La lettre juridique n°322 du 16 octobre 2008

La lettre juridique - Édition n°322

Éditorial

La Charte de l'environnement au "frontispice des constitutions républicaines" (1)

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N4754BHK

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par Anne-Laure Blouet Patin, Rédactrice en chef du pôle Presse

Le 27 Mars 2014


Adoptée par le Parlement le 24 juin 2004, la loi constitutionnelle relative à la Charte de l'environnement a été publiée au Journal officiel le 1er mars 2005. La volonté d'inscrire, dans la Constitution, le droit à l'environnement n'est pas récente. En effet, faisant suite au souhait exprimé par le Président Georges Pompidou dans une déclaration du 28 février 1970 à Chicago, de "créer et répandre une sorte de morale de l'environnement imposant à l'Etat, aux collectivités, aux individus, le respect de quelques règles élémentaires faute desquelles le monde deviendrait irrespirable", plusieurs hommes politiques ont proposé de constitutionnaliser le droit à l'environnement. La plupart de ces propositions visait à modifier le Préambule de la Constitution. Il aura fallu plusieurs catastrophes naturelles (Seveso, Bhopal, Tchernobyl, naufrages de l'Amoco Cadiz, de l'Erika et du Prestige, explosion de l'usine AZF) pour que cette idée voit, enfin, le jour en 2005. C'est le 28 avril 2005 que le Conseil constitutionnel s'est référé, pour la première fois, à la Charte de l'environnement en jugeant que le législateur (loi relative à la création du registre international français de l'immatriculation des navires) n'avait pas méconnu le principe du développement durable énoncé par l'article 6 de la Charte de l'environnement. En 2008, avec l'examen de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés, le Conseil a censuré certaines dispositions législatives s'appuyant sur la Charte. De leurs côtés, certains tribunaux administratifs ont, d'ores et déjà, fait application de ce texte. Ainsi, par une ordonnance du 29 avril 2005, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est appuyé sur la Charte de l'environnement pour consacrer le droit de l'environnement en tant que liberté fondamentale (affaire du "Tecknival") ; de même, la Charte a été invoquée dans le cadre d'un référé, devant le tribunal administratif d'Amiens, le 8 décembre 2005, visant à obtenir la suspension de l'exécution d'une délibération de conseil municipal, par laquelle la commune avait décidé de mettre en vente les terrains classés "espaces boisés" dans un parc naturel régional. Force est de constater que, dans son arrêt du 3 octobre dernier, le Conseil d'Etat enfonce le clou en énonçant solennellement que la Charte de l'environnement fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité, au même rang que le Préambule de la Constitution de 1946 ou que la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Et au Conseil d'affirmer que "l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, et à l'instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle ; qu'elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs".

En l'espèce, le Conseil d'Etat était saisi de la régularité d'un décret datant du 1er août 2006 relatif à la délimitation du champ d'application de la protection octroyée aux grands lacs de Montagne situés dans la région d'Annecy. La commune considérait que ce décret méconnaissait le principe de participation du public consacré, notamment, par l'article 7 de la Charte de l'environnement. Le Haut Conseil annule le décret pour incompétence. Sur le fond, et selon cet article, seul le législateur est compétent pour préciser les "conditions et limites" du droit de participation du public. Le décret, en intervenant dans ce domaine, a donc empiété sur le domaine de la loi. Ce faisant, les juges du Palais Royal consacrent le renforcement du Parlement voulu par la Charte en matière de d'environnement. En effet, l'article 34 de la Constitution prévoit, dans la rédaction que lui a donnée la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que la loi détermine les principes fondamentaux, entre autres, de la préservation de l'environnement. Ainsi, la décision implique que, désormais, les lois concernées devront prévoir tous les dispositifs qui devront répondre aux principes de cette même Charte, sans pouvoir s'en remettre à des décrets d'application. Pour faire le point sur cet arrêt et ses conséquences, Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de lire le commentaire de Yann Le Foll, rédacteur en chef. Mais l'actualité en la matière ne s'arrête pas là. En effet, a été présenté en Conseil des ministres, le 26 septembre 2008, le projet de loi de finances pour 2009, texte riche de mesures fiscales liées à l'environnement. Ainsi, afin de mettre en oeuvre les décisions issues du "Grenelle de l'environnement" -la loi de programme étant actuellement débattue devant le Parlement-, le projet de loi de finances accorde des moyens importants sur le plan budgétaire (1,2 milliard d'euros sur la période 2009-2011 dont 0,5 milliard d'euros de crédits supplémentaires spécifiquement affectés aux priorités du Grenelle) et fiscal (notamment avec la mise en place d'un prêt à taux zéro pour financer les travaux de rénovation thermique dans les logements). Et, cette semaine, le Cabinet Savin Martinet Associés revient, à travers son Bulletin d'actualités, sur ces mesures fiscales ambitieuses liées à l'environnement, mesures dont le ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire parle comme d'une "première étape vers l'intégration des problématiques environnementales dans notre système fiscal", et au titre desquelles l'on peut citer celles qui tendent à inciter les ménages à se porter acquéreurs de logements très en avance sur la réglementation thermique, celles qui visent à améliorer la performance énergétique des logements anciens, ou, entre autres, celles qui souhaitent inciter les exploitants agricoles à augmenter les surfaces consacrées à l'agriculture biologique.


(1) En 1917, dans ses conclusions sur l'arrêt "Baldy", le commissaire du Gouvernement Corneille affirmait que "la Déclaration des droits de l'Homme est, implicitement ou explicitement, au frontispice des constitutions républicaines".

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Droit social européen

[Jurisprudence] Conditions du plan de sauvegarde de l'emploi : le calcul de l'effectif dans une entreprise transnationale

Réf. : Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 07-42.862, Société Banca Nationale Del Lavoro SPA, F-P (N° Lexbase : A5032EAM)

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N4743BH7

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par Sébastien Tournaux, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Ironie du sort, c'est en pleine crise du système bancaire que la Chambre sociale de la Cour de cassation était amenée, par un arrêt du 23 septembre 2008, à se prononcer sur les règles applicables à un licenciement collectif dans la succursale française d'une grande banque italienne. Faisant application du principe de territorialité de la loi française, les Hauts magistrats encadrent très strictement les conditions d'effectif permettant de déterminer si la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi devait accompagner ce licenciement. En effet, elle conclut, par application de ce principe, que les salariés italiens ne sauraient être pris en compte dans le calcul de l'effectif, les lois françaises du travail ne pouvant bénéficier qu'aux salariés français (I). Cette solution, qui peut paraître en contradiction avec d'autres solutions faisant une application plus vaste de la loi française, rappelle, une nouvelle fois, les lacunes du droit social communautaire et son incapacité, en l'état actuel, à véritablement harmoniser les règles relatives au licenciement des salariés dans l'Union (II).
Résumé

En vertu du principe de territorialité de la loi française, seuls les salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France bénéficient des lois françaises en droit du travail, en sorte que l'effectif à prendre en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi devait être mis en place est constitué par les seuls salariés relevant des établissements de la société situés en France.

Commentaire

I - Les règles relatives au calcul de l'effectif réservées aux salariés travaillant en France

  • Seuil d'effectif, licenciement et élément d'extranéité

Les conditions de seuil d'effectif sont, historiquement, l'un des socles fondateurs du droit social français (1). Toujours omniprésents en droit positif, ils conditionnent le bénéfice ou la soumission à différents droits ou obligations. S'ils concernent de nombreux domaines du droit du travail, les seuils d'effectifs tiennent, également, une place importante en matière de licenciement (2).

Cependant, le calcul des effectifs a toujours donné lieu à de sérieuses difficultés, qu'il s'agisse de déterminer exactement quels salariés devaient être pris en compte (3) ou de savoir comment comptabiliser les salariés qui ne travaillent pas de manière permanente dans l'entreprise (4). Ces difficultés peuvent être profondément accrues lorsque les salariés concernés par le licenciement sont employés par une entreprise transnationale.

L'élément d'extranéité et l'existence d'établissements sur le territoire d'Etats différents posent clairement la question de la prise en compte, dans le calcul de l'effectif de l'entreprise, de salariés employés dans d'autres Etats que la France. En somme, peut-on imposer à une entreprise étrangère des conditions d'effectif prévues par le droit du travail français ?

  • En l'espèce

C'est bien à cette question que devait répondre la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 23 septembre 2008. Une banque italienne disposait d'une succursale française, laquelle comportait un effectif inférieur à cinquante salariés. Dans ces conditions, les dirigeants de l'entreprise pouvaient considérer qu'ils n'étaient pas tenus de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi tel que prévu par les articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX) du Code du travail. La cour d'appel de Paris ne l'a, pourtant, pas entendu de cette oreille puisqu'elle a prononcé la nullité des licenciements en raison de l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1233-61 et L. 1235-10 du Code du travail, ainsi que du principe dit "de la territorialité de la loi française". En application de ces règles, elle estime que "seuls les salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France bénéficient des lois françaises en droit du travail en sorte que l'effectif à prendre en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi devait être mis en place est constitué par les seuls salariés relevant des établissements de la société situés en France".

  • Les règles de calcul de l'effectif limitées aux salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France

La règle est donc clairement précisée. Si une entreprise transnationale, dont le siège se situe dans un autre Etat, dispose d'un établissement en France, dans lequel un licenciement économique collectif est projeté, seuls les salariés de cet établissement français doivent être comptabilisés pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi doit être mis en oeuvre, ceci par application du principe de territorialité de la loi française. Cette solution, quelque peu atypique si on la compare à d'autres décisions rendues en matière de licenciement impliquant des entreprises transnationales, pose, néanmoins, la lancinante question du rôle du droit social communautaire.

II - Application stricte du principe de territorialité de la loi française

  • Le principe de territorialité du droit français du travail

Le principe de la territorialité de la loi française trouve, le plus souvent, à s'appliquer en matière de droit pénal et de droit fiscal. Pour autant, il arrive que le droit social soit, également, concerné par ce principe. Il en va, par exemple, ainsi, en matière de droit de la Sécurité sociale (5), même si la force du principe y est sensiblement réduite par l'effet de l'intégration communautaire et de la coordination des systèmes de Sécurité sociale (6).

L'application du principe de territorialité du droit du travail français est bien plus rare. On se rappellera, ainsi, que la Cour de cassation avait refusé de faire application de ce principe pour restreindre l'accès d'un expert comptable désigné par un comité d'entreprise à des informations détenues par une société mère néerlandaise (7).

  • Une application habituellement lâche du principe

Pour autant, la tendance du législateur à l'égard du licenciement économique est de faire une application aussi territorialement large que possible de la loi française. Le dernier alinéa de l'article L. 1235-10 dispose, ainsi, que "la validité du plan de sauvegarde de l'emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou l'unité économique et sociale ou le groupe". S'il n'y a, certes, aucune référence à une entreprise transnationale dans cette détermination des moyens devant être mis en oeuvre, on perçoit cependant bien que la tendance n'est pas à limiter l'appréciation au niveau de l'établissement ou de l'entreprise, mais bien d'élargir au niveau du groupe.

La même tendance se retrouve dans l'identification du champ dans lequel l'entreprise qui procède à un licenciement pour motif économique a l'obligation de rechercher un reclassement pour le salarié. En effet, l'obligation ne se limite pas aux sociétés du groupe situées en France, le reclassement devant être recherché à l'étranger, à condition, toutefois, que la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salariés étrangers (8).

Il en va, enfin, de même pour l'existence de difficultés économiques, qui doivent être appréciées au niveau du secteur d'activité du groupe (9), sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national (10).

  • Une application restrictive difficile à justifier

On le voit, le droit du travail produit donc de nombreux effets sur les sociétés à dimension transnationale sans que le principe de territorialité de la loi française n'ait, jusqu'ici, constitué une véritable difficulté (11). L'invocation du principe pourrait, dès lors, paraître à contre courant de cette tendance.

Cela n'est, pourtant, pas nécessairement le cas. En effet, dans l'affaire commentée, la Cour de cassation prononce la cassation de l'arrêt d'appel parce que les juges du fond avaient imposé à une entreprise étrangère de comptabiliser des salariés qui ne travaillent pas en France. Si l'on compare avec les hypothèses précédemment évoquées, on s'apercevra qu'il n'y était jamais question que la loi française impose des obligations à l'entreprise étrangère sur son territoire. Ainsi, par exemple, l'obligation de rechercher un reclassement à l'étranger ne pèse que sur l'établissement ou l'entreprise située en France et non sur le groupe transnational de nationalité étrangère. Il en allait de même dans l'affaire relative aux informations que l'expert comptable de l'entreprise peut se procurer, puisque la demande d'information était dirigée vers l'établissement français et non vers la maison mère néerlandaise.

  • L'éventualité d'une contagion à l'appréciation des difficultés économiques dans une entreprise transnationale

A vrai dire, seule l'hypothèse de l'appréciation des difficultés économiques au-delà des frontières nationales prête à contradiction. Qu'il s'agisse d'apprécier les difficultés économiques ou de calculer l'effectif de l'entreprise, le principe de territorialité devrait s'opposer, pour chacune de ces hypothèses, à ce que la loi française produise des effets au-delà des seuls salariés relevant de l'établissement français. La question se pose, dès lors, de savoir si la solution rendue n'impliquera pas, à l'avenir, un revirement de la Chambre sociale. Elle pourrait, en effet, ne plus prendre en considération les entreprises étrangères appartenant au même secteur d'activité du groupe transnational pour l'appréciation de difficultés économiques, au nom du respect du principe de territorialité.

Un élément de réponse figure probablement dans les termes choisis par la Cour de cassation. En effet, la Chambre sociale fait application du principe de territorialité de la loi française en estimant que "seuls les salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France bénéficient des lois françaises en droit du travail". Or, si ce sont bien les canons du droit du travail français qui s'appliquent en cas d'appréciation des difficultés économiques, cette application ne concerne pas les salariés étrangers eux-mêmes, mais seulement la situation factuelle de l'entreprise étrangère.

Il n'en reste pas moins que l'usage du verbe "bénéficier" dans cette argumentation peut laisser perplexe. En effet, le raisonnement opéré par les juges du fond n'impliquait certainement pas que les salariés italiens de l'entreprise "bénéficient" de la loi française. Même s'ils étaient comptabilisés dans l'effectif selon les règles de droit français, on ne peut raisonnablement pas dire que l'application de cette règle constituait un "bénéfice", comme l'aurait été, par exemple, l'obligation pour l'employeur italien de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour les salariés travaillant en Italie.

  • Les stigmates de l'insuffisance du droit social communautaire

En guise de conclusion, il convient de remarquer que cette décision met, à nouveau, en exergue les faiblesses encore trop souvent stigmatisées du droit social communautaire.

L'entreprise bancaire ayant un établissement en France et un autre en Italie, il aurait été souhaitable que des règles de droit communautaire viennent régler la difficulté relative au calcul des seuils d'effectif et de la mise en place d'un plan social. Or, les dispositions du droit communautaire se rapprochant le plus de l'idée d'un plan de sauvegarde de l'emploi sont celles prévues par l'article 2 de la Directive du 20 juillet 1998, qui se contentent d'imposer des consultations des représentants du personnel (12). Même si certains auteurs semblent voir dans ces dispositions l'immanence d'un plan social au niveau européen, il faut bien constater que ces dispositions demeurent très sensiblement insuffisantes alors même que, l'on peut s'en persuader à l'analyse de cet arrêt, la question est loin d'être une hypothèse d'école (13). Les événements ne nous démentiront pas : les difficultés financières des banques importent certainement davantage aux institutions européennes que l'harmonisation des règles s'appliquant à leurs salariés...


(1) La loi du 22 mars 1841, relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers, usuellement considérée comme la première loi sociale française, comportait, déjà, un seuil d'effectif puisqu'elle ne s'appliquait qu'aux manufactures de plus de vingt salariés. L'importance des seuils d'effectif en droit français est, d'ailleurs, très symboliquement marquée puisque c'est le deuxième article du Code du travail recodifié qui détermine les modalités de calcul de l'effectif d'une entreprise (v. C. trav., art. L. 1111-2 N° Lexbase : L3822IB8).
(2) On se souviendra, ainsi, que les salariés des entreprises qui occupent moins de onze salariés ne bénéficient pas des dispositions légales relatives à l'indemnité légale réparant l'absence de cause réelle et sérieuse de leur licenciement, mais, seulement, d'une indemnité calculée en fonction du préjudice subi. V. C. trav., art. L. 1235-5 (N° Lexbase : L1347H9R).
(3) Par exemple, les questions qui se sont posées à l'égard des salariés mis à disposition par une entreprise extérieure. V., sur ce point, Cass. soc., 28 mars 2000, n° 98-60.440, Syndicat SCE-CFDT Artois Val-de-Lys et autres c/ Syndicat CFTC société Stora Corbehem et autres (N° Lexbase : A6306AGN), Dr. soc., 2000, p. 797, obs. C. Roy-Loustaunau ; Cass. soc., 21 mars 2001, n° 99-60.516, Société Marks et Spencer c/ Fédération CGT du Commerce (N° Lexbase : A1374AT3), RJS, 6/01, n° 758 ; Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 00-60.252, Société Stora Enso Corbehem, FS-P+B (N° Lexbase : A2728AXC), Bull. civ. V, n° 364.
(4) Pour une étude d'ensemble, malheureusement un peu datée, v. C. Sachs, Les seuils d'effectif, LGDJ, 1985.
(5) Sur cette question, v. G. Lyon-Caen, A. Lyon-Caen, Droit social international et européen, Dalloz, 8ème éd., 1993, n° 95 et s. ; v., également, O. Pujolar, La prise en charge des soins reçus hors de France, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale ([LXB=4184AIS]).
(6) V. P. Rodière, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2ème éd., pp. 497 et s..
(7) Sur cette question, v. Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W) et nos obs., L'expert-comptable du comité d'entreprise détermine seul les documents nécessaires à l'exercice de sa mission, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4433BEW).
(8) Cass. soc., 7 octobre 1998, n° 96-42.812, Société Landis et Gyr Building Control c/ M Bellanger (N° Lexbase : A5643ACY), RJS, 1998, n° 1352 ; D., 1998, p. 310, note Adom ; Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-44.023, Mme Sidonie Correia c/ Agence Office du tourisme et du commerce du Portugal, inédit (N° Lexbase : A1244CQ7), RJS, 2000, n° 261.
(9) Depuis l'arrêt "Vidéocolor", v. Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres (N° Lexbase : A4018AA3), Bull. civ. V, n° 123 ; Dr. soc., 1995, p. 482, note Ph. Waquet ; JCP éd. G, II, 22443, note G. Picca.
(10) Cass. soc., 12 juin 2001, n° 99-41.571, Société Sprague France c/ M. Beauvais et autres (N° Lexbase : A5093AGQ), Bull. civ. V, n° 214 ; Dr. soc., 2001, p. 894, obs. Masquefa.
(11) V., cependant, la célèbre affaire de la Compagnie internationale des wagons-lits dans laquelle le Conseil d'Etat avait imposé la mise en place d'un comité d'entreprise à une société belge (CE Contentieux, 29 juin1973, n° 77982, Syndicat général du personnel de la Compagnie des wagons-lits N° Lexbase : A9823B8C, Dr. soc. 1974, concl. N. Questiaux, note J. Savatier) et l'adaptation de la solution par la Cour de cassation, Cass. mixte, 28 février 1986, n° 84-60.724, Compagnie Multinationale Air Afrique c/ Syndicat national des Pilotes de ligne Orly Sud, Meyrieux, Julie, Peltre (N° Lexbase : A3302AAK), D., 1987, p. 173, concl. Franck ; Dr. soc., 1986, p. 406, note Gaudemet-Tallon.
(12) Directive (CE) 98/59 du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs (N° Lexbase : L9997AUS).
(13) Le Professeur Teyssié, dans son ouvrage de droit européen du travail, intègre à son index une occurrence "plan social" qui renvoie aux dispositions précitées de la Directive du 20 juillet 1998. Il est, pourtant, sérieusement discutable que les faibles protections procédurales instituées par la Directive puissent s'apparenter au plan de sauvegarde de l'emploi tel que le droit français l'envisage. V. B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, 3ème éd., v. l'index renvoyant au n° 601.

Décision

Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 07-42.862, Société Banca Nationale Del Lavoro SPA, F-P (N° Lexbase : A5032EAM)

Cassation, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 25 janvier 2007, n° 04/03770, Syndicat national de la banque et du crédit c/ ViaVeneto (N° Lexbase : A5756DUQ)

Textes visés : C. trav., art. L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX)

Mots-clés : entreprise transnationale ; licenciement pour motif économique ; plan de sauvegarde de l'emploi ; condition d'effectif.

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Impôts locaux

[Jurisprudence] TFPB : le caractère involontaire de la vacance d'un immeuble situé dans une copropriété s'apprécie en fonction des démarches effectuées par le seul propriétaire de cet immeuble

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 29 août 2008, n° 300444, Mme Hardy-Dessources (N° Lexbase : A0643EA3)

Lecture: 21 min

N4742BH4

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par Frédéric Dieu, Commissaire du gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille

Le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 29 août 2008, le Conseil d'Etat a confirmé son approche stricte, et sévère pour le contribuable, de la condition de vacance indépendante de la volonté posée par les dispositions de l'article 1389 du CGI (N° Lexbase : L9892HLX) pour pouvoir bénéficier du dégrèvement de la taxe foncière. Pour juger que la vacance de l'appartement, dont le contribuable est propriétaire dans un immeuble régi par les règles de la copropriété, n'était pas indépendante de sa volonté, le tribunal administratif de Cayenne avait relevé qu'il n'était pas établi que les différents copropriétaires de l'immeuble avaient été mis dans l'impossibilité d'engager les travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres qui l'affectaient. Le Conseil d'Etat a, cependant, considéré que le tribunal, en s'abstenant de rechercher si la vacance de l'appartement en cause était indépendante de la seule volonté du contribuable, avait méconnu les dispositions de l'article 1389 du CGI. La Haute assemblée n'a pas pour autant donné gain de cause au contribuable, car celui-ci n'avait pas fait les démarches nécessaires tendant à obtenir des organes de la copropriété qu'ils accomplissent les diligences pour faire exécuter les travaux propres à remédier aux désordres. La vacance de l'appartement ne pouvait donc être regardée comme indépendante de sa volonté. Si la solution retenue peut paraître de prime abord à la fois sévère et obscure, puisque aucune précision n'est donnée sur la nature des démarches qui doivent être entreprises auprès des organes de copropriété pour prouver le caractère contraint de la vacance, elle s'avère, cependant, cohérente avec l'étendue des obligations qui sont celles des syndicats de copropriété en matière d'entretien des parties et équipements communs et avec les actions dont disposent les copropriétaires pour contraindre ceux-ci à assumer leurs obligations. 1. Une application extensive de la notion de vacance indépendante de la volonté...

1.1. Le dégrèvement de taxe foncière pour les locaux à usage d'habitation destinés à la location ne peut intervenir que si les désordres rendant l'immeuble impropre à la location sont indépendants de la volonté de son propriétaire

1.1.1. La vacance des locaux doit être indépendante de la volonté de leur propriétaire

Aux termes de l'article 1389, I du CGI, les contribuables peuvent obtenir le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location à usage d'habitation. Le dégrèvement est subordonné à la triple condition que la vacance soit indépendante de la volonté du contribuable, qu'elle ait une durée minimale de trois mois et qu'elle concerne la totalité de l'immeuble ou une partie susceptible de location séparée.

Les dégrèvements pour vacance de maison ne sont donc applicables qu'aux locaux présentant la triple caractéristique d'être des locaux d'habitation destinés à la location et vacants. La condition suivant laquelle la vacance doit être indépendante de la volonté du propriétaire pour ouvrir droit au dégrèvement ne peut notamment être considérée comme remplie lorsque la vacance provient des exigences non justifiées du propriétaire touchant le montant des loyers, de l'exécution de travaux d'agrandissement, de reconstruction ou de modifications intérieures destinées à donner une plus-value à l'immeuble, de l'absence de diligences en vue de parvenir à une nouvelle location et du mauvais entretien volontaire rendant la maison impropre à la location.

Ainsi, la condition de vacance indépendante de la volonté du contribuable à laquelle l'article 1389 du CGI subordonne le dégrèvement de taxe foncière sur les propriétés bâties n'est pas réalisée lorsque la non-location résulte de la volonté de ne retenir que des candidats offrant des garanties de ressources suffisantes (CAA Bordeaux, 2ème ch., 14 mai 1992, n° 90BX00567, Jean-Alain Chemille, RJF, 7/92, n° 1007 N° Lexbase : A0719A87 ; CE 8° et 9° s-s-r., 1er décembre 1999, n° 189656, Société immobilière de la Basse-Seine N° Lexbase : A5418AXX, RJF, 1/00, n° 63 ; CAA Paris, 1ère ch., sect. A, 4 décembre 2003, n° 01PA02061, Champy N° Lexbase : A7372EAB, RJF, 5/05, n° 467 ; CE 8° s-s., 21 février 2005, n° 264688, Champy, RJF, 5/05, n° 467).

1.1.2. Le propriétaire qui invoque comme cause de non-location les désordres affectant son immeuble doit prouver que ces désordres sont indépendants de sa volonté

D'une manière générale, le propriétaire d'une maison vacante n'est en droit de prétendre au bénéfice du dégrèvement que dans la mesure où l'état de délabrement des locaux qui a rendu impossible leur location ne peut lui être imputé dans son origine ou sa persistance (CE, 12 janvier 1959, Héritiers Clément, RO, p. 338 ; CE, 27 novembre 1964, n° 62137, Ageorges, Ardennes, RO, p. 195, Dupont 1965, p. 42).

Toutefois, le mauvais état d'entretien de l'immeuble ne saurait à lui seul motiver le rejet d'une demande en dégrèvement de l'impôt foncier y afférent, dès lors que le propriétaire ne se refuse pas à faire effectuer les travaux, mais attend, pour les faire entreprendre, la conclusion d'un bail ou l'intervention d'un expert destinée à procéder à l'évaluation desdits travaux (CE 7° s-s., 19 décembre 1966, n° 66382, Murat N° Lexbase : A3413B8W, Paris, BOCD, 1967-II-3661, DB 13 O-2211, n° 8 ; CE, 30 avril 1966, Dupont 1967, p. 161, RO, p. 306).

Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que ne pouvait être regardée comme indépendante de la volonté du propriétaire et par suite ne pouvait ouvrir droit au dégrèvement la vacance d'un immeuble normalement destiné à la location, mais délabré, dès lors que le propriétaire n'avait pas entrepris de remédier à cet état de choses (CE 8° s-s., 10 mai 1967, n° 68004, Revel N° Lexbase : A7204B7X, Charente, BOCD, 1967-II-3851 et 3852, RJCD, p. 132, Dupont, p. 378). En admettant que l'état de vétusté d'un immeuble s'oppose à sa location, le dégrèvement ne peut donc être accordé lorsque le propriétaire n'établit pas que ce délabrement, consécutif à un défaut d'entretien, est indépendant de sa volonté (CE, 15 octobre 1975, n° 96360, Seguis ; CE 8° et 7° s-s-r., 17 avril 1989, n° 61468, Caron N° Lexbase : A1078AQY, RJF, 6/89, n° 703 ; CE 3° et 8° s-s-r., 26 juillet 2006, n° 275155 N° Lexbase : A7977DQI, n° 275156 et n° 275157 N° Lexbase : A7978DQK, SARL Foncière Victoire, RJF, 11/06, n° 1383).

Concrètement, le propriétaire doit donc apporter la preuve qu'il a été empêché par une circonstance indépendante de sa volonté de faire procéder aux travaux nécessaires. C'est pourquoi le propriétaire d'un immeuble destiné à la location ne peut prétendre au dégrèvement pour vacance prévu par l'article 1389 du CGI, dès lors qu'il n'établit pas qu'il a été empêché de réaliser les travaux de remise en état rendus nécessaires par les dégradations causées par les derniers occupants (CE 8° et 9° s-s., 21 juillet 1989, n° 77574, Le Faou N° Lexbase : A1330AQC, RJF, 10/89, n° 1124).

De fait, c'est assez rarement que le juge constate que l'absence de location due au délabrement de l'immeuble est indépendante de la volonté du propriétaire (cf. cependant CE, 7° et 9° s-s-r., 9 février 1977, n° 1953, Finances c/ Favatier N° Lexbase : A9386AXW, RJF, 4/77, n° 237 : à propos d'un bâtiment que de précédents occupants ont laissé en 1962 dans un état de délabrement tel qu'il ne peut être normalement donné en location sans travaux préalables de remise en état en 1972, alors que, par ailleurs, l'immeuble s'est trouvé inclus dans une zone à urbaniser par priorité, ce qui a entraîné le refus de tout permis de construire pour ce bien ; le bâtiment en cause peut donc donner lieu au dégrèvement pour vacance de maison ; cf., aussi, TA Paris, 1ère sect., 3ème ch., 24 février 2000, n° 97-10350/1, SA d'HLM Efidis, RJF, 11/00, n° 1285 : est indépendante de la volonté d'une société d'HLM la vacance de ses appartements rendue nécessaire pour la mise aux normes minimales actuelles de confort et d'habitabilité des immeubles anciens dont la conception est obsolète et dont l'état de vétusté et d'insalubrité n'est pas imputable à un défaut d'entretien).

Il semble, toutefois, que, comme c'était le cas dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 29 août 2008, la présence d'occupants sans titre dans l'immeuble en cause puisse être une cause d'exonération de la taxe foncière, dès lors que cette présence est absolument indépendante de la volonté du contribuable ou de sa diligence à faire cesser cet état de fait (CE 8° s-s., 22 décembre 1958, n° 41796, Hanauer, Metz, Seine-et-Marne, RO, p. 282, DB 13 O-2211 n° 3, 30 avril 1996). De même, et comme c'était également le cas dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 29 août 2008, l'absence de location peut être justifiée par l'insécurité affectant le quartier et la résidence dans lesquels il est situé (TA Nantes, 1ère ch., 17 juillet 2002, n° 99-3484 et 99-3485, Opac Angers Habitat, RJF, 1/03, n° 59, concl. C. Hervouet, BDCF, 1/03, n° 10 : la vacance d'une partie du parc immobilier d'un office d'HLM liée au climat d'insécurité et de violence régnant dans les quartiers en cause et aux perturbations occasionnées par certains locataires doit être regardée comme indépendante de la volonté de cet organisme, qui a effectué régulièrement des travaux de réhabilitation et recruté du personnel qualifié pour essayer d'améliorer les relations de voisinage).

1.2. En ce qui concerne les locaux situés dans une copropriété, ce critère s'apprécie en tenant compte du seul comportement du propriétaire concerné

1.2.1. Le propriétaire ne peut s'abriter derrière l'immobilisme des autres copropriétaires

Dans l'affaire jugée le 29 août 2008, était en cause la vacance d'un appartement qui était situé dans un immeuble régi par les règles de la copropriété, lui-même situé dans un quartier de la ville de Cayenne (Guyane) affecté par une forte insécurité. Dans son jugement, le tribunal administratif de Cayenne avait relevé que la requérante n'apportait pas la preuve du caractère involontaire de la vacance de son appartement, qu'elle avait cessé de donner en location depuis plusieurs années, dans la mesure où elle n'établissait pas que les différents copropriétaires de l'immeuble avaient été mis dans l'impossibilité d'engager les travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres qui l'affectaient. Autrement dit, le tribunal administratif de Cayenne s'était fondé sur le délabrement de l'immeuble et le comportement, ou plutôt l'immobilisme, de ses copropriétaires pour apprécier le caractère volontaire ou non de la vacance de l'un des appartements situés dans cet immeuble. Ce faisant, le tribunal avait considéré que le propriétaire pouvait à bon droit invoquer l'inertie des autres copropriétaires et des organes de la copropriété pour justifier l'absence de location de son appartement.

A rebours de ce raisonnement, le Conseil d'Etat a estimé que l'inertie collective des copropriétaires et des organes de la copropriété ne pouvait servir de masque et de justification à l'inertie individuelle du propriétaire sollicitant le dégrèvement de taxe foncière. C'est que, en effet, cette inertie est, en elle-même, sans incidence sur la solution d'un litige qui nécessite d'examiner le comportement du propriétaire sollicitant ce dégrèvement afin de déterminer le caractère volontaire ou non de la vacance de son appartement. Pour le dire autrement, il ne sert à rien d'examiner le comportement de personnes physiques ou morales qui ne sont pas les propriétaires des appartements vacants. Plus généralement, la dette fiscale étant une dette personnelle, le contribuable ne peut utilement s'abriter derrière le comportement d'autres contribuables placés dans la même situation que lui. Or, les dispositions de l'article 1389 du CGI exigent que la vacance soit "indépendante de la volonté du contribuable", c'est-à-dire du propriétaire du bien situé en copropriété, et non des contribuables que sont l'ensemble des copropriétaires.

C'est pourquoi le Conseil d'Etat a explicité ces dispositions pourtant déjà claires en faisant précéder le terme "volonté" de l'adjectif "seule". Autrement dit, une seule volonté doit être prise en compte par l'administration fiscale et le juge de l'impôt, à savoir la volonté du contribuable sollicitant le dégrèvement de taxe foncière à raison de l'appartement vacant dont il est propriétaire. Il appartient donc à ceux-ci de "rechercher si la vacance de l'appartement en cause [est] indépendante de la seule volonté [du contribuable]".

Précisons, cependant, que, si c'est l'examen du seul comportement du contribuable sollicitant le dégrèvement qui doit pour le juge être le support de l'appréciation du caractère volontaire ou non de la vacance, il appartient en revanche à ce dernier d'examiner la situation de l'ensemble de la copropriété et non seulement la situation de l'appartement au titre duquel est sollicité le dégrèvement. Le propriétaire de cet appartement peut donc invoquer la dégradation de la copropriété dans laquelle est situé son appartement pour prouver le caractère involontaire de la vacance de cet appartement, à condition, bien entendu, de justifier qu'il a tenté de remédier à cet état de fait.

1.2.2. Il lui appartient, s'il ne peut lui-même remédier aux désordres, d'exiger des organes de copropriété qu'ils fassent effectuer les travaux nécessaires

Concrètement, le copropriétaire sollicitant le dégrèvement de taxe foncière à raison de l'appartement vacant dont il est propriétaire au sein d'une copropriété doit donc apporter la preuve que la vacance de son appartement n'est pas due à sa volonté ou, pour le dire autrement, qu'il a tout mis en oeuvre pour l'éviter. Il doit donc démontrer qu'il n'est pas resté inerte devant les circonstances qui ont fait obstacle à la mise en location. Or, dans le cas d'un appartement qui n'a pas trouvé preneur, non pas en raison de son propre délabrement mais en raison du délabrement de la résidence dans laquelle il est situé, situation qui met donc en cause la responsabilité collective de la copropriété et non la responsabilité individuelle de tel ou tel copropriétaire, le propriétaire de l'appartement non loué doit pouvoir prouver qu'il est intervenu auprès des organes de la copropriété.

A cet égard, selon les dispositions de l'article 17-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis (N° Lexbase : L5536AG7), les décisions du syndicat de copropriété sont prises en assemblée générale des copropriétaires et leur exécution est confiée à un syndic placé éventuellement sous le contrôle d'un conseil syndical. Le syndicat des copropriétaires comprend, donc, trois organes : un organe délibérant qui est l'assemblée générale, un organe exécutif qui est le syndic et un organe consultatif et de contrôle qui est le conseil syndical.

Dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 29 août 2008, la résidence dans laquelle était située l'appartement de la requérante, résidence qui était elle-même située dans un quartier "marqué par une importante insécurité", était affectée "de dysfonctionnements graves touchant les parties communes, notamment le système de digicode, ce qui [avait] permis à des personnes étrangères à l'immeuble d'y entrer et d'y séjourner et [avait] favorisé la commission de graves violences et d'acte de vandalisme". En outre, la résidence souffrait d'une "absence d'éclairage" et de "pannes de la pompe de relèvement de la fosse septique" qui occasionnaient "de sérieuses nuisances". C'est donc peu dire qu'un appartement situé dans une telle résidence n'était guère attractif pour d'éventuels locataires. Le propriétaire de l'appartement en cause subissait ainsi véritablement le délabrement de la résidence dans laquelle il était situé. Objectivement, donc, l'absence de location de cet appartement pouvait résulter du seul délabrement de la résidence dans laquelle il était situé et peu importait ainsi que cet appartement fût lui-même en bon ou mauvais état.

Toutefois, si cet appartement n'était objectivement pas louable en l'état, cela ne suffisait pas à justifier l'octroi du dégrèvement de taxe foncière. Il fallait encore pour son propriétaire justifier que cet appartement n'était subjectivement pas louable : autrement dit, il lui fallait démontrer qu'il n'avait pu, par ses efforts et diligences pour y faire effectuer les travaux nécessaires, surmonter le caractère objectivement non louable de son bien. Or, dans la mesure où les travaux à effectuer concernait la résidence dans son ensemble et non pas son seul appartement, seuls les organes de copropriété étaient compétents pour décider de leur engagement. En conséquence, il appartenait au propriétaire qui subissait le délabrement de cette résidence d'exiger des organes de copropriété qu'ils remplissent leurs missions et satisfassent leurs obligations. Selon le Conseil d'Etat, le contribuable sollicitant le dégrèvement de la taxe foncière à raison d'un bien situé dans une copropriété dont le délabrement fait obstacle à sa location, ce contribuable donc doit apporter la preuve qu'il a engagé "les démarches nécessaires, tendant à obtenir des organes de la copropriété qu'ils accomplissent les diligences pour faire exécuter les travaux propres à remédier à ces désordres et à assurer la sécurité de l'immeuble". A défaut donc d'avoir engagé de telles démarches, le contribuable est réputé responsable de l'absence de location de son bien ou, plutôt, l'absence de location du bien est réputée être non indépendante de la volonté de son propriétaire.

La solution retenue peut paraître sévère pour le copropriétaire qui subit ainsi doublement le délabrement de la résidence dans laquelle est situé son bien : une première fois à raison de l'absence de location de bien et une seconde à raison du refus de dégrèvement de la taxe foncière qui lui est opposé. Soulignons, par ailleurs, que le Conseil d'Etat n'a donné aucune précision quant aux "démarches" qui doivent être effectuées auprès des organes de la copropriété. En particulier, il n'est pas précisé que ces démarches doivent avoir un caractère contraignant vis-à-vis de ces organes et prendre éventuellement la forme d'une action en justice.

Toutefois, au vu, d'une part, de la rigueur avec laquelle le Conseil d'Etat apprécie le caractère involontaire de la vacance, ce caractère involontaire étant de fait rarement constaté, et, d'autre part, des actions dont dispose le copropriétaire vis-à-vis des organes de la copropriété qui ne satisfont pas aux obligations qui sont les leurs, il nous semble qu'il appartiendra au copropriétaire concerné, s'il n'a pas obtenu gain de cause avant, d'assigner en justice le syndicat de copropriété et à tout le moins de prouver que l'assemblée générale des copropriétaires s'est opposée aux travaux de nature à remédier au délabrement de la copropriété.

2... qui peut être justifiée par la possibilité qu'ont les copropriétaires de contraindre les organes de copropriété défaillants à prendre les mesures destinées à mettre fin aux désordres

2.1. Le syndicat de copropriété est responsable de plein droit des dommages affectant les parties communes

2.1.1. Une responsabilité sans faute...

La collectivité des copropriétaires est constituée en un syndicat, c'est-à-dire l'organe de la copropriété chargé de prendre les décisions. Le syndicat des copropriétaires existe de plein droit ; il est doté de la personnalité civile. Il n'est pas propriétaire des parties communes et son objet est, selon les dispositions de l'article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, limité à "la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes". L'absence de droit de propriété du syndicat sur les parties communes explique que le syndicat puisse voir sa responsabilité engagée, vis-à-vis des tiers et des copropriétaires en sa qualité de gardien de l'immeuble ou pour les fautes qu'il commet dans l'exercice de ses fonctions.

En ce qui concerne, ainsi, les dommages causés par les parties communes ou les éléments d'équipement collectif de l'immeuble dont le syndicat a la charge d'entretien, sa responsabilité repose soit sur la règle de l'article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, soit sur les dispositions de portée générale de l'article 1384 du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS). L'article 14 constitue le corollaire de l'obligation pour le syndicat d'assurer l'entretien des parties communes et de maintenir les éléments d'équipement collectif en bon état de fonctionnement : en s'abstenant de prendre les mesures nécessaires pour respecter cette obligation, le syndicat doit en assumer les conséquences dommageables (Cass. civ. 3, 18 juillet 1979, Dalloz, 1980, inf. rap., p. 275 ; Cass. civ. 3, 14 octobre 1987, JCP éd. N, 1988, II, p. 271, JCP éd. G, 1987, IV, 389). Toutefois, la règle de responsabilité du syndicat du fait de l'immeuble édictée par l'article 14 de la loi ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de portée générale prévues par le Code civil, notamment de l'article 1384, alinéa premier, selon lequel "on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde" (Cass. civ. 3, 24 février 1988, Inf. rap. copr. 294 ; Cass. 12 juin 1991, Loyers et copr., 1991, comm. 352 ; Cass. civ. 3, 16 févr. 1994, Loyers et copr., 1994, comm. 256 ; Cass. civ. 3, 19 juin 2007, Administrer, octobre 2007, p. 90 ; cf. aussi CA Paris, 29 septembre 2004, Loyers et copr., 2005, comm. 29 ; CA Paris, 28 mai 2002, Loyers et copr., 2002, comm. 271).

En conséquence, chaque fois qu'un dommage est causé par une partie commune ou un élément d'équipement commun placé sous la garde du syndicat, ce dernier en est responsable sur le fondement soit de l'article 14 de la loi de 1965, si la victime apporte la preuve d'un vice de construction ou d'un défaut d'entretien à l'origine du dommage, soit de l'article 1384, si la cause du dommage et inconnue ou incertaine.

Ainsi, dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 29 août 2008, c'est bien le syndicat de copropriété qui était responsable des "dysfonctionnements graves" touchant les parties communes, notamment le système de digicode, ainsi que de l'"absence d'éclairage" et des "pannes de la pompe de relèvement de la fosse septique". Il s'agissait, en effet, de parties communes et d'équipements communs qui étaient placés sous sa garde. C'est donc à raison que le Conseil d'Etat a considéré qu'il appartenait à la requérante d'établir qu'elle avait effectué les démarches nécessaires auprès des organes de la copropriété pour qu'ils remédient à des désordres dont ils étaient responsables.

Soulignons, enfin, que la responsabilité du syndicat est indépendante de toute notion de faute de sa part. Il suffit à la victime d'apporter la preuve que le dommage dont elle se plaint est imputable à un défaut de conception ou d'entretien d'une partie commune ou d'un élément d'équipement collectif sur le fondement de l'article 14 de la loi, ou au fait des installations dont le syndicat doit répondre en sa qualité de gardien au sens de l'article 1384 du Code civil (Cass. civ. 3, 14 janvier 1999, Loyers et copr., 1999, comm. 167) dès lors que la cause exacte du dommage clairement établie (Cass. civ. 3, 20 juillet 1996, Inf. rap. copr., février 1998, p. 10). Conformément aux principes généraux en matière de responsabilité civile, le syndicat ne pourrait donc y échapper qu'en apportant la preuve, soit de l'absence d'un lien de causalité entre l'état de l'immeuble et le préjudice invoqué, soit de l'existence d'un cas de force majeure ou d'une faute de la victime qui y serait assimilable (Cass. civ. 3, 14 décembre 2004, n° 03-12.191, F-D N° Lexbase : A4750DEN, Administrer, avril 2005, p. 36).

2.1.2. ... qui oblige le syndicat à réparer tous les dommages causés aux parties communes

Conformément aux principes généraux, le syndicat responsable sur le fondement de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965, ou de l'article 1384 du Code civil est donc tenu de réparer la totalité des dommages causés par les parties communes de l'immeuble ou ses éléments d'équipement collectif. Le syndicat est ainsi responsable du retard apporté à réparer les parties communes dont le mauvais état a été à l'origine des dégradations constatées dans une partie privative sans qu'il puisse prétendre que ces dommages eussent été limités si la propriétaire avait elle-même entrepris les travaux de réparation nécessaires avant ceux du gros-oeuvre incombant au syndicat (Cass. civ. 3, 7 mars 1990, n° 88-14.048, Syndicat des copropriétaires du 7, Rue de la Michodière à Paris c/ Mme Lucas N° Lexbase : A9745CNA, Inf. rap. copr., mai 1990, p. 137, note Capoulade ; cf. également à propos de l'absence de faute de la victime, Cass. civ. 2, 16 février 1994, n° 92-17.344, CGAM c/ CPAM de Paris et autres N° Lexbase : A0283CUZ, Loyers et copr., 1994, comm. 256).

Outre qu'il doit supporter les frais de remise en état tant des parties communes à l'origine des dommages que des parties privatives ayant supporté des dégradations, le syndicat doit d'ailleurs prendre en charge la réparation des préjudices supplémentaires générés par les incidents mettant en cause sa responsabilité tels que privation de jouissance des locaux ou pertes de loyers (CA Paris, 23ème ch., sect. A, 1er juillet 1987, n° 10163, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis à Paris 5ème, 11 rue de l'Estrapade c/ Monsieur Jean Prudhomme N° Lexbase : A7345EAB et, pour la perte de loyers, CA Paris, 1ère ch., sect. A, 30 novembre 1994, n° 94/06784, Monsieur Maruenda Michel c/ Syndicat des copropriétaires du 14 rue Rosenwald à Paris 15ème N° Lexbase : A7347EAD).

Le juge judiciaire peut ainsi être amené à condamner le syndicat à verser au copropriétaire des dommages intérêts correspondant à l'impossibilité pour celui-ci de louer son appartement rendu insalubre alors que les travaux nécessaires pour mettre fin à des infiltrations d'eau n'ont pas été exécutés par le syndicat, sans que celui-ci puisse d'ailleurs subordonner leur réalisation au paiement préalable des charges par le copropriétaire victime (voir CA Paris, 23ème ch., sect A, 27 juin 1990, n° 89/13558, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 61 rue Saint Didier à Paris 75016 N° Lexbase : A7346EAC ; CA Versailles, 4ème ch., 6 janvier 1995, n° 10930/93, Monsieur Jean Camuset c/ Monsieur Thierry Mary N° Lexbase : A7348EAE).

La solution rendue par le Conseil le 29 août 2008 est donc cohérente avec les principes gouvernant la responsabilité du syndicat de copropriété et la jurisprudence judiciaire y relative puisqu'elle tient compte de la possibilité qu'a le copropriétaire d'un appartement situé dans une résidence non ou mal entretenue par les organes de la copropriété et qui ne peut en conséquence être loué d'obtenir du juge judiciaire la condamnation de ces derniers à réparer le préjudice tenant au défaut de location. C'est dire, donc, que le copropriétaire a la possibilité de faire sanctionner par le juge judiciaire le caractère involontaire de l'absence de location de son bien et plus précisément la responsabilité du syndicat de copropriété quant à cette absence de location.

2.2. Les copropriétaires disposent, en outre, de voies de droit leur permettant de contraindre le syndicat défaillant à remédier aux désordres affectant les parties communes

2.2.1. La possibilité pour les copropriétaires de saisir le juge afin qu'il ordonne au syndicat d'effectuer les travaux nécessaires

Selon la jurisprudence, devant la carence d'un syndicat pourtant tenu, en vertu de l'article 14 de la loi, de conserver l'immeuble en bon état, et pour prévenir de nouveaux risques d'accidents, les copropriétaires sont habilités à demander au tribunal la condamnation du syndicat à exécuter, au besoin sous astreinte, les travaux de réfection nécessaires pour satisfaire à l'obligation qui lui incombe en application de la loi, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à l'objection selon laquelle la décision d'exécuter de tels travaux sur parties communes ne relevait que de l'assemblée générale (CA Paris, 18 mars 1988, Loyers et copr., 1988, comm. 245 ; CA Paris, 23ème ch., sect. A, 4 décembre 2002, n° 2001/11474, Syndicat des copropriétaires du 5 Cour de la Ferme Saint-Lazare 75010 Paris c/ Monsieur Vuillet Philippe N° Lexbase : A0884A7U ; CA Paris, 19ème ch., sect. A, 15 octobre 2003, n° 2001/14602, Epoux Guillaume c/ Syndicat des copropriétaires, 5 rue de Lancry 75010 Paris N° Lexbase : A0227DAN).

Le propriétaire est donc bien fondé à demander, sous astreinte, la condamnation du syndicat à effectuer les travaux de réfection nécessaires pour prévenir de nouveaux désordres et satisfaire à l'obligation légale qui lui incombe de conserver l'immeuble en bon état (CA Paris, 23ème ch., 1er mars 1994, Loyers et copr., 1994, comm. 354).

Précisons, à cet égard, que l'action susceptible d'être engagée à l'encontre du syndicat sur le fondement de l'article 14 de la loi est une action personnelle qui se prescrit par un délai de dix ans conformément aux dispositions de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965 (Cass. civ. 3, 26 mai 1992, n° 90-16.228 N° Lexbase : A5316AHD, Inf. rap. copr., nov. 1994, p. 27 ; CA Paris, 19ème ch., 14 septembre 1994, RD imm., mars 1995, p. 163 ; CA Paris, 10 février 1995, Loyers et copr. 1995, comm. 295). Si l'action était fondée sur l'article 1384 du Code civil, le délai décennal, lié à l'application de la loi du 10 juillet 1965, ne devrait pas s'appliquer ; les tribunaux ne paraissent pas avoir eu l'occasion de se prononcer sur ce point ; il est vrai qu'il est difficilement concevable qu'une action en responsabilité du syndicat soit engagée au-delà de dix ans.

2.2.2. La possibilité pour les copropriétaires d'effectuer eux-mêmes ces travaux

Dans certains cas, les copropriétaires peuvent même valablement faire procéder aux travaux de nature à remédier au délabrement des parties communes. En effet, si en principe les copropriétaires ne sont pas habilités à se substituer d'office au syndicat pour faire exécuter des travaux d'entretien ou de réparation sur les parties communes et à réclamer, ensuite, le remboursement des dépenses exposées par eux, une telle démarche est autorisée lorsqu'existent des circonstances telles qu'il y avait urgence à remédier à un état de fait dommageable.

Ainsi, devant la carence du syndicat pour mettre fin à des infiltrations d'eau ayant pour origine une défectuosité des parties communes un copropriétaire, victime de ces dégâts, a été jugé en droit de demander, après expertise, les travaux de reprise d'étanchéité et de réparation des terrasses. Il y a, dans ce cas, gestion d'affaires de la part du copropriétaire qui agit pour le compte de la copropriété, son intervention étant justifiée par l'urgence et la copropriété a l'obligation de procéder au remboursement de cette dépense et de l'inclure dans les charges communes (CA Aix-en-Provence, 1er septembre 1987 ; cf. aussi sur ce point CA Paris, 23ème ch., 20 juin 1988, Loyers et copr., 1988, comm. 411 : à propos de la réfection d'une toiture, urgente et indispensable à la sauvegarde de l'immeuble).

En revanche, si les travaux ne présentent pas un caractère d'urgence, celui qui les a engagés de sa propre initiative, sans en référer au syndicat, ni lui demander d'autoriser le syndic à les faire exécuter, ne peut prétendre au remboursement des dépenses (Cass. civ. 3, 18 mars 1987, n° 85-18.002, Clément c/ SMABTP et autres N° Lexbase : A3030CW7, Loyers et copr., 1987, comm. 197 ; JCP éd. N, 1987, II, p. 204, à propos de la réfection de l'étanchéité d'une toiture-terrasse ; Cass. civ. 3, 23 novembre 1994, n° 92-20.490, Société française d'achat et de distribution (SOFAD) c/ Syndicat des copropriétaires du 39, rue d'Amsterdam à Paris (8ème) N° Lexbase : A7371EAA, Loyers et copr., 1995, comm. 132, à propos d'une canalisation électrique).

Ainsi, dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 29 août 2008, l'on peut raisonnablement supposer que l'inertie des organes de la copropriété devant les graves conséquences des dysfonctionnements touchant les parties communes et, notamment, le digicode, à savoir le séjour de personnes étrangères à l'immeuble ainsi que la commission d'actes de violence et de vandalisme, mettait la requérante face à une situation d'urgence qui justifiait qu'elle entreprît elle-même les travaux nécessaires et qu'elle engageât ensuite une action en justice afin de se faire rembourser le montant de ces travaux par le syndicat de copropriété.

En tout état de cause, l'on voit donc que la requérante, à supposer qu'elle eût été confrontée à un refus de la part des organes de copropriété de faire procéder aux travaux nécessaires, disposait de voies de droit lui permettant soit de rechercher la condamnation de ceux-ci à entreprendre ces travaux soit de leur condamnation à l'indemniser des travaux qu'elle aurait elle-même entrepris en leur lieu et place.

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Le majeur sous tutelle interdit d'adoption lorsqu'il n'est pas apte à consentir...

Réf. : Cass. civ. 1, 8 octobre 2008, n° 07-16.094, M. Gérard Aubert, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6928EAT)

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N4751BHG

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

A quelques mois de l'entrée en vigueur de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH), la Cour de cassation appelée à se prononcer sur l'adoption d'un majeur protégé, anticipe dans un arrêt rendu le 8 octobre 2008 la réforme, tout en se fondant sur les textes encore en vigueur jusqu'au 31 décembre 2008. Ce faisant elle révèle les limites de la reconnaissance par les nouvelles dispositions légales de l'autonomie du majeur protégé en matière personnelle. Cette dernière, ne pouvant se concevoir sans l'aptitude du majeur protégé à exprimer sa volonté, risque en effet, dans certains domaines, et particulièrement en matière d'adoption, d'aboutir à une incapacité de jouissance sans doute peu conforme à l'intérêt de la personne concernée. En l'espèce, le père d'une jeune femme autiste souhaitait que celle-ci soit adoptée par son épouse. Considérant qu'il ne pouvait lui-même consentir à cette adoption, il a sollicité la désignation d'un administrateur ad hoc pour donner ce consentement sans doute inspiré par certaines décisions, discutables, qui avaient admis une telle désignation pour pallier l'inaptitude d'un mineur à consentir à sa propre adoption (1). La cour d'appel avait refusé cette désignation, au motif qu'aucun texte ne permettait au juge des tutelles de désigner un tiers pour suppléer à l'impossibilité de la personne protégée de consentir à son adoption. La Cour de cassation rejette le pourvoi contre cette décision, considérant que le consentement à l'adoption d'un majeur protégé à sa propre adoption constitue un acte strictement personnel, qui ne peut être donné en ses lieu et place par son tuteur et que le juge des tutelles peut seulement autoriser le majeur, sur le fondement de l'article 501 du Code civil (N° Lexbase : L3070ABC), à consentir lui-même à son adoption, éventuellement avec l'assistance de son tuteur ou de la personne qui en tient lieu. Toutefois, la Cour de cassation constate qu'en l'espèce, le majeur était incapable d'exprimer sa volonté. Elle en déduit que l'article 501 n'est pas applicable.

De la qualification d'acte strictement personnel qui anticipe sur l'entrée en vigueur de la réforme (I), il résulte donc l'impossibilité pour le majeur inapte à être adopté (II).

I - Le consentement à sa propre adoption : un acte strictement personnel avant l'heure

Adoption simple. L'adoption du majeur protégé ne peut s'entendre que d'une adoption simple, puisque, aux termes de l'article 345 du Code civil (N° Lexbase : L2853ABB), l'adoption plénière est réservée aux mineurs. Ses effets sont donc limités, cette forme d'adoption ne remettant pas en cause les liens de l'adopté avec sa famille d'origine, en l'occurrence son père. Les articles 360 (N° Lexbase : L2878AB9) et 361 (N° Lexbase : L6484DIY) du Code civil, relatifs à l'adoption simple, sont muets sur la place du consentement du majeur protégé. Néanmoins, on peut déduire de l'article 360, alinéa 2, qui exige le consentement du mineur de plus de treize ans à sa propre adoption, le caractère indispensable du consentement du majeur protégé.

Impossibilité de la représentation. La question doit alors être posée de savoir si le tuteur peut représenter le majeur protégé dans l'expression de son consentement, particulièrement lorsque, comme en l'espèce, l'altération des facultés mentales de la personne qui a justifié la mesure de protection est telle que cette dernière est inapte à consentir. A priori, les juges de cassation auraient pu admettre la compétence du représentant légal en la matière. Au contraire, dans l'arrêt du 8 octobre 2008, ils dénient la compétence du tuteur en raison de la nature strictement personnelle de l'acte en cause. Le futur article 458 du Code civil (N° Lexbase : L8442HWL) visant, expressément parmi les actes strictement personnels dont l'accomplissement ne peut jamais donner lieu à assistance ou à représentation, le consentement donné à sa propre adoption, la Cour de cassation a, en effet, logiquement, anticipé sur cette qualification légale. Elle en a, ensuite, non moins logiquement, déduit que ni le tuteur, ni la personne qui en tient lieu -qui pourrait être un tuteur ou un administrateur ad hoc- ne peut représenter la personne protégée dans l'expression de son consentement.

Nécessité du consentement. Le fait que l'article 458 du Code civil prévoit le consentement du majeur protégé à sa propre adoption lève le doute qui aurait pu persister sur la nécessité de ce consentement. Le consentement du majeur protégé est donc bien une condition substantielle de son adoption ce qui emporte de graves conséquences lorsqu'il se trouve dans l'impossibilité de consentir.

II - Les conséquences regrettables pour le majeur de son impossibilité de consentir

Capacité de consentir. Au regard du droit positif et jusqu'au 31 décembre 2008 on peut, tout d'abord, douter de la capacité du majeur protégé, réputé incapable pour tous les actes de la vie civile, de consentir à son adoption. Aucune disposition ne permet, en effet, de déroger au principe d'incapacité juridique qui frappe le majeur sous tutelle. La Cour de cassation rappelle ainsi que de lege lata, la matière personnelle n'échappe pas à l'incapacité conformément à sa jurisprudence du 18 janvier 1989 (2) selon laquelle les régimes civils d'incapacité ont pour objet tant la protection des biens de l'intéressé que celle de sa personne. Seul l'article 501 du Code civil permet au juge des tutelles d'accorder au majeur une capacité ponctuelle. Dans l'arrêt du 8 octobre 2008, la Cour de cassation admet que le juge des tutelles pourrait ainsi autoriser le majeur à consentir, seul ou avec l'assistance de son tuteur, à son adoption comme elle a admis, selon un raisonnement similaire, dans un arrêt du 4 juin 2007 (3), que le majeur sous tutelle puisse être autorisé à adopter un enfant. A compter du 1er janvier 2009, le recours à l'article 501 du Code civil ne sera plus nécessaire puisque la loi du 5 mars 2007 accorde au majeur protégé la capacité d'agir lui-même en matière personnelle (4). Les actes strictement personnels visés par l'article 458 seront accomplis par le majeur lui-même sans que le juge n'ait à donné son autorisation.

Aptitude à consentir. La reconnaissance de la capacité juridique du majeur de donner son consentement à sa propre adoption ne résout cependant pas la question de l'inaptitude à donner son consentement, laquelle se pose en réalité avant comme après l'entrée en vigueur de la réforme. La qualification d'acte strictement personnel emporte, en effet, d'une part, l'impossibilité de substituer une autre volonté à celle du majeur et, d'autre part, exige que les facultés mentales de celui-ci lui permettent d'exprimer son consentement. S'il n'est pas apte à consentir, comme c'était le cas en l'espèce, la jeune femme concernée n'étant "pas en mesure d'organiser un raisonnement, un jugement ou d'exprimer une volonté élaborée", l'acte est impossible. L'absence de consentement, comme le refus de consentir, empêche l'acte. Le majeur protégé ne peut pas être adopté par delà sa volonté et ce, même si cette volonté est inexistante. Il en résulte qu'en l'état du droit positif, nul ne peut adopter un handicapé mental inapte à consentir à son adoption sans que la réforme prochaine ne remédie à cette lacune. Il est, en effet, des cas où il peut être de l'intérêt du majeur protégé d'être adopté et les faits de l'espèce en sont certainement une illustration. L'adoption de la majeure sous tutelle par l'épouse de son père aurait, en effet, notamment permis de la faire bénéficier de dispositions successorales plus favorables.

Adoption impossible. L'adoption du majeur protégé semble être la seule hypothèse absolument tributaire de la volonté de l'intéressé et qui ne peut avoir lieu si celle-ci fait défaut. Les autres actes strictement personnels énumérés par l'article 458 du Code civil peuvent, en effet, être remplacés par d'autres techniques ou accomplis par d'autres personne ; ainsi l'impossibilité pour le majeur protégé de reconnaître son enfant n'empêche pas l'établissement contentieux de la filiation de ce dernier et certains mécanismes permettent de pallier l'impossibilité pour le parent inapte à exprimer sa volonté d'exercer l'autorité parentale (5). Par ailleurs, le futur article 459 du Code civil (N° Lexbase : L8443HWM), qui dispose que "hors les cas prévus à l'article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet", organise dans ses alinéas 2, 3 et 4, l'assistance ou la représentation du majeur protégé qui n'est pas en état de consentir à l'acte, dans des conditions qui assurent la protection du majeur protégé. On peut sans doute regretter que l'adoption du majeur ne relève pas de cette dernière catégorie plutôt que de celle des actes strictement personnels. Cette qualification relève certes de l'intention louable de sauvegarder l'autonomie personnelle du majeur protégé mais elle témoigne de la difficulté à concilier le respect de la personne du majeur et les nécessités de sa protection. Elle révèle surtout l'hétérogénéité des situations relevant du champ d'application de la loi du 5 mars 2007 qui aurait sans doute, au moins sur la question particulière de l'adoption du majeur protégé, dû faire preuve d'une plus grande adaptabilité...


(1) TI Châlons sur Marne, 1er juin 1977, Gaz. Pal., 1978, 1, p. 175, note Decheix.
(2) Cass. civ. 1, 18 avril 1989, n° 87-18.475 (N° Lexbase : A3624CW7), JCP éd. G, 1990, II, 21467, note T. Fossier.
(3) Cass. civ. 1, 4 juin 2007, n° 05-20.243, Mme Nicole Nicolas-Rondel, FS-P+B (N° Lexbase : A5504DWR), D., 2007, p. 2327, obs. P. Chauvin, C. Creton ; RTDCiv., 2007, p. 547, obs. J. Hauser.
(4) L. Talarico, La personne du majeur protégé, Thèse Lyon III 2008 ; T. Fossier, La réforme des tutelles - La protection de la personne, AJFam., 2007, n° 4, p. 160.
(5) C. civ., art. 373 (N° Lexbase : L2903AB7).

newsid:334751

Environnement

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat consacre la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement

Réf. : CE Contentieux, 3 octobre 2008, n° 297931, Commune d'Annecy (N° Lexbase : A5992EA8)

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N4739BHY

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Octobre 2010

Dans un arrêt rendu le 3 octobre 2008 (CE Contentieux, 3 octobre 2008, n° 297931, Commune d'Annecy), le Conseil d'Etat, Cour suprême de l'ordre administratif français, vient de consacrer la valeur juridique de la Charte de l'environnement, et, notamment, la valeur constitutionnelle de l'ensemble de ses dispositions dont il juge que la méconnaissance peut être invoquée pour contester la légalité des décisions administratives. Ce texte, élaboré à la demande du chef de l'Etat de l'époque, Jacques Chirac, est issu de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, relative à la Charte de l'environnement (N° Lexbase : L0268G8G). La Charte de l'environnement consacre le droit de vivre dans un "environnement équilibré" respectant la biodiversité et le maintien de l'équilibre des espaces et des milieux naturels, et assurant le bon fonctionnement des écosystèmes et un faible niveau de pollution. Elle énonce parallèlement le devoir, pour toute personne, de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. Il incombe donc à toute personne, physique ou morale, publique ou privée, de prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement et de réparer cette atteinte, même dans l'hypothèse où les mécanismes de la responsabilité civile ne trouveraient pas à s'appliquer. Elle définit, par ailleurs, le principe de précaution en matière environnementale, qui s'appliquera uniquement à un dommage dont la réalisation est incertaine, à la différence du principe de prévention qui s'adresse à un risque certain de dommage. La Charte subordonne la mise en oeuvre du principe de précaution à un dommage grave et irréversible ; cette mise en oeuvre passe par l'adoption de mesures provisoires et proportionnées destinées à éviter la réalisation du dommage (1).

Dans cette affaire, la commune d'Annecy demandait l'annulation du décret n° 2006-993 du 1er août 2006, relatif aux lacs de montagne (N° Lexbase : L4732HKH), pris pour l'application de l'article L. 145-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9643G8N). Ce texte avait pour effet de réduire le périmètre d'exécution des dispositions protectrices des lois "montagne" (loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne N° Lexbase : L7612AGZ) et "littoral" (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral N° Lexbase : L7941AG9) pour les grands lacs de montagne, de sorte à faciliter les opérations d'urbanisme à proximité du littoral comme des lacs de montagne. Le Conseil en profite pour rappeler que, depuis la date d'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005, relative à la Charte de l'environnement, une disposition réglementaire ne peut intervenir dans le champ d'application de l'article 7 de la Charte de l'environnement que pour l'application de dispositions législatives, notamment parmi celles qui figurent dans le Code de l'environnement et le Code de l'urbanisme, qui ne sont pas incompatibles avec les exigences de la Charte.

Le Conseil a donc déclaré ce décret illégal en se fondant sur l'article 7 de la Charte qui consacre le principe de participation du public à la prise de décision. L'on peut considérer qu'il s'agit là d'un bouleversement important, si l'on se réfère au texte même de la Charte, qui contient, notamment, les principes "pollueur-payeur" et de précaution. La décision présente ainsi un double intérêt : la consécration solennelle de la valeur juridique de la Charte de l'environnement (I), mais aussi les opportunités offertes aux associations ou personnes luttant au nom de l'environnement (II).

I - La consécration solennelle de la valeur juridique de la Charte de l'environnement

A - Si cet arrêt constitue la première décision du Conseil d'Etat annulant un décret pour méconnaissance de la Charte de l'environnement...

La Charte de l'environnement consacre un droit constitutionnel d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les personnes publiques et un droit de participation aux politiques publiques ayant une incidence sur l'environnement. En l'espèce, le Conseil d'Etat annule pour incompétence un décret du 1er août 2006, relatif aux lacs de montagne. Ce texte, pris pour l'application de l'article L. 145-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9643G8N), issu de l'article 187 de la loi du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux, introduit de nouvelles dispositions dans la partie réglementaire du Code de l'urbanisme, concernant la "délimitation, autour des lacs de montagne, des champs d'application respectifs des dispositions particulières à la montagne et des dispositions particulières au littoral".

Rappelons que les grands lacs de montagne (lacs d'une superficie supérieure à 1 000 hectares) sont, en principe, soumis à une double législation : la loi "montagne", mais aussi la loi "littoral". Les communes riveraines bénéficient ainsi d'un niveau élevé de protection. Le décret en cause visait à réduire cette protection en limitant la portée de la loi "littoral" uniquement au sein d'un périmètre restreint autour du lac (périmètre qui reste à délimiter par des décisions particulières), et non plus sur l'ensemble du territoire des communes riveraines. La commune d'Annecy, qui souhaitait maintenir un haut niveau de protection, avait formé un recours contre ce décret. Selon elle, ce décret méconnaissait le principe de participation du public, consacré notamment par l'article 7 de la Charte de l'environnement, dans la mesure où le public n'était pas suffisamment consulté lors de l'élaboration des décisions de délimitation.

La Haute juridiction administrative abonde dans le sens de la commune requérante. Dans l'arrêt d'espèce, elle rappelle que les dispositions de l'article 7, "comme l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, et à l'instar de toutes celles qui procèdent du Préambule de la Constitution, ont valeur constitutionnelle [...] elles s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs". Elle poursuit en affirmant qu'elles "ont réservé au législateur le soin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et à participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement". Le décret, en intervenant dans ce domaine, a donc empiété sur le domaine de la loi et doit donc être annulé pour incompétence.

Cependant, à la question de savoir si la Charte de l'environnement peut être invoquée par les justiciables devant le juge administratif, le commissaire du Gouvernement Yann Aguila dans la synthèse de ses conclusions à la suite de l'arrêt, précise que "si la circonstance qu'un principe constitutionnel renvoie à la loi n'a jamais été un obstacle à son invocation devant le juge administratif, sa portée [peut varier] en fonction du type de demande présentée devant le juge. En outre, si la Charte ne permet sans doute pas à un simple particulier de demander directement à être associé à l'élaboration d'une décision publique [...] elle peut toujours être invoquée dans le cadre d'un contentieux objectif, c'est-à-dire dans un recours contre un règlement".

B - ... le contrôle de la conformité des lois par rapport à ce texte s'effectue depuis plusieurs années

Le Conseil constitutionnel s'est penché sur le contrôle de la conformité des lois par rapport au droit de l'environnement. Ainsi, il a eu à juger du risque d'incompatibilité qui pourrait exister entre le Traité établissement la Constitution européenne et la Constitution française en raison de la différence dans le degré de précision des dispositions consacrant le principe de précaution. Le Traité cite le principe de précaution sans véritablement le définir, alors que l'article 5 de la Charte de l'environnement détaille les conditions d'application de ce même principe. Par une réponse brève, mais qui consacre l'appartenance de la Charte de l'environnement au bloc de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a affirmé "qu'en tout état de cause, le Traité établissant une Constitution pour l'Europe n'est pas contraire à la Charte de l'environnement" (Conseil constitutionnel, 24 mars 2004, Hauchemaille et Meyet N° Lexbase : A0034DI4, JO 31 mars 2005).

De même, par une décision du 28 avril 2005 (Conseil constitutionnel, 28 avril 2005, n° 2005-514 DC, loi relative à la création du registre international N° Lexbase : A0576DI8), le Conseil constitutionnel a jugé de la conformité de la loi du 3 mai 2005 relative à la création du registre international français visant à renforcer la sécurité et la sûreté maritime (loi n° 2005-412, 3 mai 2005 N° Lexbase : L3756G8M, JO du 4 mai, p. 7697) avec la Charte de l'environnement. Ce texte prévoyait que les navires immatriculés au registre international français étaient soumis à l'ensemble des règles de sécurité et de sûreté maritime applicables en vertu de la loi française, de la réglementation communautaire et des engagements internationaux. Les requérants estimaient que ce texte aboutissait à un affaiblissement des règles de sécurité maritime et portaient atteinte aux principes d'intégration et de développement durable formulés par l'article 6 de la Charte. Rejetant la saisine, le Conseil a considéré que le législateur avait pris des mesures de nature à promouvoir la sécurité maritime et la protection de l'environnement et a estimé que les exigences de l'article 6 de la Charte constitutionnelle étaient respectées (2).

Plus récemment, dans une décision du 19 juin 2008, le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel des dispositions du projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés adopté le 22 mai dernier (Cons. const., décision n° 2008-564 DC, du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés N° Lexbase : A2111D93). Le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de la loi étaient conformes à la Charte de l'environnement et qu'elles respectaient l'ensemble des Directives communautaires relatives aux OGM. Les Sages ont, néanmoins, censuré deux alinéas de l'article 11 qui renvoyaient à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer la liste des informations fournies au public par l'exploitant lorsqu'il sollicite un agrément et qui ne peuvent en aucun cas rester confidentielles. Au visa de l'article 7 de la Charte de l'environnement, le Conseil énonce qu'il n'appartient qu'au législateur de préciser les conditions et les limites dans lesquelles doit s'exercer le droit de toute personne à accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques. Le Conseil constitutionnel a toutefois décidé que cette censure ne prendrait effet qu'au 1er janvier 2009, afin de permettre au Parlement d'adopter une nouvelle disposition relative aux informations ne pouvant pas rester confidentielles.

II - Une décision dans la continuité de la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière environnementale

A - Une jurisprudence favorable à la défense de l'environnement

Comme indiqué dans le dossier "le droit de l'environnement et la justice administrative" figurant à la suite de la décision du Conseil d'Etat, "dans de très nombreux domaines, [cette juridiction] a rendu des décisions annulant des projets portant atteinte à l'environnement ou rejetant des recours contre des décisions ministérielles favorables à la protection de celui-ci". Par exemple, dans un arrêt du 10 juillet 2006 (CE 9° et 10° s-s-r., 10 juillet 2006, n° 288108, Association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac Sainte-Croix, des lacs et sites du Verdon et autres N° Lexbase : A3917DQ7), la Haute juridiction administrative a interdit un projet de ligne électrique aérienne à très haute tension dans les gorges du Verdon. Après avoir mis en regard les avantages et les inconvénients de l'opération projetée et avoir, de façon plus exceptionnelle, diligenté une visite des lieux, il a en effet accueilli le moyen tiré de ce que ce bilan était, en l'espèce, négatif. De même, la déclaration d'utilité publique du barrage de la Trézence (Charente-Maritime) a été annulée compte tenu du coût et des atteintes à l'environnement, notamment aux espèces aquatiques (CE 4° et 6° s-s-r., 22 octobre 2003, n° 231953, Association sos-rivières et environnement N° Lexbase : A9588C9Y).

En matière de dissémination d'OGM, le juge des référés du Conseil d'Etat a rejeté la demande de suspension de deux arrêtés du ministre de l'Agriculture. Ceux-ci interdisaient sur le territoire national la mise en culture, en vue de la mise sur le marché, de variétés de semences de maïs génétiquement modifié, dans l'attente de la décision de la Commission européenne à venir sur le renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché de ces variétés (CE référé, 19 mars 2008, n° 313547, Association générale des producteurs de maïs et autres N° Lexbase : A4313D7U).

Concernant les obligations de l'autorité administrative en cas de démantèlement complet d'une installation nucléaire, le Conseil a rappelé, dans un arrêt du 6 juin 2007, que le public concerné doit être informé et doit pouvoir exprimer son avis préalablement à la délivrance de l'autorisation (CE 1° et 6° s-s-r., n° 292386, Association Le réseau sortir du nucléaire N° Lexbase : A7782DW7). En effet, l'article 6 de la Directive du Conseil 85/337/CEE du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (N° Lexbase : L9615AUN), dans sa rédaction issue de la Directive du Conseil 97/11/CE du 3 mars 1997 (N° Lexbase : L7891AUS), prévoit l'obligation d'informer le public préalablement à la délivrance d'une autorisation. L'autorisation litigieuse ayant été donnée au terme d'une procédure d'information du public incompatible avec les objectifs de cette Directive, l'association requérante est, par suite, fondée à demander l'annulation du décret attaqué.

En matière de protection du littoral, le Conseil d'Etat a sanctionné la carence de l'Etat faute d'avoir pris le décret d'application fixant la liste des communes riveraines des estuaires (CE Contentieux, 28 juillet 2000, n° 204024, Association France Nature Environnement N° Lexbase : A7152AHD). De même, il a récemment jugé que la règle d'inconstructibilité dans la bande des 100 mètres à compter du rivage s'appliquait tant aux nouvelles constructions qu'à l'extension des constructions existantes (CE, 21 mai 2008, n° 297744, Association pour le libre accès aux plages et la défense du littoral N° Lexbase : A7218D8T).

B - Une solution qui peut être à l'origine de bouleversements importants

La consécration solennelle de la valeur juridique de la Charte de l'environnement, peut, si l'on s'en réfère au texte lui-même, être susceptible d'entraîner des changements importants en matière de politiques publiques. A son article 6, elle énonce que "les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social". Ceci peut avoir d'importantes répercussions, notamment pour les marchés publics, les pouvoirs adjudicateurs devant désormais intégrer le développement durable avec ses contraintes. Depuis 2003, le groupe d'étude des marchés développement durable et environnement (GEM DDEN), qui réunit les acheteurs et les professionnels, élabore des documents pratiques sous la forme de guides destinés à aider les acheteurs publics à prendre en compte, lors de la conception et lors de l'exécution des marchés, des préoccupations d'environnement et de développement durable. Cependant, cette notion n'est pas encore une priorité des pouvoirs publics dans leur recherche perpétuelle du "moins-disant".

Ce texte consacre aussi des notions aussi importantes que celles de "pollueur-payeur" à l'article 4 ou du principe de précaution à l'article 5. Le principe "pollueur-payeur", même s'il a connu des avancées récentes, avec, notamment, la consécration du préjudice écologique par le tribunal correctionnel de Paris dans l'affaire "Erika" dans un jugement du 16 janvier 2008 confirmé par la Cour de justice des Communautés européennes dans un arrêt du 24 juin 2008 (CJCE, 24 juin 2008, aff. C-188/07, Commune de Mesquer c/ Total France SA N° Lexbase : A2899D9A), en reste encore à ses balbutiements. Quant au principe de précaution, les juges semblent, jusqu'ici plutôt réticents à l'appliquer si l'on considère les condamnations répétées des faucheurs anti-OGM. En outre, le principe d'accession par les citoyens aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques, inscrit à l'article 7 pourra donner lieu à contentieux, en particulier concernant les installations nucléaires. Enfin, ce principe pourra entrer en conflit avec la notion de document non communicable au public lorsqu'il concerne la sûreté de l'Etat, la sécurité publique ou la sécurité des personnes, tel qu'énoncé à l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (N° Lexbase : L6533AG3).

En conclusion, on peut observer que le renforcement important du contrôle du Conseil d'Etat en matière environnementale aboutit à la mise à disposition d'outils juridiques importants au bénéfice des associations de défense de l'environnement. Reste à savoir si elles en feront un usage modéré qui ne sera pas susceptible d'entraver toute action législative et règlementaire, quand on sait que le Grenelle de l'Environnement actuellement en cours de discussion au Parlement comporte des sujets aussi sensibles que la taxe pour le transport de marchandises ou la révision du bonus-malus automobile.


(1) Analyse des discussions législatives et des scrutins publics au Sénat : loi constitutionnelle relative à la Charte de l'environnement.
(2) Bulletin droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés : actualités "Charte de l'environnement", 16 mai 2006 (N° Lexbase : N8433AKK).

newsid:334739

Licenciement

[Jurisprudence] Procès-verbal de carence et procédure de licenciement économique

Réf. : Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 06-45.528, M. Hervé Dechriste, FS-P+B (N° Lexbase : A5838EAH)

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N4721BHC

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Conformément aux prescriptions de l'article L. 1235-15 du Code du travail (N° Lexbase : L1365H9G), "est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi". Cette disposition tend moins à s'assurer que l'employeur respecte bien son obligation de consultation, qu'à garantir qu'il organise bien les élections professionnelles dans l'entreprise. Par suite, et ainsi que le décide la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 23 septembre 2008, "la seule intervention du représentant des salariés dans la procédure de licenciement, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, ne couvre pas l'irrégularité dont la procédure est atteinte du fait du défaut de mise en place de ces institutions, sans qu'aucun procès-verbal de carence ait été établi".
Résumé

La seule intervention du représentant des salariés dans la procédure de licenciement, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, ne couvre pas l'irrégularité dont la procédure est atteinte du fait du défaut de mise en place de ces institutions, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi.

Commentaire

I - L'importance de dresser un procès-verbal de carence

  • Le procès-verbal de carence

Dès lors que les conditions fixées par la loi sont réunies, l'employeur est tenu d'organiser les élections professionnelles dans l'entreprise. Le respect de cette obligation n'a, toutefois, pas pour effet d'entraîner nécessairement la mise en place d'institutions représentatives du personnel. Ainsi, faute de candidats, par exemple, la collectivité du personnel peut parfaitement demeurer sans représentants.

Dans une telle hypothèse, le Code du travail impose à l'employeur d'établir un procès-verbal de carence. Celui-ci est affiché dans l'entreprise et transmis dans les quinze jours à l'inspecteur du travail qui en envoie copie aux organisations syndicales de salariés du département concerné (C. trav., art. L. 2314-5 N° Lexbase : L2615H9Q et L. 2324-8 N° Lexbase : L9744H8E).

Le procès-verbal de carence constitue au fond, pour l'employeur, la justification de l'exécution de son obligation d'organiser les élections des institutions représentatives du personnel. En d'autres termes, l'établissement d'un procès-verbal de carence laisse présumer que l'employeur a bien organisé les élections. Cela étant, parce qu'un employeur pourrait être tenté de dresser un procès-verbal de carence sans avoir, en amont, respecté son obligation, ce dernier peut faire l'objet d'une contestation. Ainsi que l'a décidé, à ce propos, la Cour de cassation, "le procès-verbal de carence peut être contesté dans le délai de quinze jours à compter de celui où la partie intéressée en a eu connaissance" (Cass. soc., 17 mars 2004, n° 02-60.699, Société Norsud éditions c/ Union locale des syndicats CGT d'Amiens ville, publié N° Lexbase : A6077DBP).

  • Les conséquences de l'absence de procès-verbal

Si la rédaction du procès-verbal de carence n'est pas sanctionnée en tant que telle, la Cour de cassation n'en a pas moins tiré des conséquences importantes de son absence, dans une importante décision rendue le 7 décembre 1999. Etait en cause, en l'espèce, l'article L. 1226-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1026H9U), prescrivant à l'employeur de consulter les délégués du personnel avant de s'acquitter de son obligation de reclassement à l'égard d'un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. On aurait pu penser que l'employeur était dispensé de cette obligation lorsque l'entreprise est dépourvue de délégués du personnel. Une telle interprétation était, pour le moins, simpliste et a été contredite par la Cour de cassation affirmant, dans l'arrêt en cause, que "l'employeur ne saurait s'y soustraire au motif de l'absence de délégués du personnel dans l'entreprise dès lors que leur mise en place était obligatoire et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi" (Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 97-43.106, Société d'exploitation Le Floch c/ M. Cabon, publié N° Lexbase : A4787AGE, Dr. soc., 2000, p. 226, obs. J. Savatier).

Postérieurement, le législateur, lui-même, a souhaité faire produire des conséquences rigoureuses à l'absence de procès-verbal de carence. Introduit dans le Code du travail par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), l'article L. 1235-15, alinéa 1er (N° Lexbase : L1365H9G), dispose qu'"est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi". L'alinéa 2 de cette même disposition précise, quant à lui, que "le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis" (1).

Au même titre que la jurisprudence, cette disposition tend à inciter les employeurs à la mise en place des institutions représentatives du personnel lorsqu'elle est obligatoire (2). Par ailleurs, l'article L. 1235-15 est à mettre en relation avec les multiples textes du Code du travail exigeant l'information et la consultation des représentants du personnel lors d'un licenciement pour motif économique.

L'arrêt sous examen démontre que la Cour de cassation entend appliquer le texte en cause dans toute sa rigueur.

II - L'intervention d'un représentant des salariés

  • L'affaire

Etait en cause, en l'espèce, une société qui employait au moins onze salariés. Placée en redressement judiciaire par jugement du 4 mars 2005 avec période d'observation, cette société avait été, un an après, mise en liquidation judiciaire. Alors qu'un représentant des salariés avait été désigné par ses collègues, plusieurs salariés avaient saisi la juridiction prud'homale en paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 1235-15 du Code du travail, en alléguant qu'aucune élection de délégués du personnel n'avait été organisée dans l'entreprise sans qu'aucun procès-verbal de carence soit adressé à l'inspection du travail.

Le mandataire liquidateur reprochait aux jugements attaqué d'avoir fixé la créance des salariés au passif de la liquidation de la société à une indemnité égale à un mois de salaire en application de l'article L. 1235-15 du Code du travail. A l'appui de son pourvoi, il faisait valoir que l'article L. 621-8, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L3977HBW), dans sa rédaction applicable à la cause, dispose que, dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exerce les fonctions dévolues à ces institutions. Il en résulte que l'article L. 1235-15 du Code du travail, qui sanctionne le non-respect des obligations d'information, de réunion et de consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel lors d'une procédure de licenciement pour motif économique en raison de l'absence de mise en place des institutions représentatives et de constat de carence, est inapplicable lors d'une procédure de redressement judiciaire.

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation, qui affirme que le conseil de prud'hommes "a exactement retenu que la seule intervention du représentant des salariés dans la procédure de licenciement, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, ne couvre pas l'irrégularité dont la procédure est atteinte du fait du défaut de mise en place de ces institutions, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi".

  • Une solution justifiée

Lorsqu'une entreprise en difficulté est soumise à une procédure collective, il appartient au tribunal d'inviter le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ou, à défaut de ceux-ci, les salariés à désigner, au sein de l'entreprise, un représentant des salariés (3).

Dans toutes les procédures, et quelle que soit l'importance de l'entreprise, la mission du représentant des salariés consiste au premier chef à assister le représentant des créanciers dans les opérations d'enregistrement et de vérification des créances salariales. Toutefois, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exerce les fonctions dévolues à ces institutions (C. com., art. L. 621-8, dernier al. et L. 621-135 N° Lexbase : L6987AIM dans leur rédaction applicable à la cause) (4). On peut donc considérer que, pour que le représentant des salariés assume les prérogatives conférées par la loi aux institutions représentatives du personnel, il faut, et il suffit, de constater leur absence matérielle dans l'entreprise.

Cela étant, peut-on affirmer, ainsi que le faisait, en l'espèce, le pourvoi, que l'ancien article L. 321-2-1 (N° Lexbase : L0548AZC) (L. 1235-15, nouv.) du Code du travail, qui sanctionne le non-respect des obligations d'information, de réunion et de consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel lors d'une procédure de licenciement pour motif économique en raison de l'absence de mise en place des institutions représentatives et de constat de carence, est inapplicable lors d'une procédure de redressement judiciaire ? Une réponse négative ne peut qu'être apportée à cette question pour cette seule raison que le Code du travail impose l'information et la consultation des représentants du personnel lorsque des licenciements économiques sont envisagés dans une entreprise en redressement judiciaire (C. trav., art. L. 1233-58 N° Lexbase : L1229H9E). Partant, l'article L. 1235-15 doit être appliqué pendant le redressement judiciaire.

Cette disposition ne sanctionne pas le défaut de consultation des représentants du personnel, mais bien le défaut de mise en place de ces derniers, alors qu'elle était obligatoire. Par suite, peu importe que les intérêts des salariés aient, en fin de compte, été défendus par le représentant des salariés lors de la procédure de redressement judiciaire. Celui-ci n'exerce les prérogatives qui sont normalement dévolues au comité d'entreprise ou aux délégués que parce qu'il a été matériellement impossible de les mettre en place.

Reste une dernière question. L'employeur qui, ayant organisé les élections, n'aurait pas, pour une raison ou pour une autre, établi de procès-verbal, encourt-il la sanction prévue par l'article L. 1235-15 du Code du travail ? A notre sens, il serait sans doute excessif de répondre par l'affirmative. Cela reviendrait à interdire à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a bien organisé les élections et à considérer, par là même, que l'absence de procès-verbal de carence fait présumer de manière irréfragable que l'employeur n'a pas respecté son obligation d'organiser les élections des représentants du personnel. Or, l'article L. 1235-15, en disposant qu'"est irrégulière tout procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès verbal de carence n'a été établi" (5), laisse entendre le contraire.


(1) Anc. art. L. 321-2-1 (N° Lexbase : L0548AZC) qui, consécutivement à la recodification, a été retouché, sans que les modifications apportées ne changent quoique ce soit au fond. Lorsque l'employeur a produit un procès-verbal de carence dont la validité n'a pas été contestée dans un délai de quinze jours à compter duquel les parties intéressées en avaient eu connaissance, la sanction prévue par cet article ne sera pas appliquée (Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.444, FS-P+B N° Lexbase : A5667DWS, Bull. civ. V, n° 94 ; Dr. soc., 2007, p. 999, note P.-Y. Verkindt).
(2) L'absence de procès-verbal de carence fait, au fond, présumer que l'employeur n'a pas respecté cette obligation. Sur le fait de savoir si cette "présomption" peut être renversée par la preuve contraire, v. infra.
(3) Antérieurement à la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), cette désignation était envisagée, s'agissant de la procédure de redressement judiciaire, par l'article L. 621-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L6860AIW), applicable en l'espèce. Désormais, elle est prévue par les articles L. 621-4 (sauvegarde) (N° Lexbase : L3973HBR), L. 631-9 (redressement judiciaire) (N° Lexbase : L4020HBI) et L. 641-1 (liquidation judiciaire) (N° Lexbase : L4044HBE).
(4) Désormais, C. com., art. L. 621-4, al. 2, auquel renvoie l'article L. 631-9 du Code de commerce pour la procédure de redressement judiciaire. En revanche, dans la liquidation judiciaire, le représentant des salariés ne paraît devoir intervenir que pour la vérification des créances : art. L. 641-1, II, al. 3, qui renvoie seulement aux conditions des articles L. 621-4 et L. 621-5 (v., en ce sens, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprise en difficulté Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, p. 163, note 107).
(5) Nous soulignons.

Décision

Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 06-45.528, M. Hervé Dechriste, FS-P+B (N° Lexbase : A5838EAH)

Rejet, CPH Saint-Dizier, section industrie, 18 septembre 2006 (deux jugements)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1235-15 (N° Lexbase : L1365H9G) ; C. com., art. L. 621-8, dans sa rédaction applicable à la cause (N° Lexbase : L6860AIW) (L. 621-4, nouv. N° Lexbase : L3973HBR)

Mots-clefs : redressement judiciaire ; licenciement économique ; procédure ; représentants du personnel ; représentant des salariés ; procès-verbal de carence.

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Rémunération

[Jurisprudence] Primes versées en vertu d'un usage et incorporation au contrat de travail : le salutaire retour à l'orthodoxie de la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-42.488, Société Sapco, F-D (N° Lexbase : A5349EAD)

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N4716BH7

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Quelques mois après avoir rendu une série de décisions assez mystérieuses semblant admettre l'intégration directe d'avantages dans le contrat de travail sur le seul constat d'une pratique ancienne et constante des parties (I), la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt inédit rendu le 24 septembre 2008, revient à plus d'orthodoxie dans les conditions de l'incorporation, par les parties, d'avantages salariaux dans le contrat de travail (II).

Résumé

En l'absence d'un usage, la preuve de la commune intention des parties d'incorporer le paiement de prime au contrat de travail ne saurait résulter du seul fait que le paiement de ces primes a été porté sur les bulletins de salaire, que les primes litigieuses ne résultaient pas de dispositions conventionnelles, que les salariés en cause en avaient tous bénéficié depuis leur embauche ou la date de création des primes, selon une périodicité régulière et sans interruption, que l'examen des primes et de leur évolution révélait qu'elles étaient accordées au cas par cas et constituaient un mode d'ajustement des salaires individuels.

Commentaire

I - Les qualifications contractuelles ambigües

  • Principes applicables à l'incorporation, dans le contrat de travail, d'avantages issus d'un usage

Il est habituel d'enseigner que les avantages résultant d'un usage ne s'incorporent pas au contrat de travail (1) ; une même règle vaut pour les avantages qui résultent d'un engagement unilatéral collectif de l'employeur (2).

La suppression de l'usage n'entraîne donc pas de modification du contrat de travail et l'employeur qui supprime un usage n'a pas à recueillir, au préalable, l'accord de chaque salarié en ayant bénéficié (3).

Les parties peuvent, toutefois, faire entrer les avantages issus de l'usage dans le champ contractuel ; dans cette hypothèse, la dénonciation de l'usage est sans effet sur les contrats, sauf modification acceptée par le salarié (4).

  • Des précédents troublants

Un certain nombre de décisions rendues ces derniers mois par la Cour de cassation a, toutefois, jeté le trouble sur une distinction que l'on croyait, pourtant, bien établie.

En premier lieu, un certain nombre de décision a qualifié de contractuels certains avantages, sans que la preuve d'une volonté claire et non équivoque des parties au contrat ne se soit véritablement manifestée, la Haute juridiction se contentant généralement de constater que le salarié avait depuis toujours bénéficié de l'avantage litigieux, sans autre précision (5). Tout se passe comme si, en quelque sorte, la qualification contractuelle pouvait s'acquérir par possession d'état.

Une autre décision, également inédite, a jeté le trouble en pratique et a pu faire croire que la Cour de cassation était revenue sur le principe de la non-incorporation des avantages issus d'un usage au contrat de travail (6).

Dans cette affaire, une cour d'appel avait fait droit aux demandes d'un salarié qui contestait la suppression unilatérale d'une prime dont le versement résultait, pourtant, d'un usage d'entreprise. Alors que la cassation semblait s'imposer, compte tenu de la doctrine de la non-intégration, le pourvoi a été rejeté, la Chambre sociale de la Cour de cassation ayant relevé que cette prime "avait toujours été payée à Mme X depuis le début de la relation contractuelle et que son calcul correspondait à deux heures de travail par jour travaillé", la cour d'appel ayant, alors, pu valablement décidé que, "compte tenu de sa fixité et de sa constance, elle constituait un élément de salaire qui ne pouvait être supprimé sans son accord".

Cet arrêt non publié semblait, par conséquent, indiquer qu'un avantage pourrait devenir contractuel par le seul fait qu'il présente un caractère de constance et de fixité, sans qu'il soit donc utile de démontrer que les parties entendaient l'intégrer au contrat de travail, et alors que la source de cet avantage résulterait directement d'un usage, ce qui pouvait, par conséquent, être interprété, à la fois, comme la négation du caractère singulier de l'usage, comme source collective de droit, et comme la négation même de tout ce qui est habituellement enseigné sur l'intégration d'éléments dans le champ contractuel.

C'est dans ce contexte, pour le moins confus, qu'intervient cette nouvelle décision rendue par la Cour de cassation.

II - Le retour à plus d'orthodoxie

  • L'affaire

Dans cette affaire, l'employeur versait à ses salariés différentes primes et ce, depuis plusieurs années. A la suite de difficultés économiques, ce dernier avait décidé de mettre fin au versement, ce qui avait conduit plusieurs salariés à saisir le juge aux fins de condamnation de l'employeur à en maintenir le versement. La cour d'appel de Paris avait fait droit à leurs demandes, après avoir relevé que la preuve du caractère contractuel de ces primes pouvait être rapportée par tous moyens, notamment, par le production de bulletins de paye, que les primes litigieuses ne résultaient pas de dispositions conventionnelles, que les salariés en cause en avaient tous bénéficié depuis leur embauche ou la date de création des primes, selon une périodicité régulière et sans interruption, que l'examen des primes et de leur évolution révélait qu'elles étaient accordées au cas par cas et constituaient un mode d'ajustement des salaires individuels et qu'en l'absence de généralité et de règles prédéfinies et constantes des conditions d'attribution et de détermination des primes, leur versement ne pouvait constituer un usage.

Alors que ces éléments semblaient de nature à entraîner le rejet du pourvoi, à s'en tenir en tout cas aux derniers arrêts rendus par la Haute juridiction, singulièrement, le 11 mars 2008 (7), l'arrêt est cassé pour violation de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), les juges d'appel n'ayant pas caractérisé "la commune intention des parties quant à l'incorporation des primes au contrat de travail".

  • Le sens de la solution retenue

Cette cassation marque un incontestable retour à l'orthodoxie dans l'analyse de la qualification d'éléments contractuels. Le seul constat que les primes ont été versées ne suffit pas, en effet, à établir leur intégration dans le contrat de travail, le juge devant rechercher d'autres indices du côté de la volonté exprimée par l'employeur.

Cette solution doit être approuvée. La grande variété des sources de droit applicables à la relation de travail interdit, en effet, d'affirmer qu'un avantage est contractuel par le seul fait qu'il a été versé à un salarié ; cet avantage peut trouver sa source dans la loi, un accord collectif, un usage ou un engagement unilatéral de l'employeur. Sauf à considérer que tout ce qui touche la rémunération serait nécessairement contractuel, ce que certains auteurs n'hésitent, d'ailleurs, pas à suggérer ou à affirmer, rien ne permet de confondre individuel et contractuel, sauf à vouloir révolutionner le caractère pluraliste des sources du droit du travail. Dans ces conditions, la qualification d'élément contractuel doit se réaliser conformément à ce qui fait le particularisme de l'accord de volonté, c'est-à-dire son caractère éminemment subjectif.

  • La preuve de l'intention contractuelle des parties

Reste à apprécier la portée pratique de l'affirmation et son éventuelle conciliation avec les solutions retenues ces derniers mois.

L'arrêt est, ici, cassé, dans la mesure où la cour d'appel n'avait pas recherché la moindre preuve d'une quelconque intention des parties ; elle ne nous dit, toutefois, pas comment il convient de prouver l'existence d'une telle intention.

Or, cette preuve doit logiquement se faire par tous moyens, dans la mesure où il s'agit de prouver un fait juridique (en l'occurrence le fait que les parties ont manifesté leur volonté de contractualiser ces avantages). A défaut d'avenant au contrat de travail, ce qui mettrait un terme à toute discussion, ou de déclaration explicite de l'employeur, la preuve de cette intention peut être valablement être présumée dès lors que des indices suffisamment graves et concordants existent. L'un de ces indices pourrait bien résulter du fait que l'employeur avait pu laisser croire au salarié, lors de son embauche, que la rémunération pratiquée serait contractuelle, c'est-à-dire en ne l'informant pas de l'existence d'un usage d'entreprise, ou d'un engagement unilatéral collectif, ce qui pourrait, d'ailleurs, expliquer la solution retenue dans l'arrêt du 11 mars 2008. C'est dire toute l'importance d'une information complète délivrée au salarié lors de son embauche sur les dispositions non contractuelles appliquées dans l'entreprise, au-delà de la simple remise de la brochure visée par les articles L. 2262-5 (N° Lexbase : L2483H9T) et R. 2262-1 (N° Lexbase : L0566IA9) du Code du travail.


(1) Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 94-19.466, Syndicat CFDT métallurgie Orbec Lisieux Livarot et autres c/ Société Sameto-Technifil (N° Lexbase : A0051ACU), Dr. soc., 1997, p. 102, obs. Ph. Waquet ; Cass. soc., 10 février 1998, n° 95-42.543, Société d'équipement pour l'industrie et l'agriculture c/ M. X et autres (N° Lexbase : A2533ACS), Petites affiches n° 49 du 24 avril 1998, p. 19, obs. A. Sauret ; Cass. soc., 31 mars 1998, n° 96-41.878, Société Bristol MECI c/ M. Devilliers et autre (N° Lexbase : A9660AAZ), RJS, 1998, n° 594 ; Cass. soc., 6 juillet 2005, n° 04-44.995, M. Laurent Agrech c/ Société Blanc Aero industries, FS-P+B (N° Lexbase : A9039DIM) : "les avantages résultant pour les salariés d'un usage d'entreprise ne sont pas incorporés aux contrats de travail" ; Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 04-40.339, Société Richardot Ottombre c/ M. Pierre Lorenzi, FS-P+B (N° Lexbase : A5658DL7) : "si l'avantage litigieux qui résultait d'un usage et n'était pas incorporé au contrat de travail n'a pu changer de nature par l'effet de la recherche de l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification" et les obs. de N. Mingant, Les conditions de la dénonciation d'un usage non contractualisé, Lexbase Hebdo n° 192 du 30 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1481AK3).
(2) Cass. soc., 10 février 1999, n° 97-13015, Syndicat CFDT métallurgie c/ Société Trefimetaux, publié (N° Lexbase : A8786CGI), Bull. civ. V, n° 63 : "le régime complémentaire de retraite résultant d'une proposition de la direction ratifiée à la majorité des salariés relève du statut collectif des salariés qui n'est pas incorporé à leurs contrats de travail".
(3) Cass. soc., 25 février 1988, n° 85-40.821, Mme Deschamps et autres c/ Société Desarbre (N° Lexbase : A1751ABH), Dr. soc., 1989, p. 86, obs. A. Penneau ; Cass. soc., 4 juin 1997, n° 95-42.431, M. René Chapon c/ Société Cegelec, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A4798CMN) ; Cass. soc., 10 mai 2001, n° 99-40.983, Mme Thérèse Cintas c/ Laboratoire d'analyses médicales d'Argentan (N° Lexbase : A4184AT7) ; Cass. soc., 2 février 2000, n° 97-45.775, M. Jean-Pierre Grihon, agent EDF-GDF c/ Syndicat CGT EDF-GDF et autres, inédit (N° Lexbase : A1648CLM) : "lorsqu'une indemnité est due en vertu d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, elle n'est pas incorporée au contrat de travail et la dénonciation régulière de l'usage ou de l'engagement unilatéral emporte la suppression de l'avantage et s'impose aux salariés qui ne peuvent plus en revendiquer le bénéfice et ne peuvent pas soutenir que leur contrat a été modifié" ; Cass. soc., 6 juillet 2005, n° 04-44.995, préc..
(4) Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 89-42.840, Société clinique Saint-Tronc c/ Mme Giullo et autres ([LXB=A1679AA]), JCP éd. E, 1992, II, 401, 2ème esp., note J. Déprez.
(5) Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-43.051, M. Maamar Saidi, F-D (N° Lexbase : A7461DYY) et nos obs., La contractualisation rampante des éléments de la relation de travail, Lexbase Hebdo n° 277 du 18 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N8720BCX), ainsi que les décisions analysées.
(6) Cass. soc., 11 mars 2008, n° 07-40.210, Société Repro Service Bureau, F-D (N° Lexbase : A4099D7X).
(7) Préc..

Décision

Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-42.488, Société Sapco, F-D (N° Lexbase : A5349EAD)

Cassation, CA Paris, 18ème ch., sect. D, 28 mars 2007, n° 06/10765, Société Sapco (N° Lexbase : A0781DYL)

Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots clef : contrat de travail ; primes ; incorporation ; preuve.

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Sociétés

[Jurisprudence] La dissolution d'une société civile de portefeuille par extinction de son objet social

Réf. : Cass. com., 7 octobre 2008, n° 07-18.635, Société Crystal holding, FS-P+B (N° Lexbase : A7242EAH)

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N4750BHE

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

Le 07 Octobre 2010

Siège des causes de dissolution des sociétés, l'article 1844-7 du Code civil (N° Lexbase : L3736HBY) dispose que la société prend fin par l'arrivée du terme, sauf prorogation, décidée à l'unanimité des associés, ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la modification de ceux-ci (C. civ., art. 1844-6 N° Lexbase : L2026ABN) ; par la réalisation ou l'extinction de son objet ; par l'annulation du contrat de société ; par la dissolution anticipée décidée par les associés ; par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ; en cas de réunion de toutes les parts dans une seule main ; par l'effet d'un jugement ordonnant la liquidation judiciaire ; pour toute autre cause prévue par les statuts.
Qu'elle soit prise par les associés ou qu'elle résulte d'un jugement, la dissolution de la société est une décision grave, puisqu'elle entraîne la mort de l'être social. D'ailleurs, la jurisprudence, consciente de ces conséquences, fait preuve d'une certaine rigueur dans l'application et l'appréciation des causes de dissolution. L'analyse des décisions prétoriennes relatives à la dissolution pour mésentente entre associés, qui cristallise l'essentiel du contentieux en la matière, illustre parfaitement ce propos. Ainsi, la mésentente entre associés doit-elle entraîner l'impossibilité pour la société de fonctionner normalement, pour constituer un juste motif de dissolution (1), de telle sorte que, par exemple, la cour d'appel de Paris a récemment jugé que la disparition de l'affectio societatis ne suffit pas à justifier la dissolution de la société, qui ne peut être prononcée que si la mésentente entre les associés entraîne une paralysie de son fonctionnement (2).

En revanche, s'il est une cause de dissolution dont les tribunaux ont rarement à connaître, c'est bien la réalisation ou l'extinction de l'objet social -fort heureusement d'ailleurs-. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 octobre 2008, saisie d'une telle question, mérite à ce titre notre attention. Mais, le caractère rarissime de la question posée à la Cour régulatrice est loin d'être le seul intérêt de cet arrêt qui apporte une pierre angulaire à l'édifice jurisprudentiel du régime juridique de la dissolution pour extinction de l'objet social. 

En l'espèce, deux associés ont constitué une société civile, holding, ayant pour objet l'acquisition, la gestion et l'administration de titres de sociétés, à laquelle ils ont chacun fait apport d'un nombre identique d'actions détenues par eux dans le capital de la société A. Par délibération prise en assemblée générale ordinaire, les associés de la société holding (la société civile de portefeuille) ont décidé à la majorité d'autoriser la gérance à procéder à la cession des actions de la société A L'un des associés soutenant, notamment, que cette délibération avait pour effet de priver la société de son objet, en a demandé l'annulation.

La cour d'appel de Montpellier, dans un arrêt du 19 juin 2007, accueille cette demande, retenant que les actions de la société A constituaient le seul actif de la société civile de portefeuille et que leur cession équivalait à la dissolution de cette société. Elle en conclue qu'une telle décision ne pouvait, aux termes des statuts, être prise qu'en assemblée générale extraordinaire et par des associés représentant au moins les trois quarts du capital social.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article 1844-7, 2°, du Code civil. Elle retient, pour ce faire, qu'"en statuant ainsi, après avoir constaté que la société [civile de portefeuille] avait pour objet statutaire l'acquisition, la gestion et l'administration de titres de sociétés, ce dont il résultait que la cession par cette société des actions qu'elle détenait dans le capital de la société [A] n'avait pas pour conséquence l'extinction de son objet et n'impliquait donc pas sa dissolution, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé".

Cet arrêt, qui apporte un enseignement très précieux sur l'extinction de l'objet social d'une holding, impose, au préalable, un rappel rapide, mais nécessaire, sur la notion d'objet social. 

I - La notion d'objet social

La société est avant tout un contrat et, en tant que tel, sa validité est conditionnée par l'existence d'un objet licite (C. civ., art. 1108 N° Lexbase : L1014AB8 et 1126 N° Lexbase : L1226ABZ). Il ressort, ainsi, de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ) que l'objet du contrat de société est la mise en commun de biens ou d'activité en vue de partager les bénéfices ou de profiter de l'économie qui pourrait en résulter. Toutefois, la notion même d'objet social n'est pas définie par les textes, et la doctrine, estimant qu'il diffère de l'objet du contrat de société, considère traditionnellement l'objet social comme le "genre d'activité de la personne morale, la nature des opérations où elle va rechercher la source des bénéfices escomptés" (3) ou encore comme "l'ensemble des activités déterminées par le pacte social, que la société peut exercer" (4). Cette définition de l'objet social permet, également, de le distinguer de notions voisines, telles que la cause de la société qui, selon Philippe Merle (5), est la raison pour laquelle deux ou plusieurs personnes s'associent, c'est-à-dire "le pourquoi de la création de la société" (6). L'objet social diffère aussi de l'intérêt social, concept fondamental du droit des sociétés sur lequel la doctrine ne s'accorde pas (7).

L'objet social est, néanmoins, une notion majeure du droit des sociétés, puisque, d'une part, la constitution de toute société est conditionnée par son existence, sa licéité (C. civ., art. 1833 N° Lexbase : L2004ABT) et sa détermination par les statuts (C. civ., art. 1835 N° Lexbase : L2006ABW ; C. com., art. L. 210-2 N° Lexbase : L5789AIA), et puisque, d'autre part, il a des incidences majeures sur le statut, le fonctionnement et la disparition de la société. Il permet ainsi de déterminer la nature civile ou commerciale d'une société (C. civ., art. 1845 N° Lexbase : L2038AB4 ; C. com., art. L. 210-1 N° Lexbase : L5788AI9) ou l'application de règles spécifiques. Il est, en outre, le fondement de la délimitation des pouvoirs attribués aux dirigeants sociaux (C. civ., art. 1849 N° Lexbase : L2046ABE ; C. com., art. L. 223-18 N° Lexbase : L3772HBC ; C. com., art. L. 225-35 N° Lexbase : L5906AIL). Il peut, enfin, avoir pour conséquent l'annulation de la société (C. civ., art. 1844-10 N° Lexbase : L2030ABS) ou sa dissolution (C. civ., art. 1844-7, 5°).

Ainsi, afin d'éviter toute ambiguïté, toute remise en cause intempestive des actes des dirigeants et tout risque de dissolution qui ne serait pas souhaitée au préalable par les associés, il est habituellement conseillé de définir largement l'objet social dans les statuts. Les rédacteurs le savent et n'omettent cette exigence que très rarement.

II L'extinction de l'objet social d'une société holding

L'article 1844-7, 5° du Code civil prévoit, nous l'avons vu, la dissolution de la société lorsqu'il y a réalisation ou extinction de l'objet social. La réalisation et l'extinction sont deux notions qu'il convient de différencier.

La réalisation de l'objet social suppose que l'opération en vue de laquelle la société a été créée se trouve achevée. Il en est, par exemple, ainsi d'une société civile ayant pour objet la construction d'un immeuble et sa division en lots destinés à l'attribution des associés, lorsque la construction de l'immeuble, ouvrant la voie à la répartition des lots, a été achevée et que tout délai raisonnablement envisageable pour le dénouement de l'opération de construction est dépassé depuis des années, laissant se perpétuer une situation instable (8).

En revanche, l'extinction de l'objet social suppose que l'activité pour laquelle la société a été constituée est devenue impossible. Ainsi, la cour d'appel de Paris a-t-elle considéré qu'il y avait dissolution par extinction de l'objet social d'une société d'expertise qui ne fonctionnait que grâce aux qualités de son gérant, lequel avait démissionné sans être remplacé par un successeur agréé (9). De même, il a été jugé qu'était dissoute pour extinction de son objet social une société, dès lors quelle ne comprenait plus le nombre minimum de professionnels requis et avait été radiée de l'Ordre des experts-comptables, ne pouvant plus, même si elle exerçait encore une activité de conseil, réaliser les travaux relevant de la profession d'expert-comptable constituant l'objet social fixé par ses statuts (10).

Au demeurant, dans ce même arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser le régime juridique applicable à la dissolution pour extinction de l'objet en refusant l'octroi d'un délai de régularisation pour modifier l'objet social de la société, posant comme principe que "les dispositions de l'article 1844-5, alinéa 1, du Code civil, [sont] inapplicables lorsque la société prend fin par l'extinction de son objet, conformément aux dispositions de l'article 1844-7, 2 dudit code".

Pour être précis sur l'appréciation que font les juges de l'extinction de l'objet social, l'on ne peut passer à côté d'une décision fondamentale sans commettre d'impair : l'"affaire du Canal de Suez" qui illustre, à elle seule, la souplesse dont font preuve les juges ou plutôt leur réticence à prononcer la dissolution d'une société pour extinction de son objet social. Rappelons rapidement les faits : par une loi du 26 juillet 1956, Nasser nationalise le Canal de Suez, jusque là exploité par la société du même nom. Dès lors, une assemblée générale extraordinaire modifie la dénomination sociale de la société du Canal de Suez, qui devient la Compagnie financière Suez, et proroge sa durée. Toutefois, un actionnaire conteste la régularité de cette délibération et demande la dissolution de la société pour extinction de son objet social, l'exploitation du canal étant devenu impossible par la perte de la concession consécutive à sa nationalisation. Si l'on aurait pu s'attendre à un accueil favorable de la demande de l'actionnaire, dans la mesure où l'exploitation du canal de Suez, objet statutaire de la société, était devenu impossible du fait de sa nationalisation par l'Etat égyptien, le tribunal de commerce de la Seine ne va pas l'entendre ainsi et rejette la demande. Les juges, au soutien de cette décision, que l'on pourrait qualifier d'opportune, font valoir que la société s'est diversifiée et que ses activités étaient florissantes (11).

A la suite de l'analyse de cette jurisprudence, la question posée aux juges dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 7 octobre 2008 apparaît comme étant la suivante : l'activité de la holding, c'est-à-dire l'acquisition, la gestion et l'administration de titres de sociétés, était-elle devenue impossible par la cession des titres d'une société composant son unique actif ?

Il nous semble que la réponse négative apportée à cette question par la Cour de cassation est respectueuse des textes. En effet, les statuts de la holding stipulant que celle-ci peut acquérir des titres, son activité n'est pas devenue impossible, le seul fait que les titres vendus constituaient l'intégralité de son actif, ne lui interdit pas de reconstituer ce dernier en se portant acquéreuse de nouvelles parts sociales. D'autant que la dissolution n'est demandée, ici, que par l'un des associés de la société, ce qui laisse supposer que les autres, refusant de dissoudre la société, ont bien l'intention de la maintenir en activité, en lui faisant acquérir de nouveaux titres.

La solution aurait été différente si les statuts avaient prévu que l'objet de la holding était l'acquisition, la gestion et l'administration de la société dont les titres ont été apportés par les associés. Ainsi, la vente des titres de cette société, nommément désignée dans les statuts, aurait rendu l'activité de la société impossible.
De même, si les statuts avaient seulement précisé que la société a pour objet la gestion et l'administration de titres de société sans prévoir la possibilité d'en acquérir, la cession des titres composant son actif aurait sans doute emporté sa dissolution par extinction de son objet.

Cette solution, rendue pour une société civile de portefeuille, peut être étendue à toutes les sociétés holdings, dont l'objet est la détention de titre de sociétés : à partir du moment où leurs statuts prévoient qu'elles peuvent acquérir des titres -on ne saurait imaginer que leurs rédacteurs aient omis de le mentionner-, elles ne peuvent être dissoutes pour extinction de leur objet, lorsqu'elles ont vendu l'intégralité des titres composant leur actif.

On pourrait alors considérer que, dans l'attente de la reprise de l'activité, la société est "mise en sommeil" : économiquement morte, elle est néanmoins juridiquement vivante (12). Cette possibilité démontre, une nouvelle fois, que le droit est frileux à voir disparaître les êtres juridiques. D'ailleurs, la Cour de cassation considère que la mise en sommeil d'une société, qui ne peut plus fonctionner à la suite de la cession des immobilisations matérielles, ne constitue pas une cause suffisante de dissolution (13). Dans ce cas la société doit, toutefois, faire l'objet d'une inscription modificative au RCS (C. com., art. R. 123-69 N° Lexbase : L9822HYG) et, lorsque le greffier constate, au terme d'un délai de deux ans après la mention au RCS de la cessation totale d'activité, l'absence de toute inscription modificative relative à une reprise d'activité, il doit saisir le juge commis à la surveillance du RCS, aux fins d'examen de l'opportunité d'une radiation (C. com., art. R. 123-130 N° Lexbase : L9883HYP).

Enfin, pour conclure, on rappellera que le droit commun des sociétés civiles réserve à l'associé un droit de retrait. L'article 1869 du Code civil (N° Lexbase : L2066AB7) dispose, en effet, qu'un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés, ce retrait pouvant également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice. Peut-être aurait-il été plus simple pour le demandeur à la dissolution, qui ne voulait plus participer à l'oeuvre sociale de la holding, de mettre en oeuvre son droit de retrait plutôt que de demander la dissolution de la société à laquelle les autres associés ne tenaient vraisemblablement pas.


(1) Cass. com., 31 janvier 1989, n° 87-16.124, Consorts Seneclauze c/ Consorts Mazel et autres (N° Lexbase : A4043AGT).
(2) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 juillet 2007, n° 05/23460, SARL Bonnin Consulting c/ Société anonyme Toova (N° Lexbase : A2233DYD).
(3) Cordonnier, L'objet social, D., 1952, chronique, p. 172.
(4) Chaput, De l'objet des sociétés commerciales, thèse, Clermont, 1973.
(5) Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, 2001, 8ème éd. n° 55.
(6) M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 14ème éd., 2001, n° 119.
(7) Entre les tenants de la conception "minimaliste" (par ex., G. Wicker, Rép. Civ., Dalloz, V° Personne morale, n° 26) et les tenants de la conception "maximaliste" (défendu par l'"Ecole de Rennes", notamment, J. Paillusseau, Les fondements du droit moderne des sociétés, JCP éd. E, 1995, I, n° 488) de l'intérêt social, certains prônent une vision "médiane" retenue par la jurisprudence selon laquelle l'intérêt social ne se confond pas avec l'intérêt des associés, ni avec celui des dirigeants.
(8) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 novembre 2004, n° 03/13347, Mme Margha Pilon c/ Résidence Edison SCI (N° Lexbase : A0817DEY).
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 14 avril 1995, n° 92/16227, M. Liso et autre c/ M. Dangeard et autres (N° Lexbase : A3098A4I).
(10) Cass. com., 3 mai 1995, n° 92-18.000, Société Ficorgest, société à responsabilité limitée et autres c/ M. Henri Favero et autres (N° Lexbase : A2422AGS).
(11) T. com de la Seine, 22 juin 1959, J. soc., 1959, p. 193.
(12) M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 15ème éd., Litec, 2002, n° 557.
(13) Cass. com., 17 janvier 1977, n° 75-12.183, SARL d'Exploitation des Cinémas Hicksons c/ Kativineca, dame Viale, SNC de Loreilhe et Cie, Martin, Hirshon (N° Lexbase : A0257AU3).

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