Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 6 août 2008, n° 288453, Organisme de gestion de l'établissement catholique d'enseignement Notre Dame de Saint-Mandé, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A0693EAW)
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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes
Le 07 Octobre 2010
1. L'exonération des salaires versés au personnel affecté concurremment à la cantine et à d'autres services est possible sur le fondement de la doctrine administrative du 22 novembre 1971
L'exonération de taxe sur les salaires ne s'applique, en principe, qu'aux rémunérations versées au personnel affecté exclusivement au service des cantines ou de la fourniture de repas (1.1.) ; la doctrine du 22 novembre 1971 permet de déroger à ce principe (1.2.).
1.1. La règle : les salaires versés au personnel affecté exclusivement à la restauration sont exonérés
L'exonération de taxe sur les salaires ne s'applique, en principe, qu'aux rémunérations versées au personnel affecté exclusivement au service des cantines ou de la fourniture de repas. Ces cantines peuvent être gérées directement par l'entreprise ou l'être par des personnes morales qui ne sont pas passibles de la TVA et, notamment, comme dans la décision du 6 août 2008 "OGEC de Notre-Dame de Saint-Mandé", par des associations "loi de 1901".
L'originalité de cette exonération est qu'elle est doctrinale. En effet, aucune disposition du CGI ne prévoit d'exonération de la taxe sur les salaires pour les rémunérations versées au personnel affecté en tout ou partie au service des cantines ; l'article 231 du CGI est muet sur ce point. L'instruction fiscale 5 L-6-71 du 22 novembre 1971, relative à l'exonération des cantines prévoit que cette exonération ne s'applique qu'aux rémunérations versées au personnel affecté exclusivement au service des cantines ou de la fourniture de repas. La notion d'affectation exclusive a été précisée par le juge et l'administration. Il a, en effet, été jugé (TA Paris, 2 mai 1989, n° 69364/3, Comité d'établissement Rank Xerox France) que, sur le terrain de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L8568AE3), le personnel exclusivement employé à la gestion quotidienne d'une cantine doit être regardé comme étant exclusivement affecté au service des cantines au sens de l'instruction du 22 novembre 1971. L'administration fiscale tirant les conséquences de ce jugement a précisé, dans une réponse ministérielle (QE n° 11220 de M. Vidal, réponse publiée au JO Sénat Q, 14 février 1991, p. 305 ; BOI 5 L-5-91 et doc. adm. DGI 5 L-1322), que les salaires versés aux économes qui sont affectés uniquement au service de la restauration peuvent bénéficier de l'exonération.
L'exonération de taxe sur les salaires prévue en faveur des cantines ne peut, en revanche, être étendue aux auberges de jeunesse (QE n° 19082 de M. Boucheron, réponse publiée au JOAN Q du 19 janvier 1990, p. 436). Cette exonération doctrinale n'a été ni confirmée ni remise en cause par l'instruction en date du 12 septembre 2002 (BOI 5 L-5-02 N° Lexbase : X2433ABQ) commentant la nouvelle assiette de la taxe sur les salaires.
1.2. Un tempérament à la règle : une exonération possible en cas d'affectation concurrente du personnel à la cantine et à d'autres services
Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 6 août 2008, vient confirmer l'analyse qu'a faite la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 2ème ch., 19 novembre 1992, n° 91LY00316, Centre de rééducation fonctionnelle Notre-Dame N° Lexbase : A3365A87). La doctrine administrative en date du 22 novembre 1971 admet que, lorsque le personnel assure concurremment d'autres services, la partie du salaire correspondant au service de la cantine peut bénéficier de l'exonération. La cour administrative d'appel de Lyon précise, alors, qu'un employeur peut, sur le terrain de la doctrine demander une exonération de 30 %, le pourcentage étant obtenu par application au total des salaires payés au personnel affecté au service de la restauration du rapport entre le nombre de repas servis aux employés de l'établissement et le nombre total de repas servis.
Dans le prolongement de cette décision de la cour administrative d'appel de Lyon, il a été admis que le simple hébergement des enfants par les personnes morales gérant des crèches, colonies ou centres de vacances pour enfants et comportant une cantine destinée au personnel d'encadrement et aussi aux enfants qui leur sont confiés ne fait pas obstacle à l'exonération. Toutefois, lorsque le personnel assure concurremment d'autres services, seule une partie du salaire correspondant au service de la cantine peut bénéficier de l'exonération (doc. adm. DGI 5 L-1322).
La décision du 6 août 2008 "OGEC de Saint-Mandé" confirme que, dans le silence de la loi, les salaires versés au personnel affecté à la restauration en tout ou partie, sont exonérés de taxe sur les salaires, mais ajoute aussi que la doctrine, pas plus que la loi, ne précise les modalités exactes de calcul de la fraction des salaires exonérés.
2. Les modalités de calcul de la fraction des salaires exonérés en application des dispositions de l'article 231 du CGI précisées par le juge
La doctrine administrative, s'agissant du mode de calcul de la fraction des salaires exonérés, n'est pas une interprétation formelle de la loi (2.1.), les modalités de calcul doivent donc être précisées par le juge (2.2.).
2.1. L'imprécision de la doctrine l'empêche de valoir interprétation formelle de la loi
Si la doctrine administrative admet que les salaires versés au personnel des cantines soient exonérés de taxe sur les salaires en proportion des repas servis aux salariés de l'entreprise, elle n'indique pas les modalités exactes de calcul de la fraction des salaires exonérée. Elle ne constitue donc pas, sur ce point, une interprétation formelle du texte fiscal au sens du L. 80 A du LPF.
La solution retenue dans la décision "OGEC de Notre-Dame de Saint-Mandé" par le Conseil d'Etat n'est pas surprenante. La doctrine est réputée ne pas avoir d'esprit (CE, 30 mars 1992 n° 114926 Société générale N° Lexbase : A5112ARR). Elle n'est invocable par le contribuable sur le terrain du L. 80 A du LPF que si elle est suffisamment claire et ce n'est pas le cas en l'espèce. Ainsi, une instruction qui n'est pas claire ne constitue pas une interprétation formelle de la loi fiscale et n'est dès lors pas opposable à l'administration (CE 7° et 8° s-s-r., 29 juin 1977, n° 04112, SA Club Méditerranée N° Lexbase : A9842B8Z).
La solution est toutefois originale, puisqu'une même doctrine du 22 novembre 1971 (BOI 5 L-6-71) fonde tout à la fois une exonération mais ne permet pas même dans le silence de la loi, de préciser les modalités de mise en oeuvre de cette exonération.
2.2. Les modalités de la détermination de la quote-part exonérée en cas d'affectation mixte précisée par le juge
Le Conseil d'Etat juge qu'il résulte des dispositions de l'article 231 du CGI et dans le silence de la loi que, dans le cas où un contribuable verse des salaires correspondant à des activités partiellement exonérées de taxe sur les salaires, il y a lieu de répartir, d'abord, la totalité de chaque rémunération individuelle versée entre les tranches du barème progressif prévu par la loi, puis d'appliquer à chacun des montant obtenus le rapport entre les services autres que ceux exonérés et l'ensemble des services du salarié et, enfin, d'appliquer à ce résultat le taux d'imposition de chaque tranche.
Ce faisant, le Conseil d'Etat va plus loin que la cour administrative d'appel de Lyon qui avait simplement jugé qu'il ne convenait pas sur le fondement de la doctrine dont se prévalait le contribuable d'écarter la méthode retenue par le service pour l'application d'un coefficient de réfaction (CAA Lyon, 2ème ch., 19 novembre 1992, n° 91LY00316, précité). Dans la décision "OGEC Notre-Dame de Saint-Mandé", le Conseil d'Etat reprend, cette fois, la méthode du service et l'explicite dans un considérant de principe. Le Conseil d'Etat avait déjà précisé, dans un avis du 23 novembre 1998 (CE, 23 novembre 1998, n° 197839, Société d'exploitation de la clinique Ker-Lena N° Lexbase : A9230ASN), que la progressivité, d'une part, et le rapport d'assujettissement, d'autre part, procèdent de deux volontés législatives distinctes et autonomes auxquelles il convient de conférer leur plein effet. La méthode retenue par le Conseil d'Etat respecte la logique des opérations fiscales, c'est-à-dire la répartition dans les tranches puis la détermination de l'assiette et l'application des taux.
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Par une série de six arrêts, promis à la plus significative publicité, la Chambre sociale de la Cour de cassation renforce ses positions concernant la lutte contre l'inégalité de traitement, les discriminations et les harcèlements, d'une part. Et la Cour régulatrice d'adresser des "itératives remontrances" aux juridictions du fond, pourtant souveraines dans l'appréciation des faits, afin d'harmoniser, pour ne pas dire uniformiser, l'approche jurisprudentielle de la caractérisation de ces mêmes notions, hautement délicates dans les rapports sociaux, d'autre part. C'est pourquoi, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, nous alerte, cette semaine, sur la reprise en main opérée par la Cour, en confirmant la sévérité avec laquelle il convient de traiter tous les avatars de la domination patronale, qu'il convient de répartir équitablement la charge de la preuve en la matière, sans omettre les modalités de défense de l'employeur confronté à des allégations pertinentes, et qu'un retour au contrôle des qualifications par la Chambre sociale s'avère nécessaire. Et pourtant...
Il convient d'admettre, avec Marx, Bourdieu et Weber justement, que l'histoire de l'humanité recèle celle de la domination de l'homme par l'homme ; et le progrès social, on dira même "civilisationnel", tient sans doute dans le changement de nature de la domination en question. Et la Cour de cassation de bien prendre acte et de porter la bonne parole que la domination traditionnelle, assise sur la croyance en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer la domination, ou charismatique assise sur la soumission au caractère exceptionnel, sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire de la personne qui exerce le pouvoir, n'a pas droit de cité en matière professionnelle. Or, inégalités de traitement, discriminations et harcèlements sont les turpitudes inhérentes de ces dominations... incompatibles avec celle, légitimement et communément admise, issue de la raison objective et de la loi. Pour autant...
Cette objectivisation de la domination patronale n'est-elle pas excessivement moralisatrice ? Permettez l'herméneutique : chacun conviendra que la morale, dont on appelle les voeux dans tous les rouages de la société et de l'économie particulièrement, commande que le "droit de cuissage", comme la corvée, ne soient pas de mise dans une société professionnelle qui se doit d'être, elle aussi, démocratique. Mais à la lecture d'Hegel, ne sommes nous pas, là, devant la "belle âme" de notre Cour suprême ? C'est-à-dire que la jurisprudence ne tend-t-elle pas ainsi vers une culture de sa propre morale sans se soucier du bien à réaliser effectivement ? Car, à n'en pas douter, la moralisation des relations professionnelles conduit inexorablement à une aseptisation qui ne peut être propice au développement des rapports humains, clés de la perduration du rapport professionnelle, tout emprunts, eux et nécessairement, de subjectivité. C'est le pari de la confiance fondée sur la règle plutôt que sur le rapport personnel. Pour autant...
A la morale sociologique de Durkheim et de Lévy-Bruhl, nous pourrions opposer le doute hyperbolique de Descartes : lorsqu'une proposition emporte un doute quelconque, elle est nécessairement fausse... ou du moins, convient d'être relativisée ; tout est donc bien affaire de circonstances.
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 7 août 2008, n° 287581, Mme Le Cointe (N° Lexbase : A0684EAL)
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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille
Le 07 Octobre 2010
A - A la différence des nominations obtenues de manière frauduleuse, les nominations entachées d'illégalité ne peuvent être retirées par l'administration que dans un délai de quatre mois suivant leur intervention
1. Les décisions de nomination ou de promotion entachées d'illégalité n'en sont pas moins créatrices de droits acquis pour les agents publics qui en bénéficient
Lorsqu'une décision individuelle créatrice de droits a été irrégulièrement édictée par l'administration, le principe de légalité exige que celle-ci procède à son retrait, c'est-à-dire qu'elle la fasse disparaître rétroactivement de l'ordonnancement juridique, alors que le principe de sécurité juridique suppose, au contraire, son maintien au nom de la stabilité des situations juridiques et des droits acquis. La décision de nomination entachée d'illégalité est, ainsi, l'enjeu de ce que Maurice Hauriou appelait, dans sa note sous la décision "Dame Cachet" (CE Contentieux, 3 novembre 1922, n° 74010, Mme Cachet N° Lexbase : A7682AY8, au Recueil p. 790, Sirey, 1925, III p. 9), la "lutte" entre, d'une part, une administration "qui a le sentiment séculaire de son pouvoir discrétionnaire" et "a intérêt à conserver autour d'elle une certaine mobilité des situations comme condition de sa liberté" et, d'autre part, les individus "bénéficiaires des décisions" de l'administration, qui "tendent toujours à consolider leur situation", "y voient des droits acquis" et ont donc "intérêt à la stabilité des situations".
Confrontée à cette lutte, la jurisprudence récente a limité à quatre mois le délai dans lequel l'administration pouvait retirer une décision de nomination entachée d'illégalité (2). Il s'agit bien d'un retrait et non d'une abrogation, qui, elle, n'est pas rétroactive (TA Clermont-Ferrand, 17 octobre 1985, Arvis, RFDA, 1986, p. 810, conclusions Madec).
Toutefois, tout récemment, la Section du contentieux du Conseil d'Etat a tenu compte des contraintes de notification pesant sur l'administration en jugeant, contrairement aux conclusions de son commissaire du Gouvernement, que l'administration pouvait retirer une décision illégale "dans un délai de quatre mois à compter de cette décision" et non dans un délai de quatre mois à compter de la notification de cette décision (3). La position prise par la Section illustre le souci de faire en sorte que le délai de quatre mois laissé à l'administration par la jurisprudence "Ternon" soit entièrement utile, c'est-à-dire qu'il ne soit pas amputé des quelques jours d'anticipation nécessaires pour faire en sorte que la notification d'un éventuel retrait parvienne au bénéficiaire de la décision retirée avant son expiration. La solution, ainsi dégagée, est d'ailleurs critiquable, puisque le bénéficiaire de la décision ne peut plus tirer de l'écoulement du délai aucune conclusion certaine quant à la consolidation de sa situation. En effet, la notification peut, au moins en théorie, intervenir très longtemps après la signature de la décision sans que la légalité de cette dernière s'en trouve affectée.
Soulignons, toutefois, que la règle issue de la décision "Ternon" ne s'applique pas lorsque le retrait est sollicité par le bénéficiaire même de la décision créatrice de droits en vue d'obtenir l'édiction d'une décision nouvelle plus favorable, et que le retrait n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers. Dans un tel cas, l'administration a, en effet, la possibilité de faire droit à cette demande au-delà du délai de quatre mois, y compris si la décision en cause n'est pas illégale (CE, 29 octobre 2003, n° 241235, Mme Meyer N° Lexbase : A9772C9S, aux Tables, pp. 647 et 824). Enfin, le Conseil d'Etat a, également, admis que l'instauration, par voie réglementaire, d'une procédure de recours hiérarchique contre la décision créatrice de droits justifiait le non-respect du délai de droit commun de quatre mois (4).
Au total, l'on voit que la décision de nomination ou de promotion dont bénéficie l'agent public est créatrice de droits acquis et que la possibilité pour l'administration de retirer une telle décision est limitée dans le temps.
2. En revanche, les décisions de nomination ou de promotion obtenues de manière frauduleuse, même si elles ont des effets de droit, ne sont pas créatrices de droit et peuvent, en conséquence, être retirées par l'administration à tout moment
Lorsque la nomination a été provoquée par des manoeuvres frauduleuses de l'intéressé, elle ne crée pas de droit et peut, par la suite, être retirée ou abrogée par l'administration, alors même que le délai de retrait de droit commun est expiré. Cependant, l'autorité de nomination comme toutes autres autorités administratives, devra, le cas échéant, tirer toutes les conséquences légales de cet acte aussi longtemps qu'il n'y a pas été mis fin. Mettant en oeuvre ce principe, le Conseil d'Etat a considéré que l'administration ne pouvait pas se prévaloir de la fraude entachant la nomination pour refuser à l'intéressé le bénéfice, par exemple, des congés de maladie puis de longue durée (5).
En indiquant qu'un "acte obtenu par fraude ne crée pas de droits", la décision "Assistance publique-Hôpitaux de Marseille" reprend une solution acquise depuis longtemps (CE Assemblée, 12 avril 1935, Sarovitch, au Recueil, p. 520 ; CE Section, 17 juin 1955, Silberstein, au Recueil, p. 334 ; CE, 17 mars 1961, Todeschini, au Recueil, p. 157). La décision "Assistance publique-Hôpitaux de Marseille" innove, cependant, en précisant qu'aussi longtemps qu'il n'a pas été mis fin à cet acte, "il incombe à l'ensemble des autorités administratives, de tirer, le cas échéant, toutes les conséquences légales de cet acte". C'est en cela que l'on peut dire que l'acte obtenu par fraude a des effets de droit : tant qu'il est maintenu, il doit être appliqué. C'est en cela aussi que l'acte obtenu par fraude se distingue de l'acte inexistant, non seulement par le vice qui l'affecte, mais par les effets qu'il produit : l'acte inexistant (cf. infra), parce qu'il est "nul et non avenu", est "nul et de nul effet" ; il ne peut en résulter aucune conséquence, alors même qu'il n'a pas fait l'objet d'une décision le faisant sortir de l'ordonnancement juridique. En réalité, il n'y est jamais entré, et il n'y a donc pas matière à en tenir compte. En revanche, l'acte obtenu par fraude a été adopté à la fois en fait et en droit : c'est la raison pour laquelle il est effectif tant qu'il existe.
Il n'en demeure pas moins que le vice dont sont atteints les actes obtenus par fraude, quel que soit leur objet (même pécuniaire), les prive de la protection du système de la jurisprudence "Ternon". Si leurs bénéficiaires ont droit à leur application tant qu'ils sont maintenus, ils n'ont pas droit à leur maintien : ces actes peuvent être retirés à toute époque, ainsi que l'a rappelé récemment le Conseil d'Etat (CE, 3 avril 2006, n° 285656, Syndicat à vocation unique de l'Amana N° Lexbase : A9552DN4, aux Tables : à propos d'un agent public ayant obtenu de manière frauduleuse une nouvelle bonification indiciaire).
B - Qualifiant la décision attaquée de décision illégale et non inexistante, la décision du 7 août 2008 constitue une application de la jurisprudence "Ternon"
1. Une décision d'avancement de grade jugée illégale et non pas inexistante...
Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 7 août 2008, était en cause l'application du décret n° 2003-676 du 23 juillet 2003, portant statut particulier des cadres territoriaux de santé infirmiers, rééducateurs et assistants médico-techniques (N° Lexbase : L4253IB7). Ce décret avait créé, à compter de son entrée en vigueur le 1er août 2003, le nouveau cadre d'emplois de catégorie A des cadres territoriaux de santé, en prévoyant le versement, à compter de cette date, des assistants territoriaux médico-techniques hors classe issus du cadre d'emplois de catégorie B dans le grade provisoire d'assistant médico-technique hors classe créé dans le nouveau cadre d'emplois. A la suite de l'institution de ce nouveau cadre d'emplois, le décret n° 2003-683 du 24 juillet 2003 (N° Lexbase : L4254IB8), avait, quant à lui, modifié certaines dispositions statutaires relatives à chacun des trois cadres d'emplois des infirmiers territoriaux, des rééducateurs territoriaux et des assistants territoriaux médico-techniques et prévu, notamment, la modification du décret n° 92-831 du 28 août 1992 (N° Lexbase : L3043AIK) en supprimant, à compter du 1er août 2003, le grade d'assistant territorial médico-technique hors classe.
Or, en l'espèce, par une décision du 29 juillet 2003 du président du conseil général des Deux-Sèvres, la requérante avait précisément été nommée au grade d'assistant territorial médico-technique hors classe à compter du 9 septembre 2003. La décision de nomination, créatrice de droits pour l'intéressée, était donc intervenue postérieurement au décret du 24 juillet 2003 qui avait supprimé ce grade. Certes, cette décision était intervenue avant l'entrée en vigueur du décret, soit le 1er juillet 2003, mais en prévoyant que la nomination de la requérante au grade d'assistant territorial médico-technique hors classe prendrait effet au 9 septembre 2003, la décision de nomination avait retenu une entrée en vigueur postérieure à l'entrée en vigueur du décret.
En résumé, donc, la requérante avait été nommée à un grade qui avait été supprimé et qui donc n'existait plus. Conscient de son erreur, le président du conseil général des Deux-Sèvres avait logiquement décidé, par une décision du 24 décembre 2003, de reclasser la requérante au grade d'assistant territorial médico-technique de classe supérieure avant, par une décision du 14 janvier 2004, de prononcer, en conséquence, le retrait de la décision de nomination du 29 juillet 2003. Or, à la date du 14 janvier 2004, le délai de quatre mois fixé par la jurisprudence "Ternon" pour permettre à l'administration de retirer une décision illégale était expiré depuis un mois et demi. La qualification de la décision de nomination de décision illégale était donc revendiquée par la requérante qui entendait, ainsi, bénéficier de cette décision créatrice de droits.
Le Conseil d'Etat est allé dans son sens en considérant que la décision de nomination en cause était illégale et non pas inexistante. Selon le Conseil, en effet, si la requérante "ne pouvait légalement être nommée à ce grade dans son cadre d'emplois à compter du 9 septembre 2003 par l'arrêté du 29 juillet 2003", et si donc cette nomination était intervenue en méconnaissance des dispositions statutaires applicables, elle ne pouvait, cependant, "être regardée comme un acte nul et de nul effet susceptible d'être retiré à tout moment". Pour ce motif, le Conseil a donc annulé pour erreur de droit le jugement du tribunal administratif de Poitiers qui avait considéré que la décision du 29 juillet 2003 était nulle et de nul effet.
Le Conseil d'Etat a donc qualifié la décision de nomination de décision illégale et non de décision inexistante. Ce faisant, il a permis à la requérante de bénéficier du régime protecteur (pour l'agent) de la jurisprudence "Ternon".
2... qui permet de faire bénéficier l'agent concerné de la jurisprudence "Ternon"
Tirant, en effet, les conséquences de la qualification de décision illégale, le Conseil d'Etat, réglant l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), a considéré qu'à la date de la décision du 24 décembre 2003 reclassant l'intéressée au grade d'assistant territorial médico-technique de classe supérieure, et à celle de l'arrêté du 14 janvier 2004 retirant la décision du 29 juillet 2003 qui avait porté avancement de l'intéressée au grade d'assistant territorial médico-technique hors classe, la décision du 29 juillet 2003 nommant l'intéressée au grade d'assistant territorial hors classe dans le cadre d'emplois des assistants territoriaux médico-techniques étant devenue définitive, ne pouvait plus faire l'objet d'un retrait.
Au contraire, eût-il qualifié la décision de nomination de décision inexistante que le Conseil d'Etat n'aurait pu que constater le droit pour l'administration de la retirer à tout moment, ou plutôt le droit pour elle de prendre une autre décision la contredisant. En effet, la décision inexistante étant nulle et de nul effet, il n'est même pas besoin pour l'administration de la retirer et elle peut se borner à prendre une autre décision qui la contredit. Il appartient, d'ailleurs, à l'administration, si elle souhaite voir qualifier une décision d'inexistante, de saisir le juge afin qu'il constate lui-même l'inexistence. Autrement dit, seul le juge peut qualifier une décision d'inexistante.
Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 7 août 2008, si la décision de nomination avait été qualifiée d'inexistante, la légalité de la décision de nomination défavorable et, au sens propre, de rétrogradation (reclassement au grade d'assistant territorial médico-technique de classe supérieure) intervenue postérieurement, n'aurait pu être contestée par la requérante puisque cette décision de rétrogradation n'aurait fait que rétablir le statu quo ante, c'est-à-dire la situation antérieure à la décision de nomination favorable mais inexistante.
La solution retenue par le Conseil d'Etat est donc, en l'espèce, tout à fait favorable à la requérante qui a pu revendiquer avec succès, et non sans paradoxe, le bénéfice d'une nomination à un grade n'existant plus.
II - .... dont le caractère généreux peut s'expliquer par la protection particulière dont fait l'objet le grade d'agent public
A - A la différence de la décision illégale, la décision inexistante est nulle et de nul effet et n'est donc créatrice d'aucun droit pour l'agent
1. La notion d'acte inexistant et son application au contentieux de la fonction publique
Les actes juridiquement inexistants, que le juge déclare "nuls et non avenus" ou "nuls et de nul effet", échappent, à vrai dire, à toute définition doctrinale précise. En effet, si le Conseil d'Etat a adopté cette notion dans les années cinquante (CE Section, 22 novembre 1954, Pacha, au Recueil, p. 46), il n'en a jamais donné de définition. Tout au plus est-il possible de dire que l'acte inexistant est toujours entaché d'une illégalité particulièrement grave et flagrante, comme, par exemple, d'une incompétence si manifeste qu'elle tient plus de l'usurpation qu'autre chose (CE Assemblée, 31 mai 1957, n° 26188, Rosan Girard N° Lexbase : A1264B9P, au Recueil, p. 355, conclusions Gazier : décision préfectorale annulant des élections municipales).
A la différence du vice entachant l'acte obtenu par fraude qui résulte seulement de l'initiative de l'administré, le vice entachant l'acte inexistant vient d'une initiative de l'administration elle-même, et porte sur le contenu de l'acte.
La qualification d'acte inexistant a, ainsi, été retenue à propos de décisions émanant d'organismes dépourvus d'existence légale (CE Section, 7 octobre 1994, n° 136532, Ville de Narbonne N° Lexbase : A3158ASR, au Recueil, p. 426), à propos de décisions prises en application de décisions elles-mêmes inexistantes (CE, 18 mars 1921, Gaubert, au Recueil, p. 328 : actes du maire pris en exécution de délibérations du conseil municipal inexistantes ; CAA Marseille, 4ème ch., 6 décembre 2005, n° 02MA0476, Lequette N° Lexbase : A6103DMY, AJDA, 2006, p. 1220, conclusions A. Bonnet : délibération qui ne se rattache à aucune séance régulièrement tenue par le conseil municipal), ou à celles dont l'auteur est dépourvu de tout pouvoir de décision (CE, 8 décembre 1982, Commune de Dompierre-sur-Besbre, n° 33596 N° Lexbase : A1041AL7, au Recueil p. 555 : exclusion d'un agent d'un corps décidée par un auteur dépourvu de tout pouvoir de décision). La qualification d'acte inexistant a, également, été retenue à propos de décisions constitutives d'une voie de fait (T. Conf., 27 juin 1966, n° 01889, Guignon N° Lexbase : A8485BDM au Recueil p. 830), de décisions empiétant sur la compétence d'une juridiction (CE Assemblée, 31 mai 1957, précité, et CE, 18 mars 1998, n° 160933, Khellil N° Lexbase : A6658ASE, au Recueil, p. 91 : certificat de résidence délivré en violation de la chose jugée), ou encore à propos de décisions attribuées à un conseil municipal alors qu'elles n'ont été prises que par le maire seul (CE, 28 février 1986, n° 62206, Commissaire de la République des Landes N° Lexbase : A4669AMU, au Recueil p. 50, AJDA, 1986, p. 326, observations J. Moreau). La qualification d'acte inexistant a, enfin, été retenue à propos des prétendus rectificatifs insérés au Journal officiel qui avaient eu pour objet et pour effet de modifier le texte réglementaire original antérieurement publié (CE Section, 25 juillet 1952, Chambre syndicale des fabricants français de balais de paille de Sorgo, Sieur Hebert et autres, au Recueil, p. 393).
Un contentieux reste, cependant, entouré de mystère, le contentieux contractuel. Si la délibération qui autorise un maire à souscrire un emprunt est déclarée inexistante, quelles conséquences faut-il tirer de cette constatation d'inexistence ? La jurisprudence se borne, sur ce point, à indiquer que c'est là une mission qui incombe au seul juge du contrat (CE, 29 décembre 1997, n° 139317, Commune d'Hautmont N° Lexbase : A5435AS4, aux Tables, p. 710).
En ce qui concerne plus particulièrement le contentieux de la fonction publique, la théorie de l'inexistence trouve deux points d'application incontestés : les nominations pour ordre et le non-respect des limites d'âge. Dans un cas comme dans l'autre, une règle fondamentale du statut des agents publics est transgressée et les mesures ainsi prises sont entachées d'un vice très grave. Dans sa note sous l'arrêt "De Fontbonne" (CE Section, 3 février 1956, De Fontbonne, au Recueil, p. 45, RDP, 1956, p. 859, note M. Waline, AJDA, 1956, II p. 93, chronique Gazier), M. Waline évoque à bon droit l'idée d'une fraude à la loi dans le premier cas, et, dans le second, le manquement à ce que l'on pourrait appeler l'ordre public statutaire. Dans les deux cas, la jurisprudence est constante : ces décisions sont inexistantes et donc nulles et de nul effet.
S'agissant, d'abord, des nominations pour ordre, les décisions sont assez nombreuses et c'est souvent le rapprochement entre deux nominations successives qui permet d'établir la fraude à la loi (6).
Deux précisions s'imposent à cet égard. En premier lieu, la nomination pour ordre ne se limite pas, pour le Conseil d'Etat, aux mesures de pure complaisance, prises dans l'unique intérêt de l'agent. Le critère prédominant est, en effet, celui de son caractère fictif (cf. conclusions A. Bacquet, précité) : l'agent a été nommé, mais non pour les besoins du service, et souvent le juge administratif, pour aboutir à la conclusion qu'il est "nul et non avenu" le rapproche d'une autre affectation effectuée quelques jours ou quelques mois plus tard. En second lieu, comme dans l'affaire jugée le 7 août 2008, le juge distingue avec soin inexistence et simple illégalité (cf. CE Section, 18 décembre 1953, Welter, au Recueil, p. 564 ; CE, 17 mars 1954, Dame Dardant, au Recueil, p. 163, AJDA, 1954, II bis. p. 5, chronique Gazier et Long).
S'agissant, ensuite, des violations des règles de limites d'âge, la jurisprudence est moins abondante mais tout aussi ferme : les mesures prises sont déclarées nulles et non avenues (7). Précisons, à cet égard, que la nomination pour ordre dans un emploi inexistant est bien nulle et de nul effet, même si un poste a été ultérieurement créé (CAA Lyon, 3ème ch., 28 janvier 1997, n° 94LY00110, Syndicat mixte du musée de Moulins N° Lexbase : A3482BG3, aux Tables p. 631 : arrêt sur lequel nous revenons infra).
Au total, l'on voit donc que si la théorie de l'acte inexistant est appliquée avec parcimonie par la jurisprudence administrative, le contentieux de la fonction publique en constitue l'un des terrains privilégiés.
2. La décision inexistante, sans avoir besoin de faire l'objet d'un retrait, est déclarée comme telle par le juge administratif
Les actes juridiquement inexistants peuvent faire l'objet d'un recours contentieux sans condition de délai. Telle est, peut-être, la seule raison d'être de cette catégorie de décisions aux contours flous. Il semble aller de soi qu'un acte matériellement inexistant ou atteint d'un vice particulièrement grave ne puisse engendrer aucun effet. Toutefois, avant d'avoir été déclaré inexistant par un juge, l'acte incriminé donnait l'apparence de la régularité et a pu se trouver à l'origine d'autres actes ou engendrer des conséquences. C'est donc l'ensemble de ces "suites" qu'il convient d'apurer.
Les conséquences de l'inexistence juridique de la décision sont donc importantes : elle peut être retirée ou attaquée à tout instant, sans condition de délai (CE Assemblée, 15 mai 1981, précité ; CE, 10 novembre 1999, n° 126382, Préfet de la Drôme N° Lexbase : A4257AXX, aux Tables, p. 584 ; CAA Marseille, 6 décembre 2005, précité). En outre, l'inexistence est d'ordre public et doit être soulevée d'office (CE, 5 mai 1971, n° 75655, Préfet de Paris N° Lexbase : A3623B7C, au Recueil, p. 329) et elle emporte avec elle celle des actes pris par voie de conséquence (CE Section, 9 novembre 1950, Fléret, au Recueil, p. 319). Enfin, l'administration peut ne pas tenir compte d'une décision inexistante, alors même qu'elle est formellement en vigueur (CE, 30 juin 1950, Massonnaud, précité).
B - La décision du 7 août 2008 écarte "généreusement" la qualification d'acte inexistant en raison, peut-être, de la protection particulière dont fait l'objet le grade conféré à l'agent public
1. La décision attaquée, en ce qu'elle avait pour effet de nommer l'agent à un grade qui avait été supprimé, aurait pu être qualifiée de décision inexistante
Dans l'espèce jugée le 7 août 2008, il nous semble que la qualification d'acte inexistant, pour la décision de nomination favorable à la requérante, aurait pu être retenue par le Conseil d'Etat. En effet, nous l'avons vu, celle-ci avait été nommée à un grade n'existant plus à la date de cette décision, puisque ce grade avait été supprimé quelques semaines plus tôt. Or, il semble logique de qualifier d'inexistante la décision qui nomme un agent public à un grade lui-même inexistant, hypothèse bien différente de celle dans laquelle un agent est nommé à un grade auquel il ne peut légalement prétendre, dans la mesure où il ne remplit pas les conditions permettant d'y accéder.
Une telle solution a, d'ailleurs, été retenue, dans une affaire assez proche de celle jugée par le Conseil d'Etat le 7 août 2008, par la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon 28 janvier 1997, Syndicat mixte du musée de Moulins, précité, aux Tables, p. 631). Dans cet arrêt, la cour a d'abord relevé que l'agent avait été nommé à un emploi (de conservateur en chef du patrimoine) qui ne pouvait être créé par le syndicat mixte qui l'employait, dans la mesure où celle-ci n'avait pas encore fait l'objet d'une inscription sur la liste des établissements autorisés à être dotés d'un tel poste. Elle a ensuite considéré que la décision attaquée avait nommé cet agent "dans un emploi inexistant" et devait, en conséquence, être regardée "comme un acte nul et de nul effet dont le préfet était recevable, sans condition de délai, à demander au juge de constater l'inexistence".
Si donc une décision de nomination à un emploi inexistant (parce que n'existant pas encore) est qualifiée de décision inexistante, l'on peut en conclure qu'il doit en être de même pour une décision de nomination à un grade inexistant. Ce n'est, cependant, pas cette solution qu'a retenu le Conseil d'Etat. Il est vrai qu'elle aurait été très défavorable à l'agent concerné puisque celui-ci aurait été privé du bénéfice d'une décision de promotion de grade à quelques jours près : en effet, en l'espèce, le grade "hors classe" a été supprimé à peine plus d'un mois avant l'entrée en vigueur de la décision de nomination à ce grade.
On peut comprendre que le juge administratif fasse preuve d'une grande réticence à l'égard de la théorie de l'acte inexistant, et ne se résolve à y faire appel que dans quelques cas graves et exceptionnels. Tout à son pragmatisme, il hésite, ainsi que l'écrivaient les commentateurs à l'AJDA de la décision "Rosan Girard" précitée, "lorsqu'il s'est passé quelque chose, de faire comme s'il ne s'était rien passé" et de dire, "après de longs raisonnements, qu'un acte... que le juge analyse, examine et apprécie, n'existe pas" (chronique J. Fournier et G. Braibant, AJDA, 1957, II p. 273).
Toutefois, il n'en demeure pas moins que dans l'espèce jugée le 7 août 2008, la qualification de décision illégale et non de décision inexistante est généreuse pour l'agent et sévère pour son administration.
2. Cette qualification a peut-être été écartée au motif que l'agent public est regardé comme étant propriétaire de son grade
C'est un principe bien établi du droit de la fonction publique que le grade est un titre dont le fonctionnaire est rendu propriétaire par la titularisation, et qui indique son rang dans la hiérarchie administrative. Le fait d'être titulaire d'un grade donne, ainsi, vocation à exercer des fonctions de nature différente correspondant à ce grade. Ainsi que l'écrit A. Plantey (Traité de la fonction publique, Litec, 2001, § 371), "un grade attribue à son titulaire le droit à une carrière, c'est-à-dire à un certain nombre d'avantages tels que la titularisation, l'avancement, les honneurs, les protections juridictionnelles, l'honorariat". Des prérogatives du grade dépendent, ainsi, en général les avantages pécuniaires et, en particulier, le traitement (CE, 17 novembre, 1954, Moosman, au Recueil, p. 599, conclusions Jacomet) et la pension de retraite. "Le grade est donc spécialement protégé par le statut [de la fonction publique]" (idem) et le fonctionnaire a droit à la conserver même s'il change d'emploi par voie de détachement ou de mise en disponibilité, s'il est condamné à l'inactivité par la maladie ou l'infirmité, ou encore s'il perd son emploi du fait de la puissance publique (CE, 15 février 1961, Leseur, au Recueil, p. 115). Un grade ne peut, d'ailleurs, être créé que par une disposition statutaire, à l'exclusion d'une décision individuelle, d'une circulaire ou d'un texte qui n'est pas pris dans les formes prévues et par les autorités compétentes pour fixer les statuts particuliers des corps (CE, 6 avril 1962, Fournioux, au Recueil, p. 257).
Cette protection particulière du grade le distingue nettement de l'emploi et c'est pourquoi l'article 24 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L5219AHR), qui énumère limitativement les cas de cessation définitive des fonctions entraînant la perte de la qualité de fonctionnaire, assure exclusivement la protection du grade (et non de l'emploi) en indiquant les cas dans lesquels le fonctionnaire peut ou doit en être privé. Quant à l'emploi, son attribution est exclusivement commandée par l'intérêt du service (CE, 21 juin 1961, Galle, AJDA, 1961 p. 711).
Le principe de séparation du grade et de l'emploi a, ainsi, pour conséquence qu'en cas de suppression d'emploi budgétaire, le fonctionnaire intéressé reste titulaire de son grade et reçoit une affectation dans un autre emploi, ce qui n'implique pas que soient édictées des mesures statutaires applicables à l'agent concerné (CE, 17 décembre 1997, n° 149246, Confédération nationale des groupes autonomes de l'enseignement public N° Lexbase : A5489AS4, aux Tables, p. 885). Le droit d'être affecté dans un autre emploi, rendu possible par la détention du grade, existe d'ailleurs aussi au bénéfice du fonctionnaire devenu inapte physiquement à l'exercice de ses fonctions, le Conseil d'Etat ayant érigé le droit de reclassement dans un tel cas en principe général du droit (CE, 2 octobre 2002, n° 227868, CCI de Meurthe-et-Moselle N° Lexbase : A9513AZD, AJDA, 2002, p. 1294, conclusions D. Piveteau, AJFP, 2002, n° 6, p. 41).
Au total, l'on peut donc penser que si le Conseil d'Etat a refusé de qualifier d'inexistante une décision de nomination à un grade inexistant alors que la cour administrative d'appel de Lyon avait qualifié d'inexistante la décision de nomination à un emploi inexistant, c'est peut-être parce que l'agent public est propriétaire de son grade, alors qu'il ne l'est pas de son emploi. Cette conception patrimoniale du grade justifierait, ainsi, que le juge soit réticent à ne reconnaître aucun caractère créateur de droit à une décision d'avancement de grade.
(1) CE Assemblée, 26 octobre 2001, n° 197018, Ternon (N° Lexbase : A1913AX7), au Recueil, p. 497, AJDA, 2001, p. 1034 chronique M. Guyomar et P. Collin, DA, 2001, n° 253 note I. Michallet, RFDA, 2002, p. 77, conclusions F. Séners.
(2) Cf à propos de l'arrêt CE Assemblée, 26 octobre 2001, n° 197018, Ternon, précité la note de P. Delvolvé, GAJA, Dalloz, 2003, n° 100 : "sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision".
(3) CE Contentieux, 21 décembre 2007, n° 285515, Société Bretim (N° Lexbase : A1487D3H), au Recueil, AJDA, 2008, p. 338, chronique J. Boucher et B. Bourgeois-Machureau : selon le Conseil, "la circonstance que cette décision de retrait n'a été notifiée à la société Bretim [qu'] après l'expiration du délai de quatre mois imparti au ministre [est] sans incidence sur [sa] légalité").
(4) CE, 28 septembre 2005, n° 266023, Société Soinne et associés (N° Lexbase : A6077DKB), au Recueil, p. 397, AJDA, 2005, p. 2308 : il a ainsi été jugé que l'article R. 436-6 alors en vigueur du Code du travail (N° Lexbase : L0362ADR), qui organise un recours hiérarchique contre la décision rendue par l'inspecteur du travail sur la demande de licenciement d'un salarié protégé, permet au ministre compétent de retirer la décision en cause au-delà du délai de quatre mois.
(5) CE, 29 novembre 2002, n° 223027, Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (N° Lexbase : A5193A44), au Recueil, JCP éd. A, 2003, n° 1003, note D. Jean-Pierre, AJDA, 2003, p. 276, chronique F. Donnat et D. Casas, RFDA, mars 2003, p. 234, conclusions G. Bachelier et note P. Delvolvé, AJFP mars 2003, p. 4, DA, 2003, n° 1.
(6) CE Section, 11 décembre 1942, Vrin, au Recueil, p. 347 ; CE, 6 février 1948, Bonfanti, au Recueil, p. 61 ; CE, 30 juin 1950, Massonnaud, au Recueil, p. 400, conclusions J. Delvolvé, Sirey 1951, III p. 57, note F. M. ; CE Assemblée 15 mai 1981, n° 33041, M. Philippe Maurice (N° Lexbase : A3927AKN), au Recueil, p. 221, AJDA, 1982, p. 86, conclusions A. Bacquet, Dalloz, 1982, p. 147, note Blondel et Julien-Laferrière ; CE Section, 9 novembre 1990, n° 78012, Fléret (N° Lexbase : A5725AQ4), au Recueil, p. 319 ; CE Section, 12 juin 1991, n° 106426, Association professionnelle des magistrats et Pringuez (N° Lexbase : A1818ARR), AJDA, 1991, p. 509, chronique Maugüé et Schwartz.
(7) CE Section, 3 février 1956, De Fontbonne précité; CE, 5 juillet 1978, n° 05259, Ministre de l'Economie et des Finances et Ministre de l'Intérieur (N° Lexbase : A5437AI9), aux Tables p. 678 ; CE, 21 février 1997, n° 141960, Ministre de l'Education nationale et de la Culture c/ Romano (N° Lexbase : A8346ADH), au Recueil, p. 55.
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Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-60.310, Union locale CGT du 14ème c/ Société Lehwood Montparnasse et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A5050EAB)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
En application de la loi, sont électeurs les salariés ayant travaillé trois mois, au moins, dans l'entreprise. Remplissent cette condition les salariés "intermittents" ou vacataires qui, ayant travaillé dans l'entreprise de manière habituelle au cours des trois derniers mois, sont intégrés de manière étroite et permanente à la communauté de travail. |
Commentaire
I - La condition d'ancienneté de trois mois
Afin de pouvoir participer aux élections des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise, les salariés doivent remplir les conditions posées, en termes identiques, par les articles L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q) et L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) du Code du travail. Selon ces textes, "sont électeurs les salariés des deux sexes âgés de seize ans révolus, ayant travaillé trois mois dans l'entreprise et n'ayant pas fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à leurs droits civiques".
S'agissant de la condition relative à l'ancienneté du salarié, qui seule nous intéresse ici, il est à noter que l'inspecteur du travail peut autoriser des dérogations à cette condition, notamment lorsque son application aurait pour effet de réduire à moins de deux tiers de l'effectif le nombre de salariés remplissant ces conditions (C. trav., art. L. 2314-20 N° Lexbase : L2630H9B et L. 2324-18 N° Lexbase : L9766H89). De même, on peut considérer qu'une "dérogation" à la condition d'ancienneté de trois mois peut résulter d'un accord collectif ou d'un protocole préélectoral. Un tel aménagement conventionnel, qui était, d'ailleurs, en cause dans l'arrêt rapporté, ne paraît, cependant, pouvoir être admis qu'à la stricte condition d'être plus favorable que la loi.
Sont donc électeurs les salariés ayant travaillé trois mois, au moins, dans l'entreprise (2). Cette condition, qui doit s'apprécier à la date du premier tour de scrutin (3), ne pose a priori guère de difficultés. Il faut considérer qu'elle s'entend d'une présence durant trois mois, au moins, dans l'entreprise, sans qu'il y ait à tenir compte du fait que le salarié a travaillé à temps complet ou à temps partiel ou, encore, qu'il a oeuvré dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ou d'un contrat à durée déterminée. De même, cette condition peut être considérée comme remplie lorsque l'ancienneté a été acquise au terme de plusieurs contrats à durée déterminées séparés dans le temps (4). Une telle assertion pose, cependant, une importante difficulté, résidant dans la détermination de la période pendant laquelle le minimum de travail exigé doit avoir été accompli. Faut-il remonter sur six mois ? Un an ? Une durée supérieure ? Cette question est d'autant plus difficile à régler que le salarié ne peut être appelé à travailler que quelques heures à chaque fois.
Comment, dès lors, apprécier la condition d'ancienneté de trois mois pour les salariés que la Cour de cassation qualifie dans l'arrêt rapporté de vacataires ou "d'intermittents" ? Dans un arrêt rendu le 20 octobre 1999, la Chambre sociale a décidé, sans plus d'explications, qu'il résulte des articles L. 423-7 (N° Lexbase : L6367ACS) et L. 433-4 (N° Lexbase : L6421ACS), devenus L. 2314-15 et L. 2324-14, que, pour qu'un salarié vacataire occupé par intermittence dans l'entreprise soit électeur, il suffit qu'il ait travaillé dans celle-ci au moins à deux reprises dans les trois mois précédant l'élection (5). Il est, pour le moins, difficile de se satisfaire d'une telle solution dont il est excessif de dire qu'elle "résulte" des textes en cause. Sans doute avait-elle, cependant, le mérite de la simplicité. Partant, la solution retenue dans l'arrêt rapporté nous paraît qu'à moitié satisfaisante. Si elle est plus conforme aux dispositions susvisées, elle n'offre guère de sécurité relativement à sa mise en oeuvre pratique.
II - L'exigence d'un travail habituel durant les trois derniers mois
Le litige trouvait son origine dans les élections des membres du comité d'entreprise et des délégués du personnel qui s'étaient déroulées dans la société Lehwood au mois d'octobre 2006, conformément à un protocole préélectoral signé le 13 septembre 2006. Etait apparemment contestée la clause de ce protocole déclarant électeurs les salariés justifiant d'une première vacation avant le 24 juillet 2006, totalisant au moins 400 heures de travail sur les six derniers mois civils et 86 heures de travail par mois depuis juillet 2006. Pour valider cette clause, le tribunal d'instance saisi du litige avait énoncé que ces dispositions convenues entre la direction de l'hôtel Méridien Montparnasse et les principales organisations syndicales de l'entreprise confèrent le droit de vote à dix-sept salariés et ne méconnaissent pas les intérêts de ce personnel "fluctuant, numériquement variable et ne faisant pas vraiment partie de l'entreprise".
Ce jugement est censuré par la Cour de cassation au visa des articles L. 423-7 et L. 433-4, devenus L. 2314-15 et L. 2324-14 du Code du travail. Ainsi que l'énonce en exergue la Chambre sociale, "sont électeurs les salariés ayant travaillé trois mois au moins dans l'entreprise ; remplissent cette condition les salariés "intermittents" ou vacataires qui, ayant travaillé dans l'entreprise de manière habituelle au cours des trois derniers mois, sont intégrés de manière étroite et permanente à la communauté de travail". La Cour de cassation poursuit en relevant qu'en se déterminant comme il l'a fait, "tout en ayant constaté que le protocole préélectoral conditionnait le droit de vote à une période de travail appréciée sur les six mois précédents et sans rechercher si, en considération de la variation des effectifs dans l'entreprise et compte tenu du caractère et de la nature de l'emploi de ce personnel d'appoint, les exigences posées par la clause litigieuse dudit protocole sur la durée minimale d'heures de travail étaient conformes aux textes légaux, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale".
Désormais, il ne s'agit plus de compter les fois où le salarié occasionnel a travaillé dans l'entreprise dans les trois mois précédant l'élection, mais de déterminer si, pendant cette période, le salarié ayant travaillé de manière habituelle dans l'entreprise s'est trouvé intégré de manière étroite et permanente à la communauté de travail.
Seuls doivent être pris en compte les "trois derniers mois", c'est-à-dire les trois mois précédant la date du premier tour de scrutin. Sauf à se tromper, ce n'est pas exactement ce que dit la loi, qui se borne à viser le salarié ayant travaillé trois mois, au moins, dans l'entreprise. Le texte ne paraît donc pas s'opposer à ce que cette ancienneté s'acquiert sur une période plus longue. Il suffit d'imaginer le cas du salarié qui, au cours des six derniers mois, aurait conclu plusieurs contrats à durée déterminée d'une durée cumulée de trois mois et qui serait présent dans l'entreprise au moment des élections. Un tel salarié est-il encore électeur aujourd'hui ? Une réponse positive peut être apportée à cette question. En effet, deux situations peuvent être envisagées : ou bien le salarié peut faire état d'une ancienneté cumulée de trois mois et il est électeur (6), ou bien il ne le peut pas, mais il pourra quand même demander à être électeur dès lors qu'il est démontré qu'il a travaillé de manière habituelle dans l'entreprise au cours des trois derniers mois.
Ensuite, que faut-il entendre par "travail habituel" ? La question est importante car de sa réponse paraît découler le constat que le salarié est intégré de manière étroite et permanente à la communauté de travail. Cette importante notion, qui place la solution rapportée dans le droit fil de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation (7), reste, encore, évanescente. Si le "travail habituel" dans l'entreprise constitue un critère permettant de caractériser cette notion, il reste malheureusement vague lui aussi. A ce titre, l'arrêt commenté ne nous est pas d'une grande aide. On peut, cependant, en déduire que la notion de "travail habituel" doit être "déconnectée" du nombre d'heures de travail effectué au cours d'une période donnée. Ainsi, un salarié, qui a effectué trois heures de travail par semaine au cours des trois derniers mois, est certainement plus à même de faire valoir un "travail habituel" que celui qui a uniquement travaillé 35 heures la première semaine de cette période. La notion paraît impliquer une certaine récurrence dans la prestation de travail, même si elle se déroule sur une très courte durée. C'est moins la somme des périodes de travail qui importe, ici, que leur répétition.
Ensuite, la Cour de cassation ne paraît pas s'opposer à ce que l'accord conditionne le droit de vote à une période de travail appréciée sur une période supérieure à trois mois. Mais c'est à la condition que les stipulations en cause soient conformes aux textes légaux, tels qu'interprétés par la Chambre sociale (8). Or, il y a tout lieu de constater que, postérieurement à l'arrêt sous examen, on est encore dans un très grand flou. Qui peut, en effet, prétendre, aujourd'hui, dessiner avec précision la figure de celui qui, "ayant travaillé dans l'entreprise de manière habituelle au cours des trois derniers mois, [est] intégré de manière étroite et permanente à la communauté de travail" ? Cette absence de certitude s'avère problématique et il faut espérer que la Cour de cassation précise dans un avenir très proche le sens de sa jurisprudence. Pour l'heure, on ne saurait trop recommander aux employeurs d'être "généreux" dans l'établissement des listes électorales à l'égard des salariés "intermittents" et vacataires.
(1) Cette décision est, en outre, l'occasion, pour la Cour de cassation, de rappeler que seul un accord conclu postérieurement à la loi du 2 août 2005 (loi n° 2005-882, en faveur des petites et moyennes entreprises N° Lexbase : L7582HEK) peut réduire le mandat des délégués du personnel ou des membres du comité d'entreprise (V. déjà en ce sens, Cass. soc., 7 novembre 2007, n° 07-60.041, FS-P+B N° Lexbase : A4296DZ7 et nos obs., Précisions quant à la possibilité de réduire conventionnellement la durée du mandat des représentants du personnel, Lexbase Hebdo n° 282 du 21 novembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N1824BDW).
(2) Les salariés mis à disposition ne sont, quant à eux, électeurs que s'ils bénéficient d'une ancienneté continue de douze mois dans l'entreprise utilisatrice (C. trav., art. L. 2314-18-1 N° Lexbase : L3815IBW et L. 2324-17-1 N° Lexbase : L3756IBQ, tels qu'issus de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail N° Lexbase : L7392IAZ).
(3) Cass. soc., 7 mars 1990, n° 89-60.283, Syndicat SNEP FO c/ Institut catholique de Lille (N° Lexbase : A7911AG4), Bull. civ. V, n° 105.
(4) Dès lors que le salarié est encore présent dans l'entreprise au moment des élections.
(5) Cass. soc., 20 octobre 1999, n° 98-60.380, Syndicat AGRHIP-CFDT c/ M. Delloye (N° Lexbase : A4832AG3). V., aussi, Cass. soc., 4 juin 1986, n° 85-60.616, M. Guehl (N° Lexbase : A5132AAC), relatif à des médecins vacataires.
(6) Reste à savoir sur quelle période apprécier la condition d'ancienneté de trois mois. Une durée d'un an peut être jugée raisonnable.
(7) On songe, notamment, à l'arrêt du 28 février 2007, dans lequel la Cour de cassation a décidé que, sauf dispositions législatives contraires, les travailleurs mis à disposition d'une entreprise, intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, inclus à ce titre dans le calcul des effectifs, sont à ce même titre, électeurs aux élections des membres du comité d'entreprise ou d'établissement et des délégués du personnel dès lors qu'ils remplissent les conditions prévues par la loi (Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171, Syndicat CGT Peugeot Citroën automobiles (PCA) établissement de Poissy, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4007DUX, Bull. civ. V, n° 34).
(8) Pour apprécier cette conformité, la Cour de cassation souligne que doivent être pris en considération la variation des effectifs de l'entreprise et le caractère et la nature de l'emploi de ce personnel d'appoint ; ce qui ne nous avance guère.
Décision
Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-60.310, Union locale CGT du 14ème c/ Société Lehwood Montparnasse et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A5050EAB) Cassation partielle de TI Paris, 13ème (contentieux des élections professionnelles), 3 mai 2007 Textes visés : C. trav., art. L. 423-7 (N° Lexbase : L6367ACS) et L. 433-4 (N° Lexbase : L6421ACS), devenus L. 2314-15 (N° Lexbase : L2615H9Q) et L. 2324-14 (N° Lexbase : L9758H8W) Mots-clefs : élections professionnelles ; électoral ; condition d'ancienneté ; appréciation ; salariés vacataires. Lien base |
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Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2008, 6 arrêts, n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-45.579 (N° Lexbase : A4539EAD), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC), n° 06-46.179 (N° Lexbase : A4854EAZ) et n° 06-43.529 (N° Lexbase : A4841EAK)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumés
Pourvoi n° 06-46.517 : la cour d'appel, appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a relevé que le salarié, cadre, avait eu un comportement, dénoncé par sa subordonnée mineure, consistant à tenter de l'embrasser contre son gré sur le lieu du travail, à l'emmener à son domicile en renouvelant, à cette occasion, des avances de nature sexuelle, et à l'appeler fréquemment par téléphone en dénigrant la relation affectueuse que celle-ci entretenait avec un tiers, provoquant, par ces agissements, angoisse et, même, dépression ; en l'état de l'ensemble de ces motifs, elle a caractérisé un harcèlement sexuel constitutif d'une faute grave qu'elle a estimé être la cause du licenciement (rejet). Pourvois n° 06-45.747 et n° 06-45.794 (affaires jointes) : la cour d'appel, qui, hors toute dénaturation, a retenu que les tableaux comparatifs produits par la salariée étaient de nature à laisser supposer une inégalité de traitement, tant en ce qui concerne l'avancement que la rémunération et que la RATP ne rapportait pas la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence de traitement, a légalement justifié sa décision de considérer la différence alléguée comme établie. Pour débouter la salariée de sa demande, la cour d'appel a retenu qu'aucune des pièces produites par la salariée, qui consistaient essentiellement dans des échanges de courriers entre elle et la RATP et des certificats médicaux dans lesquels les praticiens reprenaient les dires de leur patiente sur les origines des troubles, ne permettaient de faire présumer un quelconque harcèlement de l'employeur à son encontre depuis sa réintégration ; en se déterminant ainsi, sans tenir compte de l'ensemble des éléments établis par la salariée, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si les faits établis n'étaient pas de nature à faire présumer un harcèlement moral au sens des textes susvisés. Pourvoi n° 06-45.579 : la règle "à travail égal salaire égal" est sans application lorsque des salariés appartiennent à des entreprises différentes, peu important que ces salariés soient soumis à la même convention collective. La cour d'appel, ayant retenu que la salariée ne produisait aucun élément de référence provenant de salariés ayant travaillé dans la même clinique, a légalement justifié sa décision en la déboutant de ses demandes fondées sur la violation du principe "à travail égal, salaire égal". Pour débouter la salariée de sa demande de dommages intérêts à titre de harcèlement moral, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que l'altération de l'état de santé de celle-ci matérialisée par un état anxio-dépressif fût la conséquence d'agissements répétés de harcèlement moral émanant de l'employeur, que la médecine du travail n'avait pas été alertée et que l'allégation d'un malaise collectif des sages femmes de la clinique ne saurait établir l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral ; en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, alors que la salariée invoquait le retrait arbitraire de son statut de cadre, la stagnation de sa rémunération, la suppression de primes et d'éléments de salaire, la détérioration progressive de ses conditions de travail, la cour d'appel, qui devait rechercher si de tels éléments étaient établis et, dans l'affirmative, s'ils étaient de nature à faire présumer un harcèlement moral au sens des textes précités, n'a pas donné de base légale à sa décision. Pourvoi n° 06-43.504 : il résulte de l'article L. 122-52 du Code du travail (N° Lexbase : L0584AZN, C. trav., art. L. 1154-1, recod. N° Lexbase : L0747H9K), applicable, d'une part, à l'article L. 122-46 (N° Lexbase : L5584ACS, C. trav., art. L. 1153-1 et s., recod. N° Lexbase : L0736H97), en matière de discrimination et, d'autre part, à l'article L. 122-49 (N° Lexbase : L0579AZH, C. trav., art. L. 1152-1, recod. N° Lexbase : L0724H9P), en matière de harcèlement, interprété à la lumière de la Directive CE/2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4), que, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Ayant relevé que chacune des mesures invoquées par la salariée était justifiée par la situation économique de l'entreprise et la nécessité de sa réorganisation, la cour d'appel, qui n'a pas violé les textes susvisés au moyen, a légalement justifié sa décision. Pourvois n° 06-46.179, n° 06-46.180 et n° 07-40.935 (affaires jointes) : tout salarié qui y a intérêt est recevable à invoquer le caractère illicite d'une clause d'une convention collective qui lui est applicable (pour cause de discrimination). Doit être annulée, en raison de son caractère discriminatoire, la clause d'une convention collective qui réserve certains avantages attribués en raison d'une activité syndicale (coefficients et points d'indices supplémentaires). Pourvois n° 06-43.529 et n° 06-43.530 (affaires jointes) : au regard du principe "à travail égal, salaire égal", la seule circonstance que les salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, ne saurait suffire à justifier des différences de traitement entre eux, pour autant que cet accord collectif ou cet engagement unilatéral n'a pas pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés lors de son entrée en vigueur ; tel est le cas lorsque des salariés, présents lors de la dénonciation d'un accord collectif, bénéficient d'un maintien partiel de leurs avantages individuels acquis destiné à compenser la perte de rémunération subie à l'occasion du passage d'une rémunération en pourcentage à une rémunération fixe. Doit être considérée comme justifiée la différence de traitement résultant de l'application conditionnée de ces mesures de compensations financières. |
Commentaire
I - Les confirmations
1.1. Les éléments constitutifs de harcèlement sexuel
L'article L. 1153-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0736H97) définit le harcèlement sexuel comme "les agissements [...] de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers". Si la rédaction du texte suggère que les agissements doivent être répétés pour constituer un "harcèlement" (1), la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, assimile le harcèlement à une discrimination lorsque celui-ci repose sur l'un des motifs prohibés par la loi (2). Dans cette hypothèse, en pratique fréquente lorsque le harceleur et le harcelé ne sont pas du même sexe, un seul agissement suffit pour caractériser la discrimination.
Dans l'une des affaires (pourvoi n° 06-46.517), une salariée, de surcroît mineure, avait été victime du comportement plus que douteux de l'un des cadres de l'entreprise, qui tentait de l'embrasser contre son gré sur le lieu du travail, l'emmenait à son domicile en renouvelant, à cette occasion, des avances de nature sexuelle, l'appelait fréquemment par téléphone en dénigrant la relation affectueuse que celle-ci entretenait avec un tiers, provoquant par ces agissements angoisse et, même, dépression. La cour d'appel avait retenu la qualification de harcèlement sexuel et cette qualification est logiquement confirmée dans cet arrêt par le rejet du pourvoi.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de juger que le harcèlement sexuel constitue nécessairement une faute grave (3). C'est ce que confirme l'un des arrêts rendus le 24 septembre 2008 (pourvoi n° 06-46.517). Même si la Cour de cassation n'affirme pas, à l'égard des faits, que ces derniers devaient nécessairement caractériser l'existence d'une faute grave, c'est à cette conclusion que la cour d'appel était arrivée et c'est, également, à cette même conclusion que parvient la Cour de cassation en rejetant le pourvoi formé par le cadre licencié.
1.2. Les éléments constitutifs de harcèlement moral
Introduite par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale (N° Lexbase : L1304AW9), la définition du harcèlement moral se trouve, aujourd'hui, dans l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P). Ce texte dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".
Comme cela était jugé en matière de harcèlement sexuel, le harcèlement moral ne saurait résulter d'un comportement unique (4). Cette affirmation doit être, désormais, tempérée lorsque le harcèlement s'accompagne d'une volonté discriminatoire.
L'examen de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation donne quelques exemples de comportements qui entrent dans la qualification de harcèlement moral. Il a, ainsi, été jugé que constituent un harcèlement moral le retrait sans motif d'un "téléphone portable à usage professionnel, [...] l'instauration d'une obligation nouvelle et sans justification de se présenter tous les matins au bureau de sa supérieure hiérarchique, [...] l'attribution de tâches sans rapport avec [les] fonctions", dès lors que ces "faits générateurs d'un état dépressif médicalement constaté" nécessitent des arrêts de travail (5).
Constitue, également, un harcèlement moral le fait, pour une salariée, d'être "en butte à l'hostilité de son supérieur hiérarchique qui l'avait menacée" et qui avait fait l'objet de plusieurs avertissements dont aucun n'était fondé (6).
En revanche, ne suffit pas à caractériser un harcèlement moral, le fait que le "salarié avait, par le passé, fait l'objet de plusieurs tentatives de licenciement, toutes infructueuses, pour des motifs similaires" (7).
L'examen des décisions rendues depuis plusieurs années par la Cour de cassation montre le désir de celle-ci de se montrer sévère à l'égard des harceleurs, sans, toutefois, se laisser déborder par des imputations fallacieuses. Il a, ainsi, été jugé que la salariée qui avait accusé à tort son employeur de harcèlement s'exposait à un licenciement pour faute grave (8).
Dans l'une des affaires (pourvoi n° 06-45.579), une salariée, qui se plaignait de subir le harcèlement moral de son employeur, avait été déboutée de l'ensemble de ses demandes par la cour d'appel. Celle-ci avait, en effet, retenu qu'il n'était pas établi que l'altération de l'état de santé de la salarié, matérialisée par un état anxio-dépressif, fût la conséquence d'agissements répétés de harcèlement moral émanant de l'employeur, ajoutant que la médecine du travail n'avait pas été alertée et que l'allégation d'un malaise collectif des sages-femmes de la clinique ne saurait établir l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral. Or, cet arrêt est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirmant qu'"en se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, alors que la salariée invoquait le retrait arbitraire de son statut de cadre, la stagnation de sa rémunération, la suppression de primes et d'éléments de salaire, la détérioration progressive de ses conditions de travail, la cour d'appel, qui devait rechercher si de tels éléments étaient établis et, dans l'affirmative, s'ils étaient de nature à faire présumer un harcèlement moral au sens des textes précités, n'a pas donné de base légale à sa décision".
Cette sévérité s'inscrit donc dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure et mérite une pleine approbation.
Même s'il convient de demeurer vigilant, afin d'éviter un dévoiement de la notion de harcèlement moral, certains comportements doivent être bannis des entreprises et leurs auteurs sanctionnés comme ils les méritent. Rappelons, d'ailleurs, que l'obligation de prévention du harcèlement moral dans l'entreprise fait partie intégrante de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur et que ce dernier est, par conséquent, pleinement responsable des conséquences dommageables d'un harcèlement réalisé par l'un de ses subordonnés (9).
1.3. Le rôle du demandeur dans les procès en discrimination ou inégalités
Pour favoriser la preuve du harcèlement ou d'une discrimination, et à l'initiative du droit communautaire, le droit du travail n'exige du salarié que la preuve de faits de nature à caractériser un harcèlement ou une discrimination. Lorsque ces éléments de fait sont considérés comme étant suffisamment crédibles par les juges, il appartient à l'employeur de prouver, en dépit des apparences, que le salarié n'a été victime de harcèlement ou de discrimination. L'article L. 1134-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6054IAH) dispose, ainsi, que, "lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
Il appartient, par conséquent, au juge de déterminer si les allégations des salariés sont matériellement avérées et si elles sont suffisamment sérieuses pour transférer le risque de la preuve de la discrimination ou du harcèlement sur les épaules de l'employeur, alors tenu de se justifier. C'est cette répartition des rôles lors du procès qu'illustrent deux des arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 24 septembre 2008.
Dans une première affaire (affaires jointes n° 06-45.747 et n° 06-45.794), c'est le respect du principe de non-discrimination qui était en cause. Une salariée s'estimait, en effet, victime d'une inégalité de traitement en ce qui concerne l'avancement et la rémunération au sein de la RATP. Pour parvenir à convaincre le juge, elle avait produit des tableaux comparatifs faisant apparaître des déroulements de carrière différents alors que les salariés dont on comparait la situation présentaient des caractéristiques professionnelles et personnelles comparables. Dans cette affaire, la cour d'appel avait considéré ces tableaux comparatifs comme pertinents et avait contraint l'employeur à se justifier. Cette analyse est confirmée par le rejet du moyen, la Haute juridiction affirmant "que les tableaux comparatifs produits par la salariée étaient de nature à laisser supposer une inégalité de traitement tant en ce qui concerne l'avancement", la cour d'appel ayant "légalement justifié sa décision de considérer la différence alléguée comme établie".
Dans une autre affaire (pourvoi n° 06-45.579), c'est le respect du principe "à travail égal salaire égal" qui justifiait la saisine du juge. A cet égard, on rappellera que la Cour de cassation fait application des mêmes principes probatoires en matière de discrimination (10). Ici, la cour d'appel avait écarté les éléments de faits présentés par les salariés et considérés par elle comme insuffisants pour établir une suspicion de différence de traitement illégitime. Les juges du fond avaient, en effet, retenu que la salariée ne produisait aucun élément de référence provenant de salariés ayant travaillé dans la même clinique ; or, ce rejet est "légalement justifié" et le pourvoi formé rejeté.
Ces deux décisions confirment une jurisprudence, désormais, bien établie. La charge de la preuve de la discrimination est partagée entre le salarié et l'employeur ; le salarié supporte la charge et le risque de l'allégation, ce qui signifie qu'il doit convaincre le juge de la matérialité des faits qu'il dénonce et de leur pertinence. Une fois ces faits établis et vérifiés par le juge, le cas échéant, après une enquête menée dans l'entreprise, c'est à l'employeur qu'il appartient de se justifier au regard des différents critères dégagés par la jurisprudence de ces dernières années.
1.4. Le champ d'application du principe "à travail égal, salaire égal"
Comme cela a déjà été jugé, la Cour de cassation confirme que le principe "à travail égal salaire égal" ne peut s'appliquer entre salariés appartenant à la même entreprise (11). Réserve faite de l'hypothèse particulière des salariés appartenant à une même unité économique et sociale (12), le principe n'a pas vocation à s'appliquer à d'autres cas de figure. Dans l'un des arrêts rendus le 24 septembre 2008 (pourvoi n° 06-45.579), la Cour de cassation précise qu'il importe peu que les salariés, qui prétendent comparer leurs situations respectives, soient soumis à la même convention collective.
Cette précision, sans doute nécessaire, est parfaitement justifiée.
C'est, en effet, parce que l'employeur dispose d'un pouvoir d'individualisation des rémunérations qu'il lui appartient de respecter l'égalité de traitement entre ses salariés. Ce pouvoir, inhérent à la qualité d'employeur, n'est par hypothèse pas présent dans les branches d'activité, chaque entreprise relevant de sa branche, quoique tenue par les minima fixés conventionnellement, étant à même de déterminer par elle-même les conditions particulières de rémunération de ses salariés.
1.5. Les modalités de défense de l'employeur confronté à des allégations pertinentes
L'employeur dispose de plusieurs moyens pour s'exonérer en cas de suspicion de discrimination, de harcèlement ou d'atteinte au principe d'égalité de traitement.
Il peut, en premier lieu, contester que les salariés dont on compare les situations respectives soient au sein de l'entreprise dans une situation identique ou comparable.
Il peut, en deuxième lieu, se justifier d'une différence de traitement existante en prouvant que celle-ci repose, non pas sur un motif prohibé, mais sur une raison légitime.
Il peut, en troisième lieu, prouver que cette différence de traitement repose, bien sûr, sur un motif en apparence prohibé, mais que cette différence répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et, pour autant, que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée (13).
C'est le premier moyen de défense qu'illustre l'un des arrêts rendus le 24 septembre 2008 (affaires jointes n° 06-43.529 et n° 06-43.530).
Dans cette affaire, qui a déjà donné lieu à un contentieux relativement abondant et à des décisions de la Cour de cassation (14), l'entreprise avait décidé, après avoir remis à plat les modes de rémunération, d'accorder aux salariés concernés une compensation financière destinée à éviter toute perte effective de rémunération à l'occasion du changement de statut. Ces mesures, prévues par le nouvel accord collectif, ont été, par conséquent, réservées aux seuls salariés en poste avant l'entrée en vigueur du nouveau dispositif, ce qui avait déclenché des protestations des salariés recrutés postérieurement à l'entrée en vigueur du nouveau statut, qui s'estimaient victimes d'une inégalité de traitement. Comme cela avait été jugé à plusieurs reprises, la Cour de cassation a confirmé que la volonté de compenser une baisse de rémunération justifiait pleinement l'attribution sélective de la prime conventionnelle, les salariés embauchés avant le changement de statut ne se trouvant pas dans la même situation que leurs collègues embauchés postérieurement (15).
C'est le deuxième moyen de défense qu'illustre un autre arrêt rendu le 24 septembre 2008 (pourvoi n° 06-43.504).
Dans cette affaire, un salarié se plaignait d'avoir fait l'objet, en quelques mois, d'un certain nombre de mesures (mutations, modification du contrat de travail) et considérait que celles-ci s'inscrivaient dans une stratégie discriminatoire. Devant le juge, l'employeur avait justifié chacune de ces mesures par la situation économique de l'entreprise et la nécessité de sa réorganisation. La cour d'appel avait considéré cette justification comme convaincante, tout comme la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi sur ce moyen. Pour la Haute juridiction, "ayant relevé que chacune des mesures invoquées par la salariée était justifiée par la situation économique de l'entreprise et la nécessité de sa réorganisation, la cour d'appel, qui n'a pas violé les textes susvisés au moyen, a légalement justifié sa décision".
1.6. Le régime de la nullité des dispositions contraires au principe d'égalité de traitement
Les dispositions imposant l'égalité de traitement, le respect du principe "à travail égal, salaire égal" ou prohibant le harcèlement sont d'ordre public. Il est, par conséquent, logique que les conventions collectives qui y dérogent s'exposent à des actions en nullité (16). Il s'agit même d'une nullité absolue, compte tenu des intérêts en cause, ce qui autorise toute personne, qui y a intérêt, à agir, qu'il s'agisse des syndicats non signataires ou des salariés.
C'est ce que confirme l'un des arrêts rendus le 24 septembre (affaires jointes n° 06-46.179, n° 06-46.180 et n° 07-40.935), la Cour affirmant que "tout salarié qui y a intérêt est recevable à invoquer le caractère illicite d'une clause d'une convention collective qui lui est applicable", dans une affaire où l'accord litigieux avait réservé un traitement privilégié aux salariés selon un critère d'affiliation syndicale, contrevenant, ainsi, au principe fondamental de la liberté syndicale, principe qui implique nécessairement, comme cela a, d'ailleurs, été jugé par la Cour européenne des droits de l'Homme, la liberté de ne pas se syndiquer (17).
1.7. Les limites imposées aux politiques de rattrapages dans l'entreprise
Les employeurs, tenus d'assurer le respect effectif du principe d'égalité de traitement dans leur entreprise, doivent mettre en oeuvre des actions visant à supprimer les différences résiduelles de traitement. Pour ce faire, ils peuvent être tentés par la mise en place de mesures ciblant les populations discriminées en leur garantissant des droits spécifiques. En d'autres termes, ils peuvent vouloir combattre des discriminations par d'autres mesures, parfois, improprement dénommées "discriminations positives".
La Cour de cassation a, déjà, eu l'occasion de manifester son opposition à de telles mesures qui combattent le mal par le mal. Ainsi, dans un contentieux opposant un salarié à la RATP, il a été jugé qu'un accord collectif ne pouvait pas, sous prétexte que les femmes se trouvent le plus souvent empêchées de voir leur carrière progresser, compte tenu de leurs charges de famille, mettre en place des modalités de progression qui leur seraient réservées ; les hommes, placés dans une même situation familiale, doivent, également, pouvoir en bénéficier (18).
C'est cette solution qui se trouve confirmée dans l'un des arrêts rendus le 24 septembre et qui concernait, de nouveau, la RATP (affaires jointes n° 06-46.179, n° 06-46.180 et n° 07-40.935). Cette fois-ci, c'étaient les dispositions conventionnelles destinées à favoriser la carrière des représentants syndicaux de l'entreprise qui étaient en cause, l'accord litigieux leur ayant réservé un traitement particulier. Or, le critère d'attribution de ses avantages se fondait sur l'activité syndicale des intéressés et apparaissait, à son tour, comme discriminatoire.
Il ressort de ces deux décisions que la mise en place de mesures de rattrapage doit se faire dans le respect du principe de non-discrimination, à moins que le législateur, lui-même, n'autorise une exception, ce qui est le cas pour les accords destinés à favoriser le rattrapage des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes (19). Ces mesures de rattrapage doivent donc être ouvertes à tous les salariés placés dans la même situation que la catégorie-cible visée par l'accord.
II - Le retour au contrôle des qualifications par la Chambre sociale de la Cour de cassation
Jusqu'à présent, la Cour de cassation semblait avoir abandonné la qualification de harcèlement ou de discrimination au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.
S'agissant, en premier lieu, du harcèlement moral et ce, bien avant l'introduction de cette notion dans le Code du travail à l'occasion du vote de la loi de modernisation sociale en janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 N° Lexbase : L1304AW9), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait eu l'occasion d'affirmer, singulièrement, dans une décision très nette rendue en 2005, que "les juges du fond apprécient souverainement l'existence d'un harcèlement moral" (20), affirmation qui allait être confirmée jusqu'à une date très récente (21).
Une même tendance, sans doute moins marquée, pouvait être notée en matière de discrimination, la Haute juridiction faisant référence au "pouvoir souverain d'appréciation des faits et des preuves" des juges du fond portant, notamment, sur la pertinence des allégations des salariés (22) ou des justifications avancées par l'employeur (23).
Dans certaines décisions antérieures, la Cour de cassation s'était, toutefois, montrée plus sévère, singulièrement, pour casser des décisions qui avaient admis de manière trop laxiste la qualification de harcèlement sexuel (24).
La référence au pouvoir souverain des juges du fond pouvait se justifier à deux égards.
En premier lieu, la qualification de harcèlement ou de discrimination dépend très étroitement des données de fait propres à l'affaire, étant acquis que les juges du fond doivent, toutefois, ne pas dénaturer les termes de la loi.
En second lieu, la Chambre sociale de la Cour de cassation pensait, sans doute, se prémunir, ainsi, contre une augmentation massive du nombre des pourvois en cassation, augmentation directement liée à la prolifération des allégations devant les juges du fond à l'occasion du règlement de licenciements.
C'est certainement devant la multiplication des décisions divergentes que la Chambre sociale de la Cour de cassation s'est décidée à "reprendre la main" et à recontrôler les qualifications de harcèlement, discrimination on inégalité de traitement et ce, afin d'affirmer son rôle de Cour régulatrice.
Ce retour au contrôle des qualifications s'est traduit, dans les arrêts rendus le 24 septembre 2008, par un certain nombre de rejets accompagnés de "bons points" accordés aux juridictions du fond concernées et ce, alors que les griefs formulés contre les employeurs n'étaient pas nécessairement considérés comme établis, mais, également, par un nombre équivalent de cassations prononcées pour des motifs disciplinaires.
Ainsi, dans le pourvoi n° 06-46.517, la Cour a repris l'ensemble des éléments retenus par les juges du fond pour caractériser un harcèlement sexuel pour souligner que la somme de ces éléments permettait, effectivement, au juge de conclure en ce sens (25).
En revanche, dans le pourvoi n° 06-43.504, la Haute juridiction a considéré que l'employeur ayant justifié chacun des mesures litigieuses "par la situation économique de l'entreprise et la nécessité de sa réorganisation, la cour d'appel, qui n'a pas violé les textes susvisés au moyen, a légalement justifié sa décision" (26).
Dans deux autres décisions, l'exercice de contrôle a, au contraire, conduit la Cour à casser une décision qui n'avait pas retenu la qualification de harcèlement moral, la Haute juridiction exerçant, cette fois-ci, un contrôle disciplinaire sur un arrêt d'appel qui ne l'avait pas mis en "mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si les faits établis n'étaient pas de nature à faire présumer un harcèlement moral" et ce, alors que la salariée avait produit des échanges de courriers entre elle et son employeur, des certificats médicaux dans lesquels les praticiens reprenaient les dires de leur patiente sur les origines des troubles (pourvois n° 06-45.747 et n° 06-45.794).
Dans un autre arrêt (pourvoi n° 06-45.579), c'est pour manque de base légale que se trouve cassé un arrêt d'appel ayant, également, écarté la qualification de harcèlement moral au motif qu'il n'était pas établi que l'altération de l'état de santé de la salariée, matérialisée par un état anxio-dépressif, fût la conséquence d'agissements répétés de harcèlement moral émanant de l'employeur, que la médecine du travail n'avait pas été alertée et que l'allégation d'un malaise collectif des sages femmes de la clinique ne saurait établir l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral. La Cour de cassation qualifie ces motifs d'"inopérants", dans la mesure où "la salariée invoquait le retrait arbitraire de son statut de cadre, la stagnation de sa rémunération, la suppression de primes et d'éléments de salaire, la détérioration progressive de ses conditions de travail" et reproche à la cour d'appel de n'avoir pas recherché "si de tels éléments étaient établis et, dans l'affirmative, s'ils étaient de nature à faire présumer un harcèlement moral au sens des textes précités".
Cette série d'arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation, et promis à la plus large des publicités, contient deux messages.
Le premier, et sans doute le plus important, à destination des salariés et des employeurs, montre que la Cour entend contribuer, à son niveau, à la lutte contre toutes les formes de discriminations, toutes les fois que les comportements dénoncés n'ont aucune justification valable.
Le second, à destination des juges du fond, est qu'ils doivent, désormais, se plier aux critères dégagés par la Haute juridiction. Gageons que l'un et l'autre de ces messages parviendront bien à leurs destinataires !
(1) Ainsi, Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 06-45.263, Société Aventis Pharma, F-D (N° Lexbase : A6051DZ7), qui exclut la qualification de harcèlement sexuel s'agissant de l'envoi à une salariée de photographies licencieuses, même si la cassation n'est pas explicitement justifiée par l'absence de caractère répété du comportement incriminé.
(2) Sur ce point, lire nos obs., La nouvelle approche des discriminations en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3609BGR).
(3) Cass. soc., 5 mars 2002, n° 00-40.717, Société La Louisiane c/ M. Daniel Alzas, FS-P+B (N° Lexbase : A1864AYP) et les obs. de S. Koleck-Desautel, Le harcèlement sexuel constitue nécessairement une faute grave, Lexbase Hebdo n° 15 du 20 mars 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2295AAA).
(4) Cass. soc., 15 avril 2008, n° 07-40.290, Mme Zohra Meghraoui, F-D (N° Lexbase : A9760D7M).
(5) Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 04-41.008, Société Mât de misaine c/ Mme Claudie Pouvreau, F-P+B (N° Lexbase : A7443DDZ), lire nos obs., Harcèlement moral : la Cour de cassation livre une première définition, Lexbase Hebdo n° 141 du 3 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3379ABR) ; Dr. soc. n° 1, janvier 2005, p. 100, obs. Claude Roy-Loustaunau.
(6) Cass. soc., 22 mars 2007, n° 04-48.308, Société Les Pyramides, F-D (N° Lexbase : A7372DUL).
(7) Cass. soc., 8 janvier 2003, n° 00-46.824, Société Jeumont c/ M. Michel Blondeau, F-D (N° Lexbase : A5971A4W).
(8) Cass. soc., 18 février 2003, n° 01-11.734, Mme Geneviève Beauzac c/ Société Fiduciaire juridique et fiscale de France (FIDAL), F-D (N° Lexbase : A1878A7P) et nos obs., Tel est pris qui croyait prendre - nul ne peut accuser impunément autrui de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 60 du 26 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6177AAZ).
(9) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, M. Jacques Balaguer, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA) et nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 12 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI). Solution confirmée par Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-41.741, Société Auvergne Denrées, F-D (N° Lexbase : A2962DUA).
(10) Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 03-41.825, Société STAVS Transport de voyageurs c/ M. André Hoarau, F-P+B (N° Lexbase : A4907DD4), Bull. civ. V, n° 228 ; Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-40.999, M. Frédéric Chazal, F-D (N° Lexbase : A3976D7E).
(11) Cass. soc., 6 juillet 2005, n° 03-43.074, M. José Correia c/ Compagnie générale des eaux de Paris, FS-P+B (N° Lexbase : A8883DIT), Bull. civ. V, n° 235 et nos obs., Principe "A travail égal, salaire égal" : comparaison n'est pas raison, Lexbase Hebdo n° 177 du 20 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6687AII).
(12) Cass. soc., 1er juin 2005, n° 04-42.143, Société Plastic services c/ Mme Annick Clavel, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4890DIX), Dr. soc. 2005, p. 1049, obs. Ch. Radé, JCP éd. G, 2005, II, 10092, note P. Lokiec.
(13) C. trav., art. L. 1133-1 (N° Lexbase : L0682H97).
(14) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, Société The Hôtel Ritz Limited c/ Mme Stoyanka Smilov, FS-P+B (N° Lexbase : A4304DIA), Bull. civ. V, n° 178.
(15) Cass. soc., 1er janvier 2005, n° 03-47.197, Société Transports de tourisme de l'océan, OCECARS c/ M. Jean-Pierre Gandon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8452DLM), JCP éd. G, 2005, II, 10017, note D. Corrignan-Carsin et nos obs., Le principe "A travail égal, salaire égal" impuissant à réduire les inégalités résultant du passage aux 35 heures, Lexbase Hebdo n° 193 du 7 décembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1672AK7).
(16) C. trav., art. L. 2251-1 (N° Lexbase : L2406H9Y).
(17) CEDH, 25 avril 1996, req. 18/1995/524/610, Gustafsson c/ Suède (N° Lexbase : A8411AWG), Gaz. Pal. des 11-12 juillet 1997, p. 31, note C. Pettiti.
(18) Cass. soc., 18 décembre 2007, n° 06-45.132, Société autonome des transports parisiens (RATP), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1382D3L), Dr. soc., 2008, p. 246, obs. Ch. Radé (accès dérogatoire aux carrières réservés aux femmes) et nos obs., Des limites aux mesures tendant à favoriser l'accès des femmes aux carrières, Lexbase Hebdo n° 287 du 9 janvier 2008 édition sociale (N° Lexbase : N5941BDE).
(19) C. trav., art. L. 1142-4 (N° Lexbase : L0702H9U), qui autorise "l'intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l'égalité des chances entre les femmes et les hommes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes".
(20) Cass. soc., 23 novembre 2005, n° 04-46.152, Mme Jeanne Foata c/ Société Polyclinique Santa Maria, F-P (N° Lexbase : A7593DLS). Déjà, Cass. soc., 27 oct. 2004, n° 04-41.008, préc. : "mais attendu que la cour d'appel, qui, sans se contredire, a constaté que la salariée avait fait l'objet d'un retrait sans motif de son téléphone portable à usage professionnel, de l'instauration d'une obligation nouvelle et sans justification de se présenter tous les matins au bureau de sa supérieure hiérarchique, de l'attribution de tâches sans rapport avec ses fonctions, faits générateurs d'un état dépressif médicalement constaté nécessitant des arrêts de travail, a, par une appréciation souveraine, estimé que la conjonction et la répétition de ces faits constituaient un harcèlement moral ; que le moyen n'est pas fondé".
(21) Dernièrement Cass. soc., 9 octobre 2007, n° 06-42.350, Mlle Laëtitia Astruc, F-D (N° Lexbase : A7443DYC) : "mais attendu que, sans inverser la charge de la preuve, la cour d'appel, qui a retenu que l'employeur rapportait la preuve d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement expliquant les retards dans le paiement des salaires et les changements d'horaire, que des propos injurieux n'avaient été tenus qu'une seule fois, et que la preuve d'un changement d'affectation de la salariée et de pratiques discriminatoires n'était pas rapportée, a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que l'existence d'un harcèlement moral n'était pas établie ; que le moyen n'est pas fondé" ; Cass. soc., 27 novembre 2007, n° 06-41.854, M. Fernando Candido, F-D (N° Lexbase : A9475DZX) : "la cour d'appel qui, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, a retenu que le comportement de l'employeur était constitutif d'un harcèlement moral dont il devait réparation à son salarié" ; Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-44.948, Société Frigoccasion, FS-P+B (N° Lexbase : A7034D8Z) : "appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, l'arrêt les a estimés insuffisamment probants" et les obs. de S. Tournaux, Présomption d'innocence et licenciement disciplinaire, Lexbase Hebdo n° 307 du 4 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2127BGU).
(22) Cass. soc., 25 juin 2007, n° 05-45.903, Société Multi Contact France, F-D (N° Lexbase : A9410DWG) : "mais attendu que la cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve versés aux débats, a relevé que M. X... fournissait des éléments faisant présumer la discrimination et que la société n'avait pas rapporté la preuve inverse".
(23) Cass. soc., 20 juin 2007, n° 06-41.399, M. Claude Dupuis, F-D (N° Lexbase : A8876DWN) : "mais attendu qu'en présence de l'invocation d'une discrimination syndicale la cour d'appel, exerçant son pouvoir souverain d'appréciation des faits et des preuves sans avoir à suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a vérifié les conditions de déroulement de la carrière des salariés intéressés et a retenu, abstraction faite du motif surabondant critiqué à la deuxième branche du moyen, que la différence de traitement invoquée au regard d'autres salariés de même ancienneté reposait sur des raisons objectives ; que le moyen n'est pas fondé ; Cass. soc., 27 mai 2008, n° 06-45.324, M. Roland Durand, F-D (N° Lexbase : A7823D8A).
(24) Cass. soc., 27 novembre 2007, n° 06-41.854, préc..
(25) Cf. supra les éléments constitutifs du harcèlement sexuel.
(26) C'est nous qui soulignons. Sur cet arrêt, nos développements supra.
Décisions
1° Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-46.517, M. Christian Raybaud, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4541EAG) Rejet, CA Versailles, 5ème ch., sect. B, 19 octobre 2006 Textes concernés : C. trav., art. L. 122-46 (N° Lexbase : L5584ACS), devenu L. 1153-2 (N° Lexbase : L0738H99), et L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9), devenu L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC) Mots clef : harcèlement sexuel ; éléments constitutifs ; contrôle de la cour de cassation ; faute grave. Lien base : 2° Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-45.747, Mme Josette Amblard, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4540EAE) Cassation partielle, CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 septembre 2006, n° 05/05473, Mme Josette Amblard c/ RATP (N° Lexbase : A5043DTX) Textes visés : C. trav., art. L. 122-49 (N° Lexbase : L0579AZH) et L. 122-52 (N° Lexbase : L0584AZN), devenus L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) Mots clef : inégalité de traitement ; valeur des éléments probatoires fournis par le salarié ; harcèlement moral ; éléments constitutifs. Lien base : 3° Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-45.579, Mme Maryse Gerin, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4539EAD) Cassation partielle, CA Toulouse, 4ème ch. soc., sect. 1, 21 septembre 2006 Textes concernés et visés : C. trav., art. L. 122-49 (N° Lexbase : L0579AZH) et L. 122-52 (N° Lexbase : L0584AZN), devenus L. 1152--1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) Mots clef : principe "à travail égal, salaire égal" ; champ d'application ; allégations du salarié ; harcèlement moral ; éléments constitutifs ; contrôle de la Cour de cassation. Lien base : 4° Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-43.504, Mme Françoise Bourdin, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4538EAC) Rejet, CA Angers, ch. soc., 18 avril 2006 Mots clef : discrimination ; harcèlement ; allégations du salarié ; différence de traitement ; justification de nature à exonérer l'employeur. Lien base : 5° Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-46.179, Mme Réjane Renault, FS-P+B (N° Lexbase : A4854EAZ) Cassation, CA Versailles, 15ème ch., 21 septembre 2006 Textes visés : C. proc. civ., art. 31 (N° Lexbase : L1169H43) ; C. trav., art. L. 412-2, alinéa 1 (N° Lexbase : L6327ACC), devenu l'article L. 2141-5 (N° Lexbase : L3769IB9) et art. L. 122-45, alinéa 1 (N° Lexbase : L3114HI8), devenu L. 1132-1 (N° Lexbase : L6053IAG), interprété à la lumière de la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4) Mots clef : non-discrimination syndicale ; accord collectif favorisant les syndicalistes ; nullité absolue ; droit des salariés d'en demander l'annulation. Lien base : 6° Cass. soc., 24, septembre 2008, n° 06-43.529, Société The Ritz hôtel limited, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4841EAK) Cassation partielle sans renvoi, CA Paris, 21ème ch., sect. C, 25 avril 2006, 2 arrêts, n° 04/34699, SA société the Ritz hôtel limited c/ M. Thierry di Lernia (N° Lexbase : A2159DRE) et n° 04/34700, SA société the Ritz hôtel limited c/ Mme Rosario Rocha Raposo (N° Lexbase : A2158DRD) Textes visés : C. trav., art. L. 132-8 (N° Lexbase : L5688ACN), devenu L. 2222 6 (N° Lexbase : L2251H9A), L. 2261-9 (N° Lexbase : L2434H9Z) et L. 2261-10 (N° Lexbase : L3731IBS) Mots clef : principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; différence de situation ; compensation de pertes salariales. Lien base : |
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Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.800, M. Franck Laneque, F-P sur le premier moyen (N° Lexbase : A6205D9P) ; Cass. soc. 16 septembre 2008, n° 07-20.444, M. Jérôme Ravanel, F-P+B (N° Lexbase : A4071EAZ)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Le 07 Octobre 2010
Décisions d'espèce ou revirement de jurisprudence ? Une lecture attentive fait apparaître la logique qui préside à ces deux arrêts, le juge faisant clairement ressortir, dans sa motivation, la distinction entre les deux situations. Si, dans la première décision, la Cour de cassation se fonde, en effet, sur la notion de relation avec le contrat de travail pour retenir la compétence du conseil de prud'hommes, elle s'appuie, dans la seconde, sur la qualification d'accessoire au contrat de travail, pour, ensuite, écarter la compétence du même conseil.
La question se pose, ainsi, de la mise en oeuvre par le juge de l'application de l'article L. 1411-1 du Code du travail (C. trav., art. L. 511-1 anc.). C'est, plus précisément, l'incertitude quant aux critères permettant de retenir, soit la notion jurisprudentielle de l'accessoire, soit celle -textuelle- de litige né "à l'occasion de tout contrat" de travail pour déterminer le tribunal compétent. Cette interrogation, qui naît essentiellement de l'ambiguïté de la situation de l'actionnaire salarié (I), notamment quant à la juridiction susceptible d'être saisie en cas de conflit avec son employeur, invite à s'interroger sur l'utilisation de la notion d'accessoire (II) en tant que critère d'attribution du litige.
I - L'ambiguïté de la situation d'actionnaire salarié dans la mise en oeuvre de l'article L. 1411-1 du Code du travail
Les sources de la compétence des conseils de prud'homme (A) sont à la fois textuelles et jurisprudentielles, dualité que la Chambre sociale de la Cour de cassation semble utiliser dans les deux arrêts rapportés (B) afin d'établir une grille de lecture stricte des critères à mettre en oeuvre pour établir les compétences respectives des juges prud'homaux et commerciaux.
A - Les sources de la compétence des conseils de prud'hommes
C'est l'article L. 1411-1 du Code du travail (C. trav., art. L. 511-1, al. 1, anc.) qui établit la compétence d'attribution des conseils des prud'homme lorsqu'il dispose que ces derniers règlent et jugent "les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient". Compétence très étendue, en raison même de la nature du contrat de travail, le champ d'application de cette disposition est cependant limité par l'article L. 1411-4 (C. trav., art. L. 511-1, al. 5, anc.), qui établit qu'ils "ne peuvent connaître les litiges dont la connaissance est attribuée à une autre juridiction par la loi". Compétence d'ordre public, insusceptible d'aménagement contractuel, les attributions des conseils se heurtent donc, en matière commerciale, aux dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 721-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7624HNP) qui établit que les tribunaux de commerce connaissent des "contestations [...] relatives aux sociétés commerciales", lesdites contestations concernant, en particulier, les litiges susceptibles de survenir entre les associés et la société.
Ces critères, simples et insusceptibles, à l'origine, de déboucher sur des conflits d'attribution paraissent, aujourd'hui, marquées du sceau de l'ambiguïté, si l'on considère l'accroissement constant du nombre de salariés qui sont également actionnaires de la société qui les emploie. Le phénomène est, d'ailleurs, animé par deux mouvement parallèles puisqu'il s'illustre, dans les petites entreprises, par l'adoption, par les actionnaires dirigeants, du statut plus protecteur de salarié -lorsque la forme sociale le permet- et, dans les grandes sociétés, par le développement de l'actionnariat salarial, notamment par l'attribution de stock-options. Or, si les deux textes, de rang équivalent dans la hiérarchie des normes, étaient, en principe, appelés à jouer concurremment, sans que l'une ou l'autre des dévolutions contentieuses soit supérieure à l'autre, force est de constater que le conseil de prud'hommes s'est vu attraire une part de plus en plus importante des litiges, au détriment de la juridiction commerciale.
Ce sont, en premier lieu, les termes mêmes de l'article L. 1411-1 du Code du travail qui contiennent les germes de cette extension, lorsqu'ils disposent de la compétence des conseils pour les différents nés "à l'occasion" du contrat de travail. Dès lors, la compétence ne se limite pas à la conclusion et à l'exécution du contrat mais s'étend à ses suites directes ou indirectes, ce dont la jurisprudence a tiré toutes les conséquences utiles. Elle a, ainsi, confié au conseil un litige portant sur un prêt consenti par un employeur à un salarié qu'il avait licencié par la suite. Comme les sommes correspondant au reliquat du prêt avaient été incluses dans le relevé du solde de tout compte, le litige avait pu être réputé être de la compétence du conseil de prud'hommes, au motif qu'il était né de la rupture du contrat de travail (1). Cet exemple, particulièrement symptomatique de l'emprise du contrat sur les litiges qui naissent à sa périphérie, permet de mesurer que peu de conflits sont susceptibles d'échapper au conseil de prud'hommes lorsqu'ils surviennent dans le cadre de la rupture dudit contrat.
Cette emprise est d'autant plus importante que -accessorium sequitur principale- l'accessoire suit le principal, d'où la doctrine en tire la conclusion que l'article L. 1411-1 du Code du travail, comme l'affirment MM. Vincent et Guinchard, "vise les obligations qui sont accessoires au contrat individuel" (2). Cette notion d'accessoire permet, ainsi, d'étendre le domaine d'application textuel de la compétence du conseil de prud'hommes, même si cette extension n'est pas sans limite puisque, selon les mêmes auteurs, il est nécessaire que "la prestation envisagée soit en relation directe avec la prestation principale". D'aucuns soulignaient également, de longue date, l'importance de cette restriction, déterminant qu'il était nécessaire que le litige, relatif à une convention accessoire, trouvât sa cause dans la formation, l'exécution ou la rupture du contrat de travail (3).
Il s'en conclut que le principe de l'accessoire doit être appliqué de façon restrictive, solution qui s'impose au regard de la compétence concurrente des juridictions commerciales, posée par l'article L. 721-3 du Code de commerce précité. En d'autres termes, l'accessoire doit -si la liberté de la formule est permise- rentrer dans le champ d'application de l'article L. 1411-1 du Code du travail.
B - L'illustration de la théorie de l'accessoire avec les derniers arrêts de la Chambre sociale
La première décision de la Chambre sociale, en date du 9 juillet 2008, illustre, d'abord, la mise en oeuvre de la notion de "différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail" et qui relève, donc, exclusivement de l'application textuelle de la compétence du conseil de prud'hommes. En l'espèce, M. L., engagé par la société E. M. en qualité d'ingénieur, était devenu responsable de production et de contrôle informatique puis, avait été licencié pour faute grave le 24 février 2004. Devenu, durant cette période, actionnaire de la société, il se voyait opposer un pacte d'actionnaire prévoyant, en cas de licenciement d'un salarié, la cession immédiate de ses actions à un prix déterminé par la majorité des actionnaires. La cour d'appel, saisie du litige soulevé par le salarié, décidera, en l'espèce, que le juge prud'homal était incompétent pour connaître d'une action en réparation de ce type de préjudice, au motif que la demande n'était pas fondée sur le contrat de travail et qu'elle avait été formée par l'intéressé en sa qualité d'actionnaire. La Chambre sociale casse, alors, l'arrêt d'appel statuant au visa de l'article L. 511-1 du Code du travail, au motif : "que la demande en paiement de dommages intérêts d'un salarié en réparation du préjudice causé par les conditions particulières de cession de ses actions en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement constitue un différend né à l'occasion du contrat de travail".
La seconde décision, du 16 septembre 2008, portant, elle également, sur un pacte d'actionnaire, réserve pourtant un tout autre sort au justiciable, la compétence du conseil de prud'hommes étant rejetée, cette fois, sur le fondement de la notion d'accessoire.
M. R., employé par la Société F. jusqu'au 30 juin 2000, date de son départ de la société, a bénéficié, durant sa période salariée, de plans d'options de souscription d'actions, cédant, ensuite, ces dernières au cours des années 2000 à 2003. Il saisit, alors, le tribunal de commerce de demandes tendant à l'allocation de dommages-intérêts et aux fins d'ordonner la publication des comptes sociaux. Il estimait, en particulier, que la société avait irrégulièrement minoré ses bénéfices et provoqué une diminution du montant des dividendes distribués et la dévalorisation du prix de l'action. La cour d'appel, saisie de l'affaire, décidera, toutefois, que le litige relevait de la juridiction prud'homale, motivant sa décision par le fait que, sous couvert d'une contestation des comptes, M. R. discutait un élément contractuel de sa rémunération en invoquant une violation des conditions d'exécution du plan de souscription d'actions. Telle ne va pas être la position de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, s'appuyant conjointement sur les articles L. 1411-1 du Code du travail et L. 721-3. 2° du Code de commerce, va retenir la compétence du tribunal de commerce. Elle décide, ainsi, que si l'attribution par l'employeur à un salarié d'une option donnant droit à une souscription d'actions constitue un accessoire du contrat de travail, les différends pouvant, ensuite, s'élever dans les relations entre la société et le salarié devenu actionnaire, indépendamment des conditions d'acquisition de ses actions, sont de la compétence de la juridiction commerciale.
II - Quelle utilisation pour la notion d'accessoire ?
La notion d'accessoire, destinée, en principe, à rattacher les litiges au contrat de travail semble, ici, permettre, au contraire, de restituer à la juridiction commerciale son contentieux naturel. Il convient alors de s'interroger, compte tenu de leur proximité, sur la portée (A) des deux décisions de juillet et de septembre 2008, la dernière d'entre elles semblant donner une singulière vigueur à l'accessoire (B) en tant que critère d'attribution.
A - La portée des deux décisions face au contexte jurisprudentiel
La comparaison des faits ayant donné lieu aux deux décisions précitées laisse peu de doute quant à la nécessité, pour le juge du droit, de dissocier les solutions, même si, dans les deux cas, c'était une cession d'action qui était en cause. En effet, si la première affaire renvoie indiscutablement à une condition particulière attachée au licenciement du salarié, qui donnait effet au pacte d'actionnaire, la seconde ne renvoie qu'indirectement à une éventuelle liaison du litige avec le contrat de travail. Ainsi, en proposant cet arrêt à la publication (F-P+B), la Cour de cassation pose une limite à l'extension -au demeurant justifiée- de la compétence des conseils de prud'hommes. Il reste, toutefois, à déterminer si, ce faisant, le juge est susceptible de nous donner une grille de lecture suffisamment claire de sa jurisprudence.
La notion d'accessoire, en l'occurrence, semble permettre, contrairement à celle de différend né "à l'occasion du travail" d'opposer une restriction à la compétence du conseil de prud'hommes. Il est ainsi possible de rapprocher des deux espèces commentées de solutions voisines apportées par le juge. En matière d'attribution d'action ou de l'octroi de droits de souscription, la jurisprudence est, en effet, constante pour considérer que sont des conventions accessoires, celles en vertu desquelles l'employeur octroie un avantage en nature ou en espèces. L'attribution directe ou indirecte d'actions ou de parts sociales se rattache à ce dispositif et, bien que ces attributions soient généralement accessoires, elles sont liées à l'exécution du contrat de travail en tant qu'elles s'analysent comme un complément de rémunération. Dès lors, la compétence du conseil de prud'hommes est retenue par le juge, et, ce, qu'il s'agisse de promesses de cessions d'actions ou d'attribution de stock-options dont la levée ou l'exercice sont, dans leur principe, subordonnées à la continuité de la relation salariale, c'est-à-dire à l'absence de rupture (4) ou de suspension (5) du contrat. En revanche, un arrêt récent, rendu par la Chambre sociale le 18 octobre 2007, et rédigé sous forme d'une décision de principe, est venu souligner qu'a contrario, le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour statuer sur les conditions de mise en oeuvre d'un pacte d'actionnaire "qui ne constitue pas un accessoire au contrat de travail" (6). Il semble, ainsi, que la compétence du tribunal de commerce soit préservée et que la décision rendue le 16 septembre 2008 vienne parachever cette évolution jurisprudentielle.
L'analyse des deux arrêts commentés, permet de mesurer le champ d'application de la notion. Si dans le premier, le juge n'utilise pas celle d'accessoire, c'est que le conflit est directement lié à la rupture du contrat de travail, même si c'était la mise en jeu du pacte d'actionnaire qui se trouvait contestée dans le moyen. La motivation est claire sur ce point : la compétence est déterminée "en raison de la perte de sa qualité de salarié du fait de son licenciement". Dans le second arrêt, en revanche, la Chambre sociale rappelle sa jurisprudence constante en précisant que, par nature, la "souscription d'actions constitue un accessoire du contrat de travail", ce qui renvoie à l'idée qui vient d'être évoquée : la relation avec un élément de rémunération. Toutefois, les litiges qui naissent ultérieurement, liés à la qualité d'associé, et dont la survenance est indépendante "des conditions d'acquisition de ses actions", relèvent de la compétence du tribunal de commerce.
B - L'utilité de la notion d'accessoire
Vue sous ce prisme, la notion d'accessoire s'avère utile pour permettre au juge du droit de fixer les limites respectives de la compétence des conseillers prud'homaux et des juges commerciaux. Si, en effet, les termes de l'article L. 1411-1 du Code du travail paraissent lier indissolublement le juge (contraint de décider de la compétence du conseil dès que le litige est né à l'occasion du contrat de travail), il est de nombreux domaines périphériques où la notion d'accessoire peut être utilisée, dans toute sa plasticité, afin d'attraire, à l'inverse, le contentieux vers la juridiction commerciale. Il nous apparaît, en effet, même si cette analyse devra être confirmée ultérieurement par la lecture attentive de la jurisprudence, que la notion d'accessoire permet de lier, lorsque les circonstances l'exigent ou que la logique juridique le commande, les contentieux qui résultent indirectement de l'exécution ou de l'inexécution du contrat de travail. En revanche, ce caractère accessoire, qui ne constitue pas une donnée textuelle, permet au juge de s'affranchir de la relation entre un contentieux annexe (qui porterait, par exemple, sur un pacte d'actionnaire) et le conflit principal, lorsqu'il apparaît que les liens qui les unissent sont trop ténus. La mise en oeuvre du droit commercial, notamment en matière de cession d'actions, pourrait ainsi échapper à la sujétion étroite, en termes de compétence, qu'aurait pu lui imposer une application rigoureuse du seul article L. 1411-1 du Code du travail.
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur de l'Institut des Assurances de Bordeaux
Le 13 Octobre 2020
Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique du guide juridique Droit médical. Seront abordés, en matière de droit commun de la responsabilité, la faute du radiologue ne décidant pas de mener des investigations complémentaires nécessaires, la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique ; en matière de régimes spéciaux de responsabilité médicale, le dispositif "anti-Perruche" et la contamination post transfusionnelle du VHC ; et, enfin, en matière du régime de responsabilité des produits défectueux, l'affaire dite du "Distilbène".
I - Droit commun de la responsabilité médicale
A - Faute médicale
Les faits
Dans cette affaire, une mère, enceinte de jumeaux, apprend que l'un d'entre-eux est atteint d'une anencéphalie et qu'il est non viable (1). Le gynécologue obstétricien qui la suivait réalise alors une échographie en vue de détecter une éventuelle malformation du second foetus et demande à un radiologue des examens complémentaires qui n'ont pas révélé d'anomalies. Ce dernier rassure alors son confrère et la mère de l'enfant, et aucun nouvel examen ne sera demandé.
A la naissance, le jumeau anencéphale meurt et l'autre jumeau présente une malformation cérébrale complexe et majeure.
Le radiologue est condamné, sur le fondement des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil, la cour d'appel "ayant relevé que l'examen IRM ne suffisait pas à poser le diagnostic", que le radiologue "n'avait pas demandé l'avis d'un radiologue plus confirmé que lui dans cet examen, qu'il n'avait pas pratiqué d'échomorphologie, et que, sans lui conseiller d'y recourir, il avait rassuré son confrère".
Les éléments de la faute médicale
Deux fautes pouvaient donc être reprochées au radiologue qui sont d'ailleurs souvent caractérisées par la jurisprudence pour fonder la condamnation des médecins : il avait, tout d'abord, commis une erreur fautive de diagnostic (2), ce dernier n'ayant pas été suffisamment étayé par des examens complémentaires (3) ou l'avis d'un confère plus expérimenté (4), mais également une faute d'imprudence consistant à avoir rassuré, dans de pareilles conditions, le gynécologue qui n'a donc pas, à son tour, mené d'autres investigations (5). C'est dire si la condamnation s'imposait.
B - Aléa thérapeutique
Il est acquis depuis 2000 que "la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient" (6). A première vue, cet arrêt inédit semble n'être qu'une simple application d'une solution aujourd'hui bien acquise et ne souffre aucune critique particulière.
A bien y regarder de plus près, on peut se demander toutefois si cette solution peut être nettement distinguée et articulée avec les décisions qui permettent de présumer la responsabilité du chirurgien lorsque celui-ci lèse un organe étranger aux finalités de l'acte envisagé, sauf à démontrer que le patient présentait une particularité morphologique qui rendait cette atteinte inévitable (7).
Même si les deux solutions sont proches, comme le montre d'ailleurs la tentative d'assimilation du demandeur dans cette affaire, il nous semble qu'elles peuvent être distinguées.
Lorsqu'un acte médical comporte comme risque connu et inhérent à l'opération l'atteinte à un organe voisin, ce qui était bien le cas dans cet arrêt en date du 28 mars 2008, il convient de considérer cette lésion comme la simple réalisation d'un aléa médical et ne permet donc pas d'engager la responsabilité du chirurgien. En revanche, pour les organes voisins dont la lésion n'est pas identifiée comme un risque connu, dans la mesure où ils ne sont pas concernés par l'acte, l'atteinte revêt alors un caractère anormal, ce qui laisse supposer qu'une maladresse, qui aurait dû être évitée, a été commise, permettant, dès lors, de présumer la responsabilité du chirurgien, sauf à démontrer une anomalie morphologique.
II - Régimes spéciaux de responsabilité médicale
A - Dispositif "anti-Perruche"
La mise à l'écart du dispositif "anti-Perruche"
A la suite de la retentissante affaire "Perruche" (8), la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) est intervenue pour interdire la réparation du préjudice de l'enfant, sauf à démontrer que ce dernier a été causé directement par une faute caractérisée du médecin, et limiter le préjudice des parents à un simple préjudice moral. L'article 1er de la loi prétendait, également, s'appliquer immédiatement, y compris aux instances en cours, dès lors qu'aucune décision de justice définitive n'était intervenue.
Cette application immédiate a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme le 6 octobre 2005 (9), pour violation de l'article 1er du Protocole n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) qui protège le droit de propriété , suivi en cela par la Cour de cassation (10) et le Conseil d'Etat (11) qui ont écarté l'application de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002, entre temps devenu l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8912G8L), s'agissant des actions engagées par les familles d'enfants nés handicapés avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.
Restait la question du sort des actions engagées après l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 mais pour des naissances antérieures, certains ayant pu douter ici qu'une espérance de créance ait été effectivement perdue puisqu'aucune volonté d'être indemnisé ne s'était manifestée avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Ce n'est pas la thèse retenue par la Cour de cassation qui a, également, écarté l'application du dispositif issu de la loi du 4 mars 2002 pour des actions engagées après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, dès lors qu'elles concernaient une naissance antérieure (12).
C'est cette dernière solution qui se trouve ici confirmée, et explicitée, dans la mesure où le défendeur prétendait opposer aux victimes le fait que l'action en justice n'avait été engagée qu'après la loi du 4 mars 2002 ; l'argument est balayé par la première chambre civile de la Cour de cassation "s'agissant d'un dommage survenu antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi susvisée, indépendamment de la date de l'introduction de la demande en justice".
La solution nous paraît bienvenue.
En premier lieu, la solution, qui avait déjà été retenue, fait l'objet de la publicité maximale et devrait achever de briser la résistance de certaines juridictions du fond.
En second lieu, la mise à l'écart du dispositif "anti-Perruche" est justifiée sur le fond. L'article 1er de la loi "Kouchner" du 4 mars 2004 ne réglait certes que la question de l'application de la loi nouvelle aux instances en cours, mais a fortiori elle s'appliquait, également, aux dommages, c'est-à-dire aux naissances, survenus avant l'entrée en vigueur mais n'ayant pas donné lieu à une action en réparation. La solution est, en effet, fondée sur le fait que la règle nouvelle, si elle est appliquée immédiatement, fait perdre aux parents une "'valeur patrimoniale' préexistante et faisant partie de leurs 'biens', à savoir une créance en réparation établie dont ils pouvaient légitimement espérer voir déterminer le montant conformément à la jurisprudence fixée par les plus hautes juridictions nationales" (13). Or, le bien représenté par la créance perdue entre dans le patrimoine des parents au jour du dommage, et non au jour de l'introduction de l'action en justice. Il est donc logique que la date à prendre en compte pour déterminer l'existence de cette privation soit la date de naissance de l'enfant.
La mise à l'écart de la théorie de la perte de chance
L'arrêt est également intéressant en ce qu'il écarte l'application de la théorie de la perte de chance dans cette affaire. Cette technique d'évaluation du préjudice sert aujourd'hui essentiellement à indemniser les conséquences d'un manquement fautif à l'obligation d'information du médecin lorsque la faute a fait perdre aux victimes la possibilité, par une décision plus avisée, de se soustraire au dommage qui s'est finalement réalisé (14).
On sait, toutefois, que dans les affaires de type "Perruche", où la théorie de la perte de chance d'avoir pu interrompre la grossesse pouvait sembler pertinente, la jurisprudence avait considéré que les fautes des médecins ou des laboratoires d'analyses avaient contribué à la réalisation de l'entier dommage, sans qu'il soit question ici de passer par le prisme de la perte de chance (15), à la double condition, néanmoins, que les justifications légales du recours à l'interruption de grossesse pour un motif médical soient réunies et que la mère ait exprimé avant la faute médicale son désir d'interrompre la grossesse si l'enfant présentait un handicap avéré.
La confirmation en l'espèce
C'est ce que confirme ce nouvel arrêt.
Le défendeur prétendait qu'il fallait faire application de la théorie de la perte de chance, l'erreur commise dans le diagnostic ayant empêché les parents d'avoir pu envisager d'interrompre la grossesse pour un motif médical, il convenait de tenir compte de cette probabilité.
Or, tel n'est pas l'avis de la première chambre civile de la Cour de cassation qui affirme qu'une "telle faute, n'ayant pas permis à Mme X, qui avait manifesté son intention d'effectuer une interruption de grossesse pour motif médical, de faire à cet égard un choix éclairé, est en relation directe avec l'intégralité du préjudice en résultant, lequel n'est pas constitué par une perte de chance".
Le parallèle avec l'affaire "Perruche" est ici évident, et confirme d'ailleurs une jurisprudence bien établie (16). Dans l'un et l'autre cas, le risque était connu et la décision de la mère d'interrompre la grossesse déjà prise, avant même que les résultats des examens ne soient connus. Dès lors, la faute commise par le médecin peut effectivement être considérée comme ayant directement causé le dommage dans la mesure où aucun doute ne saurait exister sur la décision qui aurait été prise par la patiente si le diagnostic avait été juste, puisqu'elle avait déjà fait état de cette décision auparavant.
B - Indemnisation des victimes de contaminations transfusionnelles par le VHC antérieurement au 5 septembre 2001 (loi du 4 mars 2002, art. 102)
L'article 102 de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 règle le sort de l'indemnisation des victimes contaminées par le virus de l'hépatite C à la suite de la transfusion de produits sanguins, en favorisant la preuve de l'imputabilité de leur hépatite à la transfusion (17). Mais quel que soit le régime de responsabilité ou d'indemnisation applicable, la victime doit toujours prouver que le dommage dont elle réclame réparation est bien imputable à l'événement soumis à ce régime. Même lorsqu'elle bénéficie d'une présomption d'imputabilité, la victime n'est jamais totalement dispensée de prouver, ne serait-ce que parce qu'elle doit toujours, si ce n'est prouver que les conditions de la responsabilité ou de l'indemnisation sont réunies, à tout le moins prouver l'existence des faits allégués. Ce qui vaut pour la responsabilité des fabricants de médicaments (18) vaut également pour les victimes qui relèvent des dispositions de l'article 102 de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 et qui ont été contaminée par le virus de l'hépatite C avant le 5 septembre 2001 au cours d'une transfusion sanguine (19). La victime doit, en effet, établir qu'elle a bien reçu une transfusion des produits sanguins, qu'elle était indemne de toute contamination avant et qu'elle a révélé son hépatite postérieurement. S'agissant de la preuve d'un fait juridique, et comme le relève ici le Conseil d'Etat, la victime peut produire devant le juge administratif tous les éléments pertinents. Mais, dans cette affaire, le dossier médical ayant été détruit lors d'une inondation, la victime ne produisait que deux attestations d'amis et la mention indirecte de transfusions dans des documents médicaux ultérieurs. Ces éléments n'ont convaincu ni les juges du fond, ni le Conseil d'Etat, qui ont considéré que la preuve de la transfusion de produits sanguins n'avait pu être établie.
C - Responsabilité personnelle des agents publics
L'existence d'une faute personnelle, détachable du service
Cet arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation constitue une nouvelle illustration des conditions dans lesquelles la responsabilité civile personnelle d'un fonctionnaire peut être engagée lorsqu'il a commis une faute personnelle, détachable du service, définie comme "un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d'ordre professionnel et déontologique" (20). Les arrêts emportant condamnation de professionnels de santé sont suffisamment rares pour être signalés (21).
L'affaire
Dans cette affaire, une personne avait été transportée à l'hôpital après un accident de la circulation et opérée trop tardivement, lui occasionnant notamment l'amputation de la jambe. Le médecin urgentiste qui l'avait examinée à son arrivée à l'hôpital avait été relaxé des poursuites de blessures involontaires, mais pas le chirurgien orthopédiste qui, quoi que prévenu de l'arrivée aux urgences et se trouvant de garde, avait remis l'opération au lendemain. La cour d'appel avait décliné sa compétence civile au profit de celle des juridictions administratives, après avoir considéré que ce médecin n'avait pas commis de faute personnelle, détachable du service. Cette solution est ici confirmée par le rejet du pourvoi, la Haute juridiction relevant souverainement que "la faute du prévenu ne révélait pas un manquement volontaire et inexcusable à ses obligations d'ordre professionnel et déontologique".
III - Responsabilité des fabricants de médicaments
Affaires du "Distilbène"
A la suite de deux arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles en 2004 (22), la première chambre civile de la Cour de cassation avait condamné le laboratoire, fabricant du Distilbène, après avoir relevé à sa charge un défaut de vigilance fautif dans la commercialisation de son médicament, ce laboratoire n'ayant pas alerté les patientes sur les dangers de ce produit alors que la presse spécialisée commençait à souligner les risques pour le foetus de l'administration de ce médicament destiné à réduire le risque de fausse couche (23).
La reconnaissance d'un nouveau cas de responsabilité pour faute des producteurs de médicaments facilite grandement l'action des victimes du Distilbène. Ces deux nouveaux arrêts rendus par la même cour d'appel de Versailles le 10 avril 2008 montrent que d'autres obstacles peuvent surgir.
Responsabilité et imputabilité scientifique
Dans une première affaire (RG n° 07/02477), une jeune femme prétendait que l'infertilité dont elle souffrait était imputable à son exposition in utero au Distilbène. Or, aucune étude médicale n'a mis en évidence l'existence d'un lien causal entre l'exposition et l'infertilité dont pourrait souffrir les jeunes femmes exposées, ce qui conduit la cour de Versailles à refuser de condamner le laboratoire : "malgré l'intensité de leurs recherches bibliographiques, ils n'ont pas identifié d'investigations permettant d'objectiver, même de façon probabiliste, la responsabilité d'une exposition in utero dans l'anovulation" de la demanderesse.
Seul le préjudice moral lié aux craintes suscitées par son exposition est ici indemnisé par l'attribution d'une somme de 8 000 euros de dommages-intérêts, la cour relevant, dans la lignée de la position adoptée par la Cour de cassation en 2006, que le laboratoire a commis un manquement à son obligation de vigilance en ayant méconnu "les avertissements contenus dans la littérature médico-scientifique dès avant l'année 1969", cette faute étant "directement à l'origine de l'anxiété ressentie [...] lorsqu'elle a appris qu'elle avait été exposée in utero au Distilbène, qu'elle a manifestement contribué à sa souffrance psychologique".
Même si on peut considérer que la somme attribuée constitue, dans une certaine manière, une compensation déguisée également destinée à sanctionner le laboratoire, la solution nous semble justifiée car, si des cas assez nombreux de cancers ont été relevés dans la littérature scientifique, le lien avec l'infertilité de la patiente n'est pas établi ni concrètement, ni par la matérialisation d'un risque qui aurait été identifié par la recherche médicale.
Responsabilité et imputabilité matérielle
Dans une seconde affaire (RG n° 07/02482), la patiente souffrait bien d'une affection de nature à avoir été causée par une exposition in utero au Distilbène, mais elle ne pouvait clairement établir avoir été exposé à ce médicament. Aucune prescription médicale, aucun document provenant de la pharmacie n'avait pu être produit, seul le témoignage de la mère, de médecins rapportant le témoignage de la mère et le livret de santé de l'enfant rempli par la mère accréditant cette allégation. Faute d'éléments suffisant permettant d'établir la preuve de l'exposition, la patiente est déboutée de son action.
Même si la solution est sévère, car on peut raisonnablement penser que la patiente avait effectivement été exposée à ce risque, le témoignage de sa mère étant vraisemblablement sincère, aucun autre indice n'avait pu être produit, le demandeur supportant ici la charge et le risque de l'allégation. Dura lex, sed lex...
(1) CA Rennes, 7ème ch., 29 novembre 2006, n° 03/08061, L. c/ D. (N° Lexbase : A2280DWD) et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), Lexbase Hebdo n° 260 du 15 mai 207 - édition privée générale (N° Lexbase : N0717BB8).
(2) Pour la condamnation in solidum d'un radiologue et d'un gynécologue qui n'avaient pas procédé à l'examen comparatif de deux clichés, ce qui leur aurait permis de déceler une tumeur cancéreuse du sein : CA, Aix-en-Provence, 10ème ch., sect. B, 15 février 2007, S. c/ B..
(3) Ainsi Cass. civ. 1, 20 février 1979, D., 1980, IR, p. 171, obs. J. Penneau. Dernièrement CA Paris, 1ère ch., sect. B, 27 juin 2008, n° 06/01221, Mme Ariette F. c/ M. Christian Louis Gabriel F. (N° Lexbase : A5161D9Z) (médecin qui ne diligente pas des examens complémentaires après une mammographie) ; CA Rennes, 7ème ch., 19 mars 2008, Clinique La Sagesse c/ G. (gynécologue n'ayant pas prescrit d'échographie ou d'urographie intraveineuse).
(4) Recours par un généraliste à un spécialiste (CA Paris, 5 décembre 1959, JCP éd. G, 1960, II, 11489, note R. Savatier), et en cas de désaccord le recours à un troisième spécialiste sera recommandé (CA Paris, 6 juin 1983, Gaz. Pal., 1983, 2, somm., p. 344).
(5) Ce qui explique certainement qu'ici seule la responsabilité du radiologue ait été évoquée. Dans le même sens, s'agissant d'un médecin trompé par le diagnostic erroné d'un radiologue : CA Paris, 20 février 1946, JCP éd. G, 1946, II, 3075, note P. R..
(6) Cass. civ. 1, 8 novembre 2000, n° 99-11.735, M. X c/ M. Y et autre (N° Lexbase : A7649AHR), Resp. civ. et assur., 2000, comm. 375 ; Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 99-13.471, M. Vlado Smatt c/ Mlle Soumilla Rahilou, F-P (N° Lexbase : A1115ATH), Resp. civ. et assur., 2001, chron. 13, Ch. Radé, D., 2001, somm. p. 2236, obs. D. Mazeaud ; Cass. civ. 1, 22 novembre 2007, n° 05-20.974, M. André Zunino, FS-P+B (N° Lexbase : A7083DZD), Resp. civ. et assur., 2008, comm. 31, obs. S. Hocquet-Berg.
(7) Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 06-20.568, M. Jérôme Sowka, F-D (N° Lexbase : A7684D3Y) et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6278BEA). Solution acquise depuis Cass. civ. 1, 23 mai 2000, n° 98-20.440, Société Le Sou médical et autre c/ Mlle Y. et autre (N° Lexbase : A1673AIS).
(8) Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701, M. X, ès qualités d'administrateur légal des biens de son fils mineur Nicolas et autre c/ Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français et autres (N° Lexbase : A1704ATB), Bull. ass. plén., n° 9.
(9) CEDH, gr. chbre, 6 octobre 2005, deux arrêts, Req. 11810/03, Maurice c/ France (N° Lexbase : A6794DKT) et Req. 1513/03, Draon c/ France (N° Lexbase : A6795DKU), Resp. civ. et assur., 2005, comm. 327, et les obs., JCP éd. G, 2006, II, 10061, note A. Zollinger, 10062, note A. Gouttenoire et S. Porchy-Simon.
(10) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-13.775, M. Franck X c/ M. Pol Z, FP-P+B (N° Lexbase : A5688DMM), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 94, et les obs. (sur renvoi, CA Paris, 1ère ch., sec. B, 22 décembre 2006, n° 06/04079 N° Lexbase : A0514DUL, qui condamne le gynécologue-obstétricien qui n'a pas détecté les malformations du foetus lors des échographies, à réparer le préjudice subi par l'enfant atteint de graves malformations de la colonne vertébrale) ; Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 03-11.917, M. Franck Jacquot c/ Mme Véronique Chabert Orsini, FS-P+B (N° Lexbase : A1703DNE), Bull. civ. I, n° 94.
(11) CE 5° et 6° s-s-r., 24 février 2006, n° 250704, Mme L. (N° Lexbase : A3958DNW), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 127, et les obs..
(12) Cass . civ. 1, 30 octobre 2007, n° 06-17.325, FS-D (N° Lexbase : A2351DZ4) (action engagée le 30 octobre 2002 pour un enfant né le 5 décembre 1999).
(13) CEDH, 6 octobre 2005, préc., §. 90.
(14) Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 03-17.035, M. Kouider Houari c/ M. Edouard Bouche, F-D (N° Lexbase : A3661DEC), Resp. civ. et assur., 2004, comm. 60 ; Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 06-12.372, M. Bruno Franck, F-D (N° Lexbase : A2249DUT) ; Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-13.859, Mme Nicole Ropars, épouse Caurret, F-D (N° Lexbase : A9437DWG) ; Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-19.301, Mme Jeanne Champarnaud, épouse Larénaudie, FS-P+B (N° Lexbase : A0359D3P) ; Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 06-13.572, M. Gilles Astruc, agissant tant en son nom personnel, qu'en qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire de sa fille Zoé Astruc, FS-D (N° Lexbase : A0298D3G).
(15) Ass. plén., 17 novembre 2000, préc..
(16) Ass. plén., 28 novembre 2001, n° 00-14.248, Mme X, P (N° Lexbase : A2338AXU), Bull. ass. plén., n° 16, JCP éd. G, 2002, II, 10018, concl. J. Sainte-Rose, note F. Chabas : "le préjudice de l'enfant n'est pas constitué par une perte de chance mais par son handicap". Sur le sujet, lire notamment M. Fabre-Magnan, Avortement et responsabilité médicale, RTDCiv., 2001, p. 285-318.
(17) L'article 102 impose, désormais, aux établissements de prouver que les produits transfusés étaient totalement sains et leur fait assumer le risque de la preuve.
(18) Cf. infra l'un des deux arrêts rendus par la cour d'appel de Versailles dans l'affaire du "Distilbène".
(19) Sur la preuve de l'imputabilité d'une contamination par le VHC à une transfusion de produits sanguins devant le juge judiciaire, CA Toulouse, 1ère ch., sect. I, 18 mars 2002 Lasserre c/ Benôit, CJA, 2002-2, T. 182, obs. D. Krajeski et J. Julien ; CA Lyon, 1ère ch. civ., 22 octobre 2003, Resp. civ. et assur., 2004, comm. 38, et les obs..
(20) Confirmation de Cass. crim., 16 novembre 2004, n° 03-87.114 (N° Lexbase : A0433DER), Bull. crim. n° 289 (condamnation de fonctionnaires de police). Cass. crim., 14 juin 2005, n° 04-83.574 (N° Lexbase : A8349DI3), Bull. crim. n° 178 (condamnation de fonctionnaires de police). Voir également Cass. crim., 28 mai 2008, n° 06-80.203 (N° Lexbase : A6366EAZ), inédit (fonctionnaire municipal condamné pour faux, complicité d'escroquerie, recel d'abus de biens sociaux et corruption passive).
(21) Précédemment, Cass. crim., 2 avril 1992, n° 90-87.579 (N° Lexbase : A0490ABR), Bull. crim. n° 140 (condamnation d'un médecin hospitalier omettant de se déplacer alors que la sage-femme lui avait signalé l'existence d'un placenta praevia recouvrant, et qui s'est borné à prescrire un traitement destiné à différer l'accouchement).
(22) CA Versailles, 30 avril 2004, 3ème ch., deux arrêts, n° 02/05924, UCB Pharma c/ Ingrid Criou (N° Lexbase : A0032DC8) et n° 02/05/925, UCB Pharma c/ Nathalie Bobet (N° Lexbase : A0033DC9), Resp. civ. et assur., 2004, chron. 22, Ch. Radé ; D., 2004, p. 2071, note A. Gossement ; LPA, 22 juin 2005, p. 22, note P. L. Niel.
(23) Cass. civ. 1, 7 mars 2006, deux arrêts, n° 04-16.180, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4988DN3) et n° 04-16.179, Société UCB Pharma, FS-P+B (N° Lexbase : A4987DNZ), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 164, et les obs., RDC, 2006, p. 844, obs. J.-S. Borghetti.
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