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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
La semaine dernière, nous évoquions, déjà, la "schizophrénie du salarié" dont l'étanchéité des vies personnelles et professionnelles apparaissait toute relative et où l'équilibre entre vie privée du salarié et exigences professionnelles semblait, une nouvelle fois, sanctifiée par la Haute juridiction.
Cette semaine, le feuilleton se poursuit à la lecture d'un entretien avec Sophie Jammet, sur la télésurveillance. L'avocat au barreau de Paris accepte de faire le point sur l'état de la jurisprudence définissant le concept même de télésurveillance, ainsi que ses modalités de mise en place au sein de l'entreprise. Elle évoque, aussi, les pièges à éviter pour ne pas tomber sous les fourches caudines des magistrats ou de la Cnil.
Ce faisant, l'article nous ramène au bon vieux Panoptique du philosophe, jurisconsulte et réformateur britannique, Jeremy Bentham. Pour mémoire, ce dispositif entend aménager, a priori en milieu carcéral, des unités spatiales qui permettent de voir sans arrêt et de reconnaître aussitôt. Mais, "avec le Panoptique, un assujettissement réel naît mécaniquement d'une relation fictive. De sorte qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à des moyens de force pour contraindre le condamné à la bonne conduite, le fou au calme, l'ouvrier au travail [...] Celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ; il devient le principe de son propre assujettissement" critiquait Michel Foucault, dans Surveiller et punir. La tension sur les lieux de travail était, d'ores et déjà, appréhendée par le sociologue en 1975 ; elle n'a fait que se confirmer et s'amplifier avec les nouvelles technologies.
Il appartient donc à la jurisprudence sociale d'encadrer fortement ce conflit d'intérêts, d'arbitrer entre respect de la vie privée et liberté de l'employeur de contrôler l'activité de ses salariés et, au besoin, de les sanctionner. L'enjeu est de taille ; mais la réactivité des juges est également de mise face à l'émergence de nouvelles organisations du travail. Le télétravail a pu déjà témoigner, notamment au travers des travaux de l'Atelier Droit du Travail et Nouvelles Technologies de l'Association pour le développement de l'informatique juridique (Adij) et de la commission ouverte "Marchés Emergents et Nouvelles Technologies" du Barreau de Paris, des difficultés rencontrées pour apprécier le temps de travail du télétravailleur, le contrôle de l'employeur au domicile du salarié et l'exercice du pouvoir disciplinaire. Il y a peu nous évoquions, avec Serge Le Roux, Directeur du Centre Recherche universitaire et études économiques (RUEE) et du Laboratoire de recherche sur l'industrie et l'innovation (LabRII) à l'Université du Littoral-Côte d'Opale (Ulco) à Dunkerque, la question du travail collaboratif, appelé également "communauté virtuelle" ou "agilité". Ce travail se définit comme le travail de plusieurs personnes autonomes sur un même objet. Ce type d'organisation du travail, apparemment banal, prend une nouvelle dimension avec la mondialisation de l'économie et le développement des NTIC et soulève, aujourd'hui, d'importantes questions, tant sur le plan juridique que sur le plan économique. La matière semble donc se renouveler sans cesse et la dualité vie privée-vie professionnelle aussi.
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Réf. : Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.180, Mme Marion Gallais, FS-P+B (N° Lexbase : A5660DWK)
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N3974BBS
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Aux termes de l'article L. 122-3-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5457AC4), sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave de l'une ou l'autre des parties ou de force majeure. Le salarié, qui a signé sa lettre de "démission" sans contrainte, ne s'était pas représenté dans les locaux de l'entreprise après l'expiration de son arrêt de travail, n'a pas accepté l'offre de réintégration qui lui avait été faite et n'impute aucun comportement fautif à l'employeur, a rompu le contrat de travail en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-3-8 du Code du travail et n'a pas droit à l'attribution de dommages-intérêts. |
1. La démission du salarié sous CDD
Sauf lorsqu'il rompt avant terme son CDD parce qu'il a signé par ailleurs un CDI, le salarié ne peut "démissionner" de son CDD, au regard de l'article L. 122-3-8 du Code du travail. Reste à déterminer ce qu'il convient d'entendre ici par "démission" et, singulièrement, s'il y a lieu de faire application des solutions dégagées dans le cadre de la véritable démission, c'est-à-dire de la résiliation du CDI à l'initiative du salarié.
On sait que les domaines respectifs de la démission et de la prise d'acte n'ont été que très récemment précisés (1). Lorsque le salarié a démissionné sous le coup d'une contrainte étrangère à l'employeur, il pourra établir que sa volonté de démissionner n'était pas claire et non-équivoque et obtenir l'annulation de sa démission ; il devra, en principe, retrouver son emploi. En revanche, lorsque le salarié a été conduit à démissionner à la suite d'une faute commise par l'employeur, il obtiendra directement la requalification de cette rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et les indemnités afférentes.
Mais cette jurisprudence, dégagée dans le cadre de la rupture du CDI, vaut-elle également pour le CDD ?
Dans cette affaire, une salariée avait été embauchée en CDD en qualité de coordinatrice "animatrice de vie quotidienne". Le même jour, elle avait remis à son employeur une lettre de démission avant de se rétracter puis de saisir la juridiction prud'homale de diverses demandes tendant, notamment, à l'obtention de dommages et intérêts pour rupture abusive.
La cour d'appel l'avait déboutée de ses demandes après avoir relevé que l'intéressée avait signé sa lettre de "démission" sans contrainte, ne s'était pas représentée dans les locaux de l'entreprise après l'expiration de son arrêt de travail, n'avait pas accepté l'offre de réintégration qui lui avait été faite et n'imputait aucun comportement fautif à l'employeur.
Au soutien de son pourvoi, la salariée faisait valoir, notamment, que la lettre de démission avait été rédigée dans les locaux de l'entreprise et sous le coup de l'émotion, en réaction à une réprimande injustifiée.
Ces arguments n'ont pas suffit à convaincre la Cour de cassation qui considère que la cour d'appel avait "exactement déduit de ces constatations que la salariée avait rompu le contrat de travail en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-3-8 du Code du travail et n'avait pas droit à l'attribution de dommages-intérêts".
Cette solution nous semble parfaitement justifiée.
L'appréciation de la qualité du consentement du salarié relève de la compétence des juges du fond qui doivent, sous réserve d'une motivation suffisante de leur décision, demeurer souverains dans le cadre de leurs observations. La Cour de cassation a, d'ailleurs, toujours considéré que le fait que le salarié se rétracte n'était pas suffisant pour douter du caractère clair et non-équivoque de sa volonté au moment de la démission (2). Certes, de nombreuses décisions antérieures avaient pu considérer comme équivoque la volonté du salarié qui se rétracte le lendemain (3), ou le surlendemain (4) du jour où il démissionne : mais, dans toutes ces hypothèses, le salarié pouvait invoquer une raison expliquant valablement pourquoi il avait été conduit à démissionner, qu'il s'agisse de la menace de poursuites pénales (5), d'une lettre de démission rédigée de la main de l'employeur (6) ou, encore, à l'issue d'une entrevue orageuse avec celui-ci (7). Or, rien de tel ne semblait avoir été caractérisé ici.
Le développement de la jurisprudence sur la requalification de la démission en rupture prononcée aux torts de l'employeur ne doit pas s'accompagner d'une dérive dans la notion de "faute" commise par l'employeur justifiant la rupture du contrat de travail. Singulièrement, lorsque les parties sont liées par un CDD, c'est la loi elle-même qui subordonne le droit de rompre de manière anticipée le CDD à une faute "grave" de l'une des parties (8). Or, l'examen du dossier montrait que, même à considérer les faits comme avérés, le fait que l'employeur ait adressé à la salariée une "réprimande injustifiée" n'était pas de nature à pousser la salariée à la démission. Le luxe de détails rappelés dans l'arrêt de rejet montre bien que la bonne foi de l'employeur semblait acquise, ce qui était loin d'être le cas de la salariée.
Enfin, et même si la salariée avait, sans doute, regretté son geste irréfléchi, la démission, pas plus que le licenciement d'ailleurs, ne peuvent être rétractés, lorsqu'ils ont été valablement donnés, sans l'accord de l'autre partie (9), ce qui manifestement n'était pas le cas ici.
2. La réaction de l'employeur face au salarié démissionnaire
Dans cette affaire, la salariée, qui considérait sa démission comme nulle et non avenue, reprochait à son employeur d'avoir "pris acte" de la rupture du contrat de travail, alors que celle-ci lui avait adressé une lettre en recommandé, avec demande d'avis de réception, par laquelle elle se rétractait de sa démission. Ce faisant, elle tentait d'entraîner la Cour de cassation sur le terrain de sa jurisprudence, dégagée clairement depuis 2003, interdisant à l'employeur de "prendre acte" de la rupture du contrat de travail et lui imposant d'emprunter la voie du licenciement (10). La salariée prétendait, ainsi, que le CDD n'avait pas été rompu par la démission, valablement rétractée, mais par cette "prise d'acte", et qu'il convenait donc, en l'absence de preuve de faute grave commise par la salariée, de l'indemniser dans les conditions prévues par l'article L. 122-3-8 du Code du travail en lui versant le solde des salaires restant dus jusqu'au terme.
Pas plus que l'argument tiré du caractère équivoque de la volonté de la salariée, cet argument n'a convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation. Les deux arguments étaient, en toute hypothèse, liés. Dans la mesure où la Cour considérait que la démission était valablement intervenue, elle n'avait aucune raison de considérer que c'était, en réalité, l'employeur qui avait rompu le contrat de travail. Celui-ci avait peut-être "pris acte" de la rupture du contrat de travail, mais uniquement au sens où il avait constaté que la salariée avait valablement démissionné et où il en avait tiré les conséquences en lui adressant son reçu pour solde de tout compte, avec la mention "démission". La Cour confirme, également, son refus de considérer la démission du salarié comme nécessairement nulle et non avenue, sous prétexte que le salarié n'aurait pas le droit de démissionner (11) ; le CDD est bien rompu par cette voie de fait.
L'employeur pourra même, si la démission du salarié lui cause un préjudice, en obtenir réparation. Même si aucun forfait n'a été prévu ici, contrairement à la solution qui prévaut lorsque c'est l'employeur qui rompt indûment le contrat avant l'échéance du terme, l'employeur pourra obtenir une indemnité pouvant être calquée sur le montant des salaires qui auraient été dus si le contrat avait été normalement exécuté (12).
Décision
Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.180, Mme Marion Gallais, FS-P+B (N° Lexbase : A5660DWK) Rejet (cour d'appel de Pau, chambre sociale, 9 mai 2005) Texte concerné : C. trav., art. L. 122-3-8 (N° Lexbase : L5457AC4) Mots-clefs : contrat à durée déterminée ; rupture anticipée ; démission ; caractère clair et non équivoque. Lien bases : |
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Réf. : Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.652, Société Distrileader Bouches-du-Rhône, F-D (N° Lexbase : A5187DWZ)
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N3893BBS
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
L'introduction par le salarié d'une instance en résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral ne dispense pas l'employeur qui le licencie pour inaptitude, alors que l'instance est pendante, de respecter l'obligation légale de reclassement. |
1. Caractère d'ordre public de l'obligation de reclassement du salarié inapte
Lorsque, à l'issue de la seconde visite médicale de reprise, le salarié est déclaré définitivement inapte à reprendre l'emploi pour lequel il a été embauché, il bénéficie d'un droit au reclassement. Le législateur, reprenant la jurisprudence, vient mettre à la charge de l'employeur une obligation de reclassement (C. trav., art. L. 122-24-4 N° Lexbase : L1401G9R, issu de la loi n° 2005-102, du 11 février 2005, pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R).
L'article L. 122-24-4 du Code du travail dispose, à cet effet, qu'"à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou à un accident, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail". La formulation retenue par le législateur est tellement générale que cette obligation a vocation à s'appliquer à toutes les hypothèses d'inaptitudes.
Cette obligation s'impose à l'employeur alors même que le médecin du travail a conclu à l'inaptitude du salarié à tout emploi dans l'entreprise (C. trav., art. L. 122-24-4, dernier alinéa ; Cass. soc., 27 octobre 1993, n° 90-42.560, Société Lemonnier c/ M. Da Silva, publié N° Lexbase : A1762AAI ; Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-40.526, FS-P+B N° Lexbase : A3090DRU), et quelle que soit la forme de l'inaptitude, totale, partielle, temporaire ou permanente.
Le non-respect par l'employeur de son obligation entraîne automatiquement la requalification de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-45.471, M. Claverie c/ M. Roche, ès qualités de représentant des créanciers du redressement, publié N° Lexbase : A9187AGD ; Bull. civ. V, n° 271 ; Dr. soc. 2000, 923, obs. J. Savatier).
Il n'y a donc rien d'étonnant à voir, dans la décision commentée, les juges sanctionner l'employeur pour ne pas avoir recherché à reclasser son salarié déclaré inapte, sans égard à l'action en résolution qu'il avait intentée.
Dans cette espèce, en effet, un salarié a saisi le juge d'une demande de résolution de son contrat de travail pour harcèlement moral et résistance au paiement d'un complément de salaire. Licencié en cours d'instance pour inaptitude à son poste de travail régulièrement constatée par le médecin du travail, le salarié a, à titre subsidiaire, demandé la condamnation de son employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel a fait droit à la demande du salarié et a condamné l'employeur à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts, d'indemnités de préavis et de congés payés. Cette solution est confirmée par la Haute juridiction, laquelle considère que le fait pour un salarié d'agir en résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral ne dispense pas l'employeur, qui le licencie ultérieurement pour inaptitude, de respecter son obligation de reclassement.
Cette solution théoriquement irréprochable reste, en pratique, contestable.
2. Plénitude de l'obligation de reclassement du salarié déclaré inapte par le médecin du travail
Nous l'avons vu précédemment, tout salarié inapte dispose d'un droit au reclassement. Il s'agit d'un droit créance attaché à la seule qualité de salarié déclaré inapte par le médecin du travail, et donc indépendant de la nature du contrat qu'il a conclu (pour l'application de ce droit à un salarié sous CDD : Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-44.913, FS-P+B N° Lexbase : A6518DIA).
Tout salarié licencié pour inaptitude est en droit d'en exiger le respect et, le cas échéant, de faire sanctionner son inobservation par l'employeur (Cass. soc., 11 juillet 2000, préc.). On comprend donc pourquoi le salarié a pu en bénéficier dans la décision commentée. Il s'agissait, en effet, d'un salarié licencié pour inaptitude. Aucune raison ne permettait, au regard de la lettre de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, de l'exclure du bénéfice de ce système protecteur. Cette décision trouve, en outre, son bien-fondé dans le caractère d'ordre public absolu attaché à l'article L. 122-24-4 du Code du travail.
La jurisprudence considère, à juste titre, que toute renonciation expresse du salarié, sous la forme, par exemple, de la conclusion d'un accord de rupture amiable, est nulle (Cass. soc., 29 juin 1999, n° 96-44.160, M. Lavenir c/ Société Publitex, publié N° Lexbase : A4617AG4 ; Dr. soc. 1999, 963, obs. Verdinkt). Une telle renonciation qui, corrélativement, aboutirait à dispenser l'employeur de respecter ses obligations légales, est illégale. Il est ainsi impossible pour un salarié de renoncer au bénéfice des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail, et, singulièrement, à son droit au reclassement, même si cette renonciation n'est que la conséquence de ses actes.
Admettre le licenciement sans reclassement préalable, dans l'espèce commentée, serait revenu à considérer que l'introduction par le salarié d'une action en résolution de son contrat de travail valait renonciation au bénéfice des dispositions protectrices du salarié inapte. Une telle position aurait été contraire au caractère d'ordre public absolu de l'article L. 122-24-4 du Code du travail. Toute renonciation expresse étant interdite, toute renonciation tacite l'est a fortiori. La décision n'encourt donc aucune critique d'un point de vue théorique et elle doit, au contraire, être totalement approuvée.
D'un point de vue pratique, en revanche, la solution retenue par la Haute juridiction est moins convaincante.
Quel est l'intérêt d'obliger l'employeur à reclasser un salarié qui avait choisi de manière non équivoque de quitter l'entreprise ? L'obligation de reclassement est, en effet, en principe, faite pour éviter qu'un salarié, dans une situation difficile, éprouve des difficultés pour retrouver un emploi dans une autre entreprise. C'est afin de maintenir le salarié dans l'entreprise, et de lui éviter de se trouver au chômage, que le législateur vient mettre à la charge de l'employeur une obligation de reclassement. Tout est, en principe, fait pour éviter la rupture du contrat de travail. Est-il, dès lors, normal d'imposer à l'employeur de rechercher à maintenir le contrat de travail d'un salarié qui demande à partir ?
Cette obligation n'a, à notre sens, dans cette hypothèse aucun sens. Le salarié a pris l'initiative de la rupture de son contrat de travail en saisissant le juge, il devrait être tenu compte de sa volonté et l'employeur devrait pouvoir le licencier sans être inquiété, le reclassement devenant dans cette hypothèse sans objet...
Décision
Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.652, Société Distrileader Bouches-du-Rhône, F-D (N° Lexbase : A5187DWZ) Rejet (CA Aix en Provence, 15 décembre 2005) Textes concernés : néant Mots-clefs : licenciement ; introduction par le salarié d'une action en résiliation de son contrat de travail pour harcèlement moral ; licenciement pour inaptitude pendant l'instance ; obligation de reclassement du salarié. Liens bases : ; . |
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Réf. : Ordonnance, 12 avril 2007, n° 2007-544, relative aux marchés d'instruments financiers (N° Lexbase : L9551HUB)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Le 07 Octobre 2010
Le rôle des entreprises de marché a été redéfini dans un contexte de mutations des structures boursières (A). Cette redéfinition impose, de la part de l'Autorité des marchés financiers (AMF), des modalités de contrôle renforcées (B).
A - L'entreprise de marché dans le nouveau paysage boursier
L'entreprise de marché s'inscrit, désormais, dans un cadre juridique nouveau introduit par la Directive "MIF" (Directive 2004/39, du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L2056DYS) (cf. la première partie du commentaire de l'ordonnance du 12 avril 2007, J.-B. Lenhof, préc..) : celle d'"opérateur de marché". Or, l'introduction de cette notion en droit communautaire semble renvoyer, au plan du droit interne, à l'organisation particulière de la Bourse à la fin du siècle dernier. On se souvient, à ce titre, qu'avant l'introduction de la notion d'entreprise de marché, par la loi de modernisation des activités financières (loi "MAF") (1) en 1996, le fonctionnement des marchés avait été confié à la société des bourses françaises, cette dernière employant une technique particulière d'encadrement des professionnels. En effet, la qualité de membre d'un marché (bien que ce concept n'existait pas sous cette forme à l'époque) était conditionnée par la prise de participation des intermédiaires dans le capital de la société gérant les opérations. Cette technique "institutionnelle" -par opposition au régime contractuel applicable par la suite- pouvait laisser supposer que le marché pouvait être assimilé à une personne morale, en raison de sa proximité d'organisation avec la société qui le gérait et à laquelle les membres étaient associés.
Implicitement, cependant, la loi "MAF" a mis fin à cette possibilité d'interprétation en faisant, d'abord, de l'entité qui gérait les marchés un groupement personnalisé autonome et en précisant, ensuite, que les relations qui s'établissaient entre l'entreprise de marché et les membres du marché étaient de nature contractuelle. Cette affirmation écartait, ainsi, d'emblée, toute possibilité de prise de participation dans la personne morale gestionnaire du marché.
La Directive "MIF", dont l'élaboration est postérieure à la loi française, a, elle, pourtant, implicitement évoqué la possibilité -comme à rebours- de faire du marché une personne morale. En effet, cette Directive a offert la possibilité de revenir à la solution antérieure à 1996, l'opérateur, personne morale, pouvant constituer la structure même du marché. Le législateur n'a, toutefois, pas transposé cette solution et a choisi de conserver le principe hérité de la loi "MAF". Il a simplement adapté le régime des entreprises de marché en conservant le principe de l'existence d'une relation contractuelle entre l'entité gestionnaire du marché et ses membres. L'ordre juridique français continue d'exclure, de la sorte, toute participation capitalistique à l'entreprise de marché ou au marché lui-même.
Substantiellement, l'adaptation du régime applicable aux entreprises de marché ressort, ainsi, des dispositions de l'article L. 421-2 du Code monétaire et financier (2), qui dispose que tous les marchés réglementés sont gérés par une entreprise de marché, société commerciale dont le siège social et la direction effective sont établis sur le territoire de la France métropolitaine ou les départements d'outre-mer. Son rôle est d'effectuer les actes afférents à l'organisation et à l'exploitation du marché, et elle veille à ce que chaque marché réglementé qu'elle gère remplisse en permanence les exigences qui lui sont applicables.
Indépendamment de la définition très large de la mission des entreprises de marché, il convient, ainsi, de faire ressortir de cette nouvelle rédaction la contrainte légale, expressément faite aux entreprises de marché, d'avoir leur siège social et leur direction effective en France. Cette règle, qui n'était qu'implicite dans la rédaction de la Directive mais qui ressort très distinctement des travaux préparatoires, constitue une mesure qui prend tout son sens face au mouvement de concentration des gestionnaires mondiaux des bourses, avec la fusion en cours, notamment, d'Euronext et du New-York Stock Exchange. En tout état de cause, le marché français n'en connaîtra pas, pour autant, de modification puisque les marchés réglementés nationaux sont déjà gérés par des filiales nationales d'Euronext NV (la société mère néerlandaise) dans chacun des Etats membres où l'entreprise de marché est implantée.
B - Le contrôle des entreprises de marché
Face à la définition large des pouvoirs de l'entreprise de marché, le contrôle de celles-ci se trouve redéfini autour de deux pôles distincts : d'une part, celui de son pouvoir réglementaire (1) et, d'autre part, celui de ses missions (2).
1 - Le contrôle du pouvoir réglementaire des entreprises de marché
Le rééquilibrage des pouvoirs entre l'entreprise de marché et l'autorité boursière s'illustre par les dispositions du nouvel article L. 421-3 du Code monétaire et financier (3), qui renforce le contrôle de l'Autorité des marchés financiers (AMF). En effet, celle-ci dispose, désormais, de la faculté, dans des hypothèses exceptionnelles, de désigner, auprès de l'entreprise de marché, un mandataire auquel sont transférés tous les pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne morale. Cette désignation se fait soit à l'initiative de l'AMF, lorsque la gestion du marché réglementé (ou d'un système multilatéral de négociation) ne garantit plus son bon fonctionnement, soit à la demande de l'entreprise elle-même lorsque les dirigeants estiment ne plus pouvoir remplir leurs fonctions. Il reste que l'AMF ne dispose pas d'un représentant permanent es qualité, mais opère dans le cadre d'un mécanisme inspiré de celui des procédures collectives. Davantage qu'un contrôle administratif, l'ordonnance instaure, ici, un mécanisme curatif destiné à sécuriser le fonctionnement des marchés.
Pourtant, la lecture de la Directive est édifiante quant à la volonté des instances communautaires de renforcer le contrôle sur les marchés réglementés. Ainsi, son article 36 § 2 enjoint aux Etats membres "d'exiger" que l'opérateur effectue les actes d'organisation et d'exploitation sous le contrôle de l'autorité boursière. L'Etat doit, donc, faire en sorte que l'autorité s'assure régulièrement du respect par les entreprises de marché des règles imposées par la Directive et vérifie que les marchés réglementés satisfont, à tout moment, aux règles imposées lors de leur agrément. On le voit, ces sujétions vont largement plus loin que celles qui figuraient dans l'ancienne Directive "DSI" de 1993 (Directive 93/22, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières N° Lexbase : L7726AUP). Le souhait de certains membres de l'Union, à l'époque, de voir une généralisation des marchés de gré à gré semble devoir s'effacer devant l'augmentation des exigences relatives à la sécurité de l'investisseur.
Sur ce point, il convient de souligner un autre infléchissement qui concerne la nature même des règles de marché. La loi "MAF", en effet, transposant en cela les règles dégagées dans la "DSI", avait établi un mécanisme particulièrement souple dans lequel l'entreprise de marché élaborait, dans un premier temps, les règles qui étaient, dans un second temps, approuvées par l'autorité de marché compétente à l'époque, le Conseil des marchés financiers (4). Or, ce mécanisme, si on le rapprochait de la disposition appliquant un régime contractuel aux relations liant les membres et l'entreprise de marché, pouvait laisser planer un doute sur le caractère normatif de ces sujétions. Certains auteurs postulaient, ainsi, à l'origine, du caractère strictement contractuel de ces règles (5), alors que d'autres, non moins éminents (6), affirmaient leur nature résolument réglementaire. La doctrine majoritaire dégagera, in fine, une solution nuancée, rejetant l'application d'un régime contractuel sans pour autant retenir la thèse réglementaire (7). Un auteur a, d'ailleurs, pu souligner le caractère ambigu de ces procédés d'élaboration de la règle de marché, en qualifiant à ce propos le droit boursier de "laboratoire de sources du droit" (8).
La formule peut encore servir pour la réforme en cours car, à défaut d'une clarification, l'ordonnance n'opère qu'un renforcement du contrôle et de l'habilitation administrative sur ces règles. En effet, le principe issu de la loi "MAF" demeure, leur élaboration étant toujours réalisée par l'entreprise de marché et leur caractère obligatoire étant subordonné à leur approbation par l'AMF et à leur publication.
Ainsi, d'une part, aux termes du nouvel article L. 421-10 du Code monétaire et financier (9), l'établissement de ces règles est réalisé "en vue" de la reconnaissance du marché réglementé. D'autre part, le caractère de celles-ci est précisé puisqu'elles doivent "être transparentes et non discrétionnaires", ce qui exclut toute élaboration ou négociation contractuelle -par exemple sur les sanctions éventuelles-. Elles doivent, également, fixer des critères "objectifs" de fonctionnement du marché et d'admission des membres. Pour le reste, les anciennes dispositions relatives au contenu des règles sont reconduites.
Un autre problème, en revanche, qui avait été soulevé un temps (10) et qui concernait les modifications des règles de marché, semble être résolu par l'ordonnance. Alors qu'auparavant les modifications des règles étaient simplement notifiées à l'autorité boursière qui ne se prononçait que sur leur conformité aux critères de reconnaissance avec les marchés réglementés et ne pouvait saisir le ministre qu'en cas d'incompatibilité, le contrôle de l'AMF se trouve, désormais, considérablement renforcé. Ainsi, elle se prononcera, à l'avenir, sur la compatibilité, selon des conditions et dans un délai fixé par son règlement général (C. mon. fin., art. L. 421-10, al. 3). Cette compatibilité s'appréciera, non seulement, par rapport aux critères des marchés réglementés mais, également, en fonction de "la réglementation applicable". En vertu de ce libellé extrêmement large, l'autorité se trouvera, donc, en charge d'un véritable contrôle de légalité de la modification des règles. Ce contrôle de légalité lui permettra de refuser, de la sorte, les modifications proposées. On est, au surplus, en droit d'estimer que ce contrôle s'étendra même à l'opportunité. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater que l'AMF peut refuser les modifications des règles lorsque ces dernières "ne résultent pas d'obligations imposées par la réglementation applicable" et qui "imposent des contraintes disproportionnées". Cette disposition sous-tend, en effet, qu'une modification qui ne viserait pas l'adaptation à une norme supérieure pourrait être rejetée. L'appréciation du caractère disproportionné de la modification recèle ainsi la possibilité, pour l'Autorité, d'augmenter considérablement son pouvoir de contrôle.
2 - Le contrôle des missions des entreprises de marché
On retrouve le même type d'organisation dans le volet relatif aux obligations des entreprises de marché, qui détermine les contraintes qui pèsent sur leur fonctionnement ainsi que l'intensité de la relation qui s'établit, à ce titre, avec l'Autorité des marchés financiers. Ces différentes obligations portent sur deux domaines distincts : l'organisation et le contrôle, puis, la communication.
S'agissant de l'organisation et du contrôle, l'ordonnance (C. mon. fin., art. L. 421-11-I (11)) dresse une liste générique des obligations que doivent respecter les entreprises de marché, liste qui renvoie, pour leur application, à une double délégation normative, l'une à l'Autorité des marchés financiers, l'autre au ministre chargé de l'Economie.
C'est ainsi que le règlement général de l'AMF doit déterminer les règles relatives :
- aux dispositions que doit prendre l'entreprise de marché quant à la prévention et à la gestion des conflits d'intérêts (entre ses intérêts ou ceux de ses actionnaires) qui pourraient altérer le fonctionnement des marchés réglementés ;
- à l'élaboration et à l'application des règles de déontologie applicables à toute personne, mandataire ou préposé de l'entreprise de marché ;
- à la mise en oeuvre de mécanismes visant à faciliter le dénouement efficace, et en temps voulu, des transactions effectuées dans le cadre de leurs systèmes.
L'AMF est donc en charge des aspects déontologiques et éthiques du fonctionnement interne de l'entreprise de marché, ce qui permet de remarquer, en exergue, que le terme équivoque de "bonne conduite" (12), qui était la marque de la rédaction de la loi "MAF", a disparu avec l'ordonnance. C'était là une clarification souhaitée unanimement par la doctrine, tant le terme, ambigu et équivoque, pouvait prêter à l'interprétation. Par ailleurs, elle est également en charge des règles relatives au fonctionnement des marchés, mais uniquement de celles qui touchent à la transaction, c'est-à-dire celles qui encadrent les opérations qui ne relèvent pas des systèmes de négociations et qui, partant, ne peuvent être réalisées par de petits investisseurs. La logique du partage de compétence normative tient, donc, au contrôle des activités intéressant les professionnels par l'AMF, et au contrôle des activités pouvant porter atteinte aux intérêts des petits investisseurs par le ministre chargé de l'Economie et des Finances.
C'est à ce titre que le ministre établit les règles imposant à l'entreprise de marché "de prendre les dispositions nécessaires" :
- pour pouvoir mettre en oeuvre en permanence une organisation et des procédures permettant d'identifier les risques susceptibles de compromettre le fonctionnement du marché réglementé ;
- pour garantir le bon fonctionnement des systèmes de négociation et élaborer des procédures d'urgence en cas de dysfonctionnement ;
- pour disposer de ressources suffisantes pour permettre le bon fonctionnement du marché.
Le second volet des dispositions relatives au contrôle des missions de l'entreprise de marché figure à l'article L. 421-12 (13) nouveau du Code monétaire et financier qui établit, à son profit, un véritable pouvoir de police des opérations. L'entreprise de marché, sur ce fondement, établit des règles et des procédures permettant de contrôler le respect des règles de marché par les membres, ainsi que les transactions. Elle surveille, également, le déroulement matériel des transactions et vérifie les conditions qui seraient propres à perturber le "bon ordre du marché", ainsi que les comportements révélateurs d'un abus de marché potentiel. Ce pouvoir de police se double, par ailleurs, d'une obligation de signaler à l'AMF toute transgression des règles ou toute négociation, susceptible de perturber le fonctionnement du marché ou de constituer un abus de marché. Enfin, elle apporte son aide en communiquant sans délai toutes les informations utiles et pertinentes et en permettant à l'autorité de poursuivre les abus de marché dont le marché réglementé est à l'origine.
II - Les membres du marché
L'entreprise de marché voit, ainsi, son rôle central dans les infrastructures de marché se traduire par une mission de relais de la politique de la puissance publique. Cette mission, toutefois, varie d'intensité en fonction de la nature des marchés, la relation entre le gestionnaire et ses membres (A) étant déclinée sur la base de celle qui s'établit sur les marchés réglementés. Parallèlement à l'établissement de ce lien, le régime applicable aux membres du marché évolue au point de constituer un véritable statut (B), ce qui leur permet de prétendre à l'application d'un régime de non-discrimination spécifique fondé sur l'application de libertés communautaires.
A - Les relations entre l'entreprise de marché et les membres du marché
La Directive, dans l'ordonnancement des relations entre l'entreprise de marché et les membres, simplifie, d'abord, les compétences en amont et, notamment, en supprimant le droit, pour l'AMF, de s'opposer à l'admission d'un instrument financier aux négociations sur un marché réglementé. Cette règle, qui figurait dans l'article 421-4, I du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6381DI8), est supprimée par l'ordonnance, et l'ancien dispositif, sur lequel le Code monétaire et financier était particulièrement laconique, laisse place à un ensemble de règles détaillées en vertu desquelles l'entreprise de marché se voit reconnaître toutes les compétences en matière d'admission (C. mon. fin., art. L. 421-14, I nouveau). Par ailleurs, outre la disparition du droit d'opposition de l'AMF, une autre règle nouvelle est introduite dans l'article L. 421-14, II, qui transpose une sujétion imposée par la Directive. Au titre de cette dernière, lorsqu'une valeur mobilière est déjà admise aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat partie à l'accord sur l'espace économique européen, elle peut être admise aux négociations sur tout marché réglementé sans le consentement de l'émetteur. Cette sujétion, dont l'existence tient plus à la logique de libre circulation communautaire qu'à des raisons de technique boursière, a, toutefois, été aménagée afin de ne pas pénaliser les émetteurs. Ainsi, ces derniers se voient informés de l'admission dont ils ne sont pas à l'origine, mais ils ne supportent aucune obligation d'information à l'égard de l'entreprise de marché concernée.
On est donc en droit de se demander si cette nouvelle technique d'admission sera amenée à se développer : sans information, l'entreprise de marché se trouvera, sans doute, contrainte de supporter les coûts de collecte de celle-ci, collecte qui est d'autant plus incontournable qu'elle se trouve à l'origine même de la protection des petits investisseurs. Cette disposition ouvre, en revanche, la voie au développement de bourses émergentes dans certains Etats membres de l'Union.
La protection de l'investisseur apparaît, donc, constituer un des piliers de la Directive "MIF", comme l'était sa devancière, la "DSI". On retrouve, naturellement, cette préoccupation constante dans l'ordonnance qui transpose le nouveau texte communautaire. Ainsi, le mécanisme de suspension se trouve, lui aussi, aménagé dans un sens plus favorable aux petits porteurs. Le nouvel article L. 421-15 prévoit, dans ce domaine, que l'entreprise de marché peut suspendre la négociation d'un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé. Cependant, cette suspension qui, auparavant, n'était pas subordonnée à des conditions réglementaires, ne peut, désormais, être prononcée que si "un instrument financier n'obéit plus aux règles du marché réglementé". En outre, elle ne peut être prononcée si elle "lèse" de manière significative les intérêts des investisseurs, ou si elle atteint au "fonctionnement ordonné" du marché. La même disposition est reprise en matière de radiation qui, fait nouveau, peut désormais être requise par l'AMF, même si c'est l'entreprise de marché qui est normalement compétente pour décider d'une telle opération. Pourtant, sur ce point, l'AMF se trouve dépouillée d'une de ses anciennes compétences par l'ordonnance, puisqu'elle perd le pouvoir de s'opposer à la radiation. Cela se justifie, toutefois, par le fait que le droit de veto de l'AMF n'existait, précisément, que dans un objectif de défense de l'épargne publique et qu'il peut être supprimé en raison des renforcements corrélatifs de défense de l'investisseur, réalisés par le texte de transposition.
Reste que ces mesures font l'objet d'une publicité largement organisée, ainsi qu'en attestent les indices III et IV de l'article précité qui imposent, quand ces situations se présentent, de recourir à des mesures d'information entre autorités des Etats membres (indice IV), ainsi qu'à des mesures de publicité de la part de l'émetteur (indice III). Il en va de même, aux termes de l'article L. 421-16 nouveau du Code monétaire et financier, lorsque le président de l'AMF (et sur ce point, les anciennes dispositions demeurent pratiquement inchangées) est conduit, lorsqu'un événement exceptionnel perturbe le fonctionnement régulier d'un marché réglementé, à suspendre tout ou partie des négociations pendant deux jours : sa décision est rendue publique (14). Le même article dispose, par ailleurs, qu'un arrêté du ministre chargé de l'Economie est nécessaire pour prolonger cette période. Le choix du maintien d'un pouvoir administratif de suspension des négociations a donc été rendu possible, en dépit des préventions communautaires à cet égard, par le caractère exceptionnel de la procédure qui n'a pas semblé constituer une atteinte disproportionnée aux compétences des entreprises de marché.
B - Le statut de membre du marché
Restait à l'ordonnance à réorganiser le dernier niveau d'infrastructure de marché que constitue l'intermédiation, avec l'amélioration des dispositions relatives aux membres d'un marché. Le statut de membre du marché réglementé renvoie, de la sorte, à la mise en oeuvre d'un nouveau régime dans lequel disparaissent les deux anciennes protections instaurées par la "DSI" : l'intermédiation obligatoire, liée au monopole de négociation, et leur corollaire, l'obligation de centralisation. A ce titre, l'ordonnance abroge, purement et simplement, les anciennes dispositions des articles L. 421-6 -et accessoirement L. 421-7 (15)- du Code monétaire et financier. Ces dernières disposaient que "les négociations et cessions réalisées sur le territoire français et portant sur des instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé ne peuvent être effectuées, à peine de nullité, que par un prestataire de services d'investissement ou, lorsque elles sont effectuées sur un marché réglementé, par tout membre de ce marché".
Ainsi, le principe en vertu duquel les membres d'un marché étaient seuls habilités à effectuer les "négociations et cessions" (les "transactions" font l'objet d'un autre article) sur un marché réglementé et celui en vertu duquel, pour les opérations hors marché, seuls les prestataires de services d'investissement pouvaient réaliser ces mêmes opérations, est abandonné. L'idée force de la Directive "MIF" est, en effet, de réaliser la protection de l'investisseur, non plus par le biais de l'attribution d'un monopole d'intermédiation, mais par la structure du marché réglementé. Nous avions, déjà, pu souligner que cette évolution s'inscrivait dans le mouvement communautaire de construction d'un marché unifié des instruments financiers. Dans celui-ci, tout maintien de prérogatives ou d'aides de l'Etat susceptibles d'entraver la libre compétition entre entreprises est suspect. La mesure est, donc, d'une portée politique incontestable, mais elle est, également, imposée par des considérations techniques -dont l'aspect est, il est vrai, largement ontologique- et qui tiennent au fait que le maintien du monopole aurait dressé trois obstacles à la nouvelle structuration des marchés.
Au titre du premier obstacle, on observera que la réforme, en effet, permet que les instruments financiers qui sont admis à la négociation sur un marché réglementé -et ce point a été souligné dans la première partie de cet exposé- puissent faire l'objet d'un traitement par un "internalisateur systématique", banque ou entreprise d'investissement des ordres d'achat ou de vente d'actions passés par leur clientèle. Or, ce traitement aurait été impossible si l'ancien monopole avait dû perdurer.
Par ailleurs, et il se serait agi là du deuxième obstacle, la nouvelle disposition de l'article L. 421-14, II, alinéa 2 du Code monétaire et financier, qui permet qu'une valeur mobilière déjà admise aux négociations sur un marché réglementé puisse être admise sur tout marché réglementé sans le consentement de l'émetteur, s'opposait, également, au maintien de toute notion de monopole. Ici, c'est la logique de suppression des entraves à la libre circulation communautaire des capitaux qui était en jeu.
L'on peut, enfin, ajouter, en tant que troisième obstacle potentiel, le fait que le développement des systèmes multilatéraux de négociation de l'article L. 424-1 nouveau du Code monétaire et financier, systèmes qui "assure[nt] la rencontre, en [leur] sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimées par des tiers sur des instruments financiers" consacrait, implicitement, la nécessité de faire disparaître ce volet du monopole. En effet, la proximité de leur fonctionnement avec les marchés réglementés a été volontaire. Il s'agissait d'en faire des concurrents potentiels aux autres marchés, ce qui imposait, au titre du nouvel article L. 424-5, I, alinéa 3, de leur permettre de décider librement de l'admission d'un instrument financier aux négociations. Cet article établit donc, implicitement, que rien ne s'oppose à ce que le système admette un instrument financier déjà admis à la négociation sur un marché réglementé. Il dispose, en effet, explicitement qu'un instrument financier puisse être admis sur un système sans le consentement de l'émetteur, puisqu'il prévoit que ce dernier, en cas d'admission qu'il n'aurait pas consentie, ne sera pas tenu de donner des informations à la personne qui gère ce système.
Autre conséquence de cette suppression, l'obligation de centralisation des ordres sur les marchés réglementés, prévue auparavant à l'ancien article L. 421-12 (N° Lexbase : L2756G9X) disparaît également. Elle concernait, non plus les négociations et cessions mais, cette fois, les "transactions" réalisées au profit d'un investisseur résidant habituellement ou établi en France, par un prestataire de services d'investissement. L'article prévoyait, ainsi, leur nullité si elles n'étaient pas effectuées sur un marché réglementé d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Il prévoyait, toutefois, la possibilité de déroger à ce principe si la transaction répondait à certaines conditions définies par le règlement général de l'AMF (16). Corollaire des dispositions précédentes, l'obligation de réaliser les transactions sur instruments financiers faisant l'objet d'une offre publique sur un marché réglementé d'un Etat partie ou sur un marché reconnu disparaît, également, avec l'abrogation de l'article L. 421-13 (N° Lexbase : L2215AT9).
Ainsi, l'ancien monopole des agents de change, dont le régime survivait sous une forme atténuée au profit de nouveaux bénéficiaires, s'efface au profit de la constitution d'une organisation par marchés, susceptibles de se concurrencer, qu'ils figurent ou non dans l'orbite de la puissance publique. Est-ce pour autant l'occasion d'une baisse de la sécurité pour les petits investisseurs, potentiellement confrontés à la tentation de placer leurs capitaux sur des marchés plus exotiques que ceux qui constituent le socle des grandes places boursières européennes ? Sur ce point, une règle, au moins, n'a pas été abrogée, qui prévoît un traitement particulier pour l'épargne publique. En effet, l'article L. 423-1 du Code monétaire et financier établit que "le public ne peut être sollicité, sous quelque forme que ce soit et par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, en vue d'opérations sur un marché étranger de valeurs mobilières autre qu'un marché réglementé d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, de contrats à terme négociables ou de tous produits financiers que lorsque le marché a été reconnu dans des conditions fixées par décret et sous réserve de réciprocité". Cette règle étant inchangée depuis la loi "MAF", on peut présumer que si la concurrence s'établit de façon plus intense en Europe, l'autorité boursière conservera la faculté d'orienter l'épargne vers les marchés les plus sécurisés.
Le régime applicable aux membres d'un marché, qu'il soit réglementé ou non, constitue, ainsi, le fondement futur du contrôle des acteurs, l'entreprise de marché se trouvant en charge d'une nouvelle forme d'encadrement des professionnels. L'ordonnance, tout en reprenant certaines des solutions retenues lors de l'édiction de la loi "MAF", dresse ainsi un cadre structurel amélioré dans lequel les gestionnaires de marché sont placés au coeur du dispositif boursier. Cette évolution, dont l'ensemble des paramètres techniques est impossible à évoquer dans le cadre restreint de cette étude, peut, toutefois, être dessinée à grands traits autour de quatre séries de dispositions essentielles.
La première, reprise des dispositions de la loi "MAF" dont elle constitue une innovation peu apparente mais, de facto, extrêmement importante, figure, désormais, à l'article L. 421-18 du Code monétaire et financier (ancien article L. 421-9 du même code N° Lexbase : L9410DY8). Celui-ci établit, d'une part, que la qualité de membre d'un marché réglementé est conditionnée au respect des règles de ce marché et, d'autre part, que les relations entre une entreprise de marché et un membre du marché sont de nature contractuelle. Du rapprochement de ces deux formules (particulièrement paradoxal si l'on admet la thèse selon laquelle les règles élaborées par l'entreprise de marché sont de nature réglementaire), on retiendra que l'entreprise de marché se voit déléguer par la loi une part de la surveillance du contrôle et de l'encadrement normatif des membres du marché.
La deuxième série de dispositions répond à la précédente, en accentuant le dispositif mis en place par la loi "MAF" sur l'accès à la qualité de membre d'un marché. Or, si le principe d'un accès ouvert, mais contrôlé, était la marque de la loi de 1996, l'ordonnance, elle, élargit considérablement la faculté d'obtenir ce statut. La Directive établit, à cet effet, que les Etats membres "exigent" des entreprises de marché (dits "opérateurs") que les entreprises d'investissement des autres Etats membres agréées pour exécuter les ordres de clients ou pour négocier pour compte propre aient le droit de devenir membres des marchés réglementés établis sur leur territoire ou d'y avoir accès. Pour ce faire, deux modalités sont envisageables. Elles peuvent y prétendre, d'abord, en établissant une succursale dans l'Etat membre d'accueil, ou en devenant, ensuite, membres à distance d'un marché si les systèmes de ce marché n'exigent pas de présence physique.
Transposé de façon laconique dans l'ordonnance (C. mon. fin., art. L. 421-20), le principe demeure intact : rien ne fait échec à la libre prestation de service, dès lors que la présence physique sur le marché n'est pas exigée. Prise au sens strict, la disposition emporte des conséquences majeures puisque la nécessité d'une présence physique sur le marché tend à devenir l'exception. La qualité de membre à distance pourra, donc, en pratique, devenir le mode privilégié d'accès au marché pour les professionnels étrangers (cette faculté, toutefois, n'est ouverte qu'aux entreprises d'investissement exécutant des ordres pour le compte de tiers ou négociant pour compte propre).
La troisième série de dispositions tient à l'établissement d'un régime/socle pour les membres des marchés réglementés, l'ordonnance n'opérant une distinction qu'entre les marchés réglementés et les systèmes électroniques de négociation. Pour les premiers, sous l'empire de la loi "MAF", le "régime" des membres ressortait des dispositions de l'article L. 421-8 ancien, qui prévoyait que, outre les prestataires de services d'investissement (PSI) dûment agréés, un certain nombre de personnes pouvaient être membres des marchés réglementés. Ces personnes étaient celles dont l'article dressait la liste exhaustive et limitative, ou soumettait l'habilitation à l'Autorité de marché compétente, sous l'égide de l'application de son règlement général. Ainsi, même si, en pratique, la liste était suffisamment longue pour ne pas constituer, a priori, une limitation indue à la libre prestation de services, les limitations demeuraient, risquant de fausser le jeu de la concurrence entre marchés. En effet, l'autorité était, en principe, en droit, à l'époque, d'invoquer des motifs d'intérêt général pour refuser une habilitation non imposée par les textes. C'est ainsi la raison pour laquelle l'article 42 de la Directive "MIF" est venu attribuer les compétences exclusives en matière d'admission aux responsables des marchés réglementés. Elle a donc dénié tout pouvoir de contrôle à l'AMF, lui refusant même, apparemment pour des raisons d'orthodoxie concurrentielle, un contrôle réduit à un droit d'opposition à l'admission des membres de pays tiers.
Conséquence matérielle de cette évolution, l'ordonnance limite, maintenant, le contrôle de l'admission au respect des critères établis par l'entreprise de marché dans les règles de marché. L'article L. 421-17 du Code monétaire et financier dispose, de la sorte, que "les règles du marché fixent, de manière objective, transparente et non discriminatoire, les conditions d'admission des membres du marché". Il s'agit là d'une véritable capitis diminutio pour l'AMF. En tout état de cause, les instances communautaires substituent une logique de structure à l'ancienne logique organique, en tablant sur les effets du fonctionnement des marchés réglementés pour instaurer un contrôle des entreprises d'investissement.
La conséquence de cette nouvelle attribution de compétence, d'une part, et de l'intensification des libertés communautaires, d'autre part, tend donc à ouvrir plus largement la possibilité de fournir des services d'investissement et des services connexes. L'ordonnance habilite, ainsi, de nouvelles catégories de personnes à fournir ces services, en même temps qu'elle supprime la possibilité, auparavant donnée à l'AMF, de soumettre leur exercice à un certain nombre de conditions. Celle-ci est consacrée à l'article L. 532-18-1 nouveau du Code monétaire et financier, qui établit la possibilité, pour toute personne habilitée dans son Etat d'origine, de fournir des services d'investissement en libre prestation de service. Elle ne figure pas, non plus, dans l'alinéa 3 du même article qui pose le principe du libre établissement de succursales dans l'Etat membre d'accueil et l'assimilation du recours à des "agents liés" à l'établissement de succursales.
Quant aux personnes nouvellement habilitées, elles figurent à la fin de la nouvelle liste de l'article L. 531-2, qui permet à d'autres entités que les PSI de fournir, dans les limites des dispositions législatives qui les régissent, et sans être soumis à la procédure d'agrément prévue à l'article L. 532-1, des services d'investissement. Il s'agit en l'espèce :
- des personnes négociant des instruments financiers pour compte propre ou fournissant des services d'investissement concernant des contrats à terme sur marchandises ou autres contrats à terme précisés par décret, aux clients de leur activité principale, à condition que ces prestations soient accessoires à leur activité principale, lorsque cette activité principale est appréhendée au niveau du groupe, au sens du III de l'article L. 511-20, et qu'elle ne consiste pas en la fourniture de services d'investissement ou en la réalisation d'opérations de banque ;
- des conseillers en investissements financiers, dans les conditions et limites fixées au Chapitre Ier du Titre IV ;
- des personnes, autres que les conseillers en investissements financiers, fournissant des conseils en investissement dans le cadre de l'exercice d'une autre activité professionnelle qui n'est pas régie par le présent titre, à condition que la fourniture de tels conseils ne soit pas spécifiquement rémunérée ;
- des personnes dont l'activité principale consiste à négocier pour compte propre des marchandises ou des instruments dérivés sur marchandises. La présente exception ne s'applique pas lorsque la personne qui négocie pour compte propre des marchandises ou des instruments dérivés sur marchandises fait partie d'un groupe, au sens du III de l'article L. 511-20, dont l'activité principale est la fourniture de services d'investissement ou la réalisation d'opérations de banque ;
- des entreprises dont les services d'investissement consistent exclusivement à négocier pour compte propre sur des marchés d'instruments financiers à terme, ou sur des marchés au comptant aux seules fins de couvrir des positions sur des marchés dérivés, ou qui négocient ou assurent la formation des prix pour le compte d'autres membres de ces marchés, et qui sont couvertes par la garantie d'un adhérent d'une chambre de compensation, lorsque la responsabilité des contrats conclus par ces entreprises est assumée par un adhérent d'une chambre de compensation.
La liste, déjà longue de l'article L. 531-2 s'allonge, ainsi, considérablement, mais elle demeure d'interprétation stricte car l'article L. 531-10 nouveau du Code monétaire et financier, prévoit que, en dehors des exceptions prévues ci-dessus, qui ressortent de la mise en oeuvre de libertés communautaires ou de dérogations, il est interdit de fournir à des tiers des services d'investissement à titre de profession habituelle. On se rappelle, toutefois, qu'exceptionnellement, l'activité dans ce domaine de service est possible, à charge pour les juges du fond d'apprécier souverainement cette notion de profession habituelle.
Reste, enfin, la quatrième série de dispositions, concernant l'évolution du statut de membre d'un marché et qui régit les membres des systèmes multilatéraux de négociation, en vertu du nouvel article L. 424-5 du Code monétaire et financier. Sur ce point, l'ordonnance a opté pour la simplicité en renvoyant au même mécanisme que celui qui gouverne les marchés réglementés : ce sont les règles du système multilatéral de négociation qui fixent les conditions d'admission des membres du système, de façon transparente, et sur la base de critères objectifs. Ce même article renvoie, pour la détermination des personnes susceptibles d'être membres de ces systèmes, aux dispositions des alinéas 2 à 6 de l'article L. 421-17 : en l'occurrence, le régime applicable aux membres des marchés réglementés est transposable aux membres des systèmes.
Ainsi, le rapprochement des statuts conforte le mouvement de mise en concurrence des marchés indépendamment de leur nature : qu'il s'agisse de ceux qui sont encadrés par la puissance publique et de ceux qui ne le sont pas, les instances communautaires attendent, de la confrontation des différentes structures, davantage de souplesse et de baisse des coûts de fonctionnement tout en préservant la sécurité de l'investisseur.
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par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Sophie Jammet : La télésurveillance est le fait pour l'employeur de procéder à une surveillance de son salarié à travers la captation et/ou l'enregistrement, sous quelque forme que ce soit, des conversations et correspondances des salariés émises, transmises ou perçues par voies de télécommunications, telles que les écoutes téléphoniques, les enregistrements sonores, les traçages des connexions informatiques, les captations des messageries internet.
Lexbase : L'employeur peut-il librement installer un système de télésurveillance dans l'entreprise ?
Sophie Jammet : Non, car la règle est l'interdiction de principe de la télésurveillance. Cette interdiction trouve son fondement dans le principe de la protection de la vie privée, auquel peut prétendre le salarié y compris sur son lieu de travail. Cette interdiction est prévue à la fois par le Code pénal (C. pén., art. 226-1 N° Lexbase : L2092AMG et art. 226-15 N° Lexbase : L2125AMN) et le Code du travail (C. trav., art. L. 120-2 [LXB=L5441ACIL]).
Lexbase : Existe-il des exceptions à ce principe ?
Sophie Jammet : Oui, bien entendu. La télésurveillance peut être mise en place dans l'entreprise, à condition que certaines exigences soient respectées.
En premier lieu, l'employeur doit procéder à une déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). A défaut de satisfaire à cette exigence, la mise en oeuvre de la télésurveillance ne sera pas licite. La Cour de cassation a considéré, dans un arrêt relatif à la mise en oeuvre d'un système de badge permettant d'identifier les salariés à leur entrée et à leur sortie des locaux de l'entreprise, "qu'à défaut de déclaration à la Commission nationale de l'informatique et des libertés d'un traitement automatisé d'informations nominatives concernant un salarié, son refus de déférer à une exigence de son employeur impliquant la mise en oeuvre d'un tel traitement ne peut lui être reproché" (Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8004DB3 ; lire les obs. de Ch. Radé, L'entreprise, espace privé d'exercice des libertés publiques, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1239ABI). Cette solution est transposable aux écoutes téléphoniques et l'on peut imaginer qu'à défaut de déclarer à la Cnil le dispositif de télésurveillance mis en place, l'employeur s'expose à une issue telle que celle retenue par cet arrêt.
En deuxième lieu, la Cour de cassation exige, pour que la mise en place de la télésurveillance soit licite, que les salariés en soient informés (Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98 -42.090, M. Dujardin c/ Société Instinet France, publié N° Lexbase : A4968AG4). L'information individuelle des salariés n'étant pas ici exigée puisqu'il n'existe aucune précision à ce sujet dans le Code du travail, le problème de la preuve que les salariés ont bien été informés de la mise en place de la télésurveillance va se poser de façon récurrente. Dès lors, le meilleur moyen pour l'employeur de rapporter cette preuve est de faire signer à chaque salarié, lors de l'embauche, un écrit par lequel il reconnaît avoir eu connaissance du dispositif mis en place. A défaut, l'employeur peut aussi inscrire dans le règlement intérieur la mise en place des ces procédés, ou l'insérer en écran d'accueil, ou bien encore faire passer une note d'information. Toutefois, il est à noter que le simple affichage dans les locaux paraît insuffisant.
En revanche, la preuve de cette connaissance par le salarié peut être rapportée par tout moyen. La Cour de cassation a considéré que la preuve de l'information du salarié était rapportée quand bien même ce dernier, chargé de recevoir et de transmettre au téléphone des ordres d'achats en bourse, avait été informé de cette pratique lors d'une réunion dont l'objet était seulement d'informer les salariés d'écoutes téléphoniques des opérateurs (Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98-42.090, préc.).
La Cour de cassation a récemment décidé, par un arrêt du 23 mai 2007, que la preuve pouvait être également rapportée par SMS ; "si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, en revanche, la communication par messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, ne doit pas obéir à un tel régime" (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, Société civile professionnelle SCP Laville-Aragon et autre c/ Mme Lydie Lacomme, publié N° Lexbase : A3964DWQ ; lire les obs. de Ch. Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale N° Lexbase : N1969BBK).
En outre, dans un litige porté devant un conseil de prud'hommes, et en l'absence de la lettre par laquelle la salariée reconnaissait être informée du dispositif de télésurveillance mis en place par l'entreprise, les juges ont admis que la preuve de cette connaissance pouvait résulter du procès-verbal rédigé par le conseiller du salarié, le salarié ayant avoué à l'employeur devant le conseiller, lors de son entretien préalable à son licenciement, qu'il ne supportait plus cette surveillance permanente.
La Cour de cassation a également retenu -s'il était besoin de le préciser !- que la simple surveillance d'un salarié faite sur les lieux du travail par son supérieur hiérarchique, même en l'absence d'information préalable du salarié, ne constitue pas, en soi, un mode de preuve illicite (Cass. soc., 26 avril 2006, n° 04-43.582, F-P+B N° Lexbase : A2120DP9).
Dès lors, il ressort de ce qui précède que, si la Cour de cassation est relativement sévère sur le principe d'une information préalable du salarié, elle demeure plus souple quant au mode de preuve relatif à cette connaissance. Cette preuve pouvant être rapportée par tout moyen, la marge de manoeuvre laissée à l'employeur est relativement large !
En troisième lieu, les institutions représentatives du personnel doivent être, également, informées et consultées. Conformément aux dispositions du Code du travail, les instances représentatives du personnel doivent être consultées avant toute mise en oeuvre d'un dispositif d'écoute ou d'enregistrement des conversations téléphoniques ou, plus généralement, de tout dispositif permettant le contrôle de l'activité des salariés. Aux termes de l'article L. 432-2-1, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L6403AC7), le comité d'entreprise doit être informé, "préalablement à leur introduction dans l'entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci". En outre, et aux termes de l'alinéa 3 de ce même texte, le comité d'entreprise "est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés". Notons que seul le comité d'entreprise est visé, à l'exclusion de toute autre institution représentative du personnel. A défaut de respecter cette obligation, le dispositif de surveillance en tant que moyen servant à fonder un licenciement disciplinaire est irrecevable : cette solution, constante, est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (par exemple, Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari, publié N° Lexbase : A5741AGQ).
Enfin, le procédé doit être proportionné au but recherché et il doit être justifié par la nature de la tâche à accomplir. En effet, les dispositifs de télésurveillance, et notamment les écoutes téléphoniques, sont souvent mis en place dans des centres d'appels employant des télé-opérateurs, le but recherché par l'employeur étant, en général, de contrôler la qualité des appels passés par les salariés. De telle sorte que le seul moyen dont dispose l'employeur pour contrôler l'activité de ses salariés est alors de les mettre sur écoute. On pourrait, également, justifier ces dispositifs dans des entreprises exerçant des activités à risque (chimie, nucléaire) ou mettant en cause des informations absolument confidentielles (banques), le principe absolu étant de proportionner le recours au dispositif avec le but recherché dans un domaine donné.
Lexbase : Quelles sont les sanctions judiciaires pour l'employeur qui ne respecte pas ces règles ?
Sophie Jammet : Le licenciement disciplinaire s'appuyant sur des éléments mis à jour par le recours à un dispositif ne respectant pas les règles énoncées ci-dessus sera dépourvu de cause réelle et sérieuse, faute d'éléments probants, avec toutes les conséquences de droit qui s'ensuivent pour l'employeur : versement d'indemnités subséquentes et éventuelle réintégration du salarié.
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Réf. : CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05, Jean Auroux e.a. c/ Commune de Roanne (N° Lexbase : A5723DT7) ; TA Lyon, 22 mars 2007, n° 0205404, M. Jean Auroux et a. (N° Lexbase : A0431DWU)
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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Août 2012
I. La soumission des concessions d'aménagement au droit communautaire des marchés publics
Il résulte du jugement du tribunal administratif de Lyon que le contrat passé entre la ville de Roanne et la SEDL constitue un marché public (A) et le calcul des seuils doit se faire au regard des gains du soumissionnaire (B). Enfin, la qualité de pouvoir adjudicateur de la SEDL ne dispensait pas la ville de Roanne d'une procédure de mise en concurrence (C).
A. La qualification de marché public
Devant la Cour de justice, le Gouvernement français, soutenu par le Gouvernement polonais, avait fait valoir la spécificité des conventions d'aménagement qui ne se limiteraient pas à la réalisation de travaux. Le juge communautaire a répondu que "lorsqu'un contrat contient à la fois des éléments ayant trait à un marché public, c'est l'objet principal du contrat qui détermine quelle Directive communautaire de marchés publics trouve en principe à s'appliquer" (n° 37) (v. déjà, CJCE, 19 avril 1994, aff. C-331/92, Gestión Hotelera Internacional SA c/ Comunidad Autónoma de Canarias, Ayuntamiento de Las Palmas de Gran Canaria et Gran Casino de Las Palmas SA N° Lexbase : A9645AUR, Rec., p. I-1329).
Toujours selon la jurisprudence de la Cour de justice, il est rappelé qu'est sans incidence sur la qualification du contrat le fait que la SEDL ne procède pas, elle-même, aux travaux (CJCE, 14 avril 1994, aff. C-389/92, Ballast Nedam Groep c/ Belgische Staat N° Lexbase : A9449AUI, Rec., p. I-1289). Elle est bien un entrepreneur au sens du droit communautaire (CJCE, 12 juillet 2001, aff. C-399/98, Ordine degli Architetti delle province di Milano e Lodi, Piero De Amicis, Consiglio Nazionale degli Architetti et Leopoldo Freyrie c/ Comune di Milano N° Lexbase : A5926AY7, Rec., p. I-5409).
La Cour de justice ne s'est pas non plus laissée convaincre par l'argument selon lequel, seul un parc de stationnement reviendrait à la fin des opérations à la ville de Roanne. La réalisation d'un pôle de loisir constitue bien un ouvrage au sens de la Directive 93/37/CEE, car il revêt bien une fonction économique. En l'espèce, devaient être réalisés, notamment, un cinéma multiplexe et un hôtel. Il s'agissait donc de répondre à des besoins définis par la ville de Roanne.
B. Le calcul des seuils
Pour le calcul des seuils, il convenait de déterminer si le seul prix payé par la collectivité en contrepartie des ouvrages remis devait être pris en compte, ou bien ce montant ainsi que la participation financière versée pour la réalisation pour l'ensemble de l'opération, ou enfin la valeur totale des travaux, i.e. les sommes versées par la collectivité ainsi que celles reçues des tiers au moment de la vente des ouvrages.
La Cour a alors estimé que, "étant donné que l'objectif des procédures de passation des marchés publics de travaux prévues par la Directive est précisément de garantir à des soumissionnaires potentiels établis dans la Communauté européenne l'accès aux marchés publics qui les intéressent, il s'ensuit que c'est à partir de leur point de vue qu'il y a lieu de calculer si la valeur d'un marché atteint le seuil fixé à l'article 6" (n° 53). C'est donc la troisième solution qui prévaut pour le calcul des seuils.
La distinction avec les concessions de travaux publics sera donc délicate, puisque ce n'est pas le seul prix payé par l'administration qui doit être pris en compte pour le calcul des seuils du marché. Dans ses conclusions, l'Avocat général Kokott avait rappelé qu'il y avait concession lorsque le risque économique de l'opération repose sur le cocontractant du pouvoir adjudicateur. En l'espèce, tel n'était pas le cas puisque le risque était supporté par la ville de Roanne.
C. L'absence d'incidence du statut de la SEDL
En défendant toujours la spécificité des conventions d'aménagement, le Gouvernement avait fait valoir que ces conventions ne pouvaient être conclues que par des catégories particulières de personnes morales qui, elles-mêmes, ont la qualité de pouvoir adjudicateur. L'exception in house ne joue que dans des conditions très strictes que ne remplit pas une société d'économie mixte, comme la SEDL, puisqu'elle n'est pas détenue à 100 % par la ville de Roanne (CJCE, 18 novembre 1999, aff. C-107/98, Teckal Srl c/ Comune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia N° Lexbase : A0591AWS, Rec. p. I-8121 ; CJCE, 11 janvier 2005, aff. C-26/03, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmbH c/ Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna N° Lexbase : A9511DEY, Rec., p. 1).
Du raisonnement de la Cour de justice et du tribunal administratif de Lyon découle l'incompatibilité du droit français avec les exigences du droit communautaire.
II. L'incompatibilité du droit français des concessions d'aménagement avec le droit communautaire
Le tribunal administratif a pris soin de rappeler que la validation législative opérée par la loi du 20 juillet 2005 était dépourvue de toute efficacité (A). Reste, alors, à mesurer l'incidence de ce jugement sur le décret du 31 juillet 2006 (B).
A. L'impuissance de la validation législative opérée par la loi du 20 juillet 2005
Devant la Cour de justice, pour opposer l'irrecevabilité du renvoi préjudiciel du tribunal administratif de Lyon, le Gouvernement français avait invoqué la validation par le législateur des conventions d'aménagement. La Cour, prudemment, ne s'est pas prononcée sur la compatibilité d'une telle loi avec le droit communautaire, mais elle s'est contentée de rappeler, selon une jurisprudence constante qu'"il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour" (n° 26).
De manière tout à fait explicite, le tribunal administratif a jugé que "l'article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005, en tant qu'il valide les conventions publiques d'aménagement signées avant le 20 juillet 2005 dont la légalité serait contestée au motif que la désignation de l'aménageur n'a pas été précédée d'une procédure de publicité et mise en concurrence imposées par les stipulations précitées du 1 de l'article 7 de la Directive 93/37 du 14 juin 1993 ; qu'il y a lieu, dès lors, d'écarter, dans cette mesure, l'application des dispositions de l'article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 dont se prévaut la ville de Roanne". Il s'agit là d'un intéressant obiter dictum car le tribunal aurait pu se contenter d'estimer que "les dispositions de l'article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 s'appliquent aux conventions publiques d'aménagement signées avant le 21 juillet 2005 et non aux délibérations prises lors de la procédure préalable à la conclusion desdites conventions".
Cette validation était évidemment un coup d'épée dans l'eau. Les conventions d'aménagement qui n'avaient pas été passées conformément aux exigences du droit communautaire, quand bien même elles auraient été "validées" par la loi, n'en restaient pas moins contraires au droit communautaire, puisque ce faisant cette même loi était elle-même contraire au droit communautaire ! Le Conseil d'Etat a très clairement jugé, au sujet d'une circulaire contraire au Traité CE et validée par une loi postérieure, que la circulaire demeurait contraire au... Traité CE (CE, 5 mai 1995, n° 154362, Ministre de l'équipement c/ SARL DER N° Lexbase : A4280ANT, Rec., p. 192).
B. Le sort incertain du décret du 31 juillet 2006
Le décret du 31 juillet 2006, pris en application de la loi du 20 juillet 2005, visait à mettre en place une procédure de mise en concurrence des nouvelles concessions d'aménagement afin de satisfaire aux exigences du droit communautaire. Mais, la procédure prévue par le décret vise simplement un objectif de publicité et de transparence et n'est en aucune manière en adéquation avec les procédures rigoureuses applicables aux marchés de travaux publics.
Selon Etienne Fâtome et Laurent Richer, le décret ne doit, alors, être appliqué qu'aux concessions d'aménagement qui constituent bien des concessions de travaux au sens des Directives communautaires (La procédure de passation des concessions d'aménagement. Entre le décret du 31 juillet 2006, l'arrêt Auroux et le décret à venir, AJDA 2007, p. 409). Dès lors, pour les concessions d'aménagement susceptibles d'être qualifiées de marchés de travaux, il est urgent que le pouvoir réglementaire intervienne de nouveau pour fixer la procédure de passation qui serait applicable, à moins qu'il faille considérer que doivent être mises en oeuvre les dispositions du Code des marchés publics relatives aux marchés de travaux (v. en ce sens, R. Schwartz, Le décret sur les concessions d'aménagement, BJDCP 2006, p. 322). Cette dernière solution semble, toutefois, exclue si l'on considère l'article L. 300-4 comme une loi spéciale dérogeant aux règles du Code des marchés publics.
Le nouveau Gouvernement doit donc promptement agir afin de mettre un terme à cette insécurité juridique, lourde de conséquences financières pour les collectivités locales et les opérateurs économiques.
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés
Le 07 Octobre 2010
Les services fiscaux peuvent faire application dans ce type de situation des dispositions de l'article L. 169, alinéa 2, du LPF (N° Lexbase : L4751HWU) à l'effet de proroger leur délai de reprise (loi n° 96-1181, du 30 décembre 1996, de finances pour 1997, art. 115-I et VIII N° Lexbase : L2058A4Y).
Cet article précise que, pour l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due et, par exception, son alinéa 2 permet à l'administration d'exercer ce droit jusqu'à la fin de la sixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce.
Pour que le délai de reprise de six ans puisse être mis en oeuvre, le texte prévoit deux conditions qui doivent être remplies cumulativement, la première ayant trait à la souscription de déclarations et la seconde aux formalités de déclaration de l'activité du contribuable.
Or, il arrive que les services de vérification considèrent que, au regard de la situation des établissements stables en France de sociétés étrangères, ces deux conditions sont remplies dès lors que ces sociétés se seraient abstenues d'effectuer, au titre de leur établissement stable les demandes d'immatriculation auprès d'un centre de fiscalité des entreprises et n'auraient pas souscrit dans les délais légaux, les déclarations fiscales qu'ils étaient tenus de déposer.
Cependant, on peut observer, dans certains cas, que certaines sociétés étrangères déclarent spontanément leurs opérations en France à la taxe sur le chiffre d'affaires en procédant aux formalités de déclaration et d'identification auprès des recettes des impôts compétentes à l'appui, le plus souvent, d'un mandat désignant un représentant fiscal en France, remontant parfois à bien avant la modification des dispositions de l'article L. 169 du LPF.
L'administration ignore souvent que ces sociétés ont souscrit régulièrement leurs déclarations de TVA depuis très longue date et ce jusqu'à la date du contrôle motivant la recherche de l'existence d'un établissement stable en France.
Parfois même, les services de contrôle sont amenés à procéder à un contrôle des déclarations de TVA souscrites par ces sociétés étrangères par l'intermédiaire de leur représentant pour leurs opérations en France se soldant, parfois, par une absence de redressements.
Il s'ensuit qu'au regard, tout au moins, de la première condition visée par le texte, relative au défaut de souscription de déclarations, celle-ci ne se trouve donc pas normalement remplie pour ces sociétés, dès lors qu'elles ont souscrit leurs déclarations de TVA ; cette circonstance faisant normalement obstacle aux conditions d'application de la prorogation du droit de reprise de l'administration.
En effet, la prorogation du délai de reprise ne s'applique que si le contribuable, à la fois, n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations fiscales qu'il était tenu de souscrire, et s'est abstenu de déclarer son activité.
Selon la volonté du législateur, il faut entendre par "souscription de déclarations", l'une quelconque des déclarations dont la souscription dans les délais incombe au contribuable, et alors même que la déclaration au centre des formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce n'a pas été effectuée. Toujours selon la volonté du législateur, il faut entendre par "activités occultes" les "activités réellement clandestines".
On constatera que la doctrine administrative (instruction du 30 octobre 1997, BOI 13 L-4-97 ; instruction du 1er juillet 2002, BOI 13 L-1218, n° 7, 10 à 11 ; instruction du 16 mars 2000, BOI 13 N-3-00, n° 10 à 12 N° Lexbase : X7863AAH) reprend à son compte les volontés du législateur dans ses commentaires pris pour l'application aux rappels d'impôts de la majoration de 80 % pour activité occulte visée à l'article 1728-1 c du CGI (N° Lexbase : L1715HNT) (CGI, art. 1728-3°, al. 3, ancien N° Lexbase : L4158HMX).
Il apparaît clairement que le délai spécial de six ans n'est pas applicable dans ce type de situation, dans la mesure où le législateur a manifestement voulu, en effet, uniquement pénaliser ceux des contribuables qui ont une activité occulte pris au sens d'activité "clandestine", et non ceux qui se sont fait connaître d'une autre manière, même insuffisante ou avec une certaine négligence, ou encore ceux dont la situation s'analyse en une insuffisance de déclaration ou en une requalification de leurs opérations qu'ils considéraient comme non imposables au regard d'une imposition déterminée.
Il s'ensuit que les conditions visées à l'article L. 169, alinéa 2, du LPF ne se trouvant pas réunies, ce dernier ne peut être normalement appliqué dans ce type de situation en sorte que la prorogation du délai de reprise que peuvent s'octroyer les services de contrôle est dépourvue, dans ces conditions, de toute base légale.
II. Motivation des pénalités pour activités occultes
Les services de contrôle, tirant les conséquences de la prorogation de leur droit de reprise au titre d'une activité qualifiée d'occulte exercée en France par une société étrangère, sous couvert d'un établissement stable, peuvent faire application aux rappels d'impositions de la majoration de 80 % visée à l'article 1728-1 c du CGI (CGI, art. 1728-3°, al. 3, ancien).
La motivation de cette pénalité par les services est souvent identique à celle les ayant indûment conduit à proroger leur délai de reprise sur le fondement de l'article L. 169, alinéa 2 du LPF, à savoir l'absence de déclarations souscrites dans les délais et l'absence de formalités relatives à la déclaration d'une activité exercée en France.
A l'appui de cette motivation, la doctrine administrative est partiellement reproduite (instruction du 16 mars 2000, BOI 13 N-3-00 précitée, reprise des instructions du 30 octobre 1997, BOI 13 L-4-97 et du 1er juillet 2002, BOI 13 L-1218 n° 7, 10 à 11) en occultant l'essentiel de l'interprétation que cette dernière donne des conditions d'application de l'article 1728-3°, alinéa 3 ancien du CGI (CGI, art. 1728-1 c, nouveau) ou en donnant une appréciation totalement erronée de ces mêmes conditions.
En premier lieu, il convient de rappeler que le paragraphe 10 de l'instruction précise que "lorsque l'une quelconque des déclarations incombant au contribuable a été souscrite, le cas échéant hors délai, et alors même que la déclaration au centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce n'a pas été effectuée, le dispositif prévu au 3° alinéa 3 de l'article 1728 n'est pas applicable".
Or, il se trouve que l'une quelconque des déclarations incombant aux sociétés étrangères, à savoir la déclaration de taxe sur le chiffre d'affaires CA3/CA4 (visées par les dispositions de l'article L. 169, alinéa 2, du LPF), est parfois souscrite dans les délais comme précisé ci-avant, étant observé que cette dernière a préalablement donné lieu à déclaration de formalités pour identification auprès de la recette des impôts compétente pour les recevoir.
Par ailleurs, cette situation ne doit pas être confondue avec celle des déclarations de résultats souscrites par ces mêmes sociétés étrangères pour leur établissement stable à la suite de mise en demeure et donc hors délais.
En effet, certes, concernant ces dernières, si l'administration précise dans sa doctrine au paragraphe 11, "que [...], lorsque postérieurement à l'envoi d'un avis de vérification de comptabilité [...] le contribuable souscrit pour la première fois une ou plusieurs des déclarations afférentes à l'activité professionnelle déclarée [...], la majoration de 80 % sera appliquée aux rappels", le service ne peut ignorer que, dans certains cas particuliers, les sociétés étrangères ont souscrit préalablement dans les délais, et ce parfois sur de très longues périodes, leurs déclarations de TVA.
Or, la déclaration de TVA est, au sens du paragraphe précédent, au nombre de "l'une quelconque des déclarations incombant au contribuable" qui justifie la non-application par l'administration du dispositif de l'article 1728-1 c du CGI (CGI, art. 1728-3°, al. 3, ancien).
La position ainsi prise par l'administration dans sa doctrine au regard de la souscription d'une déclaration spécifique concernant la TVA se trouve expressément réitérée au paragraphe 12 de la même instruction, laquelle fait référence, non sans intérêt, à la volonté du législateur.
En effet, dans ce dernier paragraphe, l'administration précise que "compte tenu de l'intention du législateur de réserver l'application de la majoration de 80 % aux activités réellement clandestines, [...] les dispositions ne s'appliquent pas" dans le cas où "le contribuable a souscrit les déclarations de TVA afférentes à une activité professionnelle mais non celles se rapportant [...] aux résultats (IS) correspondants".
Il sera observé que la doctrine définit la notion d'activités occultes par les termes "d'activités réellement clandestines" et qu'elle considère qu'en présence de la souscription régulière de déclarations de TVA par le contribuable, à défaut d'autres déclarations fiscales ou de déclaration au centre de formalités des entreprises, les rappels d'impositions non spontanément déclarées ne peuvent être effectués au titre d'activités occultes prises au sens d'activités "clandestines".
Il s'ensuit que l'application de la majoration de 80 % sur le fondement de l'article 1728-1 c du CGI (CGI, art. 1728-3°, al. 3, ancien) ne peut être normalement appliquée dans ces hypothèses particulières, faute de base légale, dans la mesure où les conditions mêmes de l'article L. 169, alinéa 2, ne sont pas réunies.
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Réf. : Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 05-19.978, M. Pierre Decoopman, FS-P+B (N° Lexbase : A5102DWU)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
Le 07 Octobre 2010
En l'espèce, deux médecins, qui avaient constitué une société civile immobilière pour acquérir et gérer un immeuble, avaient conclu un contrat d'exercice en commun dans les locaux sociaux. L'acte stipulait, en cas de retrait d'un associé, sa non réinstallation dans un rayon de vingt kilomètres pendant trois ans. Or, à la suite d'une mésentente entre les contractants, l'un d'eux, cessant toute collaboration avec l'autre, a décidé d'ouvrir un cabinet personnel situé à 400 mètres de l'ancien. Son confrère l'a évidemment assigné en dommages et intérêts au titre du préjudice subi, mais fut débouté par les juges du fond, ceux-ci relevant que, si la violation de la clause de non-concurrence avait constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité contractuelle du débiteur, aucun préjudice consécutif n'était établi, étant entendu "que la simple contravention à la clause ne saurait le constituer". Leur décision est, de façon pour le moins lapidaire, cassée, pour violation de l'article 1145 du Code civil (N° Lexbase : L1245ABQ), aux termes duquel "si l'obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention".
L'arrêt confirme ainsi une orientation qui nous paraît, tout de même, assez discutable. Il faut, en effet, rappeler que, après avoir pourtant décidé, par un arrêt de sa première chambre civile du 26 février 2002, que "l'article 1145 du Code civil, qui dispense de la formalité de mise en demeure lorsque le débiteur a contrevenu à une obligation de ne pas faire, ne dispense pas celui qui réclame réparation de la contravention à cette obligation d'établir le principe et le montant de son préjudice" (3), la même première chambre civile avait choisi de prendre l'exact contre-pied de cette solution en jugeant que l'absence de préjudice souffert par le créancier du fait de la violation par le débiteur d'une obligation de ne pas faire, en particulier de non-concurrence, ne constituait pas un obstacle à la condamnation de celui-ci à réparation puisque, selon l'article 1145, "celui qui y contrevient doit des dommages-intérêts par le seul fait de la contravention" (4). C'est cette interprétation littérale de l'article 1145 que consacre l'arrêt du 31 mai 2007.
En prenant ainsi le texte au pied de la lettre, la Cour réjouira les tenants de "l'exécution par équivalent" des obligations contractuelles puisqu'elle conduit à conférer au créancier un droit automatique à des dommages et intérêts sur le seul constat de l'inexécution contractuelle. Au reste, certains arrêts avaient déjà pu jeter le trouble sur la pérennité de la condition relative à l'existence d'un préjudice en matière de responsabilité contractuelle (5). Mais nul n'ignore sans doute que d'autres, d'ailleurs plus nombreux, rappelaient dans le même temps cette exigence essentielle de toute responsabilité (6). Et la troisième chambre civile, en dernier lieu, n'avait pas manqué d'énoncer, de façon tout à fait claire, que "des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il est résulté un préjudice de la faute contractuelle" (7). Cette solution avait été approuvée en doctrine comme étant la seule possible car, comme toute condamnation à réparation, celle qui tend à l'allocation de dommages et intérêts implique bien l'existence d'un préjudice (8). On comprendra ainsi que, sauf à vouloir réserver un sort particulier aux obligations de ne pas faire, que rien d'ailleurs ne saurait clairement justifier, la solution de l'arrêt du 31 mai dernier est contestable, non seulement d'un point de vue théorique, mais aussi d'un point de vue pratique dans la mesure où on voit mal, en effet, en l'absence de clause pénale, quel montant de dommages et intérêts un juge pourra concrètement fixer alors que le préjudice n'est pas établi devant lui...
(1) Voir not. Ph. Rémy, La "responsabilité contractuelle", histoire d'un faux concept, RTDCiv. 1997, p. 323 et s..
(2) Et, notamment, P. Jourdain, Réflexions sur la notion de responsabilité contractuelle, in Les métamorphoses de la responsabilité, PUF, 1998, p. 65 et s. ; Y. Larroumet, Pour la responsabilité contractuelle, in Le droit privé français à la fin du XXè siècle, Etudes offertes à P. Catala, Litec, 2001, p. 543 ; G. Viney, La responsabilité contractuelle en question, Mél. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 920.
(3) Cass. civ. 1, 26 février 2002, n° 99-19.053, M. Patrick Simonneau c/ M. Patrick Roumagnac, F-P sur le premier moyen (N° Lexbase : A0768AY4), Bull. civ. I, n° 68, RTDCiv. 2002, p. 809, obs. J. Mestre et B. Fages.
(4) Cass. civ. 1, 10 mai 2005, n° 02-15.910, M. François Biard c/ M. Christian Breut, FS-P+B (N° Lexbase : A2213DIS), Bull. civ. I, n° 201, Rép. Defrénois 2005, p. 1247, obs. J.-L. Aubert.
(5) Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-15.202, Société civile immobilière (SCI) du Centre commercial Croix Dampierre c/ Société Centre automobile Croix Dampierre (CACD), FS-P+B (N° Lexbase : A8981AXW), Bull. civ. III, n° 17, RTDCiv. 2002, p. 321, obs. P.-Y. Gautier.
(6) Cass. civ. 1, 18 novembre 1997, n° 95-19.516, Société Self Tissus c/ Société Acor Atlantique (N° Lexbase : A0705AC4), Bull. civ. I, n° 317; Cass. civ. 1, 26 février 2002, préc..
(7) Cass. civ. 3, 3 décembre 2003, n° 02-18.033, Société civile immobilière (SCI) Place Saint-Jean c/ société Precom, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3757DAE), JCP éd. G, 2003, I, 163, n° 2, obs. G. Viney, RTDCiv. 2004, p. 295, obs. P. Jourdain.
(8) Voir not. P. Jourdain, obs. RTDCiv. 2002, p. 816 et RTDCiv. 2003, p. 711.
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