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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Ce fut l'objet de la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Des institutions de garantie assurent donc le paiement des créances impayées des travailleurs portant sur la rémunération afférente à la période se situant avant la date de la survenance de l'insolvabilité, du préavis de licenciement ou de la cessation de la relation de travail en raison de l'insolvabilité de l'employeur. En cas d'insolvabilité d'un employeur opérant sur les territoires d'au moins deux Etats membres, le paiement des créances revient à l'Etat membre où le travailleur salarié exerçait habituellement son travail.
L'intention prend des airs de solidarité communautaire, les nationalités des travailleurs semblant rester de côté. Mais, plus vraisemblablement, en 1980, l'organisation du travail se caractérisait nécessairement par une stabilité de l'activité des travailleurs, même mobiles, rattachés, le plus souvent, à un établissement stable ou à une succursale, l'un ou l'autre assujetti aux cotisations sociales de protection des salariés. Le principe de l'encaisseur-payeur ne faisait pas de doute. De ce point de vue, la solidarité et l'intégration européennes se payaient à vil prix.
Pour preuve de ce bicéphalisme des "Etats-Janus", qui, d'un côté, prônent la mobilité et la solidarité et, de l'autre, s'attachent au bien de ses propres salariés, un rapport de la Commission du 15 juin 1995 sur la transposition de la Directive faisait ressortir que les droits en vigueur dans plusieurs Etats membres s'écartaient des obligations prévues par le texte communautaire ; ceci valait principalement pour les dispositions relatives à son champ d'application, à la notion d'insolvabilité et à la protection sociale... CQFD.
Et l'un des points faisant l'objet de controverse était, justement, relatif à l'attribution de compétence en cas d'insolvabilité d'un employeur opérant sur les territoires d'au moins deux Etats membres et, notamment, à l'interprétation de la notion de lieu d'exercice habituel de travail du salarié. C'est à cette question qu'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, rendu le 16 octobre 2008, et sur lequel revient, cette semaine, Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de notre base encyclopédique en droit de la Sécurité sociale, apporte d'importants éléments de réponse.
Ainsi, le lieu d'exercice habituel de travail du salarié n'est pas uniquement caractérisé par le fait que l'entreprise dispose d'une succursale ou d'un établissement stable dans un autre Etat. Cette entreprise peut disposer dans ce dernier Etat d'une présence économique stable, caractérisée par l'existence de moyens humains lui permettant d'y accomplir des activités. Dans le cas d'une entreprise de transport établie dans un Etat membre, la simple circonstance qu'un travailleur engagé par celle-ci dans cet Etat effectue des livraisons de marchandises entre ce dernier Etat et un autre Etat membre ne saurait permettre de conclure que cette entreprise dispose d'une présence économique stable dans un autre Etat membre caractérisée par l'existence de moyens humains lui permettant d'y accomplir des activités.
Avancée communautaire ou régression de l'intégration européenne ? Au XVIème siècle, Montaigne condamnait, dans ses Essais, que l'on prenne souvent l'obscur pour le profond. Jusqu'à présent, aux fins d'établir les règles de territorialité, nous connaissions les concepts "d'établissement stable", de "succursale", de "bureau de représentation", de "centre des intérêts professionnels". Et l'on pouvait s'enorgueillir de la cohérence des principes fiscaux et sociaux au sein de l'Union, puisque ces concepts permettaient, à la fois, l'imposition et la redistribution. Celui de "lieu habituel d'exercice d'une activité salariée" régit traditionnellement la compétence des Etats en matière de Sécurité sociale : faisant de la protection sociale un droit individuel attaché à la personne du salarié ; mais celui de "présence économique stable" fait, désormais, son entrée et semble difficile à définir et à établir ; dans quel but ?
Manifestement pas dans celui de simplifier le régime de protection des travailleurs mobiles. En effet, le travailleur mobile bénéficiera du régime de Sécurité sociale du pays où est établie sa résidence lorsqu'il exerce habituellement dans plusieurs Etats (avec des règles particulières concernant le détachement). En revanche, pour la garantie de ses salaires, il devra se retourner contre l'Etat de résidence de son employeur, si ce dernier n'a pas de présence économique stable dans l'Etat de résidence du salarié ; or, ce cas de figure ne saurait manquer de se développer dans le cadre du télétravail et de l'accélération et de l'amélioration des transports inter-étatiques. Nous sommes bien en présence du syndrome de "la patate chaude" pour lequel la Cour entend satisfaire l'ambivalence des "Etats-Janus", plutôt que l'intégration européenne (pas moins de cinq Etats refusaient, tour à tour, d'assurer cette garantie)... comme si chacun devait finalement s'occuper des conséquences de ses propres faillites. A l'heure de la crise économique globale, le message aura du mal à passer parallèlement à l'effort de coordination marqué par la Présidence française ces dernières semaines.
Qui eut dit que l'assurance garantie des salaires prendrait des airs de Lancelot du lac, alias le mistigri au célèbre jeu de cartes ! L'élan du coeur afférent à la solidarité communautaire caractérise décidément bien le roman courtois à travers lequel les Etats membres accordent la préséance à l'autre lorsqu'il s'agit de garantir le paiement des salaires des travailleurs mobiles.
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Réf. : Sentence arbitrale du 7 juillet 2008 (N° Lexbase : A4744EBC)
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N9125BHG
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par Anne-Laure Blouet Patin, rédactrice en chef du pôle Presse
Le 07 Octobre 2010
A cet égard, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré le Professeur Thomas Clay, agrégé de droit privé, et spécialiste en la matière *.
Lexbase : L'Assemblée plénière ayant renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris, pourquoi y a-t-il eu un recours à l'arbitrage ?
Professeur Thomas Clay : Il s'agit d'une volonté politique de mettre fin à un contentieux ancien pour lequel l'arbitrage pouvait apparaître comme la meilleure issue. Mais, si le choix de M. Bernard Tapie de recourir à ce mode de règlement des litiges est compréhensible, il est plus surprenant de la part de l'Etat. Et se pose alors la question de la légitimité d'un tel recours. Trois particularités, laissant penser que l'arbitrage n'est pas la solution idéale, en l'espèce, peuvent être soulignées.
- En premier lieu, l'instance arbitrale intervenait en cours de procédure judiciaire, après un parcours judiciaire assez long, et après surtout une décision de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, c'est-à-dire la formation de la plus solennelle de notre plus Haute juridiction, ce qui n'est quand même pas habituel. Et si le tribunal arbitral avait finalement décidé de dépasser les plafonds d'indemnisation prévus dans le compromis d'arbitrage, celui-ci devenait caduc, et la procédure judiciaire reprenait là où elle s'était interrompue avant l'arbitrage. On était donc bien en cours de procédure judiciaire.
- En deuxième lieu, il s'agit d'une affaire qui met en jeu l'argent public, près de 400 millions d'euros avec les intérêts. Certes cela n'est pas en soi suffisant pour écarter la légitimité de l'arbitrage puisque l'Etat ou ses émanations sont bien souvent parties à des procédures arbitrales, mais rarement en matière interne, sauf avec une autorisation spéciale ou législative. Au reste, l'instance arbitrale est confidentielle et personne ne peut contester que la confidentialité et l'argent public ne vont pas bien ensemble. C'est d'ailleurs pour cela que la Commission des finances de l'Assemblée nationale s'est saisie de la question.
- Enfin, en troisième lieu, on ne peut nier que ce dossier, par la personnalité même de son principal protagoniste, avait de forts relents politique, et l'arbitrage et la politique ne font pas, non plus, bon ménage. Au total, il s'agit d'un dossier exceptionnel et atypique qui n'était sans doute pas fait pour l'arbitrage. Gardons-nous de confondre l'arbitrage avec cet arbitrage.
Lexbase : Qu'en est-il de l'exécution de cette sentence et des possibles recours ?
Professeur Thomas Clay : Cette sentence a été exequaturée dans des délais que l'on peut qualifier de "records". La sentence a été rendue le 7 juillet 2008 et a reçu l'exequatur du président du tribunal de grande instance de Paris le 15 juillet, et ce malgré le long week-end du 14 juillet. Signifiée le 16 juillet, un recours en annulation pouvait être intenté jusqu'au 16 août. Or la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi a annoncé, dès le 28 juillet, qu'il n'y aurait pas de recours, avec une précipitation qui a surpris les spécialistes de l'arbitrage compte tenu de la diversité des moyens juridiques qui pouvaient être invoqués au soutien d'un recours en annulation et dont certains semblaient, de prime abord, pertinents.
Si un recours en annulation contre cette sentence n'est plus guère possible, il existe, néanmoins, la possibilité d'intenter des recours dits extraordinaires à la condition qu'il s'agisse bien d'un arbitrage interne et non pas d'un arbitrage international. Il s'agit de recours rarissimes, mais qui existent contre toute décision de justice (C. proc. civ., art. 1481 N° Lexbase : L6446H7U et s.).
Le premier est la tierce-opposition. Elle peut être intentée par un tiers non représenté à l'instance et concerné par la décision. Il semble qu'une association de contribuables soit en train de former une tierce-opposition.
Le second est le recours en révision. Ce recours est ouvert lorsqu'un élément nouveau frauduleux montre que la sentence n'a pas été rendue dans les conditions où l'on croit qu'elle a été rendue.
A ce jour, quatre recours portant, non pas sur la sentence en elle-même, mais sur la décision de recourir à l'arbitrage et celle de ne pas intenter de recours en annulation, ont été portés devant le juge administratif par un parti politique.
Lexbase : Un amendement a été ajouté sur ce point lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2009. Que peut-il changer ?
Professeur Thomas Clay : Cet amendement est porté par le député Charles-Amédée de Courçon, lequel est animé par la volonté de corriger ce qui a le plus choqué dans la sentence arbitrale, à savoir les 45 millions d'euros alloués au titre du préjudice moral, avec une motivation tenant à peine sur une page. A cet égard, après une analyse minutieuse et exemplaire de l'affaire "Tapie", il a introduit dans le projet de loi de finances pour 2009 un amendement visant à ce que les préjudices moraux supérieurs à 200 000 euros soit taxés à hauteur de 95 %. L'amendement, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, a été rejeté par les sénateurs le 21 novembre dernier. Mais le texte va revenir devant l'Assemblée nationale, et il sera intéressant d'observer ce qu'il va devenir.
L'idée dominant cet amendement est de limiter le montant impressionnant du préjudice moral, dont le compromis d'arbitrage avait, lui-même, prévu qu'il pourrait être fiscalisé.
Néanmoins, cet amendement suscite deux réactions : d'une part, sous réserve d'une plus ample analyse, cet amendement se heurte à la non-rétroactivité de loi, même si en matière fiscale cette rétroactivité est sans doute possible ; d'autre part, ce n'est pas à la loi de modifier les conséquences d'une décision de justice.
(1) Communication, ouverte à la presse, de M. Charles de Courson, représentant de l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), sur les procédures liées aux contentieux entre le Consortium de réalisation (CDR) et le groupe Bernard Tapie, 3 septembre 2008.
*Thomas Clay est aussi directeur du Master Arbitrage & Commerce international et a été auditionné comme expert par la Commission des finances de l'Assemblée nationale dans cette affaire.
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Réf. : Cass. soc., 19 novembre 2008, 3 arrêts, n° 07-44.182, Société de Lama, F-D (N° Lexbase : A3537EBM) ; n° 07-44.183, Société de Lama, F-D (N° Lexbase : A3538EBN) ; et n° 07-43.361, Société en nom collectif (SNC) Aden (anciennement dénommée Prob'eco), F-D (N° Lexbase : A3529EBC)
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N9055BHT
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumés
Pourvoi n° 07-44.182 : si le délit d'injures publiques comporte un élément intentionnel, celui-ci n'implique pas, en lui-même, l'intention de nuire à l'employeur. Si l'utilisation dans un tract syndical de l'expression "argent sale" était fautive, la qualification de faute lourde ne pouvait être retenue, car il convenait de resituer ces termes dans leur contexte. Ne caractérise pas la faute lourde le fait, pour un salarié, de ralentir avec d'autres grévistes l'entrée des salariés dans l'entreprise, pendant dix minutes, l'accès au travail n'ayant pas été bloqué et les quelques retards constatés n'ayant pas désorganisé la production, ni entravé la liberté de travail des salariés non grévistes. Pourvoi n° 07-44.183 : la communication d'informations mensongères pour imprimer des tracts ne caractérise pas la faute lourde. La véritable cause du licenciement n'était pas celle énoncée dans la lettre de licenciement et résidait dans la seule volonté de l'employeur, attestée par des courriers, un communiqué du directeur commercial et les constatations du médiateur, de se séparer, par tous moyens, des salariés ayant revendiqué l'application de la convention collective, ce qui entraîne la nullité du licenciement. Pourvoi n° 07-43.361 : la circonstance que des agissements fautifs de la salariée invoqués dans la lettre de licenciement relèvent de la qualification pénale d'abus de confiance ou d'abus de biens sociaux ne suffit pas à leur conférer le caractère de faute lourde ou de faute grave. Le fait de proférer des injures à l'égard de son employeur ne caractérise pas, en soi, l'intention de nuire à celui-ci et, en conséquence, la faute lourde. Ces faits, invoqués à l'appui d'un licenciement disciplinaire, constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement et sont fautifs. |
Commentaire
I - La faute lourde et ses conséquences
La faute lourde constitue, dans l'échelle des fautes disciplinaires, la plus grave que l'on puisse reprocher à un salarié, non seulement en raison des comportements qui sont, ainsi, sanctionnés, mais, également, compte tenu des conséquences financières qui s'y attachent. Le salarié s'expose, en effet, à perdre son emploi, dans le cadre d'une procédure de licenciement disciplinaire, mais il sera, également, privé du droit à préavis, de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité compensatrice du droit aux congés payés (1). Contrairement à une idée, parfois, reçue, il conservera le bénéfice de l'assurance-chômage.
Le salarié s'expose, ensuite, à une condamnation à des dommages et intérêts, que l'action soit engagée par un tiers à l'entreprise ou par l'employeur lui-même.
La faute lourde constitue, enfin, la limite à l'immunité disciplinaire dont bénéficie le salarié qui exerce le droit de grève (2).
Depuis 1990, la faute lourde ne peut être caractérisée que si l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise est établie (3).
Ce basculement de la faute lourde dans la catégorie des fautes intentionnelles a considérablement raréfié les hypothèses où la jurisprudence retient cette qualification, singulièrement, en matière de grève. L'examen des décisions rendues ces dernières années montre que les comportements généralement sanctionnés concernent des entraves à la liberté du travail des non-grévistes (4), qu'il s'agisse de piquets de grève (5) ou d'occupations des lieux de travail, mais, également, d'atteintes à la liberté de l'activité professionnelle de l'employeur lorsque la grève, accompagnée de comportements illicites, paralyse totalement l'activité de l'entreprise (6).
L'orientation générale de la jurisprudence est incontestablement à une protection accrue des grévistes au travers d'un durcissement des éléments de qualification de la faute lourde. L'examen des décisions les plus récentes rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation suggèrerait même une franche réticence de la Cour à admettre la faute lourde, y compris pour des faits relevant, en principe, de cette qualification, telle l'atteinte à la liberté du travail, dès lors que la preuve de l'implication personnelle du salarié n'est pas rapportée avec certitude (7). Mais lorsque cette preuve est rapportée, singulièrement, par constat d'huissier, le licenciement du gréviste sera validé (8).
II - La conception extrêmement restrictive de la faute lourde
Dans un certain nombre d'hypothèses, le débat dérive sur la véritable cause du licenciement et le salarié pourra établir, par un faisceau de présomptions, que la véritable cause du licenciement résidait ailleurs, par exemple, "dans la seule volonté de l'employeur de se séparer d'un salarié en raison de son intervention auprès de l'employeur à la demande d'un syndicat" (9).
C'est ce qui s'était passé dans l'une des affaires examinées (pourvoi n° 07-44.183). Certains salariés avaient réclamé à leur employeur le paiement de la prime d'ancienneté prévue par la convention collective applicable dans l'entreprise, avant de se mettre en grève pour ce même motif. L'employeur avait licencié l'une des salariés impliquées, depuis le départ, dans le conflit, au motif pris qu'elle aurait fait pression sur la secrétaire du dirigeant de l'entreprise, afin qu'elle cesse de dactylographier les courriers recommandés adressés aux salariés, et qu'elle aurait communiqué et fait imprimer sur des tracts des informations mensongères. La cour d'appel de Bordeaux avait refusé de retenir la faute lourde et la Cour de cassation confirme cette analyse par le rejet du pourvoi.
Selon la Haute juridiction, en effet, "la communication d'informations mensongères pour imprimer des tracts ne caractérise pas la faute lourde". Par ailleurs, il apparaissait que la véritable cause du licenciement n'était pas celle énoncée dans la lettre de licenciement, mais qu'elle "résidait dans la seule volonté de l'employeur, attestée par des courriers, un communiqué du directeur commercial et les constatations du médiateur, de se séparer par tous moyens des salariés ayant revendiqué l'application de la convention collective".
Dans ces conditions, la nullité du licenciement s'imposait doublement, car, non seulement la salariée n'avait pas commis de faute lourde, mais, de surcroît, elle avait été sanctionnée pour avoir exercé une activité syndicale, ce qui conférait au licenciement un caractère fortement discriminatoire.
L'existence d'une qualification pénale possible est, également, souvent, invoquée par les employeurs pour convaincre le juge, soit en dehors de toutes poursuites, soit postérieurement à une condamnation, pour se fonder sur l'autorité de la chose jugée par le juge répressif sur le juge prud'homal. On sait, toutefois, que cette autorité ne concerne que la qualification de faute, mais qu'elle ne préjuge pas de la gravité de celle-ci qui sera souverainement appréciée par le juge civil (10). Or, il apparaît que, pour des faits d'injures ou de diffamations, la Cour de cassation a pu affirmer que, "si seule la faute lourde peut justifier une sanction disciplinaire à l'encontre d'un salarié gréviste, la cour d'appel a pu décider que le fait pour les salariés concernés d'avoir proférés des injures, en dehors de toute violence, ne constituait pas une faute lourde" (11). La faute lourde du gréviste impliquerait, alors, une intention spéciale, distincte de celle qui serait exigé par le droit pénal.
C'est bien ce que confirme l'un des arrêts rendus le 19 novembre 2008 (pourvoi n° 07-44.182). Cette affaire concernait la même entreprise et le même conflit que précédemment (pourvoi n° 07-44.183). Cette fois-ci, l'employeur avait licencié un gréviste pour avoir participé activement à la distribution de tracts mensongers et diffamatoires à l'égard du fondateur de la société et porté gravement atteinte à l'image de celle-ci, ainsi que pour avoir "bloqué par période de 15 à 60 minutes" l'entrée et la sortie de l'entreprise, "empêchant les salariés non grévistes de rentrer pour travailler et les retardant lorsqu'ils [voulaient] rentrer chez eux". La cour d'appel de Bordeaux avait donné raison au salarié qui demandait l'annulation du licenciement, ce que confirme, également, la Cour de cassation en rejetant le pourvoi formé par l'employeur. Comme l'indique clairement la Haute juridiction, "si le délit d'injures publiques comporte un élément intentionnel, celui-ci n'implique pas, en lui-même, l'intention de nuire à l'employeur".
Cette distinction est parfaitement justifiée. On sait, en effet, que l'appellation d'infraction intentionnelle est trompeuse, puisque le juge répressif se contente, en réalité, de la preuve de l'intention de l'acte, sans exiger, à tout le moins en principe, la preuve d'une intention de causer le dommage ; bref, la faute intentionnelle du droit pénal est, en réalité, sauf exceptions, une faute volontaire, alors que la faute lourde du droit du travail est une véritable faute intentionnelle impliquant la volonté de causer le dommage et, pas seulement, la volonté de commettre la faute. La Cour de cassation ne dit, d'ailleurs, pas que l'injure ne peut pas constituer une faute lourde, mais exige simplement de l'employeur qu'il rapporte la preuve, par d'autres éléments, d'une intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise (12). Celle-ci pourra, alors, caractériser une faute grave (13), mais ce sera insuffisant pour faire céder l'armure disciplinaire conférée par la loi au gréviste.
Cette dissociation de la faute pénale et de la faute civile intentionnelle est confirmée par un autre arrêt rendu le même jour, mais qui ne concernait pas, cette fois-ci, des grévistes (pourvoi n° 07-43.361). Dans cette affaire, un salarié avait été licencié en raison d'un certain nombre de malversations qui avaient, d'ailleurs, été sanctionnées par le juge pénal (14). Se fondant sur ces condamnations pour des infractions présentant un caractère intentionnel, l'employeur avait, alors, procédé au licenciement du salarié pour faute lourde. La cour d'appel lui avait donné tort, ce que confirme le rejet du pourvoi. Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "la circonstance que des agissements fautifs de la salariée invoqués dans la lettre de licenciement relèvent de la qualification pénale d'abus de confiance ou d'abus de biens sociaux ne suffit pas à leur conférer le caractère de faute lourde ou de faute grave", pas même, d'ailleurs, que le "fait de proférer des injures à l'égard de son employeur ne caractérise pas, en soi, l'intention de nuire à celui-ci et, en conséquence, la faute lourde". La cour d'appel avait été plus loin, encore, puisque si elle avait admis l'existence d'une faute, constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement, elle avait écarté la qualification de faute, là encore avec l'approbation de la Cour de cassation.
Sans se prononcer sur le fond de l'affaire, ni porter de jugement sur le comportement du salarié (15), il est simplement loisible de constater que cette absence d'identité, posée comme un principe laissant au juge civil les pleins pouvoirs pour qualifier la gravité de la faute ainsi commise, n'exclut, bien entendu, pas que les juges du fond puissent établir l'intention de nuire ou retenir la qualification de faute grave s'ils estiment que le salarié ne pouvait plus demeurer dans l'entreprise (16).
(1) C. trav., art. L. 3141-26 (N° Lexbase : L0576H99).
(2) L'immunité, accordée par l'article L. 2511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0237H9N) dans l'hypothèse du licenciement, s'étend, en effet, à l'ensemble des sanctions disciplinaires : Cass. soc., 28 avril 1994, n° 90-45.687, Société Delachaux, société anonyme c/ M. Philippe Clavier (N° Lexbase : A1803AAZ), Dr. soc., 1994, p. 719.
(3) Cass. soc., 5 avril 1990, n° 88-40.245, M. Jacknovitz c/ M. Montenay et autres (N° Lexbase : A4122AH7), Bull. civ. V, n° 175, p. 106 (responsabilité civile) ; Cass. soc., 26 septembre 1990, n° 88-43.908, Mme Habay c/ SA Union commerciale (N° Lexbase : A1562AA4), Dr. soc., 1991, p. 60, rapport P. Waquet, note J.-E. Ray (grève).
(4) CA Paris, 17 janvier 1986, Dr. soc., 1986, p. 231, obs. J. Savatier ; Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-43.820, M. Charles Bodère c/ Société Sécurité Protection Surveillance Transport SPST (N° Lexbase : A8811AGG), Gaz. Pal., 24 et 25 décembre 1997, Pan., p. 335 ; Cass. soc., 17 décembre 2002, n° 00-42.115, M. Aziz Faik c/ Société Discol Prodirest, FS-P (N° Lexbase : A4978A47), Bull. civ. V, n° 388, Dr. soc., 2003, p. 448, obs. F. Duquesne.
(5) Cass. soc., 25 mai 1951, Bull. civ. V, n° 408 ; Cass. soc., 17 décembre 2002, n° 00-42.115, préc. : "la cour d'appel, qui a retenu des faits d'entrave à la liberté du travail commis individuellement par chaque salarié et qui a constaté que la société ne s'était livrée à aucun agissement répréhensible de nature à faire échec au libre exercice du droit de grève, a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, que les salariés, qui avaient interdit l'entrée et la sortie des camions, avaient commis une faute grave (lourde)" ; Cass. soc., 24 avril 2003, n° 01-46.972, M. Patrick Bertrand c/ Société Mazet Aubenas, F-D (N° Lexbase : A6832BQ4) : "le salarié avait personnellement participé au blocage de l'entrée de l'entreprise, empêchant, pendant plusieurs heures, la sortie des véhicules assurant le service de messagerie".
(6) Ainsi l'occupation du lieu de travail accompagnée d'entraves à la liberté du travail des non-grévistes, ou de violences, ou de refus d'exécuter une ordonnance d'expulsion : Cass. soc., 21 juin 1984, n° 82-16.596, Lopez, Ottaviani, Vidal, Brau, Massard, Gilly, Filliol, Duporge c/ SA La Générale Sucrière (N° Lexbase : A0504AAW), Dr. soc., 1985, p. 18, obs. J. Savatier. V., également, Cass. soc., 30 juin 1993, n° 91-44.824, M. Le Faou et autres c/ Société Nomel (N° Lexbase : A3867AAH), Bull. civ. V, n° 185 : "la cour d'appel, après avoir constaté que les salariés avaient personnellement participé à la fermeture des accès de l'usine et avaient fait obstacle à toute entrée ou sortie de véhicules, ce qui avait entraîné la désorganisation de l'entreprise, a pu décider que ce comportement était constitutif d'une faute lourde".
(7) Ainsi Cass. soc., 18 septembre 2007, n° 06-41.761, Mme Frédérique Coadou, F-D (N° Lexbase : A4360DY7) ; Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 06-46.498, Société civile d'exploitation agricole Marigot, F-D (N° Lexbase : A0562EBG) : "la cour d'appel, qui a constaté que l'entrave à la liberté du travail, qui était reprochée au salarié dans la lettre de licenciement, n'était pas caractérisée comme relevant de la responsabilité du salarié, et que ce dernier n'avait pas commis d'actes mettant en évidence une intention de nuire à l'entreprise, a pu en déduire que la faute lourde n'était pas caractérisée".
(8) Cass. soc., 27 novembre 2007, n° 06-41.272, M. Ludovic Peckett, F-D (N° Lexbase : A9471DZS) ; Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-43.739, M. Ahmet Ayan, F-D (N° Lexbase : A1338D3X) : "il ressortait d'un constat d'huissier de justice, que le salarié était présent parmi les membres du piquet de grève barrant la route d'accès à l'usine, la cour d'appel a relevé que malgré la notification faite par cet officier ministériel de l'ordonnance de référé interdisant d'empêcher l'accès au chantier, l'intéressé avait refusé d'obtempérer en maintenant le barrage qui fermait la route d'accès ; [...] elle a, ainsi, caractérisé la participation active du salarié à une entrave à la liberté du travail, constitutive d'une faute lourde" ; Cass. soc., 14 mai 2008, n° 06-46.095, M. Thonglor Lainthavilay, F-D (N° Lexbase : A5255D87) (constat d'huissier).
(9) Cass. soc., 13 mai 2008, n° 07-40.275, Société France location distribution (FLD), F-D (N° Lexbase : A5413D8Y).
(10) Sur cette question, A. Coeuret et E. Fortis, Droit pénal du travail, Litec, 3ème éd., 2004, n° 180, et les décisions citées.
(11) Cass. soc., 10 mai 2001, n° 99-41.438, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Jacques Berthier (N° Lexbase : A4230ATT).
(12) Considérant, en présence d'injures, d'insultes et de menaces, que "l'intention de nuire, élément constitutif de la faute lourde, ne ressortant pas des faits reprochés au salarié" (Cass. soc., 27 juin 1991, n° 89-44.320, Société à responsabilité limitée RTTC 94 c/ M. Thierry Rétif, inédit N° Lexbase : A1882C4H).
(13) Cass. soc., 15 octobre 2008, n° 07-40.111, Société Pâtisserie Gérard Mulot, F-D (N° Lexbase : A8123EA4).
(14) Le salarié avait, en effet, utilisé, pour son usage personnel, les services d'une femme de ménage de l'entreprise et avait été condamné pour abus de confiance et abus de biens sociaux.
(15) On pourrait, toutefois, s'étonner que des faits puissent tomber sous la qualification d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux sans constituer une faute grave ; mais il est vrai que la Cour de cassation sait, quand cela l'arrange, renvoyer au pouvoir d'appréciation des juges du fond.
(16) Cass. soc., 15 janvier 2002, n° 99-44.565, M. Patrick Poeuf c/ Société Orex, F-D (N° Lexbase : A8068AX4).
Décisions
1° Cass. soc., 19 novembre 2008, n° 07-44.182, Société de Lama, F-D (N° Lexbase : A3537EBM) Rejet, CA Bordeaux, ch. soc., sect. B, 28 juin 2007, n° 05/01574, Mme Patricia Hill c/ SAS de Lama (N° Lexbase : A1674D77) Texte concerné : C. trav., art. L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N) Mots clef : grève ; faute lourde ; injure publique ; entrave à la liberté du travail. Lien base : 2° Cass. soc., 19 novembre 2008, n° 07-44.183, Société de Lama, F-D (N° Lexbase : A3538EBN) Rejet, CA Bordeaux, ch. soc., sect., 28 juin 2007, n° 05/01574, Mme Patricia Hill c/ SAS de Lama (N° Lexbase : A1674D77) Texte concerné : C. trav., art. L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N) Mots clef : grève ; faute lourde ; tract syndical ; cause du licenciement. Lien base : 3° Cass. soc., 19 novembre 2008, n° 07-43.361, Société en nom collectif (SNC) Aden (anciennement dénommée Prob'eco), F-D (N° Lexbase : A3529EBC) Rejet, CA Poitiers, ch. soc., 9 mai 2007, n° 06/02211, SNC ADEN (anciennement Prob'eco) c/ Ghislaine Zalikowski (N° Lexbase : A1540DZ3) Texte visé : C. trav., art. L. 3141-26 (N° Lexbase : L0576H99) Mots clef : congés payés ; indemnité compensatrice ; privation ; faute lourde ; abus de confiance ; abus de biens sociaux ; injures. Lien base : |
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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 07 Octobre 2010
L'arrêt "Helidan" rapporte des faits dont la gravité est, malheureusement, loin d'être exceptionnelle en entreprise : ils engendrent des conséquences intéressantes du point de vue de la procédure.
Une compagnie d'hélicoptères, ayant notamment pour activité l'école de pilotage et le transport de personnes pour des vols touristiques, fait l'objet d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle des redressements lui sont notifiés. A cette occasion, la société contribuable découvre des détournements de fonds commis par une personne, ayant usurpé le titre d'expert-comptable, au moyen de déclarations de crédits de TVA qui entraîneront ultérieurement une condamnation prononcée par le juge correctionnel.
En premier lieu, eu égard à la faculté de se faire assister par le conseil de son choix pour discuter la notification de redressements (LPF, art. L. 54 B N° Lexbase : L5586G4N), la société se fonde sur la nullité du mandat pour erreur sur la qualité du mandataire (C. civ., art. 1110 N° Lexbase : L1198ABY). La société contribuable reprochait à l'administration de ne pas l'avoir prévenue immédiatement de l'existence de discordances substantielles quant à la TVA au point de discréditer "nécessairement l'interlocuteur du vérificateur". La société Helidan prétendait alors en tirer argument car la requérante a subodoré que la personne mandatée avait tenté, avant toute chose, de sauvegarder ses intérêts propres en ne fournissant pas les explications qui auraient nécessairement mis en évidence les manoeuvres frauduleuses dont elle s'était rendue coupable.
Le mandant dispose de toute latitude pour choisir son mandataire : les dispositions du Code civil admettent même la désignation d'un incapable mineur (C. civ., art. 1990 N° Lexbase : L2213ABL) ; la jurisprudence ayant étendu cette solution à l'ensemble des incapables (Cass. civ., 5 décembre 1933, DH, 1934, p. 49 et s., 1935, 1 25 ; J. Huet, J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, 2001, p. 1102).
Il est de la responsabilité du seul mandant de nommer et de révoquer le mandataire s'il s'avère que ce dernier n'est pas digne de sa confiance (C. civ., art. 2004 N° Lexbase : L2239ABK). En droit fiscal, la doctrine administrative a toujours affirmé la liberté de choix du contribuable quant au conseil retenu qui n'est d'ailleurs pas nécessairement un membre d'une profession libérale tel qu'un avocat, un notaire ou un expert-comptable (1). Et l'administration fiscale n'est pas tenue d'exiger un mandat exprès (CE Contentieux, 31 mai 2000, n° 178122, M. Catania N° Lexbase : A4038AWH ; CE Contentieux, 29 mars 1978, n° 4460, M. Delaporte N° Lexbase : A2466AI8 (2) ; v. dans le même sens pour le juge de l'impôt judiciaire : Cass. com., 31 octobre 2006, n° 05-11.013, SCI Rosalie N° Lexbase : A2030DSY) ce qui va dans le sens des dispositions du Code civil régissant le mandat (3) (C. civ., art. 1985 N° Lexbase : L2208ABE). La jurisprudence, en s'appuyant sur l'apparence, valide le principe même d'une procédure de vérification de comptabilité lorsque l'interlocuteur de l'administration fiscale a agi de fait (CAA Marseille, 3ème ch., 24 mars 2005, n° 02MA01886, Ministre de l'Economie c/ Société YBB N° Lexbase : A6761DHU). Par conséquent, l'argumentation de la société requérante reposant sur l'absence de mandat signé ne pouvait prospérer.
Les circonstances de l'espèce soulèvent une interrogation quant au droit au débat oral et contradictoire -qui est une garantie substantielle de la procédure (CE Contentieux, 21 mai 1976, n° 94052 N° Lexbase : A1516AXG ; CE 7° s-s., 2 mai 1990, n° 58215, Donati, RJF, juin, 1990, n° 721 ; S. Austry, Débat oral et contradictoire : où en est la jurisprudence ?, RJF, mars 1997, p. 142) et dont la charge de la preuve, en cas de méconnaissance par l'administration, repose sur le contribuable (CE 9° et 10° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 224786, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Mlle de Noyer N° Lexbase : A9503AZY) sous l'appréciation souveraine des juges du fond (CE Contentieux, 18 octobre 1996, n° 160839, M. Mallet N° Lexbase : A1275APW) -quand bien même, ainsi que l'énonce la cour administrative d'appel de Versailles, l'administration fiscale n'aurait pas l'obligation de prévenir immédiatement le dirigeant de la société vérifiée des carences "susceptibles de mettre en cause la responsabilité de son comptable". Dans l'état actuel de la jurisprudence du Conseil d'Etat, "le contrôle du juge porte moins sur l'objet du débat oral et contradictoire que sur les conditions de sa possibilité. Ce contrôle porte uniquement sur la mise en place des conditions favorables à l'intervention de ce dialogue" (concl., P. Collin, sous CE 3° et 8° s-s-r., 30 décembre 2002, n° 231167, SARL Le Grand Bazar, BDCF, 2003, n° 41). Au cas d'espèce, même si la société requérante prétend que la procédure n'a été menée exclusivement qu'avec la personne indélicate, la cour administrative d'appel de Paris relève qu'il résulte de l'instruction qu'une seconde personne était également mandatée pour suivre la procédure. La requérante ne rapporte pas la preuve que ce second mandataire n'aurait pas suivi les opérations de vérification de comptabilité dans des conditions satisfaisant les droits de la société contribuable. La juridiction d'appel en conclut alors que rien ne permet d'affirmer que l'ensemble des circonstances propres à cette affaire ait été incompatible avec un débat oral et contradictoire avec le vérificateur. En d'autres termes, pour la cour administrative d'appel de Paris, à défaut de preuve d'absence de débat oral et contradictoire entre le contribuable et l'administration fiscale, qu'importe la qualité de l'échange même s'il a été mené avec une personne ayant usurpé un titre professionnel protégé par la loi : l'administration fiscale a permis à la société requérante de nouer un débat avec elle. Il appartiendra en conséquence aux contribuables de savoir choisir avec discernement le mandataire qui les représentera !
S'agissant de l'attitude de l'administration fiscale qui a reçu pendant plusieurs années des déclarations de taxe sur la valeur ajoutée présentant un crédit alors même que la société Helidan soutient que son activité ne le permettait pas, sur le plan des principes, le contribuable est responsable des déclarations souscrites, fût-ce par l'intermédiaire d'un tiers. En revanche, en matière de recouvrement de l'impôt, dans une hypothèse qui n'intéresse pas ici la société Helidan, il est vrai que la jurisprudence accepte de prendre en compte l'incurie des services de l'Etat -et plus particulièrement du comptable public- lorsque ce dernier n'a pas mis en oeuvre avec diligence la procédure de solidarité à l'encontre des dirigeants d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement en cas d'impossibilité de recouvrer les impositions et pénalités dues puisque les dispositions de la loi visent une responsabilité exclusive incompatible, par essence, avec la carence du comptable public (LPF, art. L. 267 N° Lexbase : L3699HBM ; Cass. com., 22 mai 1991, n° 89-19.675, M. Marsac c/ Receveur divisionnaire des Impôts de Niort et autre N° Lexbase : A2801ABD ; instruction du 6 septembre 1988, BOI 12 C-20-88 N° Lexbase : X0670AA3).
La société Helidan entendait aussi opposer la violation de l'obligation de loyauté envers le contribuable inscrite dans la charte du contribuable de 2005 mais l'on sait que son contenu est inopposable aux agents de l'administration fiscale à la différence de la "charte des droits et obligations du contribuable vérifié" (LPF, art. L 10 N° Lexbase : L3904AL8) dont la méconnaissance par l'administration emporte des conséquences quant à la régularité de la procédure. En définitive, la charte de l'automne 2005 n'est que l'expression d'une politique de communication. Sur ce point, l'argumentation de la requérante ne pouvait aboutir.
Enfin, s'agissant de la possibilité prévue par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié de saisir la hiérarchie du vérificateur -c'est-à-dire l'inspecteur divisionnaire ou principal puis, en cas de divergences importantes, l'interlocuteur départemental- la cour administrative d'appel de Versailles répond que ladite charte n'exige pas "que l'un ou l'autre prenne position expressément sur la demande du contribuable". Dans ces conditions, nous avons peine à comprendre l'intérêt de tels recours si les personnes saisies n'ont aucune obligation d'y répondre, sauf à retarder l'issue inéluctable d'un recours devant le juge de l'impôt. C'est peut-être l'effet recherché (4). Au cas d'espèce, la juridiction d'appel estime qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la société contribuable et que la procédure d'imposition n'est pas irrégulière au sens de l'article L. 10 du LPF dès lors que l'interlocuteur départemental lui a répondu ne pas prendre position avant l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
L'arrêt "Voiron" s'inscrit dans le cadre de plusieurs contentieux opposant des associés d'une même société à l'administration fiscale sur lesquels la juridiction administrative a été appelée à statuer (v. également : CAA Lyon, 2ème ch., 3 juillet 2008, n° 05LY00890, M. Paul Voiron N° Lexbase : A4314EAZ ; CAA Lyon, 2ème ch., 3 juillet 2008, n° 05LY00891, M. Louis Voiron N° Lexbase : A4315EA3 ; CAA Lyon, 2ème ch., 3 juillet 2008, n° 05LY00892, M. Pierre Voiron N° Lexbase : A4316EA4).
Sur le plan procédural, concernant la compétence de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (CDI) qui peut être saisie par l'administration fiscale elle-même ou à la suite de la demande du contribuable formulée auprès de l'administration (LPF, art. L. 59 N° Lexbase : L3970ALM), le requérant reprochait à l'administration fiscale d'avoir rejeté sa demande de saisine et d'avoir biffé la mention écrite, sur la réponse aux observations du contribuable, de la possibilité de saisir la CDI. Cependant, aux termes de l'article L. 59 A en vigueur à l'époque des faits (N° Lexbase : L8554AEK), la CDI intervenait lorsque le désaccord portait sur, notamment, le montant du bénéfice industriel et commercial. Or, au cas d'espèce, ce n'était pas le montant des bénéfices qui était discuté mais le principe même de l'imposition entre les mains des associés en l'absence de perception d'une somme. La CDI était par conséquent incompétente (v. : CE 3° et 8° s-s-r., 1er décembre 2004, n° 250344, Société France Telecom Transpac N° Lexbase : A1036DE4 (5)) puisqu'elle est appelée à trancher des questions de fait et non de droit (QE n° 2319, de Hénart Laurent, réponse publiée au JOANQ du 21 octobre 2002, p. 3723 N° Lexbase : L4518A8T ; v. depuis la réforme opérée par l'article 26 de la loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 : instruction du 18 avril 2005, BOI 13 M-1-05 [LXB= X0480AD7] (6)).
Sur le fond, ce contentieux a trait aux modalités d'imposition d'associés d'une société à responsabilité limitée qui, par principe, relève des dispositions de l'article 206 du CGI relatives à l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 206 N° Lexbase : L2389IB4) mais, en l'espèce, a profité du régime fiscal des sociétés de personnes (CGI, art. 239 bis AA N° Lexbase : L4952HLY) permettant aux SARL nouvelles ou préexistantes, dont le capital est détenu par les membres d'une même famille, de relever de l'impôt sur le revenu avec l'accord de tous les associés (CGI, art. 8 N° Lexbase : L2311IB9).
Par voie contractuelle, les créanciers de la SARL Voiron frères ont renoncé, à la condition de pouvoir poursuivre le contribuable au titre d'un cautionnement qu'il avait souscrit au profit de l'un des créanciers, à la poursuite du recouvrement des créances moyennant leur paiement partiel pour solde de tout compte par la société débitrice et l'indivision Joseph Voiron, dont faisait partie le contribuable requérant. Le contrat précise, alors, que le versement a eu lieu et que la renonciation des créanciers "a été définitive et sans réserve".
Sur le plan fiscal, il n'est pas contestable que ces abandons de créances consentis par les créanciers de la SARL doivent être regardés, dans les livres comptables de la débitrice, comme un produit imposable. Ce faisant, en application de l'article 8 du CGI, l'associé requérant était imposable à raison de sa quote-part dans le capital de la société à responsabilité limitée. Ainsi, l'argumentation -classique- reposant sur l'absence d'appréhension matérielle de la somme correspondante est sans portée puisque l'on sait que la doctrine administrative a précisé que "les associés sont passibles de l'impôt dès la réalisation des bénéfices ou revenus" (Doc. adm. 5 B 142, du 1er septembre 1999). Il n'est aucunement fait référence au versement des bénéfices ou revenus aux intéressés (v. ainsi dans l'hypothèse d'un associé commandité d'une société en commandite simple : CE Contentieux, 8 juillet 1992, n° 81365, M. Guaveia N° Lexbase : A7304ARX).
S'agissant du principe d'imposition d'un revenu net de charges (CGI, art. 13 N° Lexbase : L1050HLH), ce qui s'entend de la prise en compte "des dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un revenu", la cour administrative d'appel de Lyon estime que le contribuable -qui ne percevait aucune rémunération de la société à responsabilité limitée- aurait pu déduire de son revenu imposable, au titre des bénéfices industriels et commerciaux, le versement effectué. Cependant, la juridiction d'appel estime, en l'espèce, que tel n'était pas le cas en s'appuyant sur le fait que le contribuable "n'allègue même pas que le versement d'une somme par l'indivision Joseph Voiron aurait été une condition mise à ce qu'il puisse en percevoir, ou aurait été de nature à augmenter en proportion sa quote-part des résultats d'exploitation de la société au titre desquels il est personnellement imposable".
A la suite d'une vérification de comptabilité d'une activité d'agent d'assurances et d'un contrôle sur pièces portant sur des revenus fonciers, des redressements sont notifiés par l'administration fiscale au contribuable.
En appel (CAA Paris, 5ème ch., 18 septembre 2006, n° 04PA02319, M. Patrick Cayrou N° Lexbase : A2471DSC), le contribuable prétend que l'administration aurait usé d'une méthode de reconstitution des recettes et des dépenses viciée. Or, une méthode de reconstitution est utilisée lorsque la comptabilité fait défaut ou lorsqu'elle est irrégulière (7) (v. s'agissant d'un restaurant pour une méthode de reconstitution dite "des vins" : CAA Paris, 5ème ch., 30 septembre 2004, n° 00PA01510, M. Ibrahim Soliman N° Lexbase : A2831DEL) au point de la rejeter comme non probante malgré son apparence régulière en la forme. Au cas particulier, l'administration fiscale s'est bornée à vérifier l'exactitude des déclarations et elle a pris soin de relever, dans la notification de redressements, que la quasi-totalité des justificatifs réclamés lui avaient été présentés : par conséquent, l'administration n'avait utilisé aucune méthode de reconstitution de comptabilité.
S'appuyant, notamment, sur les dispositions de l'article 240 du CGI dans les termes alors en vigueur au moment des faits (N° Lexbase : L5002HLT) -"Les personnes physiques qui, à l'occasion de l'exercice de leur profession versent à des tiers des commissions, courtages, ristournes commerciales ou autres, vacations, honoraires occasionnels ou non, gratifications et autres rémunérations, doivent déclarer ces sommes dans les conditions prévues aux articles 87, 87 A et 89, lorsqu'elles dépassent 500 F par an pour un même bénéficiaire"- la cour administrative d'appel de Paris énonce que le contribuable n'a pu contester la réalité des sommes versées à ce titre par des personnes physiques agissant pour le compte de compagnies d'assurances et qu'il n'a pas établi "que les sommes litigieuses auraient dû être imputées sur un autre exercice". En substance, de telles déclarations emportent présomption.
Cette prise de position justifiera la censure du Conseil d'Etat et le règlement de l'affaire au fond (CJA, art. L. 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ).
En effet, pour la Haute juridiction administrative, les dispositions de l'article 240 du CGI "n'instituent pas une présomption de versement opposable au bénéficiaire désigné dans la déclaration". Par conséquent, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant que le contribuable devait établir l'exactitude des sommes versées par les compagnies d'assurance ainsi que leurs dates d'encaissement. La présente décision "Cayrou" doit être rapprochée de la jurisprudence "Elia" de 1996, la Haute juridiction administrative ayant déjà eu l'opportunité de rappeler que les dispositions de l'article 240 du CGI "n'institu[aient] pas une présomption de versement opposable au bénéficiaire désigné dans la déclaration" (CE Contentieux, 28 février 1996, n° 128087, Ministre chargé du Budget c/ M. Elia N° Lexbase : A7543ANP). Les mêmes conclusions s'imposent quant aux déclarations annuelles souscrites à la suite du versement des salaires par les employeurs (TA Versailles, 1ère ch., 4 juillet 1995, req. n° 87-5248, M. Michelon, concl. V. Haïm, Dr. fisc., 1996, comm. 607) qui peuvent être utilisées comme moyen de preuve corroboré par d'autres éléments réunis par l'administration (CE Contentieux, 2 février 1990, n° 62056, M. Boucard N° Lexbase : A4931AQP ; CAA Bordeaux, 3ème ch., 7 février 1995, n° 93BX00820, Michel Bernat N° Lexbase : A0699BEM).
La jurisprudence du Conseil d'Etat doit d'autant plus être approuvée que l'administration ne peut s'en tenir aux seules mentions figurant dans de tels documents dès lors que des charges -sociales notamment- viennent en déduction des versements et ne permettent pas d'établir une totale correspondance entre les sommes déclarées et celles perçues. De plus, le régime des bénéfices non commerciaux de droit commun relève de la comptabilité de caisse (CGI, art. 93 N° Lexbase : L0547HW8) à laquelle sont soumis les agents d'assurances (8) (CE Contentieux, 23 février 1979, n° 11426 N° Lexbase : A1783AKA). Or, en retenant la méthode des créances acquises -qui ne peut faire l'objet que d'une option exercée par le contribuable depuis le 1er janvier 1996 (CGI, art. 93 A N° Lexbase : L1987HL8) et dont les faits de l'espèce ne rapportent pas l'existence puisque l'arrêt d'appel vise l'article 93 du CGI- l'administration fiscale "n'a pas vérifié si certaines des sommes n'avaient pas été encaissées par le requérant au cours de l'année suivant celle de leur versement par les sociétés". Elle a ainsi nécessairement méconnu le référentiel de la comptabilité de caisse dans lequel s'inscrivait le contribuable car un décalage temporel peut survenir entre le versement des sommes par le débiteur et la possibilité pour le contribuable, soumis au régime de droit commun des bénéfices non commerciaux, de les encaisser et de les comptabiliser étant entendu que, selon la jurisprudence, une somme est réputée encaissée à la date où le bénéficiaire en a eu la libre disposition (D. adm. 5 G-221 n° 5, 15 septembre 2000 ; v. pour un paiement par chèque : CE Contentieux, 3 avril 1981, n° 18320 N° Lexbase : A3638AKX ; pour un paiement par virement bancaire : CE 9° et 10° s-s-r., 21 juin 2002, n° 222179, M. Manseau N° Lexbase : A9687AYG).
En toute cohérence, le Haut conseil conclut à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu pour les années considérées car il appartenait "à l'administration de justifier de la réalité du versement au titre de chacune des années vérifiées des sommes que les compagnies d'assurances ont déclaré avoir versées".
On rappellera un fait déterminant dans cette affaire dont l'administration fiscale a méconnu les conséquences en terme de procédure : le contribuable n'a jamais acquiescé aux redressements émis à son encontre et la charge de la preuve a alors toujours pesé sur l'administration (jurisprudence constante, notamment : CE 9° et 7° s-s-r., 29 janvier 1975, n° 90138 N° Lexbase : A9624B8X ; CE Contentieux, 18 mars 1981, n° 16881 N° Lexbase : A3894AKG ; CE Contentieux, 18 octobre 1993, n° 93876, SCI Le Vasco de Gama N° Lexbase : A1021AN7 ; CE 3° et 8° s-s-r., 16 juin 2003, n° 241983, M. Gardet N° Lexbase : A8688C8B, concl. F. Séners, BDCF, octobre 2003, n° 118).
(1) "Le mot conseil' contenu dans le texte légal n'est pas employé par référence à un texte organisant une profession. Il en résulte que le contribuable peut choisir n'importe quelle personne comme conseil (c'est ainsi que le mari peut assister, comme conseil, sa femme exploitante)", Doc. adm., 13 L 1312, § 3, 1er juillet 2002.
(2) "Considérant que si, aux termes des articles 1649 septies [N° Lexbase : L1843HM9] à 1649 septies F du CGI, les vérifications doivent se dérouler chez le contribuable, il résulte de l'instruction que si, après avoir commencé chez le sieur Delaporte la vérification du chiffre d'affaires déclaré pour la période en litige s'est poursuivie et achevée dans le cabinet de son comptable, c'est le contribuable lui-même qui avait emporté et déposé chez celui-ci les livres et les pièces qui en étaient l'objet ; que, dans ces circonstances, la possibilité d'un débat oral et contradictoire ayant été offerte au sieur Delaporte, la vérification doit être tenue pour régulière, sans qu'il y ait lieu de rechercher si ce dernier avait donné à son comptable un mandat exprès de le représenter".
(3) "Le mandat peut tout aussi bien être verbal, ajoute l'article 1985, et cela montre que, sous réserve de conditions de preuve, le Code civil ne pose pas d'exigence particulière pour l'existence du mandat : le principe est donc le consensualisme, ce qui laisse la plus grande liberté aux parties", J. Huet, op. cit., p. 1127.
(4) "Le droit fiscal, encore davantage que le droit administratif, tend à multiplier les autorités consultatives pour encadrer le travail de l'administration. [...] ce sont des autorités ni tout à fait administratives, ni tout à fait juridictionnelles. Et pour cause, le fisc se sert de ces commissions pour poser des étapes supplémentaires entre lui-même et le juge. A nouveau, il cherchait à conserver la mainmise sur le contentieux fiscal", C. de la Mardière, Recours pour excès de pouvoir et contentieux administratif de l'impôt, LGDJ, coll. : Bibliothèque de science financière, 2002, p. 239.
(5) "Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes des énonciations de l'arrêt attaqué, la Société France Telecom Transpac a également fait valoir, aux mêmes fins que les précédents moyens d'appel, qu'elle avait été privée de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; que, toutefois, en vertu de l'article L. 59 A du Livre des procédures fiscales, la commission susmentionnée ne peut compétemment connaître, en matière d'impôt sur les sociétés, que des désaccords portant sur le montant du bénéfice industriel et commercial ; que, dès lors, en jugeant que le litige opposant la Société France Telecom Transpac au service et portant sur le droit à imputation, sur ce bénéfice, de certains crédits d'impôts n'entrait pas dans le champ de cet article et en jugeant, par suite, que la substitution, en cours d'instance contentieuse, de la procédure de redressement contradictoire à la procédure de répression des abus de droit initialement diligentée à l'encontre de cette société n'avait pas privé l'intéressée, dans les circonstances de l'espèce, de la possibilité de saisir ladite commission, la cour n'a pas commis d'erreur de droit".
(6) "L'article L. 59 A du Livre des procédures fiscales (LPF), modifié par la loi précitée, élargit la compétence de la commission départementale à l'examen des conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allègements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, et précise, dans les matières pour lesquelles elle est appelée à formuler un avis, la nature des désaccords qui peuvent être soumis à son appréciation. Ainsi, le texte prévoit la compétence de la commission à l'égard de toutes les questions de fait, y compris lorsque les faits contribuent à la qualification juridique d'une opération, et instaure un pouvoir de qualification des faits dans des cas exceptionnels où le droit et le fait sont étroitement liés, tels que le caractère anormal d'un acte de gestion, le principe et le montant des amortissements et des provisions, le caractère déductible des travaux immobiliers".
(7) "Considérant que M. S., qui ne conservait pas les notes de restaurant, a présenté au vérificateur des bandes de caisse enregistreuse découpées journellement, circonstance ne permettant pas à ce dernier de s'assurer que la totalité des recettes était retracée ; qu'en outre, l'état des stocks de l'année concernée n'était pas détaillé et qu'au 31 décembre 1985, la caisse dégageait un solde inexpliqué ; qu'enfin, le service établit par un procès-verbal de la brigade spécialisée du Pas-de-Calais et des pièces y annexées ainsi que par une ordonnance du juge d'instruction d'Arras que le contribuable s'est livré par deux fois, durant la période vérifiée, à des achats sans facture ; que ces circonstances, qui étaient de nature à faire regarder la comptabilité comme entachée d'irrégularités et dépourvue de valeur probante, autorisaient le vérificateur à reconstituer les recettes du contribuable selon une méthode extra-comptable ; que les redressements étant conformes à l'avis émis le 23 janvier 1990 par la commission départementale des impôts, il incombe à M. S., en application de l'article L. 192 du Livre des procédures fiscales, d'établir l'exagération des impositions qu'il conteste".
(8) Ils peuvent, à certaines conditions, voir leurs revenus imposables selon les règles ayant court en matière de traitements et salaires.
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Réf. : CJCE, 16 octobre 2008, aff. C-310/07, Svenska staten, représenté par la Tillsynsmyndigheten i konkurser c/ Anders Holmqvist (N° Lexbase : A7396EA8)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
Le 07 Octobre 2010
La CJCE, dans un arrêt du 16 octobre 2008, lui donne raison. Pour qu'une entreprise établie dans un Etat membre soit considérée comme ayant des activités sur le territoire d'un autre Etat membre, il n'est pas nécessaire que celle-ci dispose d'une succursale ou d'un établissement stable dans cet autre Etat. Il faut, toutefois, que cette entreprise dispose, dans ce dernier Etat, d'une présence économique stable, caractérisée par l'existence de moyens humains lui permettant d'y accomplir des activités. Dans le cas d'une entreprise de transport établie dans un Etat membre, la simple circonstance qu'un travailleur engagé par celle-ci dans ledit Etat effectue des livraisons de marchandises entre ce dernier et un autre Etat membre ne saurait permettre de conclure que l'entreprise dispose d'une présence économique stable dans un autre Etat membre. Avant de saisir le sens de cette décision, il faut, au préalable, en exposer la genèse.
Résumé
L'article 8 bis de la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, telle que modifiée par la Directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002, doit être interprété en ce sens que, pour qu'une entreprise établie dans un Etat membre soit considérée comme ayant des activités sur le territoire d'un autre Etat membre, il n'est pas nécessaire que celle-ci dispose d'une succursale ou d'un établissement stable dans cet autre Etat. Il faut que cette entreprise dispose, dans ce dernier, d'une présence économique stable, caractérisée par l'existence de moyens humains lui permettant d'y accomplir des activités. Dans le cas d'une entreprise de transport établie dans un Etat membre, la simple circonstance qu'un travailleur engagé par celle-ci dans ledit Etat effectue des livraisons de marchandises entre ce dernier et un autre Etat membre ne saurait permettre de conclure que ladite entreprise dispose d'une présence économique stable dans un autre Etat membre. |
Commentaire
I - L'interprétation de l'article 8 bis de la Directive 80/987 à la lumière des arrêts "Mosbaek" et "Everton".
Ruiz-Jarabo Colomer, Avocat général (3), relève, justement, que la Directive 80/987 vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum de protection en cas d'insolvabilité de leur employeur et oblige donc les Etats membres à mettre en place une institution qui garantisse aux travailleurs concernés le paiement des créances impayées des travailleurs. Dans ce but, elle intègre une définition autonome de la notion d'employeur en état d'insolvabilité et certaines mesures concrètes.
Dans les années 1990, la CJCE a rendu deux arrêts afin de pallier aux inconvénients décelés dans les procédures d'insolvabilité caractérisées par l'existence de liens transfrontaliers. Les affaires "Mosbaek" (CJCE, 16 décembre 1999, aff. C-198/98, préc.) et "Everson" (CJCE, 17 septembre 1997, affaire C-117/96, préc.) (4) ont fourni certains critères permettant de déterminer quelle était l'institution de garantie tenue de supporter les créances, dès lors que l'employeur exerçait sa profession dans plus d'un Etat membre.
En 2001, la Commission a engagé une réforme de la Directive 80/987 afin de prendre en compte les jurisprudences "Mosbaek" et "Everson", reconnaissant que l'absence d'une disposition explicite qui détermine l'institution de garantie compétente pour le paiement des créances salariales dans des cas d'insolvabilité d'entreprises disposant d'établissements dans différents Etats membres a été ressentie comme une source d'insécurité juridique. La Directive 2002/74 a inséré un nouvel article 8 bis dans la Directive 80/987.
A - La jurisprudence "Mosbaek"
L'arrêt "Mosbaek" a examiné le cas d'une femme qui exerçait au Danemark, en Norvège, en Suède, en Finlande et en Allemagne, des activités de représentant commercial d'une société britannique dont le siège social était situé au Royaume-Uni. L'entreprise n'était ni établie, ni immatriculée au Danemark. De même, elle ne maintenait aucune relation avec l'administration danoise, en matière fiscale ou sociale. A la suite de la déclaration de faillite de la société et du licenciement de ses employés, Mme M. réclama, en qualité de travailleur, le paiement d'une créance salariale auprès du fonds de garantie danois au titre de la législation danoise. Le fonds rejeta sa demande au motif que cette compétence revenait à l'Etat du siège de l'employeur (Royaume-Uni). Mme M. s'opposa à cette décision en intentant un recours juridictionnel dans le cadre duquel la Cour a rendu, à titre préjudiciel, un arrêt confirmant la thèse du fonds de garantie danois.
La CJCE, en s'appuyant sur la finalité de la Directive 80/987, a précisé les conditions d'une désignation de l'institution de garantie sur le territoire, duquel soit l'ouverture de la procédure de désintéressement collectif est décidée, soit la fermeture définitive de l'entreprise ou de l'établissement de l'employeur est constatée. L'acte formel d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité, en particulier, lorsque l'entreprise présente des éléments transfrontaliers, fournit une piste en ce qui concerne la détermination du lieu où peuvent être exercés les droits protégés par la Directive 80/987. Des règles de compétence sont, aussi, prévues dans les textes européens relatifs aux procédures de faillite et de désintéressement collectif de dimension communautaire, qui conduisent également à l'Etat de l'institution de garantie salariale concernée.
L'arrêt "Mosbaek" a ajouté deux autres critères additionnels, si l'employeur avait des liens plus étroits avec un autre Etat membre. La CJCE a confirmé que l'institution de garantie compétente pour le paiement des créances impayées des travailleurs salariés soit celle qui a perçu, ou aurait dû percevoir, les cotisations de l'employeur insolvable. La CJCE a mis en place une deuxième règle de compétence fondée sur le destinataire des cotisations versées par les entreprises. S'il s'avérait que les montants avaient abouti auprès d'une institution de garantie britannique, voire qu'ils auraient dû le faire, mais que cela n'avait pas été le cas parce que l'employeur n'avait versé aucune cotisation, il serait cohérent que le fond de garantie britannique s'acquitte lui-même des créances salariales ultérieures.
La CJCE a précisé que la Directive a voulu, en cas d'insolvabilité d'un employeur, l'intervention de l'institution de garantie d'un seul Etat membre et ce, afin de prévenir des enchevêtrements inutiles des régimes nationaux et, en particulier, des situations dans lesquelles un travailleur pourrait prétendre au bénéfice de la Directive dans plusieurs Etats membres. La compétence, pour le paiement des créances garanties, est de nature exclusive, puisque la responsabilité de se conformer à la Directive 80/987 incombe à un seul fonds de garantie.
Finalement, d'après l'arrêt "Mosbaek", le fait qu'une entreprise insolvable ait effectué des opérations dans d'autres Etats membres par l'intermédiaire d'un représentant n'est pas un élément suffisamment important pour engendrer un lien transfrontalier. Il en est, ainsi, a fortiori, lorsque la procédure de désintéressement collectif a été entamée dans l'Etat du siège social de l'entité et que les cotisations ont été acquittées, ou auraient dû l'être, en faveur du fonds de garantie de cet Etat.
B - Jurisprudence "Everson"
L'arrêt "Mosbaek" vise les situations dans lesquelles il n'y a pas de présence commerciale permanente dans un autre Etat membre, tandis que l'arrêt "Everson" a examiné la situation opposée, c'est-à-dire celle d'une société établie en Irlande disposant d'une succursale au Royaume-Uni, pays dans lequel elle avait embauché 200 travailleurs qui payaient leurs cotisations sociales aux autorités britanniques. A la différence de l'affaire "Mosbaek", dans laquelle l'employeur insolvable ne disposait d'aucun établissement sur le territoire de l'Etat membre où le travailleur salarié exerçait son activité, dans l'affaire "Everson", l'employeur concerné était établi sur le territoire britannique, puisqu'il y possédait une succursale qui employait plus de 200 salariés (au nombre desquels figuraient les demandeurs).
La CJCE a jugé que l'institution compétente pour le paiement des créances impayées est celle de l'Etat sur le territoire duquel ils exerçaient leur activité salariée. Aussi, il n'est pas possible de comparer la présence d'une société britannique au Danemark, qui se limite à un bureau loué et à une seule employée, à une succursale occupant plus de 200 travailleurs, ouverte dans un Etat membre par une société constituée et ayant son siège social dans un autre Etat membre.
II - Appréciation du caractère transfrontalier de l'insolvabilité de l'employeur
Par la décision rapportée, la CJCE s'est attachée à déterminer les conditions dans lesquelles une entreprise a, au sens de l'article 8 bis de la Directive 80/987, des activités dans plusieurs Etats membres. Une entreprise de transport dont les employés effectuent des tâches de chargement et de déchargement dans d'autres Etats membres, dans lesquels cette entreprise ne dispose d'aucune présence commerciale permanente, peut-elle être qualifiée d'entreprise "ayant des activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres", selon l'expression utilisée à l'article 8 bis de la Directive 80/987 ?
A - Nécessité d'une interprétation de la notion d'activité transfrontalière
Selon l'article 8 bis de la Directive 80/987, figurant à la section III bis de cette dernière, intitulée "Dispositions relatives aux situations transnationales", une entreprise se trouve dans une telle situation si elle a des activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres. Mais, ni cet article, ni aucune autre disposition de cette Directive ne définissent ces derniers termes.
Le libellé initial de la Directive 80/987 ne comportait pas de dispositions concernant les situations transnationales, l'article 8 bis ayant été introduit par la Directive 2002/74. Cette dernière, selon son septième considérant, a été adoptée en vue d'assurer la sécurité juridique des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité des entreprises exerçant leurs activités dans plusieurs Etats membres et de consolider les droits des travailleurs dans le sens de la jurisprudence de la CJCE.
Pour la CJCE (arrêt rapporté, point 22), cet objectif ne saurait être réalisé que si la notion d'"activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres" est interprétée de manière large. Une telle interprétation est nécessaire afin de garantir, en incluant le plus grand nombre de cas relevant de relations salariales à caractère transnational dans le champ d'application de l'article 8 bis de la Directive 80/987, un minimum de protection des droits des travailleurs salariés victimes de l'insolvabilité de leur employeur et se trouvant dans une situation comportant des éléments d'extranéité.
Ce septième considérant confirme que la jurisprudence antérieure à l'adoption de la Directive 2002/74 continue de fournir des éléments pertinents quant à l'interprétation de certaines dispositions de la Directive 80/987.
B - La notion d'activité transfrontalière ne se résout pas à celle d'établissement
Compte tenu de l'objectif défini par la Directive 2002/74 de sauvegarde des droits des travailleurs faisant usage de leur liberté de circulation et de la genèse du libellé de l'article 8 bis au cours de la procédure législative ayant abouti à son adoption, il convient, pour la CJCE, de s'éloigner, aux fins de l'interprétation des termes "activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres" figurant à cet article, de la notion d'"établissement" consacrée par la jurisprudence résultant des arrêts précités "Mosbaek", ainsi qu'"Everson" et "Barrass".
Dans la proposition initiale de cette institution relative à la modification de la Directive 80/987, figuraient les termes "entreprise ayant des établissements sur le territoire d'au moins deux Etats membres". Cette proposition avait défini l'"établissement" comme "tout lieu d'opérations où l'employeur exerce, de façon non transitoire, une activité économique avec des moyens humains et des biens". Or, lors de l'examen de cette proposition par le Conseil de l'Union européenne, la Commission a suggéré de remplacer le terme "établissements" par celui d'"activités", cette formulation ayant finalement été retenue. La définition susmentionnée n'apparaît pas non plus dans la version définitive de la Directive 2002/74. Ce changement de libellé de l'article 8 bis démontre la volonté du législateur communautaire d'élargir le champ d'application de cet article et de ne pas le limiter aux entreprises disposant de succursales ou d'établissements dans plusieurs Etats membres.
En outre, si la notion d'"activités" était interprétée de telle manière qu'elle exigerait une présence de l'entreprise par l'intermédiaire de succursales ou d'établissements, il en résulterait qu'un travailleur, qui exerce son activité dans un Etat membre autre que celui où son employeur est établi, situation qui était à la base de l'arrêt "Mosbaek", ne pourrait bénéficier de la protection prévue à l'article 8 bis de la Directive 80/987.
Finalement, pour la CJCE (décision rapportée, point 28), l'article 8 bis de la Directive 80/987 n'exige pas, pour qu'une entreprise établie dans un Etat membre soit considérée comme ayant des activités également sur le territoire d'un autre Etat membre, que celle-ci dispose d'une succursale ou d'un établissement stable dans ce dernier Etat.
L'article 8 bis n'implique pas des conditions strictes de rattachement, mais vise un lien plus faible qu'une présence de l'entreprise par l'intermédiaire d'une succursale ou d'un établissement stable. Faut-il, pour autant, admettre qu'il suffirait qu'un travailleur effectue une forme quelconque de travail dans un autre Etat membre pour le compte de son employeur et que ce travail résulte d'un besoin et d'une instruction de celui-ci, pour qu'une entreprise soit considérée comme ayant des activités sur le territoire de cet autre Etat membre ? La CJCE ne s'y résout pas, à juste titre. La notion d'"activités", figurant à l'article 8 bis de la Directive 80/987, doit être entendue comme se référant à des éléments comportant un certain degré de permanence sur le territoire d'un Etat membre. Cette permanence se traduit par l'emploi durable d'un travailleur ou de travailleurs sur ledit territoire.
La Commission estime que la présence d'une infrastructure physique dans un Etat membre autre que celui où l'entreprise a établi son siège social est, également, indispensable pour que cette dernière puisse être considérée comme disposant, dans cet Etat membre, d'une présence permanente, mais elle considère qu'un simple bureau suffit à cette fin. Cependant, la CJCE ne partage pas, là encore, à juste titre, cette analyse. Eu égard aux différentes formes que peut prendre le travail transfrontalier et compte tenu des changements récents intervenus dans les conditions de travail et des progrès du secteur des télécommunications, une entreprise ne doit pas nécessairement disposer d'une infrastructure physique pour assurer une présence économique stable dans un Etat membre autre que celui où elle a établi son siège social. En effet, les différents aspects d'une relation de travail, notamment, la communication des instructions au travailleur et la transmission des rapports de ce dernier à l'employeur, ainsi que le virement des rémunérations, sont, désormais, susceptibles d'être effectués à distance. Ainsi, une entreprise peut employer un grand nombre de travailleurs dans un Etat membre autre que celui où se trouve son siège social et être capable d'y exercer une activité économique considérable, sans, toutefois, disposer d'une infrastructure physique ou d'un bureau sur le territoire de cet autre Etat membre.
Par la décision rapportée, la CJCE décide qu'une entreprise établie dans un Etat membre, pour être considérée comme ayant des activités sur le territoire d'un autre Etat membre, doit disposer, dans ce dernier Etat, d'une présence économique stable, caractérisée par l'existence de moyens humains lui permettant d'y accomplir des activités. Dans le cas d'une entreprise de transport établie dans un Etat membre, la simple circonstance qu'un travailleur engagé par cette entreprise dans cet Etat effectue des livraisons de marchandises entre cet Etat et un autre Etat membre en traversant d'autres Etats membres ne suffit pas pour que l'entreprise soit considérée, aux fins de l'article 8 bis de la Directive 80/987, comme exerçant des activités ailleurs que dans l'Etat membre dans lequel elle est établie.
La jurisprudence antérieure avait confirmé qu'une représentation telle que celle assurée par Mme M. ne constituait pas une "activité dans un autre Etat membre". En revanche, tel était le cas d'une société constituée dans un autre Etat membre et disposant, en son sein, d'un personnel nombreux, comme dans l'affaire "Everson". La CJCE exige, au final, une présence commerciale ayant vocation de permanence, c'est-çà-dire, une infrastructure englobant des moyens humains et matériels. La location d'un bureau et l'engagement d'un représentant, comme c'était le cas dans l'affaire "Mosbaek", ne seraient pas suffisants. Le mot permanence évoque une stabilité dans le temps, couplée à une volonté ferme de maintenir la présence sur le territoire d'un autre Etat membre.
(1) M. H. était employé par la société Jörgen Nilsson Åkeri och Spedition (JNAoS) en qualité de chauffeur routier. Cette société, qui avait son unique établissement à Tjörnarp (Suède), ne disposait d'aucune succursale à l'étranger. Le travail de M. H. consistait à effectuer des livraisons de marchandises de la Suède vers l'Italie et vice versa, en traversant l'Allemagne et l'Autriche. Le déchargement de ces marchandises, en Italie, était effectué par les personnels des différents clients réguliers ou occasionnels de la société JNAoS, au moyen des équipements disponibles sur les lieux de livraison. M. H. transportait, également, d'Italie en Suède, des marchandises pour le compte de clients réguliers ou occasionnels. Les chargements correspondants étaient effectués par les personnels et au moyen des équipements disponibles sur place. Le 10 avril 2006, la juridiction de renvoi a constaté la faillite de la société JNAoS. Par décision du 27 juin 2006, l'administrateur judiciaire a admis M. H. au bénéfice de la garantie de versement des salaires, en application de la loi relative à la garantie salariale. L'autorité de contrôle des procédures collectives a demandé à la juridiction de renvoi de juger que M. H. n'avait pas droit au bénéfice de cette garantie dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'encontre de société JNAoS, étant donné que celle-ci a exercé des activités dans des Etats membres autres que le Royaume de Suède et que M. H. a principalement exercé ses fonctions dans ces autres Etats, ce dernier ne pouvait bénéficier de ladite garantie. Elle soutient que la Directive 80/987 n'exige pas qu'une entreprise dispose d'un lieu d'exploitation ou d'une succursale dans un autre Etat membre pour être considérée comme y exerçant des activités et que, en l'espèce, tant la société JNAoS que M. H. ont, surtout, exercé des activités en Allemagne, en Autriche et en Italie. Partant, ce dernier ne devait pas être admis au bénéfice de la garantie de versement des salaires prévue par la législation suédoise.
(2) CJCE, 17 septembre 1997, aff. C-117/96, Danmarks Aktive Handelsrejsende, agissant pour Carina Mosbaek c/ Lønmodtagernes Garantifond (N° Lexbase : A0370AWM), Rec. p. I 5017 ; CJCE, 16 décembre 1999, aff. C-198/98, G. Everson et T.-J. Barrass c/ Secretary of State for Trade and Industry et Bell Lines Ltd (N° Lexbase : A0610AWI), Rec. p. I 8903.
(3) Dont les conclusions sont publiées sur le site internet de la CJCE.
(4) L. Idot, Europe, 1997, comm. n° 348, p.13.
Décision
CJCE, 16 octobre 2008, aff. C-310/07, Svenska staten, représenté par la Tillsynsmyndigheten i konkurser c/ Anders Holmqvist (N° Lexbase : A7396EA8) Texte concerné : Directive 80/987/CEE, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L9435AUY) Mots-clés : rapprochement des législations ; protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur ; activités dans plusieurs Etats membres. Lien base : |
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2008, n° 292396, Département de la Haute-Corse (N° Lexbase : A0984EB3)
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N9124BHE
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
Le 07 Octobre 2010
L'arrêt du Conseil d'Etat en date du 27 octobre 2008, "Département de Haute-Corse", est un exemple marquant du contentieux lié à l'attribution de ces subventions exceptionnelles d'équilibre attribuées, en l'espèce, non pas par l'Etat, mais par un département à un ensemble de communes présentes sur le territoire départemental. Ceci pose, en ce sens, un certain nombre de questions au regard des relations entre les collectivités territoriales et l'Etat, mais aussi au regard de la nécessaire maîtrise, aujourd'hui, des dépenses publiques locales.
Il ressort des faits de l'espèce que par délibérations des 25 septembre 2001, 7 novembre 2001 et 20 mars 2002, le conseil général de la Haute-Corse a alloué, respectivement, une subvention d'équilibre à la commune de Campile et des subventions forfaitaires de fonctionnement à neuf autres communes (première délibération), des subventions de fonctionnement à trois communes et à deux établissements publics de coopération intercommunale (deuxième délibération), et une subvention forfaitaire de fonctionnement à une dernière commune (troisième délibération). Le conseil général a, également, adopté par délibération du 19 décembre 2001, une version modifiée de son guide des interventions départementales en faveur des communes et de leurs groupements.
Toutes ces décisions, ainsi que les arrêtés du président du conseil général pris pour leur exécution, ont été annulés par les juges du fond sur déféré préfectoral du préfet de la Haute-Corse (CAA Marseille, 5ème ch., 13 février 2006, n° 03MA00206 N° Lexbase : A7715DPG). Pour les juges du fond, "le financement de la section de fonctionnement des communes au moyen de subventions non affectées, ou attribuées en vue d'assurer l'équilibre de cette section du budget ne peut, en principe, être regardé [...] comme une affaire du département ou un objet d'intérêt départemental" (3). Il appartient, en effet, aux communes de veiller à l'équilibre de leur budget de fonctionnement, alors même que la commune bénéficiaire est située dans la circonscription départementale ou que sa situation financière est difficile. Ces subventions, toujours selon les juges du fond, ne peuvent pas plus être regardées comme un soutien à l'exercice d'une compétence conférée par la loi à une commune ou à un établissement public de coopération intercommunale (4). La Haute assemblée confirme cette solution en indiquant "qu'en jugeant, par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif [...] la cour administrative d'appel n'a, par un arrêt exempt de dénaturation des faits et suffisamment motivé, commis aucune erreur de droit".
L'arrêt est, ainsi, un témoignage remarquable de la mutation profonde du mode d'attribution des subventions entre collectivités territoriales, la liberté initiale ayant fait place, aujourd'hui, dans un contexte de nécessaire maîtrise des dépenses publiques locales, à une gestion de projet et à des démarches plus ou moins poussées de contractualisation de subventions. Pourtant, cette contractualisation n'a plus ou moins été acceptée qu'à travers l'existence encore possible de subventions spécifiques octroyées dans un cadre hors contractualisation. Les communes se trouvent, en effet, quelque peu démunies aujourd'hui devant le mouvement croissant de baisse des subventions accordées par les différentes institutions publiques (Etat, Europe), et les aides des départements constituent pour eux une sorte de "dernier ballon d'oxygène dans un monde d'aide publique où l'air s'est raréfié" (5).
Pour autant, la décision du Conseil d'Etat vient renforcer et encadrer davantage le contrôle ainsi opéré sur l'octroi de ces subventions. C'est un contrôle plus poussé, qui se justifie par la nécessaire maîtrise des dépenses publiques locales (I), mais c'est aussi un contrôle qui engendre une contrainte supplémentaire pour les communes en difficulté financière (II).
I - Un encadrement plus poussé fondé sur la nécessaire maîtrise des dépenses publiques locales
Il ressort de la décision du Conseil d'Etat une interprétation assez classique des rapports entre collectivités territoriales, le juge faisant une interprétation assez stricte de la notion "d'intérêt départemental" à propos de l'aide financière à une commune (B), tout en rappelant la tutelle exclusive de l'Etat en la matière (A).
A - Un rappel de la tutelle exclusive de l'Etat
En ouverture du 91ème congrès de l'Association des maires de France qui s'est tenu du 25 au 27 novembre 2008, le Premier ministre est revenu, devant plus de 11 000 maires, sur les réformes entreprises par le Gouvernement pour faire face à la crise financière internationale, et a réaffirmé le rôle prépondérant des collectivités locales. François Fillon a appelé à "conforter la solidarité qui lie l'Etat aux collectivités locales". Il a, ainsi, demandé à la Caisse des dépôts et consignations de mettre immédiatement à disposition des communes "cinq milliards d'euros supplémentaires, soit en direct, soit par le canal de leur banque, pour faciliter la fin de l'exercice comptable" (6).
Au-delà de cette possibilité, des subventions spéciales d'équilibre des budgets locaux sont prévues dans le dispositif complexe des transferts financiers de l'Etat aux collectivités territoriales. Le droit commun en est constitué par les subventions exceptionnelles d'équilibre, prévues aux articles L. 2335-2 (N° Lexbase : L9047AAC) et D. 2335-3 (N° Lexbase : L2018ALC) du Code général des collectivités territoriales. Le principe législativement posé est que ces subventions, réservées aux seules communes, ne sont accordées qu'à titre exceptionnel, ce caractère exceptionnel devant concerner à la fois les difficultés financières qui doivent être "particulières", et les circonstances, qui doivent être anormales (7).
Ces subventions sont, en principe, réservées au fonctionnement comme l'implique le Code général des collectivités territoriales qui les classe dans les "subventions de fonctionnement sans affectation spéciale". L'idée est aussi que ces subventions sont accordées à titre complémentaire, dans la mesure où elles ne représentent qu'une part très minoritaire du besoin de financement de la commune en difficulté. En revanche, le Conseil d'Etat rappelle bien, dans l'arrêt d'espèce, que seul l'Etat peut attribuer ces subventions exceptionnelles et qu'il n'y a "aucune disposition spéciale qui prévoit une intervention comparable des départements". Ainsi, si le département possède un certain nombre de pouvoirs à l'égard des communes et peut, en ce sens, les aider lorsqu'elles ont du mal à agir seules, il ne faut en aucun cas qu'il puisse exercer une tutelle sur elles.
Aucune autre personne publique que l'Etat ne peut exercer un contrôle sur les communes, il ne doit s'instaurer aucune hiérarchie entre les collectivités territoriales, en vertu du principe notamment de libre administration de chaque collectivité territoriale. L'article L. 1111-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L5372H9T) dispose, à cet effet, que "les transferts de compétences prévus par la présente loi au profit des communes, des départements et des régions ne peuvent autoriser l'une de ces collectivités à établir ou exercer une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur une autre d'entre elles". Les mêmes observations valent pour l'alinéa 2 de l'article L. 1111-3 du même code (N° Lexbase : L8275AAQ), selon lequel "les décisions prises par les collectivités locales d'accorder ou de refuser une aide financière à une autre collectivité locale ne peuvent avoir pour effet l'établissement ou l'exercice d'une tutelle, sous quelque forme que ce soit, sur celle-ci".
A la différence de certains pays étrangers, la France ne possède pas de dispositif d'ensemble permettant de faire financer et de faire disparaître les déséquilibres financiers des collectivités territoriales que le traitement préventif n'a pu empêcher. C'est le caractère unitaire de l'Etat qui interdirait tout mécanisme de solidarité entre collectivités territoriales et toute tutelle d'une collectivité sur une autre qui, si on l'ajoute au principe de libre administration des collectivités territoriales, ferait en sorte de distinguer les différents intérêts en présence, plutôt que de les associer au règlement des crises financières.
B - Une interprétation stricte de la notion d'intérêt départemental
Comme le rappelle le Conseil d'Etat, en l'espèce, seule "une affaire du département ou un objet d'intérêt départemental" pourrait justifier le financement de la section de fonctionnement des communes au moyen de subventions non affectées ou attribuées en vue d'assurer l'équilibre de cette section du budget. Il appartient, en effet, aux communes de veiller à l'équilibre de leur budget de fonctionnement. L'interprétation de la notion "d'intérêt départemental" est une disposition nécessairement évolutive dépendant autant de l'intensité des besoins ressentis que de l'appréciation portée par le juge administratif. Elle est souvent interprétée de manière extensive par les conseils généraux alors qu'elle ne les autorise pas à intervenir en tous les domaines.
Le juge administratif vérifie ainsi si la délibération litigieuse se rattache à l'une des compétences explicites ou implicites de la collectivité départementale, qu'on peut schématiquement regrouper en quelques domaines principaux : action sociale et santé, enseignement, environnement et action culturelle, planification et aménagement, interventions d'ordre économique. C'est, notamment, en matière de subventions que la jurisprudence a été amenée à poser des limites à l'intervention, parfois intempestive, de certains conseils généraux.
Comme l'indique Rémy Schwartz dans ses conclusions sur l'arrêt du 28 juillet 1995, "Commune de Villeneuve-d'Ascq" (8), l'intérêt départemental d'une collectivité au sens de l'article L. 3211-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9365AA4) exige plusieurs conditions : ce doit être un intérêt public et non privé (9), l'intervention doit répondre aux besoins de la collectivité (10) et doit être neutre ce qui exclut, notamment, une intervention politique (11), ou une immixtion générale dans un conflit de travail, l'attribution d'aides à des grévistes conditionnée par l'état des besoins des demandeurs répondant, lui, à une fin sociale (12). Dans le même esprit, l'attribution d'une subvention affectée à la restauration d'un village situé hors du département ne peut se rattacher à un intérêt départemental (13), tout comme l'attribution d'une subvention à une association automobile participant au Rallye Paris-Dakar (14).
Pour autant, outre les hypothèses où la loi autorise des interventions extérieures à leur territoire (15), il y a des exemples où le juge accepte le financement d'actions extérieures à la collectivité, à partir du moment où il existe un lien privilégié entre cette action et la collectivité dispensatrice des crédits. Le jumelage de la commune avec une ville étrangère justifie, par exemple, l'attribution d'une bourse à des étudiants de cette ville étrangère pour venir étudier dans la commune (16). En l'espèce, ce lien privilégié existe mais il n'est pas pris en compte par le juge, alors que les communes bénéficiant de la subvention sont bien présentes sur le territoire départemental. En agissant de la sorte, le juge se livre à une interprétation restrictive de la notion d'intérêt départemental alors que sa jurisprudence tendait plutôt à une approche un peu plus extensive, si on tient compte, notamment, du fait que cet intérêt départemental a pu être établi à propos d'une subvention à un film. Cette subvention était justifiée par le fait que la société productrice s'engageait, par différentes actions, à assurer la promotion du département (17).
Autant d'éléments qui amenaient, peut-être, à une interprétation plus extensive de la notion "d'intérêt départemental", d'autant plus si on prend en considération les intérêts des différentes communes concernées ou les difficultés déjà existantes à mettre en place cette "variable d'ajustement" pour ces dernières. L'effet de levier de ce financement par le biais des subventions départementales peut se révéler vital, en certaines circonstances, pour l'économie locale.
II - Une prise en considération secondaire des difficultés financières des communes
On a déjà pu relever que les communes étaient, également, concernées par les difficultés d'ensemble des finances publiques. Le Conseil d'Etat, dans son interprétation, semble ne pas retenir ces difficultés au profit d'une vision plus classique de la répartition des compétences entre collectivités territoriales. Pourtant, les compétences des collectivités sont, aujourd'hui, difficilement définissables et souvent enchevêtrées, même si on peut parler, dans certains cas, de compétences propres (A). Il semble, à cet égard, que l'on se dirige vers un mode de financement de la dépense locale plus responsabilisant (B).
A - Un contrôle qui marque, à l'extrême, l'existence de compétences propres des collectivités territoriales
Si le principe amène à ce que l'une des collectivités territoriales ne puisse établir ou exercer une tutelle sous quelque forme que ce soit sur une autre collectivité territoriale, dans la pratique, cette règle ne sera pas toujours aisée à respecter. En effet, le législateur, dans les lois de réforme de la décentralisation, a voulu favoriser la collaboration et l'association entre les collectivités locales, la répartition des compétences, essentiellement en matière d'enseignement et d'action sanitaire et sociale, les rendant d'ailleurs nécessaires. Loin d'être initiales, les compétences attribuées aux collectivités territoriales ne sont pas, non plus, exclusives de l'intervention d'autres collectivités territoriales. Ainsi, elles ne disposent pas de compétences dont la protection serait prévue par la Constitution. Bien au contraire, la répartition des compétences opérée par le législateur aboutit à un véritable enchevêtrement de celles-ci.
Les collectivités territoriales peuvent intervenir dans le domaine de compétence d'autres collectivités, dès lors que celui-ci ne leur est pas réservé. Le Conseil d'Etat a, d'ailleurs, reconnu, sur le fondement de la clause générale de compétence, la possibilité pour une commune d'intervenir dans le domaine de l'action sociale, et plus précisément du logement social, domaine de compétence attribué par la loi aux départements et à l'Etat (18). Le Conseil d'Etat a, aussi, jugé précédemment dans l'arrêt du 13 mars 1985, "Ville de Cayenne et autres" (19), qu'un département pouvait disposer d'un service de distribution d'eau, puisqu'aucun texte de nature législative ne confère aux communes une compétence exclusive s'agissant de l'organisation de ce service, et que cette activité présente "un intérêt départemental".
La possibilité pour les collectivités territoriales de désigner une collectivité "chef de file" pour des opérations impliquant le concours de plusieurs collectivités, instituée par le nouvel article 72, alinéa 5, de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L), devrait, d'ailleurs, contribuer à multiplier les hypothèses d'enchevêtrement des compétences. De manière générale, la Constitution n'opère pas de répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Elle pose seulement des principes, tels que le principe de libre administration des collectivités territoriales et, depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 (20), le principe de subsidiarité.
Ces principes ne peuvent, compte tenu de leur caractère général, constituer des instruments efficaces d'identification de compétences qui seraient propres aux collectivités territoriales. Certes, le principe de subsidiarité met en avant l'idée de spécialisation des compétences des collectivités territoriales ou d'adéquation à chaque niveau d'administration de compétences homogènes. En effet, il incite le législateur à transférer un bloc de compétence à la collectivité la mieux placée pour l'exercer, compte tenu des objectifs poursuivis ou des effets de l'action envisagée. Mais ce principe, de portée générale, ne permet d'établir aucune délimitation matérielle des compétences locales. Au contraire, il confirme l'aptitude générale des collectivités à intervenir dans tous les domaines relevant de leur intérêt.
Le principe de libre administration des collectivités territoriales donne aussi une définition évolutive et contingente des affaires locales et ne permet pas, à proprement parler, d'identifier des compétences propres.
Autant d'éléments qui amènent à s'interroger sur l'opportunité de la décision du Conseil d'Etat en l'espèce, dans la mesure où même si le Conseil constitutionnel est amené aujourd'hui à parler de "compétences propres" des collectivités territoriales (21), celles-ci restent plus ou moins enchevêtrées et ne justifient, en aucun cas, une interprétation aussi restrictive de la notion d'intérêt départemental en l'espèce. Il semble pourtant que le Conseil Etat ait pris une autre direction l'amenant, certainement dans un souci de maîtrise nécessaire des dépenses publiques, vers un système de mode de financement de la dépense locale plus responsabilisant.
B - Vers un mode de financement de la dépense locale plus responsabilisant
L'enchevêtrement étant un facteur de déresponsabilisation pour l'Etat comme pour les acteurs locaux, aller dans le sens de l'établissement de compétences propres des collectivités amène de la sorte à les rendre plus responsables. Il y a beaucoup de situations particulières de déséquilibres qui peuvent affecter les communes : il peut y avoir, par exemple, des choix malheureux, des erreurs de gestion, des aménagements destinés à la vente qui ne trouvent pas preneur, voire des communes sinistrées par la fermeture d'une usine. Nombre de ces situations peuvent ne pas être imputables aux communes, même si ces dernières sont tenues d'appliquer les mécanismes de prudence prévus par les instructions budgétaires et comptables (certains amortissements et certaines provisions). La situation est parfois si dégradée qu'elle amène à faire état d'une "faillite", ce qui est juridiquement inexact et, à terme, politiquement impossible mais qui, financièrement, s'en rapproche.
Les collectivités disposent de recettes énumérées par le Code général des collectivités territoriales (22) et sur ces différents postes de recettes, ces dernières disposent d'une marge de manoeuvre inégale auxquels s'ajoutent les interventions fréquentes du législateur pour limiter la part de la fiscalité locale. De ce fait, la capacité d'action des collectivités territoriales a été considérablement réduite, en ce sens qu'il est apparu nécessaire d'insérer dans la Constitution la garantie d'une part déterminante de ressources propres pour les collectivités territoriales (23). Ce principe, désormais élevé au rang constitutionnel, consacre la responsabilité des élus locaux dans la fixation de leurs recettes et donc de leurs dépenses, soumise à l'appréciation et au contrôle démocratique du contribuable et de l'usager-électeur.
Il y a là une justification marquante pour tendre vers un contrôle plus restrictif des subventions octroyées par les départements aux communes, à condition, justement, de rompre avec l'archaïsme de la fiscalité locale et la confusion des interventions législatives tentant d'y remédier, ou encore de remédier à l'insuffisance de la péréquation des dotations de l'Etat et de la persistance des recettes affectées.
C'est ce que préconise Pierre Richard dans le rapport intitulé "Solidarité et performance : les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales" (24). Parmi les propositions visant à atteindre un mode de financement de la dépense locale plus responsabilisant, on peut citer : le développement de l'information des élus locaux, du législateur et du contribuable sur la fiscalité locale prise en charge par l'Etat ; la réduction progressive de la part des impôts locaux pris en charge par l'Etat, et la spécialisation relative de ces impôts, afin que chaque niveau de collectivités dispose d'un tandem d'impôts ménages/entreprises et reste, ainsi, sensible aux intérêts des différents acteurs économiques présents sur son territoire. On peut encore citer la responsabilisation des collectivités dans le recouvrement de leurs impôts en contrepartie d'un nouveau calcul des frais de gestion de la fiscalité locale prélevés par l'Etat, voire l'intégration de l'ensemble des dotations et concours de l'Etat aux collectivités au sein d'une seule enveloppe, dont le montant et l'évolution seraient fixés dans le cadre du nouveau contrat de solidarité et de performance.
(1) La dette des administrations publiques locales (APUL) représente 10 % de la dette publique totale, contre près 78 % pour celle de l'Etat.
(2) En comptabilité publique, un budget est voté à l'équilibre lorsque l'ensemble des ressources (emprunt compris) couvre l'ensemble des dépenses (remboursement du capital compris) et que chacune des sections (fonctionnement et investissement) est votée en équilibre. Au moment de son exécution, le budget peut être en déséquilibre mais dans la limite prévue par le Code général des collectivités territoriales : déséquilibre autorisé de moins de 10 % des recettes de la section de fonctionnement s'il s'agit d'une commune de moins de 20 000 habitants, et 5 % dans les autres cas (CGCT, art. L. 1612-14 N° Lexbase : L8445AAZ). Au-delà de cette limite, le préfet saisit la chambre régionale des comptes, qui propose dans un délai de deux mois les mesures nécessaires au rétablissement de l'équilibre.
(3) Au sens des dispositions de l'article L. 3211-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9365AA4), selon lesquelles "le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département. Il statue sur tous les objets sur lesquels il est appelé à délibérer par les lois et règlements, et, généralement, sur tous les objets d'intérêt départemental dont il est saisi".
(4) Au sens des dispositions de l'article L. 3233-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8213AAG), selon lesquelles le département apporte aux communes qui le demandent son soutien à l'exercice de leurs compétences.
(5) Nicolas Braemer, Départements : les subventions aux communes sont-elles intouchables ?, La lettre du cadre territorial, 15 avril 2007, n° 336, p. 17.
(6) Communiqué du Premier ministre, 26 novembre 2008.
(7) L'article L. 2335-2 précité dispose, ainsi, que "des subventions exceptionnelles peuvent être attribuées par arrêté ministériel des communes dans lesquelles des circonstances anormales entraînent des difficultés financières particulières".
(8) Cf. Concl., AJDA, 1995, p. 834.
(9) CE, 11 octobre 1929, Berton, Rec. CE, p. 894, à propos du financement illégal d'une voie privée.
(10) CE, 2 août 1912, n° 40536, Flornoy (N° Lexbase : A1808B74), Rec. CE, p. 918.
(11) CE, 25 avril 1994, n° 145874, Président du conseil général du Territoire de Belfort (N° Lexbase : A0675ASS), Rec. CE, p. 190, à propos du financement par le département d'un document de propagande à l'occasion d'un scrutin national.
(12) CE, 12 octobre 1990, n° 90468, Département du Val-de-Marne (N° Lexbase : A5704AQC), Rec. CE, p. 273 ; CE, 28 juillet 1993, n° 124638, Territoire de Belfort (N° Lexbase : A0322ANA).
(13) CE, 11 juin 1997, n° 170069, Département de l'Oise (N° Lexbase : A0401AEL).
(14) TA de Lyon, 30 mars 1989, Tete (N° Lexbase : A3946BTC), Rec. CE, p. 386.
(15) On peut citer, à titre d'exemple, l'article L. 1115-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L6217HW8) qui, dans son second alinéa, autorise, lorsque l'urgence le justifie, les collectivités territoriales à financer des actions à caractère humanitaire. La rédaction de l'article codifiant la jurisprudence posée par le Conseil d'Etat statuant au contentieux a été examinée dans un avis rendu à propos de la légalité d'une délibération de l'assemblée territoriale de Polynésie française, qui avait octroyé une aide humanitaire d'urgence aux populations des iles Fidji et Salomon victimes d'un cyclone (CE, 24 mars 2004, M. Hoffer N° Lexbase : A0984D3T, Rec. CE, p. 779).
(16) CE, sect., 28 juillet 1995, n° 129838, Commune de Villeneuve-d'Ascq (N° Lexbase : A5003ANM), Rec. CE, p. 324.
(17) CAA Bordeaux, 21 décembre 2004, n° 01BX01353, Département de la Charente (N° Lexbase : A4952DGI), AJDA, 2005, p. 620. Les actions en cause correspondaient notamment à présenter le film à la presse de la province, en avant première, dans le département ou "à associer le département lors de la présentation du film à diverses manifestations, dont le festival de Cannes, et aux opérations de promotion à l'exportation".
(18) CE, 29 juin 2001, n° 193716, Commune de Mons-en-Baroeul (N° Lexbase : A4902AU4), AJDA, 2002, p. 42, note Y. Jegouzo, Rec. CE, p. 298.
(19) CE Contentieux, 13 mars 1985, n° 19321, Ville de Cayenne (N° Lexbase : A3126AMQ).
(20) Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République (N° Lexbase : L8035BB9), JO du 29 mars 2003, p. 5568.
(21) Par exemple, le Conseil constitutionnel a validé, dans sa décision du 7 décembre 2000 (Cons. const., décision n° 2000-436 DC, 7 décembre 2000, loi sur la solidarité et le renouvellement urbains N° Lexbase : A1727AIS), l'objectif de "mixité sociale" des nouveaux PLU inscrit dans la "loi SRU" (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY), au motif que "si le législateur peut, sur le fondement des dispositions des articles 34 (N° Lexbase : L1294A9S) et 72 (N° Lexbase : L1342A9L) de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations et à des charges, c'est à la condition que celles-ci répondent à des exigences constitutionnelles ou concourent à des fins d'intérêt général, qu'elles ne méconnaissent pas la compétence propre des collectivités concernées, qu'elles n'entravent pas leur libre administration" (Rec. p. 176).
(22) Produit des impôts, les collectivités territoriales disposant de la liberté de voter les taux des quatre taxes directes (taxe d'habitation, taxe professionnelle, taxe foncière sur les propriétés bâties, taxe foncière sur les propriétés non bâties) ; redevances pour services rendus ; produits domaniaux résultant de ventes liées au patrimoine local ; dotations de l'Etat ; subventions diverses en provenance de l'Etat ou d'autres acteurs ; produit des emprunts.
(23) Article LO. 1114-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L4249GTK), inséré par la loi n° 2004-758 du 29 juillet 2004 (N° Lexbase : L5037E4C), prise en application de l'article 72-2 de la Constitution (N° Lexbase : L1342A9L) relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, aux termes duquel "au sens de l'article 72-2 de la Constitution, les ressources propres des collectivités territoriales sont constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs. Pour la catégorie des communes, les ressources propres sont augmentées du montant de celles qui, mentionnées au premier alinéa, bénéficient aux établissements publics de coopération intercommunale".
(24) Rapport Richard, Solidarité et performance : les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques locales, décembre 2006.
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Le 07 Octobre 2010
Les clauses bénéficiaires dans les contrats d'assurance-vie sont donc à l'honneur, ce mois ci, tant en provenance de la première chambre civile de la Cour de cassation que de la deuxième. Cette dernière -quelques jours avant l'arrêt du 5 novembre 2008, n° 07-14.598, émanant de la première chambre civile- se voit soumettre une affaire dont les faits sont quasiment identiques (1). Mais, contre toute attente, elle ne va pas statuer dans le même sens. Du moins, est-ce ce que la lecture des deux arrêts semble laisser entendre de prime abord. Toutefois, à bien y regarder, les deux espèces présentaient une différence qui ne saurait être occultée, ni même minimisée. Et cette différence tient en quelques mots : ceux ayant été retenus pour libeller la clause bénéficiaire. Si, dans le cadre de l'arrêt de la première civile de la Cour de cassation du 5 novembre 2008, la clause bénéficiaire était l'une de ces clauses standard ; au contraire, dans le cas présent, celle-ci avait été rédigée d'une manière précise, si ce n'est originale. Examinons le contexte exact de cet arrêt du 23 octobre 2008.
De manière classique, Madame X, en souscrivant un contrat d'assurance-vie, avait désigné ses deux enfants, une fille et un fils, comme tiers bénéficiaires. Cependant, elle ne s'était pas contentée de cette généralité ; bien au contraire, elle avait convenu avec l'assureur que la clause bénéficiaire serait rédigée ainsi : "à mes enfants Jean-Jacques A. et Madame G., née A., par parts égales, à défaut à mes descendants". Fin 2002 cette femme décède. Quelques mois plus tard, intervient la mort de son fils, sans qu'il ait accepté le bénéfice du contrat. L'assureur verse alors le capital au seul bénéficiaire de même rang encore en vie, c'est-à-dire la fille du stipulant. Or, les enfants du fils de Madame X réagissent, considérant qu'ils auraient dû recevoir la part revenant à leur père. Cependant, la cour d'appel considère que ces derniers ne pouvaient prétendre à quoi que ce soit, puisque leur père était décédé sans avoir accepté le bénéfice du contrat. Cette même cour ajoute, d'ailleurs, qu'aucune clause n'avait été prévue par la souscriptrice pour organiser une représentation en cas de décès des bénéficiaires de premier rang.
Néanmoins, ce n'est pas l'analyse adoptée par la Cour de cassation. Celle-ci va estimer qu'il convenait de considérer que deux stipulations distinctes avaient eu lieu. De façon plus précise, la Cour de cassation énonce que "le bénéfice d'une stipulation pour autrui est transmis aux héritiers du bénéficiaire désigné lorsque celui-ci vient à décéder après le stipulant, sauf manifestation de volonté contraire de ce dernier". A première vue, la solution serait donc opposée à celle retenue jusqu'alors et qui, on l'a déjà dit, sera mise en oeuvre par la première chambre civile quelques jours plus tard. Toutefois, vu le contenu de la clause bénéficiaire, il serait permis de penser que la Cour de cassation s'est contentée d'effectuer une lecture et appréciation précises de cette clause pour en tirer les conséquences qui s'imposent. En réalité, elle a opéré un revirement de jurisprudence.
A bien des égards, il serait permis de s'en féliciter et d'approuver cette solution. Elle démontrerait, dans cet arrêt du 23 octobre 2008, le souci de la Cour de cassation de respecter l'exacte volonté des parties. Et si cette attitude doit être systématique ; elle prend une coloration particulière dans le cadre de la stipulation pour autrui, qui sous-tend ce type d'opération. La volonté des cocontractants, c'est-à-dire du stipulant et du promettant ne saurait être négligée, encore moins écartée. Car c'est elle qui créé la relation entre le promettant et le tiers bénéficiaire offrant, à ce dernier, la possibilité de recueillir le bénéfice de l'assurance. Que l'on raisonne en droit des contrats purs -si l'on ose dire- ou en droit des assurances, la remise en cause des dispositions contractuelles est exclue.
Tout au plus le magistrat peut-il les interpréter, en vertu des articles 1156 (N° Lexbase : L1258AB9) et suivants du Code civil (2), mais à condition que celles-ci soient obscures ou contiennent une certaine ambiguïté. Et dans tous les cas, s'appliquent les principes de l'autonomie de la volonté et de la force obligatoire du contrat : cela va sans dire. En l'espèce, cette volonté avait été exprimée d'une manière qui, a priori, semble plutôt claire : le stipulant aurait voulu répartir le bénéfice du contrat d'assurance-vie par parts égales entre les deux bénéficiaires. Cependant, la réalité n'est peut-être pas si nette. Car la véritable question qui s'est posée aux juges était de s'entendre sur la portée de la disposition. Or, si, en l'espèce, la clause bénéficiaire insérée dans le contrat d'assurance était plus précise que celles souvent retenues, elle ne s'avère peut-être pas si explicite que sa simple lecture ne le laisse entendre.
En effet, le libellé peut être lu au moins de deux manières. Ou bien la clause signifie que les deux enfants de cette femme doivent recevoir une somme identique ; mais en cas de décès de l'un d'eux, cette règle disparaît et la représentation ne joue donc pas. Ou bien la désignation bénéficiaire traduit la volonté de scinder le capital entre les descendants, quel que soit le degré. C'est cette dernière solution que la Cour de cassation a choisi, même si elle ne s'imposait pas nécessairement. Par conséquent, l'arrêt semble bien constituer une évolution sensible par rapport à la jurisprudence antérieure, d'autant que cette évolution avait été suggérée par la doctrine (3). Plusieurs éléments permettent, d'ailleurs, de conclure que la décision n'est pas fortuite, mais qu'elle a, au contraire, été mûrement réfléchie. D'une part, il s'agit d'un arrêt de cassation. D'autre part, son visa a été soigneusement élaboré par référence tant au Code civil qu'au Code des assurances.
Cependant, la solution peut ne pas emporter la conviction. Certes, le visa de l'article L. 132-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L4167H8T) est instructif. Rappelons, en effet, que ce dernier commence par ces mots : "La stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable par l'acceptation expresse ou tacite du bénéficiaire". Sans le dire de manière aussi claire, dans des hypothèses comme celle-ci, serait admise avec facilité, par les magistrats, l'idée que les bénéficiaires ont accepté la désignation bénéficiaire faite à leur profit de manière tacite (4). Sans doute, cette méthode d'interprétation est-elle suggérée par le texte même de l'alinéa premier de l'article L. 132-9 du Code des assurances ; mais la jurisprudence en droit civil n'a pas manifesté sa volonté d'admettre une telle tolérance. Sans compter que pour ce qui est de l'existence d'une stipulation pour autrui tacite, celle-ci a fait l'objet de critiques (5). Enfin et surtout, l'interprétation de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans cet arrêt du 23 octobre 2008, rend peu utile, dans la plupart des cas, l'adjonction d'autres bénéficiaires en sous-ordre. Voilà qui donne à méditer et peut laisser penser qu'un nouveau débat pourrait voir le jour...
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP)
Il y a quelques mois, la Cour de cassation nous avait offert l'occasion d'alerter le lecteur sur les dangers que peuvent contenir les clauses bénéficiaires des contrats d'assurance vie (6), surtout lorsque celles-ci sont standardisées. Encore ne s'agissait-il que d'un constat effectué certes d'une manière assez générale, mais néanmoins dans un cadre précis. Or, la remarque prend un relief tout particulier à la lecture de l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 5 novembre 2008, sans compter celui de sa deuxième chambre civile rendu le 23 octobre 2008 (cf. supra) qui semble opérer un revirement de jurisprudence et, à tout le moins, interpréter le libellé particulier de la clause bénéficiaire.
Dans cette affaire en date du 5 novembre 2008, un contrat d'assurance-vie est conclu par une femme sans qu'elle prenne le soin de discuter les termes de la clause bénéficiaire. Notons qu'il n'est pas reproché à l'assureur de ne pas avoir fourni une information suffisante -comme il semble désormais tenu de l'effectuer- sur les avantages et inconvénients de celle-ci (7). Cette clause contient, en effet, le libellé le plus usité qui soit. Pour être clair, elle retient cette formule traditionnelle selon laquelle sont le ou les tiers bénéficiaires "son conjoint et, à défaut, ses enfants nés ou à naître et, à défaut, ses héritiers".
Lorsqu'elle meurt, cette femme laisse, pour lui succéder, ses trois enfants, Odette, Bernard et François. Or ce dernier ne lui survit que quelques jours et décédera sans avoir accepté le bénéfice du contrat d'assurance-vie. L'assureur verse alors les capitaux du contrat d'assurance-vie aux deux seuls autres enfants. Mais la veuve du troisième fils, François, mariée sous le régime de la communauté universelle avec une disposition contractuelle prévoyant l'attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant, sollicite de l'assureur qu'il lui verse la part qui, selon elle, devait revenir à son mari.
La cour d'appel de Paris n'ayant pas fait droit à ses demandes, cette belle-soeur tente de démontrer qu'elle agit non pas en qualité d'héritière de son mari, mais au titre de la communauté. Surtout, elle prétend que l'acceptation du bénéficiaire n'est pas une condition de la stipulation pour autrui et qu'elle ne sert qu'à rendre définitive et irrévocable la stipulation dont le bénéfice entre dans le patrimoine du bénéficiaire dès son émission. La Cour de cassation répond en mettant l'accent sur le régime de la stipulation pour autrui : le bénéfice de l'assurance-vie n'ayant pas été accepté avant la dissolution de la communauté, il ne pouvait entrer dans son actif. Plus encore, la Cour de cassation insiste sur l'inversion du raisonnement qui ne doit pas être effectué : "si le bénéfice d'une stipulation pour autrui est, en principe, transmis aux héritiers du bénéficiaire désigné lorsque celui-ci décède après le stipulant sans avoir déclaré accepter, la situation est différente lorsque le stipulant a désigné d'autres tiers bénéficiaires de même rang". Et d'ajouter encore que le raisonnement doit, a fortiori, être celui-ci lorsque les droits des héritiers des bénéficiaires n'ont pas été envisagés de manière expresse.
A priori, cet arrêt n'est pas original. Il ne mériterait donc pas d'autres commentaires que le constat que ce type de décision a déjà été adopté, il y a quelques années. En effet, trois principaux arrêts avaient été rendus, autrefois, dans le cadre de ce type de circonstances. Ainsi, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation -chargée, à l'époque, du contentieux du droit des contrats d'assurance- du 10 juin 1992 (8), avait décidé que "si le bénéficiaire à titre gratuit d'un contrat prévoyant le versement d'une prestation au décès de l'assuré, décède avant d'avoir accepté, la prestation garantie revient, non aux héritiers, mais aux personnes désignées à titre subsidiaire". Ensuite, d'autres confirmations étaient venues, notamment dans un arrêt de la même chambre, en date du 9 juin 1998 (9), sans compter, peu de temps après, un arrêt du 15 décembre 1998 n'ayant pas fait l'objet d'une publication, bien qu'il ait été rendu tant au visa de l'article 1121 du Code civil (N° Lexbase : L1209ABE) que de l'article L. 132-9 du Code des assurances (10).
La solution paraissait donc entendue. Par conséquent, le nouvel arrêt du 5 novembre dernier ne semblait présenter que l'intérêt de venir confirmer la stabilité jurisprudentielle sur cet aspect des contrats d'assurance-vie, ce dont il était permis de se féliciter. Bien que ce soit la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui ait repris le contentieux en assurances, la première chambre civile qui, de manière indirecte et occasionnelle, est conduite à connaître aussi de certaines affaires de droit des assurances, faisait ainsi preuve de régularité dans l'analyse. Certes, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n'avait, depuis 2004, pas jugé bon de publier des arrêts relatifs à ce type de difficulté juridique ; mais au regard des multiples preuves donnée par celle-ci de son souci de ne pas déroger à la jurisprudence établie par la première chambre civile pendant des décennies, une évolution n'était guère prévisible.
Toutefois, la doctrine a récemment manifesté son souhait que la règle ordinaire soit inversée. Le professeur Luc Mayaux, dans le Traité de droit des assurances de personnes, s'est déclaré favorable à l'inversion de la règle traditionnelle (11). Cette opinion n'a donc pas influencé la première chambre civile dans le cas présent. Et surtout, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le 23 octobre 2008, un arrêt qui ne semble pas s'inscrire dans cette perspective alors que la solution est adoptée au visa tant de l'article 1121 du code civil que de l'article L. 132-9 du Code des assurances, c'est-à-dire comme dans des arrêts antérieurs. On sait qu'entre les chambres de la Cour de cassation de fréquentes réunions informelles n'ont pas toujours lieu. Ces deux décisions à quelques jours l'une de l'autre pourraient donc démontrer l'utilité d'intensifier celles-ci, encore que chaque formation soit libre par rapport aux autres. Faut-il donc prévoir un futur arrêt en Assemblée plénière ? L'examen des faits pourrait attester du contraire ; toutefois l'analyse de la démarche de la Cour de cassation atteste d'une volonté claire et nette de faire évoluer le contentieux sur ce thème. C'est donc l'objet du second commentaire de cette chronique mensuelle que l'on ne peut que recommander au lecteur.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP)
Ces deux arrêts de la deuxième chambre civile, rendus le 13 novembre 2008, dont l'un (n° 07-17.056) est marqué des "lettres d'or" (P+B+R+I) traduisant son importance, traitent de cette question, inédite, consistant à déterminer si les sociétés exploitant les autoroutes peuvent exercer un recours contre l'assureur du véhicule impliqué dans un accident survenu sur autoroute ayant nécessité l'intervention d'un service départemental d'incendie et de secours (SDIS).
L'article L. 1424-42 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8370AAA) ne traite pas directement cette question. Il règle, en amont, les rapports entre le SDIS et la société concessionnaire du réseau autoroutier.
Cet article définit les missions du SDIS, qui "n'est tenu de procéder qu'aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions de service public définies à l'article L. 1424-2 (N° Lexbase : L8358AAS)" (al. 1er) et envisage l'hypothèse d'interventions "ne se rattachant pas directement à l'exercice de ses missions, [auquel cas] il peut demander aux personnes bénéficiaires une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d'administration". Le sixième alinéa de cet article est consacré "aux interventions effectuées par les services d'incendie et de secours sur le réseau routier et autoroutier concédé" en prévoyant qu'ils "font l'objet d'une prise en charge par les sociétés concessionnaires d'ouvrages routiers ou autoroutiers".
L'alinéa suivant précise que "les conditions de cette prise en charge sont déterminées par une convention entre les services départementaux d'incendie et de secours et les sociétés concessionnaires d'ouvrages routiers et autoroutiers, selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des finances".
Plusieurs parlementaires se sont préoccupés du sujet. En dernier lieu, le ministère de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales a, dans une réponse en date du 29 juillet 2004 (12), précisé que "suite aux concertations menées depuis 2002 avec le ministère de l'Equipement, des Transports, de l'Aménagement du territoire, du Tourisme et de la Mer, un accord a pu être trouvé quant à la rédaction d'une convention-cadre dont le modèle a été validé par un arrêté interministériel, cosigné par le ministère de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales et le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, publié au Journal officiel du 16 juillet 2004. Ainsi, les conventions à établir entre les sociétés d'autoroutes et les services départementaux d'incendie et de secours permettront de formaliser les conditions de prise en charge financière des interventions des sapeurs-pompiers sur leurs réseaux"
Un coût unitaire forfaitaire de 450 euros a été retenu pour les secours pour accident de circulation entre véhicules (arrêté du 7 juillet 2004, pris en application des trois derniers alinéas de l'article L. 1424-42 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L9724IBR).
En revanche, cet article L. 1424-42 du Code général des collectivités territoriales ne prévoit rien quant à un éventuel recours de la société d'autoroute contre le conducteur à l'origine de ce besoin de secours, à l'origine de ces frais supportés par la société exploitante.
Dans ce contexte, on ne s'étonnera guère, à la lecture comparée de ces deux décisions rendues sur recours contre des jugements d'instance en dernier ressort, que s'était mise en place une jurisprudence divergente. Alors que le tribunal d'instance de Senlis avait jugé qu'une "intervention sur le secteur autoroutier n'est pas gratuite, que le coût de cette intervention est en rapport direct avec l'accident occasionné par M. X et que la SANEF est fondée à obtenir la réparation intégrale de son préjudice, y compris les frais relatifs à l'intervention des secours", celui de Lagny-sur-Marne avait, au contraire, refusé de faire droit à cette demande de cette même société d'autoroute.
La Cour de cassation a éteint ce début de divergence de jurisprudence chez les juges du fond, censurant le premier jugement et rejetant le pourvoi formé contre le second. La solution qu'elle retient est motivée comme suit : "l'article L. 1424-42, alinéa 6, du Code général des collectivités territoriales, qui apporte au principe de gratuité des interventions du SDIS se rattachant à ses missions de service public une exception appelant une interprétation stricte, dispose que les frais de ces interventions sur le réseau routier et autoroutier concédé doivent être pris en charge par les sociétés concessionnaires d'ouvrages routiers ou autoroutiers, dans les conditions déterminées à l'alinéa 7 du même article, et exclut ainsi que ces sociétés puissent obtenir de la personne tenue à réparation, ou de son assureur, le remboursement de ces frais". Ce motif est rigoureusement identique dans les deux arrêts, la Cour de cassation utilisant la technique de substitution de motifs pour rejeter le pourvoi dans la seconde espèce.
Faut-il approuver, en droit, ce principe, qui tire l'absence de droit de recours d'une interprétation stricte de l'exception au principe de gratuité des secours ?
On pourra, de prime abord, trouver curieux qu'on puisse déduire d'un texte, dont l'objet est de définir des rapports financiers entre A (un SDIS) et B (une société d'autoroute), une conséquence pour régler des rapports entre B et C (assureur du véhicule impliqué). L'article L. 1424-42, alinéa 6, du Code général des collectivités territoriales n'est-il pas utilisé pour régler une question qu'il n'a pas envisagée, en dehors de son objet, donc par fausse application ?
Le caractère constitutionnel de la responsabilité civile ne justifie-t-il pas qu'une société d'autoroute puisse réclamer à l'auteur d'un accident (et à son assureur) les coûts par lui engendrés et supportés par cette société ?
Réflexion faite, la réponse nous semble résider dans le point de savoir si la société d'autoroute peut prétendre exercer un recours propre, autonome, ou bien un recours subrogatoire, en étant subrogée dans les droits du SDIS qu'elle a "désintéressé".
La perspective d'un recours subrogatoire débouche sur une impasse puisque, au nom de la gratuité du service de secours, le SDIS ne peut nullement réclamer à l'auteur du dommage, ou à son assureur, remboursement des frais occasionnés.
La deuxième chambre civile a, d'ailleurs, clairement, dans un arrêt récent (13), énoncé que "l'intervention du SDIS afin d'éteindre un incendie dans une habitation privée se rattachant directement à ses missions de service public définies à l'article L. 1424-42 du Code des collectivités territoriales, les dépenses directement imputables à cette intervention doivent être prises en charge par lui ; que dès lors, le SDIS ne peut obtenir le remboursement de ses frais d'intervention, même sur le fondement des règles qui gouvernent la responsabilité civile délictuelle".
Les arrêts du 13 novembre 2008 sont dans la même ligne. Délaissant toute possibilité d'un recours personnel autonome des sociétés d'autoroute, on peut considérer qu'au plus ces arrêts ont, implicitement, envisagé l'éventualité d'un recours subrogatoire des sociétés d'autoroute, perspective éteinte par l'absence de dette de l'assureur à l'égard du SDIS.
Mais il est encore plus vraisemblable que les Hauts magistrats n'ont pas même voulu envisager une éventualité de recours (subrogatoire ou personnel). Ils se sont cristallisés autour de la mention, par l'article examiné, selon laquelle "les frais de ces interventions sur le réseau routier et autoroutier concédé doivent être pris en charge par les sociétés concessionnaires", pour l'interpréter strictement comme traduisant "par les seules sociétés concessionnaires".
Cet ajout par interprétation nous semble logique. En effet, l'objet premier du texte est sans nul doute de poser que ces frais de secours ne doivent pas être supportés par le SDIS mais par les sociétés d'autoroute. Mais prohiber tout recours de la société d'autoroute contre l'auteur du dommage et son assureur se comprend car l'autoriser traduirait nécessairement que l'auteur et son assureur doivent payer les frais de secours, ce qui est contraire au principe de gratuité garanti par cet article L. 1424-42.
La solution est donc heureuse et parfaitement fondée en droit. Pour une fois, les assureurs se réjouiront de constater qu'on n'a pas voulu en faire les "tiers-payeurs" à tout prix. L'article L. 1424-42 demeure un article ventilant les frais entre deux acteurs, l'un public, l'autre concessionnaire du domaine public immobilier. Cet objet strict impose de ne pas en sortir, sous peine de faire supporter, indirectement, par une victime assurée le prix d'un service public qui serait financé par une hausse de ses primes d'assurance automobile. La solution, logique en droit, est également opportune.
Pour le privatiste, il est donc heureux que ces frais liés aux dommages corporels demeurent "publics" ou "para-publics". Pour le spécialiste de droit des assurances, la question des accidents sur le réseau autoroutier conduit à rappeler aux assurés qu'ils pourront, pour les dommages matériels à leur véhicule, se tourner vers leurs sociétés d'assistance et/ou d'assurance pour la prise en charge des frais de dépannage/remorquage/réparation ou indemnisation.
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
A l'heure où le ministre de l'Economie et des Finances vient de faire part de son souhait de voir, à l'horizon de 2009 pour le crédit à la consommation et 2010 pour le crédit immobilier, libéralisé l'accès par l'emprunteur à l'assurance couvrant les risques liés à son crédit en instaurant une liberté de choix par l'emprunteur de son assureur (14), et tandis que l'attention pour faciliter l'accès des entreprises au crédit est encore plus urgente (15), on mentionnera brièvement cette décision de la première chambre civile en date du 13 novembre 2008, qui rappelle une solution bien établie, selon laquelle le coût de l'assurance emprunteur participe du taux effectif global (le "TEG").
L'article L. 313-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1517HIZ), visé ici dans l'arrêt examiné, est d'ailleurs sans ambiguïté, qui précise que "dans tous les cas, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects".
On peut y ajouter l'article L. 312-8-4° du même code (N° Lexbase : L5763H9C) qui précise que l'offre de crédit immobilier "énonce, en donnant une évaluation de leur coût, les stipulations, les assurances et les sûretés réelles ou personnelles exigées, qui conditionnent la conclusion du prêt".
En dernier lieu, un arrêt de la Chambre commerciale (16) l'a rappelé et sanctionné un TEG erroné, pour n'avoir pas inclus les frais d'assurance. La question ayant porté autour de la restitution par la banque du trop perçu, la Cour de cassation y précisait que "la cour d'appel a relevé, à bon droit, que la sanction du taux effectif global erroné était la substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel prévu et la restitution par la banque à l'emprunteur des sommes trop versées en remboursement du prêt en principal et intérêts à l'exclusion de tous les frais et accessoires liés au prêt". La sanction est donc la substitution du taux légal au taux conventionnel, sans qu'il soit question de "majorer" ce taux légal des frais accessoires, dont les frais d'assurance.
Avec l'arrêt rapporté du 13 novembre 2008, la Cour de cassation est conduite à censurer une cour d'appel qui avait entendu admettre une exception à cette règle de prise en compte de l'assurance dans le TEG.
Pour les juges lyonnais, si "les frais relatifs à l'assurance-incendie de l'immeuble devaient, en principe, être pris en compte pour déterminer le taux effectif global dès lors qu'ils étaient imposés par la banque et en lien direct avec le crédit", exception devait être faite lorsque "l'assurance-incendie contractée auprès d'un autre organisme et dont le coût n'était pas connu de la banque lors de l'offre de prêt et ne lui a pas été communiqué par l'emprunteur avant l'octroi du prêt, ne pouvait donc pas, en l'espèce, être intégrée dans le taux effectif global". C'était considérer que le coût de l'assurance n'était pas déterminable par la banque au moment où elle a formalisé son offre.
La Cour de cassation balaie aisément l'argument : "il incombait à la banque, qui avait subordonné l'octroi du crédit à la souscription d'une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement".
La solution doit être approuvée. Quand bien même liberté serait laissée à l'emprunteur de "trouver" l'assureur qui lui plaira, sans "subir" celui imposé par le banquier prêteur, doit peser sur ce dernier l'obligation de se renseigner sur le coût de cette assurance "par délégation" comme disent les praticiens des crédits immobiliers. En effet, comment imaginer que le banquier puisse exécuter son obligation de mise en garde (dont on sait qu'elle a eu récemment tous les honneurs d'arrêts en droit bancaire et pour les contrats d'assurance groupe (17)) s'il n'a pas, en amont, pris soin de prendre connaissance du contenu de cette assurance, donc de son coût ?
L'arrêt doit donc être pleinement approuvé et les banquiers doivent, dans la perspective de libre choix de son assureur emprunteur esquissée par le ministre de l'Economie et des Finances, se préparer à s'acquitter de leur obligation de se renseigner, à charge pour l'emprunteur de coopérer sincèrement.
Dans ce cadre, la ministre de l'Economie a fait savoir (18) que la réforme envisagée se donne, notamment, pour objectifs de :
- renforcer l'information et le conseil pour les emprunteurs en matière de crédit immobilier : "le consommateur qui souhaite souscrire une assurance emprunteur à l'occasion de la souscription d'un crédit immobilier se verra remettre une nouvelle fiche de conseil et d'information. Cette fiche, qui sera remplie conjointement par le consommateur et le distributeur, [...] contiendra des conseils pour les consommateurs et leur permettra de comparer les offres". Une normalisation est envisagée, via une "fiche préparée en concertation avec les professionnels et en partenariat avec les associations de consommateurs au sein du Comité consultatif du secteur financier" ;
- renforcer la "transparence sur les prix pour l'assurance facultative en matière de crédit à la consommation", en imposant que les organismes prêteurs affichent "le prix de l'assurance emprunteur en matière de crédit à la consommation dans le même format. Le prix sera exprimé par tous en euros par mois. Cette transparence sur les prix permettra au consommateur de comparer les offres". La ministre a précisé que "les représentants des professionnels souscrivent les engagements relatifs à la fiche d'information et à la transparence sur les prix de l'assurance facultative en matière de crédit à la consommation dès le 1er janvier 2009. Compte tenu des délais variables de mise en oeuvre, ces engagements seront applicables au plus tard à la fin du premier semestre 2009 par tous les professionnels".
On croit comprendre que la réforme ne se fera pas, nécessairement, par la loi mais aussi par des engagements des banquiers à respecter des "bonnes pratiques" professionnelles.
Mais ne doutons pas que la jurisprudence restera, de son côté, vigilante !
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
(1) Cf. infra.
(2) Notamment l'article 1157 du Code civil (N° Lexbase : L1259ABA).
(3) L. Mayaux, Traité de droit des assurances de personnes, Tome IV, 2007, n° 317, p. 281 : "Mieux vaudrait inverser les principes en considérant que, sauf manifestation contraire de volonté, le souscripteur a entendu que l'assurance profite aux héritiers du premier bénéficiaire dès l'instant où celui-ci est décédé après lui".
(4) Lamy assurances, 2008, n° 3733, p. 1635.
(5) Sur les prétendues stipulation pour autrui implicites, notamment en matière de transport : Cass., civ., 24 mai 1933, DP, 1933, I, p. 137 ; Cass. civ. 2, 23 janvier 1959, Vizioz, D., 1959, p. 101, note R. Savatier ; Cass. com., 19 juin 1951, affaire du "Lamoriciaire", D., 1951, p. 717, note Ripert ; Cass. civ.1, 28 octobre 2003, n° 00-18.794 Société Axa courtage, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9878C9Q), Bull. civ. I, n° 219, D., 2004, p. 233, note Ph. Delebecque, JCP éd. G, 2004, II, 10006, note Lardeux, CCC, 2004, n° 1, note Leveneur, RCA, 2004, n° 30, note H. Groutel.
(6) Cass. civ. 1, 22 mai 2007, n° 05-18.516, M. Roger Lemonnier, F-P+B (N° Lexbase : A4838DW4) ; et nos obs., Méfions-nous des clauses bénéficiaires standards dans les contrats d'assurance-vie, in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 275 du 4 octobre 2007- édition privée générale (N° Lexbase : N5826BCR).
(7) Ass. Plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX) et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN), RGDA, 2007, n° 2, p. 398, note J. Kullmann ; Rev. Banque et droit, juillet-août 2007, p. 20, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2007, 1375, note D. Legeais et JCP éd. G, 127, note B. Parance ; D., 2007, act. Jurisp., p. 985, note S. Piedelièvre.
(8) Cass. civ. 1, 10 juin 1992, n° 90-20.262, M. Marquois et autre c/ Consorts Pineau et autres, (N° Lexbase : A5569AHQ), Bull. civ. I, n° 174, p. 119.
(9) Cass. civ. 1, 9 juin 1998, n° 96-10.794, M. Jacobée c/ Consorts Naveaux (N° Lexbase : A7857CG4), Bull. civ. I, n° 202, p. 139 ; Rép. Defrénois, 30 novembre 1998, n° 22, p. 1416, note Ph. Delebecque.
(10) Cass. civ. 1, 15 décembre 1998, n° 96-20.246, Consorts Alzera c/Société GAN (N° Lexbase : A9106CTG).
(11) L. Mayaux, Traité de droit des assurances de personnes, sous la dir. de J. Bigot, LGDJ, 2007, n° 317, p. 279 et 280.
(12) QE Sénat, n° 13365, JO Sénat du 29 juillet 2004 (N° Lexbase : L9725IBS).
(13) Cass. civ. 2, 22 novembre 2007, n° 06-17.995, Service départemental d'incendie et de secours de Maine-et-Loire (SDIS) c/ D., F-P+B (N° Lexbase : A7125DZW).
(14) Un communiqué de presse du 25 novembre 2008, publié sur le site du ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi (www.minefe.gouv.fr), précise que "Christine Lagarde a annoncé qu'elle avait proposé au Premier ministre de modifier la disposition législative qui autorise les banques, à l'occasion d'une demande de crédit immobilier, à imposer au consommateur d'adhérer au contrat d'assurance emprunteur qu'elles commercialisent. Dès 2010, le consommateur pourra ainsi librement choisir son assurance emprunteur à condition que l'assurance de son choix présente des garanties équivalentes à celles proposées par la banque".
(15) Sur ce point, "dans le cadre du plan de soutien aux PME, Christine Lagarde a annoncé le 27 novembre que l'Etat allait assurer un complément de garantie sur les créances des entreprises. Il se substituera ainsi aux assureurs-crédits "pour la part des risques qu'ils ne veulent plus prendre à 100 %". Adde, le dossier "Dispositifs d'accompagnement et de soutien à l'assurance crédit pour les entreprises" publié sur le site du ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi.
(16) Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-20.111, Patalas c/ Société Interfimo et a., F-P+B (N° Lexbase : A6874DU7).
(17) Cf., en dernier lieu, Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-15.258, M. Paul Briquet, FS-P+B (N° Lexbase : A0307D3R) et les obs. de D. Bakouche, Devoir de mise en garde du banquier : la première chambre civile de la Cour de cassation enfonce le clou, Lexbase Hebdo n° 286 du 17 décembre 2007 - édition privée générale ; adde, Cass. civ. 1, 19 septembre 2007, n° 05-17.536, M. Roland Weppe, FS-P+B (N° Lexbase : A4163DYT) et les obs. de V. Nicolas, Vers une extension inexorable de l'obligation de mise en garde en dehors des seules assurances de personnes, Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 291 du 11 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N0518BEW).
(18) Communiqué de presse du 25 novembre 2008, précité.
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Réf. : Ordonnance n° 2008-1145 du 6 novembre 2008, relative aux actions de préférence (N° Lexbase : L7389IBB)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Le 07 Octobre 2010
En dépit de sa nouvelle rédaction, le mécanisme de suppression du droit préférentiel de souscription, introduit par la "LME" en août 2008, laisse subsister certaines interrogations (I), notamment quant à la solution à appliquer en cas de réattribution du droit de vote. Quant à l'abrogation de la faculté de rachat et de remboursement des actions de préférence, elle a surtout pour effet d'unifier et de simplifier un régime (II), simplification dont les établissements de crédit sont destinés à devenir les principaux bénéficiaires.
I - Les questions relatives à la suppression du droit préférentiel de souscription
L'un des objectifs de la réforme, introduite par la "LME" et confortée par l'ordonnance du 6 novembre 2008, était d'inciter au développement des actions de préférence. Le législateur, en effet, avait pu constater que, depuis leur introduction en droit interne (par l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales N° Lexbase : L5052DZ7), les sociétés avaient eu fort peu recours à cette catégorie d'actions, alors même qu'elles étaient destinées à faciliter leur financement, notamment vis-à-vis des investisseurs internationaux. L'article 1er de l'ordonnance modifie, donc, le régime en matière de droit préférentiel de souscription pour certaines actions dépourvues de droit de vote (A). Cet article, destiné à accroître l'intelligibilité de l'article L. 228-11, n'atteint, toutefois, que partiellement son objectif en créant une nouvelle incertitude dont le texte initial était dépourvu (B).
A - La modification du régime
L'article L. 228-11 du Code de commerce, dans sa rédaction modifiée par l'article 1er de l'ordonnance n° 2008-1145 du 6 novembre 2008, laisse inchangées, d'abord, les dispositions fondatrices du régime des actions de préférence. A partir d'un texte volontairement succinct, afin que les émetteurs disposent d'une grande liberté contractuelle, il conserve ainsi intact, les quatre premiers alinéas du texte : d'abord, le principe en vertu duquel "il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent", lesdits droits étant définis par les statuts. Ensuite, le droit de vote peut être, soit supprimé, soit suspendu ou aménagé pour une durée ou un délai déterminé ou déterminable. Puis, les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social et plus du quart en cas de négociation sur un marché réglementé ; une émission éventuelle, enfin, pouvant être annulée si elle a pour effet d'augmenter cette proportion.
L'essentiel de cet article, ainsi, vise à lever d'éventuelles difficultés quant au régime applicable au droit de vote, première -et quasiment unique- restriction d'importance à un régime livré à la liberté contractuelle. L'autre restriction, toujours en matière de droit de vote, concerne l'attribution et l'exercice du droit préférentiel de souscription, par un aménagement de l'article L. 225-132 du Code de commerce (N° Lexbase : L8388GQQ), l'ordonnance du 24 juin 2004 ayant ajouté à cet article que "la décision relative à la conversion des actions de préférence emporte renonciation des actionnaires au droit préférentiel de souscription aux actions issues de la conversion".
La "LME" est, toutefois, venue modifier cet ordonnancement, somme toute particulièrement simple, dans l'objectif louable de permettre aux sociétés émettrices d'éviter que des porteurs d'actions de préférence, titulaires, de facto, selon les termes d'un auteur : "d''infra' actions" (H. Le Nabasque, La réforme des actions de préférence, JCP éd. E, 27 novembre 2008, n° 2445, spéc. p. 41, n° 26) -ou du moins de titres dont le régime se rapprochait davantage de l'obligation que de l'action- ne puissent, par l'exercice de certains de leurs droits politiques, risquer d'empêcher l'aboutissement de certaines augmentations de capital (v. H. Le Nabasque, op. cit.). Comme le souligne l'auteur, cependant, "le résultat, disons le clairement, n'est guère enthousiasmant" (op. cit. p. 38, n° 2).
La première rédaction (celle de la "LME") va déboucher sur l'ajout d'un alinéa 5 à l'article L. 228-11 du Code de commerce, temporairement libellé de la façon suivante : "Par dérogation aux articles L. 225-132 et L. 228-91 (N° Lexbase : L8336GQS), les actions de préférence sans droit de vote auxquelles est attaché un droit limité de participation aux dividendes, aux réserves ou au partage du patrimoine en cas de liquidation sont privées de droit préférentiel de souscription pour toute augmentation de capital en numéraire, sous réserve de stipulations contraires des statuts". Nous ne nous attarderons pas sur cette rédaction, pleine d'incertitudes, qui, devant entrer en vigueur le 1er janvier 2009, n'aura eu qu'une existence virtuelle, l'ordonnance du 6 novembre 2008 lui substituant un texte largement plus clair, certes, mais pas pour autant exempt de toute critique.
L'ordonnance, en effet, remplace le cinquième alinéa à l'article L. 228-11 qui dispose, dans sa rédaction définitive, que : "par dérogation aux articles L. 225-132 et L. 228-91, les actions de préférence sans droit de vote à l'émission auxquelles est attaché un droit limité de participation aux dividendes, aux réserves ou au partage du patrimoine en cas de liquidation sont privées de droit préférentiel de souscription pour toute augmentation de capital en numéraire, sous réserve de stipulations contraires des statuts". Ainsi, la nouvelle rédaction prend en considération non plus la situation du porteur, comme auparavant (par exemple celui qui aurait pu être privé temporairement de droit de vote), mais la nature du titre, c'est-à-dire, pour reprendre l'expression empruntée auparavant, sa caractéristique "d''infra' action".
B - Les difficultés potentielles d'application du nouvel alinéa 5 de l'article L. 228-11
Les porteurs d'actions de préférence visés par la réforme semblent, ainsi, être des investisseurs d'un type particulier, mus par de seules motivations financières, plutôt que de véritables actionnaires, tel qu'entendus par le droit des sociétés. Sur un plan empirique, la spécificité de leur situation ressort, d'ailleurs, clairement de la mention de l'article L. 228-11, en vertu de laquelle la suppression du droit préférentiel de souscription n'est pas d'ordre public. En effet, si les statuts peuvent prévoir le maintien du droit préférentiel pour cette catégorie particulière d'action, c'est que le nouveau texte offre la possibilité aux émetteurs d'écarter le principe de privation de ce droit, dès lors qu'ils estiment que les porteurs méritent d'être considérés comme des associés à part entière. On peut imaginer, par exemple, que des salariés actionnaires puissent se trouver dans cette situation, porteurs de titres aux pouvoirs restreints mais, néanmoins, parties prenantes à la vie et au développement de leur société.
Au plan théorique, au surplus, on peut avancer deux arguments justifiant la privation du droit préférentiel de souscription pour les actions dépourvues de droit de vote.
- D'abord, parce que leurs porteurs, du moins s'ils ont sciemment choisi de souscrire à cette catégorie d'actions, peuvent être raisonnablement suspectés de se désintéresser des droits politiques. Ce désintérêt peut, alors, justifier l'éviction de ces investisseurs des augmentations de capital, l'existence d'un droit préférentiel de souscription visant essentiellement à permettre aux actionnaires en place de disposer d'un droit à conserver le même niveau d'influence après l'opération. Ainsi, le maintien du droit préférentiel de souscription ne s'impose pas, dans son principe, pour ceux des actionnaires qui n'ont pas de droits politiques à préserver.
- Ensuite, parce que l'augmentation de capital, comme la modification du droit préférentiel de souscription, dépend d'un vote de l'assemblée. Or, les porteurs d'actions de préférence dépourvues de droit de vote ne participent pas, par définition, à ces décisions, de sorte qu'il peut paraître illogique de leur faire bénéficier d'un droit dont ils n'ont pu, ni voulu, décider de l'attribution.
Envisagée sous ce prisme, l'analyse de la suppression du droit préférentiel de souscription permet de mieux saisir la portée de l'observation qui figure dans le rapport, remis au Président de la République, à propos des termes retenus dans l'ordonnance. Ce rapport signale, en effet, que : "cette rédaction pourrait avoir l'effet potentiel suivant selon la lecture qui en est faite : si l'action de préférence émise sans droit de vote récupère un droit de vote au cours de son existence, il pourrait être considéré qu'elle récupère également un droit préférentiel de souscription puisque la suppression du droit préférentiel de souscription n'est prévue dans l'article modifié que si l'action de préférence est dépourvue de droit de vote".
Plus clairement, l'article 1er de l'ordonnance prévoyant que sont concernées "les actions de préférence sans droit de vote à l'émission", elle laisse, donc, en suspens la situation des porteurs qui recouvreraient leur droit de vote postérieurement. A ce titre, la logique tendrait à conduire à la conclusion que le droit préférentiel de souscription devrait leur être réattribué, car sa privation ne trouverait plus de justification théorique. En effet, si le porteur est dans la situation de pouvoir exercer ses droits politiques avant l'augmentation, l'équilibre des droits de vote ainsi obtenu devrait pouvoir demeurer inchangé, en toute hypothèse, après l'augmentation de capital.
Pis encore, cette interprétation s'impose si l'on considère que le droit préférentiel de souscription est d'ordre public, (v., par exemple, Ph. Merle, Droit commercial, Sociétés commerciales, Précis Dalloz, 12ème éd., 2008, n° 556), solution qui s'induit du rapprochement de l'article L. 228-91 qui établit ce droit, et des dispositions de l'article L. 228-95 du Code de commerce (N° Lexbase : L8339GQW) qui prévoit la nullité "des décision prises en violation du deuxième et du troisième alinéa de l'article L. 228-91". On imagine mal, de la sorte, que ce principe puisse être écarté lorsque toutes les conditions qui président, dans la situation commune, à l'attribution du droit préférentiel sont réunies. Si le texte devait rester en l'état, on peut douter, donc, que le juge ait la latitude de pouvoir restaurer l'économie de la réforme et de décider que la privation du droit de vote lors de l'émission prive définitivement le porteur d'action de préférence du droit préférentiel de souscription. Il pourrait, en effet, s'estimer lié par le caractère d'ordre public du principe précité.
II - L'unification du régime de rachat des actions de préférence
Si le premier volet de la réforme risque d'introduire un nouveau degré de complexité dans le régime des actions de préférence, tel n'est pas le cas, en revanche, du second qui, cette fois, met fin aux ambiguïtés concernant le régime de rachat de ces actions (A). L'abrogation de l'article L. 228-20 aura, ainsi, pour effet essentiel de permettre aux établissements financiers de reclasser les actions de préférence en fonds propres de base (B).
A - Un régime unique pour le rachat des actions de préférence
L'article 2 de l'ordonnance abroge l'article L. 228-20 du Code de commerce qui prévoit, jusqu'au premier janvier 2009, que les actions de préférence admises aux négociations sur un marché réglementé peuvent être rachetées ou remboursées, à l'initiative de la société ou du porteur, lorsque le marché n'est pas suffisamment liquide, dans les conditions prévues par les statuts. Cette disposition présentait, en effet, deux difficultés d'application.
La première résultait de l'appréciation de l'illiquidité du marché. On mesure, en effet, que la nature particulière des actions de préférence peut avoir pour conséquence, dès lors qu'elles se voient attacher moins de droits que les actions ordinaires, d'en diminuer la négociabilité. Au mieux, ces restrictions conduisent nécessairement à une décote du titre par rapport aux actions ordinaires ; au pire, l'action de préférence risque de ne pas être demandée, le porteur devenant alors prisonnier de son titre. L'illiquidité du marché s'entendrait donc, dans ce cas, de l'impossibilité de négocier une catégorie particulière d'actions sur le marché réglementé concerné. On imagine, cependant, la difficulté à apprécier dans un contexte de crise boursière cette notion d'absence de liquidité. Dans une première approche, on pourrait imaginer que cette dernière s'analyse comme étant une absence de demande sur l'ensemble des marchés financiers. Mieux vaudrait, toutefois, considérer que l'illiquidité du titre, telle qu'elle a été envisagée par le législateur, n'est qu'une des conséquences des restrictions qui y sont attachées et qu'elle est indépendante de la situation globale du marché. Reste au porteur à apporter la preuve de l'absence de liquidité du titre et reste, surtout, aux émetteurs, à anticiper l'attitude du juge en la matière, dans un domaine où tout est à construire.
La seconde résultait du conflit susceptible de naître de l'existence d'un double régime. Celui, d'abord, de l'article L. 228-20 du Code de commerce qui renvoie aux dispositions statutaires pour déterminer les conditions du rachat du titre illiquide. Celui, ensuite, de l'article L. 228-12 du même code qui établit dans son alinéa 1er que seule l'assemblée générale extraordinaire est compétente pour décider du rachat des actions de préférence (l'alinéa 2 du même article précisant que ces modalités peuvent, également, être fixées par les statuts). On pouvait, ainsi, voir dans le premier article la marque d'une prépondérance statutaire, alors que le second signalait, au contraire, la supériorité de l'assemblée générale extraordinaire.
L'abrogation L. 228-20 du Code de commerce supprime ces deux incertitudes. Désormais, le rachat d'action relèvera des seules dispositions de l'article L. 228-12 et sera de la compétence de l'assemblée générale extraordinaire, les modalités de ce rachat pouvant en être fixées par les statuts.
B - Les incidences comptables de la réforme
La seule mise en oeuvre de l'article L. 228-12 du Code de commerce pour le rachat des actions de préférence clarifie, de la sorte, le traitement comptable des actions de préférence. Ces dernières semblaient, auparavant, ne pas pouvoir être comptabilisées en fonds propres en raison de l'incertitude dans laquelle se trouvaient les émetteurs quant à l'éventualité de devoir racheter ces actions. Le problème se posait, essentiellement, en pratique, pour les établissements de crédit, leurs actions de préférence ne pouvant être considérées comme des fonds propres de base tant que persistait l'éventualité d'un rachat contraint par un porteur désireux de ne pas rester prisonnier de son titre.
A cet égard, l'abrogation de l'article L. 228-20 du Code de commerce, au profit de la seule application de l'article L. 228-12, présente des aspects conjoncturels qui ne peuvent être ignorés. En effet, le texte de la communication en Conseil des ministres du projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie, présenté le 13 octobre 2008 (devenu la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008, de finances rectificative pour le financement de l'économie N° Lexbase : L6270IBT ; cf. les obs. d'Alexandre Bordenave, Perspectives juridiques variées sur le marché du crédit, spéc. II - Refinancer les établissements de crédit pour relancer le crédit, Lexbase Hebdo n° 323 du 23 octobre 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N4874BHY), avance, en réponse à la crise financière, la solution du renforcement des fonds propres des banques, au moyen d'augmentations de capital par émission d'actions de préférence. Ainsi, le texte évoque expressément l'éventualité, pour l'Etat, de souscrire à de telles augmentations de capital en ces termes : "le projet de loi prévoit de donner à une société détenue par l'Etat la possibilité de souscrire à des émissions de titres subordonnés ou d'actions de préférence des institutions financières".
L'ordonnance vient donc, à point nommé, pour établir un cadre juridique susceptible de favoriser, à la fois, une augmentation des fonds propres et la souscription d'actions par la puissance publique sans que cette dernière ne soit suspectée de réaliser des nationalisations rampantes. En effet, il est vraisemblable que le régime applicable aux actions de préférence émises, à cette occasion, traduira la volonté de l'Etat de demeurer un sleeping partner au sein des établissements financiers et, en définitive, la création des actions de préférence, destinée à l'origine à attirer les investisseurs étrangers, trouvera, ici, un aboutissement que le législateur n'aurait pas imaginé.
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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques
Le 07 Octobre 2010
Partant du constat que les reprises par effet de levier demeurent, donc, une méthode incontournable des acquisitions d'entreprises, les intervenants -Jean-Jacques Uettwiller, avocat associé du cabinet UGGC & Associés, Jean-Pierre Fines, avocat et Professeur des Universités, Bernard Liger, avocat associé du cabinet Landwell & Associés, Jean-Luc Blein, avocat associé du cabinet Hoche, et Philippe Fieloux, avocat- ont mis en évidence les moyens d'optimiser ce montage, au travers de l'étude de sa détermination (I), du contenu du management package (II) et des problématiques fiscales (III).
I - La détermination du montage LBO
La réussite d'un montage LBO, quelle que soit sa qualification (A) est conditionnée à la pertinence de la détermination de la cible (B) et de la forme sociale (C) de la holding de reprise.
A - Typologie des montages LBO
Le montage LBO peut prendre des formes variées, en fonction de la taille de l'opération et du maintien ou non du management en place au sein de la cible. Ainsi, il pourra s'agir :
- d'un management buy out (MBO) : la reprise s'effectuant au profit de fonds d'investissement et des managers de la cible, ou seulement à leur profit ;
- d'un management by in (MBI) : la reprise s'effectuant au profit d'un fonds d'investissement et de managers externes à la cible ;
- d'un buy in management buy out (BIMBO) : qui implique une équipe de management mixte, composée d'un directeur général extérieur associé aux dirigeants en place ;
- d'un owners by out (OBO) ou -vente à soi-même-, la reprise s'effectuant au profit du propriétaire de la cible. L'opération permet de générer pour le manager une liquidité, sans modifier significativement l'actionnariat de la société et, donc, le détenteur du contrôle (à la différence des autres LBO, il est envisageable pour cette opération de ne faire appel qu'à des banques, et non, à des investisseurs financiers) ;
- d'un leverage buy up (LBU) : consistant à monter un groupe en fusionnant ou intégrant les process et structures de plusieurs sociétés en vue de constituer une autre société plus importante censée dégager une valeur significative ou s'introduire sur les marchés financiers.
B - Détermination de la cible
Le choix de la cible dépend de la stratégie déterminée par les acteurs de l'opération, parmi les quatre principales stratégies identifiées depuis quinze ans que ce montage est pratiqué. Il peut s'agir d'un spin off, qui est la reprise, pour le management en place, aux côtés d'un financier, de l'une des filiales ou de l'une des activités qu'il dirige, appartenant à un groupe se recentrant sur son corps de business (3). Le montage prendra, alors, la forme d'un MBO ou d'un BIMBO. L'opération peut, également, s'inscrire dans une logique de croissance externe, les montages LBO permettant, alors, le développement d'un groupe à l'échelle nationale et internationale, par l'acquisition de plusieurs cibles qui deviennent des filiales. Le rapport entre la dimension de la cible et sa performance économique et financière est, dans un tel cadre, essentiel pour optimiser le montage. La stratégie choisie peut encore tendre à une adéquation entre deux facteurs : la rentabilité et l'efficacité productive. Deux types de variables, d'une part, celles liées à la performance financière (la rentabilité) et, d'autre part, les variables dites réelles (l'évolution de la productivité liée au LBO), sont ici pris en compte pour augmenter la valeur de marché de la cible. Enfin, l'entrepreneur peut raisonner en termes de diversification industrielle, les activités de la cible étant, en principe, plus performantes que l'activité de base du repreneur. L'analyse portera, ici, sur les produits proposés par la cible et la clientèle qu'ils visent.
Dans tous ces cas de figure, le repreneur aura toujours en mémoire les problématiques (récurrentes) en matière de contrôle des concentrations. Ainsi, dans le cas où deux au moins des intervenants à la concentration présentent un chiffre d'affaires supérieurs à 15 millions d'euros, l'opération doit, obligatoirement, être notifiée à l'autorité compétente (le ministre de l'Economie ou, depuis la "LME", l'Autorité de la concurrence). L'analyse du contrôle effectué par les autorités nationales et communautaires démontre que, si l'opération est, en règle générale, toujours autorisée, il arrive très souvent que cette autorisation soit subordonnée à des aménagements consistant à "dépecer" la cible (4). La stratégie devient, alors, celle du spin off, précédemment évoquée.
C - Détermination de la forme sociale de la holding de reprise
Une fois la structure et la stratégie du LBO déterminées, les protagonistes doivent décider de la forme sociale de la holding de reprise. Ils peuvent opter pour une SARL, une SA ou encore une SAS.
Le choix de la SARL sera plus opportun pour les cibles de petite taille. Dans cette configuration, les managers détiennent l'intégralité ou presque du capital, qu'ils rachètent en recourant uniquement à un prêt senior. Les avantages de cette structure tiennent dans l'économie de charges sociales découlant du régime TNS (5), applicable à la gérance majoritaire, et dans le peu de coûts qu'elle implique en comparaison des sociétés par actions. L'inconvénient réside dans la réticence des partenaires financiers pour cette forme sociale, peu adaptée aux opérations de haut de bilan, atténuée, cependant, par la possibilité pour les SARL d'émettre des obligations nominatives (6).
En réalité, la plupart des holdings de reprise revêtent la forme de la SAS, en raison de la souplesse qu'elle permet en termes de gouvernance et d'organisation de la détention du capital. Les aménagements de transferts des titres peuvent, en effet, figurer dans les statuts, ce qui leur confère une opposabilité plus forte que celle permise par les pactes d'actionnaires. La SAS devrait connaître d'autant plus de succès que, depuis la loi de modernisation de l'économie (7), il n'existe plus d'obligation de capital minimum et le recours aux commissaires aux comptes n'est plus systématique. Toutefois, cette structure présente un inconvénient majeur : l'introduction en bourse lui est interdite. A terme, cette interdiction limite les possibilités de liquidité de l'investissement des investisseurs financiers qui solliciteront la transformation de la société en SA pour optimiser leur sortie. La forme de SA est, donc, préférée en fin de vie du LBO ou, encore, si les protagonistes de l'opération souhaitent un cadre légal de gouvernance, qui les rassurera sur la qualité de leurs relations tout au long du montage.
Le succès de l'opération dépend, donc, du soin apporté dans la détermination du montage, mais, en partie seulement, car la qualité de la négociation avec les managers, internes ou externes à la cible, est une autre condition de la réussite.
II - Le management package
Le montage LBO reposant sur l'investissement des managers à développer la cible et améliorer sa valorisation, les intervenants ont examiné les moyens destinés à s'assurer de leur motivation. Le "management package" négocié pour les dirigeants est aménagé, soit dans les statuts de la holding et, éventuellement, de la cible, soit dans un cadre contractuel défini dès le début de l'opération. Il s'agit de la "rémunération" au sens large de l'investissement des managers et des modalités selon lesquelles elle est perçue, mais, également, de la protection qui leur sera accordée et de toutes sortes d'avantages dont ils bénéficient au titre du deal.
La perception de rémunérations successives, dépendantes de l'atteinte d'objectifs financiers, organisée dans des clauses dites de ratchet, est une constante du package classique. Le recours, dans ce cadre, aux valeurs mobilières composées, plutôt qu'aux engagements contractuels -pour lesquels la question du traitement de l'inexécution suscite encore des interrogations (8)- est préféré. Dans ce mécanisme, le manager a acquis, lors de la reprise de la cible, des titres de la holding et, quelques fois, de sa fille, qui donnent, une fois exercés, accès à une part du capital, leur exercice étant subordonné à l'atteinte d'objectifs dans des périodes déterminées. L'attribution de valeurs mobilières complexes renforce la sécurité juridique du management, car une fois les objectifs atteints, l'exercice des titres, qui dépend uniquement du dirigeant, réalise automatiquement l'augmentation de capital et, partant, le versement de sa rémunération. A l'inverse, dans l'hypothèse où les objectifs ne sont pas atteints, les investisseurs financiers auront pris soin de négocier des clauses dites de reverse ratchet, qui permettent une relution de leur participation lors de leur sortie.
Afin de simplifier les relations entre le management et la holding, les dirigeants sont très souvent regroupés au sein d'une "société des cadres" (dite "manco" pour management company) qui détient une participation dans la holding de reprise (9), aux côtés des banques et des investisseurs financiers. Le recours à une telle société, si la forme adoptée est celle du capital variable, simplifie l'entrée et la sortie des anciens ou nouveaux dirigeants, qui s'effectuent, respectivement, par la reprise des apports ou par de nouveaux apports ; donc, par une simple modification du capital, soumise à aucun formalisme particulier. Une alternative à ce système consiste à conclure des put & call (promesses de vente et promesses d'achat des titres des managers) croisés, exerçables en cas de survenance du fait générateur. Le fait générateur est un événement qui a été qualifié comme tel par les parties, qui déclenche le droit d'exercer son put ou son call, dans le cadre des promesses, ou sa sortie, dans le cadre de la société à capital variable. Les conditions de sortie du manager se feront dans des conditions favorables ou non, selon qu'il est un good leaver (révocation sans juste motif, retraite, invalidité permanente...) ou un bad leaver (démission, révocation justifiée...) et selon qu'un vesting (10) est ou non mis en place.
III - Les problématiques fiscales
L'outil par excellence de l'effet de levier fiscal du LBO réside dans l'intégration fiscale permise, dès lors que la holding détient directement ou non (11) au moins 95 % de la cible et n'est pas elle-même détenue à hauteur d'un tel pourcentage par une autre société soumise à l'impôt sur les sociétés. Dans ce cas, seule la holding est soumise à cet impôt, puisque les résultats de sa fille sont pris en compte dans ses propres résultats. Autre avantage de ce système, il évite toute imposition sur les distributions de dividendes de la cible à la holding et contourne le problème de la déductibilité des intérêts d'emprunts et des frais d'acquisition rencontrés systématiquement, lorsque les résultats ne sont pas intégrés. En effet, une holding, dans le cadre d'un LBO, étant par nature toujours déficitaire, il n'existe pas de revenus imposables sur lesquels imputer les intérêts, lorsque les résultats de la cible ne sont pas intégrés.
Toutefois, même en intégration fiscale, la période comprise entre la date de consolidation et la clôture de l'exercice social de la cible reste délicate, puisque les charges de la holding, dites "intercalaires", ne peuvent être répercutées. L'article 223-I-6 d) du Code général des impôts (N° Lexbase : L3713IAR) pallie cet inconvénient dans un cas seulement, celui dans lequel la cible faisait déjà partie, avant l'acquisition, d'une intégration. Il n'y a, alors, aucune rupture d'intégration, dès lors que les exercices sociaux de la cible et de la holding de reprise coïncident.
Une deuxième problématique fiscale tient aux limites de la fusion entre la société cible et la société holding, lorsqu'elle intervient trop rapidement après l'acquisition. La tentation est, effectivement, forte de loger rapidement la dette au sein de la société cédée, qui voit sa trésorerie prélevée directement, et d'imputer les frais d'acquisition de la holding sur sa fille.
Si les avantages sont certains, les inconvénients le sont tout autant : la cible risque d'être "vampirisée" au détriment, notamment, de ses salariés. En outre, si la holding est l'absorbante, elle risque de perdre le report des éventuels déficits fiscaux dont elle bénéficiait, du fait du changement de son activité (passant de celle de la prise de participations à celle antérieurement exercée par la société cédée). La responsabilité des dirigeants ayant organisé la fusion peut, aussi, être engagée pour abus de biens sociaux, s'il est démontré que l'opération a été planifiée dans leur intérêt personnel, plutôt que dans celui de la cible. Enfin, l'administration fiscale, conformément à l'instruction fiscale du 3 août 2000 (N° Lexbase : X6075AAA), peut caractériser un abus de droit, si la fusion n'a pour autre objet que d'imputer fiscalement les frais d'acquisition sur les bénéfices de la cible (le risque étant, toutefois, mince, l'intégration fiscale présentant le même résultat). Elle peut, également, qualifier la fusion d'acte anormal de gestion, dans le cas où la fusion présente un déséquilibre, la société cible ne bénéficiant d'aucune contrepartie. Compte tenu des responsabilités qu'elle implique, il ne peut qu'être conseillé de justifier la fusion par des intérêts autres que fiscaux (intérêts économiques, politiques...), de prendre garde à son sens et, enfin, de laisser passer un délai d'environ deux ou trois ans avant de la réaliser. Plus efficacement encore, il peut être conseillé de préférer d'opter pour une intégration fiscale, qui présente sensiblement les mêmes avantages.
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