La lettre juridique n°243 du 11 janvier 2007

La lettre juridique - Édition n°243

Éditorial

Emprunts, surendettement et solidarité : qui paye ses dettes s'enrichit, mais qui perd ses dettes s'enrichit aussi !

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N7271A98

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Plus d'un million de foyers sont surendettés, soit près 3 % des Français. En 2005, près de 185 000 familles sont entrées dans une procédure de traitement du surendettement. Certes, depuis la loi "Neiertz" de 1989, le législateur a développé un véritable droit du surendettement. La loi du 1er août 2003, complétée par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, a mis en oeuvre une procédure de rétablissement personnel, dite de faillite civile, permettant, dorénavant, aux foyers les plus endettés de repartir sur des bases saines. Ce dispositif continue de monter en puissance, ainsi que l'indiquent les dernières statistiques puisque 97 000 conventions ont été signées pour la sortie du traitement de la commission de surendettement, près de 6 000 par clôture des procédures, 30 000 par recommandations homologuées par des magistrats, et un peu moins de 19 000 ont bénéficié de la procédure de rétablissement personnel. Pour autant, ces solutions "d'espoir" sont conditionnées par la bonne foi du particulier surendetté tant au plan contractuel qu'au plan procédural : c'est ce que vient de rappeler, avec force, un arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 décembre dernier qui précise, si besoin était, que la caractérisation de cette bonne ou mauvaise foi relève de l'appréciation souveraine des juges du fond qui peuvent la relever d'office (lire David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit, La bonne et la mauvaise foi dans la mise en oeuvre des mesures de traitement du surendettement des particuliers).
Ces solutions sont donc de nature à lutter a posteriori contre le surendettement en permettant le rétablissement des foyers les plus touchés ; mais il convient, également, de développer des instruments de lutte a priori, en renforçant la prévention de ces situations de surendettement, notamment en matière de crédits. Certes, en matière d'information, la loi sur la sécurité financière a apporté de premières évolutions. Bien plus, la loi du 28 janvier 2005 a amélioré cette information du consommateur dans le domaine des crédits renouvelables. Ainsi, l'emprunteur peut, à tout moment, résilier son contrat rompant, de la sorte, avec le principe de la tacite reconduction. Pour autant, les particuliers ne sont pas à l'abri d'un manque d'information claire et précise du banquier dispensateur de crédit qui, par exemple, faisant signer une simple fiche de renseignements au conjoint de l'emprunteur, entend recouvrer sa créance sur les biens communs du couple. C'est sans compter sur la vigilance de la Cour de cassation qui, le 28 novembre dernier, rappelait que la seule signature de cette fiche de renseignements ne démontrait pas le consentement exprès de l'épouse à l'emprunt souscrit par son mari envers le prêteur ; la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision, en retenant que l'épouse avait manifesté sinon son acceptation personnelle du prêt, du moins son consentement à la souscription de celui-ci par son mari. Attention, n'en déplaise à Hamlet, les mots paient parfois les dettes ! Il est donc opportun pour le banquier comme pour les particuliers concernés, d'entrevoir toute la nécessité d'une information et d'un consentement clair et précis à toute souscription d'emprunt (lire Richard Routier, Agrégé des Facultés de droit, Du caractère exprès du consentement exigé par l'article 1415 du Code civil).

newsid:267271

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Licenciement et résiliation judiciaire du contrat de travail : mode d'emploi (suite... et certainement pas fin)

Réf. : Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.539, Société Motor Presse France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0561DTX)

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N7200A9K

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

En permettant au salarié de prendre acte, sans aucune formalité, de la rupture du contrat de travail, ou de saisir le juge d'une demande en résiliation judiciaire, la Cour de cassation a créé les conditions d'une grande confusion procédurale qu'elle tente, au fil des arrêts, de compenser par quelques règles à destination des juges du fond (1). C'est, cette fois-ci, l'hypothèse inédite d'un salarié demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail après avoir été licencié qui donne l'occasion à la Cour de rendre une décision logique et prévisible (2).
Résumé

Le contrat de travail étant rompu par l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, la demande postérieure du salarié tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de ce contrat est nécessairement sans objet, le juge devant, toutefois, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation.

Décision

Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.539, Société Motor Presse France, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0561DTX)

Cassation partielle (CA Versailles, 6ème ch. civ., 15 février 2005)

Textes visés : C. civ., art. 1184 (N° Lexbase : L1286ABA) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9).

Mots-clefs : licenciement ; résiliation judiciaire.

Lien bases : .

Faits

1. M. de Laveaucoupet, salarié de la société Motor presse France, où il était directeur adjoint de la publicité, a été licencié pour faute grave le 10 juillet 2002.

2. Il a saisi le conseil de prud'hommes le 12 septembre 2002 pour contester le licenciement et faire juger que son contrat de travail avait, en réalité, été rompu dès le 12 mai 2002 du fait de son employeur auquel il reprochait, notamment, d'avoir modifié unilatéralement son contrat de travail.

L'arrêt attaqué a rejeté la demande de M. de Laveaucoupet quant à la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur, décidé que son licenciement, s'il n'était pas justifié par une faute grave, avait néanmoins une cause réelle et sérieuse, et lui a alloué une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité de préavis ainsi qu'un rappel de salaire et des congés payés afférents.

Solution

1. "Le contrat de travail étant rompu par l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, la demande postérieure du salarié tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de ce contrat est nécessairement sans objet, le juge devant toutefois, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation" ; "il résulte des énonciations de l'arrêt que tel n'était pas le cas en l'espèce" ; "par ces motifs, substitués dans les conditions de l'article 1015 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L1818ADP), l'arrêt est légalement justifié".

2. "Vu les articles 4 (N° Lexbase : L2631ADS) et 5 (N° Lexbase : L2632ADT) du Nouveau Code de procédure civile" ;

"pour allouer à M. de Laveaucoupet des indemnités de licenciement, de préavis et un rappel de salaire afférent, la cour d'appel se borne à énoncer qu'ils n'étaient pas contestés et étaient conformes à la convention collective applicable" ;

"en statuant ainsi, alors que la société contestait le montant des sommes allouées et leur fondement, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

"Par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ses dispositions relatives à l'indemnité de préavis, au rappel de salaire et aux congés payés afférents, et à l'indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt rendu le 15 février 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ; condamne M. de Laveaucoupet aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL), rejette les demandes".

Observations

1. La confusion des procédures et les principes dégagés par la Cour de cassation

  • Les raisons de la confusion ambiante

L'admission par le droit du travail de la résiliation judiciaire du contrat de travail, à la demande du seul salarié, ainsi que les développements récents qui concernent la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, posent de redoutables problèmes aux juges. Face à un salarié qui semble hésiter sur la stratégie à suivre, il n'est pas rare que l'employeur, craignant de se voir reproché de n'avoir pas réagi assez tôt, décide de licencier "par précaution" le salarié. Le juge prud'homal se retrouve alors saisi de deux, voire trois scenarii de rupture possible et éprouvera les pires difficultés pour désigner les bonnes règles applicables. La Cour de cassation a donc dû, à plusieurs reprises, préciser dans quel ordre il convenait d'examiner les différentes demandes présentées au juge.

  • Les principes

Pour bien comprendre ces solutions, il convient de se rappeler la différence essentielle qui existe entre le licenciement et la prise d'acte d'un côté, et la résiliation judiciaire de l'autre. Dans la première hypothèse, ce sont les parties qui rompent unilatéralement et définitivement le contrat de travail, alors que, dans la seconde, c'est le conseil de prud'hommes qui prononcera la résiliation judiciaire du contrat, si les griefs formulés contre l'employeur sont justifiés, c'est-à-dire si ce dernier a commis des fautes suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat à ses torts, et qu'il soit alors condamné à verser au salarié des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Reste à déterminer à quel moment le contrat de travail est effectivement rompu.

  • Le moment de la rupture du contrat de travail

En cas de licenciement, il est désormais acquis que c'est la date d'émission de la lettre de licenciement, en recommandé avec demande d'avis de réception, qui rompt le contrat de travail, même si le préavis ne commence à courir que du jour de réception de cette lettre (à propos de la période d'essai : Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, F-P+B+R+I N° Lexbase : A2303DI7 et les obs. de G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4538AIW ; pour le licenciement : Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-44.670, Société Gestion technologie finances conseil (GTF), F-P N° Lexbase : A3623DRM ; Dr. soc. 2006, p. 1193, obs. J. Savatier).

En cas de prise d'acte, c'est la réception par l'employeur de la lettre de prise d'acte qui rompt le contrat (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 ; lire nos obs., Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN).

En présence d'une résiliation judiciaire du contrat de travail, c'est donc le jugement qui, lorsqu'il devient définitif, rompt le contrat, même si le juge peut parfaitement fixer la date de rupture à la date des faits qui justifient la résiliation ou à la date de l'assignation (à propos du contrat d'apprentissage, Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 01-40.125, FS-P N° Lexbase : A6587C9T).

Mais, ces principes ne suffisent pas toujours à y voir clair, singulièrement lorsque l'employeur riposte à une demande de résiliation judiciaire par le licenciement du salarié.

Dernièrement, la Cour de cassation a dû intervenir pour préciser dans quel ordre le juge devait traiter les demandes émanant du salarié lorsque plusieurs modes de rupture ont été invoqués, et que, parallèlement, le conseil de prud'hommes avait été saisi d'une demande de résiliation judiciaire.

Lorsque le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail, le licenciement éventuellement prononcé par l'employeur par la suite sera sans objet et considéré comme nul et non avenu (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 ; lire nos obs., Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN ; Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen N° Lexbase : A6513DI3).

Lorsque le salarié a introduit une demande de résiliation judiciaire, puis a pris acte de la rupture du contrat de travail avant que le juge n'ait pu statuer, le contrat sera rompu par la prise d'acte et le juge n'aura donc pas à examiner la demande de résiliation judiciaire ; tout au plus pourra-t-il puiser dans l'assignation en résiliation judiciaire des éléments de fait qui lui permettront de déterminer si les griefs formulés contre l'employeur, à l'occasion de la prise d'acte, sont suffisants pour lui faire supporter les torts de la rupture (Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-46.280, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0481DSM ; lire les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5061ALZ).

Lorsque, enfin, le salarié aura saisi le juge d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, puis aura été licencié, le tribunal saisi par le salarié devra, tout d'abord, examiner la demande de résiliation judiciaire, et ne devra, ensuite, s'intéresser au licenciement que s'il a rejeté la demande en résiliation judiciaire (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-46.649, FS-P+B N° Lexbase : A7356DGK : Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-43.933, F-P N° Lexbase : A8118DNY ; Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 03-43.603, FS-P+B N° Lexbase : A9243DI8 ; Cass. soc., 26 avril 2006, n° 05-43.591, F-P N° Lexbase : A2203DPB), et ce même si le licenciement est notifié entre le jugement rejetant la demande de résiliation et l'appel interjeté par le salarié (Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-46.634, FS-P+B N° Lexbase : A7518DHW). La solution est toutefois différente si le salarié a été régulièrement mis à la retraite avant l'audience, car, dans cette hypothèse, c'est la demande en résiliation judiciaire qui devient sans objet (Cass. soc., 12 avril 2005, n° 02-45.923, F-P+B N° Lexbase : A8628DHZ ; lire les obs. de N. Mingant, Résiliation judiciaire et mise à la retraite en cours d'instance d'appel, Lexbase Hebdo n° 165 du 27 avril 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3694AIN).

2. Le primat du licenciement sur la résiliation judiciaire demandée postérieurement par le salarié

  • Une question inédite

Dans cette affaire, le salarié avait été licencié puis avait saisi le conseil de prud'hommes d'une demande visant à faire requalifier la rupture de son contrat de travail pour des faits antérieurs au licenciement et qui étaient, selon lui, de nature à justifier la résiliation judiciaire. Pas plus que les juges du fond, la Cour de cassation ne se laisse, ici, engager dans cette voie et considère que la demande présentée par le salarié était tardive et n'était pas de nature à remettre en cause le principe même de la rupture du contrat de travail intervenue à la suite du licenciement du salarié.

  • Une solution logique

Cette solution, à notre connaissance inédite, doit être pleinement approuvée. Sauf hypothèse de fraude démontrée où l'employeur utiliserait la voie du licenciement pour prendre de vitesse la demande de résiliation judiciaire du salarié, il faut admettre que le licenciement, dès lors qu'il a été notifié au salarié, a bien rompu le contrat de travail.

  • Une précision inutile

La Cour de cassation précise, en revanche, que le juge doit "toutefois, pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation". On retrouve, ici, une formulation déjà présente dans les arrêts rendus le 31 octobre 2006, dans l'hypothèse d'une prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail intervenue avant que le tribunal, saisi antérieurement, n'ait pu statuer sur la demande de résiliation judiciaire initialement introduite (Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0483DSP ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-46.280, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0481DSM ; Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-48.234, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0482DSN ; et les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5061ALZ).

On comprend bien le sens de la formule. Même si le juge ne doit pas examiner la demande de résiliation judiciaire, puisque le contrat de travail a bien été rompu, il doit tenir compte des éléments qui y figurent pour statuer sur le caractère réel et sérieux du licenciement, et donc ne pas se contenter des éléments qui sont visés dans la lettre de licenciement.

A bien y réfléchir, cette précision semble, toutefois, totalement dépourvue d'intérêt.

La lettre de licenciement pour faute contient l'énoncé précis des griefs de l'employeur contre le salarié, alors que l'assignation en résiliation contient, au contraire, les griefs du salarié contre son employeur. Puisque le contrat de travail a bien été rompu par le licenciement, alors le juge doit déterminer si les griefs visés dans la lettre de licenciement sont de nature à caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, ici une faute grave, ou, au contraire, si l'employeur doit être condamné pour absence de cause réelle et sérieuse, comme le prétend le salarié. Certes, il est acquis que l'énoncé de la lettre de licenciement fixe les limites du litige et interdit à l'employeur d'invoquer devant le juge d'autres faits. Mais, ce principe, destiné à éviter que les employeurs ne produisent systématiquement devant les juges du fond des centaines de documents pour tenter, coûte que coûte, de "sauver" leur licenciement a posteriori, n'a jamais interdit au salarié de contester les conditions de son licenciement en produisant devant le juge tous les documents nécessaires au succès de sa prétention et permettant d'établir les véritables motifs du licenciement (Cass. soc., 10 avril 1996, n° 93-41.755, M. Debiève c/ Société Marie et Cie, publié N° Lexbase : A4004AAK).

Préciser au juge prud'homal qu'il doit, "pour l'appréciation du bien-fondé du licenciement, prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation dès lors qu'ils sont de nature à avoir une influence sur cette appréciation" n'a alors aucun intérêt, si ce n'est de rappeler une évidence.

newsid:267200

Recouvrement de l'impôt

[Jurisprudence] Sursis de paiement, prescription de l'action en recouvrement et solidarité fiscale des dirigeants

Réf. : Cass. com., 31 octobre 2006, n° 04-15.497, M. Jean-Pierre X (N° Lexbase : A1922DSY) ; CE 9° et 10° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 262821 (N° Lexbase : A2868DSZ) et n° 287940 (N° Lexbase : A2901DSA)

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N5744A9M

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par Mohand Ouidja, Avocat au Barreau de Versailles

Le 07 Octobre 2010

Aux termes de l'article de L. 274 du LPF (N° Lexbase : L3884ALG), les comptables du Trésor qui ne font aucune poursuite contre un contribuable retardataire pendant quatre années consécutives à partir du jour de la mise en recouvrement du rôle, perdent leur recours et sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. Le délai de quatre ans mentionné au premier alinéa, par lequel se prescrit l'action en vue du recouvrement, est interrompu par tous actes comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous autres actes interruptifs de la prescription. Ces actes comprennent, notamment, les avis de mise en demeure, les avis à tiers détenteur, les actes introductifs d'instance, les reconnaissances de dettes et versements d'acomptes. C'est dans le prolongement de ces principes que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient une nouvelle fois de préciser, dans un arrêt du 31 octobre 2006, la portée de ces dispositions au regard de la solidarité fiscale des dirigeants sociaux (1). Cet arrêt précède ceux du Conseil d'Etat confirmant les effets de la suspension du paiement de l'impôt sur la prescription de l'action en recouvrement (2).
1. La prescription de l'action en recouvrement du Trésor au regard de la solidarité fiscale des dirigeants

Aux termes de l'article L. 267 du LPF (N° Lexbase : L3699HBM), "Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance".

Au visa de cette disposition, la Cour de cassation vient de préciser dans un arrêt rendu le 31 octobre 2006 (Cass. com., 31 octobre 2006, n° 04-15.497, M. Jean-Pierre X c/ Receveur principal des impôts de Montpellier Ouest)., que la suspension ou l'interruption de l'action ouverte à l'encontre du dirigeant sur le fondement de l'article L. 267 du LPF est sans effet sur la prescription de l'action en recouvrement à l'encontre de la société.

En l'espèce, l'acte suspensif consistait en un sursis à statuer que le dirigeant avait obtenu devant le juge judiciaire pour lui permettre de faire trancher une question préjudicielle tenant à l'exigibilité de l'impôt devant le juge administratif.

Pour ce qui concerne l'acte interruptif, il s'agissait du versement par ce même dirigeant au receveur de l'intégralité du prix de vente de parcelles de terre lui appartenant.

Cet arrêt semble revêtir une importance stratégique pour le dirigeant.

En effet, en matière de solidarité fiscale, ces derniers ont souvent intérêt à orienter le débat devant les juridictions administratives. Cette procédure leur permet de continuer à faire courir le délai de prescription de l'action en recouvrement de l'impôt. Ainsi, si le juge administratif tranche la question de l'établissement de l'impôt après l'expiration du délai de prescription de l'action en recouvrement, le dirigeant assigné pourrait opposer cette prescription devant le juge judiciaire afin de contester la solidarité fiscale qu'on entend lui imposer.

Dans une précédente décision, la Cour de cassation semblait implicitement reconnaître ce principe. Ainsi, dans un arrêt en date du 8 juillet 1997 (Cass. com., 8 juillet 1997, n° 95-16.757, Directeur général des impôts et autres c/ époux Marin N° Lexbase : A1926ACC), elle considérait que si le principe de solidarité devait être établi par une décision de justice avant que la dette fiscale de la société ne soit prescrite, il n'était pas nécessaire que cette décision soit définitive.

Dans l'arrêt rendu le 31 octobre 2006, la Cour de cassation rejette la demande du receveur principal des impôts de Montpellier Ouest en estimant que les actes interruptifs ou suspensifs de prescription du dirigeant n'ont aucun effet sur la prescription de l'action engagée à l'encontre du débiteur principal, la société.

L'administration fiscale doit donc s'assurer que le délai de prescription de l'exigibilité de sa créance est suffisant pour engager la responsabilité du dirigeant devant le tribunal de grande instance. Et ce d'autant que ce délai de quatre ans ne semble pas dépasser ceux qui seraient consécutifs à des instances successives engagées devant les juridictions administratives.

Au besoin, elle devra régulariser auprès du débiteur principal (la société) un acte interruptif d'instance avant de délivrer une assignation au dirigeant. Cette hypothèse s'avérait, toutefois, délicate dans la mesure où la responsabilité solidaire des dirigeants intervient en période de liquidation judiciaire.

Les actes interruptifs devraient donc intervenir avant le jugement de clôture des opérations de liquidation.

De son côté, et au visa de cet arrêt du 31 octobre 2006, le dirigeant assigné sur le fondement de l'article L. 267 du LPF semble avoir un intérêt manifeste à soulever la question de l'établissement de la créance fiscale consécutive à sa prétendue responsabilité solidaire devant les juridictions administratives.

2. Les effets de la suspension du paiement de l'impôt sur la prescription de l'action en recouvrement

Aux termes de l'article L. 277 du LPF, alinéa 1 (N° Lexbase : L8537AEW), le contribuable qui conteste le bien-fondé ou le montant des impositions mises à sa charge peut, s'il en a expressément formulé la demande dans sa réclamation et précisé le montant ou les bases du dégrèvement auquel il estime avoir droit, être autorisé à différer le paiement de la partie contestée de ces impositions et des pénalités y afférentes. Le sursis de paiement ne peut être refusé au contribuable que s'il n'a pas constitué auprès du comptable les garanties propres à assurer le recouvrement de la créance du Trésor.

L'alinéa 3 du même article dispose que l'exigibilité de la créance et la prescription de l'action en recouvrement sont suspendues jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise sur la réclamation soit par l'administration, soit par le tribunal compétent.

C'est sur le fondement de cette disposition que le Conseil d'Etat précise dans un arrêt du 6 novembre 2006 (CE 9° et 10° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 262821, M. et Mme Quach Thai Hoa) que le délai de prescription de l'action du contribuable est suspendu à l'égard du comptable mis dans l'impossibilité d'agir à raison du sursis de paiement dont bénéficie le contribuable qui en a fait la demande dans le délai légalement applicable.

En l'espèce, les requérants entendaient se prévaloir d'actes suspensifs d'instance pour opposer la prescription de l'action en recouvrement du Trésor.

Le Conseil d'Etat a rejeté cette argumentation en intégrant la suspension de la prescription consécutive à leur demande de sursis au paiement. Cette jurisprudence est conforme à celle de la Cour de cassation qui, dans un arrêt récent (Cass. com., 31 janvier 2006, n° 03-16.777, FS-P+B N° Lexbase : A6456DM3), considère que le délai de prescription de l'action en recouvrement du comptable public cesse de courir à son encontre à compter de la demande de sursis de paiement, même si celle-ci n'est assortie d'aucune offre de garanties ni suivie d'aucune invitation de sa part à l'intention de l'auteur de la demande de sursis de paiement à constituer ces garanties.

La suspension de la prescription de l'action en recouvrement n'est, toutefois, pas acquise lorsqu'un recours devant le tribunal administratif a été introduit de façon tardive. En effet, les recours entrepris devant le juge de l'impôt suspendent cette prescription.

Toutefois, dans un autre arrêt du 6 novembre 2006 (CE 9° et 10° s-s-r., 6 novembre 2006, n° 287940, M. Cavigneaux), le Conseil d'Etat considère que la requête introduite par le contribuable devant le tribunal administratif ne suspend le délai de prescription, que pour autant qu'elle a été elle-même formée dans le délai fixé par l'article R. 199-1 du LPF (N° Lexbase : L6054AEX), soit de façon générale, dans le délai de deux mois à compter du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation.

Le contribuable a donc tout intérêt à saisir le juge de l'impôt même hors délai.

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Sécurité sociale

[Textes] La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007 (1ère partie)

Réf. : Loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 (N° Lexbase : L8098HT4)

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N7274A9B

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

La loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2007 s'inscrit dans la continuité des réformes engagées ces dernières années en matière de retraite et d'assurance maladie. Elle marque une étape dans le redressement des comptes de la Sécurité sociale. Les comptes de 2006 font apparaître une amélioration de la situation du régime général, dont le déficit passe de 11,6 milliards d'euros en 2005 à 9,7 milliards d'euros en 2006. Ce redressement est essentiellement dû à la résorption du déficit de l'assurance maladie qui, après avoir atteint 11,6 milliards d'euros en 2004 et 8 milliards d'euros en 2005, se réduit à 6 milliards d'euros en 2006. Le déficit de la branche famille se stabilise à 1,3 milliards d'euros, tandis que celui de la branche vieillesse se creuse (2,4 milliards d'euros contre 1,9 milliards d'euros en 2005). La branche des accidents du travail et des maladies professionnelles, après avoir enregistré un déficit de 400 milliards d'euros en 2005, revient à l'équilibre en 2006. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007 poursuit un objectif de réduction du déficit de l'ensemble des branches du régime général à 8 milliards d'euros, soit une nouvelle baisse de près de 2 milliards d'euros par rapport à 2006 (1). Sa réalisation, véritable défi au principe même du financement de la Sécurité sociale, appelle des réponses originales, adaptées et acceptables (2). 1. Situation financière des différentes branches de la Sécurite sociale

Selon les travaux parlementaires, la branche maladie continuera son redressement pour atteindre un déficit de 3,9 milliards d'euros ; la branche famille opérera un redressement significatif de ses comptes, son déficit passant de 1,3 milliards d'euros en 2006 à 0,7 milliards d'euros en 2007. Le déficit de la branche vieillesse devrait atteindre 3,5 milliards d'euros, en raison des départs anticipés pour carrières longues et de l'arrivée à l'âge de la retraite des premières générations du baby boom. La branche accidents du travail / maladies professionnelles sera, quant à elle, excédentaire à 0,1 milliards d'euros.

1.1. Situation financière du régime général

Le solde du régime général en 2005 est déficitaire à hauteur de 11,6 milliards d'euros, contre 11,9 milliards d'euros en 2004. Cette légère diminution couvre des évolutions divergentes des branches. L'assurance maladie voit sa situation s'améliorer significativement. Pour la première fois depuis 1997, l'Ondam est respecté ; grâce à l'apport de recettes décidé par la loi relative à l'assurance maladie (loi n° 2004-810 du 13 aôut 2004, relative à l'assurance maladie N° Lexbase : L0836GT7) et à un net ralentissement de la croissance des prestations, le déficit 2005 atteint 8 milliards d'euros contre 11,6 milliards d'euros en 2004 et 11,3 milliards d'euros en 2003. La situation dégradée des organismes concourant au financement des régimes obligatoires de base a conduit à dégrader, encore, le besoin de financement global de la Sécurité sociale en 2005. La situation consolidée des comptes de la Sécurité sociale s'est encore dégradée en 2005.

Malgré l'amélioration significative et encourageante de la situation du régime général, la situation consolidée des comptes sociaux (tous régimes de base, FSV et FFIPSA) s'est encore dégradée, en 2005, de plus de 16 %. En effet, le besoin de financement consolidé de la Sécurité sociale pour l'exercice 2005 atteint 14,4 milliards d'euros, contre 12,2 milliards d'euros en 2004, selon le rapport présenté à la commission des comptes de la Sécurité sociale de septembre 2006.

Le solde du régime général devrait atteindre un montant négatif de 9,7 milliards d'euros en 2006, contre 11,6 milliards d'euros en 2005. Le déficit du régime général est essentiellement dû à la dégradation du solde de la branche vieillesse qui, estimé par la loi de financement à 1,4 milliards d'euros, atteindrait, finalement, 2,4 milliards d'euros en 2006. Les causes de cette dégradation seraient, d'abord, le changement de comportement des assurés, qui liquident leur pension de manière plus précoce qu'anticipée. De plus, les dépenses relatives aux carrières longues auraient atteint 1,8 milliards d'euros en 2006. Cette mesure, qui a un coût croissant, présente l'avantage de contribuer à lisser le choc financier que va représenter le départ à la retraite des générations issues du baby boom.

L'accélération des recettes conduit à stabiliser le déficit de la branche famille après la forte dégradation de 2005. La branche des accidents du travail et des maladies professionnelles retourne à l'équilibre.

Il faut, en outre, relever que les fonds de financement accumulent les déficits. Le fonds de solidarité vieillesse (FSV) voit sa situation se dégrader considérablement en 2005, puisque son déficit atteint 2 milliards d'euros (contre 0,6 milliards d'euros en 2004). Selon les prévisions du rapport présenté à la commission des comptes de la Sécurité sociale de septembre 2006, le déficit 2006 du FSV devrait atteindre 1,216 milliards d'euros, soit une division par deux par rapport au déficit constaté en 2005. Ce résultat est meilleur que celui prévu par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006 (loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005, de financement de la Sécurité sociale pour 2006 N° Lexbase : L9963HDD).

L'année 2005 est la première année d'existence du Fonds de financement des prestations sociales agricoles (FFIPSA), chargé de financer le régime des exploitants agricoles. Il connaît, dès sa première année d'existence, une situation difficile, puisque son solde 2005 atteint un déficit de 1,4 milliards d'euros. Si l'on excepte la reprise de dette opérée par l'Etat via la loi de finances rectificatives pour 2005 (loi n° 2005-1720 du 30 décembre N° Lexbase : L6430HEU), aucune mesure significative n'est venue modifier en 2006 le rythme de croissance des produits et des charges. En conséquence, les finances du FFIPSA continuent à être dégradées en 2006, passant d'un déficit de 1,4 milliards d'euros à 1,9 milliards d'euros.

1.2. La situation financière de chaque branche

  • Branche maladie

La branche maladie poursuit son redressement : de 16 milliards d'euros de déficit en 2004 à moins de 4 milliards d'euros en 2007. Le solde prévisionnel de la branche maladie, 3,9 milliards d'euros, est le résultat de recettes en légère hausse et de dépenses en augmentation modérée. Il est prévu que les recettes de la branche maladie du régime général, en 2007, atteignent 142,6 milliards d'euros (loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, art. 7). Les recettes perçues en 2006 par la branche maladie ont été fortement influencées par le nouveau régime du calcul des prélèvements sociaux sur les plans d'épargne logement, tel que fixé par l'article 10 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006 (préc.). En 2007, la mesure relative aux prélèvements sociaux sur les PEL s'appliquera uniquement aux PEL qui auront été ouverts 10 ans auparavant. Son rendement sera donc très inférieur à celui de 2006. S'agissant des dépenses, la LFSS pour 2007 propose un taux de progression de l'Ondam ambitieux mais réaliste à 135,1 milliards d'euros pour l'exercice 2005 (loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, art. 1, 4ème).

  • La branche retraite

Le déficit de la branche vieillesse atteint 1,9 milliards d'euros en 2005, le premier depuis 1998. Ce déficit apparaît sous l'effet d'une augmentation forte des charges (+ 7,5 %), que ne compense pas la faible augmentation des produits (+ 4,7 %). Le coût de la mesure relative à la retraite anticipée pour les salariés à carrière longue a représenté 1,35 milliards d'euros en 2005.

Le déficit de la branche retraite atteindrait, en 2007, 3,5 milliards d'euros, contre 2,4 milliards d'euros en 2006, soit une dégradation en valeur absolue de un milliard d'euros et en valeur absolue de 45 % (loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, art. 7). Les charges continuent de progresser (+ 4,9 % en 2007) en raison de l'arrivée à 60 ans des premières générations du baby boom, du comportement des assurés liquidant leurs pensions de plus en plus tôt et de la fin de la montée en charge de la mesure relative à la retraite anticipée (son coût atteindrait 2 milliards d'euros en 2007). Les produits n'augmenteraient que de 3,6 % en 2007.

  • La branche famille

Le déficit de la branche famille s'est creusé en 2005 de 1 milliard d'euros pour atteindre 1,3 milliards d'euros. Il est principalement dû au dynamisme des prestations légales versées à la petite enfance (+ 10 %) et aux dépenses d'action sociale (+ 15,4 %). La branche famille réduit son déficit de moitié en 2007 grâce à une modération des dépenses. Le déficit de la branche famille du régime général s'est stabilisé en 2006 : il devrait diminuer en 2007, passant de 1,3 milliards d'euros en 2006 à 0,7 milliards d'euros en 2007. En 2007, la montée en charge de la Paje serait pratiquement terminée : elle ne concernerait que les enfants de 3 à 6 ans et les masses financières concernées sont beaucoup moins importantes. Les prestations à destination de la petite enfance ralentiraient sensiblement en 2007. Les prestations extra-légales retrouveraient un rythme de croissance plus modéré de + 5,9 %. Quant aux produits de la branche, l'effet positif de l'accélération de la masse salariale serait compensé par la non-reconduction de la mesure relative aux PEL.

  • Branche accidents du travail / maladies professionnelles (AT / MP)

Le résultat de la branche AT / MP s'établirait en 2007 à 156 millions d'euros, contre un déficit de 40 millions d'euros en 2006. Les charges augmenteraient de 3 % et les produits de 4,9 % en raison de l'évolution dynamique de la masse salariale (loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, art. 7). La branche connaît, en 2005, un déficit aggravé de 250 millions d'euros et atteint 438 millions d'euros, dû à la forte croissance des dotations aux fonds amiante (+ 33 %).

2. La question du financement de la Sécurité sociale à l'épreuve de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007

2.1. La compensation

Les dettes de l'Etat sont, en partie, dues au non-remboursement de prestations versées par la Sécurité sociale au nom de l'Etat. Le principe de neutralité des relations financières entre l'Etat et la Sécurité sociale devrait interdire ces dettes. Une autre partie est due à la non-compensation de mesures décidées par l'Etat (exonérations, réductions d'assiette...) et ayant pour conséquence de diminuer les recettes des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale. Le montant des cumulés des dettes de l'Etat au 31 décembre 2005 atteint 4,36 milliards d'euros, soit à titre de comparaison, à peu près le montant du déficit prévu en 2007 pour la branche retraite ou maladie du régime général.

Le principe de compensation a connu plusieurs évolutions législatives :

- La loi n° 94-637 relative à la Sécurité sociale du 25 juillet 1994 (art. 5) (N° Lexbase : L5722DLI). La loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 (dite "loi Veil" : CSS, art. L. 131-7 N° Lexbase : L1575GUU), a posé le principe de la compensation de toute mesure d'exonération (totale ou partielle) de cotisations de sécurité sociale. Mais, cette obligation de compensation est triplement limitée : elle ne concerne pas les exonérations créées avant cette loi, elle se limite aux exonérations et ne concerne pas les autres pertes de recettes. Le principe de compensation revêt une valeur législative : une autre disposition législative expresse peut y déroger. Ainsi, la loi de finances pour 2004 (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004 N° Lexbase : L6348DM3) procède à la suppression de l'avoir fiscal, ce qui entraîne une perte de recettes pour la Sécurité sociale sans que cette diminution soit compensable.

- La loi n° 2004-810 relative à l'assurance maladie du 13 août 2004 (art. 70) (N° Lexbase : L0836GT7). La loi n° 2004-810 du 13 août 2004 étend l'obligation de compensation à toutes les pertes de recettes pour la Sécurité sociale, notamment, à toute réduction d'assiette de cotisations ou contributions. Cependant, une autre loi peut toujours déroger expressément au principe de compensation. Ainsi, le développement des contrats d'avenir prévus par la loi n° 2005-32 de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49) n'a pas fait l'objet de compensation après dérogation législative expresse.

- La loi organique n° 2005-881 relative aux lois de financement de la Sécurité sociale du 2 août 2005 (art. 1er) (N° Lexbase : L5011HGP). La loi n° 2005-881 n'élève pas ce principe de compensation au niveau organique mais apporte une limitation formelle à la multiplication des exonérations non compensées : à compter de la publication de la loi organique, seule une loi de financement de la Sécurité sociale peut déroger à l'obligation de compensation.

Selon les travaux parlementaires, en 2007, le montant des exonérations non compensées va s'accroître de près de 10 %. Le montant des exonérations a connu une forte croissance en 2006 après une relative stabilité en 2005. Le dynamisme des exonérations s'explique aussi par la montée en charge de nouvelles mesures mises en place par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (dont les mesures relatives au développement des services à la personne). Ces mesures nouvelles ne sont pas compensées. La loi de finances pour 2006 (loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 N° Lexbase : L6429HET) a mis en place l'affectation d'un panier de recettes destiné à compenser le montant des allègements généraux de cotisations sociales. Si la compensation à l'euro près est assurée en 2006, le mécanisme prévu pour 2007 prévoit un suivi parlementaire si la compensation tombe en dessous de 98 % (LFSS 2007, art. 17). Le produit 2006 et 2007 du panier de taxes devrait excéder les pertes de recettes afférentes aux deux exercices.

La Cour des comptes avait, dans son Rapport 2006, constaté que la situation en fin d'exercice 2006 faisait apparaître des dérives critiquables : accroissement régulier des dettes de l'Etat du fait d'une insuffisance chronique de dotations budgétaires destinées à financer les prestations versées en son nom ou à compenser les exonérations de cotisations sociales ; confirmation de la tendance à reporter vers des organismes aux ressources insuffisantes ou incertaines les impasses financières liées à l'écart désormais structurel des charges et des produits ; enchevêtrement, au fil des ans, des sources de financement et des situations débitrices de l'Etat, par lequel ce dernier a accru l'opacité du tableau d'ensemble des multiples déficits qu'entraîne l'insuffisance des ressources de la Sécurité sociale.

2.2. Réflexions sur le périmètre ou le contenu des modes de financement

Si l'action sur la maîtrise des dépenses ne peut pas faiblir, les réflexions sur une réforme du financement de la Sécurité sociale restent à engager. L'effort en matière de maîtrise de la dépense est plus que jamais nécessaire, alors même que les perspectives en matière de vieillissement de la population vont resserrer les marges de manoeuvre en la matière. Il reste à engager des pistes de réflexion et de négociation afin d'essayer de définir les contours d'un financement réactualisé de la Sécurité sociale.

  • Elargissement de l'assiette de la cotisation employeur

Le Conseil d'orientation pour l'emploi a retenu trois pistes de réforme : la modulation du barème des cotisations en fonction de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée, la création d'une cotisation patronale généralisée (taxant, notamment, l'épargne salariale) et, enfin, la TVA sociale. Le Conseil d'analyse économique a privilégié les pistes de réforme s'appuyant sur les prélèvements existants, comme l'affectation de points de TVA ou le relèvement de la CSG. Constatant que le financement de la Sécurité sociale était une tendance de fond en Europe, le Centre d'analyse stratégique a estimé, pour sa part, qu'il convenait de progresser encore dans cette voie. Des conditions sont posées au succès d'une réforme en ce sens : engager une action de maîtrise des dépenses, prendre en compte les décisions de nos voisins européens et utiliser une assiette large et connue.

  • Pistes de réforme du financement de la Sécurité sociale

Au moment où notre plus proche partenaire au sein de l'Union européenne, l'Allemagne, réforme considérablement le financement de sa protection sociale en augmentant le taux de sa TVA au 1er janvier 2007, on peut se poser la question de savoir si le statu quo français peut encore se maintenir.

Premièrement, le financement de la Sécurité sociale doit être clarifié. Il y a un impératif de clarification des dispositifs de financement de la Sécurité sociale. Au fil des ans et de la création de dispositifs, le financement de la Sécurité sociale est devenu illisible, ce qui aboutit rapidement à la confusion des responsabilités. La politique d'allègements de cotisations sociales doit faire l'objet d'un réaménagement après évaluation de son effet net sur les créations d'emplois. Le produit des taxes comportementales et environnementales, en raison de leur lien avec l'assurance maladie, doit être intégralement versé à la branche maladie (produit des droits tabac).

Deuxièmement, le financement de la Sécurité sociale doit être équitable. La tendance, à long terme, est de favoriser la fiscalisation accrue du financement de la Sécurité sociale, notamment, grâce à la CSG et la compensation des exonérations de cotisations sociales. Mais, cette fiscalisation pose trois problèmes : la rupture avec l'assiette "historique" du salaire, la remise en cause éventuelle de la légitimité de la gouvernance par les partenaires sociaux et les effets de redistribution que cette évolution entraîne. Le financement de la branche retraite continuera de reposer sur l'assiette salariale. Il importe, également, de distinguer le financement de ce qui relève de la solidarité et de ce qui relève du contributif. Ce qui relève de la solidarité nationale doit relever d'un financement complètement fiscalisé. La réflexion sur le financement de la branche famille pourrait, ainsi, s'engager dans cette voie.

Enfin, troisièmement, l'Etat doit donner l'exemple. Si l'Etat veut initier ou piloter une réforme du financement de la Sécurité sociale, son comportement doit être exemplaire. Il n'est plus acceptable que son taux de cotisation à la branche maladie reste en deçà du taux commun. Le préalable nécessaire à la réforme du financement de la Sécurité sociale devrait être un apurement immédiat et complet de toutes les dettes de l'Etat envers les régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La clause de mobilité limitée à la modification du lieu de travail

Réf. : Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.224, Mme Martine Dramogore, FS-P+B (N° Lexbase : A1103DTZ)

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N7199A9I

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

En ce qui concerne les clauses de mobilité, la Chambre sociale de la Cour de cassation semble, désormais, bien tenir le cap : elles doivent être interprétées strictement. Ainsi, après avoir posé comme condition à leur validité la détermination précise de la zone géographique concernée (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, FS-P+B N° Lexbase : A9457DPX ; lire les obs. de G. Auzero, La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0070AL8), elle restreint, par un arrêt du 20 décembre 2006, le domaine d'application de ce type de clauses en refusant qu'elles puissent permettre de partager le temps de travail d'un salarié entre deux établissements (1). Cette délimitation stricte du champ d'application de la clause de mobilité permet d'exclure un certain nombre d'effets dont les parties n'avaient pas souhaité, au départ, que le contrat soit pourvu (2).

Résumé

La clause de mobilité n'a pas pour objet de permettre à l'employeur de partager le temps de travail d'un salarié entre deux établissements de l'entreprise.

Décision

Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.224, Mme Martine Dramogore, FS-P+B (N° Lexbase : A1103DTZ).

Cassation (CA Amiens, 5ème ch. soc., cabinet B, 6 octobre 2004)

Textes visés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. trav., art. L. 121-1 (N° Lexbase : L5443ACL)

Mots-clés : clause de mobilité ; pouvoir de l'employeur ; partage entre deux lieux de travail ; refus.

Lien bases : .

Faits

1. Une salariée est embauchée en 1994 comme vendeuse par la société Le Bac à Linge au sein de son établissement de Soissons. Le contrat comporte une clause laissant la faculté à l'employeur de muter la salariée dans un autre établissement de l'entreprise. Mais, en 2001, l'employeur exige de la salariée qu'elle partage son temps de travail entre les établissements de Soissons et de Ham. La salariée refusant à plusieurs reprises de s'exécuter, l'employeur décide de la licencier sur le fondement de ce motif.

2. La cour d'appel d'Amiens, saisie de cette affaire, déboute la salariée de ses demandes d'indemnisation pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, au motif que la proposition de l'employeur n'avait pas pour effet de transformer le contrat de travail à temps plein de la salariée en deux contrats à temps partiel, puisqu'elle ne concernait que le lieu de travail. Or, les juges estiment que le lieu de travail n'est pas une condition essentielle du contrat de travail et que sa modification ne tendait qu'à l'application de la clause de mobilité. La salariée se pourvoit en cassation.

Solution

1. Cassation.

2. "La clause de mobilité ne permettait pas à l'employeur d'imposer à la salariée un partage de son temps de travail entre plusieurs établissements".

Commentaire

1. La délimitation stricte du domaine de la clause de mobilité

  • Domaine restreint de la clause de mobilité

On savait déjà que la clause de mobilité devait poser de façon précise la zone géographique dans laquelle elle pouvait être amenée à être mise en oeuvre. Il s'agit, d'ailleurs, là, d'une condition de validité d'une telle clause (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.396, F-P+B N° Lexbase : A4407DQB ; lire nos obs., La précision de la zone géographique de la clause de mobilité : principe et sanction, Lexbase Hebdo n° 227 du 14 septembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N2633AL4). On savait, également, que la Cour de cassation imposait aux juges du fond d'interpréter strictement les clauses de mobilité (Cass. soc., 19 avril 2000, n° 98-41.078, Caisse régionale d'Aquitaine du crédit maritime c/ Mme Maïté Ugarte, inédit N° Lexbase : A9042AGY). Cette rigueur apportée par la Cour de cassation concernant les différents caractères de la clause de mobilité n'est, en l'espèce, pas démentie, puisque la Chambre sociale cantonne le domaine de la clause de mobilité à un champ, lui aussi, très strict.

En effet, dans cette affaire, la clause négociée par les parties au contrat de travail prévoyait que le lieu de travail de la salariée soit fixé à Soissons, mais que celle-ci puisse être mutée dans un autre établissement de l'entreprise par l'employeur. Il s'agit, là, d'une clause de mobilité définie sans ambiguïté.

Rappelons qu'il existe deux types de clauses de mobilité : les clauses de mobilité professionnelle et les clauses de mobilité géographique. Les clauses de mobilité professionnelle permettent à l'employeur de modifier les fonctions du salarié au cours de l'exécution du contrat. Mais, en l'espèce, il s'agissait, bien entendu, d'une clause de mobilité géographique permettant, donc, de modifier le lieu de travail de la salariée au-delà de la simple zone géographique (sur les différences de régime justifiées par l'existence ou l'absence de clause de mobilité, Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-41.880, F-P+B N° Lexbase : A2518DPX ; Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-46.141, F-P+B N° Lexbase : A2537DPN ; v. nos obs. Le rôle des clauses du contrat de travail relatives au lieu de travail, Lexbase Hebdo n° 215 du 18 mai 2006 - édition sociale N° Lexbase : N8429AKE).

La Cour de cassation, interprétant strictement la clause de mobilité, décide donc que, si de telles stipulations peuvent permettre de moduler le lieu de travail, elles ne doivent pas avoir pour objet de faire varier la répartition du temps de travail du salarié.

  • La mobilité limitée à la variation du lieu de travail

La mise en oeuvre par l'employeur de la clause de mobilité aurait eu pour effet, dans cette affaire, de modifier la répartition du temps de travail de la salariée. Or, les juges de la Chambre sociale décident que "la clause de mobilité ne permettait pas à l'employeur d'imposer à la salariée un partage de son temps de travail entre plusieurs établissements" et, par conséquent, que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Autrement dit, la clause de mobilité géographique ne concerne que la modification du lieu de travail. Elle n'a pas pour objet, ni ne peut avoir pour effet, de faire varier d'autres éléments du contrat de travail dont la modification est soumise à l'assentiment du salarié.

La Chambre sociale avait déjà eu l'occasion de se positionner à cet égard en ce qui concerne la rémunération d'un salarié (Cass. soc., 3 mai 2006, n° 04-46.141, F-P+B N° Lexbase : A2537DPN ; et nos obs., Le rôle des clauses du contrat de travail relatives au lieu de travail, préc.). La Cour avait alors évincé l'application d'une clause de mobilité, car sa mise en oeuvre aurait eu pour effet indirect de modifier la structure de la rémunération, une partie de celle-ci devenant provisoire.

L'espèce commentée vient donc ajouter un cas de figure dans lequel la mise en oeuvre d'une clause de mobilité est écartée en raison des effets secondaires qu'elle pourrait engendrer : la clause de mobilité ne peut pas être utilisée afin de modifier la répartition du temps de travail d'une salariée, et ne peut lui imposer de partager son temps entre deux établissements.

Cette limitation du domaine de la clause de mobilité nous paraît tout particulièrement opportune. Les parties ne se sont accordées que sur la faculté de modification unilatérale du lieu de travail et non sur la modification de la structure du temps de travail. Respectueuse de la règle selon laquelle la clause de mobilité doit être interprétée strictement, cette décision est donc, également, fidèle à une certaine idée de sécurité juridique.

On peut aussi penser que la restriction du domaine de la clause de mobilité pourrait être étendue à d'autres hypothèses.

2. Les effets du caractère strict du domaine de la clause de mobilité

  • L'exclusion de toute autre modification

L'hypothèse de la prohibition de la modification de la structure du temps de travail vient s'ajouter à celle de la modification de la structure de la rémunération. Il n'est guère besoin de trop d'imagination pour envisager que la prohibition puisse s'étendre à toute modification autre que celle du lieu de travail.

En réalité, il faudrait probablement distinguer selon qu'il s'agisse de modifications que l'employeur peut opérer unilatéralement et d'autres pour lesquelles il doit recueillir l'accord du salarié. Ainsi, selon la distinction classique (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ Groupe des assurances nationales (Gan), publié N° Lexbase : A2054AAC), la mise en oeuvre de la clause de mobilité pourrait avoir pour effet de changer les conditions de travail du salarié mais, en aucun cas, de lui imposer une modification de son contrat de travail.

Les faits de l'espèce permettaient probablement de se satisfaire de la solution sans trop d'états d'âme, puisque le partage du temps de travail s'opérait entre deux lieux distants d'une soixantaine de kilomètres. Mais, la solution aurait-elle été aussi satisfaisante si l'on s'était trouvé dans une hypothèse de partage du temps de travail entre deux établissements géographiquement proches, par exemple situés dans la même agglomération ? Sur le plan juridique, la réponse ne pose pas trop de difficultés ; il s'agirait d'une modification unilatérale de la répartition du temps de travail, peu important la distance séparant les deux établissements. En revanche, sur le plan de l'opportunité, on comprend moins quelle atteinte serait alors portée au salarié, justifiant un refus d'une telle modification.

Enfin, on peut s'interroger sur d'autres effets indirects de la mise en oeuvre de la clause de mobilité. On sait, ainsi, que l'usage d'une clause de mobilité à des fins disciplinaires n'est, pour l'instant, pas prohibé par la Cour de cassation (Cass. soc., 11 juillet 2001, n° 99-41.574, Société Franfinance c/ M. Thierry Barrande, publié N° Lexbase : A5096AGT), malgré l'hostilité de certains auteurs (v. les propos de J.- E. Ray cités par Ch. Figerou, L'actualité de la mobilité géographique des salariés, Lexbase Hebdo n° 168 du 19 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4333AIC). La mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire de l'employeur relevant de son pouvoir de direction, comme sa faculté d'opérer un changement des conditions de travail du salarié, on peut penser que l'utilisation d'une clause de mobilité à des fins disciplinaires soit justifiée. Il ne faut, cependant, pas trop vite oublier la volonté de la Cour de cassation d'interpréter strictement les différentes clauses de variation, y compris la clause de mobilité. Des éclaircissements de la part de la Chambre sociale, sur ce point, sont à souhaiter pour l'année qui commence.

  • L'hypothèse de la multiplication des clauses de variation

Il reste toujours possible aux parties de prévoir, dès le départ, que la clause de mobilité ne sera pas la seule clause de variation comportée par le contrat de travail. A l'instar des clauses de variation de la rémunération, on peut, ainsi, tout à fait envisager que le contrat de travail comporte une clause de variation du temps de travail ou, plus exactement, une clause de variation de la répartition du temps de travail. Bien entendu, il faudra alors que de telles clauses, limitant les libertés individuelles du salarié, soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (C. trav., art. L. 120-2 N° Lexbase : L5441ACI).

On peut, tout de même, s'interroger sur ce phénomène de multiplication des clauses dites de variation. Clause de mobilité, clause de variation de la rémunération, clause permettant la modulation du temps de travail ou de sa répartition... Ces différentes stipulations permettent aux parties de contourner le système élaboré autour de la distinction entre changement des conditions de travail et modification du contrat de travail. Bien entendu, cette mécanique étant d'origine prétorienne, elle n'est pas d'ordre public et les parties peuvent donc s'en affranchir, conformément au principe de la liberté contractuelle. Pourtant, on sait que trop souvent les contrats de travail ne sont pas véritablement négociés et, dans ce cas, on a le désagréable sentiment que ces clauses, introduites autoritairement, permettent de contourner la règle de droit. Cela explique probablement en partie pourquoi la Cour de cassation se montre si stricte dans l'interprétation de telles clauses, comme elle le fait en l'espèce avec la clause de mobilité.

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Sociétés

[Jurisprudence] Fusion absorption d'une SA par une SAS : l'unanimité est, désormais, requise pour ce type d'opération

Réf. : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-17.802, M. Manuel Cassado, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9944DS4)

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Le 07 Octobre 2010

S'il est un domaine du droit des sociétés dans lequel le législateur a su demeurer d'un laconisme digne des premiers rédacteurs du Code civil, c'est bien celui de la société par actions simplifiées (SAS) dont le statut, en 1999, a été esquissé en quelques traits, au fil -mince comme celui d'Ariane- des articles L. 227-1 (N° Lexbase : L6156AIT) à L. 227-20 du Code de commerce.
Sans doute ces textes se sont-ils avérés insuffisants, mais à de rares occasions (1), et les interventions pour en combler les lacunes ont été très mesurées. Le législateur s'en est tenu, avec sagesse, à conserver la vocation première d'une société qu'un auteur, à une époque, a pu qualifier de SAS "pour tous" (2) : proposer aux entreprises une forme sociale dont le caractère contractuel est particulièrement affirmé. Point n'est besoin, en effet, de réglementation pointilleuse lorsque, par définition, le fonctionnement de la société est tout entier abandonné à la volonté des parties.
La liberté, toutefois, est, en droit comme en toute chose, source d'insécurité. Insécurité pour les tiers mais, également parfois, pour les parties et les détenteurs de titres. L'arrêt que vient de rendre la Chambre commerciale de la Cour de cassation est symptomatique, à cet égard, de la nécessité pour le juge d'adopter une interprétation des textes qui protège l'actionnaire ou l'associé. En l'espèce, la question se posait de savoir si les dispositions de l'article L. 227-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6158AIW), qui établissent que la décision de transformation d'une société en SAS doit être prise à l'unanimité des associés, sont applicables en cas de fusion-absorption.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, en cassant l'arrêt d'appel qui avait refusé d'imposer l'unanimité, vient donner une interprétation qui ne se limite pas à la lettre du texte (I). Elle s'appuie, en revanche, -au prix d'une lecture extensive- sur l'économie de la loi qui a instauré la SAS pour décider que l'unanimité est, également, requise pour ce type d'opération. Cette solution ouvre, ainsi, de nouvelles perspectives quant aux exigences du passage, sous quelque forme que ce soit, du régime des autres sociétés à celui de la SAS (II).

I - L'interprétation littérale des textes remise en question devant la Cour de cassation

Le point de départ de l'affaire naît d'une contestation par des minoritaires (A) de la décision d'une assemblée d'une société anonyme (SA) d'autoriser sa fusion-absorption par une SAS. En l'espèce, c'est la notion de transformation qui était ici en jeu, son interprétation conditionnant la solution à adopter quant à la majorité requise pour décider de l'opération (B).

A - Une fusion-absorption contestée par des minoritaires

La société Cofradim (Cofradim) est une société anonyme dont le capital est partagé entre un associé majoritaire et 6 autres associés minoritaires, au rang desquels figure une personne morale. Cofradim, disposant d'une trésorerie importante, consent des avances financières à l'une de ses filiales, la société Cofradim résidence, constituée sous forme de SAS. Le 10 octobre 2001, deux assemblées générales extraordinaires de la société Cofradim et de la filiale précitée décident de l'absorption de la SA par la SAS. Deux des actionnaires minoritaires de la SA demandent, alors, l'annulation de la délibération de son assemblée générale extraordinaire et poursuivent l'associé majoritaire ainsi que la SAS.

L'arrêt de cassation ne rapporte que les motifs de la cour d'appel, cette dernière ayant débouté les minoritaires de leur demande. Les juges du fond ont adopté, à cette occasion, un raisonnement en trois temps. Selon eux, d'abord, une absorption n'emporte pas transformation de la société absorbée qui se trouve, au contraire, dissoute dès la décision de fusion. La cour ajoute, ensuite, "qu'une telle opération revient à faire passer les actionnaires (minoritaires) d'une société anonyme [...] à une société par actions simplifiée sans leur consentement [et] n'est pas de nature à rendre applicables les dispositions de l'article L. 227-3 du Code de commerce". Enfin, les juges du fond s'appuient sur l'argumentation suivante : l'exigence de l'unanimité n'était pas prévue en matière de fusion par le texte auquel se réfèrent les appelants (l'article L. 227-3 du Code de commerce), et cette exigence ne pouvait être imposée sans ajouter "au pacte social de l'absorbée une condition supplémentaire".

Les motifs d'appel reposent, ainsi, sur une interprétation littérale de l'article précité : l'unanimité semble y être décrite -mais sur ce point la relation de la motivation d'appel n'est pas limpide- comme une mesure exceptionnelle. Les exceptions étant d'interprétation stricte, la solution de l'unanimité n'aurait pu être étendue, en l'espèce, aux situations non expressément visées par le texte.

Cette motivation va être fermement rejetée par la Cour de cassation aux termes d'un considérant de principe particulièrement clair qu'il semble utile de rapporter, le juge du droit semblant devoir en faire une sujétion de droit positif : "Vu l'article L. 227-3 du Code de commerce ; Attendu qu'aux termes de ce texte, la décision de transformation d'une société en société par actions simplifiée est prise à l'unanimité des associés, qu'il en est de même en cas de fusion-absorption d'une société par une société par actions simplifiée".

La cause semble, désormais, entendue : c'est sur ce fondement que se trouve cassée la décision d'appel, en vertu d'une interprétation fondée sur l'esprit du texte, substituée à celle, purement littérale, qu'avaient adoptée les juges du fond.

B - L'interprétation de l'article L. 227-3 du Code de commerce dans un contexte de fusion

On ne saurait, en l'espèce, bien que la Cour de cassation doive être approuvée sans réserve, ignorer les fondements du raisonnement de la cour d'appel. En effet, cette dernière se trouvait confrontée à l'interprétation conjointe de textes, et ce rapprochement semble l'avoir conduit à porter une appréciation trop stricte de la portée de l'article L. 227-3.

D'une part, les juges du fond se livrent à une analyse de la nature de l'opération de fusion en rappelant les dispositions constantes en la matière. Celles-ci reposent sur l'article L. 236-3, I, du Code de commerce (N° Lexbase : L6353AI7), qui dispose que la fusion entraîne la dissolution de la société absorbée. Il ne pourrait, d'ailleurs, en être autrement, puisque la logique de l'opération est d'opérer une transmission universelle du patrimoine de l'absorbée vers la société absorbante, mécanisme qui ne saurait être mis en oeuvre si cette dernière disposait encore de la personnalité juridique. Ainsi, fusion n'est pas transformation car la transformation d'une société n'entraîne pas la disparition de la personnalité juridique. L'article L. 210-6, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L5793AIE) en atteste, qui dispose qu'elle n'entraîne pas création d'un être moral nouveau mais constitue une simple modification des statuts.

D'autre part, tirant les conséquences de cette différence de nature, les juges d'appel opèrent une analyse des dispositions de l'article L. 227-3 qui établit que "la décision de transformation en société par actions simplifiée est prise à l'unanimité des associés". A l'évidence, le texte ne vise explicitement que la transformation et non la fusion ce qui conduit, toujours dans le cadre d'une interprétation restrictive, à rejeter le principe de l'unanimité.

Or, et ce point a déjà été souligné, la Cour de cassation ne s'en tient pas à cette interprétation rigoriste, frappée du sceau de l'orthodoxie jurisprudentielle. Pour le juge du droit, la règle de l'unanimité s'applique à la fusion comme à la transformation, la notion de transformation étant ainsi prise dans le sens d'une soumission future des actifs de l'ancienne société au régime de la SAS.

Cette analyse n'aura, naturellement, pu être obtenue qu'au prix d'un léger artifice : la dissimulation sous un voile pudique des dispositions, largement développées par la cour d'appel, de l'article L. 236-3, I, du Code de commerce. Dans cette affaire, tout est ainsi question de perspective. Se placer, d'emblée, sous l'égide de la nature légale de la fusion exclut toute assimilation de celle-ci à une transformation. Analyser, en revanche, l'opération dans l'absolu et surtout en fonction de règles relatives à la SAS, c'est prendre en considération un autre paramètre : la règle de l'unanimité a été conçue dans un objectif de protection de l'actionnaire ou de l'associé de la société qui est destinée à devenir une SAS. La transformation, telle qu'exprimée dans l'article L. 227-3 du Code de commerce, s'entendra désormais ainsi : nul ne peut être contraint, à l'occasion d'une fusion-absorption à être "l'associé" (selon les termes mêmes du législateur) d'une SAS sans l'avoir voulu.

II - De nouvelles exigences liées à l'interprétation de la notion de transformation en SAS

Indiscutablement, le raisonnement de la Cour de cassation obéit à une logique de protection (A) et cette logique invite à s'interroger sur la portée de l'arrêt ainsi qu'à l'extension éventuelle de cette solution à d'autres opérations que la fusion-absorption (B).

A - La transformation appréciée selon une logique de protection

A rechercher la source de la motivation du juge du droit, le renvoi au droit commun permet d'illustrer la volonté du législateur d'atténuer les conséquences de la loi de la majorité, composante du régime institutionnel qui gouverne le fonctionnement des personnes morales. C'est, en effet, dans le Code civil qu'on peut rechercher les prémisses lointaines de l'interprétation de la Cour de cassation, et, plus précisément, dans les dispositions de son article 1836, alinéa 2, (N° Lexbase : L2007ABX), qui dispose qu'aucune décision augmentant les engagements des associés ne peut être prise sans leur consentement. Cette règle qui, ratione matierae, s'applique également aux actionnaires n'est, toutefois, pas exactement applicable au cas d'espèce car la transformation d'une société en SAS n'entraîne pas d'augmentation des engagements au sens qui est communément attaché à la règle du Code civil. Pour autant, la transformation peut indiscutablement conduire à une modification des engagements telle, que, quelle que soit la forme initiale de la société transformée, le degré de protection dont disposaient auparavant les actionnaires ou les associés est susceptible de se trouver amoindri.

Ainsi, le passage de société à responsabilité illimitée à la SAS -telle la société en nom collectif (SNC) ou les formes de société relevant du même régime- emporte une amélioration du sort des associés quant à leur responsabilité. En revanche, la SAS n'est pas, comme la SNC, une société fermée. Son capital est représenté par des actions qui sont, en principe, librement négociables et, même si des clauses d'agrément viennent limiter la libre transmissibilité de ces titres de capital, ces limitations ne sont pas la résultante de la mise en oeuvre d'un ordre public sociétaire, a priori exclu du régime de la SAS qui fonctionne, plus que tout autre forme, sur une base contractuelle. Dès lors, le pouvoir des anciens associés risque, en théorie, de se trouver amoindri.

La même remarque s'impose pour la société à responsabilité limitée, société dont la nature fermée s'est accrue depuis l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 (ordonnance portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises N° Lexbase : L4315DPI) qui n'en fait plus une société partiellement vouée à permettre une évolution vers la forme de SA. En toute hypothèse, les sociétés précitées (comme les variantes mineures qui leur sont rattachées), rencontrent, dans l'hypothèse d'une transformation en SAS, le problème de l'incertitude concernant l'évolution statutaire. Ce dernier point justifie, ainsi, l'acceptation de tous, en toute connaissance de cause, des risques susceptibles de naître de la souplesse des nouveaux statuts.

S'agissant des sociétés par actions, les problèmes soulevés sont d'une autre nature. En effet, l'évolution du droit des sociétés a été caractérisée, ces dernières années, par un renforcement constant des mécanismes de gouvernance. Ces derniers visent à permettre à l'actionnaire d'opérer un contrôle efficace (a priori ou a posteriori) de l'activité des dirigeants et du comportement des détenteurs significatifs du capital social. Or, la transformation d'une SA en SAS -l'affirmation, il faut le reconnaître, est moins évidente pour les autres sociétés par actions- aboutit à faire baisser l'intensité du contrôle interne. Ainsi, les règles sur le cumul des mandats, l'information des rémunérations, celles qui concernent les conventions réglementées et, plus largement, l'ensemble des règles relatives à la gouvernance, sont largement atténuées, voire parfois même supprimées dans le cadre d'une SAS. Par ailleurs, la transformation en SAS prive les actionnaires de la possibilité de lever des capitaux sur les marchés financiers puisque, aux termes de l'article L. 227-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6157AIU), ce type de société ne peut faire publiquement appel à l'épargne.

Cette dernière disposition marquant la prudence du législateur face au risque lié au fort degré d'opacité qui caractérise la SAS, l'on comprend que les règles relatives à la transformation renvoient à l'adoption d'un mécanisme exceptionnellement rigoureux pour protéger actionnaires et associés.

B - Des perspectives nouvelles quant à l'exigence de l'unanimité

Comment apprécier les nouvelles exigences quant à la règle d'unanimité sur le fondement de l'espèce commentée ? Plus précisément, l'économie de la loi instituant la SAS l'emporte-t-elle sur l'interprétation littérale des textes ? Sur ce point, la doctrine avait déjà eu à prendre position à propos de "l'intensité du régime spécial auquel obéit la SAS" (3). Ainsi, sur la question de savoir si certaines dispositions relatives aux actions de préférence lui étaient applicables et, notamment, celles des articles L. 225-122 (N° Lexbase : L5993AIS) et L. 225-125 (N° Lexbase : L1417HIC) du Code de commerce sur la proportionnalité et le plafonnement des droits de vote dans les assemblées des SA, des auteurs ont conclu (4) que le régime de la SAS ne pouvait "être remis en cause par un texte général postérieur sur les valeurs mobilières qui ne [revenait] pas sur ce régime spécial et en contredit l'esprit" (5).

Il apparaît, de la sorte, que le régime en question, selon ces auteurs, est affecté d'une telle autonomie que les règles générales du droit des sociétés ne peuvent l'affecter que dans la mesure où ces dernières ne portent pas atteinte au principe de liberté contractuelle qui gouverne ses statuts. A moins que les dispositions générales ne visent expressément la SAS.

L'arrêt de la Chambre commerciale du 19 décembre 2006 vient confirmer cette position. En écartant, s'agissant des textes relatifs à la transformation, une interprétation fondée sur un autre texte régissant le droit commun des sociétés (l'article L. 236-3, I, du Code de commerce), la Cour de cassation confirme l'autonomie du régime de la SAS. Ce faisant, elle ouvre la voie, semble-t-il, à d'autres perspectives.

En effet, dans l'espèce examinée, l'analyse de la solution arrêtée permet de conclure que la soumission d'actifs d'une société au régime de la SAS, par suite d'une fusion absorption, devait être acceptée par chacun des actionnaires ou associés. C'est, de la sorte, le risque lié à la nature particulière du nouveau régime applicable qui commande la rigueur de cette mesure. Même si l'opération envisagée n'est pas une transformation, elle peut avoir des effets comparables pour les titulaires de titres de capital. On peut raisonnablement en conclure que c'est la mise en oeuvre du régime qui se trouve sanctionné par la règle de l'unanimité, et non des considérations sur la nature de la mutation de la forme sociale.

Partant, toutes les mutations majeures aboutissant à adopter la forme d'une SAS risquent à l'avenir d'être visées et, ce, quelle que soit la forme de restructuration choisie.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Modification de l'article L. 227-1 du Code de commerce par l'article 101 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ), s'agissant de la représentation de la société par le président de la SAS. La loi NRE, ainsi que la loi de sécurité financière du 1er août 2003 (loi n° 2003-706 N° Lexbase : L3556BLB) ont également modifié d'autres articles, mais uniquement pour les adapter aux réformes de fond visant au renforcement de la gouvernance.
(2) P. Le Cannu, La société par actions simplifiée pour tous, Defrénois, 2000, p. 135 et s..
(3) A. Charveriat, A. Couret, B. Mercadal, Mémento pratique Sociétés commerciales, Francis Lefèbvre, 2006, n° 14 901.
(4) Contra : G. de Ternay, SAS et actions de préférence : modus operandi.
(5) A. Charveriat, A. Couret, B. Mercadal, op. cit., loc. cit..

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Bancaire

[Jurisprudence] Du caractère exprès du consentement exigé par l'article 1415 du Code civil

Réf. : Cass. civ. 1, 28 novembre 2006, n° 04-19.725, M. Patrick Goalic, F-P+B (N° Lexbase : A7715DSK)

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N7238A9X

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Le 07 Octobre 2010

L'article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU), aux termes duquel "chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres", continue d'alimenter le contentieux. Dans le contexte d'une jurisprudence déjà bien fournie en la matière, et en venant encore préciser les conditions auxquelles doit satisfaire le banquier souhaitant poursuivre le paiement de sa créance sur les biens communs, l'arrêt du 28 novembre 2006 de la première chambre civile de la Cour de cassation retiendra certainement l'attention. Condamnée, désormais, à mieux formaliser le consentement du conjoint, la pratique bancaire ne devrait en tous cas pas y être insensible.

En l'espèce, une banque consent un prêt en faisant signer l'acte au seul conjoint emprunteur, après avoir fait remplir et signer à son épouse une "fiche de renseignements" mentionnant l'état civil, les revenus et le patrimoine des deux époux. A la suite de la défaillance de l'emprunteur, le prêteur est autorisé à prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur un immeuble commun. Les époux réclament alors la mainlevée, mais leur demande est rejetée par les juges du fond qui estiment qu'en signant une fiche de renseignements l'épouse a manifesté, sinon son acceptation personnelle du prêt, du moins son consentement à la souscription de celui-ci par son mari.

Les juges du second degré sont, cependant, censurés par les juges de cassation. Plus exactement, pour s'être abstenus de "caractériser en quoi la signature de cette fiche de renseignements par [l'épouse] démontrait son consentement exprès à l'emprunt souscrit par son mari envers le prêteur". En d'autres termes, une fiche de renseignements ne saurait caractériser le consentement exprès exigé par l'article 1415 du Code civil.

Par cet arrêt, la première chambre civile s'inscrit dans la droite ligne d'une jurisprudence déjà bien déterminée à protéger la communauté. On pense, notamment, à celle décidant qu'une "parfaite connaissance des opérations effectuées" par le conjoint ne peut valoir consentement exprès (1) . Ou encore, à celle retenant que les époux communs en biens qui se portent cautions solidaires par actes séparés en garantie d'une même dette, n'engagent valablement leurs biens communs qu'en cas d'approbation de tels actes (2). C'est sans doute aussi par souci de protection que la jurisprudence a parfois une lecture extensive de l'article 1415. En décidant d'abord qu'il devait s'appliquer à l'aval d'un billet à ordre (3). Puis, plus récemment, qu'il était "applicable à la garantie à première demande qui, comme le cautionnement, est une sûreté personnelle, laquelle [...] est [...] de nature à appauvrir le patrimoine de la communauté" (4).

La conséquence pour la banque est importante, car, à défaut de consentement exprès du conjoint à l'engagement de caution de l'autre, le banquier ne pourra pas prendre d'inscription hypothécaire sur un immeuble commun aux deux époux au moment de l'engagement du mari (5).

Cela étant, le domaine d'application de l'article 1415 n'est pas sans limite. En visant un cautionnement ou un emprunt, le texte ne concerne que les engagements personnels. La jurisprudence d'abord hésitante (6), a ainsi, depuis un arrêt de la chambre mixte, finalement décidé "qu'une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel et n'est pas un cautionnement, lequel ne se présume pas" : le cautionnement réel n'entre donc plus dans le champ d'application de l'article 1415 du Code civil (7). Ce dernier n'est conséquemment pas applicable au nantissement de titres (8), ni au nantissement de contrat d'assurance-vie (9). La gêne pour le conjoint est, cependant, assez relative depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (10) disposant que les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, affecter l'un des biens de la communauté à "la garantie de la dette d'un tiers" (11).

La jurisprudence a, également, été amenée à préciser que l'article 1415 du Code civil n'était pas applicable à l'époux qui ne s'est pas engagé en qualité de caution, mais uniquement comme associé d'une société en nom collectif (12). Le contrat de société civile, qui fait naître à la charge de l'associé une obligation subsidiaire de répondre indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital, ne saurait davantage être assimilé à un acte de cautionnement (13).

Evidemment, lorsque la protection est inutile, parce que le consentement du conjoint ne peut être surpris, l'article 1415 du Code civil n'a plus lieu de s'appliquer. C'est le cas lorsque chacun des époux se constitue caution, pour la garantie d'une même dette, en apposant une mention identique sur chaque acte de prêt consenti à la société qu'ils dirigent tous les deux (14). L'article 1415 du Code civil s'efface, en effet, devant l'article 1413 (N° Lexbase : L1544ABS) permettant de poursuivre sur les biens communs les dettes dont chaque époux est tenu (15).

L'arrêt du 28 novembre 2006 vient, ici, sanctionner le banquier pour avoir sollicité le conjoint sous une forme équivoque. Mais le formalisme de l'article 1415 qu'il sous-tend ne doit pas pour autant être exagérément entendu. Il ne fait que rappeler l'exigence légale du caractère exprès du consentement. La question s'est d'ailleurs déjà posée de savoir sous quelle forme ce consentement devait être donné. Notamment, si une forme manuscrite était exigée. A la suite de la doctrine (16), et des juges du fond (17), la cour de cassation a décidé que "le consentement donné par un époux au cautionnement contracté par son conjoint n'est pas soumis aux exigences [de l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT)]" (18). La forme manuscrite n'est donc pas légalement exigée. Pour les mêmes raisons, l'article 1415 n'est pas susceptible de justifier l'application de l'article 1326 lorsque le conjoint s'engage par un emprunt. Une formule du type "bon pour accord" (19), "bon pour consentement aux engagements ci-dessus" (20), ou toute autre rédaction équivalente est suffisante pour répondre à la seule condition posée d'un consentement exprès. L'habitude de certaines banques, de recueillir encore le consentement manuscrit du conjoint, sur le modèle de l'article 1326 du Code civil, n'est donc pas fondée.

On rappellera qu'en cas de doute, et suivant l'adage "qui vend le pot, vend le mot", l'interprétation doit jouer en faveur du conjoint, c'est-à-dire contre le professionnel du crédit. Dans une espèce où la formulation employée pouvait aussi bien s'entendre d'un engagement en qualité de co-emprunteur, que d'un consentement conjoint au titre de l'article 1415 du Code civil, le banquier ne fut, ainsi, pas admis à prendre une inscription sur les biens propres du conjoint. Pour les Hauts magistrats, l'indication manuscrite du montant du prêt pouvait s'interpréter comme la limite dans laquelle pouvaient s'exercer les poursuites éventuelles sur les biens communs (21). La seule ambiguïté de la formule ne peut d'ailleurs caractériser la faute du client ; le banquier, "professionnel du crédit, ne [pouvant] reprocher à un non professionnel de n'avoir pas spontanément fait précéder sa signature de la mention 'bon pour accord en qualité d'épouse commune en biens dans les termes de l'article 1415 du Code civil' ou [d'] une formule équivalente" (22).

En mettant un terme à l'intervention équivoque d'un époux, dont le consentement n'est pas clairement sollicité ni établi, la solution posée par l'arrêt du 28 novembre 2006 est à approuver. Elle rétablit le caractère protecteur d'une disposition conçue pour préserver la communauté, et par voie de conséquence, le conjoint de celui qui s'engage. Notamment, en lui permettant de prendre véritablement conscience du risque que fait peser sur les biens communs, les engagements personnels pris par son conjoint. On peut comprendre dès lors qu'une fiche de renseignements ne puisse manifester cela ; ni la connaissance de l'engagement, ni son approbation tacite ne pouvant sérieusement répondre à l'exigence posée d'un consentement exprès.

Richard Routier
Agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 17 février 1998, n° 96-12.763, Bignon c/ Société Arcofinance (N° Lexbase : A2224ACD), Bull. civ. I, n° 63 ; Gaz. Pal. 1999, 1. Somm. p. 122, obs. S. Piedelièvre ; RTD civ. 1998, p. 659, obs. J. Hauser et p. 967, obs. B. Vareille.
(2) Cass. civ. 1, 8 mars 2005, n° 01-12.734, Epoux X c/ Banque générale du commerce (N° Lexbase : A2439DHS), Bull. civ. I, n° 115.
(3) Cass. com., 4 février 1997, n° 94-19.908, Epoux Gransart c/ Société générale (N° Lexbase : A1547ACB), Bull. civ. IV, n° 39. F. Jacob et N. Rontchevsky, L'application de l'article 1415 du Code civil aux garanties, Mélanges AEDBF III, éd. Banque 2001, p. 197.
(4) Cass. civ. 1, 20 juin 2006, n° 04-11.037, Société Socopa International Socinter c/ Epoux Weinstein et a., FS-P+B+I (N° Lexbase : A9601DPB), et les obs. de Géraud Mégret, L'article 1415 du Code civil est applicable à la garantie autonome, Lexbase Hebdo n° 224 du 20 juillet 2006 - édition affaires ; RJPF, sept 2006, p. 19 obs. F. Vauville ; JCP éd. G, 2006, II 10141, note S. Piedelièvre ; Dr. Famille, septembre 2006, comm. n° 168, obs. B. Beigner ; LPA 29 août 2006, p. 10, note S. Prigent ; Bull. Joly Sociétés 2006, p. 1389, note H. Lécuyer.
(5) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-12.180, Y c/ Banque Scalbert Dupont (N° Lexbase : A7411DL3), Bull. civ. I, n° 427 ; Defrénois 2006, p. 514, obs. S. Piedelièvre.
(6) Cass. civ. 1, 11 avril 1995, n° 93-13.629, Brown c/ Banque Scalbert-Dupont (N° Lexbase : A4961ACQ), Bull. civ. I, n° 165, Defrénois 1995, 36214, n° 10, obs. crit. G. Champenois ; Dr et patr. n° 81, avril 2000, p. 34, note Y. Picod. Cass. civ. 1, 15 mai 2002, n° 00-15.298, BNP Paribas c/ Abihssira, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6550AYA) Bull. civ. I n° 127, et n° 00-13.527, BNP Paribas c/ Deliry, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6550AYA), Bull. civ. I n° 128 ; D. 2002, Jur. p. 1780, note C. Barberot et somm. p. 3337, note L. Aynès ; RTD civ. 2002, p. 546, note P. Crocq ; RJPF septembre 2002, n° 9, p. 13, note F. Vauville ; JCP éd. G, 2002, p. 1299 concl. C. Petit, et éd. N, 2002, p. 1737, note S. Piedelievre ; Defrénois 2002, 37611, n° 83, obs. G. Champenois, 37604, chr. J. François, et 37691, n° 23, obs. P. Théry ; RTD civ. 2002, p. 46, note P. Crocq ; Banque et droit n° 86, novembre-décembre 2002, obs. F. Jacob. J. Devèze, L'article 1415 du Code civil et le cautionnement réel, Bull. Joly Sociétés 2002, p. 871.
(7) Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18.210, Boudaud c/ BNP Paribas (N° Lexbase : A9389DLC), Bull. mixte, n° 7 ; D. 2006, jur. p. 733, note L. Aynès ; Dr. Famille, 2005-02, n° 2, études, 13, p. 10, obs. B. Beignier.
(8) Cass. mixte, 2 décembre 2005, préc.
(9) Cass. civ. 1, 28 février 2006, n° 02-10.602, X c/ Caisse de Crédit mutuel océan (N° Lexbase : A4048DNA), Bull. civ. I, n° 102.
(10) Ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés (N° Lexbase : L8127HHH), art. 50 II.
(11) C. civ., art. 1422, al. 2 nouv. (N° Lexbase : L1370HIL).
(12) Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 03-11.461, Epoux X c/ Banque de l'économie, du commerce et de la monétique (N° Lexbase : A3951DMB), Bull. civ. I, n° 14.
(13) Cass. civ. 1, 17 janvier 2006, n° 02-16.595, Crédit industriel et commercial c/ Epoux X (N° Lexbase : A3942DMX), Bull. civ. I, n° 15.
(14) Cass. civ. 1, 13 octobre 1999, n° 96-19.126, Epoux Bernard c/ CRCAM du Finistère (N° Lexbase : A3807AUK), Bull. civ. I, n° 273, JCP éd. G, 2000, p. 866, et éd. E, 2000, p. 1137, note J. Casey ; Contrats, conc. consom. 2000, n° 2, p. 8, note L. Leveneur ; Defrénois, 2000, n° 12, p. 784, note G. Champenois.
(15) R. Cabrillac, L'emprunt ou le cautionnement dans le passif de la communauté légale, Dr. et patr., mai 2003, p. 72.
(16) C. Mouly, La mention manuscrite du conjoint, JCP éd. G 1995, I, 3836.
(17) TGI Lyon, JEX, 7 novembre 1995, Epoux Perez c/ Banque Populaire de Lyon, D. 1996. p. 270, note J. Prévault ; JCP éd. N, 1996, II. 1769, note S. Piedelièvre.
(18) Cass. civ. 1, 13 novembre 1996, n° 94-12.304, Crédit industriel et commercial de Paris c/ Boulay (N° Lexbase : A9676ABY), Bull. civ. I, n° 392; Contrats conc. consom. 1997, n° 41, p. 6, note L. Leveneur ; D. 1997. Somm. p. 163, 1ère esp., obs. L. Aynès ; D. 1998. Somm. p. 135, obs. V. Brémond ; JCP éd. N, 1997, p. 1081, note L. Leveneur et 1998, p. 813, obs. R. Le Guidec ; Defrénois 1997, p. 812, obs. G. Champenois ; RTD civ. 1997, p. 729, obs. B. Vareille.
(19) Cass. civ. 1, 13 novembre 1996, n° 94-12.304, préc.
(20) Cass. civ. 1, 4 juin 1996, n° 93-13.870, X c/ Crédit lyonnais (N° Lexbase : A9352ABY), Bull. civ. I, n° 235.
(21) Cass. civ. 1, 12 octobre 1999, n° 97-15.687, CRCAM de l'Oise c/ Formey de Saint-Louvent (N° Lexbase : A1670CSN).
(22) Cass. civ. 1, 12 octobre 1999, n° 97-15.687, préc.

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Surendettement

[Jurisprudence] La bonne et la mauvaise foi dans la mise en oeuvre des mesures de traitement du surendettement des particuliers

Réf. : Cass. civ. 2, 14 décembre 2006, n° 05-04.051, Mme Hélène Cibrario, FS-P+B (N° Lexbase : A9014DSN)

Lecture: 4 min

N7260A9R

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Le 07 Octobre 2010

Avec la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1010 N° Lexbase : L2053A4S), l'endettement excessif des particuliers faisait, pour la première fois dans notre système juridique, l'objet de mesures spécifiques de traitement, mesures insérées, par la loi du 26 juillet 1993, dans le Code de la consommation (art. L. 331-1 et s. N° Lexbase : L6790AB4). Certaines imperfections ont cependant justifié quelques aménagements, une première fois par la loi du 8 février 1995 (loi n° 95-125, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative N° Lexbase : L1139ATD), une seconde par la loi du 29 juillet 1998 au titre de la prévention des exclusions (loi n° 98-657, d'orientation relative à la lutte contre les exclusions N° Lexbase : L9130AGA). On relèvera d'ailleurs, plus généralement, que ce mouvement s'inscrit dans une évolution plus globale du droit civil français où l'extension de l'appréhension juridique de l'excès occupe une place de choix (voir, en ce sens, notre thèse, L'excès en droit civil, LGDJ, 2005, préf. M. Gobert). Au demeurant, cette tendance se retrouve, y compris sur le terrain de l'endettement excessif des particuliers, en jurisprudence, et ce parfois au mépris de certaines dispositions légales en sens contraire. C'est ainsi, par exemple, qu'alors même que l'article L. 331-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0805HPI) subordonne la mise en oeuvre de la procédure de traitement de l'endettement excessif des particuliers à "l'impossibilité manifeste pour le débiteur de bonne foi de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir" et que, donc, les dettes professionnelles sont exclues lors de l'examen de l'état de surendettement, il a été décidé, au terme d'une audacieuse initiative prétorienne, qu'elles devaient être réintégrées lors de l'élaboration des mesures de redressement (1). Critiquées par certains auteurs comme étant objectivement contraires à la loi, ces solutions témoignent, en tout cas, de la volonté affichée d'étendre non seulement le traitement de l'endettement excessif, mais aussi, plus généralement, la prise en compte de l'excès en droit contemporain. Il ne faudrait cependant pas croire que cette progression s'affranchisse de toutes les exigences légales : ainsi, le traitement de l'endettement excessif des particuliers suppose-t-il en tout état de cause la bonne foi du débiteur. Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 14 décembre dernier, appelle d'ailleurs, à cet égard, quelques rapides observations.

En l'espèce, une commission de surendettement des particuliers, estimant que la situation de l'un d'entre eux était irrémédiablement compromise, avait, avec l'accord du débiteur, saisi aux fins d'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel un juge de l'exécution. Or, celui-ci avait déclaré la demande irrecevable pour cause de mauvaise foi. Sans grande surprise, le débiteur a cherché à contester sa prétendue mauvaise foi en faisant valoir, d'une part, que la bonne foi du débiteur se présume, en sorte que le juge de l'exécution ne pouvait relever d'office son absence, et, d'autre part, que le débiteur s'était endetté pour régler ses dettes de jeu, et que c'était donc le remboursement de ces emprunts et non la dette de jeu qui avait motivé sa demande de bénéficier d'un plan d'apurement, ce dont il résultait que sa mauvaise foi n'était pas caractérisée. Autrement dit, en déclarant la demande irrecevable, le juge de l'exécution aurait violé les articles L. 330-1 et L. 332-6 (N° Lexbase : L5289DA7) du Code de la consommation. Cette argumentation n'a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui, pour approuver la décision du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lyon et, ainsi, rejeter le pourvoi, rappelle justement que "le juge de l'exécution tient de l'article L. 332-6 du Code de la consommation le pouvoir d'apprécier, même d'office, le caractère irrémédiablement compromis de la situation du débiteur ainsi que sa bonne foi pour prononcer l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel", et relève, en l'espèce, que "c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait qui lui étaient soumis que le juge de l'exécution a retenu que [le débiteur] n'était pas de bonne foi".

La solution ne surprend pas. D'abord, en effet, il est acquis que la bonne ou la mauvaise foi sont des notions de fait sur lesquelles la Cour de cassation n'exerce aucun contrôle. Ensuite, il est classique que la mauvaise foi du débiteur, que la sanction de l'excès entend protéger, lui fasse précisément perdre la faculté voulue comme exceptionnelle par le législateur ou le juge d'invoquer l'excès, la relexatio legis ne pouvant profiter qu'au débiteur de bonne foi. Aussi bien considère-t-on, en matière de clause pénale, que la mauvaise foi du débiteur qui rompt délibérément la loi contractuelle l'empêche de prétendre à la réduction judiciaire de la pénalité pourtant objectivement "manifestement excessive" au sens de l'article 1152, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) (2). C'est la même logique que suit le droit du surendettement des particuliers, où la loi réserve le bénéfice des mesures destinées à lutter contre l'endettement excessif des particuliers aux seuls débiteurs de bonne foi, la bonne foi supposant, d'une part, que le débiteur ait sincèrement soumis à la commission tous les éléments actifs et passifs de sa situation (bonne foi procédurale), et, d'autre part, que l'appréciation même de son état de surendettement ne soit pas imputable à un comportement de mauvaise foi (bonne foi contractuelle). La punition du comportement déloyal consiste alors dans l'impossibilité pour le contractant de tirer avantage de ses droits. L'impossibilité pour le contractant de mauvaise foi d'invoquer l'exception d'inexécution, la limitation de son droit de poursuivre la résolution du contrat avec dommages et intérêts, l'obstacle que constitue sa mauvaise foi à l'octroi d'un délai de grâce de droit commun (C. civ., art. 1244-1 N° Lexbase : L1358ABW) ou l'application des clauses résolutoires, tant en droit interne qu'en droit du commerce international, la privation du droit du salarié d'être réintégré dans l'entreprise à la suite de son licenciement pour fait de grève en cas de faute lourde de sa part, relèvent de cette même tendance et en sont des illustrations significatives (3).

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 1, 31 mars 1992, n° 90-04.024, M. Sever c/ Banque de France (N° Lexbase : A3116ACE) Bull. civ. I, n° 111 ; Cass. civ. 1, 2 décembre 1992, n° 91-04.158, Epoux Ghanmi c/ Crédit médical de France et autres (N° Lexbase : A5654AHU), Bull. civ. I, n° 302.
(2) Sur cette question, voir not. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, 1992, préf. F. Chabas, spéc. n° 585 et s..
(3) Sur lesquelles voir not. B. Fages, Le comportement du contractant, PUAM, 1997, préf. J. Mestre.

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Procédure administrative

[Jurisprudence] Du caractère aléatoire de l'action en justice d'un contribuable au nom d'une collectivité territoriale

Réf. : CE, 11 octobre 2006, n° 292109, M. Asselin (N° Lexbase : A7989DRC)

Lecture: 8 min

N4333A9D

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Le 07 Octobre 2010

Un contribuable local peut, aujourd'hui, agir en justice au nom d'une collectivité territoriale. Le droit pour un contribuable communal de pouvoir agir en justice aux lieu et place de la commune, dès lors que cette dernière a négligé et refusé de le faire, est une procédure ancienne qui remonte à la loi du 18 juillet 1837. Ce droit est, par la suite, tombé en désuétude mais, soudainement, en 1992, le Conseil d'Etat a rendu, dans le cadre de ce contentieux, plusieurs décisions fondamentales, quelques mois après une réforme réalisée par un décret du 26 février 1992 (décret n° 92-180 du 26 février 1992 relatif à l'exercice, par un contribuable, des actions en justice appartenant à la commune N° Lexbase : L7979HTP). Depuis une dizaine d'années, son utilisation est devenue fréquente et elle alimente un contentieux relativement abondant. On pouvait s'interroger, alors, sur la possibilité d'étendre l'action du contribuable à de nouveaux terrains d'application. Pour les communautés urbaines, la réponse du Conseil d'Etat a été affirmative (1) car une disposition législative de caractère général décidait la transposition, à leur cas, des règles applicables aux communes. En revanche, et très logiquement, en l'absence de textes explicites, le Conseil d'Etat avait refusé d'opérer cette extension en faveur du contribuable départemental (2). Il a fallu attendre l'effet des lois n° 2000-321 du 12 avril 2000 (N° Lexbase : L0420AIE) et n° 2000-629 du 7 juillet 2000 (N° Lexbase : L0783AIT) pour que l'action du contribuable ne soit plus réservée au seul cas du contribuable communal et qu'elle soit désormais ouverte au contribuable départemental (3), au contribuable régional (4) et au contribuable d'un établissement public de coopération intercommunale (5).

Dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 octobre 2006, c'est un contribuable départemental qui demande, en l'espèce, à être autorisé à introduire, au nom du département, une requête tendant à la condamnation d'une société au paiement de dommages et intérêts en raison de la méconnaissance de ses obligations contractuelles résultant d'un protocole conclu avec le département et la commune.

Selon ce protocole, la commune avait cédé à la société un terrain après y avoir fait réaliser, conjointement avec le département, des travaux de viabilisation évalués à 6 millions de francs (soit, plus de 900 000 euros).

En contrepartie, la société s'était engagée à installer sur ce terrain la plate-forme logistique principale du groupe, et à créer sur ce site et dans l'usine de sa filiale située sur la commune, au moins 25 emplois nouveaux dans les deux années suivant la mise en oeuvre de la plate-forme. Or, les emplois n'ont jamais vu le jour.

L'absence de la réalisation de cet engagement étant susceptible de rendre les dépenses de travaux supportées par le département injustifiées et le département ayant refusé de réclamer les dommages et intérêts dus par la société pour non-respect de ses obligations contractuelles, un contribuable s'est adressé au tribunal administratif. Ce tribunal a, par la décision attaquée en date du 8 mars 2006, rejeté la demande, mais le Conseil d'Etat a estimé, au contraire, que "l'action envisagée tendant à mettre en cause la responsabilité contractuelle de la société présente un intérêt suffisant pour le département et ne peut être regardée comme dépourvue de chance de succès". Il a donc annulé la décision du tribunal administratif et accordé au requérant l'autorisation sollicitée et le département a, lui, été condamné à verser au contribuable la somme de 2 500 euros.

L'arrêt est une excellente illustration du caractère hautement aléatoire de l'action "aux frais et risques" du contribuable local, aux lieu et place du département, pour faire valoir les droits de ce dernier. Il témoigne, notamment, de la complexité de la procédure (I) et de la particularité de l'autorisation de plaider (II).

I. Une action en justice complexe

La lourdeur de la procédure est indéniable, mais elle s'explique par la diversité des intérêts en cause et par le caractère accessoire de la voie de droit ainsi décrite. L'action en justice du contribuable apparaît comme complexe à travers deux éléments, le caractère attitré du recours (A) mais également le caractère subsidiaire du recours (B).

A. Un recours attitré

Seule la qualité de contribuable local peut ouvrir l'accès au recours. Toute autre qualité est exclue. Le législateur aurait pu retenir la qualité "d'électeur" comme critère d'action mais adopter ce critère aurait amené à exclure, du droit de recours, les individus déchus de leurs droits politiques, qui peuvent, eux aussi, avoir un intérêt à agir. L'exigence d'un critère territorial est logique et nécessaire eu égard au fait qu'il s'agit d'assurer la défense d'intérêts pécuniaires de la collectivité face à l'ineptie de ses représentants. La qualité de contribuable peut, cependant, être difficile à établir. C'est le juge qui est amené à apprécier cette qualité. Ainsi, par exemple, le maire d'une commune régulièrement inscrit au rôle de cette commune pourra légitimement agir en justice, même si le conseil municipal refuse de lui accorder une autorisation de représentation. L'important est que le maire soit un contribuable local de la commune (6). Dans certains cas, le recours attitré est apprécié étroitement, en effet, une association qui ne produit qu'un avis d'imposition aux taxes locales établi au nom de son président, ne suffit pas à justifier de la qualité de contribuable local (7). De même, le Conseil d'Etat a refusé l'autorisation de plaider à une association syndicale (8), ainsi qu'aux membres du conseil d'administration d'un établissement de charité ne possédant pas la personnalité juridique (9). En l'espèce, le contribuable local justifie de sa qualité par son inscription au rôle du département que l'on peut définir comme la liste des contribuables passibles de l'impôt comportant pour chacun d'eux la base d'imposition, la nature des contributions et taxes, le taux d'imposition et le montant des cotisations.

B. Un recours subsidiaire

En principe, les collectivités locales et les établissements publics territoriaux sont représentés en justice par leur organe exécutif, dûment autorisé par délibération du conseil ou de l'assemblée délibérante. Le recours qui est alors ouvert au contribuable ne doit pas s'apprécier comme le principe, mais comme une voie de droit qui doit rester exceptionnelle. Pour ce faire, des formalités préalables ont été mises en place, formalités qui peuvent apparaître comme alourdissant et ralentissant la procédure mais qui sont tenues pour "substantielles" par la jurisprudence (10) car elles préservent les intérêts en présence. Les formalités imposées constituent un ensemble cohérent qui se divise en quatre phases préalables.

Tout d'abord, le contribuable doit saisir la collectivité territoriale ou l'établissement public de coopération afin de l'avertir de son intention. Si cette démarche n'est pas imposée au contribuable par la lettre des textes, elle apparaît comme obligatoire et son omission n'est pas susceptible de régularisation (11).

La deuxième formalité substantielle, qui ne peut faire l'objet, elle aussi, d'une régularisation a posteriori, consiste à ce que le contribuable envoie un mémoire détaillé au tribunal administratif. Cette obligation est imposée au contribuable par une disposition législative (12), et il sera délivré à ce contribuable un récépissé de cet envoi ou de ce dépôt (13). On entend par "mémoire détaillé", un mémoire dans lequel le contribuable indique la nature de l'action envisagée et tous les éléments propres à permettre que le projet soit apprécié en pleine connaissance de cause (14). En ce qui concerne l'auteur du mémoire, le juge administratif accepte qu'un mémoire soit signé par plusieurs contribuables (15), voire par une personne tierce, autre que le contribuable qui a adressé le mémoire (16).

La troisième formalité est la transmission du mémoire, l'alinéa 2 de l'article R. 2132-1 du CGCT (N° Lexbase : L1382ALR) dispose : "Le préfet, saisi par le président du tribunal administratif, transmet immédiatement ce mémoire au maire, en l'invitant à le soumettre au conseil municipal". Ce qui est essentiel dans cette obligation, c'est que l'assemblée locale ait été saisie du mémoire rédigé par le contribuable, et peu importe si la transmission a été effectuée ou non par le préfet, l'essentiel est que le mémoire soit transmis (17).

Enfin, intervient la phase de convocation et de délibération de l'assemblée locale, qui accordera éventuellement une autorisation de plaider au contribuable, si l'assemblée ou le conseil refuse explicitement d'engager l'action en justice suggérée par le contribuable, le tribunal administratif saisi en prend acte (18). Si au contraire, le conseil local décide d'agir en justice, les règles habituelles de représentation de la personne publique retrouvent application, et le contribuable perd son droit de recours, puisqu'il n'est que subsidiaire. Le refus non exprès au bout de deux mois, vaut décision implicite de rejet (19).

II. Une autorisation de plaider particulière

A. Une autorisation administrative du tribunal administratif

Cette décision qui va être sollicitée par le contribuable et qui est indispensable à la recevabilité de l'action en justice est rendue par le tribunal administratif au titre de ses attributions administratives (20). Se pose, dès lors, le problème du délai imparti au tribunal administratif pour délivrer son autorisation administrative. Les lois du 18 juillet 1837 et du 5 avril 1884 ne fixaient aucun délai (21), c'est la loi du 8 janvier 1905, supprimant l'autorisation nécessaire aux communes et aux établissements pour ester en justice, qui a édicté un délai de deux mois, délai repris au 3ème alinéa de l'article R. 2132-1 du CGCT (N° Lexbase : L1382ALR). En cas de dépassement du délai, le tribunal administratif est dessaisi de sa compétence, ceci découle d'une jurisprudence constante (22). Différentes solutions peuvent s'offrir au juge.

Il va pouvoir autoriser le contribuable à plaider, et dans ce cas, l'autorisation va devoir revêtir différentes caractéristiques. L'autorisation n'a pas à être motivée (23) elle ne vaut que pour une seule instance (24), et enfin le tribunal administratif a le droit de la subordonner à la consignation préalable des frais d'instance dont il fixe alors le montant (25). L'autorisation doit également revêtir un caractère réel, elle est accordée en fonction d'une affaire déterminée et non à un contribuable en raison de sa personne. Plusieurs contribuables peuvent donc être autorisés, le bénéficiaire peut être un contribuable autre que celui qui a adressé la demande préalable et, enfin, un même contribuable peut agir à plusieurs reprises (26).

Le juge administratif pourra également refuser l'autorisation même si les conditions procédurales de saisine du tribunal administratif sont remplies, mais, dans ce cas, la décision du tribunal administratif doit être motivée. Pour prendre sa décision, le tribunal doit analyser si l'initiative du contribuable présente un "intérêt suffisant" pour la personne publique au nom de laquelle il entend agir et si le recours envisagé possède des "chances raisonnables de succès" (27). La décision du tribunal administratif pourra faire l'objet d'un pourvoi devant le Conseil d'Etat.

B. Un recours juridictionnel de plein contentieux devant le Conseil d'Etat

A l'origine, le pourvoi devant le Conseil d'Etat s'analysait en un recours hiérarchique, l'avis donné par la section de l'Intérieur du Conseil d'Etat s'imposait au chef de l'Etat, puis plus tard au Premier ministre, qui prenait alors un décret. C'était seulement ce décret qui pouvait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir dans les conditions du droit commun administratif (28).

C'est le décret du 26 février 1992 précité qui modifie et simplifie le régime antérieur. Les anciennes conditions de saisine restent inchangées : le délai est d'un mois à compter, soit de l'expiration du délai imparti au tribunal administratif pour statuer, soit de la notification de l'arrêté portant refus d'autorisation. Cette règle est strictement appliquée, puisque le texte précise que le délai est imposé "à peine de déchéance" (29). La même disposition réglementaire précise qu'un délai de trois mois est imparti au Conseil d'Etat pour statuer, mais il n'a qu'une portée indicative.

Avant d'accorder l'autorisation de plaider, le juge doit vérifier que les trois conditions sont bien remplies : mise en cause de la personne publique et refus des organes de cette dernière d'agir, existence d'un "intérêt suffisant" pour la collectivité et, enfin, l'existence de "chances sérieuses de succès". Il y a deux lignes directrices qui peuvent être dégagées de la jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière, quant à la notion "d'intérêt suffisant". Les intérêts purement moraux de la collectivité qui a refusé d'agir ne sont pas susceptibles de fonder une autorisation de plaider, seuls doivent être en cause des intérêts pécuniaires, ce qui est le cas en l'espèce. Il faut aussi un préjudice conséquent, celui d'une ampleur limitée ne saurait fonder l'octroi de l'autorisation sollicitée. Enfin, quant aux "chances sérieuses de succès", le contribuable a démontré les faits qu'il invoque sans se borner à faire état de soupçons ou de simples rumeurs ce qui a permis, en l'espèce, et alors que les décisions de rejet sont nombreuses quant à ce critère, que la condition soit remplie et que l'autorisation de plaider soit accordée.

Christophe De Bernardinis
Maître de conférences à l'université de Metz


(1) CE, Ass., 26 juin 1992, n° 134978, M. Le Mener (N° Lexbase : A7252ARZ) ; Rec. CE, p. 245, concl. Le Chatelier ; AJDA 1992, p. 477, chron. Maugüé et Schwartz.
(2) CE, 1° et 4° s-s-r., 7 janvier 2000, n° 212970, Le Boulaire (N° Lexbase : A4790B7K) ; Rec. CE, tables, p. 860-861 ; Collectivités-Intercommunalité 2000, comm. 106, note J. M..
(3) CGCT, art. L. 3133-1 (N° Lexbase : L0862ALI) et R. 3133-1 à 4 (N° Lexbase : L6409A7I).
(4) CGCT, art. L. 4143-1 (N° Lexbase : L0863ALK) et R. 4143-1 à 4 (N° Lexbase : L6413A7N).
(5) CGCT, art. L. 5211-58 (N° Lexbase : L0834ALH) et R. 5211-49 à 52 (N° Lexbase : L2526AL7).
(6) TA Limoges, 26 mai 1986, Lumet (N° Lexbase : A3310BTR) : Rec. CE 1986, tables, p. 439.
(7) CE, 1° et 2° s-s-r., 13 janv. 2003, n° 242768, Association de défense des contribuables Ansois, Donna-Erié et a. (N° Lexbase : A7098A4N) : AJDA 2003, p. 1071 ; JCP éd. A, 2003, 1443.
(8) CE, décret, 30 octobre 1928, Onagoity ; Rec. CE 1928, p. 1372.
(9) CE, 10 avril 1942, De La Tourfondue et a. ; Rec. CE 1942, p. 110.
(10) CE, sect., 22 juillet 1992, n° 134976 Avrillier (N° Lexbase : A7579AR7), n° 134986 Grapin (N° Lexbase : A7580AR8) et n° 137344 Commune Neuilly-sur-Seine c/ Sulzer (N° Lexbase : A7581AR9) ; Rec. CE 1992, p. 301, 302 et 304 ; AJDA 1992, p. 649, chron. Maugüé et Schwartz ; Petites affiches 1993, n° 22, p. 20, note T. Célérier ; JCP éd. G, 1992, IV, 2426 et 3118, obs. M.-C. Rouault ; CE, 10 juin 1994, n° 152453 Lacroix (N° Lexbase : A1773ASH) : Dr. Adm. 1994, comm. 413, obs. G.L.C. ; CE, 16 janvier 2004, n° 254839, Méry (N° Lexbase : A7671DAD) ; AJDA 2004, p. 722, note Th. Tuot ; JCP éd. A, 2004, 1197, note J. Moreau.
(11) Cf. note (10).
(12) Pour la commune, CGCT, art. L. 2132-6 (N° Lexbase : L8674AAI).
(13) CGCT, art. R. 2132-1 (N° Lexbase : L1382ALR).
(14) CE, 4 novembre 1992, n° 137869, Commune de Yerres (N° Lexbase : A8345ARI) ; Rec. CE 1992, tables, p. 1202 ; Dr. Adm. 1992, comm. 540 ; RD publ. 1993, p. 833.
(15) CE, ass., 26 juin 1992, n° 137345, Lepage-Huglo et a. (N° Lexbase : A7255AR7) ; Rec. CE 1992, p. 246 ; Dr. Adm. 1992, comm. 350 ; AJDA 1992, p. 477, chron. Mangüé et Schwartz.
(16) Cf. note (10).
(17) TA Rennes, 23 janvier 1959, Ghersin : Rec. CE 1959, p. 759.
(18) TA Rennes, 23 janvier 1959, Ghersin : Rec. CE 1959, p. 759.
(19) CE, 15 janvier 1999, n° 196248, O'Neilly (N° Lexbase : A3162ARK) ; Rec, CE 1999, p. 2.
(20) Cf. Loi de 1837 ; CE, sect. 13 novembre 1931, Laurent et Ville Castelnaudary : Rec. CE 1931, p. 988 ; DP 1932, 3, p. 10, note J.A. ; S. 1933, 3, p. 48, note P. de F. R.
(21) CE, 20 janvier 1905, Leclerc : Rec. CE 1905, p. 1026.
(22) CE, 9 juillet 1993, 143624, Commune Saint-Pierre (N° Lexbase : A0454AN7) ; Rec. CE 1993, p. 213 ; Dr. adm. 1993, comm. 424.
(23) CE, 23 mai 2001, n° 223055, Communauté urbaine de Lille (N° Lexbase : A7028ATH) ; Rec. CE 2001, tables, p. 855 ; D. 2001, p.2708, note C. Eoche-Duval.
(24) CGCT, art. L. 2132-7 (N° Lexbase : L8675AAK).
(25) CGCT, art. R. 2132-4 (N° Lexbase : L1385ALU).
(26) CE, sect., 22 juillet 1992, Grapin précité ; Rec. CE 1992, p. 302 ; AJDA 1992, p. 648, chron. Maugüé et Schwartz ; Petites affiches 9 février 1993, p.7, note J. Morand-Deviller.
(27) TA Saint-Denis-de-la-Réunion, 12 décembre 1985, Salvan (N° Lexbase : A0644BTZ) : Rec. CE, 1985, tables, p. 536.
(28) C. communes, anciens art. L. 316-7 (N° Lexbase : L5195AWC), R. 316-3 (N° Lexbase : L5134ABR) et R. 316-4 N° Lexbase : L5135ABS).
(29) CGCT, art. R. 3133-3 (N° Lexbase : L6411A7L) pour le département.

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Famille et personnes

[Textes] La loi du 14 novembre 2006 et le renforcement du contrôle des mariages

Réf. : Loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006, relative au contrôle de la validité des mariages (N° Lexbase : L4868HTH)

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N5371A9S

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Le 07 Octobre 2010

Le mariage avec un Français est devenu, loin devant le regroupement familial, la première source d'immigration légale en France. 50 % des titres de séjour sont aujourd'hui délivrés à des ressortissants étrangers conjoints de Français. En 2004, sur 75 753 personnes devenues françaises par déclaration de nationalité, 34 440 le sont devenues à raison du mariage. Entre 1994 et 2004, les acquisitions de la nationalité française par mariage sont passées de 19 493 à 32 293, soit une augmentation de 65,7 %. Sur la période allant de 1999 à 2004, l'augmentation est de 34 % (1). Dans ce cadre, et dans le sillage d'une loi votée en 2003 (2), la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006, relative au contrôle de la validité des mariages a pour but d'identifier et de priver d'effets ceux de ces mariages qui peuvent être dits "simulés", c'est-à-dire ceux qui ne reposent pas sur la volonté libre et éclairée de vouloir se prendre pour mari et femme (3) et plus particulièrement ceux qui sont entachés d'un défaut de sincérité d'intention matrimoniale, en clair, les mariages de complaisance (dits "mariage blanc") conclus exclusivement à des fins migratoires ou pour obtenir un avantage professionnel, social, fiscal ou successoral (4). La loi du 14 novembre 2006 se concentre essentiellement sur le contrôle des mariages contractés par les ressortissants français à l'étranger. Alors qu'auparavant, ce contrôle ne s'exerçait qu'a posteriori, à l'occasion de la transcription du mariage sur les registres de l'état civil français (5), la loi du 14 novembre 2006 soumet, désormais, les mariages de Français à l'étranger aux mêmes règles et aux mêmes contraintes que les mariages célébrés sur le territoire national et prévoit, en outre, que la transcription du mariage sur les registres de l'état civil français sera une condition de son opposabilité en France. I. Le contrôle des mariages célébrés en France

A. Le renforcement du contrôle a priori : la clarification des formalités préalables au mariage

L'article 1er de la loi du 14 novembre 2006 modifie l'article 63 du Code civil (N° Lexbase : L1379HIW) afin de compléter la composition du dossier de mariage et de préciser l'obligation d'audition des futurs époux. Ces deux formalités, qui subordonnent la publication des bans, sont applicables préalablement à la célébration d'un mariage par une autorité française et à la délivrance du certificat de capacité à mariage requis pour le mariage d'un Français célébré par une autorité étrangère.

1) La composition du dossier de mariage

Auparavant, l'officier de l'état civil ne pouvait procéder à la publication des bans ni à la célébration du mariage qu'après la remise de deux documents : un certificat médical prénuptial attestant, à l'exclusion de toute autre indication, que les futurs époux avaient été examinés en vue du mariage ; un extrait de l'acte de naissance des futurs époux comportant leur filiation. La loi du 14 novembre 2006 fait obligation aux futurs époux de remettre à l'officier de l'état civil deux indications supplémentaires.

En premier lieu, il est explicitement prévu que les futurs époux doivent justifier de leur identité par une pièce officielle (6). La constatation du consentement au mariage nécessite, en effet, que l'officier de l'état civil soit en mesure de s'assurer de l'identité des futurs époux.

En second lieu, la loi fait obligation aux futurs époux d'indiquer par avance à l'officier de l'état civil l'identité, la date et le lieu de naissance, la profession et le domicile des témoins. Auparavant, ceux-ci pouvaient être choisis au moment même de la célébration, et leur identité n'était pas toujours vérifiable. Or, la présence de témoins, obligatoire pour un acte de mariage, a pour objet de certifier l'identité des comparants et la conformité de l'acte avec leurs déclarations. En outre, l'officier de l'état civil doit être en mesure de vérifier que les témoins sont majeurs, conformément à l'article 37 du Code civil (N° Lexbase : L2816ABW).

Précisons, cependant, que l'obligation de choisir les témoins dès la constitution du dossier de mariage ne joue pas pour les mariages célébrés par une autorité étrangère. La célébration par une autorité étrangère obéit, en effet, aux conditions de forme de la loi locale. Dans la mesure où cette loi n'impose pas nécessairement le recours aux témoins pour la célébration du mariage, il n'est pas possible d'exiger systématiquement l'identité de témoins lorsque le mariage est célébré selon la règle de forme étrangère.

2) L'audition des futurs époux

L'article 74 de la loi du 26 novembre 2003 a modifié l'article 63 du Code civil afin d'introduire l'obligation, pour les officiers de l'état civil, de s'entretenir avec les futurs époux avant toute publication des bans dont elle conditionne la réalisation (7). Cette audition a une finalité préventive. Elle peut amener les futurs conjoints à abandonner leur projet devant son irrégularité. Elle permet d'éviter qu'un mariage irrégulier soit sanctionné après sa célébration, c'est-à-dire après que les effets recherchés (par exemple la régularisation d'un séjour, l'acquisition de la nationalité ou l'octroi d'un avantage fiscal) aient été atteints. Elle permet surtout à l'officier de l'état civil de saisir à temps le procureur de la République en cas de doute sur la validité du mariage projeté. Toutefois, l'officier de l'état civil est dispensé de l'obligation d'auditionner les futurs époux dans deux cas : lorsque l'entretien est inutile, les pièces du dossier ne faisant apparaître aucun doute sur l'existence du consentement au mariage ; lorsque l'audition est impossible. Cette impossibilité est appréciée par l'officier de l'état civil. Elle peut, par exemple, résulter d'une incarcération, d'une hospitalisation ou d'un éloignement géographique.

La loi du 14 novembre 2006 maintient l'économie générale du dispositif adopté en 2003 en lui apportant cependant trois précisions. En premier lieu, l'officier de l'état civil doit, désormais, apprécier l'obligation de l'audition non seulement au regard de l'article 146 du Code civil (N° Lexbase : L1571ABS) qui vise l'absence de consentement, cause de nullité absolue du mariage, mais aussi au regard de l'article 180 (N° Lexbase : L1359HI8) qui définit le vice de consentement, cause de nullité relative. Ainsi, un doute sur la liberté du consentement, et non plus seulement sur l'existence de ce consentement, rend l'audition obligatoire. Cette mesure vise à mieux détecter les mariages forcés conclus par le consentement contraint de l'un des époux.

Par ailleurs, lorsqu'un futur conjoint est mineur, il doit être auditionné dans un entretien séparé auquel ses parents ou son représentant légal ne peuvent pas assister. Cette disposition permettra de mieux détecter les mariages forcés. En cas de mariage d'un Français avec un étranger dont la loi autorise le mariage d'un mineur, l'audition séparée aura toute son utilité.

Enfin, lorsque le futur conjoint étranger réside à l'étranger, l'officier de l'état civil est autorisé à demander à l'autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente de procéder à l'audition. Destinée à faciliter la réalisation de l'audition, cette possibilité de délégation reprend une disposition prévue par la proposition de loi précitée.

B. Le contrôle a posteriori : la suppression du régime de caducité de l'opposition du ministère public

1) Le dispositif en vigueur jusqu'alors

Destinée à empêcher la célébration d'un mariage susceptible d'être annulé, l'opposition au mariage est formée soit par les personnes ayant qualité à cet effet (8), soit par le ministère public. Créé par la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 (N° Lexbase : L1997DPN), l'article 175-1 du Code civil (N° Lexbase : L1879AB9) donne ainsi compétence au ministère public pour former opposition à la célébration de tout mariage dont il pourrait demander la nullité.

Cette compétence générale du ministère public a été précisée en cas de présomption d'absence de consentement au mariage. Dans un tel cas, l'article 175-2 du Code civil (N° Lexbase : L8907DN9), dans la rédaction issue de la loi du 26 novembre 2003, autorise le procureur de la République, saisi par l'officier de l'état civil, à s'opposer à la célébration du mariage. Cette procédure d'opposition est étendue aux cas de mariages présumés contractés sans le libre consentement des époux, par la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, en cours d'adoption définitive par le Parlement. En outre, la loi du 14 novembre 2006 crée une procédure d'opposition par le ministère public spécifique aux mariages célébrés à l'étranger par une autorité étrangère.

2) La limitation de la caducité aux oppositions formées par les personnes habilitées

La loi du 14 novembre 2006 supprime la caducité des oppositions formées par le ministère public. En l'état du droit, l'acte d'opposition cesse de produire des effets au bout d'un an, quelle qu'ait été la personne qui l'a formée, à charge pour celle-ci de la renouveler. Désormais, cette caducité ne jouera que pour les oppositions faites par une personne habilitée par les articles 172 à 175 du Code civil (soit celles formées par la famille), et toute opposition formée par le ministère public sera efficace tant que ne sera pas intervenue une mainlevée judiciaire. C'est, en effet, en tant que gardien de l'ordre public que le parquet peut s'opposer à la célébration d'un mariage, et il est justifié que son opposition, à la différence de celle formée par la famille des futurs époux, persiste dans le temps. S'ils veulent toujours se marier, les candidats devront demander au tribunal la mainlevée de l'opposition formée par le parquet.

Pour être réellement efficace, l'opposition au mariage devra être accompagnée d'une centralisation des oppositions formées. C'est en effet le seul moyen, pour les officiers de l'état civil, de connaître l'existence d'une opposition. A défaut, le "nomadisme matrimonial" permettra toujours aux candidats de s'adresser à une commune autre que celle où le mariage frappé d'opposition devait être célébré.

II. Le contrôle des mariages célébrés à l'étranger

L'article 3 de la loi du 14 novembre 2006 insère dans le titre V du livre premier du Code civil un chapitre II bis consacré au contrôle des mariages des Français à l'étranger, comportant trois sections. La section 1 prévoit les dispositions générales applicables à tous les mariages contractés à l'étranger. La section 2 fixe les formalités requises préalablement à la célébration d'un mariage d'un Français à l'étranger par une autorité étrangère. La section 3 précise les effets et les conditions de transcription du mariage d'un Français célébré à l'étranger par une autorité étrangère.

A. La célébration du mariage

1) Conditions de validité du mariage contracté à l'étranger

Le nouvel article 171-1 du Code civil définit les conditions de validité du mariage contracté à l'étranger, actuellement prévues par les trois premiers alinéas de l'article 170 du Code civil (N° Lexbase : L1381HIY). Le principe selon lequel est valable le mariage contracté à l'étranger entre Français ou entre un Français et un étranger reste soumis aux deux conditions en vigueur. Le mariage doit avoir été célébré dans les formes usitées dans le pays de célébration. Un mariage ne saurait, en effet, être reconnu valable en dehors de l'Etat où il a été célébré si, dans cet Etat, il est frappé de nullité pour non-respect des règles de compétence et de forme locales (caractère civil ou religieux du mariage, formalités de célébration). Le ou les futurs époux de nationalité française doivent avoir respecté les règles de fond prescrites par la loi française, prévues par les articles 144 à 164 du Code civil (N° Lexbase : L1380HIX) (9).

Ces conditions de validité continuent de s'appliquer à tous les mariages contactés à l'étranger, qu'ils aient été célébrés par une autorité étrangère selon la loi locale ou par les autorités diplomatiques ou consulaires selon la loi française. En outre, le mariage entre un Français et un étranger célébré par une autorité diplomatique ou consulaire ne reste possible que dans les pays désignés par décret. En effet, seul le mariage entre ressortissants français peut, en règle générale, être célébré par l'officier de l'état civil consulaire français, et ce n'est qu'à titre exceptionnel que cet officier peut marier un Français et un étranger. La liste des pays concernés est fixée par le décret du 26 octobre 1939 modifié par le décret du 15 décembre 1958.

2) Obligation d'obtention du certificat de capacité à mariage

Le nouvel article 171-2 du Code civil fait obligation à tout Français désirant se marier à l'étranger devant une autorité étrangère d'obtenir préalablement de l'autorité diplomatique ou consulaire un certificat de capacité à mariage.

Dans les faits, peu de ressortissants français accomplissent les formalités nécessaires à l'obtention du certificat de capacité à mariage. C'est pourquoi la loi du 14 novembre 2006 lui donne valeur législative, pour en faire une formalité préalable au mariage qui conditionne sa transcription à l'état civil français. Les prescriptions requises pour obtenir le certificat sont sensiblement élargies. Alors qu'auparavant, le certificat se bornait à attester que le mariage avait fait l'objet d'une publication, son obtention est, désormais, soumise à l'ensemble des formalités prévues pour un mariage célébré en France par l'article 63 du Code civil (N° Lexbase : L1379HIW), à savoir : la remise par les futurs conjoints d'un certificat médical ; la remise d'une copie intégrale de l'acte de naissance des futurs conjoints ou, à défaut, d'un acte de notoriété ; la justification de l'identité des futurs conjoints ; l'audition des futurs conjoints ; la publication des bans auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire du lieu de célébration du mariage.

De surcroît, les bans doivent, également, être publiés au lieu de résidence, en France ou l'étranger, du futur conjoint. Cette exigence reprend une disposition actuellement prévue par le premier alinéa de l'article 170. Ainsi, la célébration à l'étranger du mariage d'un Français résidant en France doit être précédée par une publication en France. Il s'agit d'une dérogation au principe selon lequel la loi du lieu de célébration est seule compétente pour régir les conditions de forme et de publicité du mariage. Elle a pour but d'éviter que des tiers soient tenus dans l'ignorance du projet de mariage et ne puissent pas y faire opposition.

Au total, le mariage d'un Français à l'étranger par une autorité étrangère est, désormais, soumis aux mêmes formalités que celles prévues pour un mariage célébré en France. Cet alignement permettra d'améliorer le contrôle a priori sur la validité du mariage envisagé au regard du droit français. Le respect des ces formalités conditionnera la transcription du mariage à l'état civil français.

3) L'audition des futurs époux

Le nouvel article 171-3 du Code civil confie la réalisation de l'audition des futurs époux à l'autorité diplomatique ou consulaire de leur lieu de domicile ou de résidence. Auparavant, l'audition des futurs époux désirant se marier à l'étranger ne pouvait être réalisée que par l'autorité diplomatique ou consulaire dans le ressort de laquelle le mariage devait être célébré. Cette règle soulevait des difficultés lorsque les futurs conjoints ou l'un d'eux résidaient en France ou dans un pays étranger autre que celui où le mariage devait être célébré. Désormais, l'audition doit être réalisée par l'autorité chargée de l'état civil du lieu de résidence du ou des futurs époux (officier de l'état civil s'ils vivent en France, autorité diplomatique ou consulaire s'ils vivent à l'étranger), et non par celle du lieu de célébration du mariage. La seconde saisira la première d'une demande d'audition, à charge pour la seconde d'en adresser sans délai le compte-rendu à la première.

4) L'opposition à la célébration du mariage

Le nouvel article 171-4 du Code civil instaure une procédure d'opposition à la célébration du mariage d'un Français contracté à l'étranger devant une autorité étrangère. Cette procédure est destinée à donner à l'autorité diplomatique ou consulaire et au parquet les moyens de prévenir les mariages frauduleux. En permettant au ministère public de former opposition à la célébration de tout mariage présumé nul, l'article 175-1 du Code civil peut être utilisé pour les mariages célébrés à l'étranger. La loi propose, néanmoins, de leur appliquer une procédure d'opposition spécifique.

Celle-ci est diligentée par l'autorité diplomatique ou consulaire du lieu où la célébration du mariage est envisagée, à qui il revient de saisir le procureur de la République. A la différence de la procédure d'opposition à un mariage célébré en France (C. civ., art.175-2), cette saisine n'est pas facultative, mais s'impose à l'autorité diplomatique ou consulaire dès qu'il y a doute sur la validité du mariage. En outre, elle ne joue pas uniquement en cas d'absence ou de vice de consentement au mariage, mais s'applique chaque fois que le dossier de mariage laisse présumer une nullité au titre des articles 180 (N° Lexbase : L1359HI8), 184 (N° Lexbase : L1944ABM) ou 191 du Code civil (N° Lexbase : L1952ABW) (10). Le procureur de la République dispose de deux mois à compter de la saisine pour former opposition au mariage. L'acte d'opposition est alors porté à la connaissance des futurs époux (11), à charge pour eux de demander levée de l'opposition devant le tribunal de grande instance. Le tribunal a dix jours pour se prononcer, et, s'il y a appel, la cour d'appel statue dans le même délai. Les délais sont donc différents de ceux applicables à la procédure d'opposition à un mariage célébré en France qui donne au ministère public 15 jours pour faire opposition, tout en lui réservant la possibilité de surseoir à la célébration pendant un mois renouvelable une fois afin de diligenter une enquête.

Certes, l'opposition ne peut faire obstacle au pouvoir souverain dont dispose l'autorité étrangère pour célébrer le mariage projeté. Elle aura, néanmoins, une conséquence sur l'opposabilité du mariage en France, l'absence de mainlevée de l'opposition empêchant, désormais, la transcription du mariage.

B. La transcription sur les registres de l'état civil

1) La transcription est, désormais, une condition d'opposabilité du mariage en France

En application de l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L8910DNC), l'acte de l'état civil étranger fait foi sauf à démontrer qu'il est irrégulier, falsifié ou mensonger. La copie traduite d'un acte de l'état civil étranger peut donc faire foi en France au même titre que la copie d'un acte français délivrée par une autorité française. En l'absence de texte prévoyant l'obligation de transcription, les officiers de l'état civil et les administrations ne peuvent exiger des personnes dont les actes de mariage ont été dressés par des autorités étrangères qu'ils fassent procéder à leur transcription. Ces actes produisent, ainsi, des effets familiaux, successoraux et patrimoniaux, et sont opposables aux tiers. Seules l'obtention d'un titre de séjour en faveur du conjoint étranger (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-11 N° Lexbase : L1262HPG et L. 314-11 N° Lexbase : L1277HPY) et l'acquisition de la nationalité française (décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, art. 14) nécessitent la transcription préalable du mariage.

Le nouvel article 171-5 du Code civil fait de la transcription à l'état civil français une condition de l'opposabilité en France du mariage d'un Français célébré à l'étranger par une autorité étrangère. Il s'agit là de l'application à tous les Français de la règle déjà prévue par l'article 194 du Code civil (N° Lexbase : L1955ABZ), aux termes duquel "nul ne peut se prévaloir de la qualité d'époux s'il ne produit un acte inscrit sur les registres de l'état civil". Le respect de cette règle n'était auparavant exigé que pour les mariages célébrés en France.

Dans la mesure où la transcription suppose la vérification de la validité de l'acte (seul un acte valable peut être transcrit), un mariage frauduleux ne pourra donc pas être opposable en France. La transcription permettant une vérification de la validité (puisque les causes de refus de transcription sont des causes de nullité), un mariage transcrit est présumé valable (même si l'action en nullité n'est pas interdite), alors qu'un mariage non transcrit ne bénéficie pas d'une telle présomption. Il est donc logique que la loi du 14 novembre 2006, qui tend à renforcer le contrôle de la validité des mariages, fasse de la transcription une condition de l'opposabilité. Ainsi un mariage, célébré par une autorité étrangère, pourra être valable en France, sans y être opposable aux tiers. L'absence de transcription du mariage ne constitue pas, en effet, une cause de nullité, dans la mesure où la transcription n'est qu'une opération de publicité par inscription sur les registres de l'état civil français. En ce sens, la validité du mariage n'est pas affectée par l'absence de transcription, et un mariage célébré dans les formes usitées à l'étranger pourra toujours produire des effets familiaux en France, même s'il n'est pas transcrit. Toutefois, l'absence de transcription interdira désormais aux époux de se prévaloir de la qualité d'époux à l'égard des tiers ou des autorités publiques.

Afin de donner au dispositif un caractère dissuasif, l'autorité diplomatique ou consulaire devra informer les candidats au mariage, au moment de la délivrance du certificat de capacité, qu'ils ne pourront se prévaloir en France d'un mariage célébré par l'autorité étrangère qu'après sa transcription et donc la vérification de sa validité au regard de la loi française.

L'obligation de transcription s'imposera aux mariages célébrés dans les pays avec lesquels la France a signé une convention contenant une clause de dispense de légalisation des actes de l'état civil. La légalisation est une mesure administrative qui consiste à authentifier une signature et la qualité du signataire par l'apposition d'un contreseing officiel. Mais, la dispense de cette authentification n'équivaut pas à une dispense de transcription : lorsque par convention bilatérale les actes de l'état civil délivrés par un pays sont dispensés de légalisation, les autorités françaises n'exigent pas leur authentification, mais rien ne leur interdit d'en contester la validité (12). La dispense de légalisation ne soulève des difficultés que dans les pays où, en l'absence de véritable état civil, circulent un nombre élevé d'actes faux. Pour lutter contre cette fraude, le Gouvernement a décidé de renégocier les conventions bilatérales signées avec les Etats où le taux d'actes faux est très important.

2) Les conditions de transcription du mariage

Les nouveaux articles 171-6 à 171-8 du Code civil modifient les règles de transcription du mariage d'un Français célébré à l'étranger par une autorité étrangère en subordonnant la transcription du mariage d'un Français à l'étranger par une autorité étrangère au respect des formalités préalables à sa célébration et en ouvrant, ainsi, de nouvelles possibilités de refuser la transcription de l'acte de mariage pour sanctionner l'irrégularité de sa célébration.

a) Un mariage célébré malgré l'opposition du procureur de la République ne peut être transcrit qu'après mainlevée de cette opposition

L'article 171-6 fait de l'opposition à la célébration du mariage formée par le parquet en application de l'article 171-3 un empêchement à sa transcription. Tout mariage d'un Français célébré à l'étranger par une autorité étrangère malgré l'opposition du ministère public ne pourra donc être transcrit qu'après remise de la mainlevée de l'opposition. Il appartiendra, ainsi, aux époux de saisir le tribunal afin de solliciter la mainlevée. L'audience permettra d'examiner publiquement et contradictoirement les présomptions d'irrégularité qui ont poussé le ministère public à former opposition.

b) Un mariage célébré sans certificat de capacité ne peut être transcrit que sur décision de l'autorité judiciaire

L'article 171-7 crée une procédure de sursis à transcription et d'annulation du mariage d'un Français célébré à l'étranger par une autorité étrangère sans certificat de capacité. La décision de surseoir à la transcription intervient dès que des indices sérieux laissent suspecter que le mariage dont la transcription est demandée est susceptible d'être annulé au regard des conditions de fond définies par le droit français. L'autorité diplomatique ou consulaire devra donc surseoir à la transcription chaque fois qu'il y a présomption de non-respect de l'âge nubile, d'absence de consentement exprès des époux, d'absence de comparution personnelle de l'époux français, d'existence d'union antérieure non dissoute ou d'empêchements tenant aux liens de parenté ou d'alliance, de vice de consentement des époux ou de mariage clandestin ou célébré devant un officier de l'état civil incompétent.

De même, comme dans le dispositif en vigueur jusqu'alors, l'audition préalable des époux est obligatoire. Néanmoins, l'agent diplomatique ou consulaire n'a plus la possibilité (actuellement prévue par l'article 170 du Code civil N° Lexbase : L1381HIY) de déroger à cette obligation en cas d'impossibilité de réaliser l'audition. Il est, en outre, précisé que l'audition est réalisée par l'autorité chargée de l'état civil du lieu de résidence des époux (officier de l'état civil s'ils résident en France, autorité diplomatique ou consulaire dans le cas contraire), à charge pour celle-ci de transmettre sans délai le procès-verbal de l'audition à l'autorité diplomatique ou consulaire saisie de la demande de transcription.

En outre, les effets de la décision de sursis sont renforcés. Ainsi, le procureur de la République saisi de la décision de sursis dispose de six mois soit pour autoriser la transcription du mariage, soit pour demander au juge son annulation, auquel cas le mariage est transcrit à la seule fin de saisine du juge. Mais, à la différence de la procédure en vigueur jusqu'alors, l'absence de décision du procureur dans le délai de six mois n'entraîne pas la transcription de droit du mariage : il appartient, en effet, aux époux de demander la transcription au tribunal de grande instance. En conséquence, le mariage ne pourra être transcrit que sur décision de l'autorité judiciaire (parquet ou juge). Le fait que le mariage ait été célébré sans certificat de capacité justifie d'inverser la procédure, afin d'empêcher toute transcription par défaut d'un mariage présumé frauduleux. Cette inversion de la procédure n'équivaut cependant pas à une inversion de la charge de la preuve : il reviendra toujours au ministère public de démontrer l'irrégularité du mariage.

c) En cas d'éléments nouveaux laissant présumer une irrégularité, il peut être sursis à la transcription d'un mariage célébré avec certificat de capacité

L'article 171-8 prévoit une procédure de sursis à transcription et d'annulation du mariage d'un Français célébré à l'étranger par une autorité étrangère avec certificat de capacité, lorsque des éléments nouveaux laissent présumer que le mariage est nul. Ainsi, même si, au moment de la demande du certificat de capacité, la régularité du mariage a été vérifiée, l'autorité diplomatique ou consulaire devra, au moment de la demande de transcription, s'assurer de l'absence de tout élément nouveau susceptible d'établir l'irrégularité du mariage. A la différence de la procédure prévue en cas d'absence de certificat de capacité, le dispositif proposé par l'article 171-8 reprend les grandes lignes du sursis à transcription actuellement en vigueur, en maintenant la possibilité d'une transcription administrative par défaut : le champ d'application est le même (13) ; l'audition préalable des époux est obligatoire et réalisée dans les mêmes conditions qu'en cas de sursis à transcription d'un mariage célébré sans certificat de capacité ; les suites qui peuvent être données au sursis à la transcription sont identiques à celles actuellement prévues par l'article 170-1 du Code civil (N° Lexbase : L1382HIZ) (14).

III. Le contrôle de la validité des actes de l'état civil étranger

A. Le dispositif issu de la loi du 26 novembre 2003

1) La remise en cause du caractère absolu de la valeur probante des actes étrangers

La loi du 26 novembre 2003 a remis en cause le caractère absolu de la valeur probante des actes étrangers, en ouvrant la possibilité d'en contester l'authenticité. Ainsi, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays ne fait foi que sous réserve que d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même n'aient pas établi son irrégularité, sa falsification ou la preuve d'un mensonge (C. civ., art. 47, al. 1er, précité).

En outre, la loi du 26 novembre 2003 a instauré un mécanisme de sursis administratif et de vérification judiciaire, destiné à établir la validité de l'acte. Précisé par le décret n° 2005-170 du 23 février 2005 (N° Lexbase : L0261G88), ce dispositif vise à confier la vérification de l'authenticité de l'acte aux services compétents du ministère des Affaires étrangères sur réquisition du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes.

2) La mise en place d'un mécanisme de vérification de l'authenticité des actes étrangers

La loi du 26 novembre 2003 a permis au procureur de la République près le TGI de Nantes de vérifier l'authenticité des actes étrangers dans plusieurs cas. Il en est ainsi en premier lieu lorsque existe un doute sur la validité d'un acte fait à l'étranger : dans ce cas, l'administration compétente (agents diplomatiques et consulaires et services de l'état civil des communes), saisie d'une demande d'établissement, de transcription ou de délivrance d'un acte ou d'un titre, peut surseoir à la demande et informer l'intéressé de la possibilité qui lui est offerte de saisir le procureur de la République de Nantes pour vérification de l'authenticité de l'acte. Il en est de même dans l'hypothèse où le procureur de la République estime que la demande de vérification qui lui est faite est sans fondement : dans ce cas, il en avise l'intéressé et l'administration dans le délai d'un mois. En revanche, s'il partage les doutes de l'administration, il fait procéder à toutes investigations utiles dans un délai de six mois renouvelable une fois au maximum, notamment par les autorités consulaires compétentes. L'intéressé et l'administration qui a sursis à la demande sont informés des résultats de l'enquête dans les meilleurs délais. Enfin, au vu de ces résultats, le procureur de la République a la possibilité de saisir le tribunal de grande instance de Nantes qui, après toutes mesures d'instruction utiles, statue sur la validité de l'acte.

B. Le renforcement de la procédure de vérification des actes d'état civil étrangers

1) La suppression du mécanisme de sursis administratif et de vérification judiciaire créé par la loi du 26 novembre 2003

L'article 47 du Code civil pose le principe d'une présomption de régularité formelle de l'acte de l'état civil établi à l'étranger dans les formes usitées localement. Les conditions de la force probante d'un tel acte ont été précisées par la jurisprudence. L'acte en cause ne bénéficie de la force probante qu'à la condition qu'il puisse recevoir la qualification d'acte de l'état civil et qu'il ait été rédigé selon les formes usitées dans le pays où il a été dressé. Ainsi, l'acte doit correspondre à la conception que le droit français se fait de l'état civil. La Cour de cassation a défini cet acte comme étant "un écrit dans lequel l'autorité publique constate, d'une manière authentique, un événement dont dépend l'état d'une ou plusieurs personnes" (15). Pour produire ses effets, l'acte ne peut concerner qu'un événement qui, selon la conception française, relève de l'état civil. Ainsi, les juges sont amenés à apprécier la conformité de l'acte produit avec les règles de l'état civil du pays dont il émane. La vérification peut, par exemple, porter sur l'existence d'un jugement supplétif régulier lorsque l'acte a été établi tardivement.

De façon générale, lorsqu'un acte recèle des incohérences internes ou qu'il présente des contradictions avec des actes précédemment produits, il convient de lui dénier toute valeur probante. Il ne répond pas, en effet, aux exigences de conformité aux règles applicables qui supposent des actes cohérents et un acte unique par événement. C'est ainsi que la Cour de cassation a considéré qu'une cour d'appel, statuant en matière de nationalité, a pu apprécier souverainement que "la contradiction résultant du fait que le nom de la mère des enfants porté sur les actes de naissance produits devant le juge d'instance pour obtenir des certificats de nationalité française n'était pas le même que celui porté sur les actes produits devant le tribunal de grande instance ne permettait pas de reconnaître à ces actes la valeur probante accordée par l'article 47 du Code civil aux actes de l'état civil faits en pays étranger" (16).

La force probante d'un acte de l'état civil étranger se limite à ce que l'acte a pour objet de constater. Elle ne s'étend pas aux autres énonciations. Ainsi, elle ne porte pas sur les précisions concernant l'état civil des parents (âge, qualité d'épouse...) figurant dans l'acte de naissance de leur enfant. De même, la valeur probante d'un acte de décès porte sur la date et le lieu du décès et non sur les énonciations relatives au lieu de naissance de l'intéressé. Cette analyse rejoint celle de la Cour de justice des Communautés européennes qui a jugé que "dans les procédures visant à déterminer les droits aux prestations sociales d'un travailleur migrant ressortissant communautaire, les institutions nationales compétentes en matière de sécurité sociale et les juridictions nationales d'un Etat membre sont tenues de respecter les certificats relatifs à l'état des personnes qui émanent des autorités compétentes des autres Etats membres, à moins que leur exactitude ne soit sérieusement ébranlée par des indices concrets se rapportant au cas individuel en cause" (17).

La loi du 14 novembre 2006 maintient la possibilité, pour tout destinataire d'un acte de l'état civil étranger, d'en décider le rejet pour irrégularité, falsification ou mensonge, après avoir, le cas échéant, procédé à toutes vérifications utiles. Elle supprime le mécanisme de sursis administratif et de vérification judiciaire créé par la loi du 26 novembre 2003 pour vérifier la validité de l'acte. Ce mécanisme s'est, en effet, avéré inutilement complexe, et n'a été utilisé que dix-neuf fois en 2004 et dix fois en 2005. Les saisines du parquet de Nantes n'ont pas pu aboutir en raison de la rigidité du mécanisme : soit leur auteur n'était pas compétent (en majorité, les saisines sont faites par l'autorité administrative requise, alors que celle-ci ne peut que notifier sa décision de sursis au requérant, à charge pour lui de saisir le parquet) ; soit les conditions de saisine n'étaient pas réunies ; soit la procédure n'avait pas été respectée. De fait, le dispositif mis en place n'a pas donné les résultats escomptés : aucune enquête n'a été diligentée et aucune saisine du tribunal de grande instance de Nantes n'est intervenue.

2) La mise en oeuvre d'une nouvelle procédure

Lorsqu'elle aura un doute sur l'authenticité ou l'exactitude de l'acte qui lui est produit, l'autorité administrative saisie procédera ou fera procéder à la vérification auprès de l'autorité étrangère. Elle informera l'auteur de la demande de cette vérification. La procédure de vérification de la régularité des actes de l'état civil étranger sera désormais fixée par décret en Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article 21 de la loi n° 2000-231 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE). Cet article prévoit en effet que, par décret en Conseil d'Etat, le délai de deux mois au-delà duquel le silence gardé par l'autorité administrative vaut décision de rejet peut être augmenté si la complexité de la procédure le justifie. Or, pour permettre la vérification de l'existence de l'acte original, la consultation, par les autorités consulaires françaises, des registres détenus par les autorités étrangères locales exige, en effet, un délai supplémentaire. En conséquence, la loi du 14 novembre 2006 ajoute un article 22-1 à la loi du 12 avril 2000, en prévoyant que l'absence de réponse de la part de l'autorité administrative dans un délai de huit mois vaudra décision de rejet de l'acte litigieux, à charge pour le demandeur de saisir le tribunal pour établir sa validité.

Conclusion

Les nouvelles règles de contrôle de la validité du mariage ne seront applicables que le premier jour du quatrième mois qui suivra la promulgation de la présente loi. En outre, c'est la date de célébration du mariage qui déterminera les modalités de contrôle applicables, seuls les mariages célébrés antérieurement à la promulgation de la présente loi ou dans les quatre mois qui suivront cette promulgation restant soumis aux modalités de contrôle actuellement en vigueur. Ainsi, les dossiers de mariage déposés avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 14 novembre 2006, en vue d'une célébration postérieure à celle-ci, seront soumis aux nouvelles formalités.

Par ailleurs, il faut rappeler que le Conseil constitutionnel a affirmé en 1993 le principe fondamental de la liberté du mariage, composante de la liberté individuelle protégée par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 4 (N° Lexbase : L1368A9K) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (18). C'est sur ce fondement que le Conseil a interdit de considérer que le fait pour un étranger de ne pouvoir justifier de la régularité de son séjour en France constitue en soi un indice sérieux de l'absence de consentement au mariage (19). Si le respect du principe de la liberté matrimoniale interdit de subordonner la célébration du mariage à la régularité du séjour d'un futur conjoint étranger, il ne fait cependant pas obstacle à ce que la réalité de l'intention matrimoniale soit protégée par des mesures de prévention et de lutte contre les mariages contractés uniquement à des fins étrangères aux droits et aux obligations prévus par le Code civil.

Soulignons, également, que la loi du 14 novembre 2006 ne modifie pas la règle applicable en matière d'opposition à mariage : il appartiendra toujours à celui qui se prévaut de l'absence d'intention matrimoniale d'en rapporter la preuve. Ainsi, il reviendra au parquet, qui entend, soit surseoir ou faire opposition à la célébration ou à la transcription d'un mariage, soit annuler un mariage, de démontrer l'absence de volonté matrimoniale : le ministère public devra toujours prouver que le consentement est vicié ou qu'il a été donné non dans l'objectif de s'engager dans une véritable union, mais aux seules fins d'en obtenir un ou plusieurs effets secondaires.

Enfin, notons que la loi du 14 novembre 2006 introduit une distinction entre célébration et validité (ou opposabilité) du mariage : ainsi, s'il n'est pas porté atteinte au pouvoir souverain que détiennent les autorités étrangères de célébrer le mariage d'un Français avec un de leurs ressortissants, les effets de ce mariage en France sont subordonnés à l'obligation, pour l'époux français, de respecter les mêmes formalités que celles qui lui seraient imposées s'il se mariait en France.

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) Source : Rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration (2005).
(2) La loi n° 2003-119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (N° Lexbase : L5905DLB) avait déjà renforcé les moyens de contrôler la validité du mariage, préalablement et postérieurement à sa célébration.
(3) Toutes les fois que les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu'en vue d'atteindre un effet étranger ou secondaire au mariage, avec l'intention de se soustraire aux autres conséquences légales, le consentement au mariage exigé par l'article 146 du Code civil (N° Lexbase : L1571ABS) fait défaut et le mariage est nul.
(4) Ajoutons, cependant, que la notion de mariage simulé recouvre aussi le mariage forcé dans lequel l'époux se trouve privé de la liberté, soit de se marier ou de rester célibataire, soit de choisir son conjoint.
(5) Ce système était doublement insuffisant, d'une part, parce que le mariage d'un Français célébré à l'étranger pouvait produire certains effets en France même sans avoir été transcrit, d'autre part, parce que le contrôle a posteriori était généralement trop tardif, et les formalités préalables inefficaces.
(6) Auparavant, aucun texte n'exigeait la preuve de cette identité, et, en cas de refus de fournir cette preuve, l'officier de l'état civil ne pouvait pas refuser la célébration du mariage.
(7) La loi n° 2003-199 avait introduit l'obligation, pour les officiers de l'état civil, de s'entretenir avec les futurs époux, afin de vérifier leur intention matrimoniale. Cette obligation d'audition conditionne la publication des bans. Elle est également mise à la charge des agents diplomatiques ou consulaires pour les mariages célébrés à l'étranger.
(8) Cf. articles 172 à 175 du Code civil (N° Lexbase : L1874ABZ) qui énumèrent les personnes qualifiées par s'opposer à un mariage : parmi celles-ci figurent toute personne engagée par mariage avec l'une des deux parties du mariage projeté peut former opposition (C. civ., art. 172) et les ascendants des futurs conjoints, même si ceux-ci sont majeurs (art. 173, al. 1er N° Lexbase : L1875AB3). Lorsque le futur conjoint n'a pas d'ascendant, le frère, la soeur, l'oncle, la tante ou le cousin germain peuvent, à condition d'être majeurs, s'opposer au mariage dans deux cas : l'absence de consentement du conseil de famille requis pour le mariage d'un mineur sans ascendant, et l'état de démence du futur époux (art. 174 N° Lexbase : L1877AB7) ; le tuteur ou le curateur peut également former opposition dans les deux cas précités, s'il y est autorisé par le conseil de famille (art 175 N° Lexbase : L1878AB8).
(9) S'imposent, ainsi, à l'époux français : l'âge nubile (articles 144 et 145 N° Lexbase : L1380HIX), le consentement exprès des époux (article 146 N° Lexbase : L1571ABS), la comparution du conjoint français (article 146-1 N° Lexbase : L1572ABT), l'absence d'union antérieure non dissoute (article 147 N° Lexbase : L1573ABU), le consentement éventuel de tiers (articles 148 à 160 N° Lexbase : L1574ABW), l'absence d'empêchements tenant aux liens de parenté ou d'alliance (articles 161 à 164 N° Lexbase : L8846G9I).
(10) Sont, ainsi, visés les cas de nullité pour non-respect de l'âge nubile (article 144 N° Lexbase : L1380HIX), pour absence de consentement exprès des époux (article 146 N° Lexbase : L1571ABS), pour impossibilité de l'époux français d'être présent (article 146-1 N° Lexbase : L1572ABT), pour existence d'union antérieure non dissoute (article 147 N° Lexbase : L1573ABU) ou d'empêchements tenant aux liens de parenté ou d'alliance (articles 161 à 163 N° Lexbase : L8846G9I), pour vice de consentement des époux (article 180 N° Lexbase : L1359HI8) et pour mariage clandestin (article 191 N° Lexbase : L1952ABW).
(11) Par huissier s'ils résident en France, par l'autorité diplomatique ou consulaire s'ils résident à l'étranger.
(12) Ainsi, le protocole judiciaire franco-algérien du 28 août 1962 prévoit une dispense de légalisation (article 36). Il prévoit aussi que les officiers de l'état civil de chaque Etat se donnent mutuellement et directement avis des actes dressés par eux qui doivent être portés en marge d'actes dressés sur le territoire de l'autre Etat (article 37). Toutefois, ces dispositions n'ont jamais été interprétées comme remettant en cause l'obligation de transcrire pour l'acquisition de la nationalité par mariage. De même, la convention franco-marocaine du 10 août 1981 n'a pas pour effet de dispenser le mariage célébré par l'autorité marocaine de l'obligation de transcription préalablement à la déclaration d'acquisition de la nationalité française par mariage. L'article 6 de cette convention prévoit même que tout mariage entre un Français et un Marocain ne peut être célébré par l'autorité marocaine que sur présentation par l'époux français du certificat à capacité matrimoniale.
(13) Le sursis joue lorsqu'il y a doute sur le respect des articles 144, 146, 146-1, 147, 161 à 163, 180 et 191 précités du Code civil.
(14) Le procureur de la République informé de la décision de sursis dispose de six mois pour autoriser la transcription ou pour demander au juge l'annulation de mariage, l'absence de décision de sa part entraînant la transcription de droit du mariage. En effet, dans la mesure où, au moment de la célébration du mariage, les époux se sont conformés aux formalités requises, il n'y a pas lieu, sauf à remettre en cause la liberté de se marier, d'interdire la transcription une fois un délai de six mois écoulé. Il est cependant précisé que cette transcription par défaut ne peut pas faire obstacle à une annulation ultérieure du mariage.
(15) Cass. civ. 1, 14 juin 1983, n° 82-13.247 (N° Lexbase : A4467CHW), Bull. civ. I, n° 174.
(16) Cass. civ. 1, 24 octobre 2000, n° 98-22.105 (N° Lexbase : A7674AHP), Bull. civ. I, n° 263.
(17) CJCE, aff. C-336/94, 2 décembre 1997, Eftalia Dafeki c/ Landesversicherungsanstalt Württemberg (N° Lexbase : A9585AUK).
(18) Cons. const., décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 (N° Lexbase : A8285ACT).
(19) Cons. const., décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 (N° Lexbase : A1952DAK).

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