La lettre juridique n°307 du 5 juin 2008

La lettre juridique - Édition n°307

Droit social européen

[Jurisprudence] Droit aux prestations familiales du travailleur migrant et règles de coordination

Réf. : CJCE, 20 mai 2008, aff. C-352/06, Brigitte Bosmann c/ Bundesagentur für Arbeit - Familienkasse Aachen (N° Lexbase : A6468D83)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Les règles de coordination ont pour objet d'éviter le cumul de prestations sociales dont pourrait bénéficier un travailleur migrant, servies à la fois par l'Etat d'emploi (celui où le travailleur migrant travaille) et l'Etat de résidence (celui où il séjourne). Le principe, inscrit dans le Règlement n° 1408/71 (Règlement (CE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L4570DLT), doit s'articuler avec un autre principe fondamental, le droit au bénéfice d'une prestation sociale dont peut se prévaloir le travailleur migrant. L'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 20 mai 2008 atteste du délicat arbitrage entre ces deux principes, arbitrage que la CJCE tranche en faveur du droit aux prestations familiales (I), dont les règles de coordinations ne pouvaient pas faire échec (II).
En l'espèce, Mme B., ressortissante belge résidant en Allemagne, élève seule ses deux enfants, nés respectivement en 1983 et en 1985. Ceux ci résident, également, en Allemagne où ils poursuivent leurs études. En principe, Mme B. a droit aux allocations familiales allemandes, lesquelles lui ont été octroyées par l'Agence pour l'emploi nationale allemande (la Bundesagentur). Toutefois, après que Mme B. a commencé, en septembre 2005, à exercer une activité professionnelle aux Pays-Bas, le versement de ces allocations lui a été refusé à partir du mois d'octobre 2005. La Bundesagentur a interprété les dispositions du droit communautaire en ce sens que Mme B. ne serait soumise qu'à la législation de l'Etat membre d'emploi (Pays-Bas) de sorte que l'Allemagne ne saurait plus être considérée comme l'Etat compétent, redevable des allocations. Or, Mme B. ne peut bénéficier aux Pays-Bas des allocations familiales correspondantes, eu égard au fait que la législation néerlandaise ne prévoit pas l'octroi de celles-ci pour les enfants âgés de plus de 18 ans.
Résumé

Le Règlement n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 (article 13, § 2, sous a), dans sa version modifiée et mise à jour par le Règlement (CE) n° 118/97 du Conseil du 2 décembre 1996 (N° Lexbase : L5012AU8), tel que modifié par le Règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil du 13 avril 2005 (N° Lexbase : L3735HDP), ne s'oppose pas à ce qu'un travailleur migrant, qui est soumis au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre d'emploi, perçoive, en application d'une législation nationale de l'Etat membre de résidence, des prestations familiales dans ce dernier Etat.

Commentaire

I - Détermination de la loi applicable selon les règles de coordination

La juridiction de renvoi demande si l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71 se prête à une interprétation permettant à un travailleur salarié (se trouvant dans la situation de Mme B.), qui relève du champ d'application du Règlement nº 1408/71 et qui est soumis au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre de son emploi, de percevoir des prestations familiales dans l'Etat membre où elle réside, lorsqu'il est constaté qu'un tel bénéfice ne peut lui être octroyé, en raison de l'âge de ses enfants, dans l'Etat membre compétent.

A - Règles de coordination : principe et objet

Les dispositions du titre II du Règlement n° 1408/71 tendent à ce que les travailleurs migrants soient soumis au régime de la Sécurité sociale d'un seul Etat membre, de sorte que les cumuls des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités. Ce principe trouve son expression à l'article 13, § 1, du Règlement n° 1408/71, qui dispose que le travailleur migrant auquel ce règlement est applicable n'est soumis qu'à la législation d'un seul Etat membre (CJCE, 12 juin 1986, aff. C-302/84, A. A. Ten Holder c/ Direction de la Nieuwe Algemene Bedrijfsvereniging N° Lexbase : A8170AU7, Rec., 1986, p. 1821, points 19 et 20 (1)).

En vertu de l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71, la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d'un autre Etat membre. La détermination de la législation d'un Etat membre en tant que législation applicable à un travailleur a pour effet que seule la législation de cet Etat membre lui est applicable (CJCE, arrêt Ten Holder, 12 juin 1986, aff. C-302/84, précité, point 23).

S'agissant du contexte spécifique des prestations familiales (article 73 du Règlement n° 1408/71), un travailleur soumis à la législation d'un Etat membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d'un autre Etat membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier Etat, comme s'ils résidaient sur le territoire de celui ci.

B - Règles de coordination : mise en oeuvre

  • Application de la législation de l'Etat d'emploi

La législation applicable à la situation de Mme B. est, en principe, la législation de l'Etat membre de son emploi, à savoir la législation néerlandaise.

  • Application de la législation de l'Etat de résidence

L'application des dispositions d'un autre ordre juridique n'est pas, pour autant, toujours exclue (CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-302/02, Nils Laurin Effing N° Lexbase : A3117DGK (2), Rec., 1992, p. I 553, point 39 (3)).

L'application des dispositions de l'ordre juridique de l'Etat membre d'emploi, désigné, en vertu de l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71, en tant qu'Etat compétent (Pays-Bas), peut être écartée pour céder la place à l'application de la législation de l'Etat membre de résidence de l'intéressée (Allemagne) (article 10, § 1, sous a, du Règlement n° 574/72). Ainsi, l'existence d'un lien de rattachement à deux Etats membres, à savoir celui de résidence et celui d'emploi, permettrait, notamment, de cumuler les droits aux prestations. En vertu de l'article 10, § 1, sous a, du Règlement n° 574/72, compte tenu de l'absence de droit aux allocations familiales comparable dans l'Etat membre d'emploi, ces dernières devraient être octroyées sans limitation par l'Etat membre de résidence (Allemagne) (en ce sens, CJCE, 9 décembre 1992, McMenamin, aff. C-119/91, préc. (4) ; CJCE, 7 juin 2005, aff. C-543/03, Christine Dodl c/ Tiroler Gebietskrankenkasse N° Lexbase : A5589DIT, Rec., p. I 5049 (5)).

Mais la CJCE relève que ces affaires (CJCE, 9 décembre 1992, aff. C-119/91, préc. et CJCE, 7 juin 2005, aff. C-543/03, préc.) ont été tranchées sur le fondement de l'article 10 §, 1, sous b, i, du Règlement n° 574/72, qui couvre les situations dans lesquelles une activité professionnelle est exercée, également, dans l'Etat membre de résidence. Dans les arrêts précités "McMenamin", ainsi que "Dodl et Oberhollenzer", le fait générateur de l'inversion des priorités en faveur de la compétence de l'Etat membre de résidence était constitué par la circonstance qu'une activité professionnelle était exercée dans l'Etat membre de résidence par le conjoint de la personne bénéficiant des allocations prévues à l'article 73 du Règlement n° 1408/71. Or, il ressort de la décision de renvoi que Mme B. ne se trouve pas dans une telle situation.

L'article 10, § 1, sous a, du Règlement n° 574/72 vise à résoudre les cas de cumul de droits à prestations familiales rencontrés lorsque ces dernières sont dues, simultanément, dans l'Etat membre de résidence de l'enfant concerné, indépendamment de conditions d'assurance ou d'emploi, et, en application de l'article 73 du Règlement n° 1408/71, dans l'Etat membre d'emploi. Or, en l'espèce, il n'y a pas de cumul de prestations familiales de ce type, le droit aux allocations familiales dans l'Etat membre d'emploi (Pays-Bas) étant exclu, eu égard à l'âge des enfants de Mme B.. L'inversion des priorités en faveur de l'application de la législation de l'Etat membre de résidence (Allemagne) n'étant, dès lors, pas susceptible d'être fondée sur les règles de rattachement spécifiques énoncées dans le Règlement n° 574/72 : la situation de Mme B. obéit à la règle générale de détermination de la législation applicable édictée à l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71.

II - Le droit aux prestations familiales du travailleur migrant

Le droit communautaire n'oblige pas les autorités compétentes allemandes à octroyer à Mme B. la prestation familiale en question. Toutefois, la possibilité d'un tel octroi ne saurait, non plus, être exclue, d'autant moins que, en vertu de la législation allemande, Mme B. peut bénéficier des allocations familiales du seul fait de sa résidence en Allemagne.

A - Le droit aux prestations sociales, un principe hiérarchiquement supérieur à la règle de coordination

Les dispositions du Règlement n° 1408/71 doivent être interprétées à la lumière de l'article 42 CE , qui vise à faciliter la libre circulation des travailleurs et implique que les travailleurs migrants ne doivent ni perdre des droits à des prestations de Sécurité sociale, ni subir une réduction du montant de celles ci en raison du fait qu'ils ont exercé le droit à la libre circulation que leur confère le traité (CJCE, 9 novembre 2006, aff. C-205/05, Fabien Nemec c/ Caisse régionale d'assurance maladie du Nord-Est N° Lexbase : A2729DSU, Rec., p. I 10745, points 37 et 38 (6)).

Le premier considérant du Règlement n° 1408/71 énonce que les règles de coordination des législations nationales de Sécurité sociale que ce règlement comporte s'inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes et doivent contribuer à l'amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi.

B - Contrôle par la CJCE du refus d'octroi d'une prestation sociale

En l'espèce, l'Etat membre de résidence (Allemagne) ne saurait être privé de la faculté d'octroyer des allocations familiales aux personnes résidant sur son territoire. En effet, si, en vertu de l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71, le travailleur migrant, qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre, est soumis à la législation de cet Etat, même si il réside sur le territoire d'un autre Etat membre, il n'en demeure pas moins que ce règlement n'a pas vocation à empêcher l'Etat de résidence (Allemagne) d'octroyer, en application de sa législation, des allocations familiales à cette personne.

L'arrêt "Ten Holder" (CJCE, 12 juin 1986, aff. C-302/84, préc.), ainsi que l'arrêt "Luijten" (CJCE, 10 juillet 1986, aff. C-60/85, M. E. S. Luijten c/ Raad van Arbeid N° Lexbase : A7823AUB, Rec., p. 2365) ne remettent pas en question cette interprétation du Règlement n° 1408/71. Le premier visait un cas de refus d'octroi d'une prestation émanant des autorités de l'Etat membre compétent : la CJCE a jugé que la détermination, en vertu du Règlement n° 1408/71, de la législation d'un Etat membre, en tant que législation applicable à un travailleur migrant, a pour effet que seule cette législation lui est applicable (point 23). Le même principe a été réitéré par la CJCE dans le second, eu égard au risque d'application simultanée des législations de l'Etat d'emploi et de l'Etat de résidence, permettant aux assurés de bénéficier d'une prestation familiale.

Ces arrêts ne sauraient servir de fondement pour exclure qu'un Etat membre, qui n'est pas l'Etat compétent et qui ne subordonne pas le droit à une prestation familiale à des conditions d'emploi ou d'assurance, puisse octroyer une telle prestation à une personne résidant sur son territoire, dès lors que la possibilité d'un tel octroi découle effectivement de sa législation.

Finalement, selon la CJCE, l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71 ne s'oppose pas à ce qu'un travailleur migrant, qui est soumis au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre d'emploi, perçoive, en application d'une législation nationale de l'Etat membre de résidence, des prestations familiales dans ce dernier Etat.


(1) Selon une jurisprudence constante de la CJCE, les dispositions du Règlement n° 1408/71 tendent à ce que les travailleurs migrants soient soumis au régime de la Sécurité sociale d'un seul Etat membre, de sorte que les cumuls des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités.
(2) L. Idot, Prestations familiales et détention, Europe, mars 2005, Comm. nº 83, p.18.
(3) Le droit applicable à la situation d'un travailleur qui se trouve dans l'une des situations couvertes par les dispositions du titre II du Règlement n° 1408/71 est donc à déterminer en fonction desdites dispositions. Certes, l'application des dispositions d'un autre ordre juridique n'est pas, pour autant, toujours exclue. Une telle situation peut, notamment, se présenter lorsque deux conjoints travaillent dans deux Etats membres différents dont les législations prévoient l'une et l'autre l'attribution de prestations familiales analogues (CJCE, 9 décembre 1992, aff. C-119/91, Una McMenamin c/ Adjudication Officer N° Lexbase : A9829AUL, Rec., p. I 6393). En l'occurrence, le requérant ne relève pas du champ d'application du Règlement n° 1408/71 en une autre qualité que celle de "membre de la famille" de son père, au sens dudit Règlement.
(4) J.-L. Carpentier, L'interprétation par la Cour de justice des règles anti-cumul applicables dans le domaine des prestations familiales, Europe, juillet 1993, chron., nº 7, p.1.
(5) L. Idot, Sécurité sociale et règles anti-cumul, Europe, août-septembre 2005, comm., nº 295, p.25 ; F. Kessler, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2005, p.837.
(6) L'article 58 du Règlement nº 1408/71 doit être interprété à la lumière de l'article 42 CE (CJCE, 9 août 1994, aff. C-406/93, André Reichling c/ Institut national d'assurance maladie-invalidité N° Lexbase : A9884AUM, Rec., p. I 4061, point 21 ; CJCE, 12 septembre 1996, aff. C-251/94, Eduardo Lafuente Nieto c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) N° Lexbase : A1919AWY, Rec., p. I 4187, points 33 et 38). L'objectif poursuivi par cette dernière disposition est de faciliter la libre circulation des travailleurs. Cela implique que les travailleurs migrants ne doivent ni perdre des droits à des prestations de Sécurité sociale, ni subir une réduction du montant de celles-ci en raison du fait qu'ils ont exercé le droit à la libre circulation que leur confère le traité CE (CJCE, 9 août 1994, aff. C-406/93, préc., point 24 ; CJCE, 12 septembre 1996, aff. C-251/94, préc., points 33 et 38 ; CJCE, 9 octobre 1997, aff. C-31/96, Antonio Naranjo Arjona c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et autres N° Lexbase : A5871AY4, Rec., p. I 5501, point 20 ; CJCE, 17 décembre 1998, aff. C-153/97, Aristóteles Grajera Rodríguez c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) N° Lexbase : A0488AWY, Rec., p. I 8645, point 17).

Décision

CJCE, 20 mai 2008, aff. C-352/06, Brigitte Bosmann c/ Bundesagentur für Arbeit - Familienkasse Aachen (N° Lexbase : A6468D83)

Textes visés : Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, art. 13, § 2, sous a (N° Lexbase : L4570DLT) ; Règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du Règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le Règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tels que modifiés par le Règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, art. 10 (N° Lexbase : L7131AUN)

Mots-clefs : Sécurité sociale ; allocations familiales ; suspension du droit aux prestations ; législation applicable ; octroi de prestations dans l'Etat membre de résidence qui n'est pas l'Etat compétent.

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Responsabilité

[Jurisprudence] L'effacement de la responsabilité de l'entrepreneur pour troubles anormaux du voisinage

Réf. : Cass. civ. 3, 21 mai 2008, n° 07-13.769, Société Pascal, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A6682D8Y)

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N2165BGB

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation a, relativement tôt, admis le principe d'une responsabilité pour troubles anormaux du voisinage : ainsi déjà le 27 novembre 1844, un arrêt de la chambre civile cassait, au visa des articles 544 (N° Lexbase : L3118AB4) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil, un arrêt d'appel qui avait retenu la responsabilité du propriétaire d'une fabrique pour n'avoir pas déclaré que le bruit qui en provenait "fût, d'une manière continue, porté à un degré qui excédât la mesure des obligations de voisinage" (1). Ce n'est, cependant, qu'assez récemment que le régime de cette responsabilité s'est précisé. Rompant avec les solutions antérieures et abandonnant, par là-même, tout rattachement à la faute et, par induction, à la théorie de l'abus de droit, la Cour de cassation a consacré une responsabilité purement objective, seul important le caractère anormal du trouble (2). Ainsi, au visa de l'article 1382, la Cour de cassation substitue, désormais, celui du principe selon lequel "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage" (3), l'érigeant du même coup en un "principe général du droit" (4). La question du fondement de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage tranchée, d'autres difficultés ont continué à susciter un important contentieux. Il a, en effet, fallu non seulement déterminer le seuil au-delà duquel la responsabilité pouvait valablement être engagée, autrement dit déterminer la ligne de partage entre les troubles qui doivent être considérés comme des troubles normaux du voisinage et ceux qui méritent d'être tenus pour anormaux, mais encore circonscrire le domaine de cette responsabilité, aussi bien du côté des victimes susceptibles d'agir en responsabilité pour obtenir réparation, mais aussi du côté des responsables. Un important arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 mai dernier, promis à une diffusion maximale, puisqu'à paraître au Bulletin officiel des arrêts civils, annoncé comme devant figurer dans le prochain Rapport annuel de la Cour et en ligne sur son site internet, mérite, à cet égard, d'être, ici, évoqué.

En l'espèce, une société s'était vue confier, en qualité d'entrepreneur général, la réalisation d'un immeuble sur un terrain voisin de celui sur lequel une autre société exploitait une unité de production florale. Or, les travaux de terrassement, qui avaient été sous-traités à un tiers, ayant occasionné la pose d'une pellicule de poussière sur les floraisons, l'exploitant avait assigné l'entrepreneur en réparation de son préjudice. Débouté de sa demande par les juges du fond, le voisin avait alors formé un pourvoi en cassation, faisant valoir que les premiers juges avaient méconnu le principe selon lequel nul ne doit causer de troubles anormaux de voisinage. Le pourvoi est, cependant, rejeté en ce termes : "mais attendu qu'ayant exactement retenu que le propriétaire de l'immeuble et les constructeurs à l'origine des nuisances sont responsables de plein droit des troubles anormaux du voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier des voisins occasionnels des propriétaires lésés, et constaté que la société Quille, entrepreneur principal, qui n'avait pas réalisé les travaux, n'était pas l'auteur du trouble, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la société Pascal ne pouvait agir à son encontre sur le fondement des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage".

L'arrêt, manifestement de principe (5), est important. Sans doute confirme-t-il l'idée, assez classique au demeurant, selon laquelle le responsable peut parfaitement n'être qu'un voisin occasionnel : ainsi un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 juin 2005 avait-il déjà pu approuver une cour d'appel en énonçant que "le propriétaire de l'immeuble auteur des nuisances et les constructeurs à l'origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels de propriétaires lésés" (6). Là où, en revanche, l'arrêt prend un relief certain, c'est en ce qu'il écarte la responsabilité de l'entrepreneur, au motif qu'il n'est pas lui-même directement l'auteur des troubles, autrement dit qu'il n'est pas directement l'auteur des travaux ayant occasionné les troubles. Il faut, en effet, rappeler que, naturellement, la responsabilité pèse d'abord sur le propriétaire ou sur tout autre titulaire d'un droit réel immobilier auteur du trouble. Mais, on sait que la jurisprudence a également admis la responsabilité non seulement de locataires, mais encore d'entrepreneurs en cas de dommages causés aux voisins. Cette solution, qui était initialement celle de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (7), avait, ensuite, été reprise par la troisième chambre civile (8). Déjà critiquée lorsque l'entrepreneur est l'auteur de nuisances résultant du chantier, elle est apparue encore plus discutable lorsque le trouble résulte de l'ouvrage et est donc en réalité imputable à la décision de construire du maître de l'ouvrage (9). Elle est en tout cas condamnée par l'arrêt du 21 mai dernier, au moins dans l'hypothèse dans laquelle l'entrepreneur n'était pas l'auteur du trouble. En ce sens, on peut penser que la Cour de cassation n'a pas été insensible aux propositions contenues dans l'avant-projet de réforme du droit des obligations, l'article 1361 proposé du Code civil n'incluant pas, en effet, l'entrepreneur parmi les responsables possibles de troubles du voisinage.


(1) Cass. civ., 27 novembre 1844, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., par F. Terré et Y. Lequette, Dalloz, n° 74.
(2) Voir, notamment, Cass. civ. 3, 4 février 1971, n° 69-12.528, Epoux Vullion (N° Lexbase : A9758CE7) et n° 69-13.889, Geoffroy c/ Mille (N° Lexbase : A0426C9N), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 75 ; adde., énonçant, sous la forme d'un principe général, que "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage", Cass. civ. 2, 19 novembre 1986, n° 84-16.379, M. Miller c/ Epoux Haye (N° Lexbase : A6163AAI), Bull. civ. II, n° 172 ; Cass. civ. 3, 11 février 1998, n° 96-10.257, Epoux Lang c/ Mme Porre (N° Lexbase : A2603ACE), Bull. civ. III, n° 34, D., 1999, jur., p. 529, note S. Beaugendre.
(3) Cass. civ. 2, 19 novembre 1986, n° 84-16.379, préc. ; Cass. civ. 2, 28 juin 1995, n° 93-12.681, Consorts Ficarelli c/ Société Laiterie Harrand (N° Lexbase : A7634ABD), Bull. civ. II, n° 222, RD imm., 1996, p. 175, obs. J.-L. Bergel ; Cass. civ. 3, 11 mai 2000, n° 98-18.249, Consorts Porcheron-Sabatelli et autre c/ Syndicat des copropriétaires du 32, avenue du Général-Leclerc, à Le Pecq et autres (N° Lexbase : A3700AUL), Bull. civ. III, n° 106 ; Cass. civ. 3, 10 décembre 2003, RD imm., 2003, p. 168, obs. F.-G. Trébulle.
(4) J.-L. Bergel, obs. préc., RD imm., 1996, p. 175.
(5) Cf. la diffusion de l'arrêt, mais aussi les termes de l'arrêt ("à bon droit [...]").
(6) Cass. civ. 3, 22 juin 2005, n° 03-20.068, Société Duminvest c/ Société Hôtel Georges V, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7982DIH) Bull. civ. III, n° 136 et nos obs., La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage du "voisin occasionnel", Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6465AIB).
(7) Cass. civ. 2, 10 janvier 1968, Bull. civ. II, n° 11; Cass. civ. 1, 18 mars 2003, n° 99-18.720, Société Sotrapmeca-Bonaldy c/ Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), FS-P (N° Lexbase : A5250A7L), Bull. civ. I, n° 77.
(8) Cass. civ. 3, 30 juin 1998, n° 96-13.039, Société Intrafor c/ Consorts Chaudouet-Delmas et autres (N° Lexbase : A5432AC8), Bull. civ. III, n° 144 ; Cass. civ. 3, 13 avril 2005, n° 03-20.575, Société anonyme Atlantique bâtiment construction (ABC) c/ M. Jean Wambergue, FS-P+B (N° Lexbase : A8723DHK), Bull. civ. III, n° 89 ; Cass. civ. 3, 22 juin 2005, préc. ; Cass. civ. 3, 20 décembre 2006, n° 05-10.855, Société Atelier 2M, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0878DTP).
(9) Ph. Malinvaud, Les dommages causés aux voisins dus aux opérations de construction, RD imm., 2001, p. 479 ; H. Périnet-Marquet, Remarques sur l'extension du champ d'application de la théorie des troubles du voisinage, RD imm., 2005, p. 161.

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Sociétés

[Jurisprudence] Transformation d'une SA en SAS : le dépôt au greffe du rapport du commissaire aux comptes n'est prescrit par aucun texte

Réf. : Cass. com., 8 avril 2008, n° 06-15.193, Société Breiz alu, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8042D7Y)

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N2132BG3

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par Deen Gibirila, Professeur à l'Université des Sciences sociales de Toulouse I

Le 07 Octobre 2010

Une société peut se trouver dans une situation où sa forme actuelle s'avère contre-indiquée et où, donc, une autre structure sociétaire paraît plus appropriée. A cette raison de simple opportunité, susceptible de conduire une société à se transformer, s'ajoutent des dispositions impératives prévues par la loi. En premier lieu, la transformation peut être décidée volontairement par les associés qui souhaitent, par exemple, disposer d'un régime fiscal plus favorable ou d'une forme sociale mieux adaptée à l'activité sociale ou à la taille de l'entreprise. En deuxième lieu, la transformation peut être imposée par la loi aux associés, en tant que condition de survie de la société, notamment d'une SA ou d'une SAS dont le capital social tomberait en dessous du minimum légal (1). Enfin, la transformation d'une société obéit aux règles prescrites par la loi et les statuts pour la modification du pacte social et plus spécialement, à celles visant le cas de transformation. Au-delà des règles communes à toutes les sociétés, certaines sont propres à certaines d'entre elles et diffèrent selon le type de société. La mutation en un des types de sociétés par actions d'une société d'une autre forme implique la vérification préalable, par un ou plusieurs commissaires désignés, sauf accord unanime des associés, par décision de justice à la demande des dirigeants sociaux ou de l'un d'eux, de la valeur des biens constituant l'actif social et, le cas échéant, des avantages particuliers consentis à des associés ou à des tiers.

A l'instar de toute modification statutaire, la décision de transformation est soumise à des mesures de publicité destinées, non point à acquérir la personnalité morale comme l'immatriculation au RCS, puisque cette personnalité existe déjà, mais à informer les tiers de l'existence de la nouvelle structure sociétaire.

C'est précisément une question liée à ces mesures de publicité que résout la Cour de cassation dans un arrêt important du 8 avril 2008 qui connaîtra les faveurs d'une large publicité, comme le signale la référence P (publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation) + B (mention de l'arrêt au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation) + R (commentaire de l'arrêt dans le Rapport annuel de la Cour de cassation) + I (consultation de l'arrêt sur le site internet de la Cour de cassation).

I - Dans cette affaire, après décision de l'assemblée générale d'une société anonyme de transformer celle-ci en une société par actions simplifiée, le greffier du tribunal de commerce avait refusé de procéder à l'inscription modificative au registre du commerce et des sociétés. Son refus se justifiait par le fait que le rapport du commissaire aux comptes sur la transformation de la société, prévu par l'article L. 224-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L5871AIB) n'avait pas été déposé au greffe dans le délai d'au moins huit jours avant la date de l'assemblée appelée à statuer sur la mutation de la société prévu par l'article R. 123-105 du même code (N° Lexbase : L9858HYR).

La société ayant vainement contesté cette décision auprès du juge commis à la surveillance du registre du commerce, a porté le litige auprès la cour d'appel de Rennes aux fins d'en obtenir l'annulation. Le 21 mars 2006, cette juridiction a rejeté cette contestation en retenant que si, selon la réponse ministérielle n° 64891 du 12 juillet 2005 (2), l'information relative à la valeur des biens composant l'actif social et les avantages particuliers, visée à l'article L. 224-3 du Code de commerce est jointe au rapport prévu par l'article L. 225-244 de ce code (N° Lexbase : L6115AIC), ledit rapport doit aussi être déposé au greffe du tribunal de commerce huit jours au moins avant l'assemblée générale appelée à statuer sur cette question.

L'arrêt de la cour d'appel est censuré par la Chambre commerciale auprès de laquelle le demandeur au pourvoi trouve un écho favorable à son argumentation.

II - La question qui fait débat dans la présente décision est celle du dépôt du rapport du commissaire aux comptes au greffe du tribunal de commerce en cas de transformation d'une SA en SAS. A ce sujet, la réponse ministérielle préalablement évoquée estimait que l'obligation d'évaluer les biens composant l'actif social devait être respectée même en présence de commissaires aux comptes au sein de la société qui se mue en une société par actions, ce qui est bien évidemment le cas d'une société anonyme. Il s'ensuivait que cette évaluation pouvait figurer dans le rapport indiqué à l'article L. 225-244, alinéa 1er, du Code de commerce attestant que les capitaux propres équivalent au moins au capital social. Dès lors, ce rapport devait être déposé au greffe du tribunal huit jours au moins avant la décision de transformation.

La Chambre commerciale fustige ce point de vue. En prenant le contre-pied de cette réponse ministérielle, les juges du droit se prononcent en faveur d'une application stricte des dispositions de l'article L. 224-3 du Code de commerce ayant trait à la conversion d'une société anonyme en société par actions simplifiée. Selon ce texte, en sa dernière version issue de l'article 98 de la loi de sécurité financière (loi n° 2003-706 du 1er août 2003 N° Lexbase : L3556BLB), ce changement de forme sociale n'implique pas de désigner un commissaire à la transformation.

Par ailleurs, en application de l'article L. 225-244, alinéa 1er, du Code de commerce, la transformation d'une société anonyme est précédée d'un rapport des commissaires aux comptes attestant que le montant des capitaux propres est au moins égal au capital social. La Cour de cassation précise, en l'espèce, que seul ce rapport doit être établi en cas de mutation d'une SA en SAS et qu'il n'y a pas lieu de le déposer au greffe du tribunal de commerce préalablement à la transformation, dans la mesure où il ne fait pas partie des actes dont l'article R. 123-105 du Code de commerce exige le dépôt.

Le greffier ne saurait donc refuser d'inscrire pareille transformation au registre du commerce et des sociétés sous prétexte de l'absence de dépôt du rapport sur la valeur des biens composant l'actif social. Certes, ce rapport doit être déposé huit jours au moins avant la transformation, mais il n'est établi qu'en cas de transformation en société par actions d'une société non dotée d'un commissaire aux comptes, quelle que soit sa forme (3).

Autrement dit, le greffier ne saurait imposer à une société déjà pourvue de commissaires aux comptes et qui envisage de se muer en une société par actions, qu'elle dépose un quelconque rapport sur la valeur de ses actifs, que ce soit celui prescrit par l'article L. 224-3 ou tout autre. C'est le cas des sociétés de capitaux (SA, SAS et société en commandite par actions), ainsi que des autres sociétés (SARL, SNC, société en commandite simple) ayant désigné des commissaires aux comptes, soit volontairement, soit par obligation en raison du dépassement de deux des trois seuils mentionnés à l'article R. 221-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L0089HZC) (4).

Au-delà du présent débat, précisons que, si l'établissement du rapport relatif aux capitaux propres s'impose, non seulement en cas de transformation d'une SA, mais encore en cas de mutation d'une société en commandite par actions ou d'une SAS (5), il n'en va pas de même lorsque la société se convertit en une SNC (6).

En définitive, bien qu'elle remette en cause la réponse ministérielle, la censure sans renvoi opérée par la Cour de cassation ne surprend pas. Outre le fait qu'elle reponde à l'esprit et à la lettre des textes, elle présente également le mérite de la simplicité : quoi de plus normal, en effet, que de faire l'économie du dépôt du rapport ayant trait à la valeur des actifs d'une société en voie de mutation, lorsqu'il existe déjà en son sein un commissaire aux comptes.

En dépit de son importance, il ne faut voir dans l'actuelle décision de justice qu'une étape dans l'évolution du régime des sociétés par actions simplifiée qui sont appelées à connaître quelques modifications avec la très prochaine loi de modernisation de l'économie dont les dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2009 (7). L'article 14 du projet de loi dispose, entre autres, que ces sociétés ne seront tenues de désigner un commissaire aux comptes qu'en cas :
- de dépassement à la clôture d'un exercice social de deux des trois chiffres se rapportant au total du bilan, au montant hors taxes du chiffre d'affaires et au nombre moyen des salariés (8) ;
- de détention directe ou indirecte de 5 % ou plus du capital ou des droits de vote d'une autre société.

Néanmoins, quand bien même ces conditions ne seraient pas remplies, un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social pourraient demander en justice la nomination d'un commissaire aux comptes. De plus, dans les SAS où il n'existerait pas de commissaire aux comptes, il appartiendrait au président d'établir et de présenter aux associés le rapport sur les conventions réglementées.


(1) C. com., art. L. 227-1, al. 3 (N° Lexbase : L6156AIT) (SAS) et L. 224-2, al. 2 (N° Lexbase : L5870AIA) (SA).
(2) QE n° 64891 de M. Hamelin Emmanuel, JOANQ 17 mai 2005 p. 4946, min. Just., réponse publ. 12 juillet 2005 p. 6933 (N° Lexbase : L7920G99).
(3) C. com., art. R. 123-105, al. 3 et L 224-3, al. 1er.
(4) Total du bilan (1,55 millions d'euros), chiffre d'affaires hors taxe (3,1 millions d'euros), nombre moyen de salariés (50).
(5) C. com., art. L. 225-244, al. 1er sur renvoi des articles L. 226-1, alinéa 2 (N° Lexbase : L6142AIC) et L. 227-1, alinéa 3 (N° Lexbase : L6156AIT).
(6) C. com., art. L. 225-245, al. 1er (N° Lexbase : L6116AID).
(7) BRDA 9/2008, n° 23, p. 11, spéc. p. 18, n° 35 à 39.
(8) Ces chiffres seront fixés par décret, mais il est probable qu'ils soient ceux actuellement en vigueur (C. com., art. R. 221-5 : cf. note 5).

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences

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N2299BGA

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur de droit privé, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Seront traités ce mois-ci, le caractère forfaitaire et non indemnitaire des assurances de personnes, l'importance de la remise de la notice d'information en assurances de groupe, le recours subrogatoire de l'assureur de chose contre un transporteur défaillant et, enfin, le cumul des qualités d'assuré et de victime en matière d'assurance multirisques habitation.
  • Caractère forfaitaire et non indemnitaire des assurances de personnes : la Cour de cassation ne varie pas (Cass. civ. 2, 17 avril 2008, n° 06-20.417, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B N° Lexbase : A9588D7A)

Le contentieux du droit des assurances évolue. Non seulement, il concerne davantage les assurances de personnes qu'à une certaine époque ; mais, en outre, des thèmes sont plus souvent sous les feux de l'actualité, ces derniers temps. Tel est, notamment, le cas de la nature juridique indemnitaire ou forfaitaire de certains contrats d'assurance de personnes (1). Si l'interrogation juridique est ancienne (2), des formules contractuelles quelque peu sinueuses ont, en effet, été présentées à la sagacité des assurés potentiels, par  quelques assureurs. Sous prétexte d'offrir un choix à ces assurés, selon le mode de perception des sommes visées qu'ils désirent, les contrats se sont complexifiés. Il en résulte une difficulté d'analyse juridique sur leur nature exacte. Et le problème n'est pas seulement théorique (3). Une fois reconnue, ou non, la qualification d'assurance de personnes, c'est le recours subrogatoire possible, ou non, qui est en jeu.

L'arrêt de la deuxième chambre de la Cour de cassation, rendu le 17 avril dernier, avait pour toile de fond une affaire sans originalité particulière. Un assuré avait souscrit un contrat d'assurance individuel -que l'on appellerait volontiers assurance accidents corporels mais qui est nommé "régime prévoyance accident" semant donc, d'ores et déjà, un peu le trouble dans l'esprit du lecteur-. De surcroît, ce contrat comprenait une disposition complexe indiquant que, si l'accident ouvrait droit à réparation par un tiers, l'assureur versait au(x) bénéficiaire(s) les prestations auxquelles il(s) pouvai(en)t prétendre en l'absence de tiers responsable, en l'espèce notamment une rente éducation pour l'enfant, sans aucun doute mineur, de cet assuré.

L'assureur voulait faire admettre que ces sommes devaient être considérées comme des avances sur indemnités qu'il aurait la faculté de récupérer, auprès des responsables, dans le cadre de la subrogation. L'assuré étant décédé dans un accident d'ULM, la Macif demande au propriétaire de l'ULM et à son assureur, la société Generali, le paiement des arrérages échus et à échoir de la rente éducation promise dans le contrat. L'assureur considère que le libellé des dispositions du contrat en faisait un contrat indemnitaire, même si le calcul des prestations versées résultait d'éléments prédéterminés, c'est-à-dire ne provenant pas de l'ampleur du dommage. Ses prétentions sont rejetées en appel, comme devant la Cour de cassation. Cette dernière se réfère, en toute logique, à l'un des articles figurant dans le chapitre XI du Code des assurances consacré aux assurances de dommages corporels, l'article L. 132-2, alinéa 2, (N° Lexbase : L0127AAX) qui constitue une dérogation à la règle énoncé à l'alinéa premier. Ce dernier permet, en effet, les recours subrogatoires pour le remboursement des prestations à caractère indemnitaire, dans les cas de contrats d'assurance garantissant des préjudices résultant d'une atteinte à la personne.

En d'autres termes, la Cour de cassation considère que c'est bien une assurance accidents corporels qui avait été contractée. Or, cette dernière relève de la catégorie des assurances de personnes, au sens de l'article L. 132-2, alinéa 1er, pour lesquelles aucun recours subrogatoire n'est possible. Et chacun sait que les juges ne sont pas liés par les qualifications contractuelles ; celles-ci ne leur interdisent donc pas de retenir une analyse juridique ne correspondant pas à ce que les parties avaient pu prétendre énoncer. A fortiori peuvent-ils le faire lorsqu'en réalité la formulation contractuelle ne laisse guère de place au doute. Tel était le cas ici puisque si la rente éducation elle-même, au coeur du litige, était proposée à la conclusion des assurés suivant trois formules ou trois options -pour employer le terme exact retenu par la Cour de cassation- elle ne dépendait pas du préjudice subi.

Cette seule précision suffirait à ôter toute hésitation sur le caractère forfaitaire d'une telle assurance. Il importe peu qu'un choix soit permis, en vertu du contrat, au bénéfice de l'assuré. Ce constat ne suffit en aucun cas à conclure qu'il s'agit d'un élément venant fausser le calcul, sur la base d'éléments prédéterminés, effectué par l'assureur pour savoir ce qu'il doit verser au tiers bénéficiaire. Ce qui est déterminant, c'est que les sommes ne résultent pas de l'intensité du dommage survenu et donc de l'ampleur des dommages subis (4). Toutefois, la Cour de cassation croit bon d'ajouter d'autres précisions. Elle indique que le montant de la rente ne tenait pas compte "en particulier du montant des ressources de l'assuré ou de la part qui était celle consacrée par ses soins aux frais d'entretien et d'éducation de l'enfant".

En effet, toute conclusion d'une assurance indemnitaire n'est pas impossible, loin s'en faut. Il serait ainsi tout à fait concevable qu'un assuré décide qu'en cas d'accident entraînant une invalidité totale, notamment, ou en cas de décès de sa part, les sommes versées au tiers bénéficiaire tiennent compte du niveau de vie de l'assuré et/ou du tiers bénéficiaire et donc du volume de frais d'entretien et d'éducation moyen consacrés à l'enfant. Il pourrait tout aussi bien être pris en compte l'âge de cet enfant au moment du sinistre affectant l'assuré. Plus jeune serait cet enfant lors de la survenance de l'événement dommageable, plus élevée serait l'indemnité -et le terme prend alors tout son sens- devant lui être octroyée. D'autres formules existent ou méritent d'être imaginées, et nul ne doute de l'efficacité de l'imagination fertile de la profession comme des souhaits des assurés eux-mêmes pour inventer de nouveaux contenus contractuels. Dans ces conditions et uniquement dans celles-là, le contrat mériterait la qualification de contrat indemnitaire.

Dans les autres hypothèses, le calcul est préétabli par l'assureur. Pour être plus précis peut-être disons qu'il ne dépend pas du sinistre. Mais le jargon du droit des assurances justifie sans doute aussi que de telles actions soient entreprises parce qu'il n'est pas assez explicite en lui-même. Recourrons donc à la théorie générale des obligations pour faire observer que dans un cas le calcul est opéré avant la conclusion du contrat tandis que dans l'autre il est effectué après examen de la composition du sinistre. D'un côté les sommes auxquelles le tiers bénéficiaire peut prétendre sont connues de l'assuré lorsqu'il contracte, de l'autre ce que ce tiers recueillera ne peut pas être fixé et révélé à ce moment fondamental où l'assuré s'engage. Au-delà peut-être de l'absence d'effort pédagogique de la jurisprudence, que les assureurs ne croient pas tromper si facilement le juge par des artifices quelconques fussent-ils bien pensés et bien conçus.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé, Directrice du master II Responsabilité civile et assurances

  • "Lorsque Royal Canin montre les crocs" ou l'importance de la remise de la notice d'information en assurances de groupe (Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 07-14.354, FS-P+B N° Lexbase : A5357D8W)

En matière d'assurances de groupe, ce sont les contrats conclus par des organismes de crédit qui, en volume, ont été à l'origine du principal contentieux (5). Les assurances souscrites par les employeurs au profit de leurs salariés ont moins donné lieu à litiges (6). Pourtant, depuis quelques temps, une évolution semble se dessiner. En témoigne, l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 mai 2008. Ce dernier n'est toutefois pas une illustration d'une évolution significative dans ce secteur ; mais il offre plutôt un témoignage supplémentaire des difficultés que ces contrats engendrent en raison de l'intervention à l'opération -et parfois de l'absence de rigueur observée par ceux que la loi nomme- des souscripteurs, même si tel ne semblait pas être le cas dans cette affaire.

En 1991, la société Royal Canin souscrit auprès de l'assureur Ace Europe une assurance de groupe couvrant le risque décès de ses salariés. L'un de ceux-ci, M. D., adhère à cette assurance. Or, la notice prévue à l'article L. 140-4 prévu depuis la loi du 31 décembre 1989 (article 19), texte devenu, en 1985, l'article L. 141-4 du Code des assurances (N° Lexbase : L2646HWW), ne lui est pas remise par le souscripteur. En 2002, l'assuré décède à la suite d'un accident de deltaplane. Or, l'assureur refuse de verser à sa veuve le capital prévu au contrat parce que de tels accidents font l'objet d'une clause d'exclusion. L'employeur et la veuve de l'assuré assignent l'assureur ainsi que le courtier intervenu lors de la conclusion du contrat. Le tribunal de grande instance déclare, toutefois, opposable à Madame D. la clause d'exclusion de garantie. Celle-ci interjette appel.

Notons à ce stade de la procédure -même si là ne se situe pas l'intérêt essentiel de l'arrêt- une certaine originalité, pour ne pas dire incongruité. En effet, l'employeur qui avait initialement assigné l'assureur, en sa qualité de chef d'entreprise, se trouve appelé en garantie par l'assureur, en sa qualité de souscripteur du contrat d'assurance de groupe. Pour l'entreprise, il n'est pas forcément logique de se voir attribuer cette qualité de souscripteur aux effets contradictoires, puisqu'à la fois, elle traduit éventuellement un souci désintéressé de stipuler pour ses salariés et donc -comme en l'espèce- de défendre leurs intérêts, tout en permettant la mise en cause de ce souscripteur devenant défendeur vis à vis de ces mêmes salariés. Cette double facette d'une seule et même qualité, souvent ignorée ou mal comprise de la part des adhérents (7), de manière légitime au moins pour partie, explique la sévérité dont fait preuve la jurisprudence à l'égard de ces intermédiaires, quoi que l'on puisse en penser par ailleurs et même lorsque l'entreprise assume aussi la charge du paiement des primes d'assurance.

Et la multiplicité des intermédiaires -associée donc à une visibilité encore plus réduite- est quasiment à son comble, comme en l'espèce, lorsqu'un courtier est intervenu pour guider la recherche ou le choix de l'employeur, souscripteur. Mais, dans le cas présent, la responsabilité de ce dernier ne sera pas engagée. La cour d'appel considère qu'il peut être mis hors de cause. Elle est suivie par la Cour de cassation parce qu'il n'incombe pas à un courtier de vérifier que la notice d'information a bien été remise par l'assureur à l'adhérent, ni de s'assurer que celle-ci mentionne les mêmes clauses d'exclusion que le contrat d'assurance lui-même. Sur ce pouvoir limité du courtier d'assurance, il est, toutefois, permis d'avoir une opinion plus dubitative ou tout au moins nuancée. Sans nul doute, le législateur a-t-il voulu faire peser ces obligations sur le souscripteur lui-même vis-à-vis de l'adhérent ; mais il ne faudrait pas en déduire trop vite que les courtiers ne peuvent jamais voir leur responsabilité engagée.

Quoiqu'il en soit, l'opération d'ensemble est déjà assez complexe ainsi. L'adhérent ne rencontre et ne connaît souvent que le souscripteur. Il n'a donc pas à souffrir de la décision de ce dernier de s'adjoindre l'aide d'un courtier. En outre, en instituant les dispositions relatives aux assurances de groupe, la loi a visiblement entendu faire peser sur les acteurs de la relation tripartite de l'assurance de groupe certaines obligations d'information (8), au sens large de ce terme. Pour autant, il semble au moins pouvoir être réservée l'hypothèse du courtier ayant reçu un mandat spécial du souscripteur incluant notamment l'obligation de s'enquérir de la fiabilité et de l'efficacité des documents remis par l'assureur, et ne se limitant pas seulement à la mise en relation de ce souscripteur avec un assureur. Toutefois, il est exact que le coeur de l'arrêt ne se situait pas là. Il s'agissait de sanctionner l'absence de remise de la notice par le souscripteur, en dépit de sa qualité (I). La solution en assurance de groupe n'est pas nouvelle et originale, mais à l'égard d'un souscripteur-employeur les conséquences peuvent paraître sévères (9) (II).

I - La qualité du souscripteur

La difficulté concrète portait donc sur l'absence de remise de la notice à l'adhérent. Autant dire que ce dernier ne pouvait connaître le contenu du contrat auquel il avait adhéré et notamment les clauses d'exclusion qui y figuraient. En droit commun de la consommation, dans de telles situations, la sanction est immédiate et sans appel : toutes les dispositions qui n'ont pas été portées à la connaissance du cocontractant lui sont inopposables. La solution est acquise depuis longtemps en droit des assurances de dommages. Il n'y avait donc aucune raison qu'elle soit différente en assurances de personnes, alors même qu'existe un texte aussi explicite que l'article L.141-4 du Code des assurances. D'ailleurs, l'assurance de groupe a déjà donné lieu à l'application de la sanction par la Cour de cassation (10).

Le montage juridique que constitue une assurance de groupe justifie même doublement l'existence de ce type de règle. En effet, en pratique, l'adhérent n'est en relation qu'avec le souscripteur. Seul ce dernier peut répondre à ses questions, à ses hésitations et attentes. Il est donc logique que ce souscripteur assume les manquements relevés par l'adhérent, même s'il peut démontrer, comme dans le présent arrêt, "qu'il n'avait jamais été en possession de la notice". En assurances de groupe, le législateur impose donc à tout souscripteur, sans distinction selon la qualité de ce dernier, qu'il adopte une attitude active, efficace et vigilante, c'est-à-dire, concrètement, qu'il sollicite et même exige de l'assureur l'accomplissement des obligations à la charge de ce dernier.

Au-delà de la clarté de la règle qui fait peser l'obligation de remise de la notice sur le souscripteur, il faut ajouter qu'elle est cohérente avec la réalité, car, aux yeux de l'adhérent, celui-ci apparaît comme le représentant de l'assureur. Dans d'autres cadres, le magistrat n'hésiterait donc pas à énoncer que l'adhérent a "pu légitimement croire". La théorie de l'apparence s'appliquerait sans difficulté. Mais, de surcroît, l'article L. 141-6 du Code des assurances (N° Lexbase : L2648HWY) a prévu que le souscripteur est "tant pour les adhésions au contrat que pour l'exécution de celui-ci, réputé agir à l'égard de l'adhérent, de l'assuré et du bénéficiaire". Quelques exceptions ont été instituées, notamment, pour les cas où le souscripteur est un établissement financier ; mais les souscripteurs-employeurs ne sont pas concernés : ils sont les représentants de l'assureur. A priori, cette sévérité pourrait être jugée parfois excessive, dans les hypothèses où, comme dans le cas présent, c'est l'assureur qui n'aurait pas satisfait son obligation de remise de la notice au souscripteur afin de permettre à ce dernier, à son tour, de s'acquitter de cette charge.

II - La sévérité du statut du souscripteur

Si la règle de l'article L. 140-4, devenu L. 141-4 du Code des assurances, est claire, nette et sans ambiguïté, elle pourrait, néanmoins, apparaître, de prime abord, parfois sévère, pour ne pas dire rigoureuse, dans le cas de souscripteurs qui sont des employeurs. Car ces derniers souscrivent parfois des contrats d'assurance de groupe dans un objectif totalement désintéressé, pour permettre à leurs salariés de bénéficier de tarifs d'assurance plus attractifs que s'ils contractaient à titre individuel (11). En outre, il convient sans doute de ne pas comparer les entreprises d'une certaine taille, entourées de juristes et mesurant avec précision les obligations qu'elles devront assumer en cas de conclusion d'un contrat d'assurance de groupe au profit de leurs salariés, et des structures très modestes, séduites par cette formule sans en connaître tous les contours. Ces dernières se rapprochent alors, à certains égards, de certaines associations à but non lucratif, modestes et ayant une pure activité de loisir à risques réduits. Or, l'article L. 140-4, devenu L. 141-4 du Code des assurances, s'applique à toutes ces structures sans distinction selon leur volume, leur type d'activité ou encore, par exemple, leurs compétences juridiques.

Toutefois, la sanction subie par le souscripteur vis-à-vis de l'adhérent se comprend. En tant que représentant de l'assureur, il est logique que le souscripteur en assume les conséquences, même s'il est vrai que, dans bon nombre de situations pratiques, le chef d'une petite entreprise n'aura pas toujours conscience des charges qui vont lui revenir lorsqu'il décidera de proposer à ses salariés le bénéfice d'une telle assurance. Les effets de son acceptation, souvent plus implicite que formelle, de devenir cet intermédiaire particulier qu'est un souscripteur, lui échapperont parfois. Il n'est pas dans la position de l'organisme bancaire ou financier négociant le montant des ristournes qu'il sollicite de l'assureur pour assumer le rôle de souscripteur. En d'autres termes, chacun sait qu'une convention unissant l'assureur et le souscripteur ne sera pas souvent -pour ne pas dire jamais- élaborée dans ce cadre-ci.

Pour autant, le souscripteur condamné à indemniser l'assuré aura toujours la possibilité de se retourner contre l'assureur, s'il est exact que ce dernier n'a pas satisfait ses obligations notamment de remise de la notice prévue par la loi, à moins qu'il soit lui-même responsable de cette lacune. L'adhérent à l'assurance de groupe ne doit pas avoir à subir les affres de la recherche du responsable réel ou effectif du manquement constaté. Victime de l'absence d'exécution d'une obligation légale, il est l'objet de toutes les protections par le législateur. Mais il est exact que le législateur n'a pas prévu d'information particulière pour cet intermédiaire parfois averti et aguerri, mais également, dans d'autres circonstances, quelque peu profane. La loi s'est limitée à la protection des adhérents, enfermés dans un contrat d'adhésion complexe et tous les moyens sont bons. Par conséquent, assisterons-nous un jour à des procès intentés à l'encontre des assureurs par des souscripteurs estimant avoir eux-mêmes été mal ou insuffisamment informés sur les fonctions qu'ils doivent assumer ? Allez savoir...

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé, Directrice du master II Responsabilité civile et assurances

  • Du recours subrogatoire de l'assureur de chose contre un transporteur défaillant : l'assureur invité à "faire feu de tout bois" pour faire tomber une clause limitative de responsabilité (ou "qui perd sur le fondement de la faute lourde peut gagner sur celui du dol" !) (Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11.790, FS-P+B N° Lexbase : A3326D7C)

L'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 4 mars 2008, à paraître au Bulletin, est à la confluence du droit des assurances et du droit des contrats. Très pédagogique, il constitue un "concentré" des analyses en matière de clause limitative de responsabilité et, plus largement, sollicite plusieurs concepts importants du droit des assurances et du droit des obligations. Qu'on en juge : l'affaire sollicite la faute lourde, le dol, le manquement à une obligation essentielle du contrat, le devoir de mise en garde d'un cocontractant, le caractère aléatoire d'une assurance vol de marchandises transportées.

En l'espèce, un vendeur de matériel Hi-fi (Sony) a confié l'acheminement du matériel à une société, dont on suppose qu'elle doit être commissionnaire en transports (société Bourgey Montreuil), laquelle a confié cette opération à une société de transports (société Joyau) qui, en dépit de l'interdiction de sous-traitance qui lui a été faite par son cocontractant, l'a sous-traitée auprès d'un autre transporteur (société Raffaelli). La marchandise ayant été dérobée alors que le camion stationnait sur une aire d'autoroute, l'assureur de "l'ayant droit de la marchandise" [formule employée par la Cour de cassation voulant sans doute désigner l'acquéreur du matériel indemnisé par son assureur "de chose"] agit par voie subrogatoire contre le transporteur, lequel appelle en garantie son sous-traitant.

Le contrat de transport litigieux comportait une clause limitative de responsabilité, de sorte que l'assureur n'obtint qu'un remboursement partiel du dommage par lui indemnisé (somme de 3 854 euros). Les circonstances dans lesquelles s'était produit le sinistre n'étaient, selon lui, pas exemptes de reproches. Toutefois, étaient-elles de nature à autoriser la qualification en faute lourde, comme le pensait l'assureur, voire en faute dolosive au sens de l'article 1150 du Code civil (N° Lexbase : L1251ABX), lesquelles sont aptes à écarter les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité ?

Le moyen soulevait que "le véhicule, muni d'une simple bâche, contenant du matériel haute fidélité, était resté stationné une nuit complète, sur une aire de stationnement d'autoroute sans surveillance". Malgré ces éléments, la cour d'appel n'y avait vu là aucune faute lourde.

Le moyen soutenait que "constitue une faute lourde le comportement du voiturier qui, en raison de sa gravité, rend prévisible la réalisation du dommage". On sait que la notion de faute lourde renvoie à une faute d'une particulière gravité qui, sans avoir le caractère intentionnel propre au dol, "confine au dol" (12) tant le manque de sérieux ou de professionalisme est patent. En outre, la jurisprudence antérieure a retenu en plusieurs occasions que constitue une faute lourde le fait d'avoir laissé la nuit sans surveillance un camion simplement bâché dans lequel des marchandises de grande valeur faciles à soustraire ont été volées (13). En dernier lieu, la Chambre commerciale a retenu cette qualification, dès lors que le transporteur avait choisi une aire de stationnement non sécurisée et dangereuse alors que le camion était dépourvu de système de sécurité (14). Dans ce contexte, vue la proximité de notre espèce avec ces précédents, on pourrait s'étonner que les juges n'aient pas, ici, retenu la faute lourde.

La Cour de cassation approuve toutefois cette analyse des juges du fond, soulignant que l'aire d'autoroute "n'était pas réputée dangereuse", que le camion, loin d'être isolé, était garé "à côté de nombreux camions" et, élément qui nous semble le plus décisif, alors "qu'aucune information ne lui [avait] été fournie quant à la nature particulière des marchandises transportées". L'arrêt précise que le contrat liant le commissionnaire au transporteur n'était "assorti [ni] de mise en garde ni de spécificités quant à la nature particulière des marchandises transportées". L'obligation de mise en garde s'invite ici, afin de faire échapper le "créancier" de cette obligation de toute faute lourde, dès lors que, n'ayant pas été mis en garde, il n'est pas tenu pour avoir dû déployer une vigilance accrue.

Voilà bien un faisceau d'indices pour, logiquement, repousser toute faute lourde.

Un autre élément était en discussion : celui ayant trait à la violation par le transporteur de l'interdiction à lui faite par le commissionnaire de recourir à la sous-traitance. Comment qualifier cette violation ?

Cet élément n'était pas venu alimenter la discussion autour de la faute lourde. La cour d'appel avait choisi de l'analyser sous l'angle d'un éventuel manquement à une obligation essentielle du contrat, pour en conclure que la seule mention "sous-traitance interdite", "non assortie de mise en garde ni de spécificités quant à la nature particulière des marchandises transportées ne constitue pas une obligation essentielle du contrat". Chacun connaît les enseignements de la "saga" des affaires "Chronopost" : à l'origine (Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632, Société Banchereau c/ Société Chronopost N° Lexbase : A2343ABE), s'est imposée la sanction par la privation de cause de l'engagement du cocontractant "victime" d'une limitation de la responsabilité du débiteur qui manque à une obligation essentielle du contrat. Par suite, la jurisprudence a distingué selon la nature du contrat d'acheminement rapide, jugeant que pour le contrat type de messagerie soumis à un plafond légal de responsabilité, seule la démonstration d'une faute lourde (laquelle ne s'évince pas du manquement à l'obligation contractuelle, fût-elle essentielle (15)) est apte à écarter ce plafond légal, tandis que pour les contrats ne relevant pas de cette réglementation spécifique, la Cour de cassation impose aux juges du fond de rechercher s'il n'y a pas manquement du transporteur à une obligation essentielle (16). Récemment, la Chambre commerciale a donné à voir qu'elle entendait déployer cette "lutte" contre les clauses limitatives en cas de contravention à une obligation essentielle, en dehors du champ des contrats de transport rapide de courriers ou d'objets pour viser plus largement des contrats d'affaires conclus entre professionnels où l'on peut, pourtant, penser les clauses limitatives de responsabilité librement négociées (17).

Avec l'arrêt du 4 mars 2008, la Chambre commerciale décide, par un moyen relevé d'office ce qui est remarquable, de poser, dans un attendu de principe, que "le transporteur qui a été chargé de transporter une marchandise en s'étant vu interdire toute sous-traitance par l'expéditeur et qui sous-traite l'opération, se refusant ainsi, de propos délibéré, à exécuter son engagement, commet une faute dolosive qui le prive du bénéfice des limitations d'indemnisation que lui ménage la loi ou le contrat". Elle n'entend donc pas restreindre l'analyse à un éventuel manquement à une obligation essentielle. La faute commise était, ici ce n'est point douteux, plus grave et méritait la qualification de dol au sens de l'article 1150 du Code civil. Et l'on constate alors le caractère particulièrement énergique de cette faute dolosive (peu important qu'elle procède d'une violation délibérée d'une obligation essentielle ou non-essentielle !), qui prive de toute limitation de responsabilité, qu'elle qu'en soit l'origine (légale ou contractuelle).

Pour l'assureur agissant par voie subrogatoire, le message est donc clair : il lui faut savoir faire "feu de tout bois" et, au gré des espèces, plaider le manquement à une obligation essentielle, une faute lourde ou une faute dolosive. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes que de constater qu'en l'espèce, l'assureur qui échoue sur le terrain, qu'il avait choisi, de la faute lourde, vient à l'emporter (bien aidé par le relevé d'office des Hauts magistrats) sur celui du dol : qui ne peut le moins peut le plus !

Au titre des suites de l'arrêt, sur le terrain du droit des assurances, on pourrait s'interroger sur le point de savoir si le transporteur et le sous-transporteur condamnés à réparer le préjudice intégral (puisque la clause limitative est écartée) pourront mettre en oeuvre leurs contrats d'assurance responsabilité civile respectifs. Pour le transporteur ayant sous-traité au mépris d'un interdit contractuel, on soulignera que dans la mesure où le "dol civil" et la "faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré" ne sont pas rigoureusement identiques, il est peu probable que soit retenue une faute intentionnelle de l'assuré (au sens de l'article L. 121-2 du Code des assurances N° Lexbase : L0078AA7), le transporteur n'ayant pas voulu le vol. Pour le transporteur comme le sous-transporteur, c'est principalement vers la lecture des conditions de garantie et des clauses d'exclusion qu'il faudra se pencher, pour examiner si le vol de marchandises transportées sera couvert ou si, les circonstances dans lesquelles il s'est produit, relèvent d'une exclusion (directe ou indirecte) de garantie. A cet égard, la consultation de la clause type mise au point par les assureurs en ce domaine sera utile... (18)

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)

  • Du cumul des qualités d'assuré et de victime en matière d'assurance multirisques habitation (Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-22.171, FS-P+B N° Lexbase : A5233D8C)

Les contrats d'assurance multirisques habitation, si répandus, couvrent, notamment la responsabilité civile du "chef de famille". L'assurance responsabilité civile "chef de famille", intégrée à la police multirisque habitation, constitue l'exemple type d'une assurance pour compte, dès lors que le souscripteur du contrat, le "chef de famille", n'a pas seul qualité d'assuré, celle-ci étant généralement attribuée à son conjoint ou concubin (Pacsée ou non !), aux enfants à charge (vivant au domicile ou poursuivant des études), ainsi qu'aux ascendants et descendants vivant au foyer du souscripteur. La qualité de personne assurée et de tiers relève, toutefois, de la liberté contractuelle, de sorte que le périmètre peut varier d'un contrat à l'autre. Cette police couvre la responsabilité que ces assurés peuvent encourir dans le cadre de leurs activités relevant de la vie privée, à l'exclusion de toute activité professionnelle, ce qui peut parfois soulever le problème de la nature (privée ou professionnelle) du dommage (19).

Dans le cadre du contentieux engendré par cette assurance, la couverture des dommages nés de la faute intentionnelle commise par l'enfant de l'assuré est sans doute celle qui a le plus retenu l'attention. Chacun sait ici que l'article L. 121-2 du Code des assurances impose la garantie "des pertes et dommages causés par des personnes dont l'assuré est civilement responsable en vertu de l'article 1384 du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes". L'on se souvient peut-être des hésitations jurisprudentielles dans la délimitation du champ de cet article : restriction à la seule assurance de responsabilité ou extension aux assurances de choses ? La première chambre civile avait ici varié, ayant admis un temps une lecture extensive (20) avant de revenir, plus logiquement, à une lecture stricte de la loi (21). Et il est notable que la jurisprudence a cherché à encadrer le jeu des clauses par lesquelles les assureurs cherchent à écarter directement ou indirectement les dommages non accidentels du champ de cette responsabilité de celui dont l'assuré est civilement responsable. Ainsi, la doctrine (22) a-t-elle relevé que, dans une première étape, la jurisprudence a cherché à concilier liberté contractuelle et caractère impératif de l'article L. 121-2 du Code des assurances, considérant la limitation de la garantie aux "accidents" causés par des personnes dont l'assuré est civilement responsable comme une exclusion indirecte dont les effets sont contraires aux dispositions impératives du texte (23), admettant toutefois la validité d'une clause excluant la rixe, celle-ci n'ayant "pas pour objet d'écarter la garantie des dommages volontairement commis par une personne dont l'assuré était responsable mais se bornait à exclure cette garantie pour une circonstance précise, indépendamment de la nature de la faute commise à cette occasion" (24). Récemment, la jurisprudence s'est faite plus ferme dans la défense du caractère impératif de l'article L. 121-2 du Code des assurances, retenant qu'en vertu de ce texte "d'ordre public, une clause de la police ne saurait exclure directement ou indirectement la garantie de l'assuré déclaré civilement responsable d'une faute intentionnelle de la personne dont il doit répondre" (25).

Avec l'arrêt rapporté du 15 mai 2008, la deuxième chambre civile met à l'honneur une autre question, plus discrète, soulevée par l'assurance de responsabilité civile du "chef de famille". Le problème de droit est simple à énoncer : un contrat d'assurance responsabilité civile couvrant plusieurs personnes en qualité d'assurés couvre-t-il un dommage causé entre eux ? Autrement dit, est-il possible de cumuler les qualités d'assuré et de tiers victime ?

La question était ici cruciale pour la belle-fille du soucripteur qui, vivant au domicile, avait fait une chute en "passant par la [porte-]fenêtre" d'une pièce de la maison, par suite d'un "désemboîtement" de la poignée de celle-ci qu'elle manipulait.

A cette question, la deuxième chambre civile apporte une réponse, en forme de censure, d'une grande netteté. Alors que la cour d'appel avait considéré que les notions d'assuré et de tiers étaient exclusives l'une de l'autre, la Cour de cassation y voit une violation de l'article L. 124-1 du Code des assurances, dès lors que les juges du fond n'avaient pas constaté "que le contrat d'assurance de responsabilité civile qui comportait plusieurs assurés, excluait de la définition du tiers lésé, l'assuré victime d'un dommage causé par un autre assuré". La logique est claire : par principe, la qualité d'assuré n'est pas exclusive de celle du tiers et seule une clause définissant le tiers lésé par exclusion d'un assuré est apte à déroger à ce principe.

Cette solution est d'une parfaite rectitude. L'analyse de la cour d'appel ne pouvait logiquement prospérer car si la qualité de tiers est l'antagonisme de la qualité d'assuré, le seul tiers "absolu" consiste en toute personne distincte de l'assuré même auteur du dommage, de sorte qu'est bien tiers un coassuré, sauf à être lui-même coauteur ! La solution est d'ailleurs enseignée en doctrine : "si la police couvre plusieurs assurés, l'un de ceux-ci peut être responsable d'un dommage causé à un autre. En l'occurrence, ce dernier ne doit pas être regardé comme un assuré, mais comme un tiers victime du premier. Or, rien ne s'oppose juridiquement à ce qu'au regard d'une police d'assurance de responsabilité, une même personne dispose non seulement de la qualité d'assuré, mais aussi de la qualité de tiers victime si elle subit un dommage provoqué par un autre assuré. Il n'est pas rare, du reste, que les contrats d'assurance prévoient expressément pareil jeu des garanties : dans l'assurance tous risques chantier, par exemple, chaque intervenant est généralement assuré contre son risque de responsabilité si son activité entraîne un dommage au préjudice d'un autre, mais il ne s'agit évidemment pas d'une règle absolue. Sauf stipulation contraire, et au regard d'une même police, un assuré peut donc avoir la qualité de tiers victime d'un autre assuré, comme l'illustre un arrêt de la Cour de cassation du 21 mai 1986 (Cass. civ., 21 mai 1986, n° 84-15.492, RGAT, 1986, p. 349, note J. Bigot) : le contrat, souscrit par un loueur de bateaux pour garantir sa responsabilité civile, prévoyant également que les passagers transportés gratuitement avaient la qualité d'assuré à raison de leur responsabilité civile personnelle, ces personnes n'en ont pas moins la qualité de tiers au sens du contrat lorsqu'elles subissent un dommage du fait d'un préposé du loueur. Plus particulièrement, l'expression 'tiers entre eux', souvent retenue par les polices d'assurance à raison d'une population déterminée -membres d'un club sportif, par exemple-, permet au juge de considérer que chacun dispose à la fois de la qualité d'assuré, pour sa responsabilité personnelle envers chaque autre, et de tiers lésé du fait des autres (Cass. civ. 1, 4 décembre 2001, n° 98-17.457 N° Lexbase : A5582AX2, Bull. civ. I, n° 298, Rev. Lamy dr. aff., 2002, n° 46, n° 2925, RGDA, 2002, p. 194, note L. Mayaux)" (26).

L'arrêt du 15 mai 2008 vient donc asseoir ce mouvement jurisprudentiel, avec la netteté d'un arrêt de censure doublée d'une publication au Bulletin, ce qui devrait achever d'attirer l'attention de tous sur la lecture des clauses définissant la qualité d'assuré et celle de "tiers". S'il est constant que les juges du fond n'ont pas à dénaturer une clause mentionnant clairement les personnes considérées comme tiers, ils n'ont pas à se livrer à une interprétation dénaturante élargissant cette catégorie des "tiers lésé".

En l'espèce, le contrat d'assurance litigieux ne semblait pas avoir expressément défini en qualité de tiers un coassuré victime d'un autre assuré. Pourtant, une telle clause n'est pas rare. Un auteur (27) cite ainsi, en guise de "clause usuelle d'une assurance multirisques habitation", celle par laquelle la garantie responsabilité civile vie privée "assure l'indemnisation [...] des conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir en raison des dommages corporels ou matériels causés à une personne n'ayant pas la qualité d'assuré". Ainsi rédigée, la clause est sans ambiguïté : elle exclut tout cumul des qualités d'assuré et de tiers. On peut toutefois s'interroger sur le point de savoir si l'arrêt examiné du 15 mai 2008 ne se fait pas plus exigeant.

Sans aller jusqu'à exiger une clause d'exclusion, au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), ni spécifier une nécessité de "caractères très apparents", au sens de l'article L. 112-4 (N° Lexbase : L0055AAB) du même code, la Cour de cassation impose aux juges du fond de constater dans la définition du tiers lésé, l'exclusion de l'assuré victime d'un dommage causé par un autre assuré. Les assureurs "friands" d'exclusions indirectes pourraient aller au devant de déconvenues. Il faut sans doute, ici, ne pas avoir peur de la redondance et définir avec clarté les assurés (28) et les tiers.

La portée de l'arrêt excède, bien sûr, les seules assurances multirisques habitation. Toute assurance de responsabilité civile siège d'une stipulation pour autrui expose, en germe, à un dommage causé par le souscripteur au(x) bénéficiaire(s) ou vice-versa. L'assurance de responsabilité civile professionnelle, en général, l'assurance des dirigeants d'entreprise, en particulier, s'offrent, à cet égard, en domaines d'application. Quant à l'assurance automobile, l'article L. 211-1 (N° Lexbase : L0263AAY) s'offre en modèle d'assurance couvrant une pluralité d'assurés (responsabilité du conducteur), quel que soit son titre (propriétaire, gardien), "ainsi que la responsabilité civile des passagers du véhicule objet de l'assurance", exposés à faire subir un dommage à un co-assuré.

Cet arrêt doit donc être pleinement approuvé et son message bien entendu.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)


(1) Cass. civ. 2, 8 novembre 2007, n° 06-19.744, Société Médéric vie, F-P+B (N° Lexbase : A4240DZ3), et nos obs., "De la difficulté de classer ou non certaines assurances parmi les assurances indemnitaires", in Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6274BE4).
(2) Cass. civ. 1, 26 avril 1978, n° 76-14.286, Consorts Daigremont (N° Lexbase : A0605CKM).
(3) Ass. Plén., 19 décembre 2003, n° 01-10.670, La Mondiale, F-P+B (N° Lexbase : A4747DA3).
(4) Cass. civ. 2, 13 octobre 2005, n° 04-15.888, M. Alain Croc c/ Société Azur assurances IARD (N° Lexbase : A8407DKL) ; Cass. civ. 2, 20 octobre 2005, n° 04-13.633, M. Liberti Viana F-P+B+R (N° Lexbase : A0290DLC).
(5) Voir entre autres : Cass. civ. 1, 14 mai 1991, n° 86-18.771, Caisse sociale de prévoyance collective (CSPC) c/ M. Max Bertrand et autres, inédit (N° Lexbase : A0744CTQ), RCA, 1991, n° 315 ; Cass. civ. 1, 3 février 1993, n° 91-12.463, M. Béchon c/ Caisse nationale de prévoyance et autre (N° Lexbase : A5745AHA), RCA, 1993, n° 183 et chron. H. Groutel, n° 16 ; Cass. civ. 1, 20 décembre 1994, n° 93-10.867, M. Georges Signoret c/ Compagnie l'Union des assurances de Paris (UAP), société anonyme, inédit (N° Lexbase : A8751CXE), RCA, 1995, n° 75 ; RGAT, 1995, p. 136 ; Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-16.923, Monsieur Dumin c/ Société d'Assurances Crédit Mutuel et autre (N° Lexbase : A0574ACA), RCA, 1998, n° 172 ; Cass. civ. 1, 19 mai 1999, n° 96-21.207, M. Richard Leoni c/ Compagnie Assurances générales de France Vie et IART, société anonyme et autres, inédit (N° Lexbase : A9806CW4), RCA, 1999, n° 280.
(6) Voir toutefois, entre autres : Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41.284, Mme Nicole Thiroux c/ Société Clarel, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A9747CWW), RCA, 1998, n° 259 (encore que, sous l'empire de l'ancien article R. 140-5 N° Lexbase : L8837CZC, la Cour de cassation décide en l'espèce que l'employeur a satisfait à son obligation d'information par la remise de la notice au salarié).  Cass. civ. 1, 17 novembre 1998, n° 96-18152, Société Smith & Nephew c/ Mme Violet et autres, publié (N° Lexbase : A9230CHC), RCA, 1999, n° 22. La Cour de cassation rappelle la règle acquise pour n'importe quel type d'assurance de groupe à savoir que l'obligation d'information de l'employeur-souscripteur ne se limite pas à la phase d'adhésion au contrat.
(7) Et nos obs., Précisions sur les clauses de durée minimum et maximum d'emploi, chron., Recueil Dalloz, 1995, p. 278 et s..
(8) Traité de droit des assurances : les assurances de personnes, sous la direction de J. Bigot, LGDJ, 2007, par L. Mayaux ; . Beignier, Droit du contrat d'assurance, PUF, 1999 ; J. Bonnard, Droit des assurances, Litec, Objectif droit, 2ème éd., 2007, n° 738 ; Y. Lambert-Faivre, L. Leveneur, Droit des assurances, Précis Dalloz, 12ème éd., 2005, n° 921 ;  A. Bugada, Sur le devoir d'information de l'employeur-souscripteur d'une assurance de groupe, Dr. Soc., 1999, p. 709 ; G. Courtieu, Assurance collective : la notice d'information, Ass. fr., n° 704, décembre 1994, p. 34.
(9) A. Bugada, préc. ; G. Courtieu, préc..
(10) Cass. civ. 1, 27 novembre 1990, n° 87-18.927, M. Buresi c/ Compagnie France-Vie et autres (N° Lexbase : A1937AAY), RCA, 1991, n° 37.
(11) Et nos obs., Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, LGDJ, 1996, Tome 267, préf. de J. Héron, n° 453 et s., p. 199 et s..
(12) Cf. Cass. com., 3 avril 1990, n° 88-14.871, Ateliers et chantiers de la Manche (ACM) et autres c/ Société Océanique de pêche et d'armement (SOPAR) et autres (N° Lexbase : A3713AHY), Bull. civ. IV, n° 108, qui définit la faute lourde comme "caractérisée par un comportement d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée".
(13) Depuis Cass. com., 7 mai 1980, n° 77-14.009, SA Messageries Nationales Walbaum c/ Société Grundig France, Robert, publié (N° Lexbase : A4541CGB), Bull. civ. IV, n° 184 ; R., p. 42 ; D., 1981, p. 245 (1ère esp.), note Chabas.
(14) Cass. com., 26 septembre 2006, n° 04-18.232, Compagnie Aig Europe, F-D (N° Lexbase : A3394DR7), CCC, 2007, n° 3, note L. Leveneur. Adde Cass. com., 27 novembre 2007, n° 06-20.620, Société Generali assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A9452DZ4), D., 2008 p. 11, obs. X. Delpech, qui relève "que l'aire de stationnement où a été commis le vol n'était pas un lieu totalement désert mais était située non loin d'habitations et d'une cabine téléphonique, en bordure d'un axe routier fréquenté, et qu'elle était habituellement utilisée par des véhicules poids lourds, que le conducteur de l'ensemble routier était resté dans sa cabine pour y prendre son repos obligatoire et, enfin, qu'il n'est aucunement établi qu'il ait eu la possibilité de stationner son véhicule sur une aire de stationnement éclairée pour poids lourds près de la gare de Sens ou dans un site clos et gardé d'une agence de la société de transport à Sens ou à Troyes, la cour d'appel a pu en déduire l'absence de faute lourde de la société qui a effectué le transport".
(15) Cf. Cass. com., 21 février 2006, n° 04-20.139, Société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI c/ Société Etablissements Banchereau, F-P+B (N° Lexbase : A1807DNA), Bull. civ. IV, n° 48, tirant les enseignement de Cass. mixte, 22 avril 2005, n° 02-18.326, Société Chronopost c/ Société KA France, P (N° Lexbase : A0025DIR), Bull n° 4.
(16) Cf. Cass. com., 30 mai 2006, n° 04-14.974, Société JMB International c/ Société Chronopost, F-P+B+I+R (N° Lexbase : A7228DPE), Bull. civ. IV, n° 132.
(17) Cf. Cass. com. 13 février 2007, n° 05-17.407, Société Faurecia sièges d'automobiles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1894DUP) et Cass. com. 5 juin 2007, n° 06-14.832, Société Thales communications, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5608DWM), RTDCiv, 2007, p. 567, obs. B. Fages, qui souligne judicieusement que "ces deux arrêts montrent tout ce que cette solution peut avoir de radical pour celui qui, lors de la conclusion du contrat, croyait avoir efficacement limité sa responsabilité. Car, si l'on y réfléchit bien, voici un débiteur dont le comportement n'a probablement pas été suffisamment critiquable pour caractériser une faute lourde, car, dans ce cas, une simple application de l'article 1150 du Code civil aurait permis d'écarter la clause, sans qu'il soit besoin de se référer à la notion d'obligation essentielle, mais qui se voit privé après coup, par la double constatation judiciaire du caractère essentiel de l'obligation et d'un manquement ultérieur à cette obligation, du bénéfice d'une clause limitative dont il n'est pas dit, s'agissant d'un contrat conclu entre deux professionnels, qu'elle n'ait pas été individuellement négociée. Dans l'arrêt du 13 février 2007, la clause litigieuse était ainsi contenue dans un important contrat informatique conclu entre les sociétés Oracle et Faurecia ; contrat destiné à déployer un nouveau logiciel sur l'ensemble des sites de l'équipementier automobile, ce qui constituait ici l''objectif final' d'un ensemble d'actes conclus le même jour entre ces deux sociétés. Or, on n'imagine pas que, dans ce type d'opération contractuelle, marquée par le sur-mesure, cette stipulation relative à la responsabilité du prestataire de service informatique n'ait pas fait l'objet d'une discussion entre les parties avant d'être acceptée telle quelle en connaissance de cause. De là, avouons-le, un sentiment quelque peu mitigé à l'idée qu'une telle clause puisse être aussi facilement écartée. Il ne faut pas perdre de vue qu'à l'origine la jurisprudence Chronopost a été conçue pour lutter contre des stipulations non négociées, incluses dans des contrats de masse, et directement contraires à une promesse publicitaire. Cela était parfaitement légitime. Mais est-il bien cohérent que, de fil en aiguille, cette jurisprudence gagne l'ensemble des contrats d'affaires ?".
(18) Là-dessus, cf. Lamy Assurances, 2008, spéc. n° 3019 et s..
(19) Ainsi, à propos d'un dommage provoqué par un garagiste qui avait blessé un de ses employés en nettoyant sa carabine, il a été jugé qu'il relevait de son assurance responsabilité civile contenue dans son assurance multirisques habitation dès lors que ce dommage avait été provoqué en dehors de l'exercice de ses fonctions par l'assuré puisque l'accident avait eu lieu à l'extérieur du garage et juste avant l'ouverture de celui-ci (Cass. civ. 1, 5 juillet 1988, n° 87-12.801, SA Lloyd Continental c/ Rodriguez, inédit N° Lexbase : A0310CNS, RGAT, 1988, p. 851, note R. Bout).
(20) Cf. Cass. civ., 17 novembre 1993, n° 90-18.018, Société de L'Orangerie c/ Compagnie Abeille Paix (N° Lexbase : A3198ACG), Bull. civ. I, n° 324 ; RCA, 1994, comm. 151 et chron. par H. Groutel, RGAT, 1994, p. 518, note Ph. Rémy et p. 526, note J. Kullmann.
(21) Cf. Cass. civ. 1, 5 décembre 2000, n° 98-13.052, Société Foselev Sofrequip c/ Société Sun alliane (N° Lexbase : A1793AIA), Bull. civ. I, n° 312 ; D., 2001, somm. 3322, obs. H. Groutel ; RD imm., 2001, p. 34, obs. G. Durry ; RCA, 2001, Comm., n° 134, et Chron., n° 8, par P. Vallier ; RGDA, 2001. 115, note L. Mayaux.
(22) Là-dessus, cf. H. Groutel, Chronique de Droit des assurances, D., 2008 p. 120.
(23) Cf. Cass. civ. 1, 12 mars 1991, n° 88-12.441, Compagnie le Groupe Drouot c/ M. Boit et autre (N° Lexbase : A3483AHH), Bull. civ. I, n° 87 ; D., 1991. IR. 91 ; RCA, 1991, Comm., n° 194, et Chron., n° 11, par H. Groutel ; JCP éd. G, 1991. II. 21732, note J. Bigot ; RGAT, 1991, 633 ; adde, Cass. civ. 1, 24 mars 1992, n° 89-13.939, Association mémorial de Fleury c/ SA GAN et autres, inédit (N° Lexbase : A5221CZE), RCA, 1992, Comm., n° 243, et Chron., n° 21 par H. Groutel ; RGAT, 1992. 347, note J. Kullmann, au sujet du vol commis par un enfant mineur ; Cass. civ. 1, 3 février 1993, n° 90-19.209, M. X c/ Compagnie Groupe Drouot (N° Lexbase : A5490AHS), Bull. civ. I, n° 53 ; D., 1993, IR, 49 ; RCA, 1993, Comm., n° 180 ; Cass. civ. 1, 14 novembre 1995, n° 93-15.582, Mutuelle assurances des travailleurs mutualistes c/ Société Rhin et Moselle et autre (N° Lexbase : A7821ABB), D., 1996, Somm., 188, obs. Cl.-J. Berr ; RCA, 1996, Comm., n° 104, note G. Courtieu, au sujet d'une clause excluant les actes de vandalisme.
(24) Cass. civ. 1, 13 janvier 2004, n° 02-13.303, Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions c/ M. Bernard Henri Brard, FS-P (N° Lexbase : A7850DAY), Bull. civ. I, n° 14 ; RCA, 2004, Chron., n° 8, par H. Groutel ; RGDA, 2004, p. 509, note L. Mayaux.
(25) Cass. civ. 2, 8 mars 2006, n° 04-17.916, Société AGF Vie, FS-P+B (N° Lexbase : A4997DNE), Bull. civ. II, n° 67 ; RCA, 2006, Comm., n° 177, note H. Groutel ; RGDA, 2006. 529, note L. Mayaux ; Cass. civ. 2, 5 octobre 2006, n° 05-11.823, Société Azur assurances IARD, FS-D, (N° Lexbase : A4972DRL), RCA, 2006, Comm., n° 384, note H. Groutel.
(26) Lamy Assurances, 2008, n° 1292.
(27) J. Bonnard, Droit des assurances, Litec, 2ème éd., 2007, spéc. n° 161, p. 57.
(28) Et ici encore, des difficultés se font parfois jours. Ainsi, lorsque, en matière d'assurance de responsabilité civile professionnelle, l'assuré n'est pas nominativement défini, mais "fonctionnellement". Un arrêt (Cass. civ. 1, 25 février 1992, n° 89-11.858, Compagnie Abeille Paix, société anonyme d'assurances c/ M. Dargère et autres, inédit N° Lexbase : A9472CZT, RGAT, 1992, p. 379, note Ph. Rémy) l'illustre parfaitement. A l'occasion d'un dommage subi par un boulanger locataire-gérant du fonds de commerce, la question s'est posée de savoir s'il était assuré ou tiers au contrat d'assurance souscrit par le propriétaire du fonds. Alors que les juges du fond avaient considéré le locataire-gérant comme un tiers, aux motifs que "la police garantissait les dommages causés à des tiers imputables à l'activité professionnelle de l'assuré telle qu'elle est déclarée aux conditions particulières, celles-ci indiquant la profession de boulanger-patissier, et qu'il apparaissait dans ces conditions que les définitions données par le contrat d'assurance n'excluaient nullement le gérant-libre de la catégorie des tiers et que, par suite, M. L. avait bien cette qualité", la Cour de cassation censure au visa de l'article 1134 du Code civil, après avoir relevé que "la police stipulait qu'il fallait entendre par assuré le chef d'entreprise et la personne responsable qu'il a pu se substituer dans la direction générale de l'entreprise". L'assuré s'est donc causé un dommage à lui-même... Adde, pour l'interprétation, dans un contrat d'assurance de responsabilité "exploitants agricoles", de la clause définissant l'assuré comme le membre de la famille "vivant sur" l'exploitation agricole, cf. Cass. civ. 2, 14 juin 2006, n° 05-12.407, M. Paul Gminsky, F-D (N° Lexbase : A9484DPX), RGDA, 2006, p. 992, note M.-H. Maleville.

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Impôts locaux

[Jurisprudence] La difficile mise en oeuvre de la définition de l'établissement industriel au sens des dispositions de l'article 1499 du CGI

Réf. : CE, 16 janvier 2008, n° 296840, Société MTE R. Le Bras (N° Lexbase : A1119D49) ; CE 3° et 8° s-s-r, 14 avril 2008, n° 307465 (N° Lexbase : A9547D7Q), n° 307466 (N° Lexbase : A9548D7R), n° 307467 (N° Lexbase : A9549D7S), n° 307468 (N° Lexbase : A9550D7T), SA Lorientaise de stockage

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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par ses arrêts rendus le 16 janvier et le 14 avril 2008, vient d'apporter d'utiles précisions sur l'application des critères alternatifs définissant un établissement industriel au sens des dispositions de l'article 1499 du CGI (N° Lexbase : L0268HMU). La Haute juridiction confirme, par ces arrêts, une fois encore, la jurisprudence du Conseil d'Etat du 27 juillet 2005 (CE section, 27 juillet 2005, n° 261899, Minéfi c/ Société des Pétroles Miroline N° Lexbase : A1332DKK). Les faits dans ces deux affaires sont les suivants : la société "Lorientaise" de stockage, la société "Lorient Stockage" et la société "Manutention Transit et Entrepôts (MTE) R. Le Bras" exercent une activité de manutention, transit, consignation, stockage, surveillance et affrètement routier portant sur des matières premières d'origine agricole dans le port de Lorient. Ces sociétés sont propriétaires d'entrepôts utilisés pour le stockage de ces matières premières. L'administration, au regard de l'importance des installations de manutention et de stockage mises en oeuvre et utilisées par ces sociétés, avait regardé les entrepôts comme des établissements industriels et évalué la valeur locative servant d'assiette à la taxe professionnelle et à la taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles les trois sociétés ont été assujetties en fonction de la méthode comptable prévue par les dispositions de l'article 1499 du CGI. Les sociétés avaient soutenu de leur côté que les biens avaient le caractère de biens à usage commercial relevant de l'évaluation prévue par les dispositions de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT). Elles avaient obtenu satisfaction devant le tribunal administratif de Rennes et devant la cour administrative d'appel de Nantes qui avaient regardé ces entrepôts comme commerciaux et avaient en conséquence prononcé la réduction de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (CAA Nantes, 4ème ch., 23 juin 2006, n° 05NT00435 N° Lexbase : A3830DRB ; CAA Nantes, 1ère ch., 23 avril 2007, n° 06NT00742 N° Lexbase : A9547D7Q, n° 06NT00741 N° Lexbase : A9750DWZ, n° 06NT00739 N° Lexbase : A9748DWX, n° 06NT00740 N° Lexbase : A9749DWY). Le ministre de l'Economie s'était alors pourvu en cassation en faisant valoir, notamment, que la cour administrative d'appel de Nantes avait, à tort, apprécié l'importance des moyens utilisés au regard des seuls équipements mis en oeuvre de façon permanente pour le stockage sans prendre en compte les outillages nécessaires pour les opérations de chargement et de déchargement.

L'intérêt de ces décisions réside dans la confirmation de la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" et aussi dans l'éclairage que ces décisions apportent, d'une part, sur la notion de moyens techniques mis en oeuvre, pour la qualification d'établissement industriel et, d'autre part, sur les incertitudes et hésitations quant à l'application des critères définissant l'établissement industriel et s'agissant, notamment, du critère de "la prépondérance dans l'exploitation". Le domaine de définition de l'établissement industriel même après ces arrêts, reste donc ouvert.

1. Les difficultés de la mise en oeuvre des critères tirés de "l'importance des moyens" et de la "prépondérance" qui fondent la caractérisation de l'établissement industriel au sens de l'article 1499 du CGI

La loi classe les locaux affectés à une activité professionnelle en deux grandes catégories, les locaux industriels et les locaux commerciaux, dont la valeur locative est appréciée selon des règles qui leurs sont spécifiques. La valeur des locaux industriels est déterminée conformément aux dispositions de l'article 1499 du CGI en appliquant au prix de revient de leurs éléments des taux d'intérêts fixés à 7 ou 8 %.

1.1. La jurisprudence du Conseil d'Etat du 27 juillet 2005 "Société des pétroles Miroline" : le domaine de l'incomplétude

La jurisprudence "Société des pétroles Miroline" a paru clore le débat en refermant une parenthèse ouverte en 1997 (CE, 15 octobre 1997, n° 154534, SA "Entrepôts Frigorifiques de Cabannes" N° Lexbase : A4558ASM), en faisant converger doctrine et position du juge. L'arrêt de 2005 "Société de pétroles Miroline" retient, en effet, la définition suivante de l'établissement industriel au sens de l'article 1499 du CGI : est un établissement industriel, un établissement dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant. Le juge distingue deux situations : soit l'activité développée au sein de l'immeuble en cause consiste dans la transformation ou la fabrication et met en oeuvre d'importants moyens techniques ; soit l'activité développée est autre qu'industrielle et, dans ce dernier cas, pour que l'établissement soit qualifié d'industriel, il doit requérir des moyens techniques importants dont le rôle doit revêtir un caractère prépondérant.

Le Conseil d'Etat avait jugé de longue date que le caractère industriel d'un établissement dépend de la nature et de l'importance des moyens techniques mis en oeuvre pour la réalisation des opérations qui y sont effectuées (CE, 15 octobre 1997, n° 154534, précité : RJF, 12/97, n° 1138, conclusions F. Loloum ; BDCF, 6/97, n° 114). Il s'était alors engagé dans la voie de la mise en oeuvre de critères alternatifs. La jurisprudence "Société des pétroles Mirolines" a interrompu cette évolution en retenant à l'égal de la doctrine administrative et en paraissant clore un débat ancien, la mise en oeuvre d'un critère alternatif de l'importance des moyens mis en oeuvre et de la nature de l'activité.

L'apport essentiel de la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" a été, sans doute, de faciliter l'exclusion du champ d'application de l'article 1499 du CGI de tout un ensemble de locaux. En effet, si postérieurement à ce jugement de 2005, les services fiscaux ont semblé redéfinir la frontière séparant l'établissement industriel de l'établissement commercial, dans les faits, c'est tout simplement un meilleur équilibre naturel qui a été trouvé entre les deux catégories d'établissements. La frontière a retrouvé en un sens une certaine simplicité de tracé. La doctrine a d'ailleurs souligné postérieurement à la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" que le caractère industriel ne pouvait, par exemple, plus être reconnu aux hypermarchés ou à de simples entrepôts logistiques. Si la frontière entre les dispositions du 1499 et de l'article 1498 ne fait pas souci, la mise en oeuvre des critères permettant de qualifier l'établissement d'industriel est demeurée délicate à la fois parce qu'il s'agit de situation originale et unique en ce qui concerne l'importance des moyens mis en oeuvre et parce que de nombreuses incertitudes demeurent quant à la mise en oeuvre du critère tiré de la prépondérance des moyens.

1.2. La persistance des difficultés postérieurement à la définition de l'établissement industriel initiée par la décision de 2005

La jurisprudence "Société des pétroles Miroline" n'a pas résolu toutes les difficultés. Les hésitations de la jurisprudence étaient inévitables même en présence d'une définition de l'établissement industriel. C'est que les situations à propos desquelles il convient d'apprécier l'existence d'un établissement industriel sont uniques et évoluent en fonction des techniques de production. En effet, la notion d'importance des moyens est éminemment relative et dépend d'un état donné des techniques et de l'industrie. La doctrine souligne, d'ailleurs, avec raison, que le critère de l'importance des moyens mis en oeuvre n'est guère discutable lorsqu'il s'agit d'apprécier des installations de stockage de l'industrie lourde : dépôts pétroliers ou silos céréaliers. Mais il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de simples entrepôts ou de centres logistiques. La jurisprudence en présence de cette nature d'équipements fluctue, surtout lorsque les matériels nécessaires à la conduite de ces activités se miniaturisent, l'électronique supplantant pour partie la mécanique classique, cela emporte des solutions parfois surprenantes : dans l'arrêt "MTE R. le Bras", la cour administrative d'appel de Nantes juge que des équipements et moyens matériels dont le prix de revient s'élève à 986 039 euros ne sont pas de nature à emporter une qualification d'établissement industriel. Ce n'est pas seulement le critère de l'importance qui est délicat à manier. La décision "Société des pétroles Miroline" ne qualifie d'industriel l'établissement dans lequel aucune activité de transformation n'est exercée que si les moyens techniques mis en oeuvre jouent un rôle prépondérant dans l'exploitation. La notion de prépondérance a alors été diversement approchée et appréciée : approche liée à l'actif du bilan (Pierre Colin, commissaire du Gouvernement sous CE, 10 février 2006, n° 270766, SNC Distribution Leader price N° Lexbase : A8320DM4) ou approche par la comptabilité analytique et pourcentage des différents facteurs à la production (Laurent Olléon, commissaire du Gouvernement, sous CE, 27 février 2006, n° 267181, SA larivière N° Lexbase : A3975DNK). Ici, la difficulté est celle de la mesure, car il faut mesurer cette prépondérance ; encore faut-il définir par rapport à quoi.

Ces hésitations illustrent le fait que la définition retenue par le Conseil d'Etat de l'établissement industriel est délicate à mettre en oeuvre, c'est une définition ouverte. Mais il ne pouvait sans doute pas en être autrement au regard de la complexité et de la diversité des situations qu'offre le monde industriel à l'imagination du fiscaliste. Il est vrai que l'arrêt "Société des pétroles Miroline" invitait à se référer aux installations techniques matériels et outillages tels que visés au compte 215 du plan comptable général du 29 avril 1999. C'est une manière de poser une règle claire pour ce qui concerne l'instrumentation du critère de la prépondérance. Mais les poids respectifs des actifs au bilan ne sont pas toujours l'image fidèle de la prépondérance de la mise en oeuvre d'un moyen d'exploitation.

Postérieurement à la décision "Société des pétroles Miroline", la jurisprudence s'est montrée hésitante et la qualification d'établissement industriel ne s'est pas toujours référée à la lettre aux critères avancés par l'arrêt du 27 juillet 2005 "Société des pétroles Mirolines". Dans la décision "SNC Distribution Leader Price" du 10 février 2006, le Conseil d'Etat qualifie un entrepôt d'industriel en se référant à la composition du bâtiment. Le juge retenant pour qualifier l'entrepôt d'industriel, la superficie de 37 000 mètres carrés nécessitant la mise en oeuvre de moyens matériels fixes et mobiles de stockage, de levage et d'empaquetage et la présence d'ouvrages fixes de desserte et de stationnement. Ces singularités jurisprudentielles ne remettent, cependant, pas en question, à titre principal, les principes dégagés par la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" qui apporte sa part de lumière à l'éclaircissement d'une question complexe.

2. Les arrêts du 14 avril 2008 et 16 janvier 2008 : pour quelques certitudes de plus

La cour administrative d'appel de Nantes dans ses décisions de 2007, après avoir repris la définition de l'établissement industriel, écartait cette qualification en constatant, d'une part, que les trois sociétés en cause se bornaient à stocker les matières premières qui leur étaient confiées pour les restituer en l'état sans effectuer aucune opération de fabrication, de transformation ou de conditionnement et que si elles utilisaient un matériel important, il ne jouait pas un rôle prépondérant dans son activité de stockage. Le Conseil d'Etat n'a pas remis en question cette analyse dans ses arrêts de 2008, les décisions du Conseil d'Etat apportant principalement des précisions sur la notion de "mise en oeuvre" des moyens.

2.1. Les arrêts du Conseil d'Etat de 2008 "SA Lorientaise de stockage" et "MTE R. Le Bras" éclairent la notion de "mise en oeuvre"

Le juge n'avait pas eu l'occasion de se prononcer sur la question de la propriété des matériels à prendre en compte pour se prononcer sur le caractère industriel d'un établissement. Dans l'arrêt "MTE R. Le Bras", la cour administrative d'appel de Nantes avait pris en compte dans le cadre de son appréciation des moyens techniques mis en oeuvre, la valeur des seuls immeubles et équipements détenus en pleine propriété excluant les grues louées par le contribuable.

Le commissaire du Gouvernement Nathalie Escault a souligné dans ses conclusions que la nature d'un établissement industriel repose sur l'importance des moyens utilisés. La circonstance qu'ils soient la propriété de l'entreprise ou qu'ils soient loués n'ayant aucune incidence sur leur rôle dans l'exploitation. Le statut juridique des biens ne pèse donc pas au regard de leur utilisation et de leur mise ne oeuvre. C'est une approche économique qui prévaut. "Mettre en oeuvre" c'est affecter des biens dans le but de produire et cette mise en oeuvre ne peut être relativisée ou mise en question simplement du fait du statut juridique des biens. D'une certaine façon, qu'importe qui et comment on exploite l'établissement, ce qui compte c'est de savoir avec quels moyens il est exploité. Le Conseil d'Etat a suivi son commissaire en jugeant que "la circonstance que le redevable soit ou non propriétaire des installations techniques, matériels et outillages est sans incidence sur l'appréciation de leur importance et de leur rôle". Le statut juridique des éléments d'exploitation n'est donc pas déterminant au regard d'une analyse d'une fonction de production.

Le Conseil d'Etat, en écartant, en 2008, toute notion de mise ne oeuvre du pouvoir juridique exercé sur les installations, se montre garant de l'intégrité de la frontière et les inquiétudes nées dans le prolongement de la jurisprudence "Société des pétroles Miroline" d'une extension immodérée de l'application de la méthode comptable ne semblent pas avérées, même si les différents critères demeurent d'application délicate.

2.2. L'incertitude n'est pas un obstacle dans l'application des critères de l'établissement industriel lorsqu'elle est maîtrisée

Sans doute la réalité du monde de l'industrie n'est-elle pas propice à l'élaboration d'une définition transparente de l'établissement industriel. Mais, d'une part, l'équilibre existant entre établissements industriels et commerciaux est souligné par les arrêts "SA Lorientaise de stockage" qui confirme après la décision "Société des pétroles Miroline", la position de l'administration exprimée dans la documentation administrative de base 6 C-251 à jour au 15 décembre 1988 et dans une réponse ministérielle du 4 avril 1991 à M. Arthuis (QE n° 12530 de M. Arthuis, réponse publiée JO Sénat du 4 avril 1991, p. 710 N° Lexbase : L9026H3P). Le Conseil d'Etat, dans ses décisions de 2008, fait, en outre, une application scrupuleuse de la grille de lecture dégagée par la jurisprudence "Société des pétroles Miroline". Or, l'essence même de cette jurisprudence est de conférer un caractère accessoire et secondaire au critère de l'activité exercée, ce qu'a d'ailleurs confirmé la Haute assemblée en annulant plusieurs jugements qui plaçaient ce critère sur le même plan que l'importance des moyens techniques. Pour le reste, on ne maîtrise pas le réel par décret et il importe simplement de veiller à garder une cohérence d'ensemble dans la qualification par la mise en oeuvre des critères de l'établissement industriel. De ce point de vue, la solution retenue dans la décision "MTE R. Le Bras" fait pour le moins débat : convient-il, en effet, de juger de l'importance de moyens d'exploitation pour une activité industrielle donnée à l'aune de son pourcentage du prix de l'immeuble ? Certes, c'est la voie déjà empruntée, comme le souligne le commissaire Olléon, avec la décision du 14 décembre 2005 "Sica du Silo Portuaire de Caen" (CE, 14 décembre 2005, n° 267227 N° Lexbase : A1026DMX), mais il n'est pas certain que ce rapprochement de l'outillage et des constructions soit des plus heureux, ni des plus pertinents.

Il s'agit de fait de contrôler l'évolution jurisprudentielle de la qualification de l'établissement industrie. De ce point de vue, le fait que le Conseil d'Etat ait pu regarder comme industriel tel ou tel établissement, eu égard à l'importance et au caractère prépondérant des moyens techniques employés sur le site, n'emporte pas généralisation de cette qualification à tous les établissements ayant la même activité. Il y a donc, à cet égard, stabilité de la jurisprudence. Simplement, les décisions de 2008 laissent en suspens les interrogations liées à l'application du critère de la prépondérance. Nul doute qu'il sera bientôt précisé.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Le défaut de conformité s'apprécie au regard des données techniques connues ou prévisibles au jour de la vente

Réf. : Cass. civ. 1, 7 mai 2008, n° 06-20.408, Société Sagem communication, F-P+B (N° Lexbase : A4373D8H)

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N2163BG9

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'occasion a été donnée, à plusieurs reprises, d'insister sur l'une des difficultés essentielles du droit de la vente tenant à la distinction de l'obligation de délivrance du vendeur, d'une part, définie par l'article 1604 du Code civil (N° Lexbase : L1704ABQ) comme "le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur", et qui suppose, précisément, que le vendeur lui délivre une chose conforme à ce à quoi il s'est engagé, et, d'autre part, de l'obligation de garantie des vices cachés de l'article 1641 du même code (N° Lexbase : L1743AB8), aux termes duquel "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Il n'est pas ici question de revenir dans le détail sur les enjeux pratiques considérables attachés à la distinction, sauf peut-être à rapidement en rappeler que, s'agissant du délai de prescription de l'action, l'action en garantie des vices cachés, qui, autrefois, devait être engagée à "bref délai", doit, depuis une ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur (N° Lexbase : L9672G7D), être exercée dans les "deux ans à compter de la découverte du vice" (C. civ., art. 1648 N° Lexbase : L8779G8N), délai distinct du délai de droit commun applicable à l'action en défaut de conformité. Des différences se manifestent encore du point de vue des conséquences attachées aux restitutions consécutives soit à la rédhibition dans l'action en garantie des vices cachés, soit à la résolution dans l'action en défaut de conformité. Contrairement, en effet, à ce que décide la jurisprudence en cas de rédhibition consécutive à l'exercice d'une action en garantie des vices, la Chambre commerciale de la Cour de cassation (1) a, récemment, confirmé la solution retenue par un arrêt de la première chambre civile en date du 21 mars 2006, arrêt dans lequel elle avait jugé que "si l'effet rétroactif de la résolution d'une vente pour défaut de conformité permet au vendeur de réclamer à l'acquéreur une indemnité correspondant à la dépréciation subie par la chose en raison de l'utilisation que ce dernier en a faite, il incombe au vendeur de rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue de cette dépréciation" (2). L'importance de la distinction des notions de défaut de conformité et de vice caché explique que la Cour de cassation soit si fréquemment conduite à y revenir pour préciser les contours de chacune d'elles. Pour preuve, une fois encore, un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 mai dernier, à paraître au Bulletin.

En l'espèce, l'acquéreur d'un rétroprojecteur comprenant les fonctionnalités requises pour recevoir la télévision haute définition avait, deux ans après l'acquisition, saisi la juridiction de proximité en résolution de la vente pour défaut de conformité, faisant valoir que le matériel vendu ne permettait pas la réception des émissions haute définition en mode numérique que la société Canal + s'apprêtait à diffuser, selon un mode de cryptage mettant en oeuvre une norme mise au point postérieurement à la vente. La juridiction de proximité de Grenoble avait fait droit à cette demande et, donc, prononcé la résolution de la vente, aux motifs, en substance, que le vendeur aurait dû informer le consommateur de ce que le matériel mis sur le marché n'était pas "prêt" pour la technicité à venir et de s'abstenir de commercialiser un appareil destiné à une technique qui n'était pas encore sur le marché. La décision est cassée, sous le visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1604 du Code civil : "en statuant ainsi quand, sauf stipulation contraire, le défaut de conformité doit s'apprécier au regard des données techniques connues ou prévisibles au jour de la vente et ne peut résulter d'une inadéquation de la chose vendue à des normes ultérieurement mises au point et découlant de l'évolution de la technique, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés".

On rappellera que la non-conformité de la chose vendue aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l'obligation de délivrance ; en revanche, la non-conformité de la chose à sa destination normale ressortit à la garantie des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil (3). Si, donc, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose aux spécifications convenues par les parties, c'est-à-dire au contrat, c'est bien l'obligation de délivrance qui est en cause, le vendeur devant délivrer la chose contractuellement convenue, avec ses caractéristiques, de telle sorte que la délivrance d'une chose différente constitue un manquement à cette obligation (4). Si, au contraire, ce qui est discuté tient à la conformité de la chose à sa destination normale, c'est alors la garantie des vices qui est en cause, les vices étant, précisément, des défauts de la chose qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine (5).

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 7 mai dernier, la question ne portait pas, en réalité, sur la distinction elle-même, mais sur la notion de défaut de conformité telle qu'elle a été définie plus haut. L'intérêt de l'arrêt est, en effet, de venir préciser que la conformité de la chose aux spécifications convenues ne peut être appréciée qu'au regard, dit l'arrêt, "des données connues ou prévisibles au jour de la vente", si bien qu'elle "ne peut résulter d'une inadéquation de la chose vendue à des normes ultérieurement mises au point et découlant de l'évolution de la technique". Cette solution est cohérente : décider du contraire conduirait, particulièrement à une époque où les progrès de la technique sont si nombreux et rapides, à considérablement fragiliser le droit de la vente et favoriser l'insécurité des transactions, en permettant à l'acquéreur de venir réclamer la résolution de la vente, après avoir usé de la chose pendant un certain temps, au motif qu'elle s'avérerait plus ou moins dépassée par l'évolution de la technique postérieure à la vente.


1) Cass. com., 30 octobre 2007, n° 05-17.882, Société Anciens Etablissements Branger (AEB), FS-P+B (N° Lexbase : A2281DZI).
(2) Cass. civ. 1, 21 mars 2006, n° 02-19.236, Safirauto c/ Société Sonauto-Hyundaï, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6388DNW), Contrats, conc., consom. 2006, n° 130, obs. L. Leveneur.
(3) Cass. civ. 1, 27 octobre 1993, n° 91-21.416, Compagnie La Concorde c/ Société MTS et autre (N° Lexbase : A8458AXK), Bull. civ. I, n° 305 ; Cass. civ. 1, 8 décembre 1993, n° 91-19.627, M. Prario c/ M Hennequin de Villermont (N° Lexbase : A5323ABR), Bull. civ. I, n° 362.
(4) Voir not. Cass. civ. 1, 5 novembre 1996, n° 94-15.898, Mlle Badiou c/ M. Faure et autres (N° Lexbase : A8550ABB), JCP éd. G, 1997, II, 22872, note Ch. Radé ; Cass. civ. 1, 17 juin 1997, deux arrêts, n° 95-18.981, Société Plâtres Lambert production c/ M. Poux (N° Lexbase : A0677AC3) et n° 95-13.389, Société Garage Saurel c/ M. Hercher et autres (N° Lexbase : A0414ACC), Bull. civ. I, n° 205 et n° 206.
(5) Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-22.263, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Epoux Journe (N° Lexbase : A0802ACP), Bull. civ. III, n° 181 ; Cass. civ. 3, 15 mars 2000, n° 97-19.959, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Société Thoretim et autres (N° Lexbase : A3495AUY), Bull. civ. III, n° 61 ; Cass. com., 28 mai 2002, n° 00-16.749, Société Wartsila NSD corporation c/ Société Méca Stamp international, F-D (N° Lexbase : A7838AYX), Contrats, conc., consom., 2002, n° 139, obs. Leveneur.

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Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 26 mai 2008 au 30 mai 2008

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N2230BGP

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Obligation de sécurité du salarié

Cass. soc., 28 mai 2008, n° 06-40.629, Société Verreries du Courval, F-D (N° Lexbase : A7813D8U) : les manquements à l'obligation faite à un salarié de prendre soin de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celle des autres personnes du fait de ses actes ou de ses omissions au travail engagent sa responsabilité et peuvent constituer une faute grave .

  • Cessation d'activité/Licenciement économique

- Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-41.730, Mme Patricia Gardee, F-D (N° Lexbase : A7930D89) : seule une cessation complète de l'activité de l'employeur peut constituer, en elle-même, une cause économique de licenciement, lorsqu'elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier. Une cessation partielle de l'activité ne justifie un licenciement économique qu'en cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité .

  • Discrimination

Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-41.715, Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), F-D (N° Lexbase : A7929D88) : la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur, se conformant à la procédure de recrutement en vigueur dans l'entreprise, n'avait pas retenu la candidature de la salariée au vu des résultats de tests passés l'année précédente, a pu décider que sa décision d'écarter l'intéressée de la suite de cette procédure était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination .

  • Révision de l'indemnité conventionnelle par le juge

Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-41.079, Société East Paper Trading, exploitant sous l'enseigne Est papiers, F-D (N° Lexbase : A7923D8X) : la cour d'appel, ayant retenu que, en application de la convention collective, le salarié pouvait prétendre à une indemnité de licenciement égale à deux ans de salaire, a énoncé à bon droit qu'elle ne pouvait exercer le pouvoir modérateur qu'elle tient de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ), l'indemnité étant conventionnelle .

  • Régime de retraite/Cotisations/Prescription trentenaire

- Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-40.021, Association des propriétaires d'appareils à vapeur et électriques (APAVE), F-D (N° Lexbase : A7910D8H) : l'obligation de l'employeur d'affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent, est soumise à la prescription trentenaire .

  • Unité économique et sociale

- Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-60.385, Groupement d'intérêt économique (GIE) du Sec Bron, F-D (N° Lexbase : A7943D8P) : le tribunal, qui a constaté que les sociétés membres des groupements d'intérêt économique (GIE) étaient dirigées par les mêmes personnes, qui exerçaient les fonctions d'administrateurs, de gérants ou de contrôleurs des GIE, et a relevé la complémentarité de leurs activités, ainsi que la similitude des conditions de travail, l'identité de statut social et la permutabilité du personnel, a, ainsi, caractérisé l'existence d'une unité économique et sociale sous une même direction et légalement justifié sa décision .

  • Délégué syndical

Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-60.376, Mme Eve Vaz-Fernandez, F-D (N° Lexbase : A7942D8N) : pour annuler la désignation d'une salariée comme déléguée syndicale, le tribunal retient d'abord, qu'à la date de cette désignation, la société comptait, depuis trois ans, un effectif inférieur à cinquante salariés. Il énonce, ensuite, que, si la salariée disposait d'un mandat syndical pour le compte du syndicat CFTC, celui-ci lui avait été confié à une période où l'effectif de la société était supérieur à cinquante, et qu'au surplus, elle avait été élue aux fonctions de membre titulaire de la délégation unique du personnel le 21 octobre 2005. Eu égard aux dispositions de l'article L. 2143-6 du Code du travail , permettant aux syndicats représentatifs de désigner un délégué du personnel comme délégué syndical pendant la durée de son mandat, aucune rupture dans l'égalité de traitement entre les syndicats au sein de l'entreprise ne peut être reprochée à l'employeur. Cependant, en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la salariée avait conservé le mandat de déléguée syndicale, sans que les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 2143-11 du même code aient été mises en oeuvre, de sorte que l'employeur avait accepté la poursuite de ce mandat en dehors des prévisions légales, peu important l'élection ultérieure de la salariée comme déléguée du personnel, et qu'il ne pouvait, en vertu du principe d'égalité, qui a valeur constitutionnelle, refuser la désignation d'un délégué par un autre syndicat représentatif dans l'entreprise, le tribunal a violé les textes susvisés .

  • Licenciement/Reclassement

- Cass. soc., 27 mai 2008, n° 07-40.703, Association Foyer du jeune ouvrier chrétien, F-D (N° Lexbase : A7919D8S) : pour juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué retient que l'association a vendu l'immeuble dans lequel elle entretenait un foyer d'accueil pour jeunes à la recherche d'un emploi, qui a donc fermé ses portes et qu'elle ne justifie n'avoir ni interrogé tous ses services en vue de proposer un nouvel emploi ni recherché toutes les solutions envisageables de reclassement externe. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la fermeture complète et définitive du seul établissement géré par cette association en voie de dissolution entraînait la suppression de tous les postes de travail, ce dont il résultait une impossibilité de proposer un reclassement dans l'entreprise cessant son activité, et alors, d'autre part, qu'il n'était pas soutenu que l'association appartenait à un groupe, la cour d'appel a violé l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8921G7K, art. L. 1233-4, recod. N° Lexbase : L9889HW8) .

- Cass. soc., 27 mai 2008, n° 07-41.128, F-D (N° Lexbase : A7927D84) : la cour d'appel, ayant constaté que la recherche des possibilités de reclassement par le liquidateur judiciaire n'avait consisté qu'à adresser aux sociétés du groupe une lettre circulaire accompagnée de la liste nominative du personnel, a pu en déduire qu'il n'était pas justifié d'une recherche préalable, effective et sérieuse de reclassement des salariés dont les emplois étaient supprimés. Cet arrêt est, également, l'occasion, pour la Haute juridiction, de rappeler que la cour d'appel, qui a pris en considération l'ensemble des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi, n'était pas tenue de s'expliquer davantage sur le congé de conversion. Et de préciser, enfin, que le salarié, qui a bénéficié d'un tel congé, est recevable à invoquer l'insuffisance du dispositif de reclassement du plan de sauvegarde de l'emploi .

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Expertise génétique : le rappel (à l'ordre) de la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n° 07-15.037, M. Claude Sauron, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7686D88)

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N2166BGC

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

Il semblait acquis que l'expertise génétique est de droit en matière de filiation depuis le 28 mars 2000 (1), date à laquelle la Cour de cassation a solennellement affirmé que "l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder". L'arrêt du 28 mai 2008, rendu au visa des articles 311-12 (N° Lexbase : L2747ABD) et 339 (N° Lexbase : L2812ABR) dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 juillet 2005 (ordonnance n° 2005-759, portant réforme de la filiation N° Lexbase : L8392G9P), témoigne, à n'en pas douter, d'une certaine résistance des juges du fond -en l'espèce l'arrêt d'appel est intervenu le 31 mars 2006- qui nécessite un rappel à l'ordre de la Cour de cassation. La Haute cour casse, en effet, l'arrêt d'appel qui avait refusé de satisfaire la demande d'expertise génétique dans le cadre d'une action en contestation d'une reconnaissance, considérant ainsi que les arguments des juges du fond, fondés, d'une part, sur la vraisemblance de la paternité contestée et, d'autre part, sur l'existence d'une possession d'état, ne suffisaient pas à caractériser un motif légitime permettant de rejeter l'expertise. Cette position de la Cour de cassation paraît plutôt étonnante au regard de sa jurisprudence antérieure relative aux motifs légitimes susceptibles de fonder le refus d'expertise. I - Le rejet de la vraisemblance de la paternité

Indices de paternité. La cour d'appel, pour refuser d'ordonner l'expertise génétique sollicitée par le demandeur à l'action en contestation de la reconnaissance, qui se prétendait lui-même père de l'enfant, s'appuie d'abord sur la vraisemblance de la paternité de l'auteur de la reconnaissance contestée. En l'espèce, l'enfant avait fait l'objet de deux reconnaissances : la première par l'homme qui avait eu une relation avec la mère en 1996, année de la naissance de l'enfant, la seconde par son concubin, dont elle s'était séparée entre 1995 et 1996. Les juges du fond avaient retenu l'existence d'indices allant dans le sens d'une paternité de l'auteur de la première reconnaissance. La cour d'appel avait pu en conclure, comme les juges de première instance, que "dès lors que les présomptions et indices relevés étaient suffisants en eux-mêmes pour établir la paternité de M. Y, il existait un motif légitime de ne pas satisfaire à la demande d'expertise biologique réclamée".

Jurisprudence antérieure. Ce faisant, la cour d'appel reprenait, en réalité, un motif légitime accepté par la Cour de cassation dans d'autres décisions. En effet, la Cour a admis, notamment, dans un arrêt du 24 septembre 2002 (2), que "les présomptions et indices graves que les juges du fond avaient relevés étaient suffisants en eux-mêmes pour établir la paternité de Marino Z, sans qu'il soit nécessaire de rechercher d'autres éléments de preuve et notamment de faire droit à la demande d'expertise, superfétatoire en l'occurrence". Il s'agissait alors d'une action en établissement de la filiation ; le raisonnement consistait à dire que la filiation recherchée était suffisamment établie et que l'expertise génétique était inutile. A priori l'application du même raisonnement dans le cadre d'une action en contestation de la filiation, opérée par la cour d'appel, paraissait plus discutable. Elle pouvait, cependant, s'inspirer d'une décision de la Cour de cassation du 3 novembre 2004 (3) qui a admis, dans le cadre d'une action en contestation de reconnaissance, "que les faits invoqués par les demandeurs, non probants, ne contredisaient en rien la vraisemblance de la reconnaissance [laquelle était établie par plusieurs éléments] que la cour d'appel a ainsi caractérisé un motif légitime de ne pas procéder à une expertise biologique, neuf ans après le décès du père déclaré". Il s'agirait, autrement dit, de considérer également que lorsque la filiation contestée est établie par des éléments suffisants, l'expertise génétique ne peut être admise pour la remettre la cause. Revirement ou précision, l'arrêt du 28 mai 2008 vient contredire cette analyse puisqu'il rejette la vraisemblance de la filiation comme motif légitime fondant le refus d'ordonner une expertise. Cette décision peut être interprétée comme marquant la volonté de la Cour de cassation de revenir sur la solution admise en 2004 et de renforcer le droit à l'expertise génétique. Elle peut, également, être interprétée comme le signe d'une exigence accrue de la Cour de cassation quant à la caractérisation du motif légitime permettant d'exclure l'expertise. Les éléments relevés par les juges dans l'affaire tranchée par l'arrêt du 28 mai 2008 pouvaient, en effet, paraître moins pertinents que ceux relevés dans l'affaire tranchée par l'arrêt du 3 novembre 2004, d'autant plus que dans cette affaire la contestation de la reconnaissance intervenait neuf ans après le décès de son auteur. Il reste qu'en tout état de cause, la Cour de cassation durcit incontestablement sa position à l'égard des motifs légitimes exclusifs d'une expertise génétique.

II - Le rejet de la possession d'état

Existence d'une possession d'état. La cour d'appel avait également fondé son refus d'ordonner une expertise génétique sur la possession d'état établie au profit de l'auteur de la reconnaissance contestée. Celle-ci se caractérisait par le fait qu'il s'était comporté comme un père à l'égard de l'enfant, et qu'il avait obtenu un droit de visite et d'hébergement en 1998, et la résidence habituelle de l'enfant en 2001. La réalité affective de la filiation, que la mère et son concubin souhaitaient remettre en cause, n'était donc pas contestable.

Limitation des motifs légitimes. L'argument ne convainc cependant pas la Cour de cassation qui avait pourtant adopté une position inverse dans l'arrêt du 25 avril 2007 (4). Dans cette dernière décision, en effet, elle avait admis que la volonté constante du père d'assumer sa paternité -certes conjuguée à des difficultés matérielles pour procéder à l'expertise- permettait de caractériser le motif légitime rendant impossible l'expertise génétique. Sur ce point également, la Cour de cassation semble revenir à une position plus favorable à l'expertise génétique en réduisant le domaine d'application des motifs légitimes permettant de la refuser.

Caractère objectif des motifs légitimes. Sans doute peut-on voir dans cette évolution, la volonté de la Cour de cassation de cantonner les motifs légitimes à des éléments plus objectifs et certains. On peut, cependant, espérer qu'elle n'exclura pas complètement la possession d'état notamment dans les hypothèses dans lesquelles celle-ci sera incontestable et aura duré de nombreuses années. Lorsque tel est le cas -et particulièrement lorsque la possession d'état a duré plus de cinq ans- l'action en contestation de la filiation est, en vertu du droit issu de l'ordonnance du 4 juillet 2005, irrecevable. En érigeant une telle possession d'état en motif légitime pour ne pas ordonner une expertise génétique, la Cour de cassation procédait à une intéressante anticipation de la réforme dans les procédures intentées avant l'entré en vigueur du nouveau texte ; il serait regrettable que l'arrêt du 28 mai 2008 marque la fin de cette jurisprudence opportune qui permet de protéger le lien de filiation lorsqu'il correspond à une réalité affective.


(1) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806, Mme X c/ M. Y (N° Lexbase : A8717AHC), Bull. civ. I, n° 103 ; JCP éd. G, 2000, II, 10409, concl. C. Peite, note M.-C. Monsallier Saint-Mleux ; JCP éd. G, 2000, II, 10410, obs. T. Garé ; D., 2000, p. 731, note T. Garé ; D., 2001, p. 2868, note C. Desnoyer ; D., 2001, p. 976, obs. F. Granet ; RJPF, 2000-5/38, obs. J. Hauser ; RTDCiv., 2000, 304, obs. J. Hauser ; Defrénois, 2000, art. 37194, p. 769, obs. J. Massip ; Dr. fam., 2000, comm. n° 72, obs. P. Murat.
(2) Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, n° 00-22.466, Mlle Jessica Leban c/ Mme Catherine Marius, F-P (N° Lexbase : A4910AZU), JCP éd. G, 2003, II, 10053, obs. T. Garé ; D., 2003, 1793, obs. D. Cocteau-Senn ; D., 2003, somm., 2117, obs. F. Granet- Lambrechts ; Dr. fam., 2003, comm. n° 23, note P. Murat ; Defrénois, 2003, p. 124, obs. J. Massip ; RTDCiv., 2003, 71, obs. J. Hauser.
(3) Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 02-11.699, Mme Eliane Hazard, épouse Coyard c/ Mme Jeannine Hazard, épouse Langlais, F-D (N° Lexbase : A7552DD3), RJPF, 2005/3.29, obs. T. Garé ; RTDCiv., 2005, 376, obs. J. Hauser.
(4) Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-13.872, M. Henri Gabert, F-P+B premier moyen (N° Lexbase : A0331DW8), AJ fam., 2007. 273, obs. F. Chénedé ; Dr. fam., 2007, comm. n° 170, obs. P. Murat ; JCP éd. G, 2008, I, 102, obs. Y. Favier.

newsid:322166

Licenciement

[Jurisprudence] Présomption d'innocence et licenciement disciplinaire

Réf. : Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-44.948, Société Frigoccasion, FS-P+B (N° Lexbase : A7034D8Z)

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N2127BGU

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le licenciement pour motif disciplinaire constitue la sanction d'une faute du salarié. Si le salarié bénéficie d'une quasi-immunité en raison des fautes civiles commises durant l'exercice de sa mission, il en va autrement des fautes pénales, pour lesquelles il peut parfaitement faire l'objet d'une procédure, voire d'une condamnation (1). Or, en application du principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, l'action pénale peut, parfois, emporter des conséquences sur l'administration de la preuve de la faute sur le plan du droit du travail. Spécialement, dans une décision du 21 mai 2008, la Cour de cassation devait se prononcer sur l'éventuelle influence que pouvait recevoir la décision du procureur de la République de renoncer aux poursuites du salarié, tout en lui prodiguant un rappel à la loi, comme il y est autorisé par l'article 41-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8616HWZ). Par cet arrêt, la Chambre sociale refuse d'accorder à la décision de rappel à la loi l'autorité de la chose jugée (I), ce qui permet de mieux cerner les conséquences que peut avoir cette procédure sur l'administration de la preuve du licenciement pour faute grave (II).
Résumé

Le rappel à la loi auquel procède le procureur de la République, en application de l'article 41-1 du Code de procédure pénale, est dépourvu de l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas, par lui-même, preuve du fait imputé à un auteur de sa culpabilité. Cette mesure ne peut, par conséquent, suffire à démontrer l'existence d'une faute grave du salarié ayant fait l'objet d'un tel rappel.

Commentaire

I - Les interférences entre procédure pénale et procédure disciplinaire

  • La preuve de la faute grave en droit du travail

Contrairement aux règles de preuve gouvernant la démonstration de l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement (2), l'employeur, qui entend licencier un salarié sur le fondement d'une faute grave, assume la charge de la preuve de l'existence de cette faute (3). En cas de contestation du licenciement, il lui appartient, en effet, de démontrer, devant le juge, l'existence de la faute et son caractère d'une gravité suffisante pour s'opposer au maintien du salarié dans l'entreprise.

Conformément, d'abord, au principe selon lequel celui qui assume la charge de la preuve en subit, également, le risque et, ensuite, à la règle édictée par l'article L. 1235-1, alinéa 2, du Code du travail , le doute demeurant à l'issue de l'administration de la preuve bénéficie au salarié.

  • L'influence d'un jugement pénal

La preuve de la faute grave par l'employeur peut, parfois, se trouver facilitée par la tenue d'un procès pénal antérieur au licenciement. Faisant application de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le procès civil, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide, ainsi, que la décision de condamnation prononcée par le juge pénal s'impose pour ce qui concerne la réalité des faits et leur imputabilité au salarié (4). A l'inverse, une décision de relaxe et, a fortiori, de non-lieu, ne privent pas toujours le juge prud'homal de la possibilité d'apprécier les faits fautifs (5).

  • L'incertitude sur la procédure de rappel à la loi de l'article 41-1 du Code de procédure pénale

Si les règles d'incidence de la procédure pénale sur la procédure disciplinaire dans la relation de travail paraissent donc bien établies, il demeure encore quelques points d'ombre s'agissant de mesures de la procédure pénale pouvant, par exemple, accompagner un non-lieu.

Cela est, notamment, le cas des mesures envisagées par l'article 41-1 du Code de procédure pénale. Ce texte prévoit la possibilité pour le procureur de la République, "s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits", de prendre diverses mesures alternatives aux poursuites, parmi lesquelles figure le "rappel auprès de l'auteur des faits des obligations résultant de la loi".

  • En l'espèce

En l'espèce, une plainte pénale pour menaces avait été déposée par une salarié d'un magasin à l'encontre de son directeur, lui aussi salarié. Le directeur s'est vu notifier par le délégué du procureur de la République un rappel à la loi à la suite de ces faits. De son côté, l'employeur décidait d'une mise à pied à titre conservatoire du directeur, laquelle aboutissait à un licenciement pour faute grave. La cour d'appel saisie décidait que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, estimant que les faits rapportés par l'employeur étaient insuffisamment probant pour caractériser une faute grave. Elle refusait, notamment, de se fonder sur la décision de rappel à la loi prise par le procureur de la République pour caractériser l'existence des faits allégués.

La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme cette analyse et rejette le pourvoi formé par l'employeur. Elle estime, dans un premier temps, que la décision de rappel à la loi de l'article 41-1 du Code de procédure pénale "est dépourvue de l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas par elle-même preuve du fait imputé à un auteur et de sa culpabilité". Puis, dans un second temps, elle constate l'insuffisance des éléments de preuve apportés par l'employeur pour caractériser une faute grave.

II - La primauté de la présomption d'innocence

Deux apports peuvent être tirés de cette décision : celui de l'absence d'autorité de la chose jugée de la décision de rappel à la loi de l'article 41-1 du Code de procédure pénale et celui des effets d'une telle décision sur une procédure disciplinaire dans l'entreprise.

  • Absence d'autorité de la chose jugée de la décision de rappel à la loi

Il semble que ce soit la première fois que la Cour de cassation ait l'opportunité de se prononcer sur l'autorité de la décision du procureur de la République de renoncer aux poursuites et de se contenter d'un simple rappel à la loi. Seule la justice administrative avait eu l'occasion de décider que "l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions qui statuent sur le fond de l'action publique" et non à un simple rappel à la loi (6). Cette solution peut emporter deux types d'appréciation.

  • Une décision respectueuse de la présomption d'innocence

La première amène à contester la décision par l'analyse du mécanisme de rappel à la loi. En effet, celui-ci constitue une alternative aux poursuites, si bien que l'on peut entendre par là que le Parquet, malgré l'existence des faits, renonce à poursuivre l'auteur de faits avérés, soit en raison du faible préjudice en ayant résulté, soit parce que l'auteur des faits est déjà parfaitement reclassé. Dans cette optique, l'existence des faits aurait dû pouvoir être retenue par le juge prud'homal.

La seconde, pourtant, permet de penser que la solution rendue est adéquate. Quoique ayant le statut de magistrats, les membres du Parquet ne font que requérir dans les affaires pénales et, en aucun cas, l'autorité d'une décision de non-lieu ou de rappel à la loi n'équivaut à une décision des juges chargés d'examiner le fond de l'affaire. En outre, une telle solution est parfaitement respectueuse du principe de la présomption d'innocence protégé par l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ) et, surtout, par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1373A9Q) (7).

  • Concordance entre présomption d'innocence et bénéfice du doute en faveur du salarié

A ce compte, la décision de rappel à la loi étant logiquement dépourvue d'autorité de la chose jugée, il est parfaitement logique qu'elle ne s'impose pas au juge civil dans le cadre de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. Les faits n'étant pas établis par une juridiction pénale, ils ne peuvent être retenus sans l'apport d'éléments de preuve supplémentaires.

Cette solution est en parfaite adéquation avec la règle selon laquelle le doute doit bénéficier au salarié (8). Lorsqu'elle est invoquée dans le cadre d'une procédure de licenciement disciplinaire, cette règle ne semble être que l'avatar, en droit du travail, de la présomption d'innocence et du principe selon lequel le doute doit bénéficier à l'accusé (9). En conclusion, il faudra donc retenir que seules les décisions rendues par les juges du fond en matière pénale peuvent imposer au juge prud'homal l'existence ou, au contraire, l'inexistence de faits invoqués par l'employeur au soutien de son licenciement.


(1) Sur la quasi-immunité civile du salarié, v. les arrêts "Costedoat" et "Cousin" (Ass. plén., 25 février 2000, n° 97-17.378, M. Costedoat c/ M. Girard et autres N° Lexbase : A8154AG4, Bull. civ., 2000, n° 2 ; BICC n° 15, avril 2000, concl. Kessous, note Ponroy ; JCP éd. G, 2000, II, 10295, concl. Kessous, note Billiau ; D., 2000, p. 673, note Brun ; RCA, 2000, chron. 11 par H. Groutel et chron. 22 par Ch. Radé ; et Ass. plén., 14 décembre 2001, n° 00-82.066, M. Patrick Cousin N° Lexbase : A7314AX8, Bull. civ., 2001, n° 17 ; RCA, 2002, ss. chron. 4, H. Groutel ; JCP éd. G, 2002, II, 10026, note M. Billiau ; JCPéd. G, 2002, I, 124, n° 7, obs. G. Viney ; RTD Civ., 2002, p. 109, obs. P. Jourdain).
(2) En vertu de l'article L. 1235-1 du Code du travail , aux termes duquel "en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".
(3) Cass. soc., 5 mars 1981, n° 78-41.806, Société Sommer c/ Dzuiba (N° Lexbase : A3330ABX) ; Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-42.204, M. Gilbert Floch c/ Société CMER (N° Lexbase : A5726AG8), Bull. civ. V, n° 306.
(4) Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 96-40.882, Société GMA Cora c/ Mme X et autre ([LXB=A8045AG]).
(5) En cas de relaxe, l'employeur ne peut, cependant, s'appuyer sur des faits dont le juge pénal a estimé qu'ils n'étaient pas établis. V. Cass. soc., 12 mars 1991, n° 88-43.051, M. Picquart c/ La Maison du logement, publié (N° Lexbase : A9300AAP) ; Cass. soc., 20 mars 1997, n° 94-41.918, M. Colas c/ Régie nationale des usines Renault (N° Lexbase : A3963AAZ) et les obs. de N. Mingant, Harcèlement sexuel : le juge du contrat de travail et l'autorité de la chose jugée au pénal, Lexbase Hebdo n° 190 du 17 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0928AKL).
En cas de non-lieu, v. Cass. soc., 30 mai 1996, n° 92-44.783, M. Thierry Idenn, boulanger c/ Mme Maria Monteiro (N° Lexbase : A9922ATN).
(6) CAA Versailles, 1èr ch., 26 mai 2005, n° 03VE01296, Département de l'Essonne (N° Lexbase : A6806DIW).
(7) Le respect de la présomption d'innocence est, également, prévu par l'article 6-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).
(8) Sur cette question, v. R. Pautrat, La charge de la preuve et le poids du doute dans l'appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement, D., 1994, p. 337.
(9) CEDH, 6 décembre 1988, Req. 24/1986/122/171, Barberà, Messegué et Jabardo (N° Lexbase : A6469AWI).

Décision

Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-44.948, Société Frigoccasion, FS-P+B (N° Lexbase : A7034D8Z)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. E, 30 juin 2006

Textes cités : C. pr. pén., art. 41-1 (N° Lexbase : L8616HWZ)

Mots-clés : licenciement ; absence de cause réelle et sérieuse ; preuve de la faute grave ; procédure pénale ; rappel à la loi ; preuve insuffisante.

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Santé publique

[Jurisprudence] Le pouvoir règlementaire ne peut interdire aux chirurgiens-dentistes de mentionner sur leurs plaques et imprimés professionnels les compétences particulières qu'ils ont acquises

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 16 avril 2008, n° 302235 (N° Lexbase : A9526D7X) et n° 302236 (N° Lexbase : A9527D7Y), Association française d'implantologie

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice

Le 07 Octobre 2010

L'examen des conditions dans lesquelles les praticiens (en l'espèce, les chirurgiens-dentistes) peuvent faire état des titres et diplômes qui leur sont délivrés tout au long de leur activité professionnelle, oblige à concilier des intérêts parfois contradictoires. L'intérêt des praticiens est, en effet, de "valoriser", vis-à-vis de leurs patients, les formations complémentaires qu'ils ont suivies, en affichant une compétence spécifique pour traiter certains problèmes dans des conditions différentes du chirurgien-dentiste "de base". L'intérêt des autorités ordinales, gardiennes de la déontologie de la profession, mais aussi celui des patients, est d'éviter que les praticiens fassent usage de titres qui, soit renverraient à des formations dont le contenu serait mal connu, soit pourraient induire les patients en erreur. Par deux décisions en date du 16 avril 2008, le Conseil d'Etat a annulé des dispositions réglementaires qui avaient méconnu la nécessité de permettre aux autorités ordinales de jouer leur rôle consistant à concilier l'intérêt des membres de la profession et la protection de la santé publique. Cette conciliation vise à permettre aux praticiens de solliciter la mention, sur leurs documents professionnels, des titres et compétences qu'ils ont acquis, mais aussi que les autorités ordinales examinent la réalité et le sérieux de ces titres et compétences, afin de distinguer ceux qui apportent une "plus-value professionnelle" de ceux qui ne consacrent aucune qualité particulière, voire qui peuvent tromper la clientèle sur les qualités réelles du praticien.

Le Conseil d'Etat a, ainsi, considéré que le souci d'éviter que la profession de chirurgien-dentiste soit exercée comme un commerce ne justifiait pas l'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles toute autre indication relative à la qualification du professionnel, autre que celle du diplôme d'Etat et de la spécialité, sans qu'il fût tenu compte du but ou de la valeur informative de ces indications. Le Conseil a, en conséquence, jugé que cette interdiction était de nature à porter, aux droits des intéressés au respect des libertés de recevoir ou de communiquer des informations, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels des restrictions peuvent être définies et que les dispositions en cause (C. santé publ., art. R. 4127-218 N° Lexbase : L9239GTD) avaient méconnu les stipulations de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4743AQQ).

Ces décisions, qui ne sont pas sans précédent, confirment une approche pragmatique qui constitue plutôt une bonne nouvelle pour les membres des professions concernées.

I - Si le législateur peut confier aux autorités ordinales le soin d'examiner au cas par cas les titres et diplômes qu'entendent faire valoir les membres de la profession...

A - La communication d'informations professionnelles par les chirurgiens-dentistes est garantie par les stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

1 - La limitation, par le Code de la santé publique, des mentions pouvant figurer sur les plaques professionnelles des chirurgiens-dentistes, a pour objet de distinguer l'information (autorisée) de la promotion publicitaire (prohibée)

La profession de chirurgien-dentiste fait partie des professions réglementées. Elle ne peut être exercée, en vertu de l'article L. 4111-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3081DLP), que par une personne titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre prévu à l'article L. 4141-3 du même code (N° Lexbase : L6073G4P). Pour les personnes ayant reçu leur formation en France, il s'agit du diplôme français d'Etat de docteur en chirurgie dentaire, ou du diplôme français d'Etat de chirurgien-dentiste.

Toutefois, au-delà de ces diplômes et titres sanctionnant la formation de base des praticiens de l'art dentaire, des facultés de médecine et de chirurgie dentaire ont mis en place des formations continues payantes, aux termes desquelles sont délivrés des diplômes d'université qui ne sont pas des diplômes nationaux, formations que certains professionnels souhaitent voir reconnues en qualité de "spécialités". L'une de ces spécialités est officiellement reconnue : il s'agit de l'orthodontie qui est, notamment, reconnue par la délivrance d'un titre par le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. Elle constitue, avec la chirurgie buccale, les deux seuls titres de "formation de praticien de l'art dentaire spécialiste" figurant, pour la France, à l'annexe V de la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN). Tel n'est pas le cas, en revanche, de l'implantologie (qui constitue une technique de prothèse) qu'aucun Etat membre n'a fait figurer à cette annexe.

Au titre de la déontologie, l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1930HSB) limite les indications que le chirurgien-dentiste est autorisé à mentionner sur ses imprimés professionnels, notamment ses feuilles d'ordonnances, notes d'honoraires et cartes professionnelles, relatives à "sa qualité et sa spécialité", ainsi qu'à ses "titres et fonctions reconnus par le Conseil national de l'ordre". L'article R. 4127-218 du même code (N° Lexbase : L9239GTD) interdit au chirurgien-dentiste de faire figurer sur une plaque professionnelle, à la porte de son immeuble ou de son cabinet, d'autres mentions que ses nom, prénoms, sa qualité et sa spécialité. Il peut, cependant, y ajouter l'origine de son diplôme, les jours et heures de consultation, ainsi que l'étage et le numéro de téléphone.

Dans le domaine médical, en effet, si les praticiens peuvent librement informer le public (et donc leurs éventuels patients) des prestations qu'ils proposent, ils ne peuvent, en revanche, recourir à la publicité entendue comme une démarche promotionnelle. Cette interdiction ne saurait, toutefois, réduire la liberté d'expression des personnes : la cour d'appel de Paris a, ainsi, rejeté le grief de publicité illicite articulé par des laboratoires médicaux contre un médecin auteur d'un guide critique des médicaments (CA Paris, 20 décembre 1974, Pradal, Gaz. Pal., 1975, 1, p. 148, JCP éd. E, 1975, II, 11828, JCP éd. G, 1975, II, 18056, obs. D. Nguyen-Thanh, D., 1975, jurispr., p. 312, note R. Lindon). Seule la promotion d'un produit ou d'un service relève, en effet, de la publicité illicite. En revanche, la critique scientifique demeure autorisée : le médecin qui, au cours d'une émission télévisée consacrée à l'alcoolisme, traite une marque d'apéritifs d'"ennemi public n° 1" n'excède pas les limites de la liberté d'expression et ne commet pas de dénigrement publicitaire répréhensible (TGI Paris, 14 février 1979, Gaz. Pal., 1979, 1, somm., p. 260).

En revanche, la jurisprudence, tant judiciaire qu'administrative, s'attache à faire respecter l'interdiction de toute démarche exclusivement promotionnelle. Ainsi, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a pu obtenir l'interdiction sous astreinte d'une campagne de publicité, faite par un distributeur non spécialisé qui utilisait la "croix verte", marque déposée par le demandeur (TGI Paris, réf., 16 juin 1987, Ordre des Pharmaciens c/ Galec, JCP éd. E, 1987, II, 15033, note A. Viandier). De même, le Conseil d'Etat a confirmé l'interdiction d'exercer pendant un an, infligée par l'ordre des pharmaciens à l'un de ses membres qui avait fait de la publicité en faveur de son officine (CE, 30 octobre 1989, n° 81161, Mme Raveneau-Sabardeil c/ Conseil national de l'ordre des pharmaciens N° Lexbase : A2160AQ3, Gaz. Pal., 1990, 2, pan. dr. adm., p. 396).

2) Le contenu de ces mentions entre dans le champ d'application des stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

L'article 10 § 1 de la CESDH reconnaît, en effet, à toute personne le droit à la liberté d'expression qui comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou idées, sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le paragraphe 2 du même article relève, cependant, que l'exercice de ces libertés emporte également des devoirs et responsabilités et permet de les soumettre à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsqu'elles constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment à la protection de la santé.

La notion d'information ainsi couverte est entendue dans un sens très large car elle couvre, non seulement, la liberté d'expression politique, philosophique ou religieuse, mais aussi l'information de nature économique, professionnelle ou artistique. Dès lors qu'une information emprunte un support destiné à la rendre publique, les stipulations de l'article 10 § 1 ont vocation à s'appliquer.

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a, notamment, fait application de l'article 10 de la CESDH en retenant comme une ingérence non justifiée par le souci de protéger les droits des tiers, l'interdiction de toute publicité faite à un vétérinaire allemand, interdiction qui réduisait de manière excessive la liberté d'information sur l'ouverture d'un service de nuit par ce vétérinaire (CEDH, 25 mars 1985, req. 10/1983/66/101, Barthold N° Lexbase : A6486AW7, Jurispr. CEDH, n° 566, p. 249).

De même, la Cour a admis l'applicabilité de l'article 10 dans le cas d'une sanction infligée à un avocat, au motif qu'il avait fait publier dans un journal une annonce donnant son nom et son adresse suivie de la mention "juriste", dans la mesure où cette annonce, dont la visée était publicitaire, fournissait aux personnes ayant besoin d'une assistance juridique des renseignements d'une utilité certaine et de nature à faciliter leur accès à la justice (CEDH, 24 février 1994, req. 8/1993/403/481, Casado Coca c/ Espagne N° Lexbase : A6616AWX, Légipresse, 1995, n° 118, III, p. 1).

Dans un arrêt plus récent (CEDH, 17 octobre 2002, Stambuck c/ Allemagne), la Cour a estimé qu'une sanction pécuniaire infligée à un médecin allemand, qui avait indiqué dans un article de presse avoir traité plus de quatre cents patients par la technique d'opération au laser avec un taux de succès de 100 %, constituait une ingérence des pouvoirs publics, allant au-delà des restrictions que le paragraphe 2 de cet article permet d'apporter.

L'on voit donc que la CEDH retient une interprétation extensive du champ d'application des stipulations de l'article 10 § 1, et que le droit de communiquer des informations garanti par ces stipulations, recouvre souvent le droit pour le praticien de promouvoir ses compétences. C'est, qu'en effet, une démarche promotionnelle comporte souvent un aspect informatif (notamment, afin de rendre crédible la prestation proposée et le prestataire lui-même), tandis que la communication d'informations a souvent une visée promotionnelle, ne serait-ce que parce qu'elle se rapporte à des informations qui présentent le praticien sous un jour favorable.

Dans les deux affaires qui ont donné lieu aux décisions du 16 avril 2008 étaient, cependant, en cause non pas des articles de presse, mais des documents professionnels tels que des notes d'honoraires, ordonnances et cartes professionnelles, ou une plaque professionnelle apposée dans la rue à l'entrée du lieu d'exercice. Il fallait donc déterminer si de tels documents constituent des supports visant à rendre publiques les informations qu'elles comportent, de nature à faire entrer les mentions qu'elles comportent dans le champ de l'article 10. L'on pouvait hésiter dans la mesure où les documents et supports en cause ne permettent de toucher qu'un public très limité : celui des passants dans la rue pour la plaque, des patients ou des personnes physiquement rencontrés pour les autres documents professionnels. Toutefois, faute pour les chirurgiens-dentistes, comme pour les médecins, de pouvoir recourir à la publicité, ce sont les rares moyens, avec la mention de leur nom et coordonnées dans un annuaire téléphonique, qui leur permettent de se faire connaître du public.

L'interdiction d'inscrire sur la plaque toute autre mention que la qualité, la spécialité lorsqu'elle est reconnue (uniquement l'orthodontie et la chirurgie bucco-faciale en France) et l'origine géographique du diplôme de chirurgien-dentiste, ainsi que la restriction consistant à ne pouvoir faire figurer sur les documents professionnels que les diplômes, titres et compétences reconnus par le conseil de l'ordre, constituent incontestablement des ingérences à la liberté d'expression puisqu'elles limitent l'information qui peut être portée à la connaissance du public. Or, celui-ci peut avoir intérêt à connaître quelle technique de prothèse un chirurgien-dentiste pratique avant de choisir celui qu'il va aller consulter dans la perspective de se faire poser des prothèses, ainsi que sa compétence en la matière.

C'est donc fort logiquement que le Conseil d'Etat a relevé que "les dispositions de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique, qui ont été édictées dans le but d'éviter qu'un chirurgien-dentiste ne puisse faire usage de ses titres à des fins publicitaires et afin de prémunir les patients, dans l'intérêt de la santé, contre des risques d'erreur ou de confusion dans l'interprétation des indications qui leur sont données par un chirurgien-dentiste, mettent en cause la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et entrent, par suite, dans les prévisions des stipulations de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales".

B - La limitation des titres et diplômes pouvant figurer sur les plaques professionnelles à ceux reconnus par le Conseil de l'ordre n'est contraire ni aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH, ni aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE

1) La limitation des titres et diplômes pouvant figurer sur les plaques professionnelles à ceux reconnus par le Conseil de l'ordre n'est pas contraire aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

Si la jurisprudence européenne retient du champ d'application certaines stipulations de l'article 10 § 1, elle s'attache, cependant, à préserver les droits qu'ont les Etats, en vertu du paragraphe 2 du même article, d'apporter des restrictions à l'exercice de la liberté de communication. Ainsi, après avoir relevé que "la publicité constitue, pour le citoyen, un moyen de connaître les caractéristiques des services et des biens qui lui sont offerts" (CEDH, 24 février 1994, req. 8/1993/403/481, Casado Coca c/ Espagne, précité), la Cour estime, toutefois, que les Etats doivent disposer d'une certaine marge d'appréciation pour juger de la nécessité d'une ingérence, pareille marge s'imposant spécialement en matière de publicité. Les juges relèvent, d'ailleurs, que la publicité "peut parfois faire l'objet de restrictions destinées, notamment, à empêcher la concurrence déloyale et la publicité mensongère ou trompeuse. Dans certains contextes, même la publication de messages publicitaires objectifs et véridiques pourrait subir des limitations tendant au respect des droits d'autrui, ou fondées sur les particularités d'une activité commerciale".

Ces limitations "appellent, cependant, un contrôle attentif de la cour, laquelle doit mettre en balance les exigences desdites particularités avec la publicité en cause et, à cet effet, considérer la sanction incriminée à la lumière de l'ensemble de l'affaire". La CEDH précise, à cet égard, que, "grâce à leurs contacts directs et constants avec leurs membres, les autorités ordinales ou les cours et tribunaux du pays se trouvent mieux placés que le juge international pour préciser où se situe, à un moment donné, le juste équilibre à ménager entre les divers intérêts en jeu" (CEDH, 24 février 1994, Req. 8/1993/403/481, Casado Coca c. Espagne, précité). Les autorités ordinales ont, ainsi, pour mission d'organiser la conciliation entre la mise en oeuvre de la liberté de communication au bénéfice des membres de leurs professions, et la protection de la santé publique.

La protection de la santé publique justifie, ainsi, que l'Etat exerce un certain contrôle sur les compétences, titres ou diplômes qu'un chirurgien-dentiste souhaite revendiquer publiquement afin de mieux se faire connaître. Les prestations de soins dentaires peuvent produire des effets sur l'intégrité physique du bénéficiaire. Le recours à ces prestations répond le plus souvent à une nécessité, y compris en matière de prothèses, plutôt qu'il ne satisfait à une envie. De plus, le domaine de la santé est de ceux dans lesquels il existe une forte "asymétrie de l'information" entre le professionnel et le bénéficiaire de la prestation, ce dernier n'étant pas vraiment en mesure d'apprécier la qualité de la prestation qu'il achète. L'intérêt de la santé publique justifie donc que l'Etat s'assure que les diplômes, titres ou compétences dont souhaite faire état un professionnel constituent une information pertinente.

C'est pourquoi, selon le Conseil d'Etat, "les dispositions de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique qui donnent au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes compétence pour autoriser un chirurgien-dentiste à faire figurer sur ses imprimés professionnels des titres et fonctions autres que le diplôme d'Etat ou la spécialité, apportent à la liberté de communication et d'information une restriction nécessaire à la protection de la santé, destinée à assurer les patients de la qualité et de l'intelligibilité des informations portées à leur connaissance, restriction autorisée par le paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales". Autrement dit, subordonner la mention des titres et diplômes à la vérification préférable par un organisme tel que le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes que les diplômes, titres ou compétences revendiqués présentent des garanties suffisantes, constitue une exigence proportionnée à l'objectif de santé publique poursuivi.

2 - La limitation des titres et diplômes pouvant figurer sur les plaques professionnelles à ceux reconnus par le Conseil de l'ordre n'est pas contraire aux principes communautaires de liberté d'établissement et de libre prestation de services

Les articles 43 et 49 (N° Lexbase : L5359BCH) du Traité instituant la Communauté européenne imposent la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services. Doivent être considérées comme de telles restrictions toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de ces libertés. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a, de ces entraves, une conception très large, par exemple une action collective engagée par un syndicat ou un groupement de syndicats à l'encontre d'une entreprise, aux fins d'amener cette dernière à conclure une convention collective dont le contenu est de nature à la dissuader de faire usage de la liberté d'établissement (CJCE, 11 décembre 2007, aff. C-438/05, International Transport Worker's Federation c/ Viking Line ABP N° Lexbase : A0543D3I). Or, l'on peut penser que l'impossibilité de faire état d'un diplôme de spécialisation obtenu ou d'une compétence acquise dans un autre Etat membre peut dissuader un chirurgien-dentiste de venir s'installer en France, ou d'y accomplir des prestations de service. La CJCE admet, cependant, qu'un Etat membre adopte des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité, sous réserve, pour ces mesures, de remplir quatre conditions. La première tient au caractère non discriminatoire de ces mesures ; la deuxième à leur justification par des raisons impérieuses d'intérêt général ; la troisième à leur capacité à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et la quatrième à leur caractère proportionné, qui impose que ces mesures n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé (CJCE, 31 mars 1993, aff. C-19/92, Dieter Kraus c/ Land Baden-Württemberg N° Lexbase : A0065AWC, Rec. p. I-1663, point 32).

"La protection de la santé publique est au nombre des mesures impérieuses d'intérêt général qui peuvent justifier des restrictions et les dispositions du Code de la santé publique contestées devant vous ne sont pas discriminatoires". Ainsi, dans ses conclusions sous l'affaire "Doulamis" (CJCE, 13 mars 2008, aff. C-446/05, Ioannis Doulamis c/ Union des Dentistes et Stomatologistes de Belgique (UPR) N° Lexbase : A3766D7M), l'avocat général Yves Bot, s'il considère que l'interdiction aux chirurgiens-dentistes de faire toute publicité auprès du public pour leurs prestations constitue une restriction à ces deux libertés (établissement et libre prestation de services) en matière de soins dentaires, est cependant non discriminatoire et justifiée par des exigences impérieuses d'intérêt général. Il fonde sa position sur la nécessaire confiance qui doit exister entre patient et praticien compte tenu des particularités des prestations de service de santé, notamment du caractère asymétrique de l'information dans leurs relations.

Dans les deux décisions en date du 16 avril 2008, le Conseil d'Etat adopte la même position en considérant que, si les dispositions de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique "constituent une entrave à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services, elles s'appliquent de manière non discriminatoire, et apportent à ces libertés [...] une restriction justifiée par un objectif de santé publique, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci".

Ajoutons que les dispositions de la Directive 2005/36/CE précitée ne portent que sur le diplôme qui permet l'exercice de la profession et ne donnent aucune indication sur les informations que les praticiens peuvent faire figurer concernant leurs autres titres, diplômes ou qualifications. En outre, l'implantologie n'est pas au nombre des spécialités en matière d'art dentaire dont elle traite. La Directive 2005/36/CE ne fait donc pas, par elle-même, obstacle à ce qu'un organisme national tel que le Conseil national de l'ordre s'assure au cas par cas que les diplômes, titres ou qualifications revendiqués en matière d'implantologie par un chirurgien-dentiste traduisent une vraie compétence. Or cette exigence est toute à la fois utile et proportionnée à l'objectif de santé publique poursuivi.

II - ...il ne saurait, en revanche, permettre à ces mêmes autorités d'opposer une interdiction systématique à la mention de titres et qualités professionnelles

A - L'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles des mentions autres que celles relatives au diplômes d'Etat et à la spécialité est contraire aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH et, probablement, aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE

1) L'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles des mentions autres que celles relatives au diplômes d'Etat et à la spécialité est contraire aux stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH

Dans les deux décisions en date du 16 avril 2008, le Conseil d'Etat, après avoir rappelé que l'article R. 4127- 218 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9239GTD) a pour effet "d'interdire à un chirurgien-dentiste de mentionner sur sa plaque professionnelle d'autres titres ou diplômes que son diplôme d'Etat et sa spécialité", considère que "le souci d'éviter que la profession de chirurgien-dentiste soit exercée comme un commerce ne justifie, toutefois, pas l'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles toutes autres indications relatives à la qualification du patrimoine autre que celle du diplôme d'Etat et de la spécialité, sans qu'il soit tenu compte du but ou de la valeur informative de ces indications". Le Conseil en conclut que cette interdiction est de nature à porter aux droits des intéressés au respect des libertés de communication et d'informations garanties par les stipulations de l'article 10 de la CESDH "une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels des restrictions peuvent être définies". Les dispositions de l'article R. 4127- 218 précité sont donc contraires à ces stipulations en tant qu'elles interdisent toutes mentions et ne se bornent pas, à la différence de celles de l'article R. 4127-216 du même code, à subordonner l'inscription de ces mentions à l'autorisation du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.

L'interdiction générale de mention telle que celle qui est édictée pour la plaque professionnelle est donc disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi de protection de la santé publique. En effet, il peut être intéressant et important pour un patient de savoir qu'un chirurgien-dentiste pratique telle ou telle méthode de prothèse, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une méthode présentant des dangers particuliers pour la santé publique. Il lui sera aussi utile, dans le choix du praticien, de savoir qu'il dispose de diplômes, titres ou reconnaissance d'une qualification se rapportant à cette pratique, même si ceux-ci n'ont pas été délivrés par l'Etat, dès lors que les conditions de leur octroi garantissent un niveau suffisant de compétence.

2) Une telle interdiction est, également, probablement contraire aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE

Dans ses conclusions sous les deux décisions du 16 avril 2008, Mme de Salins a estimé que l'interdiction générale et absolue de faire figurer sur les plaques professionnelles des mentions autres que celles relatives aux diplômes d'Etat et à la spécialité était, également, contraire aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE. Le Conseil d'Etat, préférant retenir le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 10 § 1 de la CESDH, ne s'est, cependant, pas prononcé sur ce point.

Il n'en demeure pas moins que dans la mesure où rien ne permet d'affirmer que l'implantologie présenterait des dangers tels pour la santé publique que son exercice devrait être sérieusement encadré, l'interdiction générale et absolue de la mentionner comme spécialité ne peut qu'être contraire aux dispositions des articles 43 et 49 du TUE puisqu'elle peut, notamment, avoir pour conséquence de dissuader un chirurgien-dentiste diplômé dans ce domaine de s'installer dans un Etat membre qui ne lui permet pas de faire mention de ce diplôme. Il y a donc bien là une restriction à la liberté d'établissement et une interdiction générale et absolue ne saurait être proportionnée par rapport à un objectif de protection de santé publique, ne serait-ce qu'en raison, précisément, de son caractère absolu qui refuse toute proportion.

Constitue, ainsi, une entrave au droit d'établissement et à la libre prestation de services en ce qu'elle peut être de nature à "freiner" la constitution d'une clientèle, l'interdiction absolue de mentionner sur une plaque professionnelle un diplôme, titre ou compétence en matière d'implantologie. En outre, l'objectif de protection de la santé publique qu'elle poursuit pourrait être atteint par une mesure de restriction plus limitée qui, certes, répond à une exigence impérieuse d'intérêt général, mesure de restriction plus limitée qui consiste à permettre à un organisme national de s'assurer que le contenu et les modalités de délivrance des diplômes ou qualifications revendiqués traduisent une vraie compétence.

B - La solution retenue, qui encadre les pouvoirs des autorités ordinales tout en les protégeant, est proche des solutions retenues en matière de pouvoir de police

1 - La solution retenue, qui n'est pas sans précédents, encadre les pouvoirs des autorités ordinales tout en les protégeant

La solution retenue par le Conseil d'Etat dans les décisions du 16 avril 2008 n'est pas sans précédents. En effet, le Conseil avait déjà annulé des décisions du Conseil national de l'ordre qui s'apparentaient à une interdiction générale et absolue de faire mention des diplômes obtenus.

Faisant application de l'article 13 du décret n° 67-671 du 22 juillet 1967, portant Code de déontologie des chirurgiens-dentistes (désormais repris à l'article R. 4127-16 précité), le Conseil avait, ainsi, censuré un refus "général et absolu" opposé aux praticiens souhaitant mentionner sur leurs imprimés professionnels les titres de "postgraduate" délivrés par les établissements d'enseignement supérieurs étrangers, notamment aux Etats-Unis. Il avait jugé qu'en opposant cette position de principe, le Conseil national de l'ordre avait illégalement refusé de se livrer à l'appréciation qui lui incombait en méconnaissance de l'article 13 susvisé (CE, 16 mars 1988, n° 62730, Lasry N° Lexbase : A7611APL, au Recueil p. 122). Plus récemment, le Conseil d'Etat a jugé illégale une décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes en date du 9 décembre 2005 consistant, par principe et sans se livrer à un examen au cas par pas de leur contenu et des modalités de leur délivrance, à ne plus autoriser la mention par les chirurgiens-dentistes sur leurs documents professionnels des diplômes d'université qu'ils ont obtenus (CE, 21 septembre 2007, n° 291117, M. Mailhac N° Lexbase : A4132DYP et n° 291508, M. Mamou N° Lexbase : A4133DYQ). Dans ces décisions, le Conseil a considéré qu'en "décidant ainsi, de manière générale et absolue, de ne pas autoriser la mention des diplômes d'universités quels que soient leur contenu et les modalités de leur délivrance, le Conseil national ne s'était pas livré à l'appréciation qui lui incombait en n'indiquant pas les diplômes pouvant figurer sur les imprimés professionnels, et avait méconnu les dispositions précitées de l'article R. 4127-216 du Code de la santé publique". Aucune mesure ne peut donc avoir pour effet d'exclure toute forme d'examen individuel, par le Conseil national de l'ordre, des titres et diplômes dont les praticiens veulent faire état, tout en interdisant toute mention de ces titres et diplômes.

En revanche, le Conseil d'Etat avait admis la légalité d'un refus opposé à un praticien qui souhaitait mentionner un diplôme d'université dont il était titulaire, alors que le guide d'exercice professionnel publié par le Conseil national en avril 1992 prévoyait que les diplômes susceptibles d'être mentionnés étaient seulement ceux qui avaient été délivrés par une faculté de chirurgie dentaire, à l'exclusion donc de ceux délivrés par une faculté de médecine (CE, 5 avril 1996, n° 148125, Bessis N° Lexbase : A8666ANB). De même, le Conseil avait admis la légalité d'une sanction prise par la section disciplinaire du Conseil national faisant application du guide d'exercice professionnel de 1997, en tant qu'il impose aux chirurgiens-dentistes désirant faire figurer le titre de "docteur" sur leurs imprimés d'obtenir, à cette fin, une autorisation du Conseil national, et faute d'une telle autorisation, de n'utiliser que le titre de "chirurgien-dentiste" (CE, 4° et 5° s-s-r., 15 juillet 2004, n° 221103, M. Sabek N° Lexbase : A6384DXQ).

Les décisions du 16 avril 2008 se distinguent, cependant, de ces précédents, en ce qu'elles ne sanctionnent pas directement le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes. En effet, ces décisions sanctionnent, d'abord, le pouvoir réglementaire qui, par les dispositions de l'article R. 4127-218 précité, a permis au Conseil national de l'ordre d'opposer une interdiction générale et absolue à la mention de certains diplômes. Le Conseil national est, ainsi, seulement sanctionné en ce qu'il a fait application d'une disposition réglementaire qui le privait finalement de la possibilité d'examiner, au cas par cas, la réalité et le sérieux des diplômes mis en avant par les praticiens. En annulant donc les dispositions de l'article R. 4127-218, le Conseil d'Etat encadre la compétence du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes tout en la protégeant : en effet, s'il rappelle au Conseil le devoir qui est le sien d'examiner, au cas par cas, la réalité et le sérieux des diplômes mis en avant par les membres de la profession, il consacre, dans le même temps, sa mission d'organisation de cette profession et la protège face à la tentation du pouvoir réglementaire de se substituer aux autorités ordinales dans l'exercice de cette mission.

La solution retenue par le Conseil d'Etat rejoint, d'ailleurs, la position qu'avait adoptée le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes lui-même, à l'occasion de la rédaction du guide d'exercice professionnel dans sa version de 1997. Ce guide était fondé sur l'idée que le Conseil national ne s'opposait pas, par principe, à la mention des titres et diplômes et il prévoyait explicitement un examen au cas par cas. On peut citer le passage suivant figurant à la rubrique "diplômes universitaires" : "Compte tenu du niveau de ces diplômes délivrés par les universités dans le cadre de leur autonomie et de leur apport à une formation supérieure, le Conseil national de l'ordre ne s'oppose pas à ce que les détenteurs en fassent mention sur tous les documents professionnels. Toutefois, l'autorisation n'est pas automatique et est subordonnée à l'aval du Conseil national. Cependant, dans les disciplines où existent des diplômes nationaux sanctionnant une formation spéciale (orthopédie dento-faciale et chirurgie buccale), la mention d'un diplôme n'est pas tolérée pour ne pas créer de confusion dans l'esprit du patient".

2 - Une solution proche des solutions retenues en matière de pouvoir de police

Dans ses conclusions sous la décision précitée du 21 septembre 2007, le commissaire du Gouvernement M. Olson estimait que "la cohérence de la jurisprudence conduit à exclure que le Conseil national prenne une mesure générale et absolue d'interdiction de mentionner tous les diplômes et titres obtenus par les praticiens dans le cadre des formations qu'ils suivent au cours de leur carrière", avant d'ajouter que "un peu comme en matière d'encadrement des pouvoirs de police, votre jurisprudence se montre rétive aux décisions restreignant de manière générale et absolue l'exercice d'une liberté ou d'un droit ".

Il existe, en effet, une présomption d'illégalité des interdictions générales et absolues, car leur étendue tend à prouver que l'autorité administrative n'a pas tenu compte des circonstances de fait, et qu'elle a soumis à un régime uniformément rigoureux des activités effectivement dangereuses pour l'ordre public, et d'autres qui étaient loin de présenter le même risque. L'on trouve, ainsi, de nombreux exemples d'annulation de mesures de police comportant des interdictions générales et absolues, notamment en matière de police municipale (à propos de la police des photographes filmeurs, de nombreux maires ont interdit l'exercice dans la rue de cette profession. En principe, de telles interdictions à portée générale et absolue sont illégales : CE, 20 février 1960, Ville de Rouen c/ Laboratoires photographiques Lucas frères, Rec. Lebon, p. 154 ; CE, 15 octobre 1965, n° 58885, Préfet de police c/ Alcaraz et Mme Tanasijevic N° Lexbase : A0661B8Y, Rec. Lebon, p. 516, AJDA,1965, II, p. 662, concl. J. Kahn ; voir aussi, à propos de la police des marchands ambulants : CE, 26 avril 1993, Commune de Méribel-les-Allues c/ Société Banan'Alp N° Lexbase : A9319AM4, aux Tables, p. 654).

Toutefois, s'il y a une présomption d'illégalité de toutes les interdictions qui sont considérées par le Conseil d'Etat comme générales et absolues, cela ne veut pas dire, pour autant, que toutes les interdictions générales et absolues soient forcément illégales. Il peut, en effet, arriver que le trouble à l'ordre public soit tel qu'il n'y ait pas d'alternative : il n'y a alors aucune illégalité (CE, 13 mars 1968, Ministre de l'Intérieur c/ Epoux Leroy, au Recueil p. 179, AJDA, 1968, p. 240, chron. J. Massot et J.-L. Dewost, p. 221, à propos également de la police des photographes filmeurs).

Tel n'était pas le cas dans les affaires qui ont fait l'objet des décisions du 16 avril 2008, puisque rien ne permettait d'affirmer que l'implantologie présentait des dangers tels pour la santé publique que son exercice devait être sérieusement encadré, et même interdit.

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Licenciement

[Jurisprudence] Grossesse, accident du travail et maladie professionnelle : à l'impossible l'employeur est tenu

Réf. : Cass. soc., 21 mai 2008, n° 07-41.179, Mme Noura M'Chaighi, F-P+B (N° Lexbase : A7149D8B)

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N2185BGZ

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Les salariées en état de grossesse médicalement constatée, en congé d'adoption ou, encore, les salariés dont le contrat de travail est suspendu pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle bénéficient d'une protection exorbitante du droit commun contre le licenciement. Le principe d'interdiction de licencier ces salariés ne trouve exception que dans la faute grave et l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour une cause extérieure à la grossesse, la maladie ou l'accident. Lorsque la rupture trouve sa cause dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, le ou les motif(s) contenu(s) dans la lettre de licenciement doit/doivent établir cette impossibilité et ne pas seulement se contenter de faire état des difficultés économiques que connaît l'entreprise, comme l'affirme, une nouvelle fois, la Haute juridiction dans un arrêt du 21 mai 2008. La solution n'est pas nouvelle, mais invite à s'interroger sur l'effectivité de la faculté laissée à l'employeur de licencier une telle salariée.
Résumé

La lettre de licenciement d'une salariée en état de grossesse et dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle doit préciser le ou les motifs non liés à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, à l'accident ou à la maladie, pour lesquels l'employeur se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail.

L'existence d'un motif économique ne caractérise pas à lui seul cette impossibilité.

Commentaire

I - Une faculté théorique de licencier

  • Principe d'interdiction de licenciement

Les salariées en état de grossesse médicalement constatée ou en congé d'adoption bénéficient d'une protection exorbitante du droit commun contre le licenciement.

Le législateur pose, en effet, le principe de l'interdiction, pour l'employeur, de procéder au licenciement de la femme en état de grossesse médicalement constatée . Cette protection s'étend du jour de la reconnaissance de l'état de grossesse aux quatre semaines qui suivent les périodes de suspension du contrat.

Cette interdiction supporte deux exceptions pour les périodes antérieures et postérieures à la période de suspension du contrat de travail (pendant la période de suspension, l'interdiction de licencier est absolue).

La première exception est la faute grave de la salariée, non liée à l'état de grossesse .

La seconde exception est l'impossibilité, pour l'employeur, de maintenir le contrat de travail de la salariée, devant cette impossibilité étrangère à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption. La jurisprudence précise, en outre, que les motifs invoqués au soutien du licenciement doivent être indépendants du comportement de la salariée (Cass. soc., 27 avril 1989, n° 86-45.547, Mme Romilly c/ Institut Dudouit N° Lexbase : A3654ABX).

Le même régime est applicable aux salariés dont le contrat est suspendu en raison d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail . Le principe est, également, celui de l'interdiction de licencier. L'exception à ce principe peut soit résider dans la faute grave du salarié, soit résulter de l'impossibilité devant laquelle l'employeur se trouve, pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie, de maintenir le contrat.

S'agissant d'une exception à un principe général de protection, la jurisprudence admet, très restrictivement ces deux causes de rupture du contrat de travail. Lorsque le licenciement trouve son fondement dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, la Cour de cassation exige que l'employeur établisse cette impossibilité.

  • Insuffisance de la cause économique de licenciement

Pour la femme enceinte ou en congé d'adoption, les juges considèrent que l'existence d'une cause économique de licenciement ne constitue pas, nécessairement, une impossibilité de maintenir le contrat de travail (Cass. soc., 31 octobre 1996, n° 93-45.019, Mlle Christine Roger c/ Société Boulier, société à responsabilité limitée, inédit N° Lexbase : A8965C78, RJS, 1996, 755, n° 1168). La même règle est appliquée à la suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle (Cass. soc., 17 novembre 2004, n° 02-46.321, F-D N° Lexbase : A9482DDK, RJS, 2005, 203, n° 269).

Il est traditionnellement affirmé, dans ces deux domaines, que ni l'existence d'une cause économique, ni l'application des critères d'ordre des licenciements ne suffisent à caractériser l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l'accident (Cass. soc., 21 novembre 2000, n° 98-44.026, La Cuma de l'Hermine c/ M. Le Roy N° Lexbase : A7534AXC, Bull. civ. V, n° 382).

La lettre de licenciement faisant état des difficultés économiques de l'entreprise ne suffit donc pas à caractériser cette impossibilité. Pour que le licenciement soit justifié, encore faut-il que cette cause économique empêche le maintien du contrat de travail et que la lettre de licenciement établisse cette impossibilité pour l'employeur de poursuivre la relation de travail, comme l'affirme, une nouvelle fois, la Haute juridiction, dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée avait été engagée en qualité d'employée polyvalente. Un peu plus d'une année plus tard, elle était arrêtée pour accident du travail et informait son employeur de son état de grossesse.

Le 26 avril 2003, l'employeur lui notifiait son licenciement pour motif économique. Les motifs figurant dans la lettre de licenciement faisaient état des difficultés financières de la société et du fait que la salariée avait refusé le poste de reclassement à temps partiel qui lui avait été proposé. Sur ces fondements, la société avait donc décidé de procéder à la suppression du poste d'employée polyvalente de la salariée à temps plein.

Les juges du second degré avaient conclu au caractère justifié de ce licenciement, considérant que la réalité des pertes de la société pour l'année précédente et le refus par la salariée d'un poste à temps partiel établissaient, tant l'impossibilité de maintenir le contrat de travail, que l'impossibilité de reclasser la salariée.

La Cour de cassation ne voit pas les choses de la même manière. Aux visas des articles L. 1232-6 , L. 1225-4 (L. 122-25-2, anc.) et L. 1226-9 (L. 122-32-2, anc.) du Code du travail, elle rappelle que "l'employeur, lorsqu'il licencie une salariée en état de grossesse médicalement constatée et dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un arrêt de travail provoqué par un accident du travail ou une maladie professionnelle, est tenu de préciser, dans la lettre de licenciement, le ou les motifs non liés à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, à l'accident ou à la maladie professionnelle pour lesquels il se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pendant les périodes de protection dont bénéficie la salariée, l'existence d'un motif économique ne caractérisant pas à elle seule cette impossibilité".

Or, pour la Haute juridiction, si la lettre de rupture comportait l'énoncé des raisons économiques motivant le licenciement, elle ne précisait pas en quoi celles-ci avaient placé l'employeur dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée pendant les périodes de protection dont elle bénéficiait. La Haute juridiction casse donc la décision rendue par les juges du fond.

Cette solution, qui n'est que la stricte application des principes traditionnellement dégagés en la matière, doit être approuvée.

II - Une impossibilité pratique de licencier ?

Difficultés économiques, refus par le salarié d'une modification de son contrat de travail, suppression du poste à temps plein..., quel autre motif pouvait donc invoquer l'employeur dans la lettre de licenciement au soutien de cette rupture ? Comment pouvait-il mieux démontrer l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à la grossesse de la salariée ? Cette impossibilité ne résulte pas du comportement de la salariée, elle n'est pas liée à son état, l'entreprise traverse des difficultés, la salariée a refusé un passage à temps partiel et l'employeur supprime le poste à temps plein. Cette démonstration serait-elle impossible ?

  • Des conditions trop restrictives

Cette question n'est pas innocente. La lecture des décisions rendues en la matière semble illustrer l'ineffectivité pratique de la faculté pour l'employeur de licencier.

La décision n'a, en effet, pas de quoi surprendre. Dans un arrêt de 2004, la Haute juridiction était arrivée au même constat (Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 02-40.055, F-D N° Lexbase : A4715DDY). Dans cette espèce, malgré l'existence d'un motif économique, la suppression du poste de la salariée et l'impossibilité de procéder au reclassement de cette dernière, la Haute juridiction avait considéré que le licenciement n'était pas justifié, parce que l'impossibilité de maintenir le contrat de travail n'était pas établie par l'employeur. De la même manière, la Cour de cassation, malgré une ordonnance du juge-commissaire prévoyant le licenciement de 4 salariés et le fait que l'entreprise se trouvait en liquidation judiciaire, avait conclu au caractère injustifié de la rupture, car l'employeur ne démontrait pas que la suppression de l'emploi de la salariée ne pouvait absolument pas être différée (Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-41.937, M. Lavallart, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Light Déco c/ Mme Usselet autre N° Lexbase : A7696AHI).

L'impossibilité n'étant pas établie dans ces hypothèses, on est amené à se demander ce qui peut justifier une telle rupture.

Il est particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible, pour l'employeur, de savoir si sa lettre permet de caractériser l'impossibilité de maintenir le contrat ou si elle ne fait que faire état des difficultés de l'entreprise. Il est donc périlleux de licencier une salariée en état de grossesse dont le contrat de travail est suspendu pour accident du travail, mais, aussi, une salariée en état de grossesse ou un salarié dont le contrat est suspendu pour accident du travail ou maladie professionnelle ; le cumul des deux états (grossesse et accident) n'est, en effet, pas une condition d'application du principe de motivation de la lettre de rupture.

  • Une large portée

On pourrait croire, à la lecture de l'attendu de principe, que ce postulat ne s'applique que lorsque la salariée est en état de grossesse et en période de suspension du contrat de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail. La rédaction retenue par la Haute juridiction peut, en effet, laisser un doute sur la portée qu'il convient de donner au principe utilisé.

L'obligation faite à l'employeur de préciser dans la lettre le ou les motifs pour lesquels il se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail semble liée à l'état cumulatif de grossesse et d'accidenté du travail.

Tel n'est, toutefois, pas le cas. Ce sont les circonstances de l'espèce et, singulièrement, le fait que la salariée cumule suspension pour accident du travail et grossesse, qui justifie le lien établi par la Haute juridiction entre les deux états.

Le contenu de la lettre de licenciement, que la salariée soit enceinte et/ou en maladie professionnelle ou en accident du travail, devra faire état de cette impossibilité de maintenir le contrat de travail et la justifier. Le cas échéant, le licenciement, quelles que soient les difficultés de l'entreprise, pourra, à la demande du salarié, être annulé, sans que soient prises en considération les difficultés que cela peut poser, notamment, lorsque l'entreprise au moment de la rupture avait des difficultés...

Décision

Cass. soc., 21 mai 2008, n° 07-41.179, Mme Noura M'Chaighi, F-P+B (N° Lexbase : A7149D8B)

Cassation partielle de CA Aix-en-Provence, 9ème ch., sect. C, 13 décembre 2005, n° 04/17441, Mademoiselle Noura M'Chaighi c/ EURL N.C.S. (N° Lexbase : A7687D89)

Mots clefs : grossesse ; accident du travail et maladie professionnelle ; lettre de licenciement ; contenu de la lettre ; justification dans la lettre de l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif non lié à l'état de grossesse, à l'accident ou à la maladie ; insuffisance du motif économique.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Des effets de la gestion d'affaires sur la détermination de la qualité d'employeur

Réf. : Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-43.978, Mme Roza Tichie, F-D (N° Lexbase : A7028D8S)

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N2113BGD

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le contrat de travail peut être défini comme le contrat par lequel une partie, le salarié, s'engage à réaliser un travail subordonné, tandis que l'autre partie, l'employeur, s'engage à lui verser, en contrepartie, un salaire. Partant de cette définition, la détermination de la qualité d'employeur ne fait, a priori, guère de difficultés. Est employeur celui qui, en échange du travail du salarié, lui verse une rémunération et dispose du pouvoir de commandement. Dans de nombreux cas, toutefois, cette présentation doit être relativisée dans la mesure où une personne physique vient, en quelque sorte, s'intercaler entre l'employeur et le salarié. Il en va, principalement, ainsi, lorsque le salarié travaille pour le compte d'une personne morale. Dans cette hypothèse, en effet, le pouvoir de direction est exercé par le représentant de cette dernière. L'arrêt rendu le 21 mai 2008 par la Cour de cassation démontre qu'une telle situation peut, également, se présenter lorsque l'employeur est une personne physique. Pour bien comprendre la solution retenue, fondée sur la gestion d'affaires, il importe de faire une présentation du cas d'espèce.
Résumé

Une personne physique peut être tenue des obligations afférentes à la qualité d'employeur dès lors qu'une autre personne s'est immiscée à bon escient dans ses affaires, le salarié étant, alors, en droit de se prévaloir d'une gestion d'affaires.

Commentaire

I Une affaire particulière

  • Les faits

En l'espèce, M. et Mme R. T. et leur fille, D. T., avait acquis, le 3 novembre 1999, un immeuble à usage d'habitation en Dordogne, les premiers en qualité d'usufruitiers et la seconde en qualité de nu-propriétaire. Mlle D. T., ayant obtenu un permis de construire le 28 décembre 2000, en vue de faire réaliser des travaux de réfection de l'immeuble, son compagnon, M. B., avait engagé M. D., le 21 novembre 2002. Les relations de travail ayant pris fin le 17 juin 2003, M. D. avait saisi la juridiction prud'homale. En cours de procédure M. T. était décédé, laissant Mme R. T. seule usufruitière.

  • La procédure

Mme R. T. faisait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer à M. D. diverses sommes au titre du contrat de travail et de son licenciement. A l'appui de son pourvoi, la partie requérante faisait valoir deux types d'arguments.

Tout d'abord, il était avancé que nul n'est employeur contre son consentement et que l'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien, les grosses réparations demeurant à la charge du nu-propriétaire. Par suite, Mme R. T. faisait valoir qu'elle résidait en Roumanie et n'avait jamais été informée de l'embauche, en son nom, de M. D. par M. B., pour effectuer d'importants travaux de réfection sur une maison sise en France. Elle précisait, en outre, qu'elle n'était qu'usufruitière de cet immeuble et en attestait, notamment, par production de la copie du permis de construire obtenu par sa fille, Mlle D. T., nue-propriétaire de l'immeuble en son nom personnel.

Il était, ensuite, argué que les règles de la gestion d'affaires ne peuvent conduire le prétendu maître de l'affaire à supporter les conséquences d'actes fautifs commis par le soi-disant gérant d'affaires. Par suite, lorsque le gérant, à l'insu du maître de l'affaire, a embauché une personne en attribuant de façon malicieuse la qualité d'employeur au prétendu maître de l'affaire, qui en ignorait tout et n'y avait pas intérêt, avant de rompre abusivement le contrat de travail ainsi conclu, le maître de l'affaire ne peut être tenu des conséquences de cette embauche et de ce licenciement abusif.

Ces divers arguments n'ont pas convaincu la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi en affirmant que "d'une part, [...] la cour d'appel, analysant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté que Mme R. T. avait acquis, le 3 novembre 1999, un immeuble situé 8 rue Traversière à Eymet et qu'elle était donc propriétaire d'un des immeubles dans lesquels M. D. avait travaillé, qu'elle avait, d'ailleurs, obtenu un numéro d'immatriculation en tant qu'employeur auprès de l'Urssaf pour réaliser, auparavant, des travaux ; [...] d'autre part, elle a relevé que la déclaration d'embauche qui avait été faite au nom de Mme R. T. comportait son numéro d'immatriculation employeur auprès de l'Urssaf et que les bulletins de salaire étaient rédigés à son nom ; qu'en l'état de ces constatations elle a pu décider que M. D. était fondé à se prévaloir de la gestion d'affaires par M. B. représentant Mme R. T. et que le contrat de travail apparent engageait cette dernière en application de l'article 1375 du Code civil (N° Lexbase : L1481ABH), l'utilité de la gestion étant démontrée ; que le moyen n'est pas fondé".

II Une solution curieuse

  • L'absence de mandat

Il convient, tout d'abord, de relever que l'application des éléments permettant de caractériser l'existence d'un contrat de travail était impuissante à conférer à Mme R. T. la qualité d'employeur. Il ressort, en effet des faits, tels qu'ils ont été relatés ci-dessus, que celle-ci, qui résidait en Roumanie, n'avait jamais été informée de l'embauche, en son nom, de M. D.. Par voie de conséquence, et à l'évidence, elle n'avait jamais été en mesure d'exercer sur ce dernier un quelconque pouvoir de direction. Faute de lien de subordination, il était exclu de caractériser, sur ce fondement, l'existence d'une relation de travail salarié entre elle et M. D..

Ensuite, il est non moins évident que ces obstacles auraient pu être levés s'il avait pu être démontré que M. R. T. avait donné mandat à M. B. d'agir en son nom. Le mécanisme de la représentation aurait, alors permis, de faire produire les effets de l'acte juridique conclu par M. B. en la personne de Mme R. T.. Celle-ci aurait, alors, pu être qualifiée d'employeur, à l'image d'une personne morale, engagée par les actes de son représentant. Mais, cette solution ne pouvait être retenue, pour la bonne et simple raison qu'aucun contrat de mandat ne paraissait avoir été conclu entre les deux personnes en cause.

  • Le recours à la gestion d'affaires

La gestion d'affaires "est l'acte par lequel une personne, le gérant d'affaires, s'immisce dans les affaires d'une autre, le maître de l'affaire, encore nommé géré, sans avoir reçu mandat de celle-ci et pour lui rendre service" (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 9ème éd., 2005, § 1031).

Lorsque la gestion d'affaires a conduit à la conclusion d'actes juridiques, elle peut produire des effets sur les tiers. Le maître peut, alors, être tenu envers eux, sur le fondement de la représentation, "qui est l'objet même de la gestion d'affaires avec la distinction entre les représentations parfaite et imparfaite : la gestion d'affaires ne donne d'action aux tiers contre le maître que si le gérant a traité au nom de celui-ci" (Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., 2007, § 1032).

Pour en revenir au cas d'espèce, Mme R. T. ne pouvait donc être obligée à l'égard de M. D. qu'à condition que le gérant, en l'occurrence M. B., ait déclaré agir pour le compte de celle-ci. Or, on ne saurait déduire véritablement de l'arrêt que M. B. avait procédé à une telle déclaration. En réalité, il semble que la Cour de cassation déduise cela des circonstances de l'affaire ou, plus exactement, des constatations des juges du fond. Ainsi que le souligne, en effet, la Chambre sociale, la cour d'appel avait constaté que Mme R. T. était bien propriétaire de l'immeuble dans lequel M. D. avait travaillé, qu'elle avait, d'ailleurs, obtenu un numéro d'immatriculation en tant qu'employeur auprès de l'Urssaf pour réaliser auparavant des travaux, qu'elle avait relevé que la déclaration d'embauche qui avait été faite au nom de Mme R. T. comportait son numéro d'immatriculation employeur auprès de l'Urssaf et que les bulletins de salaire étaient rédigés à son nom. Et la Cour de cassation d'en conclure, "qu'en l'état de ces constatations [la cour d'appel] a pu décider que M. D. était fondé à se prévaloir de la gestion d'affaires par M. B. représentant Mme R. T.".

Cette motivation laisse quelque peu dubitatif. En effet, la Cour de cassation aurait pu se contenter de relever que le gérant avait déclaré agir pour le compte du maître. Les précisions apportées laissent entendre que tel n'était pas à proprement parler le cas et qu'il convient, en réalité, de constater que le tiers était en droit de croire que M. B. agissait pour le compte de Mme T. (1). Si telle est la bonne interprétation à retenir de la solution, au demeurant peu claire, elle peut être critiquée dans la mesure où elle permet au gérant de s'en tirer à bon compte (2).

Cela étant admis, il convient d'ajouter que le maître ne peut être tenu des actes juridiques accomplis par le gérant que si les conditions de la gestion d'affaires sont réunies (3). Au premier rang de ces conditions figure le caractère utile de la gestion, posé par l'article 1375 du Code civil. En l'espèce, la Cour de cassation se borne à relever que l'utilité de la gestion avait été démontrée, ce dont il convient de prendre acte.

La gestion d'affaires étant caractérisée dans toutes ses conditions et le gérant ayant déclaré agir pour le compte d'autrui, seul le maître est donc obligé. Il y a représentation parfaite et le tiers peut agir en paiement contre le maître. Cette situation classique (4) produit, ici, des effets particuliers, eu égard au fait que le gérant a conclu un contrat de travail avec le tiers. Non seulement, le maître est tenu par les obligations nées de l'exécution du contrat de travail, mais, également, de sa rupture. Il faut, dès lors, considérer qu'en licenciant le salarié, le gérant a, également, agi pour le compte du maître. Dans la mesure où le licenciement a été jugé comme "abusif", on pourrait s'interroger sur le fait de savoir si, en rompant le contrat, le gérant a rendu service au maître de l'affaire. Mais, sans doute, faut-il considérer que le caractère utile de la gestion doit être apprécié au regard de l'ensemble de l'opération.

Au total, l'arrêt démontre qu'une personne peut avoir la qualité d'employeur sans, pour autant, exercer les prérogatives qui lui sont liées. Pour être normale et logique lorsqu'est en cause une personne morale, cette situation n'est guère envisageable quand est concernée une personne physique, si ce n'est par le jeu du contrat de mandat. Il faudra, désormais, compter avec la gestion d'affaires, dans des hypothèses, il est vrai, marginales et résiduelles.


(1) Cette argumentation permet, aussi, de mettre à l'écart de l'action du tiers la fille du maître de l'affaire dont on nous dit qu'elle était copropriétaire du bien. L'immixtion du gérant lui avait donc été utile, mais elle ne pouvait être considérée comme employeur.
(2) Ajoutons que peut, également, être critiquée l'affirmation selon laquelle, "M. D. était fondé à se prévaloir de la gestion d'affaires par M. B. représentant Mme R. T." (nous soulignons). La gestion d'affaires étant exclusive d'un contrat de mandat, le gérant ne saurait être, à proprement parler, qualifié de "représentant". Mais, sans doute, la Cour de cassation entend-elle simplement signifier par là qu'il y avait, en l'espèce, représentation parfaite, dans la mesure où le gérant avait déclaré agir pour le compte du maître de l'affaire.
(3) Sur ces conditions, v., notamment, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, ouvrage préc. §§ 1034 et s..
(4) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, ouvrage préc. § 1045.

Décision

Cass. soc., 21 mai 2008, n° 06-43.978, Mme Roza Tichie, F-D (N° Lexbase : A7028D8S)

Rejet de CA Bordeaux, ch. soc., sect. B, 23 mars 2006, n° 04/910, Mme Roza Tichie (N° Lexbase : A8879D4M)

Texte concerné : C. civ., art. 1375 (N° Lexbase : L1481ABH)

Mots clefs : relation de travail ; employeur ; gestion d'affaires.

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