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N3140A98
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : CAA Versailles, 3ème ch., 20 décembre 2005, n° 04VE00889, Société Semaluz (N° Lexbase : A3765DME)
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N3034A9A
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Le 28 Août 2014
Un examen attentif du cadre juridique lui aurait évité une sortie de ce même cadre. La rédaction de l'arrêt commenté ne permet pas d'apprécier s'il s'écarte ou non des règles applicables.
1. Le cadre juridique
La définition des opérations imposables s'accorde mal avec l'expression "imposition à la TVA des subventions" employée par la cour administrative d'appel de Versailles. Seules les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux et en qualité d'assujetti relèvent de la TVA. Les subventions ne sont ni des livraisons de biens, ni des prestations de services. La CJCE considère qu'"il faut, dans tous les cas, examiner quelle partie a fourni le bien ou le service et quelle partie a payé la contrepartie. En effet, ce sont les livraisons de biens et les prestations de services qui sont soumises à la TVA et non les paiements effectués" (2). Cette évidence semble être ignorée par l'arrêt commenté comme par d'autres. Les subventions sont, en effet, à l'origine de nombre de litiges fiscaux, en matière de champ d'application de la TVA (3), d'assiette (4) et de droit à déduction (5). Les nombreux arrêts rendus par la CJCE et le Conseil d'Etat ont suggéré plusieurs instructions en tirant les conséquences. Celle en date du 27 juillet 2005 propose une démarche assez exacte en matière de subventions.
A juste titre, l'administration fiscale souligne que "Au regard de la jurisprudence la plus récente, dans la mesure où, désormais, une subvention n'entre plus dans le champ d'application de la TVA du seul fait qu'elle est perçue a raison d'une activité taxable (6), il convient de rechercher, lorsqu'un organisme est financé par des sommes qualifiées d'aides, de subventions, d'abandons de créances ou de dons, si les sommes versées constituent la contrepartie d'une opération réalisée au profit de la partie versante (lien direct) et qu'il existe une relation entre l'importance des avantages rendus et leur contre-valeur (7) ou, à défaut, complètent le prix d'une opération imposable (complément de prix) (8). Il est précisé qu'au sens de l'article 11, A, 1, sous a), de la 6e Directive n° 77/388/CEE du 17 mai 1977 modifiée ([LXB=L9279AU9 ]), la notion de 'subventions directement liées au prix' doit être interprétée en ce sens qu'elle comprend uniquement les sommes qui constituent la contrepartie totale ou partielle d'une opération de livraison de biens ou de prestation de services et qui sont versées par un tiers au vendeur (9). A cet égard, tant le Conseil d'Etat (10) que la doctrine (11) exigent l'existence d'un engagement explicite et préalable quant au prix des opérations réalisées par le bénéficiaire [...] Cette jurisprudence s'applique aux litiges en cours".
En l'espèce, il semble que cette instruction du 27 juillet 2005 n'ait été que partiellement appliquée à la société Semaluz. Si les subventions versées par le Conseil général ont été déclarées hors champ, s'agissant de subventions d'équilibre, celles attribuées par la commune de Luzarches sont venues augmenter l'assiette de la TVA due par Semaluz.
2. La sortie du cadre juridique
La question se pose de savoir si les sommes versées constituaient la contrepartie d'une opération réalisée au profit de la partie versante et s'il existait une relation entre l'importance des avantages rendus et leur contre-valeur.
La société Semaluz s'était engagée à mener les travaux de construction et à transférer les bâtiments pour un franc. L'arrêt indique, à plusieurs reprises, que les subventions de la commune couvraient le remboursement de l'emprunt contracté par la société pour faire face aux coûts supplémentaires de construction. Ces sommes ne sont absolument pas présentées comme résultant d'un avenant stipulant un supplément de prix au transfert de propriété ou à la maîtrise d'ouvrage. Or, la jurisprudence communautaire exclut du champ d'application de la TVA les subventions finançant les dépenses (12). Les aides à la production de biens ou de services ne relèvent pas de la TVA. De plus, s'agissant de sommes versées au maître d'ouvrage et non aux entrepreneurs de construction, il ne s'agit pas de complément de prix, tel que défini par la CJCE, reprise par l'instruction précitée (13). Au demeurant, la taxation aurait frappé les entreprises de construction et non le donneur d'ordre.
La cour administrative d'appel de Versailles fait, peut-être, une lecture originale de la convention passée entre la société Semaluz et la commune de Luzarches. Les sommes litigieuses résultent d'un acte unilatéral et non d'un avenant. Or, l'assiette de la TVA est le prix stipulé (14), éventuellement augmenté des subventions versées par les tiers et spécialement affectées au paiement de prestations précises (15).
En l'espèce, a priori, aucune stipulation n'augmente le prix du transfert des constructions à la commune de Luzarches ou le prix de la maîtrise d'ouvrage. Néanmoins, il resterait à se demander si la convention de maîtrise d'ouvrage mettait à la charge de la commune de Luzarches le coût des constructions. En telle occurrence, les versements en cause constitueraient bien un élément de la contrepartie aux services fournis par la société Semaluz. Rappelons, en effet, que l'assiette est évaluée au moment de la livraison (16). Constatons que la rédaction d'une décision posant clairement les faits au regard des textes est indispensable. Le juge français pourrait utilement s'inspirer des arrêts du juge communautaire. En matière de TVA, ce dernier commence toujours par mentionner les textes applicables, communautaires puis internes. Il expose, ensuite, les faits en désignant les parties et les prestations en cause, livraisons ou services et la contrepartie stipulée. Cette démarche permet de poser clairement le problème de droit et d'en rappeler l'éventuel contexte jurisprudentiel avant d'aborder la discussion juridique, totalement restituée au public. Cette volonté de transparence et de pédagogie se traduit aussi par la publication sur internet des conclusions des avocats généraux, cela, dès leur lecture. Nul besoin d'attendre que l'auteur veuille bien autoriser la divulgation des fruits de sa réflexion pour comprendre des décisions parfois avares de raisonnements argumentés.
Faute d'arguments de fait, cet arrêt "Semaluz" peut donner l'impression, sans doute fausse, de traduire une volonté de réviser le contrat en vue d'augmenter l'assiette de la TVA. Si tel avait été le cas, la cour administrative d'appel aurait pu utiliser une technique de révision de l'assiette de la TVA récemment découverte : la notion d'équilibre économique du contrat. Selon le Conseil d'Etat, en cas de versement d'une indemnité, il faut vérifier si la somme en cause "ne résultait pas des modalités dont les parties étaient convenues pour assurer l'équilibre économique du contrat" (17). Cette référence à l'équilibre économique du contrat rappelle la notion de "préjudices commerciaux courants". Jusqu'au 27 mars 2002 (18), l'administration fiscale soutenait que les sommes destinées à compenser des préjudices commerciaux courants et correspondant à des aléas normaux inhérents à la profession du bénéficiaire, dues, contractuellement ou non, par une personne avec laquelle le bénéficiaire de l'indemnité entretenait des relations commerciales relevaient de la TVA. Etaient imposables toutes les indemnités ayant pour objet d'assurer l'équilibre financier des prestations convenues entre les parties. Le Conseil d'Etat, après l'avoir entériné, l'avait condamné par l'arrêt "Géfiroute" précité. Elle semble réapparaître avec l'expression "l'équilibre économique du contrat", déjà utilisée par les arrêts "Batinorest" et "Polyclad" (19).
Une telle révision heurte la jurisprudence communautaire selon laquelle la base imposable s'apprécie au jour de la prestation (20). La Cour de Luxembourg définit l'assiette de la TVA par la valeur subjective voulue par les parties(21). Cela exclut l'équilibre économique du contrat voulu par le juge administratif et non par les parties, sauf à démontrer l'abus ou la fraude, c'est-à-dire, d'une part, un détournement de la règle communautaire de TVA et, d'autre part, un détournement de la règle communautaire dans le but essentiel d'obtenir un avantage fiscal (22).
Yolande Sérandour,
Professeur à la faculté de droit de Rennes,
Directrice du master droit fiscal des affaires et du département droit fiscal du CDA
(1) CAA Versailles, 3ème ch., 20 décembre 2005, n° 04VE00889, Société Semaluz (N° Lexbase : A3765DME) : RJF 5/06, n° 512.
(2) CJCE, 9 octobre 2001, aff. C-108/99, Commissioners of Customs & Excise c/ Cantor Fitzgerald International (N° Lexbase : A4483AWX) : RJF 1/02, n° 124.
(3) CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-144/02, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne (N° Lexbase : A0921DDH) : Dr. fisc. 2004, comm. 770 ; note Y. Sérandour, Mécénat et TVA, Lexbase Hebdo n° 156 du 24 février 2005 - édition fiscale (N° Lexbase : N4725ABM).
(4) Y. Sérandour, Les critères d'identification de la subvention à inclure dans l'assiette de la TVA, Droit fiscal 2003, n° 3, p. 84.
(5) Y. Sérandour, L'influence des subventions sur le droit à déduction de la TVA, JCP, éd. E 2000, p. 1221 ; CJCE, 6 octobre 2005, aff. C-204/03, Commission des Communautés européennes c/ Royaume d'Espagne (N° Lexbase : A6728DKE) et aff. C-243/03, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A6729DKG) : RJF 12/05, n° 1498 ; Dr. fisc. 2005, n° 49, p. 1921, Etude M. Guichard et W. Stemmer ; obs. Y. Sérandour, L'Année Fiscale 2005, p. 240.
(6) CE, sect., 6 juillet 1990, n° 88224, Comité pour le développement industriel et agricole du Choletais (N° Lexbase : A4653AQE) : Dr. fisc. 1990, n° 41, comm. 1849 ; RJF 8-9 90, n° 989 ; CE, 8° et 9° s-s-r., 2 juin 1999, n° 191937, Association des amis du festival de Rodez et du parvis (N° Lexbase : A3287AXZ) : Dr. fisc. 2000, n° 3, comm, 22, concl. J. Arrighi de Casanova ; RJF 7/99, n° 851 ; CE, 9° et 10° s-s-r., 31 mai 2000, n° 182012, Association Strasbourg musique et congrès (N° Lexbase : A4041AWL) : Dr. fisc. 2000, n° 50, comm. 1002, concl. J. Courtial ; RJF 9-10/00, n° 1066.
(7) CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86, Apple and Pear Development Council c/ Commissioners of Customs and Excise (N° Lexbase : A7336AH8) : Dr. fisc. 1989, n° 15, comm, 813 ; RJF 8 -9/88, n° 970 ; CJCE, 23 novembre 1988, aff. C-230/87, Naturally Yours Cosmetics Limited c/ Commissioners of Customs and Excise (N° Lexbase : A7745ATZ) ;CE, 7° et 8° s-s-r., 9 mai 1990, n° 82611, Comité des producteurs de plants et pommes de terre de la région Nord et du Bassin Parisien (N° Lexbase : A4636AQR) : Dr. fisc. 1990, n° 41, cornm. 1845 ; RJF 6/90, n° 676 ; CE, sect., 6 juillet 1990, n° 88224, Comité pour le développement industriel et agricole du Choletais, préc. ; CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL (N° Lexbase : A5858AXA) : Dr. fisc. 2002, n° 5, comm. 74 ; RJF 2/02, n° 250 ; Y. Sérandour, Les critères d'identification de la subvention à inclure dans l'assiette de la TVA, préc..
(8) CE, 9° et 8° s-s-r., 20 mars 1996, n° 139062, SARL Informations juives Le journal des communautés (N° Lexbase : A8117ANX) : Dr. fisc. 1996, n° 31-36, comm. 1040, concl. Ph. Martin ; RJF 5/96, n° 567 ; CE, 9° et 8° s-s-r., 6 novembre 1996, n° 137686, Société des courses de la Côte d'Amour (N° Lexbase : A1555APB) : Dr. fisc. 1997, n° 3, com. 24, concl. G. Goulard ; RJF 12/96, n° 1417.
(9) CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge, préc.
(10) CE, 8° et 9° s-s-r., 2 juin 1999, n° 191937, Association des amis du festival de Rodez et du parvis, préc. ; CE, 9° et 10° s-s-r., 31 mai 2000, n° 182012, Association Strasbourg musique et congrès, préc..
(11) Rép. Min. n° 26823 à M. René, JOAN Q, 6 janvier 2004, p. 64.
(12 CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-495/01, Commission des Communautés européennes c/ République de Finlande (N° Lexbase : A0941DD9) : Dr. Fisc. 2004, n° 42, comm. 770, note Y. Sérandour.
(13) L'administration vient de préciser à nouveau cette notion : instruction du 16 juin 2006, BOI n° 3 A-7-06 (N° Lexbase : X6922ADQ) ; Dr. fisc. 2006, n° 27, instr. 13554.
(14) CJCE, 24 octobre 1996, aff. C-288/94, Argos Distributors Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 16 (N° Lexbase : A7279AH3) : Rec. p. I-5311 ; CJCE, 15 mai 2001, aff. C-34/99, Commissioners of Customs & Excise c/ Primback Ltd, § 24 (N° Lexbase : A3959ATS) : Dr. fisc. 2001, n° 37, comm. 797.
(15) Voir instr. et réf. préc.
(16) CJCE, 27 octobre 1993, aff. C-281/91, Muys' en De Winter' s Bouw-en Aannemingsbedrijf BV c/ Staatssecretaris van Financiën (N° Lexbase : A7501AHB) : RJF 1994, 116.
(17) CE, 3° et 8° s-s-r., 28 mai 2004, n° 250817, Socité Magneti Marelli France (N° Lexbase : A2955DCG) : Y. Sérandour, La rupture unilatérale ne relève pas de la TVA, Lexbase Hebdo n° 127 du 1er juillet 2004 - édition fiscale (N° Lexbase : N2131ABK).
(18) Instruction du 27 mars 2002, BOI n° 3 B-1-02 (N° Lexbase : X0628ABU) : Dr. fisc. 2002, n° 16, 12818.
(19) CE, 8° et 3° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 241371, Société Batinorest (N° Lexbase : A2496C9C) : RJF 11/03, n° 1232 ; concl. P. Collin au BDCF 11/03, n° 137, obs. Y. Sérandour, L'Année Fiscale 2004, p. 234 ; CAA Nantes, 1ère ch., 30 décembre 1997, n° 95NT00532, SA Polyclad Europe (N° Lexbase : A6696BHH) : Dr. fisc.1998, comm. 361 ; Pourvoi rejeté par le Conseil d'Etat le 15 décembre 2000 : Dr. fisc. 2001, n° 16, comm. 378.
(20) Arrêt "Muy's en De Winter's Bouw", préc.
(21) CJCE, 15 mai 2001, aff. C-34/99, Commissioners of Customs & Excise c/ Primback Ltd, § 24, préc. : Dr. fisc. 2001, n° 37, comm. 797, § 24.
(22) CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Ex (N° Lexbase : A0045DNY) : RJF 5/06, n° 648 ; Adde, Y. Sérandour, L'Abus de droit selon la CJCE : Dr. fisc. 2006, n° 16, Etude 16, p. 846.
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N3039A9G
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Le 07 Octobre 2010
I - Communications électroniques
Contenu :
Le Forum des droits sur l'internet a publié une recommandation visant à définir un dispositif de classification des contenus multimédias mobiles.
Le système de classification retenu s'applique à tous les services de contenus référencés sur les portails des opérateurs et/ou dans les kiosques. Le Forum des droits sur l'internet a repris la signalétique et les tranches d'âge de la grille du CSA afin d'assurer une meilleure compréhension de la part des utilisateurs.
Quatre catégories ont ainsi été retenues :
- "tous publics" ;
- "-12" ou "déconseillé aux moins de 12 ans" ;
- "-16" ou "déconseillé aux moins de 16 ans" ;
- "-18" ou "réservé aux adultes".
Le Forum des droits sur l'internet préconise la mise en place d'un système d'auto-classification par les éditeurs de contenus. Toutefois, les classifications déjà adoptées pour certains contenus tels que les films de cinéma, les programmes audiovisuel et les jeux vidéo, seront conservés (sauf cas particuliers).
Le Forum des droits sur l'internet propose aussi que la mise en place de ce système de classification soit assurée par deux instances, dont la première aurait pour mission de traiter les différends relatifs à la classification ou à la modération de l'espace interactif, et la seconde proposerait des évolutions des niveaux de classification.
Le Forum des droits sur l'internet précise que le dispositif de classification ne concerne pas les espaces publics des espaces interactifs (chats, blogs, forums...)
Enfin, le Forum des droits sur l'internet recommande que le dispositif de contrôle parental s'appuie sur les catégories de classification proposées et empêche au minimum l'accès aux contenus classés "déconseillés aux moins de 16 ans" ainsi qu'aux services interactifs de rencontres. La mise en place d'un système d'accès spécial aux contenus réservés aux adultes permettant de prouver la majorité de l'utilisateur est également recommandée.
Commentaire :
Cette recommandation du Forum des droits sur l'Internet a été adoptée à la suite de la signature de la Charte d'engagements des Opérateurs sur le contenu multimédia mobile par l'Association Française des Opérateurs Mobiles (AFOM) le 10 janvier 2006.
La mise en place du dispositif de classification est un exemple de tentative d'auto régulation du marché par le Forum des droits sur l'internet. Le Forum des droits sur l'internet propose, ainsi, un encadrement extra-législatif adapté aux réalités du marché.
Le Forum des droits sur l'internet prévoit une période transitoire pour la mise en place de ce système de classification : les éditeurs de contenus multimédias mobiles auraient jusqu'au 1er janvier 2007 pour classer leurs services. A compter de cette date, seuls les contenus multimédias mobiles classés par les éditeurs resteraient accessibles depuis les kiosques et les portails de téléphonie mobile.
Les opérateurs de téléphonie mobile et les éditeurs de contenus continuent à réfléchir sur les implications techniques de ce nouveau schéma de contrôle d'accès aux contenus.
II - Fichiers informatiques
Faits :
M. Le Fur, salarié de la société Techni-Soft, a été licencié pour faute grave le 28 février 2002.
Il lui a été, notamment, reproché d'avoir crypté son poste informatique, sans autorisation de la société qui, dès lors, ne pouvait pas consulter les dossiers commerciaux du salarié.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 12 avril 2002. Le litige a, par suite, été porté devant la cour d'appel de Rennes qui a confirmé la validité du licenciement pour faute grave.
M. Le Fur a alors formé un pourvoi en cassation.
Décision :
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé.
La Cour affirme que "les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence".
Après avoir relevé que M. Le Fur avait procédé volontairement au cryptage de son poste informatique, sans autorisation de la société, faisant ainsi obstacle à la consultation des dossiers commerciaux par l'employeur, la Cour de cassation confirme l'arrêt rendu en appel, et considère que le comportement du salarié rendait impossible le maintien des relations contractuelles et constituait une faute grave.
Commentaire :
Par cette décision, la Cour de cassation affirme que sont présumés avoir un caractère professionnel, les fichiers et dossiers enregistrés sur le poste de travail du salarié.
Si l'employeur tolère une utilisation par le salarié des outils informatiques à titre personnel, chaque salarié doit expressément identifier les dossiers ou fichiers qu'il considère comme étant personnels. A défaut, l'employeur pourra avoir accès à tout fichier ou dossier non identifié par le salarié comme personnel. Toute entrave à ce droit d'accès peut constituer une faute grave de la part du salarié. Cela peut être, notamment, rappelé aux salariés dans le cadre d'une charte informatique.
Rappelons, par ailleurs, que la cour de Cassation avait précédemment jugé, dans un arrêt du 17 mai 2005 (Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2997DIT), que l'employeur ne pouvait ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé. La Cour énonçait encore que ce principe supporte une exception : en cas de risque ou événement particulier pour l'entreprise, l'employeur peut ouvrir les fichiers identifiés comme personnels sans la présence du salarié.
Cependant, il convient d'attendre une interprétation, par des décisions futures, du sens à donner à la notion de "risque ou événement particulier".
Sur cet arrêt lire également les observations de Sébastien Tournaux, La consultation des documents de nature professionnelle du salarié, Lexbase Hebdo n° 234 du 1er novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4508ALK).
III - Médias
Faits :
Le 30 septembre 2002, la chaîne de télévision France 2 diffuse, lors du journal de 20h, un reportage qui évoque les affrontements du conflit israélo-palestinien. Ce reportage témoigne de violences sans précédents et rapporte la scène mortelle d'un fils et de son père abattus par une rafale de balles.
Le 22 novembre 2004, la société Média Ratings que dirige Philippe K., publie sur son site internet un article accusant France 2 et ses journalistes d'avoir diffusé un faux reportage et de tromper le public.
Le 26 novembre 2004, la société Média Ratings envoie un communiqué de presse par voie électronique à l'ensemble des personnes inscrites sur sa liste de distribution. Dans ce communiqué intitulé "France 2 - Arlette C. et Charles E. doivent être démis de leurs fonctions immédiatement", il est réaffirmé que France 2 a diffusé un faux reportage le 30 septembre 2002.
Le 3 décembre 2004, France 2 et Charles E. se constituent partie civile devant le tribunal de grande instance contre Philippe K. pour délit de diffamation publique.
Philippe K. fait valoir pour sa défense que le communiqué de presse a été diffusé uniquement par voie de courrier électronique à titre de correspondance privée aux seules personnes qui s'étaient préalablement et volontairement inscrites sur la liste de distribution de sorte que les destinataires étaient unis par une communauté d'intérêts et que la condition de publicité du délit de diffamation envers des particuliers viendrait par conséquent à manquer.
Décision :
Le tribunal de grande instance rejette l'argumentation de Philippe K.
Le tribunal relève que s'il ne fait aucun doute que le texte de ce communiqué de presse a été envoyé par courrier électronique à divers correspondants, il résulte des termes mêmes de ce courrier, comme d'ailleurs de son intitulé, que sa vocation était exclusive de toute confidentialité. En effet, non seulement ce communiqué a été adressé sans discrimination aucune à l'ensemble des personnes s'étant inscrites sur la liste de diffusion du site -cette inscription étant gratuite et s'opérant sans aucune procédure de contrôle ou de sélection préalable, comme l'a précisé Philippe K. à l'audience- mais chacun de ses destinataires, qui échappait par définition à toute identification préalable, se voyait informé de ce que "la quasi-totalité des rédactions françaises reçoivent nos communiqués de presse", le voeu étant, par ailleurs, exprimé que "les médias français [informent] rapidement les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs de l'imposture [dénoncée]".
Dans ces conditions, conclut le tribunal, ce communiqué ne saurait être regardé, sans dénaturation, comme constituant une correspondance confidentielle adressée à des destinataires unis par une communauté d'intérêts. La condition de publicité du délit est, dès lors, caractérisée.
Commentaire :
Ce jugement du tribunal de grande instance de Paris précise les éléments constitutifs de la correspondance privée.
Seule une circulaire du 17 février 1988, prise en application de l'article 43 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, donne une définition de la correspondance privée. Il y a une correspondance privée lorsque le message est exclusivement destiné à une (ou plusieurs) personne(s) physique(s) ou morale(s), déterminée(s) et individualisée(s).
Les juges adoptent, en l'espèce, la même définition. Le message doit être exclusivement destiné à une personne précisément identifiée pour être considéré comme privé. Or, en l'espèce, il y avait eu absence de procédure de contrôle et de sélection préalable des destinataires à leur inscription sur la liste de diffusion. De plus, de par sa vocation, le communiqué de presse était destiné à l'ensemble des médias français. Autant d'éléments qui n'ont donc pas permis aux juges de retenir le caractère privé de la correspondance litigieuse.
Faits :
M. Pierre Perret, auteur-compositeur et interprète de la chanson "Les jolies colonies de vacances" a notamment cédé à la société Warner Chappell Music France ses droits de reproduction et de diffusion par contrat en date du 7 juin 1966.
Par contrat en date du 25 juin 1996, la société Warner Chappell Music France autorise la société Polygram vidéo, devenue la société Universal Pictures video France, à intégrer l'oeuvre interprétée par un groupe d'artistes anonyme dans une vidéocassette de karaoké incluant treize autres chansons populaires. La jaquette de la vidéocassette porte la mention "Interprète : Pierre Perret - (Pierre Perret - Pierre Perret)".
M. Pierre Perret assigne les sociétés Warner Chappell Music France et Polygram vidéo, respectivement éditeur et producteur de la vidéocassette litigieuse, estimant qu'elles ont porté atteinte à son droit moral d'auteur.
M. Pierre Perret fait valoir devant la cour d'appel de Paris que la chanson a été exploitée sans son autorisation et que l'interprétation qui en est faite porte atteinte au droit au respect de son oeuvre.
La cour d'appel exclut l'atteinte au droit moral de l'auteur mais elle retient cependant l'atteinte portée à son droit moral d'artiste interprète. La cour d'appel prononce aussi la résiliation du contrat d'édition intervenu entre M. Pierre Perret et la société Warner Chappell Music France (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 23 janvier 2004, n° 2002/03374 N° Lexbase : A3486DC4).
La société Warner Chappell Music France a formé un pourvoi et M. Pierre Perret a formé un pourvoi incident.
Décision :
La Cour de cassation casse et annule partiellement l'arrêt rendu.
La Cour considère que l'exploitation de l'oeuvre dans une compilation "n'est de nature à porter atteinte au droit moral de l'auteur, requérant alors son accord préalable, qu'autant qu'elle risque d'altérer l'oeuvre ou de déconsidérer l'auteur". Elle confirme ainsi la décision des juges du fond en constatant que la cour d'appel a légalement justifié sa décision dès lors qu'elle a relevé que l'oeuvre audiovisuelle n'est pas "de nature à la dévaloriser, ou à nuire à l'honneur ou à la réputation de M. Pierre Perret".
Elle confirme aussi la décision de la cour d'appel en ce qu'elle a prononcé la résiliation du contrat d'édition intervenu entre M. Pierre Perret et la société Warner Chappell Music France sur le fondement des articles 1134 ,alinéa 3, (N° Lexbase : L1234ABC) et 1135 (N° Lexbase : L1235ABD) du Code civil. La société Warner Chappell Music France en sa qualité de "professionnel averti", ne pouvait pas ignorer que le droit moral de M. Pierre Perret en tant qu'artiste interprète n'était pas compromis par l'enregistrement litigieux. Par ailleurs, la société Warner Chappell Music France a commis une faute en demandant à la société productrice de mentionner sur la jaquette de la vidéocassette le nom de M. Pierre Perret comme interprète.
Enfin, la Cour de cassation casse partiellement la décision de la cour d'appel au visa de l'article 1626 du Code civil (N° Lexbase : L1728ABM) en jugeant que "la personne qui a délibérément participé à la violation du droit d'un artiste interprète en mettant en vente un enregistrement qu'elle savait lui être faussement attribué ne peut obtenir la garantie de celui dont elle est l'ayant cause".
Commentaire :
Cet arrêt permet, notamment, de préciser les droits dont peut se prévaloir l'artiste-interprète sur l'exploitation de son oeuvre.
La Cour de cassation confirme la décision de la cour d'appel en adoptant une solution différente de celle de la jurisprudence "Jean Ferrat" selon laquelle "une exploitation sous forme de compilations avec des oeuvres d'autres interprètes étant de nature à en altérer le sens, ne pouvait relever de l'appréciation exclusive du cessionnaire et requérait une autorisation spéciale de l'artiste" (Cass. soc., 8 février 2006, n° 04-45.203, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7241DM7). La Cour de cassation considère, en effet, que la compilation constitue un mode d'exercice du droit patrimonial cédé, et que le droit moral de l'auteur n'est atteint que si la compilation risque "d'altérer l'oeuvre ou de déconsidérer l'auteur". Elle exclut par conséquent, en l'espèce, l'atteinte au droit moral de l'auteur.
Notons que la Cour fait usage de l'article 462 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2701ADE) pour réparer l'erreur matérielle des juges du fond qui avaient vu dans la mention litigieuse du nom de l'auteur interprète une atteinte au droit d'auteur. L'arrêt corrige et précise qu'il s'agit d'une atteinte au droit moral de l'artiste interprète, soulignant au passage qu'en sa qualité de "professionnel averti", l'éditeur ne pouvait nier ce risque.
Cet arrêt est aussi intéressant dans la mesure où la Cour de cassation casse la décision de la cour d'appel de condamner l'éditeur, la société Warner Chappell Music France, à garantir le producteur de l'oeuvre. La Cour de cassation considère, en effet, que le producteur a participé délibérément à la violation du droit moral en cause par la mise en vente de la cassette et ne peut donc se prévaloir de la garantie de l'éditeur.
Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance
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Réf. : Projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social du 5 décembre 2006
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Le 07 Octobre 2010
Pour autant, en dépit d'un travail de réécriture important, la commission mixte paritaire n'a pas altéré les six objectifs que le Gouvernement s'était fixé à l'origine, à savoir : favoriser la diffusion de la participation et de l'épargne salariale dans les PME, augmenter le montant des sommes versées aux salariés en autorisant l'attribution d'un supplément d'intéressement ou de participation au titre de l'exercice clos, favoriser la participation des salariés au capital en encourageant l'actionnariat salarié par des incitations fiscales et en créant un dispositif plus souple de reprise, renforcer la participation des salariés à la gestion de leur entreprise, améliorer la mise en cohérence des différents dispositifs, et renforcer l'information et la formation des salariés sur l'épargne salariale.
La réflexion sur l'impact et la nature de la notion de dividende du travail, objet de cette étude, est, toutefois, contingente à ces orientations, plus politiques que juridiques, et vise à démontrer, alors que la participation au sens large avait été figée en raison de la rigidité des mécanismes du droit du travail (I), comment l'utilisation de concepts issus du droit des sociétés (II) a permis de donner un essor au régime issu de l'ordonnance n° 59-126, du 7 janvier 1959, relative à l'association ou l'intéressement des travailleurs à l'entreprise.
I - La participation face à l'obstacle de l'ordre public social
La succession des réformes relatives à la participation financière au sens large, c'est-à-dire celle qui englobe l'ensemble des systèmes permettant d'associer les salariés aux résultats de l'entreprise, a démontré les difficultés à adapter un mécanisme simple -en apparence- à l'évolution du fonctionnement des sociétés (A). Une des causes de cet échec (3) peut être trouvée dans la soumission des mécanismes de participation (au sens large) à une forme d'encadrement juridique née du droit social, alors qu'elle met en jeu des domaines qui ne sont pas réductibles à la logique particulière du droit du travail (B).
A - L'échec relatif de quarante années de régime de participation
C'est en 1959 qu'est introduit en France l'intéressement facultatif aux résultats de l'entreprise, mécanisme qui ne deviendra obligatoire qu'en 1967, avec la mise en place de "la participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise" (ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967) et du plan d'épargne d'entreprise (PEE) (ordonnance n° 67-694 du 17 août 1967). Les lois se sont, ensuite, succédées pour enrichir le dispositif initial : celle du 27 décembre 1973 (loi n° 73-1196, 27 décembre 1973, relative à la souscription ou a l'acquisition d'actions de sociétés par leurs salariés) a donné la faculté de proposer aux salariés des plans d'option ou de souscription d'actions, celle du 24 octobre 1980 (loi n° 80-834, 24 octobre 1980, créant une distribution d'actions en faveur des salariés des entreprises industrielles et commerciales N° Lexbase : L2049A4N) a rendu plus aisée la distribution aux salariés d'actions gratuites à la suite d'une augmentation de capital.
Des réformes, notamment fiscales, ont ensuite tenté de rendre ces différents mécanismes plus attractifs, la plus récente, la loi "Fabius", du 19 février 2001, sur l'épargne salariale (loi n° 2001-152, 19 février 2001, sur l'épargne salariale N° Lexbase : L5167ARS), créant, notamment, le plan partenarial d'épargne salariale volontaire (PPESV) pour l'épargne retraite. Plus d'une dizaine de textes, en une quarantaine d'années, ont ainsi rythmé l'évolution de la participation.
On peut peut-être voir un signe de l'urgence du dossier dans l'accélération subite de cette cadence à compter de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73, 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9) qui va emporter modification de la représentation des salariés actionnaires dans les conseils d'administration et de surveillance. Elle est, en effet, suivie par la loi du 21 août 2003 (loi n° 2003-775, 21 août 2003, portant réforme des retraites [LXB=L9595CAM ]), créant le plan d'épargne retraite collectif (PERCO) en remplacement des PPESV, la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391, 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), l'ordonnance du 24 juin 2004 (s'agissant des augmentations de capital réservées aux salariés, ordonnance n° 2004-604, 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales N° Lexbase : L5052DZ7) et la loi du 9 août 2004 destinée à relancer la consommation (loi n° 2004-804, 9 août 2004, pour le soutien à la consommation et à l'investissement N° Lexbase : L0814GTC).
La loi de finances pour 2005 (loi n° 2004-1484, 30 décembre 2004, de finances pour 2005 N° Lexbase : L5203GUA) apportera des avantages fiscaux nouveaux pour les abondements de l'employeur alors que la loi du 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux (loi n° 2005-157, 23 février 2005, relative au développement des territoires ruraux N° Lexbase : L0198G8T) étendra l'intéressement, la participation et l'épargne salariale aux salariés de groupements d'employeurs mis à la disposition d'une entreprise. La loi du 31 mars 2005 (loi n° 2005-296, 31 mars 2005, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise N° Lexbase : L1144G8U) instaurera, enfin, une passerelle entre le PERCO et les autres formes d'épargne salariale.
Autant de textes qui permettent de souligner qu'à la multiplicité des régimes, qui sont devenus proprement illisibles, va nécessairement succéder la recherche d'une plus grande simplicité. Pour autant, cette abondance même est le signe de l'importance du problème de fond soulevé par la nouvelle loi : la quasi-impossibilité, jusqu'à présent, de mettre en oeuvre l'axe principal de la participation au sens large ; dégager une communauté d'intérêts entre les forces du capital et celles du travail.
Le point de départ de la réflexion gouvernementale est à rechercher, à l'origine, dans la volonté de surmonter l'échec du dispositif de participation (stricto sensu, cette fois). Il est apparu d'emblée que ce dernier présentait le défaut de reposer sur une formule comptable complexe (4), imaginée à une époque où les conditions d'exploitation des entreprises étaient fort différentes de celles qui prévalent actuellement. L'espoir des gouvernements de l'époque était, en effet, de permettre, grâce à l'application d'une équation, d'affecter une partie de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises à la part salariale de l'activité plutôt qu'à ses détenteurs de capitaux. Ainsi, la réserve spéciale de participation (RSP) a-t-elle été constituée en fonction de la formule légale suivante : P = 1/2 B - 5 % C x S/VA (où P est la participation, B le bénéfice corrigé, C les capitaux propres corrigés, S les salaires bruts de l'exercice et VA la valeur ajoutée). La faculté a, cependant, été donnée aux entreprises de déroger à cette formule, à la condition que le mode de calcul adopté respecte le principe de faveur issu de l'ordre public social soit, en pratique, ne désavantage pas les salariés. Or, de facto, cette faculté de dérogation a été très peu utilisée. Quant à l'application de la formule, elle s'est vite avérée inappropriée et complexe, à la fois trop lourde à gérer pour les entreprises et d'une portée symbolique pour la plupart des salariés.
Les réformes ultérieures, créant d'autres modes de participation (au sens large), avec pour dominante l'intéressement aux résultats ou l'épargne -en vue, notamment, de la retraite- n'ont pas davantage permis, en dépit de quelques vraies réussites financières, de mettre fin au jeu de l'alternative : être titulaire de dividendes ou d'un salaire, ni d'associer véritablement l'ensemble des salariés au capital ou aux résultats de leur entreprise.
B - La question de l'encadrement de la participation par le droit social
La raison de cet échec est sans doute à rechercher, au-delà de la complexité des équations dans la nature de l'ordre public spécifique, dit social, qui encadre les relations entre employeurs et salariés. Bien que sa nature soit parfois controversée, on peut ramener sa spécificité à l'existence de deux composantes. D'une part, le socle de tout ordre public, tel que l'entend le droit privé, c'est-à-dire le principe issu du mécanisme de l'article 6 du Code civil (N° Lexbase : L2231ABA), à savoir que le contrat ne saurait contenir des stipulations contraires aux dispositions des lois qui ne sont pas supplétives. D'autre part, le principe de faveur en vertu duquel les acquis obtenus par la négociation constituent progressivement des règles minimales qui s'imposent à tous les contrats futurs, règles qui, en théorie -et on notera au passage que les exceptions à celles-ci se multiplient-, ne peuvent jamais être remises en cause.
Ce principe de faveur a souvent été fustigé, non dans son principe, mais dans son application, comme constituant un des facteurs de l'immobilisme social. Caractérisé, comme le souligne un auteur par deux aspects : "certitude d'effet, [mais] incertitude de contenu" (5), l'ordre public social constitue une source d'insécurité juridique pour l'employeur. Il l'incite, ainsi, à repousser l'ouverture de négociations voire à les refuser, de crainte que les avancées sociales, par leur accumulation, ne déstabilisent la relation contractuelle. Or, les réformes les plus récentes, de la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (N° Lexbase : L0300A9Y) à la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49), ont pris en considération la difficulté de maintenir ce principe de faveur, s'agissant de l'encadrement de négociations complexes dans lesquelles le progrès social paraît davantage devoir être obtenu sur la base d'un compromis ou être le fruit de concessions réciproques.
C'est pourquoi, dans des limites strictes permettant aux partenaires sociaux de contrôler le processus, s'est progressivement imposée l'idée de lever, pour des matières précises, et sous des conditions drastiques, les barrières du principe de faveur (notamment, dans les lois qui viennent d'être citées). N'aurait-il pas, alors, été judicieux d'alléger également l'application de ce principe au domaine de la participation ? Sans nul doute, mais c'est sans compter sur sa valeur, en termes de hiérarchie des normes qui en fait un mécanisme placé, selon le Conseil constitutionnel (6), sous la protection du législateur, ce même législateur étant garant de sa pérennité même s'il est autorisé à y apporter des aménagements. Au titre de cette protection, les éléments touchant à la rémunération -comme l'est la participation- constituent une matière sensible que le législateur a déjà partiellement écarté du champ de la dérogation au principe de faveur dans des textes récents (7).
L'abaissement du principe de faveur ne pouvant être réalisé, c'est fort opportunément, semble-t-il, que les mécanismes du droit des sociétés sont utilisés afin de contourner cet obstacle.
II - Le dividende du travail, mécanisme issu du droit des sociétés
Le nouveau texte illustre parfaitement le mouvement de perméabilité qui se fait progressivement jour entre des branches du droit qu'on aurait cru auparavant être séparées plus strictement. La notion de dividende (A) est ainsi revisitée (B) par le droit social qui en fait, désormais, un mécanisme adapté à la participation.
A - La notion de dividende de droit commun remise en cause
L'innovation majeure du texte est de créer un dividende du travail, le choix de ce terme, sans doute impropre au strict plan théorique, étant explicite d'une véritable innovation dans les rapports sociaux. Ce "dividende du travail" voit son fonctionnement institué par l'articulation des premières dispositions du projet de loi, tel qu'il est libellé à l'heure actuelle.
En effet, l'article 1 du texte dispose qu'"afin de favoriser le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, il est créé un dividende du travail reposant :
- sur le supplément d'intéressement ou de participation, versé en application de l'article L. 444-12 du code du travail (N° Lexbase : L6524ACM),
- sur les transferts des droits inscrits à un compte épargne-temps vers un plan d'épargne pour la retraite collectif ou un plan d'épargne d'entreprise [...],
- sur les attributions d'actions gratuites destinées à être versées sur un plan d'épargne d'entreprise [...],
- sur la disponibilité immédiate des dividendes attachés aux actions détenues dans le cadre d'un fonds commun de placement d'entreprise [FCPE] dont plus du tiers de l'actif est composé de titres émis par l'entreprise [...],
- sur l'existence d'une formule dérogatoire de participation [...]".
Ainsi, faut-il en conclure, à la lecture de l'ensemble du texte, que ledit "dividende du travail" consiste avant tout en un "supplément" d'intéressement ou de participation ou une valorisation financière du compte temps par transfert, sur la libération anticipé des FCPE ou sur l'existence d'une formule dérogatoire de participation. En toute hypothèse, l'économie du texte laisse entendre que ces modalités de participation (au sens large) relèvent de gratifications, de primes ou de partage de la valeur ajoutée qui ne rentrent pas dans un cadre ou un dispositif habituellement mis en oeuvre par l'entreprise. Ce caractère exceptionnel suffit-il à faire échapper ces avantages au principe de faveur ? Sans doute pas, notamment, parce que, s'agissant de formules dérogatoires de participation, ces dernières peuvent être adoptées dans le cadre d'accords d'entreprise.
Reste l'emploi du terme "dividende" qui, lui, pourrait permettre de dédouaner dans une certaine mesure la soumission de la participation à la mise en oeuvre du principe de faveur.
En effet, le dividende s'entend traditionnellement du partage, entre associés, du bénéfice réalisé par la société. Il est ainsi marqué par l'annualité et n'existe qu'à la condition que des bénéfices soient réalisés. En toute hypothèse, on peut y voir, au risque de déplacer la réflexion sur un plan économique, une rémunération du facteur capital, le "dividende social" représentant, lui, la rémunération du facteur travail.
Une confirmation de la caractéristique économique de cette future disposition peut se retrouver dans la rédaction de l'article 6 bis, (texte élaboré par la commission mixte paritaire) qui modifie l'article L. 442-6 du Code du travail (N° Lexbase : L6505ACW), qui sera complété à l'avenir par la phrase suivante : "La réserve spéciale de participation peut être calculée en prenant en compte l'évolution de la valeur des actions ou parts sociales de l'entreprise ou du groupe au cours du dernier exercice clos".
Ainsi, le calcul évoqué plus avant pourrait être modifié, et, dans ce cas précis, calqué sur le cours d'une valeur de référence afin d'assurer un partage équitable de la valeur ajoutée ou, tout le moins, faire en sorte que l'augmentation de la rémunération du facteur capital entraîne, par corrélation, celle du facteur travail.
B - L'autonomie de la notion de dividende social
Pourtant, il apparaît que l'emploi du terme "dividende" prête à confusion si on le rapporte aux règles d'attribution, prévues par le texte, tel qu'il ressort de la rédaction dégagée par la commission mixte paritaire. En effet, alors que l'attribution du dividende de droit commun est de la compétence exclusive de l'assemblée générale des actionnaires, qui statue sur cette attribution en toute connaissance des actes et des décisions prises par les dirigeants (pour un exemple topique : la rédaction de l'article L. 225-100 du Code de commerce N° Lexbase : L3029HNI, s'agissant de la société anonyme), le "dividende du travail" lui se trouve placé en amont de la prise de décision des actionnaires.
L'article 2 du projet établit, en effet, qu'un article L. 444-12 nouveau sera inséré dans le Code du travail prévoyant qu'il sera de la compétence du conseil d'administration ou du directoire de décider de verser un supplément d'intéressement collectif au titre de l'exercice clos et selon les modalités de répartition prévues par l'accord d'intéressement, sachant, continue le texte que "ces sommes peuvent notamment être affectées à la réalisation d'un plan d'épargne d'entreprise, d'un plan d'épargne interentreprises ou d'un plan d'épargne pour la retraite collectif ; ou constituer un supplément de réserve spéciale de participation au titre de l'exercice clos". Cette prédominance des organes de direction sur les organes délibérants est, par ailleurs, renforcée par une autre disposition du texte qui prévoit que dans les entreprises dépourvues de conseil d'administration et de directoire, le chef d'entreprise peut décider le versement d'un supplément d'intéressement ou de réserve spéciale de participation.
Ainsi, l'attribution de ce "dividende du travail" présente des caractéristiques propres, largement détachées de la notion traditionnelle de dividende de droit commun. La décision d'attribuer ou de ventiler les éléments de participation revient aux organes de direction et, en leur absence, au chef d'entreprise. Difficile, dans ce cas, d'exclure totalement l'idée que ces gratifications puissent constituer des excédents de rémunérations. Il demeure, qu'en toute hypothèse, les décisions relatives à la participation sont contrôlées, et éventuellement sanctionnées, par des décisions de l'assemblée générale, mais le "dividende" évoqué est bien de nature économique et non juridique.
Quant à la question de la soumission, ou non, de cette décision au principe de faveur, cette dernière a été habilement tranchée par l'article 2 lorsqu'il dispose que ces suppléments ou excédents de participation (toujours au sens large) sont affectés "au titre de l'exercice clos".
Il s'ensuit que ce décalage d'exercice laisse supposer, d'une part, que la décision des organes dirigeants aura été prise après consultation et approbation de l'assemblée générale compétente en matière de comptes. Cela évite, en principe, une éventuelle sanction postérieure des dirigeants et, surtout, garantit les salariés de la validité de la décision, qui aura indirectement été prise par les actionnaires, ou au moins avalisée l'exercice précédent.
Cela permet de conclure, que la relation entre l'attribution de ces sommes et la clôture de l'exercice permet de ne lier l'excédent de participation qu'aux seuls bénéfices déjà réalisés, et ne saurait, ainsi, comme il en est dans le cadre de l'application du principe de faveur, constituer un avantage définitif et devenir pour les salariés un socle futur de l'ordre public social.
Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
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par Marie-Hélène Sanson, Juriste marchés publics au sein d'un organisme national de protection sociale
Le 07 Octobre 2010
Une des premières nouveautés du code relatives aux candidatures figure dans son article 45-I, alinéa 3 (N° Lexbase : L2705HPU). Celui-ci prévoit qu'"il ne peut être exigé des candidats que des niveaux minimaux de capacités liés et proportionnés à l'objet du marché". Le code 2004 ne comportait pas cette disposition. Pour autant elle n'est pas une innovation. En effet, l'arrêté du 26 février 2004, fixant la liste des renseignements et/ou documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics (N° Lexbase : L1865DPR) indiquait, dès son article 1er : "à l'appui des candidatures et dans la mesure où ils sont nécessaires à l'appréciation des capacités des candidats l'acheteur public ne peut demander que les renseignements ou l'un des renseignements [...] suivants". Suivait alors une liste d'informations telles que le chiffre d'affaires, les effectifs et l'importance du personnel d'encadrement, les principaux services, fournitures ou travaux des trois dernières années (cinq années concernant les travaux), les titres d'études et/ou l'expérience des responsables et exécutants de la prestation de service, l'outillage, le matériel et l'équipement technique, les certificats de qualification professionnelle...
Les mentions "la mesure où ils sont nécessaires à l'appréciation des capacités des candidats" et "les renseignements ou l'un des renseignements, les documents ou l'un des documents" impliquaient déjà que les informations figurant dans l'arrêté ne devaient pas être systématiquement demandées. Les acheteurs devaient s'interroger lors de chaque procédure de marché sur la pertinence de telle ou telle information au regard de l'objet du marché. On conçoit, en effet, mal l'intérêt, par exemple, d'une présentation des moyens matériels de l'entreprise dans le cas d'une prestation de service telle que le conseil en organisation ou l'assistance méthodologique, de même que revêtent peu d'intérêt les titres d'études des responsables et exécutants dans le cas d'un marché de fournitures courantes.
Cette obligation d'adapter la demande à l'objet du marché était, de plus, régulièrement affirmée par la jurisprudence (CAA Douai, 31 mars 2005, n° 02DA00889, Société Thermotique c/ OPAC Oise Habitat N° Lexbase : A2376DK9). Dans le cadre d'une prestation de contrôle administratif, technique et financier de chaufferies, il n'est pas légitime de la part de la collectivité de demander aux candidats des références spécifiques en contrats d'affermage, le contrôle d'une gestion concédée n'étant pas substantiellement différent de celui d'une gestion affermée. Cette expérience aussi précise n'est pas justifiée par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. De même, le Conseil d'Etat, dans une décision du 10 mai 2006 (CE 2°et 7° s-s-r., 10 mai 2006, n° 281976, Société Bronzo N° Lexbase : A3393DPD) indique que s'il est possible à "l'acheteur public d'exiger [des candidats] la détention [...] de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités, cette exigence, lorsqu'elle a pour effet de restreindre l'accès au marché à des entreprises de création récente, doit être objectivement rendue nécessaire par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser".
II. Le traitement des références produites par les candidats
Ce sont les dispositions du nouveau code relatives aux candidatures qui ont été le plus commentées. A première vue pourtant, les dispositions des articles 52 du code 2004 (N° Lexbase : L1093DY7) et du code 2006 (N° Lexbase : L2712HP7) ne sont pas très éloignées. En effet, le premier (article 52, alinéa 2), dispose que "les candidatures [...] qui ne présentent pas des garanties techniques et financières suffisantes ne sont pas admises". Le deuxième (article 52-I, alinéa 4), indique que "les candidatures [...] sont examinées au regard des niveaux de capacités professionnelles, techniques et financières".
De même, les renseignements qui peuvent être demandés aux candidats sont quasi-identiques. L'article 45, alinéa 1, du code 2004 (N° Lexbase : L1087DYW) évoque "des renseignements permettant d'évaluer les capacités professionnelles, techniques et financières du candidat". L'article 45-I, alinéa 1, du code 2006 (N° Lexbase : L2705HPU) évoque "des renseignements ou documents permettant d'évaluer leur expérience, leurs capacités professionnelles, techniques et financières".
Enfin, les deux textes renvoient à un arrêté du ministère de l'Economie le soin de fixer la liste précise des renseignements et documents qui peuvent être demandés. Il s'agit de l'arrêté du 26 février 2004 (déjà cité) et de l'arrêté du 28 août 2006 (N° Lexbase : L6697HKA). Leurs éléments sont eux aussi très proches. Il s'agit, par exemple, du chiffre d'affaires, des effectifs et personnel d'encadrement, des principaux services, fournitures ou travaux des trois dernières années (cinq années concernant les travaux), des titres d'études des responsables de prestation de service, de l'outillage, matériel et équipement technique, des certificats de qualifications professionnelles, des certificats établis par des services chargés du contrôle de la qualité, des échantillons, descriptions et/ou photographies de fournitures...
Les codes 2004 et 2006 sont donc fondés sur les mêmes éléments. La nouveauté du code 2006 réside dans une précision apportée à l'article 52-I, alinéa 4 : "L'absence de références relatives à l'exécution de marchés de même nature ne peut justifier l'élimination d'un candidat et ne dispense pas le pouvoir adjudicateur d'examiner les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats". Certains ont vu là la quasi-disparition des références comme critère de sélection des candidatures.
S'agit-il réellement d'un changement aussi radical ? On a vu, en effet, que les références de prestations de même nature sont reprises par l'arrêté du 28 août 2006, comme elles l'étaient dans l'arrêté du 26 février 2004. De même, les codes 2004 et 2006 se réfèrent aux "capacités professionnelles, techniques et financières" pour évaluer les candidatures des entreprises. Le Code des marchés publics 2006 y ajoute même la notion "d'expérience", qui rejoint vraisemblablement celles des références. Les références peuvent donc toujours être demandées et examinées par les personnes publiques pour sélectionner les candidats. Ce critère n'a donc en aucun cas disparu.
Ce qui change, en revanche, c'est obligation de ne pas faire des références le critère unique de sélection des candidatures et l'unique motif d'élimination des entreprises. L'absence de références ne suffit pas à rejeter une candidature. Elle peut le permettre si elle est accompagnée d'autres arguments. Le nouveau code veut, ainsi, mettre fin à la suprématie des références. L'objectif est de ne pas pénaliser les petites et moyennes entreprises ou les entreprises nouvelles. Le caractère rédhibitoire de l'absence de références conduit, en effet, mécaniquement à exclure de la commande publique les entreprises qui se créent. Il constitue ainsi un frein à la création d'entreprise.
Cette idée n'est pas non plus totalement nouvelle. La précédente réglementation avait déjà mis en place ce qui pouvait constituer un "palliatif", même partiel, à l'absence de références. L'arrêté du 26 février 2004 avait, en effet, prévu, comme le fait d'ailleurs, aujourd'hui, l'arrêté du 28 août 2006, la possibilité pour les personnes publiques de demander les titres d'études ou de l'expérience professionnelle des personnes physiques qui seront chargées de l'exécution du marché. De cette façon, les entreprises peuvent faire valoir, à défaut de leur propre expérience, l'expérience mais aussi les qualifications de leurs dirigeants et cadres, afin de ne pas être éliminées d'office. L'arrêté de 2004 visait seulement les prestations de service, l'arrêté de 2006 étend cette possibilité à la conduite de travaux. La jurisprudence l'avait d'ailleurs envisagée de façon générale, concernant les entreprises nouvellement créées. En effet, dans une décision du 10 mai 2006 "Société Bronzo" (déjà citée), le Conseil d'Etat rappelait, en des termes très généraux, qu'afin de ne pas pénaliser les entreprises nouvelles, les personnes publiques peuvent autoriser les candidats "qui ne sont pas en mesure de produire les références demandées, à justifier de leurs capacités financières et professionnelles par d'autres moyens et notamment par la présentation de titres ou de l'expérience professionnelle du ou de leurs responsables".
Le Code des marchés publics 2006 apparaît donc plus comme un pas supplémentaire dans la réduction de l'importance des références que comme une véritable révolution. Les deux codes successifs restent dans une logique proche, mais alors que le code 2004 était incitatif, le code 2006 est impératif. Les personnes publiques ne sont plus invitées à laisser une chance aux entreprises, elles doivent examiner sans a priori l'ensemble de leurs arguments.
Dès lors, comment se déroulera en pratique la sélection des candidatures ? Face à un dossier ne comportant aucune référence dans l'objet du marché, sur quelles informations pertinentes pourra se fonder l'acheteur public pour choisir de le retenir ou de l'éliminer ? Côté entreprises, en l'absence de références, quels éléments pourront être utilement produits pour convaincre l'acheteur public ?
Il y a, tout d'abord, naturellement les moyens techniques et humains. On en a, cependant, évoqué plus haut les limites dans certaines prestations. Par ailleurs, ils ne peuvent souvent identifier qu'un niveau théorique de compétence, alors que les références reflètent un niveau de compétences pratique éprouvé "in situ". Il y a, ensuite, les certificats de qualifications professionnelles. Certains secteurs disposent de processus de ce type, organisés et reconnus. Les principales branches professionnelles du bâtiment proposent ainsi des certificats permettant de valider la compétence et le professionnalisme d'une entreprise : QUALIBAT pour le bâtiment, QUALIFELEC pour l'équipement électrique, QUALIPROPRE pour les services de propreté... D'autres certificats existent dans certains secteurs de services notamment : OPQCM pour le conseil en management, OPQF pour la formation professionnelle continue, OPQIBI pour l'ingénierie... Dans ces domaines, en l'absence de références présentées par un candidat, les acheteurs publics pourront examiner la pertinence des éventuels certificats présentés.
Les choix risquent, en revanche, d'être plus difficiles dans les secteurs où il n'existe pas de certificats de qualification. Dans ces hypothèses, en l'absence de références, candidats et acheteurs publics risquent de se trouver démunis.
III. La régularisation des candidatures incomplètes
La possibilité pour les personnes publiques de régulariser une candidature, issue du code 2004, est maintenue. Elle figure à l'article 52-I, alinéa 1er, du Code des marchés publics 2006. Ainsi, la personne publique "qui constate que des pièces dont la production était réclamée sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier". Un même délai est alors laissé aux entreprises. Il est fixé librement par la personne publique, dans la limite de dix jours maximum, comme dans le code 2004.
L'apport du Code des marchés 2006 réside dans le fait que la personne publique qui décide de permettre aux candidats dont les dossiers sont incomplets d'apporter des compléments, doit en informer les autres entreprises et leur permettre à elles aussi de compléter leur candidature. Cette disposition est directement inspirée par le principe d'égalité des candidats. Si les entreprises ayant constitué un dossier insuffisant peuvent le compléter, celles ayant présenté un dossier satisfaisant peuvent le parfaire. Elles ne sont donc pas défavorisées. Cette disposition semble louable, mais elle comporte, cependant, un risque d'allongement des procédures en raison du délai supplémentaire imparti aux candidats pour apporter des compléments et du délai d'analyse nécessaire à leur examen ; d'autant plus que les compléments peuvent, désormais, émaner potentiellement de tous les candidats. Cette disposition pourrait alors éventuellement dissuader les personnes publiques de permettre aux entreprises de régulariser leurs candidatures.
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Réf. : Décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, loi relative au secteur de l'énergie (N° Lexbase : A7578DSH)
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N3031A97
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Le 07 Octobre 2010
I - La question tarifaire
A ce titre, le Conseil constitutionnel fait observer que l'article 17 de la loi déférée a pour effet de modifier l'article 66 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 (loi de programme fixant les conditions de la politique énergétique N° Lexbase : L5009HGM). S'y trouve désormais inséré un article 66-1 concernant le secteur du gaz. Le Conseil note que "le I des articles 66 et 66-1 rend ces tarifs applicables, pour un site donné, aux consommateurs non domestiques si ceux-ci ou une autre personne n'ont pas, sur ce site, fait usage de leur liberté de choisir un fournisseur d'énergie ; que le II de ces mêmes articles rend les tarifs réglementés applicables aux consommateurs domestiques si ceux-ci n'ont pas eux-mêmes exercé leur liberté de choix sur le site concerné ; que le III de ces mêmes articles oblige notamment les opérateurs historiques qui fournissent, pour un site donné, l'une des sources d'énergie à proposer aux consommateurs, à l'exception des plus importants, une offre au tarif réglementé pour les deux sources d'énergie dans les conditions prévues par le I et le II ; qu'en particulier, cette offre doit être faite aux consommateurs domestiques pour l'alimentation de nouveaux sites de consommation ; que l'ensemble de ces obligations n'est pas limitée dans le temps" (point 2 de la décision).
En d'autres termes, par les dispositions en cause, EDF, outre GDF, devait pouvoir poursuivre sa stratégie généralisée de prix réglementés et offrir des gardes fous destinés à protéger le consommateur d'une possible flambée du prix de l'électricité. Ainsi, selon le texte adopté, dès le 1er juillet 2007, pour aller à l'essentiel, le consommateur ayant choisi un opérateur concurrent d'EDF devait se trouver dans l'impossibilité de contracter ultérieurement avec le fournisseur historique et bénéficier par conséquent des tarifs fixés par l'Etat. Parallèlement, le consommateur changeant de domicile devait également perdre le bénéfice des tarifs réglementés dès lors qu'il déménageait dans un logement jusqu'alors non raccordé.
Mais le Conseil rappelle que le législateur a été invité à transposer dans le droit français des Directives communautaires et qu'il s'agit là, en application de l'article 88-1 de la Constitution (N° Lexbase : L1350A9U) (1), d'une exigence constitutionnelle. Procédant à l'analyse des articles 3 des Directives en cause, il note que les Etats membres sont tenus de veiller à ce que les fournisseurs d'électricité et de gaz soient exploitées "en vue de réaliser un marché concurrentiel". Ils doivent s'abstenir de toute discrimination pour ce qui est des droits et obligations des entreprises concernées. Si les Etats membres peuvent imposer des obligations aux entreprises dans l'intérêt économique général, ces obligations doivent se rattacher à un objectif de service public, être non discriminatoires et garantir un égal accès aux consommateurs nationaux.
Considérant qu'il y a lieu de distinguer les "tarifs réglementés" prévus à l'article 17 de la loi déférée des "tarifs spéciaux" prévus à l'article 14 de la même loi et instaurés à des fins sociales (2) alors que les dispositions de l'article 17 imposent des obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public, le Conseil constitutionnel conclut "qu'il y a lieu [...] de déclarer contraires à l'article 88-1 de la Constitution les II et III des nouveaux articles 66 et 66-1 de la loi du 13 juillet 2005 susvisée, ainsi que, par voie de conséquence, les mots 'non domestique' figurant dans le I concernant les contrats en cours" (point 9 de la décision).
II - La conformité juridique de l'article 39
Le I de l'article 39 de la loi déférée modifie l'article 24 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, relative au secteur public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (N° Lexbase : L0813GTB). Il a pour effet de transformer la situation capitalistique de Gaz de France et de privatiser l'entreprise, la participation de l'Etat devant se situer aux alentours du tiers du capital à la suite de la fusion envisagée avec le groupe Suez. Les auteurs du recours soutiennent que le texte en cause est contraire au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (1), il méconnaîtrait les principes de libre administration des collectivités territoriales et de liberté contractuelle (2), et, il serait, enfin, préjudiciable à la continuité de service public (3).
1. Pour les requérants, le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 fait obstacle à la privatisation de Gaz de France. L'argument s'appuie sur le fait que l'entreprise conserve les caractéristiques d'un service public dès lors que s'impose à elle une obligation de fournir du gaz à un tarif réglementé et qu'au surplus elle dispose toujours d'un monopole de fait s'agissant tant du transport que de la distribution du gaz. Ils relèvent, enfin, que le transfert au secteur privé ne saurait, en tout état de cause, intervenir avant le 1er juillet 2007, date de la transposition des Directives et donc de l'ouverture à la concurrence du marché de la fourniture de gaz naturel aux clients domestiques.
Le Conseil fait tout d'abord observer que si le Préambule de la Constitution de 1946 dispose que "tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité", encore faut-il noter que l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) confère au législateur la compétence pour fixer "les règles concernant [...] les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé" (point 13 de la décision).
Le Conseil formule, par ailleurs, une seconde remarque tout à fait essentielle. Le fait qu'une activité ait été érigée en service public national, sans que la Constitution l'ait exigé, ne fait pas obstacle au transfert au secteur privé de l'entreprise qui en est chargée mais il faut alors que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national. Or, sur ce plan, le Conseil relève qu'à compter du 1er juillet 2007, la loi nouvelle met un terme à l'exclusivité dont Gaz de France bénéficiait pour la fourniture du gaz naturel aux particuliers. Les obligations de service public s'imposent, désormais, non seulement à Gaz de France, mais aussi à tous les autres fournisseurs de gaz. Au surplus, l'obligation de péréquation des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution sur la zone de desserte de chaque gestionnaire s'impose à tous les opérateurs. Dans de telles conditions, Gaz de France perd son caractère de service public national.
Le Conseil considère encore que la société Gaz de France ne peut être regardée comme une entreprise dont l'exploitation constitue un monopole de fait. Il se fonde à cet égard sur différents constats.
En premier lieu, les activités de transport du gaz naturel ont été exclues de la nationalisation ; il s'agit là d'une activité ouverte à tout opérateur.
En deuxième lieu, les activités de production de gaz naturel, mais aussi celles de stockage et d'exploitation des installations de gaz liquéfié, sont également ouvertes à la concurrence.
En troisième lieu, les monopoles d'importation et d'exportation du gaz naturel ont été supprimés par la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l'électricité et au secteur public de l'énergie (N° Lexbase : L7950BB3).
En quatrième lieu, depuis le 1er juillet 2004, les utilisateurs de gaz autres que les clients domestiques peuvent se fournir auprès du fournisseur de leur choix et cette faculté doit être offerte aux consommateurs individuels à partir du 1er juillet 2007.
Au total, le Conseil conclut que la société Gaz de France ne peut être regardée comme une entreprise dont l'exploitation constitue un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Toutefois, Gaz de France ne devant perdre sa qualité de service public national que le 1er juillet 2007, il conclut que "le transfert effectif au secteur privé de cette entreprise ne pourra prendre effet avant cette date ; [...] sous la réserve énoncée [ci-dessus], le grief tiré de la violation du neuvième alinéa du préambule de 1946 doit être écarté" (points 26 et 27 de la décision).
2. Les requérants dénoncent, par ailleurs, le fait que la loi nouvelle impose aux collectivités territoriales ayant concédé à Gaz de France (mais aussi aux distributeurs non nationalisés) la distribution publique du gaz naturel de renouveler leur concession avec cette entreprise alors qu'elle perd, du fait de la privatisation, son caractère public. Le législateur aurait ainsi, de manière disproportionnée, porté atteinte à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle, atteinte non justifiée par un quelconque motif d'intérêt général.
Là encore, la thèse exposée est réfutée. La réfutation repose tout d'abord sur les articles 34 et 72 (N° Lexbase : L1342A9L) de la Constitution (3). Le législateur peut, à des fins d'intérêt général, assujettir les collectivités territoriales et leurs groupements à des obligations particulières. Il fonde également son argumentation sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1368A9K) selon lequel "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi".
Le Conseil observe, enfin, que la permanence de l'exclusivité des concessions de distribution publique sur les zones de desserte historique dont Gaz de France bénéficie -ainsi d'ailleurs que des distributeurs non nationalisés- trouve sa justification "dans la nécessité d'assure la cohérence du réseau des concessions actuellement gérés par Gaz de France et de maintenir la péréquation des tarifs d'utilisation des réseaux publics de distribution ; que les griefs invoqués doivent, dès lors, être rejetés" (point 31de la décision).
3. Il est, enfin, soutenu que la loi examinée ne comporte aucun mécanisme de nature à empêcher Gaz de France de céder des actifs stratégiques affectés à ses missions de service public. Dans de telles conditions, le respect des exigences constitutionnelles qui s'attachent précisément à la continuité du service public ne serait pas assuré.
Là encore, le Conseil constitutionnel invite les requérants à faire une lecture plus attentive des dispositions qui ont été adoptées au titre du secteur énergétique. Il fait remarquer que le principe de la continuité du service public n'a pas été méconnu à partir du moment où la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, précitée, impose tant à Gaz de France qu'aux autres opérateurs intervenant sur le marché en cause diverses obligations concernant "la continuité et la sécurité d'approvisionnement en énergie". Il ajoute que, par le moyen de dispositions réglementaires, l'Etat doit pouvoir s'opposer à tout transfert d'actifs portant préjudice aux missions de Gaz de France et souligne enfin "qu'en cas de circonstances exceptionnelles, les autorités compétentes de l'Etat pourront, en tant que de besoin, procéder, dans le cadre de leurs pouvoirs de police administrative ou en vertu des dispositions du code de la défense, à toute réquisition de personnes, de biens et de services ; [...] dès lors, que le principe de continuité du service public n'est pas méconnu par l'article 39 de la loi déférée" (points 35 et 36 de la décision).
En l'état actuel des choses, afin de mettre la loi française en conformité avec les dispositions tarifaires voulues par les Directives du 26 juin 2003 précitées, le Parlement n'avait plus qu'à adopter une nouvelle mouture de l'article 17 de la loi déférée.
De son côté, et ce point est beaucoup plus problématique, le Gouvernement se doit de méditer sur l'erreur commise en croyant, ou feignant de croire, que la privatisation de Gaz de France pouvait précéder la libéralisation du marché de l'énergie prévue pour le 1er juillet 2007.
Le Conseil constitutionnel souligne que le délai imposé à la privatisation ne faisait pas obstacle à la poursuite des actes y conduisant et, notamment, à la tenue des assemblées générales d'actionnaires, il reste que la décision examinée fait peser de lourdes incertitudes sur le devenir de Gaz de France et de son alliance avec le groupe Suez.
Indépendamment du débat juridique, la loi déférée devant le Conseil constitutionnel pose, par ailleurs, la question de savoir si le Parlement, mais aussi le Gouvernement, entendent ou non donner au système de prix tout le sens qui est le sien et reconnaître, par conséquent, que tout prix libre a un pouvoir d'information et a pour vertu de refléter les raretés relatives. Certes, dès mars prochain, les annonceurs du secteur énergétique devront accoler à leurs messages publicitaires le slogan "L'énergie est notre avenir, économisons là", mais la meilleure façon de responsabiliser le citoyen n'est-elle pas d'abandonner le régime des prix administrés et le monde des slogans ; les prix administrés ont toujours conduit à l'échec et les slogans n'ont jamais fait partie de la panoplie des politiques économiques rigoureuses et responsables.
André-Paul Weber
Professeur d'économie
Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence
(1) "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constitués d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences".
(2) Dispositions que l'on retrouve d'ailleurs à l'article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 modifiée relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (N° Lexbase : L4327A3N).
(3) L'article 34 prévoit que "la loi est votée par le Parlement.[...] La loi détermine les principes fondamentaux [...] de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences, de leurs ressources". Pour sa part, l'article 72 précise que si les collectivités s'administrent librement, c'est "dans les conditions prévues par la loi".
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Réf. : Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-43.470, Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) des Yvelines, F-P+B (N° Lexbase : A7899DSD)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Le refus par un salarié d'un poste proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation. |
Décision
Cass. soc., 29 novembre 2006, n° 05-43.470, Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) des Yvelines, F-P+B (N° Lexbase : A7899DSD) Rejet (CA Versailles, 17ème ch., 12 mai 2005) Texte concerné : C. trav., art. L. 122-32-5 (N° Lexbase : L5523ACK) Mots-clefs : salarié victime d'un accident du travail ; obligation de reclassement ; refus du salarié. Lien bases : |
Faits
A la suite d'un accident du travail, une salariée a été déclarée inapte à son poste, mais apte à un poste sans charges lourdes ni station debout prolongée. L'Apajh lui a, alors, proposé un reclassement sur un poste à temps partiel. Cette dernière l'a refusé en raison du faible nombre d'heures de travail. L'Apajh a, par suite, procédé à son licenciement. La cour d'appel a qualifié le licenciement de licenciement sans cause réelle et sérieuse en se fondant sur le fait que l'Apajh n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. |
Solution
1. Rejet 2. "Mais attendu, d'une part, qu'il résulte des constatations souveraines de l'arrêt que les pièces n'avaient pas été communiquées en temps utile au sens des articles 15 et 135 du Nouveau Code de procédure civile". 3. "Attendu, d'autre part, que le refus par un salarié d'un poste proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas, à lui seul, le respect par celui-ci de cette obligation". |
Observations
1. Subordination du licenciement du salarié victime d'un accident du travail déclaré inapte à la démonstration par l'employeur de l'impossibilité de le reclasser
L'employeur d'un salarié victime d'un accident du travail déclaré inapte à l'issue de la visite de reprise est tenu d'une obligation de reclassement (C. trav., art. L. 122-32-5 N° Lexbase : L5523ACK). L'article L. 122-32-5 du Code du travail dispose, à cet effet, que "si le salarié est déclaré inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise et après avis des délégués du personnel, un autre emploi approprié à ses nouvelles capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail". Il appartient ainsi à l'employeur d'un salarié déclaré inapte par le médecin du travail de lui proposer un poste approprié à ses nouvelles capacités, au besoin en mettant en oeuvre des mesures telles que mutation, transformation de poste ou aménagement du temps de travail (Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.141, Société Teinturerie de Tarare (TDT) c/ M. Mohamed Touil, FS-P+B N° Lexbase : A0403DDB). Le législateur qui vient mettre cette obligation à la charge de l'employeur ne donne, toutefois, aucune indication sur sa teneur exacte. Ce sont les juges qui, au fil des espèces, donnent un cadre à cette obligation.
L'obligation de reclassement doit être satisfaite, quel que soit le caractère de l'inaptitude, temporaire ou définitif. La recherche d'un poste compatible avec les nouvelles capacités du salarié s'apprécie à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41.265, M. Richard c/ Société Turboméca, publié N° Lexbase : A3147AB8). Il appartient donc à l'employeur de faire un état aussi précis que possible des postes, de l'entreprise ou du groupe s'il y a lieu, compatibles avec les nouvelles capacités du salarié. Si l'employeur trouve un ou plusieurs postes susceptibles d'être occupés par le salarié, il doit le ou les lui proposer. Lorsque le poste proposé emporte une modification du contrat de travail, le salarié est en droit de le refuser (Cass. soc., 15 juillet 1998, n° 95-45.362, Monsieur Sauzet c/ Société MPG, publié N° Lexbase : A5399ACX). Le refus du salarié ne suffit cependant pas à justifier son licenciement. L'employeur ne peut licencier le salarié qu'à la condition de ne pas fonder exclusivement cette rupture sur le refus de ce dernier et, singulièrement, de démontrer l'impossibilité devant laquelle il se trouve, en raison de ce refus, de reclasser le salarié (Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-45.056, M. Victor Estèves Docouto c/ Société Azevedo, société à responsabilité limitée et autres, inédit N° Lexbase : A8323AHQ). C'est ce principe que la Cour de cassation vient, une nouvelle fois, appliquer dans la décision commentée.
A l'employeur qui contestait la décision de la cour d'appel qui l'avait condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif qu'il n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, la Haute juridiction vient rappeler que le refus par le salarié d'un poste proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas le respect par celui-ci de cette obligation. Il lui appartenait donc de démontrer que ce refus le mettait dans l'impossibilité de le reclasser et, donc, de procéder à son licenciement. Cette solution doit, en tout point, être approuvée. 2. Impossibilité pour l'employeur de fonder le licenciement d'un salarié inapte à la suite d'un accident du travail sur le refus par ce dernier du poste de reclassement proposé Le principe sur lequel se fonde la Haute juridiction dans la décision commentée n'est pas une surprise. On le retrouve dans la jurisprudence antérieure. Il n'est, en outre, que la stricte application des règles relatives à l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur en cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Dans une espèce antérieure, la Haute juridiction, amenée à se prononcer sur la régularité d'un licenciement consécutif au refus par le salarié d'une proposition de reclassement, était venue affirmer que "si le salarié est en droit de refuser le poste de reclassement proposé par l'employeur qui emporte modification du contrat de travail, il appartient à l'employeur de tirer les conséquences du refus du salarié, soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit en procédant au licenciement de l'intéressé au motif de l'impossibilité du reclassement". L'employeur qui rapportait la preuve que ce refus le mettait dans l'impossibilité de conserver le salarié à son service, faute de disposer, dans l'entreprise, d'autres postes de reclassement conformes aux conclusions du médecin du travail, ne pouvait donc pas être sanctionné (Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-45.056, précité N° Lexbase : A8323AHQ). C'est cette étape qui faisait défaut dans la décision commentée et qui justifie le rejet de la demande formée par l'employeur. L'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement de ses salariés, doit logiquement pouvoir établir qu'il a respecté son obligation en démontrant qu'il se trouve dans l'impossibilité de procéder au reclassement du salarié, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il se contente de le licencier. Préalablement au licenciement, ce dernier aurait, en effet, dû notifier au salarié que, face à son refus, il ne pouvait plus le reclasser. Cette position, malgré sa légitimité, semble a priori dépasser la lettre de l'article L. 122-32-5, alinéa 4, du Code du travail.
L'article L. 122-32-5, alinéa 4, du Code du travail dispose que "l'employeur ne peut prononcer le licenciement que s'il justifie soit de l'impossibilité où il se trouve de proposer un emploi dans les conditions prévues ci-dessus, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions". Cette disposition, appliquée à la lettre, semble indiquer que le licenciement peut intervenir dans deux hypothèses ; la première étant l'impossibilité de reclassement, la seconde étant le refus par le salarié du poste proposé. Cette disposition ne doit, cependant, pas être lue seule mais doit être rapprochée de celles relatives à l'obligation de reclassement. Rapproché des alinéas 1 et 2 de l'article L. 122-32-5, l'alinéa 4 ne peut, alors, plus qu'imposer à l'employeur du salarié ayant refusé un poste de reclassement de rechercher s'il n'existe pas d'autres possibilités. Le cas échéant, il devra l'informer, par écrit, qu'il ne peut lui proposer un autre emploi compatible avec les conclusions du médecin du travail ainsi que les motifs de ce refus et, qu'en conséquence, il se voit contraint de le licencier. S'il ne le fait pas, il y aura lieu de considérer que l'employeur n'a satisfait que partiellement à son obligation de reclassement, ce qui équivaut à une absence de reclassement et donc à la qualification de sans cause réelle et sérieuse du licenciement survenu. |
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