La lettre juridique n°328 du 27 novembre 2008

La lettre juridique - Édition n°328

Éditorial

"Erreur substantielle sur la femme mariée" : un mariage et deux annulations !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Que nos lecteurs nous pardonnent, si, à la manière d'un soap californien, l'arrêt de la cour d'appel de Douai rendu le 17 novembre dernier, après une médiatique décision de première instance des juges lillois rendue le 1er avril 2008 concernant l'annulation d'un mariage pour cause de non-virginité, s'inscrit dans la ligne de nos derniers éditoriaux. Tous les ingrédients sont, ainsi, présents afin d'éclairer cette telenovela, qui, comme toute production brésilienne du genre, aurait dû passer inaperçue, si le trio "sexe, mensonge et religion" n'avait pas fait une malheureuse apparition dans les prétoires. "Le lit est tout le mariage" écrivait Balzac dans sa Physiologie du mariage.

Il y a deux semaines nous avions éclairé un arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2008 qui, à l'encontre du vendeur d'une oeuvre d'art dont l'auteur ne s'avérait pas véritablement celui qu'il laissait entendre, avait retenu l'erreur substantielle sur la chose vendue (lire Le vice du consentement à l'heure de la doctrine "MacNamara"). La semaine dernière, nous revenions sur l'autonomie de la volonté en matière sociale (lire Doux rêve de l'autonomie de la volonté en matière sociale : principes taôistes et réalité tayloriste) au travers, notamment, d'un arrêt de la Haute juridiction du 29 octobre 2008 qui rappelait que, selon l'article L. 1243-1 du Code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure. Or, cette dernière demeure de l'appréciation souveraine des juges du fond, même lorsque le contrat de travail, en l'espèce de qualification, prévoit une clause de rupture d'un commun accord, sans versement d'indemnité d'aucune sorte, en cas de défaillance du salarié quant à la réussite d'un examen substantiel à la continuation de la relation salariale, défaillance qualifiée de "cas de force majeure" par les parties elles-mêmes.

L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Douai, sur lequel revient cette semaine Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, concerne, bien entendu, "l'annulation du mariage annulé" comme le veut la formule journalistique. Point n'est besoin de s'appesantir sur les faits, si ce n'est pour rappeler qu'en avril dernier, le TGI de Lille avait annulé un mariage "pour erreur sur les qualités essentielles" de la conjointe car celle-ci avait menti sur sa virginité. L'affaire avait fait grand bruit tant auprès des associations féministes que sur les bancs de l'Assemblée nationale, au point que le secrétaire d'Etat au droit des femmes avait déclaré dans un communiqué être "consternée de voir qu'aujourd'hui en France certaines dispositions du Code civil conduisent, par l'interprétation qui peut en être faite, à une régression du statut de la femme" et de contraindre le Garde des sceaux à un revirement d'opinion et à demander que le parquet fasse appel de la décision. Sitôt dit, sitôt fait... petite précision : l'annulation du mariage était requise par les deux époux.

Bien mal ont pensé les juges du fond en interprétant l'article 180 du Code civil, commandant la nullité du mariage, s'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, à la lumière de la jurisprudence "Berthon"... de 1868. Le procureur Lemaire aura eu beau jeu de préciser que le problème de la virginité "focalise un peu le débat [...], la question ce n'[était] pas la virginité, [c'était] la liaison qu'elle a eue avant et qui a été cachée [...] C'est le mensonge qui [a] motiv[é] la décision du juge", la formation collégiale de la cour d'appel aura donc eu tôt fait de rappeler que le mensonge prétendu de l'épouse portant "sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité [...] n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale". Et d'ajouter que "le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n'est pas un fondement valide pour l'annulation d'un mariage". N'en déplaise à Picasso, Dali et aux juges lillois, les femmes ne sont pas des oeuvres d'art relevant du concept juridique de "l'erreur substantielle sur la chose vendue" !

Ainsi donc, une qualité est essentielle lorsque son absence a une incidence sur la vie matrimoniale. N'entre pas dans cette catégorie la vie sentimentale des conjoints avant le mariage... Problème : dans un arrêt du 2 décembre 1997, la Cour de cassation concluait parfaitement l'inverse (Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 96-10.498) ! "Mais attendu que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le fait pour M. X d'avoir caché à son épouse qu'il avait contracté un premier mariage religieux et qu'il était divorcé, avait entraîné pour son conjoint une erreur sur des qualités essentielles de la personne ; qu'elle a souverainement estimé que cette circonstance était déterminante de son consentement pour Mme Y qui, désirant contracter un mariage religieux, entendait, par là même, épouser une personne non divorcée ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision". Certes, d'aucuns pourraient relever que le précédent mariage prohibait de facto un nouveau mariage religieux et entraînait donc "une incidence sur la vie matrimoniale". Mais, dans le cadre de l'affaire portée à la connaissance des magistrats de Douai, la virginité de la conjointe semblait être une condition du mariage pour le conjoint eu égard à ses convictions religieuses. "Quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi" ironisait Beaumarchais dans Le Mariage de Figaro. Qu'on le veuille ou non, la religion s'invite, à nouveau, dans l'enceinte des Palais de justice...

Finalement, à en croire Tolstoï, "le mariage, tel qu'il existe aujourd'hui, est le plus odieux de tous les mensonges, la forme suprême de l'égoïsme" (La Sonate à Kreutzer). Aussi point n'est besoin de tordre le cou à l'interprétation classique de l'article 180 du Code civil, l'ordre public suffit à exclure la virginité des conditions essentielles du mariage invocables. L'aptitude à avoir des relations sexuelles normales pourra ainsi continuer d'entraîner l'annulation du mariage, sans que cela ne dresse de fourches caudines ! A moins que l'on abandonne, en la matière comme en d'autres, tout service minimum (lire cette semaine, également, Yves Broussolle, sur le service minimum d'accueil) !

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La figure du salarié mis à disposition se précise

Réf. : Cass. soc., 13 novembre 2008, 3 arrêts, FS-P+B+R+I, n° 07-60.434 (N° Lexbase : A2478EBE) ; n° 07-60.465 et n° 07-60.469 à n° 07-60.472 (jonction) (N° Lexbase : A2479EBG) et n° 08-60.331 et 08-60.332 (jonction) (N° Lexbase : A2494EBY)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



Après quelques années de tâtonnements, la Cour de cassation a récemment décidé que, pour pouvoir être pris en compte dans l'effectif de l'entreprise d'accueil et y être électeurs, les salariés mis à disposition doivent être intégrés de manière étroite et permanente à la communauté de travail. Restait, encore, à préciser ce que recouvre cette dernière notion. C'est, peut-on dire, chose faite, par trois importants arrêts rendus le 13 novembre 2008 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui étaient annoncés et attendus. Ces arrêts présentent, en outre, l'intérêt de déterminer sur qui pèse la charge de la preuve en cas de contestation des listes électorales.


Résumé

Pourvoi n° 07-60.434 : l'employeur étant tenu d'établir la liste électorale, il lui appartient, en cas de contestation, de fournir les éléments nécessaires au contrôle de sa régularité.

Pourvois n° 07-60.434, n° 07-60.465 et n° 07-60.469 à n° 07-60.472 (jonction), n° 08-60.331 et n° 08-60.332 (jonction) : sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail, pour l'application des textes susvisés, les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure qui, abstraction faite du lien de subordination qui subsiste avec leur employeur, sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis une certaine durée, partageant, ainsi, des conditions de travail au moins en partie communes susceptibles de générer des intérêts communs.

Commentaire

I La Cour de cassation à la recherche de la communauté de travail

  • Présentation du problème

Au sein d'une même entreprise peuvent coexister deux catégories de salariés : ceux qu'elle a elle-même embauchés et ceux qui sont mis à sa disposition par des entreprises extérieures. Ce phénomène intéresse, au premier chef, mais pas uniquement, les "grandes entreprises". Cet état de fait a connu, ces dernières années, une accentuation notable en raison d'un développement certain de ce que l'on appelle l'externalisation. En vertu de ce processus, les entreprises concernées opèrent un recentrage sur leur coeur de métier en choisissant d'externaliser des activités jugées accessoires ou périphériques, telles que l'informatique, le gardiennage, la restauration, le nettoyage de locaux ou, encore, la maintenance.

En d'autres termes, au lieu d'affecter à ces tâches leurs propres salariés, ces entreprises concluent avec des entreprises extérieures des contrats commerciaux qui conduisent à ce que des salariés soient mis à leur disposition pour une durée plus ou moins longue. Toute la question est, alors, de savoir si ces salariés mis à disposition appartiennent à la communauté de travail de l'entreprise d'accueil ou s'ils en sont exclus (1). De manière plus précise, il s'agit principalement de déterminer si les salariés en question appartiennent à l'effectif de l'entreprise d'accueil et s'ils peuvent y être électeurs et éligibles.

Dans la mesure où ces salariés ne sont pas liés à l'entreprise utilisatrice par un contrat de travail, il pourrait être avancé qu'ils doivent être exclus de la communauté de travail de celle-ci. Un tel raisonnement, par trop juridique, ne saurait être accepté. En effet, et ainsi qu'il est relevé dans le communiqué accompagnant les arrêts rapportés, ces salariés "ont, néanmoins, des intérêts à défendre au sein de l'entreprise d'accueil dont ils dépendent pour les conditions d'exécution du travail, notamment, en ce qui concerne la durée du travail et l'hygiène et la sécurité".

  • Les tâtonnements jurisprudentiels

Eu égard au caractère, pour le moins lacunaire, des textes légaux (2), il est revenu à la Cour de cassation de déterminer ce que recouvre la notion de "salarié mis à disposition". A l'origine, la Chambre sociale considérait que devaient être inclus dans l'effectif de l'entreprise d'accueil les salariés placés "dans un état de subordination de fait en ce qui concerne l'organisation et les conditions de travail" (Cass. soc., 13 mars 1985, n° 84-60.731, Société Matra Manurhin Défense c/ USTM CGT du Haut-Rhin N° Lexbase : A3305AAN). Cette exigence d'un lien de subordination a été abandonnée dans un arrêt du 28 mars 2000 (Cass. soc., 28 mars 2000, n° 98-60.440, Syndicat SCE-CFDT Artois Val-de-Lys et autres c/ Syndicat CFTC société Stora Corbehem et autres N° Lexbase : A6306AGN).

Postérieurement, la Cour de cassation a considéré que seuls pouvaient entrer dans le calcul de l'effectif de la société utilisatrice les salariés détachés qui "participent au processus de travail de l'entreprise qui les occupe" (Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 00-60.252, FS-P+B N° Lexbase : A2728AXC). Elle a, ensuite, précisé la nature de cette participation en affirmant que "les salariés mis à disposition, pris en compte au prorata de leur temps de présence pour le calcul de l'effectif de l'entreprise pour les élections professionnelles, sont ceux qui participent aux activités nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice ; qu'il en résulte que cette participation n'est pas restreinte au seul métier de l'entreprise ou à la seule activité principale de celle-ci" (Cass. soc., 26 mai 2004, n° 03-60.125, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2483DCX et les obs. de A. Garat, Décompte des effectifs : la Cour de cassation exclut certains salariés mis à disposition !, Lexbase Hebdo n° 123 du 2 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1751ABH).

Une importante décision du Conseil constitutionnel, en date du 28 décembre 2006, allait conduire à une nouvelle évolution de la jurisprudence (Cons. const., décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social N° Lexbase : A1487DTA). Saisi d'un recours formé contre la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié (loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 N° Lexbase : L9268HTG), le Conseil a déclaré l'article 54 de ce texte contraire à la Constitution (3), en considérant que "le droit de participer par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu'à la gestion des entreprises a pour bénéficiaire, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés".

La Cour de cassation allait faire sien ce critère de l'"intégration étroite et permanente à la communauté de travail" dans deux arrêts rendus les 28 février 2007 et 1er avril 2008, tant à propos du calcul de l'effectif que de la détermination de la composition du corps électoral (Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171, Syndicat CGT Peugeot Citroën automobiles (PCA) établissement de Poissy, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4007DUX et Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.287, Syndicat CGT Hispano Suiza, FS-P+B N° Lexbase : A7751D79 et les obs. de S. Martin-Cuenot, Effectif et électorat des salariés mis à disposition : principe et conditions, Lexbase Hebdo n° 301 du 16 avril 2008 - édition sociale N° Lexbase : N7621BEY). On pouvait, cependant, légitimement penser que l'évolution jurisprudentielle n'était pas encore achevée. Il convenait, en effet, encore que la Chambre sociale précise les contours de la notion d'"intégration étroite et permanente à la communauté de travail". C'est, si l'on peut dire, chose faite avec les trois arrêts, rendus le 13 novembre 2008, qui se signalent, d'abord, par leur large publicité (PBRI).

II - La communauté de travail enfin délimitée ?

  • La notion d'"intégration étroite et permanente à la communauté de travail"

Les trois arrêts rapportés avaient pour origine un contentieux relatif à la régularité d'opérations électorales et, plus précisément, des litiges intéressant le sort des salariés mis à disposition. Dans un cas, la contestation portait sur la seule question de la détermination du corps électoral (pourvois n° 08-60.331 et n° 08-60.332) tandis que, dans les deux autres, elle concernait, à la fois, cette question et celle du calcul de l'effectif (pourvois n° 07-60.434, n° 07-60.465 et n° 07-60.469 à n° 07-60.472).

Le même motif de principe se retrouve dans les trois décisions : "sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail, pour l'application des textes susvisés, les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure qui, abstraction faite du lien de subordination qui subsiste avec leur employeur, sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis une certaine durée, partageant ainsi des conditions de travail au moins en partie communes susceptibles de générer des intérêts communs".

A s'en tenir aux deux arrêts de cassation les "textes visés" se trouvent être les articles L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q), L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) et L. 1111-2 du Code du travail. Il faut, par suite, comprendre, que la solution retenue vaut pour la prise en compte des salariés mis à disposition tant dans le calcul des effectifs que dans la détermination du corps électoral. Au-delà, on peut remarquer qu'en précisant ce que recouvre la notion d'"intégration étroite et permanente à la communauté de travail", la Cour de cassation propose en quelque sorte une synthèse des évolutions jurisprudentielles passées.

En premier lieu, il ne doit pas être tenu compte du fait que les salariés conservent un lien de subordination avec leur employeur, ce qui constitue un rappel de la solution retenue le 28 mars 2000. En second lieu, et ainsi que le précise le communiqué précité de la Cour de cassation, "au critère antérieur, tiré de la matérialité des tâches accomplies par le salarié détaché, est substitué un critère plus large, tiré de la comparaison de ses conditions de travail avec celles des salariés de l'entreprise utilisatrice". En d'autres termes, et à notre sens, peu importe que les salariés mis à disposition participent, ou pas, aux activités nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice, contrairement à ce qui avait été affirmé en 2001. Relevons, toutefois, que dans l'un des arrêts (pourvois n° 08-60.331 et n° 08-60.332) la Cour de cassation souligne que "peu importe que [les salariées] participent aux tâches nécessaires aux activités de l'entreprise et non aux tâches essentielles à cette activité". Cela mis à part, il nous semble qu'il n'y a plus lieu de tenir compte, désormais, des tâches accomplies par les salariés mis à disposition dans l'entreprise d'accueil. Ce qui compte, c'est leur situation personnelle et, plus précisément, le fait qu'ils partagent des conditions de travail, au moins en partie communes susceptibles de générer des intérêts communs.

Cette condition ne devrait pas être difficile à remplir. Il suffira de démontrer que les salariés mis à disposition ont en commun avec les salariés de l'entreprise d'accueil, ne serait-ce que pour partie, d'être soumis à des exigences similaires en terme d'horaires et de durée du travail ou, encore, d'hygiène et de sécurité. Ce qui ne manquera pas de "générer des intérêts communs".

Cela ne sera, toutefois, pas suffisant. Ainsi que l'exige, encore, la Cour de cassation, les salariés mis à disposition doivent être présents dans "les locaux de l'entreprise utilisatrice". Cette exigence exclut de la communauté de travail les salariés "ex situ", c'est-à-dire les salariés qui ne travaillent pas sur le site (4). C'est ce que tend à confirmer la censure opérée par la Cour de cassation dans l'un des arrêts sous examen (pourvoi n° 07-60.465). En l'espèce, les juges du fond avait énoncé que sont intégrés de façon étroite et permanente, "les salariés mis à disposition 'in situ' ou 'hors situ' par une entreprise extérieure lorsque l'entreprise d'accueil est responsable du processus d'ensemble auquel les salariés des entreprises extérieures concourent et que sa réalisation qui détermine les conditions de travail réelles résulte de son organisation, des cahiers des charges et des procédures de coordination instituées entre les diverses entreprises, sans qu'il y ait nécessairement un contrôle direct sur les travailleurs" (5). Cette argumentation est balayée par la Cour de cassation, qui considère que le tribunal a privé sa décision de base légale en se déterminant par des motifs inopérants.

Enfin, pour être pris en compte dans les effectifs et faire partie du corps électoral de l'entreprise d'accueil, les salariés mis à disposition doivent être présents dans ses locaux "depuis une certaine durée". On est, évidemment, tenté de reprocher à la Cour de cassation pareille approximation. Ce serait, toutefois, oublier, ainsi qu'elle le rappelle elle-même dans son communiqué, que les arrêts du 13 novembre 2008 portent sur des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) (6). Or, cette loi, qui témoigne, une nouvelle fois, de la volonté du législateur de contrecarrer les évolutions prétoriennes, a modifié le Code du travail afin de soumettre la prise en compte des salariés mis à disposition dans l'effectif et dans le corps électoral à une condition de présence dans l'entreprise d'accueil d'un an dans le premier cas et de douze mois continus dans le second (C. trav., art. L. 1111-2, L. 2314-18 N° Lexbase : L2624H93 et L. 2324-17 N° Lexbase : L9763H84) (7).

Cette dernière exigence est, à n'en point douter, de nature à atténuer les craintes de certains juristes d'entreprise, par ailleurs particulièrement critiques à l'égard de la jurisprudence de la Cour de cassation (8).

Remarquons que la Cour de cassation n'apporte pas véritablement de réponse au problème, soulevé par certains, de la distinction entre l'intégration étroite et permanente à la communauté de travail et le prêt de main-d'oeuvre illicite. A notre sens, il y a là deux questions différentes et l'on peut parfaitement être intégré à la communauté de travail au sens où l'entend, désormais, la Cour de cassation, sans se rendre coupable d'un prêt de main-d'oeuvre illicite, contrairement à ce qu'avaient pu décider les juges du fond dans l'un des arrêts commentés (pourvoi n° 07-60.434).

Pour conclure sur ce point, il importe de souligner que la Cour de cassation ne se prononce pas sur l'éligibilité des salariés mis à disposition. Toutefois, dans la mesure où l'électorat est la condition première de l'éligibilité, la solution retenue pour l'un doit valoir pour l'autre, sous réserve, évidemment, des restrictions apportées par la loi quant au bénéfice d'une telle éligibilité.

  • Précisions quant à la charge de la preuve

Bien que la loi ne comporte pas véritablement de précisions en ce sens, la Cour de cassation considère que c'est à l'employeur d'établir la liste électorale. Tout en rappelant cette règle dans l'un des arrêts commentés (n° 07-60.434), la Chambre sociale en déduit qu'il lui appartient, en cas de contestation, de fournir les éléments nécessaires au contrôle de sa régularité.

Partant, elle censure, au visa des articles L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q) et L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) du Code du travail et 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), la décision des juges du fond qui avaient retenu qu'il appartient au syndicat, qui a eu la liste des salariés des entreprises extérieures, d'établir que des salariés nominativement désignés remplissant la condition d'intégration étroite et permanente à la communauté de travail auraient été exclus, à tort, de l'électorat du comité d'établissement et des délégués du personnel. Selon la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors qu'il était constant qu'avaient été exclus de la liste électorale du comité d'établissement l'intégralité des salariés appartenant à des entreprises extérieures et un certain nombre d'entre eux de la liste électorale des délégués du personnel et qu'il appartenait à l'employeur de fournir les éléments nécessaires au contrôle de la régularité de ces listes, le tribunal qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés".

Cette solution nous paraît devoir être approuvée dans la mesure où c'est l'employeur qui détient les éléments nécessaires au contrôle de la régularité de la liste électorale.


(1) Ces salariés mis à disposition ne doivent pas être confondus avec les travailleurs intérimaires, bien que ces derniers soient, également, mis à disposition de l'entreprise utilisatrice par l'entreprise de travail temporaire.
(2) S'agissant du calcul de l'effectif, l'article L. 1111-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3822IB8) se contente de préciser que "les salariés mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis un an au moins [...] sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents". Quant aux textes relatifs à l'électorat et l'éligibilité, ils se bornent à exiger une condition d'ancienneté de douze mois pour le premier et de vingt-quatre mois pour la seconde (C. trav., art. L. 2314-18-1 N° Lexbase : L3815IBW et L. 2324-17-1 N° Lexbase : L2621H9X).
(3) Cette disposition avait pour effet d'exclure du calcul des effectifs d'une entreprise les salariés qui y travaillent en exécution d'un contrat de sous-traitance ou de prestation de service et de limiter aux seuls salariés liés à l'entreprise par un contrat de travail le corps électoral appelé à élire les délégués du personnel et les membres élu du comité d'entreprise.
(4) Ce faisant, la jurisprudence se met au diapason de la loi, l'article L. 1111-2 exigeant, depuis la loi du 20 août 2008, que les salariés soient présents "dans les locaux de l'entreprise et y travaillent depuis au moins un an".
(5) Ces mêmes juges du fond avaient décidé que sont intégrés de façon étroite et permanente, "les salariés dont l'activité est nécessaire au fonctionnement de l'entreprise [et] les salariés qui participent au même processus de travail". Pour un commentaire de ce jugement, v. E. Peskine, Dr. ouvrier, 2008, p. 73.
(6) Cette notion d'une "certaine durée" conservera une part certaine d'incertitude pour les litiges nés antérieurement à la loi du 20 août 2008.
(7) Sans doute faut-il distinguer l'ancienneté d'un an et celle de "douze mois continus"... L'approximation de la Cour de cassation s'avère, en fait, être de la prudence. Soulignons, en outre, que, à notre sens, rien n'empêche un protocole d'accord préélectoral et, plus généralement, une convention collective de réduire cette condition d'ancienneté.
(8) V., par ex., les propos de M. Th. Pichon, juriste responsable du groupe droit social chez Michelin, SSL n° 1349 du 14 avril 2008, p. 5.


Décisions

1° Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 07-60.434, Syndicat CGT PCA Poissy c/ Société Peugeot Citroën automobiles et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2478EBE)

Cassation sans renvoi de TI Saint-Germain-en-Laye, contentieux des élections professionnelles, 12 octobre 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q), L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) et L. 1111-2 (N° Lexbase : L3822IB8) ; C. civ., art. 1315 (N° Lexbase : L1426ABG)

Mots clefs : liste électorale ; contestation, charge de la preuve ; calcul de l'effectif ; électorat ; salariés mis à disposition ; définition.

Lien base :

2° Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 07-60.465 et n° 07-60.469 à n° 07-60.472 (jonction), Société Airbus France c/ Syndicat UFICT CGT Airbus Toulouse et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2479EBG)

Cassation de TI Toulouse, élections professionnelles, 19 novembre 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q), L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) et L. 1111-2 (N° Lexbase : L3822IB8)

Mots-clefs : calcul de l'effectif ; électorat ; salariés mis à disposition ; définition.

Lien base :

3° Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 08-60.331 et n° 08-60.332 (jonction), Société Endesa France c/ Syndicat CGT Endesa France et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2494EBY)

Rejet, TI Saint-Avold, contentieux des élections professionnelles, 27 février 2008

Textes concernés : C. trav., art. L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q), L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) et L. 1111-2 (N° Lexbase : L3822IB8)

Mots-clefs : calcul de l'effectif ; électorat ; salariés mis à disposition ; définition.

Lien base :

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Durée du travail

[Evénement] Temps de travail : texte d'équilibre ou ultime réforme ?

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N7640BHG

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) (1), s'inscrit dans une démarche volontairement pragmatique, dans la droite ligne de l'ensemble de mesures adoptées depuis une dizaine d'années, durant lesquelles, faut-il le rappeler, quelques 11 lois et 2 décrets ont été adoptés concernant le seul temps de travail. Des textes qui se sont succédé donc, sans, pour autant, simplifier l'imbroglio législatif ambiant, des règles qui se sont complexifiées à mesure de la multiplication des dispositions concernant un domaine, en lui-même, parfois obscur, le nouveau texte a donc comme volonté clairement établie de simplifier le droit de la durée du travail. Pas de véritable révolution, cependant, la durée légale du travail, en particulier, est maintenue à 35 heures hebdomadaires, mais une simplification des règles existantes, dans une volition plus générale d'adaptation constante du droit aux réalités sociales du moment. Aussi, au-delà des difficultés techniques, il conviendra de remarquer que le nouveau texte bouleverse la hiérarchie des normes existante.
Fort de ce contexte, les matinées-débats, organisées par la Lettre des Juristes d'Affaires, en partenariat avec Lamy social et les Cahiers Lamy du DRH, se sont proposées, le 17 novembre dernier, d'analyser les nouvelles règles en matière de durée du travail et le meilleur usage que pourront en faire les entreprises, autour de Jean-Denis Combrexelle, Directeur général du travail au ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité ; Maître Dominique Jourdan, avocat au cabinet Jacques Barthélémy & Associés ; Maître Sylvain Niel, avocat et directeur du département GRH du cabinet Fidal, Président du Cercle des DRH et Elizabeth Frichet-Thirion, sous-directrice de la négociation collective à la DRT (Direction des relations du travail) du ministère de l'Emploi. I Les grandes lignes de la réforme

Pour Jean-Denis Combrexelle, Directeur général du travail au ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, la nouvelle loi est, avant tout, un texte d'équilibre, s'articulant autour de trois axes qui ont gouverné tout le processus de réforme :

- le temps de travail est, d'abord, une question de santé au travail et il se doit, à ce titre, de respecter la Directive (CE) 93/104 du Conseil du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L7793AU8). Dans cette optique, en aucun cas et à aucun moment, le législateur n'a voulu s'attaquer aux garanties tenant à la santé des salariés, qui est, et reste, d'ordre public ;

- le temps de travail est, également, lié au pouvoir d'achat. Si l'expression souffre d'un certain effet de mode, il n'en reste pas moins que le législateur ne pouvait toucher à la durée légale du travail. Il est important de préciser, ici, que les 35 heures restent donc le seuil de déclenchement des heures supplémentaires ;

- le temps de travail est, enfin, une affaire d'organisation du travail dans l'entreprise. La question qui peut, alors, se poser est celle de savoir quelle est la norme la mieux adaptée. La loi ? L'accord de branche ? L'accord d'entreprise ? La réponse s'impose d'elle-même.

L'accord d'entreprise reste, sans aucun doute, le système le plus adapté. D'ailleurs, la loi du 20 août 2008 ne remet aucunement en cause ce principe, à l'accord d'entreprise, donc, de fixer les règles.

Il faut, cependant, ici, souligner la décision du Conseil constitutionnel du 7 août 2008 (2), qui n'est pas sans poser quelques problèmes d'interprétation. En effet, selon les Sages, on pourrait revenir sur les accords de branche par la voie contractuelle.

Passé cette difficulté, il faudra retenir la place particulière laissée à la négociation collective par la nouvelle loi. Comme le relève Jean-Denis Combrexelle, il y a là un problème de légitimité certain, dans la mesure où l'on "passe la main" aux partenaires sociaux. En effet, si, désormais, la loi se contente de fixer les grands principes et que les partenaires sociaux précisent la règle, le risque d'insécurité juridique s'intensifie.

II Les problèmes techniques posés par le nouveau texte

La difficulté majeure attenante à la loi du 20 août 2008 résiderait dans l'application des nouvelles dispositions par les entreprises et, en particulier, par les PME (3), tous les intervenants s'accordent, d'ailleurs, sur ce point. Retenons, parmi les principales difficultés techniques :

  • Le contingent d'heures supplémentaires (4)

Le contingent d'heures supplémentaires peut être déterminé par accord d'entreprise ou, à défaut, par accord de branche ; faute de quoi, il est établi, par décret, à 220 heures (5). Il faut, cependant, bien garder à l'esprit que le décret vient à titre supplétif et n'a pas vocation à compléter les accords, qu'ils soient d'entreprise ou de branche. Ce n'est donc pas un dispositif d'ordre public, comme le rappelle Elizabeth Frichet-Thirion, sous-directrice de la négociation collective à la DRT (Direction des relations du travail) du ministère de l'Emploi. Il suffit, pour s'en convaincre, de se référer à l'article L. 3121-11 du Code du travail (N° Lexbase : L3752IBL), selon lequel "une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel". Le pouvoir réglementaire ne peut donc, en aucun cas, corriger les lacunes de l'accord.

A noter, également, que l'autorisation administrative, concernant le dépassement, est supprimée : désormais, il suffit d'un avis du comité d'entreprise.

Dans l'ancien système, comme le relève Jean-Denis Combrexelle, existait un repos compensateur obligatoire, qui, dorénavant, ne subsiste plus. Il revient, ainsi, à l'accord collectif de déterminer les contreparties en repos. A ce titre, le Conseil constitutionnel a rétabli certaines modalités : le repos compensateur est de 50 % du temps de travail accompli en heures supplémentaires pour les entreprises de moins de 20 salariés et de 100 % pour celles employant plus de 20 salariés.

Selon Maître Dominique Jourdan, avocat au cabinet Jacques Barthélémy & Associés, deux problèmes peuvent, ici, être soulevés. Le premier, concernant l'insertion, dans les conventions de branche, des dispositions relatives au repos compensateur obligatoire, peut aisément être résolu par le renvoi aux articles L. 3121-26 et suivants du Code du travail . Cela posera, surtout, difficulté, lorsque l'on ne pourra pas se référer à une disposition légale (par exemple, le taux de ce repos n'a pas été prévu).

Le second problème est inhérent à la reconnaissance du principe de la primauté de l'accord d'entreprise. En effet, il convient, ici, de nuancer, certains textes conventionnels risquant de s'appliquer. C'est, par exemple, le cas des dispositions antérieures à la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (N° Lexbase : L1877DY8). Le Conseil constitutionnel a, cependant, rappelé, dans sa décision du 7 août 2008, la possibilité de négocier des accords d'entreprise, nonobstant l'existence de dispositions conventionnelles dans des accords de branche. Il est important de remarquer que l'on ne se trouve plus, ici, dans un système dérogatoire, l'accord d'entreprise devient, par cette décision, pleinement autonome. Retenons, enfin, que cette décision du Conseil constitutionnel ne concerne pas uniquement le contingent d'heures supplémentaires, elle s'applique, également, en matière d'aménagement du temps de travail.

  • Les conventions de forfait

Il y a deux types de forfait : ceux en heures sur la semaine ou sur le mois et ceux en heures ou en jours sur l'année.

Pour les premiers, un accord collectif est nécessaire. Pour les seconds, il convient, tout d'abord, de remarquer que les conventions de forfait en heures sur l'année sont valables pour les salariés cadres, mais, aussi, pour les salariés non-cadres. Dans cette hypothèse, il faut un accord collectif, que la convention soit sur une base horaire ou journalière. Si, pour les cadres, ces dispositions ne soulèvent pas de difficultés, elles peuvent, en revanche, poser problème aux salariés non-cadres, notamment, en matière de forfait-jours, dans la mesure où ceux-ci devront, alors, avoir une autonomie certaine dans l'organisation de leur travail.

A noter que, pour les cadres, en matière de forfait-jours, il peut y avoir plusieurs durées : la durée contractuelle qui ne peut excéder 218 jours ; cependant, l'accord collectif peut déterminer un nombre supérieur de jours, en respectant, logiquement, les dispositions relatives aux repos quotidien, hebdomadaire, aux jours fériés chômés dans l'entreprise et aux congés payés ; à défaut d'accord sur ce point, ce nombre maximal est fixé à 235 jours. Il convient, ici, de remarquer que c'est à 218 jours que se déclenchent les exonérations sociales et fiscales.

Il est important de rappeler que le salarié peut toujours renoncer à une partie de ses jours de repos, en contrepartie d'une majoration de son salaire. La renonciation reste annuelle. A la question de Maître Dominique Jourdan, se demandant si le comité d'entreprise, voire le CHSCT, doit être consulté, Elizabeth Frichet-Thirion répond par la négative, dans la mesure où il s'agit d'une renonciation individuelle du salarié. Quant au problème des reports, à savoir s'il continue d'être envisageable, la réponse est plus délicate. La loi reste muette, donc la réponse serait, a priori, négative ; ce point reste, cependant, à éclaircir. L'article L. 3121-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3952IBY) prévoit, simplement, que "le salarié qui le souhaite peut, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de son salaire". Selon Elizabeth Frichet-Thirion, à partir du moment où la décision appartient au salarié et qu'elle se fait sur la base d'un accord écrit, comment un accord pourrait-il remettre cette faculté en cause ?

Pour conclure sur ce point, il faut souligner le fait que, finalement, le schéma suivi, ici, est celui fixé par la Directive européenne de 1993, le problème étant que, si le salarié est autonome, comment l'employeur peut-il connaître avec précision le nombre d'heures effectuées ? Cette difficulté, si elle existait avant la loi du 20 août 2008, pose un problème évident de contrôle, les divers intervenants s'accordant à reconnaître la nécessité d'un contrôle a posteriori.

  • L'organisation pluri-hebdomadaire et le CET

Organisation pluri-hebdomadaire du travail et compte épargne-temps (CET) (6) ont, tous deux, modifié la hiérarchie des normes. Ils sont, en effet, déterminés par accord d'entreprise et, à défaut, par accord de branche.

Il s'agit, ici, de modifier les JRTT, le temps partiel modulé..., qui étaient devenus illisibles, notamment, au niveau de leur mode de décompte, et de les organiser, ou réorganiser, au plus près des réalités de l'entreprise, la répartition devant se faire sur l'année. Par ailleurs, toujours dans le même souci de lisibilité, les clauses minimales se trouvent simplifiées (voir, par exemple, le délai de prévenance, la limite pour le décompte des heures supplémentaires ou, encore, la comptabilité des heures supplémentaires sur la période considérée).

Si, selon Maître Dominique Jourdan, la simplification des modes d'organisation du temps de travail est certaine et ne saurait être remise en cause, il reste, cependant, certaines difficultés en suspens. Quid, en particulier, de la période transitoire ? Comment définir la semaine ? Quel est le devenir des décrets spéciaux ? Dans un système d'aménagement sur la semaine ou l'année, peut-on aller dans un système d'individualisation complète ? Le principe des horaires collectifs subsiste-t-il ?

Pour Elizabeth Frichet-Thirion, le calcul individualisé pour chaque salarié à l'année est un véritable "casse-tête", même si la loi est souple, l'article L. 3122-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3950IBW) disposant qu'"un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut définir les modalités d'aménagement du temps de travail et organiser la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l'année" et prévoyant un délai de prévenance. Si c'est dans l'intérêt de l'entreprise que d'avoir une programmation, le problème est que l'on ne se trouve pas dans des configurations où l'on peut demander à un salarié de modifier ses horaires.

Concernant le CET, le système était devenu illisible à la suite d'ajouts successifs, il fallait donc le simplifier et non le supprimer, car il reste un outil d'avenir. L'article L. 3151-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3788IBW), le définit, en effet, comme permettant "au salarié d'accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différé, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non prises ou des sommes qu'il y a affectées".

Une fois de plus, on laisse à l'accord d'entreprise une marge de manoeuvre renforcée. En effet, l'article L. 3152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3737IBZ), dispose, désormais, que le compte épargne-temps "peut être institué par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche". Le CET reste donc une possibilité pour le salarié, mais, également, un mode collectif de gestion pour l'entreprise.

III Les marges de manoeuvre laissées aux entreprises

Si la question qui se pose, ici, est simple, la réponse à y apporter est plus épineuse. Il s'agit, en effet, de se demander, avec Maître Sylvain Niel, avocat et directeur du département GRH du cabinet Fidal, Président du Cercle des DRH, s'il n'est pas impératif de revoir les accords 35 heures en période de récession ?

L'article L. 1233-62 du Code du travail (N° Lexbase : L1239H9R) dispose que le plan de sauvegarde de l'emploi prévoit des mesures de réduction ou d'aménagement du temps de travail, ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l'organisation du travail de l'entreprise est établie sur la base d'une durée collective manifestement supérieure à 35 heures hebdomadaires ou à 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée.

A la question de savoir si les accords d'entreprise sont renégociables, certaines entreprises ont tenté de répondre par la positive (voir, par exemple, la société Bosch, qui a racheté à ses salariés 6 JRTT sur les 20 initiaux). Quand on est dans une logique défensive, poursuit Maître Niel, c'est un sujet qu'il faut ouvrir, la question se posant, alors, de savoir quelles mécaniques utiliser. Selon lui, trois dispositifs sont à retenir : la dénonciation, la révision et les accords d'interprétation.

Concernant la révision, le problème à résoudre est celui de savoir si la révision doit uniquement porter sur la disposition faisant difficulté. En effet, si une dénonciation globale de l'accord est retenue, elle devra respecter les dispositions de la loi du 20 août 2008. Mais comment rendre divisible ce que la volonté initiale des parties avait voulu indivisible ?

La dénonciation constitue, selon Maître Niel, un outil dangereux. En témoigne un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 16 septembre dernier (7), par lequel la Haute juridiction affirmait implicitement qu'un accord de substitution était un accord autonome.

Enfin, concernant les accords d'interprétation, ils ne sauraient, selon Maître Niel, être soumis à la loi du 20 août 2008.

Pour conclure, si la loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail permet un assouplissement des modes d'organisation du temps du travail, il faut, cependant, garder à l'esprit la dimension du contrat de travail, que le salarié pourra toujours invoquer à l'appui d'une modification substantielle.

Par ailleurs, le nouveau texte en donnant davantage de pouvoir à la négociation, ces dispositions s'inscriront nécessairement dans le temps, dans la mesure où elles s'efforcent de rester au plus près des réalités sociales du moment.


(1) Voir notre édition spéciale "Réforme du temps de travail", Lexbase Hebdo n° 318 du 17 septembre 2008 - édition sociale.
(2) Cons. const., décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008, loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : A8775D9U) et les obs. de Ch. Radé, Commentaire de la décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008, loi portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : dispositions relatives à la durée du travail, Lexbase Hebdo n° 318 du 17 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1815BHP).
(3) En ce sens, lire Démocratie sociale et temps de travail : une nouvelle dynamique qui risque de s'avérer complexe à mettre en oeuvre dans les entreprises, Lexbase Hebdo n° 325 du 5 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6852BHA).
(4) Lire les obs. de S. Tournaux, Articles 18 et 19 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : les heures supplémentaires et les conventions de forfait, Lexbase Hebdo n° 318 du 17 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1808BHG).
(5) Décret n° 2008-1132 du 4 novembre 2008, relatif au contingent annuel d'heures supplémentaires et à l'aménagement du temps de travail et portant diverses mesures relatives au temps de travail (N° Lexbase : L7268IBS) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : premières précisions réglementaires, Lexbase Hebdo n° 327 du 19 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7527BHA).
(6) Voir les obs. de G. Auzero, Article 25 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : le compte épargne-temps, Lexbase Hebdo n° 318 du 17 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1812BHL).
(7) Voir, à ce titre, Cass. soc., 16 septembre 2008, n° 07-43.580, Société Doux Frais (établissement de Locminé), FS-D (N° Lexbase : A4093EAT).

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Les effets de l'ouverture d'une procédure collective sur l'acquisition de la clause résolutoire

Réf. : Cass. com., 28 octobre 2008, n° 07-17.662, M. Robert Marc, F-P+B (N° Lexbase : A0621EBM)

Lecture: 11 min

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Lorsqu'au jour de l'ouverture du redressement judiciaire du preneur, l'ordonnance de référé constatant l'acquisition de la clause résolutoire d'un bail commercial est frappée d'appel, l'acquisition de la clause résolutoire, pour défaut de paiement des loyers antérieurs à l'ouverture de la procédure soumise aux dispositions de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), n'a pas encore été constatée par une décision passée en force de chose jugée à cette date, de sorte que le bailleur ne peut plus poursuivre l'action antérieurement engagée, peu important à cet effet que l'ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 2008. Le bailleur d'un local commercial avait fait délivrer à son preneur le 9 mars 2006 un commandement visant la clause résolutoire. Par ordonnance du 16 août 2006, le juge des référés avait constaté la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dans le mois du commandement et avait ordonné l'expulsion de la société. Le locataire avait alors été mis en redressement judiciaire par jugement du 24 janvier 2007. La cour d'appel, statuant en matière de référé, a jugé que le bailleur était irrecevable à poursuivre son action tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire. Ce dernier s'est pourvu en cassation.

I - Sur la limitation des effets de la clause résolutoire en matière de bail commercial

La clause résolutoire, ou clause de résiliation, est une clause qui prévoit à l'avance qu'en cas d'inexécution par l'une des parties des obligations découlant du contrat dans lequel elle est stipulée, ce dernier sera résilié. Elle revêt un caractère d'automaticité en ce sens que, lorsque les conditions de son application sont remplies, le contrat est résilié de plein droit.

En raison de la radicalité de ces effets, l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII) réglemente sa mise en oeuvre dans le cadre des baux commerciaux. Cet article prévoit en effet, d'une part, que la clause prévoyant la résiliation de plein droit ne peut produire effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux, commandement qui doit mentionner, à peine de nullité, ce délai. Il offre, d'autre part, au juge saisi d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues aux articles 1244-1 (N° Lexbase : L1358ABW), 1244-2 (N° Lexbase : L1359ABX) et 1244-3 (N° Lexbase : L1360ABY) du Code civil, en accordant des délais, la faculté de suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation. L'article L. 145-41 du Code de commerce prévoit une limite à cette faculté judiciaire de suspendre les effets de la clause résolutoire : la résiliation ne doit pas avoir été constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis "l'autorité de la chose jugée".

Cette faculté d'ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire perturbe de manière importante l'automaticité de la clause résolutoire insérée dans un bail commercial. Si le juge reste tenu de constater la résiliation d'un bail commercial lorsque les conditions de sa mise en oeuvre sont remplies, sans pouvoir apprécier si la gravité du manquement justifie une telle sanction (Cass. civ. 3, 20 juillet 1989, n° 88-13.856, Société La Balette c/ Mme Medus N° Lexbase : A7818AGN), il lui est toujours possible de suspendre cette résiliation sous réserve que le preneur respecte les délais qui lui sont accordés pour remédier à ses manquements. Compte tenu de cette faculté, qui peut être exercée tant qu'une décision de justice ayant acquis, selon le terme visé à l'article L. 145-41 du Code de commerce, l'autorité de chose jugée, la résiliation ne devrait être acquise qu'en présence d'une décision de justice revêtant cette qualité.

Cette exception légale à l'automaticité des effets des clauses résolutoires emporte des conséquences juridiques importantes. Ainsi, depuis un arrêt du 22 mars 2006, la Cour de cassation décide que le bailleur qui demande en justice le constat de l'acquisition d'une clause résolutoire doit notifier sa demande en justice aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce exploité dans les locaux loués antérieurement au jour de cette demande, et non seulement aux créanciers inscrits au jour de l'acquisition de la clause résolutoire (Cass. civ. 3, 22 mars 2006, n° 04-16.747, Société Gelied c/ Société civile immobilière (SCI) Les Chênes rouges, FS-P+B+R N° Lexbase : A7948DNP, Rev. Loyers, 2006/868, n° 367, p. 276, note J. Prigent, D., 2006, p. 1044, obs. Y. Rouquet, Loyers et copr., 2006, comm. n° 105, obs. P. Pereira ; également en ce sens, Cass. civ. 3, 3 octobre 2007, n° 05-22.031, Société Distrifood, FS-P+B N° Lexbase : A6520DY7, Rev. Loyers, 2007/882). La résiliation du bail par l'effet d'une clause résolutoire a donc été analysée, au sens des dispositions de l'article L. 143-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5694AIQ), plus comme une résiliation judiciaire que comme une résiliation amiable. Dans son rapport annuel pour 2006, la Cour de cassation a, d'ailleurs, précisé que l'arrêt du 22 mars 2006 "marque un nouveau pas en avant en assimilant désormais la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire à la résiliation judiciaire. La solution ainsi dégagée, qui tire les conséquences du régime particulier de la mise en oeuvre de la clause résolutoire en matière de baux commerciaux, qui n'a plus rien d'amiable, permet de sauvegarder les intérêts des créanciers inscrits entre la date d'expiration du délai visé au commandement et la date de l'assignation ou de la demande reconventionnelle du bailleur".

Cette absence d'automaticité de la clause résolutoire par l'effet des dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce entraîne, également, des conséquences importantes lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte à l'égard du locataire et que la résiliation est poursuivie pour non paiement de loyers correspondant à une occupation antérieure à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective.

II - Sur la paralysie partielle des effets de la clause résolutoire en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'égard du preneur

Sous l'empire de dispositions applicables avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, il était régulièrement jugé que, si à la date du jugement d'ouverture, la résiliation en vertu d'une clause résolutoire pour non-paiement de loyers antérieurs à ce jugement n'était pas constatée par une décision ayant "force de chose jugée", la résiliation ne pouvait plus être poursuivie (voir, notamment, Cass. com., 12 juin 1990, n° 88-19.808, M. Weber, ès qualités de représentant des créanciers au redressement c/ Epoux Moissette et autre N° Lexbase : A4395ACR ; Cass. civ. 3, 13 mai 1992, n° 90-18.399, Mme Chèze c/ Country club de Bièvres-les-Jonnières et autres N° Lexbase : A7914AG9 ; Cass. com., 23 novembre 2004, n° 03-16.196, M. Daniel Capraro c/ Société Bureau de mobilisation de créances et d'investissement (BMCI), FS-P+B N° Lexbase : A0386DEZ ; Cass. civ. 3, 9 janvier 2008, n° 06-21.499, FS-P+B N° Lexbase : A2696D3A).

Ces décisions se fondaient sur la règle de l'interruption et de la suspension des poursuites entraînées par l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. L'article L. 621-40, I, 2°, du Code de commerce (N° Lexbase : L6892AI4), alors applicable, disposait, en effet, que "le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant [...] à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent". L'article L. 621-29 du Code de commerce (N° Lexbase : L6881AIP) disposait, également, que "à compter du jugement d'ouverture, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou la résiliation de plein droit du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise pour défaut de paiement des loyers et des charges afférents à une occupation postérieure audit jugement". A contrario, ce dernier article pouvait être interprété comme faisant obstacle à la demande de constat de l'acquisition de la clause résolutoire pour un défaut de paiement de loyers et charges afférents à une occupation antérieure au jugement d'ouverture.

La combinaison de ces textes (qui empêchent le créancier de poursuivre une action en résiliation du bail pour non-paiement des loyers antérieurs au jugement d'ouverture) avec les dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce (qui subordonnent implicitement la résiliation du bail à une décision de justice ayant "acquis autorité de la chose jugée" puisque jusqu'à la survenance d'une telle décision, la suspension des effets de la clause peut être ordonnée) interdit que soit poursuivie en justice, postérieurement au jugement d'ouverture, le constat de l'acquisition de la clause résolutoire pour non-paiement de loyers antérieurs à ce jugement, même si la clause résolutoire devrait être réputée avoir "consommé" ses effets antérieurement.

Il ne faisait guère de doute que sous l'empire des règles issues de la loi la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, applicables aux procédures ouvertes à compter du 1er janvier 2006, la solution serait reconduite, ce que confirme l'arrêt rapporté. En effet, le nouvel article L. 622-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L3741HB8) dispose, de manière analogue à celle de l'ancien article L. 621-40 du même code, que "le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant [...] à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent". L'article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3876HB8) vise les "créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période". L'interruption et la suspension des poursuites ont donc toujours vocation à s'appliquer aux loyers correspondant à une période d'occupation antérieure au jugement d'ouverture. Le nouvel article L. 622-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L3873HB3), applicable en présence d'une procédure de sauvegarde ou de redressement, contient des dispositions similaires à celles de l'ancien article L. 621-29 de ce code puisqu'il précise que "la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et affectés à l'activité de l'entreprise est constatée ou prononcée [...] lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d'ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu'au terme d'un délai de trois mois à compter dudit jugement".

La cour d'appel de Paris a eu l'occasion de juger, sous l'empire des nouvelles dispositions, qu'à défaut d'ordonnance ayant acquis force de juge jugée avant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire constatant l'acquisition de la clause résolutoire, la résiliation du bail ne peut plus être poursuivie pour des loyers antérieurs (CA Paris, 14ème ch., sect. B, 17 novembre 2006, n° 05/24650, M. Mohamed Laghloula exerçant sous l'enseigne L'ami du bon pain c/ M. Rivière N° Lexbase : A2013DTQ ; CA Paris, 14ème, sect. B, 13 octobre 2006, n° 06/03503, SARL Maubeuge Press et autres c/ M. Richard Muller N° Lexbase : A4658DSC).

L'arrêt rapporté, rendu dans une espèce où la procédure de redressement avait été ouverte postérieurement au 31 décembre 2005 et dans laquelle la Cour de cassation a expressément relevé l'application des nouvelles dispositions, confirme le maintien de la solution dégagée sous l'empire des anciens textes.

III - Sur la notion de décision "passée en force jugée"

Cet arrêt est également intéressant en ce que la Cour de cassation précise que le bailleur ne peut plus poursuivre l'action antérieurement engagée, dans la mesure où à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l'ordonnance de référé constatant l'acquisition de la clause résolutoire avait été frappée d'appel et qu'en conséquence, la décision n'était pas passée "en force de chose jugée, peut important à cet effet que l'ordonnance de référé soit exécutoire à titre provisoire".

A cet égard, il doit tout d'abord être relevé que, si l'article L. 145-41 du Code de commerce donne la possibilité au juge de suspendre les effets de la clause résolutoire lorsque la résiliation n'a pas été constatée par une décision ayant acquis "l'autorité de la chose jugée", la Cour de cassation se réfère toujours à la notion de "force chose jugée". Elle a ainsi précisé que le locataire peut demander des délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire tant que la résiliation du bail n'est pas constatée par une décision "passée en force de chose jugée" (Cass. civ. 3, 26 juin 1991, n° 90-11.948, Etablissements économiques du Casino c/ M. Pommier et autre N° Lexbase : A9623ATL ; Cass. civ. 3, 11 juin 1997, n° 94-21.056, Société SPIA c/ Société coopérative ouvrière de production Théâtre de la Danse N° Lexbase : A0129ACR). Les arrêts relatifs à l'impossibilité de poursuivre le constat de l'acquisition d'une clause résolutoire après l'ouverture d'une procédure collective, y compris celui commenté, visent également les décisions ayant "force de chose jugée".

Les deux notions sont pourtant différentes : un jugement a "autorité de la chose jugée" relativement à la contestation tranchée dès son prononcé (C. proc. civ., art. 480 N° Lexbase : L2720AD4 ; sur la question de l'autorité de chose jugée des ordonnances de référé constatant l'acquisition d'une clause résolutoire, voir Cass. civ. 3, 15 octobre 2008, n° 07-16.725, FS-P+B N° Lexbase : A8054EAK, et nos obs, in La chronique des baux commerciaux de Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 324 du 30 octobre 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N4986BH7), tandis qu'il a "force de chose jugée" s'il n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution ou, s'il est susceptible d'un tel recours, à l'expiration du délai de recours si ce dernier n'a pas été exercé dans les délais (C. proc. civ., art. 500 N° Lexbase : L2744ADY).

Or, et c'était le sens semble-t-il du pourvoi dans l'arrêt commenté, l'ordonnance de référé est en principe exécutoire à titre provisoire (C. proc. civ., art. 489 N° Lexbase : L2729ADG) et l'appel n'a pas d'effet suspensif sur une telle décision. En conséquence, il pouvait être soutenu que l'ordonnance de référé a force de chose jugée dès son prononcé, de sorte que la survenance postérieure d'une procédure collective ne ferait pas obstacle à la poursuite du constat de la résiliation. Cependant, même pour les ordonnances de référés, la Cour de cassation avait déjà précisé qu'elles n'acquièrent force de chose jugée qu'à la condition de ne pas avoir fait l'objet d'un recours dans les délais (voir, en ce sens, Cass. com., 11 janvier 1994, n° 92-11.288, Société Armagnac Loisirs et autre c/ Société Eurobail Sicomi et autre N° Lexbase : A6782ABS) et que tant que dure l'instance d'appel, elles n'acquièrent pas cette qualité (Cass. civ. 3, 9 janvier 2008, n° 06-21.499, FS-P+B N° Lexbase : A2696D3A), ce que rappelle l'arrêt du 28 octobre 2008.

La Cour de cassation semble ainsi retenir une approche "mécanique" de la notion de "recours suspensif d'exécution". Constituerait, selon cette approche, une telle voie de recours celle qualifiée de telle, peu important si compte tenu de la nature de la décision rendue (ordonnance de référé), elle n'entraîne pas la suspension de l'exécution. En effet, l'appel est une voie de recours ordinaire (C. proc. civ., art. 527 N° Lexbase : L1788ADL) et le délai de recours par une voie ordinaire "suspend" l'exécution du jugement, le délai de recours exercé dans ce délai étant également suspensif article 539 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2790ADP).

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Famille et personnes

[Jurisprudence] En mariage trompe qui peut...

Réf. : CA Douai, 17 novembre 2008, n° 08/03786, Procureur général c/ M. C. (N° Lexbase : A3937EBG)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

On se souvient que la décision du tribunal de grande instance de Lille annulant un mariage à la demande d'un mari trompé sur la virginité de son épouse avait provoqué de nombreux commentaires (1) et une polémique révélatrice de la manipulation médiatique dont peut faire l'objet une décision de justice (TGI Lille, 1er avril 2008, n° RG 07/08458, M. C. c/ Mme H. épouse C. N° Lexbase : A4262D9Q). On avait même pu dire ou écrire que cette décision constituait un retour au Moyen Age en ce qu'elle permettait d'ériger la virginité en condition du mariage, ou encore qu'elle favorisait l'influence sur le droit de la famille des intégrismes religieux. Les magistrats de la cour d'appel de Douai dans leur décision du 17 novembre 2008 ont, sans doute, au moins aux yeux des pourfendeurs de la décision de première instance, fait triompher la modernité et l'égalité des sexes en privant de tout effet le mensonge de l'épouse sur sa virginité. En l'espèce, l'épouse avait sciemment induit son mari en erreur à propos de sa virginité, dont elle savait pourtant qu'elle constituait un élément déterminant du consentement de celui-ci au mariage. Ni le défaut de virginité, ni son importance pour le mari ne faisaient de doute puisqu'ils étaient l'un et l'autre reconnus par la femme qui par ailleurs s'était associée à la demande d'annulation. Après avoir clairement affirmé que la question de savoir si le mensonge sur la virginité pouvait constituer une qualité essentielle de la personne dans le cadre de l'annulation d'un mariage (I), la cour d'appel de Douai répond clairement que la virginité n'est pas une qualité essentielle en ce que son absence n'avait pas d'incidence sur la vie matrimoniale (II). I - La détermination des qualités essentielles relève de l'ordre public

C'est sur le terrain de la recevabilité de l'appel du ministère public à l'encontre du jugement d'annulation du mariage que la cour d'appel se place pour affirmer que la détermination des qualités essentielles des époux relève de l'ordre public. Elle considère, dans un premier temps, que l'action en annulation et le jugement rendu sont susceptibles de mettre en jeu les principes de respect de la vie privée, de liberté du mariage, de prohibition de toute discrimination entre les hommes et les femmes, relèvent du droit des personnes, dont les parties n'ont pas la libre disposition, et de l'ordre public. Elle ajoute, de manière particulièrement nette, que "l'appréciation des qualités essentielles au sens de l'article 180, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1359HI8) relève également du contrôle de l'ordre public dès lors qu'elle ne peut être laissée à la libre disposition des parties", que celles-ci soient comme en l'espèce, ou non, d'accord pour demander l'annulation du mariage.

Ce faisant la cour d'appel prend le contrepied de la décision du tribunal de grande instance de Lille qui avait considéré que dès lors que pour l'époux la virginité de sa femme était une qualité essentielle et déterminante de son consentement et que celle-ci le savait, une erreur sur cette qualité entraînait la nullité du mariage. Cette solution semblait s'inscrire dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait notamment admis l'annulation d'un mariage en raison d'une erreur sur la qualité de divorcée de l'épouse, cachée à l'époux pour qui cet élément était déterminant au regard de son consentement au mariage (2).

Un tel raisonnement impliquait certes que l'on procède à une analyse concrète et subjective de la qualité essentielle de la personne, ce qui revenait à permettre de subordonner le mariage à des qualités ou caractéristiques personnelles que l'on peut, objectivement, trouver discutables. Il était, cependant, entendu que ces qualités étaient déterminées selon les convictions particulières de l'époux induit en erreur. Sans doute cela peut-il aboutir à des résultats pouvant être jugés excessifs mais dont il ne faut pas oublier qu'ils ne s'appliquent qu'à la situation particulière qui les a provoqués.

La cour d'appel considère, au contraire, que le juge, au nom d'une sorte d'ordre public matrimonial négatif, peut exclure certaines qualités des époux, des qualités essentielles de l'article 180, alinéa 2, du Code civil parce qu'elles sont contraires à des principes essentiels de dignité ou d'égalité. Ce faisant elle poursuit une démarche entreprise il y a longtemps par la Cour de cassation qui admet que le juge contrôle la qualification de telle ou telle caractéristique personnelle en qualité essentielle dans le cadre de l'annulation pour erreur du mariage.

Pareille démarche paraît, cependant, quelque peu hasardeuse particulièrement parce qu'elle passe par une définition de l'ordre public matrimonial qui n'emporte pas, pour le moins, de consensus (3). Surtout, interdire aux époux de faire de la virginité ou de toute autre caractéristique personnelle une qualité essentielle du mariage ne risque-t-il pas de porter atteinte à leur liberté matrimoniale laquelle implique qu'ils épousent la personne de leur choix, en connaissance de cause ? Tel est précisément l'objectif poursuivi par l'article 180 du Code civil et l'annulation pour erreur sur les qualités essentielle.

Plutôt que d'exclure, au nom de l'ordre public, certaines qualités pourtant déterminantes pour nombre d'époux, du champ de l'article 180 du Code civil, ne serait-il pas préférable d'entourer le consentement au mariage de garanties pour s'assurer qu'il est totalement libre -comme se sont attachées à le faire plusieurs lois récentes dont la loi du 4 avril 2006 qui a, dans ce but, abaissé l'âge du mariage pour les femmes (4)-, y compris en ce qu'il porte sur des aspects touchant à l'intimité de la personne des époux ? L'exigence de virginité de la mariée relève évidemment de l'intimité de celle-ci, mais qu'elle peut décider de partager avec son mari. L'annulation du mariage pour mensonge sur la virginité ne porte pas atteinte à la liberté de l'épouse d'avoir ou de ne pas avoir des relations sexuelles avant le mariage, dès lors qu'elle accepte que sa virginité soit une qualité essentielle pour son mari. Encore faut-il qu'elle le fasse volontairement et c'est sans doute là que porte réellement le débat. Le rôle du droit est moins de décider abstraitement quelles sont les convictions morales ou religieuses qui méritent sa protection que de protéger effectivement le respect de celles-ci.

Dès lors que la détermination des qualités essentielles était considérée comme relevant de l'ordre public, le juge pouvait difficilement admettre que la virginité constituait une qualité essentielle de l'épouse...

II - La virginité n'est pas une qualité essentielle de la personne

Reliant habilement la virginité à la vie sexuelle passée de l'épouse, la cour d'appel affirme sans ambages qu'elle ne saurait constituer une qualité essentielle de la personne visée par, l'article 180, alinéa 2, du Code civil "en ce que son absence n'a pas d'incidence sur la vie matrimoniale".

Ce faisant la cour d'appel de Douai reprend un raisonnement qui semble se dégager de certaines décisions antérieures. Seules les qualités dont l'absence empêcherait la poursuite de la vie commune des époux pourraient entraîner la nullité pour erreur sur les qualités essentielles (5). Il en va notamment ainsi de l'impuissance du mari ou de l'altération des facultés mentales de l'un des époux. La virginité ne fait pas partie, selon la décision du 17 novembre 2008, de cette catégorie de qualités essentielles. En conséquence, un mensonge sur son existence, qui revient finalement selon les juges de Douai, à un mensonge sur son passé sentimental ne saurait entraîner l'annulation du mariage pour erreur.

La Cour de cassation avait déjà, dans le même sens, approuvé le refus d'annulation d'un mariage à la demande de la femme qui avait découvert, le soir de son mariage, que son mari avait entretenu une liaison avec une femme mariée (6). Cette analyse repose sur une conception on ne peut plus objective du mariage et des qualités essentielles que l'on est en droit d'attendre d'un époux. Elle ne tient pas du tout compte des convictions morales et religieuses qui pourraient animer ces derniers et constituer pour eux un élément déterminant de leur consentement. La cour d'appel affiche une volonté très nette d'empêcher les époux de donner au mariage une connotation morale ou religieuse et a fortiori de le soumettre à des règles qui pourraient être considérées comme contraires aux droits et libertés fondamentales.

Dès lors, comme l'affirme expressément la cour d'appel de Douai, que le mensonge sur une qualité non essentielle de la personne n'est pas une cause de nullité du mariage, le fait pour l'épouse d'avoir trompé son mari sur sa virginité ne peut fonder une annulation, tout au plus pourra-t-il constituer une faute cause de divorce. Les époux pourront toutefois et sans délai engager une procédure de divorce par consentement mutuel pour retrouver leur liberté.

Quoiqu'il en soit, le retour en force assez surprenant de l'ordre public matrimonial dans un domaine dans lequel la volonté individuelle est plutôt à l'honneur, appelle une confirmation et il serait souhaitable que la Cour de cassation, à la demande de l'un des époux, se prononce sur la question. Il en va, une fois encore, de la définition du mariage...


(1) F. Dekeuwer-Defossez, Les sept voiles de la mariée, RJPF, 2008, p. 8 ; V. Larribeau-Terneyre, Autour d'une certaine qualité essentielle en mariage... beaucoup de bruit déjà pour une affaire à suivre, Dr. fam., 2008, comm. n° 98 ; P. Labbée, La mariée n'était pas vierge, D., 2008, p. 1389 ; J. Hauser, 146 ans après, la vengeance ratée de Mme Berthon : nullité pour erreur sur les qualités essentielle, RTDCiv., 2008, p. 455 ; J.-J. Lemouland et D. Vigneau, D., 2008, pan., p. 1788 ; C. Potier, Sexe, mensonge et ... annulation : pour le droit au mensonge sur sa vie intime, RJPF, 2008, p. 29.
(2) Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 96-10.498, M. Noël X c/ Mme Bernadette Y, inédit (N° Lexbase : A5095CLB), Dr. fam., 1998, comm. n° 35, note H. Lecuyer ; RTDCiv., 1998, p. 659, obs. J. Hauser ; Defrénois, 1998, p. 1017, obs. J. Massip.
(3) Sur la nécessité de "construire une image sociologique des qualités essentielles", J. Hauser et D. Huet-Weiller, Traité de droit civil - La famille, T. 1, LGDJ, 1993, n° 260.
(4) Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (N° Lexbase : L9766HH8).
(5) TGI Avranches, 10 juillet 1973, D., 1973 p. 174, obs. Guhio, à propos de l'erreur sur l'aptitude sexuelle ; J. Hauser et D. Huet-Weiller, op. cit., n° 260.
(6) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 02-21.259, Mme Nathalie Brami c/ M. Philippe Tordjman, FS-P+B (N° Lexbase : A0334DMC), D., 2006, p. 1417, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau, AJFamille, 2006, p. 75, obs. F. Chénédé ; RTDCiv., 2006, p. 285, obs. J. Hauser.

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Procédures fiscales

[Jurisprudence] Le contribuable "hors la procédure d'imposition" : l'opposition au contrôle fiscal libère l'administration de son obligation d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements qu'elle a recueillis auprès de tiers

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 octobre 2008, n° 299933, n° 299934 et n° 299935, M. de Caigny et a. (N° Lexbase : A7093EAX)

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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille

Le 07 Octobre 2010

L'obligation d'information du contribuable imposée par la jurisprudence lorsque l'administration fonde ses redressements sur des renseignements obtenus de tiers s'impose-t-elle, aussi, en cas d'évaluation d'office faisant suite à une opposition à contrôle fiscal ? Telle était la question à laquelle devait répondre le Conseil d'Etat dans les trois pourvois en cassation dont l'avaient saisi les trois gérants d'une société spécialisée dans le commerce de boissons, pourvois qui ont donné lieu à la décision du 6 octobre 2008 (CE 3° et 8° s-s-r., 6 octobre 2008, n° 299933, n° 299934 et n° 299935, M. de Caigny et autres, à paraître à la RJF 12/08 n° 1363, concl. Mme N. Escaut à paraître au BDCF 12/08 n° 155). Dans cette décision, le Conseil d'Etat considère qu'en s'opposant au contrôle fiscal, le contribuable s'est lui-même "placé en dehors des règles applicables à la procédure d'imposition" et des garanties propres à cette procédure, qu'elle soit contradictoire ou d'office, et "notamment de celle tenant à l'obligation qui pèse sur le service d'informer l'intéressé de la teneur et de l'origine des renseignements qu'il a pu recueillir par l'exercice de son droit de communication ou qu'il a utilisés pour arrêter les bases de l'imposition". De manière remarquable même si elle est implicite, le Conseil d'Etat semble ainsi estimer que la procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal n'est pas véritablement une procédure d'imposition mais marque au contraire l'échec, en raison du comportement du contribuable, d'une telle procédure. Le contribuable qui s'oppose au contrôle fiscal est ainsi regardé comme s'étant placé hors la procédure d'imposition et c'est pourquoi l'exclusion de l'obligation d'information du contribuable sur les renseignements recueillis par l'administration résulte, selon la décision du 6 octobre 2008, de la nature même de l'opposition au contrôle fiscal manifestée par ce dernier. 1. Si l'administration fiscale a, en principe, l'obligation d'informer le contribuable sur l'origine et la teneur des renseignements qu'elle a recueillis auprès de tiers...

1.1. L'administration a, en principe, l'obligation d'informer le contribuable des renseignements qu'elle a recueillis dans l'exercice de son droit de communication ou qu'elle a utilisés pour arrêter les bases de l'imposition, sous peine d'irrégularité de la procédure

Lorsque l'administration utilise des renseignements qu'elle a recueillis auprès de tiers pour établir ou rectifier une imposition, elle doit informer le contribuable de l'origine et de la teneur de ces renseignements, afin qu'il puisse demander la communication des pièces en cause, avant la mise en recouvrement. Ces règles, d'abord dégagées par la jurisprudence, ont été ensuite codifiées à l'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) par l'article 27 de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 (N° Lexbase : L4620HDH). L'obligation qui pèse ainsi sur l'administration trouve le plus souvent à s'appliquer lorsque celle-ci a obtenu des documents ou des renseignements dans l'exercice de son droit de communication, mais elle ne se limite pas à ce cas et vise l'ensemble des renseignements et documents obtenus auprès de tiers (par exemple, renseignements obtenus dans le cadre de la vérification de comptabilité d'un tiers : CAA Paris, 2ème ch., 15 décembre 2004 n° 01PA03912, Société Tessier One N° Lexbase : A1148DID, RJF, 07/05 n° 737 ; ou encore, renseignements recueillis à l'occasion d'une réclamation déposée par un tiers : CAA Lyon, 13 décembre 2001, 2ème ch., n° 01LY00578, M. Jean Philippe Lemaire N° Lexbase : A7648A4Z, RJF, 07/02, n° 823, concl. A. Bonnet, Dr. Fisc., 30-35/02, n° 645). Précisons que l'administration n'est pas tenue de communiquer spontanément les documents invoqués. C'est au contribuable d'en demander la communication (CE, 10 juillet 1996, n° 160164, Minefi c/ M. Jacob N° Lexbase : A0428APK, RJF, 10/96, n° 1176).

L'article 76 B du LPF met ainsi à la charge de l'administration la double obligation d'informer le contribuable sur la teneur et l'origine des renseignements et documents obtenus auprès de tiers et utilisés dans le cadre d'une procédure de rectification, d'une part, et de lui communiquer, sur demande, lesdits documents avant la mise en recouvrement des impositions, d'autre part. L'instruction 13 L-6-06 adoptée le 21 septembre 2006 (N° Lexbase : X7347ADH) pour l'application de ces nouvelles dispositions impose aux services une règle stricte et claire en précisant que le non-respect de cette obligation constitue une erreur substantielle (§ 2) et donne une interprétation large de l'obligation en matière d'origine, interprétée comme étant "les conditions de leur obtention", ce qui impose au service de porter à la connaissance du contribuable : "La procédure ayant permis de les obtenir (droit de communication, procédure de visite et de saisie, questionnement...) ; l'identité du tiers auprès duquel cette procédure a été diligentée (autorité fiscale étrangère, autorité judiciaire, entreprise) ; la nature du document, c'est-à-dire le support de l'information (document administratif, procès-verbal, facture, contrat)" (§ 9).

Soulignons, enfin, que le défaut de respect de cette obligation d'information, comme de l'obligation de communication des éléments en cause lorsque le contribuable le demande, entraîne l'irrégularité de la procédure d'imposition et la décharge des impositions fondées sur l'utilisation de ces renseignements et documents (voir, par exemple : CE, 10 juin 1998, n° 168322, Minefi c/ SARL "Le Sansa's" N° Lexbase : A7339ASM ; CE, 13 octobre 1999, n° 181010 et n° 181209, Minefi c/ Blanc N° Lexbase : A5023AXC ; CE, 16 novembre 2005, n° 270342, Minefi c/ SARL Manufacture française des chaussures Eram N° Lexbase : A6328DLX, et toute la jurisprudence à l'exception des quatre décisions indiquant que la mention de l'origine ne constitue pas une formalité substantielle).

1.2. Cette obligation est destinée à garantir les droits de la défense et la loyauté du débat fiscal

Au stade du redressement, l'administration ne peut échapper au principe général des droits de la défense. Ce principe, dégagé depuis longtemps dans le cadre du contentieux général, exige que tout un chacun soit mis à même de présenter ses observations avant qu'une décision prise en considération de sa personne et présentant une certaine gravité ne soit prise. La jurisprudence lui a récemment donné une extension nouvelle, en jugeant qu'il était applicable lorsque la mesure envisagée reposait sur l'appréciation d'une situation individuelle et alors même que la décision était fondée sur des éléments de caractère purement objectif, dès lors que l'administration remettait en cause les éléments déclarés par l'administré (CE, 7 décembre 2001, n° 206145, SA Ferme de Rumont N° Lexbase : A7331AXS, RJF, 2/02, n° 180, chronique J. Maïa, RJF, 4/02, p. 287, concl. F. Séners, BDCF, 2/02, n° 24, Lebon p. 638). En matière fiscale, cette jurisprudence a été appliquée à la taxe professionnelle, d'abord (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2002, n° 219840, Simoens N° Lexbase : A8663AYI, RJF, 8-9/02, n° 934, chronique L. Olléon, RJF, 12/02, p. 951, concl. J. Courtial, BDCF, 8-9/02, n° 113) et à la taxe foncière, ensuite, du moins en tant que la loi impose, pour cet impôt, non déclaratif dans son principe, certaines obligations de déclaration (CE, 29 juin 2005, n° 271893, Minefi c/ Société Sud-Ouest Bail N° Lexbase : A0248DKE, RJF, 10/05, n° 1038, concl. L. Olléon, BDCF, 10/05, n° 115). Le Conseil d'Etat a, d'ailleurs, précisé que le respect des droits de la défense s'imposait même lorsque le contribuable s'était abstenu de souscrire la déclaration à laquelle il était tenu (CE, 2 juillet 2003, n° 233944, M. Guth N° Lexbase : A1974C9Y, RJF, 10/03, n° 1110, concl. G. Goulard, BDCF, 10/03, n° 119, s'agissant de la taxe professionnelle et CE, 29 juin 2005, n° 271893, précité, s'agissant de la taxe foncière).

S'agissant plus précisément du droit de communication, une décision du 18 décembre 1968 relevait, déjà, que "la circonstance que l'inspecteur a tenu compte pour déterminer les bases de redressement d'un rapport de police n'est pas de nature à vicier la procédure d'imposition dès lors que la société requérante avait eu la possibilité d'apporter la preuve des prétendues inexactitudes contenues dans ledit rapport" (CE, 18 décembre 1968, n° 74520 N° Lexbase : A2596B8N, Dupont 1969 p. 66). L'obligation de communication a été plus nettement affirmée encore par une décision du 7 mai 1980 jugeant que le vérificateur peut légalement utiliser des éléments d'information recueillis chez un autre contribuable à la seule condition que le contribuable vérifié soit mis à même de les contester au cours de la procédure contradictoire (CE, 7 mai 1980, n° 8255, RJF, 6/80, n° 499). Il a, ensuite, rattaché explicitement cette obligation au principe général des droits de la défense (CE, 31 octobre 1990, n° 51223, Centre des infirmières danoises diplômées N° Lexbase : A5318AQZ, RJF, 12/90, n° 1513) et l'a réaffirmée constamment depuis.

Dégagée pour la procédure contradictoire (CE, 14 mai 1986, n° 59590 N° Lexbase : A3877AMK, RJF, 7/86, n° 719, concl. P.-F. Racine, Dr. fisc., 40/86, n° 1674 ; CE, 9 juillet 1986, n° 30770 N° Lexbase : A3898AMC, RJF, 10/86, n° 917, concl. P.-F. Racine, Dr. fisc., 52/86, n° 2392), cette garantie a été étendue aux procédures d'imposition d'office : d'abord la rectification d'office (CE, 3 décembre 1990, n° 103101, SA Antipolia N° Lexbase : A4680AQE : RJF, 2/91, n° 200, concl. J. Arrighi de Casanova, Dr. fisc., 7/91, n° 259), puis l'évaluation d'office (CE, 6 juillet 1994, n° 120118, Gozlan N° Lexbase : A2021ASN, RJF, 10/94, n° 1113, ou CE, 30 septembre 1996, n° 139846, Leboeuf N° Lexbase : A0756APP, RJF, 11/96, n° 1325, concl. G. Bachelier, BDCF, 6/96, p. 38) et, enfin, la taxation d'office (CE, 24 novembre 1997, n° 171928, Minefi c/ Miailhe N° Lexbase : A5200ASE, RJF, 1/98, n° 82, concl. G. Bachelier, BDCF, 1/98, n° 15 et Dr. fisc., 10/98, n° 173). Elle vaut au-delà même du champ du droit de communication. Ce point a été récemment confirmé par un avis contentieux, qui a indiqué que l'obligation d'information du contribuable ne se limitait pas aux renseignements et documents obtenus de tiers par l'exercice du droit de communication (CE, avis du 21 décembre 2006, n° 293749, Duguay N° Lexbase : A1476DTT, RJF, 3/07, n° 314, concl. P. Collin, BDCF, 3/07, n° 32). Cet avis précise, ainsi, explicitement ce qui résultait déjà de décisions antérieures : celle du 18 décembre 1968 concernait un rapport de police et celle du 14 mai 1986 des documents recueillis dans le cadre des enquêtes menées sur le fondement de l'ordonnance du 30 juin 1945 précitée.

Dans ses conclusions sous la décision "Rouch" (CE, 29 décembre 2000, n° 209523, Rouch N° Lexbase : A2117AIA, RJF, 3/01, n° 341, concl. Mme E. Mignon, BDCF, 3/01, n° 42), Mme Mignon évoquait ainsi la nécessité d'affirmer et de préserver une "certaine loyauté du débat fiscal". C'est bien ce "souci de loyauté" qui implique que le contribuable soit suffisamment informé sur la nature, l'origine et la teneur des renseignements recueillis dans l'exercice du droit de communication.

La construction jurisprudentielle édifiée par le Conseil d'Etat, aujourd'hui reprise à l'article L. 76 B du LPF, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 7 décembre 2005, est donc inspirée, ainsi que le soulignait également François Séners dans ses conclusions sous la décision du 5 octobre 2005, "Mme Blondeau" (CE 3° et 8° s-s-r., 5 octobre 2005, n° 270341, Minefi c/ Mme Blondeau N° Lexbase : A6972DKG, RJF, 2005, n° 1438), à la fois du principe général des droits de la défense et de l'exigence de loyauté du débat fiscal.

2. ... elle est affranchie de cette obligation lorsque le contribuable, par son comportement, s'est placé en dehors des règles applicables à la procédure d'imposition

2.1. Conformément aux nouvelles dispositions de l'article L. 76 B LPF, dont il anticipe ainsi l'application, le Conseil d'Etat exclut la procédure d'évaluation d'office pour opposition au contrôle fiscal du champ d'application de cette obligation

Dans la décision en date du 6 octobre 2008, le Conseil d'Etat a considéré qu'il résulte de l'ensemble des dispositions des articles L. 67 (N° Lexbase : L7602HEB), L. 74 (N° Lexbase : L8160AEX) et L. 76 (N° Lexbase : L5568G4Y) du LPF que, lorsque les bases de l'imposition d'un contribuable avaient été évaluées d'office à la suite de son opposition au contrôle fiscal, le législateur avait entendu priver l'intéressé, qui s'était de lui-même placé en dehors des règles applicables à la procédure d'imposition, des garanties dont bénéficient les contribuables, qu'ils soient imposés selon la procédure contradictoire ou selon une procédure d'imposition d'office, et notamment de celle tenant à l'obligation qui pèse sur le service d'informer l'intéressé de la teneur et de l'origine des renseignements qu'il a pu recueillir par l'exercice de son droit de communication ou qu'il a utilisés pour arrêter les bases de l'imposition.

La mise en oeuvre de la procédure d'évaluation d'office du fait de l'opposition au contrôle fiscal prévue par l'article L. 74 du LPF n'est en effet assortie, en vertu de l'article L. 67, alinéa 2, du même Livre, d'aucune mise en demeure préalable. Par ailleurs, en application de l'article L. 76, alinéa 3, l'administration n'est pas tenue dans ce cas de notifier au contribuable les bases de calcul des impositions d'office.

La solution retenue par le Conseil d'Etat a été rendue dans le cadre du régime antérieur à l'article L. 76 B du LPF. Elle est, toutefois, pleinement cohérente avec ces nouvelles dispositions. En effet, l'ordonnance du 7 décembre 2005, qui a codifié à l'article L. 76 B du LPF la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de droit de communication, n'a imposé à l'administration d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements obtenus de tiers que pour les seules impositions faisant l'objet soit de la proposition de rectification prévue par l'article L. 57 (N° Lexbase : L5447H9M) en cas de procédure de redressement contradictoire, soit de la notification prévue à l'article L. 76 en cas d'imposition d'office. Elle a donc exclu du champ de cette obligation les impositions supplémentaires faisant suite à une opposition à contrôle fiscal. L'instruction 13 L-6-06 adoptée le 21 septembre 2006 l'indique d'ailleurs très clairement (I. b., § 5).

La solution rendue par le Conseil d'Etat le 6 octobre 2008 conserve, donc, toute sa valeur pour l'application de ces dispositions qui visent précisément l'imposition faisant l'objet de la proposition de rectification prévue par l'article L. 57 du LPF ou de la notification des bases d'imposition prévue par l'article L. 76 de ce Livre, ce qui exclut le cas de l'opposition au contrôle fiscal.

2.2. Une solution justifiée par la nature particulière de la procédure d'évaluation d'office pour opposition au contrôle fiscal

Pour la plupart des procédures d'imposition d'office, depuis la loi du 29 décembre 1977, reprise aujourd'hui au premier alinéa de l'article L. 76 du LPF, l'administration est tenue d'adresser au contribuable, trente jours au moins avant la mise en recouvrement des impositions, une notification comportant les bases ou les éléments servant au calcul des impositions d'office ainsi que les modalités de leur détermination. Même s'il n'y a pas de dialogue comme dans la procédure de redressement contradictoire, il y a donc une information à donner au contribuable sur les impositions que l'administration envisage de mettre à sa charge.

Toutefois, la situation du contribuable en cas d'opposition à contrôle fiscal est différente de celle des autres contribuables imposés d'office : en effet, en application des dispositions combinées du dernier alinéa de l'article L. 76 du LPF et du second alinéa de l'article L. 67, l'administration n'est pas tenue d'adresser une notification de redressements. C'est pourquoi, dans le cas où l'administration adresse néanmoins au contribuable une notification de redressements, les irrégularités entachant cette notification demeurent sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition (CE 8° et 9° s-s-r., 15 juin 1987, n° 48864, N° Lexbase : A2460APS, RJF, 8-9/87, n° 916 ; CAA Bordeaux, 3ème ch., 7 mars 1995, n° 94BX01250 N° Lexbase : A7589AHK et n° 94BX01251 N° Lexbase : A0745BEC, Michel Bonhomme, RJF, 11/95, n° 1275 ; CE, 15 avril 1996, n° 167250, Durand, RJF, 10/96, n° 1197 ; CAA Paris, 2ème ch., 22 octobre 1996, n° 95PA02843, SARL Sintex N° Lexbase : A1298BIW, RJF, 2/97 n° 147). Ajoutons que la faculté, prévue par l'article L. 76 du LPF, de saisir la commission départementale des impôts en cas de taxation d'office pour défaut de réponse à une demande d'éclaircissements ou de justifications à l'issue d'un examen contradictoire de l'ensemble de la situation fiscale personnelle n'est pas non plus ouverte en cas d'évaluation d'office pour opposition au contrôle fiscal (CAA Bordeaux, 7 mars 1995, n° 94BX01250, précité).

La spécificité de la procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal est en fait destinée à tirer les conséquences de l'attitude particulière et, plus précisément, particulièrement "obstructive" manifestée par le contribuable, lequel refuse alors tout dialogue avec l'administration fiscale. Or, si la loyauté du débat fiscal est, en règle générale, invoquée par le contribuable qui n'a pas à sa disposition les mêmes armes que celles de l'administration fiscale, elle a aussi vocation à s'appliquer à l'administration fiscale. Ainsi que l'indique la décision du 6 octobre 2008, en s'opposant au contrôle fiscal, le contribuable se met en dehors des règles normales de la procédure d'imposition. C'est pourquoi la nature même de l'opposition à contrôle fiscal conduit à exclure le contribuable des garanties de la procédure d'imposition et c'est d'ailleurs la logique du législateur qui a écarté l'obligation pour l'administration d'adresser, dans ce cas, une notification de redressements au contribuable et a autorisé en conséquence une mise en recouvrement immédiate des impositions. Ainsi, le contribuable est privé de tout dialogue et de tout droit d'information, étant précisé qu'il retrouvera le bénéfice des droits de la défense dans le cadre des garanties de la procédure contradictoire devant le juge.

Le Conseil d'Etat considère, donc, que la nature particulière de la procédure d'évaluation d'office pour opposition au contrôle fiscal justifie à elle seule l'exclusion du droit à l'information sur les renseignements recueillis par l'administration, sans fonder cette exclusion sur la dispense de notification de redressement spécifique à cette procédure et donc sur l'absence de support à l'exercice du droit de communication. Dans un arrêt du 25 février 2003 (CAA Bordeaux, 3ème ch., 25 février 2003, n° 99BX02355, M. et Mme Guy Meriaud N° Lexbase : A5778C9U, RJF, 2003, n° 884), la cour administrative d'appel de Bordeaux s'était, quant à elle, fondée sur l'idée que le support de l'obligation d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus par l'administration fiscale était la notification de redressements et que la dispense de l'obligation d'adresser une telle notification rendait impossible la mise en oeuvre de cette obligation d'informer. Le Conseil d'Etat, dans la décision du 6 octobre 2008, semble estimer pour sa part que l'absence d'obligation d'informer le contribuable de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus par l'administration fiscale n'est pas la conséquence de la dispense de notification de redressements mais elle est la conséquence de la nature particulière de la procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal et, surtout, de la nature particulière du comportement du contribuable que cette procédure a pour but de sanctionner. Le raisonnement retenu par le Conseil d'Etat est logique puisque le lien entre l'existence d'une notification de redressements et l'obligation d'information sur l'exercice du droit de communication n'est pas déterminant. En effet, l'administration n'a pas obligatoirement à mentionner la teneur et l'origine des informations dans la notification de redressements mais peut procéder à cette information dans tout document adressé au contribuable avant la mise en recouvrement des impositions (CE, 13 octobre 1999, Minefi c/ Blanc, précité, RJF, 1999, n° 1582). Ce n'est donc pas en elle-même l'absence de notification de redressements obligatoire dans la procédure d'imposition d'office à la suite d'une opposition à contrôle fiscal qui doit nécessairement conduire à exonérer l'administration de son obligation d'informer les contribuables sur la teneur et l'origine des renseignements obtenus pour fonder leur imposition.

Il n'en demeure pas moins que la coïncidence entre existence d'une notification de redressements (et donc existence d'une information sur les bases et les éléments servant au calcul des impositions) et existence d'une obligation d'information en ce qui concerne l'origine et la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers par l'administration fiscale n'est pas niée par la décision du 6 octobre 2008. Plus précisément et à l'inverse, cette décision confirme le lien de principe entre l'absence de notification de redressements et l'absence d'obligation d'information sur l'origine et la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers par l'administration fiscale.

Conclusion

La décision du 6 octobre 2008 peut être interprétée comme déniant à la procédure d'évaluation d'office pour opposition au contrôle fiscal la qualité de "procédure d'imposition". En effet, si le commissaire du Gouvernement N. Escaut, dans ses conclusions sous cette décision, estimait qu'en s'opposant au contrôle fiscal, le contribuable se mettait "en dehors des règles normales de la procédure d'imposition" (nous soulignons), le Conseil d'Etat n'a pas repris ce qualificatif et a estimé plus simplement, et plus radicalement, qu'un tel contribuable s'était lui-même "placé en dehors des règles applicables à la procédure d'imposition".

Est ainsi manifestée la spécificité d'une procédure dispensée de notification de redressements et affirmé, même si c'est implicite, le lien entre l'existence d'une notification de redressements et l'obligation d'information du contribuable en ce qui concerne les renseignements recueillis par l'administration fiscale auprès de tiers. Serait, donc, une procédure d'imposition une procédure marquée par l'envoi au contribuable d'une notification de redressements avant la mise en recouvrement des impositions. A l'inverse, ne pourrait être qualifiée comme telle une procédure permettant à l'administration de mettre en recouvrement des impositions sans avoir au préalable informé le contribuable des bases ou des éléments ayant servi à leur calcul.

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Éducation

[Textes] Service minimum d'accueil des élèves : vade mecum et tribulations

Réf. : Loi n° 2008-790 du 20 août 2008, instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire (N° Lexbase : L7393IA3)

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N7690BHB

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par Yves Broussolle, docteur en droit, chargé d'enseignement à l'ISFCT et à l'IPAG de Cergy-Pontoise

Le 07 Octobre 2010

Annoncée par Nicolas Sarkozy le 15 mai 2008, la loi créant un droit d'accueil à l'école primaire pendant le temps scolaire en cas de grève a été promulguée et publiée, au Journal officiel le jeudi 21 août 2008. Définitivement adoptée par le Parlement le 23 juillet 2008, cette loi répond à la volonté exprimée par le Président de la République de concilier deux libertés : la liberté de faire grève, reconnue par la loi aux agents de la fonction publique en cas de désaccord avec leur employeur, et la liberté de travailler. Or, selon le chef de l'Etat, cette dernière liberté n'est pas respectée lorsque les mouvements de grève au sein de l'Education nationale contraignent les parents à assurer eux-mêmes la garde de leurs plus jeunes enfants. Pour autant, le législateur n'a jamais envisagé de remplacer les enseignements suspendus à l'occasion des mouvements sociaux. Ce service d'accueil n'a rien d'un service minimum. Il ne s'assimile pas non plus à des activités de loisirs proposées par les communes et dont la création ouvrirait aux élèves les chemins des centres aérés les jours de grève. Il s'agit, tout simplement, d'accueillir les enfants. Ainsi, les familles n'auront plus à chercher, dans l'urgence, des solutions de garde pour leurs jeunes enfants, voire à cesser leur activité professionnelle ces jours-là. 60 % des Français estiment qu'il s'agit d'"une bonne chose, car cela permet de ne pas pénaliser les parents qui travaillent", selon un récent sondage. En revanche, invitées à choisir une opinion se rapprochant le plus de la leur, 33 % des personnes interrogées estiment que ce service minimum "est une mauvaise chose, car cela constitue une tentative de remise en cause de l'exercice du droit de grève". 7 % ne se prononcent pas. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, saisi de deux recours par des parlementaires, a validé début août l'essentiel du projet du ministre de l'Education (1) (Cons. const., décision n° 2008-569 DC, du 7 août 2008, loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire N° Lexbase : A8776D9W). Après avoir jugé conformes à la Constitution les articles 2, 3 et 4 de la loi, le Conseil constitutionnel a fait de même pour son article 9, relatif au dispositif de financement accordé aux communes pour l'exercice de cette nouvelle compétence. Le Conseil a considéré que l'institution de ce service constituait une "création ou extension de compétences" à caractère obligatoire, et qu'il fallait donc qu'elle soit "accompagnée de ressources déterminées par la loi". D'une manière générale, il a estimé que l'instauration du droit d'accueil ne restreignait pas de façon injustifiée le droit de grève.

Quoi qu'il en soit, après avoir posé le principe de l'obligation d'accueil des élèves dans les écoles maternelles ou élémentaires (I), la loi impose une négociation préalable avant le dépôt d'un préavis de grève (II). Le législateur apporte, également, des précisions sur les personnes chargées de l'accueil des enfants (III). Enfin, une compensation financière est prévue, ainsi qu'un transfert de responsabilité (IV).

I - L'obligation d'accueil des élèves en cas de grève ou d'absence imprévisible

Désormais, à compter du 1er septembre 2008, tout enfant scolarisé dans une école maternelle ou élémentaire publique sera accueilli pendant le temps scolaire pour y suivre les enseignements prévus par les programmes. Il bénéficiera gratuitement d'un service d'accueil lorsque ces enseignements ne pourront lui être délivrés en raison de l'absence imprévisible de son professeur. A cet égard, les syndicats et associations de parents d'élèves craignaient que l'école ne se transforme "en garderie". Pour les rassurer, le Parlement a modifié l'article 2 de la loi, en précisant que l'accueil de l'élève ne se fera qu'en cas d'impossibilité de remplacer l'enseignant.

De même, l'article 2 de la loi impose aux communes d'organiser l'accueil des élèves lorsque la proportion des enseignants grévistes dans une école dépasse 25 % de l'effectif. En dessous de 25 % de grévistes, c'est l'Etat qui se chargera de l'accueil des enfants. Le calcul s'effectue par rapport au nombre total de personnes qui exercent des fonctions d'enseignement dans chaque école. Ce nombre comprend les personnes appartenant aux corps des personnels enseignants, ainsi que les enseignants non titulaires, qui exercent à temps plein, ou à temps partiel, dans l'école. En revanche, les directeurs d'école qui bénéficient d'une décharge totale d'enseignement ne sont pas comptés dans l'effectif des personnes qui exercent des fonctions d'enseignement. Les familles sont informées des modalités d'organisation du service d'accueil par la commune et, le cas échéant, par les maires d'arrondissement. Pour les communes de Paris, Lyon et Marseille, le maire de la commune informe sans délai le président de la caisse des écoles de ces modalités.

Par ailleurs, à l'initiative de la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale, il faut noter que l'accueil est également organisé dans les établissements privés sous contrat. Toutefois, ce sont alors les organisations gestionnaires de ces écoles, et non les communes, qui sont chargées de l'accueil des enfants. La loi leur confère une totale liberté d'organisation à cet effet.

En outre, concernant les écoles publiques, il faut noter que la loi autorise tous les mécanismes conventionnels d'association ou de délégation du service. Ainsi, une commune peut confier par convention l'organisation, pour son compte, du service d'accueil à une autre commune, à un EPCI, à une caisse des écoles (à la demande expresse de son président), ou encore à une association gestionnaire d'un centre de loisirs. Une commune peut, également, s'associer avec une ou plusieurs autres communes afin d'organiser en commun le service. De plus, la loi prévoit que lorsque les compétences en matière de fonctionnement des écoles et d'accueil des enfants en dehors du temps scolaire ont été transférées à un établissement public de coopération intercommunale, c'est ce dernier qui est automatiquement compétent pour assurer le service d'accueil.

Quoi qu'il en soit, l'Etat a laissé une grande souplesse d'organisation du service par les communes. En effet, ces dernières déterminent librement les lieux d'accueil. Le service peut être assuré dans l'école, que celle-ci soit fermée ou partiellement ouverte, ou dans d'autres locaux de la commune. L'ensemble des enfants peut, également, être regroupé dans un même lieu. Si l'accueil est organisé dans une école dont les locaux continuent d'être en partie utilisés pour les besoins de l'enseignement, il faut noter que le directeur d'école ne peut s'opposer à ce que les salles de classe libérées en raison de l'absence d'un enseignant et les locaux communs (cour de récréation, préau, salle polyvalente, bibliothèque...) soient utilisées par la commune. En outre, il reviendra au directeur d'école ou, s'il est absent, aux enseignants présents le jour de la grève, d'assurer la surveillance de ceux des élèves qui demeurent sous leur responsabilité, y compris lorsque les locaux communs sont également utilisés par la commune.

II - La négociation préalable obligatoire avant le dépôt d'un préavis de grève

Afin de prévenir les conflits, la loi du 20 août 2008 oblige l'Etat et les syndicats à une négociation préalable, dans un délai de huit jours maximum, avant tout dépôt d'un préavis de grève, sur le modèle de l'alerte sociale instaurée dans les transports (loi n° 2007-1224 du 21 août 2007, sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs N° Lexbase : L2418HY9).

De plus, en cas de dépôt de préavis de grève (2), et en vue de la mise en place d'un service d'accueil, les enseignants qui ont l'intention de faire grève devront le déclarer "48 heures à l'avance" (3), délai comprenant au moins un jour ouvré. Les jours ouvrés sont les jours travaillés, c'est-à-dire les jours de la semaine pendant lesquels des cours sont assurés dans l'école au sein de laquelle est affecté l'agent, même si l'intéressé n'a aucun service à assurer ce jour-là (la notion de jour ouvré ne tient pas compte de l'emploi du temps de l'enseignant). En raison de la nouvelle organisation du temps scolaire applicable à compter de la rentrée 2008, les samedis ne peuvent être des jours ouvrés dans les écoles publiques. En conséquence, la participation à un mouvement de grève débutant un lundi devra faire l'objet d'une déclaration individuelle au plus tard le jeudi soir de la semaine précédente. Si le mouvement de grève doit débuter un jeudi, la déclaration individuelle devra intervenir au plus tard le lundi soir, que des cours soient organisés le mercredi ou non.

Quoi qu'il en soit, la personne qui participerait à un mouvement de grève sans s'être préalablement déclarée gréviste encourrait une sanction disciplinaire. En revanche, la personne qui aurait fait connaître son intention de participer au mouvement de grève peut librement y renoncer.

La déclaration (par écrit ou par télécopie) doit être faite à l'inspecteur d'académie, ou aux inspecteurs de l'Education nationale lorsque l'inspecteur d'académie leur a confié la mission de recueillir les déclarations, et que les personnels concernées par cette obligation de déclaration en ont été informées (4). La déclaration indique la date et l'heure à laquelle l'intéressé entend se mettre en grève.

Pour permettre aux communes de mettre en place le service d'accueil lorsqu'elles y sont tenues, il appartient à l'inspecteur d'académie de recenser précisément les écoles dans lesquelles le taux prévisionnel de grévistes est égal ou supérieur à 25 %. Ensuite, l'inspecteur de l'Education nationale, ou l'inspecteur d'académie destinataire des déclarations préalables communique au maire, dès qu'il en a connaissance, le nombre, par école, de personnes ayant procédé à la déclaration, et lui précise quelles sont les écoles pour lesquelles le taux de déclarations préalables est égal ou supérieur à 25 % du nombre des personnes soumises à l'obligation de déclaration. Cette information est transmise au maire par écrit, par télécopie ou message électronique. Avant le déclenchement de la grève, le préfet est informé par l'autorité académique, des communes et des établissements pour lesquels le service d'accueil devra être organisé.

Par ailleurs, il faut noter que les personnels exerçant des fonctions d'enseignement dans une école privée sont soumis à la même obligation de déclaration individuelle préalable que leurs homologues exerçant dans une école publique. La déclaration est, toutefois, directement adressée au chef d'établissement qui informe l'organisme de gestion du nombre des personnes s'étant déclarées grévistes.

Selon le ministre de l'Education nationale, ce nouveau dispositif va contribuer à la modernisation du dialogue social au sein de son administration, en créant une obligation de négociation entre l'employeur et les syndicats. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a validé l'article 5 de la loi imposant à chaque enseignant de déclarer son attention de prendre part à la grève, mais sous réserve "qu'un accord entre l'Etat et les syndicats sur les modalités selon lesquelles les déclarations préalables sont portées à la connaissance de l'autorité administrative ne saurait conduire à ce que la transmission de ces déclarations soit assurée par les organisations syndicales, ni avoir pour effet d'entraver la liberté de chaque enseignant de décider personnellement de participer ou non à la grève" (5). Il a estimé, en outre, que les déclarations préalables de participation à la grève devaient rester individuelles.

Les règles d'organisation et de déroulement de la négociation préalable seront fixées par un décret en Conseil d'Etat (C. éduc., art. L. 132-2 N° Lexbase : L9257ARB). Celui-ci déterminera, notamment, les conditions dans lesquelles une organisation syndicale représentative procède à la notification à l'autorité administrative des motifs pour lesquels elle envisage de déposer un préavis de grève, conformément à l'article L. 2512-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0240H9R). Le décret indiquera, également, le délai dans lequel l'autorité administrative est tenu de réunir les organisations syndicales représentatives concernées (délai qui ne peut dépasser trois jours).Il fixera la durée dont dispose l'autorité administrative et les organisations syndicales représentatives pour conduire la négociation préalable (durée qui ne peut excéder huit jours francs à compter de la notification des motifs précités). Il précisera, en outre, les informations qui doivent être transmises par l'autorité administrative aux organisations syndicales représentatives en vue de favoriser la réussite du processus de négociation, ainsi que le délai dans lequel ces informations doivent être fournies et les conditions dans lesquelles la négociation préalable doit se dérouler. Les modalités d'élaboration du relevé de conclusions de la négociation préalable et les informations qui doivent y figurer seront, également, précisées par le décret. Enfin, figureront dans celui-ci les conditions dans lesquelles les enseignants du premier degré sont informés des motifs du conflit, de la position de l'autorité administrative et de celle des organisations syndicales représentatives, ainsi que des conditions dans lesquelles celles-ci recevront communication du relevé de conclusions de la négociation préalable.

III - Les personnes chargées de l'accueil des enfants

La circulaire détaillant les modalités de mise en oeuvre du droit d'accueil est parue au Bulletin officiel de l'Education nationale le 4 septembre 2008 (6). Elle indique, notamment, qu'une liste des personnes susceptibles d'assurer le service d'accueil est établie dans chaque commune, l'identification de ces personnes relevant "de la seule compétence du maire". Le fait que cette liste ne soit pas établie ne dispense, d'ailleurs, pas la commune de son obligation d'organiser le service d'accueil. Le directeur d'école transmet ensuite, pour information, la liste qu'il a reçue du maire aux représentants des parents d'élèves élus au conseil d'école (les personnes y figurant sont préalablement informées de cette transmission par la commune). La circulaire précise, également, que les personnes chargées par la commune d'assurer l'encadrement des enfants accueillis deviennent à cette occasion des agents publics de la commune, y compris lorsque leur participation au service n'est pas rémunérée ; elles sont donc soumises au principe de neutralité du service public.

L'Assemblée nationale avait initialement prévu que le maire devait établir la liste des personnes possédant les qualités requises pour accueillir et encadrer les enfants. Cette rédaction a fait naître chez les maires et leurs représentants une certaine inquiétude : en effet, ces "qualités requises" auraient pu passer pour des qualifications obligatoires ; quant au terme "encadrement", il aurait pu donner à penser que le service d'accueil proposerait des activités sportives, culturelles ou de loisirs supposant la présence de véritables animateurs qualifiés. Afin de lever ces inquiétudes, le législateur a finalement préféré faire référence aux "qualités nécessaires pour accueillir et encadrer des enfants".

Les communes doivent, ainsi, recenser, en amont de tout mouvement social, les personnes qualifiées qui pourraient accueillir les élèves, qu'il s'agisse d'agents municipaux, de parents d'élèves, d'étudiants titulaires d'un brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur, de personnels de centres de loisirs, d'agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, de membres d'associations familiales, d'enseignants retraités... Les dispositions du Code de l'action sociale et des familles n'imposent, en effet, pour les modes d'accueil des mineurs n'excédant pas 14 jours par an, aucune obligation en termes de qualification des personnels ou de taux d'encadrement. Constitué en accord avec l'inspecteur d'académie, qui pourra vérifier que ces personnes n'ont pas d'antécédents judiciaires (9) justifiant qu'on les éloigne des enfants, ce "vivier" offrira donc une solution souple et pratique aux petites communes qui ne disposent pas de centres de loisirs et de personnels communaux qualifiés pour accueillir des enfants.

IV - La responsabilité administrative des communes transférée à l'État et la compensation financière

S'agissant de la responsabilité administrative, l'Etat sera substitué à la commune en raison d'un fait dommageable commis, ou subi, par un élève du fait de l'organisation ou du fonctionnement du service d'accueil. L'Etat est alors subrogé aux droits de la commune, notamment, pour exercer les actions récursoires qui lui sont ouvertes (8). A titre d'exemple, si le dommage subi par un élève résulte d'une faute de service commise par un agent communal chargé du service d'accueil, c'est le ministère de l'Education nationale, et non la commune, qui pourra voir sa responsabilité engagée devant le tribunal administratif. Il reviendra aux Recteurs d'académie d'assurer la défense de l'Etat devant le tribunal. En revanche, la loi ne prévoit pas que la responsabilité de l'Etat se substitue à celle de la commune si le dommage subi est dû au mauvais entretien des locaux ou des matériels à la charge de cette dernière.

S'agissant de la responsabilité pénale, un amendement voté à l'Assemblée, et repris par la commission mixte paritaire, dispose que l'Etat doit accorder sa protection au maire à l'occasion des poursuites pénales qui pourraient être engagées à son encontre résultant de faits ne présentant pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. L'Assemblée nationale a, ainsi, souhaité rassurer les maires sur les risques pénaux qu'ils encourent et, faute de pouvoir transférer une responsabilité pénale par nature personnelle, les députés ont étendu aux maires le bénéfice de la protection de l'Etat qui est accordée à tout agent public dans l'exercice de ses fonctions. Le préfet territorialement compétent assurera la mise en oeuvre de cette disposition. Dans une telle hypothèse, la prise en charge des frais liés à cette procédure pénale, en particulier les frais d'avocats, incombera au ministère de l'Education nationale de la même façon que si le maire était un agent de l'Etat et relevait, à ce titre, de la protection prévue à l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L5204AH9).

Par ailleurs, il faut savoir qu'en en contrepartie du service minimum, les communes percevront une compensation de l'Etat au titre des dépenses exposées pour la rémunération des personnes chargées de cet accueil (conformément à l'article 72-2 de la Constitution N° Lexbase : L1342A9L) A cet égard, le Conseil constitutionnel a considéré que la loi prévoyait à un niveau suffisant les ressources nécessaires à la création de ce service public d'accueil. Plus précisément, l'article 9 de la loi du 20 août 2008 dispose qu'il sera tenu compte du nombre d'élèves accueillis, mais également, si ce critère est plus favorable, du nombre d'enseignants ayant fait grève (11).

La compensation est calculée pour chaque école ayant donné lieu à l'organisation par la commune d'un service d'accueil. Elle correspond au plus élevé de ces deux montants : une somme de 110 euros par jour et par groupe de 15 enfants effectivement accueillis, le nombre de groupes étant déterminé en divisant le nombre d'enfants accueillis par quinze et en arrondissant à l'entier supérieur. Ce montant est indexé selon le taux d'évolution de la valeur du point d'indice de la fonction publique ; le produit, par jour de mise en oeuvre du service, de neuf fois le salaire minimum de croissance horaire par le nombre d'enseignants ayant effectivement participé au mouvement de grève, dans les écoles où la commune était tenue d'organiser le service d'accueil.

En tout état de cause, pour une même commune qui a organisé le service d'accueil, ou, le cas échéant, pour un même établissement public de coopération intercommunale chargé par convention de l'organisation du service d'accueil, la compensation financière ne peut être inférieure à 200 euros par jour, somme également indexée selon le taux d'évolution de la valeur du point d'indice de la fonction publique. Il appartiendra à l'inspecteur d'académie, à partir des éléments de calcul que lui auront adressés les communes, de déterminer le financement le plus avantageux pour elles. Le versement de la compensation interviendra dans un délai de 35 jours à compter de la réception par les autorités académiques du document mentionnant la date de l'organisation de l'accueil et le nombre d'élèves accueillis par école. Un forfait minimal sera ainsi versé à toute commune ayant organisé le service.

La loi a, ainsi, institué un "filet de sécurité" garantissant aux communes une rémunération minimale dans l'hypothèse où le nombre d'élèves accueillis serait très inférieur à ce qu'elles prévoyaient. Cette disposition a été saluée par l'Association des maires de grandes villes de France. De cette façon, même si les élèves accueillis sont moins nombreux que prévus, les collectivités territoriales se verront donc rembourser les rémunérations des personnels qu'elles estimaient nécessaires de mobiliser au vu des effectifs qu'elles pensaient devoir accueillir.

Quoi qu'il en soit, beaucoup de communes estiment que les modalités financières de remboursement par l'Etat ne permettent pas de couvrir les dépenses engagées, et certaines autres, par conviction politique ou par impossibilité réelle, ne se sont pas mises en conformité avec la loi et courent donc le risque d'être condamnées à des sanctions financières. Dans un premier temps, les juges administratifs ont fait preuve d'une certaine clémence envers les communes récalcitrantes, le tribunal administratif de Melun rejetant un recours préfectoral dirigé contre plusieurs maires du Val-de-Marne refusant d'organiser un service minimum d'accueil dans leurs écoles, dans un jugement du 9 octobre 2008 (TA Melun, 9 octobre 2008, n° 0807427, Préfet du Val-de-Marne N° Lexbase : A9585EAA). Dans un second temps, une autre position a été retenue, la décision du maire de la Ville de Paris de ne plus appliquer, pour des raisons de sécurité, la loi sur le service minimum d'accueil des enfants à l'école lors des prochaines grèves d'enseignants ayant été suspendue (TA Paris, 22 octobre 2008, n° 0816694, Préfet de Paris N° Lexbase : A9605EAY). D'autres villes, notamment dans l'Essonne et dans le sud-ouest, sont sous la menace d'une amende de 10 000 euros par jour. La pression de l'Etat semble, ainsi, s'accentuer, le ministre de l'Education nationale ayant proposé de passer convention directement avec les fédérations de parents d'élèves pour qu'elles mettent à disposition des vacataires à la place des municipalités le temps que la justice ait tranché.


(1) Par la suite, une évaluation sera présentée par le Gouvernement sous la forme d'un rapport déposé avant le 1er septembre 2009. Ce rapport doit retracer les difficultés matérielles rencontrées par les communes pour l'organisation du service d'accueil. Il revient aux inspecteurs d'académie de recueillir les informations permettant la rédaction de ce rapport.
(2) Dans les établissements privés sous contrat, un préavis de grève ne peut être déposé que lorsque les revendications professionnelles qui motivent le préavis relèvent du pouvoir de décision de l'Etat.
(3) Il faut noter que, lorsqu'un préavis de grève aura été déposé, un nouveau préavis ne pourra être déposé par la ou les mêmes organisations et pour les mêmes motifs qu'à l'issue du délai du préavis en cours.
(4) Cependant, lorsqu'un accord a été trouvé entre l'Etat et les organisations syndicales dans le cadre de la négociation préalable, la déclaration est faite selon les modalités résultant de cet accord portées à la connaissance des personnels soumis à l'obligation de déclaration. Cette possibilité de modalités alternatives de déclaration n'entrera, toutefois, en vigueur qu'avec la publication du décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 133-2 du Code de l'éducation précité.
(5) Les informations issues des déclarations individuelles ne peuvent être utilisées que pour l'organisation, durant la grève, du service d'accueil. Elles sont couvertes par le secret professionnel. Leur utilisation à d'autres fins ou leur communication à toute autre personne que celles qui doivent en connaître est passible des peines prévues à l'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG).
(6) Mise en oeuvre de la loi n° 2008-790 du 20 août 2008 créant un droit d'accueil au profit des élèves des écoles maternelles et élémentaires.
(7) Les personnes concernées auront été préalablement informées de cette vérification par la commune. Lorsque la consultation fait apparaître qu'une ou plusieurs personnes proposées par le maire figurent sur ce fichier, le préfet en est également informé. Lorsque l'autorité académique est conduite à écarter certaines personnes de la liste, elle doit en informer le maire sans en divulguer les motifs.
(8) De telles actions pourraient être engagées par le ministère de l'Education nationale, notamment lorsque la faute personnelle d'un agent a contribué à la réalisation du dommage, ou qu'un tiers est à l'origine du dommage.
(9) La compensation financière de l'Etat est détaillée dans un décret publié au Journal officiel du 6 septembre 2008 : décret n° 2008-901 du 4 septembre 2008, relatif à la compensation financière de l'Etat au titre du service d'accueil (N° Lexbase : L4268IBP).

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Rémunération

[Jurisprudence] Grève et retenue sur salaire des cadres en forfait-jours

Réf. : Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-44.608, Société Giat industries, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2274EBT)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'exercice du droit de grève place le salarié dans une situation particulière vis-à-vis de son employeur puisqu'il se soustrait à son autorité en contrepartie de quoi il perd, pour la durée de la grève, son droit à rémunération. Si, dans la plupart des hypothèses, la détermination de l'étendue de la perte salariale ne fait pas difficulté, certaines données peuvent venir rendre le calcul complexe, singulièrement, lorsque le salarié n'est pas soumis à un décompte horaire de sa durée de travail, ce qui est le cas des salariés en forfait-jours. C'est à ce cas de figure inédit qu'était confrontée la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 13 novembre 2008 et promis à la plus large des publicités. Cette décision fixe les règles qui doivent être appliquées dans cette hypothèse (II), le tout dans le respect des deux principes fondamentaux de proportionnalité et de non-discrimination qui doivent guider le travail d'interprétation du juge (I).
Résumé

L'exercice du droit de grève ne saurait donner lieu, de la part de l'employeur, à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux. Il ne peut donner lieu qu'à un abattement de salaire proportionnel à la durée de l'arrêt de travail.

Lorsque l'absence pour fait de grève d'un salarié cadre, soumis à une convention de forfait en jours sur l'année, est d'une durée non comptabilisable en journée ou demi-journée, la retenue opérée doit être identique à celle pratiquée pour toute autre absence d'une même durée.

En l'absence de disposition, sur ce point, de l'accord collectif, la retenue opérée résulte de la durée de l'absence et de la détermination, à partir du salaire mensuel ou annuel, d'un salaire horaire tenant compte du nombre de jours travaillés prévus par la convention de forfait et prenant pour base, soit la durée légale du travail si la durée du travail applicable dans l'entreprise aux cadres soumis à l'horaire collectif lui est inférieure, soit la durée du travail applicable à ces cadres si elle est supérieure à la durée légale.

Commentaire

I - Les principes applicables à la retenue sur salaire des grévistes : proportionnalité et non-discrimination

  • La proportionnalité de la retenue à la durée de la grève

Contrairement à la situation des salariés des services publics, qui relèvent de différents régimes légaux (1), les salariés du secteur privé ne trouveront pas dans le Code du travail les règles qui gouvernent l'incidence de la grève sur le droit à rémunération.

Le juge n'est, toutefois, pas démuni, puisqu'il dispose de deux principes qui gouvernent le règlement de la question.

Le premier, issu du droit commun des obligations, est celui de l'exception d'inexécution rattaché à l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA) ; le salarié gréviste cessant de fournir à l'employeur sa prestation de travail, ce dernier est en droit, en contrepartie, de cesser de lui verser la rémunération afférente (2), c'est-à-dire "le salaire et ses accessoires" (3).

  • Le principe de non-discrimination en raison de l'exercice du droit de grève

Le second principe applicable, propre au droit du travail, interdit toute forme de discrimination en raison de l'exercice (ou du non-exercice) normal du droit de grève (4), singulièrement, en matière de rémunération et d'avantages sociaux (5).

  • L'application cumulative des deux principes : le principe de proportionnalité des retenues pour fait de grève

La juxtaposition de ces deux principes impose, par conséquent, à l'employeur de ne retenir du salaire que la stricte fraction correspondant au temps pendant lequel le salarié a fait grève (6), sans pouvoir aller au-delà, ce qui constituerait, non seulement, une discrimination (7), mais, également, une sanction pécuniaire prohibée de manière générale (8).

C'est ce principe classique, et une formulation adoptée en 1993 (9), que vient, en premier lieu, rappeler la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 13 novembre 2008 : "l'exercice du droit de grève ne saurait donner lieu, de la part de l'employeur, à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d'avantages sociaux ; [...] il ne peut donner lieu de la part de l'employeur qu'à un abattement de salaire proportionnel à la durée de l'arrêt de travail".

II - L'application des principes aux cadres en forfait-jours

  • Difficultés d'application des principes de proportionnalité et de non-discrimination pour les salariés mensualisés

Si l'application du principe de la proportionnalité de la retenue sur salaire pour fait de grève ne fait pas difficulté, sa mise en oeuvre pratique peut être rendue complexe par les obstacles qui peuvent surgir lorsqu'il s'agit d'établir la base horaire de la rémunération du salarié, base à partir de laquelle sera calculée la retenue.

Cette difficulté existe pour tous les salariés mensualisés ; la Cour de cassation a considéré que "la retenue sur salaire par heure de grève d'un salarié mensualisé doit être égale au quotient du salaire par le nombre d'heures de travail dans l'entreprise pour le mois considéré" (10). La retenue peut, alors, s'étendre aux primes dont le paiement a été mensualisé (11). En d'autres termes, c'est la durée collective qui doit servir de base au calcul de la retenue et non la durée effective réalisée par le salarié.

Une difficulté comparable se rencontre pour les journalistes professionnels ; la Chambre sociale de la Cour de cassation a, à leur égard, affirmé que, "pour être proportionnel à l'interruption de travail, l'abattement du salaire pour fait de grève doit être calculé sur l'horaire mensuel des salariés", ce qui excluait un abattement forfaitaire établi sur la base d'un jour calendaire (12), méthode comparable à celle du "trentième indivisible" appliquée dans la fonction publique.

  • La question inédite des cadres en forfait-jours

C'est, cette fois-ci, dans le cas inédit, à notre connaissance, des cadres en forfait-jours que se posait la question des modalités de l'abattement pour fait de grève.

La difficulté est évidente : le recours au forfait-jours a pour double effet d'annualiser la durée du travail du salarié et de décompter cette durée en jours et non en heures. Sont soumis à ces forfaits en jours sur l'année les "cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés" ou les "salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées" (13).

Dans cette affaire, la société GIAT industrie avait mis sur pied des principes destinés à faciliter les retenues sur la base d'évaluations forfaitaires : les absences pour grève du mois précédent, d'une durée inférieure à une demi-journée, étaient, en effet, cumulées et déduites de la paie si elles atteignaient l'équivalent d'une demi-journée comptée pour 3,90 heures ou d'une durée multiple de 3,90 heures, pour plusieurs demi-journées, les heures restantes étant conservées et reportées dans le cumul du mois suivant. Ces modalités avaient été contestées par la fédération CFE-CGC de la métallurgie et annulées par la cour d'appel de Versailles ; cette dernière avait, en effet, considéré que les modalités des retenues appliquées aux cadres en forfait jour aboutissaient à une inégalité de traitement en leur appliquant un système réintroduisant la référence à l'horaire journalier collectif qui leur était, par essence, inapplicable.

Cet arrêt est cassé, pour violation des articles L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM), devenu L. 2511-1 et L. 212-15-3, III (N° Lexbase : L7755HBT), devenu L. 3121-45 (N° Lexbase : L3952IBY), dans sa rédaction alors applicable, du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation reprochant aux juges d'appel de ne s'être pas assurés "que les modalités de retenue pour fait de grève fixées par l'employeur pour les cadres employés dans le cadre d'une convention de forfait en jours étaient les mêmes que celles en vigueur pour toute absence d'une durée non comptabilisable en journée ou demi-journée" et "que le montant des retenues appliquées était proportionnel à la durée de l'absence, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Cette double affirmation, qui met en jeu le principe d'égalité et le principe de proportionnalité, se trouve explicitée par un attendu de principe ajouté par la Haute juridiction. Selon la Cour, en effet, "en l'absence de disposition, sur ce point, de l'accord collectif, la retenue opérée résulte de la durée de l'absence et de la détermination, à partir du salaire mensuel ou annuel, d'un salaire horaire tenant compte du nombre de jours travaillés prévus par la convention de forfait et prenant pour base, soit la durée légale du travail si la durée du travail applicable dans l'entreprise aux cadres soumis à l'horaire collectif lui est inférieure, soit la durée du travail applicable à ces cadres si elle est supérieure à la durée légale".

  • Explication de la méthode de calcul à mettre en oeuvre

La méthode établie, qui nous semble conforme aux principes de proportionnalité et de non-discrimination, mérite quelques explications supplémentaires.

En premier lieu, et pour satisfaire au principe de proportionnalité de la retenue, l'employeur doit tenir compte de la "durée de l'absence" et doit déterminer, à partir du nombre de jours stipulé par la convention individuelle de forfait, ce que représente cette durée compte tenu de la durée de travail de l'intéressé.

En second lieu, l'employeur doit satisfaire au principe de non-discrimination et s'assurer que le cadre en forfait-jours ne subit pas un traitement différent de celui qui est réservé aux autres cadres de l'entreprise qui ne sont pas soumis au régime des forfaits (14).

Cette exigence se justifie dans la mesure où, au regard de l'exercice du droit de grève, il semblerait injustifié de retenir un régime de retenues différentes entre les cadres, selon qu'ils sont, ou non, soumis à un régime de forfaits en jour sur l'année et ce, alors qu'ils auraient fait grève pendant une même durée ; en d'autres termes, la Cour de cassation considère implicitement que les cadres en forfaits-jour ne se trouvent pas, par ce seul fait, dans une situation différente, au regard de l'exercice du droit de grève, qui serait de nature à justifier une différence de traitement s'agissant des incidences financières de la grève.

La première opération que devra réaliser l'employeur lui permettra de dégager la valeur d'un jour de travail par la division de la rémunération versée au salarié (mensuellement ou annuellement, selon le cas) par le nombre de jours stipulés dans la convention individuelle de forfait conclue avec l'intéressé.

Restera, alors, à déterminer la durée du travail, en heures, d'un jour de travail, pour déterminer la valeur d'une heure de grève. Tout ce qu'on sait pour les cadres concernés est que cette durée journalière de travail n'est pas fixée, tout en devant préserver le droit au repos quotidien de 11 heures consécutives et au repos hebdomadaire de 35 heures consécutifs ; un cadre en forfait-jours peut donc valablement travailler jusqu'à 13 heures par jours et 78 heures par semaine.

Pour s'assurer que le cadre concerné ne subit pas un traitement différent des autres cadres de l'entreprise (ni plus, ce qui le placerait comme victime d'une discrimination, ni moins, ce qui entraînerait une discrimination à l'égard des autres cadres), il convient, alors, de vérifier la durée journalière de travail des cadres soumis à la durée légale et de la prendre en compte pour "corriger" la durée du cadre en forfait-jour, à moins que ces derniers ne soient soumis, dans l'entreprise, à une durée effective supérieure à la durée légale, auquel cas ce sera cette durée effective qui devra être prise en compte ("soit la durée légale du travail si la durée du travail applicable dans l'entreprise aux cadres soumis à l'horaire collectif lui est inférieure, soit la durée du travail applicable à ces cadres si elle est supérieure à la durée légale").

  • Précisions sur le rôle des accords d'entreprise

Reste à apporter un éclaircissement supplémentaire à la réserve faite dans l'arrêt à l'hypothèse d'un accord collectif déterminant les modalités de ces retenues. Une lecture (trop) rapide de la décision peut laisser penser, par une interprétation a contrario, qu'un tel accord pourrait s'appliquer de manière quasi souveraine et s'affranchir des principes de proportionnalité et de non-discrimination rappelés par la Cour de cassation. Or, tel n'est pas le cas puisque ces deux principes cardinaux du droit du travail sont bien entendu d'ordre public et conditionnent la validité de tout accord collectif portant sur les retenues pour fait de grève. C'est, d'ailleurs, pour lever toute ambigüité que la Cour de cassation, dans le communiqué publié en marge de l'arrêt sur le site internet de la Cour, a pris soin de rappeler que ces accords "devraient, en tout état de cause, respecter les principes rappelés ci-dessus". Ce qui va sans dire va mieux en le disant !


(1) Principe dit du "trentième indivisible", applicable à la fonction publique d'Etat et aux personnels des établissements publics administratifs (loi de finances rectificative n° 61-825 du 29 juillet 1961, relative à la retenue pour fait de grève N° Lexbase : L1164G8M), principe de retenue semi-proportionnelle pour les personnels des entreprises gérant un service public industriel et commercial, et principe de proportionnalité applicable en principe aux agents de la fonction publique territoriale et hospitalière, sauf dispositions statutaires particulières.
(2) Cass. soc., 24 juin 1998, n° 96-44.234, M. Nio c/ Société Lanvaux (N° Lexbase : A5659ACL) : "mais attendu que l'exercice du droit de grève suspend l'exécution du contrat de travail pendant toute la durée de l'arrêt de travail, en sorte que l'employeur est délié de l'obligation de payer le salaire".
(3) Remboursement de frais : Cass. soc., 2 juin 1993, n° 90-42.515, SA Ponticelli frères c/ Bezet (N° Lexbase : A3736AAM).
(4) C. trav., art. L. 1132-2 (N° Lexbase : L0676H9W).
(5) C. trav., art. L. 2511-1, al. 2 (N° Lexbase : L0237H9N).
(6) Cass. soc., 8 juillet 1992, n° 89-42.563, Société Sétra c/ M. Khiess (N° Lexbase : A9431AAK).
(7) Sur la délicate frontière entre exception d'inexécution et discrimination prohibée, lire nos obs., Grève et non-paiement de la rémunération du gréviste - la délicate frontière entre exception d'inexécution et discrimination prohibée, Lexbase Hebdo n° 53 du 8 janvier 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5343AA7).
(8) C. trav., art. L. 1331-2 (N° Lexbase : L1860H9R).
(9) Cass. soc., 3 février 1993, n° 90-41.665, M. Tadin c/ Les courriers catalans (N° Lexbase : A1007ABW).
(10) Cass. soc., 4 février 1988, n° 84-45.303, SA Sotra Causse Walon et compagnie c/ Simon (N° Lexbase : A1517ABS). Dans le même sens, Cass. soc., 27 juin 1989, n° 88-42.591, Société Causse Walon c/ M. Roussière et autres (N° Lexbase : A4149AGR) ; Cass. soc., 16 juin 1999, n° 98-43.696, Société Air Liberté c/ M. Benoit Pierre Minvielle et autres (N° Lexbase : A3143AGI) ; Cass. soc., 27 janvier 2000, n° 98-46.211, Société Air Liberté, société anonyme c/ Mme Francine Bouland-Mone et autres (N° Lexbase : A9024AGC).
(11) Cass. soc., 12 mai 1980, n° 79-40.306, Kocurek c/ Entreprises Decaux (N° Lexbase : A1625ABS).
(12) Cass. soc., 19 mai 1998, n° 97-41.900, Société Le Parisien c/ M. Colin et autres (N° Lexbase : A2973AC4).
(13) C. trav., art. L. 3121-43 (N° Lexbase : L3869IBW).
(14) En ce sens le communiqué accompagnant l'arrêt sur le site de la Cour de cassation : "la retenue pour fait de grève doit être identique à celle subie par les salariés concernés pour toute autre absence de même durée".


Décision

Cass. soc., 13 novembre 2008, n° 06-44.608, Société Giat industries, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2274EBT)

Cassation, CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 8 juin 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM), devenu L. 2511-1 (N° Lexbase : L0237H9N) et L. 212-15-3, III (N° Lexbase : L7755HBT), devenu L. 3121-45 (N° Lexbase : L3952IBY), dans sa rédaction alors applicable (N° Lexbase : L3952IBY)

Mots clef : grève ; rémunération ; conséquences ; cadres en forfaits-jour ;

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