La lettre juridique n°259 du 10 mai 2007

La lettre juridique - Édition n°259

Éditorial

Boire et conduire : le régime d'indemnisation des accidents de la circulation conforté

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Jusqu'à présent, on pensait que nemo auditur propriam turpitudinem allegans ; si bien qu'en matière d'accident de la circulation, la Cour de cassation avait, en 2002, soutenu que la faute de la victime pouvait exclure ou limiter son droit à réparation issu de la loi du 5 juillet 1985. Toutefois, c'était sans compter sur l'exégèse de la loi en question. En effet, cette loi introduit en France un régime dérogatoire de la responsabilité délictuelle, attaché non pas au régime traditionnel de responsabilité pour faute, mais à l'indemnisation d'une "victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Il faut donc, et il suffit, pour que ce régime s'applique, que soient réunies les quatre conditions posées par la loi : un accident (pas un comportement volontaire), une circulation (stationnement compris), un véhicule terrestre à moteur et un lien de causalité (il suffit que le véhicule soit une des causes de l'accident, pas forcément la principale, pour que l'implication ou lien de causalité soit établie). Force est de constater que le comportement fautif ou non du conducteur responsable de l'accident ne compte guère dans la détermination des responsabilités et la mise en oeuvre de la loi "Badinter". Aussi, c'est en opérant une réciprocité surprenante que la Cour de cassation vient de décider, par deux arrêts très médiatiques rendus le 6 avril 2007, que le taux d'alcoolémie excessif de la victime n'est pas nécessairement constitutif d'une faute causale de l'accident entraînant de facto une limitation de son droit à indemnisation. In dubio pro reo ! Ce faisant, la Haute juridiction pose les jalons d'une difficulté supplémentaire d'appréciation des comportements fautifs de la victime limitant ou excluant son droit à réparation. Comme le souligne David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit, si un comportement contra legem n'est pas constitutif, à lui seul, d'une faute, quel comportement peut être retenu par le juge civil ? Une vitesse excessive, un refus de priorité, une circulation sur une voie non autorisée ou dans le sens contraire à celui autorisé : tout cela est déjà constitutif, à lui seul, d'une faute ; point besoin d'ajouter une alcoolémie excessive. Et se pose, alors, la surprenante circonvolution : la Cour de cassation entend-elle déresponsabiliser la victime d'un accident de la circulation ayant un taux d'alcoolémie prohibé par la loi ? Belle circonvallation en faveur de la victime ! Conducteurs à vos ABS, ESP, ACC, AFL, AFIL, LKAS, AFU, CBC, DDS, EBD, TCS, et autre UCL...*, pour favoriser la sécurité routière et se prémunir de tout accident. A-t-on oublié qu'abundans cautela non nocet **?
*ABS : antiblockiersystem, système anti-blocage des roues, il permet de garder le contrôle de la direction tout en freinant ; contrairement à une idée répandue, il ne diminue pas la distance de freinage ;
ESP : electronic Stability Program, système de contrôle de la stabilité, il permet de détecter automatiquement les pertes d'adhérence et les erreurs de trajectoire (sur-virage ou sous-virage) et d'y remédier, dans la limite des lois de la physique, en freinant brièvement sur une des 4 roues du véhicule ;
ACC : active cruise control/adaptive cruise control, détecteur anti-collision, qui ajuste la vitesse de la voiture pour maintenir la distance de sécurité ;
AFL : adaptive forward lighting, l'éclairage s'ajuste selon la vitesse et la rotation du volant ;
LKAS : lane-keeping assist system, une caméra détecte les lignes blanches des voies, et le système ajuste le couple du volant pour maintenir la voiture dans la voie ;
AFU : aide au freinage d'urgence, assistance au freinage pour réduire la distance de freinage ;
CBC : cornering brake control, ajustement de la force de freinage sur les roues individuellement lors du freinage en virage ;
DDS : deflation detection system, détection du dégonflage des pneus ;
EBD : electronic brake force distribution, ajuste individuellement la force de freinage sur chaque roue pour prendre en compte le transfert de poids ; complémentaire de l'ABS ;
TCS : traction control system, ajustement de la force de freinage et de l'arrivée d'essence pour éviter la perte d'adhérence d'une roue ;
UCL : understeer control logic, système diminuant l'arrivée d'essence ou augmentant la force de freinage lorsque le véhicule menace de partir en sous-virage.

**Une précaution excessive ne fait pas de tort

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Droit financier

[Textes] L'ordonnance du 12 avril 2007 : nouvelle articulation des marchés financiers

Réf. : Ordonnance, 12 avril 2007, n° 2007-544, relative aux marchés d'instruments financiers (N° Lexbase : L9551HUB)

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Le 07 Octobre 2010

"Pour créer un marché il faut inventer un problème, puis trouver sa solution". Cette phrase de l'humoriste Scott Adams (1) s'applique si bien à la situation que le législateur a créé, depuis une dizaine d'années, à propos de l'organisation des opérations boursières, qu'elle pourrait figurer en marge de l'ordonnance du 12 avril 2007. Cette dernière, qui vient d'être édictée afin de transposer la Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil (Directive 2004/39, du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L2056DYS) (2), met, en effet, en lumière, dans son volet relatif aux marchés d'instruments financiers, une organisation nouvelle, qui devrait, en principe, parachever la structuration des marchés financiers européens entamée en 1993. La transposition ultérieure de la nouvelle Directive est actuellement en cours. La modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers viendra, ainsi, compléter le travail législatif et, très certainement, le préciser de façon plus que significative. Ceci contraint, pour l'instant, à limiter l'analyse de l'ordonnance à la partie de ses dispositions concernant l'articulation des marchés car ce volet est de la compétence exclusive du législateur. Elle démontre, d'ores et déjà, que le passage d'un régime boursier à un régime de marchés financiers est très complexe (I) et que les évolutions réalisées n'excluent pas de nouvelles mutations, alors que le législateur semble encore hésiter entre contrôle étroit et laisser-faire (II).

I - La complexité du passage de la Bourse aux marchés

Les règles de droit, relatives aux marchés financiers, sont incontestablement marquées par l'ambiguïté : d'une part, elles tentent d'anticiper l'évolution financière, notamment par le biais de l'harmonisation communautaire (A) alors que, d'autre part, le socle du droit boursier s'est constitué sur la base d'une reconnaissance empirique (B) du fonctionnement des marchés.

A - La notion de marché confrontée à l'harmonisation communautaire

La Bourse, service public : telle est l'analyse juridique traditionnelle que la doctrine et la jurisprudence maintiendront, depuis l'époque napoléonienne jusqu'à nos jours. La transformation de la Bourse en des marchés financiers, en effet, ne date que de l'édiction de la loi de modernisation des activités financières du 2 juillet 1996 (loi "MAF") (3). Cette dernière, en transposant la Directive sectorielle du 10 mai 1993, sur les services d'investissement ("DSI") (4), placera le fonctionnement des opérations financières sous l'égide de l'article 52 du Traité de Rome (5) et, en imposant aux Etats membres le respect des principes de libre prestation de service (6) et de liberté d'établissement, exclura implicitement toute référence au service public. L'encadrement des opérations ne se fera plus dans le cadre d'une Bourse mais sous l'égide de marchés dont la création et la gestion relèveront de l'activité d'entreprises privées.

On ne pourra que constater, avec le recul, que ce que le législateur communautaire s'était empressé de détruire, n'avait pu être rebâti. On a substitué les marchés à la Bourse sans se préoccuper de définir lesdits marchés, non plus que d'en préciser la nature ou leur éventuelle typologie. Les textes ont, d'ailleurs, été conçus de façon tellement laconique -comme nous l'avons déjà souligné dans ces colonnes (7)- que les indications qu'ils fournissaient originellement peuvent être résumés en deux points :
- s'agissant de la "DSI" : les marchés réglementés sont ceux qui garantissent un fonctionnement régulier des opérations encadrées par des règles de marché approuvées par une autorité publique ;
- s'agissant de la loi "MAF" : les relations qui s'établissent entre l'entreprise de marché, chargée d'organiser le fonctionnement des opérations et les membres de ce marché sont de nature contractuelle.

L'organisation des marchés reposait ainsi, à l'époque, sur un certain nombre de non-dits, dont on savait déjà qu'ils étaient le résultat d'un compromis entre Etats membres. Au risque de déboucher sur une simplification abusive, le schéma, tel qu'il était imaginé, était de faire des marchés de gré à gré, fonctionnant exclusivement sous l'égide de la loi des parties, les marchés de droit commun, les marchés réglementés constituant l'exception. La création de ces derniers étant -en principe- exclusivement justifiée par des considérations relevant de la protection de l'épargne publique, et le droit interne affirmait, enfin, pour rejeter toute relation avec l'ancien régime d'encadrement public des marchés, que seul un régime contractuel pouvait être appliqué aux opérateurs financiers.

Restaient, ainsi, en suspens un certain nombre de questions. En premier lieu, celle de l'organisation des marchés de gré à gré. La logique suggérait, en effet, que si des opérations isolées pouvaient être réalisées sur la base des seules conditions contractuelles imaginées par les parties, il ne saurait en être de même pour des transactions réalisées de façon systématique dans un cadre juridique et/ou technique proposé par un tiers. La réponse à cette question était d'autant plus importante pour les opérateurs que l'absence de régime applicable ne permettait pas de mesurer les obligations pesant sur les investisseurs et les sociétés cotées, qu'il s'agisse de contraintes en matière d'information, de respect des règles de marché, de fixation de prix et, en règle générale, de toute sujétion susceptible d'être applicable afin de garantir un déroulement régulier des négociations.

En second lieu, se posait le problème de la valeur normative des règles éventuellement établies sur ces marchés censés être gouvernés exclusivement par des règles contractuelles. L'édiction de la Directive "Marchés d'instruments financiers" est venue répondre à cette préoccupation, notamment, en revenant à une analyse plus pragmatique de l'articulation entre les différentes catégories de marché. L'ordonnance du 12 avril dernier, en transposant une partie des dispositions du nouveau texte communautaire fixe, ainsi, une nouvelle trame sur la pertinence de laquelle on peut, toutefois, s'interroger.

B - L'approche empirique de la notion de marché face aux dispositions de l'ordonnance

Le point a été souligné de façon liminaire : les marchés ont toujours été reconnus par le droit avec retard, le législateur ayant toujours fondé son analyse sur des constats empiriques, jugulant peu à peu certaines pratiques et conférant progressivement une forme particulière de statut à des structures plus ou moins informelles. Historiquement, ce mouvement de reconnaissance a, ainsi, débuté pour limiter la pratique des opérations hors séance de bourse, ce que l'on appelait, à l'origine, le marché "de la coulisse", mis en place par les préposés des agents de change. Donc, avant de s'imaginer investi d'un pouvoir de réglementation, le législateur a dû reconsidérer la notion de "Bourse", et penser une réglementation de police pour les fameux "marchés". Un second mouvement de reconnaissance, particulièrement important, a consisté, ultérieurement, à analyser certains marchés comme des structures hybrides, aux confins du public et du privé, notamment à propos du hors-cote, décrit par la doctrine comme étant un marché "organisé".

On peut, ainsi, affirmer, notamment parce que le même mécanisme a pu être constaté dans d'autres ordres juridiques, que le droit en vient progressivement à dégager le principe d'une structuration des opérations financières autour d'un régime triptyque. Un premier bloc de marchés est placé sous tutelle publique, tutelle qui est matérialisée par le contrôle étroit d'une autorité de marché, les opérations étant encadrées par une réglementation. Un deuxième bloc est constitué par des marchés "organisés" (8), c'est-à-dire disposant de règles de fonctionnement mais se trouvant libre de toute tutelle directe. Un troisième bloc, dit de gré à gré, est placé, lui, sous le régime de la liberté contractuelle.

Avant la transposition de la première version de la Directive sur les instruments financiers, l'articulation des marchés avait pu, ainsi, être présentée par Monsieur le Sénateur Marini à l'occasion de son rapport au Sénat (9), comme reposant sur l'application de deux critères : l'existence d'une autorité de marché et celle d'une réglementation des opérations. Ainsi, on devrait distinguer, en premier lieu, des marchés (réglementés dans la "DSI") placés sous la tutelle de l'Etat et dont la caractéristique était de disposer d'une autorité de marché et d'une réglementation publique ; en deuxième lieu, les marchés organisés (10), dépourvus d'autorité de marché mais encadrés par une réglementation publique ou privée ; et, en troisième lieu, les marchés de gré à gré dépourvus d'autorité et de réglementation.

Cette présentation, fondée autant sur l'observation que sur la logique, ne correspondait pas, toutefois, aux prescriptions de la "DSI" qui, en raison des difficultés à dégager une solution harmonisée au plan européen, ne proposait qu'une conception minimaliste. Elle n'évoquait, en effet, que l'existence de marchés "réglementés", savoir ceux qui correspondaient aux marchés français anciennement attachés au service public de la Bourse. Ces derniers étaient définis comme ceux qui, selon les dispositions de l'article 1er, alinéa 13, de la Directive sur les services d'investissement (11) (C. mon. fin, art. L. 421-1 N° Lexbase : L2568DKC) qui subordonnent, sur la forme, leur existence à la reconnaissance d'un statut accordé par voie administrative (12), alors que, sur le fond, cette reconnaissance répond à la réunion de deux séries de critères. La première requiert un fonctionnement régulier des transactions et subordonne la reconnaissance à l'instauration de cotations régulières dont la périodicité est établie par des règles.

La seconde série de conditions renvoie à l'instauration de règles de marché obligatoires, les dispositions relatives à l'accès aux opérations au fonctionnement ainsi qu'à l'information sur les opérations devant se trouver établies par une entreprise de marché.

C'est ainsi que la transposition de la "DSI" s'étant réalisée sur un socle trop étroit, la définition légale des marchés s'est trouvée inopérante face au foisonnement de nouvelles structures. La première conséquence de cette représentation duale des marchés, a été d'entraîner la disparition du marché hors-cote. Pourtant, cette suppression était à peine réalisée que des structures d'encadrement des opérations réapparaissaient déjà afin de répondre aux besoins de financement de sociétés moyennes, voire à des besoins plus spécifiques liés, par exemple à la nature technologique de certaines activités. Enfin, la doctrine n'avait pas manqué de souligner que l'évolution technique allait impérativement faire apparaître des techniques boursières inconnues jusqu'alors, organisées autour de plate-formes électroniques de négociation, dont les structures juridiques de la "DSI" s'avéraient a priori impuissantes à régler le sort.

La Directive sur les marchés d'instruments financiers (Directive "MIF"), qui est à l'origine de la transposition de l'ordonnance, est, ainsi, venue restaurer, à défaut d'une typologie, un encadrement juridique plus cohérent pour les marchés. Nous renverrons, pour une meilleure compréhension des enjeux de ce texte à d'autres réflexions (13), tout en soulignant, toutefois, le pivot de la réforme que la Directive annonçait : la prise en considération de nouvelles techniques boursières avec la possibilité offerte, dans tous les Etats membres de l'Union européenne, de réaliser "l'internalisation", par les banques et les entreprises d'investissement, des ordres d'achat ou de vente d'actions passés par leur clientèle, c'est-à-dire le traitement de ces ordres en dehors des marchés réglementés. Toute la question restait de savoir si ce phénomène d'internalisation pouvait, ou non, déboucher sur la constitution de marché et de leur reconnaissance ultérieure par le droit.

L'ordonnance du 12 avril répond à cette interrogation en proposant une nouvelle approche des marchés. D'une part, elle donne une véritable définition des marchés réglementés et, d'autre part, elle confère un statut particulier aux systèmes multilatéraux de négociation. Quant à la dernière innovation, la plus importante sans doute, elle concerne l'instauration d'un cadre juridique pour les transactions internalisées. L'ordonnance établit, ainsi, ce que l'on peut estimer constituer l'organisation future du contrôle des marchés.

II - L'organisation future des marchés, entre contrôle et laisser-faire

Evoquer le terme de "marché" pour décrire l'organisation issue de l'ordonnance du 12 avril 2007 est inexact, sinon abusif, dans la mesure où le texte tente, précisément, de contourner l'écueil que constitue la mise en place d'une typologie claire des marchés. Toutefois, ce constat doit être tempéré. D'un côté, en effet, le marché réglementé est, désormais, parfaitement défini (A), alors que l'imprécision demeure en matière de gré à gré (B).

A - Une redéfinition précise des marchés réglementés

Largement appelée de ses voeux par une partie de la doctrine, c'est une véritable définition des marchés financiers qui nous est aujourd'hui proposée par l'ordonnance. Ainsi, l'article 4-1, 14, de la Directive, transposé à l'article L. 421-1 du Code monétaire et financier dispose, maintenant, qu'il s'agit d'"un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre, en son sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers sur des instruments financiers, d'une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur des instruments financiers admis à la négociation dans le cadre de ses règles et systèmes, et qui fonctionne régulièrement conformément aux dispositions qui lui sont applicables".

On retrouve donc, dans cette définition, certains des éléments qui figuraient dans les textes originaux : le marché est d'un fonctionnement régulier et ce fonctionnement est régi par des règles de marché. Toutefois, d'autres critères apparaissent :
- le marché est un système multilatéral de négociation ;
- ce système assure ou facilite la rencontre des intérêts vendeurs et acheteurs sur des instruments financiers ;
- ces intérêts sont exprimés par des tiers (autrement dit, les marchés réglementés sont soumis à une forme ou une autre d'intermédiation).

En soi, toutefois, ces caractéristiques pourraient être celles de marchés privés, soumis à des règles de compensation multilatérales et intermédiées. En effet, le fonctionnement de marchés privés, tel le marché Alternext, décrit dans ses textes fondateurs comme un "système multilatéral de négociation organisé" (14) -voire le "Nouveau marché", qu'il était destiné à remplacer- auraient aussi bien pu prétendre à rentrer, dans une certaine mesure, dans le cadre de cette définition.

Nous nous étions, à ce titre, déjà posé la question de savoir si la dénomination de "système", en remplacement de celle de "marché", emportait une signification juridique particulière et, notamment, si elle permettait à ce type d'organisation de s'affranchir de l'application de certaines règles boursières, voire d'une partie de la tutelle de l'autorité de marché. A l'époque, nous avions choisi de considérer que ces systèmes pouvaient véritablement prétendre à la qualification de marché (15), même si le législateur faisait montre, à ce propos, de la plus grande circonspection. Aujourd'hui, les textes confirment expressément l'assimilation technique de la notion juridique de marché avec celle de système : le marché réglementé est un "système multilatéral", ce qui permet d'affirmer que tous les systèmes permettant, au moyen de toute forme d'intermédiation, d'assurer ou de faciliter la rencontre d'intérêts acheteurs et d'intérêts vendeurs sont, au plan technique, des marchés.

Comment différencier, alors, les marchés réglementés des autres marchés ? L'essentiel tient à un ensemble de formalités administratives permettant d'affirmer la tutelle publique sur l'organisation des opérations. Sur ce point, le renvoi à la Directive est particulièrement explicite puisque le texte établit en son article 36-1, alinéa 1, que "les Etats membres réservent l'agrément en tant que marché réglementé aux systèmes qui se conforment aux dispositions du présent titre. L'agrément en tant que marché réglementé n'est délivré que lorsque l'autorité compétente s'est assurée que l'opérateur de marché et les systèmes du marché réglementé satisfont au moins aux exigences visées dans le présent titre".

La transposition de ces différentes exigences donne, en l'espèce, la confirmation éclatante de ce qu'avaient pu souligner MM de Vauplane et Bornet avant même la transposition de la première Directive en 1996, à savoir que la reconnaissance de la qualité de marché réglementé relevait davantage de l'octroi d'un label octroyé en fonction d'un "cahier des charges" (16) plutôt que de l'application rigoureuse de critères purement techniques.

Ainsi, l'ordonnance prévoit, reconduisant en cela la plupart des dispositions qui figuraient déjà dans le Code monétaire et financier (C. mon. fin., art. L. 421-10), que l'entreprise de marché établit les règles du marché qui, aux termes de l'article L. 421-17, établissent le fonctionnement du marché. Si, par ailleurs, les conditions d'honorabilité des dirigeants et d'organisation sont respectées, et vérifiées par l'Autorité des marchés financiers, dans les conditions et selon les dispositions de l'article L. 421-7 du Code monétaire et financier, alors, le marché peut être considéré comme un marché réglementé. Sa reconnaissance ne devient définitive qu'après que cette dernière soit "décidée par arrêté du ministre chargé de l'Economie sur proposition de l'Autorité des marchés financiers" (C. mon. fin., art. L. 421-4).

Ainsi, les divisions traditionnelles, avec leur typologie triptyque, aussi bien que les premières divisions communautaires, basées sur un diptyque volent apparemment en éclats. Un marché peut présenter toutes les caractéristiques techniques et financières (intermédiation obligatoire, compensation multilatérale ou règles impératives) d'un marché réglementé, mais ne pas pouvoir prétendre à cette qualité, soit parce que la reconnaissance administrative n'a pas été requise par le gestionnaire de ce marché, soit parce que cette qualité lui a été retirée.

Ce point, qui ne peut plus être contesté depuis que le marché réglementé est décrit, à l'instar de ses homologues comme un "système", ne doit, toutefois, pas occulter le fait que si la nature des marchés peut éventuellement être similaire au plan technique, les aspects juridiques diffèrent sensiblement entre les structures qui sont dites "réglementées" et celles qui ne le sont pas. Au plan du droit public, d'abord -comme on vient de le souligner- mais, également, au plan des règles de marché. L'ordonnance, sans en changer le régime en donne, en effet, les caractéristiques en des termes qui étaient, jusque-là encore, inconnus du droit des marchés financiers. Le texte de l'article L. 421-10 nouveau qui vient d'être cité ajoute à l'ancien texte, une série de considérations qui portent, d'abord, sur la nature des règles. Elles soulignent, de la sorte, leur caractère "transparent(es)", "non discrétionnaires", qui assurent une "négociation équitable et ordonnée" et fixent des "critères objectifs en vue de l'exécution efficace des ordres" (les anciennes dispositions n'étant pas abrogées). Ainsi, l'ordonnance introduit de nouvelles techniques d'appréciation de la règle de marché auxquelles notre tradition juridique ne semble pas accoutumée. Comment interpréter ces dispositions qui rappellent les techniques de soft law, ce qu'on l'on appelle, parfois, le droit mou dont l'apparition récente perturbe la perception que le droit français se fait de la règle juridique ? Il semble que l'introduction de ces termes dans la Directive révèle, davantage, le souci de permettre à l'autorité de marché nationale d'approfondir son contrôle dans l'hypothèse où la valeur normative de la règle de droit ne serait pas certaine. En effet, dans d'autres ordres juridiques, les règles de marché ne sont pas des règles de droit, au sens où on l'entend traditionnellement dans le droit romano-germanique, mais l'équivalent de simples guides de comportement qui doivent, soit être approuvés par les membres des marchés, soit faire l'objet d'une adhésion. On comprend, ainsi, que la règle, apparemment de nature contractuelle, -bien que certains auteurs laissent entendre que, par exemple, en Allemagne, lesdites prescriptions sont de nature hybride (17)- doivent faire l'objet d'un contrôle permettant de lui ôter tout caractère subjectif et, surtout, d'éviter qu'une règle contractuelle puisse être négociée par les parties. On soulignera, à cette occasion, que les textes français ne sont pas, eux non plus, dépourvus d'ambiguïté puisque l'ordonnance reprend intégralement la mesure phare de la loi "MAF", mesure qui a eu pour objectif de rompre avec la tradition de service public boursier en disposant que "les relations entre le membre d'un marché et une entreprise de marché sont de nature contractuelles".

Le même article, ensuite, semble introduire la possibilité de réaliser un contrôle d'opportunité sur l'édiction de la règle par l'autorité de marché. L'article L. 421-10 nouveau établit, en effet, que "ces règles sont approuvées par l'Autorité des marchés financiers, qui vérifie leur conformité aux dispositions législatives et réglementaires applicables, ainsi que leur caractère proportionné aux objectifs poursuivis".

Ainsi, on peut en conclure que la différence essentielle entre les marchés réglementés et le gré à gré tient à cette reconnaissance juridique : statutaire, d'une part, avec ce phénomène de labellisation évoqué auparavant et juridique, d'autre part, avec l'édiction d'une règle de nature spécifique reconnue et contrôlée par l'autorité de marché.

B - L'imprécision en matière de marché de gré à gré

En 1993, l'axe fondamental de la "DSI" consistait à structurer les marchés dans le respect de deux intérêts contradictoires : la protection de l'investisseur, matérialisée par l'existence de marchés réglementés et l'allègement des modalités de financement des entreprises que justifiait le régime de liberté contractuelle des marchés de gré à gré. Or, outre cette structuration, explicite et institutionnalisée dans les textes communautaires, une autre logique apparaît, qui tient à l'évolution des obligations déclaratives des sociétés cotées.

En effet, au-delà des marchés réglementés (anciennement publics) existent des marchés dits "organisés", censés, selon la summa divisio imposée par la "DSI", n'être soumis qu'à la loi des parties. On sait, toutefois, que si les sociétés appellent de leurs voeux des techniques de financement souples fondées sur des mécanismes contractuels, elles n'en sont pas moins avides de sécurité. C'est le cas, notamment, pour les petites entreprises qui s'introduisent sur les marchés réservés aux valeurs de croissance et qui ne peuvent prétendre garantir aux opérateurs un volume régulier de transactions, non plus que de supporter les coûts des marchés réglementés. Traditionnellement, les marchés organisés étaient constitués, précisément pour offrir la possibilité à ce type de sociétés de lever des capitaux dans un cadre réglementaire sécurisant et à des coûts raisonnables compte tenu de la taille des entreprises considérées. Par ailleurs -et ce sera sans doute la critique la plus sérieuse que nous adresserons à la structuration binaire des marchés-, ces marchés hybrides sont d'autant plus indispensables qu'ils représentent des structures de transition pour les marchés réglementés, qu'il s'agisse de permettre à des entreprises en croissance d'y entrer, ou de leur permettre d'en sortir sans perturbation notable pour les investisseurs.

A cette justification traditionnelle, s'en ajoute, désormais, une autre, tout aussi importante, qui tient à l'augmentation drastique des obligations déclaratives des sociétés dont les valeurs sont admises à négociation sur les marchés réglementés. En effet, les exigences liées à l'introduction de la gouvernance dans les sociétés ont entraîné une inflation du contrôle des actionnaires et du marché sur la direction de la société. Ce contrôle, toutefois, introduit des surcoûts non négligeables. Partant, bien que les textes ajoutent des obligations déclaratives en deux strates : la première relative aux sociétés faisant appel public à l'épargne, la seconde aux sociétés dont les titres sont admis à négociation sur les marchés réglementés ; la cotation sur ces derniers entraîne des sujétions tellement importantes que la question du coût du financement risque de se poser de plus en plus souvent à l'avenir. Il semble, donc, que la tendance à la multiplication et au renforcement des marchés organisés imposerait, en toute hypothèse, que ces derniers se voient reconnaître un statut spécifique, notamment lorsque ces marchés sont intermédiés, disposent d'une réglementation coercitive et font l'objet d'un contrôle, même amoindri par l'autorité de marché.

Pourtant, l'ordonnance reconnaît, sous une certaine forme, l'existence de structures hybrides puisqu'elle confère, pour la première fois, un statut aux systèmes multilatéraux de négociations, les définissant à l'article L. 424-1 du Code monétaire et financier comme étant des "système(s) qui, sans avoir la qualité de marché réglementé, assure(nt) la rencontre, en son (leur) sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimées par des tiers sur des instruments financiers, de manière à conclure des transactions sur ces instruments [...]". On mesure, ainsi, l'homogénéité de définition avec les marchés réglementés : les systèmes multilatéraux de négociation sont des marchés qui ne sont pas réglementés même si leur fonctionnement peut y être étroitement comparé. Quant à la distinction traditionnelle, qui voyait dans les marchés organisés des marchés dotés d'une réglementation mais dépourvus d'autorité, celle-ci deviendra sans doute une référence purement historique. En effet, le nouveau texte (à l'alinéa 2 de l'article L. 424-2) précise expressément que l'Autorité de marché financier exerce un contrôle sur les règles élaborées pour le marché, puisqu'elle est en droit "de s'opposer à leur mise en application si elle estime que ces règles ne sont pas compatibles avec les dispositions du présent chapitre" (le chapitre IV concernant les systèmes multilatéraux). Si l'on ajoute que la mission de l'AMF emporte protection de l'épargne publique, l'existence d'un contrôle ne peut être niée, même s'il s'exerce de façon indirecte.

On se trouve, alors, devant une situation nouvelle qui risque de poser des problèmes inédits car, à la différence de l'ancienne représentation des structures boursières, on note une grande proximité de nature entre les systèmes multilatéraux de négociation et les marchés réglementés. Cette proximité va-t-elle déboucher, à terme, sur un contrôle de l'autorité de marché plus étroit que celui qui existait avant l'édiction de la loi "MAF" ? Tout laisse à le penser, même s'il faut, pour l'affirmer, attendre la rénovation du règlement général de l'autorité qui n'est pas encore réalisée à l'heure actuelle. Dans ce cas, pourquoi avoir refusé la qualité de marché à ces systèmes ? Ce sont sans doute les ambiguïtés initiales de la "DSI", imparfaite et première Directive financière, qui a été à la source de cette confusion.

Pour conclure, avec la reconnaissance, enfin, des "internalisateurs" systématiques, l'ordonnance rompt, cette fois définitivement, avec les notions traditionnelles de marché. Ces derniers sont, en effet, décrits, aux termes de l'article L. 425-1 du Code monétaire et financier, comme un "prestataire de services d'investissement qui, de façon organisée, fréquente et systématique, négocie pour compte propre en exécutant les ordres de ses clients en dehors d'un marché réglementé ou d'un système multilatéral de négociation". Mécanisme essentiellement destiné à permettre aux établissements bancaires d'internaliser des transactions, le procédé qui a fait l'objet d'une présentation plus détaillée dans ces colonnes (18) exclut en principe toute qualification de marché. Peut-il, pour autant, être réduit à une simple opération de gré à gré ? Nous ne le pensons pas : dans l'esprit du législateur de la "DSI", le gré à gré supposait une transaction débattue librement entre les parties. Or, il n'en est rien ici, puisque le prestataire organise l'opération pour ses clients et, qu'au surplus, le texte reconnaît expressément la faculté pour ces systèmes de réaliser des négociations, terme qui est notoirement réservé aux opérations réalisées sur les marchés.

L'ordonnance dessine donc, désormais, une nouvelle structure dont la pertinence sera à justifier. A coté des marchés réglementés qui ont un statut incontestable, les autres systèmes seront sans doute amenés à évoluer dans un cadre juridique qui, il faut le souhaiter, puisse évoluer avec davantage de clarté.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Dilbert, Random Acts of management, Boxtree, 2001.
(2) Cette transposition a, par ailleurs, été réalisée en considération d'autres textes : les Directives 85/611/CEE (Directive 85/611 du Conseil, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières N° Lexbase : L9653AU3) et 93/6/CEE (Directive 93/6 du Conseil, du 15 mars 1993, sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit N° Lexbase : L7474AUD), ainsi que la Directive 2006/73/CE (Directive 2006/73 de la Commission, du 10 août 2006, portant mesures d'exécution de la Directive 2004/39N° Lexbase : L7471HKW).
(3) Loi n° 96-597, du 2 juillet 1996, de modernisation des activités financières (N° Lexbase : L2263G8C).
(4) Directive 93/22 du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières (N° Lexbase : L7726AUP), voir H. Synvet, La directive "services d'investissement", première lecture, Bull. Joly bourse et produits financiers, 1993, p. 547 ; H. de Vauplane, J.-P. Bornet, Marchés financiers : le défi de la transposition de la DSI, Bull. Joly Bourse et produits financiers, mars-avril 1996, p. 95.
(5) 28ème considérant de l'exposé des motifs de la Directive sur les services d'investissement.
(6) 1er considérant de l'exposé des motifs de la Directive sur les services d'investissement.
(7) J.-B. Lenhof, Marchés boursiers et marchés financiers : du Palais Brongniart à Euronext, Lexbase Hebdo n° 25 du 30 mai 2002 - édition affaires (N° Lexbase : N2980AAM).
(8) S. Amadou, Bourse d'hier et de demain : brèves réflexions sur l'évolution des incertitudes sémantiques et juridiques relatives à la notion de marché, in Mélanges AEDBF-France, 1997, dir. H. de Vauplane et J.-P. Mattout, Banque éditeur, 1997 p. 13, K. Medjaoui, Les marchés à terme dérivés et organisés d'instruments financiers, LGDJ, 1996, préf. C. Gavalda (n° 369 à 384).
(9) Rapport n° 254 du sénateur Marini, déposé le 6 mars 1996, sur le projet de loi de modernisation des activités financières, p. 11.
(10) Ibid, op. cit., loc. cit., p. 16.
(11) J.-G. d'Hérouville, Les marchés réglementés et de gré à gré, La modernisation des activités financières, dir. Th. Bonneau, éd. Joly, 1996, n ° 80.
(12) H. de Vauplane, S. Amadou, Marchés boursiers réglementés et marchés de gré à gré, Dictionnaire Joly Bourse et produits financiers, n° 18.
(13) J.-B. Lenhof, Aspects de l'adoption de la réforme de la directive sur les services d'investissement : l'avancée du secteur bancaire dans le cadre de la réorganisation des marchés, Lexbase Hebdo n° 119 du 6 mai 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N1499AB7).
(14) G. Hippolyte, Alternext : une nouvelle possibilité de financement par le marché boursier pour les sociétés de croissance, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4676AIZ).
(15) J.-B. Lenhof, Alternext, marché organisé : vers un nouveau "syndrome du hors cote" ?, Lexbase Hebdo n° 175 du 7 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6336AII)
(16) H. de Vauplane, S. Amadou, Marchés boursiers réglementés et marchés de gré à gré, op. cit., n° 23.
(17) A. Pezard, G. Eliet, Droit et déontologie des activités financières en Allemagne, Montchrestien 1999, n° 50.
(18) J.-B. Lenhof, Aspects de l'adoption de la réforme de la directive sur les services d'investissement : l'avancée du secteur bancaire dans le cadre de la réorganisation des marchés, préc..

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Collectivités territoriales

[Textes] Coopération décentralisée : un nouveau cadre juridique pour la coopération interterritoriale

Réf. : Loi n° 2007-298 du 5 mars 2007 autorisant l'approbation du protocole n° 2 à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale (N° Lexbase : L6036HU4)

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Le 07 Octobre 2010

La France vient, enfin, de ratifier le second Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale (1). Un cadre juridique supplémentaire est, ainsi, applicable à la coopération décentralisée des collectivités françaises et leurs groupements. Quelques éclaircissements sur son contenu et ses conséquences permettent de mieux en saisir la complexité. I. Un cadre juridique complémentaire issu du Conseil de l'Europe

A. Le rôle du Conseil de l'Europe

La Convention-cadre de Madrid. Les collectivités infra-étatiques des Etats membres du Conseil de l'Europe sont représentées depuis 1957 au sein d'un "organe consultatif" : le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe (CPLRE) (2). Le CPLRE, soutenu par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a su sensibiliser le Comité des ministres, seul organe décisionnel, à la nécessité de déterminer un cadre juridique européen pour les relations frontalières. Cette dynamique a abouti à la rédaction de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, ouverte à la signature à Madrid le 21 mai 1980 (3).

La France a signé la Convention de Madrid en 1982 et l'a ratifiée en 1983 (4). Le caractère peu normatif de ce Traité n'a pas manqué d'être relevé par les commentateurs (5), bien qu'il fût incontestablement la condition de son adoption. Les Etats l'ayant ratifiée se voient au moins contraints de lever leur éventuelle opposition de principe à la coopération transfrontalière. L'apport peut sembler minime, mais le progrès est symboliquement majeur (6). S'inspirant de la Convention de Madrid, la France a conclu des Traités avec ses voisins pour promouvoir et encadrer la coopération transfrontalière (7).

Le Protocole additionnel. L'absence de caractère opérationnel de la Convention de Madrid a abouti à la persistance d'obstacles juridiques dénoncée par une enquête menée en 1990-1991 par le Secrétariat du Conseil de l'Europe et, en 1991, par la Résolution 227 de la CPLRE. Le Comité des ministres a, en conséquence, décidé l'élaboration d'un Protocole additionnel à la Convention-cadre afin de renforcer la coopération transfrontalière. Le Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière a été ouvert à la signature le 9 novembre 1995.

La France a signé ce Protocole additionnel le 9 novembre 1995 et ne l'a ratifié que le 4 octobre 1999 (8). S'appuyant sur l'acquis de la Convention-cadre, le Protocole additionnel réaffirme plus clairement le droit à la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales et apporte des instruments juridiques aux relations entre partenaires infra-étatiques (9).

Le second Protocole additionnel. En 1993, le CPLRE, par sa Résolution 248 relative à la coopération interterritoriale, et les Chefs d'Etat et de Gouvernement, par leur Déclaration de Vienne du 9 octobre, engageaient le Conseil de l'Europe à élaborer un cadre juridique pour la coopération entre collectivités locales et régionales non contiguës. Les travaux du Comité directeur des autorités locales et régionales (CDLR) et de son comité restreint d'experts ont considéré l'analogie des problèmes soulevés par la coopération transfrontalière et la coopération interterritoriale. Le second Protocole additionnel a été élaboré par référence aux deux instruments juridiques existant en la matière : la Convention-cadre et le Protocole additionnel.

Le Protocole n° 2 a été ouvert à signature le 5 mai 1998. La France l'a signé le 20 mai 1998. Près de dix ans plus tard, elle vient, enfin, de ratifier ce Traité (10). Le projet de loi a été déposé en décembre 2005 (11), adopté par le Sénat le 27 juin 2006 et par l'Assemblée nationale le 22 février 2007 dans les derniers temps de la session parlementaire et de la XIIème législature.

B. La complexification des cadres normatifs

Un cadre juridique de droit interne. L'importance des délais développés par la France pour ratifier les protocoles additionnels est significative. La France, à la suite de la Convention-cadre, a développé son propre cadre juridique de droit interne pour l'action extérieure de ses collectivités territoriales, aujourd'hui codifié dans un chapitre du Code général des collectivités territoriales (12).

L'ensemble des collectivités et leurs groupements se voit reconnaître un droit de conclure des conventions avec des "autorités locales étrangères" (13), ce qui exclut une convention avec un Etat étranger (14). Hormis ce socle commun, les autres dispositions sont spécifiques, soit à la coopération transfrontalière (15), soit à la coopération décentralisée interne à l'Union européenne (16).

Ces dispositions normatives de source interne restent lacunaires et partielles pour la coopération opérationnelle. Nulle règle de conflit de lois ou de conflit de juridictions n'est envisagée. La capacité active ou la capacité passive (17) ne concerne qu'une part de la coopération décentralisée.

Des cadres juridiques de droit international ou communautaire. A ces dispositions s'ajoutent celles des Traités qui ont une valeur supérieure, en vertu de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L1320A9R).

D'abord, celles issues des Conventions internationales du Conseil de l'Europe (18), ensuite les Traités conclus avec certains Etats frontaliers (19), enfin des Traités conclus avec des Etats non frontaliers, principalement ou marginalement consacrés à la coopération décentralisée (20).

Enfin, le pouvoir normatif communautaire, après un encadrement financier par INTERREG, a élaboré un règlement relatif au "groupement européen de coopération territoriale" (21).

Des cadres différenciés. Ainsi, les textes du Conseil de l'Europe viennent encore complexifier le droit positif de la coopération décentralisée des collectivités territoriales françaises. La terminologie des différents textes n'apporte guère de clarté : "coopération décentralisée", "actions de coopération ou d'aide au développement", "coopération interrégionale" et "coopération transfrontalière" (22) ; "coopération transfrontalière" et "coopération inter-territoriale" (23), "coopération territoriale", "coopération transfrontalière transnationale et/ou interrégionale" (24).

Les règles applicables seront déterminées eu égard à plusieurs critères : selon la nationalité du partenaire étranger de la collectivité française (ou du groupement) (25), selon le type de coopération envisagée (26).

II. Une coopération interterritoriale régulée

A. L'apport du Protocole n° 2

Un impact limité du second Protocole additionnel. L'observateur peu initié risque de s'égarer entre les différents cadres applicables et de conférer plus d'importance à certains textes. Déjà le premier Protocole additionnel ne présente guère d'intérêt pour la coopération transfrontalière des collectivités françaises : les Etats frontaliers ont soit conclu un Traité avec la France qui se substitue à ce texte européen (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Luxembourg, Suisse), soit n'ont ni signé, ni ratifié le Protocole (Royaume-Uni, Andorre).

Le second Protocole présente un impact aussi limité puisque le Règlement (CE) n° 1082/2006 (N° Lexbase : L4526HKT) offre déjà un cadre pour la coopération interterritoriale entre partenaires des Etats membres de l'Union européenne. De plus, le nombre d'Etats ayant à ce jour ratifié le second Protocole additionnel reste limité (27).

Une coopération interterritoriale. L'objet du second Protocole est défini négativement par rapport à la coopération transfrontalière de la Convention-cadre et au Protocole additionnel : "Est considérée en effet comme coopération interterritoriale toute concertation entre collectivités territoriales qui n'est pas qualifiée comme transfrontalière par la Convention-cadre et son Protocole additionnel" (28). Cette coopération consiste en une concertation pour établir des rapports entre collectivités ou autorités territoriales de deux ou plusieurs Etats parties.

Une coopération interterritoriale mutatis mutandis comme la coopération transfrontalière. Le Protocole n° 2 affirme clairement la reconnaissance d'un droit pour les collectivités ou autorités territoriales d'entretenir des rapports et de conclure des accords de coopération. Pour le reste, il renvoie à la Convention-cadre et au Protocole additionnel que les Etats parties appliqueront mutatis mutandis. Cela signifie que le terme "coopération transfrontalière" doit se lire comme "coopération interterritoriale". L'application du Protocole n° 2 se fera, donc, par renvoi au contenu des textes antérieurs, ce qui ne manque pas d'introduire une certaine complexité (29).

B. L'application du Protocole n° 2

La coopération conventionnelle. Les partenaires peuvent décider de mettre en oeuvre leur coopération dans le cadre d'une convention uniquement. Dans ce cas, la mise en oeuvre des décisions repose exclusivement sur les collectivités parties à l'accord (30). Les décisions prises dans le cadre d'une convention n'ont pas ex lege une valeur ou des effets juridiques, mais doivent faire l'objet d'une transposition dans l'ordre juridique national des partenaires. L'acte de transposition fait, alors, l'objet d'une décision nouvelle au sein des instances de chaque partenaire (31).

Les textes du Conseil de l'Europe restent silencieux sur le droit applicable à la Convention de coopération (32). Les conventions ne définissent pas le droit applicable aux obligations qu'elles contiennent, pas plus qu'elles ne désignent la juridiction compétente en cas de litige sur le respect de ces obligations. Pourtant, la transposition est une obligation juridique, au risque d'engager la responsabilité du partenaire défaillant. Ces lacunes rendent le dispositif juridique archaïque. L'intérêt principal réside dans l'organisme de coopération.

La coopération institutionnelle. Le Protocole n° 2 permet, ainsi, la création d'un organisme de coopération par un accord de coopération interterritoriale. Il est doté, ou non, de la personnalité juridique (33).

La création d'un organisme sans personnalité ne présente guère d'intérêt pratique mais peut avoir un effet symbolique. Pourtant, cette absence d'effet juridique rend une telle création ouverte à toute collectivité territoriale, sans nécessité qu'un texte le permette expressément.

L'organisme disposant de personnalité juridique permet à des partenaires français de faire partie d'un groupement étranger ou d'accueillir des partenaires étrangers dans une structure nationale. La France a opté, comme pour le Protocole additionnel, pour l'organisme mononational (34). Sa personnalité juridique est déterminée par l'ordre juridique du lieu du siège de l'organisme, et seulement celui-là. La juridiction compétente en cas de litige sera celle compétente en vertu du droit de l'Etat du siège. L'organisme peut être de droit privé ou public mais ne peut se constituer que conformément à des formes juridiques définies par les droits nationaux.

La participation des partenaires français. Le Protocole n° 2 permet aux collectivités françaises d'adhérer à des organismes de droit étranger dans le cadre de la coopération interterritoriale (capacité active) alors que le droit français restreignait cette possibilité à la seule coopération transfrontalière (35). La condition de l'autorisation par arrêté du préfet de région semble devoir perdurer.

Les organismes de coopération basés en France. Le droit français permet la participation de collectivités territoriales étrangères et de leurs groupements au capital de sociétés d'économie mixte locale (SEML) (36). La condition d'un accord préalable avec les Etats concernés, s'ils ne sont pas membres de l'Union européenne, apparaît satisfaite par le Protocole n° 2.

Les groupements d'intérêt public (GIP) (37) restent circonscrits à une coopération au sein de l'Union européenne tandis que les districts européens (38) demeurent consacrés à la coopération transfrontalière. Le GECT reste également limité à l'Union européenne.

Ainsi, l'application du Protocole n° 2 risque de se heurter à des difficultés de mise en oeuvre, faute d'un droit français suffisamment "accueillant". Notons, néanmoins, que de tels organismes ont déjà pu emprunter la forme associative, ainsi en est-il de la Conférence des régions périphériques maritimes (CRPM) depuis 1973 !

Nicolas Wismer
Collaborateur juridique à des associations de collectivités territoriales
Chargé d'enseignement en droit public à l'IEP de Lyon


(1) Loi n° 2007-298, 5 mars 2007, autorisant l'approbation du protocole n° 2 à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale (N° Lexbase : L6036HU4), JO du 7 mars 2007.
(2) L'acronyme reste le même mais, avant 1994, la CPLRE était la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe.
(3) Pour une présentation des travaux ayant abouti à cette Convention-cadre, cf. Franck Durand, Thèse, Paris 1, 1997, 767 pages, spéc. p. 270 s..
(4) Loi n° 83-1131, 23 décembre 1983, autorisant l'approbation d'une Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, JO du 27 décembre 1983. Décret n° 84-432 du 4 juin 1984 portant publication de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales ouverte à la signature à Madrid le 21 mai 1980 (N° Lexbase : L1010HUX), JO du 14 juin 1984. L'entrée en vigueur est fixée au 15 mai 1984.
(5) Emmanuel Decaux, La Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités locales, RGDIP, 1984, pp. 557-620. Rinaldo Locatelli, La décentralisation de la coopération transfrontalière en Europe. La mise en oeuvre de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, Pouvoirs, n° 19, 1981, pp. 59-66.
(6) Elle a, ainsi, initié la reconnaissance de principe de la coopération décentralisée par le titre IV de la loi n° 92-125 du 6 février 1992, d'orientation relative à l'administration territoriale de la République (N° Lexbase : L8033BB7), JO du 8 février 1992.
(7) Accord de Rome du 26 novembre 1993 (France/Italie), Traité de Bayonne du 10 mars 1995 (France/Espagne), Accord de Karlsruhe du 24 janvier 1996 (France/Allemagne/Luxembourg/Suisse), Accord de Bruxelles du 16 septembre 2002 (France/Belgique/Communauté française/Région wallonne et région flamande).
(8) Loi n° 99-384, 19 mai 1999, autorisant l'approbation du Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, JO du 21 mai 1999. Décret n° 2000-25, 7 janvier 2000, portant publication du Protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales (N° Lexbase : L1009HUW), JO du 14 janvier 2000. L'entrée en vigueur est fixée au 5 janvier 2000.
(9) Bernard Dolez, Le protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités locales, RGDIP, 1996, pp. 1005-1022.
(10) Loi n° 2007-298 du 5 mars 2007.
(11) Projet de loi autorisant l'approbation du Protocole n° 2 à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales relatif à la coopération interterritoriale. Sénat, annexe au procès-verbal de la séance du 21 décembre 2005.
(12) CGCT, Chapitre V, Titre unique du Livre I, art. L. 1115-1 (N° Lexbase : L6217HW8) à L. 1115-7. Notons que l'article relatif au district européen se trouve curieusement placé au chapitre IV relatif à l'autonomie financière.
(13) CGCT, art. L. 1115-1 et L. 1115-1-1 (N° Lexbase : L2226HWD). Nous renvoyons à notre article : De nouvelles compétences d'attribution en matière d'action extérieure, Revue Lexbase de Droit Public n° 16 du 15 mars 2007 (N° Lexbase : N3206BAY).
(14) CGCT, art. L. 1115-5 (N° Lexbase : L4256GTS).
(15) CGCT, art. L. 1115-4 (N° Lexbase : L1795GUZ) qui prévoit la capacité des partenaires français à participer à un organisme de coopération de droit étranger ("capacité active" pour reprendre une terminologie chère à B. Dolez, Coopération décentralisée et souveraineté de l'Etat, Thèse de doctorat, Université Lille II, 1993, 470 pages).
(16) CGCT, art. L. 1115-2 (N° Lexbase : L4253GTP) et L. 1115-3 (N° Lexbase : L4254GTQ) qui prévoient la possibilité pour les collectivités locales de participer à un organisme de coopération de droit français sous forme de groupement d'intérêt public (GIP). CGCT, art. L. 1114-4-1 (N° Lexbase : L3085HPX) qui permet la création d'un district européen comme organisme de coopération transfrontalière sous la forme d'un syndicat mixte.
(17) C'est-à-dire la capacité des partenaires français à participer à un organisme de coopération de droit étranger (capacité active ou capacité de participation) et inversement, la capacité d'un organisme de coopération de droit français à accueillir des partenaires étrangers (capacité passive ou capacité d'accueil).
(18) Cf. supra.
(19) Cf. supra note 7.
(20) Nous avons pu relever, de manière significative, plus d'une vingtaine de Conventions internationales qui prévoient spécifiquement la coopération décentralisée. Seul un Traité franco-camerounais est spécifiquement consacré à la coopération décentralisée (Convention cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cameroun relative à la coopération décentralisée, signée à Rennes le 20 novembre 1990, entrée en vigueur le 20 novembre 1990. Publiée par le décret n° 91-1156 du 5 novembre 1991, JORF du 10 novembre 1991 page 14724). Les autres Traités sont des "Traités d'entente et d'amitié" ou de coopération culturelle qui ne prévoient qu'une déclaration d'intention pour les HPC d'encourager les relations entre leurs collectivités infra-étatiques.
(21) Règlement (CE) n° 1082/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relatif à un groupement européen de coopération territoriale (GECT) (N° Lexbase : L4526HKT, JOUE n° L 210 du 31 juillet 2006 pp. 19-24). Voir notre commentaire : Le Groupement européen de coopération territoriale (GECT), Revue Lexbase de Droit Public n° 14 du 18 janvier 2007 (N° Lexbase : N7505A9T).
(22) Selon la terminologie du CGCT.
(23) Selon la terminologie du Conseil de l'Europe.
(24) Selon la terminologie du Règlement (CE) n° 1082/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.
(25) Partenaire relevant d'un Etat frontalier à la France, membre de l'Union européen, membre du Conseil de l'Europe ayant ratifié une Convention ou encore ayant conclu un Traité particulier avec la France.
(26) Coopération transfrontalière ou non-transfrontalière.
(27) Se trouvent, ainsi, concernées par le cadre juridique du second Protocole additionnel les relations de coopération décentralisée avec des collectivités ou autorités territoriales albanaises, arméniennes, azerbaïdjanaises et moldaves.
(28) Rapport explicatif sur le Protocole n° 2 à la Convention-cadre européenne.
(29) Yves Lejeune, Les vingt-cinq ans de la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales. Rapport introductif à la Conférence européenne sur la coopération transfrontalière organisée par la République de Pologne dans le cadre de la présidence du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, Varsovie, 21-22 avril 2005.
(30) Article 2 du Protocole additionnel.
(31) M. le Professeur Levrat souligne le risque de voir le débat politique amender la décision prise dans le cadre de la Convention de coopération (Nicolas Levrat, Perspectives pour la coopération transfrontalière franco-suisse, Etude pour le compte du Groupe de concertation des cantons limitrophes de la France, août 1997, 86 pages).
(32) Alors que la plupart des Traités interétatiques relatifs à la coopération transfrontalière contiennent cette précision (cf. N. Levrat, 1997).
(33) Article 3 du Protocole additionnel.
(34) Bernard Dolez, Le protocole additionnel à la Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités locales, 1996, p. 1017.
(35) CGCT, art. L. 1115-4.
(36) CGCT, art. L. 1522-1 (N° Lexbase : L9578DN3).
(37) CGCT, art. L. 1115-2 et L. 1115-3.
(38) CGCT, art. L. 1114-4-1.

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Responsabilité

[Jurisprudence] Un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation

Réf. : Ass. plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I (N° Lexbase : A9501DUG) et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9499DUD)

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Le 07 Octobre 2010

L'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 (loi n° 85-677 N° Lexbase : L7887AG9) en matière d'accidents de la circulation dispose que la faute commise par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il a subis. Or, depuis quelques années, la jurisprudence a eu à répondre à la question de savoir, précisément, si peut être opposée à la victime d'un accident de la circulation sa faute constituée par le fait d'avoir un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement admis ? La Cour de cassation avait, répondant à cette interrogation, jugé, par deux fois au moins, que le conducteur qui conduit malgré un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement autorisé commet une faute en relation avec son dommage de nature à limiter ou exclure son droit à indemnisation (1). En somme, la jurisprudence, en affirmant que la faute commise, qui en tant que telle n'est pas discutable, est "en relation avec le dommage", avait établi une présomption de causalité : le dépassement du taux d'alcoolémie autorisé faisait présumer le lien causal. C'est cette solution que remettent en cause deux très importants arrêts de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 6 avril dernier, promis à une diffusion maximale (Bulletin officiel, Site internet de la Cour, Rapport annuel). Les faits à l'origine des deux affaires étaient assez proches. Dans les deux cas, en effet, le conducteur d'un véhicule qui avait fauché un motocycliste invoquait la faute de la victime, en l'occurrence son taux d'alcoolémie excessif, pour limiter, sinon exclure le droit à réparation de celle-ci. Et, dans les deux affaires, la Cour de cassation refuse de suivre l'argumentation du pourvoi qui reprenait la solution jusqu'alors retenue par elle, et approuve finalement les juges du fond d'avoir, compte tenu des circonstances de fait, décidé que le lien de causalité entre l'état d'alcoolémie du conducteur victime et la réalisation de son préjudice n'était pas établi. Autrement dit, dans les deux affaires, la Cour adopte une position nouvelle : contrairement à ce qu'elle paraissait avoir jugé auparavant, elle refuse de considérer que le taux d'alcoolémie excessif de la victime soit nécessairement constitutif d'une faute causale de l'accident.

La solution appelle, pour notre part, un avis assez nuancé.

Au plan des principes, on peut, dans un premier mouvement, être tenté de comprendre et, pourquoi pas, peut-être d'adhérer à la position de la Cour de cassation en admettant qu'il puisse être difficile de décider a priori et de façon certaine que le dépassement du taux d'alcoolémie légalement autorisé soit la cause de l'accident et du dommage de la victime.

Encore pourrait-on tout de même objecter, en sens contraire, que la faute consiste, ici, dans le fait d'avoir pris le volant et d'avoir conduit avec un taux d'alcoolémie qui interdit précisément de le faire, de telle sorte que si le conducteur victime ne s'était pas trouvé sur la route, il n'aurait pas subi de dommage. Par où, à supposer que l'on admette cette conception assez large de la causalité, on pourrait tout de même se demander si, en tout état de cause, le fait de conduire sous l'empire d'un état alcoolique n'est pas, par hypothèse, en relation avec l'accident, en sorte que la faute serait bien, dans ces circonstances, une faute causale.

On remarquera que, contrairement à d'autres dispositions de la loi du 5 juillet 1985, l'article 4 n'exige pas que la faute susceptible d'être opposée à la victime pour limiter ou exclure son droit à réparation soit la cause exclusive de l'accident et du dommage, ce qui laisse penser qu'il suffit que la faute ait participé, même parmi d'autres, à la réalisation du dommage.

En dépit de ces réserves, admettons la possibilité, pour les besoins du raisonnement, de ne pouvoir opposer à la victime sa faute, constituée par son taux d'alcoolémie excessif, que dans l'hypothèse dans laquelle des circonstances permettraient d'élever cette cause possible du dommage au rang de cause vraisemblable ou même certaine. Soit. Mais alors, la question se pose de savoir quelles seront ces circonstances qui établiront le lien de causalité entre la faute et le dommage ? Manifestement, le seul taux d'alcoolémie même très élevé ne suffit pas puisque, alors que dans l'une des deux affaires soumises à l'Assemblée plénière, le taux l'alcoolémie de la victime était de 1,39 grammes par litre de sang, la Cour n'a pas voulu pour autant en déduire que cette faute avait, même partiellement, causé le dommage, et ce alors que nul ne saurait douter qu'un taux aussi élevé réduit nécessairement de façon importante les réflexes et l'appréciation des situations -et, partant, limite les possibilités de réagir face au danger et, peut-être, d'éviter l'accident.

Il faudra donc nécessairement que puisse être constaté un autre élément de fait qui démontrera que la faute de la victime a contribué à la réalisation de son dommage. Concrètement, une vitesse excessive, un refus de priorité, une circulation sur une voie non autorisée ou dans le sens contraire à celui autorisé, etc.. Mais qui ne voit alors qu'il faudra pouvoir reprocher à la victime un fait qui, en lui-même, est déjà constitutif d'une faute, de telle sorte qu'on ne voit pas bien ce que le taux d'alcoolémie excessif ajoutera ?

Autrement dit, on se demande, assez perplexe, si, sous couvert d'une formulation habile qui se veut mesurée, la Cour de cassation ne conduit pas à ce que, en réalité, le fait de conduire avec un taux d'alcoolémie supérieur aux taux légalement autorisé ne puisse jamais ou presque être, en tant que tel et pour lui-même, constitutif d'une faute. Cette solution, si l'analyse proposée est exacte, nous paraît dangereuse.

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 2, 4 juillet 2002, n° 00-12.529, Société des Transports Garcia c/ M. Adrien Lajarthe, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0668AZR), RCA 2002, n° 330, obs. H. Groutel, RTDCiv. 2002, p. 829, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n° 02-19.841, Mme Annick Renaudin, veuve Roger c/ Fonds de garantie Automobile, F-P+B (N° Lexbase : A4909DBG), RCA 2004, n°180, obs. H. Groutel.

newsid:280432

Social général

[Jurisprudence] Grève et paiement des salaires

Réf. : Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-44.776, Société Autogrill Paris Saint-Lazare, FS-P+B (N° Lexbase : A0602DW9)

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N0493BBU

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Le 07 Octobre 2010


L'exercice normal du droit de grève dispense l'employeur du paiement des salaires des grévistes. Le dénouement du conflit, qui conduit souvent à la conclusion d'un accord, peut, toutefois, s'accompagner du paiement de tout ou partie des heures de grève. Lorsque ce n'est pas le cas, les salariés pourront toujours tenter leur chance devant le juge pour mettre en cause la responsabilité civile de l'employeur en raison de fautes à l'origine du conflit. C'est cette possibilité qu'illustre un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 3 mai 2007 (1), dans une affaire où, pourtant, la présence d'un accord de fin de conflit pouvait s'y opposer (2).

Résumé

Le mouvement de grève ayant été, notamment, motivé par le non-paiement des heures supplémentaires et donc, à l'évidence, par un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, le juge des référés a exactement décidé que l'obligation de l'employeur au paiement des provisions sollicitées n'était pas sérieusement contestable, nonobstant le protocole d'accord de fin de grève.

1. Paiement des heures de grève et faute de l'employeur

  • Règles légales

L'article L. 521-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM) dispose, depuis 1950, que "la grève ne rompt pas le contrat de travail", sauf faute lourde du salarié (1). Le contrat de travail se trouve ainsi simplement suspendu pendant la durée du conflit, à tout le moins les obligations principales des parties ; le salarié n'est donc plus placé sous la subordination de son employeur qui, en contrepartie, se trouve libéré de son obligation de paiement du salaire.

  • Mise en cause de la responsabilité de l'employeur dans le déclenchement du conflit

La jurisprudence considère, toutefois, que l'employeur peut voir sa responsabilité civile délictuelle engagée lorsqu'il a commis une faute à l'origine du conflit ; dans cette hypothèse, les salariés obtiendront des dommages et intérêts réparant le préjudice subi, c'est-à-dire compensant au minimum la perte des salaires (2).

Les éléments constitutifs de cette faute ont été précisés par la Cour de cassation en 1991 : l'action en responsabilité aboutira lorsque les "salariés se sont trouvés dans une situation contraignante telle qu'ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations" (3).

La Cour de cassation a ainsi, au cours des arrêts, déterminé plus concrètement dans quelles situations les salariés pouvaient, ou non, obtenir gain de cause (4), singulièrement lorsque l'employeur manque à ses obligations salariales (5).

  • Le manquement à l'obligation de paiement des heures supplémentaires

Cette fois-ci, c'est un différend sur le paiement des heures supplémentaires qui était la cause du conflit. Pour la première fois, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet de manière expresse que "le mouvement de grève ayant été notamment motivé par le non-paiement des heures supplémentaires et donc, à l'évidence, par un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, le juge des référés a exactement décidé que l'obligation de l'employeur au paiement des provisions sollicitées n'était pas sérieusement contestable, nonobstant le protocole d'accord de fin de grève".

La solution n'est pas surprenante, compte tenu de la jurisprudence antérieure.

Le demandeur faisait pourtant valoir des arguments pertinents. Il prétendait, en effet, que la preuve de manquements "graves et délibérés" de l'employeur à ses obligations essentielles n'était pas rapportée, autrement dit que l'employeur était de bonne foi lorsqu'il pensait ne pas devoir payer ces heures.

L'argument était astucieux puisqu'il tentait d'assimiler la faute dans le déclenchement du conflit et le délit de travail dissimulé par sous-déclaration d'heures de travail sur le bulletin de salaire, dont on sait qu'il impose la preuve de l'intention de l'employeur (6). La Cour de cassation ne s'est pourtant pas laissée séduire et a, au contraire, considéré que le non-paiement des salaires révélait un comportement délibérément fautif de l'employeur imposant sa condamnation (7).

  • Rôle de la cause du défaut de paiement des salaires

Cette décision ne signifie pas que les juges ne doivent pas s'intéresser aux causes du défaut de paiement ; c'est ainsi que si les retards dans le paiement des salaires sont directement et exclusivement imputables aux difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, l'employeur ne sera pas condamné (8).

Tout se passe, toutefois, comme si le défaut de paiement des salaires était présumé intentionnel, l'employeur devant établir sa bonne foi s'il souhaite échapper à une condamnation.

L'arrêt ne portait pas directement sur ce point, de telle sorte qu'il est difficile de se déterminer ; on peut, cependant, penser que l'examen du dossier faisait clairement apparaître que le refus de payer les heures supplémentaires était, dans cette affaire, sans aucune justification, ce qui explique l'apparente sévérité de la Haute juridiction dans cette affaire.

2. Incidences d'un accord de fin de conflit

  • Problématique

La situation était plus complexe qu'il n'y paraissait en raison de la conclusion d'un accord de fin de conflit qui avait écarté le paiement des heures de grève, et sur lequel l'employeur prétendait s'appuyer pour s'opposer à la demande présentée par les salariés devant le juge des référés afin d'obtenir une provision sur les sommes à valoir au titre des dommages et intérêts.

  • Difficultés d'interprétation de l'accord

Il y avait, dans cette affaire, deux niveaux de difficultés. Le premier était purement factuel et portait sur l'interprétation de l'accord de fin de conflit. Ce dernier comportait, en effet, une clause aux termes de laquelle "la direction confirme qu'elle ne paiera pas les heures de grève. Celles-ci seront retenues sur la paye du mois de mai 2004". Or, les conseillers prud'hommes de la formation des référés avaient considéré que cette formule n'avait aucune portée normative et, singulièrement, que les syndicats signataires n'avaient pas accepté le non-paiement des jours de grève. L'employeur prétendait, bien entendu, que le non-paiement des jours de grève faisait, en quelque sorte, partie des dispositions de l'accord, l'employeur s'engageant étrangement... à ne pas payer les jours de grève.

Il s'agit, ici, somme toute, d'un banal problème d'interprétation d'une convention collective que la Cour aurait pu trancher, mais elle a préféré dépasser cette difficulté d'interprétation pour rendre une décision beaucoup plus juridique.

  • L'indifférence des termes de l'accord

Selon la Cour, en effet, il suffisait de constater que l'employeur avait manqué de manière grave et délibérée à ses obligations essentielles pour que les salariés soient indemnisés, et ce "nonobstant le protocole d'accord de fin de grève".

Cette formule, assez mystérieuse, peut signifier soit que l'accord ne permettait pas, de par son contenu, de s'y opposer, soit que même comportant un engagement de ne pas payer les jours de grève, l'employeur devait être condamné.

C'est certainement la seconde interprétation qui prévaut, à juste titre d'ailleurs. Les termes mêmes de l'accord excluaient, certes, toute obligation conventionnelle de l'employeur de payer les heures de grève (9), mais l'action des salariés n'était pas fondée sur cet accord, mais bien sur l'existence d'une faute commise dans le déclenchement du conflit. Il s'agissait alors de mettre en cause la responsabilité délictuelle de l'employeur, et non sa responsabilité contractuelle. L'existence d'un accord de fin de conflit était bien accessoire ici.

Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale


(1) Le nouvel article L. 2511-1 du Code du travail est plus exact et dispose que "l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié".
(2) Solution acquise depuis Cass. soc., 12 mars 1959, D. 1959, p. 241
(3) Cass. soc., 20 février 1991, n° 89-41.148, Société Pomona c/ Mme Rannou et autres, publié (N° Lexbase : A1657AAM) ; JCP éd. G, 1991, II, 21676, concl. P. Franck ; Dr. soc. 1991, p. 315, rap. P. Waquet, obs. J. Savatier.
(4) lire nos obs., L'employeur responsable de la grève, Lexbase Hebdo n° 69 du 1er mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7159AAE).
(5) Cass. soc., 14 mars 1979, n° 76-41.143, Société Visseries Danjou c/ Ermacora, publié (N° Lexbase : A2002ABR) ; Dr. ouvrier 1980, p. 61, note M. Petit ; Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-46.587, M. Abdel Masser Akrous, F-P+B (N° Lexbase : A8564DPU) ; lire les obs. de S. Tournaux, Lorsque la grève devient légitime..., Lexbase Hebdo n° 220 du 22 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9843AKR).
(6) Cass. crim., 22 février 2000, n° 99-84.643, Iman Raymond, inédit (N° Lexbase : A9039AGU) ; Cass. soc., 21 mai 2002, n° 99-45.890, Mlle Stéphanie Etchéberry c/ Société en nom collectif (SNC) Invest hotels Auch Rochefort Pessac, publié (N° Lexbase : A7131AYR). Le nouvel article L. 8221-5 du Code du travail a d'ailleurs consacré cette interprétation en ajoutant la référence au caractère intentionnel de l'infraction.
(7) "Le mouvement de grève ayant été notamment motivé par le non-paiement des heures supplémentaires et donc, à l'évidence, par un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations".
(8) Cass. soc., 26 janvier 2000, n° 98-44.177, Association pour la gestion du régime d 'assurance des créances des c/ M. Rubio et autres (N° Lexbase : A5577AWH).
(9) Même s'il n'avait pas été conclu par un syndicat représentatif, l'accord aurait pu produire des effets comme engagement unilatéral de l'employeur.
Décision

Cass. soc., 3 mai 2007, n° 05-44.776, Société Autogrill Paris Saint-Lazare, FS-P+B (N° Lexbase : A0602DW9)

Rejet (conseil de prud'hommes de Paris,13 septembre 2005)

Textes concernés : C. trav., art. L. 521-1 (N° Lexbase : L5336ACM) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. civ., art. 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ).

Mots-clefs : grève ; paiement des salaires ; accord de fin de conflit ; faute de l'employeur.

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Internet - Bulletin d'actualités n° 4

[Panorama] Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Avril 2007

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N0431BBL

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Le 07 Octobre 2010

Tous les mois, Marc d'Haultfoeuille, avocat associé chez Clifford Chance, vous propose de retrouver l'actualité juridique en matière de Communication Média & Technologies. A noter pour le mois d'avril, la publication du décret précisant les règles de fonctionnement et les procédures applicables devant l'Autorité de régulation des mesures techniques ou encore, un avis du 27 mars 2007 rendu par le Conseil national de la consommation (CNC) qui adopte un ensemble de recommandations venant encadrer l'élaboration de messages publicitaires des fournisseurs de services de communications électroniques diffusés à la radio, à la télévision ou sur internet. I - Commerce électronique
  • Dans un jugement en date du 1er février 2007, le tribunal d'instance de Grenoble retient que les vendeurs qui utilisent le site www.ebay.fr ne sont pas des prestataires de la société e-Bay ; ils sont donc seuls responsables de la bonne exécution des contrats de vente conclus sur le site : TI Grenoble, 1er février 2007, M. C. c/ Société e-Bay International

Faits :

M. C. a acquis sur le site de la société e-Bay International ("la société e-Bay") une montre de marque, d'une valeur estimée à 75 000 euros, pour un montant de 4 127,23 euros. Malgré le virement bancaire effectué le 22 janvier 2005, M. C. n'a jamais reçu la montre.

A la suite d'une sommation interpellative du vendeur restée vaine, M. C. décide d'assigner la société e-Bay.

M. C. se prévaut de l'article 15 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (loi n° 2004-575, 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique, art. 15 N° Lexbase : L2607DZL) selon lequel toute personne assurant à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution, par elle ou ses prestataires, des obligations issues du contrat. Le demandeur reproche à la société e-Bay de ne pas avoir respecté son obligation de sécurité des transactions et de fiabilité des informations fournies, et notamment de ne pas avoir vérifié l'identité du vendeur.

M. C. considère, également, que la société e-Bay n'est pas un simple hébergeur (tri des annonces, perception d'une commission à chaque transaction) et ne peut par conséquent se prévaloir du principe de responsabilité limitée prévue à l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2655DZD).

En revanche, M. C. estime que la société a bien une activité de transmission de contenu sur un réseau de télécommunications et qu'elle est donc soumise à l'article L. 32-3-3 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L1088HHR). A ce titre, M. C. estime que la société e-Bay peut voir sa responsabilité civile engagée dès lors qu'elle contrôle les vendeurs et sélectionne ainsi les destinataires des transmissions.

Décision :

Le tribunal d'instance de Grenoble, dans un jugement du 1er février 2007, déboute M. C. de sa demande.

Il juge que M. C. a, notamment, fait preuve d'une particulière imprudence en n'utilisant pas les moyens de paiement sécurisé mis à sa disposition par la société e-Bay (Pay Pal) et en ne respectant pas les règles élémentaires de sécurité (règlement du prix à une autre personne que le vendeur).

Ainsi, le tribunal retient que la société e-Bay n'a commis aucune faute et ne peut voir sa responsabilité engagée du fait du comportement fautif du vendeur.

De plus, le tribunal considère que la société e-Bay ne peut se voir appliquer l'article L. 32-3-3 du Code des postes et des communications électroniques dans la mesure où elle n'assure pas une activité de transmission de contenus sur un réseau de communications électroniques ou de fourniture d'accès à un tel réseau.

Il décide que l'article 15 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique ne lui est pas non plus applicable car les vendeurs ne peuvent être assimilés à des prestataires de la société. Seuls ces vendeurs sont responsables de la bonne exécution des contrats de vente conclus sur le site de la société e-Bay.

Enfin, le tribunal précise que l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique impose bien à la société e-Bay de conserver les données d'identification des vendeurs, mais non de les vérifier.

Commentaire :

Dans ce jugement, le tribunal d'instance fait une application stricte de la loi pour la confiance dans l'économie numérique et des articles du Code des postes et des communications électroniques en affirmant que la société e-Bay est un simple hébergeur et que, à ce titre, sa responsabilité ne peut être recherchée pour les transactions réalisées sur son site de vente aux enchères. Les contrats de vente sont réputés conclus entre vendeurs et acheteurs, sans intervention de la société e-Bay.

Cette décision s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure. En effet, dans un jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 26 octobre 2004 (TGI Paris, 26 octobre 2004, n° RG 02/10521, SA Poiray France c/ SARL Comptoir de joaillerie de services et fabrication N° Lexbase : A8884DDE et lire N° Lexbase : N4189ABR), la responsabilité de la société e-Bay avait été recherchée sur le fondement de la contrefaçon, un bijou vendu sur le site ibazar.fr s'étant avéré être un faux.

A cette occasion, les juges avaient déjà affirmé que la société e-Bay, hébergeur du site, n'était qu'un simple intermédiaire technique et que son intérêt financier sur la vente (la commission) n'avait pas d'influence sur la vente qui ne s'effectuait qu'entre vendeur et acheteur. Dès lors, les juges avaient rejeté le grief de contrefaçon formulé à son encontre.

Le jugement du 1er février 2007 est, cependant, intéressant en ce qu'il affirme que les vendeurs ne sont pas des prestataires au sens de l'article 15 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Ces vendeurs sont seuls responsables de la bonne exécution des contrats conclus.

Mais, il convient de nuancer la portée de cette décision dont les faits d'espèce révèlent la particulière imprudence de l'acheteur.

II - Droits d'auteur

  • Un décret précisant les règles de fonctionnement et les procédures applicables devant l'Autorité de régulation des mesures techniques a été adopté le 4 avril 2007, en application de la loi "DADVSI" du 1er août 2006 : décret n° 2007-510, du 4 avril 2007 relatif à l'Autorité de régulation des mesures techniques instituée par l'article L. 331-17 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L9179HUI)

Contenu :

Le décret n° 2007-510 relatif à l'Autorité de régulation des mesures techniques instituée par l'article L. 331-17 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2879HPC), modifie la partie réglementaire de ce code, et notamment le chapitre 1er du titre III du livre III (articles R. 331-1 à R. 331-37).

Le décret expose les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Autorité de régulation des mesures techniques (l'ARMT), ainsi que les règles de procédures applicables devant l'ARMT.

Après avoir détaillé la composition de l'ARMT et son organisation, le décret rappelle que l'ARMT est consultée par les commissions parlementaires sur les adaptations législatives rendues nécessaires par les évolutions en matière de mesures techniques. L'avis de l'ARMT faisant suite à cette consultation sera rendu public. Par ailleurs, l'ARMT doit rendre compte dans un rapport annuel des évolutions les plus marquantes constatées dans le domaine des mesures techniques de protection (MTP) et de leur impact prévisible. Le décret précise les éléments devant être repris dans ce rapport, qui sera rendu public.

Le décret décrit, ensuite, les règles procédurales applicables devant l'ARMT et, notamment, les règles spécifiques applicables en matière d'interopérabilité des MTP et en matière d'exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins. Le décret précise, cependant, que toute décision de l'ARMT ne devra pas porter atteinte à l'exploitation normale d'une oeuvre protégée, ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits. Il prévoit aussi les voies de recours disponibles contre les décisions de l'ARMT.

Commentaire :

La Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 (Directive 2001/29 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information N° Lexbase : L8089AU7) a été transposée par la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (la "loi DADVSI" N° Lexbase : L4403HKB).

Dans un souci de protection des oeuvres contre le téléchargement illicite, la loi "DADVSI" autorise les titulaires de droits de recourir à des MTP et interdit leur contournement.

Cependant, et pour veiller, notamment, au respect de l'interopérabilité et assurer un équilibre afin de garantir certaines exceptions, la loi "DADVSI" a créé l'ARMT.

Cette autorité a vocation à permettre une conciliation entre les utilisateurs et les titulaires des droits d'auteurs. Elle dispose aussi d'un pouvoir d'injonction. A ce titre, elle peut prononcer des sanctions pécuniaires en cas d'inexécution de ces injonctions ou des engagements pris par les acteurs du secteur.

Cette autorité administrative indépendante assure également une mission générale de veille dans les domaines des MTP et des mesures techniques d'identification des oeuvres protégées par le droit d'auteur et les droits voisins. Dans ce cadre, elle doit rendre un rapport annuel.

III - Internet

  • Un projet de décret portant application de l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique précise l'étendue de l'obligation faite aux hébergeurs et aux fournisseurs d'accès à internet de conserver les données d'identification des personnes qui ont contribué à la création de contenus ou de l'un des contenus des services dont ils sont les prestataires techniques, ainsi que les modalités de leur obligation de communiquer ces données aux autorités pour prévenir les actes de terrorisme

Contenu :

Le projet de décret précise les modalités d'application des articles 6-II et 6-II bis de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2655DZD), relatifs à l'obligation faite aux hébergeurs et aux fournisseurs d'accès à internet de conserver les données permettant d'identifier les personnes ayant contribué à la création d'un contenu ou de l'un des contenus des services dont ils sont les prestataires techniques, d'une part, et de leur obligation de les transmettre aux autorités publiques pour prévenir les actes de terrorisme, d'autre part.

Dispositions relatives à la conservation des données

Le projet fait d'une part obligation aux fournisseurs d'accès à internet de conserver les données suivantes pour chaque connexion de leurs abonnés :
- identifiant de la connexion,
- identifiant attribué par le système d'information à l'abonné,
- date et heure de début et de fin de la connexion, et
- caractéristiques de la ligne de l'abonné.

Les hébergeurs ont, quant à eux, l'obligation de conserver les données suivantes pour chaque opération de création de contenu :
- identifiant de la connexion à l'origine de la communication,
- identifiant attribué par le système d'information au contenu, objet de l'opération
- identifiant attribué par le système d'information à la connexion,
- type de protocole ou de réseau utilisé,
- nature de l'opération,
- date et heure de l'opération, et
- pseudonymes utilisés.

Le projet dresse, également, un certain nombre de données devant être conservées à la fois par les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs lors de la souscription d'un contrat par un utilisateur ou lors de la création d'un compte et lorsque cette collecte est effectuée par les fournisseurs d'accès à internet et hébergeurs à titre habituel :
- noms et prénom ou raison sociale,
- adresses postales associées,
- pseudonymes utilisés,
- adresses de courrier électronique associées,
- numéros de téléphone, et
- mots de passe et informations associées.

Lorsque la souscription du compte ou du contrat d'hébergement ou de fourniture d'accès est payante, les fournisseurs d'accès à internet et hébergeurs devront également conserver les données suivantes relatives au paiement :
- type de paiement utilisé,
- montant,
- numéro de référence du moyen de paiement, et
- date et l'heure de la transaction.

Le projet précise que toutes ces données d'identification devront être conservées pendant une durée de un an à compter de la création des contenus pour chaque opération contribuant à la création d'un contenu.

La contribution à une création d'un contenu comprend notamment les opérations portant sur :
- des créations initiales de contenus,
- des modifications des contenus eux-mêmes,
- des modifications de données liées aux contenus,
- des suppressions de contenus.

Ces données devront, enfin, selon le projet, être conservées sur des supports et dans des formats d'enregistrement conformes aux normes techniques en vigueur.

Dispositions relatives aux demandes administratives

Le projet précise, également, la procédure de transmission des données d'identification par les fournisseurs d'accès à internet et hébergeurs aux agents de police et de gendarmerie, habilités, par l'article 6 II bis de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, à exiger communication de telles données dans le but de prévenir des actes de terrorisme.

Les demandes de communication doivent comporter les informations suivantes :
- nom, prénom et qualité du demandeur, ainsi que son service d'affectation et l'adresse de celui-ci,
- nature des données dont la communication est demandée, et le cas échéant, la période concernée, et
- motivation de la demande.

Le projet précise que les données ainsi communiquées par les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs sont transmises selon des modalités assurant leur sécurité et leur intégrité et qu'elles sont conservées pendant une durée maximale de trois ans dans les traitements automatisés mis en oeuvre par le ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire et le ministère de la Défense.

Commentaire :

En l'absence de décret précisant les données d'identification que les fournisseurs d'accès à internet et hébergeurs devaient conserver au regard de l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, certains juges considéraient jusqu'à alors que les prestataires techniques devaient conserver, au minimum, les données suivantes : nom, prénom et adresse des personnes physiques, et dénomination sociale, forme, adresse de siège social et nom de représentants des personnes morales (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 7 juin 2006, n° 05/07835, SA Tiscali Média c/ SA Dargaud Lombard N° Lexbase : A6632DR3).

En l'état actuel, le projet va plus loin puisque les prestataires techniques auraient dorénavant l'obligation de conserver un certain nombre d'informations supplémentaires tels que, par exemple, le réseau ou protocole utilisé ou le mot de passe enregistré.

Ce projet de décret doit encore être soumis pour avis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) conformément à l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. La CNIL devra vérifier en particulier la pertinence des données d'identification devant être conservées au regard de la finalité poursuivie et se prononcer sur le caractère excessif ou non de la durée de conservation proposée.

Notons qu'en cas de non-respect par les hébergeurs et fournisseurs d'accès à internet de leur obligation de conserver les données d'identifications des personnes ayant contribué à la création de contenus ou de l'un des contenus des services dont ils sont les prestataires techniques, leur responsabilité civile et/ou pénale pourra être engagée.

IV - Publicité audiovisuelle

  • Dans un avis du 27 mars 2007, le Conseil national de la consommation (CNC) a adopté un ensemble de recommandations venant encadrer l'élaboration de messages publicitaires des fournisseurs de services de communications électroniques diffusés à la radio, à la télévision ou sur internet

Contenu :

Dans un avis en date du 27 mars 2007, le CNC a adopté un ensemble de recommandations venant encadrer l'élaboration de messages publicitaires des fournisseurs de services de communications électroniques diffusés à la radio, à la télévision ou sur internet.

Le CNC rappelle, tout d'abord, l'exigence de lisibilité et d'intelligibilité des publicités, qu'elles soient télévisées ou radiophoniques et auxquels images, sons et textes doivent concourir.

Cette exigence de lisibilité et d'intelligibilité doit être assurée, notamment, pour :
- l'information principale que l'annonceur souhaite faire connaître, par exemple, le prix ou toute autre caractéristique essentielle ;
- les informations relatives aux autres caractéristiques essentielles de l'offre, notamment sa portée, ses conditions d'application et ses conditions d'éligibilité ;
- les mentions et renvois.

Sur les modalités de présentation, le CNC précise que :
- lorsque la publicité porte sur une offre qui est soumise à conditions, un message spécifique en informe le consommateur. Pour les publicités télévisées, cette information s'effectue par le biais d'une mention écrite apparaissant pendant une durée suffisante à l'écran. Pour les publicités radiophoniques, cette information s'effectue au moyen d'une mention orale se distinguant clairement du reste de la publicité ;
- lorsqu'une publicité diffusée à la télévision comporte un texte écrit, sa lisibilité est assurée par l'utilisation de caractères permettant de lire toutes les mentions dans des conditions normales de lecture ;
- lorsque certaines informations sont communiquées par voie de bandeau, le texte correspondant est soit (i) présenté fixement à l'écran pendant une durée suffisante pour permettre au lecteur de prendre connaissance de toutes les mentions dans des conditions normales de lecture, soit, (ii) défile à l'écran avec une vitesse de défilement qui permet une lecture aisée de l'ensemble des mentions dans des conditions normales de lecture, lorsque toutes les informations ne peuvent figurer simultanément dans ce bandeau.

Le CNC rappelle, par ailleurs, que toute information relative au prix dans une publicité audiovisuelle doit être claire et précise. Ce prix doit correspondre au prix qui sera effectivement payé par le consommateur.

Le CNC précise, notamment, que, lorsqu'une publicité mentionne un prix promotionnel, le prix pérenne éventuellement applicable à l'issue de la promotion, la durée (ou période) de la promotion et les conditions de nombre ou de catégories de bénéficiaires, doivent être indiqués. Le prix pérenne et le prix promotionnel doivent pouvoir être mentionnés de manière à permettre leur lecture concomitante, par le consommateur, de façon aisée.

Le CNC rappelle, ensuite, que les caractéristiques essentielles d'une offre (outre le prix, ces caractéristiques essentielles sont la durée d'engagement liée à l'offre, certaines caractéristiques techniques et les conditions d'accès à l'offre) doivent être portées à la connaissance du consommateur de manière clairement distincte des autres mentions, par l'utilisation de caractères significativement supérieurs à ceux utilisés pour les autres mentions, en cas de message écrit, ou par l'énoncé distinct de ces caractéristiques, pour les messages sonores. Toute limitation significative apportée à une caractéristique essentielle doit être indiquée.

Enfin, le CNC rappelle que le recours aux renvois doit être limité et ne concerner que les caractéristiques n'apparaissant pas comme les plus essentielles.

Commentaire :

Composé de représentants des associations de consommateurs et d'usagers, de représentants de professionnels et des présidents d'instances consultatives spécialisées et d'institutions consuméristes, le CNC est consulté par les pouvoirs publics en matière de politique de la consommation. A ce titre, le CNC rend des avis, qui peuvent être traduits en droit positif par des textes législatifs ou réglementaires.

En application du mandat donné au CNC par le ministre délégué à l'Industrie, un groupe de travail a été chargé de faire des propositions pour améliorer l'information donnée aux consommateurs dans le secteur des communications électroniques.

A cette occasion, le CNC avait déjà adopté le 23 juin 2006 un ensemble de recommandations visant à améliorer le contenu des messages et documents élaborés dans le cadre de la publicité écrite diffusée par les professionnels de ce secteur.

L'avis du 27 mars 2007 complète ces recommandations concernant les messages publicitaires diffusés à la radio, télévision ou sur internet.

Il est à noter que, concernant plus particulièrement la publicité sur internet, aucune règle en tant que telle n'est posée, le CNC retenant l'application des règles de la publicité télévisée ou de la publicité radiophonique en fonction de la forme de la publicité concernée (message écrit ou sonore).

Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance

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Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

Lecture: 9 min

N0426BBE

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Le 30 Septembre 2011


Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose cette semaine de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Seront abordés, au sein de cette chronique, entre autres, les effets d'une clause de conciliation préalable sur l'exercice d'un référé-instruction, la transmission de l'action en justice aux héritiers et cours de l'instance ou encore la notion de partie à l'instance en cas de transfert de propriété.

I - Effet d'une clause de conciliation préalable sur l'exercice d'un référé-instruction : Cass. civ. 3, 28 mars 2007, n° 06-13.209, Mutuelle des architectes français (MAF), FS-P+B (N° Lexbase : A8065DUA)

Lorsqu'une clause de conciliation préalable est introduite dans un contrat, elle impose aux contractants de tenter une conciliation avant d'agir en justice. La Cour de cassation a décidé, dans un arrêt de chambre mixte du 14 février 2003 (Cass. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423, M. Daniel Poiré c/ M. Daniel Tripier, P N° Lexbase : A1830A7W) que le non-respect d'une clause de conciliation constituait une fin de non-recevoir qui s'imposait au juge si les parties l'invoquaient.

La question du champ d'application de cette fin de non-recevoir vient de se poser dans un arrêt rendu par la troisième chambre civile le 28 mars 2007. En l'espèce, des époux ont fait construire une maison individuelle sous la maîtrise d'oeuvre d'un architecte. A la suite de l'apparition de fissures, les époux ont saisi le juge des référés sur le fondement de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3) afin de faire désigner un expert. L'architecte a soulevé l'irrecevabilité de cette action en se prévalant de la clause instituant une procédure de conciliation préalable devant le conseil de l'ordre des architectes en cas de litige.

En application de la jurisprudence classique, cette fin de non-recevoir aurait dû être mise en oeuvre par le juge des référés. Pour autant, une telle solution aurait nié la spécificité de l'action exercée sur le fondement de l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile, laquelle ne concerne pas le fond de l'affaire, mais uniquement la recherche de preuves préalables à toute action en justice (d'où l'appellation de mesure d'instruction in futurum).

Telle est la position de la troisième chambre civile qui affirme que "la clause instituant, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat d'architecte, un recours préalable à l'avis du conseil régional de l'ordre des architectes, n'était pas applicable à l'action des époux Z... fondée sur l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile dans le but de réunir des preuves et d'interrompre un délai". En d'autres termes, si la clause de conciliation interdit provisoirement toute action au fond, elle ne fait pas obstacle à la recherche ou à la conservation des preuves dont pourrait dépendre la solution d'un litige, mais aussi l'issue d'une conciliation.

Il reste une ambiguïté dans l'arrêt rendu le 28 mars 2007. La Cour suggère que l'action fondée sur l'article 145 du Nouveau Code de procédure civile possède une double fonction de recherche des preuves et d'interruption d'un délai. On pourrait alors penser qu'un demandeur trouve un intérêt à agir en référé afin d'interrompre le cours de la prescription de l'action au fond. Tel n'est pas le cas puisque la jurisprudence retient de façon constante que la mise en oeuvre de la procédure de conciliation suspend le cours de la prescription jusqu'au constat de non-conciliation (Cass. civ. 1, 27 janvier 2004, n° 00-22.320, FS-P+B N° Lexbase : A0298DBN, Procédures 2004, comm. n° 47). Le contractant qui s'engage dans un processus de conciliation ne court donc pas le risque de voir son action s'éteindre.

II - Transmission de l'action en justice aux héritiers et cours de l'instance : Cass. civ. 1, 27 mars 2007, n° 06-11.003, M. Jean-Jacques Astier, F-P+B (N° Lexbase : A8029DUW)

L'article 370 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2601ADP) dispose que l'instance est interrompue par le décès d'une partie à compter de la notification qui est faite à l'autre partie (par les héritiers). L'interruption de l'instance est essentielle, car les délais cessent de courir, laissant aux héritiers le temps de prendre une décision quant à la conduite à tenir dans l'action qui avait été exercée par le de cujus. Pour autant, les héritiers doivent, sans attendre, notifier le décès aux autres parties afin de pouvoir bénéficier de cette interruption. Telle est la portée de l'arrêt rendu le 27 mars 2007 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, une personne avait exercé une action contre l'agent judiciaire du Trésor, mais n'avait pas obtenu gain de cause devant les juridictions du fond. L'arrêt d'appel avait été rendu le 27 janvier 2004 et signifié quelques jours plus tard au demandeur alors que ce dernier était décédé depuis plus de deux ans. Découvrant la situation probablement tardivement, les héritiers avaient exercé un pourvoi en cassation le 26 janvier 2006, soit près de deux ans après la notification de l'arrêt d'appel. Le délai de deux mois pour se pourvoir en cassation était assurément dépassé, mais les héritiers invoquaient l'interruption de l'instance consécutive au décès du demandeur.

La Cour de cassation rejette, néanmoins, le pourvoi en affirmant que "le décès n'ayant pas été notifié à l'agent judiciaire du Trésor dont il n'est pas établi qu'il en avait connaissance par ailleurs, l'instance n'avait pas été interrompue". En conséquence, le pourvoi ayant été formé plus de deux mois après la notification du jugement, devait être déclaré irrecevable.

Cet arrêt rappelle que l'interruption de l'instance pour cause de décès de l'une des parties n'est pas automatique. Dès lors, les héritiers doivent notifier ce décès rapidement aux autres parties s'ils souhaitent ne pas perdre le bénéfice d'une action engagée du fait d'un incident d'instance, ou de la prescription.

III - En appel, la constitution d'avocat (ou d'avoué) n'est pas soumise à un formalisme particulier : Cass. civ. 2, 5 avril 2007, n° 06-11.325, Mme Raymonde Dufay, épouse Malespine, F-P+B (N° Lexbase : A9053DUT)

L'article 901 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L7645HEU) prévoit que la déclaration d'appel doit contenir à peine de nullité certaines mentions parmi lesquelles figure la déclaration d'avoué de l'appelant. Dans un arrêt du 5 avril 2007, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé quelles étaient les modalités de cette constitution.

En l'espèce, un couple avait formé un appel devant la cour d'appel de Basse-terre en Guadeloupe. Il est à préciser que dans les départements d'outre-mer, les fonctions d'avoué sont exercées par les avocats (en vertu de l'article 82 de la loi du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L7660AH8). La cour d'appel a considéré que la déclaration d'appel était nulle, faute de contenir la mention expresse de la constitution d'avocat. Cette solution paraissait conforme à une jurisprudence ancienne sanctionnant par la nullité le défaut d'indication de la constitution d'avoué dans l'acte d'appel (Cass. civ. 2, 2 avril 1974, n° 73-10529, Epoux Bertoni c/ Dame Perelli, publié N° Lexbase : A7314CEM, Bull. civ. II, n° 126).

Pour autant, dans l'arrêt étudié, la Cour de cassation a censuré la solution retenue par les juges du second degré en affirmant que "la constitution d'avocat n'est pas soumise à un formalisme particulier et qu'il résulte des mentions de la déclaration d'appel que celle-ci a été déposée et signée par M. Tacita, avocat, au cabinet duquel les appelants avaient élu domicile".

Par cet arrêt, la Cour de cassation précise, non seulement, que la constitution d'avocat (ou d'avoué) est bien une formalité obligatoire au moment où l'appel est interjeté, mais aussi, que cette constitution peut être formulée indépendamment de la déclaration d'appel, pourvu que cet acte y fasse référence.

IV - La notion de partie à l'instance en cas de transfert de propriété : Cass. civ. 2, 22 mars 2007, n° 05-21.781, Société Casa Ambrosino, FS-P+B (N° Lexbase : A7427DUM)

Le droit d'appel appartient à ceux qui ont été parties en première instance. Cette règle évidente suscite des difficultés d'application lorsqu'une partie au procès cède le bien sur lequel porte le litige à un tiers au cours du procès. La question se pose alors de savoir si l'action est transmise avec le bien ou si l'acquéreur doit être considéré comme un tiers au procès. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient d'apporter un élément de réponse dans un arrêt du 22 mars 2007.

En l'espèce, le propriétaire d'un local commercial était en litige avec son preneur qu'il avait assigné en résiliation du bail. En première instance, le propriétaire avait été débouté de ses demandes et avait ensuite cédé le local commercial à un tiers. L'acquéreur du local avait alors interjeté appel contre la décision des premiers juges, mais cet appel fut déclaré irrecevable. Dans son pourvoi, l'acquéreur arguait qu'il avait été implicitement représenté par le vendeur en première instance et qu'en vertu de ce mandat, il avait acquis la qualité de partie au procès devant les premiers juges.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en affirmant d'abord "que l'ayant cause à titre particulier n'est pas représenté par son auteur pour les actes accomplis dans une procédure relative au bien transmis, après la cession de celui-ci". La Haute juridiction ajoute, ensuite, "qu'ayant relevé que la société, devenue, après l'assignation, propriétaire du local sur lequel porte le bail commercial litigieux, n'était pas intervenue, ni n'avait été attraite, à l'instance avant le prononcé du jugement, la cour d'appel a justement retenu qu'elle était un tiers à la procédure de sorte qu'elle était irrecevable à interjeter appel".

La Cour de cassation rejette ainsi la théorie du mandat implicite invoqué par le pourvoi. La solution retenue semble logique. L'acquéreur n'a pas été partie en première instance. Il ne peut donc interjeter appel d'une décision qui ne lui est pas opposable. S'il souhaite obtenir la résiliation du bail commercial, l'acquéreur devra exercer une action indépendante de celle du vendeur devant les juges de première instance.

V - Demande nouvelle en appel, la notion de demande tendant aux mêmes fins : Cass. civ. 2, 8 mars 2007, n° 05-21.627, M. Didier Segard, agissant en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Recospad, FS-P+B (N° Lexbase : A5973DUR)

En application du principe d'immutabilité du litige, les parties au procès ne peuvent formuler de nouvelles demandes en appel. Depuis l'adoption du Nouveau Code de procédure civile, cette règle est fortement atténuée par l'article 565 dudit code (N° Lexbase : L2815ADM), lequel précise que ne sont pas nouvelles, les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles présentées en première instance. L'évolution du litige est donc envisageable, dès lors que la finalité globale de l'action n'est pas modifiée. Au fil de la jurisprudence, la notion de prétentions "qui tendent aux mêmes fins" est précisée par la Cour de cassation. Tel est le cas de l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 8 mars 2007.

En l'espèce, une société a confié à une autre la construction d'un bâtiment. Durant le chantier, le bâtiment en construction a subi des dommages à la suite de la chute d'une grue. Le maître de l'ouvrage a donc exercé une action en responsabilité contre le constructeur et son assureur. Après une longue procédure, la cour d'appel a été saisie d'une demande du maître de l'ouvrage tendant à l'indemnisation des préjudices financier et commercial ainsi qu'au remboursement d'indemnités de retard. Les juges du second degré ont rejeté cette demande, la considérant comme nouvelle et donc contraire à l'article 564 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2814ADL).

La Cour de cassation censure cette décision en affirmant que "les demandes présentées en appel constituaient le complément de celles de première instance et poursuivaient la même fin d'indemnisation des préjudices causés par la chute de la grue sur le bâtiment en construction".

Cette solution emporte la conviction. La finalité de l'action en demande n'a pas été modifiée en appel. Le demandeur a simplement sollicité un accroissement du montant de l'indemnisation au regard des préjudices qui étaient survenus au fil de la procédure. On en déduit que, lorsqu'une action en responsabilité est exercée, toute demande supplémentaire relative au dommage doit être considérée comme "tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge" au sens de l'article 565 du Nouveau Code de procédure civile.

Etienne Vergès,
Agrégé des facultés de droit,
Professeur à l'Université de Grenoble II

newsid:280426

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Précisions sur le vote électronique aux élections professionnelles

Réf. : Décret n° 2007-602, du 25 avril 2007 (N° Lexbase : L3440HXP) ; Arrêté du 25 avril 2007 pris en application du décret n° 2007-602 du 25 avril 2007 (N° Lexbase : L3398HX7)

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N0495BBX

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Le 07 Octobre 2010


Modifiant les articles L. 423-13 (N° Lexbase : L9603GQQ) et L. 433-9 (N° Lexbase : L9605GQS) du Code du travail, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (1) a prévu que l'élection des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d'entreprise peut avoir lieu par vote électronique. La mise en oeuvre de cette réforme était, cependant, soumise à des précisions réglementaires qu'un décret du 25 avril 2007 vient enfin apporter (2). Ce décret est complété par un arrêté daté du même jour qui vient préciser les modalités techniques du vote électronique (3). Il est important de préciser que l'absence du texte réglementaire en cause n'interdisait nullement de recourir au vote électronique pour l'élection des représentants du personnel, la Cour de cassation en ayant admis le principe dans un important arrêt rendu le 8 décembre 2004. Au pourvoi reprochant au vote électronique de n'être pas conforme au principe du droit électoral, la Chambre sociale avait répondu que "les dispositions du protocole préélectoral permettaient d'assurer l'identité des électeurs ainsi que la sincérité et le secret du vote électronique, comme la publicité du scrutin, conformément aux principes généraux du droit électoral" (Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.509, M. Pascal Perrier c/ Banque Neuflize Schlumberger Mallet Demachy (NSMD), publié N° Lexbase : A3757DEU).

Pour en revenir au décret du 25 avril 2007, qui constitue, désormais, le fondement du vote électronique en matière d'élections professionnelles, il introduit dans le Code du travail un nouvel article R. 423-1-2 et un nouvel article R. 433-2-2 en tout point similaires. Ces derniers s'ouvrent ainsi sur un alinéa précisant que l'élection des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d'entreprise "peut être réalisée par vote électronique sur le lieu de travail ou à distance" (4).

1. Mise en place du vote électronique

  • Nécessité d'un accord collectif

Ainsi que le prévoyait déjà l'article 54 § II de la loi du 21 juin 2004 (N° Lexbase : L2650DZ8), la mise en place du vote électronique est subordonnée à la signature d'un accord d'entreprise. Le décret est, de ce point de vue, plus précis, puisqu'il précise que la possibilité de recourir à un vote électronique "est ouverte par un accord d'entreprise ou par un accord de groupe" (5). Une première remarque s'impose ici : ni la loi, ni le décret n'ouvrent à un accord de branche la faculté de mettre en place le vote électronique. Cette exclusion s'explique, sans doute, par le fait que le recours à un tel dispositif exige des précisions que ne peut apporter un accord conclu à un tel niveau.

Mais une telle remarque vaut aussi, quoiqu'à un degré moindre, pour un accord de groupe, dont on peut supposer qu'il exigera d'être complété par des accords conclus au niveau de chacune des entités composant le groupe. Il y a tout lieu de penser qu'en pratique, le recours au vote électronique sera surtout décidé au niveau des entreprises, sachant que la conclusion d'accords d'établissement semble, également, exclue par le décret.

Ainsi que le laissent entendre les développements précédents, l'accord relatif au vote électronique est à distinguer de l'accord préélectoral. C'est ce que confirme indirectement le décret. En effet, le § V des articles R. 423-1-2 et R. 433-2-2 précise que "le protocole d'accord préélectoral [...] mentionne la conclusion de l'accord d'entreprise ou de l'accord de groupe autorisant le recours au vote électronique et, le cas échéant, le nom du prestataire choisi pour le mettre en place".

Cette disposition confirme ainsi l'obligation pour l'employeur, sinon de mener des négociations séparées, à tout le moins celle de conclure des accords distincts : le classique protocole d'accord préélectoral et un accord collectif relatif au vote électronique. Un tel formalisme peut surprendre. On ne voit pas, en effet, pourquoi le recours au vote électronique ne pourrait pas figurer dans le protocole préélectoral (6). Toujours est-il qu'aucune sanction n'est prévue dans un tel cas de figure.

Au-delà, cette distinction entre le protocole d'accord préélectoral et l'accord collectif relatif au vote électronique emporte une conséquence importante. On sait, en effet, que, s'agissant de la négociation du premier, le chef d'entreprise est tenu de convoquer l'ensemble des organisations syndicales représentatives, quand bien même celles-ci n'auraient désigné aucun représentant dans l'entreprise. En revanche, pour ce qui est de la négociation du second, on se situe dans le schéma classique et seuls les syndicats ayant désigné un délégué syndical dans l'entreprise pourront participer à la négociation (7). Relevons, pour conclure, que l'accord relatif au vote électronique n'est en aucune façon soumis à l'exigence d'unanimité, seul le principe majoritaire ayant vocation à s'appliquer. Il n'en demeure pas moins que l'employeur aura tout intérêt à rechercher un accord unanime des syndicats convoqués à la négociation.

  • Faculté de voter à bulletin secret sous enveloppe

Ainsi que l'indique le décret du 25 avril 2007, "la mise en place du vote électronique n'interdit pas le vote à bulletin secret sous enveloppe si l'accord n'exclut pas cette modalité". Il faut ici comprendre que les réfractaires au progrès technique ou ceux doutant de la fiabilité du nouveau système ne pourront recourir aux modalités classiques de vote que si l'accord ne l'exclut pas. En d'autres termes, faute pour l'accord de comporter une disposition expresse en ce sens, un salarié pourra toujours exiger de voter à bulletin sous enveloppe.

  • Conception et mise en place du système de vote électronique

Ainsi que nous l'avons vu, il appartient à l'accord collectif de prévoir la possibilité de recourir à un vote électronique. Celui-ci doit alors comporter "un cahier des charges respectant les prescriptions minimales énoncées" (par le décret).

Le § II des articles R. 423-1-2 et R. 433-2-2 précise que "la conception et la mise en place du système de vote électronique peuvent être confiées à un prestataire choisi par le chef d'entreprise sur la base d'un cahier des charges contenant les prescriptions énoncées au présent article". Ainsi, rien n'empêche le chef d'entreprise de concevoir et de mettre en place un système de vote électronique "en interne", sans aucune aide extérieure. Toutefois, et sans mésestimer le coût que cela peut engendrer pour l'entreprise, il sera sans doute préférable de faire appel, au moins dans un premier temps, à un prestataire de services étranger à l'entreprise afin de couper court à toutes les suspicions qui pourraient naître au sein du personnel vis-à-vis d'un dispositif élaboré par le chef d'entreprise (8). En outre, et alors même que le décret renvoie le choix de ce prestataire à la seule décision de ce dernier, un accord avec les syndicats devra sur ce point être privilégié.

2. Modalités techniques et déroulement du vote électronique

Les deux textes commentés comportent un certain nombre de prescriptions d'ordre (très) techniques destinées à assurer la fiabilité et la confidentialité du vote électronique, gages du succès concret de ce nouveau dispositif. Relevons que le décret dispose que "le protocole préélectoral doit comporter en annexe la description détaillée du fonctionnement du système retenu et du déroulement des opérations électorales". Cette précision conduit à nouveau à s'interroger sur la distinction formelle entre le protocole préélectoral et l'accord collectif autorisant le recours au vote électronique.

  • Modalités techniques

De façon générale, le décret précise que le système de vote électronique retenu doit assurer la confidentialité des données transmises (9), notamment de celles des fichiers constitués pour établir les listes électorales (10) des collèges prévus à l'article L. 423-2 (N° Lexbase : L6360ACK), ainsi que la sécurité de l'"adressage" (sic) des moyens d'authentification, de l'émargement, de l'enregistrement et du dépouillement des votes.

De manière plus précise, le décret affirme que les fichiers comportant les éléments d'authentification des électeurs, les clés de chiffrement et de déchiffrement et le contenu de l'urne ne doivent être accessibles qu'aux personnes chargées de la gestion et de la maintenance du système de vote électronique. Celui-ci doit pouvoir être scellé à l'ouverture et à la clôture du scrutin. Par ailleurs, les données relatives aux électeurs inscrits sur les listes électorales ainsi que celles relatives à leur vote sont traitées par des systèmes informatiques distincts, dédiés et isolés, respectivement dénommés "fichier des électeurs" (11) et "contenu de l'urne électronique" (12). On l'aura compris, l'ensemble de ces dispositions a pour objet d'assurer la confidentialité des données personnelles et du vote.

  • Déroulement du vote

Le vote électronique se déroule, pour chaque tour de scrutin, pendant une période délimitée. Il appartient à la cellule d'assistance technique (v. infra), en présence des représentants des listes de candidats :
- de procéder, avant que le vote ne soit ouvert, à un test du système de vote électronique et de vérifier que l'urne électronique est vide, scellée et chiffrée par des clés délivrées à cet effet ;
- de procéder, avant que le vote ne soit ouvert, à un test spécifique du système de dépouillement, à l'issue duquel le système est scellé ;
- de contrôler, à l'issue des opérations de vote et avant les opérations de dépouillement, le scellement de ce système.

Afin de voter, que ce soit sur place ou à distance, l'électeur doit se faire connaître par le moyen d'authentification qui lui aura été transmis, selon des modalités garantissant sa confidentialité. Ce moyen d'authentification permettra au serveur de vérifier son identité et garantira l'unicité de son vote. Il sera, dès lors, impossible à quiconque de voter de nouveau avec les mêmes moyens d'authentification.

L'électeur accède aux listes de candidats et exprime son vote. Son choix doit apparaître clairement à l'écran et doit pouvoir être modifié avant validation. La transmission du vote et l'émargement font l'objet d'un accusé de réception que l'électeur a la possibilité de conserver. Les salariés atteints d'une infirmité les mettant dans l'impossibilité de voter peuvent se faire assister par un autre électeur (arrêté, art. 6) (13).

La liste d'émargement n'est accessible qu'aux membres du bureau de vote et à des fins de contrôle du déroulement du scrutin. Aucun résultat partiel n'est accessible pendant le déroulement du scrutin. Toutefois, le nombre de votants peut, si l'accord collectif le prévoit, être révélé au cours du scrutin.

Lorsque l'accord collectif n'exclut pas le vote au scrutin secret sous enveloppe, l'ouverture du vote n'a lieu qu'après la clôture du vote électronique. Le président du bureau de vote dispose, avant cette ouverture, de la liste d'émargement des électeurs ayant voté par voie électronique. Il s'agit évidemment d'éviter qu'un salarié ne vote deux fois.

  • Clôture et dépouillement

Selon l'article 7 de l'arrêté, dès la clôture du scrutin, le contenu de l'urne, les listes d'émargement et les états courants gérés par les serveurs sont figés, horodatés et scellés automatiquement sur l'ensemble des serveurs. Ces dispositions visent à protéger les résultats contre toute défaillance du système.

Le dépouillement n'est possible que par l'activation conjointe d'au moins deux clés de chiffrement différentes sur les trois qui doivent êtres éditées. La "génération" (sic) des clés destinées à permettre le dépouillement des votes à l'issue du scrutin est publique de manière à prouver de façon irréfutable que seuls le président du bureau de vote et deux de ses assesseurs ont connaissance de ces clés à l'exclusion de toute autre personne, y compris du personnel technique chargé du déploiement du système de vote (14).

Le décompte des voix apparaît lisiblement à l'écran et fait l'objet d'une édition sécurisée afin d'être porté au procès-verbal. Le système de vote électronique est scellé après le dépouillement afin de garantir l'impossibilité de reprendre ou de modifier les résultats après la décision de clôture du dépouillement. La procédure de décompte des votes enregistrés doit, toutefois, pouvoir être reprise.

  • Conservation et destruction des données

Il appartient à l'employeur ou, le cas échéant, au prestataire qu'il a retenu, de conserver sous scellés, jusqu'à l'expiration du délai de recours et, lorsqu'une action contentieuse a été engagée, jusqu'à la décision juridictionnelle devenue définitive, les fichiers supports comprenant la copie des programmes sources et des programmes exécutables, les matériels de vote, les fichiers d'émargement, de résultats et de sauvegarde. La procédure de décompte des votes doit, si nécessaire, pouvoir être exécutée de nouveau. A l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'une action contentieuse a été engagée, après l'intervention d'une décision juridictionnelle devenue définitive, l'employeur ou le prestataire procède à la destruction des fichiers supports.

3. Garanties

  • Expertise indépendante

En application du décret, le système de vote électronique, préalablement à sa mise en place ou à toute modification substantielle de sa conception, est soumis à une expertise indépendante, destinée à vérifier le respect des prescriptions énoncées précédemment. Le rapport de l'expert est tenu à la disposition de la Cnil.

On ne peut qu'approuver l'obligation ainsi faite de recourir à une expertise indépendante, de nature à atténuer, sinon à supprimer, les suspicions que peut faire naître la mise en oeuvre du vote électronique, au moins quant à ses modalités techniques. On regrettera, cependant, que les textes en cause ne fournissent pas plus d'indications sur cet expert. Il est évident que celui-ci ne saurait être confondu avec le prestataire de service auquel l'employeur est en droit de recourir. Au-delà, et comme pour ce dernier, il est sans doute à recommander que le choix de cet expert résulte d'un accord avec les organisations syndicales représentatives et ne soit pas abandonné à la seule décision du chef d'entreprise. Il va également de soi que la rémunération de cet expert est à la charge de l'entreprise.

  • Information et formation des représentants du personnel et des salariés

Le décret fait obligation à l'employeur d'informer les organisations syndicales représentatives, "incluses dans le périmètre de l'accord", de l'accomplissement des formalités déclaratives préalables auprès de la Cnil. On ne peut que s'étonner de la référence faite aux organisations "incluses dans le périmètre de l'accord", dont on a des difficultés à saisir le sens. Sans doute faut-il comprendre que l'employeur doit informer l'ensemble des syndicats représentatifs dans le champ d'application de l'accord et pas uniquement ceux qui l'ont signé.

On approuvera pleinement la disposition réglementaire aux termes de laquelle les représentants du personnel, les délégués syndicaux et les membres du bureau de vote bénéficient d'une formation sur le système de vote électronique retenu. Une telle formation, aux nécessaires vertus pédagogiques, est, là encore, de nature à supprimer certaines réticences à l'égard du vote électronique.

Enfin, il est prévu que chaque salarié dispose d'une notice d'information détaillée sur le déroulement des opérations électorales. Bien que les textes ne le précisent pas expressément, il conviendra que le jour du scrutin, un expert informatique soit mis à la disposition des salariés souhaitant des explications supplémentaires.

  • Mise en place d'une cellule d'assistance technique

Le décret impose à l'employeur de mettre en place une cellule d'assistance technique chargée de veiller au bon fonctionnement et à la surveillance du système de vote électronique, comprenant, le cas échéant, les représentants du prestataire. Selon l'arrêté, la mise en oeuvre du système de vote électronique est opérée sous le contrôle effectif, tant au niveau des moyens informatiques centraux que de ceux éventuellement déployés sur place, de représentants de l'organisme mettant en place le vote. Toutes les mesures sont prises pour leur permettre de vérifier l'effectivité des dispositifs de sécurité prévus.

Relevons que la coordination entre les dispositions du décret et celles de l'arrêté n'est guère évidente. En effet, et en premier lieu, on ne saurait affirmer que le contrôle prévu par ce dernier texte puisse être attribué à la cellule d'assistance technique visée par le décret. Ensuite, et en second lieu, l'arrêté semble tenir pour évident le recours à un organisme mettant en place le vote, alors que, nous l'avons vu, le décret fait de l'appel à un prestataire une simple faculté pour l'employeur (15).

Il importe, en revanche, d'approuver les dispositions de l'arrêté prévoyant que tout système de vote électronique comporte un dispositif de secours susceptible de prendre le relais en cas de panne du système principal et offrant les mêmes garanties et les mêmes caractéristiques. En outre, en cas de dysfonctionnement informatique résultant d'une attaque du système par un tiers, d'une infection virale, d'une défaillance technique ou d'une altération des données, le bureau de vote a compétence, après avis des représentants de l'organisme mettant en place le vote, pour prendre toute mesure d'information et de sauvegarde et, notamment, pour décider de la suspension des opérations de vote. Là encore, l'arrêté semble faire du recours à un "organisme" extérieur une nécessité, en contradiction avec les dispositions réglementaires.

Si l'on accepte de laisser de côté les imprécisions et autres défauts techniques qu'ils comportent, les textes commentés constituent le fondement adéquat d'un développement futur du vote électronique dans l'entreprise. Cela étant, on ne saurait mésestimer les nombreuses résistances qu'un tel système rencontrera dans la pratique. A ce titre, les réticences qu'ont suscitées les quelques expériences de vote électronique tentées lors des élections présidentielles qui viennent de s'achever ne laissent guère augurer d'une banalisation rapide du vote électronique pour les élections professionnelles. Le vote à bulletin secret sous enveloppe a encore de beaux jours devant lui...

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Loi n° 2004-575, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC) ; JO du 22 juin 2004, p. 11168, art. 54.
(2) Décret n° 2007-602 du 25 avril 2007, relatif aux conditions et aux modalités de vote par voie électronique pour l'élection des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d'entreprise et modifiant le Code du travail (N° Lexbase : L3440HXP).
(3) Arrêté du 25 avril 2007 pris en application du décret n° 2007-602 du 25 avril 2007 relatif aux conditions et aux modalités de vote par voie électronique pour l'élection des délégués du personnel et des représentants du personnel au comité d'entreprise et modifiant le Code du travail (N° Lexbase : L3398HX7).
(4) Cette première précision renvoie à l'un des avantages du vote électronique, qui permet à des salariés de participer aux élections sans être physiquement présents dans l'entreprise, que ce soit en raison de leurs fonctions (expatriés, télétravailleurs, travailleurs itinérants, etc.) ou pour une toute autre raison (congé, absence pour maladie, etc).
(5) La loi précise sans surprise que cet accord doit comporter "un cahier des charges respectant les prescriptions minimales énoncées par le présent article".
(6) Sauf à considérer que l'accord relatif au vote électronique est appelé à avoir une durée de vie plus longue que celle du protocole d'accord préélectoral.
(7) S'agissant de la négociation menée au niveau du groupe, il conviendra de faire application de l'article L. 132-19-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4690DZQ). Cela étant, rien ne semble interdire à l'employeur de mener la négociation avec les syndicats ayant participé à celle du protocole d'accord préélectoral.
(8) Sans parler évidemment des modalités techniques d'un tel vote qui exigent des compétences que peu d'entreprises seront à même de fournir "en interne". En outre, et nous y reviendrons, l'arrêté paraît faire du recours à un tel prestataire une nécessité, en contradiction avec les dispositions du décret.
(9) Les données devant être enregistrées sont précisées par l'arrêté qui détermine, également, les destinataires ou catégories de destinataires des informations qu'il énumère.
(10) Conformément aux dispositions de l'arrêté, et de manière classique, les listes électorales sont établies par l'employeur. De même, le contrôle de la conformité des listes importées sur le système de vote électronique aux listes électorales transmises le cas échéant au prestataire est effectué sous la responsabilité de l'employeur. L'intégration et le contrôle des candidatures sont effectués dans les mêmes conditions.
(11) Selon l'arrêté, le traitement "fichier des électeurs" est établi à partir des listes électorales. Il a pour finalité de délivrer à chaque électeur un moyen d'authentification, d'identifier les électeurs ayant pris part au vote et d'éditer les listes d'émargement. L'émargement indique la date et l'heure du vote. Les listes sont enregistrées sur un support distinct de celui de l'urne électronique, scellé, non réinscriptible, rendant son contenu inaltérable et probant. Les données du vote font l'objet d'un chiffrement dès l'émission du vote sur le poste de l'électeur.
(12) En application de l'arrêté, le fichier dénommé "contenu de l'urne électronique" recense les votes exprimés par voie électronique. Les données de ce fichier font l'objet d'un chiffrement et ne doivent pas comporter de lien permettant l'identification des électeurs afin de garantir la confidentialité du vote.
(13) Ce même article précise que le vote est anonyme et chiffré par le système, avant transmission au fichier "contenu de l'urne électronique". La validation le rend définitif et empêche toute modification.
(14) Les deux assesseurs, nominativement identifiés, ainsi que le président du bureau de vote reçoivent chacun une clé de dépouillement distincte, selon des modalités en garantissant la confidentialité, permettant d'accéder aux données du fichier "contenu de l'urne électronique". La présence de deux titulaires de ces clés est indispensable pour autoriser le dépouillement. Des clés de sauvegarde sont, en outre, conservées sous scellés (arrêté, art. 7). Il est précisé qu'à défaut d'accord sur le nom des deux assesseurs appelés à recevoir les clés de dépouillement, celles-ci sont attribuées au plus âgé et au plus jeune.
(15) Sauf à considérer que cet "organisme mettant en place le vote" ne doit pas être confondu avec le prestataire choisi par le chef d'entreprise.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Succession et ISF : conditions de déduction de l'indemnité de résiliation de bail commercial versée après le décès du bailleur

Réf. : Cass. com., 20 mars 2007, n° 06-14.259 (N° Lexbase : A7255DUA) et n° 05-21.526 (N° Lexbase : A7254DU9), Directeur général des impôts, FS-P+B+I+R

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Aux termes de deux décisions rendues le 20 mars 2007, la Chambre commerciale de la Cour de cassation précise que l'indemnité de résiliation de bail à verser, alors qu'une promesse de vente du local loué avait été signée avant le décès du bailleur, n'est ni déductible de l'assiette de l'ISF, ni déductible de la succession. Le litige qui opposait l'administration fiscale à un conjoint survivant portait sur la déduction, tant de l'assiette de l'ISF que de l'actif de succession, d'une indemnité de résiliation de bail que s'était engagée à verser son épouse avant son décès. Cette indemnité devait être payée au preneur dans les quinze jours de la vente de la propriété louée. Pour admettre cette déduction, la cour d'appel avait considéré qu'une telle dette était certaine au jour du décès puisqu'une promesse de vente des locaux loués avait été signée avant le décès. La Cour de cassation a censuré une telle décision qui érigeait en terme un événement incertain non seulement dans sa date, mais aussi dans sa réalisation puisque l'existence de l'obligation au paiement de l'indemnité était subordonnée à la vente. La dette en cause n'était donc que conditionnelle, subordonnée à la vente de la propriété.

1. Condition de déduction des dettes

Selon la doctrine administrative, sauf exceptions concernant certains frais postérieurs au décès, seules les dettes à la charge personnelle du défunt au jour de l'ouverture de la succession sont admises en déduction de l'actif héréditaire (Doc. adm. 2321, du 20 décembre 1996, n° 2). Ainsi, la dette qui résulte d'un devis de travaux immobiliers accepté par le défunt avant son décès et dont l'exécution n'est nullement subordonnée à une condition suspensive constitue un passif successoral immédiatement déductible (Cass. com., 2 décembre 1986, n° 84-17.833, Directeur Général des Impôts c/ Mme O'Mahony N° Lexbase : A2676AAD). On remarquera qu'il n'est pas nécessaire que les dettes soient liquides pour être déduites. Il suffit qu'elles existent dans leur principe, encore que leur montant ne soit pas arrêté. Toutefois, dans cette hypothèse, la déduction ne peut être effectivement opérée que lorsque le montant est définitivement arrêté. Autrement dit, dans un premier temps, une telle dette doit figurer pour mémoire dans la déclaration de succession. Dans un second temps, dès que le montant est définitivement fixé, elle est admise en déduction par voie de réclamation et les droits perçus en trop restitués.

En revanche, les dettes dont l'existence est incertaine ne sont pas déductibles. Tel est le cas des dettes soumises à une condition suspensive ou encore des dettes litigieuses. Bien entendu, de telles dettes deviennent déductibles, également par voie de réclamation, lorsque la condition se réalise après le dépôt de la déclaration de succession. Tel est le cas, par exemple, selon l'administration, des dépôts de garanties détenus par un bailleur qui ne peuvent être admis en passif de succession que lorsque la créance des preneurs devient effective en fin de bail.

Ainsi, le critère qui permet de déterminer la date de déduction est celui qui départage le terme et la condition. Une dette à terme, dont le montant est définitivement fixé avant le décès est déductible dès le dépôt de la déclaration de succession. Une dette à terme dont le montant n'est pas encore fixé au jour du décès, ou une créance dont le terme est incertain, est déductible, après avoir figuré au passif pour mémoire, par voie de réclamation. Enfin, une dette conditionnelle n'est déductible par voie de réclamation, que si la condition de réalise.

2. Critère du terme et de la condition

Terme et condition font tous deux dépendre l'exécution d'une obligation, ou son extinction, d'un événement futur. Le terme est un événement futur, mais de réalisation nécessaire, qui affecte la date d'exécution de l'obligation, soit en suspendant son exigibilité -terme suspensif-, soit en l'éteignant -terme extinctif-. L'existence d'une condition, qu'elle soit suspensive ou résolutoire, est caractérisée lorsque l'évènement dont dépend l'obligation est futur et incertain. Ainsi, la première différence entre le terme et la condition tient à ce que la condition porte sur un évènement dont la réalisation est incertaine, alors que, s'agissant du terme, la réalisation est acquise. La seconde différence, sans influence en matière de passif successoral ou d'ISF, tient à ce que la condition, lorsqu'elle se réalise, a un effet rétroactif alors que le terme ne s'accompagne d'aucune rétroactivité. Si la différence entre terme et condition peut paraître caractérisée, il ne faut pas ignorer que l'événement conditionnant l'exécution de l'obligation peut dépendre de la volonté des parties -modalité potestative- ou échapper à leur volonté -modalité casuelle-. Lorsque l'événement dépend de la volonté d'une ou des parties, il est nécessaire d'analyser l'intention de la ou des parties pour déterminer si elles considéraient la réalisation de l'événement comme définitivement acquise ou non. En effet, si l'événement est objectivement incertain, il y a condition ; si sa survenance est tenue pour assurée, la qualification de terme peut être retenue, mais il s'agit d'un terme incertain. Tel est le cas d'une personne qui s'engage à acquitter sa dette à la suite d'un événement qui ne dépend que d'elle, comme la vente d'un bien lui appartenant : la condition est potestative si le débiteur s'engage à payer "s'il vend le bien". En revanche, on se trouve en présence d'un terme, mais ce terme est incertain, s'il s'engage à payer "quand il vendra le bien".

Au cas particulier ayant donné lieu aux décisions du 20 mars 2007, quand bien même une promesse de vente aurait été signée avant le décès, la Cour a estimé que la vente devait être considérée comme un événement incertain, de sorte que l'obligation de verser l'indemnité de résiliation était conditionnelle. Le juge a donc considéré que la stipulation d'un paiement "dans les quinze jours de la vente de la propriété" ne pouvait permettre de considérer la dette comme une dette certaine à la charge du défunt, immédiatement déductible. Il estime même que la dette était conditionnelle, ce qui excluait de l'analyser comme une dette dont le terme était incertain. En pratique, dans les deux cas, la solution fiscale est la même : la dette est déductible, par voie de réclamation, lorsqu'elle est définitivement acquise et fixée dans son montant.

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