une démission). Enfin, s'agissant de la transaction, seule option ouverte en cas de litige sur la rupture de la relation de travail et également seule qualification admise pour des accords postérieurs à cette rupture, elle implique des "concessions réciproques".

Mais, soyons clair(voyant) : si la transaction est un mode de règlement des conflits plébiscité, c'est que "l'argent est l'argent, quelles que soient les mains où il se trouve. C'est la seule puissance qu'on ne discute jamais", nous enseigne Alexandre Dumas dans La Question d'argent. Et, les concessions accordées par le salarié, sachant qu'elles ne sont pas d'ordre uniquement pécuniaires, car mieux vaudrait pour lui poursuivre le contentieux, tiennent souvent à l'absence de motif réel ou avouable de la rupture orchestrée par l'employeur... Si bien qu'à imposer une motivation de la rupture comme préalable à la transaction, on ne voit plus très bien quel avantage retirerait l'employeur d'un tel règlement des conflits, sauf à spolier le salarié de ses droits, notamment, d'une partie de ses indemnités : il aura tout intérêt à jouer la carte contentieuse -et la montre-, car au pire il devra au salarié ce qu'il aurait dû lui verser...

Alors, on comprend certes que le juge prud'homal ne pouvait se satisfaire, ad vita aeternam, d'entériner des transactions équilibrées sans savoir pourquoi il y avait même conflit : les Parlements ont toujours eu du mal à enregistrer la volonté souveraine, fut-elle celle du Peuple. Mais, on comprend, dès lors, qu'à travers la rupture conventionnelle, les parties auront tout le loisir de convenir d'une indemnité satisfaisante et équilibrée, sans que l'on ne s'embarrasse de l'encombrante question des "motifs" de la rupture ; question qui conduit inexorablement à désigner un fautif (le salarié) ou pas, lorsque la motivation est inexistante ou insuffisante (l'employeur).

Heurs de la rupture conventionnelle et malheurs de l'avocat conseil : si ce dernier intervenait tantôt en matière transactionnelle, la "séparation par consentement mutuel au travail" le laisse devant la porte de la chambre à coucher ou, plus précisément, devant la chambre d'enregistrement que constitue l'inspection du travail...

"A vaincre sans péril on triomphe sans gloire", Rodrigue... A éviter absolument tout conflit judiciaire, la Justice s'en trouve-t-elle mieux servie ? Du moins, elle l'est avec le sourire...

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Juristes d'entreprise

[Questions à...] Le juriste d'entreprise : "créateur de solutions juridiques" - Question à Philippe Marchandise, Juriste d'entreprise chez Total et représentant de la Direction juridique du Groupe pour la Belgique

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N0418BQK

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par L'Association française des juristes d'entreprise

Le 27 Mars 2014

Philippe Marchandise, Président d'honneur de l'Institut belge des juristes d'entreprise, en a été le premier Président (2000-2003). Il a également été président de l'Association européenne des juristes d'entreprise (ECLA) de 1996 à 1998. Juriste d'entreprise chez Total, il représente la Direction juridique du Groupe en Belgique. Il est Maître de conférences à l'Université de Liège, juge consulaire au tribunal de commerce de Bruxelles et membre du comité de rédaction de plusieurs revues juridiques. Il a publié de nombreux articles scientifiques, dont un a été couronné, en 1991, d'un prix scientifique. Philippe Marchandise voue une passion sans faille à son métier. Un métier formidable comme il aime à le dire mais surtout un métier d'avenir. Retour d'expérience .

Association française des juristes d'entreprise (AFJE) : Votre parcours est un exemple intéressant pour des jeunes se destinant à la profession de juriste d'entreprise. Comment êtes-vous arrivé au poste que vous occupez actuellement ?

Philippe Marchandise : Sorti du Collège Saint-Michel à Bruxelles en 1973, j'ai fait mes deux premières années (que nous appelons "candidatures" en Belgique) en droit et en sciences économiques aux Facultés de Saint-Louis, mes licences à l'Université catholique de Louvain (UCL) à Leuven et enfin une année en néerlandais à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) en droit des affaires. Nous sommes alors en juin 1979, à l'aube des congés scolaires. Pour moi, c'est l'envoi de CV dans les cabinets d'avocats et les entreprises, un peu de vacances, beaucoup d'entretiens, une hésitation entre le barreau et le privé, et le choix finalement de l'entreprise. Le 3 septembre 1979 fut mon premier jour chez PetroFina et plus de trente ans plus tard, j'y suis toujours, dans une entreprise devenue aujourd'hui une des majors dans le monde depuis les rapprochements avec Total et Elf en 2000.

AFJE : Quel regard portez-vous justement sur votre parcours ?

Philippe Marchandise : Difficile de résumer autant d'années. Disons simplement que cela reste un plaisir de travailler comme juriste d'entreprise : la diversité des dossiers, leur suivi du début jusqu'à la fin, la concertation avec le management, le caractère international de l'entreprise, l'ouverture sur le monde du secteur de l'énergie (énergies fossiles et énergies renouvelables, comme le solaire ou plus précisément le photovoltaïque). J'ai eu la chance d'avoir eu, dès le début, des patrons rigoureux qui m'ont poussé et formé à l'écriture d'articles scientifiques. S'y ajoutent, de manière occasionnelle, le contact avec le palais de justice (comme magistrat au tribunal de commerce de Bruxelles) et avec le monde académique (comme enseignant à l'Université de Liège) dans le cadre d'un cours de droit des obligations.

AFJE : Que représente aujourd'hui pour vous le métier de juriste d'entreprise ?

Philippe Marchandise : C'est un métier vivant et passionnant car le juriste d'entreprise est bien vite au coeur des dossiers. Pour beaucoup, vu de l'extérieur, c'est "comme un avocat, sauf que son bureau est dans l'entreprise". Il est vrai que ces deux professions exercent la même fonction (donner des avis juridiques) et que tous deux sont des collaborateurs de la Justice. Il n'empêche que le métier de juriste d'entreprise et celui d'avocat, certes complémentaires, se différencient par divers aspects.

Tout d'abord, contrairement à ce que certains pourraient (encore) penser, le juriste d'entreprise n'est pas l'empêcheur de tourner en rond : au contraire, il est là pour aider les affaires de l'entreprise à se développer. C'est en quelque sorte un créateur de solutions juridiques. Ensuite le juriste d'entreprise gère les risques juridiques auxquels l'entreprise est exposée. Ici, il est un manager d'enjeux juridiques. Le juriste d'entreprise est celui qui anticipe : il initie des changements pour tenir compte de l'évolution prévisible des règles du droit. Enfin, il gère des actifs : filiales et sous-filiales qu'il fait vivre sur le plan juridique, biens immobiliers et mobiliers, brevets, marques ou encore savoir-faire qui appartiennent à l'entreprise.

AFJE : En quoi l'obtention du secret professionnel pour les juristes d'entreprise en France serait-il une nécessité ?

Philippe Marchandise : Comment pourriez-vous vivre sans respirer ? Il en va de même pour le juriste d'entreprise ! Comment pourrait-il exercer convenablement -et sans aucun doute faut-il ajouter, à armes égales avec ses confrères à l'étranger- son métier de conseil juridique dans l'entreprise, s'il n'a pas la garantie réelle que l'ensemble de ce qui lui est confié sous le sceau du secret ne pourra pas être saisi par la suite et raconté sur tous les toits ? Et comment pourrait-il rendre un avis juridique digne de ce nom s'il ne connaît pas tous les tenants et aboutissants du dossier qui lui est soumis pour avis ? Il n'y a pas (ou plus) de raisons valables pour dénier à ses avis le bénéfice de la confidentialité ou pour prétendre que les juristes d'entreprise ne doivent pas être soumis au secret professionnel. La loi française du 31 décembre 1971, sur les professions juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), va dans le bon sens, mais elle n'est pas suffisante. Aujourd'hui, que le juriste d'entreprise travaille comme indépendant ou sous contrat d'emploi doit être sans importance : le rapport "Darrois" (à la suite du rapport "Cohen" aux Pays-Bas) l'a brillamment démontré. Le législateur belge l'a également bien compris en faisant voter au Parlement (à l'unanimité du Sénat et à la quasi-unanimité de la Chambre) la loi du 1er mars 2000 créant un Institut des juristes d'entreprise.

AFJE : En quoi le métier de juriste d'entreprise serait-il différent en Belgique ?

Philippe Marchandise : Il n'y a pas vraiment de différences. Sur le fond, le métier est le même. Sur la place du droit ou de la fonction juridique dans l'entreprise, je constate des variations selon les pays. Il y a par exemple au Royaume-Uni, une plus forte implication des juristes dans l'entreprise voire une prise en compte plus systématique de leurs avis, encore que les choses évoluent dans la bonne direction au pays de Voltaire. Peut-être est-ce dû à un système d'enseignement différent ou à une autre organisation des professions juridiques ? Mais comme dans tout binôme (ici entreprise-juriste), les torts sont partagés : peut-être certains juristes seraient-ils encore trop frileux ou pas assez assertifs ? Peut-être certains expliqueraient-ils mal à leurs interlocuteurs leur pouvoir (en fait leur arme ultime) de dire "non" ?

AFJE : Juristes trilingues, hyperspécialisés tout en étant généralistes, le tout pour un salaire très raisonnable. Aujourd'hui, quels profils recherchent réellement les entreprises ?

Philippe Marchandise : Il n'y a pas de réponse unique mais de grandes tendances se dégagent. Les entreprises recherchent des juristes qui soient de bons généralistes du droit tout en étant également capables de travailler dans la transversalité (c'est-à-dire avec les autres services de l'entreprise : marketing, finances, ressources humaines, communication, achats...), avec une orthographe plus que correcte, une expression écrite et verbale rigoureuse, avec la connaissance d'une seconde langue, et pas trop collectionneurs de diplômes : faire des masters complémentaires n'a pas forcément de sens, l'entreprise pouvant souvent, après quelques années, assurer une formation complémentaire pour ses juristes. Selon moi, un master complémentaire est pertinent à trois conditions : changer d'université, de langue et de matières ! Celui qui aura, en plus de ses connaissances juridiques, des bases en comptabilité, en management, en économie ou en fiscalité aura, c'est sûr, une longueur d'avance sur les autres !

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Septembre 2010

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N0469BQG

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au premier plan de cette chronique, on retrouvera un arrêt rendu le 23 juin 2010 par lequel la Cour de cassation étend, en matière d'assurance de marchés publics, l'étendue des pouvoirs du juge administratif en jugeant que le juge judiciaire ne saurait se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celui-ci est titulaire d'un marché de travaux publics et qu'il s'agit d'une personne publique. A l'honneur également, un arrêt du 1er juillet 2010 qui revient sur la sanction d'un défaut de mise en garde de l'assureur (via son courtier mandataire) par l'indemnisation de la perte d'une chance de conclure un contrat d'assurance mieux adapté.
  • Assurances de marchés publics : étendue des pouvoirs du juge administratif (Cass. civ. 1, 23 juin 2010, n° 09-14.592, F-P+B+I N° Lexbase : A2718E33)

Pour qui n'était déjà guère friand de droit des marchés publics, les réformes successives, pour ne pas dire saccadées, du Code des marchés publics au cours de ces dernières années, ne pouvaient guère susciter ni la gourmandise, ni même l'appétit intellectuel. Pourtant, pour le spécialiste du droit des assurances, c'est une petite révolution qui a été réalisée ne pouvant être ignorée ou occultée. Pour qui n'aurait pas suivi ce véritable feuilleton juridique légal -que nos amis publicistes nous autoriseront à qualifier de fastidieux, voire aride pour des privatistes- précisons donc que les législateurs national et européen ont eu, il y a plus de vingt ans -pour quasi obsession- le souci d'éviter ou de limiter toute tentation de corruption ou tout au moins de préférence octroyée à une personne morale plutôt qu'à une autre.

C'est la raison pour laquelle la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier dite loi "MURCEF" (N° Lexbase : L0256AWE) (1) a décidé que, désormais, les litiges en matière de droit des contrats d'assurance concernant une personne publique relevaient des juridictions de droit administratif et non de droit judiciaire. Cependant, des zones d'ombres demeuraient ; par conséquent, le contentieux était prévisible. D'ailleurs, il eut été surprenant que l'articulation du droit des assurances et du droit des marchés publics s'effectue sans la moindre hésitation, interrogation juridique et heurt entre les juridictions de droit public et de droit privé. Toutefois, ce n'est pas à une opposition ou une résistance de la Cour de cassation à laquelle nous assistons ; loin s'en faut.

En témoigne cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 23 juin 2010 qui ne saurait donc passer inaperçu, d'autant qu'il n'a pas été tout à fait le seul, en quelques jours, en matière de marchés publics et de contrat d'assurance. Un autre arrêt, du 9 juin cette fois (2), a été publié sur le même thème, qui s'avère d'ailleurs d'une portée sans commune mesure. Dans la présente affaire, la Cour de cassation a prévu que l'arrêt fasse l'objet d'une information. Une commune, assurée, avait donné à bail des locaux, incendiés. L'assureur de la commune ayant réglé l'indemnité d'assurance agissait contre le locataire et son assureur pour obtenir le paiement des sommes réglées par ces derniers.

Appliquant les règles issues de la loi "MURCEF", les premiers juges judiciaires s'étaient déclarés incompétents et le tribunal administratif, saisi ensuite, avait préféré renvoyer l'affaire devant le tribunal des conflits. Or ce dernier avait considéré que la juridiction de l'ordre judiciaire était compétente, dans un tel cas de figure pour connaître du litige opposant les deux assureurs. La cour d'appel s'était crue autorisée à interpréter l'attitude du tribunal des conflits (T. confl., 17 décembre 2007, n° 3633 N° Lexbase : A1581D3X) comme une volonté de distinguer, d'une part, le fonctionnement de l'action directe et la subrogation de l'assureur dans les droits de la victime, et, d'autre part, l'action en responsabilité. La Cour de cassation, soucieuse des prérogatives désormais acquises au juge administratif, censure celle-ci.

Dans l'arrêt du 9 juin 2010, un OPHLM, organisme public donc, avait fait réaliser une opération immobilière ayant donné lieu à des désordres. Rien que de très banal, hélas. Cette victime s'était adressée à l'assureur de l'entreprise de maîtrise d'oeuvre qu'elle avait engagée pour coordonner les travaux, en se fondant sur l'action directe dont elle bénéficiait. Indiquons tout de suite que ce qui retient l'attention est la différence d'analyse de la cour d'appel et de la Cour de cassation sur la faculté dont dispose ou non le juge d'apprécier la faute de l'assuré et sa responsabilité dans de telles circonstances. Pour les juges du fond, la juridiction judiciaire, jalouse de ses prérogatives ancestrales, serait "seule compétente pour connaître de l'appréciation des garanties d'assurance que supposent l'analyse d'un contrat de droit privé, alors même que l'appréciation de la responsabilité de l'assuré relèverait du juge administratif". Par conséquent, dans l'ordre chronologique, l'action directe serait recevable devant le juge judiciaire, sans que ce dernier ait besoin de faire reconnaître, au préalable, par le juge administratif, la responsabilité de l'assuré.

Cependant, pour la Cour de cassation, la situation est plus claire et nette, fut-elle défavorable au juge judiciaire : ce dernier ne saurait se prononcer sur la responsabilité de l'assuré lorsque celui-ci est titulaire d'un marché de travaux publics et qu'il s'agit d'une personne publique. D'une droiture exemplaire, sans faille, notre Haute juridiction judiciaire fait volontiers la révérence à ses homologues publicistes. Bel exemple, en dehors de toute autre considération juridique, de loyauté, comme de respect tant des dispositions légales, car, quoiqu'on en pense, ce sont elles qui en ont décidé ainsi, que de la jurisprudence administrative. Notons que, par le passé, dans un tout autre domaine, celui des clauses claim's made, ce sont les juges administratifs, lors de l'élaboration de l'arrêt "Beule" (CE, 29 décembre 2000, n° 212338, M. Beule et autres N° Lexbase : A1938AIM), qui avaient adopté une analyse, au mot près, identique à celle de la Cour de cassation dans sept arrêts du 19 décembre 1990. Bel exemple de politesse et de respect mutuel entre nos plus Hauts magistrats des deux ordres.

A dire vrai, dans les deux arrêts, la Cour de cassation accomplit davantage encore. Elle confie au juge administratif l'un des derniers pans du droit privé dont l'attribution demeurait un peu incertaine en matière de marchés publics. Les opinions pourront certes être partagées. Les nostalgiques pourront objecter qu'il ne sera pas aisé, pour le juge de droit public, de statuer sur des aspects du droit qui ne lui sont pas familiers. La faute et la responsabilité en droit public ne seraient pas celles du droit privé. Sans doute ne peut-on pas nier l'existence de différences ; toutefois, l'histoire récente de la jurisprudence de part et d'autre est celle de rapprochements croissants. Que l'on songe aux décisions en matière de responsabilité médicale ayant anticipé sur l'évolution législative.

Plus encore, il convient sans doute d'approuver la Cour de cassation dans la démarche tendant à ne pas créer des distinctions byzantines. Sans doute, la doctrine perd-elle ainsi une occasion de s'évertuer à trouver une cohérence dans des décisions ultérieures qui n'auraient pas manqué de laisser dubitatif, dans certaines circonstances particulières. Le souci de clarté le plus grand possible doit plutôt être approuvé de la part de la Cour de cassation, même s'il ne faut pas exclure que l'avenir nous réserve des surprises. La lettre de la loi est connue. Même si elle comporte des failles dans lesquelles il serait aisé de s'infiltrer, la Cour de cassation ne souhaite pas prêter le flanc à des interprétations en série qui ne bénéficieront pas au justiciable.

Les joutes intellectuelles y perdent ; une certaine simplicité y gagne dans une configuration qui inquiétait les magistrats eux-mêmes, surtout de droit public, non sans raisons.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Sanction d'un défaut de mise en garde de l'assureur (via son courtier mandataire) par indemnisation de la perte d'une chance de conclure un contrat d'assurance mieux adapté : la deuxième chambre civile rejoint la première et la Chambre commerciale (Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-15.594, FS-P+B pourvoi incident N° Lexbase : A2299E4W)

Cet arrêt du 1er juillet 2010 est le fruit d'un véritable "marathon judiciaire", puisque cet arrêt, rendu après 16 ans de contentieux entre un assuré, son courtier et son assureur, constitue un "troisième tour" devant la Cour de cassation.

Au commencement de cette "longue bataille procédurale", il est un assuré, exerçant une activité professionnelle informatique à son domicile, qui conclut, en décembre 1995, via un courtier dont la qualité de mandataire de l'assureur sera judiciairement reconnue, une "multirisque habitation" auprès d'un assureur A. Il souscrit le 18 janvier 1996 auprès d'un assureur B une police "tous risques informatiques" qui garantit le mobilier informatique mais exclut expressément l'indemnisation des pertes d'exploitation. Victime d'un sinistre (vols de matériels informatiques), il s'est tourné vers l'assureur A qui a refusé de l'indemniser de la perte de ce matériel.

L'arrêt rapporté ne renseigne pas sur une éventuelle action à l'encontre de l'assureur B, ni sur l'application des règles de l'assurance cumulative au titre des pertes matérielles. Mais il est vrai que le point le plus délicat, pierre d'achoppement ici, reposait sur les pertes d'exploitation essuyées par ce professionnel. Or, les pertes d'exploitation étant exclues du contrat "tous risques informatiques" conclu avec l'assureur B, on comprend que ce dernier n'ait pas été concerné et que l'assuré ait "concentré" ses recours contre l'assureur A.

De cet itinéraire judiciaire, on retiendra que la cour d'appel de Paris a, le 16 janvier 2001, "décidé que la police souscrite par M. X auprès de [l'assureur A] ne couvrait pas le vol de son matériel informatique". Cet arrêt "a été cassé par arrêt de la Cour de cassation en date du 5 mai 2004" et "l'arrêt rendu le 9 décembre 2005 par la cour d'appel statuant sur renvoi de cassation a été cassé partiellement par arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 décembre 2006 en ce qu'il a débouté M. X de sa demande en paiement des préjudices immatériels subis" (3).

On comprend donc que l'assuré n'ait pas limité sa demande d'indemnisation aux seules pertes matérielles, mais qu'il ait cherché à être indemnisé du chef des pertes immatérielles éprouvées.

Cependant, autant il est courant de prévoir la couverture de tels risques dans les contrats d'assurance à finalité professionnelle, autant celle-ci est étrangère à la multirisque habitation "ordinaire". Or, en l'espèce, cet informaticien à domicile sollicitait ici son assureur "multirisque habitation"...

Dans ce contexte, il n'est guère surprenant qu'à défaut de couverture de ce risque, il ait cherché à se prévaloir d'un manquement de son courtier et de son assureur à leur devoir de mise en garde et de conseil, pour n'avoir pas attiré son attention sur le caractère incomplet, voire inadapté du contrat d'assurance proposé.

Chacun connaît la bonne fortune de ce devoir de mise en garde qui, imputé aux banquiers à l'égard des emprunteurs non-avertis (4), vaut pleinement en matière d'assurance, comme l'a notamment mis en lumière un arrêt d'Assemblée plénière du 2 mars 2007 (5).

Le législateur n'a d'ailleurs pas attendu pour, en matière d'assurance, préciser les obligations de l'intermédiaire d'assurance. C'est l'objet de l'article L. 520-1, II, 1°, c) du Code des assurances (N° Lexbase : L7113ICG) qui énonce, spécialement pour le courtier d'assurance non "soumis à une obligation contractuelle de travailler exclusivement avec une ou plusieurs entreprises d'assurance et qu'il se prévaut d'un conseil fondé sur une analyse objective du marché, [qu'] il est tenu d'analyser un nombre suffisant de contrats d'assurance offerts sur le marché, de façon à pouvoir recommander, en fonction de critères professionnels, le contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur éventuel".

C'est de ce problème dont a été saisie la cour de Versailles, dont la décision, rendue le 14 mai 2009, fait l'objet du pourvoi jugé par le présent arrêt, qui souligne :

"la cour d'appel relève que [...] le matériel informatique professionnel installé dans la résidence principale de l'assuré était couvert par la police souscrite auprès de la société Le Continent par l'intermédiaire de la société IART conseil, et qu'il revenait à cet assureur ou/et à cette dernière société par l'intermédiaire de laquelle il avait contracté, de l'informer et de le conseiller sur la possibilité ou l'impossibilité de contracter la garantie complémentaire 'dommages professionnels immatériels' ; qu'elle retient que les conditions de conclusion de ce contrat et ce contrat en lui-même ayant légitimement pu persuader M. X que la société IART conseil était le mandataire de la société d'assurance Le Continent, celui-ci était fondé à invoquer la théorie du mandat apparent et à rechercher la responsabilité de la société Generali pour les éventuels manquements commis par la société IART conseil ; qu'il appartenait à cette société d'aviser M. X de la possibilité de souscrire la garantie complémentaire dommages professionnels immatériels consécutifs ou de l'orienter utilement vers une couverture adaptée de l'entier risque à garantir ; qu'elle retient que lors de la conclusion du contrat d'assurance auprès de la société Le Continent le 8 décembre 1995, M. X avait pu croire que ce contrat couvrait les risques professionnels".

On comprend ici le rôle déterminant du courtier, mandataire de l'assureur de sorte que ses manquements vont engager la responsabilité de l'assureur.

Alors qu'une assurance multirisque habitation n'a, objectivement, rien qui puisse donner à penser à un assuré professionnel "lambda" qu'elle puisse être adaptée à la couverture de risques professionnels, à partir du moment où l'assuré se tourne vers un courtier, professionnel de l'assurance, celui-ci est tenu de l'éclairer sur l'adéquation de ce contrat avec sa situation.

Si tel n'est pas le cas, le courtier doit lui suggérer soit la conclusion d'un contrat mieux adapté, soit la conclusion d'un contrat complémentaire.

Quand le manquement est consommé, comment le réparer ?

La jurisprudence a pris le parti de n'y voir qu'une perte d'une chance de contracter, ce qui, comme chacun sait, conduit à une indemnisation, souverainement appréciée par les juges du fond, bien moindre que le dommage causé par l'inexistence d'un tel contrat.

L'arrêt examiné en est une parfaite illustration puisque la Cour de cassation approuve les juges versaillais d'avoir apprécié cette perte d'une chance en la fixant à (seulement) 5 %...

L'arrêt s'inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle dont un arrêt émanant de la Chambre commerciale, rendu le 20 octobre 2009 à propos d'un manquement au devoir de mise en garde d'une caution, est considéré comme ayant fixé le principe aux termes duquel : "le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter" (6).

La Chambre commerciale y censurait une cour d'appel qui, pour sa part, avait choisi d'indemniser la caution intégralement, en lui accordant des dommages-intérêts calqués sur la somme due en raison de la défaillance du débiteur principal.

La censure avait été vigoureuse, aux motifs que : "pour condamner la caisse à payer à Mme X une indemnité égale au montant de la dette, l'arrêt retient que le préjudice découlant du manquement de la caisse à son devoir de mise en garde envers Mme X consiste pour celle-ci à devoir faire face au remboursement du prêt consenti à Mme Y à concurrence du montant de son engagement ; Attendu qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé" l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT).

On notera qu'une doctrine a exprimé de vives réserves à l'égard d'une telle analyse (7). Il est, effectivement à craindre qu'avec cette analyse, la réparation accordée puisse être, en réalité, fort éloignée du préjudice subi...

Ce faisant, la Chambre commerciale nous semble avoir rejoint la première chambre civile qui, dans un arrêt du 18 septembre 2008 (8), avait jugé que "la cour d'appel [...] a décidé que si le manquement de la société Carpi à son devoir de conseil pour n'avoir pas informé Mme X de ce que l'assurance assortissant le prêt ne garantissait pas le risque invalidité permanente l'avait privée de la possibilité de s'adresser à d'autres assureurs, ceux-ci, s'ils avaient accepté de garantir ce risque, lui auraient alors réclamé un supplément de prime qui aurait pu lui faire renoncer à cette garantie ; qu'ainsi, sans méconnaître l'objet du litige ni le principe de la contradiction, elle a considéré que le préjudice imputable s'analysait en une perte de chance qu'elle a souverainement évalué".

C'est exactement dans cette logique que se place la deuxième chambre civile qui, dans cet arrêt du 1er juillet 2010, souligne que :

"c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits devant elle que la cour d'appel a évalué la perte de chance subie par M. X en ne contractant pas de garantie pour pertes d'exploitation du fait de la défaillance du courtier de la société Generali ; et attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que M. X ait soutenu qu'il avait volontairement souscrit la garantie auprès d'Axa sans y inclure les pertes d'exploitation pour cette raison qu'il croyait que ces pertes étaient garanties par la société Le Continent"

La deuxième chambre civile rejoint ainsi les deux autres formations de la Cour, en déployant ici une logique limpide : l'indemnité allouée au créancier du fait du défaut de mise en garde ne saurait correspondre au coût total de son préjudice immatériel, car on ne peut affirmer avec certitude que l'assuré, dûment informé, aurait pris le parti de conclure l'assurance complémentaire. Et on ne peut davantage affirmer qu'il a conclu l'assurance tous risques informatiques sans couverture des pertes d'exploitation auprès de l'assureur B dans la croyance erronée qu'il l'était au titre du contrat d'assurance conclu avec A.

Dans cette incertitude, pour que la fixation des dommages-intérêts liés à cette perte de chance d'être bien couvert ne tourne pas à la "lecture dans une boule de cristal", les juges doivent examiner, in concreto, tous les indices de nature à éclairer sur la probabilité, forte ou faible, que l'assuré eût décidé de souscrire l'assurance qui lui a fait défaut par manque d'information.

Or, en l'espèce, un tel élément existe, puisque la conclusion du contrat tous risques informatiques auprès de l'assureur B avec exclusion expresse des pertes d'exploitation a eu lieu un mois et demi après conclusion de l'assurance multirisque habitation avec l'assureur A. Les juges du fond ont donc considéré que si l'assuré avait pu, en janvier 1996, conclure en conscience un contrat dépourvu de cette assurance, la probabilité que, dûment informé par son courtier du caractère incomplet de son assurance habitation, il eût conclu, un mois et demi plus tôt, une assurance ad hoc est faible.

Le raisonnement est imparable, qui a conduit les juges du fond à fixer l'indemnité à hauteur de 5 % du préjudice subi, soit 15 000 euros, et la Cour de cassation à les approuver en renvoyant à leur analyse souveraine des éléments de la cause.

Ce sont donc des circonstances d'espèce qui expliquent une indemnité aussi faible. La sanction se veut essentiellement symbolique, car le défaut de conseil et de mise en garde doit, en toute occurrence, être réprimé.

Il nous semble que cette jurisprudence doit être approuvée, à condition que les circonstances permettant de cerner in concreto la probabilité d'avoir, en étant bien éclairé, conclu un contrat adapté existent.

Dans le doute, il faudrait sans doute s'en remettre à l'image d'un "assuré moyen", c'est-à-dire privilégier une analyse in abstracto, et ne pas hésiter à faire approcher le plus possible les dommages-intérêts pour perte d'une chance de contracter du dommage réellement subi...

On n'ose finir ces observations en soulignant que cet arrêt du 1er juillet 2010 procède, pour un motif de procédure, à une cassation partielle avec renvoi devant la cour de Versailles autrement composée.

Ainsi, après 16 ans de procédure, l'assuré, qui avait espéré beaucoup (300 000 euros s'il avait obtenu réparation de son préjudice immatériel à 100 %), sera indemnisé de peu (15 000 euros, soit 5 %), par une somme sans doute absorbée par ses frais d'avocats (on notera que l'arrêt n'accorde aucune indemnité au titre de l'article 700), et que la fin du "feuilleton" consistera à déterminer la part contributive de l'assureur RC du courtier taisant et de l'assureur (bien mal) représenté par ce mandataire peu soucieux de son devoir de mise en garde.

La fable du "taiseux" (le courtier) et du "teigneux" (l'assuré) a trouvé sa morale : la perte d'une chance de conclure un contrat d'assurance mieux adapté se mesure au poids des circonstances et des comportements des acteurs de la pièce...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) JO du 12 décembre 2001.
(2) Cass. civ. 1, 9 juin 2010, n° 09-13.026, F-P+B (N° Lexbase : A0094EZI).
(3) Cass. civ. 1, 5 mai 2004, n° 01-03.282, F-D (N° Lexbase : A0440DCB) ; Cass. civ. 2, 21 décembre 2006, n° 06-12.667, F-D (N° Lexbase : A1187DT7).
(4) Notamment depuis Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts publiés, n° 05-21.104, Epoux X (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673 (N° Lexbase : A9646DW8), Bull. ch. mixte n° 7 et n° 8. Adde, pour l'actualité (nombreuse eu égard aux arrêts rendus sur le fondement de cette obligation), cf. J. Lasserre Capdeville, Précisions utiles sur l'obligation de mise en garde du banquier, Recueil Dalloz, 2009 p. 2318.
(5) Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX).
(6) Cass., com., 20 octobre 2009, n° 08-20.274, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2384EMA).
(7) Dimitri Houtcieff, La perte d'une chance de ne pas cautionner ou l'indemnisation du hasard et des coïncidences, Recueil Dalloz, 2009 p. 2971.
(8) Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 06-17.859, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3909EAZ).

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Sociétés

[Jurisprudence] L'exclusion d'un associé d'une société coopérative à capital variable

Réf. : Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-16.156, FS-P+B (N° Lexbase : A6801E4N)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole

Le 07 Octobre 2010

Les sociétés à capital variable peuvent revêtir une des formes de droit commun (1). Elles ne représentent pas un type particulier de société, la variabilité du capital constituant une modalité susceptible d'affecter toute forme de société. Cependant, hormis les sociétés coopératives et les sociétés d'investissement à capital variable (SICAV), les sociétés anonymes ne peuvent être à capital variable depuis la loi du 30 décembre 1981 (loi n° 81-1162, art. 30).
Les sociétés à capital variable sont cumulativement gouvernées par des dispositions spécifiques à la variabilité du capital social (clauses statutaires) et par des dispositions particulières à la forme adoptée qui viennent compléter les premières. D'où parfois la difficulté mise en exergue par l'arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 2010, pour concilier ces deux catégories de dispositions. Le litige concerne précisément une société coopérative à forme anonyme à capital variable, la société Creno, dont le conseil d'administration a, dans une réunion du 21 mars 2005, prononcé l'exclusion à dater du 1er octobre 2005 d'un de ses membres, la société anonyme Balicco, actionnaire chez elle depuis le 2 février 1998. A l'appui de sa décision, elle lui a fait grief de plusieurs manquements aux engagements fondamentaux contractés à l'égard du groupe. Aussi, l'a-t-elle assigné en paiement de diverses sommes. L'associé exclu a alors, non seulement demandé le remboursement des sommes indûment versées, mais encore réclamé reconventionnellement la condamnation de la société dont elle est membre au paiement d'une certaine somme d'argent à titre de dommages-intérêts pour exclusion arbitraire et abusive.

Dans son arrêt infirmatif du 17 avril 2009, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, saisie du litige, avait annulé la décision du conseil d'administration excluant la société actionnaire. De plus, elle avait condamné la société Creno à payer à la société Balicco la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral.

Cette décision de justice est censurée par la Chambre commerciale sur les différents points correspondant aux moyens invoqués par le demandeur au pourvoi en cassation : l'organe compétent pour prononcer l'exclusion (I), le respect du principe du contradictoire (II) et la demande en paiement formée contre la société actionnaire exclue (III).

I - L'organe compétent pour prononcer l'exclusion

Pour annuler la décision d'exclusion de l'associé prononcée par le conseil d'administration, la cour d'appel d'Aix-en-Provence s'était appuyée sur l'article 52, alinéa 2, de la loi du 24 juillet 1967, codifié à l'article L. 231-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6278AID). Ce texte confère aux statuts d'une société à capital variable la possibilité de stipuler que l'assemblée générale a le droit de retirer la qualité d'associé à un ou plusieurs de ses membres. Cette disposition légale étant applicable aux faits de l'espèce, puisque la société Creno a été constituée sous la forme d'une société à capital variable, l'exclusion de la société actionnaire n'a pu, selon les juges d'appel, être valablement prononcée par le conseil d'administration qui n'a pas compétence pour le faire.

Cette argumentation est repoussée par la Cour de cassation qui, se fondant sur l'article 7 de la loi du 10 septembre 1947 (loi n° 47-1775, portant statut de la coopération, art. 7 N° Lexbase : L2164ATC), fait prévaloir les dispositions particulières de ce texte sur les dispositions générales régissant le fonctionnement des sociétés à capital variable. En vertu de cet article, les conditions d'adhésion, de retrait et d'exclusion des associés sont déterminées par les statuts des coopérations, lesquels donnent pouvoir au conseil d'administration de la société Creno d'exclure un actionnaire.

Il faut rappeler que les sociétés à capital variable se singularisent par une faculté peu ordinaire expressément prévue par la loi, celle d'exclure un associé. Encore faut-il que la faculté d'exclusion soit mentionnée dans les statuts, que cette mesure s'appuie sur des motifs susceptibles d'un contrôle judiciaire et qu'elle respecte une certaine procédure. Celle-ci est annulée si les stipulations statutaires n'ont pas été respectées ou si elles sont contraires à la loi (2).

A ce propos la juridiction d'appel avait annulé la décision d'exclusion prononcée par le conseil d'administration de la société Creno à l'égard d'un de ses actionnaires la société Balicco. Elle avait fondé sa décision sur l'article L. 231-6, alinéa 2, du Code de commerce qui donne à l'assemblée générale la compétence exclusive pour statuer sur l'exclusion d'un associé d'une société à capital variable. Aussi, avait-elle suivi la jurisprudence traditionnelle relative aux sociétés à capital variable selon laquelle devait être annulée toute décision d'exclusion prononcée par le conseil d'administration (3), l'intervention de l'assemblée générale à laquelle l'associé menacé de retrait forcé doit participer constituant pour ce dernier une garantie à laquelle les statuts ne sauraient déroger (4). Ainsi, dans le sillage de cette orientation générale des tribunaux en la matière, il a été jugé qu'en cas d'inaction de l'assemblée générale, un tribunal peut prononcer l'exclusion d'un associé pour cause grave (5). Effectivement, aucune disposition légale n'autorise les juges à se substituer aux organes sociaux pour prendre des décisions de gestion.

Les juges du second degré avaient, toutefois, commis l'erreur d'invoquer un texte général (l'article L. 231-6, alinéa 2, du Code de commerce) inapplicable au cas d'espèce régi par un texte particulier (l'article 7 de la loi du 10 septembre 1947). La Chambre commerciale, faisant application du texte spécifique, estime au contraire qu'il n'y a pas lieu d'annuler la décision d'exclusion prononcée par le conseil d'administration comme les statuts l'y autorisent au regard de l'article 7 précité de la loi de 1947. Sa position tout à fait logique est indiscutable, parce que conforme à la disposition légale et à la stipulation statutaire.

II - Le respect du principe du contradictoire

La juridiction de seconde instance avait également retenu que la décision d'exclusion avait été discutée et arrêtée sans que la question fût inscrite à l'ordre du jour et portée à la connaissance de la société. Par conséquent, en l'absence de réunion, la société évincée n'avait pas été en mesure de donner une quelconque explication sur les faits qui étaient reprochés à l'actionnaire exclu.

A cet argument de forme, la Cour ce cassation oppose un argument de fond tiré de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL) : la nullité des actes et délibérations des organes d'une société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du droit des sociétés ou des lois qui régissent les contrats. Or, l'impossibilité pour l'actionnaire évincé de venir s'expliquer auprès de l'organe décidant son exclusion ne constitue pas une cause de nullité de la délibération l'ayant exclu. En statuant de la sorte, la cour d'appel avait porté atteinte aux dispositions du texte précité et, d'une manière générale, au principe "pas de nullité sans texte".

La démarche de la Chambre commerciale suscite là aussi l'adhésion. Certes, le débat porte bien sur la procédure, plus précisément sur les droits de la défense posés par le principe du contradictoire (6). A cet égard, la jurisprudence enseigne qu'il importe que l'assemblée générale (ou, comme en l'espèce, le conseil d'administration) statuant sur l'exclusion ait été régulièrement convoquée, que l'exclusion de l'associé ait été prévue à l'ordre du jour et que l'associé menacé d'exclusion participe à cette assemblée afin qu'il y soit entendu (7). A fortiori, comme cela a été jugé, doit être réputée non écrite la disposition du règlement intérieur d'une société à capital variable prévoyant que la décision d'exclusion d'un associé votée en assemblée générale extraordinaire conformément aux statuts doit être prise hors la présence de l'intéressé (8).

Pour autant, comme le décide fort justement la Cour de cassation, l'inobservation du principe du contradictoire ne saurait être sanctionnée par la nullité de la délibération qui a prononcé l'exclusion de l'actionnaire. Tout au plus pourrait-elle occasionner l'allocation d'une indemnité compensatrice du dommage subi.

Par conséquent, forte de l'absence d'explication contradictoire sur les faits reprochés à l'associé exclu et de la connaissance par les adhérents et les clients du réseau de la décision d'exclusion susceptible de nuire à son image et lui ayant causé un préjudice moral, la juridiction d'appel avait condamné la société Creno à verser à la société Belicco une somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts. Cette sanction est cependant écartée par la Haute juridiction au motif que la responsabilité délictuelle ne peut être engagée qu'en présence d'un lien de causalité certain entre la faute et le dommage. Or, à supposer que cette faute consistant en la violation du principe du contradictoire ait été établie, ce lien n'a pas existé en l'espèce entre ladite faute et l'atteinte à l'image de la société Balicco.

III - La demande en paiement formée contre l'actionnaire exclu

Outre les différentes questions tenant directement à l'exclusion de la société actionnaire (I et II), la Chambre commerciale est conviée à statuer sur une somme d'argent dont le paiement est revendiqué contre cette dernière. Elle se prononce sur cette question au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) aux termes duquel "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites".

Là encore, la cour d'appel avait rejeté la demande en paiement formée par la société Creno au titre de la part de cotisation d'adhésion de la société Balicco. Elle avait invoqué la raison selon laquelle cette dernière ayant été exclue avec effet immédiat par décision du 21 mars 2005, elle n'était pas redevable de la cotisation du troisième trimestre. En effet, le principe du paiement trimestriel et d'avance de la cotisation d'adhésion ne pouvait pas recevoir application car l'exclusion avait pris effet avant la clôture de l'exercice en cours.

Selon la Chambre commerciale, l'article 7 des statuts de la société Creno énonçant que les décisions d'exclusion au cours d'un exercice social ne prennent effet qu'au jour de la clôture de cet exercice, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

La Cour de cassation, censurant dans toutes ses dispositions la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, remet la cause et les parties dans leur situation initiale et les renvoie pour être fait droit devant cette même juridiction d'appel autrement composée.


(1) C. com., art. L. 231-1 (N° Lexbase : L6273AI8).
(2) Cass. req., 27 avril 1933, S., 1933, 1, p. 209, note Rousseau.
(3) Cass. com., 26 janvier 1981, n° 79-13.686 (N° Lexbase : A3703E8N), Bull. civ. IV, n° 48 ; Bull. Joly Sociétés, 1981, p. 225 ; RTDCom., 1981, p. 318, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.
(4) CA Paris, 24 septembre 1996, 15ème ch., sect. A, 24 septembre 1996, n° 95-014293 (N° Lexbase : A1162DG7), RJDA, 1/1997, n° 70 ; Bull. Joly Sociétés, 1996, p. 1036, note B. Caillaud.
(5) Cass. civ., 11 mars 1925, Rev. sociétés, 1925, p. 230 ; S. 1925, 1, p. 201.
(6) V., sur cette question en général, L. Miniato, Le principe du contradictoire en droit processuel, Bibl. dr. pr., t. 483, 2008.
(7) Cass. civ. 1, 21 juin 1967, n° 64-11.750 (N° Lexbase : A3701E8L), Bull. civ. I, n° 232 ; Cass. com., 3 mars 1969, n° 65-10.708 (N° Lexbase : A3702E8M), Bull. civ. IV, n° 79.
(8) T. com. Paris, 22 février 1993, RJDA, 1993, n° 521.

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Avocats/Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité de l'avocat de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Septembre 2010

Lecture: 10 min

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Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité de l'avocat de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique sera présenté un arrêt rendu le 17 juin 2010 par la première chambre civile de la Cour de cassation, publié au Bulletin, rappelant que la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat ad litem qui lui a été confié (Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B). Dans le second arrêt sélectionné cette semaine par l'auteur, rendu le 1er juillet 2010, la deuxième chambre civile de la Cour régulatrice retient que l'avocat, qui a laissé prescrire l'action et qui a sciemment trompé son client en lui donnant de faux renseignements lui laissant croire que les assignations avaient été délivrées à un moment où il était encore temps d'empêcher le dommage, commet une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances (Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-14.884, FS-P+B).
  • La détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat ad litem qui lui a été confié (Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B N° Lexbase : A1017E33)

A l'égard de ses clients, l'avocat est réputé agir en qualité de mandataire, ce qui le soumet aux articles 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et suivants du Code civil (1). Chargé de représenter son client en justice, il agit au nom de ce dernier en vertu, en principe, d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général, en ce sens qu'il oblige l'avocat, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure. Sauf disposition ou convention contraire, le mandat de représentation en justice emporte une mission d'assistance qui confère à l'avocat pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense devant le juge. Il peut, cependant, plus exceptionnellement, être investi d'autres mandats, qualifiés de mandats ad negotia. Il s'agit de mandats qui peuvent n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire ou bien être l'accessoire ou une extension du mandat ad litem. Néanmoins, quel que soit leur objet, ils astreignent toujours l'avocat à un devoir de diligence et de conseil. Et, en tout état de cause, la caractérisation d'un éventuel manquement de l'avocat à ses obligations suppose de déterminer l'étendue de la mission qui lui a été confiée et qui ressort, précisément, de son mandat : la responsabilité de l'avocat ne peut valablement s'apprécier qu'au regard du mandat. La solution, pour classique qu'elle soit, n'est cependant pas sans susciter quelques difficultés de mise en oeuvre, comme en témoigne au demeurant un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 juin 2010, à paraître au Bulletin.

En l'espèce, une société avait chargé un avocat de la défense de ses intérêts dans un litige qui l'opposait à un emprunteur auquel elle avait consenti un prêt et qui avait engagé une action en annulation de celui-ci, prêt dont le remboursement était garanti par une hypothèque. Le cessionnaire de la créance litigieuse a finalement engagé une action en responsabilité contre l'avocat, lui reprochant de ne pas avoir renouvelé l'inscription hypothécaire dont la péremption est intervenue. Il reprochait, cependant, aux premiers juges de l'avoir déboutée de ses demandes indemnitaires, faisant d'abord valoir que, dès lors qu'il est chargé, comme en l'espèce, de solliciter la condamnation à paiement d'une partie, il entre dans les attributions de l'avocat, sans qu'il soit besoin que le mandat le mentionne, de s'enquérir des sûretés qui garantissent la créance et de procéder à leur renouvellement, si besoin est, de manière à conférer à l'action dont il est chargé l'effet recherché par le créancier, à savoir le recouvrement en tout ou en partie de sa créance. Il soutenait, ensuite, que, à supposer même qu'il n'entre pas dans la mission de l'avocat, chargé d'obtenir du juge la condamnation du débiteur, de renouveler les sûretés garantissant le paiement de la créance en vue d'en assurer l'efficacité, en tout état de cause, l'avocat chargé d'obtenir la condamnation du débiteur se doit, au titre de son obligation de conseil, d'alerter son client, quelles que soient ses connaissances et ses compétences, sur la nécessité de renouveler une sûreté telle que l'hypothèque avant sa date d'expiration, date que ne pouvait en l'espèce ignorer l'avocat en charge du dossier six mois plus tôt. Bien qu'apparemment séduisante, l'argumentation n'a pas convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, décide "qu'ayant souverainement apprécié l'étendue du mandat ad litem confié à M. Y. en novembre 2000, la cour d'appel a constaté que la Sovac (le client) s'était préoccupée de l'existence et de la validité de sa garantie dès le mois d'août précédent et avait consulté un notaire sur ce point, faisant volontairement le choix de ne pas mandater l'avocat à ce sujet, ni pour le charger du renouvellement de l'inscription ni même pour obtenir des conseils ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision".

Il convient, d'abord, de relever que la Cour de cassation rappelle, ici, un principe bien établi en vertu duquel la responsabilité de l'avocat s'apprécie au regard de son mandat (2). Il n'est en effet pas douteux que les obligations de l'avocat dépendent, ainsi, de l'étendue du mandat qui lui a été donné (3). Par exemple, il ne peut être reproché à un avocat de ne pas avoir vérifié la situation économique de la société cessionnaire car il n'a pas été chargé d'une mission d'enquête sur ce point (4). Bien que la systématisation des solutions apparaisse difficile dans la mesure où elles sont assez largement dépendantes de circonstances de fait, on peut tout de même penser que l'arrêt de la première chambre civile du 17 juin 2010 se démarque quelque peu de la tendance des magistrats à n'admettre qu'assez restrictivement cette possibilité d'exonération tirée des limites du mandat. Ainsi a-t-il été décidé qu'une société d'avocats ayant reçu la mission de conseiller en droit des sociétés et en gestion du personnel, mais pas expressément en matière fiscale, est néanmoins tenue d'une obligation de conseil sur les incidences juridiques et financières des opérations et modifications que l'entreprise peut envisager : la société d'avocats aurait dû l'avertir des incidences fiscales d'une création de société et la pousser à solliciter un avis technique sur ce point (5).

Ensuite, l'arrêt renseigne sur les méthodes d'interprétation du mandat de l'avocat. En indiquant en effet, pour justifier l'absence de responsabilité de l'avocat en l'espèce, que le client s'était préoccupé de l'existence et de la validité de sa garantie plusieurs mois avant de charger l'avocat de la défense de ses intérêts puisqu'il avait consulté un notaire sur ce point, la solution montre que l'appréciation de l'étendue du mandat de l'avocat peut s'effectuer non seulement, on s'en doute, par une interprétation des termes mêmes du mandat, mais aussi, ce qui mérite d'être remarqué, par un examen des circonstances dans lesquelles ce mandat a été confié à l'avocat. Et ce sont précisément, ici, ces circonstances de fait qui permettaient de considérer que le client avait fait "volontairement le choix de ne pas mandater l'avocat à ce sujet, ni pour le charger du renouvellement de l'inscription ni même pour obtenir des conseils".

Certes, tout cela paraît se tenir. On avouera, cependant, ne pas être totalement convaincu. Est-il, en effet, cohérent et justifié de soutenir que, sous prétexte que le client aura consulté un notaire sur un point particulier de son affaire, l'avocat qui pourrait par la suite être amené à en connaître sera, sur ce point particulier, déchargé de son obligation d'information et de conseil ? Il est, nous semble-t-il, permis d'en douter. Au fond, puisque la jurisprudence décide non seulement que les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat choisi par celui-ci de toute obligation de conseil (6), mais aussi et surtout que le devoir d'information et de conseil subsiste même lorsque le client se fait assister par une personne compétente (7), on a un peu de mal à comprendre que l'avocat se trouve libéré de son obligation au seul motif que le client aurait, auparavant, voire parallèlement, consulté un autre professionnel.

  • L'avocat qui a laissé prescrire l'action et qui a sciemment trompé son client en lui donnant de faux renseignements lui laissant croire que les assignations avaient été délivrées à un moment où il était encore temps d'empêcher le dommage commet une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances (Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-14.884, FS-P+B N° Lexbase : A6725E3H)

Lorsqu'un avocat manque à ses obligations professionnelles, soit qu'il n'ait pas correctement exécuté sa mission, dont l'étendue est déterminée par le mandat qui lui a été confié (8), soit qu'il ait, plus généralement, manqué à son devoir d'information et de conseil, il est naturel qu'il appelle son assureur en garantie des condamnations prononcées à son encontre. Et il n'est, alors, pas rare que l'on discute du point de savoir si la faute imputable à l'avocat s'analyse en une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) qui dispose, dans son deuxième alinéa, que "l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré". Cette qualification, en l'absence de définition légale, n'est pas sans soulever quelques incertitudes, d'autant que la jurisprudence a pu sembler, ces dernières années, fluctuante, paraissant hésiter entre une approche subjective ou une approche objective de la faute intentionnelle. Un récent arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 1er juillet 2010, à paraître au Bulletin, mérite, à ce titre, d'être signalé. Laissant logiquement à d'autres, spécialistes du droit des assurances, le soin d'y revenir, on se limitera, ici, à de rapides observations.

En l'espèce, une SCP d'avocats avait été condamnée à payer une somme d'un certain montant à son client en réparation de sa faute professionnelle consistant dans le fait d'avoir laissé prescrire l'action qui était à sa disposition. Très classiquement, elle avait assigné en garantie son assureur, et reprochait précisément aux juges du fond de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à voir condamner l'assureur à la garantir des condamnations prononcées contre elle dans le cadre du litige l'opposant à son client au motif qu'elle aurait commis une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances. La Cour de cassation rejette, cependant, le pourvoi en faisant valoir que "la SCP ne s'est pas contentée de laisser prescrire l'action par oubli voire par négligence mais a sciemment trompé son client en lui donnant de faux renseignements ; qu'en effet, il résulte de ces échanges de courriers que la SCP a donné de fausses indications à son client en lui laissant croire que les assignations avaient été délivrées et que la procédure était en cours, notamment le 6 mai 2003 alors qu'à cette date, la prescription n'étant pas encore acquise, elle aurait pu empêcher le dommage ; que son dernier courrier enfin dans lequel elle renvoie à son client le dossier tout en mentionnant in fine qu'elle n'a jamais fait délivrer les assignations et ce, sans autre explication, est également révélateur de la conscience qu'elle avait de ses manquements fautifs ; que la prescription de l'action est intervenue du fait du comportement de l'avocat et de ses déclarations mensongères". Elle en déduit finalement que "par ces constatations et énonciations faisant ressortir que la SCP avait l'intention de causer le dommage tel qu'il est survenu, la cour d'appel a légalement justifié sa décision".

L'arrêt, en dehors du fait qu'il confirme que l'appréciation de la faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances, un temps abandonnée aux juges du fond comme relevant de leur pouvoir souverain (9), fait bien l'objet d'un contrôle de la Cour de cassation (10), intéresse essentiellement les critères de qualification de ladite faute. La question a paru faire l'objet d'hésitations, d'autant que deux approches peuvent être envisagées. La première, classique, que l'on pourrait qualifier de subjective, veut que l'exclusion légale ne vise que la situation dans laquelle l'assuré a, d'une part, commis une faute volontaire et, d'autre part, cherché à provoquer le dommage tel qu'il est effectivement survenu. Elle réduit, naturellement, considérablement la portée de la notion, car il est assez peu fréquent de rencontrer, en pratique, ce cumul des critères. La seconde conception, que l'on pourrait, elle, qualifier d'objective, élargit le domaine utile de l'exclusion en se contentant du premier élément, la faute volontaire. Il suffit alors de montrer que le dommage en constitue une conséquence inéluctable, l'aléa ayant objectivement été supprimé par l'assuré. Or, la jurisprudence a semblé, ces dernières années, balancé entre ces deux approches. Alors que certains arrêts subordonnent en effet clairement l'exclusion à la constatation, dûment motivée par le juge du fond, à la fois de la faute volontaire et de la recherche du dommage tel qu'il est survenu (11), d'autres ont rejeté le pourvoi des victimes et des assurés en admettant que la faute soit qualifiée d'intentionnelle alors même qu'il était évident que l'assuré, s'il avait indubitablement commis une faute volontaire, n'avait pour autant pas agi dans le but même de cause le dommage (12).

Récemment encore, on trouvait dans l'examen de la jurisprudence la trace de ces deux courants : ainsi, un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 octobre 2008 et un autre de la deuxième chambre civile en date du 16 octobre 2008 semblaient s'inscrire dans le second (13). En effet, dans un cas comme dans l'autre, les juges du fond avaient certes relevé le caractère volontaire de la faute de l'assuré, celui-ci s'étant "volontairement abstenu d'exécuter les travaux conformément aux prévisions contractuelles" et avait "délibérément violé par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles" ou avait "volontairement présenté de façon erronée et tardive le plan de continuation émané de la société en redressement judiciaire". Mais, dans les deux affaires, rien ne faisait nettement apparaître que de tels actes avaient eu pour finalité de provoquer le dommage tel qu'il est effectivement survenu. Au contraire, un arrêt de la deuxième chambre civile en date du 9 avril 2009 indiquait explicitement que la faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances "implique la volonté de son auteur de créer le dommage tel qu'il est survenu" (14).

Dans cette saga, l'arrêt du 1er juillet 2010 paraît, formellement en tout cas, relever de la conception subjective de la faute intentionnelle : selon la Cour de cassation, le fait d'avoir sciemment trompé son client en lui faisant croire que des diligences avaient été accomplies alors qu'il était encore temps d'agir avant que la prescription ne soit acquise révélait son "intention de causer le dommage tel qu'il est survenu". Mais, au-delà des termes employés, qui renvoient effectivement certainement à une approche subjective de la faute intentionnelle, la solution n'est pas sans susciter quelques doutes, notamment lorsqu'on la compare à d'autres qui, à partir de circonstances de fait qui peuvent être comparées, la qualification de faute intentionnelle a pu être retenue sans pour autant que soit relevée l'intention de causer le dommage (15). Aux spécialistes de la matière de nous dire ce qu'il en est exactement de la place respective des conceptions subjective et objective dans la qualification de la faute intentionnelle...


(1) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 87-16.530 (N° Lexbase : A8992AAB), Bull. civ. I, n° 17.
(2) Voir encore, récemment, CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 20 octobre 2009, n° 07/15062 (N° Lexbase : A9417EMQ), jugeant que "la faute consistant en un manquement au devoir de conseil et d'information ne peut s'apprécier qu'au regard du mandat". En l'espèce, des propriétaires et usufruitiers de vignes, endettés dans une exploitation familiale, avaient chargé un avocat fiscaliste, de procéder à une restructuration financière de leur groupe. Ce dernier leur a conseillé, après avoir poursuivi des démarches auprès de l'administration fiscale, afin de s'assurer de la validité du projet, de procéder à une cession temporaire de l'usufruit leur permettant, à terme, de maintenir l'unité d'exploitation du patrimoine familial, de retrouver, ainsi, sans frais l'usufruit cédé, et de disposer d'un capital important. Mais, à la suite de cette opération de restructuration, les exploitants ont subi, en contrepartie d'un gain effectif, une très importante imposition. Ils ont, alors, recherché, devant le tribunal de grande instance, la responsabilité professionnelle du spécialiste, en raison de son manquement à son devoir de conseil et à son obligation de résultat du fait de son erreur d'appréciation dans la préparation de la restructuration ayant entraîné l'imposition litigieuse, alors que, selon eux, une solution plus intéressante financièrement existait. Les magistrats parisiens, pour écarter la responsabilité de l'avocat, ont considéré que sa mission, telle qu'elle ressortait du mandat qui lui avait été confié, ne consistait nullement dans la recherche d'un système évitant toute imposition du remboursement de la dette fiscale.
(3) CA Paris, 15 décembre 1998, Gaz. Pal., 1999, 2, Somm. p. 30.
(4) CA Paris, 20 février 1996, n° 95-8577 (N° Lexbase : A7529EPK).
(5) CA Rennes, 28 avril 1998, n° 9705252 (N° Lexbase : A7530EPL).
(6) Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-18.775 (N° Lexbase : A2743ATR), Bull. civ. I, n° 15.
(7) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132, jugeant que la présence d'un avoué dans la procédure d'appel ne dispense pas l'avocat de son devoir de conseil.
(8) Voir, supra, nos obs. sous Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697 : "la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat ad litem qui lui a été confié".
(9) Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 98-10.744 (N° Lexbase : A9064AGS), RGDA, 2000, p. 1055, note J. Kullmann ; adde H. Groutel, L'appréciation de l'aléa et de la faute intentionnelle dans le contrat d'assurance, Resp. civ. et assur., 2000, chr. n° 24 ; Rapp. C. Cass., 2000, Doc. fr.,., 2001, p. 40.
(10) Voir, déjà, not., Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 01-03.494 (N° Lexbase : A8232DBI), RGDA, 2004, p. 370, note J. Kullmann ; Cass. civ. 2, 23 septembre 2004, n° 03-14.389 (N° Lexbase : A4225DDT), Resp. civ. et assur., 2004, comm. 389, note H. Groutel.
(11) Voir, not., Cass. civ. 2, 20 mars 2008, n° 07-10.499 (N° Lexbase : A4819D7M), RGDA, 2008, p. 326, note J. Kullmann.
(12) Cass. civ. 2, 22 septembre 2005, n° 04-17.232 (N° Lexbase : A5241DKC), RGDA, 2005, p. 907, note J. Kullmann ; Resp. civ. et assur., 2005, comm. 370, note H. Groutel ; Cass. civ. 2, 9 novembre 2005, n° 04-11.856 (N° Lexbase : A5138DLU), RGDA, 2006, p. 632, note J. Kullmann ; Cass. civ. 3, 29 janvier 2008, n° 07-10.747 (N° Lexbase : A6099D4N), RGDA, 2008, p. 378, note J.-P. Karila et C. Charbonneau.
(13) Cass. civ. 3, 7 octobre 2008, n° 07-17.969 (N° Lexbase : A7234EA8) et Cass. civ. 2, 16 octobre 2008, n° 07-14.373 (N° Lexbase : A8012EAY).
(14) Cass. civ. 2, 9 avril 2009, n° 08-15.867 (N° Lexbase : A5032EGH).
(15) Cass. civ. 3, 7 octobre 2008, n° 07-17.969, préc. et Cass. civ. 2, 16 octobre 2008, n° 07-14.373, préc..

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Fiscalité du patrimoine

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - Septembre 2010

Lecture: 9 min

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualités en fiscalité du patrimoine, réalisée par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris. Au tout premier plan de cette chronique, l'auteur revient sur la question de la déductibilité de l'IR d'une indemnité de remboursement anticipé dans le cadre d'un emprunt substitutif, avec un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 5 juillet 2010 (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 301044, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Toujours en matière de déductibilité de l'IR, un arrêt rendu le 7 juillet 2010 par la Haute juridiction administrative rappelle le principe de non-déductibilité des pertes en capital (CE 9° et 10° s-s-r., 7 juillet 2010, n° 318936, mentionné dans les tables du recueil Lebon). A l'honneur, également, un arrêt, en date du 5 juillet 2010, qui apporte des précisions relatives au régime d'investissement locatif "Périssol". Enfin, l'auteur relève les précisions de la doctrine administrative à propos des neveux ou nièces venant à la succession de leur oncle ou tante (QE n° 78724 de M. Grall, réponse publiée au JOAN du 3 août 2010, p. 8576).
  • Revenus fonciers : déduction de l'indemnité de remboursement anticipé d'un emprunt auquel est substitué un emprunt à un taux inférieur (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 301044, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1293E4N)

Le Conseil d'Etat confirme la solution récente, qui avait mis un terme aux hésitations des tribunaux, selon laquelle est déductible la somme versée au titre du remboursement anticipé d'un emprunt souscrit initialement auquel se substitue un nouvel emprunt. En effet, une telle opération a incontestablement pour objet la conservation du revenu au sens de l'article 13 du CGI (N° Lexbase : L1050HLH).

1. L'indemnité de remboursement anticipé d'un emprunt ne correspond pas à la catégorie "intérêts d'emprunts" au sens de l'article 31, I-1°d du CGI (N° Lexbase : L3907IAX)....

Le juge admet que puissent être déduits les intérêts d'un emprunt à un taux inférieur, emprunt qui vient se substituer à celui initialement souscrit pour l'acquisition d'un immeuble destiné à la location (CE, 18 mars 1987, n° 43680 N° Lexbase : A2410APX). En effet, même s'il est indirect, il y a un lien entre la souscription de l'emprunt substitutif et l'immeuble productif de revenus fonciers. Cependant, s'agissant de l'indemnité de remboursement, ce lien est "très distendu" puisqu'il faudrait admettre, pour la déduire au titre des intérêts d'emprunt que cette catégorie peut viser une somme versée ayant pour objet de diminuer, pour le futur, la charge d'intérêts. De surcroît, il est loisible de considérer que cette indemnité de remboursement constitue en réalité une réparation du préjudice subi par l'établissement prêteur et n'est donc pas liée aux frais d'acquisition de l'immeuble productif de revenus. Ce qui a été jugé en 2007 par les juges du Palais-Royal (CE 3° et 8° s-s-r., 5 octobre 2007, n° 281658, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon N° Lexbase : A6684DY9).

2.... Mais elle doit être considérée comme une dépense en vue de l'acquisition du revenu au sens de l'article 13 du CGI

L'article 13 du CGI permet la déduction des dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu. Cette disposition, générale, est applicable dès lors que, pour chaque catégorie de revenus, la dépense concernée n'est pas exclue par le texte spécifique concernant les revenus en cause. Or, dans la mesure où l'indemnité de résiliation versée n'accroît pas la valeur de l'immeuble, auquel cas elle ne serait pas déductible, mais permet de conserver la source de revenus, sa déduction est autorisé sur le fondement de l'article 13 du CGI (CE, 5 juillet 2010, n° 301044). Cette décision confirme la position adoptée en 2007 (CE, 5 octobre 2007, n° 281658, précité).

  • IR : non-déductibilité des pertes en capital (CE 9° et 10° s-s-r., 7 juillet 2010, n° 318936, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1353E4U)

L'obligation, pour l'associé d'une SCI, de rembourser, à hauteur de sa participation, un prêt consenti à la société constitue une perte en capital, non déductible de l'impôt sur le revenu.

1. Principe de non-déduction des pertes en capital

Au motif qu'elle ne constitue pas une dépense engagée en vue de l'acquisition ou la conservation d'un revenu, une perte en capital n'est pas déductible des revenus de celui qui la subit. En effet, les charges déductibles sont celles qui sont inhérentes à l'emploi ou à l'exploitation sociale et ont donc un caractère contraignant. Ainsi, par exemple, une perte de change sur la part des annuités affectée à l'amortissement du capital d'un emprunt contracté à l'étranger n'est pas une charge déductible (CE, 15 décembre 1933, n° 99479, recueil Dupont 1934, DA 5-B 2431, n° 13). De même, l'abandon de son compte courant par un ancien dirigeant s'analyse en une perte en capital (CAA Nantes, 1ère ch., 2 mai 1996, n° 93NT01099 N° Lexbase : A9718BGZ). On remarquera que, si l'appauvrissement du dirigeant ne donne lieu à aucune déduction, l'enrichissement correspondant pour la société, qui voie sa dette disparaître, est imposable. Au cas particulier de l'affaire examinée par le Conseil d'Etat, une personne détenait 10 % des parts d'une SCI dont l'objet était la construction d'un immeuble. La société avait contracté un prêt qu'elle avait cessé de rembourser. Sur le fondement de l'article 1857 du Code civil (N° Lexbase : L2054ABP), selon lequel "à l'égard des tiers les associés d'une société civile répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital à la date de leur exigibilité", le prêteur avait obtenu une décision judiciaire en sa faveur. Selon cette décision, l'associé devait s'acquitter de 10 % du capital restant dû. Ayant demandé la déduction de la somme correspondante sur le fondement de l'article 13 du CGI, selon lequel le revenu imposable est constitué par excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu, le contribuable s'était vu opposer un refus. Refus justifié pour le Conseil d'Etat qui, constatant que les parts de SCI détenues par le contribuable ne constituaient pas un actif affecté à une activité professionnelle mais un élément de son patrimoine privé, confirme que le versement effectué représentait une perte en capital, dont aucune disposition n'autorise la déduction.

2. Exceptions au principe

Les rares exceptions à ce principe concernent essentiellement les versements effectués en exécution d'engagements de caution. Ainsi, s'appuyant sur les articles 83, 3° (N° Lexbase : L0093IKN) et 13, 1° du CGI, le juge accepte la déduction, dans la catégorie des traitements et salaires, des sommes versées par un dirigeant salarié en exécution d'un engagement de caution souscrit au profit de la société dans laquelle il exerce son activité (CE 22 décembre 1989, n° 56905 N° Lexbase : A0669AQT). En revanche, la déduction des mêmes sommes n'est pas accordée lorsque le versement d'une caution est opéré par une personne qui est simple administrateur ou associé d'une société, sans y exercer d'activité salariée. Les exceptions concernent donc bien les seuls cas où le demandeur exécute un engagement lié à la perception d'un revenu.

  • Enregistrement : neveux ou nièces venant à la succession de leur oncle ou tante (QE n° 78724 de M. Grall, réponse publiée au JOAN du 3 août 2010, p. 8576 [LXB=L0163IND])

L'administration vient de confirmer que le ou les neveux ou nièces qui viennent à la succession de leur oncle ou tante à raison de prédécès de leur auteur, seul frère ou soeur du défunt, viennent de leur propre chef et non par représentation. Ils ne peuvent donc bénéficier de l'abattement et du tarif de leur auteur, soit celui en frères et soeurs. Elle refuse ainsi toute mesure de tolérance, comme celle qu'elle accorde aux petits-enfants, soit en ligne directe.

1. La représentation nécessite une pluralité de souches

L'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2006 (loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 N° Lexbase : L9270HTI) a modifié le IV de l'article 779 du CGI (N° Lexbase : L0154IKW) afin que les représentants d'un renonçant ou d'un prédécédé en ligne collatérale bénéficient de l'abattement personnel qui aurait pu être revendiqué par leur auteur. Ainsi, depuis le 1er janvier 2007, les neveux ou nièces venant à la succession de leur oncle ou de leur tante par représentation de leur auteur bénéficient désormais, en se le partageant, de cet abattement, dont le montant, actualisé chaque année, s'établit à 15 697 euros en 2010. S'agissant du tarif des droits de succession applicable, l'article 82 de la loi de finances pour 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 N° Lexbase : L3783IC4) a modifié l'article 777 du CGI (N° Lexbase : L0155IKX) afin d'appliquer aux neveux et nièces venant à la succession par représentation de leur auteur prédécédé le tarif applicable à ce dernier.

Cependant, ces dispositions ne s'appliquent que pour autant qu'il existe, au jour du décès, une pluralité de souches "actives". En effet, aux termes de l'article 752-2 du Code civil (N° Lexbase : L3476AWN) "En ligne collatérale, la représentation est admise en faveur des enfants et descendants de frères ou soeurs du défunt, soit qu'ils viennent à sa succession concurremment avec des oncles ou tantes, soit que tous les frères et soeurs du défunt étant prédécédés, la succession se trouve dévolue à leurs descendants en degrés égaux ou inégaux". La représentation est donc une institution légale en vertu de laquelle certains successibles descendant d'une même souche et en concours avec des successibles d'autres souches, exercent les droits qu'aurait eu dans la succession ouverte leur ascendant prédécédé s'il avait survécu au défunt. La représentation est donc limitée par l'existence d'une pluralité de souches : "l'extension du domaine de la représentation est cependant limitée par la nécessité d'une pluralité de souches, inhérente au mécanisme analysé" (F. Terré et Y. Lequette, Les successions, Les libéralités, Dalloz 3ème éd., n° 87, p. 83). L'analyse est identique lorsque l'une des souches est éteinte, faute de descendants : dans cette hypothèse, le neveu ou la nièce vient également de son propre chef.

2. L'absence d'exception

Confirmant l'analyse civile, le ministre de l'Economie a précisé, dans une réponse récente (QE n° 54899 de Jean-Jacques Candelier, réponse publiée au JOAN du 26 janvier 2010, p. 846 N° Lexbase : L0161INB), que le mécanisme de la représentation est une fiction de la loi, prévue par le Code civil, dont l'objectif est d'assurer l'égalité entre les souches en permettant aux descendants d'un auteur prédécédé de venir à la succession à sa place, en concours avec les autres héritiers. Dès lors, ce mécanisme ne peut être invoqué en présence d'une seule souche. Par suite, lorsque des neveux ou nièces viennent à la succession d'un oncle ou d'une tante à raison du prédécès de leur auteur seul frère ou soeur du défunt, ils doivent être considérés comme venants de leur chef. A ce titre, ils ne peuvent bénéficier que de leur abattement personnel, soit 7 849 euros. Le surplus imposable est taxé au taux de 55 %. Cette réponse vient d'être réitérée en précisant que la différence de traitement des neveux ou nièces, selon qu'il existe au jour du décès de leur ou tante une ou plusieurs souches n'est pas une discrimination d'origine fiscale. Selon l'administration, cette différence de traitement ne résulte que de la loi civile. Force est donc de constater que l'administration est moins "bienveillante" envers les successions en ligne collatérale qu'à l'égard des successions en ligne directe. En effet, alors que sur le plan civil, un petit-enfant qui vient à la succession de son grand-père par suite du décès de son père, fils unique du défunt, est considéré comme venant également de son propre chef, et ne devrait donc bénéficier que de l'abattement résiduel de 1 570 euros, elle admet qu'il puisse bénéficier de l'abattement de son auteur bien qu'il ne vienne pas par représentation, soit celui de 156 974 euros (QE n° 49368, de Eric Ciotti, réponse publiée au JOAN du 20 juillet 2010, p. 8131 N° Lexbase : L0160INA ; QE n° 54898 de Annick Le Loch, réponse publiée au JOAN du 23 février 2010, p. 2035 N° Lexbase : L0165ING). Autrement dit, le civil "tient le fiscal" quand l'administration le veut bien !

  • Revenus fonciers : régime d'investissement locatif "Périssol" (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 307102, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1303E4Z)

Même si cette réserve de jouissance est temporaire, l'associé d'une SCI qui en bénéficie ne peut revendiquer l'amortissement "Périssol" au titre de l'immeuble détenu par la société.

1. L'amortissement Périssol...

Réservé aux investissements réalisés entre le 1er janvier 1996 et le 31 août 1999, ce dispositif permettait aux acquéreurs de logements neufs qui s'engageaient à les louer pendant neuf ans de déduire de leurs revenus fonciers jusqu'à 80 % de leur investissement. Les immeubles éligibles à cet amortissement pouvaient être détenus par une société non soumise à l'IS.

2.... ne peut être revendiqué lorsque l'associé se réserve temporairement la jouissance du bien

Si la loi ne pose aucune condition quant à la qualité du locataire qui peut être une personne physique ou morale, ou quant à l'affectation, résidence principale ou secondaire, il est impératif que la location soit effective pendant la période de neuf ans, ce qui exclut toute affectation à des locations saisonnières ou l'hypothèse dans laquelle le propriétaire ou l'associé de la société qui détient l'immeuble s'en réserve la jouissance temporaire (DA 5 D 2226, n° 24 du 10 mars 1999). Au cas particulier de l'affaire examinée par le Conseil d'Etat dans le cadre d'un pourvoi en cassation, une SCI avait donné à bail à une autre SCI l'immeuble qu'elle avait fait construire. Les associés de la première SCI qui détenaient également 48 % de parts de la société locataire s'étaient réservés temporairement la jouissance de l'immeuble pour lequel l'amortissement "Périssol" avait été pratiqué. Selon le juge, c'est à bon droit que la cour administrative d'appel avait validé la remise en cause de ce régime de faveur.

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Communautaire

[Jurisprudence] La question prioritaire de constitutionnalité et le droit de l'Union européenne : priorité ou simultanéité ?

Réf. : CJUE, 22 juin 2010, aff. jointes C-188/10, Aziz Melki et C-189/10, Sélim Abdeli (N° Lexbase : A1918E3G)

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Une banale affaire de contrôle de police à proximité de la frontière belge a constitué, pour la Cour de cassation française, le prétexte permettant d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne sur la compatibilité de la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité avec le droit de l'Union européenne (1). L'on se souvient que, selon le nouvel article 61-1 de la Constitution française (N° Lexbase : L5160IBQ), "lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé". Selon l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), tel qu'il résulte de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS), une juridiction administrative ou une juridiction judiciaire, lorsqu'elle "est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, [doit] se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation". Cette disposition a ainsi donné son qualificatif "prioritaire" au mécanisme de question préjudicielle en inconstitutionnalité instauré par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République [LXB=L7298IAK)]). Cette priorité a été instaurée pour permettre à ce nouveau contrôle de constitutionnalité a posteriori de prendre le pas sur l'exception d'inconventionnalité que pratiquent désormais aussi bien les juridictions judiciaires que les juridictions administratives. L'on peut comprendre l'agacement des juridictions "ordinaires" (i.e. non constitutionnelles) à l'égard de ce dispositif. Certes, elles ne sont pas privées du pouvoir qu'elles détiennent, sur le fondement de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R), de contrôler la loi au regard des traités internationaux conclus par la France, mais ce pouvoir n'est plus que subsidiaire par rapport au contrôle de constitutionnalité de la loi qu'elles ont, par ailleurs, le pouvoir de déclencher sous le contrôle de leur juridiction suprême respective, mais qui reste un monopole du Conseil constitutionnel. L'on soulignera, également, que la bonne administration de la justice ne trouve peut-être pas totalement son compte à cette priorité du contrôle de constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité.

Avant l'entrée en vigueur de la loi organique n° 2009-1523, il était possible d'obtenir de toute juridiction française qu'elle écarte immédiatement une loi en raison de son incompatibilité avec un traité international. Cette possibilité demeure, mais à condition de ne pas simultanément soulever un moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi. Dans le cas contraire, la juridiction est tenue d'examiner prioritairement le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi et de saisir sa juridiction suprême qui, elle-même, décidera s'il y a lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. Cette situation sera évidemment la plus fréquente car tout avocat s'efforce de soulever le plus possible de moyens pertinents afin de maximiser ses chances de gagner sa cause. Dès lors, alors qu'il était possible d'obtenir immédiatement la non-application d'une loi contraire à un traité international, il sera désormais indispensable que le juge saisi du litige surseoit à statuer, que la juridiction suprême se prononce, et que le Conseil constitutionnel statue sur la constitutionnalité de la loi. Une telle réforme ne va pas nécessairement dans le sens de la célérité de la justice, et de la réduction des coûts de la justice pour les citoyens et l'Etat lui-même. C'est donc essentiellement la volonté politique de mettre la Constitution au centre du système juridique et au sommet de l'ordre juridique qui peut justifier le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité sur le contrôle de conventionnalité.

L'on rappellera, enfin, que le projet de loi organique déposé précisait que la question n'était prioritaire que sous réserve des exigences de l'article 88-1 de la Constitution (N° Lexbase : L1350A9U), selon lequel "la République participe à l'Union européenne constituée d'Etats qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du Traité sur l'Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du Traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007". C'est dire qu'il pouvait y avoir un doute quant à la compatibilité de ce caractère prioritaire du contrôle de constitutionnalité au regard du droit de l'Union européenne. La Cour de cassation, en interrogeant la Cour de justice, lui a, ainsi, rapidement permis de clarifier le débat et de "sécuriser" elle-même la question prioritaire de constitutionnalité.

Dans l'affaire dont était saisie la Cour de justice, deux ressortissants algériens avaient fait l'objet, sur le fondement de l'article 78-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2006IEZ), d'un contrôle de police dans la zone comprise entre la frontière terrestre franco-belge et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà de cette frontière. En situation irrégulière, ils avaient alors fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière et d'une décision de rétention. A l'occasion de la contestation de la prolongation de la cette dernière décision devant le juge des libertés, ils ont soulevé l'inconstitutionnalité de l'article 78-2 du Code de procédure pénale. Ils considéraient, en effet, que les traités constitutifs de l'Union (TUE et TFUE) disposaient d'une valeur constitutionnelle sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution française. Or, l'article 67 TFUE prohibe les contrôles aux frontières intérieures de l'Union. L'on notera que ce raisonnement tendant à conférer valeur constitutionnelle aux traités grâce à l'article 88-1 est évidemment dépourvu de pertinence, tant au regard du droit de l'Union européenne que du droit constitutionnel français. L'autonomie du droit de l'Union européenne empêche son assimilation au droit national, fut-il constitutionnel ; en outre, en vertu du principe de la primauté, le droit de l'Union européenne s'impose à toutes les normes nationales, fussent-elles constitutionnelles.

Quelques jours plus tard, après la décision de la Cour de cassation qui a procédé au renvoi à la Cour de justice, le Conseil de constitutionnel a pris la peine de confirmer sa jurisprudence "IVG" (2) en rappelant qu'il ne lui appartient pas, "saisi en application de l'article 61 (N° Lexbase : L1327A9Z) ou de l'article 61-1 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu'ainsi, nonobstant la mention dans la Constitution du Traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas de contrôler la compatibilité d'une loi avec les stipulations de ce Traité" (3).

Quel que soit le caractère "erroné" de sa prémisse (4), la Cour de cassation a profité de cette opportunité pour interroger la Cour de justice sur la compatibilité du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité avec le droit de l'Union et sur la compatibilité de l'article 78-2 du Code de procédure pénale avec l'article 67 TFUE et l'acquis de Schengen. Pour répondre à ces questions, la Cour de justice a du appliquer le dernier alinéa de l'article 267 TFUE , selon lequel, si une question préjudicielle "est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais". Tel fut bien le cas, puisque la Cour de justice a statué dans un délai d'à peine plus de deux mois.

Dans sa décision, la Cour de justice constate l'incompatibilité de l'article 78-2 du Code de procédure pénale avec le droit de l'Union européenne. Pour le reste, elle ne remet pas en cause le mécanisme même de la question prioritaire de constitutionnalité, mais y apporte d'importantes réserves. La question préjudicielle en inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel ne saurait avoir une quelconque priorité sur le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union (I). Toutefois, l'examen du moyen d'inconstitutionnalité par le juge ordinaire peut avoir un caractère prioritaire au regard du moyen tiré de l'incompatibilité avec le droit de l'Union (II).

I - L'absence de priorité de la question préjudicielle en inconstitutionnalité sur le renvoi préjudiciel de l'article 267 TFUE

Cette absence de priorité vaut de manière générale (A). La Cour de justice a même estimé que, dans les hypothèses où était en cause une législation nationale de transposition d'une Directive européenne, c'était le renvoi préjudiciel en appréciation de validité de la Directive qui revêtait un caractère "préalable" (B).

A - Le principe d'absence de priorité de la question prioritaire de constitutionnalité

Lorsque se pose un problème de constitutionnalité d'une loi devant une juridiction ordinaire, une question relative à sa compatibilité avec le droit de l'Union européenne peut, également, être soulevée. En corollaire de cette seconde question apparaît, bien souvent, une difficulté liée à l'interprétation du droit de l'Union. Dès lors, les juridictions ordinaires qui ne statuent pas en dernier ressort ont, en vertu de l'article 267 TFUE, la faculté de saisir la Cour de justice alors que les juridictions suprêmes sont logiquement soumis à une obligation. Par ailleurs, peut se poser une question d'appréciation de validité de ce même droit de l'Union, étant entendu que cette appréciation ne saurait évidemment concerner les Traités qui constituent le droit originaire.

Dans l'arrêt "Melki", la Cour de justice estime très clairement que toutes les juridictions nationales doivent pouvoir saisir à tout moment de la procédure la Cour de justice d'un renvoi préjudiciel. L'existence d'une procédure nationale telle qu'un contrôle de constitutionnalité par voie préjudicielle est sans aucune incidence sur la faculté, ou l'obligation, qu'ont les juridictions nationales de saisir la Cour de justice. Les juridictions nationales peuvent donc saisir la Cour de justice avant, simultanément, ou après avoir saisi le Conseil constitutionnel (point n° 53). Tout autre solution porterait atteinte à l'efficacité du renvoi préjudiciel de l'article 267 TFUE et au droit de l'Union lui-même. L'on soulignera que le Conseil d'Etat avait très largement désamorcé la difficulté en jugeant le 14 mai 2010 qu'en toute hypothèse, "le juge administratif dispose de la possibilité de poser à tout instant, dès qu'il y a lieu de procéder à un tel renvoi, en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne" (5). Conformément au principe de la primauté du droit de l'Union, il avait, d'ores et déjà, donné une interprétation conforme de la loi organique n° 2009-1523 au regard de l'article 267 TFUE.

En pratique, il résulte de cette solution que les juridictions auront tout intérêt à procéder aux deux renvois préjudiciels simultanément. La réponse du Conseil constitutionnel parviendra, en général, avant celle de la Cour de justice. En effet, le Conseil est tenu, en vertu de la loi organique n° 2009-1523, de statuer dans un délai de trois mois, contre généralement dix-huit mois pour la Cour de justice. La seule exception sera dans les situations où il y a, comme dans l'affaire "Melki", matière à appliquer le dernier alinéa de l'article 267 TFUE. Il est évident que, si la juridiction nationale a négligé de saisir la Cour de justice, elle pourra le faire sans aucune difficulté après la décision du Conseil constitutionnel statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité. En revanche, la juridiction nationale n'a guère intérêt à saisir la Cour de justice avant le Conseil constitutionnel puisqu'elle reste tenue de statuer sur le moyen de constitutionnalité avant de statuer sur le moyen tiré de la primauté du droit de l'Union (cf. infra II). Le schéma reste, toutefois, un peu différent dans les situations où se trouve en cause une loi nationale de transposition d'une Directive.

B - Le caractère préalable du renvoi préjudiciel en appréciation de validité dans le contentieux des lois nationales de transposition des Directives

Dans l'arrêt "Melki", la Cour de justice évoque spécifiquement l'hypothèse dans laquelle est mise en cause la constitutionnalité d'une loi de transposition d'une Directive. En effet, dès lors que la loi nationale transpose correctement la Directive, la contestation de la constitutionnalité de la loi revient indirectement à contester la constitutionnalité de la Directive, du moins si le législateur ne disposait pas de marge d'appréciation. Dans le contexte français, le problème était d'autant plus délicat que le Conseil constitutionnel avait jugé qu'il ne lui appartenait pas de saisir la Cour de justice d'une quelconque question préjudicielle (6).

Dans la mesure où la jurisprudence "Foto-Frost" (7) impose à toute juridiction nationale de procéder à un renvoi préjudiciel en appréciation de validité à la Cour de justice dès que se pose la question de la validité d'un acte de droit dérivé, la Cour de justice estime, fort logiquement, que "le caractère prioritaire d'une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité d'une loi nationale dont le contenu se limite à transposer les dispositions impératives d'une Directive de l'Union ne saurait porter atteinte à la compétence de la seule Cour de justice de constater l'invalidité d'un acte de l'Union, et notamment d'une Directive, compétence ayant pour objet de garantir la sécurité juridique en assurant l'application uniforme du droit de l'Union" (point n° 54). En effet, la Cour de justice rappelle logiquement que "la question de savoir si la Directive est valide revêt, eu égard à l'obligation de transposition de celle-ci, un caractère préalable" (point n° 56). Si la Directive n'est pas valide, la question de la constitutionnalité de la loi nationale de transposition ne se pose plus.

La solution adoptée par le Conseil d'Etat dans l'arrêt "Arcélor" (8) pourra donc être étendue aux hypothèses dans lesquelles est contestée de manière incidente la constitutionnalité de la loi de transposition. Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat a très clairement jugé que, lorsqu'était en cause la constitutionnalité d'un acte réglementaire pris pour la transposition d'une Directive, "il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué [...] dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la Directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire [...] il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne [devenu article 267 TFUE] [...] en revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées". L'on rappellera qu'avec l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, les droits fondamentaux sont, au niveau de l'Union européenne, désormais principalement protégés par la Charte des droits fondamentaux.

Dans la mesure où cette Charte est probablement aussi complète que le bloc de constitutionnalité français, les hypothèses dans lesquelles le Conseil d'Etat ne procédera pas au renvoi préjudiciel en appréciation de validité seront, en pratique, assez rares. Si tel était le cas, il resterait au Conseil constitutionnel à décider s'il transpose à l'article 61-1 sa jurisprudence élaborée dans le cadre de l'article 61 au sujet du contrôle de la constitutionnalité des lois de transposition. En effet, il refuse, en principe, de contrôler une telle loi sauf s'il y a atteinte à une règle ou à un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France (9). Reste à savoir si la Cour de cassation fera sienne le raisonnement "Arcélor".

Quoi qu'il en soit, dans cette situation, c'est le renvoi préjudiciel en appréciation de validité qui est prioritaire sur la question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors, le moyen d'inconstitutionnalité devient sans objet et perd donc indirectement son caractère prioritaire. Toutefois, hormis cette hypothèse, l'absence de priorité de la question prioritaire de constitutionnalité sur le renvoi préjudiciel de l'article 267 TFUE n'empêche pas au moyen d'inconstitutionnalité de conserver sa priorité sur le moyen tiré de l'incompatibilité avec le droit de l'Union.

II - La priorité sauvegardée du moyen d'inconstitutionnalité sur le moyen tiré de l'incompatibilité avec le droit de l'Union

La Cour de justice estime qu'il peut y avoir, sans violation des principes du droit de l'Union, un examen prioritaire par la juridiction ordinaire des moyens d'inconstitutionnalité de la loi (A). Elle y apporte, toutefois, une réserve et une précision (B).

A - La priorité du moyen d'inconstitutionnalité

S'il pouvait y avoir un doute sur la compatibilité de la question prioritaire de constitutionnalité au regard du principe de la primauté du droit de l'Union, c'est en raison de la jurisprudence "Simmenthal" (10) de la Cour de justice. Dans cet arrêt la Cour de justice avait dit pour droit que "le juge national chargé d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l'obligation d'assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il y ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel" (point n° 24). Dans l'arrêt "Melki", la Cour de justice reprend ce raisonnement (point n° 43), mais elle précise qu'il n'y aurait atteinte à l'immédiateté de la primauté du droit de l'Union que "si, dans l'hypothèse d'une contrariété entre une disposition du droit de l'Union et une loi nationale, la solution de ce conflit était réservée à une autorité autre que le juge appelé à assurer l'application du droit de l'Union, investie d'un pouvoir d'appréciation propre, même si l'obstacle en résultant, ainsi, pour la pleine efficacité de ce droit n'était que temporaire" (point n° 44). En effet, dans l'affaire "Simmenthal", le problème était sensiblement différent de celui de la QPC. La Cour constitutionnelle italienne avait jugé qu'une loi contraire au droit communautaire était, également, contraire à la Constitution dans la mesure où, dans l'ordre juridique italien, cette primauté était reconnue sur son fondement. Aussi, dès que se posait une question de primauté du droit communautaire sur la loi devant une juridiction ordinaire, il s'agissait d'une question de constitutionnalité que seule la Cour constitutionnelle pouvait trancher grâce à une procédure préjudicielle en inconstitutionnalité.

La Cour de justice a fait preuve, dans l'arrêt "Melki", d'une certaine modération. Une interprétation stricte de la jurisprudence "Simmenthal" aurait pu la conduire à condamner la question prioritaire de constitutionnalité. Toutefois, une telle solution aurait eu des conséquences importantes sur tous les systèmes constitutionnels des Etats membres dans lesquels existe un mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois par voie préjudicielle. En effet, cela aurait conduit à contraindre les juridictions nationales, y compris dans les hypothèses dans lesquelles la question de constitutionnalité n'est pas juridiquement prioritaire, à toujours examiner la question de la primauté du droit de l'Union avant la question de la constitutionnalité de la loi. Autrement dit, condamner la question prioritaire de constitutionnalité revenait inéluctablement à imposer la priorité du principe de primauté sur le principe de constitutionnalité. Stratégiquement, ce n'était guère souhaitable et pratiquement ce n'était guère utile. La Cour a, toutefois, apporté une précision et une réserve à cette compatibilité de la question prioritaire de constitutionnalité avec les principes du droit de l'Union.

B - Une précision et une réserve

La Cour de justice précise, d'abord, qu'en dépit du caractère prioritaire de la question prioritaire de constitutionnalité, le juge national doit toujours avoir la possibilité "de laisser inappliquée, à l'issue d'une telle procédure incidente, ladite disposition législative nationale s'il la juge contraire au droit de l'Union" (point n° 53). Si loi est déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, le moyen tiré de la primauté du droit de l'Union sera devenu sans objet. En revanche, s'il la déclare constitutionnelle, elle peut être contraire au droit de l'Union et le juge national doit la laisser inappliquée. Toute autre solution serait évidemment une violation du principe de la primauté du droit de l'Union. Comme l'a souligné F. Donnat (supra), "le mécanisme de la QPC ne réduit pas les prérogatives dont jouissent les juges administratifs et judiciaires en tant que juges du droit de l'Union, mais ne fait, au pire, que retarder le moment où ces juges pourront exercer effectivement ce rôle".

La Cour de justice a, en outre, ajouté que la juridiction nationale devait pouvoir "adopter toute mesure nécessaire afin d'assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union" (point n° 53). Cette réserve est une conséquence de l'arrêt "Factortame" (11). Dans cet arrêt, la Cour avait jugé que "la pleine efficacité du droit communautaire se trouverait tout aussi diminuée si une règle du droit national pouvait empêcher le juge saisi d'un litige régi par le droit communautaire d'accorder les mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l'existence des droits invoqués sur la base du droit communautaire" (point n° 21). Cette solution, posée dans les cas d'incompatibilité d'une loi nationale avec le droit communautaire, a été étendue aux situations dans lesquelles est contestée la validité d'un acte de droit dérivé (12).

Lorsqu'est en cause le droit de l'Union, en dépit du caractère prioritaire de la question prioritaire de constitutionnalité et dans le cadre d'une procédure d'urgence, les juridictions nationales peuvent donc suspendre l'application de la loi française en raison de sa contrariété avec le droit de l'Union. Le Conseil d'Etat devra donc abandonner, au moins dans le champ du droit de l'Union, sa jurisprudence "Carminati" (13), qui interdit d'ordonner la suspension d'un acte administratif pris en application d'une loi contraire à un engagement international.

C'est sur le fondement de cette réserve de la Cour de justice que la Cour de cassation, en Assemblée plénière, après avoir reçu l'arrêt "Melki", a confirmé sa volonté de résistance à la question prioritaire de constitutionnalité (14). Elle estime, en effet, qu'en raison de l'impossibilité pour la Cour de cassation de prononcer des mesures provisoires, "le juge doit se prononcer sur la conformité de la disposition critiquée au regard du droit de l'Union en laissant alors inappliquées les dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée prévoyant une priorité d'examen de la question de constitutionnalité". La prémisse du raisonnement est, là encore, tout à fait discutable car, si la Cour de cassation ne dispose pas du pouvoir de suspendre l'application d'une loi en vertu du droit français, elle peut justement le faire sur le fondement du droit de l'Union (15). En outre, le raisonnement va probablement au-delà de ce qu'exige la Cour de justice, et il aurait peut-être suffi de constater que la question posée par le juge des libertés se trouvait sans objet du fait de l'arrêt "Melki". Mais c'eut été admettre, au moins implicitement, que la décision du 16 avril 2010 décidant de saisir la Cour de justice reposait sur un raisonnement tendancieux (v. supra). Cette solution s'imposait donc probablement à la Cour de cassation si elle souhaitait ne pas perdre la face...

La question prioritaire de constitutionnalité aura finalement déclenché une guerre des juges... français sous l'oeil probablement étonné de la Cour de justice qui s'efforce de conserver une stratégique neutralité...


(1) Cass. QPC, 29 juin 2010, 2 arrêts, n° 10-40.002, F-P+B (N° Lexbase : A7368E3B) et n° 10-40.001, F-P+B (N° Lexbase : A7367E3A).
(2) Cons. const., décision n° 74-54 du 15 janvier 1975, loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse (N° Lexbase : A7569AHS).
(3) Cons. const., décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (N° Lexbase : A1312EXU), point n° 16.
(4) F. Donnat, La Cour de justice et la QPC : chronique d'un arrêt prévisible et imprévu, D., 2010, n° 26.
(5) CE 9° et 10° s-s-r., 14 mai 2010, n° 312305, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1851EXT) ; v., également, Cons. const., décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, préc..
(6) Cons. const., décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, préc..
(7) CJCE, 22 octobre 1987, aff. C-314/85 (N° Lexbase : A8309AUB).
(8) CE Ass., 8 février 2007, n° 287110 (N° Lexbase : A2029DUP).
(9) Cons. const., décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (N° Lexbase : A5780DQ7).
(10) CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77 (N° Lexbase : A5639AUE).
(11) CJCE, 19 juin 1990, aff. C-213/89 (N° Lexbase : A9780AUR).
(12) CJCE, 21 février 1991, aff. jointes C-143/88 et C-92/89 (N° Lexbase : A4510AWX) ; CJCE, 9 novembre 1995, aff. C-466/93 (N° Lexbase : A9571AUZ).
(13) CE 4° et 6° s-s-r., 30 décembre 2002, n° 240430 (N° Lexbase : A7129A4S), Rec., p. 510.
(14) Cass. QPC, 29 juin 2010, n° 10-40.002, préc..
(15) CJCE, 19 juin 1990, aff. C-213/89, préc..

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Licenciement

[Jurisprudence] Le juge et la transaction : pourquoi faire simple... ?

Réf. : Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-40.984, FS-P+B (N° Lexbase : A6831E4R)

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N0459BQ3

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation s'efforce depuis plus de dix ans de clarifier l'office du juge en matière de contrôle de la validité des transactions conclues dans le cadre du différend lié à la rupture du contrat de travail. Mais l'abondance du contentieux et la fréquence des arrêts rendus par la Haute juridiction démontrent que le message a du mal à passer, comme le révèle ce nouvel arrêt de cassation en date du 13 juillet 2010 et qui sera largement publié. Aux termes de cette décision, la Cour rappelle que "Si la juridiction appelée à statuer sur la validité d'une transaction réglant les conséquences d'un licenciement n'a pas à se prononcer sur la réalité et le sérieux du ou des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, elle doit, pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celle de l'employeur n'est pas dérisoire, vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales". La solution n'est pas nouvelle et s'inscrit dans un ensemble fourni donnant au juge différents moyens pour annuler les transactions douteuses (I). Mais faut-il pour autant se satisfaire de cette situation et se contenter de renvoyer la faute aux juridictions du fond qui n'ont pas encore saisi toute la subtilité de la doctrine de la Chambre sociale de la Cour de cassation en la matière ? Il ne nous semble pas et nous pensons que l'entre-deux dans lequel se situe actuellement la jurisprudence n'est guère satisfaisant et que des solutions plus claires, et plus radicales, seraient certainement préférables (II).
Résumé

Si la juridiction appelée à statuer sur la validité d'une transaction réglant les conséquences d'un licenciement n'a pas à se prononcer sur la réalité et le sérieux du ou des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, elle doit, pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celle de l'employeur n'est pas dérisoire, vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales.

I - La confirmation du contrôle exercé par le juge sur la motivation du licenciement intervenu avant la transaction

Variété des moyens d'annulation. L'examen des décisions intervenues ces derniers mois démontre toute la palette des moyens qui peuvent être mis en oeuvre par les juridictions du fond pour annuler les transactions (1).

Nullité pour défaut d'objet. La transaction peut être annulée pour défaut d'objet en l'absence de différend à trancher entre les parties (2) et s'il apparaît que les indemnités auxquelles le salarié aurait pu prétendre sont d'un montant supérieur à celui qu'il a effectivement perçu (3). Mais si les faits sont avérés et qu'ils peuvent recevoir la qualification adoptée par les parties, la transaction sera validée (4).

Nullité pour fraude à la loi. La transaction peut être annulée pour fraude à la loi ; il en sera ainsi lorsque les parties auront volontairement masqué le motif réel du licenciement pour permettre à l'employeur d'éluder l'application de la législation relative au licenciement motif économique et s'épargner les affres de la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (5).

Nullité pour dol. Elle peut également être annulée pour dol "si l'intention de tromper est établie et que les manoeuvres dolosives ont été déterminantes dans sa conclusion" (6).

Nullité en raison de la date de conclusion. La transaction ne peut intervenir avant que le salarié n'ait eu effectivement connaissance des motifs de son licenciement par la réception de la lettre recommandée lui notifiant celui-ci (7). Si la transaction n'est pas datée, elle est nulle dès lors que l'employeur ne rapporte pas la preuve de la date à laquelle elle a été conclue (8), ou que le salarié établit que celle-ci a été en réalité conclue avant la notification de son licenciement (9).

Nullité en raison de l'absence ou de caractère dérisoire des concessions réciproques. Le juge doit vérifier l'existence de concessions réciproques non dérisoires (10). Il doit également interpréter les termes ambigus de la transaction (11).

La partie la plus difficile à comprendre de l'édifice jurisprudentiel tient à l'évidence au contrôle que les juges peuvent exercer sur les faits visés par les parties. Selon une formulation devenue de style (12) et reprise régulièrement, la Haute juridiction considère que, si "pour déterminer le caractère réel ou non des concessions contenues dans la transaction, le juge peut, sans heurter l'autorité de la chose jugée attachée à la transaction, restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification" (13), "il ne peut, sans heurter l'autorité de chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l'examen des éléments de fait et de preuve" (14) ; dès lors, le juge, "ayant constaté l'existence d'un différend à la suite du licenciement du salarié, a estimé, au vu des pièces versées aux débats par les parties que le montant de l'indemnité allouée n'était pas dérisoire et que les concessions de la société étaient effectives et appréciables" (15).

Confirmation du contrôle de motivation de la lettre de licenciement. C'est le contrôle exercé sur la motivation de la lettre de licenciement qui se trouve ici confirmé (16).

Dans cette affaire, une salariée avait été engagée en qualité d'agent de propreté fin 1999 à temps partiel. A la suite d'un accident de travail, elle avait subi un arrêt de travail courant 2001 et avait repris son poste de travail sans visite de reprise, avant d'être licenciée pour faute grave fin 2001 en raison de "disputes avec son supérieur hiérarchique". Elle avait alors saisi la juridiction prud'homale pour contester ce licenciement ainsi que la validité de la transaction conclue avec la société.

La cour d'appel de Paris avait rejeté ses demandes et déclaré valide la transaction après avoir retenu que la salariée avait accepté une indemnité transactionnelle forfaitaire d'environ trois mille euros, correspondant à quatre mois de salaire, en contrepartie de la renonciation à poursuivre l'exécution de ses droits. Pour la juridiction parisienne, cette somme était supérieure à celle à laquelle elle aurait pu prétendre au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de l'indemnité de préavis augmentée des congés payés. Elle avait, ensuite, affirmé que si la concession de la salariée est effective, celle de l'employeur l'est également dès lors qu'il avait consenti un sacrifice financier réel et chiffrable, que le protocole était revêtu de l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et que le juge ne peut trancher le différend que la transaction a pour objet de clore. Par ailleurs, avait relevé la juridiction d'appel, s'il est exact que la salariée avait repris son poste au mois d'août 2001 sans passer la visite médicale de reprise obligatoire, il y avait lieu de relever qu'elle n'avait pas sollicité cet examen médical en l'absence de sa mise en oeuvre par l'employeur, ni versé au dossier aucun document justifiant l'accident du travail dont elle faisait état, et que la salariée s'étant trouvée soumise au pouvoir disciplinaire de son employeur à sa reprise de fonction, celui-ci pouvait notamment la licencier pour faute grave.

L'arrêt est cassé, au visa des articles L. 1226-9 (N° Lexbase : L1024H9S), L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z), R. 4624-1 (N° Lexbase : L3974IAG) du Code du travail, ensemble l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE).

Après avoir rappelé "que, si la juridiction appelée à statuer sur la validité d'une transaction réglant les conséquences d'un licenciement n'a pas à se prononcer sur la réalité et le sérieux du ou des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, elle doit, pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celle de l'employeur n'est pas dérisoire, vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales". Or, "faute pour l'employeur d'avoir fait passer au salarié arrêté pendant au moins huit jours en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle une visite de reprise, le contrat demeure suspendu, de sorte qu'il ne peut procéder à son licenciement que pour faute grave ou s'il se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie professionnelle". Dès lors, "l'accident du travail n'était pas contesté par l'employeur et, [...] le motif invoqué dans la lettre de licenciement, trop vague pour être matériellement vérifiable, [étant] exclusif d'une faute grave", la transaction devait être annulée.

Une cassation logique au regard de la jurisprudence antérieure. La solution était prévisible et la cassation apparaît conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation. La Cour cherche, en effet, à distinguer, dans les solutions adoptées, deux types de contrôle, l'un étant de l'office du juge, l'autre lui étant interdit compte tenu de l'objet même de la transaction et de l'autorité de la chose jugée dont elle est revêtue. Le juge ne peut en effet pas s'immiscer dans le différend subjectif qui oppose les parties et qui constitue l'objet même de la transaction ; en d'autres termes, il n'a pas à déterminer qui a raison et qui a tort, si les fautes commises par le salarié étaient ou non pardonnables, si ses performances étaient ou non satisfaisante, etc.. En revanche, il doit s'assurer que les parties ont été conduites à transiger sur des bases juridiques saines, c'est-à-dire que n'existe entre-elle aucun contentieux objectif, ou juridique, qui serait de nature à fausser les termes de l'arrangement ; le juge vérifiera donc que les parties n'ont pas ignoré un grief tiré d'un manquement aux obligations procédurales de l'employeur, qu'elles étaient bien en droit de transiger, c'est-à-dire que le licenciement prononcé n'était pas illicite, etc..

Dans cette affaire, la cour d'appel n'avait pas situé le débat dans le cadre de la protection des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles mais dans celui du droit commun disciplinaire, alors qu'on sait que si le salarié n'a pas bénéficié de la visite de reprise, dont il appartient à l'employeur d'organiser la tenu, la protection due aux salariés perdure et le licenciement ne sera possible qu'en cas de faute grave ou d'impossibilité de maintenir le contrat de travail, pour des motifs étrangers à la maladie ou à l'accident. La cour d'appel avait, par ailleurs, refusé de déterminer si les faits visés dans la lettre de licenciement (des "disputes avec son supérieur hiérarchique") constituaient des faits susceptibles d'être qualifiés de faute grave dont on sait qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

II - Une jurisprudence byzantine

Perspective. La solution doit par conséquent être pleinement approuvée. Mais ce que nous voudrions discuter, c'est le caractère par trop byzantin des distinctions opérées depuis quelques années par la Cour de cassation et son caractère manifestement peu opérationnel pour les juridictions du fond, ce qui n'est guère compatible avec l'objectif de sécurité juridique recherché au travers de la conclusion d'une transaction.

Difficultés de l'office actuel du juge. Le moins que l'on puisse dire est que la tâche des juges du fond, singulièrement des conseillers prud'homaux, n'est guère aisée. Lorsque les parties n'ont pas conclu de transaction, le pouvoir de contrôle sur le litige est en effet très étendu et les juges vérifieront non seulement le respect de la procédure de licenciement, mais aussi, et peut-être surtout, le bienfondé des motifs invoqués par l'employeur. Face à une transaction, ils vérifieront également le respect de la procédure de licenciement, y compris la motivation de la lettre de licenciement, la qualification de faute disciplinaire si les faits visés dans l'acte relève de cette qualification, ainsi que la validité du licenciement si le salarié est soumis à un régime lui conférant une protection, comme c'était le cas ici puisque le salarié relevait du régime protecteur des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Mais dès lors que le salarié relève du droit commun du licenciement, ou que la qualification de faute pouvait, compte tenu des faits visés dans la lettre de licenciement, être valablement admise, alors ils ne pourront pas s'intéresser au fond du litige. Le champ de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la transaction est, on le constate, des plus réduits, et les frontières de l'office du juge des plus tenues.

Propositions. Ne serait-il pas, dès lors, plus simple et finalement plus sécurisant d'étendre le pouvoir de contrôle des juges du fond à l'ensemble des éléments qui constituent la matière du différend réglé par la transaction, pour ne se focaliser finalement que sur la notion de "concessions réciproques" et dans le cadre d'une logique plus économique.

La question qui devrait être réglée par le juge serait finalement assez simple à formuler : le salarié a-t-il perçu une indemnité correspondant aux minimas auxquels la loi lui ouvrait droit ? Dans la mesure où le Code du travail prévoit des planchers d'indemnisation, ne pourrait-on pas permettre au juge de déterminer avec exactitude l'étendue des droits du salarié, en s'intéressant à l'intégralité du différend, tout en laissant aux parties le soin de transiger sur l'exacte étendue de l'indemnisation, dès lors que le salarié perçoit au moins les planchers légaux (17) ?

Certes, la transaction perdrait alors une grande partie de son intérêt pour les employeurs qui ne pourraient plus ainsi "acheter" le désir des salariés d'en terminer rapidement avec le différend qui les oppose, pour faire leur deuil de l'emploi perdu et pouvoir passer à autre chose, quitte à abandonner au passage une partie de leurs droits et de leurs espérances ... Mais tout peut-il s'acheter ?


(1) Pour un examen de la jurisprudence antérieure, notre chron. La Cour de cassation, le juge du fond et la transaction : flou artistique, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9402BLS), et les décisions citées.
(2) Cass. soc., 30 juin 2010, n° 08-44.872, F-D (N° Lexbase : A6690E38) (transaction fondée sur des prétendus faits de harcèlement moral que les juges du fond avaient considéré comme non établis).
(3) Cass. soc., 27 octobre 2009, n° 08-42.219, F-D (N° Lexbase : A6147EMM) : "la lettre de licenciement visait une incompatibilité d'humeur sans invoquer aucun fait matériellement vérifiable, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, en a exactement déduit que le salarié était fondé à prétendre à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'ayant constaté que celle-ci eût été supérieure à la somme allouée à ce dernier en application de la transaction, elle a décidé à bon droit que la transaction était nulle".
(4) Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-41.896, F-D (N° Lexbase : A0935EML) : "des négligences délibérées' du salarié peuvent avoir un caractère fautif".
(5) Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 07-45.028, F-D (N° Lexbase : A3386EP4) : "la cour d'appel a retenu que la cause exacte du licenciement était la suppression de l'emploi de M. X, consécutive à des difficultés économiques, et que le licenciement et la transaction résultaient d'une fraude à la loi de l'employeur destinée à éluder les dispositions impératives imposant, dans l'hypothèse de dix licenciements sur une période de trente jours, un plan de sauvegarde de l'emploi, de sorte que la transaction et le licenciement étaient nuls".
(6) Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-42.206, FS-D (N° Lexbase : A0940EMR) : "pour annuler la transaction l'arrêt retient que la convention doit pouvoir être rescindée dans les conditions prévues par l'article 2053 du Code civil et sous réserve d'établir que, connaissance prise du comportement du salarié, l'employeur n'aurait pas envisagé de lui allouer des avantages allant au-delà de ses droits acquis, en l'espèce le versement d'une somme de 218 174,51 euros et le maintien pendant douze mois du bénéfice de la mutuelle de l'entreprise ; que le salarié avait commis un dol en certifiant à plusieurs reprises à l'employeur qu'il respectait le code éthique en vigueur dans l'entreprise, de sorte que l'employeur n'a pas traité avec la personne qu'il croyait connaître et qu'il n'aurait pas accepté de transiger dans les termes retenus s'il avait eu une connaissance des faits de corruption pour lesquels il a été condamné ; qu'en statuant comme elle a fait, par des motifs impropres à caractériser la volonté de tromperie de la part du salarié en vue de contraindre l'employeur à conclure une transaction destinée à régler les conséquences de son licenciement intervenu du fait de son refus de mutation à la suite d'un arrêt maladie, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
(7) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.214, F-D (N° Lexbase : A7554EN4) ; Cass. soc., 5 mai 2010, n° 08-44.643, F-D (N° Lexbase : A0700EX9).
(8) Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-42.796, F-D (N° Lexbase : A4697EQZ).
(9) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.588, F-D (N° Lexbase : A7561END) : preuve rapportée par constat d'huissier.
(10) Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 08-41.673, F-D (N° Lexbase : A2740EMG) : "l'indemnité transactionnelle avait pour objet la réparation du préjudice professionnel et moral consécutif au transfert, la cour d'appel a pu décider que le montant stipulé dans la transaction, correspondant à deux mois de salaires, majoré selon l'ancienneté, n'était pas dérisoire" ; Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.671, F-D (N° Lexbase : A7564ENH) : "la transaction avait pour objet de mettre fin au litige entre les parties résultant de la rupture du contrat de travail par la démission du salarié, a énoncé que cette transaction comportait des concessions réciproques en relevant que les parties s'étaient engagées, pour M. X, à terminer certains travaux et à transmettre la situation informatique dans un délai de trois mois, et, pour l'employeur, à régler au salarié une indemnité à chiffrer en dédommagement de cette activité et une indemnité forfaitaire et transactionnelle de 6 000 euros" ; Cass. soc., 16 décembre 2009, n° 08-43.992, F-D (N° Lexbase : A0870EQB) : "qu'ayant relevé que la transaction était destinée à mettre un terme à la contestation sur le bien-fondé du licenciement, que l'employeur acceptait de dispenser le salarié de l'exécution du préavis de deux mois tout en réglant la rémunération correspondante et de verser, en sus de l'indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité transactionnelle de 2 300 euros, la cour d'appel, qui a exactement retenu qu'elle ne pouvait examiner la réclamation relative aux heures supplémentaires sans heurter l'autorité de chose jugée attachée à la transaction, a pu décider qu'au regard des positions respectives des parties, l'indemnité transactionnelle n'était pas dérisoire".
(11) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-42.707, F-D (N° Lexbase : A3379ELQ) : "sous le couvert de prétendus griefs de violation de la loi et manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation des concessions réciproques des parties par la cour d'appel qui, au terme d'une interprétation nécessaire, exclusive de dénaturation, des termes ambigus de l'annexe à la transaction litigieuse, a estimé que la seule solution permettant de donner un sens à cette stipulation transactionnelle était d'ouvrir au salarié le droit d'exercer l'ensemble de ses options 1993 et 1996 jusqu'au 31 octobre 2004".
(12) Les exemples cités dans la chron. préc..
(13) Cass. soc., 27 octobre 2009, n° 08-42.219, F-D (N° Lexbase : A6147EMM) ; Cass. soc., 26 janvier 2010, n° 08-43.998, F-D (N° Lexbase : A7673EQA) ; Cass. soc., 24 mars 2010, n° 08-70.463, F-D (N° Lexbase : A1570EUP).
(14) Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-42.273, F-D (N° Lexbase : A1145ELY).
(15) Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-41.556, F-D (N° Lexbase : A1123EL8).
(16) Par exemple Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 03-46.446, F-D (N° Lexbase : A4257DQQ).
(17) En ce sens les conclusions de notre étude L'ordre public social et la renonciation du salarié, Dr. soc., 2002, p. 931-938.

Décision

Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-40.984, FS-P+B (N° Lexbase : A6831E4R)

Cassation (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 12 juin 2008, n° 06/07779 N° Lexbase : A2869D97)

Textes visés : C. trav., L. 1226-9 (N° Lexbase : L1024H9S), L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z), R. 4624-1 (N° Lexbase : L3974IAG), ensemble C. civ., art. 2044 (N° Lexbase : L2289ABE)

Mots clef : transaction ; validité ; office du juge ; licenciement ; notification ; motivation

Liens base : (N° Lexbase : E9934ESQ)

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Protection sociale

[Jurisprudence] Les dividendes versés par une SEL sont soumis à cotisations sociales : le Conseil constitutionnel écarte le grief d'atteinte à l'égalité

Réf. : Cons. const., décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010 (N° Lexbase : A9232E73)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 07 Octobre 2010

Le Conseil constitutionnel a rendu le 28 mai 2010 (1) sa première décision, dans le champ des questions prioritaires de constitutionnalité, dans une matière symbolique, la "cristallisation" (c'est-à-dire, l'absence de revalorisation des pensions civiles et militaires de retraite versées aux ressortissants des anciennes colonies françaises). Il était sollicité sur une question d'égalité de traitement dans le champ des prestations de sécurité sociale. La seconde saisine du Conseil constitutionnel, en droit de la Sécurité sociale, porte encore sur ce point d'égalité de traitement, mais cette fois-ci, en matière de cotisations sociales. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 14 juin 2010 par le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 14 juin 2010, n° 328937 N° Lexbase : A2624EZ9), d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'Association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL), le Conseil national des barreaux et l'Association des avocats conseils d'entreprises, relative à la conformité de l'article L. 131-6, alinéa 3, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3040IEC) aux droits et libertés que la Constitution garantit. Cette critique formulée à l'encontre de la LFSS 2009 (réformant le régime des dividendes au regard des cotisations sociales, CSS, art. L. 131-6, al. 3) avait déjà été exprimée par un certain nombre de praticiens (2). En effet, l'article L. 131-6, alinéa 3, du Code de la Sécurité sociale intègre sous certaines conditions, dans l'assiette des cotisations sociales payées par les sociétés d'exercice libéral (SEL), les revenus distribués (dividendes et revenus des comptes courants) aux associés majoritaires de ces structures à partir du moment où ces revenus sont supérieurs à 10 % du capital social de la société, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant. Le traitement social des dividendes est donc une question sensible. Pour la CNBF, 16 % des avocats exercent dans une SEL et 1 154 avocats ont déclaré de dividendes en 2006 sur un total de 46 641. La part des dividendes dans le revenu global des avocats en ayant déclaré était de 25 % en 2006. Alors que le nombre d'avocats déclarant des dividendes augmente constamment (340 en 2000, 1 154 en 2006), la part des dividendes dans leur revenu décroît régulièrement. Dans sa décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit. Avant d'analyser la constitutionnalité du régime des dividendes tel que réformé par la LFSS 2009 (I), il est nécessaire de faire le point sur le régime social de tels revenus (I).
Résumé

En réservant l'extension de l'assiette des cotisations sociales aux dividendes versés dans les sociétés d'exercice libéral (SEL), le législateur a pris en considération la situation particulière des travailleurs non salariés associés de ces sociétés et répondu à un objectif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. En limitant le champ des dividendes soumis à cotisations sociales à ceux qui représentent une part significative du capital social de la société et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus par les intéressés, il a défini des critères objectifs et rationnels. La délimitation du champ de l'assiette des cotisations sociales qui en résulte ne crée pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

I - Régime des dividendes versés par les SEL, au regard des cotisations de sécurité sociale

A - Régime légal et réglementaire des dividendes versés par les SEL

1- Régime initial

La loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN), a prévu que la SEL a pour objet l'exercice en commun de plusieurs des professions libérales. En application de l'article 5 de la loi, plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire de la société, par des professionnels en exercice au sein de la société. Enfin, la loi précise que les gérants, le président du conseil d'administration, les membres du directoire, le président du conseil de surveillance et les directeurs généraux ainsi que les deux tiers au moins des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance doivent être des associés exerçant leur profession au sein de la société (art. 12).

Le législateur (CSS, art. L. 311-2 N° Lexbase : L5024ADG) a également prévu une obligation d'affiliation visant expressément les gérants de sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée à condition que ces gérants ne possèdent pas ensemble plus de la moitié du capital social (4) ; les présidents du conseil d'administration, les directeurs généraux et les directeurs généraux délégués des sociétés d'exercice libéral à forme anonyme (5) ; les présidents et dirigeants des sociétés d'exercice libéral par actions simplifiées (6).

Enfin, des règles spéciales sont aménagées pour certaines professions, notamment, les avocats (CSS, art. L. 723-1 N° Lexbase : L7561HBN et L. 723-5 N° Lexbase : L3040ICL ; loi n° 2005-882 du 2 août 2005 art. 15 XIV N° Lexbase : L7582HEK).

Le décret n° 92-704 du 23 juillet 1992 (N° Lexbase : L0157IN7) encadre la pratique des dividendes et de la rémunération du compte courant d'associés. L'associé exerçant sa profession au sein d'une société d'exercice libéral peut mettre à la disposition de la société, au titre de comptes d'associés, des sommes dont le montant (fixé par les statuts) ne peut excéder deux fois celui de leur participation au capital. Tout autre associé peut mettre au même titre à la disposition de cette société des sommes dont le montant (fixé par les statuts) ne peut excéder celui de sa participation au capital (décret n° 92-704 du 23 juillet 1992, art. 1er).

Enfin, le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 (N° Lexbase : L0987IEB) a introduit dans le Code de la Sécurité sociale un article R. 131-2 (N° Lexbase : L1009IE4) aux termes duquel les sommes versées en compte courant correspondent au solde moyen annuel du compte courant d'associé. Ce solde moyen annuel est égal à la somme des soldes moyens du compte courant de chaque mois divisée par le nombre de mois compris dans l'exercice. Cet article R. 131-2 est important, car il définit les sommes soumises à cotisations, en application de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale.

Bref, comme le rappelle le Conseil constitutionnel (décision rapportée, considérant n° 7), en définissant le régime de la société d'exercice libéral, le législateur a entendu offrir aux travailleurs non salariés exerçant une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire (ou dont le titre est protégé la faculté de choisir un mode d'exercice de leur profession) qui institue un lien nécessaire entre cet exercice, le contrôle du capital de la société et la détention d'un mandat social, tout en autorisant, pour certaines professions, l'accès au capital de personnes physiques ou morales n'exerçant pas au sein de la société. Les associés majoritaires acquièrent la possibilité de verser les revenus tirés de l'activité de ces sociétés soit sous forme de rémunération, soit sous forme de dividendes et revenus des comptes courants.

2 - Réforme introduite par la LFSS 2009

La loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (art. 22, N° Lexbase : L2678IC8) a inséré un troisième alinéa dans l'article L. 131-6 du CSS (7). Alors que seul le revenu professionnel retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu entrait dans cette assiette, la loi y soumet, désormais, dans les sociétés d'exercice libéral (SEL), la part des revenus mentionnés aux articles 108 (N° Lexbase : L2059HLT) à 115 du Code général des impôts et des revenus visés au 4° de l'article 124 (N° Lexbase : L2139HLS) du même code qui est supérieure à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant.

Depuis le 1er janvier 2009, est soumise à cotisations sociales la part des revenus perçus par les travailleurs indépendants libéraux, compte tenu de leur participation directe mais aussi de celle des conjoints (partenaires de PACS, et des enfants mineurs non émancipés) et qui excèdent 10 % du capital de la société, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant. Sont pris également en compte dans le calcul des revenus distribués susceptibles d'entrer dans l'assiette des cotisations les revenus tirés des sommes versées sur les comptes courants.

Cette modification législative s'est inscrite dans un mouvement engagé par les caisses de retraite des professionnels libéraux qui subissaient un manque à gagner à ne pouvoir appeler de cotisations sur les dividendes que se versaient les associés de SEL (8) ainsi que dans le prolongement de travaux institutionnels (not., Rapport "Fouquet", en 2008 (9)).

La LFSS (art. 22) a pour objet, selon les travaux parlementaires (10) :
- de limiter les abus de certains travailleurs indépendants qui se versent des dividendes plutôt que des salaires afin de limiter les cotisations sociales dont ils ont à s'acquitter ;
- de résoudre un conflit de jurisprudence entre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat (infra).

Or, le Conseil d'Etat relève que le Conseil constitutionnel (décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008 N° Lexbase : A6887EBP) saisi de cette loi (LFSS 2009) a déclaré conformes à la Constitution ses articles 37 et 90 et a estimé, dans les motifs de cette décision, qu'il n'y avait pas lieu pour lui de soulever d'office une autre question de conformité à la Constitution ; il n'a déclaré les dispositions de l'article 22 de la loi conformes à la Constitution ni dans le dispositif de cette décision ni dans celui d'une décision postérieure.

B - Contentieux du régime social des dividendes

Les professions indépendantes ont soulevé la question de la nature des dividendes professionnels : constituent-ils, comme tous les dividendes, des revenus du patrimoine (et en tant que tels, exclus de l'assiette des cotisations sociales) ou correspondent-ils plutôt, en raison de leur caractère professionnel, à des rémunérations du travail (donc compris dans l'assiette des cotisations sociales) ? Les juridictions judiciaires et administratives ont adopté des positions contrastées qui ont nécessité l'intervention du législateur (loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la Sécurité sociale pour 2009).

1 - Juges du fond

Dès 1997, le tribunal de grande instance de Grasse, après avoir relevé qu'il n'était pas contesté que les seuls revenus de la SEL étaient les rémunérations perçues par les associés dans le cadre de leur activité d'avocats, a retenu que quelle que soit la forme que revêt la réversion des bénéfices, elle constitue un revenu professionnel et doit à ce titre être déclarée (11). En 1999, la cour d'appel d'Aix-en-Provence (statuant en appel sur cette affaire) a confirmé le jugement du tribunal en estimant que les rémunérations sous forme de dividendes devaient être soumises à cotisations sociales (12).

Cette position a été à plusieurs fois confirmée par les tribunaux de l'ordre judiciaire : par la cour d'appel d'Amiens en 2001 au sujet de médecins, par la Cour de cassation en 2003 à propos de notaires et enfin par la cour d'appel de Dijon en 2005 au sujet de chirurgiens-dentistes.

2 - Cour de cassation

Selon un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 18 novembre 1993 (13), l'inclusion d'une rémunération dans l'assiette des cotisations sociales n'est pas liée à la catégorie de revenus à laquelle est rattachée cette rémunération sur le plan fiscal. Elles s'affranchissaient ainsi de la qualification fiscale de dividendes en tant que revenus de capitaux mobiliers.

En 2006, la Cour de cassation s'est prononcée sur l'assujettissement aux cotisations sociales de revenus professionnels tirés de l'activité de chirurgien dentiste exercée dans le cadre d'une SEL (14). Un chirurgien-dentiste, gérant majoritaire d'une telle société, exerçait son activité professionnelle non salariée dans le cadre de la convention prévue par l'article L. 162-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6855IGY), les juges du fond décident à bon droit qu'affilié obligatoirement au régime d'assurance prévu par l'article L. 722-1, 3°, du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1621GUL), celui-ci était redevable des cotisations sociales de ce régime calculées sur le résultat net de son activité libérale, peu important son intégration dans l'actif de la société.

En 2008, la Cour de cassation a confirmé que les bénéfices de la société qui ont été distribués à un associé majoritaire d'une SELARL, qui consistaient le produit de son activité professionnelle de chirurgien dentiste, devaient entrer dans l'assiette des cotisations sociales (15).

3 - Conseil d'Etat

En 2007, le Conseil d'Etat (16) a écarté l'assimilation de dividendes à des revenus du travail, au regard de leur assujettissement aux cotisations sociales, contrairement à la Cour de cassation. Alors même qu'en vertu de la loi du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire, ces sociétés ont pour objet exclusif l'exercice en commun de ces professions, les dividendes versés aux associés des sociétés d'exercice libéral de médecins ne peuvent être regardés comme des revenus professionnels. Aussi, en décidant d'intégrer ces dividendes dans la base des cotisations des régimes de base et complémentaire du régime d'assurance vieillesse des médecins, le conseil d'administration de la caisse autonome de retraite des médecins de France a illégalement ajouté aux dispositions des articles L. 642-1 (N° Lexbase : L7635DKY) et L. 642-2 (N° Lexbase : L3126ICR) du Code de la Sécurité sociale.

La position du Conseil d'Etat a été renouvelée dans un arrêt du 30 mai 2008 (17), relatif à la déductibilité des intérêts d'emprunt : un professionnel ayant acquis les parts de la société au sein de laquelle il exerce, s'il est autorisé à déduire les intérêts d'emprunt du montant de la rémunération qui lui est versée par la société, n'est pas en droit de le faire des dividendes que cette société lui verse, la rémunération étant un revenu professionnel, alors que les dividendes sont un revenu patrimonial privé.

II - Constitutionnalité du traitement social des sommes versées par les SEL

A - La question de la constitutionnalité du régime social des sommes versées

Le Conseil constitutionnel (décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008) saisi de la LFSS 2009 a déclaré conformes à la Constitution ses articles 37 et 90 et a estimé qu'il n'y avait pas lieu pour lui de soulever d'office une autre question de conformité à la Constitution. Il n'a déclaré les dispositions de l'article 22 de la loi conformes à la Constitution ni dans le dispositif de cette décision ni dans celui d'une décision postérieure.

Aussi, le Conseil d'Etat (CE, 1° et 6° s-s-r., 14 juin 2010, n° 328937, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2624EZ9) a conclu que le moyen tiré de ce que le troisième alinéa de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale qui assujettit aux cotisations de sécurité sociale une fraction des revenus distribués et produits de compte courant versés par les seules sociétés d'exercice libéral, porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques et soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Devant le Conseil constitutionnel, les trois requérants (l'ANSEL, le CNB et l'Association des avocats conseils d'entreprises) contestaient également la constitutionnalité de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale, alinéa 3, au regard des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Sur ces fondements, l'ANSEL contestait quatre différences de traitement qui étaient, à ses yeux, injustifiées : entre les professionnels libéraux, d'une part, et les autres travailleurs indépendants que sont les artisans et les commerçants, d'autre part ; entre professionnels libéraux, selon qu'ils exercent sous forme d'une société de droit commun (experts-comptables, conseils en propriété industrielle, pharmaciens, architectes) ou dans une SEL ; entre les gérants des SEL, selon qu'ils sont majoritaires ou minoritaires ; entre les associés de SEL à responsabilité limitée (SELARL) et les associés de sociétés civiles professionnelles (SCP) et d'associations ayant opté pour l'impôt sur les sociétés.

B - La reconnaissance de la constitutionnalité du régime social des sommes versées

Par sa décision rapportée, le Conseil constitutionnel a procédé en trois temps : il a défini les spécificités de la situation examinée pour déterminer si la différence de traitement pouvait être justifiée par une différence de situations en rapport direct avec l'objet de la loi ; il a rappelé le motif d'intérêt général en rapport direct avec la loi pouvant justifier une différence de traitement ; il a examiné le caractère objectif et rationnel des critères qui fondaient la différence de traitement en fonction des buts que le législateur se propose.

Premièrement, le Conseil constitutionnel, conformément à sa jurisprudence (18), évoque les différents aspects du principe de l'égalité de traitement. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes (décision rapportée, considérant n° 5). Pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (considérant n° 6).

Deuxièmement, le motif d'intérêt général en rapport direct avec la loi susceptible de justifier une différence de traitement est en réalité multiple et pluriel (considérant n° 8). Pour le Conseil constitutionnel, en incluant dans l'assiette des cotisations sociales une partie des dividendes et produits des comptes courants issus de l'activité d'une société d'exercice libéral et perçus par le travailleur non salarié non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs enfants mineurs non émancipés, le législateur a entendu :
- dissuader le versement de dividendes fondé sur la volonté de faire échapper aux cotisations sociales les revenus tirés de l'activité de ces sociétés. En d'autres termes, le législateur a entendu dissuader les arbitrages rémunération-dividendes motivés par la volonté de réduire l'assiette des cotisations sociales, c'est-à-dire sanctionner la substitution indue d'un dividende à une rémunération ;
- éviter des conséquences financières préjudiciables à l'équilibre des régimes sociaux en cause ;
- mettre fin à des divergences de jurisprudence sur la définition de l'assiette des cotisations sociales versées par les associés majoritaires des sociétés d'exercice libéral et éviter par là même le développement de contestations (19).

Enfin, troisièmement, le Conseil constitutionnel a opéré un contrôle circonstancié des motifs ayant conduit le législateur à mettre en place un assujettissement aux cotisations sociales des dividendes, réalisant ainsi une différence de traitement avec d'autres travailleurs indépendants (considérant n° 9). En réservant l'extension de l'assiette des cotisations sociales aux dividendes versés dans les SEL, le législateur a pris en considération la situation particulière des travailleurs non salariés associés de ces sociétés et répondu à un objectif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. En limitant le champ des dividendes soumis à cotisations sociales à ceux qui représentent une part significative du capital social de la société et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant détenus par les intéressés, il a défini des critères objectifs et rationnels. Bref, la délimitation du champ de l'assiette des cotisations sociales qui en résulte ne crée pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.


(1) Les cahiers du Conseil constitutionnel, cahiers n° 29 ; lire nos obs., Le Conseil constitutionnel met fin à la "cristallisation" des pensions de retraite des ressortissants des anciennes colonies françaises, note sous Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 (N° Lexbase : A6283EXY), Lexbase Hebdo n° 397 du 3 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2970BPP).
(2) Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1391BL4). Selon J.-Y. Mercier, la loi traite différemment des personnes placées dans des situations identiques. Tel est le cas d'un texte qui frappe, au sein d'une même profession, les associés ayant fait le choix de la SEL et épargne ceux qui ont retenu la forme commerciale de droit commun (SARL plutôt que SELARL, comme il est permis aux experts-comptables et aux notaires) ou ont eu recours à la SCP assujettie à l'impôt sur les sociétés (avocats, notaires, par exemple).
(3) Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires sur les indépendants, mars 2008, extraits, p. 110 et s..
(4) Etant entendu que les parts appartenant, en toute propriété ou en usufruit, au conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité compris, et aux enfants mineurs non émancipés d'un gérant sont considérées comme possédées par ce dernier. V. CSS, art. L. 311-2, 11° (N° Lexbase : L5024ADG).
(5) CSS, art. L. 311-2, 12°.
(6) CSS, art. L. 311-2, 23°.
(7) Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, préc..
(8) Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre, préc.. Des abus ont été commis, qui consistaient, pour le gérant majoritaire de la SELARL, à se verser une rémunération dérisoire au titre de son activité professionnelle et à laisser le surplus dans la caisse de la société, afin d'en récupérer une partie sous forme de dividendes. De cette façon, le gérant associé les fait échapper aux cotisations sociales.
(9) Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les Urssaf et prévenir les abus, rapport au ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, présenté par O. Fouquet, président de Section au Conseil d'Etat, juillet 2008 ; Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires sur les indépendants, mars 2008.
(10) Assemblée Nationale, troisième séance du 30 octobre 2008, Journal officiel Débats Assemblée nationale, p. 6615 ; Sénat, séance du 17 novembre 2008, Journal officiel Débats Sénat, p. 6906.
(11) TGI Grasse, 13 août 1997, n° 916/97.
(12) CA Aix-en-Provence, 25 mai 1999, n° 97/22162.
(13) Cass. soc., 18 novembre 1993, n° 90-21.673 (N° Lexbase : A6364ABC), Bull. civ. V, n° 282 p. 191. La fonction de président d'une chambre de métiers constitue une activité non salariée, qui, même exercée à titre accessoire, entre dans les prévisions de l'article R. 241-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3783IM3). En conséquence, c'est à bon droit qu'ayant constaté que les indemnités perçues à l'occasion de l'activité de président de chambre de métiers ne constituaient pas le remboursement de dépenses liées à cette fonction, un tribunal a décidé que ces sommes, quelle que soit la catégorie de revenus dont elles relevaient au plan fiscal, devaient, eu égard aux dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 9 août 1974, être soumises aux cotisations personnelles d'allocations familiales des employeurs et des travailleurs indépendants.
(14) Cass. civ. 2, 21 juin 2006, n° 04-30.743, FS-P+B (N° Lexbase : A9874DPE), Bull. civ. II, n° 167 p. 160. Le dentiste invoquait avec une certaine mauvaise foi que seuls les honoraires perçus par les praticiens médicaux dans le cadre de cette activité donnent lieu à cotisations au profit de ce régime. Le dentiste soutenait qu'il tirait l'intégralité de ses revenus de ses fonctions de gérant majoritaire d'une société d'exercice libéral et non et non d'une activité de praticien médical conventionné, dès lors qu'il ne percevait pas d'honoraires, ceux-ci étant perçus par la société.
(15) Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5228D87), Bull. civ. II, n° 113. Un chirurgien dentiste, qui avait exercé sa profession à titre individuel, constitue une SELARL dont il est l'associé unique (détenant 499 des 500 parts sociales). Il se verse une rémunération au titre de ses fonctions de gérant mais affecte l'intégralité des revenus provenant de son activité de chirurgien-dentiste à sa société. Il répond à la CARCD, à laquelle il n'est pas affilié et qui lui réclame le paiement des cotisations qu'il dépend uniquement du régime de retraite des professions industrielles et commerciales et du régime maladie des travailleurs indépendants, en sa qualité de gérant associé non salarié de la SELARL. La Cour de cassation, approuvant la cour d'appel, fait, toutefois, droit aux demandes de la caisse de retraite, énonçant que "les bénéfices de la société qui ont été distribués à un associé majoritaire d'une SELARL, qui consistaient le produit de son activité professionnelle de chirurgien dentiste, devaient entrer dans l'assiette des cotisations litigieuses". La Haute cour considère qu'en réalité le chirurgien dentiste n'a jamais cessé son activité à titre indépendant, mais l'a simplement déguisée sous la forme d'une exploitation en société.
(16) CE 1° et 6° s-s-r., 14 novembre 2007, n° 293642 (N° Lexbase : A5808DZ7).
(17) CE 3° et 8° s-s-r., 30 juin 2008, n° 274480 (N° Lexbase : A4466D9B).
(18) Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 (N° Lexbase : A8751AC4) ; Décision n° 91-302 DC du 30 décembre 1991 (N° Lexbase : A8251ACL) ; Décision n° 2006-541 DC du 28 septembre 2006 (N° Lexbase : A3672DRG) ; Décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008 (N° Lexbase : A6887EBP) ; Décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 (N° Lexbase : A6283EXY).
(19) Décision n° 93-332 DC du 13 janvier 1994 (N° Lexbase : A8298ACC) (cons. 13 et 14) : le législateur a entendu mettre fin à des divergences de jurisprudence et éviter par là même le développement de contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner des conséquences financières préjudiciables à l'équilibre des régimes sociaux en cause et il lui était loisible d'user comme lui seul pouvait le faire en l'espèce, de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives afin de régler pour des raisons d'intérêt général les situations nées des divergences de jurisprudence.

Décision

Cons. const., décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010 (N° Lexbase : A9232E73)

Textes concernés : CSS, art. L. 131-6 (N° Lexbase : L3040IEC) ; Décret n° 92-704 du 23 juillet 1992 (N° Lexbase : L0157IN7) pris pour l'application de l'article 14 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (N° Lexbase : L3046AIN) ; décret n° 2009-423 du 16 avril 2009, relatif à la détermination du capital social et des sommes versées en comptes courant d'associés des sociétés d'exercice libéral (N° Lexbase : L0987IEB).

Mots-clés : Professions libérales ; SEL ; cotisations sociales ; dividendes ; inclusion dans l'assiette de cotisations (oui)

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