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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
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Réf. : Cass. com., 10 mai 2006, n° 04-10.149, Société Union Technologies Informatique (UTI), anciennement TWA Services, venant aux droits de la société Ecso UTI France c/ Société Metaware Technologies, F-P+B (N° Lexbase : A3681DPZ)
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Le 07 Octobre 2010
Résumé
Seul le salarié peut se prévaloir du trouble qu'est susceptible de lui causer une clause de non-sollicitation ne comportant pas de contrepartie financière. |
Décision
Cass. com., 10 mai 2006, n° 04-10.149, Société Union Technologies Informatique (UTI), anciennement TWA Services, venant aux droits de la société Ecso Uti France c/ Société Metaware Technologies, F-P+B (N° Lexbase : A3681DPZ) Cassation (CA Versailles, 12ème ch. civ., sect.1, 2 octobre 2003) Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clés : clause de non-concurrence ; clause de non-sollicitation, contrepartie financière ; validité. Lien bases : |
Faits
La société Ecso, devenue depuis lors la société Uti, a mis à la disposition de la société Metaware plusieurs salariés pour des travaux d'assistance technique en informatique. Deux de ces salariés ont mis fin à leur mission le 31 juillet 1998, alors qu'elle s'achevait, normalement, le 23 septembre 1998, au motif que, embauchés par la société Ecso en vertu d'un contrat à durée déterminée se terminant le 31 juillet 1998, ils n'entendaient pas continuer à travailler avec cette société après cette date. Quelques jours plus tard, ces salariés ont été embauchés directement par la société Metaware. La société Ecso, invoquant la violation par la société Metaware d'une clause du contrat interdisant la sollicitation du personnel mis à sa disposition, a retiré ses autres salariés. La société Metaware a alors refusé de régler les factures de la société Ecso, cédées par cette dernière à la société française de factoring. Par un jugement du 29 janvier 2002, le tribunal de commerce de Nanterre a condamné la société Metaware à payer à la société Uti une certaine somme au titre de factures impayées non cédées à un tiers et une autre somme à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-sollicitation. Par ailleurs, le tribunal de commerce de Versailles, par un jugement du 5 avril 2002, a condamné la société Metaware à payer à la société Eurofactor une somme correspondant au montant des factures cédées par la société Uti. Ces diverses sommes ayant été réglées par la société Metaware, la cour d'appel de Versailles a joint les recours formés par cette dernière contre ces deux jugements et, les infirmant, a statué à nouveau. Pour rejeter les demandes en réparation de la société Uti, fondées sur la violation de la clause de non-sollicitation, l'arrêt attaqué a retenu que l'obligation de non-sollicitation prévue par le contrat liant les sociétés Metaware et Uti était disproportionnée, puisqu'elle était imposée pour des contrats de 3 mois renouvelables et n'était nullement compensée par une indemnité au bénéfice du salarié. |
Solution
1. Cassation pour violation de l'article 1134 du Code civil 2. "Attendu qu'en statuant ainsi, alors que seul le salarié peut se prévaloir du trouble qu'est susceptible de lui causer une clause de non-sollicitation ne comportant pas de contrepartie financière, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article susvisé". |
Observations
1. Utilité des clauses de non-sollicitation
S'il l'on ne saurait dater avec précision l'apparition des clauses de non-sollicitation dans notre droit positif, il ne fait guère de doute que leur recrudescence est liée aux retentissants arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 juillet 2002. Arrêts par lesquels, on le sait, celle-ci a subordonné la validité des clauses de non-concurrence à une contrepartie financière à la charge de l'employeur (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1227AZH ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0769AZI, lire Ch. Radé, Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4139AAK). Cette assertion s'explique, tout d'abord, par la proximité d'objet entre clause de non-concurrence et clause de non-sollicitation. Toutes deux visent à protéger l'employeur, en évitant, après la rupture du contrat, la concurrence préjudiciable d'un ancien salarié. Toutefois, alors que la première fait naître une obligation à la charge du salarié, la seconde en crée une à la charge des clients de l'employeur. Ces derniers s'interdisent, en effet, de faire travailler les anciens salariés de l'employeur qui, parfois, et comme en l'espèce, auront pu être mis à leur disposition. Ensuite, et surtout, l'engouement suscité par la clause de non-sollicitation tient à ce que, a priori, sa validité n'est pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie pécuniaire, dès lors que, pour être proche de la clause de non-concurrence, elle ne saurait lui être assimilée (v., en ce sens, CA Lyon, 12 juillet 2005, Arol informatique SA c/ Ascom SA N° Lexbase : A7755DM8, JCP éd. E, 2006, 1609, avec l'intéressante note de Ph. Stoffel-Munck)(1). En d'autres termes, la clause de non-sollicitation constituerait une opportune solution de contournement à l'exigence de contrepartie financière, à laquelle est aujourd'hui soumise la licéité des clauses de non-concurrence. L'arrêt sous examen conduit, cependant, à considérablement relativiser cette affirmation, ainsi que nous le verrons plus avant.
Pour être proche, quant à leur objet, des clauses de non-concurrence, les clauses de non-sollicitation ont, cependant, une portée plus limitée. En effet, et ainsi que le souligne, à juste titre, le Professeur Stoffel-Munck, "c'est ingénieux, encore que moins efficace que la clause de non-concurrence car seul le porte-feuille de clients déjà acquis par l'employeur est protégé [...]. La clause de non-concurrence protège plus largement, mais le gain n'en vaut pas toujours le coup" (op. cit., p. 727). On s'accordera, en outre, avec cet auteur, pour considérer que "le marché de la haute technologie et de la communication peut tout à fait correspondre à ce schéma, du moins pour les segments où seuls quelques grands clients existent sur la place". L'espèce commentée, dans laquelle était concernée une société de services en ingénierie informatique (les fameuses "SS2I"), vient confirmer ce sentiment. En résumé, il apparaît que, pour être dotées d'une portée relative, les clauses de non-sollicitation paraissent présenter une certaine utilité pour les entreprises (2). On doit, cependant, se demander, à la lecture de l'arrêt commenté, si cette utilité n'a pas été condamnée, de manière certes indirecte, par la Chambre commerciale. Il convient, pour répondre à cette question, de s'attacher plus précisément à la licéité des clauses en cause. 2. Licéité des clauses de non-sollicitation
Ainsi que nous avons tenté de le démontrer dans les développements précédents, la clause de non-sollicitation ne doit pas être confondue avec une clause de non-concurrence. Par suite, sa validité paraît, à première vue, devoir être appréciée au regard du seul droit commun des contrats. Or, de ce point de vue, celle-ci ne fait guère de doute. C'est d'ailleurs en ce sens que s'était prononcée la cour d'appel de Lyon dans l'arrêt précité du 12 juillet 2005. Il convient, toutefois, de relever que, dans cette espèce, les juges du fond s'étaient bornés, ainsi qu'il leur avait été demandé, à contrôler la validité d'une clause de ce type sur le terrain de la cause. En conséquence, une question fondamentale restait posée : celle de la validité de la clause de non-sollicitation au regard de l'atteinte portée à la liberté du travail du salarié. Il est pour le moins difficile de nier que la clause de non-sollicitation entrave la liberté du travail du salarié, même si elle ne le fait que de manière indirecte (3). A ce titre, et quoiqu'il s'agisse moins de son objet que de son effet, cette clause présente, à nouveau, une proximité très forte avec la clause de non-concurrence. Or, il faut le rappeler, c'est bien parce qu'elle porte atteinte à la liberté du travail du salarié que la clause de non-concurrence est nulle, sauf à comporter une contrepartie pécuniaire au bénéfice de ce dernier. Plus précisément, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle" (Cass. soc., 17 décembre 2004, n° 03-40.008, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4376DES, lire les obs. de Ch. Radé, A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : une évolution en trompe l'oeil !, Lexbase Hebdo n° 148 du 23 décembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N4064AB7). En conséquence, de même que cette "impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle" commande que la validité d'une clause de non-concurrence soit soumise à l'existence d'une contrepartie financière, elle paraît soumettre la licéité d'une clause de non-sollicitation à une telle condition (4).
Il faut le relever d'emblée, la Chambre commerciale ne subordonne pas de manière expresse la licéité d'une clause de non-sollicitation à l'exigence d'une contrepartie financière. Tel n'était, d'ailleurs, pas le problème dont elle avait été saisie. Il faut, en effet, rappeler que, à la suite du recours formé par la société cliente, les juges d'appel avaient, pour rejeter les demandes en réparation de la société employeur pour violation de la clause de non-sollicitation, refusé de faire produire effet à celle-ci. Pour ce faire, la cour d'appel avait considéré que "l'obligation de non-sollicitation prévue par le contrat liant les sociétés Metaware et Uti était disproportionnée, puisqu'elle était imposée pour des contrats de trois mois renouvelables et n'était nullement compensée par une indemnité au bénéfice du salarié". Cette argumentation est censurée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui considère, au visa de l'article 1134 du Code civil, que "seul le salarié peut se prévaloir du trouble qu'est susceptible de lui causer une clause de non-sollicitation ne comportant pas de contrepartie financière". Deux enseignements peuvent être tirés de cette solution. Tout d'abord, l'absence de contrepartie financière au bénéfice des salariés concernés ne s'oppose en aucune façon à la validité de la clause de non-sollicitation entre les parties contractantes. Bien au contraire, une telle stipulation doit recevoir une pleine application dans les rapports entre les deux parties au contrat. Il en va de la force obligatoire de la convention en cause. La société cliente ne saurait donc demander la nullité de la clause au nom de considérations qui ne visent pas à le protéger. L'intérêt à agir fait ici défaut. Tel est donc le premier -et le plus clair- enseignement de l'arrêt sous examen. Ensuite, et l'arrêt devient, ici, plus ambigu, la Chambre commerciale considère que seul le salarié a un intérêt à agir, afin de se prévaloir du trouble qu'est susceptible de lui causer une clause de non-sollicitation ne comportant pas de contrepartie financière. Cette solution n'est évidemment pas sans rappeler celle qui est retenue en matière de clause de non-concurrence par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Solution selon laquelle seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la clause de non-concurrence ne comportant pas de contrepartie financière (v., par ex., Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-43.646, F-P N° Lexbase : A5595DM8). Est-ce à dire que le salarié peut demander la nullité de la clause de non-sollicitation pour défaut de contrepartie pécuniaire ? Certains le pensent (v., en ce sens, mais avec des réserves, Ph. Stoffel-Munck, op. cit.) et la décision du 10 mai 2006 paraît aller en ce sens. Il faut, cependant, faire preuve de prudence. En effet, le salarié est un tiers par rapport au contrat conclu entre la société employeur et la société cliente ; contrat dans lequel figure la clause de non-sollicitation. Sans doute est-il enseigné qu'un tiers peut avoir intérêt à invoquer la nullité, sinon du contrat, du moins de l'une de ses clauses, pour se soustraire aux effets indirects qui résultent de l'opposabilité du contrat à son égard. Mais, cette solution est affirmée à propos des nullités absolues (v., F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, § 396). Or, si nullité de la clause de non-sollicitation il y a en l'absence de contrepartie financière, il s'agit, vraisemblablement, d'une nullité relative. Par suite, ne serait-il pas plus juridiquement fondé de considérer que, faute d'une telle contrepartie, la clause de non-sollicitation est inopposable au salarié, qui échapperait, ce faisant, à toute action en responsabilité pour avoir aidé, en connaissance de cause, le débiteur à ne pas exécuter le contrat ? (5) En définitive, on doit constater que si l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation contribue à préciser le régime des clauses de non-sollicitation, il laisse dans l'ombre d'importantes questions. Ce qui est certain, c'est qu'une telle clause doit recevoir application entre les parties contractantes, alors même qu'elle ne comporte pas de contrepartie financière au bénéfice du salarié. La société cliente ne saurait, dès lors, se prévaloir de l'absence de cette contrepartie pour échapper à ses engagements. Pour ce qui est du salarié concerné par la clause, la Chambre commerciale considère que le défaut de contrepartie est susceptible de lui causer un "trouble" (6). Ce qu'elle ne dit pas, c'est si cette contrepartie conditionne la validité de la clause et quelles sont les conséquences à en tirer. Autant de questions, auxquelles la Chambre commerciale sera, sans doute, amenée à répondre dans l'avenir, mais qui relativisent de beaucoup l'utilité des clauses de non-sollicitation.
Gilles Auzero (1) "Attendu que la clause de non-sollicitation ne constitue pas une clause de non-concurrence, cette dernière s'entendant de l'interdiction faite à un salarié à compter de la fin de sont contrat de travail d'exercer certaines fonctions, pendant une certaine durée, sur un certain territoire ; qu'en l'espèce, il s'agit d'une stipulation conclue librement entre deux sociétés commerciales en rapports d'affaires, prévoyant une obligation réciproque de non-sollicitation dans le but d'assurer la loyauté de l'exécution de la convention de collaboration ; que chacune des sociétés avait intérêt à se protéger contre un éventuel proche départ, voire détournement de ses salariés ; que s'agissant spécialement de la société Arol informatique, M. B., son collaborateur, avait acquis une connaissance spécifique du système informatique de la société Ascom et que l'appelante avait donc un intérêt légitime à se prémunir contre le départ de son salarié, que la clause de non-sollicitation dont le bénéfice est réciproque n'est pas dépourvue de cause et qu'elle est valide". (2) Utilité d'autant plus avérée que les clauses en cause seront assorties d'une indemnité forfaitaire à la charge de l'entreprise cliente. Mais, il y a tout lieu de considérer que cette indemnité constitue une clause pénale soumise au pouvoir modérateur du juge en application de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ) (v., en ce sens, Ph. Stoffel-Munck, op. cit., p. 728). (3) Ainsi que nous l'avons déjà vu, la clause de non-sollicitation ne crée, en effet, d'obligation qu'à la charge du client de l'employeur. (4) Encore que, et ainsi que le relève le Professeur Stoffel-Munck, "sur le fond, la clause de non-sollicitation entrave moins la liberté du travail du salarié que la clause de non-concurrence. Comme nous l'avons dit, celui-ci reste partiellement libre de prospecter le secteur, et n'est tenu éloigné que des clients actuels ou passés de son ancien employeur" (op. cit., p. 728). (5) Inopposabilité qui aurait, en outre, l'intérêt de préserver l'effectivité de la clause entre les parties contractantes. (6) Relevons la prudence de la Chambre commerciale, qui évoque un trouble éventuel et, plus précisément, le "trouble qu'est susceptible de lui causer une clause de non-sollicitation ne comportant pas de contrepartie financière" (souligné par nous). |
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Réf. : Cass. soc., 10 mai 2006, n° 05-43.110, Mme Pierrette Le Saux-Le Martelot c/ Société LVT, FS-P+B (N° Lexbase : A3666DPH)
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Le 07 Octobre 2010
Solution inédite
L'éviction et le remplacement d'une salariée protégée s'analyse en un licenciement lorsque l'inspecteur du travail refuse d'accorder l'autorisation de licencier. |
Décision
Cass. soc., 10 mai 2006, n° 05-43.110, Mme Pierrette Le Saux-Le Martelot c/ Société LVT, FS-P+B (N° Lexbase : A3666DPH) Cassation sans renvoi (CA Angers, audience solennelle, 15 avril 2005) Textes visés : loi des 16 et 24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; principe de la séparation des pouvoirs. Mots-clefs : salarié protégé ; refus d'autorisation de licenciement ; mise à pied conservatoire ; évincement du salarié ; principe de séparation des pouvoirs. Liens bases : ; ; . |
Faits
Une salariée de la société LVT, conseillère prud'homme, est successivement mise en congé, remplacée puis mise à pied le 30 novembre 1998 par son employeur. Celui-ci effectue une demande d'autorisation de licenciement auprès de l'administration du travail, laquelle lui est refusée le 8 février 1999. L'employeur refuse la réintégration de la salariée le 10 février 1999, avant de se raviser le 11 février. La salariée saisit le juge prud'homal afin de voir reconnaître la rupture du contrat de travail à la date du 12 octobre 1998. S'ensuit une procédure complexe puisque, statuant sur le pourvoi contre un arrêt du 17 avril 2001 de la cour d'appel de Rennes, la Chambre sociale de la Cour de cassation intervient, une première fois, le 7 juillet 2004 (Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 01-43.588, F-D N° Lexbase : A0173DDR) en sanctionnant la juridiction du fond, estimant que le recours contre une décision de l'inspecteur du travail n'ayant pas un caractère suspensif, il n'était pas nécessaire pour la cour d'appel de surseoir à statuer dans l'attente d'une telle décision. La cour d'appel d'Angers, saisie comme juridiction de renvoi, refuse la qualification de licenciement à l'éviction de la salariée par son remplacement par une autre salariée, refus porté à l'appréciation de la Cour de cassation. |
Solution
"Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de la décision de refus d'autorisation de l'inspecteur du travail, qui s'impose au juge judiciaire, que la salariée avait été évincée de l'entreprise le 12 octobre 1998 et que, dès lors, cette éviction s'analysait en un licenciement prononcé en violation de son statut protecteur, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes susvisés". |
Commentaire
1. Les conséquences du refus d'autorisation de licencier de l'inspecteur du travail
Comme pour l'ensemble de la catégorie des salariés dits "protégés", les conseillers prud'hommes bénéficient d'un statut particulier en ce qui concerne leur licenciement. Ainsi, l'article L. 514-2 du Code du travail (N° Lexbase : L9624GQI), renvoyant à l'article L. 412-8 du même code (N° Lexbase : L0040HDT), prévoit que le licenciement du salarié élu est soumis à l'autorisation de l'inspecteur du travail. Le licenciement prononcé en l'absence d'autorisation ou à l'encontre d'un refus prononcé par l'administration du travail a des conséquences tout à fait traditionnelles : le licenciement est nul et permet d'obtenir, depuis l'arrêt "Revêt sol" (Cass. soc., 14 juin 1972, n° 71-12.508, A. Comptoir des revêtements Revet Sol cdr c/ Dal Poz, publié N° Lexbase : A4360CHX), la réintégration du salarié, à laquelle s'adjoint un certain nombre de conséquences pécuniaires de moins en moins négligeables (Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 01-45.902, F-P+B N° Lexbase : A6643DDE, lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Quelles sanctions contre l'employeur ayant licencié un salarié protégé sans autorisation administrative ?, Lexbase Hebdo n° 142 du 11 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3475ABC). Le juge judiciaire ne peut, en aucun cas, s'opposer à la décision de l'administration du travail sans violer le principe de la séparation des pouvoirs induit par les textes révolutionnaires que sont la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III. Comme cela avait, d'ailleurs, déjà été précisé lors du premier pourvoi, le recours de l'employeur contre la décision de refus d'autorisation n'est pas suspensif, si bien que le juge judiciaire ne peut surseoir à statuer en attendant la décision d'appel (Cass. soc., 18 juin 1997, n° 95-43.723, Société Alain Buffa c/ M. Rodeschini, publié N° Lexbase : A2133ACY), ni statuer dans un sens qui nierait ledit refus de l'inspecteur du travail. C'est ce cas de figure que la Chambre sociale de la Cour de cassation semble sanctionner en cassant l'arrêt de la cour d'appel d'Angers.
En l'espèce, la salariée soutenait que son contrat de travail avait été rompu avant la demande d'autorisation de licenciement, par le fait que l'employeur l'ait évincé de son poste, procédant à son remplacement par une autre salariée. Deux positions étaient alors envisageables. La première correspond à la démarche suivie par les juges de la cour d'appel. Ceux-ci se sont contentés d'apprécier si la simple éviction de la salariée et son remplacement pouvaient être, ou non, constitutifs d'un licenciement. La question n'est pas sans rappeler celle du licenciement du salarié dont la durée de la maladie perturbe l'entreprise au point de nécessiter son remplacement définitif (Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8472DD7, lire les obs. de Ch. Radé, Licenciement du salarié malade et motivation de la lettre de licenciement : une hirondelle fera-t-elle le printemps ?, Lexbase Hebdo n° 143 du 18 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3533ABH ; Cass. soc., 10 novembre 2004, n° 02-45.156, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8471DD4, lire les obs. de Nicolas Mingant, Le licenciement du salarié malade et la "nécessité d'un remplacement définitif", Lexbase Hebdo n° 144 du 25 novembre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3636ABB). Pour autant, il faut bien admettre que s'il est une chose de considérer que le licenciement peut être motivé par la nécessité de remplacer un salarié, ç'en est une autre de dire que le remplacement de ce salarié constitue un licenciement. Excluant une telle analyse, la cour d'appel avait donc refusé de considérer le 12 octobre, date de l'évincement de la salariée, comme la date du licenciement. La seconde approche envisageable, dans cette situation, attache plus d'importance à la décision de l'administration du travail. En effet, on sait déjà, de par l'effet de l'article L. 412-18 du Code du travail (N° Lexbase : L0040HDT), que la mise à pied, prononcée avant la demande d'autorisation, est annulée par l'effet du refus de l'inspecteur du travail. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de considérer qu'en l'absence de réintégration, cette décision de mise à pied pouvait s'analyser en un licenciement (Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-44.962, FS-P+B N° Lexbase : A2310DB8 et les obs. de S. Koleck-Desautel, Mise à pied du salarié protégé et refus de l'autorisation administrative de licenciement, Lexbase Hebdo n° 108 du 19 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0544ABR). Il était envisageable d'étendre cette solution à toute décision ayant pour effet, comme la mise à pied à titre conservatoire, d'écarter la salariée de son poste de travail, caractère que semblait revêtir la prolongation de congés demandée à la salariée. Allant encore plus loin, la Cour de cassation ne se contente pas d'assimiler les congés imposés par l'employeur à la mise à pied préalable à une procédure de licenciement du salarié protégé. Elle estime, en effet, par sa solution, que l'éviction de la salariée, caractérisée par son remplacement par une salariée aux compétences similaires, constitue une mesure l'ayant mise à l'écart de son emploi, au même titre que l'auraient été les congés "forcés" ou la mise à pied à titre conservatoire. 2. L'extension de la notion de licenciement par l'effet du principe de séparation des pouvoirs
L'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation vise les très emblématiques loi du 16 et 24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III, textes ayant assis le principe de séparation entre le pouvoir exécutif et l'autorité judiciaire au sortir de la Révolution. Ainsi, par l'effet de ces textes, le juge judiciaire doit s'abstenir d'interférer dans les décisions de l'administration. Etait-ce bien le cas en l'espèce ? On peut rester relativement circonspect quant à cette appréciation, de par le caractère très largement extensif donné par la Cour à l'effet de la décision de l'administration du travail. Les Hauts magistrats font, en effet, remonter la date de la rupture bien au-delà de celle de la mise à pied de la salariée (1). C'est donc, selon eux, la simple mise à l'écart de la salariée, même non disciplinaire, qui doit, en quelque sorte, être annulée. Fidèle à l'esprit du texte, cela n'en reste pas moins une interprétation sensiblement amplifiante de l'article L. 412-18 du Code du travail... Il y a donc là, à notre sens, une trop grande déférence de la part du juge judiciaire à l'égard du principe de séparation des pouvoirs. La décision de l'administration n'aurait dû avoir d'effet que sur la décision de mise à pied du 30 novembre 1998, que le juge aurait pu qualifier de licenciement. Et même si le juge judiciaire avait souhaité analyser l'éviction de la salariée par le biais de son remplacement en un licenciement, la théorie -désormais bien assise- de la prise d'acte de la rupture paraissait pouvoir convenir à une telle manoeuvre.
Il est tout à fait possible d'estimer que, par cette décision, la Cour de cassation élargit encore le domaine de la notion juridique de licenciement. En effet, le respect du principe de séparation des pouvoirs la pousse à juger que l'éviction d'une salariée de l'entreprise, caractérisée par son remplacement par une autre salariée, est constitutive d'un licenciement, ce qui ne correspond certes pas à la définition classique du licenciement. Pour autant, il nous semble qu'un résultat similaire aurait pu être obtenu par la Chambre sociale sans donner une portée si équivoque au principe de séparation des pouvoirs. On le sait, la Cour de cassation accepte, depuis 1990 (Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, M. Rogie c/ Société Sermaize Distribution, publié N° Lexbase : A9329AAR, D. 1991, p. 99, note J. Savatier), de mettre en oeuvre la procédure que l'on a progressivement qualifiée d'"autolicenciement", puis de prise d'acte de la rupture par le salarié. Le régime de ce mécanisme a été stabilisé par les importants arrêts du 25 juin 2003 (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 N° Lexbase : A8977C8Y ; n° 01-42.335 N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578 N° Lexbase : A8978C8Z ; n° 01-41.150 N° Lexbase : A8975C8W ; n° 01-40.235 N° Lexbase : A8974C8U, lire les obs. de Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8027AAK). Le principe de la prise d'acte de la rupture est simple : si l'employeur n'exécute pas convenablement ses obligations contractuelles, le salarié peut prendre l'initiative de rompre le contrat de travail et saisir le juge prud'homal afin que soit reconnu que l'imputabilité de la rupture ne lui incombe pas, mais pèse sur les épaules de l'employeur. Si, en l'espèce, le simple remplacement de la salariée ne suffit pas, à lui seul, à constituer une faute de l'employeur justifiant la prise d'acte, il en va tout à fait autrement si l'on constate que l'employeur avait imposé à la salariée de prendre des congés, de les prolonger, avant d'entamer une procédure de mise à pied conservatoire, la procédure se soldant, par ailleurs, par un refus d'autorisation de l'inspection du travail. L'employeur n'exécutait pas convenablement, dans cette affaire, son obligation de fournir du travail à sa salariée. Ce raisonnement aurait eu le mérite de ne pas exagérer l'interprétation des pouvoirs de l'inspecteur du travail, tout en parvenant à un résultat similaire, obtenu par le biais de notions élaborées par le droit du travail. Malgré tout, on sait que le mécanisme de la prise d'acte de la rupture pour le salarié protégé ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés (Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, FS-P+B+R N° Lexbase : A7345A4S, lire les obs. de G. Auzero, "Autolicenciement" d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5763AAP). Il faut, notamment, s'interroger, dans une telle hypothèse, sur l'impossibilité de l'employeur d'anticiper l'initiative de la prise d'acte ayant pour conséquence directe le non-respect de la procédure spécifique réservée aux salariés protégés. Si l'on force le trait en imaginant la faculté de réintégration dont bénéficie le salarié lorsque le licenciement est nul pour défaut de consultation de l'inspection du travail, on saisit bien quel imbroglio juridique se cache derrière la prise d'acte du salarié protégé. C'est peut-être pour cette raison qu'il faut, malgré l'ampleur exagérée donnée par la Cour au principe de séparation des pouvoirs, considérer qu'il s'agit là d'un mal pour un bien, permettant de ne pas entrer sur le terrain de l'autolicenciement du salarié protégé... même si nul doute que ces questions finiront bien par se poser devant la Chambre sociale !
Sébastien Tournaux (1) Il faut, néanmoins, noter, sur ce point, qu'il existe une divergence de date entre le premier arrêt de la Cour en 2004, estimant que la mise à pied datait du 24 novembre 1998, et l'espèce commentée, estimant que la mise à pied est intervenue le 30 novembre de la même année. Cette différence n'est pas faite pour éclairer des débats dont la chronologie est déjà relativement complexe. |
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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
Le 07 Octobre 2010
1.1. L'exploitant décide de se retirer immédiatement en donnant ou en vendant son affaire
Dans le cas où les candidats à la reprise sont ses héritiers, l'exploitant peut opérer la transmission de son entreprise par voie de donation (solution qui ne lui interdit pas, en vue de se ménager une source de revenus, de conserver la propriété des immeubles affectés à l'exploitation qu'il donnera en location à son ou ses successeurs). Les conséquences fiscales de la donation sont les suivantes :
- En matière d'impôt sur le revenu, une distinction est à opérer selon que l'exploitant choisit de faire une donation directe de l'entreprise ou de constituer une société, avant de faire donation des titres correspondants.
En cas de donation directe, la donation en l'état de l'entreprise individuelle déclenche, en principe, les mêmes impositions que la vente de l'entreprise (taxation immédiate des bénéfices et plus-values), y compris pour les immeubles construits par l'exploitant, mais qui, à cette occasion, retournent dans son patrimoine privé.
Si les conditions d'application de cette exonération ne sont pas réunies, les plus-values dégagées par la donation peuvent, néanmoins, échapper en tout ou partie à l'impôt, lorsque les recettes hors taxes de l'exploitation n'excèdent pas les limites fixées à l'article 151 septies du CGI (250 000 euros ou 90 000 euros pour l'exonération totale et 350 000 euros ou 126 000 euros pour l'exonération partielle).
Enfin, l'exploitant, qui ne peut prétendre à une exonération totale ou qui ne se satisfait pas d'une exonération partielle, peut, en application de l'article 41 du CGI , demander le report d'imposition des plus-values constatées à l'occasion de la transmission, jusqu'à la date de cession ou cessation de l'entreprise ou jusqu'à la date de cession de l'un des éléments d'actif si elle est antérieure. Ces plus-values en report seront totalement exonérées, si l'activité est poursuivie pendant au moins cinq ans par l'un des bénéficiaires de la transmission.
L'exonération sera, également, maintenue si les donataires décident de former une société dans les conditions prévues à l'article 151 octies du CGI , sous réserve qu'ils s'engagent à acquitter les impôts en report qui deviendraient exigibles avant la fin du délai de cinq ans suivant la donation.
En cas d'apport en société suivi de la donation des titres, l'exploitant va détenir, au moins provisoirement, le contrôle de la société. Il ne pourra pas bénéficier de l'exonération de plus-value, instituée par l'article 238 quindecies du CGI , en faveur des cessions ou apports de fonds, dont la valeur n'excède pas 300 000 euros pour l'exonération totale et 500 000 euros pour l'exonération partielle.
En revanche, il pourra opter pour le régime fiscal particulier prévu à l'article 151 octies du CGI, ce qui lui permettra, d'une part, d'éviter l'imposition des plus-values dégagées sur les éléments amortissables et, d'autre part, de transmettre aux bénéficiaires de la donation l'obligation de supporter l'imposition des plus-values afférentes aux éléments non amortissables, momentanément placées en sursis.
La solution consistant à faire d'abord donation de l'entreprise individuelle, en laissant aux donataires le soin de constituer une société, peut, cependant, être plus avantageuse puisqu'elle permet aux bénéficiaires d'échapper à toute imposition sur les plus-values, y compris sur les immobilisations non amortissables, en application de l'article 41 du CGI.
- En matière de droits d'enregistrement, la donation d'une entreprise donne lieu, dans tous les cas, à l'application des droits de mutation à titre gratuit. Mais, lorsque l'entreprise est mise en société dans la perspective d'une donation des titres, il convient, en outre, de tenir compte des droits susceptibles de grever l'opération d'apport.
Le montant des droits de mutation dus à raison d'une donation est, en principe, indépendant de la nature des biens transmis, puisqu'il ne varie, abstraction faite des réductions de droits destinées à favoriser les donations en pleine propriété ou liées à l'âge du donateur, qu'en fonction du montant de la donation et du degré de parenté (ou de l'absence de parenté) entre le bénéficiaire et le donateur.
Rappelons, toutefois, que les droits de donation étaient traditionnellement liquidés "sans distraction des charges", ce qui signifie qu'il n'était pas possible de retrancher de la valeur des biens donnés le montant des dettes ou charges imposées par le donateur au donataire. Cette règle, qui pouvait entraîner une charge fiscale insupportable en cas de donation d'une entreprise grevée d'un passif important, a été heureusement aménagée. Les dettes du donateur, qui sont mises à la charge du donataire avec l'accord du créancier, viennent, désormais, en déduction de l'assiette des droits de donation.
Lorsqu'une donation porte sur des parts ou actions d'une société, les droits sont dus sur la valeur vénale de ces titres, valeur qui est, bien entendu, influencée dans un sens négatif par les dettes de l'entreprise exploitée par cette société. En autorisant, sous certaines conditions, la déduction des dettes transférées au donataire d'une entreprise, le législateur a, donc, supprimé la distorsion qui existait précédemment entre la donation directe d'une affaire et la donation des titres résultant de l'apport préalable de cette entreprise à une société.
S'agissant des droits dus, le cas échéant, sur l'apport en société, il faut préciser que l'apport net réalisé lors de la constitution d'une société non passible de l'impôt sur les sociétés (société en nom collectif, par exemple) ne donne lieu à aucune perception. Si la société, qui reçoit l'apport, est passible de l'impôt sur les sociétés, la taxation est, en principe, de 5 % pour les immeubles et le fonds de commerce, mais l'opération est exonérée de droit d'apport, si l'apporteur s'engage à conserver pendant trois ans les titres reçus en contrepartie de l'apport et si, dans l'acte de donation, les bénéficiaires acceptent de reprendre l'engagement en cours.
En ce qui concerne "l'apport à titre onéreux" résultant de l'existence d'un passif grevant l'entreprise apportée, tout dépend, en principe, de la consistance de l'actif brut et de la présence ou non dans cet actif d'éléments, dont la cession puisse échapper aux droits d'enregistrement (créances et marchandises, notamment) et sur lesquels il soit possible d'"imputer" le passif. Cependant, ces droits sont évités eux aussi, si l'apporteur s'engage à conserver pendant trois ans les titres reçus en contrepartie de l'apport et si, dans l'acte de donation, les bénéficiaires acceptent de reprendre l'engagement en cours.
- La vente du fonds
La vente pure et simple du fonds et des éléments qui lui sont affectés déclenche l'imposition immédiate des bénéfices non encore taxés et de l'ensemble des plus-values de cession, sauf s'il s'agit d'une petite entreprise. Cette opération met, en outre, à la charge des acquéreurs, ou de la société qu'ils auront constituée pour opérer le rachat, le droit de cession de fonds de commerce au taux de 5 %.
- La cession des titres après mise en société de l'entreprise individuelle
La décision de mettre l'entreprise individuelle en société en vue d'en céder les titres présente un intérêt appréciable en raison de la possibilité qu'elle offre à l'exploitant, en optant pour le régime de l'article 151 octies du CGI, de transférer chez la société nouvellement créée l'imposition des plus-values à court terme dégagées par l'apport des éléments amortissables.
En effet, alors que ces plus-values seraient passibles entre les mains du cédant d'une imposition, dont le taux maximal atteint 40 % à compter de l'imposition des revenus de 2006, la société nouvelle, du moment qu'elle est soumise à l'impôt sur les sociétés, supportera cette imposition au taux de 33 1/3 %, éventuellement réduit à 15 % pour une fraction des bénéfices et cela, en principe, en cinq fractions annuelles. Toutefois, cet avantage est contrebalancé par la soumission au taux de 33 1/3 % (ou pour partie de 15 %) des plus-values à long terme dégagées par l'apport de ces mêmes éléments, à moins que l'apporteur n'opte pour l'imposition immédiate au taux réduit (16 %) de ces plus-values.
Sous l'angle des droits d'enregistrement, la mise en société de l'entreprise individuelle à vendre n'entraîne, en principe, aucun surcoût, car l'apport effectué lors de la formation de la société, d'une part, est exonéré de droit d'apport, si la société créée n'est pas soumise à l'impôt sur les sociétés et, d'autre part, est soumis à un droit de mutation de 5 % pour le fonds de commerce et les immeubles, si la société est passible de l'impôt sur les sociétés.
Quant à la cession ultérieure des titres, elle sera soumise soit à un droit de 5 % (société dont le capital n'est pas divisé en actions ou à prépondérance immobilière) analogue à celui grevant la vente d'une entreprise individuelle, soit à un droit de 1,1 % plafonné à 4 000 euros par mutation, s'il s'agit d'une société par actions.
- La location-gérance
Une solution parfois utilisée pour faciliter la transmission d'une entreprise consiste à donner le fonds en location-gérance aux personnes intéressées par sa reprise avec la promesse de le leur céder à terme. Cette opération n'entraîne pas l'imposition immédiate des plus-values affectant les éléments d'actif de l'entreprise et, au moment de la cession du fonds (si l'activité a été exercée pendant au moins cinq ans au moment de la mise en location), l'exploitant sera définitivement affranchi de cette imposition, dès l'instant que la valeur du fonds n'excède pas 300 000 euros ou que la cession intervient dans le cadre du départ à la retraite de l'exploitant. En revanche, l'exonération des plus-values prévue en faveur des entreprises dont les recettes n'excèdent pas certains seuils n'est plus applicable, à compter du 1er janvier 2006, en cas de cession d'un fonds donné en location-gérance.
Bien entendu, les locataires-gérants (qui auront eu intérêt à constituer une société pour exploiter l'affaire) n'éviteront pas le droit de cession de fonds de commerce de 5 % (pour la fraction du prix excédant 23 000 euros) lors de l'achat des éléments de l'actif.
1.2. L'exploitant ne souhaite se dégager que progressivement de son affaire
Comme dans le cas du retrait immédiat, la première décision de l'exploitant devra porter sur le périmètre du patrimoine professionnel à transmettre, en particulier sur l'inclusion ou non des locaux d'exploitation dont il est propriétaire, de la marque sous laquelle il exploite et des droits de propriété industrielle dont il est titulaire. En effet, l'entreprise peut fort bien continuer en disposant sur ces biens d'un simple droit d'usage (bail, concession) et le fait de dissocier ces éléments facilitera la transmission en cas de vente du fonds.
Se posera, ensuite, la question de la forme d'exploitation la plus apte à favoriser l'entrée des successeurs dans l'affaire. Deux possibilités se présentent à cet égard : la mise en société immédiate de l'entreprise ou la formation d'une société de location-gérance.
Afin d'optimiser les conséquences fiscales de la cessation de son entreprise, l'exploitant peut décider de se mettre en société et profiter, ainsi, du report de taxation prévu par l'article 151 octies du CGI. Le coût fiscal de la mise en société se résume, alors, dans l'obligation pour la société de soumettre à l'impôt, sur une période maximale fixée, en principe, à cinq ans, les plus-values dégagées par l'apport des éléments amortissables qui figuraient à l'actif de l'exploitation individuelle, à moins que l'apporteur n'opte pour l'imposition immédiate des plus-values à long terme au taux réduit.
La transmission de l'entreprise pourra, ensuite, s'opérer par une cession ou une donation de titres ou encore par la voie d'une augmentation de capital de la société nouvelle réservée aux repreneurs.
- La cession de titres
Cette opération entraînera, d'abord, le paiement de l'impôt en sursis grevant les plus-values dégagées lors de l'apport des éléments non amortissables et, s'il y a lieu, des droits d'apport évités lors de la création de la société. En outre, dans la mesure où elle sera consentie pour un prix supérieur à la valeur que comportaient les titres de la société nouvelle au moment de la création de celle-ci, cette vente dégagera, en principe, une plus-value imposable au taux de 16 %.
De leur côté, les acquéreurs éviteront à raison de l'achat de leurs titres le droit de mutation de 5 % qui frappe les cessions de fonds de commerce. Le droit exigible sera, néanmoins, également de 5 % s'il s'agit de parts sociales (parts de SARL ou de sociétés de personnes) ou, quelle que soit la forme de la société, si elle est à prépondérance immobilière. Hormis ce dernier cas, les cessions d'actions, constatées ou non par un acte, sont soumises seulement à un droit de 1,1 % plafonné à 4 000 euros par mutation.
- La donation de titres
Dans ce cas, le sursis d'imposition, dont ont pu bénéficier les plus-values d'apport sur éléments non amortissables, sera maintenu, dès lors que les bénéficiaires accepteront de se substituer au donateur dans ses obligations. Le prélèvement fiscal le plus lourd sera, alors, représenté par les droits de donation, payables sur une période de dix ans après un différé de paiement de cinq ans.
- L'augmentation de capital
S'il désire rester associé aux risques et à la marche de l'entreprise, alors que celle-ci a des besoins de financement complémentaires, le fondateur de la société nouvelle pourra avoir intérêt à faire entrer un repreneur dans le capital de celle-ci par la voie d'une augmentation de capital qui lui sera réservée. Cette formule présente l'avantage de n'entraîner aucune autre imposition que le droit fixe de 375 euros ou 500 euros, selon l'importance du capital social et, sous réserve, notamment, que la société soit soumise à l'IS, le repreneur pourra bénéficier de la réduction d'impôt prévue par l'article 199 terdecies-0-A du CGI en cas de souscription au capital d'une PME.
Dans les différentes hypothèses envisagées, l'ancien exploitant pourra, tout en restant associé de l'entreprise qu'il a créée, éviter une dispersion excessive de son capital en souscrivant un engagement collectif de conservation des titres avec d'autres associés. A son décès, ou à la date qu'il aura choisie pour faire donation de ses titres, ses héritiers ou donataires pourront, ainsi, bénéficier d'une exonération de droit de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de la valeur des titres transmis, à condition de prendre à leur tour l'engagement de conserver durablement ces titres et, pour au moins l'un d'entre eux ou des associés ayant souscrit l'engagement de conservation initial, d'exercer dans la société son activité principale (société de personnes) ou des fonctions de direction (société soumise à l'IS).
La mise en gérance libre du fonds est, parfois, utilisée lorsque l'exploitant a, déjà, fait le choix de son ou de ses successeurs qu'il peut, ainsi, associer d'emblée dans la société constituée en vue de prendre le fonds en location. Il est, alors, nécessaire, bien entendu, que la société nouvelle détienne une promesse de vente du fonds consentie par l'exploitant et que celui-ci s'engage à vendre sa participation dans la société d'exploitation à ceux de ses coassociés qui ne sont pas ses héritiers.
Cette solution présente l'avantage de ne déclencher dans l'immédiat aucune imposition. Ce n'est, en effet, que lors de la cessation de la location-gérance que, d'une part, seront taxables éventuellement les plus-values dégagées par la vente du fonds et que, d'autre part, deviendra exigible le droit de mutation de 5 %. Quant aux impositions entraînées par la cession ultérieure des titres de la société nouvelle, elles se limiteront à l'impôt sur le revenu au taux de 16 % (plus les prélèvements sociaux) et, pour les acquéreurs, au droit de mutation de 5 % ou 1,1 %.
2. La transmission d'une entreprise exploitée en société
Avant d'indiquer les mesures qu'il peut être utile de prendre pour préparer la transmission d'une entreprise exploitée en société, arrêtons-nous aux conséquences fiscales de la cession du contrôle d'une société dans l'hypothèse, la plus fréquente, où celle-ci a la forme de société anonyme ou de SARL.
2.1. Le régime fiscal des cessions ou donations de titres : rappel
Rappelons que la cession des titres entraîne, en règle générale, la taxation au taux de 16 % de la plus-value réalisée (régime applicable même si les titres cédés sont cotés en bourse). En cas d'apport de la participation à une autre société de capitaux française ou d'absorption de la société dans laquelle est détenue la participation, l'imposition de la plus-value résultant de l'"échange" des titres corrélatif à l'opération sera automatiquement reportée à la date où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des nouveaux titres. Ce sursis d'imposition se transformera en exonération définitive, si les titres reçus lors de l'échange sont transmis par succession ou donation.
2.2. La préparation de la transmission
Ce qui détermine un dirigeant à préparer la transmission de son entreprise est généralement, avant tout, la volonté d'obtenir que, malgré la division du capital entre ses héritiers, la société puisse conserver une unité de direction sous la conduite de la ou des personnes désignées pour lui succéder. L'examen des mesures à prendre à cet effet peut, en outre, révéler l'opportunité, si la société est parvenue à un certain degré de diversification, de constituer des entités distinctes pour l'exploitation des différents secteurs concernés. Il existe des solutions pour concilier ces deux objectifs.
- L'opération, qui consiste à apporter une participation majoritaire à une entité nouvelle créée pour détenir cette participation (société holding), a pour effet de transférer le pouvoir à cette nouvelle entité et, par voie de conséquence, aux associés majoritaires de celle-ci, ce qui vient réduire sensiblement le montant des capitaux exigés pour assurer le contrôle de la société concernée.
Cela peut se révéler fort utile dans l'éventualité où, au décès du dirigeant, des héritiers viendraient à céder tout ou partie des titres recueillis par succession. Supposons, en effet, que la société holding ait été constituée par des apports de participations représentant au total une participation largement majoritaire (80 %, par exemple) dans le capital de la société d'origine. Pour que le contrôle de la société d'origine soit maintenu au profit des héritiers continuateurs au sein de la holding, il suffit que ceux-ci conservent plus de 50 % des droits dans cette holding, bien que leur participation indirecte dans la société d'origine soit, alors, tout juste supérieure à 40 % (80 % × 50 %).
Afin de faciliter le maintien d'une participation familiale forte dans la société holding (ou dans la société d'origine en l'absence de holding), le créateur de l'affaire pourra souscrire, avec d'autres associés, un engagement collectif de conservation des titres dans les conditions prévues à l'article 787 B du CGI . A condition de respecter les conditions prévues par ce texte, ses héritiers ou ses donataires pourront, ainsi, bénéficier, le moment venu, d'un abattement de 75 % de la valeur des titres transmis pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit.
- La constitution d'une société holding présente, sur le plan juridique, une seconde particularité favorable, liée à la possibilité de lui faire adopter la forme d'une société civile ou d'une société en nom collectif en vue d'inclure dans ses statuts une clause d'agrément des futurs associés.
C'est un moyen pour les dirigeants de conserver le contrôle d'une société, dont ils ont introduit les titres en bourse. L'actionnaire d'origine à 80 % peut, en effet, sans risque mettre sur le marché jusqu'à 29 % du capital de sa société si la participation familiale restante (51 %) est à l'abri au sein de la holding familial.
- A condition de placer la société holding, sur option, sous le régime de l'impôt sur les sociétés, ses associés bénéficient de substantiels avantages fiscaux.
D'abord, le régime d'exonération attaché à la qualité de société mère permet à la société holding de recueillir les dividendes qui lui sont versés sans autre charge fiscale que celle résultant de la réintégration d'une quote-part de frais et charges fixée à 5 % du montant brut de ces dividendes.
Ensuite, les fondateurs de la société holding ont, du fait du statut fiscal de celle-ci, la possibilité d'échapper à l'imposition de 16 % (plus les prélèvements sociaux) sur la plus-value dégagée par l'apport de leurs titres aussi longtemps qu'ils conserveront la participation reçue en échange. Ce sursis est maintenu en cas de cession par la société holding, elle-même, de tout ou partie de la participation reçue par elle en apport.
Avec ou sans l'appoint d'une structure de contrôle, la décision de fractionner les activités exercées par la société existante peut constituer une utile mesure préparatoire à sa transmission (autant qu'une solution opportune sur le plan de l'organisation et du fonctionnement). Des unités de petite dimension constituent, en effet, des cibles plus accessibles pour un candidat à la reprise qu'un ensemble de taille importante.
Le régime des apports partiels d'actif permet de réaliser la filialisation des activités moyennant une neutralité fiscale satisfaisante pourvu qu'on s'y soit pris suffisamment tôt. En effet, les dispositions favorables de ce régime ne donnent leur plein effet qu'à la condition que la société auteur des apports soit en mesure de conserver à son actif pendant au moins trois ans les titres de sa ou de ses nouvelles filiales.
D'autre part, grâce au régime des groupes prévu par les articles 223 A et suivants du CGI , la société existante conserve la possibilité de compenser les résultats bénéficiaires et déficitaires des sociétés qu'elle a créées et dont, par hypothèse, elle détient 95 % au moins du capital.
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Réf. : CAA Paris, 4ème ch., 21 mars 2006, n° 02PA03538, Société Geneton (N° Lexbase : A8869DNS)
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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne
Le 07 Octobre 2010
Rappelons en préambule, la définition de la sous-traitance donnée par la loi du 31 décembre 1975, dans son article 1er. Il s'agit "de l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution [...] d'une partie du marché public conclu avec le maître d'ouvrage".
En outre, il convient de préciser que le titulaire d'un marché public, ne peut sous-traiter qu'une partie du marché qui lui a été confié et ce, contrairement aux marchés dits privés passés par des maîtres d'ouvrages privés, marchés pour lesquels la sous-traitance pourrait être totale. Cette disposition réglementaire interdisant la sous-traitance totale dans le cadre des marchés publics est donc un élément à prendre en compte lors de la préparation du cahier des charges et lors de la décision relative à l'allotissement, ou non, du marché. En effet, prenons le cas d'un marché de travaux devant faire intervenir plusieurs corps d'états. Le fait de ne pas allotir pourra comporter des inconvénients, notamment, d'ordre financier dans la mesure où, ne pouvant exécuter la totalité des travaux, les PME ne se positionneront pas en direct et interviendront donc, le cas échéant, comme sous-traitant pour le compte d'entreprises générales. A l'inverse, l'allotissement peut être un blocage juridique lors de l'attribution, si la concurrence n'a pas suffisamment joué et si les offres présentées le sont par les entreprises générales qui, sur certains lots, auront inévitablement recours à la sous-traitance et ce, pour la totalité des travaux entrant dans le lot concerné. En effet, même si lesdites entreprises achètent les fournitures et matériaux, cela ne peut permettre de considérer qu'une partie du marché de travaux reste à leur charge.
L'arrêt récent de la cour administrative d'appel de Paris du 21 mars 2006 intervient, donc, comme précisé antérieurement, sur la problématique du paiement direct du sous-traitant par le maître d'ouvrage, paiement soumis à certaines conditions de fond et de forme. En outre, cet arrêt rappelle, dans l'un de ses considérants, les modalités de prise en charge des travaux non prévus au marché et non acceptés, préalablement à leur exécution, par le maître d'ouvrage.
I. Les conditions de mise en oeuvre du paiement direct
A. Rappel des conditions de fond
1) Condition relative au montant des prestations (ou travaux) sous-traitées
Le paiement direct du sous-traitant est mis en oeuvre lorsque le montant des prestations sous-traitées atteint 600 euros TTC. Ce seuil est rappelé tant par l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 précitée, que par l'article 115 du Code des marchés publics. Il s'agit d'un seuil très bas et ce, afin de répondre à la volonté de protéger la partie souvent la plus fragile de ce type de montage, à savoir le sous-traitant.
2) Condition relative à l'acceptation du sous-traitant et à l'agrément de ses conditions de paiement
Pour pouvoir bénéficier du paiement direct, le sous-traitant devra, au préalable, être accepté par le maître d'ouvrage et ses conditions de paiement être agréées par ce dernier. Il faut, en effet, rappeler à ce stade que la sous-traitance occulte est interdite (article 5 de la loi de 1975 précitée).
L'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement devront faire suite à une demande de l'entrepreneur principal (le titulaire du marché). Il convient de s'arrêter quelques instants sur ce point. Dans un arrêt rendu en date du 13 avril 2000, la cour administrative d'appel de Lyon rappelle que le paiement direct est subordonné à la double condition que, sur la demande de l'entreprise principale, le sous-traitant ait été accepté par le maître d'ouvrage et ses conditions de paiement agréées par ce dernier (CAA Lyon, 2ème ch., 13 avril 2000, n° 96LY00038, M. Orlic N° Lexbase : A0639BGR). La cour rappelle qu'aucun texte ne confère au maître d'ouvrage le pouvoir de prononcer l'acceptation du sous-traitant en l'absence de demande émanant du titulaire du marché et ce, alors même que le maître d'ouvrage a mis en demeure ledit titulaire de faire agréer ses sous-traitants.
En outre, il semblerait que le sous-traitant puisse solliciter lui-même son acceptation et l'agrément de ses conditions de paiement, la cour, dans l'arrêt précité du 13 avril 2000, précisant que si le requérant a sollicité directement du maître d'ouvrage, son agrément, "cette demande a été présentée postérieurement à l'exécution des travaux".
En cas de défaillance du titulaire empêchant le sous-traitant de pouvoir bénéficier du paiement direct, ce dernier devra donc exercer les voies de recours mises à sa disposition (référé si les conditions en sont réunies ou action classique devant le tribunal compétent).
B. Conditions de forme
Une fois ces deux conditions, dites de fond, réunies, les parties en présence (maître d'ouvrage, titulaire du marché et sous-traitant) sont tenues de suivre une certaine procédure lors de la mise en oeuvre du paiement direct, procédure déroulée par l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 susvisée, ainsi que par l'article 116 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1026DYN). C'est sur cet aspect particulier qu'intervient l'arrêt rapporté.
Rappelons donc, ici, les différentes étapes et cas de figure de mise en oeuvre de la procédure de paiement direct, ainsi que les obligations de chacune des trois parties en présence.
Le titulaire du marché envoie les pièces justificatives qui serviront de base au paiement, à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. Le déroulement de la procédure va, ensuite, dépendre de la réponse qui sera apportée à ce dernier par ledit titulaire.
Hypothèse 1 : le titulaire du marché adresse au sous-traitant un refus motivé
Dans cette hypothèse, le problème se doit d'être réglé par les deux parties concernées à savoir l'entrepreneur principal et son sous-traitant (ou à défaut -en cas de blocage- par les juridictions compétentes).
Dans un arrêt en date du 20 mars 2001, la cour administrative d'appel de Marseille précise que le fait pour le titulaire de transmettre au maître d'ouvrage une acceptation d'un abattement des sommes dues au sous-traitant, en raison des reprises effectuées par une autre entreprise sur les travaux correspondants, suffit à faire apparaître l'opposition du titulaire au paiement direct des situations de son sous-traitant (CAA Marseille, 2ème ch., 20 mars 2001, n° 98MA00894, SA Entreprise Malet N° Lexbase : A3737BMD). Ainsi, la transmission de ces éléments permet au maître d'ouvrage de considérer qu'il s'agit d'un "refus motivé" faisant obstacle au paiement des sommes dont le règlement est demandé par l'entreprise sous-traitante. A ce titre, le maître d'ouvrage ne pourra voir sa responsabilité engagée, ayant agi sur refus motivé du titulaire du marché, seule entité avec laquelle il entretient une relation contractuelle.
Hypothèse 2 : acceptation des situations du sous-traitant par le titulaire du marché
Cette acceptation est, dans ce cas de figure, expresse (transmission de la demande de paiement revêtue de l'acceptation du titulaire). Ladite acceptation est transmise soit à la personne responsable du marché, soit à toute autre personne désignée à cet effet (maître d'oeuvre...).
A réception de cette dernière, la personne compétente avise le sous-traitant :
- de la date de réception de l'acceptation du sous-traitant ;
- des sommes dont le paiement est accepté.
Enfin, comme le rappelle l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris du 21 mars 2006 précité, l'ordonnateur mandate les sommes au vu des pièces justificatives fournies par le sous-traitant et revêtues de l'acceptation du titulaire du marché.
Hypothèse 3 : le titulaire du marché garde le silence pendant plus de 15 jours
Après transmission des pièces justificatives par le sous-traitant, le titulaire du marché garde le silence pendant plus de 15 jours à compter de la réception des dites pièces. Ainsi, ce dernier ne transmet ni refus motivé au sous-traitant, ni acceptation des situations de ce dernier, au maître d'ouvrage.
Dans cette hypothèse particulière, le sous-traitant envoie directement les pièces justificatives au maître d'ouvrage (ou à toute personne désignée dans le marché) par lettre recommandée avec accusé réception ou lui remet en mains propres contre récépissé dûment daté et inscrit sur un registre tenu à cet effet.
Dès réception desdites pièces justificatives fournies à l'appui de la demande de paiement, le maître d'ouvrage se doit de mettre en demeure le titulaire, afin que ce dernier lui fournisse la preuve du refus motivé qu'il a opposé à son sous-traitant et ce, dans les 15 jours à compter de la réception de ladite mise en demeure. Dans un second temps (dès retour de l'accusé de réception), le maître d'ouvrage informe le sous-traitant de la date de la mise en demeure.
A l'issue du délai de 15 jours si le titulaire n'a pas apporté la preuve demandée par le maître d'ouvrage, la personne responsable du marché (ou toute personne désignée à cet effet) paie les sommes dues au sous-traitant selon les modalités prévues par l'article 96 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1131DYK). Ainsi, c'est à compter de cette date (16ème jour à compter de la réception de la mise en demeure par le titulaire), que le paiement devient exigible (date de référence pour le calcul des intérêts moratoires éventuellement dus).
La cour administrative d'appel de Paris précise, dans son arrêt du 21 mars 2006, qu'en l'absence de mise en demeure effectuée par l'assistant à maîtrise d'ouvrage, il était impossible de refuser le paiement au sous-traitant et de lui opposer l'absence de remise par le titulaire du décompte définitif ainsi que l'absence de réalité des travaux. Le paiement devait donc être effectué. Le point de départ pour le calcul des intérêts moratoires est donc, dans cette hypothèse, la date de réception par le maître d'ouvrage, de la demande de paiement du sous-traitant.
II. La prise en charge des travaux non prévus par le marché
Le caractère forfaitaire du marché n'exclut pas, le paiement de certains travaux ou prestations complémentaires et ce, dans les conditions prévues par la jurisprudence. En effet, les arrêts rendus en la matière permettent d'identifier les circonstances permettant, ou non, au cocontractant de la personne publique d'être rémunéré au-delà du prix forfaitaire.
A. Travaux devant être pris en charge par le maître d'ouvrage
Il s'agit, notamment, des travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art et ce, alors même qu'ils n'auraient pas fait l'objet d'un ordre de service autorisant leur exécution (notamment, CAA Nancy du 10 novembre 2004, n° 98NC02495, Commune de Pont-de-Roide c/ SARL Menuiserie Mettey N° Lexbase : A9787DHX ; CAA Nantes, 9 avril 2004, n° 01NT02276, M. Jean et Hôpital local de Lesneven N° Lexbase : A3622DDI ; CAA Douai, 17 février 2004, n° 01DA00448, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK).
Dans un arrêt du 6 février 2001, la cour administrative d'appel de Paris considère que ne sont pas indispensables les travaux effectués qui ont permis au maître d'ouvrage de réaliser une économie substantielle (CAA Paris, 4ème ch., 6 février 2001, n° 96PA00869, SEMAEC - Commune de Créteil N° Lexbase : A8314BHE). Dans cette hypothèse, le cocontractant ne peut être indemnisé du montant des travaux réalisés sans ordre de service.
Outre les travaux dits indispensables dont le principe de prise en charge est rappelé par l'arrêt étudié, d'autres circonstances permettent au titulaire de se voir rémunérer, pour des travaux non prévus par les clauses contractuelles et ce, nonobstant le caractère forfaitaire du marché. Il s'agit des circonstances suivantes :
1) Travaux supplémentaires ayant pour origine une faute du maître d'ouvrage, faute ayant retardé l'exécution du chantier et par conséquent, engendré des coûts supplémentaires pour le titulaire et, notamment :
- le retard du maître d'ouvrage à communiquer à l'assureur la déclaration préalable de la police unique de chantier (CAA Douai, 17 février 2004, n° 01DA00448, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK) ;
- le retard du maître d'ouvrage à transmettre certaines informations nécessaires au titulaire pour poursuivre l'exécution du marché (CE, 12 octobre 1988, n° 56690, société anonyme "Entreprise OLIN" N° Lexbase : A9951APA).
2) Charges non prévues et résultant de modifications dans les modalités d'exécution du marché ou de travaux non prévus, demandées par le maître d'ouvrage (CAA Nantes, 9 avril 2004, n° 01NT02276 précité ; CE 1° et 2° s-s., 14 juin 2002, n° 219874, Ville d'Angers N° Lexbase : A9177AYK).
3) Survenance de difficultés exceptionnelles et imprévisibles ayant entraîné le bouleversement de l'économie du marché et, notamment :
- CAA Bordeaux du 26 février 2001, n° 98BX00696, SA BEC Frères (N° Lexbase : A6440BEA) ;
- les difficultés ont été, dans ce cas d'espèce, considérées comme imprévisibles contrairement à ce que soutenait le maître d'ouvrage et ce, dans la mesure où le délai d'un mois laissé aux candidats pour remettre leur offre a été jugé insuffisant pour leur permettre d'effectuer des sondages au niveau des sous-sols (CE, 12 mai 1982, n° 14735, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône N° Lexbase : A0365AL4).
B. Travaux devant être pris en charge par le titulaire du marché
Ainsi, le titulaire du marché devra assumer l'ensemble des autres charges financières, le caractère forfaitaire du marché impliquant que ce dernier ait appréhendé de manière approfondie, les prestations/travaux à effectuer.
Ainsi, au vu des illustrations données plus haut, ont, notamment, été considérées comme devant être compris dans le prix forfaitaire et, par conséquent, comme devant rester à la charge du titulaire :
1) les charges résultant d'intempéries alors même, comme le relève la cour, qu'il n'est pas établi que les niveaux considérés contractuellement par le cahier des charges, comme prévisibles (et donc inclus dans le prix forfaitaire) avaient été dépassés (CAA Bordeaux, 2ème ch., 16 décembre 1993, n° 92BX00272, SA BEC Frères N° Lexbase : A3680BEZ) ;
2) les charges résultant de la nature des terrains. Dans son arrêt du 10 mai 1974, le Conseil d'Etat considère que le titulaire doit, préalablement à son engagement, "s'assurer de l'étendue des obligations qu'il devait assumer et tenir compte des divers aléas qu'il pourrait rencontrer, notamment concernant la nature des terrains" (CE 3° et 5° s-s., 10 mai 1974, n° 83364, Commune de San-Gavine-di-Fiumorbo et Groupement des entrepreneurs de Bâtiment et Travaux Publics de la Corse N° Lexbase : A7243B7E). Selon la Haute juridiction administrative, les difficultés rencontrées ne peuvent pas être considérées comme imprévisibles et anormales et doivent donc, à ce titre, être supportées par le titulaire.
C. Prise en charge partagée entre les parties
Dans certains cas, la responsabilité peut être partagée. Citons, à cet égard, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 20 janvier 2004 (CAA Douai, 20 janvier 2004, n° 01DA00220, Société Rouen Seine Aménagement N° Lexbase : A5258DBD). Dans ce cas d'espèce, la responsabilité est partagée dans la mesure où si le cahier des charges comportait des contradictions, le titulaire aurait dû les soulever dans son offre.
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Le 07 Octobre 2010
Avant d'aborder l'aspect purement juridique, il convient d'apprécier la portée du sujet, ici, traité en termes de chiffres. La seule source intéressante provient d'une enquête réalisée par la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP) (étude DGCP 2005 sur les budgets 2002-2004, disponible sur le site colloc.minefi.gouv.fr). Cette étude fait ressortir, qu'en 2004, 6 milliards d'euros ont été affectés à des dépenses pour l'action économique, soit 4 % des dépenses totales des collectivités, en moyenne, mais 12,2 % des dépenses des régions, ceci traduisant le rôle majeur des régions en la matière.
La principale forme d'intervention correspond à des subventions aux personnes de droit privé, essentiellement des entreprises (1,9 milliards d'euros). Il s'agit d'aides utilisées principalement par les régions et départements, les communes et groupements intervenant d'abord sous forme de dépenses d'équipement.
I. Aides au développement économique de droit commun de l'article L. 1511-2 du CGCT
Avant d'aborder le régime de droit commun tel qu'il résulte de la loi "libertés et responsabilités locales", il convient de rappeler le dispositif antérieur. La loi n° 2002-276 du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité (N° Lexbase : L0641A37) était déjà venue marquer une rupture importante.
Ainsi, avant la loi du 27 février 2002 (CGCT, art. L. 1511-2, version du 24 février 1996 N° Lexbase : L4285C9L), les seuls types d'aides autorisés résidaient dans la prime régionale à l'emploi (PRE) (régime notifié à finalité "emploi"), la prime régionale à la création d'entreprise (PRCE) (dispositif fondé sur la règle de minimis), et les bonifications d'intérêts ou les prêts et avances à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations (les taux devant, toutefois, être supérieurs à un plancher fixé par arrêté du ministre des finances). Pour chacune de ces catégories d'aides, des dispositions réglementaires venaient encadrer les conditions d'attribution, dans le respect du droit communautaire.
Concernant la répartition des compétences, la région, par délibération du Conseil régional, décidait et mettait en oeuvre l'un des régimes institués par la loi, alors que les autres collectivités ne pouvaient que compléter financièrement le régime d'aide décidé par la région. Autrement dit, un rôle de chef de file était consacré depuis 1982 à cette dernière, les autres collectivités n'ayant que des possibilités d'intervention, à titre accessoire.
En 2002, la loi "démocratie de proximité" institue un nouveau régime de droit commun (CGCT, art. L. 1511-2, version du 28 février 2002 N° Lexbase : L8412AAS).
Les modifications apportées sont de plusieurs natures. Tout d'abord, concernant les types d'aides autorisés, l'article L. 1511-2 ne fixe plus de façon limitative les catégories d'aides susceptibles d'être accordées par la région, mais définit les aides directes d'après leur forme : subventions, bonifications d'intérêt, prêts ou avances remboursables... Ensuite, concernant la répartition des compétences, la région reste "chef de file", cela étant le principe de droit commun. Cependant, désormais, la région détermine et met en oeuvre les régimes d'aides directes (1), elle peut aussi décider de l'octroi d'une aide individuelle, et les autres collectivités ne peuvent intervenir que dans le cadre des régimes mis en place par la région en passant des conventions avec elle. Dans la situation antérieure, il fallait qu'il y ait un cofinancement pour chaque entreprise. Désormais, rien n'interdit de prévoir une répartition, entre les collectivités territoriales, des domaines d'intervention (par secteurs d'activité...), des bénéficiaires potentiels (par taille d'entreprise...), des financements. A ce dernier titre, la seule contrainte reste celle d'un cofinancement régional, c'est-à-dire que la région ne peut s'exonérer d'une participation, les autres collectivités étant appelées à "participer" au financement des aides régionales.
Après cette mise en perspective des dernières évolutions, il est plus aisé d'en apprécier la dernière modification.
Le nouvel article L. 1511-2 (N° Lexbase : L7908HBI) est, depuis la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, rédigé en ces termes : "sans préjudice des dispositions de l'article L. 1511-3, de l'article L. 1511-5, du titre V du livre II de la deuxième partie et du titre III du livre II de la troisième partie, le conseil régional définit le régime et décide de l'octroi des aides aux entreprises dans la région qui revêtent la forme de prestations de services, de subventions, de bonifications d'intérêt, de prêts et avances remboursables, à taux nul ou à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. Il peut déléguer la gestion de ces avances à des établissements publics locaux.
Les départements, les communes et leurs groupements peuvent participer au financement de ces aides dans le cadre d'une convention passée avec la région. Toutefois, en cas d'accord de la région, la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales auteur du projet d'aide ou de régime d'aides peut le mettre en oeuvre.
Les aides accordées par les collectivités territoriales ou leurs groupements au titre du présent article et de l'article L. 1511-3 ont pour objet la création ou l'extension d'activités économiques".
Erik Bergs propose d'aborder ce texte en se plaçant du point de vue du contrôle de ces aides par les préfectures.
Le contrôle du préfet va, tout d'abord, se situer au niveau de l'objectif de création ou d'extension d'activités économiques.
L'article L. 1511-2 (et cette condition préalable à toute intervention) est visé par les articles L. 2251-2 (N° Lexbase : L1823GU3), L. 3231-2 (N° Lexbase : L1860GUG) et L. 4211-1 (N° Lexbase : L8239AAE) du CGCT (respectivement relatifs aux communes, départements et régions) régissant spécifiquement les interventions des communes, départements et régions en matière de développement économique. Il en résulte que les collectivités, lorsqu'elles interviennent en matière économique, sont soumises à l'obligation de respect de la liberté du commerce et de l'industrie, du principe d'égalité des citoyens devant la loi. Or, en octroyant une aide à une entreprise, la collectivité accorde un avantage à celle-ci. Ainsi, seul un intérêt général local significatif, en l'occurrence en termes de création ou de développement d'activités économiques, peut justifier les atteintes à ces principes.
Ensuite, le contrôle se situe au niveau de la compétence de la collectivité territoriale.
L'article 1er de la loi du 13 août 2004 a réaffirmé le rôle de chef de file de la région, tout en assouplissant les conditions d'intervention des départements, des communes et de leurs groupements. Comme auparavant (depuis la loi de 2002), la région décide des aides individuelles et définit librement le régime des aides, et les départements, les communes et leurs groupements peuvent participer au financement de ces aides dans le cadre d'une convention passée avec elle.
La nouveauté, issue de la loi de 2004, réside dans le fait qu'en cas d'accord de la région (pas nécessairement une convention conclue avec la région), le département, la commune ou le groupement de collectivités territoriales peuvent instituer une aide ou un régime d'aide non prévu par la région. Cela signifie que ces collectivités peuvent, dans cette hypothèse, intervenir en dehors de tout régime régional et sans cofinancement régional. L'accord prend la forme d'une décision de l'assemblée délibérante ou de la commission permanente de la région.
Enfin, le préfet contrôle le respect des formes d'aide prévues par l'article L. 1511-2.
La loi du 13 août 2004 a introduit, dans le champ de l'article L. 1511-2, les "prestations de services", qui relevaient, auparavant, de la catégorie des aides indirectes. Sont ainsi concernées les aides au conseil, au marketing ou à la promotion commerciale pour une entreprise particulière.
2. Le contrôle de légalité au regard de la norme communautaire
A ce titre, une circulaire du Premier ministre, en date du 26 janvier 2006, relative à l'application au plan local des règles communautaires de concurrence relatives aux aides publiques aux entreprises (N° Lexbase : L5433HGC), rappelle les grands principes du droit communautaire (sur ce texte, lire l'article de O. Dubos, La circulaire du 26 janvier 2006 : nouveau vade-mecum pour les aides des collectivités locales aux entreprises, paru dans la Revue Lexbase de Droit Public, n° 4 du 15 février 2006 N° Lexbase : N4493AKM).
Se pose, ici, la question de la compatibilité avec l'article 88-3 du Traité CE , impliquant qu'une délibération instituant une aide individuelle ou un régime d'aides doit, soit respecter un régime déjà notifié et autorisé, soit respecter les conditions d'un règlement d'exemption, soit faire l'objet d'une notification et d'une approbation spécifiques.
Dans le cadre du régime antérieur à la loi de 2002, les règles de droit communautaire et, notamment, l'obligation de notification préalable étaient appliquées au niveau central à l'occasion de l'élaboration des décrets définissant les régimes susceptibles d'être mis en oeuvre par les régions après approbation de la Commission européenne (décrets PRE, PRCE...). En revanche, après la loi de 2002, les régimes d'aides de droit commun sont librement déterminés et mis en oeuvre par la région dans le respect du droit communautaire, et, depuis la loi du 13 août 2004, les collectivités et groupements infrarégionaux peuvent également être amenés à mettre en oeuvre de nouvelles aides ou de nouveaux régimes d'aides, avec l'accord de la région. Dès lors, la disparition du "filtre juridique" qui était constitué par la réglementation nationale, préalablement autorisée par la Commission, implique que les collectivités doivent s'assurer elles-mêmes de la légalité de leur intervention au regard du droit communautaire.
C'est ainsi que la loi du 13 août 2004 tire les conséquences de cette liberté et de cette responsabilité nouvelle, comme son nom l'indique, en introduisant expressément dans l'ordre juridique national des obligations de respect du droit communautaire par les collectivités, à travers le nouvel article L. 1511-1-1 du CGCT (N° Lexbase : L9257HD9). Le contrôle au regard de la norme communautaire redevient, alors, un contrôle au regard de la norme interne. Ces obligations sont assorties de sanctions.
II. Les conventions passées entre l'Etat et les collectivités territoriales
Il s'agit, ici, d'aborder le cas où les collectivités locales veulent mettre en place une aide, mais ne parviennent pas à s'entendre avec la région.
L'article L. 1511-5 du CGCT (N° Lexbase : L1847GUX), tel qu'issu de la loi du 13 août 2004, dispose qu'"une convention peut être conclue entre l'Etat et une collectivité territoriale autre que la région ou un groupement pour compléter les aides ou régimes d'aides mentionnés aux articles L. 1511-2 et L. 1511-3. Une copie de la convention est en ce cas portée à la connaissance du président du conseil régional par le représentant de l'Etat dans la région".
Dans sa version antérieure à la loi du 13 août 2004, cet article permettait à toutes les collectivités territoriales d'intervenir au moyen de dispositifs non prévus par le droit existant, par le truchement d'une convention conclue avec l'Etat. Il est, aujourd'hui, réservé uniquement aux collectivités et groupements autres que la région (départements, communes, groupements de communes). En effet, les régions depuis la loi précitée de 2002, peuvent mettre en oeuvre le régime d'aide qu'elles souhaitent, dans le respect du droit communautaire.
Bien évidemment, le recours à ces conventions ne doit pas avoir pour objet de déroger aux règles régissant les dispositifs existants, et le contenu du régime, qui doit être compatible avec le droit communautaire, doit être défini dans toutes ses composantes (bénéficiaires ; secteurs concernés ; nature de l'aide ; montant, intensité maximale ; assiette des dépenses éligibles ; modalités de versement, régime approuvé ou règlement communautaire utilisé ; modalités de contrôle des règles de cumuls d'aide, notamment de minimis ; conditions d'évaluation du dispositif ; informations à donner à l'Etat en vue de l'élaboration des rapports prévus par le droit communautaire).
A titre d'exemple, l'article L. 1511-5 peut être utilisé dans le cadre d'une association de l'Etat et de nombreuses collectivités pour aider à l'installation d'entreprises comme Toyota à Onnaing.
Aujourd'hui, l'intérêt essentiel de ce texte réside dans la possibilité, pour les collectivités et groupements autres que la région, de compléter les aides ou régimes d'aides mentionnés à l'article L. 1511-2.
Une contradiction apparaît, toutefois, entre l'article L. 1511-2 prévoyant que la région décide si les autres collectivités peuvent intervenir, et l'article L. 1511-5 laissant au préfet le pouvoir de prendre une telle décision.
Pour articuler ces deux dispositifs, comme l'avait précédemment indiqué une circulaire de janvier 2003, Erik Bergs insiste sur le fait que l'article L. 1511-2 doit constituer le principe. Ainsi, il faut vérifier dans un premier temps qu'il n'y a pas moyen d'appliquer l'article L. 1511-2. Autrement dit, le principe est que la région est désignée comme chef de file pour les aides de droit commun de l'article L. 1511-2, les aides infrarégionales devant s'inscrire dans le cadre d'une convention pour obtenir l'accord de la région. Toutefois, si la région ne souhaite pas intervenir dans le cadre d'une convention, ni donner son accord pour une aide ou un régime d'aides qu'elles souhaiteraient instituer, les collectivités infrarégionales conservent la possibilité d'intervenir par convention avec l'Etat, dans le cadre de l'article L. 1511-5. Celui-ci leur permet donc d'échapper à une éventuelle tutelle de la région, avec l'accord de l'Etat.
A noter que la rédaction de l'article L. 1511-2, qui débute par les termes "sans préjudice des dispositions de l'article [...] L. 1511-5", semble dispenser le préfet de constater la carence de la région avant tout conventionnement L. 1511-5. Toutefois, il est important d'insister sur le fait que le principe du chef de filât de la région ne saurait être vidé de sa substance par un recours systématique au conventionnement de l'article L. 1511-5, et ce, notamment, dans les cas où l'Etat n'entend pas participer financièrement aux dispositifs d'aides envisagés, ou lorsque le recours à l'article L. 1511-5 a pour seul but de contourner la règle de l'article L. 1511-2.
En tout état de cause, le préfet n'a aucunement l'obligation de signer, et il lui appartient d'apprécier l'opportunité d'un conventionnement avec l'Etat.
III. Les aides à l'immobilier d'entreprise
Le régime de ces aides est prévu par l'article L. 1511-3 du CGCT (N° Lexbase : L1820GUX).
Avant la loi du 13 août 2004, cet article instituait un régime d'aides indirectes. Il prévoyait que la revente ou la location de bâtiments par les collectivités territoriales ou leurs groupements devait se faire aux conditions du marché. Toutefois, il pouvait être consenti des rabais sur ces conditions ainsi que des abattements sur les charges de rénovation de bâtiments industriels anciens suivant les règles de plafond et de zone prévues par un décret en Conseil d'Etat. Il prévoyait également que les autres aides indirectes étaient libres (la jurisprudence a identifié comme entrant dans cette catégorie les aides aux terrains, ainsi que les aides "collectives" aux opérations de promotion commerciale).
Cet article supposait que les collectivités soient propriétaires des biens immobiliers loués ou vendus.
L'absence d'encadrement national pour les aides indirectes "libres" était source de contentieux, pour les terrains en particulier, dès lors qu'un rabais sur le prix de vente ou de location d'un terrain peut constituer une aide d'Etat. Par ailleurs, la notion d'aide indirecte n'avait pas de sens en droit communautaire.
Désormais, le nouvel article L. 1511-3 (N° Lexbase : L1820GUX) dispose, notamment, que "le montant des aides que les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent attribuer, seuls ou conjointement, sous forme de subventions, de rabais sur le prix de vente, de location ou de location-vente de terrains nus ou aménagés ou de bâtiments neufs ou rénovés est calculé par référence aux conditions du marché, selon des règles de plafond et de zone déterminées par décret en Conseil d'Etat. Ces aides donnent lieu à l'établissement d'une convention et sont versées soit directement à l'entreprise bénéficiaire, soit au maître d'ouvrage, public ou privé, qui en fait alors bénéficier intégralement l'entreprise".
Pour chacun des types d'aides à l'immobilier (rabais consentis sur le prix de rénovation des bâtiments industriels existants ; rabais sur la vente ou la location de bâtiments dans les départements d'outre-mer et les zones "PAT industrie" ; rabais sur la vente ou la location de bâtiments attribuées dans les zones "PAT tertiaire"), le décret n° 2005-584 du 27 mai 2005, codifié aux articles R. 1511-4 et s. (N° Lexbase : L1987G9H), est venu prendre en compte les possibilités d'intervention offertes par la nouvelle rédaction de l'article L. 1511-3, a procédé à la transposition des contraintes communautaires, et a étendu, notamment en termes de taux, les possibilités d'intervention. Sur ce texte, lire Aides aux entreprises : les nouvelles règles du décret du 27 mai 2005, N. Wismer, paru dans la Revue Lexbase de Droit Public, n° 1 du 14 septembre 2005 (N° Lexbase : N8013AIM).
Compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné
Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public
(1) Le régime d'aide correspond à un dispositif de portée générale définissant les types d'entreprises bénéficiaires, la forme des aides, les taux plafonds... Lorsque la collectivité a délibéré un régime, l'exécutif peut ensuite prendre des décisions individuelles qui s'inscrivent dans ce régime.
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Réf. : Loi n° 2006-387, 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)
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Le 07 Octobre 2010
I - Une sécurité accrue pour les acteurs de l'opération (les conséquences externes de l'offre)
La rénovation du droit des offres se traduit, en premier lieu, par le souci de clarifier certains points de droit interne, et, notamment, ceux qui sont relatifs à l'étendue de l'application des notions d'action de concert et de retrait obligatoire (A), ainsi que de l'établissement de nouvelles modalités de fixation du prix. Elle se traduit, en second lieu, par l'accroissement de l'information des actionnaires et des salariés (B).
A - Davantage de lisibilité pour l'action de concert et le retrait obligatoire
Présenté par M. le sénateur Marini dans son rapport au Sénat comme une oeuvre de clarification de la terminologie, sans modification véritable du droit des offres, les précisions apportées quant à l'application de la notion d'action de concert semblent, toutefois, même si elles s'inscrivent dans une continuité textuelle, constituer un élargissement conceptuel assez sensible.
En effet, on se souvient que la notion de concert a été introduite par la loi du 2 août 1989 (loi n° 89-531, 2 août 1989, relative à la sécurité et à la transparence du marché financier N° Lexbase : L0886BD8) pour rendre compte de la nécessité de prendre en considération l'action collective de personnes physiques ou morales. Le législateur avait, à l'époque, considéré que la réunion de ces personnes traduisait, dans les faits, l'existence d'un objectif commun qui créait des liens d'une intensité telle que les concertistes pouvaient être considérés comme constituant une seule et même personne pour le calcul des seuils déclaratifs et, notamment, le franchissement de celui qui débouche sur le lancement obligatoire d'une offre.
Les concertistes, en quelque sorte, sont ainsi considérés -toute proportion gardée- de la même façon que des personnes qui auraient mis en place un groupement informel de nature contractuelle, ainsi qu'en atteste la nécessité de l'existence d'une rencontre de leurs volontés avant la mise en place de l'action. Pour la doctrine, en tout cas, l'action de concert est, à l'origine, essentiellement un "accord en vue d'une action commune" (1), sachant que, derrière cette définition, d'éminents auteurs n'avaient pas manqué, à l'époque, de souligner, à propos des termes retenus dans la loi du 2 août 1989, que l'article L. 356-1-3 du Code monétaire et financier était "pour le moins peu clair" (2). Sur ce point, les textes ont été réformés par trois fois pour aboutir à reconsidérer la notion à travers l'action de certaines personnes qui sont, aux termes -maintenant- de l'article L. 233-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L6313AIN) "considérées comme agissant de concert" lorsqu'elles ont "conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société".
A cette définition, plus précise que celle qui était proposée originellement, viennent désormais s'ajouter deux hypothèses d'action de concert, issues du nouvel article L. 233-10-1 (N° Lexbase : L1396HIK), en transposition fidèle de la Directive (on regrettera, à ce titre, la proximité des nomenclatures avec le texte précédent). Cet article dispose qu'il existe deux nouvelles catégories de concertistes : d'une part, "les personnes qui ont conclu un accord avec l'auteur d'une offre publique visant à obtenir le contrôle de la société qui fait l'objet de l'offre" et, d'autre part, "les personnes qui ont conclu un accord avec la société qui fait l'objet de l'offre afin de faire échouer cette offre".
S'il convient de voir un élargissement de la notion de concert dans la première partie de cet article, élargissement qui traduit un mouvement constant du droit des sociétés consistant à prendre en considération l'ensemble des acteurs liés à une opération ; la véritable innovation vient de la deuxième partie du texte qui conduit à assimiler à un concert, "toute action susceptible de faire échouer l'offre".
En effet, la réforme des OPA introduit une nouvelle approche du concert qui nous semble aller au-delà de la notion originelle, car le concert avait été présenté, à l'époque de son introduction dans la loi de 1989, comme destiné à empêcher les prises de contrôle rampantes, le plus souvent réalisées par la technique de ramassage des titres sur le marché. La loi visait, donc, les initiateurs de l'opération, concertistes vis-à-vis d'une société-cible. Or, la réforme de 2006 qualifie, également, paradoxalement en apparence, les personnes qui défendent la société-cible de concertistes et les soumet, de la sorte, aux mêmes contraintes que celles auxquelles les initiateurs de l'offre sont assujettis. Ainsi, indirectement, et bien que cette conclusion demeure toute théorique pour l'instant, la société-cible se défendant devrait, en tant que concertiste, appliquer au surplus les règles du droit des sociétés -stricto sensu-, qui prennent en considération l'existence d'un concert. Elle entraîne nécessairement la mise en oeuvre de l'article L. 233-3 III du Code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM) pour l'appréciation du contrôle conjoint. On soulignera, donc, et le constat prend l'allure d'une antienne, que le droit boursier vient, une nouvelle fois, perturber l'ordonnancement du droit des sociétés.
Il convient, cependant, aux fins de justification, de s'interroger sur ce curieux retournement de la notion, qui fait de la société, que le droit était initialement destiné à protéger contre un attaquant potentiel, un concertiste comme un autre, c'est-à-dire soumis à des dispositions visant à encadrer un comportement que l'on considère comme étant incompatible avec un fonctionnement normal du marché.
Dans ce sens, un premier argument peut être invoqué, qui tient à l'existence des mécanismes de défense et qui n'a donc pas lieu d'être détaillé ici (nous renverrons à l'article précité de M. Pietrancosta) : la défense de la société-cible peut se concrétiser par une contre OPA qui, dès lors, doit se trouver soumise, par un parallélisme des procédures boursières, aux règles applicables à toute offre. En tout état de cause, la société-cible n'a pas à être traitée comme une victime mais comme un acteur du jeu concurrentiel sur un marché.
Un second argument existe, dont les linéaments se retrouvent, d'ailleurs, dans l'ensemble des textes de la Directive et qui tient à la nécessité d'introduire un facteur de réciprocité dans le traitement interne et externe de l'offre. En effet, la volonté du législateur d'ouvrir largement la possibilité de lancer une offre ne peut se trouver mise en oeuvre qu'à la condition que l'initiateur de celle-ci se trouve à armes égales avec la société cible dans la compétition boursière. Dès lors, il convient d'appliquer les mêmes règles aux deux protagonistes (ainsi qu'aux deux groupes éventuels de concertistes) aussi bien sur le plan externe -c'est-à-dire quant à la procédure applicable sur le marché- qu'au plan interne, c'est-à-dire quant aux conventions ou aux stipulations statutaires visant à paralyser l'auteur de l'offre. La sécurité des opérations passe, ainsi, par un traitement égalitaire dans la compétition, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir ultérieurement, s'agissant des aspects de la loi sur les offres qui ont des conséquences sur les rapports internes à la société (seconde partie de cette étude, à paraître).
Par ailleurs, la loi sécurise les initiateurs de l'offre, lorsqu'elle est réalisée, car certaines dispositions statutaires ou conventionnelles étaient, auparavant, susceptibles d'interdire d'exercer le pouvoir politique régulièrement acquis dans le cadre de l'assemblée générale postérieure à l'acquisition. L'offre, en effet, risque de ne pas emporter les suites escomptées par son initiateur, qui peut se trouver dans la situation d'avoir payé des actions à un prix plus élevé que le marché, alors que ces dernières ne permettent pas de prétendre à exercer un pouvoir politique plein et entier. C'est ainsi que la loi prévoit désormais à l'article L. 225-125 du Code de commerce (N° Lexbase : L1417HIC), auquel un alinéa a été ajouté (3), que les limitations du nombre de voix dont dispose chaque actionnaire dans une assemblée, limitations légales en vertu du premier alinéa de l'article précité, sont suspendues lors de la première assemblée qui suit la clôture de l'offre, lorsque l'auteur de l'offre détient une fraction de capital ou de droit de vote supérieur à une quotité fixée par l'AMF.
Reste, enfin, que les parties à l'opération qui sont intéressées au premier chef par le prix, c'est-à-dire les actionnaires, se voient offrir une sécurité accrue puisque la loi modifie l'article L. 433-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3303HI8) et impose que le prix proposé soit au moins équivalent au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre, sur une période de douze mois précédant son dépôt. L'Autorité des marchés financiers peut, cependant, demander ou autoriser la modification du prix proposé dans les circonstances et selon les critères fixés dans son règlement général (4).
Cet accroissement de la sécurité passe, de la sorte, par un certain nombre d'aménagements statutaires qui s'inscrivent, certes, dans le cadre des opérations boursières, et dont le caractère temporaire et limité à la période de l'offre se doit d'être souligné, mais qui viennent contredire le mouvement d'assouplissement du cadre statutaire dont l'introduction de la SAS "pour tous" (5) avait constitué, en 1999, le signe majeur. Ce que, d'un côté, le droit des sociétés assouplit -en contrepartie d'un accroissement du contrôle et, de façon plus générale, de la gouvernance s'agissant des sociétés cotées- le droit boursier semble le restreindre régulièrement pour substituer la logique des marchés financiers à la logique des affaires.
B - Un accroissement de l'information des actionnaires et des salariés
Plus conforme aux axes retenus depuis quelques années, en revanche, l'accroissement de l'information est la marque de la continuité dans l'introduction de la gouvernance en droit des sociétés, notamment, avec les lois NRE en 2001 (loi n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) et de sécurité financière en 2003 (loi n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB). Le deuxième chapitre du projet de loi concerne, en effet, l'amélioration de l'information des actionnaires et des salariés qui avait pris corps en 2001, et que le législateur avait, depuis, aménagé pour tenir compte de la pesanteur de certaines procédures internes.
C'est ainsi que l'article 6 de la loi impose aux sociétés de remplir des obligations déclaratives visant à augmenter la transparence quant à la structure et l'organisation de leur actionnariat, à propos d'éléments qui seraient susceptibles d'avoir une influence sur le cours de l'offre. Ces obligations doivent faire l'objet d'une publication dans le rapport de gestion annuel, permettant, ainsi, aux actionnaires de bénéficier d'une meilleure information (6) et surtout de les éclairer, à la fois sur l'attitude à adopter dans l'hypothèse d'une offre, et sur les dispositifs de défense envisagés en cas d'OPA. Sans rentrer dans les détails des dispositions qui sont déclinées en dix points, mentionnons, quand même, les nouvelles informations destinées à figurer dans le rapport de l'article L. 225-100 du Code de commerce , et destiné aux seules sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé.
Le nouvel article L. 225-100-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L1416HIB) dispose, ainsi, en substance, que le rapport de gestion comporte les éléments suivants, "lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir une incidence en cas d'offre publique" : d'abord, la structure du capital de la société, les restrictions statutaires à l'exercice du droit de vote et aux transferts d'actions ou les clauses des conventions prévoyant des conditions préférentielles de cession ou d'acquisition d'actions. Il précise, ensuite, les participations directes ou indirectes "dans le capital de la société dont elle a connaissance", la liste des détenteurs de tout titre comportant des droits de contrôle spéciaux, les mécanismes de contrôle en cas d'actionnariat salarié, et les accords entre associés dont la société a connaissance et qui peuvent entraîner des restrictions au transfert d'action et à l'exercice des droits de vote. Enfin, le rapport doit indiquer les règles applicables à la nomination et au remplacement des dirigeants, ainsi qu'à la modification des statuts de la société, les pouvoirs des organes dirigeants, notamment, en matière d'émission ou de rachat d'action, les accords susceptibles d'être modifiés en cas de changement de contrôle de la société et certains accords prévoyant des indemnités pour les dirigeants.
On donne, ainsi, à une société-cible éventuelle les informations lui permettant de mesurer, au plan juridique tout du moins, la vulnérabilité, ou au contraire l'état des défenses anti-OPA. Toutefois, la rédaction de l'article, dans le cadre d'une lecture rigoureuse, ne peut permettre, à notre sens, de se soustraire à ces obligations déclaratives lorsqu'une société, insusceptible financièrement de faire l'objet d'une offre pourrait, au cas où elle lancerait une OPA, faire l'objet d'une contre-offre de la part de sa cible. Il ne s'agit donc pas de raisonner en terme de vulnérabilité financière mais, uniquement, en termes juridiques ce qui peut conduire à dévoiler des informations qui, autrement n'auraient pas été divulguées dans le rapport de gestion. Une nouvelle fois, apparaît le risque d'être confronté à des incertitudes concernant ce rapport de gestion qui, décidément, aura fait couler de l'encre depuis son introduction. En effet, il apparaît que la notion d'"incidence en cas d'offre publique" emporte une connotation subjective qu'il appartient aux responsables de la production et du contrôle du rapport de gestion d'apprécier. On ajoutera que le contenu du rapport n'a qu'un effet limité, d'une part, aux informations susceptibles d'être connues et, d'autre part, à celles qui sont connues au moment du rapport, ce qui ne préjuge pas de modifications ultérieures qui ne pourraient pas être produites, en temps utile, à l'assemblée générale.
Enfin, dernier volet concernant la sécurité des acteurs, les salariés sont, eux aussi, visés par la loi qui modifie l'article L. 432-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3116HIA) en prévoyant que l'auteur de l'offre doit adresser la note d'information, non seulement au comité d'entreprise de la société visée, mais aussi à son propre comité d'entreprise. Par ailleurs, l'article prévoit une information pour les entreprises dépourvues de représentation du personnel. On retrouve, ici, le principe évoqué précédemment de réciprocité des procédures, mais, également, le souci de porter à la connaissance des salariés de la société initiatrice des faits pouvant avoir des conséquences, notamment, en termes de suppression d'emploi, sur leur situation en cas de réussite de l'offre.
Jean-Baptiste Lehnof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
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Réf. : Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-15.817, Société International sport Fashion c/ Société Himalaya Express NV, FS-P+B (N° Lexbase : A2076DPL)
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Le 07 Octobre 2010
Les juges du second degré écartent la demande du donneur d'ordre tendant à s'opposer à l'exécution du crédit documentaire, considérant qu'il n'était pas établi que la banque était à même de constater la fraude par un examen formel des documents. Au visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), l'arrêt est cependant censuré. Pour la Chambre commerciale, "le droit pour le donneur d'ordre de se prévaloir d'une fraude affectant les documents d'un crédit documentaire avant son exécution pour en paralyser le paiement n'est pas subordonné à la condition que cette fraude soit décelable par la banque émettrice au terme d'un simple examen formel". En d'autres termes, le banquier peut être responsable alors même qu'il n'est pas conscius fraudis.
Selon les règles et usances uniformes de la CCI, le banquier se doit d'examiner "avec un soin raisonnable tous les documents stipulés [...] pour vérifier s'ils présentent ou non l'apparence de conformité avec les termes et conditions du crédit" (3). Ce contrôle limité à l'apparence n'empêche pas que la fraude, qui est absente des RUU, puisse, néanmoins, produire ses effets devant les tribunaux.
Classiquement, deux types de fraude peuvent être distingués. La fraude est dite matérielle lorsqu'elle porte sur des documents contrefaits ou falsifiés. Elle peut ainsi priver le bénéficiaire du paiement, même quand elle émane d'un tiers. Mais elle peut aussi être intellectuelle -ou documentaire- lorsque les personnes à l'origine des documents ont qualité pour les rédiger mais font des énonciations fausses. Les documents sont alors authentiques, mais mensongers. En toute hypothèse, la fraude est restrictivement admise. Le crédit ne peut d'abord être annulé que dans la mesure où la banque peut encore le faire (4). La fraude n'est ensuite retenue que si elle porte sur le crédit documentaire ou l'un de ses termes. Le principe d'indépendance du crédit documentaire -omniprésent dans les RUU (5)-, la rend inopérante à l'égard de celui-ci si elle porte sur le contrat commercial (6). Par exemple, la résolution du contrat de vente pour fraude ne peut entraîner celle du crédit documentaire (7). Il faut qu'à la date de leur remise, les documents soient entachés d'une fraude ayant affecté la mise en place et l'exécution du crédit documentaire lui-même, et altéré le consentement donné (8). Cette fraude doit aussi être manifeste : une simple allégation ne peut suffire (9), laquelle n'est, au demeurant, pas fondée en présence d'une erreur rapidement rectifiée (10).
Dans ce contexte, il peut paraître a priori contradictoire qu'ici, le banquier doive s'abstenir de payer le bénéficiaire alors que la fraude est indécelable. Mais en y regardant de plus près, une telle solution n'est pas inconciliable avec celles déjà rendues en la matière. La jurisprudence a déjà eu l'occasion de préciser que la fraude pouvait être de nature, tantôt à priver d'efficacité une régularisation (11), tantôt à autoriser le donneur d'ordre à s'opposer au paiement (12). Il est aussi admis que, si un banquier suspecte la fraude, il doit envisager des mesures conservatoires. Dans leur arrêt du 25 avril 2006, les juges prennent soin de ne viser que la fraude formellement indécelable par la banque émettrice, c'est-à-dire celle qui ne transparaît pas au premier examen des documents. Par conséquent, le donneur d'ordre peut très bien apporter d'autres éléments extérieurs aux documents pour démontrer la fraude, ou la laisser suspecter, pour au moins amener le banquier à prendre ces fameuses mesures conservatoires.
Si une régularisation de bonne foi, pendant le délai de validité du crédit, est toujours possible (13), le fait d'antidater des connaissements, à l'insu du donneur d'ordre, peut certainement être considéré comme ne remplissant pas cette condition de bonne foi. Un crédit documentaire est, en effet, ouvert pour une durée déterminée au-delà de laquelle il ne peut plus être utilisé. Cette durée balise la date limite de présentation des documents, et partant, celle de l'engagement de la banque de l'acheteur. Or, tolérer qu'une date frauduleuse puisse être apposée ruinerait tout délai de validité du crédit documentaire. Cela reviendrait, sinon, à admettre que les conditions du crédit sont remplies, alors que les documents conformes n'ont pas été fournis dans le délai imparti. Le cas échéant, il n'y aurait que le donneur d'ordre qui pourrait autoriser la banque à payer (14).
La même observation vaut pour le changement de nom du navire. On rappellera que le donneur d'ordre peut très bien exiger certaines conditions particulières de transport, tenant par exemple à la qualité du navire. Notamment, que la marchandise sera acheminée par tel navire nommément désigné, ce qui devra être attesté par les documents. Une telle condition, déterminante de la volonté des parties, ne saurait être éludée. Là encore, une modification frauduleuse du nom du navire est une inexécution des conditions posées.
Si le banquier peut, après avoir procédé à une vérification minutieuse des documents, ne s'en tenir qu'à une apparence de conformité avec les termes et conditions du crédit pour payer, la présence d'une fraude change la solution. Peu importe qu'elle ne puisse être décelée dans les documents. L'exception de fraude, même indécelable à partir des seuls documents, est sans doute justifiée au regard de la maxime fraus omnia corrumpit. Reste qu'elle place le banquier dans une situation délicate : si, suspectant la fraude, il refuse de payer, et que la fraude n'est finalement pas caractérisée, il peut engager sa responsabilité ().
Richard Routier
Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var
(1) Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-15.817, Société International sport Fashion c/ Société Himalaya Express NV, FS-P+B, cité en référence.
(2) Cass. com., 4 mars 1954, S. 1954, I, 121, note P. Lescot. J. Stoufflet, Le crédit documentaire, Libr. techniques, 1957, p. 327, n° 392.
(3) RUU n° 500, art. 13 et RUU n° 400, art. 15.
(4) Cass. com., 29 juin 1993, n° 91-18.823, Banque de Bretagne, société anonyme c/ M. Bernardoupil et autres, inédit (N° Lexbase : A0845C7G)
(5) RUU, art. 3, 4, et 9.
(6) Cass. com., 13 février 2001, n° 97-21.885, Société Textiles Ittah c/ Banque nationale de Paris (BNP) (N° Lexbase : A3824AR3) ; CA Paris, 8 décembre 2000, n° 2000/21526, Sté Mikatex c/ Banque Hervet.
(7) Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-12.759, Société des Automobiles Peugeot c/ Société Facon Deutschand et autres (N° Lexbase : A1776ACR), Bull. civ. IV n° 107 ; LPA 14 janv. 1998, p. 20, note J. Hesbert ; JCP éd. E 1997, II 976, note J. Stoufflet.
(8) CA Versailles, 12ème ch., sect. B, 19 décembre 2002, n° 2000-5523, Banque régionale de l'ouest c/ Bank of Africa et autres (N° Lexbase : A4426C9S).
(9) Cass. com., 24 juin 1997, n° 95-10.259, Caisse nationale de Crédit agricole (CNCA) c/ Société Interamericana Transmarin et autres, inédit (N° Lexbase : A6551CZN), JCP éd. E 1998, p. 319, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet.
(10) Cass. com., 19 décembre 2000, n° 98-13.224, Banque fédérative du Crédit mutuel (BFCM) c/ Société Hungavis, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A3277CXN).
(11) Cass. com., 3 mars 2004, n° 01-16.046, Banque populaire du Haut-Rhin (BPHR) c/ Société de droit allemand GMBH Tils, FS-P (N° Lexbase : A3977DBW), Bull. civ. IV, n° 43.
(12) Cass. com., 11 octobre 2005, n° 04-11.663, Crédit Lyonnais c/ Société Canara Bank International Division, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A8373DKC).
(13) Cass. com., 3 mars 2004, n° 01-16.046, Banque populaire du Haut-Rhin (BPHR) c/ Société de droit allemand GMBH Tils, FS-P (N° Lexbase : A3977DBW), Bull. civ. IV n° 43.
(14) Cass. com., 20 novembre 1990, n° 89-10.057, Société générale et autre c/ Société Lucchini siderurgica et autres (N° Lexbase : A4437ACC), Bull. civ. IV n° 282, JCP éd. E 1991, II 93, n° 38 obs. C. Gavalda et J. Stoufflet.
(15) Cass. com., 27 septembre 2005, n° 03-20.136, Société Interamericana Transmarin CA c/ Société Crédit agricole, F-D (N° Lexbase : A5799DKY), à propos de connaissements dont il était aussi allégué qu'ils comportaient des énonciations mensongères.
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