Réf. : Chartes d'éthique et alerte professionnelle, rapport Antonmatéi-Vivien, janvier 2007
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Le 07 Octobre 2010
Dans un contexte doctrinal assez nourri (1), le rapport Antonmattéi-Vivien synthétise les difficultés soulevées par les chartes d'éthique. L'éthique se réfère à l'action de chaque individu considéré comme acteur au sein d'un ensemble plus vaste. Ce statut donne au salarié la possibilité d'exprimer ses convictions et de faire des choix dans son action quotidienne. La déontologie est fondée sur un référentiel plus structurant de l'activité d'une profession. A la différence des codes de déontologie, élaborés par des ordres professionnels qui acquièrent une valeur réglementaire via un décret, la déontologie d'entreprise n'a pas de fondement juridique particulier.
1.2. Contenu des chartes d'éthique
L'affirmation du respect de la réglementation sociale d'origine nationale ne crée pas d'obligation particulière à la charge de l'employeur. Certaines formules permettent, en revanche, aux salariés de revendiquer l'exécution d'obligations patronales. La qualification juridique d'engagement unilatéral de l'employeur, admis depuis des années par la Cour de cassation, servira de fondement aux prétentions des salariés, solution retenue à juste titre par le rapport Antonmattéi-Vivien. A l'inverse, certaines clauses suggèrent la mise en place d'obligations de nature contractuelle pour les salariés (discrétion, confidentialité...).
Les chartes d'éthique s'attachent prioritairement à imposer ou interdire des comportements aux salariés. Les domaines abordés sont très variables. Les clauses concernent le respect par les salariés des lois et règlements (boycott, concurrence, etc.), les conflits d'intérêts, les délits d'initié et la détention d'informations privilégiées, la transparence et l'exactitude des données transmises par le salarié, la protection des informations et de la propriété intellectuelle, l'utilisation des actifs de l'entreprise, les liens de dépendance avec les fournisseurs/clients (notamment, les règles concernant l'offre ou l'acceptation de cadeaux, les invitations...), la corruption (notamment, les relations avec la sphère politique au regard du financement des partis et la sphère publique, en particulier les relations spécifiques avec les administrations).
1.2. Caractère obligatoire des chartes
Le point central soulevé par le rapport Antonmattéi-Vivien porte sur le caractère obligatoire des comportements formulés. Certains inspecteurs du travail ont considéré que les chartes d'éthique sont une adjonction au règlement intérieur, en application de l'article L. 122-39 du Code du travail (N° Lexbase : L5552ACM), à l'instar de certaines juridictions, selon lesquelles le code de conduite et les instructions adjointes constituent des prescriptions générales et permanentes, au sens de l'article L. 122-39 du Code du travail, et entraînent une modification du règlement intérieur qui aurait dû être présentée pour avis au comité d'entreprise (TGI Nanterre, 6 octobre 2004, n° RG 04/02865, Comité d'établissement Novartis Pharma c/ SAS Novartis Pharma N° Lexbase : A3148DGP).
La circulaire DRT, n° 5-83, du 15 mars 1983 (N° Lexbase : L1833AT3), va dans le même sens : selon l'administration du travail, toute mesure de portée générale n'a pas pour autant un caractère disciplinaire. Pour revêtir ce caractère, il faut qu'il s'agisse d'une obligation ou d'une interdiction (ou d'une limitation) de faire, dont le non-respect expose à l'application de sanctions. L'intégration au règlement intérieur des stipulations des chartes d'éthique ainsi construites semble donc indiscutable, selon le rapport Antonmattéi-Vivien, et ce d'autant que des dispositions spécifiques légitiment une telle démarche (2). La finalité de la règle justifierait, ainsi, des régimes différents. Seules les règles disciplinaires relèveraient du règlement intérieur ; celles relatives à l'éthique ou à la déontologie émaneraient d'une liberté normative du chef d'entreprise qui ne nécessiterait pas une organisation juridique particulière (3).
Le régime de ces normes comportementales à caractère éthique ou déontologique est fixé par les articles L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI), L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8) et L. 432-1, alinéa 1 (N° Lexbase : L3116HIA), du Code du travail. Si l'on considère que la charte d'éthique est un document comportant des obligations pour le salarié, s'applique aussi l'article L. 122-39-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5553ACN). Le tribunal de grande instance de Nanterre a même admis la compétence consultative du CHSCT au motif que les règles édictées dans un code de conduite peuvent, selon leur application, inférer sur la santé mentale du personnel (TGI Nanterre, 6 octobre 2004, préc.).
2. L'alerte professionnelle
De nombreuses entreprises ont mis en place, notamment au sein des chartes d'éthique, des processus d'alerte professionnelle (4). Les modalités de mise en oeuvre de l'alerte professionnelle posent de multiples questions, relatives au principe d'anonymat ou de confidentialité, à la protection du "lanceur" d'alerte (mais aussi à ses devoirs), à la légitimité de l'instance (ou de la personne qui est saisie de l'alerte et l'examine), au périmètre de l'alerte.
La Cnil a, dans un premier temps, décidé que la mise en oeuvre par un employeur d'un dispositif destiné à organiser auprès des employés le recueil, quelle qu'en soit la forme, de données personnelles concernant des faits contraires aux règles de l'entreprise ou à la loi imputables à leurs collègues de travail, en ce qu'il pourrait conduire à un système organisé de délation professionnelle, ne peut qu'appeler une réserve de principe au regard de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, et en particulier de son article 1er (délibérations n° 2005-110 et n° 2005-111 du 26 mai 2005). Puis, la Cnil a modifié son analyse, dans un document d'orientation du 10 novembre 2005, source d'une délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005 portant autorisation unique de traitements automatisés de données à caractère personnel mis en oeuvre dans le cadre de dispositifs d'alerte professionnelle. La Cnil a fixé avec précision les conditions de licéité des dispositifs d'alerte professionnelle au regard de la loi "Informatique et Libertés".
Selon le rapport Antonmattéi-Vivien, en l'absence de dispositions particulières du Code du travail, le régime de l'alerte professionnelle résulte d'une déclinaison d'articles du Code du travail (articles L. 120-2, L. 121-8 N° Lexbase : L5450ACT, L. 122-35 N° Lexbase : L5548ACH, L. 122-45, L. 122-46 N° Lexbase : L5584ACS, L. 432-1, L. 432-2-1 N° Lexbase : L5584ACS...) ou du Code pénal (article 226-10 N° Lexbase : L2218AM4). Le rapport Antonmattéi-Vivien préconise d'introduire, dans le Code du travail, des règles spécifiques à l'alerte professionnelle. Réglementer l'alerte professionnelle n'aurait pas pour finalité d'imposer un modèle unique. Outre la recherche d'une sécurisation juridique du dispositif mis en place, il s'agitait essentiellement de définir l'alerte professionnelle, de déterminer les instruments juridiques de mise en place du dispositif, de fixer les règles d'organisation que doit contenir l'instrument juridique choisi et, enfin, de protéger l'émetteur.
Dans le dessein de renforcer la lutte contre des fléaux d'une extrême gravité, notamment la lutte contre la corruption, le législateur pourrait, selon le rapport, imposer aux salariés une dénonciation pour faire face à des situations tout à fait exceptionnelles. L'alerte professionnelle ne devrait pas se substituer à d'autres dispositifs sans qu'elle ait pour autant un caractère subsidiaire : il s'agit d'un mécanisme complémentaire de recueil d'informations que peuvent utiliser les salariés.
La question du domaine de l'alerte est également essentielle. Dans sa délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005, la Cnil vise les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption, tout en permettant la prise en compte de faits lorsque l'intérêt vital de l'entreprise ou l'intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu (art. 3). Un domaine trop général renforce le risque d'une utilisation abusive de l'alerte, laquelle poursuit une finalité bien déterminée de protection des intérêts de l'entreprise. Pour éviter une utilisation malveillante et un détournement de l'alerte professionnelle, le rapport Antonmattéi-Vivien propose de limiter l'utilisation du dispositif lorsqu'il s'agit d'actes contraires aux lois et règlements, à ceux qui mettent gravement en cause les règles de fonctionnement de la société ou de l'entreprise à laquelle appartient le déclencheur d'alerte.
Au final, le rapport Antonmattéi-Vivien propose de définir l'alerte professionnelle comme un ensemble de règles organisant la possibilité pour un salarié (ou toute autre personne exerçant une activité dans une entreprise) de signaler au chef d'entreprise (ou à d'autres personnes désignées à cet effet) des actes contraires à des dispositions législatives ou réglementaires, aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables à l'entreprise ou à des règles d'origine éthique ou déontologique, qui nuisent gravement au fonctionnement de l'entreprise ; des atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; des atteintes à la santé physique et mentale des salariés.
Le rapport Antonmattéi-Vivien relève que, dans l'immense majorité des situations, un support normatif unilatéral assure la mise en place et l'organisation des alertes professionnelles : le plus souvent, une charte d'éthique avec parfois une insertion des clauses relatives à l'alerte dans le règlement intérieur. L'introduction de ce dispositif dans le règlement intérieur ne parait pas fondé selon le rapport Antonmattéi-Vivien : un régime spécifique doit être élaboré. Si l'on admet que l'alerte professionnelle peut être considérée comme un dispositif permettant un contrôle de l'activité des salariés, elle relèverait des dispositions de l'article L. 432-2-1 in fine du Code du travail, qui impose l'information et la consultation préalable du comité d'entreprise. L'information des salariés est essentielle au bon fonctionnement de ce type de dispositif. Si l'alerte professionnelle relève des dispositions de l'article L. 121-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5450ACT), il est plus efficace d'indiquer cette obligation d'information dans les textes relatifs à l'alerte professionnelle.
Selon le rapport Antonmattéi-Vivien, il n'est pas opportun que le législateur impose des règles uniformes de fonctionnement de l'alerte professionnelle. Il doit se contenter, dans le cadre de la définition retenue, d'imposer dans l'acte qui met en place le dispositif, la formulation d'un certain nombre de règles dont le contenu relève du choix opéré, soit par les partenaires sociaux, soit par l'employeur.
Ainsi, l'instrument retenu devrait obligatoirement déterminer le domaine de l'alerte qui peut être plus restreint que celui de la définition légale ; les personnes susceptibles d'utiliser l'alerte ; les personnes dont les actes sont susceptibles d'être signalés ; les modalités de recueil et de traitement de l'alerte ; le nom ou la qualité des personnes intervenant dans le recueil ou le traitement de l'alerte ; les modalités d'information de la personne mise en cause par le "lanceur" d'alerte ; le caractère anonyme et/ou confidentiel de l'alerte. Pour les auteurs du rapport, il est préférable de connaître l'identité de l'émetteur tout en la traitant de façon confidentielle. La possibilité doit être laissée, dans certaines situations, d'instaurer l'anonymat. Il appartiendra à l'entreprise qui souhaitera bénéficier de l'autorisation unique de respecter les conditions posées par la délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005.
La protection de la personne qui déclenche l'alerte n'est assurée que par les règles du droit disciplinaire : on ne saurait étendre la protection spécifique accordée dans d'autres situations de signalement. Selon les auteurs du rapport, il est légitime d'octroyer la même protection au déclencheur d'une alerte professionnelle pour autant que ce dernier ait agi de bonne foi. Sur le modèle des articles L. 122-46 et L. 122-49 du Code du travail, il pourrait être prévu qu'aucun salarié ne puisse être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir utilisé de bonne foi un dispositif d'alerte professionnelle. Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire serait nul de plein droit.
Conclusion
Les difficultés suscitées par la formulation de comportements à caractère éthique ou la mise en place de dispositifs d'alerte professionnelle donnent lieu à des réponses controversées, sources d'une réelle insécurité juridique. Conforter la place des chartes d'éthique tout en respectant la finalité protectrice du droit du travail est essentiel. Aux confins de la gouvernance d'entreprise et du comportement individuel, les chartes d'éthique et l'alerte professionnelle jouent un rôle singulier. Elles doivent être mises en oeuvre avec un souci constant de concertation qui permettra leur approbation.
Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Rouen
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
La semaine dernière, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, éclairait deux arrêts rendus par la Chambre sociale le 23 mai dernier. Le premier arrêt précisait que, si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur. Et selon le second arrêt rapporté, le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées. Par conséquent, le secret des correspondances en milieu professionnel n'est plus ; ou du moins sa réalité. Le caractère "personnel et confidentiel" des courriers, mails ou messages téléphoniques n'est que rarement indiqué, si bien que tout courrier ou message en possession ou lu par l'employeur est, désormais, susceptible d'être produit à l'instance ; les modalités d'interception et de conservation étant, toutefois, bien encadrées par la jurisprudence.
Mais, l'actualité sociale n'entend pas en rester là. Cette semaine, Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV revient sur un arrêt de cette même Chambre sociale, rendu le 23 mai dernier, également, et aux termes duquel le licenciement pour motif disciplinaire d'un salarié pour un fait tiré de sa vie privée est justifié à condition que, eu égard à ses fonctions et à la nature de l'entreprise dans laquelle il travaille, puisse être caractérisé un trouble au sein de cette dernière. L'équilibre entre vie privée du salarié et exigences professionnelles, déjà recherché par la jurisprudence antérieure, semble, une nouvelle fois, sanctifié par la Haute juridiction.
Et pourtant, on ne saurait passer sous silence la contrariété naissante entre les positions des différentes chambres composant la Cour suprême. Le 18 mai dernier, la Chambre mixte (dont l'harmonisation des positions est pourtant la vocation suprême) concluait, certes, que l'employeur ou ses services peuvent procéder à l'ouverture d'un courrier adressé à un salarié sur son lieu de travail dans la mesure où le pli litigieux, arrivé sous une simple enveloppe commerciale démunie de toute mention relative à son caractère personnel, avait pu être considéré, par erreur, comme ayant un caractère professionnel. En revanche, le contenu d'une correspondance relevant de la vie privée du salarié ne peut servir de fondement à une sanction disciplinaire. La rédaction de l'arrêt est, ainsi, complétée par un attendu qui marque fortement le souhait des Hauts magistrats d'exclure toute ouverture du champ disciplinaire : "un trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de celui par lequel il est survenu". Pour Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, "toute référence à une obligation particulière pesant sur le salarié est écartée, toute passerelle éventuelle vers le champ disciplinaire est coupée. Le retour à une analyse tranchée est indéniable : les arrêts remettant en cause le principe posé en 1997 étaient tous fondés sur un jeu autour du trouble objectif causé au sein de l'entreprise par le comportement ou le fait relevant de la vie personnelle. La Cour de cassation considère, elle-même, que la passerelle était devenue trop dangereuse eu égard à la protection de la vie privée du salarié".
Assurément, en assimilant la "vie" à la volonté de dominer qui est "l'essence la plus intime de notre être" et en précisant que, si cet instinct de puissance fait défaut, il y a dégénérescence, Nietzsche condamne la vie privée et la vie professionnelle à une éternelle lutte pour leur survie respective.
La mise en place des codes éthiques, fixant pour les salariés un ensemble de règles de conduite à adopter dans l'exercice de leur activité professionnelle, ainsi que des dispositifs d'alerte professionnelle destinés à permettre aux salariés constatant des manquements aux règles posées par ces codes, d'en référer, sur lesquels Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen, revient, pour nous, cette semaine, marque-t-elle un net avantage en faveur de la vie professionnelle, conforté par une jurisprudence trouble sur le trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ?
Mais, rassurons-nous, "le sommeil fait partie de la vie privée" comme nous le rappelle, sur un ton léger, Eric Neuhoff (Un bien fou)... Aussi, à moins de s'endormir sur son lieu de travail... la vie professionnelle ne devrait pas à en connaître !
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Le 07 Octobre 2010
Serge Le Roux : Le travail collaboratif pourrait se définir comme le fait pour plusieurs personnes de travailler sur un objet unique. Il s'agit donc de la réunion d'un ensemble d'autonomies et de compétences différentes réunies dans un seul et même processus productif. Les participants n'ont pas à se connaître et peuvent être en des lieux différents. Chacune de ces personnes doit pouvoir modifier l'objet sans que les autres participants le sachent. Dans ce type d'organisation du travail, l'apport de chacun n'est pas décelable. C'est ce que l'on pourrait qualifier de "polyautonomie", c'est-à-dire l'autonomie de chacun des participants ou encore le fait de travailler ensemble séparément.
Depuis les messageries électroniques jusqu'aux agendas partagés en passant par les "Wikis", flux RSS, et autres vidéos-conférences Web, les outils de travail collaboratif ont envahi le monde de l'entreprise.
Lexbase : Ce système collaboratif remonte à des temps très anciens... Les hommes préhistoriques chassaient déjà selon ce modèle. Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui le travail collaboratif doit être appréhendé comme une nouvelle organisation sociale du travail ?
Serge Le Roux : L'organisation collaborative est très ancienne, mais la mondialisation et l'apparition des nouvelles technologies de l'information et de la communication ont modifié la donne. Il est clair que les vrais enjeux soulevés par cette forme d'organisation apparaissent surtout dans un cadre inter-entreprises. Se posent, alors, les problématiques liées à la distance entre les participants, à leur contrôle par les supérieurs hiérarchiques, ainsi que toutes les questions liées à l'échange des connaissances et des savoir-faire entre les entreprises partenaires. Lorsqu'il est limité à une entreprise, le travail collaboratif soulève, bien sûr, moins d'interrogations...
En outre, dans un contexte d'internationalisation et d'informatisation du travail, l'organisation collaborative permet de recréer une forme de solidarité entre les salariés. En effet, les NTIC permettent de gérer en temps réel des informations de plus en plus complexes et nombreuses. Ainsi, dans un système collaboratif, l'apport des travailleurs est traité et régulé par des procédures informatiques. En conséquence, le travailleur peut, certes, mesurer son apport personnel, mais il n'en reste pas maître. En réalité, dans le système collaboratif, personne n'est apte à maîtriser la totalité du processus. De l'apport du participant jusqu'à son utilisation externe par le client, en passant par son traitement informatique, le résultat de ce travail immatériel devient de plus en plus difficile à mesurer, surtout qualitativement... Cette difficulté de mesure et d'évaluation du travail constitue l'une des problématiques principales soulevées par le travail collaboratif.
Lexbase : En France, comment est appréhendé ce modèle d'organisation sociale du travail ?
Serge Le Roux : Ces questions constituent d'excellents enjeux de la négociation collective. Pourtant, en France, les partenaires sociaux n'ont pas une réflexion très avancée sur le sujet pour que l'on puisse envisager, dans un futur proche, la conclusion d'accords collectifs organisant le travail collaboratif. Les a priori restent, en effet, nombreux. Du côté des employeurs, l'abandon du traditionnel lien de subordination est difficile à envisager. Les syndicats voient, quant à eux, dans ce type d'organisation un risque de fragilisation des rapports entre le salarié et son entreprise.
Lexbase : La mise en place d'un travail collaboratif implique des changements dans la manière de travailler. Quelles sont les qualités requises d'un travailleur soumis à ce type d'organisation ?
Serge Le Roux : L'obligation de résultat et l'autonomie des participants sont essentielles dans le travail collaboratif. En effet, dans ce type d'organisation, le participant doit être autonome vis-à-vis de son employeur et vis-à-vis des autres participants pour être efficace. De cette autonomie dépend la réussite du projet. Il existe une dialectique entre l'individuel et le collectif : le travailleur dépend des autres collaborateurs et les autres collaborateurs dépendent du travailleur dans la réussite du projet.
En pratique, cela exige, bien sûr, des capacités comportementales spécifiques. Le travailleur collaboratif devra, notamment, assumer l'exil professionnel et humain que ce type d'organisation pourra engendrer (les questions liées à la motivation du travailleur collaboratif sont, d'ailleurs, au coeur de la réussite du projet). Il devra, également, apprendre à travailler en confiance avec des salariés appartenant à d'autres entreprises, ce qui devra se traduire, notamment, par une capacité à divulguer ses connaissances et ses savoir-faire. Il devra, aussi et surtout, accepter une nouvelle autorité hiérarchique nouvelle -le chef de projet- et substituer à sa traditionnelle culture d'entreprise une culture professionnelle de projet.
Lexbase : Le travail collaboratif implique également de repenser le management au sein de l'entreprise. Comment peut-on, par exemple, individualiser et contrôler les performances de chacun ? Lorsqu'il s'agit d'un projet interentreprises, comment se partage l'autorité ?
Serge Le Roux : Dans le travail collaboratif, l'apport de chacun des travailleurs n'est, en principe, pas identifiable. Cela suppose de repenser en profondeur les règles juridiques et "managériales" afin d'appréhender cette nouvelle réalité et, notamment, si l'on veut apprécier les résultats et le travail de chacun des salariés. Il s'agit d'une véritable révolution culturelle pour les supérieurs hiérarchiques qui doivent abandonner le traditionnel lien de subordination au profit d'un rapport basé sur la confiance. Pour que ce système fonctionne efficacement, il faut qu'apparaisse dans le rapport d'emploi une dimension d'autonomie et de responsabilité des participants.
Bien entendu, les frontières et règles traditionnelles de l'entreprise s'adaptent mal à cette nouvelle manière d'envisager le lien salarial. Plutôt que de faire entrer cette nouvelle forme d'organisation du travail dans les cadres existants, il semble plus adapté d'inventer de nouvelles règles. Ne pourrait-on pas imaginer la création d'un nouveau statut intermédiaire entre le salariat et le travail indépendant ? La piste du statut de l'artisan (indépendant ayant un "capital de subsistance", c'est-à-dire un capital valorisable mais sans recherche d'accumulation) pourrait également être retenue pour mieux appréhender le statut du travailleur collaboratif (3). Cela impliquerait l'engagement de programmes de recherches réunissant informaticiens, juristes et économistes. Pour l'instant, aucune recherche substantielle n'a été entreprise sur ce sujet. On ne peut, d'ailleurs, que déplorer, d'une manière générale, la faiblesse des réflexions doctrinales sur les innovations dans l'organisation du travail, qu'il s'agisse du travail collaboratif ou, d'ailleurs, de l'essaimage et du télétravail.
Lexbase : Quel est l'intérêt de mettre en place dans une entreprise une telle organisation du travail ? Quels peuvent en être les inconvénients ?
Serge Le Roux : Tout d'abord, il est important de comprendre que la question du travail collaboratif ne se pose pas en termes de choix de l'entreprise. Il s'agit, plutôt, d'une réalité de fait que l'entreprise est obligée de prendre en compte. Mais dans ce type de processus de "modernisation", des entreprises s'adaptent plus vite que d'autres aux innovations... Certaines entreprises pratiquent ce type d'organisation du travail mais persistent à chercher à le faire rentrer dans les cadres classiques de l'entreprise. En réalité, il me semble qu'une prise en compte adaptée de cette nouvelle forme d'organisation du travail constitue à la fois un passage obligé et une condition d'une meilleure efficacité de l'entreprise.
Au rang des avantages du travail collaboratif, on peut avancer l'idée que la PME peut, par ce biais et en raison du principe égalitaire qui gouverne ce type d'organisation, accéder aux informations des entreprises collaboratrices de taille plus importante, informations qui, en temps normal, lui seraient inaccessibles de par leur complexité ou de par leur coût.
En revanche, une fois le travail collaboratif mis en place et organisé, l'entreprise doit apprendre à gérer de nouveaux risques comme, par exemple, le piratage ou le débauchage. En outre, au moment de la conception du projet collaboratif, il existe un risque si ce dernier est asymétrique et implique plus d'apport de savoir-faire ou de connaissance de la part d'un partenaire que de l'autre.
Propos recueillis par Aurélie Serrano
SGR - Droit social
(1) Serge Le Roux, La mise en oeuvre d'une approche collaborative comme facteur d'innovation dans les PME-PMI, Marché et organisations, Editions L'Harmattan, n° 4, 2007, pp. 189-208.
(2) Serge Le Roux, L'Artisanat est-il l'avenir du système industriel ? Vers une théorie de l'artisanation de la révolution informationnelle, Marché et Organisations, 2006-1, pp. 55-71 et l'interview qui en fut une prolongation in Entreprise & Carrières, n° 839, 9-15 janvier 2007, pp. 30-31
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Réf. : Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, M. Guy Archalaüs c/ SA Haironville, P+B+R+I (N° Lexbase : A3179DWN)
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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
L'employeur ou ses services peuvent procéder à l'ouverture d'un courrier adressé à un salarié sur son lieu de travail dans la mesure où le pli litigieux était arrivé sous une simple enveloppe commerciale démunie de toute mention relative à son caractère personnel avait pu être considéré, par erreur, comme ayant un caractère professionnel. En revanche, le contenu d'une correspondance relevant de la vie privée du salarié ne peut servir de fondement à une sanction disciplinaire. |
Les questions soulevées par l'arrêt commenté ne sont pas nouvelles pour la Cour de cassation qui leur consacrait déjà une étude dans son rapport annuel pour l'année 1999 (J. Richard de la Tour, La vie personnelle du salarié : étude sur la jurisprudence récente de la Chambre sociale de la Cour de cassation, Rapport de la Cour de cassation 1999, La documentation française, pp. 191-205). Dans les dernières années, la juridiction de cassation a eu l'occasion de se prononcer sur ces questions à d'assez nombreuses reprises. La définition des frontières entre vie privée ou personnelle et vie professionnelle du salarié n'est pas des plus faciles. De nombreux auteurs ont pu relever, avec raison, que les solutions récentes de la Cour de cassation ne sont pas toujours satisfaisantes en ce qu'elles brouillent parfois les frontières, en admettant, par exemple, la licéité d'une sanction disciplinaire prononcée sur le fondement de faits relevant de la vie privée du salarié (v., notamment, J. Mouly, Le licenciement du salarié pour des faits relevant de sa vie personnelle : le retour discret de la perte de confiance, Dr. Soc. 2006, pp. 839-847). Manifestement, dans son arrêt du 18 mai 2007, la Cour de cassation a décidé de revenir à une position plus satisfaisante en excluant clairement les éléments relevant de la vie privée du salarié du champ du pouvoir disciplinaire de l'employeur. Il lui fallait, cependant, d'abord réaffirmer sa jurisprudence concernant le statut même d'une correspondance adressée sur le lieu de travail.
1. L'ouverture licite d'un courrier adressé au salarié sur son lieu de travail
Les difficultés seraient bien moindres si les sphères de la vie privée et de la vie professionnelle étaient parfaitement étanches. Mais, bien entendu, une telle étanchéité relève de la théorie et les passerelles entre les deux sphères sont, au contraire, nombreuses dans la pratique quotidienne.
En l'espèce, un salarié, chauffeur de direction, s'est fait adresser une revue spécialisée pour couples échangistes sur son lieu de travail, sous enveloppe commerciale ne comportant aucune autre indication que le nom du salarié, sa fonction et l'adresse de l'entreprise. Conformément à la pratique habituelle dans l'entreprise, le service du courrier de cette dernière a procédé à l'ouverture du pli et à son dépôt au standard à l'intention de son destinataire. Des salariés s'étant offusqués de la présence du magazine dans un lieu de passage, considérant qu'une atteinte avait été portée à l'image de marque de l'entreprise et que les faits avaient eu un retentissement sur la personne même du directeur, dont le salarié était le chauffeur, l'entreprise a diligenté une procédure disciplinaire à l'encontre du salarié. Ce dernier a accepté la rétrogradation prononcée à l'issue de cette procédure et a signé en conséquence un avenant à son contrat de travail.
Revenant sur son acceptation, le salarié a, ensuite, exercé une action en contestation de la sanction disciplinaire. Cette demande n'a pas été favorablement accueillie par les juges du fond : dans une décision en date du 6 décembre 2004, la cour d'appel de Nancy a considéré que l'ouverture du pli litigieux et la sanction disciplinaire infligée au salarié étaient licites. Le salarié a, alors, introduit un pourvoi en cassation dont la Chambre sociale a considéré, dans une décision du 16 janvier 2007, qu'il devait faire l'objet d'un renvoi devant une Chambre mixte (Cass. soc., 16 janvier 2007, n° 05-40.803, FS-D N° Lexbase : A6250DTN).
La question du statut d'une correspondance adressée à un salarié sur son lieu de travail était donc posée. Or, à cet égard, la Cour de cassation a construit une jurisprudence relativement précise. Pour l'essentiel, cette jurisprudence est fondée sur deux points. En premier lieu, le salarié a droit au respect du principe de secret des correspondances, y compris dans les cas où l'employeur aurait interdit l'usage du courrier personnel dans l'entreprise. En second lieu, les correspondances adressées au salarié sur son lieu de travail sont soumises à une présomption de caractère professionnel (sur ce point, v. récemment Christophe Radé, La recherche de la vérité plus forte que le respect de la vie privée, Lexbase Hebdo n° 262 du 31 mai 2007 - édition sociale N° Lexbase : N1969BBK). Pour résoudre les difficultés pratiques d'articulation de ces deux éléments, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel la correspondance adressée au salarié sur son lieu de travail qui n'est pas identifiée comme étant personnelle est présumée professionnelle ce qui autorise l'employeur à y accéder (v. la désormais célèbre jurisprudence "Nikon", Cass. soc. 2 octobre 2001, n° 99-42.942, Nikon France c/ M. Onof, publié N° Lexbase : A1200AWD ; lire Questions à... Jean-Emmanuel Ray, à propos de l'arrêt Nikon, Le quotidien Lexbase / Legalnews du 9 octobre 2001 N° Lexbase : N1201AAQ).
Cependant, toutes les difficultés ne sont pas pour autant résolues : à partir de quand une correspondance peut-elle être considérée comme ayant une identification personnelle suffisante pour être exclue du domaine professionnel ? L'espèce commentée apporte un nouvel exemple de réponse à cette interrogation. Reprenant les termes employés par les juges de la cour d'appel de Nancy, les membres de la Chambre mixte relèvent que "le pli litigieux était arrivé sous une simple enveloppe commerciale démunie de toute mention relative à son caractère personnel" et qu'il avait donc pu être légitimement considéré comme un pli professionnel que le service du courrier de l'entreprise était autorisé à ouvrir. On peut donc en déduire, comme cela a déjà été fait dans d'assez nombreuses décisions, que la simple mention de l'identité du salarié, comme d'ailleurs de sa fonction dans l'entreprise, ne suffit pas à écarter la présomption du caractère professionnel de la correspondance. On ne peut, ici, que faire à nouveau référence à la jurisprudence "Nikon" et à la mention "personnel" qui paraît être la seule à pouvoir renverser la présomption.
Ainsi, sur ce premier point, la décision de la Chambre mixte n'est guère surprenante : l'employeur ou ses services pouvaient légitimement procéder à l'ouverture du pli litigieux. On peut, en revanche, s'interroger sur les suites de cette ouverture : conformément à l'usage dans l'entreprise, le pli et son contenu ont été déposés au standard dans l'attente de leur remise au salarié destinataire. Cette pratique était-elle opportune et pouvait-elle être à la base d'une sanction à l'encontre du salarié ? En effet, si l'ouverture du pli était licite, il n'en était pas moins une correspondance privée. C'est déjà se poser la question des possibilités qu'a l'employeur d'utiliser le contenu d'un courrier adressé au salarié sur son lieu de travail.
2. Les possibilités d'utilisation par l'employeur du contenu d'un courrier adressé au salarié sur son lieu de travail
Comme le soulignait, récemment, un auteur, "l'homme n'est pas une île" (P. Sargos, Droit social 2004, p. 86) et le partage entre vie privée ou personnelle, d'une part, et vie professionnelle du salarié, d'autre part, n'est pas toujours aisé. Pourtant, en la matière, la Cour de cassation a posé une solution de principe, depuis quelques années déjà, qui a le mérite de la clarté et paraît la plus opportune pour préserver la protection de la vie privée ou personnelle du salarié. En effet, dans une décision du 16 décembre 1997, la Chambre sociale de la Cour de cassation retenait qu'"un fait imputé au salarié relevant de sa vie personnelle ne peut constituer une faute disciplinaire" (Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326, M. X c/ Office notariale de Mes Ryssen et Blondel, publié N° Lexbase : A2206AAX). La solution ne prête guère à la discussion : le pouvoir disciplinaire de l'employeur ne saurait s'exercer alors que le salarié n'est pas sous sa subordination. Pour autant, il ne s'agit pas de sacrifier la protection des intérêts de l'entreprise. Cependant, cette dernière passe par d'autres voies que celle du pouvoir disciplinaire de l'employeur.
Depuis 1997, la Cour de cassation (Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326, préc.) considère qu'un fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut être considéré comme une faute disciplinaire. Cette position est tout à fait légitime : elle n'est que la conséquence du constat de l'absence de subordination du salarié en dehors de sa vie professionnelle. Cependant, en développant, notamment, les obligations de loyauté et de probité, la Cour de cassation a atténué la clarté de la position adoptée en 1997. Ainsi, dans plusieurs espèces, la Cour de cassation a admis la sanction disciplinaire par l'employeur de comportements ou de faits relevant de la vie privée ou personnelle du salarié (v. récemment Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-44.918, FS-P+B N° Lexbase : A5597DMA).
Dans sa décision du 18 mai 2007, la Cour de cassation manifeste fortement sa volonté de revenir à une position plus conforme à celle qu'elle avait adoptée en 1997. La publicité donnée à la décision en témoigne assurément. La rédaction de la décision n'en est pas moins claire : "l'employeur ne pouvait, sans méconnaître le respect dû à la vie privée du salarié, se fonder sur le contenu d'une correspondance privée pour sanctionner son destinataire". Mais la rédaction est complétée par un autre attendu qui marque encore plus fortement le souhait des Hauts magistrats d'exclure tout retour sur le champ disciplinaire : "un trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de celui par lequel il est survenu". Par cette seconde précision, toute référence à une obligation particulière pesant sur le salarié est écartée, toute passerelle éventuelle vers le champ disciplinaire est coupée. Le retour à une analyse tranchée est indéniable : les arrêts remettant en cause le principe posé en 1997 étaient tous fondés sur un jeu autour du trouble objectif causé au sein de l'entreprise par le comportement ou le fait relevant de la vie personnelle. La Cour de cassation considère, elle-même, que la passerelle était devenue trop dangereuse eu égard à la protection de la vie privée du salarié.
Pour asseoir encore plus sa décision, la Cour de cassation prend le soin de préciser que "la réception par le salarié d'une revue qu'il s'est fait adresser sur le lieu de son travail ne constitue pas un manquement aux obligations résultant de son contrat". Décidément, la voie disciplinaire est complètement fermée par la Cour en l'espèce. On observera, cependant, que cette incise laisse a priori la possibilité d'une sanction disciplinaire pour les cas dans lesquels l'employeur aura interdit aux salariés les correspondances personnelles sur le lieu de travail.
Rétablir l'étanchéité entre vie privée ou personnelle du salarié et pouvoir disciplinaire de l'employeur était l'objectif de la Cour de cassation. La censure des juges du fond était alors prévisible : la sanction disciplinaire infligée au salarié allait à l'encontre de l'étanchéité recherchée. Pour autant, il ne faut pas considérer que la Cour de cassation a laissé l'employeur sans possibilités de réaction.
Certes, le trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire : le coup d'arrêt aux errements jurisprudentiels antérieurs est clair.
Cependant, la décision du 18 mai 2007 ne remet pas en cause la possibilité pour l'employeur de tirer les conséquences du trouble objectif causé dans le fonctionnement de l'entreprise. Simplement, l'employeur devra alors emprunter la voie du licenciement non disciplinaire. La solution a le mérite de la clarté mais elle soulève de nouvelles questions. Ainsi, dans notre espèce, le salarié ne pourrait-il arguer du fait que le service du courrier en "exposant" le pli litigieux et son contenu était, au moins en partie, à l'origine du trouble causé dans l'entreprise ? Mais alors, comment opérer le tri entre les correspondances ?
Décision
Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, M. Guy Archalaüs c/ SA Haironville, P+B +R+I (N° Lexbase : A3179DWN) Cassation (CA Nancy, 6 décembre 2004, Chambre sociale), avec renvoi (CA Reims). Textes visés : C. trav., art. L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) ; C. civ., art. 9 (N° Lexbase : L3304ABY). Mots-clefs : courrier adressé sur le lieu de travail ; vie privée ; secret des correspondances ; sanction disciplinaire ; trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise. Liens bases : ; . |
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Réf. : CA Versailles, 12ème ch., 21 décembre 2006, n° 04/03648, SA Accor Casinos c/ M. André Der Krikorian (N° Lexbase : A9964DT9)
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Le 07 Octobre 2010
Dans le cadre de la préparation d'une offre publique amicale sur la société CEC, Accor Casino avait conclu deux accords avec les actionnaires fondateurs de la société CEC. Le premier de ces accords prévoyait la cession à Accor Casino, par les actionnaires fondateurs, des actions qu'ils détenaient, à l'exception des actions grevées d'un nantissement, au prix de 52 euros par action. Le second contenait un engagement d'apport à l'offre publique d'achat des actions nanties, aux termes duquel Monsieur D. K. s'engageait irrévocablement, tant en son nom et pour son compte qu'au nom et pour le compte des actionnaires fondateurs, à :
"a) faire tout ce qui sera nécessaire pour obtenir dès que possible mainlevée du nantissement des actions ;
b) immédiatement après, à apporter les actions libres de tout nantissement ou sûreté, à l'offre publique d'achat déposée par la société Accor Casino sur la totalité des actions composant le capital de CEC au prix de 52 euros par action".
Cet accord précisait que "[cet] engagement est soumis à la réserve du dépôt par Accor Casinos d'une offre publique d'achat sur la totalité des actions composant le capital social de CEC au prix de 52 euros par actions au plus tard le 19 décembre 2001, il deviendra en outre caduc et de nul effet en cas d'offre concurrente, jugée recevable par une décision définitive, étant entendu que dans l'hypothèse de l'apport de toutes les actions à une telle offre concurrente [les actionnaires fondateurs s'engagent] à verser à Accor Casinos une indemnité égale à la différence par action entre le prix par action de l'offre concurrente et 52 euros étant entendu que ladite différence ne pourra être supérieure à 5 euros, multipliée par le nombre d'actions objet du présent engagement".
A la suite du dépôt par Accor Casinos d'une offre publique d'achat sur CEC à un prix de 52 euros par actions, une offre publique d'achat concurrente était déposée par le groupe Partouche pour un prix de 59 euros par action et était déclarée recevable par le Conseil des Marchés Financiers (CMF). Accor Casinos ayant surenchéri sur son offre en la portant à 65 euros par action, certains des actionnaires fondateurs ont cédé au groupe Partouche, par la voie d'une application effectuée sur le marché conformément aux dispositions de l'article 4402 des règles de marché harmonisées d'Euronext, applicable à l'époque des faits, les actions qu'ils détenaient -représentant 14,78 % du capital de CEC- à un prix de 66,5 euros par action permettant au groupe Partouche de détenir 48,3 % du capital de CEC (sur une base totalement diluée).
Peu de temps après, Accor Casinos renonçait à son offre.
Deux contentieux sont nés de cette offre : un contentieux devant la Commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et un contentieux judiciaire opposant la société Accor Casinos aux actionnaires fondateurs ayant cédé leurs actions au Groupe Partouche.
Ainsi, le 5 juillet 2005, la Commission spécialisée de l'AMF a procédé à plusieurs notifications de griefs, aux termes desquelles il était reproché à la société groupe Partouche et à Monsieur D. K. d'avoir porté atteinte au principe de libre jeu des offres et des surenchères, d'une part, et à la société Fortis Bank (venant aux droits de la société Fortis Securities) et à son préposé, ayant exécuté l'application, d'avoir manqué aux obligations professionnelles leur incombant en matière d'appariement et d'exécution des ordres, d'autre part.
Dans sa décision du 15 septembre 2006, la Commission des sanctions à écarté le manquement d'atteinte au libre jeu des offres et des surenchères en relevant, notamment, que "le libre jeu des offres publiques d'acquisition et de leurs surenchères s'apprécie dans le cadre de la réglementation" et que le recours à une application en période d'offre n'était pas interdit par les textes. En revanche, la Commission des sanctions de l'AMF a considéré que la société Fortis Securities avait violé l'article 4401 des règles de marché harmonisées d'Euronext, applicable à l'époque des faits, qui impose que "durant la période de négociation, chaque ordre arrivant soit confronté immédiatement aux ordres en sens opposé présents en carnet pour déterminer s'il peut être exécuté" en différant l'exécution d'un ordre de vente portant sur 24 000 actions CEC, passé à 9 heures 29 par l'un de ses clients qui n'a finalement été exécuté qu'à 16 heures 27, au même moment que l'application des actionnaires fondateurs de CEC (3).
Nous ne reviendrons par sur cette décision de la Commission des sanctions de l'AMF qui a déjà fait l'objet de plusieurs commentaires (4).
Parallèlement à la procédure de sanction entamée devant l'AMF, la société Accor Casinos a introduit une action en justice devant le tribunal de grande instance de Nanterre à l'encontre des actionnaires fondateurs ayant cédé leurs titres sur le marché, aux fins d'obtenir le paiement de l'indemnité visée dans les accords conclus avec ces actionnaires.
Dans un jugement en date du 1er mars 2004, le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré que l'engagement d'indemnisation pris par les actionnaires fondateurs était valable mais a estimé "que les conditions de son application n'étaient pas réunies dans la mesure où les titres litigieux avaient été mis sur le marché et non apportés à une offre concurrente".
Accor Casinos ayant interjeté appel de cette décision, la cour d'appel de Versailles, dans l'arrêt commenté, a confirmé le jugement rendu dans toutes ses dispositions, en admettant la validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs et l'absence de caducité de la clause d'indemnisation (I) mais en considérant que les conditions d'application de la clause d'indemnisation n'étaient pas réunies (II)
I - La validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs et l'absence de caducité de la clause d'indemnisation
La cour d'appel de Versailles s'est prononcée sur la qualification de la clause d'indemnisation (A). Elle a, ensuite, considéré que l'engagement d'indemnisation pris par les actionnaires fondateurs n'était pas dépourvu de cause et n'était pas devenu caduc (B). Enfin, et c'est l'aspect le plus intéressant de cette décision, les juges ont examiné la validité de l'engagement d'apport et de la clause d'indemnisation au regard du principe de la liberté des offres et de leurs surenchères (C).
A - La qualification de la clause d'indemnisation : clause pénale ou faculté de dédit ?
Les actionnaires fondateurs soutenaient que la clause d'indemnisation stipulée dans les accords conclus avec Accor Casinos devait s'analyser en une clause pénale. L'enjeu d'une telle qualification est -on le sait- l'application de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ), qui autorise le juge à diminuer le montant de l'indemnisation prévue par une clause pénale lorsque celle-ci est manifestement excessive.
Une telle qualification pouvait difficilement être soutenue en l'espèce. En effet, la clause pénale peut être définie comme une "clause comminatoire en vertu de laquelle un contractant s'engage en cas d'inexécution de son obligation principale (ou en cas de retard dans l'exécution) à verser à l'autre à titre de dommages-intérêts une somme forfaitaire" (5). La clause pénale se définit ainsi par son caractère comminatoire -c'est-à-dire qu'elle a pour objet d'inciter le débiteur à exécuter son obligation- et repose sur le mécanisme de la responsabilité civile : la mise en oeuvre de la clause sanctionne l'inexécution fautive de son obligation par le débiteur. Or, en l'espèce, les actionnaires fondateurs ne se voyaient nullement interdire d'apporter leurs titres à une offre concurrente, bien au contraire cette possibilité était prévue ab initio dans le contrat conclu avec Accor Casinos, sous réserve du paiement de l'indemnité prévue par le contrat.
La cour d'appel de Versailles a, dès lors, très justement écarté la qualification de clause pénale en énonçant que "[...] cette clause ne s'analyse pas comme une clause pénale dès lors qu'elle n'a pas pour objet de faire respecter par [les actionnaires fondateurs] l'exécution de l'obligation d'apporter toutes leurs actions à l'OPA d'Accor Casinos mais comme une faculté de dédit permettant aux [actionnaires fondateurs] de se soustraire à un engagement implicite de ne pas apporter leurs actions à une offre concurrente, moyennant le paiement d'une indemnité, clause qui exclut le pouvoir du juge d'en diminuer le montant ou de supprimer la somme convenue".
L'arrêt de la cour d'appel de Versailles fait, ainsi, application du critère de distinction entre les clauses pénales et les clauses de dédit, énoncé tant par la jurisprudence (6) que la par la doctrine qui considère que "la clause pénale suppose l'inexécution fautive d'une obligation ; elle est pour le créancier qui conserve son droit à l'exécution forcée, une sûreté ayant, par rapport à ce dernier, un certain caractère de subsidiarité. C'est dans l'intérêt du débiteur qu'est, tout au contraire conçue la faculté de dédit ; même lorsqu'elle est à titre onéreux, c'est lui qui a le choix et en répudiant la convention, il ne commet pas de faute, il exerce simplement un droit" (7).
Si la qualification de clause pénale doit sans aucun doute être exclue en l'espèce, il nous semble permis, toutefois, de s'interroger sur le point de savoir si la clause d'indemnisation peut s'analyser comme une faculté de dédit. Une telle qualification suppose qu'il existe un engagement de la part du débiteur, engagement dont il peut se dédire en payant l'indemnité prévue par le contrat. Pour qualifier la clause d'indemnisation de faculté de dédit, la cour d'appel de Versailles a ainsi considéré que le contrat conclu entre Accor Casinos et les actionnaires fondateurs contenait un engagement implicite de la part des actionnaires fondateurs de ne pas apporter leurs titres à une offre concurrente, engagement dont les actionnaires fondateurs pouvaient s'exonérer en payant l'indemnité prévue par le contrat. Ce raisonnement nous semble, en réalité, quelque peu artificiel. Il nous paraît difficile de découvrir, à la lecture de l'accord, l'existence d'un engagement de la part des actionnaires fondateurs de ne pas présenter leurs actions à une offre concurrente. Il ressort, bien au contraire, de la lettre de la clause que les actionnaires fondateurs avaient parfaitement le droit de procéder à un tel apport, à charge pour eux de rétrocéder à Accor Casinos une fraction de la plus-value réalisée sur l'apport de leurs titres. Nul besoin, pensons-nous, de passer par le détour de la qualification de clause de dédit pour écarter celle de clause pénale.
Quoi qu'il en soit, ce débat est avant tout terminologique et n'emporte pas de véritables conséquences sur le raisonnement suivi par les juges de la cour d'appel de Versailles, qui ont estimé que les engagements étaient valables et que la clause d'indemnisation n'était pas devenue caduque du fait du dépôt d'une offre concurrente.
B - L'engagement d'indemnisation pris par les actionnaires fondateurs n'est pas dépourvu de cause et n'est pas devenu caduc
Les actionnaires fondateurs soutenaient, par ailleurs, que l'engagement d'indemniser Accor Casinos était dépourvu de cause. L'on rappellera, en effet, qu'aux termes de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9), "l'obligation sans cause [...] ne peut avoir aucun effet".
La cour d'appel de Versailles a écarté cette argumentation en relevant que "l'engagement de ne pas apporter leurs actions à une offre concurrente trouve sa cause dans la garantie donnée par Accor Casinos aux [actionnaires fondateurs] de ce que du fait du lancement de l'OPA le cours de leurs actions serait valorisé à 52 euros dans la mesure où ils s'engageraient à apporter 669 250 actions à l'OPA alors qu'en novembre 2001, le cours moyen était de 37,21 euros". Il existait bien une contrepartie à l'engagement pris par les actionnaires fondateurs de CEC, peu important que l'on analyse cet engagement comme l'obligation pour les actionnaires fondateurs de ne pas apporter leurs titres à une offre concurrente assortie d'une faculté de dédit (ce que fait la cour d'appel de Versailles en l'espèce) ou, plus simplement et plus directement, comme l'obligation de rétrocéder à Accor Casinos une fraction de la plus-value réalisée en cas d'apport des titres à une offre concurrente (analyse qui a notre préférence).
Les actionnaires fondateurs plaidaient, également, la caducité de leurs engagements du fait du dépôt par le groupe Partouche d'une offre publique concurrente. Cet argument avait peu de chance de prospérer, dès lors que la clause prévoyait uniquement la caducité de l'engagement d'apport, la clause d'indemnisation ayant précisément vocation à jouer en cas de dépôt d'une offre concurrente. La caducité de l'engagement d'indemnisation a été écartée par la cour d'appel de Versailles.
C - La validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs au regard du principe de la liberté des offres et de leurs surenchères
Enfin, les actionnaires fondateurs estimaient que la clause d'indemnisation était illicite car contraire au principe de la liberté des offres et de leurs surenchères et à son corollaire, le principe d'égalité dans la compétition.
Le principe de liberté des offres et des surenchères, autrefois édicté à l'article 3 du règlement de la Commission des opérations de bourse (COB) n° 89-03, relatif aux offres publiques et aux acquisitions de blocs de contrôle (N° Lexbase : L4740A4C), puis à l'article 4 du règlement COB n° 2002-04, relatif aux offres publiques d'acquisition portant sur des instruments financiers négociés sur un marché réglementé (N° Lexbase : L4728A4U) trouve, aujourd'hui, son fondement dans l'article 231-3 du règlement général de l'AMF qui énonce qu'"en vue d'un déroulement ordonné des opérations au mieux des intérêts des investisseurs et du marché, toutes les personnes concernées par une offre doivent respecter le libre jeu des offres et de leurs surenchères".
Ce principe est fondé sur l'idée que seul le libre accès au marché et le libre jeu de la concurrence permettent l'adéquation de l'offre et de la demande et d'aboutir au "juste" prix des titres négociés sur le marché. Pour que l'offre et la demande puissent se rencontrer librement, tout compétiteur potentiel doit être libre de présenter une offre et les actionnaires de la cible doivent être libres de présenter leurs titres à l'offre qu'ils jugent la meilleure (8).
Le principe du libre jeu des offres et de leurs surenchères a été défini par la COB en ces termes : "le libre jeu des offres permet à chaque compétiteur de participer à une tentative de prise de contrôle d'une société par voie d'offre publique, en ayant connaissance des conditions proposées par son concurrent. Ce principe a été complété par la jurisprudence qui exige un comportement loyal des acteurs pendant le déroulement des offres successives" (9).
La jurisprudence a découvert dans le principe de liberté des offres et des surenchères un principe corollaire : le principe d'égalité des compétiteurs (10). Dans l'affaire "OCP" (11), la cour d'appel de Paris a annulé la décision de recevabilité prise par le Conseil des bourses de valeurs (CBV), dans une espèce où l'initiateur d'une offre publique s'était fait consentir des promesses de vente par les associés commandités de deux filiales de la cible, lesdites filiales exerçant l'essentiel de l'activité opérationnelle de la cible. La cour a, en effet, jugé que les accords "à la fois indispensables à l'offre publique sur les actions de la [cible] et dissuasifs de toute initiative concurrente qui n'aurait pas acquis les mêmes avantages, ont pour effet d'interdire le libre jeu des offres et des surenchères pendant le déroulement de l'offre publique". La cour poursuivit en indiquant que "l'offre publique en cours empêche a priori toute possibilité d'égalité dans la compétition" (souligné par nos soins).
Comme il a été souligné, "le domaine d'élection du principe de libre jeu des offres et des surenchères [...] est celui des engagements de présentation (ou d'apport)" (12). En effet, l'existence d'engagements d'apport au profit d'un initiateur est susceptible de dissuader toute offre concurrente de la part d'un autre initiateur qui ne bénéficierait pas des mêmes avantages, portant ainsi atteinte au principe de liberté des offres et de leurs surenchères. C'est la raison pour laquelle, de longue date, la COB recommande de prévoir contractuellement la caducité des engagements d'apport en cas de dépôt d'une offre concurrente (13).
Il convient de souligner, toutefois, que le principe d'égalité des compétiteurs ne revêt pas un caractère absolu et que la jurisprudence a pu admettre la recevabilité d'une offre en présence de promesses d'apport irrévocables, y compris en cas de dépôt d'une offre concurrente. En effet, la circonstance qu'un avantage ait été consenti à un initiateur ne paraît pas suffisante en elle-même pour caractériser une atteinte au principe d'égalité des compétiteurs. Encore faut-il que cet avantage présente un caractère décisif et empêche un éventuel concurrent de prendre le contrôle de la cible par le dépôt d'une offre. Ainsi, quelques mois seulement après l'arrêt "OCP", la même juridiction, dans l'affaire "Balland", refusait d'annuler une décision de recevabilité du CBV, alors que des promesses de cession portant sur les titres de la cible avaient été consenties à l'initiateur de l'offre, en indiquant que "les promesses de cession, faites à titre irrévocables ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à rendre impossible une prise de contrôle de la société cible par l'auteur d'une surenchère ; qu'ainsi elles n'ont pu porter atteinte au libre jeu des offres et des surenchères" (14). La cour prenait soin d'indiquer, en l'espèce, que les promesses ne portaient que sur 10,66 % du capital de la cible, des promesses portant sur une fraction plus élevée du capital et qui auraient conféré un avantage décisif à l'initiateur auraient sans doute affecté la recevabilité de l'offre.
Ce sont les critères dégagés par les arrêts "OCP" et "Balland" dont les juges de la cour d'appel de Versailles ont fait application, en l'espèce, pour déterminer la conformité des engagements pris par les actionnaires fondateurs au regard du principe de libre jeu des offres et des surenchères. Les juges ont, en effet, examiné si les accords conclus entre Accor Casinos et les actionnaires fondateurs conféraient à Accor Casinos "un avantage déterminant par avance le succès de son offre publique en faussant le jeu des offres et des surenchères".
Au cas d'espèce, les juges ont considéré que tel n'était pas le cas et que la clause était licite au regard du principe de la liberté des offres et des surenchères, dans la mesure où "en cas d'offre concurrente, les [actionnaires fondateurs] étaient déliés de leur engagement d'apporter leurs actions au groupe Accor et trouvaient à partir de 58 euros un avantage à apporter leurs actions à l'offre concurrente dans la mesure où l'indemnité stipulée à l'engagement du 17 décembre 2001 ne pouvait dépasser 5 euros par action multipliée par le nombre d'actions".
Deux enseignements paraissent pouvoir être tirés de cette décision. Le premier de ces enseignements est la confirmation de ce qu'un engagement d'apport n'est pas contraire au principe de liberté des offres et des surenchères, dès lors qu'il est assorti d'une clause de caducité en cas de dépôt d'une offre publique concurrente. Le second est que la conciliation de la clause prévoyant la rétrocession d'une fraction de la plus-value réalisée à la suite de l'apport des titres à une offre concurrente avec le principe de liberté des offres et des surenchères suppose que l'intégralité de la plus-value réalisée ne soit pas rétrocédée au premier initiateur. A défaut, l'apport à une offre concurrente perdrait tout intérêt et les actionnaires qui se sont engagés seraient de facto dissuadés de répondre à l'offre déposée par le compétiteur.
Il convient de souligner, toutefois, que, si au cas d'espèce la cour d'appel de Versailles admet la validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs au regard du principe de liberté des offres et des surenchères, elle admet implicitement la possibilité de prononcer la nullité d'un engagement d'apport à une offre publique et/ou d'une clause d'indemnisation en cas d'apport à une offre publique concurrente au motif de son illicéité au regard du principe de la liberté des offres et des surenchères.
Cette position peut sembler critiquable car il ne nous paraît pas évident, en l'absence de texte en ce sens, qu'un engagement contractuel puisse être annulé sur le fondement de sa contrariété au principe de la liberté des offres et des surenchères. Il convient de remarquer à cet égard que, dans les arrêts "OCP" et "Balland" précités, le contentieux s'était engagé non sur le terrain de la validité des accords conclus mais sur celui de la recevabilité de l'offre. A l'inverse, dans le contentieux né à l'occasion de l'offre publique déposée par Primistère sur la société Radar, le tribunal de commerce de Paris avait refusé de prononcer la nullité des promesses de cession consenties par les actionnaires majoritaires de la cible au profit de l'initiateur en énonçant que "la prééminence de l'engagement de droit civil antérieure à l'OPA est admise par les autorités boursières puisqu'une interprétation contraire impliquerait la caducité des engagements d'achat antérieurs alors qu'aux yeux de la COB ils sont susceptibles d'influer sur l'issue de l'opération" (15).
Si la cour d'appel a admis la validité des engagements pris par les actionnaires fondateurs dans les accords conclus avec Accor Casinos, elle a, en revanche, considéré que les conditions d'application de la clause d'indemnisation n'étaient pas réunies.
II - Les conditions de mise en oeuvre de la clause d'indemnisation
Les accords conclus entre Accor Casinos et les actionnaires fondateurs de CEC prévoyaient le versement d'une indemnité "dans l'hypothèse de l'apport de toutes les actions à une [...] offre concurrente". Or, en l'espèce, les actionnaires fondateurs n'ont pas apporté leurs actions à l'offre concurrente déposée par le groupe Partouche mais ont cédé leurs titres sur le marché, cette cession ayant été réalisée par Fortis Securities au moyen d'une application.
Accor Casinos soutenait que cette cession constituait en réalité un "apport déguisé à l'offre".
La cour d'appel de Versailles écarte cette argumentation en faisant une lecture littérale des accords.
Les juges rappellent, tout d'abord, que l'application, définie à l'époque des faits par l'article 4402 des règles de marché harmonisées d'Euronext comme "la production et l'exécution simultanée au même cours par un seul Membre des Marchés de Titres d'Euronext de deux ordres clients de sens opposés pour la même quantité d'un titre donnée", constitue une opération juridique distincte de la présentation des titres à une offre (16). Par principe, la cession de leurs titres par les actionnaires fondateurs, quand bien même elle s'est opérée par le biais d'une application réalisée par Fortis Securities, ne tombait pas dans le champ d'application de la clause d'indemnisation.
La cour d'appel de Versailles examine, ensuite, sans le dire expressément, si la cession des titres réalisée par les actionnaires fondateurs a été effectuée en fraude aux dispositions des accords conclus avec Accor Casinos. La cour relève que le nombre de titres mis en vente par les actionnaires fondateurs ne correspond pas au nombre de titres achetés par le groupe Partouche et que les ordres de vente passés par les actionnaires fondateurs auprès de Fortis Securities ne contenaient aucune indication autre que celle du prix de cession. La cour d'appel conclut, ainsi, "qu'aucun élément du dossier ne permet de démontrer que les [actionnaires fondateurs sont] intervenus auprès de Fortis pour qu'elle diffère la présentation sur le marché de leur ordre de vente jusqu'à réception des ordres d'achat nécessaires à la réalisation de l'application qui a permis au groupe Partouche d'obtenir un bloc de bascule".
Il faut souligner que, de manière implicite, il semble que si la preuve d'une intervention des actionnaires fondateurs auprès de Fortis Securities, aux fins de réaliser une application de leur ordre de vente avec l'ordre d'achat passé par le groupe Partouche, avait été apportée, les juges auraient fait droit à l'argumentation d'Accor Casinos et considéré que l'opération constituait en réalité un "apport déguisé", tombant dans le champ de la clause d'indemnisation.
En conclusion, l'interprétation littérale des conditions de mise en oeuvre de la clause d'indemnisation par les juges de la cour d'appel de Versailles devrait conduire les praticiens à apporter un soin particulier à la rédaction de telles clauses. Il conviendra de veiller, à l'avenir, à rédiger ces clauses de manière à viser non seulement l'apport des titres à une offre concurrente mais également toute cession qui serait effectuée sur le marché en cours d'offre.
Bernard-Olivier Becker
Avocat à la Cour
Bredin Prat
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Réf. : Cass. civ. 3, 23 mai 2007, n° 06-14.974, M. Yannick Danet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4973DW3)
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N3596BBS
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Le 07 Octobre 2010
Ceux-ci avaient invoqué reconventionnellement la nullité de cette assemblée générale et sollicité le paiement de dommages-intérêts.
Pour rejeter la demande des époux, les premiers juges avaient retenu qu'en application des dispositions des articles 214 (N° Lexbase : L2382ABT) et 1421 (N° Lexbase : L1550ABZ) du Code civil, chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul un acquêt de communauté, ce qui était, selon eux, conforté par le fait que seul le mari réglait ses charges de copropriété en son nom, et que la convocation adressée à lui seul, qui n'avait jamais exigé d'autre forme, ni désigné d'autre mandataire, était donc suffisante, sans que l'épouse fût également convoquée.
C'est au visa des articles 22 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L4822AH3) et de l'article 1421 du Code civil que la Cour de cassation rappelle les juges du fond à l'ordre : elle énonce, ainsi, que la convocation à une assemblée générale concernant des époux propriétaires d'un lot de copropriété dépendant de leur communauté de biens doit être libellée au nom des deux.
Se fondant sur le principe de la proportionnalité des voix aux tantièmes de copropriété et sur celui de la cogestion dans l'hypothèse où le lot dépend de la communauté existant entre les époux, la Haute juridiction rompt avec les pratiques jusqu'ici admises.
Il s'agit, en effet, d'un arrêt d'une importance pratique considérable puisque, jusqu'à présent, les juridictions saisies de la question avaient estimé suffisante la convocation à l'un des deux époux communs en biens (CA Paris, 23ème ch., sect. B, 11 mai 2006, n° 05/15130, Monsieur Mohamed Mondher Ben Milad N° Lexbase : A1673DRE).
Bien plus, il résultait de la recommandation n° 1 de la commission relative à la copropriété ayant trait aux règles de convocation des assemblées générales que, lorsque les époux sont communs en biens, le syndic pouvait adresser la convocation indifféremment à l'un ou l'autre des époux.
Les syndics, chargés de la convocation des copropriétaires aux assemblées générales des associés devront donc être vigilants et convoquer, désormais, les deux époux communs en biens aux assemblées.
Devront-ils le faire par voie de courrier séparé ou la convocation adressée à l'attention des deux époux sera-t-elle suffisante ? Nous pensons qu'il devrait suffire de mentionner le nom des deux époux sur la convocation, la Cour de cassation, dans l'arrêt rapporté, indiquant que la convocation doit être "libellée" au nom des deux époux...
Toutefois, nous invitons les professionnels à la plus grande vigilance en la matière...
Rappelons que tous les copropriétaires doivent être convoqués à l'assemblée.
Les copropriétaires non convoqués ou irrégulièrement convoqués peuvent contester les décisions prises en assemblée générale pendant un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal (Cass. civ. 3, 12 octobre 2005, n° 04-14.602, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A8395DK7).
A cet effet, il appartient au syndic de rapporter la preuve qu'il a régulièrement convoqué tous les copropriétaires à l'assemblée (Cass. civ. 3, 9 novembre 1994, n° 93-10.732, M. Minski et autre c/ Cabinet Le Mao, ès qualités de syndic de la copropriété Rosu Marinu N° Lexbase : A7533ABM).
Il n'est pas inutile de rappeler que, depuis le 1er avril 2007 (date d'entrée en vigueur du décret n° 2007-285 du 1er mars 2007, modifiant le décret n° 67-223, du 17 mars 1967, pris pour l'application de la loi n° 65-557, du 10 juillet 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis N° Lexbase : L5808HUN), le syndic est autorisé à convoquer les copropriétaires par voie de télécopie avec récépissé, le délai de convocation étant par ailleurs porté, sauf urgence et/ou stipulation contraire du règlement de copropriété, de quinze à vingt et un jours avant la date de l'assemblée générale.
L'arrêt du 23 mai 2007 a donc une portée pratique considérable que la Cour de cassation a souhaité renforcer par une publicité maximale (Rapport annuel, site internet, Bulletin d'information de la Cour de cassation).
Il appartiendra aux syndics de modifier au plus vite leur mode de convocation des époux communs en biens aux assemblées générales : à défaut, la nullité des décisions votées en assemblée sera encourue et les syndics risquent d'engager leur responsabilité personnelle.
Marine Parmentier
Avocat à la Cour
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Le 07 Octobre 2010
- Exposés introductifs par Marie Psimenos, Délégué général, ICC France et par Christiane Féral-Schuhl, Avocat à la Cour, Présidente de l'Adij
- Réseaux de distribution et distribution en réseaux : l'infrastructure est-elle juridiquement neutre ? par Lucien Rapp, Avocat au Barreau de Paris, Professeur à l'Université de Toulouse
- Droits et obligations du promoteur d'un réseau de distribution à l'épreuve du droit de la concurrence, par Muriel Chagny, Professeur à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
- Distribution sélective des produits de luxe sur Internet, par Regula Walter, Direction juridique de Richemont International
- Distribution en ligne et propriété intellectuelle : identification des atteintes susceptibles d'être commises sur internet, par Giuseppe de Martino, Président de l'Association des Fournisseurs d'Accès, Directeur juridique AOL France
- Copie privée, objet de distorsion ? par Cyril Chabert, Avocat au Barreau de Paris, Chargé d'enseignement à l'Université Paris XII
- Clôture des débats, avec Georges Decocq, Professeur à l'Université Paris XII
Jeudi 21 juin 2007
9h00 à 12h30
Chambre de commerce et d'industrie
38 Cours Albert 1er
75008 Paris
150 euros
Mme Christiane Féral-Schuhl
Présidente de l'Adij
Fax : 01.70.71.22.22
e-mail : coordination-adij@feral-avocats.com
Cette manifestation est validée au titre de la formation continue obligatoire des avocats.
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 07 Octobre 2010
- les sources, les principes ;
- le recrutement et la fin des fonctions ;
- la rémunération et les avantages sociaux.
1. L'actualité afférente aux sources et principes
En premier lieu, Jacques Ferstenbert est revenu sur l'influence du droit communautaire européen.
La loi du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA) autorise, notamment, la transformation des contrats à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI) au terme de six années. Selon le Professeur Jacques Ferstenbert, la transposition du droit communautaire paraissait, à cet égard, être un prétexte. En effet, comme l'avait relevé la cour administrative d'appel de Nancy à la veille de la publication de la loi (CAA Nancy, 1ère ch., 2 juin 2005, n° 03NC00959, Mme Flavie Habert c/ Commune de Forbach N° Lexbase : A7271DI7), le dispositif antérieur de l'article 3 de la loi du 26 juillet 1984, relative à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX), qui énumère les différents cas de recours aux CDD, était suffisamment encadré et précis pour prévenir les risques d'abus de recours aux CDD dans la fonction publique territoriale.
La Cour de justice des Communautés européennes, dans deux arrêts du 4 juillet 2006 (CJCE, 4 juillet 2006, aff. C-212/04, Konstantinos Adeneler c/ Ellinikos Organismos Galaktos (ELOG) N° Lexbase : A1488DQ8, cf. Olivier Dubos, Les contrats de travail dans la fonction publique : entre droit français et droit communautaire, Revue Lexbase de Droit Public n° 11 du 18 octobre 2006 N° Lexbase : N4031ALU) et du 7 septembre 2006 (CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-53/04, Cristiano Marrosu c/ Azienda Ospedaliera Ospedale San Martino di Genova e Cliniche Universitarie Convenzionate N° Lexbase : A9491DQL) a, ainsi, précisé qu'il n'est pas obligatoire de prévoir de transformation des CDD en CDI dès lors que l'abus de CDD est sanctionné ou encadré. Et tel était bien le cas du dispositif prévu par l'article 3 de la loi du 26 juillet 1984. Le Professeur continue de penser que la transformation des CDD en CDI n'était pas une exigence imposée par le droit communautaire ; en tout état de cause, force est de constater que ce dispositif est, désormais, d'origine légale.
D'une certaine façon, la loi du 19 février 2007, relative à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L4509HUK), par son article 26, a élargi le dispositif, puisqu'il est désormais possible pour un agent de garder le bénéfice de son CDI tout en changeant d'emploi à l'intérieur de la collectivité, autrement dit dans le cadre d'une mutation interne, alors qu'auparavant, le changement d'emploi impliquait la conclusion d'un nouveau contrat. Surtout, l'article 27 de cette même loi, en prévoyant un rendez-vous triennal pour les titulaires de CDI, ne laisse-t-il pas transparaître le début de l'organisation de la carrière, concurrente aux fonctionnaires titulaires ? Cela n'est pas encore prévu dans la fonction publique territoriale, contrairement à la fonction publique d'Etat, puisque le décret n° 2007-338, du 12 mars 2007 (N° Lexbase : L6691HUD), organise une carrière pour les agents de l'Etat en CDI avec l'instauration d'instances paritaires spécifiques à ces contractuels, de grilles de rémunérations, l'organisation de la mise à disposition, des disponibilités...
En second lieu, s'agissant des sources, l'abrogation du décret-loi du 29 octobre 1936, relatif aux cumuls de retraites, de rémunérations et de fonctions (N° Lexbase : L1808ASR), par la loi n° 2007-148, du 2 février 2007, de modernisation de la fonction publique (N° Lexbase : L2882HUB), constitue une "vraie révolution" pour les fonctionnaires.
Tout d'abord, la distinction qui existait entre "cumul d'emploi" et "activité accessoire" (laquelle était interdite) disparaît, en faveur de la nouvelle formule, unique, des "activités exercées à titre accessoire". La question de la signification de cette nouvelle formulation reste entière.
La loi rappelle, ensuite, l'interdiction de principe d'exercer à titre professionnel toute autre activité privée lucrative de quelque nature que ce soit. Certaines activités privées à but non lucratif sont également prohibées. Celles-ci sont limitativement énumérées. Il s'agit, notamment, des expertises, ou des plaidoiries dans les litiges intéressant toute personne publique.
Le dispositif reste plus ouvert que dans le cadre du décret-loi de 1936, celui-ci comportant des dérogations légales, notamment, le droit de créer et de reprendre une entreprise, ou le droit de produire des oeuvres de l'esprit. Par ailleurs, est expressément prévu le droit, pour les fonctionnaires et agents non titulaires, de gérer leur patrimoine personnel ou familial, ce qui n'était pas évident sous le décret-loi de 1936. Le dispositif comporte aussi des dérogations d'origine réglementaire. Un récent décret du 2 mai 2007 (décret n° 2007-658 N° Lexbase : L3911HX7, qui concerne les agents de l'Etat seulement) autorise, ainsi, l'exercice d'un certain nombre d'activités : expertises ou consultations auprès d'une entreprise ou d'un organisme privés (dès lors que cela n'est pas exercé contre une personne publique), enseignements et formations, publication de travaux, activités d'intérêt général à l'étranger, et pour les professeurs, possibilité d'exercer une activité libérale. Au fond, Jacques Ferstenbert constate que toute la jurisprudence issue du cadre du décret-loi de 1936 a été reprise, dans le dispositif actuel légal et réglementaire.
Enfin, une nouveauté vient de ce que n'est plus évoquée la question du cumul de rémunération, ni dans le décret, ni dans la loi. Par conséquent, il faut en déduire qu'il n'existe plus de plafond de rémunération. Certes, les statuts particuliers peuvent l'introduire. Mais, à défaut, il n'y a plus lieu de tenir compte de plafond de rémunération, et par suite, de comptes de cumuls.
Bien entendu, toute activité exercée à titre accessoire, selon la nouvelle appellation, ne peut l'être que sur autorisation de l'autorité hiérarchique. Il s'agit d'une autorisation préalable, susceptible d'être remise en cause, l'autorité hiérarchique pouvant s'opposer à une activité en cours si elle s'aperçoit que celle-ci n'est pas conciliable avec l'exercice de la fonction principale.
2. Eléments de recrutement et fin de fonctions
La loi du 19 février 2007 précitée comporte un certain nombre de dispositions qui concernent le recrutement.
Tout d'abord, les concours sur titres, lesquels ne sont pas de véritables concours, puisqu'il s'agit d'une commission qui examine les titres, disparaissent. Désormais, l'article 31 de la loi, modifiant l'article 36 de la loi du 26 janvier 1984, dispose que "les concours sur titres comportent, en sus de l'examen des titres et des diplômes, une ou plusieurs épreuves".
Par ailleurs, s'agissant de tous les types de concours, les épreuves doivent, désormais, tenir compte de l'expérience professionnelle.
En outre, l'article 34 de la loi augmente très largement les hypothèses de suspension de la période d'inscription sur les listes d'aptitude après concours, par différents types de congés de droit (congés parental, de maternité, d'adoption, de présence parentale, d'accompagnement d'une personne en fin de vie, de longue durée).
Enfin, l'article 24 de la loi, complétant l'article 53 de la loi du 26 janvier 1984, vient abaisser les seuils prévus pour la création d'emplois fonctionnels de direction au sein des communes et des établissements publics de coopération intercommunale. Alors que sont recensés, actuellement, un peu moins de 4 000 emplois fonctionnels de direction, une première analyse, à l'établissement des seuils, laisse escompter environ 30 000 emplois de cette nature.
En jurisprudence, à propos du recrutement, il convient de revenir sur un arrêt du Conseil d'Etat rendu le 21 juillet 2006, qui fournit une hypothèse assez intéressante de nomination pour ordre (CE 3° et 8° s-s-r., 21 juillet 2006, n° 279527, M. Gastinel N° Lexbase : A6533DQZ). Rappelons que les nominations pour ordre sont, non seulement, annulables, mais nulles et non avenues. En l'espèce, un conseil municipal avait décidé la création, dans les effectifs de la commune, d'un second emploi de directeur d'établissement d'enseignement artistique, par une délibération ne précisant ni les motifs de cette création, ni le niveau de cet emploi, ni les fonctions correspondantes. M. G. avait, ainsi, été recruté en qualité de directeur de 2ème catégorie, grade qui permet d'exercer, dans les conservatoires nationaux de région, les fonctions d'adjoint au directeur. Or, à la date à laquelle M. G. avait été recruté, comme à la date à laquelle il avait été promu directeur de 1ère catégorie, M. P., lui-même titulaire de ce dernier grade, exerçait les fonctions de directeur du conservatoire national de région et occupait l'emploi correspondant, nonobstant les mesures de suspension provisoire prononcées à son encontre par le maire. Dans ces conditions, la Haute juridiction soutient que le tribunal administratif n'a pas dénaturé les faits en relevant qu'à la date de la promotion de M. G. en qualité de directeur de 1ère catégorie, le seul emploi de ce niveau dont disposait la ville était celui occupé par M. P. En déduisant de cette constatation que la nomination de M. G. avait le caractère d'une "nomination pour ordre", le tribunal administratif a, donc, exactement qualifié les faits de l'espèce.
Par ailleurs, un certain nombre de décisions a été rendu dans le cadre de la fin de fonction.
- la fin des fonctions lorsque l'agent ne remplit plus l'une des conditions qui étaient nécessaires pour sa nomination :
Un premier cas de figure concerne un agent de police municipale (CE 4° et 5° s-s-r., 20 décembre 2006, n° 266231, M. Debel N° Lexbase : A1410DTE). L'exercice des fonctions d'agent de police municipale suppose, en effet, avant la nomination par le maire, l'obtention d'un agrément délivré par le procureur de la République. En l'espèce, le procureur de la République ayant retiré cet agrément à un agent de police municipale, le maire a radié cet agent des cadres de la commune. Il a, en effet, une compétence liée, la fin des fonctions est, alors, automatique.
Mais, la radiation n'est pas toujours automatique ; pour exemple, un arrêt important du Conseil d'Etat, rendu le 11 décembre 2006, à propos de la perte des droits civiques (CE Contentieux, 11 décembre 2006, n° 271029, Mme Nicolai N° Lexbase : A8845DSE). Dans cette affaire, la requérante, agent communal condamné à une peine d'un an de prison, avait été radiée des cadres en raison de cette condamnation. La question qui se posait aux juges était celle de savoir si la perte des droits électoraux à la suite d'une condamnation pénale entraîne la radiation des cadres. La Haute juridiction retient que, si par les dispositions de l'article L. 7 du Code électoral (N° Lexbase : L2506AA3) le législateur a dérogé au principe posé par l'article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L0406DZ3), selon lequel l'interdiction des droits civiques ne peut résulter de plein droit d'une condamnation pénale, il a entendu limiter les effets de cette dérogation à l'application de la loi électorale. Dès lors, la déchéance des droits civiques de nature à entraîner la radiation des cadres de la fonction publique, par application de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 (N° Lexbase : L6938AG3), ne peut résulter que d'une condamnation prononcée sur le fondement de l'article 131-26 du Code pénal (N° Lexbase : L2174AMH). Par suite, en déduisant du seul fait que la condamnation de la requérante impliquait, par application de l'article L. 7 du Code électoral, une privation partielle de ses droits civiques, que le maire était tenu de procéder à sa radiation des cadres, la cour a commis une erreur de droit. Faute pour la condamnation de la requérante d'avoir été assortie d'une peine complémentaire de privation des droits civiques prise sur le fondement de l'article 131-26 du Code pénal, celle-ci ne pouvait être regardée comme déchue de ses droits civiques au sens et pour l'application de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983. Le maire ne pouvait, donc, la radier des cadres qu'à l'issue d'une procédure disciplinaire, conformément à l'article 19 de cette loi.
- la fin des emplois fonctionnels :
L'article 53 de la loi du 26 janvier 1984 (N° Lexbase : L7448AGX) offre un certain nombre de garanties attachées aux emplois fonctionnels. En particulier, il ne peut être mis fin aux fonctions des agents occupant ces emplois, qu'après un délai de six mois suivant soit leur nomination dans l'emploi, soit la désignation de l'autorité territoriale. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 26 juillet 2006, indique que ces dispositions s'appliquent dans tous les cas où il est procédé à la désignation de l'autorité territoriale, y compris lorsque la même autorité est réélue après un renouvellement de l'assemblée délibérante (CE 3° et 8° s-s-r., 21 juillet 2006, n° 279502, Commune d'Epinal N° Lexbase : A6530DQW).
- s'agissant de la révocation comme sanction disciplinaire :
Le Conseil d'Etat, par un arrêt rendu le 25 octobre 2006, précise que la circonstance que le procès-verbal des délibérations du conseil de discipline mentionne que la proposition de sanction retenue contre le requérant, à savoir la révocation, a été adoptée à l'unanimité n'est pas contraire aux dispositions réglementaires relatives aux fonctionnaires actifs de la police nationale qui prescrivent que le vote doit avoir lieu au scrutin secret, dès lors que le requérant n'établit ni même n'allègue que le conseil n'aurait pas procédé à un vote à bulletins secrets (CE 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, n° 286360, M. Carosso N° Lexbase : A4843DS8). Cette jurisprudence, qui concerne la fonction publique d'Etat, est transposable à la fonction publique territoriale.
- enfin, à propos d'un agent territorial détaché auprès de l'Etat :
La cour administrative d'appel de Paris indique que l'on ne peut licencier un agent pour insuffisance professionnelle dans sa collectivité pour des faits qui concernent sa période de détachement auprès de l'Etat. Le Professeur Jacques Ferstenbert ajoute que l'autorité territoriale peut effectivement tenir compte de faits intervenus durant cette période, mais dans le cadre d'une procédure disciplinaire seulement (CAA Paris, 4ème ch., 4 avril 2006, n° 03PA01801, Commune de Puteaux N° Lexbase : A3063DP7).
3. La rémunération et les avantages sociaux
S'agissant, d'abord, de la rémunération, Maître Delphine Krust précise qu'il n'y a pas eu d'évolution spectaculaire depuis 2006, sinon les deux lois de 2007. En revanche, quelques décisions intéressantes se sont dégagées de la jurisprudence.
Au niveau des textes, rappelons que la loi du 26 juillet 2005 précitée, qui autorise une titularisation des agents non titulaires en contrats à durée indéterminée après six ans, prévoit que la rémunération des agents recrutés en CDI est "susceptible" d'évoluer ; pour autant, l'évolution n'est pas automatique, il est important d'insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un droit. Comme il a été évoqué ci-dessus, la loi du 19 février 2007 instaure un rendez-vous triennal afin de permettre une évolution de la rémunération des agents non titulaires sous CDI. En attendant la publication du décret d'application, on peut se poser la question de savoir dans quel cadre la rémunération peut-elle évoluer ? S'agira-t-il d'une grille indiciaire ? Pour un début de réponse, l'on peut se référer à la fonction publique d'Etat. Le décret du 12 mars 2007, portant modification du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986, relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat, précise que la rémunération devra être fonction de l'évaluation, de la notation de ces agents. On peut donc prévoir que la révision de la rémunération sera, en tout état de cause, fonction des qualités propres à l'agent non titulaire. Par ailleurs, quelle pourra être la latitude de l'évolution de la rémunération ? A cet égard, il convient de rappeler que la modification des conditions d'exécution du contrat, dès lors que ces modifications sont substantielles, implique le prononcé d'un licenciement et la conclusion d'un nouveau contrat, et par là-même un nouveau recrutement. Dans la plupart des cas, les conditions de conclusion du nouveau contrat ne seront pas remplies, donc le contrat sera irrégulier. Si la logique selon laquelle l'augmentation substantielle de la rémunération constitue une modification substantielle de ce contrat est maintenue, les risques encourus étant conséquents, il faudra veiller à ce que l'évolution de la rémunération de l'agent contractuel ne soit pas excessive.
L'une des innovations de la loi de février 2007 est l'organisation de la mise à disposition des agents non titulaires en CDI.
Jusque là, cette mise à disposition n'était pas prévue par la loi. Pour autant, le Conseil d'Etat avait indiqué qu'en l'absence de dispositions particulières interdisant la mise à disposition des agents non titulaires, celle-ci était autorisée, sans aucune limitation. En venant régir cette mise à disposition, la loi la conditionne. De ce fait, la liberté que le juge administratif avait accordée est quelque peu restreinte.
Au niveau de la jurisprudence, quelques décisions ont apporté des précisions.
- précisions sur les frais de représentation des cadres territoriaux :
Dans un avis rendu le 1er février 2006, le Conseil d'Etat a été amené à préciser que les frais de représentation des fonctionnaires territoriaux peuvent être attribués, soit sous forme forfaitaire, lorsque le versement n'est pas subordonné à la production de justificatifs (ce versement constitue, alors, un complément de rémunération, soumis comme tel au principe de parité), soit sous forme de remboursement, dans le cas où, la collectivité concernée institue une dotation budgétaire permettant la prise en charge directe des frais par elle-même ou le remboursement des dépenses de représentation exposées par les agents et dûment justifiées (les sommes considérées n'ont pas, dans ce cas, le caractère de compléments de rémunération alors soumis au principe de parité) (CE 3° et 8° s-s-r., 1er février 2006, n° 287656, Préfet du Puy-de-Dôme c/ Commune de Pont-du-Château N° Lexbase : A6426DMX).
Dans le même mois, la cour administrative d'appel de Douai s'est prononcée sur ces frais de représentation et a repris le considérant de l'avis du Conseil d'Etat pour retenir que la commune concernée avait méconnu le principe de parité (CAA Douai, 3ème ch., 28 février 2006, n° 04DA00599, Commune de Calais N° Lexbase : A0683DPY).
- sur la modulation des primes :
La cour administrative d'appel de Bordeaux rappelle que l'assemblée délibérante doit décider des critères de modulation des primes. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'indiquer dans la délibération, les variations de primes susceptibles d'intervenir, mais bien les critères permettant d'appliquer ces variations de primes (CAA Bordeaux, 2ème ch., 28 mars 2006, n° 02BX00257, Mme Christiane Huart N° Lexbase : A9837DNN).
Concernant la protection sociale des agents, le juge administratif est venu apporter certaines précisions :
- sur la notion d'accidents de service :
Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 10 février 2006, a jugé que constitue, certes, un accident de service survenu en dehors du service, alors même qu'il serait survenu à l'occasion d'un acte de la vie courante, mais, encore faut-il qu'il n'y ait pas eu d'interruption. En l'espèce, la requérante, qui se rendait de son domicile à son lieu de travail par son itinéraire habituel, a interrompu son trajet pour aller déposer sa fille à la crèche. Elle demande à ce que l'accident dont elle a été victime soit considéré comme accident de trajet. Mais la Haute juridiction administrative rejette sa requête, soutenant que "si ce détour n'était pas étranger aux nécessités de la vie courante, l'accident dont elle a été victime à l'intérieur du bâtiment de la crèche, n'a pas le caractère d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions" (CE 3° et 8° s-s-r., 10 février 2006, n° 264293, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Mme Camus N° Lexbase : A8304DMI).
- sur l'accident de travail consécutif à une vaccination contre l'hépatite B :
Par deux arrêt rendus le 9 mars 2007, le Conseil d'Etat reconnaît l'imputabilité au service de maladies dont souffrent des fonctionnaires à la suite de vaccinations contre l'hépatite B réalisées dans le cadre de leur activité professionnelle (il s'agissait, dans un cas, de la sclérose en plaques et, dans l'autre, de la polyarthrite rhumatoïde) (CE 4° et 5° s-s-r., 9 mars 2007, n° 267635, Mme Schwartz N° Lexbase : A5805DUK et CE 4° et 5° s-s-r., 9 mars 2007, n° 278665, Commune de Grenoble N° Lexbase : A5813DUT). Par ces deux arrêts, la Haute juridiction administrative reconnaît l'existence possible d'un lien, sous réserve de la réunion de deux conditions : d'une part, que soit établie la bonne santé de l'intéressé et l'absence de symptômes antérieurement aux vaccinations et, d'autre part, les brefs délais séparant les vaccinations des premiers symptômes de la maladie.
- sur les droits et obligations des fonctionnaires relatifs au congé maladie :
L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur de congé maladie par un médecin agréé et le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. Par un arrêt rendu le 31 janvier 2006, la cour administrative d'appel de Marseille indique que tout refus de l'agent de se soumettre à cette contre-visite n'est pas nécessairement constitutif d'une faute. L'agent peut faire valoir des raisons légitimes pour justifier son absence (CAA Marseille, 2ème ch., 31 janvier 2006, n° 01MA01794, Mme Pastor N° Lexbase : A0398DPG). En l'espèce, la cour relève que "il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que Mme P. ait entendu se soustraire à ce contrôle, dès lors qu'il n'est pas contesté que son absence était fortuite, l'intéressée n'ayant pas été prévenue du passage du médecin et s'étant rendue chez ses parents à raison de son état dépressif qui lui faisait redouter la solitude ; [...] le seul fait qu'elle avait quitté sa résidence sans autorisation préalable ne peut davantage justifier une telle suspension, en l'absence de toute disposition législative ou réglementaire l'autorisant pour un tel motif".
- Enfin, s'agissant du droit au reclassement :
Par un arrêt rendu le 2 octobre 2002, le Conseil d'Etat, a créé un principe général du droit applicable dans la fonction publique, celui du droit au reclassement (CE 5° et 7° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 227868, CCI de Meurtre-et-Moselle N° Lexbase : A9513AZD). Selon cet arrêt, "il résulte d'un principe général du droit [...] que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi". La Haute juridiction précise aussi qu'en cas d'impossibilité de reclasser le salarié, lorsque l'inaptitude est définitive, l'employeur devra prononcer le licenciement du fonctionnaire, avec les conséquences de droit nécessaires".
La jurisprudence a été amenée, en 2006, à préciser la mise en oeuvre des conditions du droit au reclassement.
Ainsi, la cour administrative d'appel de Nancy indique que l'administration a l'obligation, de chercher à reclasser cet agent dans un autre emploi adapté à ses capacités au sein des différents services relevant de l'autorité gestionnaire (CAA Nancy, 3ème ch., 6 avril 2006, n° 04NC00114, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Consorts Frich N° Lexbase : A4416DPA)
Le Conseil d'Etat ajoute que l'autorité hiérarchique a l'obligation, non seulement d'informer l'agent de son droit à reclassement, mais également de l'inviter à présenter, s'il le souhaite, une demande de reclassement (CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2007, n° 276863, Agence Nationale Pour l'Emploi (ANPE) N° Lexbase : A4266DUK ; CE, 7 juillet 2006, n° 272433, Commune de Grandvilliers N° Lexbase : A3547DQG).
Pour autant, il ne pèse aucune obligation de résultat à la charge de la collectivité ; elle doit "seulement" mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour reclasser le fonctionnaire.
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Réf. : CE Contentieux, 6 avril 2007, n° 264490, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer (N° Lexbase : A9305DU8)
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par Sophie Rimeu, Conseiller au tribunal administratif de Paris
Le 07 Octobre 2010
La réception des travaux met fin aux relations contractuelles entre le maître d'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage : après réception, seule la partie des travaux ayant fait l'objet de réserves peut encore faire l'objet d'une obligation contractuelle de la part de l'un ou l'autre des constructeurs. Par ailleurs, pèse encore sur le maître d'oeuvre deux obligations contractuelles, l'une relative à son devoir de conseil lors des opérations de réception des travaux (voir, notamment, récemment, CE 2° et 7° s-s-r., 8 juin 2005, n° 261478, Ville de Caen N° Lexbase : A6364DIK, Tables du Recueil, p. 971), et l'autre relative au contrôle des situations de travaux et à l'établissement des décomptes des entrepreneurs (CE, 1er octobre 1993, n° 60526, Vergnaud et Gaillard N° Lexbase : A0979ANL, Tables du Recueil, p. 880).
Tout d'abord, l'arrêt "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer" confirme l'effet de la réception sur les responsabilités relatives aux désordres causés aux tiers.
La victime d'un dommage causé par la construction d'un ouvrage ou des travaux publics peut demander réparation au maître d'ouvrage des travaux, aux constructeurs concernés, ou solidairement aux deux. Ensuite, la charge des indemnités de réparation peut être répartie entre le maître de l'ouvrage et le ou les constructeurs concernés en fonction de leurs responsabilités respectives dans la réalisation du dommage. Toutefois, cette action en garantie se complique si elle intervient après la réception des travaux. Le plus souvent, les victimes mettent en cause le maître d'ouvrage, à charge pour lui, ensuite, de se retourner contre les éventuels constructeurs responsables du dommage. Or après réception, sous réserve des précisions apportées ci-dessus, la jurisprudence interdit qu'une telle action en garantie puisse être fondée sur la responsabilité contractuelle (CE, Section, 4 juillet 1980, n° 03433, SA Forrer N° Lexbase : A2981B7K, Tables du Recueil, p. 307 ; confirmé par CE, Section, 15 juillet 2004, n° 235053, Syndicat intercommunal d'alimentation en eau des communes de la Seyne et de la région Est de Toulon, "SIAEC" N° Lexbase : A1322DDC, Tables du Recueil, p. 345). Cette jurisprudence a été critiquée puisqu'elle peut avoir pour conséquence qu'un maître d'ouvrage doive assumer entièrement la charge d'un dommage dont il n'est pas responsable. En effet, les dommages causés aux tiers, et donc pas, par définition, à l'ouvrage construit, n'ont quasiment aucune chance d'entrer dans le champ de la garantie décennale.
Pourtant, par cet arrêt "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer", le Conseil d'Etat a, une nouvelle fois, confirmé sa jurisprudence en la matière. Les deux tempéraments aux inconvénients de cette jurisprudence précisés par l'arrêt "SIAEC" précité, ont, toutefois, été soulignés par le commissaire du Gouvernement Boulouis dans ses conclusions : d'une part, les parties peuvent, dans le contrat, prévoir que la réception n'aura pas l'effet extinctif qui s'y attache généralement et, d'autre part, la réception ne met pas fin aux rapports contractuels quand elle a été acquise par l'entrepreneur à la suite de "manoeuvres frauduleuses ou dolosives".
2. Le règlement des droits et obligations financiers nés du contrat
Ensuite, l'arrêt "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer" précise que seule l'intervention du décompte général et définitif met fin aux droits et obligations financiers nés du contrat, la réception des travaux n'ayant aucun effet à cet égard.
Ce point n'est pas novateur puisqu'il n'est qu'une application de la formule jurisprudentielle aux termes de laquelle : "l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors du décompte définitif détermine les droits et obligations des parties" (CE, 8 décembre 1961, Société nouvelle compagnie générale de travaux, Tables du Recueil, p. 701).
Ce point est important car, en l'absence de décompte général et définitif, des réclamations contractuelles peuvent toujours être formées s'agissant de ces divers éléments : le prix des travaux commandés et exécutés, l'augmentation des prestations qui peut prendre la forme d'un ouvrage nouveau ou plus généralement de travaux supplémentaires ou plus abondants, et comprendre le préjudice éventuellement causé par l'augmentation du volume des travaux, la diminution de la masse des travaux, les pénalités de retard, ainsi qu'une éventuelle créance de la personne publique liée à la qualité de la prestation.
Dans l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat cite, notamment, parmi ces éléments, les retards et travaux supplémentaires et admet qu'en l'absence de ce décompte général et définitif, la responsabilité contractuelle des entrepreneurs soit engagée en dépit de la réception des travaux.
La distinction opérée entre les éléments pour lesquels la responsabilité contractuelle prend fin avec la réception des travaux, que la jurisprudence désigne parfois sous le terme "réalisation de l'ouvrage" et ceux pour lesquels elle ne s'éteint qu'avec l'intervention du décompte général et définitif peut être délicate pour le juge. En général, celui-ci connaît de deux catégories de litiges distincts : d'une part, les litiges relatifs à l'exécution des contrats publics, l'établissement et la contestation des décomptes, et d'autre part, ceux relatifs aux responsabilités post-contractuelles liées à la construction des ouvrages.
En effet, s'agissant des litiges liés à la réalisation des ouvrages, la fin des relations contractuelles est d'ordre public et le juge l'oppose d'office à une demande fondée sur la responsabilité contractuelle des constructeurs, alors que la réception sans réserve des travaux est intervenue (CE, 10 mars 1989, n° 69360, Syndicat communautaire de l'agglomération nouvelle de l'Isle-d'Abeau N° Lexbase : A2751AQX).
En revanche, seules les parties peuvent mettre en avant l'intervention du décompte général et définitif et il arrive, parfois, qu'un litige contractuel relatif à un élément de ce décompte soit porté devant le juge sans que celui-ci ne soit saisi ni d'une véritable contestation du décompte, dans les conditions de formes et de délais prévus par les contrats et, notamment, par les cahiers des clauses administratives générales, ni d'une demande d'établissement du décompte faite par le cocontractant de la personne publique, qui n'a pas d'autre solution, en cas d'inertie du maître d'ouvrage, que de s'adresser au juge.
Dans la décision "Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer", le Conseil d'Etat sanctionne l'arrêt de la cour administrative d'appel d'une erreur de droit car elle a opposé la réception sans réserve des travaux "sans rechercher si le décompte général et définitif du marché avait été établi", alors qu'elle était saisie de conclusions tendant à la réparation, sur le terrain contractuel, des conséquences financières de l'exécution de travaux et, notamment, de coûts nés des retards et des travaux supplémentaires.
Faut-il, alors, en l'absence de toute indication donnée par les parties sur ce point, que le juge use de ses pouvoirs d'instruction pour rechercher si le décompte général et définitif est intervenu, ou peut-il se contenter de s'estimer saisi de la question de l'établissement ou de la contestation d'un élément du décompte dès lors qu'aucune partie ne soulève le caractère définitif du décompte ou le non-respect des formes et délais prescrits pour l'établissement et la contestation de ce décompte ?
Par ailleurs, alors que les actions post-contractuelles en garantie décennale peuvent être dirigées contre les constructeurs pris solidairement, les actions fondées sur la responsabilité contractuelle doivent être dirigées contre chaque entrepreneur pris individuellement. Dès lors qu'il n'est saisi par un maître d'ouvrage que d'une demande de condamnation solidaire de plusieurs constructeurs, le juge ne doit-il pas rejeter les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle de chacun d'entre eux, qui impliquent nécessairement l'appréciation des droits et obligations nés de l'existence des contrats que chacun a passés avec le maître d'ouvrage?
Pour que le juge puisse examiner un litige sur le terrain de la responsabilité contractuelle, encore faut-il que le maître d'ouvrage, dans sa demande, précise sa demande de condamnation de chacun des constructeurs, au regard de leur contrat et obligations respectifs, sans se borner à demander une condamnation solidaire, qui est en général le propre de la responsabilité décennale qui pèse sur tous les constructeurs ayant concouru à la réalisation d'un ouvrage.
Finalement, plusieurs types de responsabilités peuvent coexister à l'issue d'un contrat : responsabilité contractuelle s'agissant de l'exécution financière du contrat tant que le décompte général et définitif n'a pas été établi, responsabilités contractuelles spécifiques des maîtres d'oeuvre, même après la réception des travaux, responsabilité contractuelle des entrepreneurs pour les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception, garantie de parfait achèvement pour les entrepreneurs, garantie décennale pour tous les constructeurs mais uniquement pour les désordres les plus importants affectant l'ouvrage construit. La décision rapportée donne un exemple de la difficile articulation de ces différentes responsabilités qui obéissent à des règles procédurales et contentieuses diverses et n'impliquent pas toujours les mêmes acteurs.
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 30 mars 2007, n° 263428, Société Sucrière de la Réunion (N° Lexbase : A8116DU7)
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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 07 Octobre 2010
La documentation administrative précise, alors, que "le propriétaire du sol conserve la propriété de son terrain, mais en cède l'usage à un locataire qui est tenu d'y édifier des constructions".
Conclue pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans, le juge de l'impôt est particulièrement attaché aux stipulations de la convention : il en déduit, ainsi, que ne peut être qualifiée de bail à construction la convention réservant aux parties le droit de le résilier à chaque échéance triennale (TA Dijon, 2ème ch., 9 mars 1999, n° 98-5656, Virly, RJF juin 1999, n° 722).
Les conditions de l'exécution du contrat sont, également, prises en compte : la confusion des qualités de bailleur et de locataire, avant le terme des dix-huit ans, entraîne une qualification de bail ordinaire et non de bail à construction (TA Dijon, 2ème ch., 11 juin 2002, n° 01-2415, Coussement, RJF janvier 2003, n° 46).
En contrepartie du droit réel immobilier conféré au preneur (CCH, art. L. 251-3 N° Lexbase : L1057HPT), le bailleur perçoit un prix consistant, en tout ou partie, soit en la remise de l'immeuble ou d'une fraction de l'immeuble, soit en un paiement de loyers. De plus, sauf convention contraire, le bailleur se voit remettre en toute propriété, en fin de bail, les constructions édifiées sur son terrain.
S'appuyant sur les stipulations de la convention conclue par la société L. Benard Sucrerie Distillerie du Gol, devenue la Société Sucrière de la Réunion, la Haute juridiction administrative apporte d'importantes précisions au regard du régime des baux à construction quant à l'application du régime de TVA (2), après annulation des décisions rendues par les juges d'appel et du premier degré (CAA Bordeaux, 5ème ch., 10 novembre 2003, n° 00BX01994, Société Sucrière de la Réunion N° Lexbase : A2154DAZ ; TA Saint-Denis de la Réunion, 3 mai 2000, n° 9701081) (1).
1. L'assiette de la TVA selon les juges du fond : l'évaluation des immeubles estimée par les parties
Le régime fiscal du bail à construction est particulier : exonéré de taxe de publicité foncière (CGI, art. 743 N° Lexbase : L2711HNQ), sa conclusion a entraîné, jusqu'en 1999, le versement d'un droit d'enregistrement de 2,5 % (CGI, art. 736 N° Lexbase : L8014HLE).
Au regard de la TVA, objet du litige déféré devant la juridiction d'appel, le transfert d'un droit réel immobilier devrait être taxé à ce titre (CGI, art. 257 7° N° Lexbase : L1811HNE).
Mais, la loi fiscale prévoit expressément une exonération de TVA (CGI, art. 261 5-4° N° Lexbase : L7825HWQ) qui ne peut profiter aux prestations de services détachables du bail à construction (CE Contentieux, 3 novembre 1986, n° 57070, Régie immobilière de la ville de Paris N° Lexbase : A3951AMB).
Cependant, afin de permettre aux propriétaires des terrains d'exercer leur droit à déduction de TVA grevant leur acquisition, le législateur a introduit un régime optionnel qui doit être exercé dans l'acte d'acquisition du bien (CGI, Annexe II, art. 201 quater A N° Lexbase : L0778HN7).
L'assiette de la TVA porte, alors, selon l'article 201 quater B de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L0779HN8), sur "le prix de cession [...] constitué soit par le montant cumulé des loyers, sans qu'il soit tenu compte des clauses de révision, soit par la valeur des immeubles ou des titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance d'immeubles remis au bailleur".
S'appuyant sur les stipulations mêmes du contrat conclu par les parties, prévoyant que le prix du bail serait constitué par la remise au bailleur des immeubles construits par le preneur, la cour administrative d'appel de Bordeaux en a déduit que la base d'imposition à la TVA était égale à l'évaluation des immeubles estimée par les parties et figurant au contrat, soit 66 000 000 francs (environ 10 061 635 euros). Cette valeur était réputée, pour la juridiction d'appel, correspondre à la valeur vénale réelle du droit immobilier consenti par la Société Sucrière de la Réunion.
La cour administrative d'appel admit que les parties puissent retenir une valeur différente si, toutefois, elles étaient en mesure de fournir des éléments en ce sens. Pour les conseillers bordelais, dès lors qu'aucune valeur du droit de reprise des constructions n'a été stipulée dans la convention, l'administration fiscale est, alors, fondée à asseoir l'impôt sur la valeur des biens retenue par les parties.
Cette décision est censurée par le Conseil d'Etat.
2. Cassation et règlement au fond par le Haut conseil : la valeur cumulée des loyers à verser au bailleur
Faisant application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat casse et règle au fond la décision déférée par la Société Sucrière de la Réunion : pour la Haute juridiction administrative, la cour administrative d'appel de Bordeaux méconnaît le sens de l'article 266-5 du CGI (N° Lexbase : L0809HPN), en retenant, comme base d'imposition à la TVA, la somme stipulée dans le contrat représentant la valeur des constructions édifiées par le preneur à l'issue des trente années de bail.
En effet, selon les stipulations du contrat, aucun loyer ne devait être versé : la seule contrepartie consistait en la remise au bailleur des biens édifiés par le preneur en fin de bail.
Or, l'assiette de la TVA, lorsque les parties ont opté pour son imposition, ne peut correspondre qu'à la valeur cumulée des loyers à verser au bailleur, ou en nature sous la forme de remises d'immeubles, ou de titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance d'immeubles. Et, la loi fiscale précise qu'il est fait abstraction, "pour la détermination de la base d'imposition, de la valeur du droit de reprise des constructions lorsque celles-ci doivent devenir la propriété du bailleur en fin de bail" (CGI, art. 266-5).
En d'autres termes, la valeur des biens transmis à terme, stipulée au contrat, ne peut être retenue par l'administration comme base imposable au regard de la TVA.
Par conséquent, les parties n'ayant pas, au cas d'espèce, convenu du versement de loyers en cours de bail, la base d'imposition de la TVA, compte tenu des termes mêmes du contrat et des dispositions légales régissant le bail à construction, ne pouvait être que nulle.
Le choix opéré par les cocontractants, quant au prix du bail, entre une stipulation d'une remise au bailleur en fin de contrat des constructions édifiées par le preneur, ou le versement de loyers, retenus pour leur montant cumulé, emporte des conséquences fiscales radicalement différentes.
La conclusion s'impose d'elle-même : la rédaction du contrat est la clef du litige opposant le contribuable et l'administration fiscale. Le Conseil d'Etat, dans sa décision, y a fait constamment référence.
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Le 07 Octobre 2010
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, par deux arrêts du 6 avril 2007, vient de décider que l'état d'alcoolémie dans lequel se trouve une personne ne suffit pas pour qu'il en soit déduit l'existence d'une relation causale entre ce fait et l'accident à l'origine des blessures ou du décès de cet individu.
Dans les deux affaires, une collision a lieu entre un véhicule terrestre à moteur et une motocyclette. Dans les deux hypothèses, le conducteur de la motocyclette a subi un préjudice personnel dont il demande indemnisation au conducteur du véhicule et à son assureur. A chaque fois, pour échapper à leur condamnation, ces derniers arguent de l'état d'imprégnation éthylique dans lequel se trouvait la victime. Ils prétendent qu'il s'agit d'une faute en relation avec le dommage subi ayant pour conséquence de limiter ou d'exclure le droit à indemnisation de cette personne. Dans le premier arrêt (n° 05-15.950), la cour d'appel refuse de faire droit à l'argumentaire développé. Dans le second (n° 05-81.350), la cour d'appel porte un regard inverse. Mais, dans les deux cas, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, considère que, si une faute indéniable a été commise par la victime, le lien de causalité entre son état d'alcoolémie et son dommage n'est pas établi. La Cour suprême opère, ainsi, une nette évolution par rapport à divers arrêts antérieurs (I) qui appelle plutôt l'approbation de cette exigence nouvelle (II).
I - Premiers arrêts et hésitations sur le lien entre la faute tenant à l'alcoolémie excessive et le dommage
Sous l'empire de la loi du 5 juillet 1985 (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9), c'est par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 24 janvier 1990 que celle-ci se prononce, pour la première fois, de manière claire, sur ce type de circonstances factuelles. Elle l'avait alors fait en s'appuyant sur les constatations de la cour d'appel selon laquelle le conducteur d'un véhicule victime d'un accident avait, notamment, franchi l'axe médian et était sous l'empire d'un état alcoolique. Et, elle avait considéré que les fautes commises avaient été la cause exclusive de l'accident (1), refusant ainsi l'indemnisation des ayants droit de la victime.
Plus récemment, dans un arrêt en date du 4 juillet 2002 (2), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait confirmé son analyse à propos d'une collision frontale entre deux ensembles routiers dont l'un était aux mains d'une personne dont le taux d'alcoolémie était supérieur à celui prescrit par la loi. Elle avait, à nouveau, affirmé que cet état constituait une faute. Mais elle avait, surtout, employé une formule intermédiaire en quelque sorte, qui avait tout au moins été remarquée. En effet, la Cour suprême avait décidé que cette faute avait été en relation avec le dommage du conducteur justifiant ainsi la limitation ou l'exclusion du droit à indemnisation. Cette retenue dans l'appréciation juridique avait peut-être été inspirée par le fait que la cour d'appel avait jugé que les indices matériels relevés ne permettaient pas d'établir l'existence d'une relation de causalité entre la faute commise par la victime et son dommage. Point de relation causale donc, mais une faute en relation avec le dommage : dosage subtil qui n'avait pas manqué de donner lieu à des commentaires.
Si le premier arrêt de 1990 était passé assez inaperçu, en revanche, le deuxième avait suscité des réactions partagées de la part de la doctrine. La première lecture consistait à se fonder sur l'idée que la loi du 5 juillet 1985 s'étant départi du concept de causalité pour l'indemnisation des victimes d'accident de la circulation en usant de la fameuse notion d'implication, il suffirait de constater un lien entre la faute et le dommage pour que soit écartée la limitation ou l'exclusion prévue, comme chacun le sait, en matière d'indemnisation, par l'article 4 de la loi, lors d'une faute commise par le conducteur victime (3).
Pour une autre partie de la doctrine, le rejet de toute recherche de causalité voulu par l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 au profit du concept d'implication, ne vaut pas pour l'article 4 de ce même texte qui n'a pas été élaboré dans la même perspective, ni la même logique. Par conséquent, l'exigence d'une relation causale n'était pas une aberration, loin s'en faut. D'ailleurs, savoir si la faute commise par la victime a été ou non la cause de l'accident et de son dommage n'est déjà pas si simple. Si c'est une faute susceptible d'expliquer le dommage, elle n'est pas systématiquement, nécessairement la cause de celui-ci (4). Une telle analyse avait, alors, l'avantage de ne pas admettre une indemnisation trop aisée du conducteur victime en ne se contentant pas d'une simple relation, non dénommée, entre la faute et le dommage.
Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation avait rigoureusement confirmé sa position de 2002, mais en d'autres termes, deux ans après, par un arrêt en date du 10 mars 2004 (5), concernant une affaire dont les faits étaient rigoureusement identiques aux deux arrêts rendus le 6 avril dernier par l'Assemblée plénière. Elle avait, encore, précisément décidé : "que la conduite d'un véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique constitue une faute en relation avec le dommage du conducteur [...] alors même que les circonstances exactes de la collision étaient indéterminées". Les mots ayant une importance fondamentale, chacun avait pu noter qu'elle employait de nouveau l'expression de "faute en relation avec le dommage". Mais cette souplesse pouvait être davantage critiquée en raison du constat effectué par la cour d'appel que les circonstances de l'accident étaient restées floues. En tous les cas, elle ne parlait pas de relation causale, contrairement à ce qu'elle vient de décider, en Assemblée plénière, dans ces deux arrêts du 6 avril 2007, ce qui emporte notre approbation.
II - Approbation de l'exigence d'un lien de causalité
Si, dans la conviction collective, l'état d'imprégnation éthylique altère les réflexes du conducteur de quelque engin à moteur que ce soit, la question est au coeur d'un débat scientifique, au sein de la société, pour les stupéfiants. Les deux arrêts d'Assemblée plénière pourraient être interprétés par le grand public comme une manière de considérer que la prise de substance nocive n'est pas systématiquement analysée comme constituant la cause de l'accident et donc qu'une certaine permissivité est de bon aloi. Ce serait une interprétation totalement fausse de ces décisions.
Tout d'abord, la Cour de cassation veille à rappeler ce qu'elle n'a cessé d'indiquer, c'est-à-dire qu'une telle pratique est une faute ; mais elle n'en conclut pas que le dommage est le résultat automatique de cette faute. Un lien de causalité ne doit pas être toujours déduit du constat de la prise d'alcool ou de stupéfiants quelque temps avant la survenance d'un dommage. En réalité, la Cour de cassation estime, à tort ou à raison, qu'une victime, même ayant commis une faute, ne peut voir, dans tous les cas, son droit à indemnisation limité ou exclu. Mais elle ne va pas, non plus, jusqu'à poser une présomption de causalité (6) qui ne figure pas dans la loi du 5 juillet 1985 et qui avait fait réagir la doctrine. Elle exige qu'une démonstration soit effectuée du rôle que la prise d'alcool ou de substances nocives a pu avoir dans la réalisation du ou des dommages. Concrètement, les circonstances relevées par les premiers juges seront encore plus déterminantes.
Pour autant, en exigeant que la faute et le dommage soient reliés par un lien de causalité, la Cour de cassation renoue avec le schéma de raisonnement traditionnel de la faute, en dehors de la responsabilité particulière des accidents de la circulation et de la réglementation spécifique créée pour eux en 1985. Mais, encore une fois, l'article 4 de la loi ne s'inscrit pas dans la logique de l'article 1er instaurant la notion d'implication, entendue dans le sens large que l'on sait, par la jurisprudence.
En procédant ainsi, la Cour de cassation ne se rapproche pas du souhait exprimé par une partie de la doctrine de voir instituer une indemnisation totale du conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, dans toutes les hypothèses. Cette évolution attendue par certains ne rencontrait plus la même opposition des assureurs qu'à une certaine époque. Ceux-ci sont, tout au moins, nombreux à avoir effectué le calcul de ce que coûterait un tel changement, pour conclure qu'il n'était pas complètement irréaliste et impossible. Mais ils n'ont pas, non plus, tous exprimé de leurs voeux une telle évolution. La Cour de cassation parvient donc à une solution intermédiaire.
On peut donc conclure qu'en exigeant l'existence d'un tel lien de causalité, la Cour de cassation fait preuve de pondération. La porte reste donc fermée, dans un sens ou un autre, à tout apport scientifique démontrant que la conduite après la prise d'alcool ou de substances toxiques entraîne automatiquement ou non des attitudes dangereuses, une absence de conscience de la réalité ou encore des réflexes altérés.
Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes
Les faits ayant donné lieu à l'arrêt du 5 avril 2007 sont d'une si grande banalité que l'intérêt d'y consacrer un commentaire apparaît de prime abord bien faible. Mais, son intérêt se situe dans la mise en oeuvre du calcul de l'indemnité d'assurance qui donne rarement lieu à des arrêts de la Cour de cassation.
Concrètement, un véhicule terrestre à moteur est endommagé dans un accident de la circulation impliquant un autre véhicule terrestre à moteur. Sa propriétaire assurée sollicite de son assureur une indemnité en réparation de la perte subie. Par ailleurs, elle souhaite récupérer le véhicule accidenté, c'est-à-dire l'épave. Une expertise a lieu en vertu de laquelle la valeur de remplacement de l'automobile est arrêtée à 3 300 euros, sa valeur résiduelle à 900 euros et celle du coût de sa réparation à 3 919 euros. L'assureur verse à l'assurée 2 400 euros, soit le montant de la valeur de remplacement à laquelle est retirée la valeur résiduelle du véhicule. Ces chiffres ne sont pas discutés en eux-mêmes par l'assurée. En revanche, c'est le mode de calcul de l'indemnité d'assurance à verser par l'assureur qui est l'objet d'une contestation.
En effet, au lieu d'accepter la déduction de la valeur résiduelle de la valeur de remplacement du bien, l'assurée souhaitant conserver le véhicule sollicite le paiement par l'assureur du montant de la réparation et donc le versement d'une somme complémentaire à celle déjà accordée ainsi qu'une indemnité d'immobilisation du véhicule, au motif qu'elle avait souscrit un contrat en valeur dite réparation. Au lieu de 2 400 euros, ce sont 3 919 euros qui sont demandés. L'assureur refuse de lui accorder une telle indemnisation en se fondant surtout sur une raison surprenante, à savoir que l'assurée ne justifiait pas des réparations effectuées. Cette dernière assigne donc l'assureur devant le tribunal d'instance de Roubaix qui, statuant en dernier ressort, la déboute. Devant la Cour de cassation, la propriétaire du véhicule prétend que la réparation intégrale du dommage suppose la remise en état du véhicule ou le versement d'une somme d'argent représentant la valeur de son remplacement. Elle ajoute qu'elle est, en outre, libre de disposer des fonds versés, sans avoir à produire des factures attestant de la réalité de la réparation.
Situation fréquente s'il en est, en pratique, que l'application des valeurs d'assurance en général pouvant se targuer d'être à l'origine de l'un des aspects les plus mal connus et donc peu admis par les assurés. Ce qui est moins banal c'est que la Cour de cassation ait à trancher ce type de difficulté à propos de l'indemnisation en matière d'assurance de dommages. Une rapide recherche historique de jurisprudence démontre que ces décisions sont très rares à ce niveau de juridiction tout au moins, ce qui est logique. Cet arrêt fournit donc l'occasion de rappeler ce que sont certaines valeurs d'assurance : la valeur vénale, la valeur de remplacement et la valeur résiduelle (I), ainsi que de souligner la jurisprudence établie depuis quelques années sur la différence à effectuer dans la mise en oeuvre de celles-ci selon qu'il s'agit d'une assurance de responsabilité ou d'une assurance de biens (II).
I - Les valeurs vénale, de remplacement et résiduelle
En droit des biens stricto sensu, la valeur vénale est, chacun le sait, souvent définie comme le prix qu'un individu aurait retiré de la vente d'un bien si ce dernier n'avait pas été endommagé (7). Ce prix dépend donc de l'état du marché à un moment donné, dans un lieu donné.
La valeur de remplacement est un peu différente puisqu'elle consiste dans le prix de revient total d'un bien dont l'état et le type sont semblables à ceux du bien sinistré. Cette valeur doit permettre d'acheter un autre véhicule de même nature, de même état, de même âge et offrant les mêmes possibilités ou services que le bien antérieurement détruit (8). Concrètement, elle suppose la prise en compte des frais qui doivent être engagés pour user du nouveau bien comme de l'ancien. C'est ainsi qu'il faut intégrer, par exemple, le coût de la carte grise, la somme correspondant aux démarches effectuées pour retrouver un bien identique, voire la marge bénéficiaire prise par le vendeur professionnel de ce dernier (9). En d'autres termes, la valeur de remplacement peut s'avérer plus intéressante pour l'assuré que la valeur vénale.
Quant à la valeur résiduelle, appelée également valeur de sauvetage, elle consiste, comme chacun le sait, dans la valeur du prix de l'épave qui reste la propriété de l'assuré (10).
Assez souvent, notamment dans les assurances de biens ordinaires, comme dans les assurances des biens d'habitation, la valeur retenue est la valeur vénale. Mais, en droit des assurances de responsabilité, une évolution s'est produite au cours de la précédente décennie. En effet, la Cour de cassation a décidé de condamner les responsables et leurs assureurs à payer non pas la valeur vénale du véhicule accidenté, mais sa valeur de remplacement (11). C'est la règle qu'elle rappelle indirectement dans cet arrêt en précisant que, si les assurances de biens et de responsabilité sont toutes les deux des assurances indemnitaires, elles n'ont pas la même nature.
L'expression peut, cependant, laisser un peu dubitatif. Ce n'est pas à strictement parler une question de nature, ou bien il faut l'entendre dans un sens assez large. Il aurait, peut-être, été plus explicite de dire que les deux catégories d'assurance ont des régimes distincts sur certains aspects.
Quoi qu'il en soit, ce qui apparaît troublant dans cet arrêt est que le contrat d'assurance n'employait ni la notion de valeur vénale, pas plus que celle de valeur de remplacement, au profit de la notion de valeur de réparation. Or la Cour de cassation ne l'entend pas ainsi. L'idée est que la victime n'est pas en mesure de négocier le contrat d'assurance, et encore moins ce type de clause dont la signification ne lui est pas familière. La cour suprême impose donc son analyse, ce qui n'est pas sans heurter la liberté contractuelle, mais vise à protéger l'assuré, partie faible au contrat.
Dans le même temps, la Cour de cassation considère, également, que la valeur de remplacement constitue aussi la limite de la responsabilité de l'auteur du dommage. Par conséquent, la valeur résiduelle du véhicule doit être retirée du montant de la valeur de remplacement. La prétention de l'assurée n'avait donc guère de chance de prospérer. Mais la Cour de cassation confirmait ainsi sa jurisprudence antérieure et ancienne dont le rappel n'était pas inutile. L'assuré a droit à la valeur de remplacement à laquelle est soustraite la valeur résiduelle, ni plus, ni moins. La valeur de remplacement devient donc un plafond ; et c'est de ce point de vue qu'elle se rapproche de la principale conséquence de l'application du principe indemnitaire. Néanmoins, les deux aspects ne doivent pas être confondus et même distingués, ce qui n'a pas été effectué par les parties dans cet arrêt, contraignant la Cour de cassation à rappeler cette évidence.
II - Valeurs d'assurance et principe indemnitaire
En invoquant l'article L. 121-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0077AA4), qui contient la règle du principe indemnitaire, l'assureur se trompe de champ d'application. En effet, le principe indemnitaire, énoncé dans cet article, institue une sorte de plafond légal : en aucun cas, l'indemnité versée par l'assureur ne saurait dépasser la valeur de la chose au moment de la survenance du sinistre. La Cour de cassation le rappelle à intervalles réguliers. L'objectif, chacun le sait, est d'éviter que le contrat d'assurance devienne une technique d'enrichissement de l'assuré. Cet argument de l'assureur n'avait cependant guère de chance de prospérer puisqu'il procède d'une confusion entre deux aspects distincts.
Savoir si l'assuré doit ou non fournir les factures démontrant l'utilisation de l'indemnité versée est une question d'affectation imposée ou non de l'indemnité d'assurance versée par l'assureur à la réparation des dommages subis, et non de calcul du montant de cette dernière. Or, l'habitude, en droit français, n'est pas d'imposer une telle affectation, de manière universelle. En revanche, un contrat d'assurance peut le prévoir, de manière ponctuelle, notamment, pour certains types de contrats. Mais, dans le cas présent, une telle disposition ne semblait pas avoir été insérée dans le contrat d'assurance. Par conséquent, l'assureur ne pouvait s'en prévaloir.
Pour conclure, une remarque s'éloignant des faits de l'espèce mérite d'être effectuée : l'affectation de l'indemnité d'assurance est de plus en plus souhaitée par les assureurs, pour diverses raisons, y compris parfois la limitation des risques de fraude. Mais c'est déjà un tout autre sujet.
Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes
Cette décision est d'un parfait classicisme. Elle énonce, en premier lieu, le caractère limitatif des sanctions applicables aux manquements de l'assureur dommages-ouvrage à ses obligations. En effet, l'article L. 242-1 du Code des assurances, pour obliger l'assureur à régler rapidement les sinistres, lui impose le respect des délais bien connus de 60 et 90 jours pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en oeuvre des garanties prévues au contrat et, par suite, en cas de mise en jeu acceptée, pour faire une offre d'indemnité destinée au paiement des travaux de réparation de dommages ; en cas d'acceptation de l'offre par l'assuré, l'assureur dispose d'un délai de 15 jours pour régler l'indemnité. L'alinéa 5 de cet article assortit ces obligations de sanctions : le non-respect des deux premiers délais, de même qu'une offre manifestement insuffisante, permettent à l'assuré, après notification à l'assureur, d'engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. En outre, en cas de retard apporté au règlement de l'indemnité, celle-ci est majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal. Enfin, sanction supplémentaire, posée par la jurisprudence cette fois, lorsque l'assureur ne respecte pas le délai de 60 jours, il ne peut plus contester ni le principe de sa garantie, ni son étendue (12).
Dès avant l'arrêt examiné, la Cour de cassation avait nettement consacré le caractère limitatif de ces sanctions en cantonnant ces règles au périmètre de l'assurance dommages-ouvrage. Or, le champ de cette assurance de pré-financement est calqué sur celui de l'assurance responsabilité décennale des constructeurs, laquelle ne comprend pas les dommages immatériels que le maître de l'ouvrage pourrait être amené à subir à la suite de désordres. On notera que ces dommages immatériels peuvent faire l'objet d'une garantie spécifique. Tel n'était pas le cas en l'espèce, comme il s'infère de la motivation de la Cour de cassation qui qualifie de "motif erroné mais surabondant" l'argument "relatif à l'absence de souscription de la garantie des dommages immatériels". Voilà qui conduit à penser que l'assureur avait, en l'espèce, proposé cette couverture (chose remarquable car elle n'est pas fréquemment proposée) que le maître de l'ouvrage avait choisi de ne pas souscrire. Mais, quand bien même une telle extension aurait-elle été souscrite, il n'y a point là de quoi intégrer ces dommages dans le champ de l'article L. 242-1 du Code des assurances.
Forte de cette analyse, la Cour de cassation a posé que, en cas de non-respect du délai de 60 jours, l'assureur ne peut être sanctionné par la privation du droit d'invoquer une limitation de garantie et une franchise prévues au contrat pour les dommages immatériels (Cass. civ. 3, 12 janvier 2005, n° 03-18.989, FS-P+B N° Lexbase : A0281DGI, Bull. civ. III, n° 3 ; D. 2005, IR p. 385 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. n° 111) dans un arrêt de censure d'une grande netteté (13).
Toutefois, un arrêt récent a été justement remarqué pour avoir retenu une "responsabilité contractuelle de l'assureur 'dommages-ouvrage' pour des dommages immatériels ne relevant pas de la garantie légale" (14). Dans cet arrêt du 24 mai 2006, la Cour de cassation a sanctionné un assureur "dommages ouvrage" dont l'expert mandaté n'avait pas bien estimé les travaux dont l'assureur devait assurer le préfinancement, retenant que l'assureur ayant "proposé à l'acceptation de son assuré non professionnel, un rapport d'expertise unilatéral défectueux conduisant à un préfinancement imparfait qui, de plus, avait été effectué avec retard et que les travaux préconisés et exécutés n'avaient pas été suffisants, [n'a] pas rempli ses obligations contractuelles en ne préfinançant pas des travaux efficaces de nature à mettre fin aux désordres".
L'exécution défectueuse par l'assureur de son obligation, consécutive à la faute de l'expert dont l'assureur est responsable (dans le cadre d'une responsabilité contractuelle du fait d'autrui), peut donc conduire à engager la responsabilité de l'assureur dommages-ouvrage, condamné à réparer tout préjudice qui découlerait de cette mauvaise exécution, y compris les dommages immatériels (dans l'espèce du 24 mai 2006, il s'agissait de pertes d'exploitations). Hubert Groutel a judicieusement souligné que cette question ne relève pas du champ de l'article L. 242-1 du Code des assurances, mais bien plutôt de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT).
A l'évidence, le demandeur au pourvoi, dans l'arrêt du 7 mars 2007, cherchait à tirer parti de ce précédent pour obtenir réparation de son "préjudice locatif" lié au départ de ses locataires qu'il imputait au "retard fautif de son assureur dans le paiement de l'indemnisation lui incombant", invoquant "que lorsque l'assureur dommages-ouvrage engage sa responsabilité personnelle à l'égard de l'assuré, au titre d'une faute commise dans l'exécution même du contrat d'assurance, cet assureur ne saurait se soustraire à l'indemnisation des préjudices immatériels résultant directement de sa faute, au motif que l'indemnisation de ce type de préjudice n'est pas prévue dans la police dommages-ouvrage ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil et l'article L. 242-1 du Code des assurances".
Mais, la Cour de cassation ne répond pas au demandeur sur le terrain de l'article 1147, s'en tenant à une réponse, sobre et classique, sur l'inapplicabilité de l'article L. 242-1 du Code des assurances aux dommages immatériels non couverts. Voilà qui n'est pas pleinement satisfaisant, car si l'on comprend aisément que le retard de l'assureur, donc la sanction prévue à l'alinéa 5 de L. 242-1, ne saurait couvrir les dommages immatériels, si ce retard a bien été causal d'une perte non couverte, le droit commun devrait ici prendre le relais. Mais, ce préjudice immatériel (perte de loyers consécutive au départ des locataires que le demandeur présente comme la conséquence d'un versement tardif de l'indemnité de réparation d'infiltrations) est-il bien, même sur le terrain du droit commun, imputable à l'assureur dommages-ouvrage ? Une lecture minutieuse conduit à relever une formulation retenue in limine de l'arrêt, selon laquelle le maître de l'ouvrage "a assigné les constructeurs et leurs assureurs en ne sollicitant l'indemnisation de son préjudice locatif que de l'assureur dommages-ouvrage". Cette formulation négative semble bien traduire que le demandeur avait mal choisi sa cible. S'il voulait se faire indemniser de son préjudice immatériel consécutif au départ de ses locataires, ce n'est pas tant vers l'assureur dommages-ouvrage [non tenu de l'indemniser de ce chef et dont la faute ne sera retenue que si elle le conduit à ne pas préfinancer "des travaux efficaces de nature à mettre fin aux désordres" (15), ce qui n'était nullement le cas ici], que vers le constructeur et l'assureur de responsabilité décennale qu'il devait se tourner.
Sébastien Beaugendre
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes,
Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
L'action directe de la victime contre l'assureur de responsabilité est un régime de faveur né de la jurisprudence (Cass. civ., 14 juin 1926, DP 1927, jurisp., p. 57, note L. Josserand ; S. 1927, 1, p. 25, note P. Esmein), ayant pris place dans le Code des assurances à l'article L. 124-3. La mise en oeuvre de ce droit exclusif au profit de la victime devient plus délicate lorsque la situation met en présence des coresponsables et une pluralité d'assureurs. Cette pluralité favorise le jeu de condamnations in solidum et d'appels en garantie. Souhaitant ne pas déroger à cette ligne directrice de protection du droit de créance de la victime, la jurisprudence a développé toute une série d'interprétations visant à consacrer l'autonomie de l'action directe et à cantonner, le plus possible, les exceptions que peut valablement opposer au tiers l'assureur actionné par voie directe (16). Mais, la protection ne doit pas tourner à la sur-protection. Or, l'arrêt commenté nous semble susceptible d'encourir un tel grief.
Cet arrêt du 26 avril 2007 est l'épilogue, perdu par l'assureur, d'une très longue bataille. Qu'on en juge ! Cet arrêt constitue le "troisième passage" de cette affaire devant la Cour de cassation, qui aura sollicité la Chambre commerciale, la première chambre civile et, en dernier lieu, la deuxième chambre civile. Ce contentieux à rebondissements s'est nourri de bien des questions, ayant trait au droit international privé, aux actions directes dans les chaînes de contrats, à l'action directe propre au droit des assurances et aux règles de procédure permettant de dénouer l'enchevêtrement de ces différentes demandes.
L'affaire étant compliquée, il importe d'avoir une vue exacte des faits et de la procédure.
L'espèce concerne une société française (SBCN) de construction navale ayant acheté à une société française (Nanni Diesel devenue Testerine) cinq propulseurs. Cette dernière s'est approvisionnée tantôt par une chaîne de sous-contrats (achat de trois de ces groupes propulseurs auprès de la société Marine Drive Units, qui les a commandés à la société MB marine), tantôt par un unique sous-contrat (acquisition des deux autres propulseurs directement auprès de MB marine), auprès de sociétés italiennes. Ces deux "sous-fournisseurs" italiens sont assurés auprès de la même compagnie (Winterthur Milan).
Ces propulseurs s'étant révélés défectueux, la SBCN a assigné, en janvier 1991, devant un tribunal de commerce, son vendeur et l'assureur de celui-ci (Zurich assurances), lequel a appelé en garantie tous les "sous-fournisseurs" et leur assureur (Winterthur). Le contentieux devait, ensuite, considérablement se développer.
Un regard rétrospectif sur le déroulement de ce procès révèle que cet arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 26 avril 2007 a été rendu sur le pourvoi formé contre un arrêt de renvoi émanant de la cour d'appel d'Angers (17 janvier 2006), par suite d'une censure prononcée par la première chambre civile le 8 janvier 2002 (17) à l'encontre d'une décision de la cour d'appel de Rennes du 7 juillet 1999. Dans cet arrêt du 8 janvier 2002, les Hauts magistrats avaient relevé d'office un motif de pur droit, lié à l'autorité de la chose jugée, l'arrêt lui ayant été déféré étant en contrariété avec une précédente décision émanant de cette même cour d'appel de Rennes, datée du 20 mai 1992 et devenue irrévocable par suite du rejet du pourvoi formé contre cet arrêt par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation dans une décision du 18 octobre 1994 (18). L'arrêt rennais de 1999 avait, en effet, déclaré irrecevable l'action directe de la victime (la société SBCN) contre l'assureur Winterthur, alors que l'arrêt rennais du 20 mai 1992, puis celui rendu par la Cour de cassation le 18 octobre 1994, en avaient admis la recevabilité. La Chambre commerciale avait, alors, défendu la recevabilité de cette action directe de la victime française contre l'assureur italien sous l'angle du droit international privé, défendant la compétence judiciaire internationale des tribunaux français et la compétence de la loi française en tant que loi du lieu de réalisation du dommage.
On notera que l'assureur italien avait choisi de placer le débat sur le terrain de l'action directe "de droit commun", dans le cadre des chaînes de contrats, et non sur le terrain "spécial" de l'action directe propre au droit des assurances (réservée à la victime en matière d'assurance de responsabilité) (19). On notera, aussi, que la tentative de l'assureur italien pour convaincre de rattacher le contentieux à la catégorie de droit international des contrats avait échoué, la Chambre commerciale ayant choisi de résoudre ce litige par rattachement à la catégorie des délits, suivant en cela, ce qui se conçoit aisément s'agissant de droit international privé communautaire, l'analyse de la CJCE qualifiant de délictuelle la responsabilité dans une chaîne de ventes (20), contrairement, chacun le sait, à l'analyse qui prévaut en droit interne où c'est une action de nature contractuelle qui prospère dans ce schéma.
Après cet épisode de droit international privé pour asseoir l'action directe en son principe (par examen de sa recevabilité), est venu le temps de sa mise en oeuvre. A ce stade, les choses se sont à nouveau compliquées, car l'acheteur insatisfait a engagé, conjointement à son action directe contre l'assureur des deux auteurs des dommages (Wintherthur en qualité d'assureur des deux "sous-fournisseurs"), une action en garantie des vices cachés contre son vendeur (le "fournisseur principal") et l'assureur de ce dernier. L'acheteur final mettait, ainsi, en oeuvre des actions distinctes (ou des demandes distinctes au sein d'une action intentée contre plusieurs défendeurs), assis sur des fondements juridiques distincts, contre différents "maillons" de la chaîne de contrats.
Ayant à connaître de ces demandes, la cour d'appel de Rennes a, dans son arrêt précité du 7 juillet 1999, condamné le vendeur et son assureur à réparation et accueilli l'appel en garantie formé par cet assureur (Zurich) contre l'assureur des "sous-fournisseurs" (Wintherthur). Elle a condamné in solidum les trois défendeurs (on ignore la part contributive de chacun).
La cour refusait, en revanche, toute action directe de la victime contre l'assureur des responsables, ce qui devait lui valoir, on le sait, une censure pour violation de l'autorité de la chose jugée par la première chambre civile, dont l'arrêt du 8 janvier 2002 renvoya l'affaire devant la cour d'appel d'Angers.
L'assureur des "sous-fournisseurs" (Wintherthur) s'est exécuté de cette condamnation en versant à l'assureur du "fournisseur principal" (Zurich) une certaine somme (on ignore s'il était question d'une garantie totale ou partielle), celui-ci versant l'indemnité à l'acheteur.
La cour d'appel d'Angers a accueilli l'action directe de l'acheteur contre l'assureur des sous-fournisseurs, et l'a "condamné in solidum avec d'autres parties, en deniers ou quittances, à indemniser la SBCN dans les limites fixées par la police".
Cet assureur a formé un pourvoi, cette fois enraciné dans le droit des assurances et qui se réfère bien à l'action directe prévue par le Code des assurances, articulé autour de deux branches.
Dans la première branche, il reproche aux juges angevins d'avoir "violé l'article L. 124-3 du Code des assurances, ensemble les règles régissant l'action directe", par leur refus de tenir compte d'une extinction de l'action directe ouverte à la victime contre l'assureur "à hauteur des sommes perçues, dès lors que la victime a déjà été désintéressée par l'auteur du dommage ou son assureur". C'est, nous semble-t-il, habilement plaider, sans que ces termes soient directement employés, que les deux demandes, bien que distinctes, ont le même objet (l'indemnisation de la victime), de sorte que l'exécution de l'une peut engendrer l'extinction de l'autre par privation d'objet, extinction totale ou partielle selon que la demande initialement satisfaite ait indemnisé intégralement ou partiellement le préjudice.
La seconde branche du moyen reproche à cette analyse, consacrant "l'indépendance de l'action directe par rapport à l'action contre le vendeur", de faire litière du principe indemnitaire, applicable en droit commun de la responsabilité civile comme en matière d'assurances dommages, les juges refusant "de rechercher si le fait que la SBCN avait déjà perçu des sommes en réparation de son préjudice ne conduisait pas à l'indemniser à une hauteur supérieure au montant du dommage, [ayant de ce fait] privé leur décision de base légale au regard de l'article L. 124-3 du Code des assurances, ensemble les articles 1641 (N° Lexbase : L1743AB8), 1147 et 1149 (N° Lexbase : L1743AB8) du Code civil" (curieusement, l'article L. 121-1 du Code des assurances, support du principe indemnitaire, n'a pas été visé par le demandeur au pourvoi !).
Le pourvoi soulevait, ainsi, la question de savoir si, malgré l'autonomie de l'action directe et de l'appel en garantie, l'assureur peut valablement opposer, en guise d'exception à l'action directe, le paiement déjà effectué dans le cadre d'une action distincte l'ayant conduit à contribuer à la dette par le truchement d'un appel en garantie ?
Le problème semble inédit et diffère de celui où l'assureur actionné par voie directe aurait désintéressé totalement la victime, alors que son assuré condamné in solidum avec d'autres coresponsables ne serait que partiellement responsable, ce qui conduit cet assureur à se retourner par voie de subrogation contre l(es)'assureur(s) de ces coresponsables (21) ou bien, comme la jurisprudence lui en reconnu la possibilité (22), à appeler ces autres assureurs en garantie au cours de ce procès initié par exercice de l'action directe de la victime.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en défendant vigoureusement l'indépendance de l'action directe, retenant que "le sort de l'action directe" est indépendant de l'action exercée par l'acheteur contre son vendeur donnant lieu à un appel en garantie entre assureurs. De ce principe, elle tire les conséquences suivantes : primo, les sommes payées sur l'un des fondements (action sur le fondement du droit de la vente donnant lieu à l'appel en garantie de l'assureur des "sous-fournisseurs") "sont sans incidence sur les demandes formées directement par la victime contre [l'assureur]" ; secundo, "les comptes entre les parties ne sont pas susceptibles d'influer sur le sort des demandes formées au titre de l'action directe". Il est permis de penser que le souci de protéger la victime et la volonté de conforter l'autonomie de l'action directe ont poussé la Cour de cassation a une formule trop générale, donc critiquable.
La défense de l'autonomie de l'action directe prévue par l'article L. 124-3 du Code des assurances par rapport à l'appel en garantie ne surprendra guère, car c'était là un enseignement posé auparavant par d'autres chambres de la Cour de cassation (chronologiquement, la première (23), la troisième (24), et la Chambre commerciale (25)). Mais il s'agissait pour celles-là de poser la distinction afin que l'on n'exigeât pas de l'assureur de l'auteur du dommage qui appellerait en garantie un autre assureur qu'il ait à se justifier d'avoir préalablement désintéressé la victime du dommage. En effet, l'appelant en garantie n'agit alors nullement par subrogation dans les droits de la victime titulaire de l'action directe. Il n'est donc point nécessaire d'exiger sur le fondement de l'un (l'appel en garantie) une condition propre à l'autre (le désintéressement préalable du subrogé par le subrogeant).
La perspective dans laquelle le problème de droit se posait dans notre arrêt est toute différente, car l'autonomie ("l'indépendance" selon la Cour) s'envisage, ici, au stade des effets. Il s'agit cette fois de savoir si l'assureur actionné par voie directe peut valablement opposer à la victime qu'il l'a déjà indemnisée dans le cadre d'une action distincte où il est devenu partie à l'instance, et à la dette (!), par la technique de l'appel en garantie. Or, comme nous l'avons vu, la deuxième chambre civile rejette la recevabilité d'une telle exception, affirmant que ce paiement antérieur est "sans incidence" sur "le sort de l'action directe" et que "les comptes entre les parties ne sont pas susceptibles d'influer sur le sort des demandes formées au titre de l'action directe".
Une telle affirmation nous semble contestable, car s'il est certain que l'exercice préalable d'une action en garantie des vices cachés donnant lieu à un appel en garantie n'obère pas le principe d'une action directe, indépendance oblige, la quotité de ce que l'on obtiendra par cette action subséquente est forcément conditionnée par ce que l'on a déjà obtenu dans le cadre de cette première action (26) sans quoi, comme le soulevait fort justement le pourvoi, on risque, par ce cumul d'actions, de réparer plus que le préjudice souffert par la victime et l'assureur risque d'avoir à payer deux fois pour le même préjudice ! L'indépendance des actions ne gommera pas qu'il n'y a qu'un préjudice à réparer !
La justification de la Cour de cassation semble s'appuyer sur une analyse toute processuelle (ce qui n'étonnera pas venant de la deuxième chambre civile !) qui voit dans la contribution financière de l'assureur appelé en garantie, dans le cadre de l'action en garantie des vices cachés, une sorte d'action indirecte alors que l'action exercée par la victime contre ce même assureur en usant des ressources du droit des assurances est une action directe. On opposera à cette lecture que si la victime a initialement divisé ses recours [A agit, d'une part, contre B (qui appelle C en garantie) et, d'autre part, par voie d'action directe contre C], il est contestable de soutenir que l'appel en garantie ne concerne que les rapports entre B et C (27). Dès lors que B procède par voie d'intervention forcée pour attraire C à la cause, le procès oppose A à B et C. D'ailleurs, le demandeur a, postérieurement à cet appel en garantie, possibilité de déposer des conclusions tournées contre ce tiers, sans contrevenir à l'interdiction des demandes nouvelles, comme il est consigné à l'article 564 du NCPC (N° Lexbase : L2814ADL). Dès lors, il n'est pas raisonnable de faire comme si les deux actions, ou les deux demandes au sein d'un même procès, étaient totalement indépendantes l'une de l'autre. Si l'unité de personnes n'est obtenue qu'indirectement via l'appel en garantie (en débouchant sur une pluralité de défendeurs), il y a bien unité d'objet (obtenir réparation du préjudice) et, sur le terrain de la cause, la jurisprudence récente rendue sur l'autorité de la chose jugée a montré que la différence de fondements juridiques n'emporte pas nécessairement différence de causes (28). Dès lors, on pourrait raisonner en termes d'autorité positive de la chose jugée de la première décision (rendue ici sur le fondement des vices cachés) sur la seconde (action directe), ou, à tout le moins, s'inspirer de cette notion par un raisonnement analogique.
Surtout, il est un élément, rempli dans l'espèce étudiée, qui ne peut être écarté du raisonnement : il nous semble que l'on ne peut traiter l'action directe postérieure à l'exécution de la condamnation à garantir le défendeur initial actionné sur le terrain des vices cachés comme s'il était question d'une action directe concomitante à cette action distincte. Lorsque la victime a, sur un terrain, déjà obtenu réparation (partielle, a fortiori totale), elle ne devrait pouvoir obtenir par la voie de l'action directe contre l'assureur du responsable du dommage qu'une somme soumise à une double limite : elle ne devrait pouvoir réclamer que le reliquat de sa créance de responsabilité, sans pouvoir excéder les plafonds de garantie contenue dans la police liant cet assureur à son assuré (co)auteur du dommage.
Ce n'est pas ce que décide la Cour de cassation qui considère que l'autonomie de l'action directe induit qu'elle prospère, sans aucune incidence, d'une autre action distincte, quand bien même unirait-elle les mêmes protagonistes, et quand bien même aurait-elle déjà fait l'objet d'une exécution. Mais, faire fi de cette distinction entre action directe concomitante et action directe postérieure conduit à considérer que l'assuré peut, dans le cadre d'une action directe contre l'assureur d'un coresponsable réclamer réparation de l'intégralité de son préjudice sans tenir compte d'une extinction antérieure de sa créance, c'est-à-dire exposer l'assureur à payer plus qu'il ne doit et la victime à recevoir plus que son dû. Traduire ainsi "l'indépendance" entre l'action directe et l'appel en garantie n'est à l'évidence pas souhaitable et l'on ne peut croire que la Cour de cassation ait voulu un tel résultat. L'autonomie de l'action directe et le caractère exclusif du droit propre de la victime sont nés de la volonté que l'assureur ne puisse opposer à la victime un paiement libératoire fait entre d'autres mains que celles de cette victime. Mais qui pourrait soutenir que le versement par l'assureur A à l'assureur B d'une somme remise à la victime C n'équivaut pas à une remise directe, donc libératoire, de A à C ?
Il est peut-être une interprétation moins pessimiste. La philosophie énoncée par les Hauts magistrats selon laquelle "les comptes entre les parties ne sont pas susceptibles d'influer sur le sort des demandes formées au titre de l'action directe" traduirait l'idée qu'il faut juger la demande en action directe indépendamment de toute demande distincte (même connexe), et qu'il ne faudrait "faire les comptes entre les parties", à la fois entre coresponsables et, comme ici, entre la victime et l'assureur ayant payé deux fois au prix de deux procédures, qu'a posteriori. Ce serait faire passer l'indemnisation de la victime au premier chef et laisser les assureurs régler entre eux le problème de leurs parts contributives respectives ou, comme en l'espèce, laisser la question de la compensation entre ce que l'assureur a déjà versé à un titre et ce qu'il doit à un autre (action directe) se régler au stade de l'exécution de la décision, donc, en cas de problème, devant le juge de l'exécution. Au pire, la question se réglerait par un procès supplémentaire en répétition de l'indu que devrait intenter l'assureur contre la victime ayant "trop reçu". La Cour aurait choisi de faire passer son message sur l'indépendance et l'efficacité de l'action directe sans vouloir l'obscurcir en distinguant l'hypothèse particulière où une action distincte a déjà été exécutée par l'assureur actionné par voie directe...
Pour l'assureur concerné par un tel "double paiement" (sur le fondement de l'appel en garantie et tenu à réparation intégrale dans le cadre de l'action directe), la situation n'est guère enviable. Cet arrêt ne l'encouragera guère à verser à l'assureur qui l'a appelé en garantie sa quote-part et l'incitera à négocier avec cet assureur une suspension de sa contribution, le temps pour l'action directe de déployer ses effets. Mais il est vrai que le contexte particulier de cet arrêt, où l'action directe avait été "bloquée" par des juges du fond qui avaient estimé que l'action distincte (en vices cachés) avec appel en garantie y suffisait, pose une difficulté qui ne correspondra pas au schéma le plus usuel. Plus souvent, la victime qui met en oeuvre conjointement l'action directe et l'action distincte mettra d'abord à exécution l'action directe, de sorte que cet assureur se retournera, ensuite, contre les assureurs des coresponsables.
Sébastien Beaugendre
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes,
Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
(1) Cass. civ. 2, 24 janvier 1990, n° 88-14.209, M. Debbiche et autres c/ M. Fumex et autre (N° Lexbase : A0069AB8), Bull. civ. II, n° 14, p. 8. Voir encore : Cass. crim., 18 octobre 2005, n° 05-81.384 (N° Lexbase : A5296DW3), RCA janv. 2006, n° 17, p. 16, note H. Groutel.
(2) Cass. civ. 2, 4 juillet 2002, n° 00-12.529, Société des Transports Garcia c/ M. Adrien Lajarthe, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0668AZR), Bull. civ. II, n° 151, p. 145 ; RCA 2002, comm. 330, note H. Groutel ; RTDCiv. octobre/décembre 2002, p. 829, note P. Jourdain ; D. 2003, p. 859, note H. Groutel.
(3) Cass. civ. 2, 4 juillet 2002, précité, RCA 2002, comm. 330, note H. Groutel et D. 2003, p. 860, note H. Groutel.
(4) Cass. civ. 2, 4 juillet 2002, précité, RTDCiv. octobre/décembre 2002, p. 829, note P. Jourdain.
(5) Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n° 02-19.841, Mme Annick Renaudin, veuve Roger c/ Fonds de garantie Automobile, F-P+B (N° Lexbase : A4909DBG), RCA juin 2004, comm. 180, note. H. Groutel.
(6) P. Jourdain, Un taux d'alcoolémie excessif est-il une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation ?, RTDCiv. octobre/décembre 2002, p. 829. Voir dans le même sens, à propos de ces mêmes arrêts : P. Jourdain, Faute de la victime conductrice : le retour à l'orthodoxie de l'assemblée plénière de la Cour de cassation, JCP éd. G, II, n° 10078, 9 mai 2007, p. 23.
(7) V. Nicolas in Traité de droit des assurances : le contrat d'assurance, sous la direction de J. Bigot, LGDJ 2002, n° 1459, p. 1049 ; Lamy assurances, éd. 2007, n° 751, p. 308 ; Y. Lambert-Faivre, Droit des assurances, par L. Leveneur, 12ème éd. 2005, n° 441, p. 331.
(8) V. Nicolas in Traité de droit des assurances : le contrat d'assurance, sous la direction de J. Bigot, LGDJ 2002, n° 1467, p. 1052 ; Lamy assurances, éd. 2007, n° 751, p. 308.
(9) Lamy assurances, éd. 2007, n° 4727, p. 2151.
(10) J. Bonnard, Droit des assurances, Litec, 2005, n° 451, p. 135 ; Y. Lambert-Faivre, Droit des assurances, par L. Leveneur, 12ème éd. 2005, n° 533, p. 402.
(11) Lamy assurances, éd. 2007, n° 2669, p. 1065 ; Cass. civ. 2, 31 mars 1993, n° 91-18.691, Mme Thévenin c/ Les Cars bleus Brossard et autres (N° Lexbase : A5934AHA), Gaz. Pal. 1994, 1, somm., p. 393, note F. Chabas ; Cass civ. 2, 8 mars 2006, n° 04-14.946, M. Joseph Baena c/ Société Transportunternehmen Harmunt Hesselbarth, FS-D (N° Lexbase : A4980DNR), RCA 2006, comm. 159, note S. Hocquet-Berg.
(12) Jurisprudence constante. Voir, en dernier lieu, Cass. civ. 3, 26 novembre 2003, n° 01-12.469, M. Patrice Chassagne c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A3093DAS), D. 2004, somm. 911, obs. H. Groutel ; RCA 2004, comm. 49 et 108, obs. G. Durry ; RGDA 2004, p. 447, note A. d'Hauteville.
(13) "Qu'en statuant ainsi, alors que l'article L. 242-1, alinéa 5, du Code des assurances, qui sanctionne le retard ou le défaut, par l'assureur, de mise en oeuvre de la garantie, est inapplicable aux dommages immatériels qui ne relèvent pas des garanties d'assurance obligatoires, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
(14) H. Groutel, Responsabilité civile et assurances n° 10, octobre 2006, comm. 314, à propos de Cass. civ. 3, 24 mai 2006, n° 05-11.708, M. Yves Dupouy c/ Société civile professionnelle (SCP) Becheret-Thierry, FS-P+B (N° Lexbase : A7564DPT).
(15) Pour reprendre un extrait de la motivation de l'arrêt susmentionné du 24 mai 2006.
(16) Là-dessus, nous renvoyons le lecteur à la jurisprudence rapportée sous l'article L. 124-3 dans le Code des Assurances (Litec ou Dalloz) et aux ouvrages de référence en droit des assurances, not. Lamy Assurances 2007, spéc. n° 1479.
(17) Cass. civ. 1, 8 janvier 2002, n° 99-19.470, Société bretonne de construction navale c/ Société MB Marine, F-D (N° Lexbase : A7641AXB).
(18) Cass. com., 18 octobre 1994, n° 92-19.070, Société bretonne de construction navale c/ Société MB Marine SPA et autres (N° Lexbase : A6179AWR), Bull. civ. IV, n° 292.
(19) Comme l'atteste cet extrait de son moyen soutenant que "la SBCN ne pouvait agir contre la société MB Marine, assuré auprès de la compagnie Winterthur Milan, qu'en exerçant l'action contractuelle née du contrat conclu entre la société MB Marine et la société Nanni Diesel".
(20) La Cour, au visa des articles 5, 1° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 modifié par la Convention de Luxembourg du 9 octobre 1978 et 5, 3° de la même Convention de Bruxelles, se réfère expressément à la jurisprudence de la CJCE : "attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans un arrêt du 27 septembre 1988 [CJCE, 27 septembre 1988, aff. C-189/87, Athanasios Kalfelis c/ Banque Schröder, Münchmeyer, Hengst et Cie, et autres N° Lexbase : A7252AH3], la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la notion de matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l'article 5, paragraphe 3, de la convention comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur, et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle au sens de l'article 5, paragraphe 1er, et que, dans un arrêt du 17 juin 1992 [CJCE, 17 juin 1992, aff. C-26/91, Jakob Handte & Co. GmbH c/ Traitements mécano-chimiques des surfaces SA N° Lexbase : A9406AUW], la même Cour a dit pour droit que l'article 5, paragraphe 1er, de la Convention doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à un litige opposant le sous-acquéreur d'une chose au fabricant, qui n'est pas le vendeur, en raison des défauts de la chose ou de l'impropriété de celle-ci à l'usage auquel elle est destinée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; par ces motifs, casse et annule".
(21) Là-dessus, cf. D. Veaux et P. Veaux-Fournier, J. Cl. Resp. civile et Ass., Fasc 511-8, qui s'interrogent : "si la victime agit contre l'assureur de responsabilité d'un des responsables, notamment par la voie de l'action directe, peut-elle de la même façon exiger qu'il paie la totalité de l'indemnité, en lui laissant la charge de se retourner contre les autres responsables, ou leurs assureurs de responsabilité, pour obtenir leur contribution par remboursement ? Ou bien la victime ne peut-elle obtenir de l'assureur de responsabilité qu'une indemnité correspondant à la partie des dommages-intérêts qui doit rester définitivement à la charge de son assuré ? Auquel cas, c'est la victime qui devra exercer d'autres actions, contre les autres responsables et leurs assureurs de responsabilité pour obtenir le complément de son indemnisation. Sous une autre forme, cela revient à se demander si, au cas de sinistre imputable à plusieurs responsables condamnés solidairement ou in solidum, l'assureur de responsabilité de chacun d'eux est tenu à concurrence de la poursuite à laquelle son assuré est exposé, ou seulement à concurrence de la contribution incombant définitivement à son assuré dans la réparation du dommage. La réponse de principe de la Cour de cassation n'est pas douteuse : l'assureur doit couvrir la responsabilité de l'assuré pour la totalité des sommes que la victime peut lui réclamer (dans les limites de la garantie stipulée à la police, si cette garantie n'est pas illimitée), c'est-à-dire à la hauteur de la poursuite à laquelle l'assuré est exposé (Cass. civ. 1, 23 juin 1987, n° 85-13.653, Société Coopérative des Producteurs de la région de Châtellerault c/ Compagnie d'assurances La Foncière et autres N° Lexbase : A1169AHR, Bull. civ. I, n° 203 ; JCP éd. G, 1987, IV, n° 301 ; RGAT 1987, p. 596, obs. R. Bout). Lorsque l'assureur de responsabilité aura exécuté la totalité de la condamnation prononcée contre son assuré et les coresponsables, il sera subrogé dans les droits de son assuré pour se faire rembourser par les coresponsables de leur part contributoire, telle que le juge l'aura fixée en prononçant la condamnation in solidum (Cass. civ. 1, 3 janvier 1996, n° 93-18.070, La Mutuelle du Mans c/ Mme Coutant N° Lexbase : A9403ABU, JCP éd. G, 1996, IV, n° 414). Et, si ces coresponsables sont eux-mêmes couverts par une assurance de responsabilité, l'assureur qui aura indemnisé la victime pourra également se retourner contre les assureurs des coresponsables".
(22) Là-dessus, cf. infra.
(23) Cass. civ. 1, 21 janvier 1997, n° 94-19.689, Société Legendre c/ Compagnie Le Continent et autres (N° Lexbase : A0063ACC), Bull. civ. I, n° 24 ; D. 1997, IR p. 41 ; Resp. civ. et assur. 1997, Chron n° 4 par H. Groutel ; RGDA 1997, p. 542, note Mayaux.
(24) Cass. civ. 3, 9 décembre 1998, n° 97-13.550, Caisse d'assurance mutuelle du bâtiment (CAMB) et autres c/ M. Louis Hospice et autres, inédit (N° Lexbase : A5883CQX), D. 1999, p. 228, obs. H. Groutel.
(25) Cass. com., 2 février 1999, n° 96-17.912, Société Sovedi France c/ Assurances générales de France (AGF)et autres (N° Lexbase : A3755AUM), RGDA 1999, p. 677, note Ph. Remy.
(26) Comp. avec les judicieuses observations d'Hubert Groutel, dans sa chronique de droit des assurances (D. 2006, p. 1784 et s.), lorsque le tiers lésé agit en même temps contre l'assuré et contre l'assureur par voie d'action directe, l'assureur a "malgré l'absence de [sa] condamnation dans le dispositif du jugement, un intérêt propre à interjeter appel d'une décision retenant la responsabilité de son assuré, laquelle conditionnait au moins pour partie l'action directe suivie à son encontre". S'arrêtant sur cette formule : "conditionnait[...] l'action directe" et dénonçant son ambiguïté, "car, prise littéralement, elle pourrait signifier que l'action directe contre l'assureur de responsabilité ne peut être exercée qu'à la condition qu'une action ait été préalablement exercée contre l'assuré et une condamnation de ce dernier, intervenue", l'auteur soulignait que "la décision retenant la responsabilité de l'assuré a une influence sur l'action directe, en ce sens qu'elle va donner l'étendue de la dette de l'assureur lui-même à l'égard de la victime". Le propos demeure exact dans le contexte qui est le nôtre où la victime agit à la fois contre l'assureur de son vendeur ayant appelé en garantie l'assureur de son propre fournisseur et par voie d'action directe contre ce dernier. Il en va de la détermination de l'étendue de la dette de cet assureur !
(27) Cf., toutefois, Cass. com., 8 février 2000, n° 97-10794, M. Rochut c/ Société Axa assurances et autre (N° Lexbase : A5738CGM), Bull. civ. IV n° 26 ; D. 2000, IR, p. 92, qui, au visa des articles 334 (N° Lexbase : L2557AD3) et 335 (N° Lexbase : L2558AD4) du NCPC pose en principe que "l'appel en garantie simple ne crée pas de lien juridique entre le demandeur à l'action principale et le garant".
(28) Cf. Cass. Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, M. Gilbert Cesareo, P+B+R+I (N° Lexbase : A4261DQU), rejetant le pourvoi formé par une personne qui, postérieurement au décès de son père agriculteur, avait assigné la succession aux fins d'obtenir paiement de l'aide "apportée à la ferme" par une première demande fondée sur le salaire différé défini par le Code rural. Débouté de ce chef par une décision passée en force de chose jugée, l'intéressé intenta une nouvelle action en modifiant le fondement juridique de sa demande, assise cette fois sur l'enrichissement sans cause. Cette différence de fondements juridiques n'a pas suffit à convaincre que cette seconde demande ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée. C'est considérer que la cause n'est pas nouvelle, malgré la différence de fondement, l'identité d'objet et de personnes étant ici évidentes. Le rejet est ainsi motivé : "Mais attendu qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; Qu'ayant constaté que, comme la demande originaire, la demande dont elle était saisie, formée entre les mêmes parties, tendait à obtenir paiement d'une somme d'argent à titre de rémunération d'un travail prétendument effectué sans contrepartie financière, la cour d'appel en a exactement déduit que Gilbert Y. ne pouvait être admis à contester l'identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile, de sorte que la demande se heurtait à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé". Il faut, il est vrai, noter que la consécration de cette conception large de la cause est motivée par une obligation de concentration des demandes (là-dessus, cf. les explications fournies dans le Rapport annuel 2006, en ligne sur le site de la Cour de cassation).
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