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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
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Réf. : Conclusions M. M. Poiares Maduro sur l'affaire Société thermale d'Eugénie-les-Bains, le 13 septembre 2006, aff. C-277/05
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N5313ALD
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Le 07 Octobre 2010
A l'issue d'une vérification de la comptabilité de cet établissement en 1992, l'administration fiscale a considéré que les arrhes conservées par la société après annulation des réservations devaient supporter la TVA et a procédé à un rappel d'impôt. Après rejet de sa réclamation préalable auprès de l'administration, la société a saisi le tribunal administratif de Pau, puis la cour administrative d'appel de Bordeaux. Ces recours ont été rejetés par les deux juridictions, au motif que, lorsque les arrhes sont conservées par la société en cas de désistement du client, celles-ci constituent la contrepartie directe et la rémunération d'une prestation de services individualisable consistant à établir le dossier du client et à lui réserver un séjour. Ainsi, les arrhes conservées par la société thermale après désistement des clients devaient être soumises à la TVA. La société, soutenant que ces arrhes doivent être considérées comme des indemnités versées en réparation du préjudice subi par elle du fait de la défaillance de ses clients et, comme telles, non soumises à la TVA, a formé un recours devant le Conseil d'Etat.
La Haute juridiction administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) la question préjudicielle suivante: "Des sommes versées à titre d'arrhes dans le cadre de contrats de vente portant sur des prestations de services assujetties à la TVA doivent-elles être regardées, lorsque l'acquéreur fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte et que ces sommes sont conservées par le vendeur, comme rémunérant la prestation de réservation et comme telles soumises à la TVA ou comme des indemnités de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client, sans lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux et, comme telles, non soumises à cette même taxe ?".
En conséquence, cette demande préjudicielle porte essentiellement sur l'interprétation des articles 2, § 1, et 6, § 1, de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9). Le premier article dispose : "Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : 1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel". Le second article prévoit que : "Est considérée comme 'prestation de services' toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien au sens de l'article 5. Cette opération peut consister entre autres : [...] en une obligation de ne pas faire ou de tolérer un acte ou une situation".
Ainsi, la réservation moyennant le versement d'arrhes, suivie du dédit du client et de la conservation de celles-ci par l'hôtelier constituera une opération imposable à la TVA, si l'existence d'une prestation de services (1) moyennant contrepartie (2) est établie.
1. L'existence d'une prestation de services
Aux termes de l'article 6 § 1 de la 6ème Directive-TVA, transposé en France sous l'article 256-IV-1° du CGI (N° Lexbase : L5148HLA), la prestation de services se définit négativement. Les opérations autres que les livraisons sont des prestations de services. Ainsi, figurent dans cette catégorie, la cession ou la concession de biens meubles incorporels dont les fonds de commerce (1), le travail à façon, les travaux immobiliers, l'assemblage des éléments d'une machine (2), les opérations sur la monnaie, la restauration, y compris à bord d'un ferry-boat (3)... Dès lors que les biens livrés ne constituent qu'une composante de l'opération largement dominée par des services, la qualification de prestation de service l'emporte (4). Tout échange économique ne se traduisant pas par une remise matérielle de choses corporelles est une prestation de service.
En l'espèce, toute la difficulté réside dans l'existence d'un service fourni malgré le dédit des clients de la Société thermale d'Eugénie-les-Bains. Cette dernière fournit-elle une prestation de service destinée à la consommation des ex-futurs curistes en contreprestation des arrhes ? Il est incontestable qu'en réservant un séjour, elle s'engage à ne pas louer à une autre personne. Or, l'obligation de ne pas faire constitue une prestation taxable (6ème Directive-TVA, art. 6 § 1). Encore faut-il qu'existe une véritable obligation, un objet certain (5). L'indemnité pour abandon de la production de lait ou de pommes de terre ne représente pas le prix d'une prestation de services procurant un véritable avantage à l'organisme versant. Le bénéficiaire de l'indemnité ne fournit aucune prestation destinée à la consommation intermédiaire ou finale du débiteur de l'indemnité, il s'engage envers la collectivité et non en faveur d'un cocontractant-consommateur. La TVA frappant la consommation, sans consommation, elle ne peut s'appliquer. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Les ex-futurs curistes ont versé des sommes destinées à s'imputer sur le prix dû ou à être conservées en cas de dédit. Le contrat leur permet de renoncer moyennant abandon des arrhes en contrepartie de la réservation.
S'agissant de la réservation d'un service, la CJCE, dans l'affaire "Kennemer Golf" (6), a considéré que l'obligation pour une association de mettre ses installations sportives, ainsi que des avantages y afférents, à la disposition de chaque membre qui a payé sa cotisation annuelle constitue une prestation de services au sens de l'article 2, § 1 de la 6ème Directive-TVA, indépendamment du fait que les membres ayant versé leur cotisation annuelle n'utilisent pas les installations de l'association. En l'espèce, la société thermale s'engage de la même façon. Positivement, lorsqu'elle assume l'obligation de mettre à disposition du client une chambre à une date donnée et, négativement, lorsqu'elle s'abstient de louer à un autre client et lorsqu'elle respecte le droit de dédit du client.
A juste titre, Monsieur l'Avocat général M. Poiares Maduro affirme, dans ses conclusions, que "Il importe de souligner que, en tout état de cause, la société thermale a fourni une prestation à ces clients défaillants. Elle leur a garanti une chambre ou une cure thermale à la date accordée en s'abstenant de contracter en sens contraire avec d'autres intéressés et en respectant le droit de dédit des clients. Il s'agit d'un avantage réel dont a bénéficié chaque client en faveur duquel une réservation a été faite". En effet, le client s'étant ménagé une réservation jouit d'une garantie dont ne bénéficie pas celui arrivant à l'improviste. Pour l'hôtelier, cette garantie a un coût : celui de la préparation du dossier et de la chambre du client, mais aussi celui de ne pas contracter avec un autre et de respecter le droit de dédit du réservataire. En conséquence, "quand l'hôtelier, lors de la réservation, demande au client le versement d'un montant à titre d'arrhes, on peut objectivement considérer que ce montant constitue la contrepartie d'une prestation de réservation, laquelle, aussi bien du point de vue du client que de celui de l'hôtelier, présente un caractère bien individualisé. Ainsi, si la réservation présente un caractère accessoire et non individualisé pour le cas où la prestation principale est rendue, elle reste, en cas de dédit, un service individualisé, distinct de la prestation principale non fournie. [...] Elle doit donc être soumise au même régime de la TVA que celui applicable à la prestation principale".
Il est de jurisprudence constante que l'opération mettant fin au contrat suit le régime du principal (7). Le Conseil d'Etat suit la CJCE en matière d'indemnité conservée par le vendeur d'immeubles (8). Cette solution prévaut quelle que soit la date à laquelle les parties sont convenues d'organiser la rupture, après la conclusion du contrat par un accord spécifique ou dès sa formation. Ainsi, lorsque le contrat prévoyait initialement la faculté de rompre avant le terme prévu moyennant une contrepartie, la résiliation ou rétractation relève de la TVA. Elle est dans le champ taxable ou exonéré comme l'opération initiale (9). A juste titre, l'administration fiscale considère que les indemnités de transfert de joueurs versées entre clubs de football relèvent de la TVA. Il y a échange de prestations réciproques en ce qu'un club renonce à son contrat avec un joueur moyennant un prix (10).
Reste à se demander si la prestation de réservation a bien été fournie moyennant contrepartie puisque, en effet, seules les opérations réalisées à titre onéreux sont soumises à la TVA.
2. L'existence d'une contrepartie
Le bénéficiaire de la prestation doit donner, faire ou ne pas faire quelque chose pour obtenir la livraison ou le service en cause. L'exigence d'une consommation et d'une contrepartie sous-tend un échange économique individualisable. La Cour de Luxembourg considère qu'"il doit exister un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue" (11). La CJCE est venue préciser ce lien direct le 3 mars 1994 (12). Elle a considéré comme hors du champ d'application de la TVA les oboles reçues par un musicien des rues, monsieur Tolsma, aux motifs qu'"une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux [...] que s'il existe un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire". En résumé, la taxation nécessite un rapport juridique à titre onéreux. En droit français, cette analyse renvoie à l'acte à titre onéreux. La contrepartie, critère de taxation et mesure de l'assiette de la TVA doit avoir pour cause la contre-prestation fournie (13).
Si la société thermale reconnaît ne pas effectuer les réservations à titre gracieux, elle conteste que les montants payés par ses clients à titre d'arrhes constituent la contrepartie directe de la prestation de réservation qu'elle fournit. Elle considère qu'en droit civil français, les arrhes ont une nature indemnitaire. Elles présenteraient un lien avec le préjudice subi à la suite de la défaillance du client et auraient donc un caractère d'indemnité accordée forfaitairement pour compenser un tel préjudice. Elle insiste, en soulignant que, selon le droit civil français, les arrhes sont une somme d'argent déductible in fine du prix total en cas d'exécution du contrat, versée par le débiteur au moment de la conclusion du contrat, mais qui, en cas de renonciation à l'exécution du contrat par le débiteur reste acquise au créancier à titre d'indemnité de dédommagement.
Si le caractère indemnitaire des arrhes est indiscutable, il n'en demeure pas moins vrai qu'ils constituent aussi le prix du dédit. Dans les contrats de vente d'un bien meuble et de fourniture des services conclus entre professionnel et consommateur, les sommes versées à l'avance sont, sauf stipulation contraire du contrat, des arrhes. Chacun des contractants peut revenir sur son engagement, le consommateur en perdant les arrhes, le professionnel en les restituant au double. Faculté de se délier sous les conditions conventionnellement prévues, le dédit suppose qu'un engagement préalable ait été pris. Prix de la rétractation, le dédit implique pour le débiteur le choix entre celle-ci et l'exécution. Il ne faut pas confondre le dédit avec la clause pénale. Evaluation forfaitaire des dommages-intérêts dus par le débiteur en cas d'inexécution de l'obligation, la clause pénale laisse au créancier le choix entre le jeu de celle-ci et le recours à l'exécution forcée. A la différence de la clause pénale, la clause de dédit ne saurait voir son montant modéré par le juge (14).
Au demeurant, que le droit français considère ou non les arrhes comme une indemnité et/ou le prix d'une prestation importe peu. Dans la mesure où la Directive du 17 mai 1977 s'intitule 6ème Directive-TVA "en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme", les mêmes situations de fait doivent recevoir la même qualification et relever du même régime (15). La CJCE attache une grande importance à l'harmonisation des règles relatives au champ d'application et au droit à déduction de la TVA. Sans la vigilance du juge communautaire, la 6ème Directive-TVA ferait l'objet d'autant d'interprétations que de membres de l'Union. Or, l'interprétation du droit communautaire n'appartient qu'à la CJCE (Traité CE, art. 234 [LXB=]). Cette compétence procède de l'abandon, par Traités internationaux, d'une partie de leur souveraineté par les Etats membres de l'Union européenne en vue de créer un nouvel ordre juridique propre, intégré aux systèmes internes. La supériorité des Traités, dont les Traités communautaires, sur le droit interne, consacrée par tous les systèmes juridiques des Etats membres de l'Union européenne justifie la primauté du droit communautaire d'origine et du droit communautaire dérivé, dont les Directives. Il y va de l'efficacité du droit communautaire et du marché unique.
Le droit civil ou pénal de chaque Etat membre ne saurait influencer l'interprétation des règles communautaires de la TVA. La fraude est une notion autonome du droit communautaire (16), comme les exonérations (17). Très logiquement, après avoir rappelé qu'il y a lieu de rechercher une application uniforme, au sein de la Communauté européenne, des règles d'assujettissement à la TVA, la 6ème Directive-TVA visant à établir un système commun de TVA en déterminant de manière uniforme, et selon des règles communautaires, les opérations taxables (18), ce qui exclut que la qualification des opérations puisse dépendre du droit interne de l'Etat membre concerné, Monsieur l'Avocat général M. M. Poiares Maduro écarte, à propos des arrhes, la qualification d'indemnités.
En effet, si, selon la CJCE, une somme d'argent accordée par une décision judiciaire et ayant pour objet exclusif de réparer un préjudice commercial n'a pas à être soumise à la TVA (19), une telle somme ne constituant la contrepartie d'aucune prestation de services ou livraison de biens au sens de la 6ème Directive-TVA, dans le cas d'espèce, "il n'existe aucune constatation judiciaire, ou même extrajudiciaire, de l'existence de préjudices réels que la société requérante aurait effectivement subis du fait de l'annulation de réservations par ses clients et avec lesquels les arrhes conservées auraient un lien direct de dédommagement". La conservation systématique des arrhes en cas de dédit du client, quand bien même l'hôtelier ne subirait au final aucun préjudice démontre que le lien est simplement éventuel entre ces sommes et un préjudice. Ce constat "met sérieusement en doute que les montants litigieux reçus par la société thermale à titre d'arrhes puissent avoir une nature nécessairement indemnitaire au sens du système commun de la TVA".
Rappelant l'observation de la Commission, selon laquelle la qualification contractuelle d'une somme en indemnité ne doit pas permettre aux parties de s'exclure volontairement et artificiellement du champ de la TVA (20), M. M. Poiares Maduro réaffirme, sur le fondement de la jurisprudence communautaire, que la notion de prestation de services à titre onéreux doit être interprétée de manière objective (21). Ainsi, la qualification contractuelle d'indemnités des arrhes versées en cas de dédit doit être écartée au profit de celle de contrepartie de prestation de services, dans la mesure où ces arrhes rémunèrent objectivement un service de réservation et en l'absence de constatation d'un préjudice réel effectivement subi du fait de l'annulation.
En conséquence, à la question de savoir si les arrhes payées constituent objectivement une contrepartie pour un service effectivement rendu par l'hôtelier à ses clients jusqu'à leur dédit, l'Avocat général propose à la Cour la conclusion suivante : "Les articles 2, point 1, et 6, paragraphe 1, de la 6ème Directive-TVA 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doivent être interprétés en ce sens que des sommes versées à titre d'arrhes dans le cadre de contrats de vente portant sur des prestations de services hôteliers assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée doivent être regardées, lorsque l'acquéreur fait usage de la faculté de dédit qui lui est ouverte et que ces sommes sont conservées par le vendeur, comme rémunérant la prestation de réservation et, comme telles, soumises à la taxe sur la valeur ajoutée".
Yolande Sérandour, Professeur à la faculté de droit de Rennes,
Directrice du master droit fiscal des affaires et du département droit fiscal du CDA
et Pierre-Marie Hourdin, major 2006 du Master droit fiscal des affaires de Rennes, doctorant, CDA
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var
Le 07 Octobre 2010
La question des déclarations de créance et de l'admission des créances à titre provisionnel fait l'objet d'un contentieux abondant. Le plus souvent, il est question, pour les organismes fiscaux et sociaux, des délais de la déclaration à titre définitif de la créance d'abord déclarée à titre provisionnel ou encore de la détermination du domaine exact du dispositif établi. La particularité de l'arrêt, ici commenté, est de poser, à notre connaissance tout au moins, une question inédite au stade de la Cour de cassation, lorsque l'admission d'une créance ne relevant pas du dispositif propre à la déclaration et à l'admission des créances fiscales et sociales intervient dans les conditions propres à ce type de créances, c'est-à-dire à titre provisionnel.
En l'espèce, une société est déclarée en redressement puis en liquidation judiciaires au cours de l'année 1995. La procédure est, ensuite, étendue au dirigeant de cette société. La Sacem déclare au passif 216 980,95 francs (soit environ 33 078 euros) à titre privilégié et 12 027 francs (soit environ 1 833 euros) à titre chirographaire. La créance est inscrite sur l'état des créances à titre "privilégié et provisionnel" à hauteur de 216 980,95 francs et à titre chirographaire pour 12 027 francs. Le liquidateur demande ensuite au juge-commissaire de constater l'extinction de la créance admise à titre provisionnel. Les juges du fond vont admettre cette prétention au motif que la créance n'avait pas fait l'objet d'un établissement définitif dans le délai prévu à l'article L. 621-103 du Code de commerce (N° Lexbase : L6955AIG). La question ainsi posée à la Cour de cassation est de déterminer l'incidence d'une admission à titre provisionnel d'une créance non soumise à déclaration à titre provisionnel. Cette créance est-elle éteinte faute d'avoir fait, après admission à titre provisionnel, l'objet d'un établissement à titre définitif ?
Sans surprise, la Cour de cassation va répondre à la question par la négative en censurant l'analyse de la cour d'appel : "en statuant ainsi, alors que la créance déclarée par la Sacem qui n'est ni un organisme de sécurité sociale, ni un organisme visé à l'article L. 351-21 du Code du travail (N° Lexbase : L1521DPZ), ne relevait pas des dispositions de l'article L. 621-43, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6895AI9) et ne pouvait se trouver atteinte par la forclusion qu'il édicte, dès lors qu'en dépit de la mention de son admission à titre provisionnel sur l'état des créances, dépourvue de toute portée au regard de ce texte, aucune obligation d'établir sa créance de manière définitive ne pesait sur ce créancier, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
Pour comprendre la portée de l'arrêt, il importe de rappeler les principes régissant la matière.
La première phrase de l'article L. 621-43, alinéa 3, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, dispose que "la déclaration des créances doit être faite alors même qu'elles ne sont pas établies par un titre". Il s'agit là du principe de solution. Un créancier n'a donc pas besoin d'un titre exécutoire pour déclarer sa créance. La solution se comprend aisément. En effet, la déclaration de créance est un corollaire de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, cette dernière interdisant à un créancier antérieur d'obtenir, après jugement d'ouverture, le titre exécutoire qu'il n'aurait pas obtenu avant ledit jugement. Par exception, ce même alinéa 3 de l'article L. 621-43 prévoit que "les créances du Trésor public et des organismes de prévoyance et de sécurité sociale ainsi que les créances recouvrées par les organismes visés à l'article L. 351-21 du Code du travail qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de leur déclaration sont admises à titre provisionnel pour leur montant déclaré. En tout état de cause, les déclarations du Trésor et de la sécurité sociale sont toujours faites sous réserve des impôts et autres créances non établis à la date de la déclaration. Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, leur établissement définitif doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 621-103". Il y a donc clairement un principe et une exception. Le principe est celui de la dispense du titre exécutoire pour déclarer les créances. Par exception, les créances de Trésor public et de certains organismes sociaux doivent d'abord être déclarées à titre provisionnel, pour faire l'objet d'une admission à titre provisionnel. Dans un deuxième temps, le créancier doit se délivrer à lui-même le titre exécutoire, par dérogation à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, pour pouvoir, dans un troisième temps, déclarer sa créance à titre définitif, cette créance étant, dans un quatrième et dernier temps, admise à titre définitif.
La Sacem, qui n'est ni un organisme fiscal, ni un organisme social, n'est pas au rang des créanciers autorisés à se délivrer à eux-même un titre exécutoire. Elle est donc soumise au principe de l'arrêt des poursuites individuelles et, corrélativement, n'est pas soumise aux règles dérogatoires de déclaration et d'admission des créances intéressant ces organismes fiscaux et sociaux. En conséquence, il est aisé de comprendre l'affirmation selon laquelle ce créancier ne peut subir la forclusion prévue pour les créanciers soumis à déclaration à titre provisionnel de leurs créances non couvertes par un titre exécutoire.
Dès lors, la solution dégagée par la Cour de cassation, dans le présent arrêt, selon laquelle la précision sur l'état des créances de l'admission à titre provisionnel de la créance déclarée par la Sacem est sans portée juridique, est aisée à comprendre. Le mécanisme d'admission en deux temps de la créance est inapplicable à ce créancier. Sa créance ne peut donc être admise à titre provisionnel, puis à titre définitif. Elle est admise à titre définitif immédiatement, dès lors qu'elle n'a pas été contestée. Le mandataire liquidateur ne peut donc prétendre à l'extinction de la créance non admise à titre définitif, puisque cette créance ne peut être admise à titre définitif, comme le serait une créance fiscale ou sociale, faute pour le créancier de pouvoir, après jugement d'ouverture, se délivrer à lui-même le titre exécutoire nécessaire à la déclaration de cette créance à titre définitif.
Que faudrait-il décider si la créance avait été détenue par un organisme fiscal ou social et avait été, par erreur, déclarée puis admise à titre provisionnel alors qu'elle aurait dû l'être à titre définitif puisqu'elle était, au moment de sa déclaration, couverte par un titre exécutoire ? Il nous semble que la solution ici posée par la Cour de cassation serait identiquement applicable. Cette créance a été admise par erreur à titre provisionnel et, faute de pouvoir faire l'objet d'une déclaration à titre définitif dans le délai aménagé par l'article L. 621-103 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 juillet 2005, l'admission de la créance à titre provisionnel est sans portée juridique et doit être tenue pour équivalente à une admission pure et simple, comme cela le serait pour un créancier classique ne pouvant déclarer sa créance à titre provisionnel.
Précisons, pour terminer, que la solution ici dégagée par la Cour de cassation, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, aurait donc identiquement vocation à s'appliquer sous l'empire de la loi nouvelle, qui a conservé le mécanisme de la déclaration en deux temps des créances fiscales et sociales, sans en changer le domaine d'application. La règle est désormais contenue à l'article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3744HBB). Le fait que cette même disposition prévoie, désormais, pour les créanciers non autorisés à déclarer leur créance à titre provisionnel, la possibilité de les déclarer "sur la base d'une évaluation" ne change rien aux solutions de la législation précédente. Cette règle nous apparaît, en effet, interprétative du droit antérieur (v. Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, 2006/2007, n° 666.22), solution globalement partagée en doctrine (Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, Carré droit, Litec 2005, n° 305 ; A. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, 1ère éd., Delmas, 2006, n° 1107 ; J. Vallansan, Difficultés des entreprises Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 4ème éd., 2006, n° 158 ; S. Becqué-Ickowicz, De l'entreprise au cours de la période d'observation, LPA n° sp., 8 février 2006, n° 28, p. 39 s, sp. p. 59). Le créancier ne pourra déclarer par évaluation une créance inférieure à celle dont il est titulaire, sauf à ne pouvoir prétendre ensuite être créancier pour plus que le montant de sa déclaration initiale (V. aussi en ce sens, A. Lienhard, op. cit., n° 1107 ; J. Vallansan, op. cit., n° 158).
Le paiement dans le cadre d'un plan de continuation présuppose que l'accipiens est créancier antérieur. La qualité de créancier antérieur, dans le cadre d'une procédure collective, suppose une déclaration régulière de la créance au passif. Les créances déclarées étant nécessairement vérifiées lorsque le débiteur obtient un plan de continuation, la conséquence qui en résulte est évidente : seules les créances admises au passif autoriseront définitivement le paiement d'un créancier antérieur. Il est, en effet, possible pour le créancier d'être payé avant l'admission de sa créance, par un mécanisme de paiement provisionnel (C. com., art. L. 621-79, al. 2, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L6931AIK, C. com., art. L. 626-21, al. 2, dans la rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L4070HBD), mais si le créancier, finalement, n'est pas admis au passif, il lui incombera de répéter l'indu. Il existe ainsi un lien étroit entre l'admission de la créance au passif et le paiement d'un créancier dans le cadre du plan de continuation.
Cette osmose entre l'admission de la créance au passif et le paiement du créancier dans le cadre du plan de continuation signifie-t-elle pour autant que les procédures d'admission des créances et d'élaboration d'un plan de continuation soient sous la dépendance l'une de l'autre ? C'est à cette question que permet de répondre l'arrêt commenté.
En l'espèce, le débiteur est déclaré en redressement judiciaire. Un créancier déclare sa créance au passif. Elle est admise par le juge-commissaire mais le représentant des créanciers interjette appel. Pour rejeter la déclaration de créance, la cour d'appel retient que le créancier avait reçu notification, de la part du représentant des créanciers, des conditions d'apurement du passif, ce qui emportait renonciation à contestation.
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si le fait, pour le représentant des créanciers, de notifier à un créancier, dont la créance est contestée, les conditions d'apurement du passif dans le cadre d'un plan de continuation, emporte renonciation à la contestation de cette créance. La Cour de cassation, censurant la cour d'appel, va répondre à la question par la négative : "en se déterminant ainsi par des motifs impropres à établir, dès lors que le plan de continuation doit prévoir le règlement de toutes les créances déclarées même si elles sont contestées, que la SCP Silvestri et Baujet [représentant des créanciers] avait, de manière non équivoque, renoncé à sa contestation tirée de l'irrégularité de la déclaration de créance, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
Pour comprendre la portée de la décision, il importe d'abord de rappeler que, comme l'énonce la Cour de cassation, tous les créanciers ayant déclaré leur créance doivent être consultés sur les délais et remises qu'ils entendent consentir au débiteur, dans le cadre de son plan de continuation. L'article L. 621-60, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6912AIT) le prévoit explicitement. Observons que l'article L. 626-5, alinéa 2, sous l'empire de la législation issue de la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L4105HBN), reprend exactement la solution. Ainsi, même si la créance est contestée, son titulaire doit être consulté. En pratique, la solution est aisée à comprendre. En effet, rien ne préjuge que la créance sera finalement rejetée et, si elle était admise alors que le créancier n'a pas été consulté, le créancier serait alors rétrospectivement privé d'un droit à être consulté.
Ainsi, la solution dégagée dans la présente espèce devient-elle absolument logique. Puisque tous les créanciers antérieurs doivent être consultés sur les délais et remises qu'ils entendent consentir dans le cadre de l'élaboration d'un plan de continuation, et cela même si leur déclaration de créance est sujette à discussion, il ne saurait être tiré argument d'un envoi des propositions d'apurement du passif sur la contestation de la créance. Cette consultation ne peut en aucune manière équivaloir à une renonciation à la contestation, puisque, même si le créancier est contesté, il doit être consulté.
On peut, cependant, estimer que, si la procédure de vérification des créances est intervenue et qu'une décision définitive a été rendue rejetant la créance, la consultation de ce créancier ne présenterait aucun intérêt. Il n'est plus habilité, faute d'être créancier, à émettre quelques prétentions que ce soit, parce que sa créance est éteinte, tant sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, que sous l'empire de la législation issue de la loi de sauvegarde des entreprises.
Il apparaît, ainsi, que le paiement du créancier dans le cadre d'un plan de continuation et, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement, présuppose une admission de la créance au passif. En revanche, la procédure de consultation préparatoire au plan de continuation, mais aussi de sauvegarde ou de redressement, et cela même en présence de comités de créanciers, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, s'impose pour toutes les personnes se présentant comme créancières à la procédure collective. La consultation est faite sur la base d'une qualité présomptive de créancier. L'article 42, alinéa 1, du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5329A47) prévoit explicitement que la consultation est faite à "chaque créancier connu ou ayant déclaré sa créance". La consultation est donc indépendante de la déclaration de créance. La rédaction du décret du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3297HET) est différente de celle de l'article 42, alinéa 1, du décret du 27 décembre 1985. En effet, son article 131, alinéa 1, ne prévoit la consultation que des seuls créanciers ayant déclaré leur créance. Il sera toutefois prudent pour l'administrateur ou le mandataire judiciaire, selon qu'il y aura eu ou non constitution des comités de créanciers, de consulter tous les créanciers connus, indépendamment de leur déclaration de créance. La solution s'impose d'autant plus qu'au jour de la consultation, les délais de déclaration des créances ne sont pas encore expirés.
L'indépendance de la procédure de consultation des créanciers dans le cadre de l'élaboration du plan par rapport à la procédure de déclaration, de vérification et d'admission des créances doit donc être affirmée. Si conceptuellement, la solution ne fait pas de difficulté, en revanche, elle n'est pas sans poser des problèmes majeurs au regard des critères d'arrêté d'un plan de continuation. En effet, pareil plan ne peut être adopté que s'il existe des possibilités sérieuses de redressement et d'apurement du passif (C. com., art. L. 621-70, al. 1 N° Lexbase : L6922AI9). La procédure de vérification des créances ne sera généralement pas terminée, lorsque la juridiction statuera sur l'arrêté d'un plan. Les créances déclarées devront être prises en compte en totalité (Cass. com., 12 octobre 2004, n° 99-10.988, F-D N° Lexbase : A6211DDE) dans l'appréciation, alors qu'elles ne seront pas encore vérifiées, même si elles sont contestées (Cass. com., 30 octobre 2000, n° 97-18.820, Société les Productions Belles rives c/ Mme Brigitte Penet-Weiller N° Lexbase : A9669A4U, Act. proc. coll. 2000/19, n° 246 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 septembre 2004, n° 2003 /21025, Mme Nadine Berrebi c/ Maître Charles Gorins N° Lexbase : A8025DDL).
L'indépendance des deux procédures oblige ainsi à tenir compte du passif contesté pour déterminer les chances sérieuses d'apurement du passif, alors que, par l'effet de la procédure de vérification des créances, certaines créances contestées seront finalement rejetées, ce qui donnera alors un éclairage parfois très différent, si le passif éteint à la suite de la vérification des créances est important, sur la possibilité pour le débiteur de payer son passif, critère d'adoption du plan de continuation. L'autonomie des deux procédures atteint alors nécessairement ses limites.
On peut, à cet égard, observer que la loi de sauvegarde des entreprises ne reprend pas les critères de la législation antérieure pour l'arrêté des plans de sauvegarde ou de redressement. La notion de possibilités sérieuses d'apurement du passif a, notamment, disparu. Faut-il y attacher une conséquence ? Il suffit, en effet, à la lettre du texte de l'article L. 626-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4101HBI), applicable tant en sauvegarde qu'en redressement judiciaire, qu'existent des possibilités sérieuses pour l'entreprise d'être sauvegardée. Il semblerait ainsi se produire une déconnexion de l'arrêté du plan par rapport au montant du passif. Mais il n'y a là, à notre sens, qu'une impression. En pratique, on voit mal comment faire abstraction de l'importance du passif pour déterminer s'il existe une chance pour l'entreprise d'être sauvegardée. Or l'indépendance des procédures de vérification et d'admission des créances d'un côté, celle d'élaboration des plans de sauvegarde ou de redressement, d'un autre côté, reste parfaitement d'actualité. Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'article L. 626-21, alinéa 1, du Code de commerce, selon lequel "l'inscription d'une créance au plan et l'octroi de délais ou remises par le créancier ne préjugent pas l'admission définitive de la créance au passif". Ce n'est là que la reprise très fidèle de l'article L. 621-79, alinéa 1, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises.
Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'article L. 624-3, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L7042AIN) dispose que "l'action [en comblement de passif] se prescrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement ou, à défaut, du jugement qui prononce la liquidation judiciaire". Ce même délai de prescription a été conservé par la loi de sauvegarde des entreprises. L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, nouvelle dénomination de l'action en comblement de passif, doit être engagée, en application de l'article L. 651-2, alinéa 2 (N° Lexbase : L3792HB3), dans les trois ans du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ou la résolution du plan. Lorsqu'un premier dirigeant a été assigné dans le délai de l'action, ce texte clair peut-il être tenu en échec pour un second dirigeant qui n'aurait pas été assigné dans ce même délai ? C'est à cette question insolite que répond la Cour de cassation dans l'affaire commentée.
En l'espèce, le 25 novembre 1994, était prononcée la liquidation judiciaire d'une société. Les 20 et 21 novembre 1997, soit quelques jours avant l'expiration du délai de prescription posé par l'article L. 624-3, alinéa 2, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, le liquidateur judiciaire de la société assigne les dirigeants de droit de celle-ci en comblement de passif. Puis, plus de six ans plus tard, le 6 janvier 2004, ce même liquidateur judiciaire assigne un dirigeant de fait. Conscient que plus de trois ans s'étaient écoulés depuis le prononcé de la liquidation judiciaire de la société débitrice, le liquidateur essaie de tirer argument de la demande de condamnation solidaire avec les dirigeants de droit formée contre le dirigeant de fait pour prétendre à une interruption de la prescription à l'égard du dirigeant de fait. Les juges du fond ne le suivront pas dans son argumentation. La Cour de cassation, pour sa part, va rejeter en ces termes le pourvoi : "aucune solidarité n'existe entre les dirigeants de droit et de fait d'une même personne morale au regard de l'action en paiement de l'insuffisance d'actif de celle-ci, le juge ayant seulement, en application de l'article L. 624-3 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, la faculté de dire que les condamnations seront exécutées avec ou sans solidarité ; il en résulte que l'action en paiement de l'insuffisance d'actif engagée dans délai légal contre un dirigeant n'interrompt pas la prescription à l'égard des autres dirigeants, qu'ils soient de droit ou de fait".
La solution ne peut être qu'approuvée sans réserve. L'argument soulevé par le liquidateur aurait supposé que les dirigeants de la société soient considérés comme des codébiteurs solidaires des dettes de celle-ci. En pareille hypothèse, l'un des effets secondaires de la solidarité, à savoir l'interruption de la prescription à l'encontre de tous les obligés solidaires, lorsque l'un deux a été assigné dans le délai de l'action, aurait permis d'éviter la prescription. Mais, et heureusement, serait-on tenté de dire, il n'en est rien. Le dirigeant social n'est, par principe, pas personnellement responsable des dettes de la société. Il ne peut donc être considéré comme un obligé solidaire à la dette. Décider le contraire reviendrait à supprimer en droit français l'écran que constitue la personnalité morale d'une société.
En revanche, lorsque le tribunal fait usage de la faculté de condamner plusieurs dirigeants à combler l'insuffisance d'actif, il peut prévoir que la condamnation sera solidaire. C'est ce que prévoit l'article L. 624-3 du Code de commerce
Le demandeur au pourvoi avait donc, ici, incontestablement, pris l'effet pour la cause. C'est ce que fait ressortir clairement que la Cour de cassation. La possibilité de condamner solidairement plusieurs dirigeants n'entraîne aucun effet de représentation mutuelle entre ces mêmes dirigeants, avant la condamnation.
Mais l'argument était-il aussi fantaisiste que cela ? La législation ne recèle-t-elle pas parfois une telle solidarité, qui aurait permis de faire jouer cet effet interruptif de la prescription ?
On en trouve trace à l'article L. 225-20 du Code commerce (N° Lexbase : L5891AIZ), selon lequel le représentant permanent d'une personne morale dirigeante est responsable solidairement avec la personne morale qu'il représente. Il y a là une véritable solidarité légale. Il en a été tiré cette conséquence que, du fait de la solidarité légale existant entre le représentant permanent de la personne morale et celle-ci, si cette dernière est recherchée dans le cadre d'une sanction, la prescription sera valablement interrompue contre le représentant permanent. La solution avait été posée sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8) (Cass. com., 2 décembre 1986, n° 85-11.307, M. Dreux c/ M. Gourdain, syndic de la liquidation des biens de la société Club Tradifrance N° Lexbase : A6344AA9, Rev. sociétés 1987, 409, note A. Honorat), mais conserve son actualité sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) et de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT).
Nul doute que cette solution avait inspiré le liquidateur dans l'affaire commentée et il essayait de l'étendre en dehors de son strict domaine d'application. Malheureusement, pour lui, cette disposition est spéciale et ne saurait être étendue par analogie à des situations qu'elle ne concerne pas. Ainsi, sauf le cas de l'action engagée contre le dirigeant personne morale et qui permettra l'interruption de l'action contre le représentant permanent du dirigeant personne morale, l'assignation délivrée contre un dirigeant, tant en comblement de passif, qu'en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel, ne permettra pas l'interruption de la prescription à l'encontre d'un autre dirigeant.
La solution dégagée dans l'arrêt commenté a vocation à s'appliquer, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, non seulement dans l'hypothèse d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, mais encore dans celle d'une action en obligation aux dettes sociales. Cette action est enfermée, en effet, dans le même délai de prescription de trois ans que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, sauf à observer que le délai ne peut ici courir que du jour du prononcé de la liquidation judiciaire, la simple résolution d'un plan sans liquidation judiciaire étant insuffisante au déclenchement d'une action en obligation aux dettes sociales. Au demeurant, sous l'empire de la loi nouvelle, la solution s'impose d'autant plus que la condamnation solidaire des dirigeants ne sera possible que si le tribunal statue par une décision motivée, ainsi que le précise pour l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, l'article L. 651-2, alinéa 1, in fine (N° Lexbase : L3792HB3). Plus nettement, encore, dans le domaine de l'action en obligation aux dettes sociales, l'article L. 652-2 du code (N° Lexbase : L3797HBA) prévoit que, "en cas de pluralité de dirigeants responsables, le tribunal tient compte de la faute de chacun pour déterminer la part des dettes sociales mises à sa charge. Par décision motivée, il peut les déclarer solidairement responsables". Ainsi, avec la loi de sauvegarde des entreprises, la possibilité de prononcer une condamnation solidaire est moins aisée que sous l'empire de la législation antérieure, alors que seule son automaticité aurait permis le jeu de l'interruption de la prescription à l'encontre de toutes les personnes susceptibles d'être sanctionnées.
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Réf. : CE, 20 octobre 2006, n° 289234, Commune d'Andeville (N° Lexbase : A9555DRC), à paraître au Recueil Lebon
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N5225AL4
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Le 07 Octobre 2010
1) Le référé précontractuel sanctionne de manière objective les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence
Rappelons, d'abord, les dispositions de l'article L. 551-1 du CJA relatives au référé précontractuel (N° Lexbase : L6369G9R). Aux termes de cet article : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics [...] et des conventions de délégation de service public. Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l'Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. Le président du tribunal administratif [...] peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. [...] Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés" [nous soulignons].
Pour être recevable à agir, le requérant doit avoir participé à la procédure ou avoir été empêché de le faire (1) (par exemple, du fait de son exclusion à tort ou d'un défaut de publicité). A contrario, faute d'avoir présenté une candidature recevable, il n'a pas intérêt à agir contre la décision d'attribution du marché (2). Le requérant doit (seulement) également être susceptible d'être lésé par le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence : il n'est donc pas nécessaire que l'irrégularité dont il fait état lui ait effectivement porté préjudice (3). Le référé précontractuel est ainsi largement ouvert puisque le juge n'a pas à pousser son contrôle jusqu'à rechercher si le demandeur est ou non lésé en fait par l'irrégularité alléguée (4).
La jurisprudence consacre donc une conception objective de la notion de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence : "il ne s'agit pas de rechercher si la personne publique a été animée par la préoccupation d'éluder [...] ses obligations [...] mais de constater que étant donné les modalités de la mise au concours du projet de marché ou de convention, l'organisation de la publicité et de la concurrence n'a pas été ce qu'elle devait être" (5). A cet égard, la décision rendue par le Conseil d'Etat le 20 octobre 2006 est intéressante en ce que, dans la ligne de cette conception objective, elle considère que le requérant peut invoquer devant le juge des référés précontractuels "tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation de cette délégation de service public, même si un tel manquement n'a pas été commis à son détriment" [nous soulignons]. Cette rédaction, déjà adoptée dans un précédent arrêt (6), confirme donc le caractère hybride du référé précontractuel, à la fois subjectif en ce qui concerne la situation ou la position du requérant (puisque ce requérant doit avoir présenté une candidature recevable ou avoir été empêché de le faire) et objectif en ce qui concerne le "manquement" commis par l'autorité délégante : sur ce second point, en effet, le requérant n'a nul préjudice à prouver puisque le manquement est apprécié au seul regard du respect des règles de publicité et de mise en concurrence.
2) La décision du Conseil d'Etat sanctionne l'absence d'exercice par le juge des référés précontractuels de son pouvoir de qualification et d'analyse du contrat qui lui est soumis
Le Conseil d'Etat annule, en effet, pour défaut de motivation l'ordonnance rendue le 2 janvier 2006 par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens en relevant qu'en application des dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT (N° Lexbase : L2050G9S), "pour qualifier un contrat de délégation de service public et en déduire les règles qui s'appliquent à sa passation, il appartient au juge, non seulement de déterminer l'objet du contrat envisagé, mais aussi d'apprécier si les modalités de rémunération du cocontractant sont substantiellement liées aux résultats de l'exploitation de l'activité". Or, dans son ordonnance, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a omis de se prononcer sur le point de savoir si la rémunération du cocontractant était substantiellement liée aux résultats de l'exploitation ou assurée au moyen d'un prix payé par la commune (7), alors que cette différence permet de distinguer une convention de délégation de service public d'un marché public.
Il résulte donc de la décision du Conseil d'Etat que le juge des référés précontractuels dispose d'un pouvoir et d'une obligation identiques au juge du contrat, juge du fond lorsqu'il s'agit de qualifier un contrat au regard des critères posés par des dispositions législatives. Précisons à cet égard que le Conseil d'Etat avait, déjà, eu l'occasion de se prononcer sur la qualification d'un contrat dans le cadre d'un recours en cassation contre une ordonnance de référé précontractuel (7).
La nécessité pour le juge des référés précontractuels de s'assurer que les deux critères prévus par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT pour qualifier un contrat de délégation de service public (critère matériel -objet du contrat- + critère financier -mode de rémunération du cocontractant-) sont bien remplis, cette nécessité donc est justifiée par la fonction principale du référé précontractuel qui est de corriger les irrégularités intervenant tout en amont de la procédure de passation du contrat. Or, il est bien évident que la qualification d'un contrat de délégation de service public ou de marché ou encore de délégation de service public "de droit commun" ou de délégation de service public faisant l'objet d'une procédure de passation simplifiée est déterminante en ce qui concerne le choix de la procédure de publicité. En d'autres termes, il appartient au juge des référés précontractuels de contrôler le respect des deux critères prévus par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT pour qualifier un contrat de délégation de service public afin, éventuellement, de sanctionner le choix d'une procédure inadaptée.
B. La décision du Conseil d'Etat du 20 octobre 2006 étend la solution retenue par les juridictions de fond au sujet des mesures provisoires que peut décider le juge des référés précontractuels aux mesures définitives qu'il peut également prononcer
1) Les juridictions de fond et la doctrine ont déjà considéré que le juge des référés précontractuels disposait d'un pouvoir de suspension d'office
Rappelons d'abord qu'il y a lieu de distinguer, parmi les mesures qui peuvent être prises par le juge des référés précontractuels, les mesures provisoires (injonction à l'auteur du manquement (9) de se conformer à ses obligations, suspension de la passation du contrat ou de l'exécution des décisions s'y rapportant) des mesures définitives (annulation des décisions se rapportant à la passation du contrat, suppression des clauses destinées à figurer dans le contrat).
S'agissant des mesures provisoires, plusieurs tribunaux administratifs ont eu l'occasion, dans l'attente du résultat d'une expertise, par un jugement avant-dire droit, de suspendre la passation du contrat alors même que les requérants n'avaient présenté aucune demande en ce sens (10). Le juge des référés précontractuels a donc estimé qu'il disposait d'un pouvoir de suspension d'office du contrat et statué ultra petita, au-delà de la demande présentée. Ce pouvoir de suspension d'office est en fait justifié par le souci de faire produire au référé précontractuel son plein effet, en particulier en matière de prévention : en effet, si la mesure contestée intervient dans la phase finale de passation du marché, la suspension ordonnée d'office peut éviter une accélération de la conclusion du marché destinée à faire obstacle au jugement au fond du litige et, par là-même, au respect des règles de publicité ou de mise en concurrence.
Par ailleurs, la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 sur le référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU) a modifié le troisième alinéa de l'article L. 551-1 du CJA afin d'attribuer au juge des référés précontractuels la faculté d'enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximale de vingt jours. L'exercice de ce pouvoir, qui permet au juge d'éviter d'être dessaisi de sa compétence par la conclusion du contrat avant même d'avoir instruit l'affaire, est laissé à l'appréciation du juge, ce qui signifie que l'injonction demandée n'est pas automatiquement accordée. En revanche, selon la doctrine, il "devrait pouvoir être exercé d'office par le juge, c'est-à-dire indépendamment de toute demande en ce sens du requérant" (11). Il nous semble d'ailleurs que le texte de l'article L. 551-1 du CJA autorise une telle interprétation puisque le début de la disposition ("dès qu'il est saisi, [le juge] peut enjoindre de différer la signature du contrat"), laisse entendre qu'il n'a pas à être saisi de conclusions spécifiques. Sa seule saisine d'une requête à fin de référé semble lui ouvrir ce pouvoir. Bien entendu, les demandeurs peuvent également présenter des conclusions spécifiques en ce sens.
Au total, selon la jurisprudence des juridictions de fond et la doctrine, le juge des référés précontractuels peut donc, d'office, suspendre la passation du contrat, dès lors qu'il ordonne une mesure d'instruction qui ne pouvait avoir été prévue par le requérant (12) et enjoindre de différer sa signature jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours.
2) La possibilité pour le juge des référés précontractuels de prononcer d'office des mesures définitives
Dans sa décision du 20 octobre 2006, le Conseil d'Etat a considéré que, "dès lors qu'il est régulièrement saisi, le juge des référés précontractuels dispose [...] de l'intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés pour mettre fin, s'il en constate l'existence, aux manquements de l'administration à ses obligations de publicité et de mise en concurrence". En conséquence, le Conseil d'Etat a jugé que, dans le cas où la passation du contrat a été réalisée selon une procédure inadaptée, en particulier lorsque cette procédure était moins contraignante que la procédure qui s'imposait (13), le juge peut, "sans qu'y fasse obstacle la circonstance que [le requérant] se borne à demander la suspension de la procédure [...] prononcer l'annulation de cette dernière".
Il faut d'abord souligner que le Conseil d'Etat estime que la locution "dès lors qu'il est saisi", qui pourtant figure seulement au début de la disposition relative à la possibilité d'enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat, vaut en fait pour l'ensemble des pouvoirs conférés au juge des référés précontractuels par le troisième alinéa des dispositions de l'article L. 551-1 du CJA. Le Conseil d'Etat étend ainsi la rédaction et la solution retenues pour la possibilité d'enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat à l'ensemble des mesures, provisoires et définitives, que le juge des référés précontractuels est susceptible de prendre. En d'autres termes, il résulte de la décision du Conseil d'Etat que ce juge peut désormais, d'office, c'est-à-dire sans qu'il soit saisi d'une demande en ce sens, ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations, suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations et enfin, et bien sûr, enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat.
Surtout, en accordant au juge des référés précontractuels le pouvoir de prononcer d'office des mesures définitives qui ont donc l'autorité de la chose jugée, le Conseil d'Etat confère à ce juge de l'urgence, qui est juge de plein contentieux (14), des pouvoirs dont le juge du principal lui-même ne dispose pas. "Canalis[ant] désormais toutes les contestations qui mettent en cause la régularité de la passation des contrats de commande publique, les recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables devenant rarissimes et le mécanisme du référé suspension n'ayant pas réussi à supplanter le référé précontractuel" (15), le caractère "attractif" du référé précontractuel s'en trouve, ainsi, renforcé.
Or, au nombre des règles générales de procédure applicables à toutes les juridictions administratives à moins de disposition législative contraire, figure celle en vertu de laquelle "le juge ne peut statuer que sur les conclusions dont il est saisi par les parties en cause" (16). Cette règle est également applicable aux juridictions civiles en vertu des dispositions de l'article 5 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2632ADT) (17), la "victime" d'un tel comportement pouvant présenter une requête au juge qui a statué afin qu'il retranche de sa décision le chef du dispositif constitutif de l'ultra petita (NCPC, art. 464 N° Lexbase : L2703ADH). C'est pourquoi le juge méconnaît l'interdiction de statuer ultra petita s'il décide de son propre mouvement l'annulation d'une décision (18).
Toutefois, il nous semble que la décision du Conseil d'Etat doit être interprétée en ce sens que la Haute Juridiction a estimé qu'elle tenait des dispositions mêmes de l'article L. 551-1 du CJA le pouvoir de prononcer d'office l'annulation de la procédure de passation d'un contrat. C'est le sens qu'il faut donner selon nous à la mention, dans la décision du 20 octobre 2006, de la locution "dès lors qu'il est régulièrement saisi" qui figure, à peu de choses près (19), au troisième alinéa des dispositions de l'article L. 551-1 du CJA. La possibilité pour le juge des référés précontractuels de statuer ultra petita n'a donc pas pour origine une décision purement prétorienne du Conseil d'Etat même s'il faut, cependant, reconnaître que l'interprétation des dispositions de l'article L. 551-1 du CJA présente ce caractère prétorien et "constructif".
II. Les conditions applicables à la procédure simplifiée de passation des délégations de service public prévue par les dispositions de l'article L. 1411-12 c) du CGCT
A. Contrairement à la procédure habituelle de passation des délégations de service public, la procédure simplifiée prévoit seulement une obligation de publicité préalable
1) La procédure habituelle de passation des délégations de service public
Cette procédure est prévue par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT selon lesquelles : "Les délégations de service public [...] sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes. [...] La commission mentionnée à l'article L. 1411-5 [N° Lexbase : L8319AAD] dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières [...] et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire".
Il résulte donc de ces dispositions que la procédure de passation d'une délégation de service public se déroule, de même que la procédure des marchés publics, en deux temps. Le premier temps est consacré à l'examen de la recevabilité de la candidature, en particulier, au regard des garanties professionnelles et financières du candidat délégataire et de son aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. Le second temps est, quant à lui, consacré à l'examen de l'offre présentée par le candidat dont la candidature a été jugée recevable par la commission de délégation de service public de l'autorité délégante. Les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT soumettent donc la passation d'une délégation de service public à une procédure de publicité et de mise en concurrence.
2) La procédure simplifiée de passation des délégations de service public
Cette procédure, introduite par la loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L1138ATC), a été codifiée à l'article L. 1411-12 c) du CGCT. Aux termes de cet article, les dispositions des articles L. 1411-1 à L. 1411-11 ne s'appliquent pas aux délégations de service public : "c) Lorsque le montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention n'excède pas 106 000 euros ou que la convention couvre une durée non supérieure à trois ans et porte sur un montant n'excédant pas 68 000 euros par an. Toutefois, dans ce cas, le projet de délégation est soumis à une publicité préalable ainsi qu'aux dispositions de l'article L. 1411-2 [N° Lexbase : L8316AAA]. Les modalités de cette publicité sont fixées par décret en Conseil d'Etat".
Cette procédure simplifiée a été créée afin de ne pas imposer un formalisme trop contraignant aux conventions de délégation de service public d'un faible montant pratiquées, notamment, dans le secteur du transport de voyageurs. Toutefois, nonobstant ce faible montant, ces conventions doivent faire l'objet d'une publicité "soit par insertion dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales, soit par une insertion dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné" (20).
Il n'en demeure pas moins que les conventions de délégation de service public d'un faible montant ne sont pas soumises à la procédure en deux temps prévue par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT. Elles ne sont donc pas soumises à l'obligation d'adopter une délibération de principe sur la délégation, à la remise préalable des candidatures, à la consultation de la commission de délégation de service public ou encore à la transmission du rapport d'analyse des offres à l'assemblée délibérante.
Au total, la procédure simplifiée de passation des conventions de délégation de service public permet donc à l'autorité délégante d'échapper en grande partie aux règles habituelles de publicité et de mise en concurrence. C'est pourquoi, selon le Conseil d'Etat, il appartient au juge des référés précontractuels de s'assurer que les conditions présidant à la mise en oeuvre de cette procédure sont bien remplies : en effet, dans le cas contraire, il y aura forcément un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
B. Confirmant la solution rendue par une juridiction de fond, le Conseil d'Etat considère que le seuil en deçà duquel l'autorité délégante peut avoir recours à la procédure simplifiée doit être calculé par référence à l'ensemble des recettes susceptibles d'êtres perçues par le délégataire
1) Un jugement de tribunal administratif et plusieurs réponses ministérielles avaient déjà estimé que le seuil prévu à l'article L. 1411-12 c) du CGCT devait être calculé à partir du chiffre d'affaires du délégataire
Par un jugement du 4 novembre 1998 (21), le tribunal administratif de Lyon a implicitement retenu cette solution en examinant "les recettes annuelles" de la délégation pour déterminer si le seuil prévu à l'article L. 1411-12 c) était applicable. Selon le tribunal, ce seuil doit être calculé par référence, non pas aux résultats de l'exploitation, mais à l'ensemble des recettes susceptibles d'être perçues par le délégataire.
Cette solution a été reprise par deux réponses ministérielles (rép. min. n° 35268, JO Sénat Q., 24 janvier 2002, p. 218, CMP 2002 commentaire 76 ; rép. min. n° 45347, JOAN Q., 14 décembre 2004, p. 9990). La lecture des travaux parlementaires indique, en effet, que le législateur a eu l'intention de faire référence au chiffre d'affaires pour le calcul du seuil figurant à cet article. Ainsi, l'avis du Sénat n° 539, présenté par M. Dailly au nom de la commission des lois de cette assemblée, précise que l'introduction d'un seuil avait été préconisée par un rapport de l'inspection générale des finances qui proposait "par exemple, sept cent mille francs de chiffre d'affaires annuel" (soit environ 106 000 euros). Les discussions ont par la suite porté exclusivement sur le montant du seuil, mais non sur ses éléments de référence. La formule retenue en 1994 ("le montant total estimé des sommes perçues par le délégataire") se rapportait aux recettes perçues par le délégataire, et donc au chiffre d'affaires. C'est donc bien le chiffre d'affaires, c'est-à-dire l'examen des recettes liées à l'exploitation, qui est l'élément de référence.
2) Le Conseil d'Etat confirme la notion de "montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention" et la notion de "rémunération substantielle par les résultats de l'exploitation"
Dans sa décision, le Conseil d'Etat considère ainsi qu'une délégation de service public entre dans le champ des dispositions précitées du c) de l'article L. 1411-12 du CGCT lorsque, "soit le montant prévisionnel de l'ensemble des sommes à percevoir par le délégataire, qu'elles soient liées ou non au résultat de l'exploitation du service, et quelle que soit leur origine, n'excède pas 106 000 euros pour toute la durée de la convention, soit ce montant n'excède pas 68 000 euros par an et la durée de la convention ne dépasse pas trois ans" [nous soulignons]. Ce faisant, le Conseil confirme donc la distinction entre la notion de "montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention", issue de l'article L. 1411-12 c) du CGCT et équivalente au chiffre d'affaires du délégataire, et la notion de "rémunération substantielle par les résultats de l'exploitation", issue de l'article L. 1411-1 du même code et équivalente aux seules recettes dont la perception est aléatoire et le montant variable compte tenu du risque d'exploitation auquel est soumis le délégataire. En d'autres termes, alors que seul le résultat d'exploitation est pris en compte pour déterminer si le contrat est bien une délégation de service public soumise à la procédure "habituelle" de mise en concurrence applicable à ce type de contrat, c'est l'ensemble des recettes susceptibles d'être perçues par le délégataire qui est pris en compte pour calculer le seuil en deçà duquel l'autorité délégante peut avoir recours à la procédure simplifiée de passation de la convention, laquelle exige seulement une publicité préalable.
La prise en compte d'éléments de référence distincts est parfaitement explicable : c'est la notion de risque d'exploitation qui est retenue pour distinguer les délégations de service public des marchés publics, ce qui suppose l'examen du résultat d'exploitation et non du seul chiffre d'affaires. En revanche, le critère du risque d'exploitation n'est pas pertinent pour la fixation du seuil indiqué à l'article L. 1411-12 c) du CGCT.
Par ailleurs, la solution consacrée par le Conseil d'Etat a également pour intérêt (et probablement pour vocation) de limiter les possibilités de recours à la procédure simplifiée, puisque la prise en compte de l'ensemble des recettes susceptibles d'être perçues conduira plus facilement à dépasser le seuil prévu à l'article L. 1411-12 c) du CGCT (et donc à rendre impossible le recours à la procédure simplifiée) que la prise en compte du seul résultat d'exploitation.
Conclusion
La décision du 20 octobre 2006 marque un élargissement considérable des pouvoirs du juge des référés précontractuels qui est, désormais, totalement libre d'utiliser ou non ces pouvoirs. Elle confirme, également, que le jugement rendu par ce juge, par l'ampleur des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés et l'importance des questions qu'il a à trancher, est souvent un véritable jugement au fond, ce que laissaient d'ailleurs entendre les travaux préparatoires de la loi du 4 janvier 1992 (22). Ce caractère de jugement au fond du jugement de référé précontractuel vaut particulièrement lorsque le juge prononce, comme l'a fait le Conseil d'Etat dans la décision du 20 octobre 2006, l'annulation de la procédure de passation du marché. Bien plus, cette décision, en lui permettant de prononcer d'office cette annulation, lui accorde un pouvoir que n'a pas le juge du fond. Rapidité de la saisine et du jugement, importance des pouvoirs conférés au juge : ces deux caractéristiques du référé précontractuel lui assureront très probablement une place essentielle dans le contentieux des contrats administratifs.
Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
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Le 07 Octobre 2010
Accueil : Claude Rambaud, Juriste (Paris I) spécialisée en droit de la santé - DEA Ethique et santé publique (Paris V), Diplôme en health risk management (Université de Chicago), Membre du comité de pilotage de la gestion des risques - Ile de France
Matinée : Responsabilité médicale : le risque médical en question
Etat des lieux, situation des médecins en regard de la jurisprudence européenne et de l'assurabilité des risques, pratiques des assureurs
Modérateur : Yannick-Louis Martin, médecin gynécologue
9h30 à 11h00 :
Le droit français interpellé par la jurisprudence européenne CEDH
De l'arrêt "Perruche" aux arrêts" Draon" et "Maurice"
Débat
Avec la participation de Georges Holleaux, Avocat au Barreau de Paris, Catherine Meyson-Renoux, Docteur en Droit, spécialiste de droit constitutionnel
11h15 à 12h45 :
Le risque médical est-il assurable en France ? Comment ?
Etendue des risques médicaux à couvrir
Analyse critique du système actuel français
Débat et réflexions pour une nouvelle politique du risque médical
Avec la participation de Jean-Pierre Coic, Avocat, Yannick-Louis Martin, Médecin gynécologue, expert médical et Jean-Louis Nouy, Directeur Général de la FHAM
Après-midi : Evaluation du dommage corporel
L'état du droit, l'expertise médicale, la diversité des procédures d'indemnisation et la pratique des magistrats et avocats et assureurs
Modérateur : Clémence Vasseur, Rédactrice en chef de la revue Culture Droit
14h00 à 15h00 :
Le système français et la diversité des procédures d'indemnisation
Avec la participation de Michel Billaud, Vice-président du tribunal administratif de Marseille et Claude Rambaud, Juriste
15h15 à 16h15 :
Principe de réparation intégrale in concreto et barémisation
Avec la participation de Patrice Bodenan, Expert médical prés la Cour de cassation et Alain-Michel Ceretti, Membre du Conseil d'Administration de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et fondateur du LIEN, association de lutte contre les infections nosocomiales, les affections iatrogènes et les accidents médicaux
16h30 à 17h30 :
Incidences de l'expertise judiciaire
Avec la participation de Yannick-Louis Martin, Médecin gynécologue, chargé de sécurité sanitaire, conseil auprès des victimes et Marie-Odile Bertella-Jeffroy, Juge d'instruction, responsable du pôle santé (Palais de justice de Paris)
Vendredi 8 décembre 2006
9h à 19h
1, parvis de la Défense
Paroi Nord
92044 Paris La Défense cedex
Tel : 01 49 07 27 27
Fax : 01 49 07 27 50
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Réf. : Cass. soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Le juge doit apprécier les éléments de preuve et de fait du licenciement en fonction des règles qui lui sont applicables sans être lié par la qualification pénale donnée par l'employeur dans la lettre de licenciement. En conséquence, les juges du fond ont pu décider que la salariée, dont la mission dans l'entreprise était d'assurer le respect de l'éthique, n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie les propos racistes tenus par la responsable du personnel de l'entreprise bien que la véracité de ces faits n'ait pu être démontrée. |
Décision
Cass. soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9) Cassation (CA Paris, 22ème ch., sect. A, 19 janvier 2005, n° 03/36237, Mme Sylvie Allouche c/ SAS Ferring N° Lexbase : A9747DG4) Textes visés : C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR) ; C. trav., art. L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9). Mots-clés : licenciement ; faute grave ; dénonciation de propos racistes. Lien bases : |
Faits
1. Mme Allouche est membre du comité de direction de la société Ferring avec pour mission d'assurer le respect de l'éthique dans le cadre de la coordination médicale de ce laboratoire pharmaceutique. Le 30 octobre 2001, elle remet au PDG de la société une lettre en mains propres portant la mention "confidentiel", par laquelle elle attire son attention sur les propos racistes proférés par la responsable du personnel. Elle rappelle avoir déjà informé le destinataire d'agissements antérieurs similaires et lui demande de prendre les mesures nécessaires afin que de tels propos, nuisibles à l'image éthique de la société, ne soient plus renouvelés. Par lettre du 19 novembre 2001, Mme Allouche est licenciée pour faute grave au motif que celle-ci n'apportait pas la preuve des propos tenus dans son courrier et mentait en disant qu'elle avait déjà signalé de tels faits par le passé. 2. La cour d'appel de Paris prononce la nullité du licenciement en estimant que le doute qui subsistait quant à la réalité des propos tenus par Mme Allouche devait profiter à la salariée. La société Ferring se pourvoit en cassation. |
Solution
1. Rejet. 2. "Attendu que le juge saisi de la contestation d'un licenciement doit apprécier les éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis conformément aux règles applicables audit licenciement sans être lié par la qualification pénale que l'employeur a donnée aux faits énoncés dans la lettre de licenciement". 3. Que la cour d'appel a pu retenir que "compte tenu de la mission dont elle était chargée, Mme Allouche n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie des faits en rapport avec ses attributions". |
Commentaire
1. Dénonciation et faute grave
Le Code du travail ne fournissant aucune définition de la faute grave, c'est la jurisprudence qui a dû cerner cette notion et en établir les principaux traits. Pour la Cour de cassation, la faute grave est celle qui "résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise jusqu'à la fin du contrat" (Cass. soc., 18 juin 1991, n° 88-42.008, Mlle Greneau c/ Epoux Castillan, inédit N° Lexbase : A8323AGD). En conséquence, il en découle deux conditions : l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise (v., par ex., Cass. soc., 14 janvier 1992, n° 90-44.745, SA française de Montage-Levage c/ Chelihi, inédit N° Lexbase : A8448AGY ; Cass. soc., 15 janvier 2003, n° 01-40.939, F-D N° Lexbase : A6738A4C) et, surtout, la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, qui correspondra, en quelque sorte, à l'élément matériel de la faute. La principale obligation du contrat de travail, pour le salarié, est la fourniture d'une prestation de travail. Il existe, bien entendu, d'autres obligations accessoires telles que, par exemple, l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi. La dénonciation des propos racistes tenus par une autre salariée de l'entreprise constitue-t-elle une violation d'une obligation découlant du contrat de travail ?
La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la solution apportée par les juges du fond dans cette affaire en estimant que, compte tenu de la mission dont elle était chargée, la salariée n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie des faits en rapport avec ses attributions. Est donc refusée la qualification de faute grave. Deux arguments semblent, ici, entrer en ligne de compte dans l'appréciation de la faute. Le premier de ces arguments était déjà apparu dans une décision rendue par la Cour de cassation le 12 juillet dernier (v. Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-41.075, FS-P+B N° Lexbase : A4374DQ3 et nos obs., La dénonciation sans fondement constitue-t-elle une faute grave du salarié ?, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N1328ALR). Le salarié est débiteur d'une obligation d'exécuter son contrat de travail de bonne foi en application des articles L. 120-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0571AZ8) et 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). En exécution de celle-ci, le salarié ne peut dénoncer les propos tenus par un de ses collègues que s'il est de bonne foi et si les faits dénoncés ne sont pas mensongers. Dans le cas contraire, la dénonciation sera constitutive d'une faute disciplinaire. Or, comme le relève la Chambre sociale en l'espèce, la salariée avait signalé "de bonne foi" les propos tenus par la responsable du personnel, si bien que la faute grave ne pouvait être retenue. A cela s'ajoute l'existence d'un second argument plus spécifique à l'espèce commentée. On peut, en effet, considérer que les faits fautifs reprochés à la salariée ne reflétaient, en réalité, qu'une exécution conforme du contrat de travail. En d'autres termes, la salariée avait pour mission de surveiller et éventuellement de dénoncer les comportements de ses collègues qui pourraient nuire à l'image éthique de la société. En dénonçant la responsable du personnel, la salariée ne faisait donc qu'exécuter son contrat de travail. En forçant le trait, on pourrait même imaginer, à l'inverse, qu'une faute soit reprochée à la salariée si celle-ci n'avait pas signalé les faits dont elle avait eu connaissance. La Cour, en invoquant à la fois la mission dont la salariée était chargée et la bonne foi dont elle avait fait preuve en signalant les faits à sa hiérarchie, semble donc prendre en compte les deux arguments : non seulement il n'y avait pas violation d'une obligation de bonne foi, mais encore il s'agissait là de l'exécution du contrat de travail de la salariée. Il n'empêche que, si le juge souhaitait rester fidèle aux critères posés dans l'arrêt du 12 juillet 2006 (préc.), un autre élément devait être vérifié : celui de la véracité des faits allégués. Pour cela, tout dépendait de la place respective que l'on faisait à la procédure de licenciement et à la procédure pénale. 2. Faute pénale et faute disciplinaire
Si la Chambre sociale, confirmant de la sorte l'argumentation de la cour d'appel, considère qu'en cas de doute sur la véracité des faits permettant de parvenir à la qualification de faute grave, ce doute doit profiter au salarié, la solution aurait pu être différente si les juges s'étaient tenus à la qualification pénale que peut revêtir une dénonciation calomnieuse. En effet, dans la lettre de licenciement, l'employeur invoquait des faits de diffamation à l'égard de la salariée. Ce délit est défini et sanctionné par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW). Si la salariée ne pouvait démontrer la véracité des faits allégués, la qualification de diffamation aurait pu être retenue. Pourtant, la démonstration de la véracité des faits n'était, en l'espèce, en rien dépendante de la qualification de l'infraction de diffamation et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, comme le relève justement la Chambre sociale, le juge prud'homal n'est pas tenu par la qualification pénale opérée par l'employeur. S'il existe bien une autorité de la chose jugée au pénal sur la chose jugée au civil, encore eut-il fallu qu'une condamnation pénale soit prononcée. Ensuite, et surtout, la procédure disciplinaire semble exclure l'intervention d'autres procédures dans la détermination de la faute grave. C'est ainsi que la première chambre civile avait déjà exclu, à demi-mots, l'utilisation de la procédure prévue par la loi de 1881 lorsque était en cause une faute disciplinaire du salarié (v. Cass. civ. 1, 13 juin 2006, n° 03-47.580, FS-P+B N° Lexbase : A9380DP4 ; et nos obs. Le licenciement du salarié auteur d'un abus de la liberté d'expression, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0182ALC), solution d'ailleurs réitérée beaucoup plus clairement dans un arrêt très récent (Cass. civ. 1, 7 novembre 2006, n° 05-19.011, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2130DSP). Seule, en l'espèce, la procédure de licenciement devait donc permettre de démontrer l'existence ou non d'une faute grave de la part de la salariée.
La Chambre sociale affirme donc que le juge "doit apprécier les éléments de faits et de preuve qui lui sont soumis conformément aux règles applicables" en matière de licenciement. Il semble être là, notamment, fait référence à la règle de preuve spécifique au droit du licenciement selon laquelle la charge de la preuve de l'existence de la cause réelle et sérieuse est partagée entre le salarié et l'employeur et, surtout, que le doute profite au salarié (C. trav., art. L. 122-14-3 N° Lexbase : L5568AC9). Cette appréciation de la cause réelle et sérieuse, pour un licenciement disciplinaire, va donc porter sur l'existence de la faute. On devrait alors retrouver les deux critères posés par la Cour de cassation pour déterminer si la dénonciation calomnieuse d'un de ses collègues est ou non constitutif d'une faute grave (v. Cass. soc., 12 juillet 2006, préc.) : le juge devrait rechercher si la dénonciation était mensongère et, dans l'affirmative, si le salarié avait ou non agi de bonne foi. La bonne foi semblant avérée, c'est sur l'existence du caractère fondé ou non de la dénonciation que se centrait le débat. Devant l'absence d'éléments permettant de trancher en faveur d'un des plaideurs, les juges font donc application des règles de preuves spécifiques au droit du licenciement : le doute doit profiter au salarié. Outre que ce raisonnement paraisse respectueux des règles posées en la matière par le Code du travail, on peut être satisfait de voir dans un tel cas de figure la place que prend la bonne foi dans l'appréciation de la faute. En effet, jusqu'alors, pour qu'il y ait faute, il fallait démontrer le caractère mensonger puis, à le supposer établi, la mauvaise foi du salarié. Ici, le caractère mensonger n'est pas établi, la Cour aurait pu certainement se contenter du doute pour dédouaner le salarié. Au contraire, et dans un souci de bonne justice, elle impose la recherche de la bonne foi de la salariée pour s'assurer de l'absence de faute. Cette place de la bonne foi nous paraît d'autant plus essentielle qu'en l'espèce, la dénonciation de ses collègues faisait en quelque sorte partie de la mission confiée à cette salariée. |
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par Compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public
Le 07 Octobre 2010
Dans les décisions relatives au contrôle de constitutionnalité, l'erreur en cause est, la plupart du temps, l'erreur manifeste d'appréciation du législateur qui, si elle est avérée, entraîne naturellement la censure des dispositions. Ces catégories d'erreurs sont connues mais il est difficile d'identifier les types d'erreurs spécifiques au droit constitutionnel.
Les particularités de l'erreur que P. Mazeaud a tenu à mettre en évidence tiennent donc davantage à sa portée et à la manière de l'appréhender et de la sanctionner qu'à sa nature même. Il convient donc de distinguer l'erreur soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, de l'erreur commise par le Conseil constitutionnel lui-même.
I. L'erreur soumise à l'examen du Conseil constitutionnel
Les modalités selon lesquelles le Conseil constitutionnel exerce son contrôle confèrent à l'examen de l'erreur un caractère aléatoire. Quant à la sanction de l'erreur, elle revêt naturellement des formes variées.
A. Le caractère aléatoire de l'erreur
1. Les aléas de l'examen de l'erreur liés aux caractéristiques du contrôle de constitutionnalité à la française
Le contrôle de constitutionnalité qu'exerce le conseil présente, en effet, un caractère aléatoire et incomplet, ouvrant droit à l'introduction dans le droit positif, de dispositions inconstitutionnelles, constitutives d'autant d'erreurs.
En premier lieu, le contrôle de constitutionnalité consiste en un contrôle a priori préventif. Ainsi, dans la mesure où le conseil n'est saisi que d'un texte qui n'est pas encore entré en vigueur, P. Mazeaud en déduit le caractère abstrait du contrôle du Conseil constitutionnel qui ne permet de sanctionner que l'erreur théorique, l'erreur abstraite. En effet, il ne peut prétendre appréhender toutes les réalités concrètes, toutes les conséquences possibles de l'application future d'une loi.
En deuxième lieu, le Conseil n'a connaissance que d'une partie des lois adoptées par le Parlement. En effet, sa saisine est obligatoire pour les lois organiques ou pour le règlement des assemblées, mais elle est facultative pour les lois ordinaires ou les Traités. Toutes les lois ordinaires qui ne lui sont pas déférées échappent donc à son contrôle et les erreurs qu'elles contiennent ne sont donc pas sanctionnées. A cet égard, P. Mazeaud, ne manque pas de relever que c'est précisément parce qu'elles ne sont pas conformes à la Constitution, que certaines lois ne sont pas déférées au Conseil, en particulier, lorsque l'inconstitutionnalité repose sur un consensus. Le Président du Conseil constitutionnel indique que l'erreur commise doit, cependant, demeurer discrète, "une erreur trop aisément assumée, une inconstitutionnalité trop facilement revendiquée sur la place publique", appelant une réaction. A cet égard, il revient sur un communiqué diffusé en septembre 2005, dans lequel il rappelait que "le respect de la Constitution n'est pas un risque mais un devoir", après que le Garde des sceaux ait invité les parlementaires à adopter des dispositions selon lui contraires au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et persuadé les parlementaires de l'opposition de ne pas saisir le Conseil.
Quoi qu'il en soit, le caractère aléatoire du contrôle de constitutionnalité à la française présente des inconvénients certains. En vue de les limiter, le Conseil a ainsi jugé que la conformité à la Constitution d'une loi promulguée peut être contestée à l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui en modifient le contenu, la complètent, ou affectent son domaine d'application. Ainsi, s'il est saisi d'une loi nouvelle, le conseil peut partir à la recherche des erreurs contenues dans une loi ancienne qui n'auraient pas été déférées ou qui auraient été déférées mais dont il n'aurait pas perçu, par erreur de sa part, le caractère inconstitutionnel. Cela suppose, toutefois, qu'il soit saisi de la loi nouvelle.
Pour y remédier, l'instauration d'un contrôle de constitutionnalité après l'entrée en vigueur de la loi a souvent été préconisée. Toutefois, sur une telle proposition, P. Mazeaud se montre réservé, estimant qu'elle anéantirait l'un des avantages les plus éclatants du contrôle de constitutionnalité à la française, à savoir la sécurité juridique qu'il procure, ce qui présenterait là un inconvénient majeur dépassant, à son sens, tous ceux auxquels on prétendrait vouloir ainsi remédier.
2. Les aléas de l'examen de l'erreur liés aux erreurs d'argumentation
L'erreur peut s'immiscer dans l'argumentation même des personnes qui saisissent le Conseil pour démontrer une erreur législative. Elle provient alors d'une méconnaissance de la jurisprudence du Conseil, ou d'une prise en compte insuffisante de son évolution, voire des revirements de jurisprudence. Ainsi, le Conseil est régulièrement saisi de moyens qui invoquent à tort l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L1332A99), lequel protège la liberté individuelle et la place sous le contrôle de l'autorité judiciaire, pour contester l'instauration de toute nouvelle mesure présentant un caractère contraignant. En effet, c'est souvent en vain que l'article 66 est invoqué, le Conseil rappelant, pourtant, depuis longtemps, que cette liberté individuelle doit être entendue au sens strict de l'habeas corpus. Le dernier exemple date de janvier dernier, à l'occasion de l'examen de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, dans lequel les requérants contestaient la procédure nouvelle de recueil automatisé de données relatives aux véhicules.
L'erreur la plus courante demeure sans doute celle relative à l'effet cliqué, selon laquelle le législateur ne pourrait réglementer les conditions d'exercice d'une liberté qu'afin de la rendre plus effective, tout retour en arrière lui étant interdit. P. Mazeaud admet que le Conseil en est le premier responsable, puisqu'il lui appartenait de ne pas adopter une jurisprudence intenable, ayant pour conséquence de constitutionnaliser toute avancée législative, au détriment d'autres droits ou exigences de valeur constitutionnelle toute aussi évidente. Mais, le Conseil désespère de voir que cette théorie est encore invoquée, alors qu'il ne cesse de rappeler dans ses décisions que cette jurisprudence est abandonnée.
Le Conseil constitutionnel peut, également, constater dans les saisines l'erreur d'interprétation de la disposition attaquée. Il se borne alors à constater que l'argumentation des requérants manque en fait.
B. Les différents degrés de l'erreur et de sa sanction
Les erreurs du législateur examinées par le Conseil constitutionnel n'ont pas toutes la même portée. La sanction prononcée dépend alors du degré de gravité de l'erreur.
Avant de se pencher sur la sanction, il convient de rappeler que le degré de contrôle de l'erreur est lui-même variable.
1. Les différents degrés de contrôle de l'erreur
Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur toutes les formes d'erreurs qui lui sont dénoncées, loin d'être de nature uniforme, est au contraire modulable.
En matière pénale, par exemple, il est particulièrement poussé. Dans ce domaine, en effet, le principe est celui de la clarté et de la précision de la loi pénale liées, notamment, au principe de la légalité des délits et des peines posée par l'article 8 de la DDHC (N° Lexbase : L1372A9P). Cette exigence s'impose, non seulement pour exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions. La moindre erreur est donc sanctionnée en la matière, que ce soit par une censure ou une réserve d'interprétation.
Mais dans bien d'autres domaines, le contrôle est atténué. Parfois, le Conseil entend volontairement laisser au législateur une marge d'appréciation large. Il n'est pas législateur lui-même et il n'entend pas jouer le rôle d'une troisième chambre. C'est pourquoi il rappelle régulièrement qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation, mais de décision de même nature que celui du parlement.
En d'autres occasions, le Conseil se contente de tirer les conséquences des contraintes matérielles ou juridiques, à savoir que ce soit qu'il ne dispose pas de moyen de contrôler efficacement toutes les défaillances du législateur, ou qu'il partage avec d'autres instances juridictionnelles le pouvoir de faire application de certaines normes. Il décide, alors, de ne rechercher et de ne sanctionner que l'erreur manifeste d'appréciation, c'est-à-dire les erreurs les plus graves et en tout cas les plus évidentes.
Dans la catégorie des erreurs manifestes, la dernière née est l'erreur manifeste dans la transposition par le législateur national d'une Directive communautaire. Le Conseil s'est, en effet, engagé, depuis sa décision du 30 mars 2006, dans un contrôle des modalités de la transposition (Cons. const., décision n° 2006-535 DC, du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances N° Lexbase : A8313DN9). Le délai très court dont il dispose pour statuer, ne pouvant lui permettre de rechercher des erreurs mineures ou peu évidentes, et le contrôle déjà exercé par les juridictions ordinaires et la CJCE dans l'application du droit communautaire, l'ont conduit à faire le choix d'exercer un contrôle de la seule erreur manifeste d'appréciation.
2. Les divers degrés de la sanction de l'erreur
Par ordre de gravité, on relèvera, tout d'abord, les erreurs vénielles. Parfois, le Conseil ne les relève pas, à supposer même qu'il les ait décelées.
Au-dessus d'elles, on trouve les erreurs que le Conseil entend relever, mais sans pour autant les sanctionner ; il manifeste alors sa désapprobation.
Plus élevées encore dans la hiérarchie des erreurs, sont celles que le Conseil sanctionne par une réserve d'interprétation. La technique des réserves permet de déclarer une disposition conforme à la Constitution à condition que l'erreur qu'elle comporte soit neutralisée, c'est-à-dire interprétée ou appliquée dans le sens qu'il indique. Les réserves se répartissent elles-mêmes en plusieurs catégories. La réserve peut ainsi neutraliser une interprétation qui serait contraire à la constitution, en prescrivant une interprétation qui lui est conforme. Elle peut aussi prescrire aux autorités chargées de l'application de la loi, de l'appliquer de telle ou telle manière. Elle peut même ajouter à la loi ce qui lui manque pour respecter les exigences constitutionnelles. Parfois, il peut s'agir d'une véritable injonction au législateur, comme celle émise dans la décision du 15 décembre 2005, sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (Cons. const., décision n° 2005-528 DC, du 15 décembre 2005, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 N° Lexbase : A9568DLX). Le législateur avait financé de manière irrégulière un dispositif de protection contre les menaces sanitaires. La prise en compte de l'intérêt général de valeur constitutionnelle qui s'attache à la protection de la santé, a permis d'éviter la censure. Mais, le Conseil a exigé que l'erreur ne se renouvelle pas, sous peine d'être immanquablement censurée.
Enfin, les erreurs les plus graves, si elles ne peuvent être rectifiées par une réserve, entraînent sans aucun avertissement la censure. Certaines sont d'ailleurs si graves que le Conseil s'en saisit d'office. Il peut s'agir d'irrégularités formelles comme celles qui touchent aux cavaliers budgétaires ou sociaux, ou encore à l'adoption d'amendements en méconnaissance de règles constitutionnelles. Il peut, également, s'agir d'irrégularités substantielles, notamment, en cas de méconnaissance, soit d'une liberté fondamentale, soit du principe d'égalité, soit des grands équilibres institutionnels, soit, enfin, de la qualité de la loi.
En tout état de cause, le Conseil ne se résout jamais aisément à la censure et encourage tout ce qui peut favoriser la correction d'une erreur.
Ceci étant, il existe une forme d'erreur que le Conseil constitutionnel n'a pas vocation à sanctionner, c'est naturellement la faute politique, qui ne s'accompagne d'aucune violation de la Constitution. Sans la sanctionner, il est des cas où le droit constitutionnel peut toutefois permettre de la réparer, comme en atteste un exemple récent. La loi du 23 février 2005 comportait, on s'en souvient, une disposition qui prévoyait, notamment, que les programmes scolaires devaient reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer. Confronté à de vives réactions, le Gouvernement a très vite considéré lui-même qu'il s'agissait d'une erreur politique. Il a alors saisi le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 37 de la Constitution, d'une demande tendant à voir déclarer le caractère réglementaire de cette disposition de forme législative, ce qui lui permettait ensuite de la modifier ou de l'abroger par simple décret. Dans la ligne de sa jurisprudence, le Conseil a constaté que le contenu des programmes d'enseignement scolaire ne relevait effectivement pas du domaine de la loi, mais du domaine du règlement. La disposition litigieuse a été abrogée peu après par décret.
Qu'en est-il maintenant du Conseil constitutionnel face à ses propres erreurs ?
II. L'erreur commise par le Conseil constitutionnel
Compte tenu de l'autorité particulière que l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93) confère à chacune de ses décisions, lesquelles "s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles", le Conseil constitutionnel n'a pas, par principe, de droit à l'erreur. Toutefois, en tant qu'institution humaine, il n'est pas à l'abri de l'erreur. En effet, comme le reconnaît P. Mazeaud, "malgré les précautions dont il s'entoure, le Conseil ne saurait pourtant sans présomption prétendre à l'impeccabilité à laquelle l'oblige l'autorité de ses décisions".
Comment, alors, assurer et maintenir son autorité, tout en reconnaissant et en rectifiant ses propres erreurs ? La solution n'a pas été évidente, comme l'en atteste l'évolution de la position du Conseil, à propos tant des erreurs matérielles, que des erreurs sur le fond du droit.
A. L'erreur matérielle
Il y a une difficile admission de l'erreur matérielle. Sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, selon lequel les décisions du Conseil ne sont susceptibles d'aucun recours, le Conseil a, en effet, longtemps considéré que la Constitution elle-même interdisait à quiconque de lui demander de rectifier ses erreurs, qu'elles soient matérielles et incontestables.
Ce n'est que dans une décision du 23 octobre 1987, rendue dans le cadre du contentieux électoral, qu'il a fait droit pour la première fois à une demande de rectification d'erreur matérielle, tendant à corriger un visa qui plaçait à tort une commune dans le département du Tarn et Garonne alors qu'elle est située dans celui du Tarn (Cons. const., décision n° 87-1026 AN, du 23 octobre 1987, Haute-Garonne N° Lexbase : A1704AIX).
Cette évolution a été consacrée le 24 novembre 1987 par une décision dans laquelle le Conseil constitutionnel s'est reconnu le pouvoir de rectifier une erreur matérielle qui affecte une de ses décisions, dans le cadre du règlement applicable à la procédure suivie par le Conseil pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs (Cons. const., 24 novembre 1987, Règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et sénateurs N° Lexbase : A3204DSH, Journal officiel du 26 novembre 1987, p. 13812). Il précise que cette rectification peut être effectuée sur demande, et elle peut, également, l'être d'office.
Quoi qu'il en soit, le Conseil veille à ce qu'un recours en rectification d'erreur matérielle n'ait pas pour objet de contester la précision des faits en cause, leur qualification juridique et les conditions de forme ou de procédure selon lesquelles est intervenue la décision, auquel cas la demande est déclarée irrecevable.
Mais, le Conseil peut commettre une erreur beaucoup plus grave que l'erreur matérielle, celle sur le fond de droit.
B. L'erreur sur le fond de droit
Le Conseil constitutionnel a récemment consacré un de ses cahiers à l'étude des revirements de jurisprudence du juge constitutionnel. Il apparaît que certains revirements de jurisprudence s'analysent en des rectifications d'erreurs sur le fond du droit.
1. Sans parler de revirement, le Conseil constitutionnel peut apporter de simples modifications à ses considérants de principe, parfois de façon subreptice, en modifiant parfois simplement un mot. Ces réécritures de considérant de principe peuvent constituer une forme camouflée de revirement de jurisprudence, mais dans la plupart des cas, elles n'ont pas pour objet de remettre en cause la signification de ces considérants. Selon P. Mazeaud, "elles tendent simplement à préciser la pensée du Conseil, à parfaire l'expression des principes énoncés dont la portée demeure intacte. Elles permettent de dissiper les interrogations, voire les erreurs d'interprétation que telle ou telle rédaction a pu susciter, auprès de la doctrine notamment". Il faut, toutefois, admettre que ces modifications traduisent une erreur, le Conseil n'ayant pas trouvé initialement la formulation adéquate. De tels ajustements restent rares, mais les décisions récentes en fournissent une intéressante illustration.
Ainsi, dans une décision du 12 janvier 2002, le Conseil constitutionnel indiquait, dans un considérant de principe, qu' "il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, en particulier son article 34. [...] A cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques" (Cons. const., n° 2001-455, du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale N° Lexbase : A7588AXC). Ce considérant, qui traitait pourtant de la clarté et de l'intelligibilité de la loi, s'est finalement, paradoxalement, avéré insuffisamment clair. Par une décision du 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel l'a simplifié en supprimant toute référence à la clarté de la loi qui était en fait surabondante. C'est, désormais, le plein exercice de la compétence que la Constitution confie au législateur et non plus le principe de la clarté de la loi qui imposent au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Sur le fond, la portée du principe n'est en rien modifiée, mais le conseil a préféré revoir sa formulation afin de le renforcer.
2. Concernant les erreurs sur le fond de droit, seul un revirement de jurisprudence permet de les rectifier, le revirement étant ici défini par P. Mazeaud comme "l'adoption d'une solution nouvelle incompatible avec une solution antérieure".
A priori, les revirements du juge constitutionnel apparaissent comme la négation même de sa mission. Comment le juge constitutionnel peut-il changer son interprétation d'une règle fondamentale dont la stabilité est pourtant la raison d'être ? Ne s'agit-il pas d'un ferment de ruine de son autorité, et plus encore de l'autorité même de la Constitution ? Ne s'agit-il pas d'une usurpation, dans la mesure où le juge constitutionnel paraît s'offrir en quelque sorte une révision constitutionnelle à peu de frais ? Pour le Président du Conseil constitutionnel, ces objections sont excessives. Le revirement de jurisprudence permet surtout d'adapter la Constitution aux évolutions de la société, des idées et des moeurs.
Une fois admise la possibilité d'un revirement de jurisprudence du juge constitutionnel, la mise en oeuvre du revirement est parfois délicate.
Le revirement prend des formes variées. S'il peut consister en une modulation discrète d'un considérant de principe, il est en général visible et pleinement assumé.
Par ailleurs, il peut être brutal et immédiatement appliqué, ou au contraire, être annoncé, dans un premier temps, pour être mis en oeuvre à l'occasion d'une décision ultérieure, cette seconde option étant d'ailleurs celle retenue par le Conseil depuis quelques années.
Ainsi, dans une décision du 19 janvier 2006 (Cons. const., décision n° 2005-532 DC, du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers N° Lexbase : A3803DMS), le Conseil a explicitement annoncé sa volonté de restreindre l'exercice du droit d'amendement au stade de la deuxième lecture d'un texte par les assemblées, afin de mettre fin à la multiplication préoccupante de dispositions additionnelles en fin de navette. Ce nouveau principe n'a pas été appliqué le jour même. En revanche, le Conseil n'a pas hésité à censurer, quelques semaines plus tard, une disposition législative adoptée en méconnaissance de ces nouvelles prescriptions (Cons. const., décision n° 2006-533 DC, du 16 mars 2006, Loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes N° Lexbase : A5902DNW).
Certains revirements de jurisprudence sont, parfois, très progressifs. Ainsi, on en trouve une illustration à propos de l'intrusion excessive de la loi dans le domaine réglementaire. Dans une décision du 21 avril 2005 sur la loi d'orientation et de programme pour améliorer l'école, le Conseil a pu amorcer une évolution que P. Mazeaud espère significative (Cons. const., décision n° 2005-512 DC, du 21 avril 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école N° Lexbase : A9487DHT). Les requérants critiquaient la présence dans la loi déférée de dispositions de nature réglementaire. Le Conseil a déclaré que certaines dispositions présentaient effectivement un caractère réglementaire, qui n'auraient pas dû ainsi figurer dans une loi. Dans sa décision, le Conseil a, toutefois, fait preuve de prudence dans cette nouvelle orientation. D'une part, il n'a pas censuré les dispositions réglementaires en cause, mais le simple fait de constater qu'elles ont un tel caractère vaut réprimande du législateur et déclassement des dispositions en cause, celles-ci pouvant être directement abrogées ou modifiées par le pouvoir réglementaire. D'autre part, le Conseil ne procède pas à une recherche exhaustive des éléments réglementaires contenus dans un texte de loi, étant donné le délai lui étant imparti pour statuer, soit un mois. Enfin, il n'a pas entendu relever ce moyen d'office, se réservant de ne statuer sur ce point qu'à la demande des requérants eux-mêmes. Ira-t-il plus loin à l'avenir ? P. Mazeaud ne cache pas qu'il le souhaite.
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Réf. : Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-42.323, Mme Annie Négouai, FS-P+B (N° Lexbase : A3135DSW)
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Si la rupture du contrat de travail se situe à la date d'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, le préavis ne court qu'à compter de la date de présentation de cette lettre. |
Décision
Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-42.323, Mme Annie Négouai, FS-P+B (N° Lexbase : A3135DSW) Cassation (CA Fort-de-France, ch. soc., 25 mars 2004) Texte visé : C. trav., art. L. 122-14-1 (N° Lexbase : L0042HDW) Mots-clefs : licenciement ; date de la rupture ; date d'envoi de la lettre recommandée ; préavis ; point de départ ; date de réception de la lettre de licenciement. Lien bases : |
Faits
Une salariée a été licenciée pour faute à la suite d'une mise à pied conservatoire. Contestant ce licenciement, elle a saisi la juridiction prud'homale. La cour d'appel a fait droit aux demandes de la salariée. Mais, pour calculer le montant dû au titre de la mise à pied, la cour d'appel a pris comme base la période du 17 octobre au 10 novembre 1994, alors qu'il résultait de l'accusé de réception de la lettre de licenciement que celle-ci avait été présentée pour la première fois à la salariée le 23 novembre 1994. |
Solution
1. Cassation 1er moyen 2. "Attendu que, pour calculer le montant de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement, la cour d'appel s'est référée aux seules prescriptions légales au motif qu'elle ne disposait pas de la convention collective dont les parties faisaient état dans leurs écritures ; qu'en statuant ainsi, alors que lorsqu'une partie invoque l'application d'une convention collective, il incombe au juge de se la procurer par tous moyens, au besoin en invitant les parties à lui en fournir un exemplaire, la cour a violé les textes susvisés". 2ème moyen 3. "Attendu, cependant, que si la rupture du contrat de travail se situe à la date d'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, le préavis ne court qu'à compter de la date de présentation de cette lettre". |
Commentaire
1. Un revirement confirmé Cette décision, bien que rendue au visa de l'article L. 122-14-1 du Code du travail qui détermine, notamment, le point de départ du délai de préavis, va bien au-delà d'un simple rappel des textes. Cet article fixe le point de départ du préavis à la date de présentation de la lettre recommandée avec avis de réception notifiant le licenciement. L'article L. 122-14-1 du Code du travail ne fait, toutefois, que se prononcer sur l'événement qui détermine le début du préavis ; il ne donne, en effet, aucune précision sur la date à laquelle le contrat de travail prend fin. En l'absence de précision du législateur, ce sont les juges qui sont venus se prononcer sur l'événement déterminant la date de la rupture du contrat. Leur première position pouvait être qualifiée de raisonnable. La seconde, très récente, confirmée dans cette décision, semble beaucoup plus critiquable.
Jusqu'à une période récente, la Cour de cassation faisait concorder la date de la rupture avec celle fixant le point de départ du préavis. Elle considérait que la première présentation de la lettre de licenciement valait notification du licenciement et déterminait le jour de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 9 janvier 2001, n° 98-44.947, Société Fermière du casino municipal de Cannes, inédit N° Lexbase : A4318ARD), faisant ainsi concorder la date à laquelle le contrat était rompu et la date à laquelle le préavis commençait (C. trav., art. L. 122-14-1, al. 1er). Ce principe s'appliquait à toute rupture, qu'elle intervienne en période d'essai (Cass. soc., 16 novembre 1993, n° 88-45.383, M. Balthazard c/ Association Marie-Thérèse, publié N° Lexbase : A6236ABL) ou postérieurement à l'expiration de cette dernière.
Cette jurisprudence ne vaut plus depuis deux arrêts en date du 26 septembre 2006. Dans une première décision, la Cour, interrogée sur la date à laquelle le contrat de travail prenait fin dans une espèce où la lettre de rupture avait été envoyée avant l'expiration de la période d'essai mais reçue après, est venue affirmer que c'est la date d'envoi de la lettre recommandée notifiant le licenciement qui détermine la date de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-44.670, Société Gestion technologie finances conseil (GTF), F-P N° Lexbase : A3623DRM ; lire nos obs., Vers une généralisation de la modification de la date de rupture du contrat de travail ?, Lexbase Hebdo n° 232 du 19 octobre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4068ALA). Cette décision, bien que générale, ne permettait pas à elle seule de se prononcer sur la solution applicable au licenciement puisqu'elle concernait la rupture d'un contrat de travail en période d'essai. C'est la seconde décision qui est venue initier la même solution en matière de licenciement (Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.841, Société Parametric technology (PTC), F-P+B N° Lexbase : A3609DR4). Dans cette espèce, les juges avaient à se prononcer sur la date à laquelle il convenait d'arrêter l'ancienneté du salarié. Au lieu de déterminer les droits du salarié au moment de la présentation de la lettre de licenciement, par application de sa jurisprudence antérieure, les juges sont venus affirmer que "l'ancienneté du salarié s'apprécie au jour où l'employeur envoie la lettre recommandée de licenciement, date à laquelle se situe la rupture du contrat de travail". Malgré la clarté du principe posé par cette dernière décision, la nature d'arrêt de rejet de la décision commentée et le caractère indirect de la réponse donnée par la Cour imposaient d'attendre une confirmation pour se prononcer de manière franche sur la réalité de ce revirement. C'est désormais chose faite.
La Haute juridiction, dans cette décision de cassation, trouve l'occasion d'affirmer clairement que si le contrat de travail prend fin au jour où l'employeur envoie la lettre recommandée avec accusé de réception de licenciement, le préavis ne commence à courir qu'à compter de la date de présentation de cette lettre. La solution n'est donc, désormais, plus douteuse. Cette décision ne va pas sans poser des difficultés. 2. Une solution inhérente à la lettre des textes régissant la rupture du contrat de travail ? Les critiques que nous avions soulevées en matière de rupture du contrat en cours de période d'essai valent également ici. Outre le fait que cette solution implique de dater la rupture à un moment où le salarié n'en a pas connaissance, elle contredit la théorie des actes réceptices. Cette théorie est pourtant la règle en matière d'actes unilatéraux (voir sur ce point : G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4538AIW). La rupture du contrat de travail, qu'elle intervienne en période d'essai ou après l'expiration de cette période, appartient donc à la théorie des actes non réceptices. Il faut, sans doute, y voir l'une des spécificités du droit du travail, (comme l'ordre public social) contenue dans l'article L. 122-14-1 du Code du travail, résultant d'une interprétation stricte de ce texte.
L'article L. 122-14-1, alinéa 1er, du Code du travail dispose que "l'employeur qui décide de licencier un salarié doit notifier le licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception". Pour que le contrat soit rompu, cette disposition n'impose que l'envoi par l'employeur d'une lettre recommandée avec avis de réception. Rien, dans ce texte, n'impose que le salarié ait pris connaissance du contenu de la lettre pour que la rupture devienne effective. Cette affirmation semble trouver confirmation dans l'article L. 122-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP) qui dispose que "le contrat de travail conclu sans détermination de durée peut cesser à l'initiative d'une des parties contractantes sous réserve de l'application des règles ci-après définies". Une fois que l'employeur a respecté les règles, de fond et de forme, prescrites par le législateur, il ne lui reste plus qu'à matérialiser sa décision de mettre fin à la relation de travail par l'envoi d'une lettre recommandée. Sa décision étant prise, le contrat est rompu et la lettre a seulement pour objet de porter cette décision de manière officielle à la connaissance du salarié.
Si cette solution peut trouver une justification textuelle, elle pose cependant deux problèmes pratiques : en premier lieu, il existe désormais un décalage entre la date de la rupture et celle où commence à courir le préavis. Quid de cette période ? Il semble que ce revirement ne change rien pour l'employeur qui reste tenu des salaires entre la date d'envoi de la lettre et celle de sa réception. Dans la décision commentée, les juges du fond avaient arrêté la mise à pied à la date d'envoi de la lettre et les juges de cassation l'ont prolongée jusqu'au point de départ du préavis. D'un point de vue salarial, rien ne change pour le salarié. Le seul changement concerne le décompte de l'ancienneté, pouvant léser certains salariés. En second lieu, les salariés voient leurs droits à ancienneté arrêtés à cette date. Si, dans l'espèce commentée, cela était favorable au salarié puisqu'il s'est vu allouer 13 jours supplémentaires de salaire au titre de la mise à pied, tel n'était pas le cas dans la décision du 26 septembre 2006. Dans cette décision, en effet, ce nouveau décompte de l'ancienneté a fait perdre au salarié les droits auxquels il pouvait prétendre en tant que salarié ayant plus de 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise. Le fait de prendre comme date de rupture celle de l'envoi de la lettre ayant réduit son ancienneté en-deça de 2 ans, il ne pouvait prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'au minimum 6 mois de salaires (C. trav., art. L. 122-14-4 N° Lexbase : L8990G74) mais simplement à des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi (C. trav., art. L. 122-14-5 N° Lexbase : L5570ACB). |
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Réf. : Cass. crim., 25 octobre 2006, n° 05-85.998, Procureur général près la cour d'appel de Versailles, FS-P+F (N° Lexbase : A0460DST)
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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris
Le 07 Octobre 2010
Les sociétés Matra et Hachette, devenues Lagardère SCA, présidées par Jean-Luc Lagardère, avaient conclu des conventions avec la société Arjil groupe, également dirigée par Monsieur Lagardère, aux termes desquelles les sociétés Matra et Hachette s'engageaient à verser un honoraire forfaitaire annuel égal à 0,20 % de leurs chiffres d'affaires consolidés, révisable en cas de variation brutale et sensible de ces chiffres, pour rémunérer Arjil groupe de prestations d'animation, de relation, d'assistance, définies de manière globale et devant faire chaque année l'objet d'un rapport particulier.
Ces conventions ont été approuvées par les assemblées générales des sociétés tenues respectivement les 20 et 26 juin 1989.
Toutefois, la société Lambda, actionnaire des sociétés Matra et Hachette, qui a exercé l'action sociale au nom de la société Lagardère SCA, a estimé que la rémunération de la société Arjil groupe était très supérieure au coût réel des prestations qu'elle était censée procurer. En conséquence, la société Lambda a porté plainte et s'est constituée partie civile le 29 décembre 1992 pour des abus de biens sociaux commis, au préjudice des premières, de 1988 à 1992.
L'une des questions essentielles soulevées par cette affaire était celle de la prescription de l'abus de biens sociaux et, plus précisément, celle du point de départ de cette prescription.
Rappelons brièvement quelques principes régissant cette question.
En tant qu'infraction instantanée, le délit d'abus de biens sociaux devrait se prescrire dans un délai de trois ans à compter de sa commission.
Or, telle n'est pas la solution qu'a adoptée la Cour de cassation.
Dans un arrêt en date du 7 décembre 1967, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a décidé qu'en matière d'abus de biens sociaux, le point de départ de la prescription triennale doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté (Cass. crim., 7 décembre 1967, n° 66-91.972 N° Lexbase : A3078AUK, Bull. crim., n° 321), à condition, toutefois, que cette date ne soit pas hypothétique (Cass. crim., 13 janvier 1970, n° 68-92.118, Méplain N° Lexbase : A8961AYK, Bull. crim., n° 20).
La décision de retarder le point de départ de la prescription au jour de la découverte de l'infraction peut s'expliquer par la volonté d'éviter que l'auteur ne puisse échapper aux poursuites alors qu'il lui est aisé de masquer son acte (voir en ce sens Rép. Dalloz Sociétés, Abus de biens sociaux, n° 194).
La Cour de cassation a, ensuite, affiné sa position en précisant, dans un arrêt du 10 août 1981, que le point de départ de la prescription triennale doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique (Cass. crim., 10 août 1981, n° 80-93.092, Fabrizi N° Lexbase : A3245AYT, Bull. crim., n° 244).
En pratique cela implique que le délit doit avoir été constaté par les autorités ou personnes habilitées à engager ou à faire engager les poursuites, c'est-à-dire le ministère public et/ou les parties civiles (Rép. Dalloz Sociétés, Abus de biens sociaux, n° 196).
Cette première étape est communément appelée par la doctrine l'étape de la rigueur.
Lui a succédé une seconde étape, celle de l'apaisement.
Le tournant a été marqué par un arrêt de la Cour de cassation en date du 5 mai 1997 par lequel la Haute juridiction précisa le sens de sa jurisprudence. Elle jugea que la prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société (Cass. crim., 5 mai 1997, n° 96-81.482, Gérard De GiovanniN° Lexbase : A1159ACW, Bull. crim., n° 159).
Dès lors, le principe est que la prescription en matière d'abus de biens sociaux court à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société.
Ce principe reçoit deux exceptions.
La première, rare en pratique, résulte du fait que l'opération contestée est parfaitement connue avant que les comptes ne soient présentés (voir D. Poracchia, Abus de biens sociaux et transfert des sportifs, D. 2006, chron., p. 304).
La seconde s'applique en cas de dissimulation : dans cette hypothèse, la prescription ne commence à courir qu'à compter du jour de la révélation de la dépense constitutive de l'infraction (MM. Chazal et Reinhard, RTD com. 2002, p. 694).
Revenons brièvement sur la notion de "dissimulation".
Au regard de la jurisprudence, la dissimulation doit s'apprécier dans les éléments comptables de la société : il est fait référence aux comptes annuels.
Il a pu être jugé que caractérise une dissimulation, de nature à faire courir le délai de prescription à compter d'une date postérieure à celle de la présentation des comptes, des versements de fonds effectués en exécution de conventions réglementées passées avec diverses sociétés, dès lors, d'une part, que l'une de ces conventions n'a été présentée que 3 ans plus tard aux associés dans le rapport spécial du commissaire aux comptes, qu'une autre n'a fait l'objet d'aucune délibération du conseil d'administration, et que, pour celles qui, dénuées en elles-mêmes de caractère frauduleux, avaient été visées dans les rapports spéciaux des commissaires aux comptes, seuls le rapprochement et l'analyse des factures émises sous leur couvert, effectués postérieurement dans un rapport d'audit, ont permis d'en découvrir l'usage frauduleux et, d'autre part, qu'il n'a pas été satisfait aux obligations légales d'information de la collectivité locale actionnaire sur les comptes et les activités de la société. (Cass. crim., 10 avril 2002, n° 01-80.090, F-P+F+I N° Lexbase : A7151AYI).
Face à la difficulté de cerner les contours de la notion de "dissimulation", la Chambre criminelle a énoncé que cette question relevait de l'appréciation souveraine des juges du fond (voir, notamment, Cass. crim., 28 janvier 2004, n° 02-88.111, X. Yves N° Lexbase : A4288DD8). Elle énonce, en effet, que "en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance, relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a caractérisé la dissimulation dans la présentation des comptes annuels des sociétés B... et C... des commissions mises indûment à leur charge".
La doctrine a pu s'interroger sur un fléchissement de cette position et une volonté de la Cour de cassation de conserver un droit de regard sur cette qualification.
Ainsi, Monsieur Jacques-Henri Robert écrivait-il que "le souverain en question reste sous la tutelle de la chambre criminelle qui contrôle la cohérence de la motivation, et les tests dont elle se sert sont révélateurs de l'idée qu'elle se fait de l'objet juridique à qualifier, savoir la dissimulation" (J.-H. Robert, JCP éd. E 2005, p. 743, note sous Cass. crim., 4 novembre 2004, n° 03-87.327, René X.N° Lexbase : A4875DSD ; voir, également en ce sens, Ph. Conte, JCP éd. G 2006, p. 1341, note sous Cass. crim., 16 novembre 2005, n° 05-81.185 N° Lexbase : A4379DSY).
La Cour de cassation semble revenir à sa position initiale dans un arrêt très récent (Cass. crim., 25 octobre 2006, n° 05-86.993, FS-P+F N° Lexbase : A0461DSU) duquel il ressort que "en l'état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, qui caractérisent, sans insuffisance ni contradiction, une dissimulation de nature à retarder le point de départ du délai de prescription, la cour d'appel a justifié sa décision".
Ces principes étant rappelés, revenons aux faits qui ont donné lieu à l'arrêt rapporté.
En l'espèce, les conventions conclues entre les sociétés du même groupe étaient des conventions à exécution successive.
Dans une telle hypothèse, chaque paiement d'honoraire constituait-il un nouvel abus, distinct du contrat lui-même qui avait généré cette obligation de paiement ?
Dans un premier arrêt confirmatif du 25 janvier 2002, la cour d'appel de Paris a constaté la prescription de l'action publique après avoir relevé que le point de départ du délai devait être fixé aux dates auxquelles les assemblées générales des sociétés Matra et Hachette ont approuvé les conventions (CA Paris, 9ème ch., sect. B, 25 janvier 2002, n° 00/06879, M. Lagardère c/ Ministère public N° Lexbase : A4296A3I). Les juges parisiens énonçaient que l'abus de biens sociaux étant une infraction instantanée qui se commet à chaque usage des biens contraires à l'intérêt social, il y a lieu, lorsque les usages successifs résultent d'une décision d'engagement de dépense dont ils constituent l'exécution automatique, de se référer à cet engagement qui caractérise l'élément matériel de l'infraction.
Selon cet arrêt, il convenait donc de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action publique à la date à laquelle les assemblées générales des sociétés avaient approuvé les conventions critiquées.
La Cour de cassation a réfuté cette thèse et jugé, dans arrêt du 8 octobre 2003, l'usage contraire à l'intérêt social, constitutif d'abus de biens sociaux, résultait non des conventions litigieuses mais de leurs modalités d'exécution, estimant, en outre, que celles-ci devaient faire l'objet, à la fin de chaque exercice, d'un rapport spécial des commissaires aux comptes dont la présentation aux assemblées générales, ce qui constituait le point de départ du délai de prescription (Cass. crim., 8 octobre 2003, n° 02-81.471, FS-P+F N° Lexbase : A8173C9L).
Cette position avait été adoptée dans un arrêt du 28 mai 2003 (Cass. crim., 28 mai 2003, n° 02-83.544, FS-P+F+I N° Lexbase : A8644C8N).
Ainsi, ce n'est pas l'origine contractuelle de la dépense qui doit être prise en compte, mais la présentation comptable de cette dépense.
C'est à chaque exercice que l'exécution des conventions d'assistance entraînait la mise à la charge des deux sociétés concernées de dépenses abusives.
"La portée de cette interprétation doit être bien mesurée par les groupes. Elle signifie que les flux financiers internes passibles de l'incrimination d'abus de biens sociaux, faute notamment d'être dictés par un intérêt de groupe [...] peuvent notamment donner lieu à des constitutions de partie civile tant que se prolongera l'exécution de la convention critiquée. Plus même : trois ans après le dernier exercice concerné. Ce qui, en un sens, repousse presque indéfiniment la disparition du risque pénal en cas de convention à durée indéterminée" (A. Lienhard, Prescription de l'abus de biens sociaux : retour de balancier de jurisprudence ?, D. 2003, somm., p. 2695).
La cour d'appel de Versailles, cour d'appel de renvoi, s'est alignée sur la position de la Cour de cassation (CA Versailles, 13ème ch., 30 juin 2005, n° 02/08300, Jean-Luc Lagardère N° Lexbase : A0971DLK).
Dans l'arrêt commenté du 25 octobre 2006, la Chambre criminelle de la Cour de cassation met fin à cette longue série de décisions et rejette le pourvoi qui avait été formé par les ayants droit de Monsieur Lagardère.
S'il n'apporte pas de pierre supplémentaire à l'édifice, cet arrêt permet de revenir sur les solutions qui encadrent aujourd'hui le régime de la prescription de l'abus de biens sociaux.
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par Compte-rendu réalisé par Aurélie Serrano, SGR - Droit social
Le 07 Octobre 2010
Si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise. En cas de non-respect de cette obligation, il s'expose, non seulement, aux sanctions attachées au délit d'entrave, mais aussi à ce que toute preuve ainsi recueillie soit irrecevable. C'est ce qu'illustre un arrêt du 7 juin 2006, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l'enregistrement d'un salarié au moyen d'un système de vidéo surveillance de la clientèle, également utilisé pour contrôler ses salariés, mis en place par l'employeur sans information et consultation préalable du comité d'entreprise, constituait un moyen de preuve illicite (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.866, FS-P+B N° Lexbase : A8544DP7 ; sur ce sujet, lire Gilles Auzero, Conditions de licéité d'un système de vidéo surveillance des salariés, Lexbase Hebdo n° 220 du 22 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9857AKB).
Il faut, également, noter que le comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) doit être consulté avant tout projet d'introduction de nouvelles technologies pouvant avoir des répercussions sur l'hygiène ou la sécurité dans l'entreprise (Cass. soc., 3 avril 2001, n° 98-45.818, M. Sarrasin et autre c/ Société Métropole télévision M6, publié N° Lexbase : A2001ATB).
En outre, les salariés -ou les candidats à l'emploi- doivent faire l'objet d'une information qui peut, par exemple, prendre la forme d'une note de service ou d'une lettre individuelle. Si l'entreprise a désigné un correspondant informatique et libertés, conformément à la loi du 6 août 2004 (loi n° 2004-801, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L0722GTW), elle est dispensée d'information à la Cnil. Cette dispense ne vaut pas, toutefois, dans les cas de mise en place d'outils biométriques ou dans les cas où il existe un traitement des données transférées en dehors de l'Union européenne.
Lorsqu'une entreprise introduit en son sein des nouvelles technologies, elle doit pouvoir invoquer un intérêt déterminé et légitime, généralement en rapport avec la sécurité des personnes et des biens. Ainsi, par exemple, un alcootest pourra être mis en place pour des salariés conducteurs de machines, mais ne pourra pas être généralisé dans l'entreprise. Le recours à l'alcootest peut désormais avoir pour objet la constatation d'une faute (Cass. soc., 22 mai 2002, n° 99-45.878, FS-P+B N° Lexbase : A7132AYS ; voir, Sonia Koleck-Desautel, Le recours à l'alcootest peut désormais avoir pour objet la constatation d'une faute, Lexbase Hebdo n° 28 du 20 juin 2002 - édition sociale N° Lexbase : N3189AAD). Pour vérifier que l'entreprise a bien un intérêt légitime, la Cnil vérifie que l'entreprise n'a pas d'autres moyens moins intrusifs pour procéder au contrôle.
Si l'employeur est très contrôlé lorsqu'il souhaite opérer une surveillance des salariés, il ne peut, pour autant, laisser ces derniers complètement libres de leurs agissements. L'employeur est, en effet, responsable de l'utilisation que ses salariés font d'internet, ainsi qu'en témoigne un arrêt rendu le 13 mars 2006 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 2ème ch., 13 mars 2006, n° 03/15440, SA Lucent Technologies c/ SA Escota N° Lexbase : A1719DPD), confirmant un arrêt du tribunal de grande instance de Marseille (TGI Marseille, 11 juin 2003, n° 01/00390 N° Lexbase : A0192C9Y). Dans cette affaire, la cour d'appel a condamné un employeur du fait de l'utilisation à des fins personnelles d'internet par l'un de ses salariés qui avait mis en ligne un site parodique dénonçant les abus supposés d'une autre société. Ainsi, après avoir constaté que la société autorisait ses salariés à utiliser Internet en dehors des heures de travail pour "consulter d'autres sites que ceux présentant un intérêt en relation directe avec leur activité au sein de la société", la cour d'appel a relevé "qu'aucune interdiction spécifique n'était formulée quant à l'éventuelle réalisation de sites Internet ou de fourniture d'informations sur des pages personnelles" et, qu'en conséquence, la société était responsable des agissements litigieux du salarié.
L'employeur doit collecter les données adéquates, pertinentes et non excessives au regard de leur finalité. En effet, les juges font application de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) aux termes duquel "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché".
Ainsi, les données collectées dans le cadre d'un traitement résultant d'un outil technologique doivent être limitées à celles nécessaires à la finalité recherchée. Un contrôle de la messagerie doit, en priorité, être exercé par le biais des données de trafic (pare-feu, anti-virus...) plutôt que par le contenu des messages. Si l'employeur est obligé de procéder à un contrôle en terme de contenu, il doit impérativement mettre en place un système d'avertissement, tant pour l'émetteur du message que pour ses destinataires externes. A l'inverse, le salarié, tenu d'une obligation de loyauté envers son employeur, doit lui communiquer les documents ou mots de passe nécessaires à la poursuite de l'activité (Cass. soc., 18 mars 2003, n° 01-41.343, Union mutuelle solidarité c/ Mme Marie-Jeanne Clain, inédit N° Lexbase : A5289A7Z ; lire, sur ce sujet, Aurélie Garat, Le salarié est soumis à une obligation de collaboration durant la suspension de son contrat pour maladie, Lexbase Hebdo n° 65 du 3 avril 2003 - édition sociale N° Lexbase : N6688AAX).
La conservation des données collectées ne peut pas excéder une durée supérieure à la durée nécessaire à la finalité du traitement. Cette durée varie donc selon le type de données. Elle est de un mois maximum pour les données de vidéosurveillance mais peut aller jusqu'à six mois pour les fichiers de journalisation des connexions informatiques.
L'encadrement juridique du télétravail par l'Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005, étendu par arrêté du 30 mai 2006 (N° Lexbase : L9489HIB), apporte un exemple concret de cette exigence de proportionnalité (lire, sur ce sujet, Christophe Radé, L'organisation contractuelle du travail ne peut être modifiée sans l'accord du salarié, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9530AK8). Ce texte définit le télétravail "comme une forme d'organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l'information dans le cadre d'un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l'employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière". L'accord prévoit, notamment, que l'employeur doit veiller au respect de la vie privée du salarié en fixant, par exemple, en concertation avec le salarié, les plages horaires durant lesquelles il peut le contacter.
Afin de se préserver des modes de preuve illicite, l'employeur doit, dans certains cas, procéder à une déclaration à la Cnil.
C'est ce qu'illustre un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 6 avril 2004, à propos de l'utilisation de systèmes de badges permettant l'identification des salariés à l'entrée et à la sortie des locaux de l'entreprise (Cass. soc., 6 avril 2004, n° 01-45.227, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8004DB3). A défaut de déclaration à la Cnil d'un traitement automatisé d'informations nominatives concernant un salarié, son refus de déférer à une exigence de son employeur impliquant la mise en oeuvre d'un tel traitement ne peut lui être reproché (sur ce sujet, lire Christophe Radé, L'entreprise, espace privé d'exercice des libertés publiques, Lexbase Hebdo n° 116 du 15 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1239ABI).
Dans tous les cas, l'employeur ne doit pas détourner de leur finalité les données collectées. Ainsi, un système de badge déclaré à la Cnil afin de garantir la sécurité dans l'entreprise ne peut servir à tracer les déplacements des salariés.
Si certaines collectes d'informations par l'employeur doivent faire l'objet d'une déclaration, qu'en est-il des traitements informatiques mis en oeuvre par les comités d'entreprises ou d'établissements, les comités centraux d'entreprises, les comités de groupe ou les comités interentreprises ou les délégués du personnel ? Selon la Cnil, dans une délibération du 17 octobre 2006 (délibération Cnil n° 2006-230, 17 octobre 2006 N° Lexbase : X7552AD3), les fichiers de gestion des activités sociales et culturelles des comités d'entreprise et d'établissement sont dispensés de toute formalité déclarative préalable dès lors qu'ils répondent aux conditions prévues par la norme de dispense n° 10. Ainsi, la Cnil considère que de tels fichiers, lorsqu'ils répondent à cette norme, "ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la vie privée des personnes concernées". En effet, précise la Commission, "les traitements de gestion des activités sociales et culturelles mis en oeuvre par les comités d'entreprise ou d'établissement, ainsi que par les comités centraux d'entreprises, les comités de groupe, les comités interentreprises ou les délégués du personnel, sont des traitements courants qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la vie privée des salariés et des membres de leurs familles".
2. Nouvelles technologies et contrôle des salariés
Depuis la célèbre jurisprudence "Nikon", aux termes de laquelle l'employeur avait interdiction de consulter les fichiers personnels présents sur l'ordinateur professionnel du salarié, la Cour de cassation a évolué.
Ainsi, dans un arrêt du 2 juin 2004 (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-45.269, M. Marc X c/ Société Spot image SA, publié N° Lexbase : A5260DCS), la Cour de cassation décide que le fait pour un salarié d'utiliser la messagerie électronique que l'employeur met à sa disposition pour émettre, dans des conditions permettant d'identifier l'employeur, un courriel contenant des propos antisémites constitue nécessairement une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Dans un arrêt en date du 17 mai 2005 (Cass. soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017, M. Philippe Klager c/ Société Cathnet-Science anciennement dénommée Nycomed Amersham Medical Systems, publié N° Lexbase : A2997DIT), la Cour de cassation admet la possibilité de procéder à la fouille du disque dur d'un salarié, sans que ce dernier soit présent, mais la soumet à l'existence d'un "risque ou événement particulier". Dans cette affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave au motif qu'à la suite de la découverte de photos érotiques dans un tiroir de son bureau, il avait été procédé à une recherche sur le disque dur de son ordinateur qui avait permis de trouver des dossiers étrangers à ses fonctions. La cour d'appel décide que le licenciement repose sur une faute grave. Selon les juges du fond, la découverte de photos érotiques par l'employeur constituait des circonstances exceptionnelles l'autorisant à contrôler le contenu du disque dur de l'ordinateur. La Cour de cassation censure cette décision au visa des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY), 9 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW) et L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI). Elle décide que, "sauf risque ou événement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé". Or, selon la Cour de cassation, la découverte de photos érotiques dans un tiroir du salarié ne constitue pas le "risque ou évènement particulier" justifiant l'ouverture des fichiers personnels, effectuée hors la présence de l'intéressé (sur ce sujet, lire Christophe Radé, L'employeur et les fichiers personnels du salarié : la Cour de cassation révise la jurisprudence "Nikon", Lexbase Hebdo n° 169 du 25 mai 2005 - édition sociale [LXB=N4601AI]).
Plus récemment, la Cour de cassation a précisé que les fichiers ou documents du salarié, situés dans son bureau ou sur son outil informatique mis à sa disposition par l'entreprise, sont présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme personnels, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors sa présence (Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-48.025, F-P+B N° Lexbase : A9621DRR ; Cass. soc., 18 octobre 2006, n° 04-47.400, M. Philippe Alazard c/ Société Jalma emploi et protection sociale (JEPS), FS-P+B N° Lexbase : A9616DRL ; sur ce sujet, lire Sébastien Tournaux, La consultation des documents de nature professionnelle du salarié, Lexbase Hebdo n° 234 du 2 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4508ALK)
Un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 18 mars 2003 se prononce sur l'utilisation du matériel de l'entreprise à des fins personnelles. Selon les juges du fond, "si l'employeur est fondé à réglementer l'usage d'internet dans l'entreprise, les recommandations de la Cnil mettent en évidence l'existence d'un usage admettant qu'une interdiction absolue à des fins non professionnelles d'internet n'est pas raisonnable" (CA Versailles, 6ème ch. soc., 18 mars 2003, n° 02/00046, Monsieur Denis Gombert c/ SA Société française de radiotéléphonie N° Lexbase : A2288C9M).
Si l'employeur n'est pas fondé à interdire toute utilisation d'internet à des fins personnelles, le salarié ne peut, quant à lui, abuser de la confiance de son employeur. C'est ce qu'illustre un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 mai 2004 (Cass. crim., 19 mai 2004, n° 03-83.953, F-P+F N° Lexbase : A6353DCB ; sur ce sujet, lire Anne-Laure Blouet Patin, Panorama d'actualités en droit des nouvelles technologies (deuxième partie), Lexbase Hebdo n° 141 du 3 novembre 2004 - édition affaires N° Lexbase : N3362AB7). La Chambre criminelle considère, en effet, que "la consultation et l'animation de sites pornographiques au moyen de l'ordinateur mis à disposition par l'employeur ne rentre pas dans le cadre de l'intimité de la vie privée au respect de laquelle tout salarié a droit, même pendant le temps et sur le lieu de travail". Dès lors, le salarié qui a "détourné son ordinateur et sa connexion Internet de l'usage pour lequel ils avaient été mis à sa disposition" se rend coupable d'un abus de confiance incriminé par l'article 314-1 du Code pénal (N° Lexbase : L7136ALU).
La solution la plus simple pour l'employeur consiste à installer des filtres pour empêcher le salarié d'accéder à n'importe quels sites. Il faut, en revanche, éviter la mise en place de contrôles individualisés poste par poste. Un tel contrôle ne devra être instauré qu'en cas d'abus manifeste et sous réserve d'une information du salarié et d'une déclaration en bonne et due forme à la Cnil.
Afin de mieux encadrer l'utilisation des nouvelles technologies et d'informer les salariés, les entreprises peuvent mettre en place une charte informatique, dont le régime suit celui du règlement intérieur (sur ce sujet, lire Aurélie Garat, Charte relative à l'utilisation des moyens de communication électronique par les syndicats à la BNF, Lexbase Hebdo n° 47 du 14 novembre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4690AAX). Une telle charte peut prévoir, par exemple, une interdiction de se connecter sur certains sites ou des conditions d'accès aux données du salarié par l'employeur.
Elle peut, également, prévoir un mécanisme dit d'"alerte éthique" ou "whistle-blowing", qui ouvre aux salariés la possibilité de dénoncer les agissements de leurs collègues. La Cnil n'a pas d'opposition de principe à de tels dispositifs dès lors que les droits des personnes mises en cause dans une alerte sont garantis au regard des règles relatives à la protection des données personnelles (délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005 portant autorisation unique de traitements automatisés de données à caractère personnel mis en oeuvre dans le cadre de dispositifs d'alerte professionnelle N° Lexbase : X6007ADT). La Cnil préconise, notamment, que le dispositif ait un caractère complémentaire, un champ restreint et soit d'un usage facultatif. En outre, les catégories de personnes concernées par le dispositif devront être définies et les alertes anonymes devront faire l'objet d'un traitement restrictif. Une information claire et complète des utilisateurs potentiels du dispositif devra être réalisée par tout moyen approprié. Le recueil des alertes pourra reposer sur tout moyen de traitement des données dédié au dispositif d'alerte. Les données d'alerte devront être pertinentes, adéquates et non excessives et la gestion des alertes devra être faite en interne par des spécialistes, dans un cadre confidentiel. La personne mise en cause devra être informée précisément et pourra accéder aux données la concernant et, le cas échéant, les modifier. Enfin, la conservation des données à caractère personnel devra être limitée (sur ce sujet, lire Aurélie Serrano, Informatique et libertés au travail : droits, obligations et responsabilité de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 187 du 27 octobre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N0095AKQ ; lire, également, Laure Teyssendier, Droit du travail et nouvelles technologies, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition sociale N° Lexbase : N5659AKS).
Plus récemment, la Cour de cassation a statué sur le cas d'un salarié qui avait déposé une plainte relative à d'éventuelles maltraitances et malveillances à l'égard de pensionnaires d'un établissement de soin et qui donne lieu à un classement sans suite. Selon la Cour, la plainte qui donne lieu à un classement sans suite n'est pas, à elle seule, constitutive d'une faute disciplinaire ni, a fortiori, d'une faute grave (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-41.075, FS-P+B N° Lexbase : A4374DQ3 ; voir, Sébastien Tournaux, La dénonciation sans fondement constitue-t-elle une faute grave du salarié ?, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N1328ALR).
Comme le démontre cet exposé, les interactions entre droit du travail et nouvelles technologies sont nombreuses et en perpétuelle évolution. Lexbase Hebdo - édition sociale ne manquera pas de vous informer de l'actualité à venir sur ce thème, au sein, notamment, des ateliers de l'association pour le développement de l'informatique juridique (Adij).
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Réf. : Ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006, réformant la saisie immobilière (N° Lexbase : L3737HIA) ; décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, relatif aux procédures de saisie immobilière et de distribution du prix d'un immeuble (N° Lexbase : L3872HKM)
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par Christian Boyer, Avoué à la cour d'appel de Toulouse
Le 07 Octobre 2010
Ils ne sont cependant pas applicables aux procédures en cours, c'est-à-dire :
- si le cahier des charges de la saisie a été déposé avant le 1er janvier 2007,
- si l'ouverture de l'ordre a été requis avant le 1er janvier 2007,
- si la procédure collective était ouverte avant le 1er janvier 2006,
- aux ventes ordonnées avant le 1er janvier 2007 dans une procédure collective ouverte après le 1er janvier 2006.
Les conflits d'application des textes dans le temps devraient donc être assez rares.
I - La saisie
L'ordonnance donne au juge de l'exécution compétence d'attribution. Le décret donne compétence au juge du lieu de situation de l'immeuble (ou du domicile du débiteur au cas de pluralité d'immeubles).
- Procédure
Elle débute par la signification du commandement de payer valant saisie, sous constitution obligatoire d'avocat.
Toutes les contestations et les demandes incidentes seront examinées lors de l'audience d'orientation. Celles-ci seront, sauf exception, formalisées par dépôt de conclusions d'avocat. Les jugements statuant sur ces contestations sont susceptibles d'appel dans les quinze jours de leur notification par le greffe. La cour juge ces affaires en urgence. La demande en distraction est possible en tout état de cause. Les créanciers peuvent demander, à tout moment, la subrogation, même verbalement à l'audience. Les cas de caducité du commandement de payer sont précisément prévus, le créancier pouvant être relevé de la caducité au cas de motif légitime, au cas de motif légitime, s'il présente demande au juge dans les quinze jours du prononcé de celle-ci.
- Formalités
Le commandement de payer valant saisie, acte de disposition au risque du créancier, est signifié au débiteur. Les treize mentions obligatoires, sans surprise, figurent à l'article 15 du décret. La saisie peut-être poursuivie contre le tiers détenteur du bien. La publication au bureau des hypothèques dans le délai de deux mois de la signification, à peine de caducité, reste une formalité essentielle. Cette publicité reste régie par le décret du 4 janvier 1955 (décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière N° Lexbase : L9182AZ4), son effet premier étant l'opposabilité aux tiers. Des règles particulières sont prévues aux articles 20 à 24 du décret au cas de pluralité de biens saisis. Elles sont plus précises et plus claires qu'antérieurement même si elles demeurent très techniques. Les effets à l'égard du débiteur, indisponibilité du bien saisi, saisie des fruits et restriction au droit du saisi, courent de la signification du commandement. Le commandement se périme si aucune mention du jugement de vente n'est porté dans les deux ans de sa publication. Les modalités de suspension ou de prorogation prévues sont peu claires, et donneront probablement lieu à des difficultés contentieuses pratiques (articles 32 à 34 du décret).
- Procès-verbal décrivant les lieux
Dans les 8 jours du commandement, à défaut de paiement, l'huissier pénètre dans les lieux pour dresser un procès-verbal.
- Assignations à comparaître
Une nouveauté importante est à noter : dans les deux mois de la publication, le débiteur est assigné de un à trois mois avant l'audience d'orientation. Aux mentions obligatoires d'une assignation, l'article 39 du décret ajoute neuf séries de mentions obligatoires spéciales à cet acte.
Les créanciers inscrits reçoivent dans les cinq jours de l'assignation du débiteur dénonce du commandement valant assignation à comparaître à l'audience d'orientation. L'article 41 du décret prévoit les six mentions spéciales de cet acte.
La mention de la délivrance de ces actes doit être portée dans les huit jours du dernier acte en marge de la copie du commandement publié aux hypothèques
- Dépôt au greffe du cahier des conditions de vente et de l'état hypothécaire
Il s'agit d'une formalité à accomplir dans les trois jours de l'assignation au débiteur à peine de caducité du commandement. Le cahier des conditions de vente et de l'état hypothécaire est un document essentiel, remplaçant le cahier des charges, dont le contenu est fixé par l'article 44 du décret.
- Déclaration des créances et état ordonné des créances
Le créancier déclare sa créance dans les deux mois de la dénonciation qui lui a été délivrée. Il peut sous certaines conditions notamment de délais la déclarer postérieurement. Des règles spéciales sont prévues pour le créancier ayant inscrit sa sûreté après la publication (article 47 du décret). Le créancier poursuivant demandera au greffe toutes les déclarations de créance et déposera au greffe un état des créances ordonné selon leur rang, quinze jours au moins avant l'audience d'adjudication, ceci toujours à peine de caducité du commandement.
Innovation annoncée précédemment, l'audience d'orientation permettra de déterminer si une vente amiable est possible ou si la vente forcée doit être poursuivie, et de vider tous les incidents, afin d'éviter des renvois trop fréquents lors des audiences de vente. Elle a un caractère très technique, permettant même des demandes orales de subrogation dans les poursuites. Le jugement est susceptible d'appel dans les quinze jours de sa signification.
La demande est présentée par le débiteur avant l'assignation à l'audience d'orientation. Elle suspend le cours de la procédure. Le juge fixe alors le prix minimum de vente, ses conditions particulières, les délais de vente, et taxe les frais. Au cas de non-réalisation, la procédure de vente forcée est reprise.
Le juge fixe la date de l'audience entre deux et quatre mois de sa décision. Un créancier devra alors solliciter la vente, à peine de caducité du commandement. Le renvoi n'est possible qu'en cas de force majeure. Les modalités de la publicité sont assouplies, modernisées et complétées, le juge ayant de grands pouvoirs. Les enchères s'effectuent toujours par un avocat inscrit au barreau du tribunal de grande instance où a lieu la vente. Elles sont pures et simples sans possibilité d'élection de command. Elles s'arrêtent trois minutes après la dernière enchère (la bougie a probablement vécu !). L'identité du dernier enchérisseur est immédiatement révélée au greffier.
L'enchère nulle est relevée d'office. Toute enchère postérieure régulière couvre la précédente. Le paiement du prix s'effectue dans les deux mois de l'adjudication définitive. Les intérêts de retard sont dus selon les modalités précises et complexes (articles 83 à 86 du décret). Le jugement d'adjudication qui comporte divers visas et mentions spécifiques sera notifié, non seulement, à tous les créanciers, au débiteur, à l'adjudicataire, mais aussi, à toute personne ayant élevé une contestation qu'il tranche.
Le titre de vente est constitué par l'expédition du cahier des conditions de vente revêtue de la formule exécutoire et de la transcription du jugement.
Il constitue pour son bénéficiaire un titre d'expulsion. Une procédure de surenchère dans les quinze jours de l'adjudication est prévue aux articles 94 à 99 du décret, sans modification essentielle par rapport à l'existante. En revanche, la "folle enchère" devient "réitération des enchères" : la technique est comparable même si certains délais sont modifiés (articles 100 à 106 du décret).
II - La distribution du prix
L'ordonnance crée la distribution du prix en modifiant trois articles du Code civil (art. 2214 N° Lexbase : L5953HIC ; art. 2215 N° Lexbase : L5954HID et art. 2216 N° Lexbase : L5955HIE). Le décret ne lui consacre que 18 articles (art. 107 à 125). Cette nouvelle procédure remplace la "procédure d'ordre", mais l'on distingue toujours la distribution amiable et la distribution judiciaire.
Pour un créancier unique, celui-ci fera une demande de paiement motivée par lettre recommandée avec accusé de réception selon les modalités détaillées à l'article 112 du décret.
En cas de pluralité de créanciers ceux-ci devront actualiser leurs créances par conclusions d'avocat.
Un projet de distribution est notifié par la partie poursuivante, permettant, dans les quinze jours de sa réception, une contestation motivée par acte entre avocats. Après quoi le juge pourra donner force exécutoire à ce projet. Si une contestation est élevée tous les créanciers se réunissent : si un accord est trouvé un procès verbal est signé. A défaut, la procédure de la distribution judiciaire s'appliquera.
Elle est très simplifiée. Le poursuivant, ou à défaut toute partie intéressée, saisit le juge de l'exécution. La saisine s'opère par dépôt de conclusions au greffe pour distribuer les suites d'une saisie immobilière ou par assignation pour toute autre distribution. Le texte prévoit les modalités et délais de paiement.
En définitive, on peut dire qu'il s'agit d'une réforme technique et délicate. Et, on ne peut que regretter que les textes du Code civil fassent référence à des lois non codifiées.
Seule la pratique permettra d'en discerner la cohérence et les simplifications éventuelles.
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Le 07 Octobre 2010
9:15 - 9:30 - Allocution introductive par Sandrine Losi, Avocat, cabinet Bartélémy et Rachid Brihi
9:30 - 10:45 - Première table Ronde : L'Europe : nouvelle frontière du Droit social ?
Modérateur : Rachid Brihi, Avocat
Avec la participation de Claude Didry, Sociologue, Chercheur ENS, Claude Pommery, Secrétaire du Comité d'Entreprise Européen EDF, Emmanuel Julien, Représentant du MEDEF à l'UNICE et Pascal Lagoutte, Avocat
11:00 - 12:15 - Deuxième table ronde : Egalité devant et dans l'entreprise : le droit plus fort que les mentalités ?
Modérateur : Sandrine Losi, Avocat
Avec la participation de Anne de Ravaran, Directeur Juridique Ressources Humaines du Groupe THALES, Pierre-Yves Verkindt, Professeur à l'Université de Lille II et Sandrine Palt, Directrice de la promotion de l'égalité - HALDE
12:40 - Déjeuner (hall exposition)
14:00 - 15:15 - Troisième table ronde : La sauvegarde de l'emploi : GPE versus PSE ?
Modérateur : Jean-Michel Mir, Avocat, cabinet Barthélémy
Avec la participation Rachel Beaujolin, Professeur - Reims Management School, Dominique Le Morvan, Syndicaliste - Groupe Clemessy et Thierry Denjean, DRH France ST Microelectronics et un magistrat de la Chambre Sociale de la Cour de cassation
15:15 - Pause
15:30 - 16:15 - Quatrième table ronde : 60ème anniversaire des comités d'entreprise : le CE acteur de la transparence économique et financière dans l'entreprise ?
Modérateur : Roger Koskas, Avocat, cabinet Grumbach
Avec la participation de Dominique Ponchet, Secrétaire du Comité d'Entreprise CGG, Christian Pelle, Directeur du cabinet Sextant Expertise, Pierre Le Cohu, Avocat, cabinet Barthélémy et Christian Sanchez, Directeur du Développement social - LVMH
16:15 - Pause
16:30 - 17:45 - Cinquième table Ronde : La sauvegarde de l'entreprise : quelle place pour les représentants des salariés dans la nouvelle loi ?
Autour de personnalités du monde juridique, un avocat, un mandataire judiciaire, un juge du tribunal de commerce animeront un débat un an après la mise en application de la nouvelle loi sur les entreprises en difficulté.
17:45 - Cocktail Espace Exposition
Jeudi 7 décembre 2006 de 9h à 19h.
1, parvis de la Défense
Paroi Nord
92044 Paris La Défense cedex
Tel : 01 49 07 27 27
Fax : 01 49 07 27 50
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Réf. : Cass. civ. 1, 7 novembre 2006, n° 05-12.080, M. André Robache, FS-P+B (N° Lexbase : A2984DSC)
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Le 07 Octobre 2010
En l'espèce, en effet, et assez classiquement d'ailleurs, une banque avait consenti un prêt à des époux et avait obtenu, en garantie, l'engagement de cautions solidaires. Or, en raison de la défaillance des emprunteurs, la banque avait assigné les cautions en exécution de leur engagement, lesquelles s'étaient alors prévalues de la nullité du cautionnement et avaient formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts.
Les juges du fond, statuant sur renvoi après cassation, pour déclarer les cautions irrecevables à invoquer l'exception de nullité du cautionnement qu'elles avaient souscrit, avaient fait valoir que cette exception ne peut être opposée au prêteur postérieurement à l'expiration du délai de prescription de cinq ans "dès lors que le contrat de prêt a été exécuté comme en l'espèce".
Fort logiquement, la Cour de cassation exerce, ici, sa censure : après avoir rappelé, sous le visa de l'article 1304 du Code civil (N° Lexbase : L1415ABZ), que "l'exception de nullité peut être invoquée à l'effet de faire échec à la demande d'exécution de l'acte juridique qui n'a pas encore été exécuté", elle énonce "qu'en se déterminant ainsi alors que l'acte juridique en exécution duquel [la banque] agissait à l'encontre [des cautions] était non pas le contrat de prêt mais le cautionnement garantissant celui-ci, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé".
Il faut, ici, rappeler que si l'exception de nullité, qui permet, lorsqu'un contrat n'a pas été exécuté et que l'une des parties en exige l'exécution ou demande réparation pour sa non-exécution, après l'expiration de l'action en nullité, que l'autre partie puisse invoquer cette nullité comme moyen de défense, suppose que l'acte juridique n'ait pas déjà été exécuté, encore faut-il qu'il s'agisse bien de l'acte irrégulier pour lequel la nullité est invoquée. Or, en l'espèce, le contrat qui avait reçu exécution était le contrat de prêt, et non pas le contrat de cautionnement le garantissant qui, lui, par hypothèse, n'avait pas encore été exécuté. C'est cette évidence que les juges du fond avaient méconnue, et le fait que le contrat de cautionnement soit accessoire au contrat principal de prêt n'y pouvait fondamentalement rien changer.
David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit
(1) Cass. civ. 2, 19 octobre 2006, n° 05-17.599, M. Lucien Pique, F-P+B (N° Lexbase : A9671DRM) et nos obs., Obligations : retour sur les conditions du jeu de l'exception de nullité, Lexbase Hebdo n° 235 du 9 novembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N4881ALD).
(2) Cass. civ. 1, 1er décembre 1998, n° 96-17.761, Epoux Maggiani c/ Crédit lyonnais, publié (N° Lexbase : A8935AHE), Bull. civ. I, n° 338 ; Cass. civ. 1., 9 novembre 1999, n° 97-16.454, Epoux Bert c/ M. Marie et autre (N° Lexbase : A5221AWB), Bull. civ. I, n° 298 ; Cass. civ. 1, 13 mars 2001, n° 98-19.691, Mme Gaudin c/ Crédit foncier de France (N° Lexbase : A0131ATZ), Bull. civ. I, n° 70 ; Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 99-10.335, Comité interprofessionnel de logement de l'Oise et de la Vallée de l'Aisne c/ M. Francis Debril, FS-P (N° Lexbase : A0610AXU), Bull. civ. I, n° 268 ; Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-18.682, Mme Annie Jarret, épouse Boisquillon c/ Société Union pour le financement d'immeubles de sociétés (UIS), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8860AXG), Bull. civ. III, n° 24.
(3) Voir, sur cette question, J.-L. Aubert, Brèves réflexions sur le jeu de l'exception de nullité, in Mél. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 20 et s.
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