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par Fabien Girard de Barros, Directeur de publication
Le 27 Mars 2014
Et l'on peut, dès lors, se féliciter de la jurisprudence française, éclairée par la Cour du Luxembourg, qui impose au pouvoir adjudicateur un débat contradictoire avec le candidat présentant une offre a priori anormalement basse, afin que ce dernier puisse expliquer les raisons ou les motivations qui l'ont conduit à proposer une offre à un prix manifestement en deçà de ce que l'administration considère comme "normal". Malheureusement, aussi louable que soit l'intention du pouvoir adjudicateur français et du juge administratif d'instaurer ce dialogue avec le candidat soupçonné de pratiquer "un prix trop bas" (sic) pour le marché en cause, il n'en demeure pas moins que ce débat ne prévaut qu'à l'encontre de certains candidats, et non de tous, victimes d'un a priori qui se manifeste par rapport à une "normalité" établie, le plus souvent, avec toute la froideur mathématique du monde et qui n'appréhende certainement pas l'entièreté du marché.
C'est à cette difficulté que la Cour de justice des Communautés européennes a, récemment, tenté de répondre en excluant, par principe, toute discrimination à l'encontre des offres dites anormalement basses, lorsqu'il y va d'un intérêt transfrontalier certain. La Cour formule, comme de coutume en matière juridique, immédiatement un tempérament à cette règle, lorsque le nombre d'offres est tel qu'il est impossible au pouvoir adjudicateur de toutes les analyser. Pour autant, contradiction de cette contrariété au principe : comment déterminer, en dehors du simple critère de prix, qu'une offre est anormalement basse, sans l'examiner ?
Toujours est-il que l'exclusion ne peut être de rigueur en matière communautaire, notamment, si l'on veut promouvoir le commerce transfrontalier et ouvrir la commande publique à toutes les entreprises de l'Union. Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, tout en analysant la portée de cette extension du champ d'application du droit communautaire des marchés publics, ne manque pas, cette semaine, dans nos colonnes, de relever les ambiguïtés de cette décision, notamment quant aux notions employées.
"Détruire la concurrence, c'est tuer l'intelligence" écrivait Frédéric Bastiat. Mais si, au contraire, limiter un peu la concurrence, c'était préserver un certain modèle économique qui nourrit, par essence, "l'intelligence" d'un pays (une sorte de patriotisme économique qui porterait mal son nom et devrait s'appeler patriotisme social) ? Plus précisément, on sait que le problème central de l'offre anormalement basse ne réside pas tant dans les matériaux utilisés ou les garanties de la prestation servie, qui peuvent être examinés de manière objective, que dans les conditions sociales mises en oeuvre. A l'évidence, l'ouverture transfrontalière de la commande publique interroge sur le dumping social et l'acceptation d'une offre.
"Le désert n'ayant pas donné de concurrent au sable, grande est la paix du désert" écrivait Henri Michaux, dans Face aux verrous. La Cour du Luxembourg façonne alors, encore un peu plus, le droit des marchés publics, pour ouvrir une concurrence face au sable qui, en matière de commande publique, s'avère, après deux réformes en moins de quatre ans et une foison de décisions jurisprudentielles notamment communautaires, plus que mouvant...
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N2422BGS
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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 07 Octobre 2010
Dans l'hypothèse d'un conflit persistant entre l'administration fiscale et le contribuable, ce dernier peut saisir les juridictions après avoir, préalablement, adressé une réclamation auprès des services fiscaux territorialement compétents aux termes de l'article R. 190-1 du LPF (N° Lexbase : L3075HPL).
Cette réclamation a un caractère obligatoire quelle que soit la qualité du requérant (pour un exemple s'agissant du ministre de la Défense : CAA Nantes, 1ère ch., 17 février 1993, n° 90NT00582, Ministre de la Défense c/ Ministre du Budget N° Lexbase : A3190BHM (1)) dont la méconnaissance entraîne l'irrecevabilité des requêtes introduites devant le juge de l'impôt sans régularisation possible (2).
La réclamation préalable a généré un contentieux abondant tant en ce qui concerne son principe, et le service territorialement compétent pour la recevoir, que les délais, la forme et son contenu.
Il n'est pas rare, dans la pratique, qu'un tiers dépose la réclamation pour autrui. Or, la qualité à agir revêt une importance de premier ordre car, aux termes de l'article R. 197-4 du LPF (N° Lexbase : L6344AEP), toute personne, qui introduit ou soutient une réclamation dans de telles circonstances, doit justifier d'un mandat régulier (3).
La justification d'un mandat lorsque l'avocat assiste et représente son client pendant la phase administrative a suscité un contentieux de premier ordre. En effet, l'administration fiscale estimait que le pouvoir général de représentation ne valait que pour la phase contentieuse de la procédure : ainsi, l'administration exigeait la production d'un mandat "sinon enregistré, du moins sous forme d'un écrit, émanant du contribuable et l'habilitant à agir en son nom" (4). L'interprétation administrative visait les hypothèses, notamment, où le contribuable se faisait représenter devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ou devant la commission de conciliation. La jurisprudence y a alors mis bon ordre en censurant la doctrine administrative (5) (CE 3° et 8° s-s-r., 5 juin 2002, n° 227373, M. Brandeau N° Lexbase : A8675AYX ; CE 3° et 8° s-s-r., 5 juin 2002, n° 242862, M. Touati N° Lexbase : A8721AYN (6)).
Aux termes de la décision rendue par le Conseil d'Etat le 26 mars 2008, la société Gestion Hôtels Cahors Vitrolles a demandé le dégrèvement des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties mises à sa charge à raison de deux hôtels dont elle était propriétaire pour l'année considérée.
Saisie par la requérante, le tribunal administratif de Marseille, statuant en premier et dernier ressort depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2003-543 du 24 juin 2003 (N° Lexbase : L6539BHN ; CJA, art. R. 222-13 N° Lexbase : L7154HZY ; CJA, art. R. 811-1 N° Lexbase : L2834HWU), a jugé la requête irrecevable "au motif que l'avocat de la société n'avait pas démontré à l'administration qu'il avait déposé la réclamation au nom d'une personne physique autorisée à agir pour le compte de la société".
Cette décision est censurée par le Conseil d'Etat : la Haute juridiction administrative dit pour droit que les dispositions de l'article R. 197-4 du LPF ne dispensent pas "le juge de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour engager cette action ; que tel est également le cas pour les recours administratifs préalables obligatoires présentés devant l'administration" (7), mais que "lorsque la personne morale pour le compte de laquelle l'avocat agit est une société commerciale dont les dispositions législatives qui la régissent désignent elle-même le représentant, comme c'est le cas pour la société à responsabilité limitée requérante, cette circonstance dispense le juge ou l'autorité administrative, en l'absence de circonstance particulière, de s'assurer de la qualité pour agir du représentant de cette personne morale".
La jurisprudence administrative a déjà admis que le gérant d'une SARL pouvait déposer une réclamation préalable au nom de la société qu'il représentait dès lors que, par une délibération régulière des associés, il s'était vu conférer l'ensemble des pouvoirs de gérant (CE Contentieux, 22 février 1980, n° 9817, Société à responsabilité limitée 'XX' N° Lexbase : A8603AIH ; CE 9° et 8° s-s-r., 22 février 1980, n° 09817, SARL BebeMam N° Lexbase : A5007B8X ; CE Contentieux, 22 février 1980, n° 9818, Société à responsabilité limitée 'XX' N° Lexbase : A8978AID).
L'invitation du Conseil d'Etat à vérifier, dans des circonstances particulières, la qualité à agir du représentant de la personne morale concernera, notamment, l'hypothèse de l'intervention d'un salarié de la personne morale tel que le directeur juridique et fiscal ou le directeur financier. Il en sera de même d'une action menée par un associé non gérant dont la jurisprudence dénie la qualité à agir au nom de la société (8) (CE Contentieux, 22 décembre 1982, n° 22006, Société à responsabilité limitée Bois de Noras N° Lexbase : A1024ALI).
A la fin des années 80, le législateur est intervenu afin de faciliter la reprise des entreprises industrielles en difficulté, faisant l'objet d'une cession ordonnée par la juridiction compétente, au profit d'une société créée dans ce but (CGI, art. 44 septies N° Lexbase : L1524HLZ).
Dans ce cadre, il était prévu une exonération temporaire d'impôt sur les sociétés, au profit de la société créée à cet effet, à raison des bénéfices réalisés.
Par une décision du 16 décembre 2003, la Commission européenne a déclaré le régime de l'article 44 septies comme violant le droit communautaire (BOI 4 H-2-04 N° Lexbase : X0821ACE). Cette décision a fait l'objet de débats importants au cours de l'année 2004 compte tenu des incidences pour les entreprises françaises alors tenues de restituer les aides d'Etat à l'exception de celles n'ayant pas dépassé le plafond de minimis (QE n° 41179 de Mme Sylvia Bassot, réponse publiée au JOAN Q du 27 juillet 2004, p. 5816, 12ème législature N° Lexbase : L9898GQN (9)).
Le législateur a alors réagi promptement en refondant substantiellement le régime afin d'en assurer la légalité au regard de l'encadrement communautaire des aides d'Etat (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004, art. 41 N° Lexbase : L5204GUB) introduisant, notamment, un plafonnement en fonction du lieu d'implantation et de la taille de l'entreprise ainsi qu'une exclusion de certains secteurs d'activité (10). Le toilettage communautaire ayant entraîné une considérable complexification des dispositions applicables rétroactivement à la date du 16 décembre 2003, l'administration est venue apporter d'utiles précisions (instruction du 27 juillet 2005, BOI 4 H-3-05 N° Lexbase : X3296ADG ; instruction du 1er avril 2005, BOI 4 H-1-05 N° Lexbase : X0158AD9).
Les faits de l'espèce rapportent que la société Midi Asphalte Entreprise a bénéficié, au titre de l'IS, du régime de l'article 44 septies du CGI, antérieurement à la décision de la Commission européenne précitée, et de l'article 1464 B-I du CGI relatif à la taxe professionnelle (N° Lexbase : L0108HMX).
A la suite d'une procédure de vérification de comptabilité, la société Midi Asphalte Entreprise s'est vue déchargée des rappels de cotisations d'IS et de taxe professionnelle par la cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 4ème ch., 21 novembre 2006, n° 04MA01694, Société Midi Asphalte Entreprise N° Lexbase : A9740DSK) qui a jugé que l'activité de la contribuable était bien industrielle.
Le Haut Conseil, saisi au titre d'un pourvoi en cassation par le Ministre de l'Economie et des Finances, indique en premier lieu qu'ont un caractère industriel, au sens des articles 44 septies et 1464 B-I du CGI, "les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant". Il s'agit par conséquent d'appliquer un double critère conduisant à censurer la juridiction d'appel qui s'était bornée à relever que le rôle des installations techniques, matériels et outillages était prépondérant dans l'activité de la contribuable "sans rechercher également si l'activité de la société Midi Asphalte SA concourait directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers".
Appliquant les dispositions de l'article 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat dit pour droit que l'activité de réalisation de l'étanchéité des toitures, terrasses et façades, des dallages d'asphalte et de toutes activités en rapport avec les bâtiments et travaux publics ne peut être considérée comme une activité industrielle dès lors que l'activité de l'entreprise "ne concourt pas directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers" quand bien même la contribuable fabriquerait elle-même l'asphalte utilisé pour ses prestations. D'autre part, la Haute juridiction administrative considère que "le bénéfice ne peut être pris en compte que globalement au titre de l'impôt sur les sociétés" : la société Midi Asphalte ne peut se prévaloir partiellement de l'exonération au titre de sa seule activité de fabrication d'asphalte. Enfin, au regard de la taxe professionnelle, "cette activité ne constitue pas, en l'espèce, une activité distincte pouvant bénéficier, par elle-même, de l'exonération prévue par l'article 1464 B du code".
Sur la définition d'une activité industrielle, la position du Conseil d'Etat est conforme à la jurisprudence jusqu'alors adoptée en ce sens que le caractère industriel d'une activité ne se résume à la seule question de l'importance des moyens employés : l'activité doit, également, être de nature industrielle, entendue comme la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers (11).
Ces deux critères cumulatifs ont été retenus par les juges du fond dans plusieurs décisions. Ainsi, c'est sans surprise qu'une activité consistant en des travaux de démolition et de décontamination n'a pas été regardée comme une activité industrielle per se (CAA Douai, 2ème ch., 27 juillet 2007, n° 06DA00987, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL Enviropole N° Lexbase : A9062DYB) ; il en est de même d'une société qui ne met pas en oeuvre elle-même les moyens techniques pour la transformation ou l'assemblage de produits semi-finis (CAA Lyon, 2ème ch., 30 septembre 2004, n° 02LY00254, SA Charles Guyon N° Lexbase : A2643DEM).
Par la présente décision, le Conseil d'Etat réitère à nouveau le caractère cumulatif des conditions susvisées au regard de la notion d'entreprise industrielle.
La décision rendue par le Conseil d'Etat est relative aux effets fiscaux de la rédaction d'un protocole de présentation de clientèle d'un expert-comptable à l'un de ses confrères conclu en octobre 1993. Puis, en octobre 1994, les parties signent un avenant fixant la liste des clients cédés et le prix après réalisation des conditions suspensives. Selon les contribuables, le fait générateur de l'imposition au titre de la plus-value devait être fixé en 1994, après réalisation des conditions suspensives, et non en 1993 ainsi que le soutenait l'administration fiscale.
La cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 3ème ch., 7 juin 2005, n° 03DA00401, M. et Mme Paul Deperrois N° Lexbase : A2640DKY), saisie par les contribuables, déboute les requérants de leur demande en soulignant que, si la convention conclue entre les parties comportait bien des clauses suspensives conditionnant sa validité à l'agrément de l'acquéreur auprès du conseil régional de l'ordre des experts-comptables, la juridiction d'appel en conclu pourtant que la vente était parfaite dès lors que "le prix a été payé et la livraison effectuée au cours de l'année 1993" et que, de ce fait, les clauses litigieuses ne pouvaient être considérées comme suspensives.
La Haute juridiction administrative censure la juridiction d'appel et règle l'affaire au fond en s'appuyant sur les dispositions de l'article L. 821-2 du CJA (N° Lexbase : L3298ALQ).
Rappelons en premier lieu que la profession d'expert-comptable est réglementée par l'ordonnance du 19 septembre 1945 instituant un monopole légal (12) (ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable N° Lexbase : L8059AIC) dont la violation emporte des sanctions pénales à l'encontre des contrevenants (Cass. crim., 22 février 1996, n° 95-82.506 N° Lexbase : A9166AB4) (13) et des conséquences civiles quant à l'extinction de l'objet social d'une société d'expertise-comptable ne comprenant plus le nombre minimum d'experts-comptables imposé par l'article 7 de l'ordonnance susvisée (Cass. com., 3 mai 1995, n° 92-18.000, Société Ficorgest, société à responsabilité limitée et autres c/ M. Henri Favero et autres N° Lexbase : A2422AGS) (14).
Or, au regard de l'article 80 de la convention conclue entre les intéressés, "pour être valable et exécutable, l'acte de cession devra être préalablement soumis à l'agrément du conseil régional de l'ordre des experts-comptables et de comptable agréé". Ainsi, le Conseil d'Etat en a conclu que les stipulations contractuelles susvisées devaient s'interpréter comme une "condition de validité" dont la réalisation conditionnait le fait générateur de l'imposition.
Sur le plan civil, aux termes de l'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN) : "L'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas". Les auteurs expliquent alors que : "la condition suspensive permet aux cocontractants de conclure un contrat tout en suspendant l'existence même des obligations devant en naître à la survenance d'un évènement futur et incertain. Autrement dit, son intérêt fondamental est de cristalliser l'accord définitif des parties tout en réservant la naissance des effets juridiques de cet accord au seul cas où l'évènement désigné se produirait" (W. Dross, Clausier Dictionnaire des clauses ordinaires et extraordinaires des contrats de droit privé interne, LexisNexis, 2008, p. 108). Elle doit être nécessairement stipulée : ainsi, un acquéreur ne peut solliciter l'annulation d'un contrat de vente d'un bien dès lors qu'il s'est simplement contenté d'informer le vendeur de sa motivation consistant en la recherche d'un régime fiscal considéré comme plus avantageux (Cass. civ. 3, 24 avril 2003, n° 01-17.458, FS-P+B N° Lexbase : A5477BMS) (15).
Sur le plan fiscal, la juridiction administrative en tire les conséquences en imposant une plus-value l'année de cession du bien, dès lors que l'acte ne comportait aucune clause suspensive et sans que le contribuable puisse opposer le fait que l'enregistrement de l'acte et le paiement avaient eu lieu après la clôture de l'exercice au cours duquel la cession avait été effectuée (CE 3° et 8° s-s-r., 7 juillet 2000, n° 208508, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Fernandez N° Lexbase : A5195B7K). La même solution est retenue par les juges du fond lors de la cession de parts de SCI pour laquelle la date de l'acte sous seing privé est la référence en l'absence d'une condition suspensive (CAA Nantes, 2ème ch., 29 novembre 1989, n° 89NT00234, Chevallier N° Lexbase : A8381A8W). A l'inverse, le Conseil d'Etat (CE Contentieux, 23 janvier 1985, n° 43748, Besancenot N° Lexbase : A2911AMR) considère qu'une stipulation contractuelle, insérée dans une convention datée du 15 décembre 1976, subordonnant la cession d'une étude notariale au jour de la prestation de serment de son successeur, s'analyse comme une condition suspensive : le contribuable ne pouvait alors prétendre rattacher la plus-value de cession de son étude à l'année 1976 dès lors que le cessionnaire avait prêté serment en avril 1977.
Au cas particulier, le Conseil d'Etat juge à bon droit que "la plus-value n'a été réalisée qu'à la date de réalisation de la condition" en 1994 et non en 1993. Les Hauts magistrats concluent très logiquement à la décharge de l'imposition litigieuse pour l'année considérée. La volonté clairement exprimée des parties dans leur contrat entraîne des conséquences juridiques dont il est particulièrement heureux de constater, à nouveau, les effets que le droit fiscal doit en tirer en tant que droit de mise en oeuvre (J. Carbonnier, Flexible droit Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème édition, 2001, p. 406).
Les juristes qui cultivent l'art du maniement de la plume s'exerceront également à la lecture austère du Code général des impôts ; de même, les fiscalistes auront un grand intérêt à ne pas faire abstraction de leurs connaissances en droit civil lorsqu'ils seront amenés à formuler une opinion en droit fiscal. Tous pourront aussi choisir de travailler ensemble : "Juristes et fiscalistes ont de plus en plus besoin les uns des autres..." (F. Deboissy, La simulation, LGDJ, 1997, 4° de couverture).
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Réf. : Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-40.904, Comité d'entreprise de la société par actions simplifiée Goodrich Actuation Systems, FS-P+B (N° Lexbase : A7921D8U)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La vente d'un fonds de commerce ne transmet pas au cessionnaire les dettes du cédant et, si le comité mis en place dans le cadre d'un établissement cédé demeure en fonction, il n'en résulte pas que l'employeur est tenu des dettes du cédant. |
Commentaire
I Transfert d'établissement et maintien du comité d'établissement
Le transfert d'une entreprise ou d'un établissement a, nécessairement, des incidences sur les institutions représentatives du personnel (1). Tout d'abord, et à l'évidence, les salariés investis d'un mandat vont être concernés par le maintien des contrats de travail. Ensuite, et surtout, le transfert va avoir des répercussions sur la structuration même de la représentation du personnel, en affectant ses cadres d'implantation. La question est, par suite, de savoir si le transfert d'une entreprise ou d'un établissement entraîne la disparition des institutions représentatives du personnel ou, au contraire, n'interdit pas leur survie.
Ainsi que cela a été relevé, il convient de discerner deux réalités différentes. En effet, "dans le cas des délégués du personnel, des délégués syndicaux et assimilés, l'institution fusionne avec la personne du représentant. La continuation de l'institution se confond, alors, avec celle du mandat. Lorsque, au contraire, l'institution représentative prend la forme juridique d'une personne morale [...] son existence ne s'épuise pas dans celle de ses membres" (2). Cette distinction se retrouve dans les textes du Code du travail, qui visent à régler les conséquences du transfert d'une entreprise ou d'un établissement sur les institutions représentatives du personnel.
S'agissant, tout d'abord, de la pérennité des mandats, elle est assurée en des termes similaires par les articles L. 2143-10 , L. 2314-28 (N° Lexbase : L6336ACN, art. L. 423-16, anc. N° Lexbase : L7794HBB) et L. 2324-26 du Code du travail, qui intéressent respectivement les délégués syndicaux, les délégués du personnel et les représentants élus des salariés au comité d'entreprise. Dans tous les cas, le mandat des représentants du personnel subsiste lorsque l'entreprise transférée "conserve son autonomie juridique". On sait que la Cour de cassation a écarté l'exigence d'autonomie juridique pour considérer que le maintien d'une autonomie simplement matérielle suffit à entraîner l'application des textes précités (3).
Pour ce qui est du maintien des institutions représentatives elles-mêmes, il est uniquement envisagé par l'article L. 2327-11 du Code du travail . Selon l'alinéa 1er de ce texte, "en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur prévue à l'article L. 1224-1 , le comité central d'entreprise de l'entreprise absorbée demeure en fonctions si l'entreprise conserve son autonomie juridique". La loi n'a, ainsi, envisagé que le cas où l'entreprise cédée possède un comité central d'entreprise. Il ne fait, cependant, aucun doute que la disposition en cause s'applique lorsque l'entreprise ne compte qu'un comité d'entreprise : celui-ci demeure en fonctions si la société absorbée conserve son autonomie. Ainsi que le relève M. Cohen, "cette solution est implicite dans l'article L. 433-14 (N° Lexbase : L6433ACA, art. L. 2324-26, recod. N° Lexbase : L0816HXI), qui prévoit que, dans ce cas, le mandat des membres du comité d'entreprise subsiste" (4).
Dans l'arrêt sous examen, était en cause la cession d'un fonds de commerce (5) comportant un comité d'établissement. Bien que la question de sa pérennité postérieurement à la cession n'était pas contestée en l'espèce, la Chambre sociale n'en précise pas moins que, selon l'article L. 2327-11 du Code du travail (art. L. 435-5, anc.), le comité mis en place dans le cadre d'un établissement cédé demeure en fonction. Il faut, ainsi, comprendre que cette disposition ne doit pas être prise au pied de la lettre et que la solution qu'elle énonce vaut pour le comité d'entreprise ou le comité d'établissement et non point, seulement, pour le comité central d'entreprise (6).
En résumé, lorsqu'un établissement distinct est cédé et qu'il conserve son autonomie "juridique" (7), le comité d'établissement doit être maintenu. Il en résulte, au premier chef, que le comité conserve l'intégralité de son patrimoine. Pour autant, et c'est l'enseignement majeur de l'arrêt sous examen, cela n'a pas pour effet de transférer au nouvel employeur les dettes de l'ancien.
II Transfert d'établissement et dettes de l'ancien employeur à l'égard du comité d'établissement
Au cours de l'année 2002, la société G. a acquis de la société T. un fonds de commerce situé à Vernon Saint-Marcel. En novembre 2003, le comité d'entreprise de la société cessionnaire a assigné cette dernière devant le tribunal de grande instance aux fins, notamment, de voir ordonner la remise sous astreinte de documents établis depuis 1982 et relatifs à la masse salariale de cet établissement, aux moyens matériels et en personnels mis à la disposition de ce comité d'établissement, ainsi que le versement d'une provision au titre de la subvention de fonctionnement due pour les années 1982 à 1999. Le comité d'entreprise requérant contestait, en effet, que la société cédante se soit, avant l'année 1999, régulièrement acquittée de son obligation de verser une subvention de fonctionnement au comité d'établissement de Vernon Saint-Marcel.
Pour dire recevable l'action du comité d'entreprise dirigée contre la société G., l'arrêt attaqué avait retenu que le comité d'établissement de Vernon Saint-Marcel, étant demeuré en fonction par application de l'article L. 435-5 du Code du travail (art. L. 2327-11, recod.), il était fondé à demander au nouvel employeur le paiement de la subvention de fonctionnement à laquelle il prétendait avoir droit au titre d'années antérieures à l'acquisition du fonds de commerce.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 141-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5670AIT) et L. 435-5 du Code du travail, devenu l'article L. 2327-11 du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "selon le premier de ces textes, la vente d'un fonds de commerce ne transmet pas au cessionnaire les dettes du cédant, et [...] si, selon le second, le comité mis en place dans le cadre d'un établissement cédé demeure en fonction, il n'en résulte pas que le nouvel employeur est tenu des dettes de l'ancien".
En vertu de l'article L. 2325-43 du Code du travail, alinéa 1er, du Code du travail "l'employeur verse au comité d'entreprise une subvention de fonctionnement d'un montant annuel équivalent à 0,2 % de la masse salariale brute". Lorsque l'entreprise comporte des établissements multiples, la subvention de fonctionnement doit être versée à chaque comité d'établissement (8).
Il ressort clairement du texte précité, que c'est "l'employeur" qui est débiteur de la subvention de fonctionnement. Cela étant, est-il possible de considérer que, lorsque le comité d'établissement reste créancier de sommes au titre de la subvention de fonctionnement au moment du transfert, il peut en exiger le versement auprès du nouvel employeur ? Le Code du travail n'apporte aucune réponse de ce point de vue, à la différence de ce qui est prévu à propos du maintien des contrats de travail. L'alinéa 1er de l'article L. 1224-2 précise, en effet, que "le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification".
Faute de dispositions précises dans le Code du travail, ne peut-on déduire de la règle du maintien des institutions représentatives du personnel en cas de transfert d'entreprise que le nouvel employeur est tenu des dettes de l'ancien à l'égard du comité d'établissement ? Cela aurait pu être discuté si certaines règles solidement ancrées dans notre droit positif ne s'y étaient pas radicalement opposées.
De prime abord, on peut être surpris que la Cour de cassation fonde sa solution sur l'article L. 141-5 du Code de commerce, qui concerne le privilège du vendeur de fonds de commerce. En réalité, c'est moins ce texte dans son ensemble qui est, ici, en cause que son alinéa 2, qui fournit quelques indications sur la composition du fonds de commerce. Or, l'énumération en cause ne comprend nullement les dettes du vendeur.
Plus fondamentalement, et au-delà de ce seul argument de texte, il est classiquement enseigné que le fonds de commerce n'a pas, au même titre que l'entreprise, la personnalité morale (9). Il s'en déduit que "le fonds de commerce est inclus dans le patrimoine de son propriétaire qui est seul titulaire des créances et des dettes se rapportant à l'exploitation du fonds" (10).
Le fonds de commerce ne comprend donc pas les créances et les dettes qui demeurent personnelles à l'exploitant. "En cas de transmission du fonds, il n'y a pas de transmission automatique des créances ni, a fortiori, des dettes de l'exploitation" (11). Appliqués au cas qui nous intéresse, ces principes de solution conduisent à affirmer que la solution retenue par la Cour de cassation est parfaitement justifiée. Les dettes du cédant à l'égard du comité d'établissement ne sauraient être transférées au cessionnaire du seul fait de la vente du fonds de commerce (12). Pour qu'il en aille ainsi, il faudrait qu'un texte légal le prévoie de manière expresse (13) ou que les parties au contrat de vente le stipulent (14).
Le nouvel employeur ne pouvait donc être tenu des dettes de l'ancien à l'égard du comité d'établissement. Cela étant, ce dernier reste en mesure d'agir contre le vendeur du fonds de commerce pour exiger le versement de ce qui lui était dû au titre de la subvention de fonctionnement. A notre sens, cependant, devrait s'appliquer, en la matière, la prescription quinquennale. En effet, tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts se prescrit par cinq ans (C. civ., art. 2277 N° Lexbase : L5385G7L) (15). Or, tel est le cas de la subvention de fonctionnement, qui est annuelle. Elle doit donc, normalement, être versée une fois par an en début d'année, même s'il est admis que l'employeur peut effectuer plusieurs versements étalés dans le temps.
(1) V., P.-Y. Verkindt, L'incidence des transferts d'entreprise sur les instances de représentation du personnel, Dr. soc., 2005, p. 752.
(2) P.-Y. Verkindt, ibid..
(3) Cass. soc., 28 juin 1995, n° 94-40.362, Mme Garnier c/ Office du tourisme de Grenoble (N° Lexbase : A2135AAC), Bull. civ. V, n° 219.
(4) M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 8ème éd., 2005, p. 755.
(5) Fonds de commerce qui, nous y reviendrons, ne possède pas la personnalité juridique.
(6) Remarquons que, dans un arrêt rendu le 30 novembre 2004, sous le visa des articles L. 432-9 (L. 2323-86), R. 432-11 (R. 2323-34, nouv.) et L. 433-14 (L. 2327-11, nouv.), la Cour de cassation avait déjà affirmé que "le mandat des membres élus du comité d'entreprise et des représentants syndicaux audit comité subsistent lorsque l'entreprise conserve son autonomie ; qu'il en résulte que l'institution se maintien dans la nouvelle entreprise, même si elle change de dénomination" (Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 02-13.837, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0943DEN, JCP éd. E, 2005, n° 319, note S. Béal et les obs. de C. Alour, La scission d'entreprise et le sort de la contribution aux activités sociales et culturelles, Lexbase Hebdo n° 146 du 8 décembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3842ABW).
(7) C'est-à-dire lorsque l'établissement conserve son caractère distinct.
(8) Cass. crim., 11 février 2003, n° 01-88.650, Dufau Bernard, FS-P+F (N° Lexbase : A0019A7T) et nos obs., La subvention de fonctionnement dans les entreprises à établissements multiples, Lexbase Hebdo n° 276 du 11 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6086BCE).
(9) V., notamment, F. Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, Droit commercial, Activités commerciales, commerçants, fonds de commerce, concurrence, consommation, Domat Montchrestien, 9ème éd., 2007, § 302 et s. Ces auteurs évoquent la notion "d'universalité de fait" pour qualifier le fonds de commerce.
(10) F. Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, ouvrage préc., § 302. Ceci est vrai, que le propriétaire soit une personne physique ou une personne morale.
(11) F. Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, op. cit., § 303.
(12) Un arrêt de la cour d'appel de Paris a parfaitement résumé les solutions du droit positif : "il est de principe constant que le fonds de commerce n'est pas un patrimoine autonome, et ne comprend ni les dettes ni les créances du commerçant ; par voie de conséquence, les contrats en sont exclus ; il n'est d'exception que pour certains d'entre eux admis par la loi à savoir les contrats de travail, d'assurance, d'édition et de bail ; pour tous les autres, il appartient aux parties de prévoir leur inclusion, ce qui peut être fait, de manière expresse ou tacite, et dans les cas, seulement, ou lesdits contrats n'ont pas été passés intuitu personae" (CA Paris, 5ème ch., sect. A, 19 juin 1991, n° 13741/89, SCP Bollet Baskal c/ Maitre Ribaut [LXB= A9623A7K], RTD com., 1991, p. 566, obs. J. Derruppé ; D., 1992, somm., p. 388, obs. D. Ferrier).
(13) Tel est le cas, nous l'avons vu, en matière de maintien des contrats de travail. Il en va, également, ainsi, pour les contrats d'assurance.
(14) Il conviendrait, alors, de se demander si, conformément au droit commun, il faut que le comité d'établissement accepte le remplacement du cédant par le cessionnaire. Cette question doit être posée dans la mesure où il ne s'agit pas, ici, de céder un contrat.
(15) V., en ce sens, M. Cohen, ouvrage préc., p. 831. L'auteur évoque cette question à propos de la contribution patronale aux activités sociales et culturelles. Toutefois, il affirme, par ailleurs (p. 441), que l'action en paiement obéit aux mêmes règles que la contribution aux activités sociales et culturelles.
Décision
Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-40.904, Comité d'entreprise de la société par actions simplifiée Goodrich Actuation Systems, FS-P+B (N° Lexbase : A7921D8U) Cassation de CA Rouen, 28 juin 2006, n° 04/05250, Comité d'entreprise de la SAS Goodrich Actuation Systems (N° Lexbase : A8881D8G) Textes visés : C. com., art. L. 141-5 (N° Lexbase : L5670AIT) et C. trav., art. L. 435-5 (N° Lexbase : L6450ACU, art. L. 2327-11, recod. N° Lexbase : L0876HXQ) Mots-clefs : comité d'établissement ; subvention de fonctionnement ; cession de fonds de commerce ; dettes de l'ancien employeur ; transmission au cessionnaire. Lien base : |
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Réf. : Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-40.629, Société Verreries du Courval, F-D (N° Lexbase : A7813D8U)
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N2492BGE
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par Gwenaëlle Marie, Secrétaire générale de rédaction - Droit social
Le 07 Octobre 2010
Résumé
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Commentaire
I La possible incidence de l'ancienneté et du fait unique sur la qualification de la faute grave
Il convient de rappeler que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis (3). La faute grave fait perdre au salarié l'indemnité de préavis et celle de licenciement (C. trav., art. L. 122-6 N° Lexbase : L5556ACR, art. L. 1234-1, recod. N° Lexbase : L9977HWG ; art. L. 122-8 N° Lexbase : L5558ACT, art. L. 1234-4 et s., recod. N° Lexbase : L9980HWK et art. L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU, art. L. 1234-9, recod. N° Lexbase : L9985HWQ).
En l'espèce, un salarié de la société Verreries du Courval qui l'employait en qualité d'emballeur au décor, a été licencié pour faute grave, le 13 novembre 2003, au motif que, malgré des consignes précises de sécurité qui lui avaient été personnellement données, il a circulé assis sur un chariot électrique de manutention dans une usine exploitant du verre, ce qui constituait un danger pour lui-même et les autres salariés.
La cour d'appel de Rouen, dans un arrêt prononcé le 13 décembre 2005, ne retient ni la faute grave du salarié, ni même que les faits sont susceptibles de justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse, car elle prend en compte deux éléments qui, classiquement, influencent la qualification de la faute grave, à savoir, d'une part, l'ancienneté du salarié et, d'autre part, le fait unique (4).
Il apparaît, dans de très nombreuses décisions, que l'ancienneté du salarié dans l'entreprise peut avoir comme conséquence d'atténuer la gravité de la faute (5). Ainsi, le refus d'exécuter les travaux d'entretien ne constitue pas une faute grave du salarié, dès lors que, âgé de 58 ans, il avait plus de 24 ans d'ancienneté sans jamais avoir fait l'objet de reproches (6). De même, ne commet pas une faute grave un salarié qui, comptant une ancienneté de 22 ans, refuse de porter un équipement de protection deux jours de suite, d'autant moins qu'il finit par se conformer aux directives de l'employeur (7). Dans le même sens, le refus par le salarié, qui a bénéficié pendant 21 ans d'un horaire réduit, de revenir à l'horaire initial, n'est pas de nature à rendre impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constitue pas une faute grave (8).
Le fait que le salarié commette une faute pour la première fois est, également, régulièrement pris en compte par la Haute juridiction. Ainsi, par exemple, elle a considéré que ne constitue pas une faute grave, la faible valeur des remises de prix que le salarié s'est irrégulièrement octroyées sur deux articles, car l'intéressé n'avait fait l'objet d'aucune sanction avant le licenciement (9). Un visiteur médical qui présente à son employeur une fausse facture en vue de se faire rembourser des frais de repas qu'il n'avait pas engagés dans l'intérêt du laboratoire et persiste dans ses dénégations lors de l'entretien préalable mettant, ainsi, en cause la probité des médecins contactés, ne commet pas, non plus, une faute grave, car le fait occasionnel reproché au salarié, qui n'avait jamais fait l'objet de reproches pour des faits similaires, et la modicité du préjudice causé au laboratoire ne caractérisent pas un comportement rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis (10).
L'arrêt de la cour d'appel de Rouen est cassé par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui affirme, au contraire, que le licenciement est fondé sur une faute grave pour manquement aux règles de sécurité.
II Le licenciement pour manquement aux règles de sécurité
Rendue, notamment, au visa de l'article L. 230-3 du Code du travail (art. L. 4122-1, recod.), issu de la loi du 31 décembre 1991 (N° Lexbase : L8301AIB), qui transpose dans notre législation la Directive 89/391 du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (N° Lexbase : L9900AU9), cette décision doit être approuvée.
En effet, selon l'article précité, conformément aux instructions qui lui sont données par l'employeur ou le chef d'établissement (et dans les conditions prévues par le règlement intérieur pour les entreprises qui y sont assujetties), il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail. Par conséquent, l'article L. 230-3 du Code du travail (art. L. 4122-1, recod.) contient, à la fois pour les salariés, une obligation de respecter les instructions de l'employeur, ce que, en l'espèce, le salarié avait enfreint, se moquant "des consignes précises de sécurité qui lui avaient été personnellement données" et une obligation de vigilance à l'égard de sa sécurité et de celle de ses collègues, ce que le salarié n'avait pas non plus pris en compte.
Une jurisprudence abondante et constante nous invite, d'ailleurs, à considérer que constitue une faute disciplinaire grave, tout manquement à une obligation d'hygiène (11) ou de sécurité. La Haute juridiction décide, par exemple, qu'un salarié qui s'endort sur son lieu de travail alors qu'il est gardien de nuit, compte tenu de la nature de son travail, viole les consignes de sécurité et commet, dans ce cas, une faute grave (12). De même, le chauffeur qui dépasse la vitesse autorisée ou ne respecte pas les temps de pauses obligatoires commet une faute disciplinaire (13). Plus récemment, la Cour a pu décider que le salarié qui refuse de présenter son sac ouvert et de décliner son identité, alors que la mesure est justifiée par des circonstances de sécurité commet une faute qui peut être sanctionnée (14) ou, encore, qu'un chef de chantier est tenu de porter son casque de sécurité obligatoire (15).
Ainsi, la décision commentée se situe dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour suprême qui condamne la désobéissance du salarié en matière de sécurité.
Décision
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Réf. : CJCE, 15 mai 2008, aff. C-147/06, SECAP SpA c/ Comune di Torino (N° Lexbase : A4989D8B)
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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Toutefois, dans l'affaire en cause, le marché passé par la commune de Turin était d'un montant inférieur au seuil à partir duquel s'applique la Directive communautaire 93/37/CE. La Cour de justice a, néanmoins, estimé que "les règles fondamentales du Traité CE concernant la liberté d'établissement et la libre prestation des services, ainsi que le principe général de non-discrimination, s'opposent à une réglementation nationale qui, pour ce qui concerne les marchés d'une valeur inférieure au seuil établi par l'article 6, paragraphe 1, sous a), de la Directive 93/37/CEE du Conseil du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, telle que modifiée par la Directive 97/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1997 (N° Lexbase : L8306AU8), et revêtant un intérêt transfrontalier certain, impose impérativement aux pouvoirs adjudicateurs, lorsque le nombre des offres valides est supérieur à cinq, de procéder à l'exclusion automatique des offres considérées comme anormalement basses par rapport à la prestation à fournir, selon un critère mathématique prévu par cette réglementation, sans laisser auxdits pouvoirs adjudicateurs aucune possibilité de vérifier la composition de ces offres en demandant aux soumissionnaires concernés des précisions sur celles-ci".
La CJCE a donc précisé que les règles fondamentales du Traité ne s'appliquent aux commandes publiques qu'en présence d'"un intérêt transfrontalier certain" (I) et prohibent l'exclusion automatique des offres anormalement basses (II).
I - Restriction : l'intérêt transfrontalier certain, critère d'applicabilité des règles fondamentales du Traité
Les règles fondamentales du marché intérieur ne s'appliquent, normalement, pas à des situations purement internes et doivent s'appliquer à des situations dans lesquelles existe un élément d'extranéité. Pour les marchés publics, le législateur communautaire a choisi, pour mettre en oeuvre ces règles, d'adopter d'importantes Directives qui coordonnent les procédures de passation et a estimé que son dispositif ne s'appliquait qu'à partir de montants qui varient en fonction de la nature des marchés. La fixation de tels seuils signifie que, pour le législateur communautaire, les marchés publics dont le montant se situe en deçà n'ont pas un intérêt communautaire et que leur réglementation ne relève que de la compétence du législateur national. Il s'agit là d'une simple application du principe de subsidiarité.
La jurisprudence "Telaustria" remet, évidemment, en cause un tel raisonnement. Elle considère que les règles fondamentales du Traité s'imposent aux marchés publics nationaux qui n'entrent pas dans le champ d'application des "Directives marchés", notamment parce qu'ils sont inférieurs aux montants fixés par celles-ci. Jusqu'à récemment, ne s'était pas véritablement posée la question de savoir à quels marchés s'appliquait la jurisprudence "Telaustria". Dans l'arrêt "Coname", la Cour avait, toutefois, précisé que l'application des règles fondamentales du Traité s'appliquaient "dans la mesure où ladite concession est susceptible d'intéresser, également, une entreprise située dans un Etat membre" (3). Dans l'affaire "Parking Brixen", l'Etat avait fait valoir qu'il s'agissait d'une situation purement interne (4). La Cour s'était contentée de répondre "qu'il ne peut être exclu que, dans l'affaire au principal, des entreprises établies dans des Etats membres autres que la République italienne auraient été intéressées de fournir les services concernés". Le critère de "l'intérêt transfrontalier certain" n'est apparu que dans la jurisprudence la plus récente (5).
L'introduction de ce critère a, probablement, le mérite d'indiquer que les règles fondamentales du Traité ne sont pas applicables sans limites, c'est-à-dire à tous les marchés publics échappant, par ailleurs, aux Directives communautaires. Il faudrait, d'ailleurs, ajouter, qu'à ce titre, la réglementation nationale peut être justifiée par des motifs d'ordre public ou par des exigences impérieuses d'intérêt général. La Cour fixe ainsi les frontières de l'empire de sa jurisprudence (6). Il s'agit là d'une habile stratégie dans la politique jurisprudentielle de la Cour.
Sur le plan pratique, il est autorisé d'être plus circonspect. Il est moins certain que les entreprises et les collectivités publiques aient gagné en sécurité juridique. Qu'est-ce qu'un marché qui présente un "intérêt transfrontalier certain" ? Il s'agit là d'un critère particulièrement flou. Quelle différence existe-t-il entre un simple intérêt transfrontalier et un "intérêt transfrontalier certain" ? Il importera aux juridictions nationales d'interroger le juge communautaire par la voie du renvoi préjudiciel et ainsi, d'encombrer, son prétoire.
La Cour a, toutefois, estimé que "l'appréciation, avant la définition des termes de l'avis de marché, de l'intérêt transfrontalier éventuel d'un marché dont la valeur estimée est inférieure au seuil prévu par les règles communautaires appartient, en principe, au pouvoir adjudicateur concerné, étant entendu que cette appréciation peut être soumise au contrôle juridictionnel". Elle ajoute qu'"il est, toutefois, loisible qu'une réglementation établisse, au niveau national ou local, des critères objectifs indiquant l'existence d'un intérêt transfrontalier certain. De tels critères pourraient être, notamment, le montant d'une certaine importance du marché en cause, en combinaison avec le lieu d'exécution des travaux. Il serait, également, possible d'exclure l'existence d'un tel intérêt dans le cas, par exemple, d'un enjeu économique très réduit du marché en cause [voir, en ce sens, CJCE, 21 juillet 2005, C-231/03, Coname, Rec. p. I 7287, point n° 20]. Toutefois, il est nécessaire de tenir compte du fait que, dans certains cas, les frontières traversent des agglomérations qui sont situées sur le territoire d'Etats membres différents et que, dans de telles circonstances, même des marchés de faible valeur peuvent présenter un intérêt transfrontalier certain" (n° 30 et 31). S'agissant d'un marché de travaux, la Cour précise qu'il "pourrait, par exemple, présenter un tel intérêt transfrontalier à cause de sa valeur estimée, en liaison avec sa technicité ou une localisation des travaux à un endroit qui serait propice à attirer l'intérêt d'opérateurs étrangers" (n° 24). On est donc dans le "clair obscur" (7).
Il aurait donc été, peut-être, plus simple d'estimer que tout marché public est potentiellement susceptible d'intéresser un opérateur économique installé dans un autre Etat membre et doit donc respecter les règles fondamentales du Traité dont les conséquences sont, par ailleurs, enrichies par cet arrêt "SECAP".
II - Extension : l'exclusion automatique des offres anormalement basses prohibées par les règles fondamentales du Traité
Jusqu'à présent, les règles fondamentales du Traité appliquées aux marchés publics entraînaient "une obligation de transparence qui permet au pouvoir adjudicateur de s'assurer que ledit principe est respecté. Cette obligation de transparence qui incombe au pouvoir adjudicateur consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG, précité). Les contenus des cahiers des charges pouvaient être, également, concernés (8).
Etait, ici, en cause la législation italienne selon laquelle les pouvoirs adjudicateurs ont l'obligation de procéder à l'exclusion automatique des offres, qui, en application d'un critère mathématique, sont considérées comme anormalement basses par rapport à la prestation à fournir. Cette législation ne s'applique pas, toutefois, lorsque le nombre des offres valides est inférieur à cinq.
La Cour de justice a estimé que "l'application aux marchés revêtant un intérêt transfrontalier certain de la règle de l'exclusion automatique des offres considérées comme anormalement basses est susceptible de constituer une discrimination indirecte, en désavantageant dans la pratique les opérateurs des autres Etats membres qui, ayant des structures de coûts différentes, pouvant bénéficier d'économies d'échelle importantes ou désireux de comprimer leurs marges bénéficiaires afin de pouvoir pénétrer plus efficacement le marché considéré, seraient en mesure de faire une offre compétitive et, en même temps, sérieuse et fiable, dont le pouvoir adjudicateur ne saurait pourtant tenir compte en raison de ladite réglementation" (n° 24). Elle ajoute, en outre, "qu'une telle réglementation peut donner lieu à des attitudes et à des arrangements anticoncurrentiels, voire à des pratiques de collusion, entre entreprises nationales ou locales visant à réserver à ces dernières les marchés publics de travaux" (n° 25).
Cependant, la Cour précise, finalement, que "l'exclusion automatique de certaines offres, en raison de leur caractère anormalement bas, pourrait s'avérer acceptable lorsque le recours à cette règle est justifié par le nombre excessivement élevé des offres, circonstance qui pourrait obliger le pouvoir adjudicateur concerné à procéder à la vérification, de manière contradictoire, d'un nombre d'offres si élevé que cela dépasserait la capacité administrative dudit pouvoir adjudicateur ou serait susceptible, en raison du retard que cette vérification pourrait entraîner, de mettre en danger la réalisation du projet" (n° 32).
Ce raisonnement, très convaincant au regard de la jurisprudence communautaire en matière de marché intérieur, n'en est pas moins fort constructif du point de vue du droit de la commande publique. Il ouvre encore un champ d'incertitudes sur la compatibilité du droit et des pratiques internes au regard de la jurisprudence communautaire. Une nouvelle fois, la sécurité juridique est la première victime de la Cour de Luxembourg.
(1) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG, en présence de Herold Business Data AG (N° Lexbase : A1916AWU), Rec., p. I-10745, spéc. n° 60 à 62 ; CJCE, 18 juin 1985, aff. C-197/84, P. Steinhauser c/ Ville de Biarritz (N° Lexbase : A7797AUC), Rec., p. 1819.
(2) JOCE n° L 199 du 9 août 1993, p. 54 ; solution désormais reprise à l'article 55 de la Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU), JOUE, n° L 134 du 30 avril 2004 p. 114.
(3) CJCE, 21 juillet 2005, aff. C-231/03, Consorzio Aziende Metano (Coname) c/ Comune di Cingia de' Botti (N° Lexbase : A1664DKT), Rec., p. I-7287, spéc. n° 17.
(4) CJCE, 13 octobre 2005, aff. C-458/03, Parking Brixen GmbH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen AG (N° Lexbase : A7748DK8), Rec., p. I-8612, spéc. n° 55.
(5) CJCE, 13 novembre 2007, aff. C-507/03, Commission des Communautés européennes c/ Irlande N° Lexbase : A5367DZS ; CJCE, 21 février 2008, aff. C-412/04, Commission des Communautés européennes c/ République italienne (N° Lexbase : A0010D7I).
(6) CJCE, 21 juillet 2005, Consorzio Aziende Metano (Coname) c/ Comune di Cingia de' Botti, précité ; CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-234/03, Contse SA, Vivisol Srl, Oxigen Salud SA c/ Instituto Nacional de Gestión Sanitaria (Ingesa), anciennement Instituto Nacional de la Salud (Insalud) (N° Lexbase : A0981DLW), Rec., p. I-9315.
(7) Pour la discussion de ces critères, v. Florian Linditch, "Marchés à procédure adaptée d'intérêt communautaire certain" : soumission aux principes fondamentaux du droit communautaire, JCP éd. A, 2008, n° 2125.
(8) CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-158/03, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne (N° Lexbase : A0975DLP) ; CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-234/03, Contse SA, Vivisol Srl, Oxigen Salud SA c/ Instituto Nacional de Gestión Sanitaria (Ingesa), anciennement Instituto Nacional de la Salud (Insalud), précité.
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Réf. : Cass. com., 20 mai 2008, n° 07-14.088, Société Au pré de l'arbre, F-D (N° Lexbase : A7099D8G)
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N2427BGY
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par Vincent Téchené, SGR - Droit des affaires
Le 07 Octobre 2010
En témoigne un arrêt de la Chambre commerciale du 20 mai 2008, par lequel la Haute juridiction rappelle que les juges du fond doivent rechercher si le demandeur à la dissolution n'est pas seul responsable de la mésentente des associés, auquel cas, la demande ne peut être accueillie.
En l'espèce, les consorts T. se sont associés au sein d'une SCI, propriétaire de biens immobiliers, et d'une SARL, chargée de la gestion de ces biens. Soutenant l'existence d'anomalies dans la gestion de la SARL, ainsi que des tensions entre associés, M. Daniel T. a assigné cette dernière en dissolution judiciaire pour justes motifs. Postérieurement à l'assignation, un protocole d'accord a été signé par M. Daniel T., par lequel il s'engageait, d'une part, à vendre à ses co-associés l'ensemble des parts qu'il détenait dans les deux sociétés, moyennant un certain prix et, d'autre part, à se désister des actions en dissolution qu'il avait introduites. Ce désistement n'est pas intervenu et, se fondant sur les termes du protocole, la société a reconventionnellement demandé que M. Daniel T. soit condamné à signer l'acte de cession.
C'est dans ces conditions que la cour d'appel de Bordeaux, retient, tout d'abord, dans un arrêt du 29 janvier 2007 (1), que le protocole contenait des engagements réciproques qui constituaient les uns à l'égard des autres des conditions suspensives qui n'avaient pas été remplies, concluant, ainsi à la caducité de l'acte. Les juges du second degré prononcent, ensuite, la dissolution de la SARL. Ils estiment, en effet, que le fait que les statuts de la SARL aient été modifiés en vertu du protocole, qui venait d'être déclaré caduc par une décision du tribunal intervenue un mois plus tôt, démontre que la mésentente entre les associés rejaillit sur la société et paralyse son fonctionnement, plus aucune assemblée ne pouvant être tenue régulièrement depuis le mois de novembre 2005 -soit pendant les 15 mois précédent l'arrêt de la cour-.
Saisie d'un pourvoi contre cet arrêt, formé par la société, la Cour de cassation rejette le premier moyen, estimant que la cour d'appel a souverainement apprécié les termes de la transaction, pour conclure à sa caducité.
Elle sanctionne, néanmoins, l'arrêt des seconds juges sur la dissolution de la société, retenant que la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1844-7 du Code civil, en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si M. Daniel T., demandeur à la dissolution, n'était pas seul responsable de la mésentente des associés.
Cette solution est classique et elle ne surprendra pas les lecteurs bien informés. Elle n'est, toutefois, pas dénuée d'intérêt : il semble, en effet, que les juges du fond s'affranchissent de cette règle de façon assez récurrente. Or, la conséquence est lourde de portée, puisque la demande formée par l'associé qui est à l'origine de la mésentente est rejetée. Il en va donc de la vie de la personne morale.
L'occasion nous est donc donnée d'attirer l'attention sur la dissolution de la société pour mésentente entre associés. D'abord, s'agissant d'une cause de dissolution judiciaire, elle suppose de saisir le juge. Dans ce contentieux les juges du fond ont un très large pouvoir d'appréciation.
D'abord, ils vont souverainement apprécier que la situation conflictuelle paralyse effectivement ou non le fonctionnement de la société (2). On ne listera pas ici les cas dans lesquels la mésentente a été retenue, mais on rappellera que, en tout état de cause, la dissolution de la société pour mésentente sera plus souvent retenue dans les sociétés de personnes dans lesquelles l'intuitu personae est beaucoup plus fort que dans les sociétés de capitaux.
Ensuite, c'est toujours dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'appréciation que les juges du fond doivent identifier l'associé à l'origine de la situation de blocage, celui à qui la mésentente est imputable.
Rappelons, ici, que si l'article 1844-7 du Code civil précise que la demande doit émaner d'un associé, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 octobre 1965 avait, néanmoins, reconnu au créancier social le droit d'agir en dissolution pour justes motifs (3). Mais cette solution semble avoir été remise en cause par un arrêt du 28 septembre 2004. La Cour considère, en substance, que malgré l'intérêt à agir que peuvent avoir certains tiers, des créanciers, en l'occurrence le syndic de la liquidation des biens d'un des associés, de voir prononcer la dissolution de la société, cette demande n'est pas recevable à défaut de qualité à agir, et le juge du droit de rappeler la lettre du texte : "seul un associé peut demander au tribunal la dissolution anticipée de la société pour justes motifs, notamment en cas de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société" (4). Certains auteurs (5) considèrent, toutefois, que la portée de cet arrêt demeure incertaine.
En outre, comme le rappelle l'arrêt du 20 mai 2008, certains associés ne sont pas recevables à agir en dissolution de la société pour justes motifs : ce sont ceux qui sont à l'origine de la mésentente. Cette solution est ancienne et trouve son fondement dans un principe évident selon lequel personne ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. L'associé à l'origine de la mésintelligence ne peut pas agir en dissolution de la société sur ce fondement sans être de mauvaise foi.
La Cour de cassation impose, par conséquent, aux juges du fond de s'assurer que le demandeur est de bonne foi, qu'il ne se prévaut pas d'une situation qu'il a lui-même créée. Il serait bien facile pour celui qui veut se retirer d'une société de causer du tort à ses coassociés, d'avoir une attitude négative paralysant le fonctionnement de la société pour obtenir judiciairement la dissolution de la société alors que ses co-associés ne souhaitent pas mettre un terme à leur collaboration et mettre fin à l'existence de la personne morale. D'ailleurs, l'associé à l'origine de la mésentente qui agit en justice pour obtenir la dissolution de la société s'expose à une condamnation au paiement de dommages-intérêts aux associés et à la société pour avoir exercé de façon abusive son droit d'agir en dissolution (6). Bien sûr, l'abus de droit ne sera qu'exceptionnellement retenu car il suppose qu'il soit caractérisé.
Déterminer l'associé "fautif", celui qui est à l'origine de la situation conflictuelle, n'est pas toujours chose aisée, et comme en matière de divorce, les torts sont souvent partagés. Dans une telle situation, les juges vont conclure à l'impossibilité de déterminer quel associé est à l'origine du trouble social et peuvent, en conséquence, prononcer la dissolution de la société (7). En d'autres termes, si l'imputabilité de la mésentente n'est pas une condition indispensable à la dissolution anticipée de la société, la recherche de celle-ci par les juges du fond l'est. Il s'agit de s'assurer, pour l'essentiel, que l'auteur de la demande n'est pas seul responsable de la situation inextricable dans laquelle se trouve la personne morale, ou bien encore qu'il ne cherche pas à tirer un avantage particulier de son action, en faisant pression sur les autres associés.
La solution retenue par l'arrêt du 20 mai 2008 s'inscrit pleinement dans cette logique : les juges du fond ont bien retenu l'existence d'une mésentente et caractérisé la paralysie du fonctionnement de la société, mais ils n'ont pas recherché à quel associé cette mésentente était imputable. Dans ces conditions, ils n'ont pas rempli leur mission et ne pouvaient décider ainsi de la dissolution de la société.
(1) CA Bordeaux, 2ème ch., 29 janvier 2007, n° 05/06832, SARL Au pré de l'arbre c/ M. Daniel Tourret (N° Lexbase : A3586D4L).
(2) Par exemple, Cass. com., 31 janvier 1989, n° 87-16.124, Consorts Seneclauze c/ Consorts Mazel et autres (N° Lexbase : A4043AGT) par lequel la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre un arrêt d'appel ayant refusé de prononcer la dissolution de la société, dans la mesure où la cour d'appel a constaté que la mésentente alléguée n'entraînait une paralysie de la société ou Cass. civ. 1, 18 mai 1994, n° 93-15.771, M. Laurent Lacrosnière c/ M. Yves Martin-Bouyer et autres (N° Lexbase : A2499AGN) dans lequel elle rejette le pourvoi contre un arrêt ayant prononcé la dissolution de la société parce que la cour d'appel a souverainement apprécié que la mésentente entraînait la paralysie de la société.
(3) Cass. civ. 1, 20 octobre 1965, n° 63-12.258, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Basses-Pyrénées c/ Colmache (N° Lexbase : A6203CEH).
(4) Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-20.750, M. Bernard Dailly c/ M. Dominique Thirion, F-D (N° Lexbase : A4706DDN).
(5) F.-X. Lucas, Seul un associé peut demander au tribunal la dissolution anticipée de la société pour justes motifs, Dr. sociétés, n° 2, février 2005, 25.
(6) Cass. com., 14 décembre 2004, n° 02-14.749, Mme Jocelyne Tavernier-Bonmarty c/ Société Emergence formation, F-D (N° Lexbase : A4636DEG), dans lequel la Cour de cassation relève que "Mme [T.] avait elle-même pris l'initiative de refuser les tâches qui lui avaient été attribuées par les statuts qu'elle avait acceptés, n'avait recherché aucune entente amiable avec ses associés, avait fait preuve d'un comportement excessif et qu'il en ressortait qu'elle avait exercé une action en dissolution de façon abusive, la cour d'appel, dès lors que le droit d'agir en dissolution expose le demandeur à des dommages-intérêts, a suffisamment caractérisé l'existence d'un abus dans l'exercice du droit d'agir de Mme [T.] en dissolution de la société et légalement justifié sa décision".
(7) Cass. com., 13 février 1996, n° 93-16.238, M. Cazalet c/ Mme Puig-Vaudon (N° Lexbase : A1212ABI).
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Réf. : Cass. civ. 1, 19 mars 2008, n° 05-21.924, M. Jean-Claude Lizeray, FS-P+B (N° Lexbase : A4721D7Y)
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par Cédric Tahri, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Il convient alors de rappeler les principes de l'audition des enfants lors de l'instance en changement de régime matrimonial (I), avant d'en analyser les répercussions sur la nature de la procédure (II).
I - L'audition des enfants lors de l'instance gracieuse en changement de régime matrimonial
Dans le cadre d'un changement de régime matrimonial, le juge homologateur n'est pas tenu de recueillir l'avis des enfants majeurs avant de rendre sa décision. Il ne s'agit que d'une simple faculté relevant de ses pouvoirs d'investigation en matière gracieuse (A). Toutefois, cette audition s'avère souvent nécessaire dans un domaine marqué par l'absence de contradiction (B).
A - L'audition des enfants, une faculté pour le juge gracieux
Aux termes de l'article 1301 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3962HWN), l'homologation du changement de régime matrimonial relève de la matière gracieuse. A ce titre, l'instruction de la requête des époux obéit à des règles spécifiques en raison de l'absence de contradiction immédiate. C'est ainsi que le juge se voit reconnaître des prérogatives étendues. Selon l'article 27, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2462ADK), il a le pouvoir "de procéder, même d'office, à toutes les investigations utiles" (4). Il possède aussi la "faculté d'entendre sans formalités les personnes qui peuvent l'éclairer ainsi que celles dont les intérêts risquent d'être affectés par sa décision" (5). Il est alors tentant de qualifier le juge gracieux de "juge-inspecteur". Ses pouvoirs exorbitants n'en demeurent pas moins nécessaires afin de préserver les intérêts des tiers. En effet, avant de statuer, le juge ne dispose que d'une seule version des faits, à savoir celle des époux qui sollicitent l'homologation de leur changement de régime matrimonial. La procédure gracieuse étant par nature unilatérale, il ne peut compter sur la présence d'un adversaire pour critiquer la demande dont il est saisi. Le magistrat est donc contraint de se comporter en "contradicteur légitime" (6) des époux : la défense des intérêts de ceux qui ne sont pas présents à l'instance lui incombe (7). Sa tâche est d'autant plus délicate qu'il arrive souvent que les requérants mettent tout en oeuvre pour obtenir le succès de leur demande, quitte à dissimuler certains faits décisifs (8).
Dès lors, l'audition des tiers -créanciers et enfants essentiellement- apparaît comme le meilleur moyen de pallier l'absence de contradiction car elle permet au juge d'apprécier les différents points de vue. Elle peut être spontanée ou provoquée. Dans le premier cas, le tiers qui justifie d'un intérêt légitime demandera à être entendu par le juge gracieux après que celui-ci l'ait autorisé à consulter le dossier de l'affaire et à s'en faire délivrer copie (9). Dans le second cas, le juge peut soit entendre les personnes dont les intérêts risquent d'être affectés par la décision gracieuse sur le fondement de l'article 27 du Code de procédure civile, soit il peut ordonner leur mise en cause (10). Mais, dans tous les cas, le juge n'est pas tenu d'entendre les tiers intéressés. Il en va ainsi en matière gracieuse et, a fortiori, en matière de changement de régime matrimonial (11). Ce principe est, d'ailleurs, rappelé par la Chancellerie : "les tribunaux apprécient librement l'opportunité de consulter ou non les enfants et ne sont jamais liés par les avis ainsi recueillis" (12).
Néanmoins, la liberté laissée au juge homologateur semble difficilement conciliable avec l'article 12 de la Convention internationale des droits de l'enfant, signée à New York le 20 novembre 1989 (N° Lexbase : L6807BHL), qui pose que "les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discernement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. A cette fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale" (13). Mais la contradiction n'est qu'apparente. Même si la Cour de cassation a eu l'occasion d'indiquer que l'article 12 de la Convention de New York est d'applicabilité directe en France (14), celui-ci laisse une certaine marge de manoeuvre aux Etats parties puisque l'exercice du droit d'expression de l'enfant est subordonné à sa compatibilité avec les règles procédurales nationales. Au surplus, la protection garantie par la convention ne concerne que les enfants mineurs (15). Elle ne bénéficie donc pas aux enfants majeurs qui décideraient d'être entendus par le juge afin de lui signifier leur opposition au changement de régime matrimonial de leurs parents.
En revanche, l'articulation avec le nouvel article 388-1 du Code civil (N° Lexbase : L8350HW8) paraît plus problématique. En effet, cet article, modifié par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 (N° Lexbase : L5932HUA), dispose que "dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande [...]". Autrement dit, les enfants mineurs peuvent être entendus chaque fois qu'une procédure met en cause leurs intérêts. Cependant, la circulaire du 3 mars 1993, relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant précise que cette possibilité est subordonnée à une double exigence tenant au discernement de l'enfant et à l'intérêt -personnel, direct et certain- que présente pour lui la procédure en cause (16). Au regard de ces conditions, les procédures extra-patrimoniales seront le plus souvent concernées, et particulièrement celles relatives aux modalités d'exercice de l'autorité parentale. Elles sont, en effet, susceptibles de modifier les conditions de vie de l'enfant. Mais la circulaire vise aussi expressément la procédure de changement de régime matrimonial. Il est vrai que le changement envisagé par les époux peut affecter la vocation successorale de l'enfant, du moins indirectement. Tout enfant qui souhaite donner son avis en la matière devrait donc être entendu par le juge. Ce dernier ne serait plus libre de recueillir ou non l'avis de l'enfant mineur qui souhaiterait s'opposer à la volonté de ses parents : la faculté discrétionnaire se transformerait en obligation légale. La cohabitation entre le principe énoncé à l'article 388-1 du Code civil et celui de l'article 27, alinéa 2, du Code de procédure civile devient alors difficilement envisageable au sujet des enfants mineurs, sauf à considérer que le premier constitue un principe général auquel dérogent les règles spécifiques de la matière gracieuse. Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que l'audition des descendants des époux dans le cadre de la procédure d'homologation du changement de régime matrimonial est encore loin d'être systématique. Pourtant, elle s'avère souvent nécessaire en pratique.
B - L'audition des enfants, une nécessité pour le juge gracieux
Si aucune disposition législative n'impose l'audition des enfants majeurs lors du déroulement de la procédure gracieuse, celle-ci n'en demeure pas moins nécessaire dans la plupart des cas. En effet, il revient au juge de s'assurer que le changement de régime matrimonial est conforme à l'intérêt de la famille. Selon la Cour de cassation, "l'existence et la légitimité d'un tel intérêt doivent faire l'objet d'une appréciation d'ensemble, le seul fait que l'un des membres de la famille risquerait de se trouver lésé n'interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé" (17). Cette appréciation d'ensemble conduit les juges du fond à prendre en compte tous les intérêts en présence, ceux des époux (18) mais aussi ceux des enfants (19). Ils réalisent alors une balance des intérêts, transposant ainsi en la matière la technique publiciste du bilan coûts-avantages (20). En d'autres termes, le choix des parents ne doit pas avoir pour inconvénient de léser les intérêts de leurs enfants. L'avis émis par ces derniers est donc d'une grande utilité dans la mesure où il permet au juge gracieux de statuer en pleine connaissance de cause sur l'existence et la légitimité de l'intérêt de la famille (21). Il est alors tentant pour les tribunaux de faire de l'audition des enfants une étape incontournable de la procédure d'homologation (22). Et malgré le silence de l'article 1397 du Code civil (N° Lexbase : L9251HWK) (23), certaines juridictions n'hésitent pas à subordonner l'octroi de la mesure sollicitée par les époux à l'accord de leurs descendants, ce qui revient à consacrer un véritable droit de veto.
Cette pratique judiciaire est condamnée par l'immense majorité des auteurs. M. Mouly estime, en effet, que la décision des époux de modifier leur régime matrimonial relève de leur vie privée (24). Les enfants n'ont donc pas à intervenir. Retenir la solution inverse reviendrait à "générer une tutelle des enfants sur les parents" (25). Une telle solution est profondément choquante, surtout lorsque les enfants sont adultes et indépendants (26). Elle procède d'une regrettable "confusion des genres" (27). D'ailleurs, cette idée n'a pas été retenue par la commission Dekeuwer-Defossez. Celle-ci a refusé d'ériger l'accord préalable des enfants en condition de l'homologation judiciaire, estimant à juste titre que : "Requérir leur consentement [celui des enfants] serait superfétatoire et dangereux" (28).
A la vérité, l'avis des enfants -qu'ils soient mineurs ou majeurs- ne doit constituer qu'un élément d'appréciation, parmi d'autres, de l'intérêt de la famille (29). Certes, il permet d'éviter que la décision du juge ne soit faussée au vu d'une information incomplète. Mais le consentement des enfants ne saurait être, à lui seul, une entrave à la volonté des parents. Par conséquent, lorsqu'il procède à l'audition des descendants des époux, le juge doit être libre de ne pas suivre l'avis qui lui est donné surtout s'il est négatif. La paix des familles est à ce prix.
II - L'opposition des enfants lors de l'instance gracieuse en changement de régime matrimonial
Le 19 mars 2008, la Cour de cassation affirme solennellement que l'avis négatif formulé par un enfant majeur n'est pas de nature à modifier la nature gracieuse de la procédure d'homologation du changement de régime matrimonial (A). Dans ce cas, en effet, l'enfant n'est pas assimilé à une partie à l'instance. Il en va autrement lorsque son opposition se matérialise dans une demande en justice, notamment lors de l'exercice d'une voie de recours (B).
A - L'opposition des enfants et le maintien de la procédure gracieuse
Selon l'article 25 du Code de procédure civile, "le juge statue en matière gracieuse lorsqu'en absence de litige il est saisi d'une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l'affaire ou de la qualité du requérant, qu'elle soit soumise à son contrôle". La matière gracieuse postule donc l'absence de litige, la distinguant ainsi de la matière contentieuse. Toutefois, la frontière entre ces deux facettes de l'activité juridictionnelle du juge n'est pas statique. Il peut arriver, en effet, qu'une demande relevant initialement de la matière gracieuse devienne contentieuse au cours de l'instance. Cette mutation procédurale est communément appelée "élévation du contentieux" (30). Certes, il a pu être soutenu que le caractère gracieux de l'acte demeurait inchangé malgré la survenance d'un litige (31). Mais l'absorption du contentieux par le gracieux est difficilement soutenable aujourd'hui car elle méconnaît le changement de procédure (32).
Le problème est de déterminer à quel moment le contentieux s'élève, surtout lorsque l'opposition à la demande gracieuse émanant d'un tiers à l'instance n'est pas formalisée dans une demande incidente. Tel est le cas dans notre affaire puisque l'enfant majeur se borne à fournir un avis négatif à la demande de changement de régime matrimonial. La simple audition du tiers ou de son conseil conduit-elle à une mutation de la procédure gracieuse ? Le doute est permis dans la mesure où, lors de leur audition, les personnes entendues peuvent soulever des objections au bien-fondé de la demande initiale du requérant (33). Il est, cependant, dissipé à la lecture de l'arrêt du 19 mars 2008 : l'instance demeure gracieuse (34). La solution s'explique par le fait que le tiers auditionné ne peut être qualifié véritablement de partie à l'instance, son rôle procédural étant inexistant du fait de l'absence de demande incidente formulée (35).
Cela étant, on saisit assez aisément l'enjeu essentiel de la question qui était posée devant la Haute juridiction. La qualification gracieuse ou contentieuse de la procédure d'homologation détermine le choix des voies de recours applicables. En cas d'élévation du contentieux, les époux auxquels la mesure sollicitée a été refusée peuvent interjeter appel, selon les règles de droit commun, devant la juridiction hiérarchiquement supérieure, à savoir la cour d'appel. A défaut, ils ne peuvent user que d'une seule voie de recours ordinaire : l'appel gracieux (36). Inspiré du pourvoi immédiat du droit local d'Alsace-Moselle, ce recours présente de profondes spécificités qui le distinguent nettement de son homologue contentieux. Tout d'abord, le juge peut modifier ou rétracter sa décision alors qu'en matière contentieuse l'article 481 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2721AD7) lui interdit de revenir sur ce qu'il a décidé (37). Ensuite, le délai d'appel est seulement de quinze jours (38). Enfin, l'appel gracieux doit être formé par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision, par un avocat ou un avoué, ou un autre officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur (39). Or, en l'espèce, il est reproché précisément aux époux d'avoir méconnu les prescriptions de l'article 950 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3261AD7). La procédure d'homologation du changement de régime matrimonial ayant conservé son caractère gracieux malgré l'opposition des enfants, cet article trouvait lieu à s'appliquer. C'est donc à bon droit que la cour d'appel de Paris a déclaré l'appel des époux irrecevable pour vice de forme. Cependant, l'inefficience de l'opposition des enfants majeurs dans notre affaire ne saurait masquer les diverses hypothèses où celle-ci entraîne une mutation de la procédure gracieuse.
B - L'opposition des enfants et la mutation de la procédure gracieuse
Les enfants, tiers à l'instance d'homologation, ne sont pas toujours entendus par le juge gracieux alors que leurs intérêts peuvent être menacés par le changement de régime matrimonial sollicité par leurs parents. Afin de défendre leurs droits, il leur appartient alors d'intervenir au cours de la procédure. Cette intervention volontaire opère une élévation du contentieux (40). En effet, définie comme "la demande dont l'objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires" (41), celle-ci confère à son auteur la qualité de demandeur relativement à la prétention qu'il élève. Or, cette prétention n'a d'autre objet que de s'opposer à la demande initiale. Il en va pareillement en cas d'opposition d'un tiers dont le consentement est requis (42). La raison tient essentiellement à la mise en cause du tiers qui est alors assimilé à une partie à l'instance (43).
L'élévation du contentieux peut aussi résulter de l'exercice d'une voie de recours. Il en va ainsi en matière d'appel, à condition que le jugement d'homologation ait été notifié aux enfants (44). Faute de notification, la voie de la tierce opposition devrait être logiquement ouverte (45). Pourtant, la jurisprudence dénie cette possibilité aux héritiers (46). Ces derniers peuvent néanmoins exercer, semble-t-il, un appel-nullité (47). En outre, ils ont la faculté d'exercer une action en nullité de la convention notariée (48), voire un recours en révision (49).
En revanche, les enfants communs du couple ne peuvent se prévaloir de l'action en retranchement des avantages matrimoniaux excédant la quotité disponible spéciale entre époux, de l'article 1527 du Code civil (N° Lexbase : L0273HPS) (50). En effet, depuis la loi du 3 décembre 2001 consacrant l'égalité des filiations (loi n° 2001-1135, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral N° Lexbase : L0288A33), cette action en retranchement est réservée aux enfants non issus des deux époux, qu'ils soient légitimes (51) ou naturels (52).
Au final, la protection des enfants communs donne lieu à un bilan mitigé. Et il n'est pas certain que la réforme du 23 juin 2006 ait amélioré les choses. Certes, depuis le 1er janvier 2007, tous les enfants majeurs des époux doivent être informés personnellement du changement de régime matrimonial et peuvent faire opposition dans un délai de trois mois (53). Mais encore faut-il que ces derniers aient conscience de la portée de cette modification pour faire un choix éclairé et motivé (54). En l'absence de réaction de leur part, le changement de régime matrimonial sera valable alors même qu'il serait attentatoire à l'intérêt de la famille. Le juge ne pourra s'y opposer (55). Tout au plus, le notaire tentera de dissuader les époux en les informant sur les dangers de leur projet, conformément à son devoir de conseil. Et c'est finalement sur ses épaules que pèsera la lourde tâche de défendre les intérêts des enfants menacés. La déjudiciarisation partielle, opérée en 2006, devrait donc se doubler d'une responsabilisation des notaires (56). Toutefois, ceux-ci ne sauraient être assimilés à des juges (57) : ils n'exercent pas de fonction juridictionnelle. Par conséquent, il est parfaitement illusoire de croire qu'ils exerceront un contrôle approfondi de la convention modificative qui leur est soumise. Leur office se résumera vraisemblablement à une vérification purement formelle, sauf en cas de fraude manifeste des époux. Dans ces conditions, il est peu probable que les notaires prennent le soin de recueillir l'avis des enfants majeurs. Après tout, ces derniers ont toujours la possibilité de s'opposer, dans le délai de trois mois, à la modification envisagée. Mais cette opposition suppose que les enfants majeurs aient été personnellement informés de l'opération. Or, ce ne sera pas toujours le cas, notamment si les époux dissimulent l'existence d'un enfant issu d'une première union (58). Ce dernier pourra-t-il alors exercer son droit d'opposition à l'expiration du délai légal, en arguant d'une connaissance tardive du changement de régime matrimonial ? A défaut, la voie de la tierce opposition lui sera-t-elle ouverte (59) ? Ces questions restent en suspens, la loi étant muette à ce sujet. En tous cas, force est de constater que les enfants majeurs bénéficient toujours d'une protection relativement fragile (60). Le législateur a-t-il fait le choix de les sacrifier sur l'autel de la contractualisation ? Seul l'avenir nous le dira...
(1) En ce sens, v. Cass. civ. 1, 14 mai 1996, n° 93-20.703, Mme Sneyaert c/ M. Fourdrier et autre (N° Lexbase : A9466AB9), D., 1996, jur., p. 537, note J. Thierry.
(2) CA Bordeaux, 19 novembre 1997, Dr. Famille, 1998, comm. n° 69, note B. B..
(3) CA Paris, 26 octobre 1989, D., 1989, IR, p. 300.
(4) Pour une application, v. Cass. civ. 1, 7 novembre 1979, n° 78-13.968, Bull. civ. I, n° 274, p. 222, RTDCiv., 1980, 164, n° 5, obs. R. Perrot.
(5) C. proc. civ., art. 27, al. 2. Il ne s'agit cependant que d'une faculté pour le magistrat. Celui-ci n'est pas tenu d'entendre les personnes intéressées, v. Cass. civ. 1, 4 octobre 1988, n° 86-18.816, Consorts Marx c/ M. Dreyfus et autres (N° Lexbase : A2130AHD), Bull. civ. I, n° 262, p. 181 (tutelle d'Alsace-Moselle).
(6) D. Le Ninivin, La juridiction gracieuse dans le nouveau code de procédure civile, Litec, 1983, n° 356, p. 138.
(7) Ibidem. L'auteur affirme qu'"il doit toujours avoir à l'esprit, non seulement le bien-fondé de la mesure sollicitée, mais encore les conséquences des décisions qu'il faut adopter".
(8) Sur l'existence discutée d'une obligation de loyauté à la charge du requérant, v. D. Le Ninivin, op. cit., n° 338, p. 130-131. V. aussi R. Lindon et Ph. Bertin, note sous CA Paris, 14eme ch., sect. A, 23 avril 1980, JCP éd. G, 1981, II, 19539.
(9) C. proc. civ., art. 29 (N° Lexbase : L2464ADM). Néanmoins, il faut souligner que le pouvoir que le juge tient de l'article 29 "ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de le délier du secret professionnel et de porter atteinte au secret de la vie privée dont il est le garant", v. CE, 12 octobre 1979, n° 01875, Rassemblement des nouveaux avocats de France et autres (N° Lexbase : A8873B7R), D., 1979, p. 606, note A. Bénabent.
(10) C. proc. civ., , art. 332, alinéa 2 (N° Lexbase : L2555ADY). Les tiers sont alors assimilés aux parties à l'instance. A noter qu'en matière contentieuse, le juge ne peut qu'inviter les parties à mettre en cause tous les intéressés dont la présence lui paraît nécessaire à la solution du litige, v. C. proc. civ., art. 332, al. 1er. Il faut cependant réserver l'hypothèse de l'article 552, al. 3 (N° Lexbase : L2802AD7) : "La cour peut ordonner d'office la mise en cause de tous les cointéressés".
(11) Cass. civ. 1, 24 novembre 1993, n° 92-21.712, Mme Edouard Genève c/ Consorts Genève (N° Lexbase : A6233AHC), Bull. civ. I, n° 342, D., 1994, p. 342, note J. Thierry, Defrénois, 1994, 35856, p. 896, obs. G. Champenois, RTDCiv,. 1995, p. 673, obs. B. Vareille : "L'accord des enfants au changements de régime matrimonial n'est pas requis et le tribunal n'est pas tenu de recueillir leur avis pour procéder à une appréciation d'ensemble de l'intérêt de la famille".
(12) Rép. Min. à QE n° 43-872, JCP éd. G, 1981, IV, n° 292.
(13) Décret n° 90-917 du 8 octobre 1990, portant publication de la Convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 20 novembre 1989, JCP éd. G, 1990, III, n° 64242.
(14) V. Cass. civ. 1, 18 mai 2005, n° 02-20.613, M. François Bourdier c/ Mme Nicole Rainville, épouse Herisset, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3029DIZ), RTDCiv., 2005, p. 585, obs. J. Hauser, Dr. fam., 2005, n° 156, note A. Gouttenoire ; Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-17.912, M. Olivier Serylo c/ Mme Frédérique Bruno, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7437DLZ), Bull. civ., I, n° 434, D., 2006, p. 554, note F. Boulanger, RTDCiv. 2006, p. 101, obs. J. Hauser. Contra, v. Cass. civ. 1, 10 mars 1993, n° 91-11.310, Le Jeune (N° Lexbase : A5736AHW), D., 1993, p. 361, note J. Massip.
(15) Cass. civ. 1, 25 juin 1996, n° 94-14.858, M. X c/ M. Y (N° Lexbase : A6452AHG), JCP éd. G, 1997, II, 22834, note Ph. Malaurie.
(16) Circulaire du 3 mars 1993 relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant, JO du 24 mars 1993, p. 4551, D., 1993, p. 290.
(17) Cass. civ. 1, 6 janvier 1976, n° 74-12212, Epoux Alessandri (N° Lexbase : A2691CGR), D., 1976, p. 253, note A. Ponsard, Defrénois, 1976, I, p. 787, note A. Ponsard, JCP éd. G, 1976, II, n° 18461, note J. Patarin. V. également Cass. civ. 1, 17 juin 1986, n° 84-17.292, M. Hercot c/ Epoux Hercot (N° Lexbase : A4841AAK), JCP éd. N, 1986, II, p. 250, note Ph. Simler, JCP éd. G, 1987, II, n° 20809, note M. Henry ; CA Paris, 27 octobre 2005, AJ. fam., 2006, p. 35, obs. P. Hilt.
(18) Sur le refus d'un changement de régime matrimonial défavorable à l'épouse, v. CA Paris, 18 novembre 1997, Defrénois, 1998, 1222, note J.-M. Plazy.
(19) Pour un refus d'homologuer le changement d'une séparation de biens en communauté universelle avec attribution au survivant en raison du jeune âge de la seconde épouse qui aurait rendu illusoire le bénéfice d'une action en retranchement au profit des enfants, v. Cass. civ. 1, 5 juillet 1989, n° 87-15.957, Epoux Isidore Philippakis c/ Consorts Philippakis (N° Lexbase : A9854AA9), Defrénois, 1989, 34595, obs. G. Champenois.
(20) J.-M. Plazy, Changement de régime matrimonial et intérêts divergents des époux, note sous CA Paris, 18 novembre 1997, Defrénois, 1998, art. 36884, pp. 1222-1231, spéc. p. 1225. V. aussi p. 1227 : "Il s'agit pour le juge de l'homologation d'établir une hiérarchie des intérêts en présence : savoir quels sont les inconvénients que recèle le changement de régime matrimonial par rapport aux avantages qu'il procure ; établir pour chaque membre de la famille un bilan " avantages-inconvénients " de la modification souhaitée". Dans le même sens, v. S. Fremeaux, L'avenir de l'homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, Defrénois, 2000, art. 37166, pp. 529-550, spéc. p. 535 ; J. Hauser, Le juge homologateur en droit de la famille, in Le conventionnel et le juridictionnel dans le règlement des différends, sous la direction de P. Ancel et M.-C. Rivier, coll. "Etudes juridiques", Paris, Economica, 2001, pp. 114-127, spéc. p. 121.
(21) CA Rennes, 16 décembre 2002, n° 02/00230.
(22) G. Champenois, La jurisprudence relative au changement de régime matrimonial fondé sur l'article 1397 du Code civil, in Le régime matrimonial à l'épreuve du temps et des séparations conjugales, sous la direction de J. Foyer et de C. Labrusse-Riou, Economica, 1986, p. 15 et s..
(23) S. Digard, L'appréciation de l'intérêt de la famille par les juges du fond lors de l'homologation de changement de régime matrimonial, JCP éd. N, 1990, I, p. 213, spéc. p. 214.
(24) C. Mouly, L'avis des enfants sur le changement de régime matrimonial de leurs parents, JCP éd. G, 1989, I, 3379.
(25) J.-P. Langlade-O'Sughrue, Pour la liberté totale de changer de régime matrimonial, JCP éd. N, 1992, I, p. 251.
(26) En ce sens, v. R. Nerson et J. Rubellin-Devichi, obs. sous CA Rouen, 3 février 1981, RTDCiv., 1982, p. 388 ; G. Champenois, obs. sous TGI Paris, 18 juin 1982, Defrénois, 1983, art. 33104.
(27) M. Beaubrun, Le nouvel article 1397 du Code civil : un texte transitoire ? (Réflexions autour de la déjudiciarisation du changement de régime matrimonial), Defrénois, 30 janvier 2007, n° 2, p. 95 et s., spéc. n° 11 : "Aux régimes matrimoniaux le soin d'organiser au cours de leur vie conjugale les relations patrimoniales des époux ; aux successions et aux libéralités la fonction de redistribuer dans le cercle des ayants droit la fortune acquise au décès de chacun d'entre eux".
(28) F. Dekeuwer-Defossez, Rénover le droit de la famille, La documentation française, 1998, p. 163.
(29) P. Lacoste, Le changement de régime matrimonial cause et communauté universelle, JCP éd. N, 1994, art. 3020, p. 391 : l'avis des enfants ne constitue qu'un "élément subjectif d'un contrôle objectif".
(30) Sur cette question, v. P. Callé, L'élévation du contentieux, Procédures, 2003, chron. 6 ; D. Le Ninivin, op. cit., n° 257 et s., p. 90 et s. ; J.-L. Bergel, Juridiction gracieuse et matière contentieuse, D., 1983, chron. p. 165, spéc. p. 166 ; G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, Paris, PUF, coll. Thémis droit privé, 3ème éd., 1996, n° 22, pp. 138-139 ; T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Paris, Montchrestien, coll. Domat droit privé, 3ème éd., 2006, n° 308, pp. 246-247.
(31) I. Balensi, L'homologation judiciaire des actes juridiques, RTDCiv. 1978, p. 42 et s., spéc. n° 20 et s., p. 53 et s. ; A.-M. Zaghloul, La juridiction gracieuse. Essai de contribution à l'étude de l'acte juridictionnel dans les droits français et égyptien, thèse Lyon, 1981, n° 365, p. 445 et s. ; A.V.M. Struycken, Quelques réflexions sur la juridiction gracieuse en droit international privé, Trav. Com. fr. dr. int. pr. 1986-1987, p. 105 et s., spéc. p. 107 ; A. Henry, De la nature et de la portée des décisions judiciaires en matière gracieuse, thèse Nancy, 1913, p. 99.
(32) Cette opinion minoritaire a néanmoins le mérite de souligner "l'unité substantielle" des phases gracieuse et contentieuse après l'élévation du contentieux : c'est la même instance qui se poursuit.
(33) A propos d'une procédure d'envoi en possession, v. Cass. civ. 1, 7 novembre 1979, RTDCiv. 1980, p. 164, obs. R. Perrot. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a opté pour une élévation du contentieux. Toutefois, cette solution est loin de faire l'unanimité en doctrine en raison de la nature controversée de l'envoi en possession, v. P. Callé, op. cit., n° 5, pp. 4-5.
(34) En ce sens, v. TGI Chaumont, 12 juillet 1969, JCP 1969, II, 16075 (2ème espèce).
(35) P. Callé, op. cit., n° 5, p. 4.
(36) C. proc. civ., art. 543 (N° Lexbase : L2793ADS).
(37) C. proc. civ., art. 952 (N° Lexbase : L4974GUR). Au cas où le juge refuserait de modifier ou rétracter sa décision, l'affaire est transmise au secrétariat-greffe de la Cour.
(38) C. proc. civ., art. 538 (N° Lexbase : L2789ADN). Ce délai est d'un mois en matière contentieuse.
(39) C. proc. civ., art. 950 (N° Lexbase : L3261AD7).
(40) Cass. civ. 1, 7 mars 1995, n° 94-04.030, Epoux Altare c/ Société UCB et autres (N° Lexbase : A4990ACS), Bull. civ. I, n° 118, p. 95 : "Mais attendu, d'une part, que lorsqu'il est saisi d'un recours formé par le débiteur contre la décision de la commission de surendettement déclarant irrecevable la demande de règlement amiable, le juge statue, sauf intervention des créanciers, en matière gracieuse, et peut se prononcer sans débats, conformément aux dispositions des articles 25 et 28 du Nouveau Code de procédure civile".V. Cass. civ. 1, 7 décembre 1961, Bull. civ. I, n° 586 (instance en rectification d'état civil).
(41) C. proc. civ., art. 66.
(42) V. Cass. civ. 1, 5 janvier 1999, n° 96-13882 (N° Lexbase : A1356CGC), D., 1999, IR, p. 34 (refus d'un père de consentir à l'adoption simple de son fils).
(43) Il y a mise en cause dans le cadre de l'article 332, alinéa 2, du Code de procédure civile, lorsque la personne dont le consentement est requis doit comparaître personnellement, v. Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 95-17.508 (N° Lexbase : A0607ACH), Procédures, 1998, comm. n° 31, obs. R. Perrot.
(44) C. proc. civ., art. 546, al. 2 (N° Lexbase : L2796ADW) ; Cass. civ. 1, 23 janvier 1996, n° 93-20.553, Mme Eliane Joly c/ Mme Janine Joly (N° Lexbase : A9461ABZ), Defrénois, 1996, p. 815, obs. G. Champenois ; Cass. civ. 2, 30 juin 1993, n° 91-20.381, Mme Cailliau c/ Directeur des services fiscaux du Nord et autres (N° Lexbase : A5909ABH), Bull. civ. II, n° 240, p. 130, JCP éd. G, 1994, II, 22246, note D. Le Ninivin. Mais la notification aux enfants communs est rare en pratique, v. Cass. civ. 1, 22 juin 1999, n° 97-15.123, Mme Monique Roumillac, épouse Molinier c/ M. Daniel Roumillac et autres, inédit (N° Lexbase : A7088CY8), Dr. fam., 1999, n° 101, obs. B. Beigner.
(45) C. proc. civ., art. 583, al. 3 (N° Lexbase : L2833ADB).
(46) Cass. civ. 1, 9 juillet 1991, n° 90-11.685, Mme Janine X c/ Consorts X (N° Lexbase : A5109AHP), JCP éd. G, 1992, II, 205, note G. Wierderkehr : "Les dispositions de l'article 1397, dernier alinéa, qui assurent une protection spéciale aux seuls créanciers au cas de changement de régime matrimonial de leur débiteur, n'autorisent pas les enfants des époux à former tierce opposition au jugement d'homologation". Toutefois, notons que la loi du 23 juin 2006 a supprimé la possibilité pour les créanciers de former une tierce opposition contre le changement de régime matrimonial. Ils disposent désormais soit d'un droit d'opposition dans les trois mois suivant la publication de la demande des époux, soit, en cas de fraude à leurs droits, de l'action paulienne de l'article 1167 du Code civil (N° Lexbase : L1269ABM).
(47) CA Nîmes, 28 janvier 1993, JCP éd. G, 1994, I, 3733, n° 9, obs. G. Wierderkehr. Les juges du fond sont même allés jusqu'à déclarer recevable l'appel gracieux malgré l'absence de notification, ce qui est pour le moins contestable, v. CA Pau, 21 septembre 1993, JCP éd. G, 1995, I, 3821, n° 10, obs. G. Wierderkehr.
(48) Cass. civ. 1, 14 janvier 1997, n° 94-20.276, Consorts Jacobet de Nombel c/ M. Philippe Jacobet de Nombel (N° Lexbase : A0091ACD), RTDCiv., 1997, p. 985, obs. B. Vareille. Pour une critique de cette jurisprudence, v. F. Niboyet, L'ordre public matrimonial, Préface J. Revel, Bibliothèque de droit privé, tome 494, Litec, 2008, n° 640-642, pp. 321-323 ; Cass. civ. 1, 25 juin 2002, n° 00-15.119, M. Jacques Bapts c/ M. Eugène Bapst, F-D (N° Lexbase : A0161AZY), JCP éd. G, 2003, III, obs. G. Wierderkehr (dissimulation au juge de l'existence d'un enfant naturel).
(49) C. proc. civ., art. 593 ; Cass. civ. 1, 5 janvier 1999, n° 96-22.914, Coriat (N° Lexbase : A1362CGK), JCP éd. G, 1999, II, 10094, note J. Casey.
(50) Il en est ainsi, par exemple, de l'enfant de l'époux prédécédé qui, issu d'une précédente union, est adopté par le conjoint survivant. V. Cass. civ. 1, 7 juin 2006, n° 03-14.884, Mme Odile Ruppe-Rolland, veuve Lancenet, FS-P+B (N° Lexbase : A8386DPB), RTDCiv. 2006, p. 810, obs. M. Grimaldi ; CA Orléans, 29 avril 2002, JCP éd. G, 2003, I, p. 111, n° 16, obs. Tisserand. Contra CA Paris, 10 juillet 1985, JCP éd. G, 1988, II, 21134, note Ph. Simler ; CA Paris, 5 novembre 1992, RTDCiv., 1993, p. 869, obs. F. Lucet et B. Vareille.
(51) Cass. civ. 1, 27 mars 2007, n° 05-14.910, M. Maurice Droz-Vincent, FS-P+B (N° Lexbase : A7929DU9), note N. Baillon-Wirtz, Communauté universelle avec clause d'attribution intégrale des acquêts au conjoint survivant et exercice de l'action en retranchement, Lexbase Hebdo n° 258 du 3 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N9087BAS) ; Cass. civ. 1, 22 juin 2004, n° 02-10.528, M. Jacques Fresco c/ M. Jean-François Sauvage, FS-D (N° Lexbase : A7972DCA), JCP éd. G, 2004, I, 176, n° 11, obs. G. Wiederkehr.
(52) Cass. civ. 1, 29 janvier 2002, n° 99-21.134, Mlle Virginie Rolland c/ Mme Micheline Fourtier, FS-P (N° Lexbase : A8624AXP), RTDCiv., 2002, p. 278, obs. J. Hauser ; contra Cass. civ. 1, 8 juin 1982, n° 81-13.877, Epoux B., publié (N° Lexbase : A6187CGA), D., 1983, p. 19, note M. Beaubrun ; JCP éd. G, 1983, II, 20018, note M. Henry.
(53) C. civ., art. 1397, alinéa 3 (N° Lexbase : L9251HWK). Le délai commence à courir dès la réception de la notification du changement, v. C. proc. civ., art. 1300 (N° Lexbase : L3957HWH), issu de l'arrêté du 23 décembre 2006 fixant le modèle de l'information délivrée aux enfants des époux et aux tiers, dans le cadre d'une procédure de changement de régime matrimonial.
(54) Sur l'exigence d'une opposition motivée, v. R. Cabrillac, Les régimes matrimoniaux, Montchrestien, 6ème éd., 2007, n° 126-2, p. 105. Sur la situation des enfants majeurs incapables, v. J. Hauser et J.-M. Plazy, Changement de régime matrimonial et enfant majeur hors d'état de manifester sa volonté, Defrénois, 2007, art. 388591, p. 733. Après avoir dénoncé le silence des réformes successives de l'article 1397 du Code civil sur ce point, les auteurs proposent une systématisation de l'homologation judiciaire comme pour le cas où il existe un ou des enfants mineurs.
(55) Le contrôle judiciaire n'est obligatoire qu'en présence d'enfants mineurs, v. C. civ., art. 1397, al. 5.
(56) B. Gelot et R. Crône, La nouvelle procédure de changement de régime matrimonial issue de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions, Defrénois, 2006, art. 38483, p. 1739, n° 9.
(57) A. Rieg, Ph. Rieg et F. Lotz, Techniques des régimes matrimoniaux, Litec, 3ème éd., 1993, n° 415.
(58) Cass. civ. 1, 14 juin 2005, n° 02-20.840, Mme Jacqueline Feret c/ Mme Albine Conte, épouse Feret, FS-P+B (N° Lexbase : A7991DIS), Defrénois, 2005, art. 38244, p. 1511, obs. G. Champenois.
(59) La fermeture de la tierce opposition aux héritiers ne se justifie plus guère après la réforme du 23 juin 2006. Celle-ci rend obsolète la jurisprudence de la Cour de cassation qui, fidèle à la lettre de l'ancien article 1397 du Code civil, réservait cette voie de recours extraordinaire aux seuls créanciers des époux. V. G. Cornu, Les régimes matrimoniaux, PUF, Thémis, 9ème éd., 1997, p. 213.
(60) F. Niboyet, thèse précitée, n° 631, p. 318 : "A un ordre public de protection direct et systématique vient se substituer un ordre public de protection indirect et volontaire".
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Réf. : Cass. crim., 6 mai 2008, n° 06-82.366, Da Silva Stéphane, partie civile, FS-P+F (N° Lexbase : A7833D8M)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Même lorsqu'il est conclu dans les secteurs dans lesquels il est d'usage de ne pas recourir à un contrat de travail à durée indéterminée, le contrat de travail à durée déterminée ne peut avoir d'autre objet que de pourvoir à un emploi représentant, par nature, un caractère temporaire. |
Commentaire
I - Un contrat sous haute surveillance
Le contrat de travail à durée déterminée constitue une exception au contrat de travail à durée indéterminée, qui reste donc le principe. A ce titre, il ne peut y être recouru que dans les cas et aux conditions expressément prévues par le législateur.
Le principe veut que le contrat de travail à durée déterminée ne puisse être conclu pour pourvoir à un emploi durable de l'entreprise. L'article L. 1242-1 du Code du travail prévoit, à cet effet, que le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Le second alinéa de ce texte le complète et prévoit que le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et, seulement, dans les cas prévus par l'article L. 1242-2 du Code du travail .
Le législateur énumère limitativement les hypothèses dans lesquelles il est possible de recourir au contrat de travail à durée déterminée (C. trav., art. L. 1242-2, art. L. 122-1-1, anc.). Ainsi, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour le remplacement d'un salarié absent ou dont le contrat est suspendu ; en cas d'accroissement temporaire d'activité ; pour les emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ; en remplacement d'un chef d'entreprise artisanale, industrielle ou commerciale ; ou, enfin, en remplacement d'un chef d'exploitation agricole. Un écrit contenant certaines prescriptions est, en outre, obligatoire.
Le recours au contrat de travail à durée déterminée en violation de ces dispositions est civilement (C. trav., art. L. 1245-1, art. 122-1, anc. et art. L. 1245-2, art. 122-1-1, anc.) et pénalement sanctionné .
Ce sont les articles L. 1248-1 et suivants du Code du travail (art. L. 152-1-4, anc.) qui prévoient les sanctions pénales risquées par l'employeur ayant recouru au contrat de travail à durée déterminée en dehors des cas limitativement prévus, sans terme précis, renouvelé plus d'une fois ou portant la durée totale au-delà du maximum, renouvelé sans que les conditions de renouvellement ait été précisées dans le contrat, sans écrit, pour pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise...
L'employeur contrevenant encourt, ainsi, une amende de 3 750 euros, portée à 7 500 euros en cas de récidive et/ou un emprisonnement de 6 mois.
C'est l'obligation, pour les juges, de rechercher si le ou les contrats de travail à durée déterminée d'usage étai(en)t destiné(s) à pourvoir à un emploi permanent de l'entreprise et de sanctionner l'employeur, le cas échéant, qu'affirme la Chambre criminelle de la Cour de cassation aux juges du fonds dans la décision commentée.
Dans cette espèce, plusieurs salariés avaient été recrutés par une entreprise de déménagement par plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs. A la suite d'un contrôle effectué par l'inspection du travail, le directeur avait été cité devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article L. 1245-2 du Code du travail (art. L. 152-1-4, anc.).
Les juges du second degré avaient reconnu l'employeur non coupable, considérant que l'activité de l'entreprise était l'une de celle pour lesquels il est d'usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée.
Si cette affirmation n'est pas contredite par la Haute juridiction, la décision est, néanmoins, cassée. La Cour reproche aux juges du fonds de ne pas avoir précisé en quoi ces contrats de travail présentaient un caractère temporaire, soulignant que ces derniers avaient relevé que les contrats conclus avec les divers salariés avaient pour objet de pourvoir durablement des emplois liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise. Au visa des articles L. 122-1 (art. 1245-1, recod.), L. 122-1-1 (art. L. 1245-2, recod.) et D. 121-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8259ADA, art. D. 1242-1, recod.), elle affirme que, même lorsqu'il est conclu dans l'un des secteurs d'activité visé par ces textes, au nombre desquels figure le déménagement, le contrat de travail à durée déterminée d'usage ne peut avoir d'autre objet que de pourvoir à un emploi présentant, par nature, un caractère temporaire.
Cette cassation doit être approuvée. Une solution différente, bien que conforme à la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, aurait été contraire au principe entourant la conclusion du contrat de travail à durée déterminée.
II - Une source d'inégalité
Comme nous l'avons dit, le recours au contrat de travail à durée déterminée d'usage n'est possible que dans certains secteurs d'activité où il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Ces secteurs sont définis par décret, par voie de convention ou d'accord collectif étendu.
Le contrat de travail à durée déterminée d'usage bénéficie d'un régime particulier. Il est, en effet, admis que, dans ces secteurs où il est d'usage constant de ne pas recourir au CDI, plusieurs contrats successifs peuvent être conclus (C. trav., art. L. 122-3-19, alinéa 2 N° Lexbase : L2919AWZ, non repris dans le nouveau Code), ces contrats d'usage pouvant, en outre, être conclus pour une longue durée et n'étant pas soumis à la durée maximale de 18 mois (Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 95-43.101, Société Nice Matin c/ Mme Vaché Irjud N° Lexbase : A1155AAZ, Bull. civ. V, n° 336).
Depuis 2003, le contrat de travail à durée déterminée d'usage déroge, également, à l'impératif de nature temporaire de l'emploi pourvu. En effet, après avoir, pendant longtemps, considéré que le juge devait rechercher, pour le contrat de travail à durée déterminée d'usage, si l'emploi occupé par le salarié n'était pas lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la Chambre sociale de la Cour de cassation a opéré un revirement. Désormais, l'office du juge est seulement de rechercher si, pour l'emploi concerné, et sauf si une convention collective prévoit, en ce cas, le recours au contrat de travail à durée indéterminée, il est effectivement d'usage constant de ne pas recourir à un tel contrat (Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-44.263, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2401DA8 et les obs. de G. Auzero, Demande de requalification de contrats à durée déterminée d'usage : précisions quant à l'office du juge, Lexbase Hebdo n° 97 du 4 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9618AAH).
Exit donc, pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, la recherche du caractère temporaire de l'emploi concerné. C'est, précisément, cette recherche que la Chambre criminelle reproche aux juges du fonds de ne pas avoir effectuée.
Les difficultés, tant théoriques que pratiques, soulevées par cette divergence entre les deux chambres risquent d'être nombreuses. Cette divergence est, en outre, et surtout, source d'inégalité entre les salariés, selon que leur litige sera porté devant la Chambre sociale ou devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation.
La solution rendue par la Chambre criminelle semble, cependant, être celle qui répond le mieux, tant à la lettre qu'à l'esprit, des dispositions applicables au contrat de travail à durée déterminée.
L'article L. 1242-1 du Code du travail (art. L. 122-1, anc.) se situe en tête du chapitre II (Titre IV, Livre II, Partie I), relatif à la conclusion et l'exécution du contrat de travail à durée déterminée. Il figure dans une sous-section 1 (cas de recours) à la section 1 de ce chapitre, consacrée aux conditions de recours (au contrat de travail à durée déterminée).
Cette place emporte son application générale à toutes les hypothèses de recours au contrat de travail à durée déterminée énumérées par l'article L. 1242-2 du Code du travail (art. L. 122-1-1, anc.), qu'il s'agisse de remplacement, d'accroissement temporaire d'activité, de contrats saisonniers ou d'usage....
Son contenu ne vient, en outre, pas contredire cette affirmation, car aucune exception n'est prévue, que ce soit directement ou indirectement, par ce texte ou par une autre disposition applicable au contrat de travail à durée déterminée.
Les exceptions étant d'interprétation stricte, quel que soit le motif de recours au contrat de travail à durée déterminée, il faut donc impérativement qu'il soit conclu pour pourvoir à un emploi par nature temporaire et que la recherche du caractère temporaire de cet emploi soit effectuée par les juges du fonds.
Cette position se trouve corroborée par la nouvelle rédaction de l'article L. 122-1-1 du Code du travail. L'article L. 1242-2 modifie, en effet, quelque peu la rédaction antérieure de l'article L. 122-1-1.
Avant d'énumérer les cas de recours autorisés au contrat de travail à durée déterminée, le législateur rappelle le caractère impératif du caractère temporaire de l'emploi. L'article L. 1242-2 du Code du travail dispose, désormais, que, "un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les cas suivants", vient, ensuite, l'énumération.
Les choses sont donc, désormais, claires et sans appel, le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, doit être conclu pour pourvoir à un emploi par nature temporaire. Il reste à attendre la décision de la Chambre sociale, laquelle, vu la rédaction nouvellement adoptée, n'aura que peu de marge de manoeuvre en la matière, et ne pourra que se rallier à la position de la Chambre criminelle.
Décision
Cass. crim., 6 mai 2008, n° 06-82.366, Da Silva Stéphane, partie civile, FS-P+F (N° Lexbase : A7833D8M) Cassation de CA Riom, 1er mars 2006 Mots clefs : contrat de travail à durée déterminée ; contrat d'usage ; secteurs visés ; emploi temporaire ; obligation pour le juge de rechercher si l'emploi est par nature temporaire. Liens Base : et |
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Le 07 Octobre 2010
I - Contrat
Faits :
La société Espace télécommunication équipement ("ETE") a conclu en 1998 et 1999, avec la société Cellcorp, mandataire de la Société française de radiotéléphone ("SFR"), six contrats de franchise pour une durée initiale de deux ans renouvelables tacitement par période d'un an, sauf dénonciation moyennant un préavis de trois mois. Les contrats prévoyaient, d'une part, une rémunération forfaitaire fixe calculée sur la base du nombre d'abonnements souscrits dans le point de vente et, d'autre part, une rémunération variable calculée à partir du chiffre d'affaires généré par SFR sur les abonnements souscrits via la société ETE.
Une clause de non-concurrence était, par ailleurs, insérée dans chaque contrat, clause interdisant à la société ETE d'exécuter des prestations identiques à celles visées par le contrat pendant une durée de douze mois à compter de la résiliation dudit contrat.
Après tacite reconduction des six contrats de franchise jusqu'en 2003, SFR a dénoncé cinq des six contrats en raison du non-respect des quotas fixés par la société ETE. Pour le sixième contrat, SFR a, par la suite, notifié sans préavis sa résiliation sans autre justification.
Dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société ETE, le liquidateur judiciaire a entamé une action en justice à l'encontre de SFR pour abus du droit de rupture du contrat et indemnisation du préjudice y relatif. Le liquidateur demandait, notamment, l'indemnisation du préjudice subi par la société ETE en raison du manquement de SFR à son devoir d'information selon l'article L. 330-3 du Code du commerce (N° Lexbase : L8526AIM) et pour la perte de la clientèle propre résultant de l'application de la clause de non-concurrence interdisant à la société ETE d'exécuter des prestations identiques à celles visées par le contrat pendant une durée de douze mois à compter de la résiliation dudit contrat.
Par un arrêt du 26 janvier 2005, la cour d'appel de Paris a débouté le liquidateur de la société ETE de l'intégralité de ses demandes (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 janvier 2005, n° 04/21945 N° Lexbase : A5806DG7).
ETE forma, dès lors, un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
En premier lieu, ETE reprochait à la cour d'appel, sur le fondement des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) du Code civil, de ne pas avoir condamné la société SFR du fait de son comportement fautif. En effet, celle-ci aurait fait preuve de mauvaise foi caractérisée dans l'exécution des contrats en ouvrant des points de vente proches de ceux de la société ETE et en ayant interdit à la société ETE d'exercer son activité avec d'autres opérateurs après la rupture des relations contractuelles, en application de la clause de non-concurrence stipulée dans les contrats.
ETE reprochait également à la cour d'appel d'avoir considéré que SFR avait rempli son obligation d'information conformément à l'article L. 330-3 du Code de commerce sans démontrer l'absence de vice du consentement de ETE lors du renouvellement des contrats de franchise.
Enfin, ETE reprochait à la cour d'appel, sur le fondement de l'article 1371 du Code civil (N° Lexbase : L1477ABC), de ne pas avoir condamné SFR au paiement de dommages et intérêts pour le préjudice subi en raison de la perte de clientèle propre alors que cette perte résultait directement de l'application de la clause de non-concurrence interdisant à ETE de poursuivre toute activité similaire avec d'autres opérateurs.
Décision :
Dans son arrêt du 9 octobre 2007, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2005.
La Cour de cassation rejette le premier moyen de la société ETE aux motifs que SFR n'avait pas l'obligation de garantir l'exclusivité à la société ETE et pouvait de ce fait ouvrir des points de vente proches de la société ETE, et que la clause de non concurrence n'interdisait pas à la société ETE de "continuer son activité avec d'autres opérateurs après la rupture des relations".
Par ailleurs, la Cour de cassation casse et annule l'arrêt d'appel sur le fondement de l'article L. 330-3 du Code de commerce au motif que la cour n'a pas recherché si, lors du renouvellement des contrats de franchise, le consentement de ETE avait été vicié en raison du manquement de SFR à son obligation d'information.
Enfin, la Cour de cassation admet qu'un franchisé puisse se prévaloir d'une clientèle propre et considère, en l'espèce, que la cour d'appel a violé l'article 1371 du Code civil puisque la rupture du contrat par SFR avait entraîné la perte de la clientèle propre à ETE.
La cour d'appel n'ayant pas procédé à l'évaluation du préjudice subi du fait de cette perte de clientèle propre, la Haute juridiction a, dès lors, renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
Par conséquent, la Cour de cassation casse et annule l'arrêt, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes d'indemnisation formulées par ETE sur le fondement du manquement de SFR a son obligation d'information, et sur la perte de clientèle à raison de la dénonciation des contrats.
Commentaire :
L'apport essentiel de cet arrêt réside dans le fait que la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme explicitement la possibilité pour un franchisé d'être titulaire d'une clientèle propre.
Par cette assertion, la Cour reconnaît le principe d'une indemnisation pour le préjudice subi en raison de la perte de cette clientèle propre, ladite perte étant la conséquence de la rupture des contrats du fait du franchiseur.
Le fondement de l'article 1371 du Code civil retenu par la Cour de cassation pour faire droit à la demande d'indemnisation est, en l'espèce, original. En effet, l'article 1371 du Code civil concerne les quasi-contrats, catégorie dont fait partie l'enrichissement sans cause qui consiste à donner droit à une indemnisation en présence d'un mouvement de valeur, sans cause réelle, au détriment d'une partie et au bénéfice d'une autre.
II - Internet
Faits :
Première décision :
Mr. Jean-Yves L. est un auteur interprète de sketches humoristiques pour la télévision et la radio. Il a co-produit et/ou co-réalisé un certain nombre d'oeuvres avec des sociétés de production et/ou des personnes indépendantes, oeuvres parues sous forme de CD et/ou de DVD.
La SA Dailymotion se présente comme le premier site français de partage de vidéos sur internet. Elle héberge les pages personnelles des utilisateurs et permet aux internautes de mettre en ligne des vidéos, de les visionner et de les télécharger sur le site www.dailymotion.com.
S'apercevant que certains de ces sketches étaient proposés sur le site de Dailymotion, M. L. a, le 9 octobre 2006, mis en demeure cette dernière de cesser l'exploitation dite contrefaisante de ces oeuvres. Dailymotion a répondu alors, le 16 octobre 2006, que les vidéos litigieuses, qui avaient pu être identifiées, avaient été retirées.
Face au maintien de ces sketches sur le site, M. L. et les autres demandeurs ont assigné la société, le 18 décembre 2006, aux fins de voir constater le caractère contrefaisant des contenus hébergés sur le site www.dailymotion.com dans la mesure où ce site permettait l'accès aux sketches, sans leur autorisation en qualité d'auteur et d'ayant droits.
Par une première décision du 18 décembre 2007, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté l'action de l'ensemble des demandeurs au motif qu'ils ne justifiaient pas de leurs droits sur les oeuvres (TGI Paris, 18 décembre 2007, n° RG 06/18289 N° Lexbase : A2598D3M).
Les 28 décembre 2007, 10 et 11 janvier 2008, les mêmes demandeurs ont fait dresser plusieurs constats, dont certains par un agent de l'Agence pour la protection des programmes, établissant à nouveau la présence des sketches litigieux sur le site de Dailymotion.
Le 22 janvier 2008, M. L. et les autres demandeurs assignaient à nouveau Dailymotion, en sa qualité d'éditrice du site au sens de l'article 6-3-1° de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) (loi n° 2004-475 N° Lexbase : L2600DZC), pour actes de contrefaçon, mais surtout pour atteinte à leur droit à l'image et à leur droit au respect de leurs noms et qualités.
Seconde décision :
MM. Omar S. et Fred T. forment un duo de comédiens comiques à la télévision et sur scène et sont auteurs interprètes de programmes courts écrits en collaboration avec Bertrand D., et diffusés sur la chaîne de télévision Canal+ dans le cadre de l'émission "Le grand journal".
Les meilleurs moments de ces programmes courts, ainsi qu'un spectacle des deux comédiens, spectacle produit par les sociétés Korokoro et Cocojet, sont parus sous format DVD.
S'apercevant de la mise en ligne sans leur autorisation sur le site www.dailymotion.com de vidéos reproduisant une partie de leurs oeuvres, MM. Omar S. et Fred T. ont adressé à Dailymotion une mise en demeure de cesser l'exploitation contrefaisante de leurs oeuvres.
Renouvelant leur mise en demeure, le 16 janvier 2008, par l'envoi d'un projet d'assignation en référé, MM. Omar S. et Fred T. ont fait procéder, en date du 24 janvier 2008, à un constat par un agent de l'Agence pour la protection des programmes.
Le 28 janvier 2008, MM. Omar S. et Fred T., et les autres demandeurs, ont ensuite assigné Dailymotion pour acte de contrefaçon de leurs oeuvres et en indemnisation du préjudice subi de ce fait.
Dans ces deux affaires, les demandeurs respectifs recherchaient la responsabilité civile de Dailymotion en sa qualité d'éditeur du site www.dailymotioncom et non en sa qualité de prestataire d'hébergement de contenus, qualification lui permettant de bénéficier du régime de responsabilité limitée prévu par la LCEN.
Pour prouver que Dailymotion agissait en qualité d'éditeur et non d'hébergeur de contenus, les demandeurs faisaient, notamment, valoir que celle-ci avait sélectionné la taille des fichiers, en avait modifié le contenu par réencodage, et avait fait des choix éditoriaux en imposant une certaine architecture au site et en percevant directement des revenus publicitaires au titre des publicités publiées sur le site.
Pour sa défense, Dailymotion invoquait son unique qualité d'hébergeur en vertu de laquelle elle ne pouvait être considérée comme responsable de contenus manifestement illicites mis en ligne, faute d'en avoir été dûment informée dans le respect de la procédure de notification faite dans les formes prescrites par l'article 6-I-5 de la LCEN.
Décision :
Le tribunal de grande instance de Paris (le "TGI") a, dans les deux jugements du 15 avril 2008, considéré que Daily Motion avait la qualité d'hébergeur au sens de la LCEN et non d'éditeur.
Après un rappel des définitions d'éditeur et d'hébergeur de contenus au sens de la LCEN, le TGI réfute de manière détaillée, et dans les termes suivants, chaque argument soulevé par les demandeurs pour qualifier Dailymotion d'éditeur : "Il n'est pas contesté que la société Dailymotion a créé un site à l'adresse www.dailymotion.com qui offre aux internautes un service de mise en ligne de leurs vidéos postées par eux-mêmes ; que les internautes choisissent de partager largement ou de façon restreinte leurs vidéos. [...] La limite imposée par la société Dailymotion quant à la taille des fichiers acceptés est une contrainte technique et n'implique aucun regard sur le contenu du fichier posté mais seulement une limite à ce que le serveur peut intégrer. Le réencodage opéré par la société Dailymotion pour rendre compatible les fichiers postés est également une opération purement technique qui ne demande aucun choix quant au contenu de la vidéo postée. Au regard de la LCEN ne constitue un choix éditorial que le choix des contenus des fichiers mis en ligne. [...]".
Par ailleurs, le TGI précise qu'au regard des dispositions de la LCEN, "le fait de structurer les fichiers mis à la disposition du public selon un classement choisi par le seul créateur du site ne donne pas à ce dernier la qualité d'éditeur tant qu'il ne détermine pas les contenus des fichiers mis en ligne".
Enfin, quant à l'argument tiré de la commercialisation d'espaces publicitaires, le TGI considère que cela "ne permet pas davantage de qualifier la société Dailymotion d'éditeur de contenu dès lors que rien dans le texte de loi n'interdit à un hébergeur de tirer profit de son site en vendant des espaces publicitaires tant que les partenariats auxquels il consent, ne déterminent pas le contenu des fichiers postés par les internautes".
En conséquence et, en vertu de la qualité d'hébergeur de contenus reconnue à Dailymotion, le TGI :
- considère que les droits moraux de M. L. ont été violés par Dailymotion et condamne cette dernière à lui payer la somme de 5 000 euros pour n'avoir pas retiré promptement les contenus litigieux, et pour n'avoir pas mis en oeuvre les moyens nécessaires pour empêcher toute remise en ligne desdits contenus ;
- déboute les demandeurs de l'intégralité de leurs demandes. En effet, le TGI considère que si Dailymotion a bien commis des actes de contrefaçon, sa responsabilité doit être écartée dans la mesure où les demandeurs ne rapportent pas la preuve que cette dernière n'a pas agi promptement pour retirer les contenus litigieux après avoir reçu une notification conforme du caractère manifestement illicite de ces fichiers, notification que seule l'assignation du 28 janvier constituait en l'espèce, rendant ainsi sans valeur les constats antérieurs à cette date.
Commentaire :
Par ces deux décisions, le TGI ne se contente pas de rejeter la qualification d'éditeur de Dailymotion, fournisseur reconnu d'une plate-forme de partage de vidéos, il fournit également une grille de lecture des différents arguments traditionnellement soulevés par les demandeurs à l'encontre de prestataires, tels que Dailymotion, permettant à des internautes de partager des contenus musicaux ou vidéos sur internet.
Les juridictions françaises ont déjà eu, à plusieurs reprises, l'occasion de se prononcer sur le statut juridique à donner aux plates-formes de partage de vidéos, comme par exemple dans la célèbre affaire "Joyeux Noël" dans laquelle le juge français avait déjà, pour Dailymotion, écarté le statut d'éditeur au profit de celui d'hébergeur (TGI Paris, 13 juillet 2007, Christian C, Nord-Ouest Production c/ SA Daily Motion, SA UGC Images N° Lexbase : A5139DXM et nos obs., Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Juillet 2007, Lexbase Hebdo n° 272 du 20 septembre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N2734BCA).
Si certains critères, comme celui tenant au rôle d'organisation de l'architecture du site, ont été clairement exclus comme élément insuffisant pour attribuer la qualité d'éditeur (TGI de Paris, 3ème ch., 19 octobre 2007, Société Zadig Productions c/ Société Google Inc. et AFA N° Lexbase : A5562DZZ et nos obs., Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Novembre 2007, Lexbase Hebdo n° 285 du 13 décembre 2007 - édition privée générale N° Lexbase : N3876BDW), tel n'est pas le cas pour tous les arguments soulevés lors d'affaires similaires. En effet, le critère s'appuyant sur les revenus commerciaux tirés de la publicité était encore récemment considéré comme permettant d'attribuer la qualité d'éditeur à un prestataire permettant aux internautes de partager des contenus sur un site internet (TGI Paris, 22 juin 2007, n° RG 07/55081, Monsieur Jean-Yves L. c/ Société Myspace INC N° Lexbase : A5140DXN).
Si la qualité d'éditeur apparaît difficile à établir au regard de ces récentes décisions, la situation n'est pas encore fermement établie comme l'atteste la récente décision du TGI de Troyes du 4 juin 2008 (TGI Troyes, 4 juin 2008, n° RG 06/02604, Société Hermès c/ Madame Cindy F. et SA Ebay France N° Lexbase : A0327D9Y) qui a retenu la responsabilité de la société Ebay, en sa qualité d'éditeur de services, dans la vente, par l'un de ses membres, de produits contrefaisants. Néanmoins, les juges tendent parallèlement à renforcer les obligations mises à la charge des hébergeurs dans la lutte contre la mise en ligne de contenus contrefaisants en leur imposant notamment l'obligation d'agir "promptement" lors d'une première notification d'un ayant droit (T. com., Paris, 8ème ch., 20 février 2008, Flach Film et autres c/ Google France, Google Inc. et nos obs., Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Avril 2008, Lexbase Hebdo n° 304 du 15 mai 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N8980BEC) et de surveiller toute remise en ligne des contenus ainsi notifiés.
III - Propriété intellectuelle
Texte :
La commission prévue à l'article L. 311-5 du Code la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2860HPM) relative à la rémunération pour copie privée (la "Commission Albis") a entrepris un examen des fonctionnalités, des caractéristiques techniques et des pratiques de copie privée concernant les téléphones dits "multimédia" permettant le stockage aux fins de copie privée d'oeuvres protégées.
A la suite de la réunion du 11 décembre 2007 et à l'audition des professionnels du secteur de la téléphonie mobile le 22 janvier 2008, la "Commission Albis" a considéré que les appareils visés étaient utilisés dans des conditions analogues aux appareils et baladeurs dont les capacités de stockage sont dédiées soit uniquement à la lecture d'oeuvres protégées, soit à l'enregistrement numérique et à la lecture de telles oeuvres audios et vidéos.
C'est dans ces conditions que la "Commission Albis" a considéré qu'elle se devait de fixer une rémunération applicable aux dits appareils de téléphonie mobile afin de protéger les droits des ayants droits sur les oeuvres protégées.
Sont ainsi éligibles à la rémunération due au titre de la copie privée, "tout appareil mobile combinant une fonction téléphone et une fonction baladeur, et comportant" :
- une mémoire d'une capacité supérieure à 128 Mo ;
- la possibilité de restituer des contenus audios et/ou vidéos ;
- des fonctionnalités propres à un baladeur, notamment un outil spécifique de gestion et de transfert de ces contenus ainsi qu'une ou plusieurs touches dédiées à la fonction baladeur de l'appareil.
Le montant de la rémunération unitaire fait l'objet d'une répartition en fonction d'une part de la capacité unitaire sur les mémoires et disques durs intégrés à l'appareil mobile concerné, et d'autre part aux fonctionnalités de celui-ci.
Pour un appareil de téléphonie mobile répondant aux critères susmentionnés et ne possédant qu'une fonction de lecture audio, la rémunération varie ainsi entre 1 euro pour une capacité de 128 Mo et 20 euros pour une capacité de 20 à 40 Go.
Pour un appareil de téléphonie mobile répondant aux critères susmentionnés et possédant une fonction de lecture et d'enregistrement numérique audio et/ou vidéo, la rémunération varie entre 5 euros pour une capacité jusqu'à 1 Go et 50 euros pour une capacité entre 400 et 560 Go.
Barème (en euros) | Par tranche de capacité nominale d'enregistrement | Barème (en euros) | Par tranche de capacité nominale d'enregistrement |
1 | Pour 128 Mo. | 5 | Jusqu'à 1 Go. |
2 | Au-delà de 128 Mo jusqu'à 256 Mo. | 6 | Au-delà de 5 Go jusqu'à 10 Go. |
3 | Au-delà de 256 Mo jusqu'à 384 Mo. | 7 | Au-delà de 10 Go jusqu'à 20 Go. |
4 | Au-delà de 384 Mo jusqu'à 512 Mo. | 8 | Au-delà de 20 Go jusqu'à 40 Go. |
5 | Au-delà de 512 Mo jusqu'à 1 Go. | 10 | Au-delà de 40 Go jusqu'à 80 Go. |
8 | Au-delà de 1 Go jusqu'à 5 Go. | 15 | Au-delà de 80 Go jusqu'à 120 Go. |
10 | Au-delà de 5 Go jusqu'à 10 Go. | 20 | Au-delà de 120 Go jusqu'à 160 Go. |
12 | Au-delà de 10 Go jusqu'à 15 Go. | 25 | Au-delà de 160 Go jusqu'à 250 Go. |
15 | Au-delà de 15 Go jusqu'à 20 Go. | 35 | Au-delà de 250 Go jusqu'à 400 Go. |
20 | Au-delà de 20 Go jusqu'à 40 Go. | 45 | Au-delà de 400 Go jusqu'à 560 Go. |
50 | Au-delà de 10 Go jusqu'à 20 Go. |
Commentaire :
Avec la publication de la décision n° 10 du 27 février 2008, sont désormais frappés de la redevance pour copie privée les téléphones mobiles dotés d'une capacité de mémoire supérieure à 128 Mo, capables de restituer des contenus audios et/ou vidéos, et dotés de caractéristiques physiques ou logicielles spécifiques à ces fonctionnalités de lecture.
La rémunération pour copie privée constitue, en vertu du droit français et de la Directive 2001/29 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (Directive du 22 mai 2001 N° Lexbase : L8089AU7), la compensation équitable accordée aux créateurs pour le manque à gagner résultant de l'exception pour usage privé instituée au bénéfice de tout consommateur.
Cette décision est entrée en vigueur le 1er mai 2008. C'est une décision provisoire applicable jusqu'à l'entrée en vigueur du barème définitif qui devrait être déterminé au plus tard le 31 décembre 2008. En conséquence, cette décision est applicable aux appareils mis en circulation en France jusqu'au 31 décembre 2008.
Néanmoins, l'avenir de cette décision, dont le vote avait connu d'importantes difficultés avec le départ de la table des discussions, le 22 janvier dernier, des différentes organisations professionnelles du secteur, est fortement remis en question à la suite de la saisie du Conseil d'Etat en annulation de plusieurs décisions similaires de la "Commission Albis" dont, notamment, cette décision.
Les organisations professionnelles du secteur et tout particulièrement le Simavelec (Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques) représentant les intérêts des fabricants d'électronique grand public en France, loin de contester le principe de la rémunération pour copie privée, demandent au Conseil d'Etat l'annulation de ces décisions contestant tout particulièrement le mode de fixation des barèmes de ces rémunérations.
Selon certaines sources proches de la Commission, le commissaire du Gouvernement, sans remettre en question la constitutionnalité de la rémunération, s'est prononcé en faveur de l'annulation de la décision n° 7.
L'arrêt du Conseil d'Etat est attendu pour la fin du mois de juin. En cas d'annulation de cette décision, la "Commission Albis" aura un délai de six mois pour revoir l'ensemble des barèmes applicables.
Cette affaire intervient parallèlement à la consultation sur la copie privée lancée par le Commissaire au marché intérieur de la Commission européenne pour tenter d'harmoniser les systèmes de redevance pour copie privée. Dans ce cadre, et alors que la France répondait en réaffirmant l'efficacité de la "Commission Albis", huit grands groupes industriels, dont Nokia, Apple, Motorola et Philips, ont fait connaître leur volonté de négocier une évolution du système de redevances pour copie privée.
Dans l'attente de la décision du Conseil d'Etat et des résultats de la consultation européenne, il est fort peu probable que la "Commission Albis" se penche, dans les prochains mois et comme annoncé, sur la question d'une redevance sur les DVD Blu-Ray.
Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance
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Réf. : Cass. civ. 3, 21 mai 2008, n° 07-12.848, M. Roger Pagès, FS-P+B (N° Lexbase : A7854D8E)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
Le 07 Octobre 2010
Toujours est-il que, sans surprise, la décision de la cour d'appel de Toulouse est cassée, sous le visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1152 du Code civil : "qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnité due en cas de résiliation pour inexécution qui, tant par l'anticipation de l'exigibilité des loyers dès la résiliation du contrat que par le paiement d'une année de loyer supplémentaire, majorait les charges financières pesant sur le débiteur, était stipulée à la fois pour contraindre à l'exécution du contrat et comme évaluation conventionnelle et forfaitaire du préjudice subi par le bailleur du fait de la rupture fautive de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
L'arrêt confirme la définition traditionnellement retenue par la jurisprudence de la clause pénale, dans sa dimension indemnitaire et comminatoire. On rappellera que la première chambre civile de la Cour de cassation a posé en principe que "constitue une clause pénale la clause d'un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu l'inexécution de l'obligation contractée" (4), la troisième chambre affirmant, plus nettement encore peut-être, que la clause pénale est la "sanction du manquement d'une partie à ses obligations" (5). C'est en effet pour inciter le débiteur à exécuter son obligation que les parties conviennent à l'avance que, si tel n'était finalement pas le cas, il devrait la pénalité prévue au contrat, pénalité qui, en cas de préjudice, se substitue aux dommages et intérêts de droit commun. On peut ainsi considérer que la garantie de l'exécution constitue la cause finale, donc le but poursuivi par les contractants, de la clause pénale, l'inexécution par le débiteur de l'obligation principale constituant, elle, la cause efficiente de la peine, autrement dit "le fait sans lequel ni l'exécution, ni même l'existence d'une peine ne sont concevables" (6). On comprend donc que, l'inexécution illicite étant le fondement nécessaire et suffisant de la clause pénale, l'existence d'un préjudice subi par le créancier du fait de cette inexécution ne soit pas nécessaire à l'exécution de la peine (7). La solution est commandée non seulement par le respect de la parole donnée et le principe de la force obligatoire du contrat, d'où, dans l'arrêt commenté, le visa de l'article 1134 du Code civil -texte à la place duquel aurait d'ailleurs pu tout aussi bien être visé l'article 1152, alinéa 1er, du Code civil qui est une application particulière en matière de clause pénale du principe posé à l'article 1134-, mais encore par ce qui relève de l'essence même de la clause pénale, d'où le visa de l'article 1226 qui, en disposant que "la clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l'exécution d'une convention, s'engage à quelque chose en cas d'inexécution", imprime à la clause un caractère comminatoire et fait du critère tenant à l'inexécution illicite d'une obligation l'élément caractéristique de sa définition. C'est en ce sens que l'on peut dire que la clause pénale est bien une peine privée contractuelle.
(1) Ph. Malaurie, La révision judiciaire des clauses pénales, Rép. Defrénois, 1976, art. 31075, p. 533 ; J. Mestre, Les conditions de la révision judiciaire dans le cadre de l'article 1152 du Code civil, de la peine convenue entre les parties, RTDCiv., 1985, p. 372 ; D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, 1992, préf. F. Chabas, n° 258 et s..
(2) J. Mestre, RTDCiv., 1986, p. 103.
(3) Sur cette question, voir not. Ph. Malinvaud, De l'application de l'article 1152 du Code civil aux clauses limitatives de responsabilité, in L'avenir du droit, Mél. en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-Classeur, 1999, p. 689 et s..
(4) Voir not., en ce sens, Cass. civ. 1, 10 octobre 1995, n° 93-16.869, Consorts Capdemourlin c/ Société Université Bissy International (N° Lexbase : A6341AHC), Bull. civ. I, n° 347, D., 1996, Somm. p. 116, obs. Ph. Delebecque, JCP éd. G, 1996, II, 22580, note G. Paisant.
(5) Cass. civ. 3, 20 décembre 2006, n° 05-20.065, M. Robert Dupont, FS-P+B (N° Lexbase : A1023DT3), Bull. civ. III, n° 256 ; et nos obs., La seule inexécution imputable au débiteur suffit à mettre en oeuvre la clause pénale, Lexbase Hebdo n° 244 du 18 janvier 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7429A9Z) ; également, nos obs., JCP éd. G, 2007, II, 10024.
(6) D. Mazeaud, La notion de clause pénale, op. cit., n° 424.
(7) Cass. civ. 3, 12 janvier 1994, n° 91-19.540, Epoux Siégel c/ Commune de Metz (N° Lexbase : A6543ABX), Bull. civ. III, n° 5, Defrénois, 1994, p. 804, obs. Mazeaud ; Cass. civ. 3, 20 décembre 2006, préc..
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Le 07 Octobre 2010
- Cass. soc., 5 juin 2008, n° 06-45.779, Société Aviva vie, F-D (N° Lexbase : A9242D8S) : la cour d'appel, qui a relevé que la société a directement déduit le montant des charges patronales à sa charge des rémunérations de la salariée en application de son contrat de travail, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 241-8 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4944ADH), a exactement décidé, sans encourir les griefs des moyens, que la société devait procéder au remboursement de ces sommes à la salariée .
- Cass. soc., 5 juin 2008, n° 07-41.416, M. Abdelkrim Hadjarab, F-D (N° Lexbase : A9392D8D) : pour débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient que les violences exercées au lieu et au temps de travail constituent une faute grave de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, sans que le salarié soit, alors qu'il relève du pouvoir disciplinaire de l'employeur d'apprécier l'opportunité des sanctions infligées aux salariés en cause, autorisé à opposer sa moindre responsabilité dans l'altercation l'ayant opposé à son collègue. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait, pour apprécier la gravité de la faute, de rechercher, comme il lui était demandé, si le déclenchement de la rixe était imputable au salarié licencié, et de tenir compte de l'ensemble des circonstances de fait au regard, notamment, de l'ancienneté et du comportement antérieur de ce salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision .
- Cass. soc., 5 juin 2008, n° 07-41.445, Société BNP Paribas Lease Group, F-D (N° Lexbase : A9394D8G) : la cour d'appel, après avoir retenu, par motifs non critiqués par le moyen, que l'employeur avait mis fin à la mission au Maroc avant le terme convenu, en a exactement déduit l'existence d'une modification du contrat de travail. Elle a, ensuite, constaté que, n'ayant fourni au salarié aucune indication précise sur le contenu du poste, ni sur sa rémunération, il avait manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail. Elle a, ainsi, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision .
- Cass. soc., 4 juin 2008, n° 07-42.878, Société Sofiane-Intermarché, F-D (N° Lexbase : A9407D8W) : l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur, quelle que soit leur date, invoqués devant lui par ce salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit. Par ailleurs, ayant constaté que les heures supplémentaires accomplies par le salarié n'étaient pas payées, la cour d'appel a souverainement décidé qu'un tel manquement de l'employeur à ses obligations justifiait que la rupture produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse .
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