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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Et, l'actualité juridique est, heureusement, pleine de ces "poils à gratter" que seul le Quai de l'Horloge est à même de souffler, qui font le sel du débat national et qui peuvent, éventuellement, permettre de repositionner le débat sur les enjeux fondamentaux d'une réforme des retraites et de leur financement. En fait, à y regarder de plus près, tout nous pousse à reconsidérer le dogme de l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans, voire celui de tout âge légal de cessation d'activité.
D'abord, et avant de le déboulonner ou de clamer de son fauteuil outre-Atlantique présidentiel et présidentiable qu'il ne faut pas de dogme en la matière, rappelons que le dogme est l'affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible par une autorité politique, philosophique ou religieuse qui emploiera dans certains cas la force pour l'imposer.
On sait que la "retraite à 60 ans" fut le credo de l'un des précédents locataires élyséens adepte du recueillement, les lundi de Pentecôte, -à l'époque où il y en avait encore- aux abords de la roche de Solutré, mais l'on a jamais su, finalement, si, à l'heure du second choc pétrolier et du chômage inflationniste, il souhaitait encourager les "vieux" à attendre 60 ans pour partir à la retraite ou les exhorter à quitter le devant de la scène pour endiguer le chômage des jeunes -déjà là l'embryon d'un partage du travail, comme solution au chômage structurel-. Connaissant l'amour du vacancier de Latché pour les lettres latines et, particulièrement, pour Caton l'Ancien -"Il faut devenir vieux de bonne heure pour rester vieux longtemps"-, les panégyristes auront tôt fait de mettre cette "avancée" sociale sur le compte d'une "certaine" vision humaniste récompensant l'exploitation quarantenaire de l'Homme (et, récemment, à l'époque, de la Femme). Donc, si dogme il y a, ses fondements sont, en réalité, bien obscurs connaissant l'opacité d'âme de son théologien.
La "retraite à 60 ans" un dogme ? Oui, parce qu'il s'agit plus d'une foi, d'une croyance incontestable dans le fait que l'homme s'épanouit mieux nécessairement en dehors de son activité professionnelle ; oui, parce que l'on exhorte au flan gauche à la pression populaire pour empêcher tout atteinte à l'âge légal de la retraite ; oui, parce que certains promettent, déjà, un Concile en 2012 pour rétablir ce qui n'aurait jamais dû être remis en cause, même par l'Assemblée des représentants du Peuple souverain... Et, contrairement à l'axiome, vérité admise bien qu'elle ne soit pas rationnellement démontrable, le dogme est une vérité absolue s'imposant a priori, d'essence quasi-divine... et quand on sait le Haut sobriquet dont la presse affublait "Morlan", il y a un pas vers la mystique mitterrandienne que l'on ose, ici, aisément franchir.
Ensuite, il n'y a qu'à lire quelque étude d'Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault, professeurs à l'Université Paris I sur l'employabilité des seniors pour crier, d'ores et déjà, à la mystification, au demeurant. Les deux auteurs rappellent que le taux d'employabilité des seniors en France (54 %) est six points en dessous de la moyenne des pays européens et 15 ou 20 points en dessous du score réalisé par les pays nordiques (Suède 78 %), les USA (68 %) ou la Grande-Bretagne (67 %). Puis, très subtilement, les deux universitaires décèlent trois facteurs ou causes efficientes : la permanence du syndrome des préretraites -un pacte implicite lie les partenaires sociaux, qui pensent avoir trouvé le moindre mal en réduisant le conflit sur l'emploi et en payent le prix en indemnisant les départs précoces- ; le rythme du progrès technique qui dévalorise l'expérience des plus âgés et leur impose des contraintes nouvelles -avec un écart entre la productivité des travailleurs et leur coût pour leur employeur- ; et la proximité de la retraite comme facteur essentiel conduisant à un moindre emploi -A quoi bon rechercher activement un emploi si sa durée prévisible est très courte ?-. Et, de conclure : la norme sociale de la retraite à 60 ans n'explique pas seulement le très faible emploi des 60-64 ans. Elle est l'une des causes du faible emploi des 55-59 ans.
Résumons nous : la retraite à 60 ans est un dogme, et non un axiome, ce qui dans une société rationnelle et démocratique pose nécessairement un problème de légitimité ; et, au surplus, elle est l'une des causes essentielles de la non-employabilité des seniors et ce faisant de la non-démonstration du dogme lui-même, puisque la moitié des actifs cessent de travailler bien avant l'âge de 60 ans -la retraite à 60 ans scie l'arbre sur laquelle elle est assise en quelque sorte-.
Enfin, si l'on ajoute la lecture de deux arrêts rendus le 11 mai dernier par la Cour de cassation rappelant que l'âge de la retraite à 60 ans peut constituer une discrimination en fonction de l'âge prohibée par le juge communautaire, on ne sait, dès lors, plus à quel Saint se vouer... Dans les deux affaires soumises à la Haute juridiction, les salariés avaient été mis à la retraite à 60 ans contrairement à leur volonté. Malheureusement, "il y a plus de vieux ivrognes que de vieux médecins", nous livre la sagesse populaire de Rabelais dans Gargantua.
En conséquence, que l'on soit un fervent partisan du recul de l'âge légal de départ à la retraite, alors que l'âge factuel est bien en-deçà et qu'il s'agit tout au plus d'un tour de passe-passe pour financer les retraites à travers les régimes d'indemnisation chômage ou préretraite cotisants, ou que l'on y soit farouchement opposé alors que la multiplication des accidents de la vie professionnelle et le nombre d'annuités croissant nécessaire à l'obtention d'une pension à taux plein oblige à un recul factuel de ce même âge, l'essentiel n'est pas là. La réforme des retraites, doit avant tout être une réforme de l'employabilité des jeunes arrivant tard et de manière précaire sur le marché du travail et de celle des seniors. Rompre avec la politique favorisant, dans les faits, le recul de l'entrée des jeunes et la sortie précipitée des vieux du marché du travail comme variable d'ajustement du chômage, voilà la véritable réforme intellectuelle et sociale du financement des retraites, afin que nous soyons un peu plus que 1,23 cotisant pour un retraité en 2050...
Dans son expression la plus populaire, adepte de la Révolution culturelle, le Grand Timonier ne disait-il pas : "la bouse de la vache est plus utile que les dogmes : on peut en faire de l'engrais"... Et, dire que certains voient rouge lorsque l'on agite le chiffon de la "retraite à 60 ans"...
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N2093BP9
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 07 Octobre 2010
Si une disposition est déclarée inconstitutionnelle, elle est abrogée "à compter de la publication de la décision [...] ou d'une date ultérieure fixée par cette décision", conformément aux dispositions de l'article 62 de la Constitution ([LXB=L0891AHHH]). Le pouvoir constituant vient, ainsi, combler un "angle" mort de notre contrôle de constitutionnalité des lois, et permet à notre ordre juridique de s'aligner sur la plupart de nos voisins européens. Nous sommes donc en présence d'un contrôle a posteriori et concret de la norme législative pouvant être déclenché à la demande des requérants ordinaires, dès lors qu'ils invoquent un manquement aux droits et libertés constitutionnellement protégés. La question prioritaire de constitutionnalité constitue d'autant plus une nouveauté importante que, comme l'affirmait Jean-Louis Debré, Président du Conseil constitutionnel, dans l'exorde de son intervention du 23 avril 2010, lors de la rentrée solennelle du Barreau de Chartres (1), "accorder de nouveaux droits aux citoyens ayant recours au service public de la justice n'est pas si fréquent". Il ajoutait, reprenant les mots du jurisconsulte Jean Domat, que l'ambition étant de mettre fin au désordre de la loi, il fallait "expulser les lois arbitraires". Lors de la conférence du 11 mai 2010, un autre membre de l'Institution de la rue de Montpensier, Jacqueline de Guillenchmidt, confirme que ce nouveau mécanisme constitue bien un "nouvel eldorado pour les citoyens", destiné à contrer un risque "d'absolutisme de la loi", travers bien connu de la IVème République qui avait abouti à la création du Conseil constitutionnel en 1958, décrit à l'époque par Michel Debré, "père" de la nouvelle Constitution, comme une "arme braquée sur le Parlement".
Ce "remède" à une certaine hubris du Parlement est, toutefois, comme le rappelle l'intervenante, soumise à trois conditions énumérées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Il appartiendra à la juridiction saisie, tout d'abord, de s'assurer que la disposition contestée commande l'issue du litige, la validité de la procédure, ou constitue le fondement des poursuites. Il lui appartiendra, également, de s'assurer que la disposition contestée n'a pas été préalablement déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Il lui reviendra, enfin, d'apprécier le caractère sérieux de la question. C'est seulement si la réponse à ces trois questions est positive que la juridiction devra alors transmettre la question de constitutionnalité à la juridiction suprême dont elle relève. Par ailleurs, comme l'a rappelé la récente décision "décristallisation des pensions" (CE 1° et 6° s-s-r., 14 avril 2010, n° 336753, Mme Khedidja Labane N° Lexbase : A9196EU7), contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité ne sont pas équivalents, puisqu'à cette occasion, le Conseil d'Etat a accepté de renvoyer au Conseil constitutionnel une question portant sur une disposition qu'il avait jugée conforme à la CESDH.
Une indépendance des deux contrôles bienvenue selon Jacqueline de Guillenchmidt, puisque les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, à l'inverse de celles du Conseil qui abrogent la disposition contestée, ne font pas disparaître de l'ordre interne cette même disposition, et que, par ailleurs, les délais d'instructions devant la Cour de Strasbourg sont très longs (environ 3 ans), 128 000 affaires y étant actuellement en attente d'être jugées. La pratique de la question prioritaire de constitutionnalité, en permettant de remettre la Constitution tout en haut de l'ordre juridique interne, comme l'a explicitement énoncé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 décembre 2009 précitée devrait donc permettre, selon elle, une amélioration incontestable de l'Etat de droit, et constituer "une terre promise pour les droits fondamentaux".
L'originalité de ce nouveau mécanisme, qui le différencie par là de la question préjudicielle, comme le souligne, ensuite, Anne Levade, Professeur à la Faculté de droit Paris-Est Créteil, réside dans son caractère "prioritaire", comme l'indique sa dénomination. En effet, la question prioritaire de constitutionnalité doit être traitée avant toutes les autres, alors que, face à une question préjudicielle, le juge doit d'abord statuer sur les autres moyens. Dans ce cas, il ne pose la question préjudicielle et ne surseoit à statuer uniquement si aucun de ces autres moyens ne lui permet de régler le litige. Ceci implique que le juge, saisi en première instance ou en appel, doit seulement vérifier si les conditions de l'article 23-2 de l'ordonnance sont satisfaites. Dans l'affirmative, il sera tenu, toujours selon le même article, de "statuer sans délai", la décision de transmettre la question devant être adressée au Conseil d'Etat dans les huit jours de son prononcé. A ce propos, l'on peut relever qu'une première ordonnance rendue par la cour administrative d'appel de Paris le 28 mars 2010 a été rendue moins d'un mois après l'enregistrement du mémoire du requérant posant la question prioritaire de constitutionnalité, et a été notifiée aux parties cinq jours après son édiction (CAA Paris, 28 mars 2010, n° 09PA00376, M. Lahcene Aoued N° Lexbase : A3294EXB).
Cette vitesse d'exécution ne dispense, cependant, pas les juridictions administratives saisies du respect du principe du contradictoire puisque, sauf s'il apparaît de façon certaine qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question, le mémoire doit être notifié aux autres parties (CJA, art. R. 771-5 N° Lexbase : L5752IG7). Ce même principe est respecté au stade ultime de la procédure, puisque la décision portant règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité (Cons. const., décision n° 201001, 4 février 2010 N° Lexbase : A1819ES8) ouvre la possibilité aux parties d'être représentées par un avocat, lequel disposera de quinze minutes pour plaider. La procédure, comme Jean-Louis Debré l'a rappelé dans son intervention de Chartres, ne sera pas réservée à une catégorie particulière d'avocats, mais ouverte à tous les membres de cette profession. Les parties pourront même assez spectaculairement, si elles le souhaitent, récuser un membre du Conseil constitutionnel "par un écrit spécialement motivé accompagné des pièces propres à la justifier". Le jugement ne sera plus rendu sur place mais notifié après quelques jours de réflexion, seuls les membres du Conseil constitutionnel ayant assisté à l'audience pouvant participer à la délibération, comme l'indique l'article 11 du règlement. Soulignons, enfin, la modernité du processus, puisque l'entièreté de la procédure s'effectuera par voie électronique, ceci, notamment afin de pouvoir respecter le délai restreint de trois mois posé par le législateur organique.
Toutefois, comme le souligne Anne Levade, nous n'en sommes encore qu'aux balbutiements de cette réforme, car ce seront les juges et les avocats qui donneront la pleine mesure du traitement usuel de cette nouvelle procédure. La Haute juridiction administrative a même décidé, le 14 avril 2010 (CE 4° et 5° s-s-r., 14 avril 2010, n° 329290, Mme Lazare N° Lexbase : A0208EWM) du renvoi, précise l'intervenante, de l'une des dispositions contestées du "dispositif anti-Perruche", du nom du célèbre arrêt "Perruche" qui a dit pour droit que nul ne peut invoquer un préjudice de naissance (Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701, M X, ès qualités d'administrateur légal des biens de son fils mineur Nicolas et autre c/ Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français et autres N° Lexbase : A1704ATB). Or, cette disposition a déjà été déclarée contraire à la CESDH par la Cour de Strasbourg (CEDH, 6 octobre 2005, Req. 1513/03, Draon c/ France N° Lexbase : A6795DKU), et, depuis lors, les juridictions françaises la déclarent même inapplicable pour inconventionnalité (Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-13.775, FP-P+B N° Lexbase : A5688DMM ; CE 4° et 5° s-s-r., 24 février 2006, n° 250704, Mme Levenez N° Lexbase : A3958DNW).
Si le juge saisi en première instance ou en appel est seulement tenu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité sans avoir à rechercher si la réponse à donner au moyen d'inconstitutionnalité est déterminante pour la solution a apporter au litige, rappelons que la Cour de cassation avait subi les foudres de M. Debré lors de son intervention du 23 avril précitée, à l'occasion de sa décision du 16 avril 2010 par laquelle elle avait refusé le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité, relative à la conformité de la possibilité de contrôler l'identité de personnes en zone frontalière avec l'article 88-1 de la Constitution (N° Lexbase : L1350A9U), au Conseil constitutionnel (Cass. QPC, 16 avril 2010, n° 10-40.002, M. Sélim Abdeli, ND N° Lexbase : A2046EX3), le Président rappelant, que dans tous les cas, le juge doit appliquer la loi après que le législateur l'ait fait adopter. Guy Carcassonne, pointait, quant à lui, une décision "stupéfiante", qui renouait "avec les traditions qui firent les beaux, puis les très mauvais jours des Parlements d'Ancien Régime, lorsque ces derniers refusaient de se plier à la loi" (2).
A cette occasion, la Cour suprême a posé à la CJUE une question préjudicielle tendant à apprécier la compatibilité de la question prioritaire de constitutionnalité avec le droit de l'Union européenne, alléguant "que l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnels, les juridictions du fond se voient privées, par l'effet de la loi organique du 10 décembre 2009, de la possibilité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne avant de transmettre la question de constitutionnalité". Cette priorité a semblé poser difficulté à la Cour de cassation, en ce que, selon certains de ses membres, elle peut être source de divergences et donc d'insécurité pour les justiciables (3), alors que, rappelons-le, le juge national doit normalement écarter, par lui-même et sans délai, toute norme nationale incompatible avec une norme communautaire (CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77, Administration des finances de l'Etat c/ Société anonyme Simmenthal N° Lexbase : A5639AUE). A l'occasion de sa décision du 12 mai 2010, relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (Cons. const., décision n° 2010-605 DC, du 12 mai 2010 N° Lexbase : A1312EXU), le Conseil a apporté une réponse partielle à cette question en confirmant sa jurisprudence selon laquelle il ne contrôle pas la compatibilité des lois avec les engagements internationaux ou européens de la France (Cons. const., décision n° 74-54 du 15 janvier 1975, loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse N° Lexbase : A7569AHS).
Signalons, toutefois, que la Haute juridiction a récemment décidé de transmettre au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l'éventuelle atteinte portée par l'article L. 7 du Code électoral (N° Lexbase : L2506AA3), lequel prévoit une peine d'inéligibilité automatique de cinq ans en cas de condamnation d'un élu (Cass. QPC, 7 mai 2010, P+B, n° 10-90.034 N° Lexbase : A1977EXI et n° 09-86.425 N° Lexbase : A1975EXG), ainsi que sur la limitation des chefs de préjudice dont la victime d'un accident du travail peut obtenir réparation (Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-87.288, Mme Christiane Alessandrie, épouse Loret, P+B N° Lexbase : A1976EXH), signe qu'elle n'est peut-être pas totalement hostile à l'instauration de ce nouveau droit. Le fait de savoir si la question prioritaire de constitutionnalité serait susceptible de déboucher sur un contrôle, par le Conseil constitutionnel, de compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne, empiétant, ainsi, sur celui normalement exercé par le juge ordinaire, mérite, en outre d'être soulevée. Plus récemment, la Cour de cassation, a, de sa propre initiative, "jugé" constitutionnelle la loi "Gayssot" (loi n° 90-615 du 13 juillet 1990, tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe N° Lexbase : L3324IKC), en décidant de ne pas transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative au délit de contestation de crimes contre l'Humanité (Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-80.774, Mme Marie-Luce Wacquez, P+B N° Lexbase : A1974EXE).
Certains mettront cette attitude en balance avec celle plus "coopérative" du Conseil d'Etat, qui, dès le 14 avril 2010, rendait trois décisions de renvoi par lesquelles six dispositions législatives faisaient l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, relatives à la "décristallisation des pensions" et au "dispositif anti-Perruche" précités, et au "monopole de représentation des familles de l'Unaf" (CE 1° et 6° s-s-r., 14 avril 2010, n° 323830, Union des familles en Europe N° Lexbase : A0184EWQ), semblant vouloir faire la preuve qu'il appréhendait la question prioritaire de constitutionnalité comme une véritable procédure de coopération avec le Conseil constitutionnel. Ces arrêts semblent, par ailleurs, indiquer que les Sages du Palais-Royal conçoivent la fonction du juge de renvoi plus comme un filtre que comme un bouchon, de par l'interprétation extensive du champ de la question posée qu'ils retiennent, allant jusqu'à examiner la volonté "implicite" du législateur ! Cette attitude de la Haute juridiction administrative semble donc contrecarrer les craintes d'un "Gouvernement des juges" qui, comme le rappelle ensuite, lors de la conférence du 11 mai 2010, Jean-Yves Le Bouillonnec, avocat et député-maire de Cachan, avaient à l'époque fondé l'hostilité de François Mitterrand à cette réforme que lui avait alors présenté Robert Badinter. Henri-Claude Le Gall, Président de la Cour de justice de la République, craint, lui, le risque de multiplication de procès "hors normes", le mécanisme mis en oeuvre imposant à chaque étape de la procédure qu'il soit sursis à statuer sur le litige ou le procès pénal. Des exceptions sont, toutefois, prévues, notamment lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance.
Ne sommes nous pas davantage, comme le suggère Jean-Jacques Israel, doyen de la Faculté de droit Paris-Est Créteil, en présence d'un certain "génie français", à travers ce contrôle a priori et a posteriori des lois ? Venant conclure les débats, Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au Barreau du Val-de-Marne, rappelle les mots du Président Debré lors de son intervention de Chartres du 23 avril 2010, à savoir que les principes de liberté et de dignité doivent "rester inscrits dans la modernité". Reste que la pratique devra lever les craintes soulevées par cette nouvelle procédure, à savoir, notamment, celle relatives à un trop grand succès de la question prioritaire de constitutionnalité, laquelle entraînerait une insécurité juridique par la remise en cause incessante de dispositions législatives en vigueur. Toutefois, avec le franchissement de ce nouveau cap, la France rejoint, désormais, la plupart des démocraties européennes, au sein desquelles l'organe de constitutionnalité de la loi peut être saisi à l'initiative de tout citoyen à l'occasion d'un litige. Cette réforme, en ouvrant de nouveaux droits aux justiciables face à un "Léviathan" législatif, mérite donc d'être pleinement approuvée.
(1) Lire Première Rentrée solennelle du Barreau de Chartres : la défense des libertés à l'honneur, Lexbase Hebdo n° 30 du 12 mai 2010 - édition professions (N° Lexbase : N0681BPW).
(2) La Cour de cassation à l'assaut de la question prioritaire de constitutionnalité, par Guy Carcassonne et Nicolas Molfessis, Le Monde, 23 avril 2010.
(3) Le droit européen est-il soluble dans la question prioritaire de constitutionnalité ?, par Jean-Pierre Dintilhac, Pierre Sargos et Jean-François Weber, Le Monde, 11 mai 2010.
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Réf. : Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-21.511, Société Ap Moller Maersk A/S, FS-P+B (N° Lexbase : A8069ETZ)
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par Jean Sagot-Duvauroux, Maître de conférences, Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
A première vue, l'argument invoqué par le transporteur peut paraître surprenant, voire inopportun. Il est, en effet, admis qu'un fait du prince étranger, tel qu'une mesure d'embargo, peut avoir un effet libératoire pour le débiteur. Pourquoi le transporteur n'a-t-il pas fait valoir cet argument pour s'exonérer de sa responsabilité ? La raison est en réalité facile à deviner : le fait du prince étranger, en l'occurrence l'embargo édicté par le Ghana, n'a d'effet libératoire que s'il n'est pas imputable au débiteur et qu'il présente les caractères de la force majeure (7). Or, en l'espèce, l'imprévisibilité faisait défaut étant donné que la mesure d'embargo datait de deux ans avant la conclusion du contrat.
On comprend, dès lors, que le transporteur, qui avait peu de chances de convaincre sur le terrain de l'exécution du contrat, ait préféré déplacer le débat sur celui de la formation. Cependant, en agissant ainsi, la référence à la norme étrangère n'allait plus de soi. Pourquoi, en effet, apprécier la licéité de la cause au regard de la loi ghanéenne si la loi française est, comme cela semble être le cas, compétente pour régir le contrat au fond ?
Si le moyen n'apporte aucune réponse sur ce point, l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation énonce clairement qu'un titre d'application de la loi étrangère, a priori incompétente, peut être trouvé à travers la notion de loi de police. En effet, par un moyen relevé d'office la Cour de cassation rappelle qu'en vertu de l'article 7 § 1 de la Convention de Rome (8), "il peut être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat". C'est donc au visa de ce texte que la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel, estimant qu'il était de l'office des juges du fond d'envisager la possibilité de donner effet à la loi ghanéenne en qualité de loi de police.
Ainsi, si en vertu de l'article 7 § 1 de la Convention de Rome les juges demeurent libres d'estimer qu'il est inopportun de donner effet aux lois de police étrangère, ils se doivent en revanche de justifier leur non-application. Dit autrement, ceci signifie que les juges doivent obligatoirement prendre en considération le titre d'application dérogatoire dont elles jouissent et qui découle de leur nature spécifique. On ne peut que se féliciter de cette affirmation du caractère obligatoire de la règlementation des relations internationales entre personnes privées. Il contribue en effet à renforcer l'effectivité du texte et, par conséquent, à réaliser, de meilleure manière, les objectifs qu'il poursuit. Il est cependant difficile d'occulter que la solution que la Cour de cassation a choisi d'adopter alourdit considérablement la tâche des juges. Dorénavant, ils devront, dans un premier temps, identifier les lois de police étrangères potentiellement applicables (I) puis, dans un second temps, décider s'il y a lieu ou non de les mettre en oeuvre (II).
I - L'identification des lois de police étrangères
En affirmant avec force le principe de l'applicabilité des lois de police étrangères, la Cour de cassation impose indirectement aux juges du fond une obligation nouvelle : dès lors que le conflit de lois est dans le débat, ils doivent rechercher les lois de police étrangères éventuellement applicables à la cause. Ceci suppose, au préalable, qu'ils identifient de telles normes au sein des ordres juridiques étrangers concernés par la situation, bien qu'incompétents en vertu de la règle de conflit de lois. Se pose donc la question du critère d'identification des lois de police étrangères.
Il est généralement admis que les lois de police sont des normes qui, en raison de leur contenu ou de leur finalité spécifiques, s'appliquent à des situations qui ne leur sont normalement pas soumises en vertu des règles de conflit de lois (9). Ainsi, l'identification des lois de police résulte de la mise en oeuvre de deux critères distincts, bien qu'étroitement liés entre eux.
Le premier critère est conceptuel ; il a trait au contenu de la norme. Ne peuvent normalement être qualifiées de lois de police que les normes qui, aux yeux de l'Etat duquel elles émanent, jouent un rôle crucial dans l'organisation politique, sociale ou économique du pays (10).
Le second critère est fonctionnel ; il a trait au mode d'intervention de la norme. Les lois de police sont les dispositions impératives de la loi d'un pays applicables quelle que soit la loi régissant la situation. Ce critère n'est pas à proprement parler, pour le juge, un critère de définition des lois de police. Il permet de les repérer a posteriori et de caractériser la méthode dérogatoire qu'elles constituent par rapport à la technique conflictuelle classique (11).
Ainsi, pour ce qui est des lois de police du for, en l'absence d'indications de la part du législateur, le juge doit d'abord considérer le contenu et la finalité de la règle invoquée (12). Ce n'est qu'ensuite qu'il détermine si ce contenu justifie de qualifier la norme de loi de police et, subséquemment, de lui conférer un domaine d'application exorbitant.
Est-il possible de transposer ce raisonnement s'agissant d'identifier, comme y invite l'arrêt commenté, des lois de police étrangères ?
Si la recherche de la volonté du législateur étranger et des buts qu'il poursuit à travers ses diverses dispositions législatives n'est pas impossible, elle paraît cependant difficilement envisageable. Tout d'abord, la finalité d'une disposition est rarement évidente sans une connaissance plus large du contexte juridique dans lequel elle s'inscrit. Une telle recherche s'avérerait d'ailleurs d'autant plus ardue que tout raisonnement par analogie aux solutions retenues par le droit français est à proscrire. En effet, les Etats ne défendent généralement pas les mêmes politiques sociales ou économiques et n'attachent pas la même importance à des dispositions ayant pourtant le même objet.
Ensuite, il paraît difficile de requérir du juge français qu'il détermine, lui-même, les dispositions dont l'application est nécessaire pour que la politique d'un Etat auquel il n'appartient pas soit respectée.
Il s'ensuit que le juge français -contraint par la décision commentée d'envisager la possibilité d'appliquer les lois de police étrangères- n'aura d'autre alternative que de les identifier à l'aide du second critère. Il se retrouve ainsi dans la position d'un simple observateur extérieur qui ne fait que constater qu'il existe, au sein d'un ordre juridique étranger, des dispositions qui revendiquent leur application bien qu'elles n'appartiennent pas à la lex causae. Il n'y a ainsi rien d'étonnant à ce que la Chambre commerciale indique qu'"il peut être donné effet aux dispositions impératives d'un autre pays [...] si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat (13)".
Pour identifier les lois de police étrangères potentiellement applicables, le juge français doit donc mettre de côté les conceptions du for et adopter complètement le point de vue étranger. Il doit, pour ce faire, consulter les éventuelles précisions apportées par le législateur ou, à défaut, la jurisprudence étrangère qui, à la manière du juge français, aura décidé de qualifier de loi de police telle ou telle disposition et en aura précisé le champ d'application. En l'espèce, l'identification de la loi de police étrangère ne suscitait pas de réelle difficulté. En effet, non seulement il était évident, d'un point de vue abstrait, que la mesure d'embargo se voulait applicable à toutes les importations de viande bovine française mais, en plus, elle avait été concrètement appliquée à la situation.
En définitive, pour remplir la nouvelle obligation qui lui incombe, le juge français doit identifier les lois de police étrangères en se contentant de constater que certaines dispositions du droit étranger se veulent applicables à la situation, nonobstant l'indication contraire fournie par la règle de conflit. A ce stade, il ne lui incombe pas de décider, au regard de ses propres conceptions, de la légitimité et du bien-fondé de la politique poursuivie par l'Etat étranger. Il pourra, en revanche, le faire au moment de mettre en oeuvre les lois de police étrangères.
II - La mise en oeuvre des lois de police étrangères
Le principal apport de la décision commentée est d'exiger du juge français qu'il envisage la possibilité de mettre en oeuvre les lois de police étrangères qui revendiquent leur compétence. Cependant, l'arrêt du 16 mars 2010 ne lui impose pas nécessairement de les mettre en oeuvre. Autrement dit, après avoir identifié les lois de police étrangères, le juge reste libre de décider s'il y a lieu ou non de leur donner effet. Il n'y a là aucune innovation majeure ; c'est le sens même de l'article 7 § 1 de la Convention de Rome qui, au sujet de l'application des lois de police étrangères, ne prévoit qu'une faculté pour le juge. On ne peut pourtant pas s'empêcher de penser que la marge de manoeuvre du juge n'est en réalité pas la même selon l'effet donné à la loi de police étrangère. Lorsqu'il s'agira de l'appliquer, il pourra effectivement mesurer l'opportunité de cette application. Lorsqu'il s'agira simplement de la prendre en considération, il n'aura généralement qu'un pouvoir d'appréciation extrêmement réduit.
A - L'application des lois de police étrangères
Le fait que l'article 7 § 1 de la Convention de Rome laisse au juge le soin de prendre la décision finale d'appliquer ou non la loi de police étrangère ne signifie pas qu'il lui laisse toute latitude. Plusieurs éléments à prendre en considération sont en effet expressément évoqués par le texte. La Convention indique, notamment, que le juge doit tenir compte de la nature, de l'objet et des conséquences de l'application ou de la non-application de la loi de police étrangère.
Le juge est, par conséquent, invité à apprécier la légitimité du but poursuivi par la loi de police étrangère, son adéquation avec les objectifs du for ou encore la nécessité de lui conférer un champ d'application exorbitant. Il est ainsi par exemple en droit de refuser d'appliquer une loi de police étrangère contraire à sa conception de l'ordre public international ou qui contreviendrait à une disposition de même nature, mais émanant de l'Etat dont il dépend.
Pour autant, s'il est admis à écarter l'application de la norme étrangère, il doit justifier sa décision au regard des éléments posés par la Convention : c'est là la précision apportée par la décision de la Chambre commerciale du 16 mars 2010.
En l'espèce -et même si la Cour de cassation ne se prononce pas sur ce point-, tout laisse à penser que, compte tenu des critères d'évaluation posés par le texte, les chances d'appliquer la mesure d'embargo sont relativement faibles. Il va en effet de soi que la loi de police ghanéenne heurte frontalement les intérêts du for en empêchant toute importation de viande bovine française. Pourtant, en toute logique, ce n'est pas cet argument qui devrait conduire la cour de renvoi à refuser d'appliquer la norme étrangère. En effet, même si elle n'est pas inscrite dans le texte de l'article, il existe une condition préalable à l'application d'une loi de police étrangère : il faut, tout simplement, que sa structure permette son application. Autrement dit, l'effet juridique de la règle invoquée doit apporter une réponse à la question posée au juge sans le concours d'une autre règle de droit privé. Or, tel n'était évidemment pas le cas en l'espèce puisque la loi ghanéenne interdit certes les importations de viande française, mais ne prévoit rien quant à l'effet obligatoire et le contenu du contrat de transport. Ainsi, sans qu'il soit besoin d'apprécier l'opportunité de son application, la nature même de la loi de police étrangère empêche son application.
On retrouve ici la distinction opérée par Currie (14) entre règles de conduite et règles de décision. Seules les premières, qui fournissent "la solution substantielle de tout ou partie d'un litige de droit privé entre contractants" (15), peuvent faire l'objet d'une application. Les premières, qui ne font que prohiber un comportement sans définir les droits et obligations des parties, ne peuvent, quant à elles, qu'être prises en considération en tant que local datum (16).
B - La prise en considération des lois de police étrangères
Ainsi, en raison de sa nature particulière, la loi de police ghanéenne qui décrète un embargo sur les viandes bovines françaises ne peut, en toute hypothèse, pas être appliquée par le juge français ; elle peut seulement être prise en considération (17). En d'autres termes, il ne saurait s'agir d'introduire dans l'ordre du for son effet normatif, la sanction juridique qu'elle prévoit pour la situation qu'elle vise. S'agissant d'une règle de conduite purement prohibitive, il n'est possible d'en tenir compte qu'en tant qu'élément du présupposé de la lex contractus. Elle ne constitue qu'un événement, parmi d'autres, permettant au juge d'apprécier la licéité de la cause ou le caractère possible de l'objet et, éventuellement, de prononcer la nullité prévue par le droit français applicable au contrat. Ainsi, "l'effet pouvant être donné à la loi ghanéenne" auquel la Cour de cassation fait référence ne pouvait être qu'une prise en considération.
C'est pourquoi, le visa de l'article 7 § 1 de la Convention de Rome, au nom duquel la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel, peut paraître surprenant ou, à tout le moins, inutile. Il est vrai que l'expression "donner effet", consacrée par l'article, peut être comprise comme visant à la fois l'application et la prise en considération des lois de police étrangères. Pour autant, s'il peut s'expliquer par le souci de renvoyer à des hypothèses variées de référence aux lois de police étrangères, le recours à cette terminologie globalisante apparaît superflu. Dès lors qu'il s'agit de prendre en considération, et non d'appliquer, une loi étrangère, aucun titre d'application n'est, par hypothèse, nécessaire. En effet, de même qu'il n'est pas utile de vérifier la régularité d'un jugement étranger dont l'effet normatif n'est pas revendiqué dans le for, il n'est pas nécessaire, pour prendre en considération une loi étrangère, que celle-ci soit désignée par la règle de conflit ou que la qualité de loi de police lui soit conférée. Il suffit de constater qu'elle constitue -en tant que telle ou, comme en l'espèce, du fait de son application effective dans le cadre de l'ordre juridique étranger- une donnée objective entrant dans le champ contractuel (18).
Il en résulte que la cour d'appel aurait normalement dû tenir compte de la loi ghanéenne non parce qu'elle avait la qualité de loi de police, mais parce qu'elle constituait potentiellement un des éléments visés par le présupposé des dispositions du Code civil invoquées par l'un des requérant et compétentes en tant que lex contractus. Tout recours à la notion de loi de police et, par conséquent, à l'article 7 § 1 était donc inutile (19).
Assez paradoxalement, ce caractère superflu du visa choisi par la Chambre commerciale est peut-être le signe d'une volonté ferme, de la part de la Cour de cassation, de donner tout son sens au principe de l'applicabilité des lois de police étrangères posé à l'article 7 § 1 de la Convention de Rome et très récemment réaffirmé par le Règlement "Rome 1".
(1) Voir D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. I, Partie générale, PUF, 1ère éd., 2007, n° 518 et s..
(2) Voir S. Bollée, L'extension du domaine de la reconnaissance unilatérale, Rev. crit. DIP, 2007, p. 307.
(3) Jusque là ce n'est qu'implicitement que l'on avait pu déduire, d'un nombre d'ailleurs très limité d'arrêts, la possibilité de donner effet à des lois de police étrangères. Voir pour un exemple Cass. soc. 31 mai 1972, Rev. crit. DIP, 1973, p. 683, note P. Lagarde.
(4) Voir le moyen annexé à l'arrêt.
(5) Voir infra II - B.
(6) A la lecture de la décision on devine que la loi applicable est la loi française. Rien ne nous permet, en revanche, de savoir si cette compétence résulte d'un choix des parties (article 3 de la Convention de Rome) ou de la localisation en France de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique (article 4 de la Convention).
(7) Voir P. Kinsh, Le fait du prince étranger, LGDJ, t. 240, 1994. On remarquera, d'ailleurs, que les solutions sont peu ou prou les mêmes que l'on se place sur le terrain du droit commun de la responsabilité contractuelle ou dans le cadre de la loi du 18 juin 1966, sur les contrats d'affrètement et de transport maritimes (loi n° 66-240 N° Lexbase : L8010GTT).
(8) Etant donnés les faits de l'espèce, il sera fait référence à l'article 7 § 1 de la Convention de Rome. Pour autant, l'article 9 § 3 du Règlement "Rome 1" (Règlement n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles N° Lexbase : L7493IAR), qui lui a succédé, peut faire l'objet d'une analyse similaire. En effet, si le texte communautaire a quelque peu restreint la possibilité d'appliquer les lois de police étrangères, le mécanisme demeure globalement le même.
(9) Voir P. Mayer, Les lois de police étrangères, JDI, 1981, p. 277, spéc. n° 17 et l'article 9 § 1 du Règlement "Rome 1" selon lequel : "une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial pour la sauvegarde de ses intérêts publics [...] au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelque soit par ailleurs la loi applicable au contrat".
(10) Voir Ph. Francescakis, Quelques précisions sur les lois d'application immédiate et leur rapport avec les règles de conflit de lois, Rev. crit. DIP, 1966, p. 1.
(11) Voir D. Bureau et H. Muir Watt, op. cit., n° 552.
(12) P. Mayer, op. cit., n° 18.
(13) C'est nous qui soulignons.
(14) Cité par P. Kinsh, op. cit., n° 302.
(15) P. Kinsh, op. cit., loc. cit..
(16) C'est-à-dire en tant que "donnée locale".
(17) Sur cette notion voir E. Fohrer-Dedeurwaerder, La prise en considération des normes étrangère, LGDJ, t. 501, 2008.
(18) C'est d'ailleurs ce qui explique qu'une loi étrangère puisse être prise en considération même si elle est manifestement contraire à l'ordre public international du for, voir dans ce sens P. Kinsh, op. cit., n° 180.
(19) Le fait que l'article 7 § 1 ne soit réellement utile que pour fonder l'application et non la prise en considération des lois de police étrangères transparaît d'ailleurs dans la rédaction de la disposition. En effet, alors qu'il utilise, dans un premier temps, l'expression "donner effet", le texte fait mention, dans un second temps, à "l'application ou la non-application" des lois de police étrangères pour préciser les critères de leur mise en oeuvre. Par ailleurs, on notera que l'un des arguments invoqués par les Etats réticents à l'introduction, dans la Convention, de la possibilité de donner effet aux lois de police étrangères était précisément son caractère inutile et redondant. Voir sur ce point D. Bureau et H. Muir Watt, op. cit., n° 250.
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par Anne-Lise Lonné - Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 07 Octobre 2010
Yves-Charles Zimmermann : La réforme de la TVA immobilière, opérée par l'article 16 de la loi de finances rectificative pour 2010 ("la loi"), a supprimé le régime spécifique des marchands de biens. Parallèlement, les formalités particulières qui pesaient sur les marchands de biens ont également été abrogées, de même que les sanctions et droit de communication y attachés.
Ainsi, la déclaration d'existence, à souscrire dans le délai d'un mois à compter du commencement des opérations de marchand de biens et, surtout, la tenue d'un répertoire à colonnes, présentant au jour le jour, sans blanc ni interligne et par ordre de numéros, tous les mandats, promesses de ventes, actes translatifs de propriété, et d'une manière générale, tous actes se rattachant à la profession de marchand de biens (CGI, art. 852 N° Lexbase : L8697HLP), ne sont plus requis. Ces dispositions s'appliquent, à défaut d'indication particulière dans la loi, à compter du 11 mars 2010 pour les opérations réalisées à compter de cette date.
Les "anciens" marchands de biens doivent, cependant, conserver le répertoire, tenu jusqu'au 11 mars 2010, dans la limite du délai de prescription fiscale.
Outre la disparition de leur régime, l'activité d'achat-revente d'immeubles réalisée par les anciens marchands de bien est directement impactée par la réforme de la TVA immobilière.
Les opérations réalisées par ces professionnels relèvent, désormais, du droit commun de la TVA, tel que prévu par la loi pour les opérations immobilières.
Rappelons, également, que la loi a assoupli le régime des achats en vue de la revente, cette dernière devant désormais intervenir dans les cinq ans de l'acquisition (contre quatre avant la réforme). La loi l'a également généralisé puisque ce régime, qui ne concernait jusqu'à présent que les marchands de biens est, depuis le 11 mars 2010, applicable de plein droit par toute personne assujettie à la TVA. Ainsi, tout acquéreur assujetti à la TVA peut dorénavant prendre l'engagement de revendre le bien immobilier pour bénéficier de droits d'enregistrement au taux réduit de 0,715 %.
Lexbase : La réforme de la TVA immobilière est-elle, selon vous, favorable du point de vue des promoteurs ?
Yves-Charles Zimmermann : La réforme de la TVA immobilière a, notamment, clarifié le redevable de la taxe qui est désormais, et dans tous les cas, la personne qui réalise l'opération imposable, à savoir le vendeur. Ainsi, l'exception qui permettait à l'acquéreur, auparavant, dans certaines conditions, d'être le redevable de la TVA, a été abrogée. Cette exception était, notamment, utilisée par les promoteurs se portant acquéreurs de terrains entrant pour la première fois dans le champ d'application de la TVA par l'engagement de construire qu'ils souscrivaient. De ce fait, les promoteurs pouvaient auto-liquider la TVA sans aucun décaissement de ladite TVA.
La réforme a ainsi mis fin à cette particularité ; l'engagement de construire ne conditionnant plus l'application de la TVA, celle-ci sera toujours due au vendeur d'un terrain à bâtir lorsque ce dernier est un assujetti. L'acquéreur devra ainsi décaisser le montant de la TVA due au vendeur. Les promoteurs devront, donc, désormais, financer le montant de la TVA. Ceci représente pour ces derniers un coût financier, pouvant être évalué au prix de l'argent sur la période courant entre le paiement du prix et l'imputation de la TVA déductible ou le remboursement du crédit de TVA par le Trésor.
L'impact pour les promoteurs dépendra essentiellement de leur propre organisation, ceux faisant appel à des véhicules ad-hoc de construction-vente par projet étant plus pénalisés, puisque la situation au regard de la TVA est déterminée au niveau de chaque entité juridique (et non pas au niveau du groupe, la notion de groupe de TVA n'existant pas en France, contrairement à certains autres pays européens).
A noter que cet effort financier dépendra essentiellement de la situation du vendeur assujetti du terrain à bâtir, la TVA étant due sur le prix total lorsque le terrain avait ouvert droit à déduction lors de son acquisition par le vendeur, ou bien sur la marge dans le cas contraire.
Rappelons, enfin, en matière de droits d'enregistrement, que les promoteurs, lors de l'acquisition de terrains à bâtir, sont redevables du seul droit fixe de 125 euros en contrepartie de l'engagement de construire dans un délai de quatre ans.
La réforme a introduit une certaine souplesse qui n'existait pas jusqu'à présent, dans la mesure où, en cas d'acquisitions successives par des personnes assujetties, l'engagement pris par le cédant peut être repris par l'acquéreur (auquel s'impose alors le délai imparti initialement).
Enfin, les commentaires à paraître de l'administration sont particulièrement attendus au regard des facultés qui semblent offertes aux assujettis de se délier de leurs engagements et, notamment, la faculté pour un assujetti tenu à un engagement de construire d'y substituer un engagement de revendre.
Lexbase : Dans quelle mesure un professionnel peut-il optimiser sa situation par le biais de l'exercice des options à la TVA prévues dans le cas des opérations exonérées ?
Yves-Charles Zimmermann : Dans le cadre de la réforme de la TVA immobilière, la loi a introduit la possibilité pour les opérations réalisées par les assujettis dans le cadre de leur activité économique, lorsqu'elles ne sont pas taxables de plein droit, d'y être imposées sur option. Tel est notamment le cas des terrains non à bâtir et des immeubles autres que les immeubles neufs.
Bien que les conditions et modalités pratiques de l'application de cette mesure n'ont pas encore fait l'objet d'un décret, il semble que l'option devrait pouvoir être exercée (ou non) par les différents assujettis pour chaque opération prise individuellement.
Le choix de l'option leur permettra de choisir le régime fiscal applicable à une opération en fonction de son contexte, notamment, la qualité de l'acquéreur, le régime appliqué en amont, le montant éventuel de TVA antérieurement déduite à régulariser, le montant des charges nécessaires à la réalisation de l'opération.
Cette étude au cas par cas devrait, également, permettre d'éliminer dans le futur le renchérissement "artificiel" de certains biens provenant de la rémanence de taxe (par exemple la TVA à régulariser prise comme un élément du prix) lorsque l'acquéreur peut intégralement (ou partiellement) déduire la taxe.
Cette souplesse introduite par la loi devrait finalement permettre aux professionnels de bénéficier pleinement du mécanisme de neutralité de la TVA.
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Michel Bénichou : Le Traité de Rome poursuit, notamment, l'objectif d'établissement d'une concurrence non faussée dans le marché intérieur . Le droit de la concurrence fait partie du socle même du Traité et s'applique à toutes les activités de production, de distribution et de service, sans immunités sectorielles, mises à part celles prévues par le Traité.
La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), dans son arrêt du 23 avril 1991 (aff. C-41/90 N° Lexbase : A0092AWC), a défini, très largement, la notion d'entreprise et y a inclus l'activité des professions libérales. Elle considère que "dans le contexte du droit à la concurrence, la notion d'entreprise comprend toutes entités exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement". Le concept est essentiellement fonctionnel. "Le statut juridique est sans importance, les personnes physiques peuvent elles aussi être considérées comme des entreprises" (voir conclusions de l'Avocat général M. Jacobs, sous CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-180/98 N° Lexbase : A5114AY3).
La CJCE (désormais CJUE) considère, donc, que les professions libérales sont des entreprises et sont, donc, soumises aux dispositions communautaires du droit de la concurrence, dès lors qu'elles :
- agissent en tant qu'opérateurs économiques indépendants,
- offrent des services contre rémunération,
- offrent des services spécialisés,
- assument des risques financiers inhérents à l'exercice de leur activité libérale.
Toutefois, l'Avocat général Léger, dans ses conclusions dans l'affaire "Wouters" (CJCE, 19 février 2002, aff. C-309/99 N° Lexbase : A0074AYE), a distingué les activités des avocats réalisées en tant qu'opérateurs indépendants de celles réalisées en tant que salariés, seuls les premiers relevant du droit de la concurrence.
Enfin, dans l'arrêt "Klopp" (CJCE, 12 juillet 1984, aff. C-170/83 N° Lexbase : A8240AUQ), la Cour a indiqué que, en l'absence de règles communautaires spécifiques en la matière, chaque Etat membre conserve la liberté de régler l'exercice de la profession d'avocat sur son territoire.
Les professions libérales règlementées (dont la profession d'avocat) sont, donc, directement concernées par le droit communautaire de la concurrence. Cela a été rappelé à plusieurs reprises et, notamment, par la Commission européenne dans différents rapports (voir, notamment, le rapport "Monti" sur "une nouvelle stratégie pour le marché unique au service de l'économie de la société européenne" et le rapport "Kroes").
Les textes sont ceux du Traité et les règles générales sur la concurrence.
Lexbase : Concernant les professions libérales réglementées, des restrictions ont été dénoncées par la Commission européenne (prix imposés et conseillés, restrictions en matière de publicité, monopoles et tâches réservées et réglementation des structures d'exercice). Lesquelles concernent les avocats ? Quel contrôle exerce la CJUE ?
Michel Bénichou : Toutes les professions libérales règlementées ou officiers publics et ministériels sont concernés par la politique de la concurrence et ont été dénoncés par la Commission européenne quant à certaines pratiques : tarif, prix conseillés, accès à la profession, publicité, multidisciplinarité, règlementation des structures.
Les avocats sont assez peu concernés. En effet, ils n'ont pas de tarifs, pas de prix conseillés ou imposés. Ils ont libéralisé leur publicité et ils n'ont pas de monopole à l'exception -de façon réduite- de la défense devant certains tribunaux.
La CJUE exerce un rôle de "tamis" au travers du test de proportionnalité. Elle va examiner l'intérêt de la restriction de concurrence par rapport à l'intérêt général.
D'autres professions sont directement concernées et pourtant aucune évolution n'intervient. Les notaires, les huissiers et autres professions disposent d'un tarif. Dans ces mêmes professions, il existe un monopole et un accès réservé. La publicité est interdite dans ces professions, il n'y a pas de structures multidisciplinaires.
La seule évolution semble concerner la question de la nationalité des notaires et les conditions d'établissement. La CJUE a tenu une audience de plaidoirie le 27 avril 2010 sur demande de la Commission qui lui demande de constater qu'en imposant une condition de nationalité pour l'accès à la profession de notaire, certains Etats membres (France, Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg et Grèce) ont violé les dispositions du Traité instituant la Communauté Européenne relatif à la liberté d'établissement .
La Commission considère que les activités notariales ne sont pas dotées d'une compétence de décision unilatérale permettant aux Etats membres de maintenir une condition de nationalité pour accéder à cette profession et que le notariat ne se distingue pas d'autres professions et, notamment, celle d'avocat.
L'Avocat général doit rendre ses conclusions le 7 septembre 2010. On peut penser qu'une décision interviendra soit à la fin de l'année 2010, soit au début de l'année 2011.
Lexbase : L'un des derniers textes venus compléter le dispositif est la Directive "Services". Quels en sont les principes directeurs ? Quels enjeux ce texte représente-t-il pour les avocats ?
Michel Bénichou : La Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 est relative aux services dans le marché intérieur et vise à simplifier les procédures administratives et à supprimer les obstacles aux activités de services dans l'Union européenne.
Elle traite ainsi de la liberté d'établissement et de la libre de prestation de services.
Toutefois, elle devrait concerner moins les avocats que d'autres professions. En effet, la Directive "Services" ne remet en cause ni les Directives 77/249/CEE, sur la liberté de prestation de services (N° Lexbase : L9275AU3), et 98/5/CE, sur le libre établissement des avocats communautaires (N° Lexbase : L8300AUX), ni la Directive 2005/36/CE, sur la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN).
Les Directives propres aux avocats priment donc.
Par ailleurs, certains ont pu croire que la Directive "Services" s'opposait au monopole du droit consenti et aux professions juridiques règlementées en matière de défense ou de consultation. Or, c'est un avis inexact.
La Cour de justice reconnaît le droit pour les Etats membres de réserver certaines activités à la profession d'avocat dans le respect des règles de non-discrimination, de nécessité et proportionnalité, dès lors que la règlementation a pour objectif de protéger les destinataires de services contre les préjudices pouvant résulter du recours à des personnes dépourvues des qualifications professionnelles ou morales nécessaires.
Les règles professionnelles des avocats et, notamment, les règles d'organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle, de responsabilité civile et pénale, procurent une garantie d'intégrité et d'expérience aux consommateurs des services juridiques.
Lexbase : Quelle échéance a été fixée pour la transposition de la Directive "Services" ? Où en est la France ? Quelle approche a-t-elle choisi d'adopter ?
Michel Bénichou : La transposition en droit français de la Directive "Services" est en cours. La France est en retard.
La Directive devait être transposée avant la fin 2009. Madame Gebhardt, membre du Parlement européen et rapporteuse, en 2005 et 2006, de la Directive "Services", a dénoncé certains Etats membres qui ne feraient pas le nécessaire pour mettre en oeuvre le texte.
La Directive "Services" prévoit, également, que la règlementation de chacune des activités de service concernée doit être passée au crible, aux fins de savoir si elle contient des dispositions contraires aux principes de la Directive (non-discrimination, nécessité et proportionnalité).
Cela, nécessairement, prend du temps et des arbitrages doivent avoir lieu.
Lexbase : Certaines professions juridiques et judiciaires bénéficient-elles d'exonération ? Selon vous, les avocats auraient-ils dû être exclus du dispositif communautaire ?
Michel Bénichou : Les notaires bénéficient d'une exclusion de la Directive "Services" grâce au travail de lobbying fait par le Gouvernement français de l'époque et, notamment, le ministre de la Justice, Monsieur Perben.
Pourtant, ils délivrent des services. Ils sont en concurrence directe avec les avocats sur nombre de domaines qui ne constituent par leur monopole (constitution de société, conseils en matière de régimes matrimoniaux ou de successions...).
Certains espèrent qu'à cette occasion, la prestation de conseil juridique "à titre accessoire" soit déclarée injustifiée au regard des principes posés par la Directive. Cela n'est pas le cas. La protection des destinataires des services juridiques contre le préjudice qu'ils pourraient subir du fait du conseil juridique qui leur serait donné par des personnes qui n'auraient pas de codification professionnelle ou morale nécessaire justifie le maintien de la règlementation protectrice concernant l'exercice du droit à titre accessoire.
Néanmoins, on peut penser que, compte tenu des Directives applicables directement à la profession d'avocat et des efforts que celle-ci a faits pour se conformer au Traité et, notamment, au droit de la concurrence, les avocats auraient du être exclus de ce dispositif communautaire.
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 07 Octobre 2010
Lexbase : Quels sont les enjeux de la nouvelle procédure de référé contractuel, telle qu'issue de l'ordonnance du 7 mai 2009 ?
Stéphane Braconnier : L'avènement du référé contractuel, né de la transposition de la Directive "recours" du 11 décembre 2007 par l'ordonnance du 7 mai 2009 et son décret d'application du 27 novembre 2009 (décret n° 2009-1456, relatif aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique N° Lexbase : L9773IEP) complète, dans la chaîne de conclusion des contrats publics d'affaires, la panoplie des recours ouverts aux opérateurs économiques intéressés par la conclusion du contrat : référé précontractuel, référé suspension, déféré préfectoral, recours contre les actes détachables, et recours en contestation de validité du contrat né de l'arrêt "Tropic" du 16 juillet 2007 (2). L'on peut rappeler que, sous l'empire du régime antérieur, pour contester efficacement et rapidement la passation du contrat, les candidats évincés ne disposaient que du référé précontractuel, celui-ci devant être introduit avant la signature du contrat, la saisine étant, à défaut, irrecevable (3). Au-delà, le nouveau recours, régi, s'agissant des contrats administratifs conclus par les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices, par les articles L. 551-13 (N° Lexbase : L1581IEB) à L. 551-51 du Code de justice administrative, et, s'agissant des contrats de droit privé, par les articles 11 à 20 de l'ordonnance du 7 mai 2009, permet, à l'instar du recours "Tropic", mais de manière plus spécifique, de toucher des contrats qui, conclus en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence obligatoires, n'ont fait l'objet d'aucun référé précontractuel efficient. L'article L. 551-14, alinéa 2, du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1603IE4) énonce, en effet, que le référé contractuel "n'est pas ouvert au demandeur [qui a fait usage du référé précontractuel] , dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté [le caractère suspensif de ce dernier] et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours". En ce sens, le nouveau référé conforte l'existence du référé précontractuel et en garantit l'efficience.
Lexbase : Comment articuler le référé contractuel avec le recours en contestation de validité du contrat symbolisé par la jurisprudence "Tropic Travaux" ?
Stéphane Braconnier : L'avènement du référé contractuel, deux ans seulement après l'arrêt "Tropic" du 16 juillet 2007, érode, à première vue, l'intérêt du recours "Tropic" en contestation de validité du contrat. Aujourd'hui, en effet, les concurrents évincés et, plus largement, les opérateurs économiques ayant intérêt à conclure les contrats publics d'affaires, disposent de deux voies concurrentes leur permettant de contester la validité d'un contrat conclu en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence pesant sur les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices. La concurrence entre les deux voies de recours est d'autant plus flagrante que les personnes recevables à les exercer sont les mêmes : concurrents évincés pour le recours "Tropic", personnes ayant intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ces manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence pour le référé contractuel. Les effets des deux recours sont, également, les mêmes. Toutefois, ces deux recours conservent quelques différences qui empêchent de considérer que l'un a absorbé l'autre. Ces différences pourraient même amener à constater leur complémentarité (4). La différence majeure réside dans les contrats concernés. Le référé contractuel ne concerne, ainsi, que les contrats remplissant les critères figurant aux articles L. 551-1 (N° Lexbase : L1591IEN) et L. 551-5 (N° Lexbase : L1572IEX) du Code de justice administrative, alors que le recours "Tropic" concerne, au moins potentiellement, tous les contrats administratifs, et n'est pas bridé par l'exception de recours précontractuel parallèle posée à l'article L. 551-14 du même code. A l'inverse, le référé contractuel peut viser certains contrats de droit privé, alors que le recours "Tropic" ne concerne que les seuls contrats administratifs.
S'agissant des pouvoirs du juge, le recours en contestation de validité est également plus large que le référé précontractuel, ce dernier ne pouvant, par exemple, octroyer de dommages et intérêts (CJA, art. L. 551-16 N° Lexbase : L1593IEQ). Surtout, les pouvoirs du juge des référés contractuels sont limitativement énumérés par les textes et fortement conditionnés. Ne peuvent être invoqués, devant lui, que des motifs liés à la méconnaissance d'obligations de publicité et de mise en concurrence, alors que le juge du recours en contestation de validité du contrat peut librement "après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, [...] prononcer la résiliation du contrat ou modifier certaines de ses clauses, [...] décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, [...] accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, [...] annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat".
Lexbase : Quelles sont les modifications majeures apportées par les textes précités au référé précontractuel ?
Stéphane Braconnier : L'ordonnance de 2009 a, tout d'abord, restructuré, en vue de sa simplification, le dispositif textuel autour d'une double distinction contrats administratifs-contrats de droit privé, d'une part, et contrats passés par les pouvoirs adjudicateurs-contrats passés par les entités adjudicatrices, d'autre part. L'ordonnance a, également, élargi le périmètre des contrats soumis au référé précontractuel. Initialement réservé aux seuls contrats énumérés par l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (marchés publics, délégation de service public et contrat de partenariat), le référé est désormais ouvert aux "contrats ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation de service public". A une logique énumérative, l'ordonnance du 7 mai 2009 a, ainsi, substitué une logique plus générique, articulée autour de critères issus du droit communautaire. Elle a, en outre, imposé une suspension automatique de la signature du contrat dès l'introduction de l'instance. En effet, dès lors que le juge est saisi, le contrat ne peut plus, de plein droit, être signé jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle. Ce mécanisme, plus efficace, se substitue à l'injonction de différer la signature du contrat pour une période maximale de vingt jours, introduite dans le mécanisme du référé précontractuel par la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative aux référés administratifs (N° Lexbase : L0703AIU). Cela n'exclut pas, cependant, que l'administration signe le contrat en méconnaissance de l'obligation de suspension, ce qui provoquera un non-lieu à statuer.
Enfin, sans que cette liste ne soit exhaustive, l'ordonnance a ouvert au juge des référés précontractuel la possibilité de mettre en balance les intérêts en présence. Le juge peut, ainsi, "en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public", écarter certaines mesures qu'il est susceptible de prendre, "lorsque leurs conséquences négatives pourraient l'emporter sur leurs avantages" (CJA, art. L. 551-12 N° Lexbase : L1588IEK et L. 551-7 N° Lexbase : L1590IEM). Il s'agit ici d'une nouvelle illustration du pouvoir de modulation de l'office du juge (5).
Lexbase : Le resserrement de l'intérêt à agir dans le référé précontractuel opéré par l'arrêt "Smirgeomes" a-t-il définitivement marqué la fin de l'instrumentalisation de cette procédure ?
Stéphane Braconnier : L'arrêt "Smirgeomes" du 3 octobre 2008 (6) a indiscutablement permis de mettre fin aux abus, constatés en jurisprudence, auxquels a pu donner lieu l'instrumentalisation, et le caractère parfois radical, lorsqu'il aboutit à l'annulation d'une procédure, du référé précontractuel. La subjectivisation de ce dernier, à travers l'exigence de la preuve d'une lésion ou d'un risque de lésion au détriment d'un concurrent évincé a, de ce point de vue, constitué un progrès considérable. Par cette décision, la Haute juridiction administrative a, en effet, précisé que le juge des référés précontractuels ne pouvait annuler la procédure de passation que si l'entreprise qui le saisit démontre qu'une autre entreprise a été avantagée par l'irrégularité dénoncée, en énonçant qu'"il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente". Le Conseil d'Etat a, ainsi, mis un coup d'arrêt aux annulations de procédure prononcée sur le fondement d'imprécisions ou d'oublis qui, pour être réels, ne lésaient aucunement les entreprises requérantes et, surtout, n'avantageaient en aucun cas leurs concurrents. L'on peut, toutefois, s'interroger sur le risque que ces exigences nouvelles privent, par une sorte de retour brutal de balancier, les opérateurs économiques de la substance des droits qu'ils tirent du référé précontractuel.
Lexbase : L'encadrement des pouvoirs du juge du référé précontractuel, opéré dès l'arrêt "Région Réunion", peut-il lui permettre d'exercer pleinement ses prérogatives ?
Stéphane Braconnier : Ce que révèle surtout l'arrêt "Région Réunion" (7), dans lequel le juge a effectué un rappel à l'ordre quant à la portée du contrôle limité aux questions de publicité et de mise en concurrence et au caractère subjectif du contentieux précontractuel (8), c'est une attention accrue du juge administratif, dont on peut se réjouir, au respect de la loyauté de la procédure. Cette émergence de la loyauté dans le champ contractuel était en germe dans l'arrêt "Smirgeomes", et s'étend aujourd'hui dans beaucoup d'aspects du contentieux des contrats. L'arrêt "Ville de Béziers" (9), qui consacre le principe de loyauté contractuelle en imposant au juge de plein contentieux de faire application du contrat en cas de litige entre ses signataires (10), en constitue un exemple tangible.
Lexbase : Comment assurer un niveau de sécurité juridique minimale en maîtrisant tous les recours applicables ?
Stéphane Braconnier : Il faut admettre que le renforcement de la compétence des acheteurs publics dans le domaine du droit des contrats et marchés publics a singulièrement sécurisé les procédures. Il suffit de siéger dans une commission d'appel d'offres pour s'apercevoir du niveau de technicité atteint par certains agents dans ce domaine. Le perfectionnement des processus internes d'achat constitue le premier levier de sécurité. Je suis, en revanche, plus réservé sur l'élaboration de "codes internes", qui me paraissent, au contraire, fragiliser les marchés publics locaux, surtout lorsque ces codes sont adoptés par décision de l'assemblée délibérante.
Lexbase : Les exigences plus fortes du juge interne que celles du juge communautaire en matière de passation de marchés publics, comme en témoigne l'annulation du décret "20 000 euros", ne risquent-elles pas de compliquer inutilement le travail des acheteurs publics ?
Stéphane Braconnier : Il y a là une véritable évolution, pour ne pas dire une révolution. Les règles et principes internes du droit des marchés publics se révèlent, en effet, depuis quelques mois, singulièrement plus contraignants que le droit communautaire. Le mouvement prend sans doute ses racines dans l'émergence du "droit commun de la commande publique", découvert par le Conseil constitutionnel en 2003 (11), mais ne produit réellement ses effets, sur le terrain du droit administratif, que depuis les années 2008 et 2009. La raison principale de ce renversement de tendance s'explique, en partie, par les objectifs visés respectivement par le droit communautaire et le droit national. Là où le droit communautaire vise essentiellement au renforcement de la concurrence entre opérateurs économiques, les règles et principes internes visent conjointement au renforcement de la transparence. Le curseur des exigences de publicité et mise en concurrence peut, dans ces conditions, se situer à un niveau différent. Il n'en demeure pas moins que ce degré d'exigence variable pose deux difficultés majeures qui résultent d'une déconnexion grandissante, sur le plan du droit interne, entre les règles juridiques et les contraintes de la pratique : un problème de lisibilité et de sécurité juridiques pour les acheteurs publics et leurs cocontractants, d'une part, et un problème de dynamisme économique de la commande publique, d'autre part.
La décision du 10 février 2010 (12) par laquelle le Conseil d'Etat a annulé les dispositions du décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, relatif au relèvement de certains seuils du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3156ICU), relevant de 4 000 à 20 000 euros le seuil en deçà duquel un marché peut être conclu sans publicité ni mise en concurrence préalable, traduit, presque par l'absurde, cette déconnexion entre l'esthétisme de la solution juridique et son efficience économique (13).
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Réf. : Cass. soc., 11 mai 2010, 2 arrêts, n° 08-45.307, M. André Vlimant c/ Société Brit air, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT) et n° 08-43.681, Mme Victoria Crosnier c/ Epic Opéra national de Paris, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1605EXQ)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumés Pourvoi n° 08-45.307 : une cour d'appel ne peut débouter un salarié de sa demande tendant à l'annulation de son licenciement et au paiement de dommages-intérêts pour discrimination en raison de l'âge, au motif qu'il n'est pas discutable que la limite d'âge a été retenue en raison de sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant le transport aérien de passagers ; que la règle est bien de portée nationale, rendant ainsi sans pertinence la comparaison avec les réglementations d'autres Etats ; qu'elle est générale pour tous les pilotes de transport aérien de personnes, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à la situation des pilotes d'autres catégories ou d'autres engins volants ; que la fixation d'une telle limite d'âge est donc légitime au sens de la Directive européenne en ce qu'elle répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, de façon raisonnable et proportionnée au regard de la spécificité de l'activité et du métier de pilote, alors que, si ces objectifs étaient légitimes, il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la cessation des fonctions de pilote à l'âge de 60 ans était nécessaire à leur réalisation. Pourvoi n° 08-43.681 : une cour d'appel ne peut débouter un salarié de sa demande d'annulation d'une mise à la retraite à l'âge de 60 ans, au motif que celle-ci était régie exclusivement par l'article 6 du décret du 5 avril 1968 et que l'intéressée remplissait les conditions d'âge et d'ancienneté requises, sans constater que, pour la catégorie d'emploi de cette salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, la Directive communautaire consacrant un principe général du droit de l'Union. |
I - Le cadre applicable aux différences de traitement fondées sur l'âge des salariés
Le droit communautaire s'efforce, depuis de nombreuses années, de promouvoir le principe d'égalité entre travailleurs en prohibant de nombreuses discriminations, notamment fondées sur l'âge.
Cette prohibition de principe n'est, bien entendu, pas absolue et, dans de nombreuses hypothèses, l'âge constitue un critère déterminant d'attribution de droit spécifiques ou de prohibitions particulières, car les salariés ne se trouvent pas dans une situation identique selon leur âge.
La Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4), a ainsi introduit l'âge comme critère de discrimination, tout en ménageant une série d'exceptions. Comme l'indique expressément, d'ailleurs, le considérant 25 de l'exposé des motifs de la Directive, "l'interdiction des discriminations liées à l'âge constitue un élément essentiel pour atteindre les objectifs établis par les lignes directrices sur l'emploi et encourager la diversité dans l'emploi. Néanmoins, des différences de traitement liées à l'âge peuvent être justifiées dans certaines circonstances et appellent donc des dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des Etats membres. Il est donc essentiel de distinguer entre les différences de traitement qui sont justifiées, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et les discriminations qui doivent être interdites".
Certaines dérogations sont donc admises soit de manière particulière et concernent les âges de la retraite ou l'emploi dans les forces armées (art. 3-4°), soit de manière générale et permettent de prendre en compte l'âge, dès lors que ce critère "constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée" (art. 4-1°).
L'article 6 de la Directive est consacré spécifiquement aux différences de traitement fondées sur l'âge, qui reprennent les règles générales, de manière particulière. Selon le 1° de ce texte, et pour s'en tenir exclusivement aux règles du droit du travail, "les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre : a) la mise en place de conditions spéciales d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle, d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d'assurer leur protection ; b) la fixation de conditions minimales d'âge, d'expérience professionnelle ou d'ancienneté dans l'emploi, pour l'accès à l'emploi ou à certains avantages liés à l'emploi ; c) la fixation d'un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite".
Ces dispositions ont été transposées en droit français par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE), puis légèrement modifiées, pour n'évoquer que la question de l'âge, par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), qui a repris les dispositions de la Directive.
C'est l'article L. 1133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6055IAI) qui comporte les dispositions relatives aux différences licites fondées sur l'âge et qui reprend fidèlement le critère général des différences "objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d'assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d'emploi, et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés", et les exemples tirés de "l'interdiction de l'accès à l'emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d'assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés" et de "la fixation d'un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite".
La Cour de justice de l'Union européenne a été conduite à plusieurs reprises à préciser le sens de ces dérogations licites et a précisé qu'"il incombe à la juridiction nationale d'assurer le plein effet du principe général de non-discrimination en fonction de l'âge en laissant inappliquée toute disposition contraire de la loi nationale, et ce alors même que le délai de transposition de ladite directive n'est pas encore expiré" (2). Les Etats ne peuvent donc se réfugier derrière les délais de transposition de la Directive de 2000 dans la mesure où le principe de non-discrimination préexiste à celle-ci en tant que principe général du droit communautaire (3), ni sur le fait qu'une question préjudicielle a été posée (4).
Elle a également jugé que "l'article 6, paragraphe 1, de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale [...] qui autorise, sans restrictions, à moins qu'il n'existe un lien étroit avec un contrat de travail antérieur à durée indéterminée conclu avec le même employeur, la conclusion de contrats de travail à durée déterminée lorsque le travailleur a atteint l'âge de 52 ans" (5), que ces mêmes textes "s'opposent à une réglementation nationale qui, aux fins de ne pas défavoriser l'enseignement général par rapport à l'enseignement professionnel et de promouvoir l'insertion des jeunes apprentis sur le marché de l'emploi, exclut la prise en compte des périodes d'emploi accomplies avant l'âge de 18 ans aux fins de la détermination de l'échelon auquel sont placés les agents contractuels de la fonction publique d'un Etat membre" (6). Est également illicite la législation nationale "qui prévoit que les périodes de travail accomplies par le salarié avant qu'il ait atteint l'âge de 25 ans ne sont pas prises en compte pour le calcul du délai de préavis de licenciement" (7).
En revanche, "une réglementation nationale [peut fixer] à 30 ans l'âge maximal pour le recrutement dans le cadre d'emploi du service technique intermédiaire des pompiers" (8).
Pour certaines professions, les limites d'âge dépendent des objectifs poursuivis et de la portée de la législation nationale. Il a ainsi été jugé qu'était illicite "une mesure nationale [...] fixant une limite d'âge maximale pour l'exercice de la profession de dentiste conventionné, en l'occurrence 68 ans, lorsque cette mesure a pour seul objectif de protéger la santé des patients contre la baisse de performance de ces dentistes au-delà de cet âge, dès lors que cette même limite d'âge n'est pas applicable aux dentistes non conventionnés" ; en revanche, pareille limite d'âge est licite lorsque cette mesure "a pour objectif de répartir les possibilités d'emploi entre les générations au sein de la profession de dentiste conventionné, si, compte tenu de la situation du marché de l'emploi concerné, cette mesure est appropriée et nécessaire pour atteindre cet objectif" (9).
La Cour de cassation a également eu à se prononcer sur la licéité de la rupture du contrat de travail de salariés en considération de leur âge. Dans une affaire intéressant la mise à la retraite d'un danseur des Folies-Bergères par application d'un accord collectif ayant fixé une limite d'âge, la Haute juridiction avait considéré celle-ci comme injustifiée dans la mesure où l'accord était nul et la rupture dès lors uniquement fondée sur l'âge de l'intéressé (10). Par la suite, la même juridiction avait considérée comme discriminatoire la mise à la retraite d'un salarié ne remplissant les conditions exigées par les textes pour partir à la retraite à taux plein (11).
C'est dans ce contexte qu'interviennent ces deux arrêts en date du 11 mai 2010.
II - La Cour de cassation gardienne du cadre méthodologique communautaire
La première affaire (pourvoi n° 08-45.307) concernait le licenciement d'un pilote-instructeur qui avait atteint l'âge de 60 ans et qui demandait l'annulation de ce licenciement qu'il considérait comme constitutif d'une discrimination en raison de son âge.
La cour d'appel de Paris l'avait débouté après avoir relevé "qu'il n'est pas discutable que la limite d'âge a été retenue en raison de sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant le transport aérien de passagers" et "que la fixation d'une telle limite d'âge est donc légitime au sens de la Directive européenne en ce qu'elle répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, de façon raisonnable et proportionnée au regard de la spécificité de l'activité et du métier de pilote".
L'arrêt est cassé pour manque de base légale, la Cour de cassation reprochant à la juridiction parisienne de ne pas avoir recherché, ainsi qu'elle y était invitée par le demandeur, "si ces objectifs étaient légitimes, il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la cessation des fonctions de pilote à l'âge de 60 ans était nécessaire à leur réalisation, la cour d'appel a privé sa décision".
La seconde affaire (pourvoi n° 08-43.681) concernait la mise à la retraite à l'âge de 60 ans d'un salarié qui occupait les fonctions de chef du service patrimoine de l'Opéra national de Paris, en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 68-382 du 5 avril 1968, modifié le 16 octobre 1980, portant statut de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris. Le salarié avait demandé l'annulation de celle-ci en raison de la contrariété existant entre les termes de ce décret et les dispositions de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) restreignant les possibilités de mise à la retraite avant l'âge de 65 ans à la seule existence d'un accord collectif. Il avait été débouté de ses demandes par la cour d'appel de Paris pour qui sa mise à la retraite était régie exclusivement par l'article 6 du décret du 5 avril 1968.
L'arrêt est également cassé, pour violation de la loi, la Haute juridiction reprochant à la juridiction parisienne d'avoir statué "sans constater que, pour la catégorie d'emploi de cette salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires", "la Directive communautaire consacrant un principe général du droit de l'Union".
Ces deux cassations présentent un très net caractère méthodologique, la Haute juridiction veillant à ce que les critères autorisant les employeurs à tenir compte, dans leurs décisions, de l'âge des salariés, soient scrupuleusement vérifiés et appliqués de manière stricte, pour ne pas dire restrictive, ce qui est logique compte tenu de l'atteinte réalisée au principe de non-discrimination en raison de l'âge.
Dans la deuxième affaire (pourvoi n° 08-43.681), la méconnaissance des contraintes issues de la Directive, dont le juge doit faire application en ce qu'elle met en oeuvre un principe inscrit dans le droit communautaire depuis les origines, était totale puisque les juges s'étaient purement et simplement réfugié derrière le texte réglementaire (un décret datant de 1968) pour valider la mise à la retraite. Confirmant en cela les termes d'une précédente décision rendue en matière de non-discrimination entre les femmes et les hommes (12), la Cour de cassation affirme, cette fois-ci à propos d'une affaire de discrimination fondée sur l'âge, que le principe général de droit communautaire impose de mettre de côté tout texte national contraire, qu'il soit législatif ou réglementaire, sans que le juge judiciaire ne puisse être taxé de procéder, sans renvoi préjudiciel au juge administratif, à un examen de la légalité de ce règlement.
Dans la première affaire (pourvoi n° 08-45.307), la même cour d'appel de Paris était bien entrée dans une logique de justification de la limite d'âge et considéré celle-ci comme justifiée (existence de "sujétions particulières du métier de pilote d'avion", "bon fonctionnement de la navigation aérienne", "sécurité des passagers et du personnel") et proportionnée "au regard de la spécificité de l'activité et du métier de pilote".
La cassation intervient, toutefois, car la cour d'appel n'avait pas recherché précisément en quoi l'instauration d'une limite d'âge de 60 ans pour un pilote-instructeur "était nécessaire" à la réalisation des objectifs poursuivis, c'est-à-dire, plus prosaïquement, en quoi un pilote âgé de plus de 60 ans exposerait, en raison d'une baisse supposée de ses capacités physiques et/ou intellectuelles, les personnes et les biens à des risques particuliers. Ce n'était donc pas les motivations de l'employeur qui étaient ici en cause (comment contester qu'il cherche à s'assurer de la sécurité des personnes transportées ?), mais uniquement la preuve que les salariés âgés de plus de 60 ans étaient moins aptes à piloter des avions. On notera d'ailleurs ici que l'arrêt est cassé non pour violation de la loi, comme le second, mais pour manque de base légale, c'est-à-dire en raison d'une motivation insuffisante.
Il appartiendra donc à la juridiction de renvoi (la cour d'appel de Paris, autrement composée), de déterminer concrètement en quoi les pilotes âgés seraient moins "surs" que les plus jeunes...
Décisions 1° Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-45.307, M. André Vlimant c/ Société Brit air, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT) Cassation partielle CA Paris, 18ème ch., sect. A, 7 octobre 2008, n° 05/09146, M. André Vlimant (N° Lexbase : A7743EAZ) Textes visés : Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, art. 6, § 1 (N° Lexbase : L3822AU4) Mots clef : principe de non-discrimination ; âge ; exceptions ; conditions Lien base : (N° Lexbase : E2589ET3) 2° Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-43.681, Mme Victoria Crosnier c/ Epic Opéra national de Paris, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1605EXQ) Cassation CA Paris, 22ème ch., sect. A, 28 mai 2008, n° 06/11905, Mme Victoria Crosnier ([lXB=A9191D8W]) Textes visés : Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, art. 6, § 1 (N° Lexbase : L3822AU4) Mots clef : principe de non-discrimination ; âge ; exceptions ; conditions Lien base : (N° Lexbase : E2589ET3) |
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Réf. : CJUE, 15 avril 2010, aff. C-511/08, Handelsgesellschaft Heinrich Heine GmbH c/ Verbraucherzentrale Nordrhein-Westfalen eV (N° Lexbase : A9183EUN)
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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier
Le 07 Octobre 2010
Il convient néanmoins de se garder de tout procès d'intention : si c'est bien l'harmonisation qui prime, elle demeure parfaitement compatible avec une politique protectrice des intérêts des consommateurs.
En témoigne notamment la question de la vente à distance, qui a déjà fait l'objet d'un traitement spécifique en France depuis deux lois n° 88-21 du 6 janvier 1988 et n° 89-421 du 23 juin 1989 (N° Lexbase : L7752A8M), intégrées aux articles L. 121-16 (N° Lexbase : L6441G9G) à L. 121-20-17 du Code de la consommation. L'intervention législative française est partie d'un simple constat, celui du taux d'insatisfaction des consommateurs qui, ayant commandé à distance, recevaient finalement un bien peu conforme à leurs espérances (quand bien même eut-il été conforme aux stipulations contractuelles). Sans nécessairement en imputer la faute au professionnel de la vente à distance, trop souvent caricaturé comme de mauvaise foi face à un honnête consommateur parfois trop crédule, le fait est que cette technique de vente (étendue à la fourniture de prestations de services) ne permet pas toujours au consommateur d'apprécier pleinement l'objet qu'il s'est engagé à payer. Deux raisons l'expliquent sans doute : la vente à distance est une vente par définition en dehors des lieux de vente, de sorte qu'elle connaît plus facilement les achats moins réfléchis, dits "impulsifs", elle ne permet, par ailleurs, au consommateur d'avoir le produit en mains qu'une fois qu'il l'a commandé et donc qu'il s'est contractuellement engagé.
La solution retenue par le législateur français en 1988 consiste alors en l'instauration, en parfaite dérogation au droit commun des contrats, d'un droit de rétractation de sept jours francs. Le consommateur dispose de ce délai pour restituer au professionnel le bien qu'il a commandé, sans avoir aucunement à en justifier ni à payer aucun frais.
La solution a été reprise par le droit communautaire de la consommation qui, en 1997, a également instauré un droit de rétractation de sept jours au bénéfice du consommateur à distance. La Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (N° Lexbase : L7888AUP), dispose ainsi que : "Pour tout contrat à distance, le consommateur dispose d'un délai d'au moins sept jours ouvrables pour se rétracter sans pénalités et sans indication du motif. Les seuls frais qui peuvent être imputés au consommateur en raison de l'exercice de son droit de rétractation sont les frais directs de renvoi des marchandises.
Pour l'exercice de ce droit, le délai court:
- pour les biens, à compter du jour de leur réception par le consommateur lorsque les obligations visées à l'article 5 ont été remplies,
- pour les services, à compter du jour de la conclusion du contrat ou à partir du jour où les obligations prévues à l'article 5 ont été remplies si elles sont remplies après la conclusion du contrat, à condition que le délai n'excède pas le délai de trois mois indiqué à l'alinéa suivant".
Certains professionnels ont tenté de limiter la portée de la solution, notamment en exigeant du consommateur qui se rétracte le paiement de "frais de dossier" ou autres alternatives à une facturation du droit de rétractation. Ce droit est pourtant par essence gratuit, comme le rappelle l'arrêt du 15 avril 2010. D'autres professionnels ont voulu exiger du consommateur paiement d'une indemnité compensatrice pour l'utilisation du bien livré, ce qui a été refusé par la Cour dans une précédente affaire déjà commentée dans cette revue sauf par exception si le consommateur venait à abuser de son droit (CJCE, 3 septembre 2009, aff. C-489/07, Pia Messner c/ Firma Stefan Krüger N° Lexbase : A7928EKT et nos obs., La CJCE reconnaît l'abus d'un consommateur dans l'exercice de ses droits, Lexbase Hebdo n° 368 du 22 octobre 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N1644BMT). Plus précisément, la CJUE y avait considéré que l'exercice d'un tel droit ne devait pas conduire à certains abus, notamment pour permettre au consommateur de se rétracter alors qu'il avait pleinement profité du bien pendant une longue période.
La Cour vient, dans ce nouvel arrêt du 15 avril 2010, confirmer l'interprétation généralement retenue de la Directive 97/7 du 20 mai 1997 sur la vente à distance : le professionnel ne peut imposer au consommateur le paiement des frais d'envoi.
En l'espèce, une société allemande avait pris l'habitude de ventiler le prix de vente à distance de ses produits en distinguant une partie de celui-ci, constituée des frais d'envoi des marchandises et qui demeurait acquise au professionnel quel que soit l'avenir du contrat à distance (en l'occurrence pour 4,95 euros). Un consommateur qui se rétractait voyait donc son remboursement minoré du prix d'envoi du matériel conformément aux stipulations contractuelles rédigées par le professionnel.
La CJUE était saisie d'un recours préjudiciel sur la question suivante par la Bundesgerichtshof "Les dispositions de l'article 6, paragraphes 1, [premier alinéa] seconde phrase, et 2, de la Directive [97/7] doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à une réglementation nationale conformément à laquelle les frais d'expédition des marchandises peuvent être facturés au consommateur même lorsqu'il a exercé son droit de rétractation ?". La réponse est dépourvue de toute ambiguïté et satisfait pleinement la logique de la Directive de 1997 : cet article "doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet au fournisseur, dans un contrat conclu à distance, d'imputer les frais d'expédition des marchandises au consommateur dans le cas où ce dernier exerce son droit de rétractation".
Il convient, néanmoins, dès à présent de distinguer "frais d'envoi" et "frais de renvoi". Les frais d'envoi sont ceux engagés par le professionnel pour expédier le bien au consommateur, ils sont remboursés au consommateur qui se rétracte. Les frais de renvoi sont, en revanche, ceux supportés par le consommateur qui se rétracte pour réexpédier le produit au professionnel, et n'ont pas, conformément aux dispositions de la Directive, à être remboursés au consommateur. De sorte qu'il est important de comprendre que, si le renvoi d'un produit négocié à distance n'est jamais gratuit, en revanche les frais demandés au consommateur doivent être ramenés au strict nécessaire. Bien évidemment il serait possible qu'un professionnel s'engage à prendre en charge les frais de retour, ce qui constituerait une concession contractuelle, mais l'hypothèse est rare en pratique.
Pour être plus explicite, s'il est possible d'imposer au consommateur une procédure spécifique (par exemple pour imposer avant tout retour l'obtention auprès du professionnel d'un numéro de retour et l'ouverture d'un dossier), celle-ci ne peut être facturée au consommateur. Une autre interprétation de la Directive reviendrait à priver d'intérêt la faculté de rétractation qui, devenue trop onéreuse, ne serait plus exercée par le consommateur.
La solution rendue par cet arrêt du 15 avril 2010 concernait l'interprétation des dispositions du BGB allemand, mais la transposition française (tant en ce qui concerne les textes de loi que l'interprétation retenue par la doctrine et les tribunaux) est parfaitement conforme au droit communautaire. L'article L. 121-20-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5769H9K) dispose, en effet, que "lorsque le droit de rétractation est exercé, le professionnel est tenu de rembourser le consommateur de la totalité des sommes versées, dans les meilleurs délais et au plus tard dans les trente jours suivant la date à laquelle ce droit a été exercé. Au-delà, la somme due est, de plein droit, productive d'intérêts au taux légal en vigueur. Ce remboursement s'effectue par tout moyen de paiement. Sur proposition du professionnel, le consommateur ayant exercé son droit de rétractation peut toutefois opter pour une autre modalité de remboursement".
Il faut dire qu'une solution contraire retirerait tout intérêt au droit de rétractation du consommateur qui doit être, sous réserve d'abus, un exercice gratuit. C'est d'ailleurs ce qui a justifié l'interprétation de la Cour : "il importe de constater que le libellé de l'article 6, paragraphe 2, première phrase, de ladite directive impose au fournisseur, en cas de rétractation du consommateur, une obligation générale de restitution qui porte sur toutes les sommes versées par ce dernier à l'occasion du contrat, quelle que soit la cause du paiement de celles-ci [arrêt, point 43] - Il y a lieu de souligner que le quatorzième considérant de celle-ci énonce que l'interdiction d'imputer au consommateur, en cas de rétractation de ce dernier, les frais occasionnés par le contrat a pour finalité d'assurer que le droit de rétractation garanti par cette directive "ne reste pas de pure forme. Dès lors que ledit article 6 a ainsi clairement pour objectif de ne pas décourager le consommateur d'exercer son droit de rétractation, il serait contraire audit objectif d'interpréter cet article en ce sens qu'il autoriserait les Etats membres à permettre que les frais de livraison soient mis à la charge de ce consommateur dans le cas d'une telle rétraction [point 54 de l'arrêt]".
Le consommateur demeure pleinement protégé par le droit communautaire de la consommation qui, interprété strictement, interdit toute atteinte à la faculté de rétractation du consommateur. Mieux encore, il est possible qu'à l'avenir ce délai passe de 7 à 14 jours (v. projet de Directive sur les droits des consommateurs présenté le 8 octobre 2008, COM(2008) 614).
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Le 07 Octobre 2010
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- Quels sont les risques de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des jeux de hasard et de paris en ligne ?
Valérie Lasserre-Kiesow, Professeur agrégée de droit privé, Université du Maine
Pauline Le More, avocate au Barreau de Paris
Olivier Sautel, Docteur en sciences économique, économiste, Microeconomix
Jeudi 1er juillet 2010
9h00 - 10h30 (accueil des participants à partir de 8h30)
Cercle suédois et norvégien - Grand salon
242, rue de Rivoli
75001 Paris
Entrée libre dans la limite des places disponibles.
Réservation obligatoire avant le 15 juin 2010
E-mail : pauline.lemore@avocat-taylor.com
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Réf. : Cass. com., 13 avril 2010, n° 07-17.912, M. Jean-Marie Léger, FS-P+B (N° Lexbase : A0462EWZ)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Le 07 Octobre 2010
I - Une lecture stricte des textes régissant la contribution aux dettes sociales
Le contexte entourant l'affaire commentée, marqué par l'extension d'une procédure collective de redressement, rendait la mise en oeuvre du principe de contribution aux dettes sociales par l'associé plus complexe que dans le cadre tracé par l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil (A). La Chambre commerciale, cependant, en renvoyant expressément à la seule lettre de cet article (B), rejette les arguments de l'auteur du pourvoi à l'appui d'une lecture littérale de ces dispositions.
A - La procédure d'extension, cadre de la mise en oeuvre du principe la contribution aux dettes
Le 3 décembre 1988, une société civile immobilière (la SCI) est constituée entre M. X, président du conseil d'administration de la société anonyme Trognon (la SA), et MM. Y et Z, administrateurs de cette même société. Le 24 décembre suivant, la SCI contracte un emprunt auprès de la caisse régionale de crédit agricole du Loiret (la caisse), aux fins d'acquérir un immeuble devant être donné à bail à la SA. Par un jugement du 6 mars 1992, la SA est placée en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er mars 1991. C'est dans ce cadre que, le 17 juin 1992, M. L. acquiert la totalité des parts de la SCI.
Un jugement du 11 juin 1993, étend, au motif de la confusion des patrimoines, la procédure collective à la SCI, cette dernière continue de rembourser le prêt jusqu'au 24 février 2004, date à laquelle elle cesse les paiements. La caisse, après avoir déclaré sa créance au passif de la SCI, assigne ensuite M. L., sur le fondement de l'article 1857 du Code civil, en paiement du solde du prêt.
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 24 mai 2007, n° 05/21218 N° Lexbase : A0773DXW), ayant, par un arrêt infirmatif, fait droit à la demande de la caisse, M. L. forme alors un pourvoi en cassation à l'appui d'un moyen divisé en quatre branches (les trois moyens initiaux ayant été réunis), les deux dernières n'étant pas examinées par le juge du droit -la troisième étant issue de motifs surabondants et la quatrième étant inopérante-. La troisième branche, toutefois, bien que surabondante va poser le problème de la mise en oeuvre de la contribution aux dettes sociales de l'associé d'une société ayant fait l'objet d'une mesure d'extension d'une procédure collective. Ouvrant ainsi la voie à une interprétation potentielle du mécanisme de contribution, elle sera l'objet de la seconde partie de cette étude.
Les deux premières branches faisaient état d'arguments liés, reposant toutes deux -pour l'essentiel- sur l'interprétation des dispositions de l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil qui établissent qu'"à l'égard des tiers, les associés [d'une société civile] répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements". L'auteur du pourvoi invoquait, d'une part, que les dettes dont les associés d'une SCI ont à répondre en vertu des dispositions de l'article 1857 du Code civil sont des dettes sociales des seuls associés, "à la date de conclusion du contrat" soit, en l'espèce, à la date de la conclusion du contrat de prêt, c'est-à-dire le 24 décembre 1998. L'auteur du pourvoi, n'étant devenu l'associé unique de la société qu'à partir du 17 juin 1992, il ne pouvait, selon lui, être tenu au paiement du solde demandé par la caisse. Il prétendait, d'autre part, toujours en vertu du même article, "que l'associé qui quitte la société ne peut être déchargé de sa responsabilité à l'égard des tiers pour les dettes antérieures". En substance M. L. estimait qu'il ne pouvait, en toute hypothèse, être condamné à régler la totalité de la somme et que la cour d'appel aurait dû, au moins, l'exonérer du paiement de la part du solde du prêt correspondant à la période antérieure à la cession des parts sociales de la SCI.
S'agissant de ces deux points, la Cour de cassation va s'appuyer sur les dispositions de l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil pour décider de rejeter le pourvoi, en dehors de toute considération quant à la mise en oeuvre du droit des procédures collectives.
B - L'article 1857, alinéa 1er, et la contribution aux dettes sociales
Le premier point, qui reposait sur l'affirmation que l'associé, cessionnaire de parts d'une société civile, n'est redevable des dettes sociales qu'en relation avec les contrats conclus postérieurement à la cession, repose, en effet, sur une interprétation audacieuse des dispositions de l'article 1857, qui, cependant, est parfois retenues mais uniquement pour des formes spécifiques de sociétés immobilières. S'agissant, en effet, de l'interprétation à donner aux dispositions qui imposent aux associés de répondre "à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements", la solution est constante, en général (cf. infra) depuis la réforme opérée par la loi du 4 janvier 1978 (loi n° 78-9, modifiant le titre IX du livre III du Code civil N° Lexbase : L1471AIC) : les termes de l'article 1857 doivent être entendus comme libérant le cédant de toute contribution aux dettes sociales qui n'étaient pas exigibles au moment de la cession. (2). Seuls les aménagements apportés conventionnellement au règlement d'un passif existant à cette date (3) ou la démonstration par les créanciers sociaux de l'existence d'une fraude de leurs droits peuvent, en principe, tempérer cette disposition. En l'espèce, ainsi, les cessionnaires ne pouvaient être considérés comme redevables des dettes sociales de la SCI à compter du 17 juin 1992.
Il existe, toutefois, une exception à ce principe, qui concerne les sociétés civiles de construction constituées en vue de l'attribution d'immeubles aux associés par fractions divises. L'article L. 212-8 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7228ABC) établit, en effet, dans son second alinéa, que "le cédant n'est dégagé de ses obligations personnelles à l'égard de la société que dans la mesure où celle-ci y a expressément consenti" (le cessionnaire n'étant tenu, lui que dans la limite prévue dans l'acte de cession). Il s'ensuit, à l'appui de ces dispositions, que le juge du droit a pu décider que l'ancien associé était tenu aux dettes sociales, même si l'exigibilité de celles-ci était postérieure à la cession (4). L'auteur du pourvoi entendait, semble t-il, se prévaloir de cette règle exceptionnelle mais les faits de l'espèce conduisent à conclure à l'impossibilité de soutenir ces prétentions, le prêt ayant été consenti pour "l'acquisition" d'un immeuble et non pour sa construction.
Le second point examiné, qui figure dans la deuxième branche du moyen, concernait l'éventualité d'un partage ratione temporis entre cédants et cessionnaire, les cédants étant tenus -selon l'auteur du pourvoi- à une fraction du solde du prêt correspondant à la période durant laquelle ils étaient encore titulaires des parts sociales. Une fois encore, cependant, l'application des dispositions de l'article 1857 du Code civil devait faire obstacle à cette demande, la Cour de cassation répondant aux deux branches (examinées) du moyen en s'appuyant strictement sur la disposition précitée qui établit implicitement l'impossibilité d'un tel partage, n'évoquant que la seule solution suivante : "les associés répondent à l'égard des tiers des dettes sociales à la date de leur exigibilité ou à celle de la cessation des paiements".
II - Une contribution aux dettes sociales détachée de tout contexte d'extension
Cette réponse qui débouche sur le rejet du pourvoi, et même si la solution donnée par la Cour de cassation ne saurait qu'être vigoureusement approuvée, n'offre, cependant, qu'une issue abstraite à cette l'affaire. L'essentiel de l'argumentation de l'auteur du pourvoi, nettement perceptible lorsqu'on examine la structure des trois moyens produits, tendait à démontrer, en effet, que l'extension d'une procédure collective à la SCI était susceptible de modifier l'application des principes relatifs à la contribution aux dettes sociales (A). Si la réponse du juge du droit ne laisse aucun doute quant au rejet de l'application différenciée de l'article 1857 invoquée dans le moyen, elle n'en suscite pas moins des interrogations de fond quant aux difficultés susceptibles de naître dans le cadre d'une procédure d'extension (B).
A - L'éventualité d'une application assouplie de l'article 1857 face à certaines procédures d'extension
La réponse de la Cour de cassation, compte tenu de son laconisme, semble écarter toute possibilité d'interprétation, à l'inverse des thèses présentées par l'associé. Le renvoi à la lettre du texte écarte, en effet, la prise en considération des effets du jugement d'extension alors que la situation, telle qu'elle était présentée dans les moyens du pourvoi, conférait un éclairage particulier quant aux conséquences de l'application stricte de l'article 1857 du Code civil. Ce dernier, au demeurant, renvoie à une alternative qui n'appelle, a priori, aucune interprétation particulière. Il est possible de la résumer de la façon suivante : si le règlement des créanciers sociaux à la date d'exigibilité de la créance est de principe, il convient, simplement, d'y substituer la cessation des paiements dans l'hypothèse de l'ouverture d'une procédure collective. La logique de la disposition commande de retenir que, dans l'absolu, l'associé est tenu de toutes les dettes constituées avant la date de la cessation des paiements.
Dans cette affaire, cependant, l'application de cette règle semblait être rendue plus complexe en raison de l'extension pour confusion puisque, en l'espèce, la SCI n'était pas touchée par la procédure collective à l'époque où ses parts avaient été cédées, car ce n'est qu'après la cession que l'extension de ladite procédure avait été étendue. Il convient, ainsi, de souligner la spécificité du mécanisme d'extension en cas de confusion : construction, à l'origine jurisprudentielle, fondée sur l'interprétation des dispositions de l'ancien article L. 621-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6857AIS) (5), le mécanisme figure, depuis l'édiction de la loi de sauvegarde des entreprises, en son article L. 621-2, alinéa 2. Elle répond à la situation dans laquelle les éléments d'actif et de passif de deux patrimoines distincts sont "mélangés de telle façon qu'on ne peut les distinguer", ou en cas de "flux financiers anormaux" (6). Cette situation emporte, alors, la possibilité d'étendre une procédure collective déjà ouverte contre un débiteur, à l'encontre d'une autre personne titulaire du patrimoine qui a fait l'objet du mélange ou des flux financiers anormaux. Il s'agit de lier les patrimoines (confusion n'est pas fusion) pour que ces derniers fassent l'objet d'une procédure unique, sans pour autant nier la personnalité juridique des débiteurs concernés et sans que la procédure ne rétroagisse à l'encontre du débiteur étendu.
C'est ce point particulier qui rendait l'application de l'article 1857 du Code civil fort singulière si l'on en croyait le moyen : en effet, traditionnellement, l'extension prenant appui sur la procédure initiale, c'est la date de la cessation des paiements de cette dernière qui est retenue pour l'ensemble de la procédure collective. Or, dans l'affaire considérée :
- cette cessation des paiements, initialement fixée au 1er mars 1991, était antérieure à la cession des titres de la SCI (consentie en juin 1992) ;
- le patrimoine de la SCI ne s'en trouvait pas affecté à l'époque de cette cession ;
- et ce n'est qu'après que le jugement emportant extension ait été prononcé, en juin 1993, que ladite société s'est trouvée placée dans le cadre de la procédure collective initiale, alors que l'associé avait changé.
C'est à la lumière de cette chronologie qu'il est possible d'analyser les arguments de l'auteur du pourvoi car, si ses prétentions ne pouvaient prospérer, au regard du texte de l'article 1857 du Code civil, l'effet du jugement déclarant l'extension de la procédure lui donnait, semble-t-il, la possibilité de souligner les conséquences paradoxales de ses dispositions.
B - Une application indifférenciée de l'article 1857, alinéa 1er, même dans le cadre de l'extension d'une procédure collective
Il faut entendre, en effet, à la lecture de l'article 1857 du Code civil que, lorsque la créance est exigible, l'associé est tenu aux dettes sociales, sauf, en cas de cessation des paiements, qui, en quelque sorte, rend l'associé immédiatement redevable. La mesure permet, ainsi, de conférer toute son efficacité aux procédures collectives, ces dernières l'emportant sur les dispositions du droit commun. Le terme "ou" dans la proposition doit, donc, être entendu comme permettant de constater que la dette sociale, bien que non encore exigible, sera tout de même redevable par l'associé et que ce dernier devra en répondre à compter de la cessation des paiements. La sujétion est d'évidence, car, dans le cadre de la déclaration de créance, la mesure du passif du débiteur impose que les créances échues et à échoir soient connues (même si leur montant n'est pas encore évaluable). Il s'ensuit qu'il convient de retenir la date de la cessation des paiements pour apprécier de la qualité d'associé au moment de la défaillance de la société.
L'auteur du pourvoi tentait, en l'espèce, de tirer toutes les conséquences favorables de cette interprétation restrictive de l'article 1857, comme si, de son point de vue, la cessation des paiements pouvait "purger" les associés ultérieurs de toute contribution aux dettes. Selon lui, le seul associé devant être tenu aux dettes sociales était, donc, celui qui avait cette qualité à la cessation de paiement. Il prétendait, de la sorte, que la cour d'appel avait violé l'article 1857 du Code civil puisqu'il ne pouvait répondre des dettes sociales à partir du moment où, au jour de la cessation des paiements, il n'avait pas la qualité d'associé. La cessation des paiements, en effet, avait été fixée au 1er mars 1991, alors qu'il n'avait acquis les parts de la SCI que le 17 juin 1992.
Si le juge du droit a pu écarter cette branche du moyen, y voyant des motifs surabondants, la question, au moins, mérite d'être approfondie. En effet, l'arrêt de la Cour de cassation, pourrait être analysé -soulignant cependant que ce serait là une interprétation par trop extensive- comme admettant que l'associé puisse être alternativement débiteur au jour de la cessation de paiement ou à l'exigibilité de la dette, sans qu'il y ait lieu de distinguer une quelconque chronologie de ces situations. Une telle lecture de l'arrêt entraînerait, toutefois, sur un terrain glissant au regard du droit des procédures collectives. Elle supposerait que le créancier admis mais n'ayant pu être désintéressé puisse, sa dette étant devenue exigible ultérieurement, intenter une nouvelle action contre l'associé en titre de la société ayant fait l'objet du jugement d'extension. La situation contredirait, de la sorte, l'esprit même du mécanisme de l'article L. 621-2, alinéa 2, puisque, précisément, le principe d'unicité de la procédure d'extension impose un traitement commun du patrimoine des deux entités, au sein d'une même procédure.
A l'évidence ce n'est donc pas cette voie qu'a suivie le juge du droit qui, en dépit du laconisme de sa formulation, ne se refuse pas à répondre à l'interprétation mais l'écarte au regard des faits, le caractère surabondant du moyen étant patent dans cette espèce. En effet, ainsi qu'en attestent les termes même de l'arrêt, l'organisme prêteur n'avait pas été confronté à une défaillance de la SCI, puisque les paiements avaient continué pendant plus de dix ans après le jugement d'extension, avant que, le 24 février 2004, ces derniers ne cessent. Comme le rapporte l'arrêt, ce n'est "qu'après avoir déclaré sa créance au passif de la SCI, [que] la caisse a assigné M. [L.] ". Implicitement, ainsi, la surabondance du motif s'explique par le fait que le rattachement de l'affaire à une procédure collective antérieure ne constituait qu'un artifice de raisonnement de l'auteur du pourvoi, la défaillance de la SCI n'étant qu'une conséquence indirecte, juridiquement s'entend, de celle de la SA.
Au-delà de la casuistique développée par l'auteur du pourvoi, la solution n'est pas neutre au regard des conséquences pratiques que peut avoir une procédure d'extension lorsque l'exploitation de sociétés commerciales et de sociétés civiles immobilière est très étroitement articulée. Terre d'élection des procédure d'extension pour confusion des patrimoines, le sort de ces deux types de sociétés est fort souvent lié, notamment en raison des tentations que ces formes de montage sont susceptibles d'inspirer à des dirigeants, lorsqu'il devient urgent de protéger le patrimoine d'une de leurs sociétés, aussi bien que leurs intérêts propres. L'espèce commentée est, ainsi, significative des périls encourus par le cessionnaire des parts d'une société immobilière lorsque le locataire des locaux de ladite société est intimement partie liée avec elle. L'article 1857 du Code civil, au demeurant, trouve là une application qui du point de vue de l'associé en titre, pourrait paraître inique, mais qui, en toute hypothèse, est indissociable de l'esprit du texte, dont l'essence est de permettre la protection des créanciers sociaux.
(1) Sur cet arrêt, cf. également les obs. d'E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2010, Lexbase Hebdo n° 395 du 20 mai 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N1927BP3).
(2) Cass. civ. 1, 26 novembre 1991, n° 88-20.094, M. Savart c/ M. Bianchini et autres (N° Lexbase : A4401ACY).
(3) Cass. civ. 1., 11 mars 1975, n° 73-14806, Loireau c/ Electricité et Gaz de France, Consorts Dameron, publié (N° Lexbase : A0165CHL).
(4) Cass. civ. 3, 14 novembre 1991, n° 89-15.507, Union de crédit pour le bâtiment (UCB) c/ Consorts Gagliano (N° Lexbase : A2683ABY), RTDCiv., 1992, 583, obs. P.-Y. Gautier.
(5) J.-M. Deleneuville, Critères de la confusion des patrimoines entre sociétés commerciales et personnes physiques ou le fabuleux destin de l'article L. 621-5 -aujourd'hui C. com., art. L. 621-2- du Code de commerce (N° Lexbase : L3474ICN)-, Rev. Proc. Coll., 2002, p. 157.
(6) D. Tricot, La confusion des patrimoines et les procédures collectives, in Rapport de la Cour de cassation 1998, p. 165.
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Réf. : Cass. soc., 8 avril 2010, n° 09-40.975, Société Constructions métalliques Brayonnes, FS-P+B (N° Lexbase : A5913EUK)
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262-Université de Rennes I)
Le 07 Octobre 2010
Résumé L'article R. 4624-31 du Code de travail (N° Lexbase : L3891IAD) n'impose pas que la constatation de l'inaptitude soit faite lors d'un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail, le médecin du travail pouvant la constater après tout examen médical qu'il pratique au cours de l'exécution du contrat de travail. |
I - La constatation de l'inaptitude non consécutive à un arrêt de travail
En l'espèce, un salarié avait fait l'objet d'un premier arrêt de travail pour maladie du 25 octobre au 6 novembre 2004. Plusieurs semaines après la reprise du travail, sur la suggestion de son médecin traitant, il sollicite un examen médical auprès de la médecine du travail, examen réalisé le 30 décembre 2004. Quelques jours après, il fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail courant du 3 janvier au 21 mars 2005. A l'initiative, cette fois-ci, du médecin du travail, une autre visite est organisée le 13 janvier et ce, au cours de la période de suspension du contrat de travail. Elle conclut à l'inaptitude du salarié par un avis qualifié par le médecin de "deuxième avis d'inaptitude en application de l'article R. 241-51-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9929ACQ)" (devenu R. 4624-31). Un mois plus tard, le 12 février 2005, le salarié est licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
Les circonstances de l'espèce étaient particulières à un double titre : d'une part, la première visite -sollicitée par le salarié- faisait suite à un arrêt de travail sans pour autant constituer une visite médicale de reprise stricto sensu, puisque la situation du salarié ne le faisait pas entrer dans l'un des cas de figure de l'article R. 4624-21 (N° Lexbase : L3918IAD) (absence pour cause de maladie professionnelle, absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail, absence d'au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel, absences répétées pour raisons de santé) ; d'autre part, la seconde visite avait eu lieu pendant un nouvel arrêt de travail et deux semaines après le premier examen.
Le salarié contestait donc la validité de la rupture devant le juge prud'homal. Il obtint gain de cause en appel, les juges déclarant nul le licenciement intervenu pendant la période de suspension du contrat de travail alors que l'inaptitude n'avait pas, selon eux, été régulièrement constatée. La solution retenue pas les juges du fond laisse à penser que la constatation de l'inaptitude ne peut intervenir que lors d'une visite médicale de reprise faisant suite à une suspension du contrat de travail. C'est manifestement ce sous-entendu que la Cour de cassation a voulu lever, puisqu'elle affirme, de façon tout à fait explicite, que l'article R. 4624-31 "n'impose pas que la constatation de l'inaptitude du salarié soit faite lors d'un examen médical de reprise consécutif à une suspension du contrat de travail, le médecin du travail pouvant la constater après tout examen médical qu'il pratique au cours de l'exécution du contrat de travail". Dès lors, pour que l'on puisse tirer les conséquences de l'inaptitude, il importe "seulement" de vérifier le respect des modalités de sa constatation, à savoir deux constats d'inaptitude espacés de deux semaines comme l'exige l'article R. 4624-31.
Que la déclaration d'inaptitude puisse intervenir en dehors de la visite médicale de reprise intervenant au terme de certaines périodes d'arrêt de travail consécutives à une maternité ou à des raisons de santé (C. trav., art. R. 4624-21) ne fait aucun doute. En effet, la loi prescrit ou permet l'examen médical du salarié par la médecine du travail dans de multiples circonstances (2) et, à chaque fois, elle confie au médecin la mission de vérifier l'aptitude au poste. Il en va ainsi à l'occasion de la visite d'embauche (C. trav., art. R. 4624-11, 1° N° Lexbase : L3947IAG), des visites médicales périodiques organisées en principe tous les vingt-quatre mois (C. trav., art. R. 4624-16 N° Lexbase : L3932IAU) ou, encore, lors des visites participant de la surveillance médicale renforcée auxquels certains salariés doivent être soumis (3).
Mais il ne faut pas non plus oublier que tout salarié peut également bénéficier d'un examen médical à la demande de l'employeur ou à sa demande (C. trav., art. R. 4624-18 N° Lexbase : L3927IAP). C'est, d'ailleurs, de cette possibilité qu'avait usé le salarié au cas d'espèce en sollicitant une visite médicale sur les conseils de son médecin traitant environ sept semaines après un arrêt de travail. Certes, à l'occasion d'un examen réalisé à cette occasion, rien n'oblige réglementairement le médecin à délivrer une fiche d'aptitude. Mais il entre dans sa mission générale de surveillance médicale des salariés de s'assurer que leur état de santé est compatible avec le poste occupé. Il n'est pas contestable que le médecin du travail puisse prendre un avis d'inaptitude.
En d'autres termes, sauf dispositions contraires, tout examen médical réalisé par la médecine du travail peut se conclure par un avis d'inaptitude. La seule exception prévue par les textes concerne ce que l'on appelle communément la visite de pré-reprise, dont l'article R. 4624-23 (N° Lexbase : L3912IA7) précise qu'elle tend "à faciliter la recherche des mesures nécessaires lorsqu'une modification de l'aptitude au travail est prévisible" ; cette finalité particulière est exclusive de toute déclaration d'inaptitude car il s'agit de se situer dans une démarche d'anticipation par rapport au terme de l'arrêt de travail et à la date (prévue) de reprise du travail.
L'article R. 4624-31 dispose que, "sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu'après avoir réalisé [...] deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines". En l'espèce, il s'agissait de savoir si l'avis du médecin du travail émis lors la visite sollicitée par le salarié sept semaines après la reprise du travail pouvait être considéré comme valant premier avis d'inaptitude au sens de l'article R. 4624-31. A cette question, la Cour de cassation répond par l'affirmative et décide que ce n'est pas le moment de la visite qui importe mais sa nature ; on doit être en présence d'un examen médical (4). Si tel est bien le cas, le second examen réalisé dans les deux semaines permet de conférer toute régularité à la procédure de constatation de l'inaptitude. Il devient, dès lors, indifférent que cette seconde visite soit intervenue au cours d'une nouvelle période de suspension du contrat de travail pour raisons de santé puisque la procédure était déconnectée de toute logique de reprise du travail.
II - Des effets alignés sur ceux de la constatation de l'inaptitude consécutive à un arrêt de travail
La solution de principe adoptée par la Cour de cassation emporte deux conséquences d'inégale importance : la première porte sur les voies de recours ouvertes au salarié et est expressément abordée par la décision ; la seconde est implicite et concerne le bénéfice du dispositif protecteur applicable aux salariés inaptes.
Dès lors que l'inaptitude a été régulièrement constatée au terme de deux avis médicaux concordants espacés de deux semaines, le salarié peut faire jouer le recours particulier prévu par l'article L. 4624-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1874H9B) s'il est en désaccord avec les conclusions auxquelles est parvenu le médecin du travail. En application de l'alinéa 3 de ce texte, le salarié (5) peut contester l'avis d'inaptitude devant l'inspecteur du travail qui rendra sa décision après avoir recueilli l'avis du médecin inspecteur du travail.
De manière implicite, les juges de la Chambre sociale entendent établir un lien entre l'obligation de reclassement et toute constatation d'inaptitude régulièrement effectuée, indépendamment du point de savoir si cette constatation intervient consécutivement à un arrêt de travail ou en dehors de ce contexte. La solution ne va pas de soi si l'on s'en tient à la lettre de l'article L. 1226-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1006H97), qui traite de l'obligation de reclassement (6) lorsque l'inaptitude est constatée "à l'issue d'une période de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou à un accident du travail".
La formulation laisse entendre que le dispositif de protection doit être "réservée" aux seuls salariés dont l'avis d'inaptitude est rendu à l'occasion d'une visite médicale de reprise. Non seulement cela entre en contradiction avec les articles réglementaires relatifs aux missions de contrôle de l'aptitude à la charge du médecin du travail qui n'opèrent absolument pas cette distinction, mais une telle interprétation serait contreproductive au regard de la finalité protectrice des textes adoptés en faveur des salariés inaptes. Elle conduirait à exclure du bénéfice de la procédure de reclassement des salariés inaptes au seul motif que leur inaptitude a été constatée en dehors d'une visite médicale de reprise. Telle n'est pas la volonté de la Cour de cassation qui s'attache à l'esprit des textes et opte pour un régime unifié des conséquences à faire produire à tout constat d'inaptitude établi dans des conditions régulières. Ce faisant, elle refuse très logiquement qu'existe un régime de protection à deux vitesses opérant des différences de traitement entre salariés inaptes selon le contexte dans lequel l'avis du médecin a été délivré.
On ne peut que se réjouir de cette prise de position de la Haute juridiction, quand bien même elle ne se déduit qu'en creux de la décision du 8 avril. Elle tend à asseoir davantage la protection du salarié inapte. Pour autant -et c'est là le possible revers de la médaille de cet arrêt-, la solution pourra dissuader des salariés de solliciter un avis de la médecin du travail dans les circonstances non balisées par le Code du travail (visite d'embauche, visites périodiques, visites de reprise) de crainte que la visite puisse déboucher sur un constat d'inaptitude et constituer le point de départ de la procédure de déclaration (définitive) d'inaptitude susceptible de se conclure par un licenciement (7).
(1) Voir, notamment, Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 95-45.363, M. Desroches c/ Coopérative atlantique (N° Lexbase : A3155ABH) ; Cass. soc., 16 février 1999, n° 96-45.394, Société Thivat meunerie c/ M. Tèche (N° Lexbase : A6637AHB) ; Cass. soc., 7 janvier 2003, n° 00-46.225, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Nord-Est c/ M. Jean-Pierre Prévost, F-D (N° Lexbase : A5997A4U).
(2) Voir la partie réglementaire du Code du travail, dont la section 2 du chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie est consacrée aux examens médicaux (art. R. 4624-10 N° Lexbase : L3950IAK et s.).
(3) Au titre de la surveillance médicale renforcée, la périodicité des visites médicales est ramenée à un an. Sont concernés les salariés affectés à certains travaux comportant des exigences ou des risques déterminés, ceux qui viennent de changer de type d'activité ou d'entrer en France (surveillance renforcée pendant une période de dix-huit mois à compter de leur nouvelle affectation), les travailleurs handicapés, les femmes enceintes, les mères dans les six mois qui suivent leur accouchement et pendant la durée de leur allaitement et les travailleurs âgés de moins de dix-huit ans (C. trav., art. R. 4624-19 N° Lexbase : L3924IAL).
(4) Cela ne suffit pas toujours puisqu'il a été jugé que la visite périodique (annuelle à l'époque des faits) à laquelle l'entreprise doit soumettre ses salariés ne peut pas être considérée comme le premier des deux examens mentionnées à l'article R. 4624-31 (N° Lexbase : L3891IAD). Voir Cass. soc., 16 mai 2000, n° 97-42.410, M. Bachène c/ Société Sicpa (N° Lexbase : A9254ATW), Bull. V, n° 182.
(5) Le recours est également ouvert à l'employeur.
(6) Obligation dont on rappellera qu'elle consiste pour l'employeur à rechercher, dans le délai d'un mois qui suit le second constat d'inaptitude, un poste approprié aux capacités du salarié et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail (C. trav., art. L. 1226-2 N° Lexbase : L1006H97).
(7) A noter que l'examen médical tend "à recueillir des informations sur la santé du salarié et sur le lien entre sa santé et sa situation de travail". Pour autant, s'il donne souvent lieu à établissement d'une fiche d'aptitude, il peut, parfois, conduire seulement à la délivrance de conseils en matière de prévention ou à la prescription ou à la réalisation d'examens complémentaires (v. circ. DRT n° 2005-03 du 7 avril 2005, relative à la réforme de la médecine du travail).
Décision Cass. soc., 8 avril 2010, n° 09-40.975, Société Constructions métalliques Brayonnes, FS-P+B (N° Lexbase : A5913EUK) CA Amiens, 5ème ch. soc., sect. B, 14 janvier 2009 Texte visé : C. trav., art. R. 4624-31 (N° Lexbase : L3891IAD) Lien base : ([LXB=E3271ETC ]) |
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Réf. : Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-12.294, F-P+B+I (N° Lexbase : A1345EUD)
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
Le 07 Octobre 2010
En l'espèce, par acte établi par un huissier de justice, les propriétaires d'un local commercial ont consenti un bail commercial pour l'exploitation d'une teinturerie à des époux, assistés au cours des négociations par un professionnel du secteur d'activité concerné. Trois ans plus tard, l'EURL fondée par les exploitants ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, l'huissier de justice, invité par le liquidateur à déclarer la créance de loyers de ses mandants, a cherché à en obtenir le recouvrement auprès des époux, lesquels ont alors engagé une action pour obtenir l'annulation du bail en l'absence de mention précisant qu'ils agissaient pour le compte de leur société en formation, le remboursement des loyers dont ils s'étaient acquittés personnellement et la condamnation de l'huissier de justice à leur payer des dommages et intérêts. Déboutés de leur demande indemnitaire par la cour d'appel de Douai, ils se sont pourvus en cassation, reprochant aux magistrats douaisiens de ne pas avoir tiré toutes les conséquences de ce que l'huissier rédacteur d'acte est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, ainsi que sur les risques de leurs engagements. Or, selon le pourvoi, il incombait au rédacteur d'un bail commercial d'attirer l'attention de la partie, créant une nouvelle activité, sur le mode d'exercice envisagée, individuel ou sous forme sociale, et, dans ce dernier cas, sur les conditions légales d'une reprise du bail souscrit pour le compte d'une société en formation, étant entendu qu'il n'est pas dispensé de son devoir de conseil par la présence d'un conseiller personnel au côté du client. Cette argumentation n'a, cependant, pas convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, énonce "que le devoir de conseil auquel est tenu le rédacteur d'actes s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque, dans ce dernier cas, le praticien du droit en a été informé ; que si le professionnel doit veiller, dans ses activités de conseil et de rédaction d'actes, à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, il n'est, en revanche, pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties en l'absence d'éléments de nature à éveiller ses soupçons quant à la véracité des renseignements donnés". Or, au cas d'espèce, "ayant souverainement relevé que ni les époux B..., ni leur mandataire n'avaient appelé l'attention du rédacteur de l'acte litigieux sur le fait que les signataires du bail avaient entendu agir, non en leur nom personnel, mais pour le compte d'une société en formation destinée à reprendre leurs engagements, la cour d'appel a pu en déduire que l'huissier instrumentaire n'avait commis aucune faute".
Sans doute le devoir d'information et de conseil du débiteur subsiste-t-il lorsque le créancier se fait assister par une personne compétente : ainsi a-t-il été jugé que la présence d'un avoué dans la procédure d'appel ne dispense pas l'avocat de son devoir de conseil (9), ou encore que la présence d'un conseiller personnel aux côtés d'un client ne saurait dispenser le notaire de son devoir de conseil (10). Et, l'on n'ignore pas non plus, suivant la même logique, que la compétence personnelle du client ne supprime pas dans son principe le devoir d'information et de conseil du professionnel : la jurisprudence décide, en effet, que les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat choisi par celui-ci de toute obligation de conseil (11), mais aussi que le notaire n'est pas déchargé par les compétences personnelles de son client (12), y compris, d'ailleurs, lorsque le client est lui-même notaire (13), et, enfin, plus généralement, que les compétences personnelles du client ne dispensent pas le rédacteur d'actes de son devoir de conseil (14). Ces solutions sont parfaitement connues.
Mais, cela ne saurait pour autant signifier que le devoir de conseil du professionnel est absolu. Il est, en effet, des circonstances qui libèrent le débiteur. Ainsi, en dehors même du fait que le devoir de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous (15) ou, inversement, qui sont ignorés de tous, rendant du même coup l'erreur invincible (16), on considère que le professionnel n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties, du moins dans les hypothèses dans lesquelles aucun élément ne permettait de douter de leur exactitude. Aussi bien, décide-t-on que lorsqu'une partie déclare n'avoir jamais fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le notaire n'a pas à vérifier cette déclaration, sauf à ce qu'existent des raisons objectives de mettre en doute sa véracité (17). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation a, encore, très nettement posé en principe que "l'avocat ne saurait être tenu, dans le cadre de son obligation de conseil, de vérifier les informations fournies par son client s'il n'est pas établi qu'il disposait d'informations de nature à les mettre en doute ni d'attirer son attention sur les conséquences d'une fausse déclaration" (18). C'est de cette logique que relève l'arrêt du 25 mars dernier.
On relèvera, en outre, que ces solutions valent également, non pas seulement lorsqu'il est question d'apprécier l'exécution par le professionnel de son devoir d'information et de conseil, mais aussi, plus généralement, lorsqu'il s'agit de vérifier qu'il a correctement exécuté son obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours, dont on a déjà dit qu'elle constituait en quelque sorte le socle sur lequel se greffait le devoir d'information et de conseil. Sous cet aspect, on admet que, si l'obligation d'efficacité impose, certes, au notaire de requérir un état hypothécaire et un certificat d'urbanisme avant chaque vente en la forme authentique, y compris lorsqu'il en est dispensé par les parties (19), il n'engage, cependant, pas sa responsabilité si ces documents sont erronés, sauf à ce qu'il dispose d'éléments "susceptibles de l'amener à suspecter l'exactitude des renseignements d'urbanisme fournis" (20). De même, n'engage pas sa responsabilité le notaire ayant établi l'acte de vente d'un immeuble sur la base de documents attestant de la répartition des parts sociales de la société civile immobilière détenant l'immeuble, dont aucun indice ne permettait de soupçonner la fausseté, le notaire, chargé de donner forme authentique à la vente de l'immeuble et non à la cession des parts sociales, étant ainsi fondé à ne pas consulter le registre des nantissements (21). Par où l'on voit bien, en définitive, que la portée du devoir de conseil est fonction de la mission du professionnel telle qu'elle aura été déterminée par le but poursuivi par les parties.
(1) Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(4) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(5) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267, jugeant que l'avocat, unique rédacteur d'un acte sous seing privé, est tenu de veiller à assurer l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et de prendre l'initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d'autre, peu important le fait que l'acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d'un seul des contractants.
(6) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B (N° Lexbase : A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496.
(7) Cass. civ. 1, 17 décembre 1991, n° 90-15.968 (N° Lexbase : A7994AHK).
(8) Cass. civ. 1, 12 décembre 1995, n° 93-21.076 (N° Lexbase : A2785CSX).
(9) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132.
(10) Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 93-16894 (N° Lexbase : A9438CGN), Bull. civ. I, n° 312 ; Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758 (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (présence d'un autre notaire aux côtés d'une des parties à l'acte).
(11) Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-18.775 (N° Lexbase : A2743ATR), Bull. civ. I, n° 15.
(12) Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-15.659 (N° Lexbase : A8057C48), Rép. Defrénois 1996, p. 361, obs. J.-L. Aubert.
(13) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831 (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(14) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-14.192 (N° Lexbase : A4535AG3), Bull. civ. I, n° 238.
(15) Cass. civ. 3, 20 novembre 1991, n° 90-10.286 (N° Lexbase : A2944ABN), Bull. civ. III, n° 284. Comp. Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-18.737 (N° Lexbase : A3478AUD), Bull. civ. I, n° 101, jugeant que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir rappelé à une autre partie des obligations relevant de l'obligation de bonne foi qui s'impose en matière contractuelle, ou les conséquences de leur transgression.
(16) Cass. civ. 1, 21 novembre 2000, n° 98-13.860 (N° Lexbase : A9344AHK), Bull. civ. I, n° 300 (usucapion ignoré de tous et ultérieurement constaté dans une décision judiciaire).
(17) Cass. civ. 1, 28 septembre 2004, n° 01-01.081 (N° Lexbase : A4564DDE).
(18) Cass. civ. 1, 30 octobre 2007, n° 05-16.789 (N° Lexbase : A2275DZB).
(19) Cass. civ 1, 15 juin 2004, n° 01-02.621 (N° Lexbase : A7299DCC).
(20) Cass. com., 12 octobre 2004, n° 00-13.348 (N° Lexbase : A5938DDB).
(21) Cass. civ. 1, 5 mars 2009, n° 07-20.848, F-P+B (N° Lexbase : A6306EDW), D., 2009, AJ., p. 871.
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