Lecture: 2 min
N8718AIQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:78718
Lecture: 36 min
N8714AIL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
1.1 Une insécurité juridique qui s'aggrave
Pour le spécialiste de iatrogénie, la notion de base est celle d'effet indésirable (4), réaction dommageable, prévisible ou non, mais distincte, en tout cas, de l'effet bénéfique recherché : choc cardio-vasculaire au décours d'une anesthésie, cicatrisation inesthétique au terme d'une intervention chirurgicale, suicide pendant une psychothérapie, hémorragie digestive lors d'un traitement anti-inflammatoire. Si les magistrats sont déjà dotés d'une jurisprudence consistante pour ce qui concerne les litiges médico-légaux illustrés par les trois premiers exemples, la situation est bien plus incertaine pour les dommages survenus dans le cadre d'un traitement médicamenteux, surtout dès lors qu'ils se sont exercés à l'échelle de la santé publique et qu'ils concernent, par conséquent, des centaines, voire des milliers ou dizaines de milliers de victimes.
1.2 De l'anarchie économique à l'anarchie judiciaire
Cette insécurité juridique est d'autant plus préoccupante que tout porte à croire que la justice sera de plus en plus saisie de litiges en rapport avec des médicaments : sanction prévisible, et finalement logique, d'un système économique aberrant où l'acheteur (le prescripteur) n'est pas le consommateur (le patient) qui n'est lui-même pas le payeur (l'assurance maladie). Ces aberrations conjuguées expliquent l'inefficacité des mécanismes régulateurs sinon élémentaires (on n'achète pas à ses frais un produit cher qui ne donne pas satisfaction et qui expose même à des risques), et il est désormais notoire que les instances substitutives de régulation -administration de contrôle d'une part, prescripteurs d'autre part- sont tout autant inefficaces : ce constat récurrent des affaires récentes (10) a été amplement confirmé, depuis, par les Commissions d'enquête diligentées, tant par le Sénat américain que par le Parlement britannique (11).
Lorsque le spécialiste du médicament évalue le résultat de toutes ces perversions, il est frappé par le contraste -inconcevable dans n'importe quel autre domaine économique- entre les succès commerciaux de la pharmacie (les"blockbusters") et leur valeur thérapeutique réelle : des produits d'efficacité incertaine et de tolérance problématique permettant à leurs fabricants d'engranger des bénéfices incommensurables par rapport à des concurrents bien plus sûrs et incomparablement moins chers -pour ne point parler de ces thérapeutiques exorbitantes à visée censément préventive et qui ne servent à rien d'autre qu'à provoquer effets indésirables ou cancers- (12). C'est précisément dans une telle situation d'anarchie que les citoyens finissent par se tourner vers les juges (13).
Or, -et nos exemples introductifs le confirment- il est à craindre que, pourtant conséquence directe de cette anarchie économique, l'intervention des juges ne génère elle-même une autre forme d'anarchie -judiciaire celle-là-, d'autant plus préoccupante qu'aucune société civilisée ne peut survivre si ce sont les magistrats qui donnent aux justiciables l'exemple de l'insécurité ou de l'imprévisibilité.
En tout état de cause, il leur faut ordonner des expertises confiées à des techniciens qui, dans le milieu technologique étroit de la pharmacie industrielle, ne peuvent avoir acquis la compétence requise que par un contact soutenu avec les fabricants et l'administration défaillante -à moins que, croyant avoir choisi le moindre de deux maux, les magistrats ne privilégient l'incompétence dans l'espoir d'esquiver ce problème des liens d'intérêts-.
La situation résultante du litige médico-légal est illustrée par le paradoxe suivant : alors qu'en conséquence d'une jurisprudence dont il faut bien reconnaître qu'elle révulse tous les professionnels concernés (16), le meilleur et le plus scrupuleux des chirurgiens peut se voir aujourd'hui reconnu responsable d'une infection à laquelle il est strictement étranger, l'indemnisation de la complication médicamenteuse la plus flagrante et la moins tolérable reste suspendue à l'imprévisibilité totale avec laquelle les juges interpréteront l'idéal juridique d'une causalité "certaine" dont nous avons montré qu'hors des prétoires, elle n'a guère d'écho que dans la pensée magique (17). En conséquence de quoi, dans un contexte d'abus assez caractérisés pour faire régulièrement la une des plus éminentes revues médicales internationales et désormais assez notoires pour émouvoir, on l'a dit (18), jusqu'aux élus du peuple, le pari de l'impunité reste toujours un bon choix pour fabricants et certains professionnels de santé...
1.3 Une urgence politique et sociétale
Dans l'urgence politique créée par le fait accompli d'une industrie pharmaceutique qui, selon les termes mêmes du prestigieux British Medical Journal, a fait "main basse sur les administrations sanitaires" (19) de nos pays et qui, littéralement, "fait la loi" au point que le Président du Comité Economique peut admettre publiquement et sans fard qu'avec les fabricants, "notre force de négociation est déjà très réduite" (20), il est fondamental que les magistrats sortent des intimidations pseudo-scientifiques où les accule un système d'expertise fondamentalement vicié et qu'ils récupèrent, en de pareilles espèces, les catégories conceptuelles autonomes leur permettant d'assurer avec un minimum de prévisibilité juridique et de motivation crédible une mission de protection correspondant aux attentes d'une société légitimement inquiète de ce que les biens naguère inaliénables du corps et de la santé soient, malheureusement, devenus cibles commerciales parmi d'autres -particulièrement lucratives en sus- !
Pour autant qu'elle soit clairement appréhendée, la notion de défectuosité peut fournir, sans délai, un outil approprié, comme suggéré par la circonstance suivante : notoirement, l'industrie pharmaceutique a été parmi les lobbies les plus actifs à tenter d'amoindrir la portée de la directive n° 85/374/CEE du 25/07/85 sur les produits défectueux (21). C'est la preuve, s'il en était besoin, qu'elle a parfaitement perçu à quel point ce projet était de nature à contraindre son activité. Cependant, la notion de défectuosité est d'autant plus équitable dans son principe qu'en parallèle, et comme nous le verrons plus bas, elle permettra réciproquement aux magistrats de préserver notre pays -et notre industrie pharmaceutique- des excès d'une victimologie "à l'américaine" dont on commence d'apercevoir de plus en plus régulièrement les premiers vautours.
2 - Idées reçues (ou entretenues) sur la défectuosité
Historiquement, on vient de le dire, les industriels du médicament ont fait tout leur possible pour limiter les effets de la directive européenne sur la responsabilité des produits. Truffé d'erreurs significatives et pavé d'omissions évocatrices, un récent article "de doctrine" (22) rédigé par des avocats de fabricants permet d'apercevoir à tout le moins "la doctrine" que ceux-ci aimeraient accréditer en matière de défectuosité. Nous nous y référerons donc largement dans les lignes qui suivent.
2.1 Le médicament, hors du droit commun ?
Sacralisé par ses fonctions censément thérapeutiques, le médicament, selon certains, devrait échapper au droit commun. La presse spécialisée, pourtant, ne cesse d'exhorter les firmes pharmaceutiques à s'inspirer des méthodes de développement et de promotion adoptées dans des secteurs "communs" de l'industrie en vue de maximiser les bénéfices (23), et tout professionnel du médicament sait, par ailleurs, que le secteur de la "visite médicale" est celui qui est le plus jalousement tenu à l'abri de l'influence potentiellement pernicieuse des scientifiques...
En revanche, il est une circonstance encore trop ignorée des magistrats confrontés à une affaire de médicament : le médicament est un produit soumis à une réglementation nationale et internationale extrêmement lourde et tatillonne. Quoique, en termes de santé ou de protection du public, les résultats de cette réglementation méritent d'être discutés (24), celle-ci offre une aire de preuves considérables (comme le financier dans certaines affaires pénales connues) -à la condition de savoir où aller les chercher et, le cas échéant (cf. plus haut) les lire dans leur langue d'origine...-. On notera comme relativement significatif que l'article de doctrine susmentionné (25) reste muet sur ces sources d'information, pourtant si précieuses.
2.2 Un risque pour l'innovation ?
Autre sacralisation connexe, mais tout autant indue : l'idée que sanctionner juridiquement un producteur de médicament représenterait une menace pour "l'innovation" -partant, pour la Santé publique-. Il s'avère, malheureusement, que, selon une formule saisissante du Wall Street Journal, la mode est plus, dans l'industrie pharmaceutique, à inventer des maladies pour écouler les produits existants qu'à inventer des médicaments pour éradiquer les maladies existantes, perversion popularisée par le très sérieux British Medical Journal sous la dénomination de "disease mongering" (fabrique de maladies) (26). A titre d'exemple éloquent, on rappellera qu'un fabricant de vaccin s'est publiquement vanté d'avoir "sensibilisé les experts de l'Organisation Mondiale de la Santé" au risque de l'hépatite B (27) : s'il a fallu les commerciaux de l'industrie pharmaceutique pour "sensibiliser" jusqu'aux "experts" internationaux quant au risque de la maladie même en pays de forte endémie, on reconstitue quel devait être le poids de l'hépatite B dans les pays de faible endémie comme le nôtre avant que les mêmes commerciaux ne la ré-inventent comme menace effroyable de santé publique... (28)
On n'en finirait pas de lister les articles ou études éminentes qui documentent la pauvreté préoccupante de la recherche pharmaceutique (29) et la déprimante obstination des producteurs à faire du neuf avec du vieux ou du répétitif. Au moment même où s'écrit cet article, une étude canadienne (30) s'étonne que les dépenses de médicaments aient triplé sous la seule poussée "d'innovations" caractérisées comme copies bien camouflées, alors que simultanément, en France, un rapport de la Cour des comptes s'effare du déficit abyssal de la sécurité sociale (dont les causes sont bien plus organiquement liées qu'on ne le dit à une fallacieuse innovation pharmaceutique, via notamment la multiplication des actes médicaux [détection, surveillance, consultations de renouvellement...] qu'elle engendre)...
2.3 L'information donnée, critère principal de responsabilité ?
L'idée que l'information donnée par le producteur devrait constituer le critère principal de sa responsabilité n'est pas acceptable.
La pertinence de la présente analyse est attestée par l'article susmentionné (22), qui reproche à la cour d'appel de Versailles de s'être fondée, entre autres et prétendument à tort, sur la mention d'un risque neurologique alors que, selon les auteurs, ce risque n'avait été inséré dans la notice que par "précaution" et qu'il était "non démontré". Outre qu'en réalité, cette "précaution" du Vidal ne faisait que s'aligner, avec plusieurs années de retard, sur la notice internationale du produit, on voit bien l'argument : de quoi se plaindraient les consommateurs, dûment informés d'un risque qui ne saurait engager la responsabilité ni du produit, ni du producteur, attendu qu'il est non démontré ?... Perversion inadmissible des notions tant de "consentement informé" que de "précaution", ce point de vue conduit les fabricants à intégrer tout et n'importe quoi dans leurs notices pour soutenir ensuite, en cas de litige, que : 1) le patient était parfaitement informé du risque encouru ; 2) aucune responsabilité ne peut être retenue, attendu que la causalité n'a jamais été sérieusement démontrée et que la mention en a été insérée au titre de pure "précaution". La parade juridique devrait aller de soi :
- il ne peut y avoir de consentement "informé" si l'inflation des risques a dépassé les limites de ceux qui sont objectivement démontrés pour entrer dans celles de la désinformation ; en d'autres termes, le "choix" du patient ne peut être libre si la validité de "l'information" qui lui est communiquée n'est pas garantie par le producteur ;
- une telle inflation de risques, motivée par le seul souci de la protection du fabricant, empêche le prescripteur de discriminer le significatif de l'hypothétique (voire du dérisoire) et amoindrit, par conséquent, la sécurité des patients (32) : il y a donc bel et bien défectuosité ;
- le principe de précaution présuppose, explicitement, la mise en oeuvre d'études adéquates. Dès lors, si un fabricant a mentionné un risque pour ensuite prétendre qu'une telle évocation n'a obéi qu'à une simple exigence de précaution, il suffira de l'interroger sur les études qu'il a mises en place au titre de cette même "précaution" ; comme, dans 99,9 % des cas, on s'apercevra que rien n'a été fait, le Juge aura le choix entre l'alternative suivante (cf. 2.6) : 1) l'absence des études qui se seraient imposées en cas d'incertitude signe que la causalité iatrogène est parfaitement acquise (i.e. le fabricant a négligé l'investissement qui ne pouvait que confirmer l'évidence) ; 2) l'absence des études que la précaution auraient imposées signe la faute du fabricant.
2.4 Le risque de développement
Outre qu'en près de vingt-cinq ans d'expérience, je n'ai quasiment jamais rencontré les conditions d'un tel risque, force est de constater que cette cause d'exonération expose à tous les abus puisqu'elle est quasi circulaire : dans la mesure, en effet, où c'est le fabricant qui est en charge de l'évaluation avant l'enregistrement de son produit, qu'il n'ait pas été en mesure de détecter le défaut lors des essais effectués avant autorisation de mise sur le marché (à moins même qu'il ne l'ait dissimulé ) n'exonère en rien sa responsabilité.
A l'expérience, le prétendu "risque de développement" a le plus souvent l'allure d'un développement défectueux... Qui sait, par exemple, que la durée classique normale des essais de tolérance sur un vaccin est de quatre jours (33) : est-ce le niveau de sécurité auquel on peut "légitimement" s'attendre de considérer qu'un produit réputé exercer des effets bénéfiques sur le long terme (immunité) serait a priori exonéré de tout soupçon d'effet indésirable sur le même long terme (auto-immunité, par exemple) ?
2.5 Le principe de précaution
On l'a dit ailleurs (34), et on n'y insistera donc pas aujourd'hui : il n'est pas certain que la pratique médicale, normalement gouvernée par un principe hippocratique de prudence, gagne beaucoup à l'invocation d'un "principe de précaution" (35).
En pratique, par conséquent, à chaque fois qu'en médecine, on vous parle de "précaution", cherchez le cadavre de la Prudence -et retrouvez les assassins-...
2.6 L'exigence du lien direct et certain
On en a également parlé auparavant (36) (37) et ailleurs que dans des revues juridiques (38) : dans la mesure où la causalité en matière iatrogène est nécessairement probabiliste, l'exigence jurisprudentielle d'un lien "direct et certain" revient à élaborer juridiquement l'impunité pour les producteurs de médicaments.
En fait, cette inaccessibilité de la certitude n'est en rien une spécificité des affaires médicamenteuses et, plutôt que de gloser sur des extraits d'arrêts soigneusement sélectifs complaisamment amplifiés par les producteurs (ou leurs avocats), les juristes seraient mieux inspirés d'établir un inventaire des situations où les magistrats se sont contentés de faisceaux de preuves partielles et d'indices concordants, afin de retrouver et de réactualiser l'inspiration qui a conduit à proférer le Juste même en l'absence de certitude absolue (transfusions, etc, pour ne point parler des litiges non liés à la santé).
Ainsi, dans la mesure où, en matière technique, un niveau de causalité "certain" n'a rien à voir avec ce à quoi les techniciens peuvent "légitimement" s'attendre, on peut dire que l'introduction d'une telle exigence de certitude constitue une forme de défectuosité, au sens de la loi.
Selon un éminent représentant de l'administration sanitaire française :
Dans la plupart des situations qui se présentent en pharmacovigilance après commercialisation, le nombre de cas attendus reste faible et le niveau où l'on peut se contenter d 'invoquer la coïncidence ne doit pas dépasser trois cas [observés] [...]. La réception de plus de trois notifications ne peut être qu'exceptionnellement le fruit d'une coïncidence ; elle représente un signal important qui nécessite des investigations complémentaires (39).
Que se passera-t-il, par conséquent, lorsque l'on s'apercevra qu'un fabricant a laissé s'accumuler des dizaines, voire des centaines ou des milliers de notifications sans entreprendre lesdites "investigations complémentaires" (sous réserve, évidemment, qu'elles soient correctement menées : cf. section 2.7) ? De deux choses l'une :
Et il appartiendra aux magistrats de déterminer en droit dans quelle mesure cette défectuosité -qui aura délibérément visé à dissimuler la causalité iatrogène dans un nuage d'incertitude- soulage la victime de la charge de la preuve causale.
2.7 Défectuosité versus aléa thérapeutique
C'est une revendication connue des fabricants que la loi du 4 mars 2002 se substitue à la mise en cause de leur responsabilité : politiquement, il est clair que l'enjeu est bien de voir la collectivité amenée à réparer les défaillances ou abus des producteurs. Mais est-il possible d'expliquer techniquement la différence entre "aléa" et "défectuosité" ?
Prenons l'exemple particulièrement actuel du risque neurologique après vaccination contre l'hépatite B. Il suffit de lire les communiqués de l'administration ou des fabricants pour retrouver écrit partout qu'aucune des trois études épidémiologiques mises en place dans notre pays n'a pu montrer une élévation "statistiquement significative" du risque neurologique post-vaccinal. La chose est avérée, et nous la confirmons, mais quelle est son interprétation ?
Dire que les résultats ne sont pas "statistiquement significatifs" veut dire que l'on répond, "non" à la question "est-il possible d'exclure le rôle du simple hasard (i.e. des fluctuations aléatoires) pour expliquer l'augmentation du risque neurologique mise en évidence par ces études ?". Or, cette impossibilité où nous ont laissés ces études d'exclure le rôle du simple hasard ne signe pas l'absence de relation causale : elle est le résultat attendu d'une défectuosité méthodologique récurrente dans ces investigations, à savoir le manque de puissance statistique parfaitement documentable (40) (41).
Fondamentale pour l'espèce et manifestement mal maîtrisée par beaucoup -à commencer par beaucoup d'experts judiciaires, cette question de la "puissance statistique" (qui conditionne l'évaluation de causalité) mérite un minimum de développement.
Si, après avoir lancé une pièce de monnaie 4 fois, on obtient 75 % de piles (soit 3 piles et 1 face), chacun conviendra que cet essai est insuffisant pour conclure que la pièce est faussée ; si, en revanche, on obtient le même résultat (75 % de piles ) après 40 000 lancers (à savoir 30 000 piles et 10 000 faces), on conclura avec certitude que la pièce est faussée. La "puissance statistique" tient à cette différence entre 4 et 40 000 lancers c'est-à-dire dans les moyens consentis (temps, argent) pour exclure, avec une très forte probabilité, les simples fluctuations du hasard : 75 % des cas (au lieu des 50 % attendus) peuvent résulter d'un simple hasard après 4 lancers, alors qu'on ne peut plus invoquer le seul rôle du hasard si l'on obtient le même résultat après 40 000 lancers.
A fins didactiques, l'insuffisance récurrente des études épidémiologiques françaises peut donc être illustrée par le dialogue suivant entre Madame l'AFSSAPS et l'auteur :
Madame l'AFSSAPS : "Tout le monde sait bien que 75 % de piles ne sont pas suffisants pour démontrer qu'une pièce est faussée.
MG. - Cela dépend.
A. - Regarde.
(Elle jette une pièce 4 fois et obtient trois piles).
MG. - Certes, mais la situation changerait si tu l'avais lancée 40 000 fois.
A. (impatientée) - Tu vois bien que je ne l'ai lancée que quatre fois !
MG. - Tu sais bien que pour vérifier si elle était faussée, il aurait fallu la lancer 40 000 fois".
En termes technico-juridiques, on peut dire que l'AFSSAPS -et répétitivement- ne s'est pas donné les moyens de distinguer entre l'aléa (l'effet du hasard -l'aléatoire- sur le résultat d'un lancer) et la défectuosité (le défaut de fabrication caractérisé rendant compte du fait que la pièce tendra vers pile bien plus souvent que normalement prévisible selon les seules lois du hasard). Or, toute la méthodologie de la recherche clinique et de l'épidémiologie vise, au contraire, à distinguer ce qui relève du hasard de ce qui tient aux caractéristiques propres du médicament évalué.
On est donc bien dans la défectuosité -en dehors du niveau de sécurité "légitimement" attendu- (la légitimité, en l'espèce, se confondant avec les recommandations méthodologiques de n'importe quel ouvrage d'épidémiologie) : une défectuosité, en l'occurrence, qui contribue à dissimuler le lien de causalité, qui est strictement imputable aux défaillances des responsables de la campagne vaccinale et qui, par conséquent, doit contribuer à alléger la charge de la preuve causale pesant sur la victime.
Notons que dans un procès civil dirigé contre un fabricant, celui-ci ne pourrait en aucun cas se défausser sur ces insuffisances de l'administration, dans la mesure où rien ne l'empêchait de se substituer aux insuffisances de l'administration pour assumer son devoir de surveillance après commercialisation. En tout état de cause, la défectuosité visant une responsabilité sans faute, il importe peu, ici, de déterminer qui est coupable de cette insuffisance méthodologique : il est clair, en tout cas, que la responsabilité des études établissant la causation échoit à ceux qui ont intérêt à la dissimuler (ceux qui ont organisé la campagne vaccinale ou ceux qui en ont bénéficié).
Ces études épidémiologiques de puissance insuffisante mises en place dans le contexte d'une grande affaire de santé publique illustrent donc de façon saisissante la façon dont une défectuosité méthodologique (manque de puissance statistique) permet de grimer une potentielle défectuosité du produit (effet neurotoxique direct) en un simple aléa (c'est-à-dire un accident du hasard).
Ce serait donc une position inique que les responsables de cette défectuosité savourent les bénéfices de leur insuffisance au motif qu'une fois rendus devant le juge civil, la preuve de la causalité incombe à la victime. En fait, pour s'acquitter de cette charge de preuve, la victime n'a d'autre moyen que de solliciter la désignation d 'un expert ; le juge, loin de lui refuser cette désignation au motif de supposées incertitudes sur la causalité, doit, au contraire, veiller à choisir un technicien de compétence documentable qui saura vérifier dans quelle mesure l'incertitude sur la causalité ressortit, ou non, à une défectuosité (ou, pourquoi pas, à une faute du fabricant).
3 - Définir et objectiver la défectuosité
3.1 Fausses pistes
Examiner contradictoirement la demanderesse [...]. Décrire dans tous ses éléments la pathologie [...]. Dire si cette pathologie est liée par un rapport de causalité certain à une telle administration du médicament [...]. Rechercher si les informations sur les effets indésirables et les précautions d'emploi du médicament contenues dans la notice d'utilisation édictée par le fabricant étaient suffisamment précises, complètes et circonstanciées en ce qui concerne les risques d'apparition de cette pathologie.
A côté des missions qui enjoignent simplement à l'expert de déterminer si le rapport entre un médicament X et une pathologie Y a été "certain", celle qui vient d'être citée plus haut est l'une des plus détaillées qu'il nous ait été donné de voir dans des procédures initiées sur le fondement de la responsabilité des produits. Il est clair, cependant, que pas plus celles-ci que celle-là ne laissent de marge pour objectiver une défectuosité.
Sur la base de ces exemples qui pourraient être multipliés et des décisions de justice qui ont effectivement sanctionné une supposée "défectuosité" médicamenteuse, il apparaît que cette notion nouvelle n'a quasiment jamais été rigoureusement distinguée du simple effet indésirable. Il convient donc de reprendre entièrement l'examen du problème pour tenter de dégager une notion techniquement solide, éthiquement fondée, juridiquement prévisible et qui préserve la société tant du pari de l'impunité actuellement garanti aux fabricants par une conception exorbitante de la causalité que de la prime aux hypochondriaques quérulents que serait une iatrogénie dont il suffirait de se plaindre pour s'en voir indemnisé. |
Articulée autour de la notion d'attente "légitime", la défectuosité me paraît utilement éclairée par un concept emprunté à la théorie de la réception en critique littéraire : celui d'horizon d'attente. Lorsque paraissent, à quelques mois d'intervalle (1856-7), Madame Bovary et les Fleurs du Mal qui vont durablement bouleverser l'esthétique littéraire, quel est l'horizon d'attente (43) du public : ses références, ses implicites, ses présupposés, ses prédispositions à comprendre, sa capacité de tolérer une certaine nouveauté ? Plus prosaïquement, lorsqu'un produit nouveau est introduit sur le marché, quel est l'horizon d'attente du consommateur : sa perception du bénéfice attendu, du risque prévisible, sa compréhension des avantages ou inconvénients par rapport aux produits déjà sur le marché ? Comment l'objectiver avec un minimum de rigueur technique et de sécurité juridique ?
3.2 Le médicament, objet technico-réglementaire plus que substance chimique
Certes, un médicament est d'abord une substance chimique dont la préparation peut recéler des défectuosités : que ce soit au niveau de la substance elle-même, de ses impuretés, de ses conservateurs, de ses colorants, etc. Mais hormis dans le contexte -actuellement redoutable- d'éventuelles contrefaçons (qui, probablement, mettraient plus en jeu la responsabilité du distributeur que celle du producteur abusé), la sophistication actuelle de la fabrication pharmaceutique rend relativement improbable la survenue à ce niveau de défauts assez systématiques pour menacer significativement la santé publique.
En fait, un "médicament" n'est pas seulement une substance chimique, mais un objet technico-réglementaire complexe (avec des indications limitatives, des contre-indications, des précautions d'emploi, etc) répondant à une foultitude de spécifications légales, réglementaires et procédurales extrêmement contraignantes qui balisent la vie d'une spécialité pharmaceutique depuis les phases les plus précoces de son développement jusqu'aux moments les plus tardifs de sa commercialisation.
La défectuosité d'un médicament ne peut donc s'apprécier qu'au regard de ces prescriptions technico-réglementaires, car qu'est-ce qui pourrait fournir meilleure mesure de la sécurité à laquelle on peut "légitimement" s'attendre que, justement, les textes législatifs et réglementaires conditionnant la vie d'une spécialité pharmaceutique depuis son tout début jusqu'à sa fin ultime ? A savoir, notamment, ceux qui scandent les grandes phases de cette existence : 1. le développement du produit ; 2. le processus d'autorisation de mise sur le marché ; 3. l'obligation de surveillance après commercialisation ; 4. le contrôle de la promotion commerciale. |
Il en découle qu'une expertise judiciaire ordonnée dans le cadre d'une action sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux devra examiner au minimum les documents technico-réglementaires suivants :
- brochure de l'investigateur dans ses états successifs,
- études cliniques (protocoles, rapports d'étude, annexes),
- comptes rendus d'audits sur site s'il y a lieu.
- partie IC du dossier d'enregistrement (rapports d'experts : 1) pharmaceutique, 2) toxicologique, 3) clinique) (44),
- éventuelles questions ou mesures d'instruction de l'autorité sanitaire au cours du processus,
- ampliation d'AMM,
- évolution de tous les résumés des caractéristiques du produit (RCP) au cours du temps,
- rapports de l'appelant ayant accompagné les diverses Demandes de Modifications de l'Information depuis la mise sur le marché des spécialités.
- procédures de pharmacovigilance du titulaire de l'AMM dans leurs divers états historiques,
- déclarations annuelles de pharmacovigilance pour la spécialité incriminée depuis la date de commercialisation jusqu'à la dernière, faites par le titulaire de l'AMM en conformité avec l'article R. 5144-9 et suivants du décret n° 84-402 du 24 mai 1984,
- déclarations périodiques de pharmacovigilance pour la spécialité incriminée depuis la dernière déclaration annuelle (cf. ci-dessus) jusqu'à aujourd'hui, faites par le titulaire de l'AMM en conformité avec l'article R. 5144-20 du décret N° 95-278 du 13/03/95,
- échéancier de ces déclarations périodiques mis au point en collaboration avec l'Agence du Médicament (selon la recommandation de la circulaire n° 96-0763 du Syndicat National de l'Industrie Pharmaceutique [18 octobre 1996]),
- intégralité des rapports périodiques de tolérance internationaux (PSUR) (46) et de toutes les synthèses internationales de tolérance,
- fiches CIOMS (individuelles) de tous les effets indésirables "graves" (au sens réglementaire du terme) signalés depuis le développement de la spécialité jusqu'à aujourd'hui :
- à l'échelle de la France,
- à l'échelle internationale,
- tous les documents (rapports, procès-verbaux de réunions, communiqués, etc) des éventuelles enquêtes nationales de pharmacovigilance menée en concertation entre le fabricant et les autorités sanitaires françaises,
- protocoles, rapports et annexes de toutes les études de sécurité entreprises par le fabricant ou par l'autorité sanitaire dans le cadre de la surveillance après commercialisation (études épidémiologiques, etc),
- documents administratifs, procès-verbaux, rapports, annexes de toutes les réunions d'experts (Académie nationale de médecine, conférences de consensus, auditions publiques...) dont les actes ou communiqués ont été utilisés par le fabricant comme documentant le rapport bénéfice/risque.
- pièces attestant la transmission du matériel promotionnel à l'administration sanitaire,
- éventuelles mesures ou sanctions de la Commission Nationale de Publicité.
Au total, par conséquent, un médicament n'est pas un "produit" brut dont les défauts ressortiraient d'une simple analyse physico-chimique, mais une vaste entité intégrant outre une substance chimique et divers excipients ou colorants, la continuité d'un processus technico-réglementaire complexe qui va des toutes premières phases de la fabrication à chaque journée de commercialisation, en passant par le développement clinique et le processus d'AMM. Chaque étape de ce processus peut donner lieu à des défectuosités -c'est-à-dire à des écarts par rapport aux attentes "légitimes" du consommateur : à charge, pour l'expert (et sous réserve qu'il puisse lui-même justifier de cette compétence complexe) d'expliciter les implicites de cette attente -légitime mais fondée sur une ignorance généralement massive- par l'explicitation des prescriptions technico-réglementaires telles qu'inscrites dans les textes (réglementation) ou admises (procédures) (48) par les professionnels.
3.3 Intérêt judiciaire de la notion de défectuosité
Il ne fait guère de doute que le traitement judiciaire de la plupart des affaires pendantes actuellement bloquées par une revendication exorbitante sur la causalité "certaine" serait bouleversé si les éléments précédents, qui caractérisent et documentent la vie technico-réglementaire d'un médicament, étaient effectivement passés au crible d'une évaluation expertale impartiale.
3.3.1 Un antidote contre la mystification causale
On l'a dit antérieurement : il suffit de se reporter aux textes fondateurs sur la notion de produit défectueux pour apercevoir que, sans la moindre ambiguïté, c'est la preuve de la défectuosité qui conditionne celle de la causalité, et non l'inverse.
Si la pensée juridique veut donc sortir de l'alternative entre fiction prélogique d'une part (lien direct et certain) et garantie d'impunité d'autre part, il convient d'établir "une jurisprudence de l'incertitude" qui fixerait à partir de quel moment un niveau documenté de défectuosité compense pour l'incertitude résiduelle sur la causalité -tout spécialement lorsque cette défectuosité est directement à l'origine de l'exposition des victimes :
- soit parce qu'elle les a conduits à s'exposer inutilement (publicité abusive, qui renvoie par exemple aux indications inappropriées) ;
- soit parce qu'elle les a privées d'informations essentielles qui, indubitablement, auraient été suffisantes pour qu'elles ne s'exposent pas au traitement : surtout dans un pays où, notoirement, même les vaccinations obligatoires sont boycottées par le public, on imagine mal que des gens se soient exposés à un risque -même "faible" (pour reprendre les réassurances des autorités sanitaires)- de pathologie neurologique grave et irréversible s'ils avaient été clairement informés qu'ils n'avaient aucun bénéfice personnel tangible à tirer d'une vaccination facultative...
3.3.2 Un antidote contre la mystification expertale ou scientifique
Via les "experts" privés qu'ils n'ont aucune peine à rémunérer et la supériorité supposée de savoir qu'ils tiennent de leur position professionnelle, les fabricant tendent assez facilement à enfermer le juge dans des considérations technico-scientifiques qui dépassent évidemment son pouvoir d'appréciation tout en paralysant ses catégories mentales de référence, qui sont celles du droit. Dans cette dynamique classique, la position de l'expert judiciaire -en principe arbitre- n'est pas simple, car il est coincé entre deux positions tout aussi dommageables l'une que l'autre à l'émergence du Juste :
C'est notre opinion que par rapport à ces risques patents de mystification ou d'intimidation des non-techniciens au nom sacré de la Science, l'expert judiciaire ne doit pas tant se comporter en contre-expert des parties qu'en garde du corps du juge : celui qui s'interpose sans ménagement dès qu'on essaie d'entraîner l'instance qui l'a désigné hors des chemins du droit...
Par rapport aux arguments d'autorité, l'expert judiciaire privilégiera donc l'analyse de la crédibilité ou de la logique des éléments communiqués au juge par les parties : il s'étonnera, par exemple, que pour lumineuse qu'elle paraisse, les juristes aient l'exclusive d'une démonstration dont le fabricant n'a jamais osé faire état devant les professionnels de santé... Lorsque la défectuosité d'un produit aura déjà été sanctionnée par un retrait du marché, il demandera pourquoi les dénégations farouches que le fabricant réservent aux magistrats ne l'ont pas naturellement conduit à solliciter des autorités sanitaires la réintroduction sur le marché d'un produit aussi manifestement anodin. Etc
Dans cette stratégie d'expertise qui vise à disqualifier l'argument d'autorité comme par essence inopérant dans les prétoires (car le juge, à la différence du technicien, n'a pas les moyens de désigner l'autorité en matière technico-scientifique), la notion de défectuosité va fournir à la pensée juridique un levier considérable. Il est patent, en effet, et vérifiable à l'envi, que l'état d'anarchie judiciaire qui caractérise actuellement la gestion du litige médico-légal (cf. 1.1) tient précisément à cette difficulté, pour la Justice, de s'ancrer solidement dans une épistémologie appropriée : dans des affaires d'essence technico-réglementaire, le principal risque, pour les magistrats, consiste à se laisser déporter vers la technique au lieu de s'en tenir au réglementaire -pourtant bien davantage compatible avec leurs catégories conceptuelles de base-.
Or, ainsi conçue comme audit systématique du respect, par le fabricant, d'attentes dont la "légitimité" est objectivée par la réglementation ou les procédures internationales en cours, la notion de défectuosité offre au juge et à l'expert une aire de dialogue bien plus interactive que l'analyse des idéalités mathématiques, des modèles animaux problématiques, des investigations cliniques ou épidémiologiques dont l'interprétation échappe déjà au plus grand nombre des médecins, voire des experts judiciaires (49). Certes, il persistera peut-être des aspects strictement techniques qui bénéficieront d'une mise à plat expertale, mais sous réserve que l'expert fasse son travail dans le souci de sa mission judiciaire, cette mise à plat débouchera le plus souvent sur des éléments de fait, non interprétatifs, que le magistrat pourra, dès lors, se réapproprier en parfaite connaissance de cause : même s'il avait ignoré de toute éternité l'exigence réglementaire du PSUR (cf. note 46), le juge n'aura qu'à voir les textes qui la stipulent ainsi que les procédures internationales qui en gouvernent la mise en oeuvre pour être à même de reconnaître, cette fois de son propre chef, si l'essentiel des attentes "légitimes" en pareille espèce ont été, ou non, respectées. Semblablement, si on lui montre les recommandations écrites des experts de l'administration qui estiment à trois le nombre maximal de complications signalées imposant la mise en oeuvre d 'investigations complémentaires, il comprendra tout seul que quelque chose ne va pas si, après la survenue de complications par centaines ou milliers, le fabricant n 'a toujours mis en oeuvre aucune étude complémentaire. Enfin, une fois informé que selon les procédures écrites de l'administration sanitaire, il est peu ou prou interdit d'user, pour la promotion commerciale, de sources non publiées dans des journaux médicaux à tout le moins correct, il n'aura plus besoin de personne pour s'effarer du nombre de documents promotionnels fondés sur des travaux, certes, prestigieux, mais qui n'ont pas respecté cette règle de crédibilité pourtant élémentaire en milieu scientifique.
3.3.3 L'esprit de la loi
Imaginons un très jeune enfant atteint de sclérose en plaques après l'administration de tel produit. L'expert ne manquera pas de remarquer que la survenue d'une telle pathologie normalement exceptionnelle à cet âge est très évocatrice d'une cause toxique. Il pourra, le cas échéant, démontrer que le processus ayant permis l'administration chez l'enfant a cumulé les défectuosités, si aucun développement spécifique n'est venu sous-tendre l'extension d'AMM à la population pédiatrique ; parfois, il pourra remarquer que le fabricant n'a même pas pris la peine de développer une formulation pédiatrique et que les autorités sanitaires n'ont rien trouvé à redire à ce que l'on injecte à des nourrissons des doses pour adultes. Il relèvera éventuellement que, sans autre motif reconnaissable que celui de maximiser les ventes, le nombre de doses administrées a été gonflé par rapport aux pratiques internationales. Enfin, il n'aura aucune peine à documenter que l'information alarmiste ayant conduit les parents à accepter le traitement de leur enfant était grossièrement défectueuse. Ecoutons, maintenant, l'expert achever son rapport.
Au total, il apparaît que le jeune A, âgé de trois ans, a été exposé sans le moindre motif documentable au produit X, dont l'enregistrement en pédiatrie n'a respecté aucune des obligations technico-réglementaires en vigueur. Le consentement des parents à ce traitement n'a pu être libre et informé, puisqu'il est documenté dans l'expertise que l'information qui leur a été apportée était totalement erronée -voire délibérément mensongère. Il est patent, également, que la survenue spontanée d'une telle pathologie neurologique à cet âge est rarissime. Le plus drôle, cependant, c'est que comme le processus ayant conduit à la présente situation a violé toutes les obligations technico-réglementaires et toutes les pratiques "légitimes" en pareille espèce, on ne dispose d'aucune étude -de telle sorte que le lien de causalité ne peut être démontré...
Sur la base de cette illustration qui n'a rien d'onirique, qu'il soit permis au technicien d'interpeller les juristes et de leur demander : "à propos, quel était l'esprit de la loi ?..."
C'est à juste raison que certains juristes ont estimé que la résolution du problème posé par le rapport entre défectuosité et causalité passait par le préalable d'une réflexion proprement politique, dans le sens élevé du terme (50).
Car qu'est-ce qui représente le risque le plus important pour notre société : qu 'un individu malade soit éventuellement indemnisé en dépit d'une modeste incertitude résiduelle sur la causalité ou bien qu'à une époque où, sous couvert de "prévention", l'industrie pharmaceutique a réussi à faire tomber la limite naturelle du marché (à savoir : la maladie), tout un chacun soit exposé à ses produits dans un climat de totale impunité et sans la moindre perspective de sanction même pour les écarts les plus voyants à la prudence hippocratique ? |
4 - Aléa, défectuosité, faute
Il n'est pas sain, on l'a dit, que la justice sacrifie à une victimologie irresponsable en indemnisant l'effet indésirable -alors que, symétriquement au risque d'impunité lié à une conception intégriste de la causalité, la prime à la quérulence est bien l'autre menace la plus sérieuse au traitement judiciaire du dommage médico-légal. A mesure que les magistrats auront appréhendé et appris à maîtriser cette notion extrêmement nouvelle de défectuosité, ils auront moins le scrupule de risquer l'injustice en refusant d'indemniser le simple effet indésirable. C'est ainsi que, dans un arrêt récent (51) déboutant un jeune homme qui se plaignait d'une insuffisance rénale irréversible, la cour d'appel de Paris a suivi le fabricant qui, dédaignant l'argument méprisable de la causalité incertaine (aussi exploitable en l'espèce qu'en n'importe quelle autre), n'a pas cherché à nier la responsabilité de son produit : sur la base d'une lecture attentive de la réglementation en vigueur, il a cependant pu convaincre les magistrats que toutes les attentes "légitimes" en matière de sécurité, de réactivité au risque et d'information avaient bel et bien été respectées.
Ainsi comprise, la défectuosité devrait permettre de combler un vide dans la judiciarisation du dommage iatrogène lié à un médicament, par rapport au continuum qui va de l'aléa à la faute.
4.1 L'aléa
Il s'agit des effets indésirables connus, mais tellement rares et imprévisibles qu'ils ne sont pas de nature à influer réellement sur le consentement du patient, alors que le souci de leur survenue pourrait altérer la qualité de vie de ce dernier : je n'ai jamais connu une femme susceptible de refuser une contraception orale au motif du risque d'adénome hépatique, pourtant l'un des effets les mieux documentés des estroprogestatifs, mais d'une exceptionnelle rareté.
Aléas également, les effets indésirables inconnus mais toujours possibles, en d 'autres termes "le risque de risque" : le patient doit être informé de cette situation dûment justifiable épistémologiquement, de telle sorte que son consentement au traitement s'inscrive dans une véritable "alliance de travail" avec son thérapeute (le concept est emprunté à la psychanalyse) et ait valeur de renonciation à toute contestation ultérieure.
La justice serait d'autant plus mal fondée à exiger une information systématique sur ces risques exceptionnels que, du point de vue technique qui nous intéresse ici, qu'est-ce qui distingue un effet "exceptionnel" d'un autre plus courant ? Simplement : le degré de causalité... Alors que, comme on l'a souvent rappelé, les professionnels se passent systématiquement de" certitude" pour les complications iatrogènes le mieux établies, ils restent dans un niveau d'incertitude sans commune mesure par rapport aux effets exceptionnels, puisque cette exception interdit le plus souvent, par définition, la mise en oeuvre d'études démonstratives adéquates : on se contente donc, en pareille espèce, d'arguments extrêmement flous, comme une coïncidence chronologique ou l'absence d'autre cause évidente (cette difficulté à affirmer le lien causal sur les effets exceptionnels étant même le principal motif -pas toujours infondé- aux réticences des professionnels à mentionner dans les notices des complications sur le déterminisme desquels eux-mêmes sont fort incertains). Il serait donc difficile de comprendre par quel biais la causalité d'une complication exceptionnelle serait suffisante pour caractériser le défaut, alors qu'elle deviendrait insuffisante pour sanctionner ledit défaut -puisque ne répondant pas, et de loin, au critère de "certitude" pour établir le lien entre le défaut et le dommage.
La question de l'indemnisation du risque aléatoire n'est donc pas, à notre avis, de l'ordre du judiciaire, mais du politique. C'est à la société de déterminer si elle considère qu'un risque aussi exceptionnel relève de la solidarité -en se rappelant néanmoins que les surconsommateurs de soin sont, par définition, bien plus exposés que les autres à souffrir de tels aléas : une personne qui refait faire cinq fois son nez a plus de chance de faire une mauvaise cicatrisation que le citoyen qui s 'est résigné à accepter l'organe que lui ont légué ses parents. Il importe donc d'examiner les limites à poser en pareille espèce pour que la solidarité ne soit pas une prime à l'irresponsabilité hypochondriaque.
4.2 Les effets indésirables
Les effets indésirables connus sont, eux, largement susceptibles d'altérer la qualité de vie du patient, de justifier la proposition d'autres options thérapeutiques ou d'influer sur son consentement : qui sont les femmes aujourd'hui qui savent qu'en prenant la pilule, elles augmentent significativement leur risque de thrombose veineuse ou de cancer du sein ?
La judiciarisation, en pareille espèce, devrait viser non pas l'effet indésirable en lui-même, mais le cas échéant le défaut d'information -lequel n'a pas permis au patient d'avoir une bonne appréciation du rapport bénéfice/risque du traitement auquel il s'est exposé. Il est certain que les gens en parfaite santé qui prennent des hypocholestérolémiants en protection très incertaine d'un accident cardio-vasculaire qu'ils ne feront peut-être jamais y regarderaient à deux fois avant d'accepter de tels traitements s'ils avaient une connaissance claire des risques métaboliques, hépatiques, pancréatiques et oculaires encourus -pour ne point parler de l'hypothèque cancéreuse...
4.3 Défectuosité ou faute ?
Ainsi, la défectuosité, ce n'est pas l'effet indésirable. Mais si une attente "légitime" a pu être déçue, c'est que d'une façon ou d'une autre, il s'est passé quelque chose d'illégitime... Et compte tenu du fait que réglementairement, le respect de cette "légitimité" était entre les mains du producteur, l'expérience montre que la rupture du processus -l'irruption de l'illégitime- tient le plus souvent à des fautes caractérisées et qui ont pour nom : incompétence, imprudence, négligence, mauvaise foi, dissimulation ou obstination dans l'erreur. Il n'est pas besoin d'être grand connaisseur en Droit pour apercevoir qu'au décours d'une expertise civile ordonnée à l'occasion d'une procédure entreprise sur le fondement de la responsabilité des produits, la qualification pénale suinte à chaque page (52)...
Sans en arriver là, force est de constater que la marge entre la défectuosité et la faute est bien mince, et l'on peut anticiper qu'une crispation formaliste sur la causalité "directe et certaine" ne conduise rapidement avocats et magistrats à quitter le terrain de la défectuosité pour celui, moins escarpé, de la faute.
Sous réserve, au contraire, qu'il soit admis que la démonstration causale doit être allégée en proportion de la défectuosité, l'esprit du législateur sera respecté et la misère iatrogène justement soulagée sans qu'il soit nécessaire d'en reporter l'indemnisation au motif d'apprécier préalablement si les responsables de cette misère méritent, en plus, d'être punis...
Marc Girard
Expert près la cour d'appel de Versailles (Médicament et recherche biomédicale)
(1) Tempête sur l'industrie pharmaceutique mondiale, Le Monde, 21 décembre 2004.
(2) M. Girard, Santé, thérapeutique et principe de précaution, Experts 2001(52) :19-26.
(3) M. Girard, Causalité "certaine" ou causalité suffisante ?, Lexbase Hebdo n° 170 du 2 juin 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4831AIR).
(4) M. Girard, Les effets indésirables des médicaments, La Recherche 1987 ; 185:234-41.
(5) Le Monde, 16 décembre 2004.
(6) P. Bezard et coll., Excessive pénalisation, Le Monde, 2 octobre 2003.
(7) Note 3 précitée.
(8) C'est-à-dire, selon l'échelle imposée par l'AFSSAPS (qui ne connaît aucun degré de certitude), un degré de causalité simplement médian, le 3ème d'une série de cinq : "paraissant exclue", "douteuse", "plausible", "vraisemblable", "très vraisemblable" (Thérapie 1985 ; 40 : 111-8).
(9) Cass. civ. 1, 5 avril 2005.
(10) F. Silvan. et M. Girard, Un expert judiciaire en terrain miné, Le Moniteur des Pharmacies 2004 (18 décembre) ; n° 2562 : 10.
(11) Illustration éloquente de cette "exception française" susmentionnée, notre pays en est toujours à attendre la concrétisation effective de la proposition du Sénateur F. Autain, visant à créer une commission d'enquête similaire à celles qui ont rendu leurs conclusions depuis déjà des mois chez nos voisins...
(12) Comme on commence à s'en rendre compte avec les traitements hormonaux substitutifs de la ménopause.
(13) Comme parfaitement exprimé par la veuve qui vient d'être indemnisée par un tribunal américain après le décès de son mari au décours d'un traitement par "Vioxx".
(14) M. Girard, L'environnement, facteur tératogène pour l'expertise, Juris-Classeur, Environnement 2004(4) : 9-11.
(15) Il a fallu attendre 2005 pour voir apparaître dans la nomenclature des spécialités, jusqu'alors strictement ignorées, telles que "Sciences du médicament", "épidémiologie" ou "statistiques" : dans l'entre temps, on aura pu entendre à la télévision un expert fréquemment désigné dans des affaires de santé publique revendiquer sans rougir"ne pas connaître les chiffres, mais savoir qu'ils ne sont pas significatifs"...
(16) Et dont l'impact sociétal le mieux documenté a été d'accroître, via le renchérissement des assurances, la dissociation de la médecine en deux vitesses...
(17) Note 3 précitée.
(18) M. Girard, Vaccination contre l'hépatite B, in: A. Rogier, Les événements de l'année 2001 en dommage corporel, Paris, éditions Eska ; 2001 p. 63-70.
(19) BMJ, 16 novembre 2002.
(20) Le Monde, 14 novembre 2002.
(21) Via, notamment, la clause exonératoire du "risque de développement" sur laquelle nous reviendrons.
(22) J.-A. Robert, A. Regniault, Les effets indésirables des médicaments: information et responsabilités, Dalloz 2004, n ° 8, 510-516.
(23) La revue SCRIP (2 juin 2004, p. 10), par exemple, nous apprend que le nouveau PDG du numéro 2 pharmaceutique mondial a été choisi chez Vodafone, une entreprise de télécommunications...
(24) Et, on l'a dit plus haut, les Parlementaires s'avisent désormais de les discuter.
(25) Note 22 précitée.
(26) R. Moynihan, I. Heath, D. Henry, Selling sickness: the pharmaceutical industry and disease mongering, BMJ 2002 Apr 13 ; 324 (7342) : 886-91.
(27) L'habile stratégie d'un labo, Sciences et Avenir 1997 (janvier) : 27.
(28) Il faut dire que, toujours selon les aveux crus de la même interview (cf. note 27), les fabricants -qui se sont heurtés à un mur d'incompréhension en Angleterre et en Allemagne- ont eu, en France, "la chance de tomber sur Philippe Douste-Blazy"...
(29) S. Garattini, V. Bertele, Efficacy, safety, and cost of new anticancer drugs, BMJ 2002 Aug 3 ; 325 (7358) : 269-71.
(30) S.G. Morgan, K.L. Bassett, J.M. Wright, R.G. Evans, M.L. Barer, P.A. Caetano, C.D. Black "Breakthrough" drugs and growth in expenditure on prescription drugs in Canada, BMJ 2005 Sep 2.
(31) Note 10 précitée.
(32) Il suffit de feuilleter le Vidal pour voir le nombre incroyable de médicaments réputés "hépatotoxiques " grâce à cette conception maximaliste de la "précaution". Conséquence évidente : ceux des médicaments qui sont effectivement hépatotoxiques n'y sont plus du tout repérables .
(33) Cf. par exemple la notice d'Engerix B dans le Physician Desk Reference, le Vidal américain.
(34) Note 2 précitée.
(35) Imaginer que la modernité thérapeutique a relégué Hippocrate dans les poubelles de l'histoire est une grave erreur d'analyse. S'il fallait être forcené ou ignare pour "nuire" à une époque où n'existait quasiment aucun produit efficace, il n'en va plus de même aujourd'hui où le bénéfice objectivement attendu peut conduire à une prise de risque calculée -ou, du moins, assumée- : réactualisé en "d'abord ne pas trop nuire", le vieux principe d'Hippocrate tire sa pertinence de l'accent justement placé sur le rapport bénéfice/risque.
(36) M. Girard, Expertise médicale: questions et... réponses sur l'imputabilité médicamenteuse, Recueil Dalloz 2001(16) :1251-2.
(37) Note 3 précitée.
(38) M. Girard, Le "droit à un procès équitable" est menacé, Le Moniteur des Pharmacies 2003 ; n° 2495 : 5.
(39) B. Begaud, Y. Moride, P. Tubert-Bitter, A. Chaslerie, F. Haramburu, False-positives in spontaneous reporting: should we worry about them?, Br J Clin Pharmacol 1994 Nov ; 38 (5) : 401-4.
(40) M. Girard, Vaccination contre l'hépatite B, in A. Rogier, Les événements de l'année 2001 en dommage corporel, Paris, éditions Eska ; 2001. pp. 63-70.
(41) M. Girard, Autoimmune hazards of hepatitis B vaccine, Autoimmun Rev 2005 Feb ; 4(2) : 96-100.
(42) Dans l'arrêt susmentionné du 5 avril 2005, les avocats de l'industrie qui ont cru bon dénoncer le revirement d'une jurisprudence de la causalité "certaine" qui n'avait jamais existé ailleurs que dans leurs désirs eussent été mieux inspirés de poser le problème technique et juridique de fond : suffit-il qu'un médicament provoque des effets indésirables pour qu'il soit défectueux ? La réponse est évidemment non.
(43) H.-R. Hauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978.
(44) La présentation du dossier d'enregistrement a été légèrement modifiée depuis peu. Mais pour les affaires pendantes, qui visent des médicaments enregistrés depuis déjà un certain temps, c'est la présentation ici rappelée qui est concernée.
(45) Selon les textes en vigueur, cette surveillance après commercialisation inclut traditionnellement le suivi des effets indésirables, mais impose également une ré-évaluation continue du rapport bénéfice/risque de la spécialité surveillée.
(46) Periodic Safety Update Report
(47) Les documents promotionnels eux-mêmes sont distincts des pièces citées à l'alinéa précédent, garantissant que ces divers documents ont fait l'objet des autorisations nécessaires.
(48) Le déroulement des essais cliniques, par exemple, est encadré de façon fort contraignante par de volumineuses procédures mises au point sous l'égide de l'International Conference for Harmonisation qui a réuni les responsables sanitaires de la CEE, des USA et du Japon.
(49) Voir note 15.
(50) N. Jonquet. Vaccins contre l'hépatite B : "Nova et Vetera", les nouveaux fondements d'une indemnisation par les laboratoires, Droit et Santé 2004 ; n° 2 : 18-24.
(51) CA Paris, 1ère ch., 23 septembre 2004.
(52) D'où sans doute l'étonnante agressivité qui peut accompagner l'expert lorsqu'il accomplit son travail avec compétence et rigueur.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:78714
Réf. : Décret du 13 septembre 2005, n° 2005-1170, modifiant le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l'application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 (N° Lexbase : L1665HCN)
Lecture: 5 min
N8597AIA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
Introduit par la loi dite "Bachelot" du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages (loi n° 2003-699 N° Lexbase : L6837BUR), l'article L. 512-17 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1740DKN) prévoit les modalités de remise en état des sites à la cessation d'activité d'une installation classée pour la protection de l'environnement. Ainsi, le décret du 13 septembre 2005 (JO du 16 septembre 2005) vient modifier le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 (N° Lexbase : L1886HCT) avec, notamment, de nouveaux articles 34-1 à 34-6.
Concernant la remise en état d'un site pour les installations classées dont la cessation d'activité intervient à compter du 1er octobre 2005, le décret dispose, dans ses grandes lignes, que, dans l'hypothèse où le niveau de remise en état ne serait pas déjà fixé dans l'arrêté d'autorisation, l'usage futur de remise en état du site sera déterminé conjointement entre l'exploitant, le maire et le propriétaire du terrain sur lequel repose l'installation, s'il n'est pas lui-même l'exploitant. A défaut d'accord express entre ces acteurs, le site devra être laissé par l'exploitant dans un état tel qu'il permette un usage futur comparable à la dernière période d'activité de l'installation. Toutefois, s'il s'avère que ce futur usage présente une "incompatibilité manifeste" avec l'usage futur de la zone, le préfet se prononce sur cette éventuelle incompatibilité et fixe le ou les types d'usages qui devront être étudiés par l'exploitant. A noter, également, que le décret précise que toute modification ultérieure de l'usage du site ne pourra pas entraîner de nouvelles obligations à la charge de l'exploitant, sauf si ce dernier est à l'initiative de ce changement d'usage. Un arrêté ministériel doit apporter des précisions pour les installations soumises à déclaration.
Pour les installations ayant cessé leur activité avant le 1er octobre 2005, le décret prévoit que le préfet peut fixer à tout moment des prescriptions prenant en compte "un usage du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation".
Il convient enfin de signaler que -contrairement à ce qui figurait dans les projets antérieurs- la notion de responsabilité du "détenteur de l'installation à défaut d'exploitant présent et solvable" n'est pas reprise. Il peut être rappelé, à ce titre, que la responsabilité du "détenteur à défaut d'exploitant présent et solvable" est mentionnée dans les circulaires ministère de l'Ecologie et du Développement Durable (circulaires des 20 juillet 1999 et 2 juillet 1999 basées essentiellement sur la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Lyon dite "Zoegger" du 10 juin 1997 : CAA Lyon, 1ère ch., 10 juin 1997, n° 95LY01435, Zoegger N° Lexbase : A0215BG3), mais n'est pas visée à l'article L. 512-17 du Code de l'environnement et vient, d'ailleurs, en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE Contentieux, 21 février 1997, n° 160250, SCI "Les Peupliers" N° Lexbase : A8443AD3 et CE Contentieux, 21 février 1997, n° 160787, Ministère de l'Environnement c/ SA Wattelez N° Lexbase : A8451ADD ; CE Contentieux, 8 juillet 2005, n° 247976, Société Alusuisse-Lonza-France cité en référence) qui retient la seule responsabilité de l'exploitant. Le décret semble, ainsi, clore ce débat et mettre fin aux incertitudes et incohérences jurisprudentielles : les circulaires précitées devraient donc vraisemblablement être modifiées.
Dans un arrêt en date du 8 juillet 2005, le Conseil d'Etat a fait application de la prescription trentenaire de l'article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) aux cas de pollutions industriels. Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat a, ainsi, jugé que "les principes dont s'inspire l'article 2262 du Code civil font obstacle à ce que le préfet impose à l'exploitant [...] la charge financière des mesures à prendre au titre de la remise en état d'un site lorsque plus de trente ans se sont écoulés depuis la date à laquelle la cessation d'activité a été portée à la connaissance de l'administration, sauf dans le cas où les dangers ou inconvénients présentés par le site auraient été dissimulés".
Cet arrêt apporte une réponse claire à l'application de la prescription trentenaire, mais soulève la question des pollutions qui, sans avoir été dissimulées, n'auraient pas été cherchées...
Dans un arrêt en date du 7 septembre 2004 dit "Van de Walle", la Cour de justice des Communautés Européennes (CJCE) a jugé que "des hydrocarbures déversés de façon non intentionnelle et à l'origine d'une pollution des terres et des eaux souterraines sont des déchets" au sens de la directive européenne du 15 juillet 1975 relative aux déchets (Directive (CE) 75/442 N° Lexbase : L9219AUY), "quand bien même ces terres ne seraient pas excavées". A la suite de cet arrêt, le ministère de l'Ecologie et du Développement Durable s'est inquiété de la compatibilité de cet arrêt avec le droit français et la politique nationale des sites et sols pollués. Une circulaire du 1er mars 2005 précise donc que, en l'état, "l'analyse de la Cour ne conduit donc aucunement à considérer, comme on peut parfois l'entendre ou le lire, que tout site pollué doit être qualifié de décharge, voire faire l'objet d'une excavation des terres pour élimination. Du reste, si sur un site pollué le maintien sur place des terres est, en terme de risques, possible compte tenu de l'usage du site, la réglementation relative aux déchets, si elle s'appliquait directement, n'imposerait en aucun cas de les évacuer [...]. La demande d'excavation systématique de tout sol pollué par des hydrocarbures n'a jamais été et n'est toujours pas d'actualité. Le principe d'une gestion des sites en fonction des risques avérés ou potentiels et en tenant compte de leur usage reste bien entendu de mise".
Nonobstant ces principes de maintien de la ligne actuelle, il est évident que l'arrêt Van de Walle pose une réelle question de compatibilité avec la politique nationale de gestion des sites pollués telle que définie actuellement. Des adaptations de la réglementation nationale et des propositions d'actions au niveau européen sont en cours d'étude au ministère...
Décret et suite des arrêts du Conseil d'Etat et de la CJCE : autant de sujets délicats à suivre attentivement...
Savin Martinet Associés - www.smaparis.com
Cabinet d'avocats-conseils
Contacts : Patricia Savin (savin@smaparis.com) - Yvon Martinet (martinet@smaparis.com)
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:78597
Réf. : CJCE, 14 juillet 2005, aff. C-435/03, British American Tobacco International Ltd c/ Belgische Staat (N° Lexbase : A1686DKN)
Lecture: 12 min
N8511AI3
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA
Le 07 Octobre 2010
Le tribunal de première instance d'Anvers a donné raison à l'administration belge. Il a précisé que les dispositions liant l'exigibilité de la TVA au paiement des droits d'accises visaient à simplifier la perception de la taxe, conformément à l'article 27 de la sixième directive-TVA. La cour d'appel saisie par Newman et BATI hésitait à propos de l'exigibilité de la TVA en cas de vol et de son lien avec la simple perception des droits d'accises. Deux articles de la sixième directive-TVA l'amenaient particulièrement à s'interroger. L'article 2 soumet à la TVA "les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel". Le vol est-il une livraison taxable ? L'article 27 de la sixième directive-TVA autorise, sous conditions, des mesures de simplification. Lier l'exigibilité de la TVA au paiement de droits d'accises constitue-t'il une telle mesure ?
A ces deux questions, la CJCE répond que :
"1) Le vol de marchandises ne constitue pas une "livraison de biens à titre onéreux" au sens de l'article 2 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, et ne peut donc, en tant que tel, être soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. La circonstance que des marchandises, comme celles en cause au principal, sont soumises à un droit d'accises n'a pas d'incidence sur cette analyse.
2) L'autorisation de mettre en oeuvre des mesures facilitant le contrôle de la perception de la taxe sur la valeur ajoutée, accordée à un Etat membre sur le fondement de l'article 27, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388, n'habilite pas cet Etat à soumettre à cette taxe d'autres opérations que celles énoncées à l'article 2 de cette directive. Une telle autorisation ne peut donc donner de base légale à une réglementation nationale soumettant à la taxe sur la valeur ajoutée le vol de marchandises dans un entrepôt fiscal".
La CJE refuse, d'une part, d'assimiler le vol à une livraison de biens effectuée à titre onéreux (1) et, d'autre part, de considérer l'assimilation du vol à une livraison comme une mesure de simplification (2).
1. Le refus d'assimiler le vol à une livraison de biens effectuée à titre onéreux
L'article 2 de la sixième directive-TVA dispose : "Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée : 1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel ; 2. les importations de bien". Aux termes de l'article 5 § 1, de la même directive, "Est considéré comme 'livraison d'un bien' le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire". L'article 10 § 2 de la sixième directive-TVA se réfère à la livraison ainsi définie pour fixer la date du fait générateur et d'exigibilité de la TVA. Enfin, l'assiette de la TVA exigible sur les livraisons de biens comprend "...tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers..." (sixième directive-TVA, art. 11).
L'ensemble de ces textes sous-tend un rapport juridique organisant un échange économique volontaire. En ce sens va la CJCE lorsqu'elle considère qu'un musicien de rue n'effectue pas des prestations dans le champ d'application de la TVA aux motifs qu'"une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux [...] que s'il existe un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire" (CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93, R. J. Tolsma c/ Inspecteur der Omzetbelasting Leeuwarden N° Lexbase : A7246AHT ; lire les conclusions de Carl Otto Lenz, DF, 1995, n° 11, comm. 525 ; Maurice Cozian, Petites Affiches, 5 octobre 1994, n° 119). Dès le 1er avril 1982, elle avait déjà affirmé que "lorsque l'activité d'un prestataire consiste à fournir exclusivement des prestations sans contrepartie directe, il n'existe pas de base d'imposition, et lesdites prestations gratuites ne sont donc pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée" (CJCE, 1er avril 1982, aff. C-89/81, Staatssecretaris van Financiën c/ Hong-Kong Trade Development Council, quest. préj. N° Lexbase : A6251AU3).
A l'évidence, le vol se réalise contre la volonté du propriétaire et ne comporte aucune contrepartie caractérisant un échange économique. Rien ne permet sérieusement d'affirmer que le vol constitue une livraison définie par la Cour de Luxembourg comme "toute opération de transfert d'un bien corporel par une partie qui habilite l'autre partie à en disposer en fait comme si elle était le propriétaire de ce bien" (CJCE, 8 février 1990, aff. C-320/88, Staatssecretaris van Financiën c/ Shipping and Forwarding Enterprise Safe BV, § 7 N° Lexbase : A7357AHX ; CJCE, 4 octobre 995, aff. C-291/92, Finanzamt Uelzen c/ Dieter Armbrecht N° Lexbase : A7278AHZ). Certes, l'absence de rapport juridique à titre onéreux organisant un transfert de pouvoir de disposer comme un propriétaire n'exclut pas absolument l'application de la TVA. Ainsi, l'utilisation des moyens de l'entreprise pour satisfaire les besoins de l'exploitation ou ceux de tiers peut relever de la TVA. Néanmoins, le système des livraisons et prestations à soi-même résulte de la sixième directive-TVA et non du seul droit interne . Il en va de même du fait générateur de la TVA que constitue le passage en douane des marchandises importées. Le régime des importations découle des articles 7 et 10 § 3 de la sixième directive-TVA transposés sous les articles 258-I et 291 à 293 A bis du CGI.
Il pourrait être objecté que l'inapplication de la TVA au vol comporte un risque de consommation en franchise de TVA, par le voleur ou receleur. Une telle situation serait contraire à la notion même de taxe sur la valeur ajoutée, laquelle frappe toute consommation. La jurisprudence communautaire ne rassure que les opérateurs et consommateurs honnêtes. La Cour de Luxembourg exclut du champ d'application de la TVA les choses dont la commercialisation est absolument interdite sur tout le territoire de la communauté : fausse monnaie (CJCE, 6 décembre 1990, aff. C-343/89, Max Witzemann c/ Hauptzollamt München-Mitte N° Lexbase : A2010AIB ; lire les conclusions de F. G. Jacobs, Rec. CJCE, p. 4484) ou stupéfiants (CJCE, 28 février 1984, aff. C-294/82, Senta Einberger c/ Hauptzollamt Freiburg N° Lexbase : A2008AI9 ; lire les conclusions de G. Fédérico Mancini, Rec. CJCE, p. 1190 ; CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-269/86, W. J. R. Mol c/ Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen N° Lexbase : A2004AI3 et CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-289/86, Vereniging Happy Family Rustenburgerstraat c/ Inspecteur der Omzetbelasting N° Lexbase : A2006AI7 ; lire les conclusions de G. Fédérico Mancini, Rec. CJCE, p. 3639 et 3668). La sixième directive-TVA viserait "la réalisation d'un marché commun comportant une saine concurrence" (CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-269/86, W. J. R. Mol c/ Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen, § 14 précité ; CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-289/86, Vereniging Happy Family Rustenburgerstraat c/ Inspecteur der Omzetbelasting, § 16, précité). En cas d'interdiction absolue, il n'y a pas de marché concevable et partant de concurrence envisageable. En revanche, la réglementation d'un marché ne suffit pas à exclure de la TVA la commercialisation ne respectant pas l'ordre public économique interne. La CJCE considère que la notion d'assujetti "couvre généralement des opérations économiques sans distinguer des opérations licites et illicites" (CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-269/86, W. J. R. Mol c/ Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen, § 19 précité). La location d'une table affectée au commerce de la drogue relève de la TVA car la location est une activité concurrentielle (CJCE, 29 juin 1999, aff. C-158/98, Staatssecretaris van Financiën c/ Coffeeshop "Siberië" vof. N° Lexbase : A2002AIY ; lire Yolande Sérandour, Les activités illicites et la TVA, après l'arrêt Coffeeshop, JCP, éd. E., 2000, p. 72).
Mieux, les activités concurrentielles exercées illicitement bénéficient des mêmes exonérations que les opérateurs respectueux du droit interne (armes : CJCE, 2 août 1993, aff. C-111/92, Wilfried Lange c/ Finanzamt Fürstenfeldbruck N° Lexbase : A9746AUI ; lire les conclusions de F. G. Jacobs, Rec. CJCE, p. 4689). Les jeux illicites sont exonérés, comme les jeux licites (CJCE, 11 juin 1998, aff. C-283/95, Karlheinz Fischer c/ Finanzamt Donaueschingen N° Lexbase : A2005AI4 ; lire les conclusions de F.G. Jacobs, Rec. CJCE, p. 3371 ; CJCE, 17 février 2005, aff. C-453/02 et C-462/02, Finanzamt Gladbeck N° Lexbase : A7506DG4 ; lire T. Georgopoulos, DF 2005, n° 12, comm. 315 ; RJF 5/05, n° 440 ; Yolande Sérandour, Illicéité et TVA : ne pas confondre fiscalité et prophylaxie, Lexbase Hebdo n° 157, du 3 mars 2005 - édition fiscale N° Lexbase : A7506DG4). La sixième directive-TVA s'applique en considération de la nature des activités et non de l'identité de l'opérateur, de ses qualités ou de la structure juridique d'exercice de son activité indépendante (CJCE, 7 septembre 1999, aff. C-216/97, Jennifer Gregg et Mervyn Gregg c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A0499AWE ; CJCE, 17 février 2005, aff. C-453/02 et C-462/02, Finanzamt Gladbeck, § 25 à 28, précité). Aussi doit-on en déduire qu'il importe peu que la livraison porte sur des marchandises volées.
Cette absence de distinction entre le commerce licite ou le commerce illicite de biens en concurrence s'explique par le principe de neutralité de la TVA. La CJCE rappelle régulièrement que "ce principe s'oppose notamment à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA" (CJCE, 29 juin 1999, aff. C-158/98, Staatssecretaris van Financiën c/ Coffeeshop "Siberië" vof., § 14, précité ; CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-269/86, W. J. R. Mol c/ Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen, § 18 précité ; CJCE, 5 juillet 1988, aff. C-289/86, Vereniging Happy Family Rustenburgerstraat c/ Inspecteur der Omzetbelasting, § 20, précité ; CJCE, 2 août 1993, aff. C-111/92, Wilfried Lange c/ Finanzamt Fürstenfeldbruck, § 16, précité ; CJCE, 11 octobre 2001, aff. C-267/99, Christiane Adam, épouse Urbing c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, § 36 N° Lexbase : A4475AWN, lire les observations de M. Piétri, Europe 2001, n° 379 ; CJCE, 23 octobre 2003, aff. C-109/02, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne, § 20 N° Lexbase : A9731C9B ; CJCE, 17 février 2005, aff. C-453/02 et C-462/02, Finanzamt Gladbeck, § 24, précité). Ce principe peut conduire à des consommations en franchise de TVA, notamment en cas de vol. Il semble en effet peu probable que l'administration fiscale puisse réellement recouvrer la TVA auprès de tout voleur ou receleur devenu revendeur.
Si le principe de neutralité interdit de taxer le voleur ou le receleur de marchandises dont la livraison est exonérée, il doit aussi pouvoir profiter à la victime, nonobstant l'exigibilité de droits d'accises. La sixième directive-TVA n'opère aucune distinction entre la livraison de produits soumis à accises et celle de produits non soumis à accises. Le droit interne ne pouvant que transposer ladite directive, il doit s'en tenir aux faits générateurs de TVA qu'elle prévoit. Il est, par ailleurs, impossible d'assimiler le vol à une mesure de simplification autorisée.
2. Le refus de considérer l'assimilation du vol à une livraison comme une mesure de simplification
L'article 27 de la sixième directive-TVA autorise un Etat membre à introduire des mesures particulières dérogatoires afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Respectant la procédure prévue par le paragraphe 5 de cet article 27, le Royaume de Belgique a notifié la mesure interne suivante :"En vue de faciliter le contrôle de la perception de la TVA, la TVA qui est due à l'occasion de la livraison de produits de tabacs manufacturés est acquittée [...] en même temps que l'accise, au moment de l'achat des bandelettes fiscales par le fabriquant ou l'importateur". A la lettre, cette notification n'assimile nullement le vol à la livraison. Elle se réfère expressément à la TVA applicable aux livraisons pour en anticiper le paiement à la date de règlement des droits d'assises. L'administration fiscale belge paraît l'avoir dénaturée en en tirant l'autorisation d'exiger la TVA en cas de vol, par définition sans livraison intervenue en exécution d'un contrat à titre onéreux.
Cette dénaturation heurte la jurisprudence communautaire. En effet, selon l'arrêt "Direct Cosmetics", rendu le 13 février 1985, les dérogations à la sixième directive-TVA "ne sont conformes au droit communautaire qu'à la condition, d'une part, qu'elles se maintiennent à l'intérieur du cadre des objectifs visés par l'article 27§ 1, et, d'autre part, qu'elles aient fait l'objet d'une notification à la Commission" (CJCE, 13 13 février 1985, aff. C-5/84, Direct Cosmetics Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise, § 24 N° Lexbase : A4579AWI ; CJCE, 6 juillet 1995, aff. C-62/93, BP Soupergaz Anonimos Etairia Geniki Emporiki-Viomichaniki kai Antiprossopeion c/ Etat hellénique, § 22-23 N° Lexbase : A1750AWQ). En l'espèce, la Belgique n'a notifié qu'une mesure d'anticipation de l'exigibilité de la TVA sur les tabacs manufacturés et non l'assimilation du vol à une livraison. De plus, l'autorisation accordée en application de l'article 27 § 5 de la sixième directive-TVA ne peut s'étendre au-delà de la finalité au titre de laquelle elle a été demandée (§ 44 ; CJCE, 29 mai 997, aff. C-63/96, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ Werner Skripalle, § 30 N° Lexbase : A0356AW4).
Il faut néanmoins envisager l'existence d'une éventuelle mesure dérogatoire interne ayant pour effet de permettre qu'un vol soit considéré comme une livraison de biens à titre onéreux. Une telle mesure peut-elle élargir les catégories de faits générateurs de TVA prévues par la sixième directive-TVA ? La CJCE considère que la possibilité de prendre des mesures dérogatoires organisée par l'article 27 de la sixième directive-TVA doit faire l'objet d'une interprétation stricte (CJCE, 10 avril 1984, aff. C-324/82, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique, § 29 N° Lexbase : A8682AU4 ; CJCE, 29 mai 1997, aff. C-63/96, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ Werner Skripalle, § 24, précité). Ne sont autorisées que les mesures "nécessaires et appropriées à la réalisation de l'objectif spécifique qu'elles poursuivent et si elles affectent le moins possible les objectifs et les principes de la sixième directive" (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-17/01, Finanzamt Sulinge c/ Walter Sudholz, § 46 N° Lexbase : A9948DB3 ; CJCE, 19 septembre 2000, aff. C-177/99 et C-181/99, Ampafrance SA c/ Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo c/ Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne, § 43 N° Lexbase : A7225AH3 ; lire les observations de F. Deboissy, RTD com. 2001, p.280 ; instruction du 13 novembre 2000, BOI n° 3 D-2-00 N° Lexbase : X0350AA9) ; Adde J. Turot, Attention, ne jamais recongeler un produit décongelé, DF 2000, n° 43, p. 1404).
En l'espèce, assimiler à une livraison taxable, à titre dérogatoire, le vol établi aurait pour effet de créer un nouveau fait générateur de la TVA. Or, toute mesure dérogatoire doit être justifiée par un souci de simplification, par la fraude ou par l'abus. Le vol prouvé exclut tout risque de fraude ou d'abus. Taxer le vol complique l'application de la TVA, d'une part, par la création d'un cas de taxation non prévu par la sixième directive-TVA et, d'autre part, par l'inévitable question de savoir s'il faut distinguer entre le vol déclaré et le vol démontré. Une telle assimilation remet manifestement en cause la définition des opérations imposables posée par l'article 2 de la sixième directive-TVA (§ 46). La CJCE ne pouvait que rejeter une telle atteinte au droit communautaire (§ 48). Elle avait déjà refusé d'entériner des mesures dérogatoires trop générales (Commission/Belgique, préc. § 31 ; CJCE, 9 juillet 1992, aff. C-131/91, "K" Line Air Service Europe BV c/ Eulaerts NV et Etat belge, § 24-25 N° Lexbase : A9706AUZ ; CJCE, 29 mai 997, aff. C-63/96, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ Werner Skripalle, § 26 et 31, précité).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:78511
Réf. : Circulaire du 30 juin 2005, relative à la simplification du bulletin de paie (N° Lexbase : L9377HBW)
Lecture: 7 min
N8566AI4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
1.1. L'article L. 143-3 du Code du travail prévoit que, lors du paiement de la rémunération, l'employeur a l'obligation de remettre un bulletin de paie
L'article R. 143-2 du même Code (N° Lexbase : L1837G9W) précise les mentions obligatoires que ce bulletin doit contenir. La récente réforme ne bouleverse pas l'ensemble de cet article dans la mesure où, par exemple :
- les points 1° à 4° de l'article R. 143-2 afférents aux mentions relatives à l'identification de l'entreprise, du salarié, de la convention collective applicable et de la position du salarié dans la classification conventionnelle ne sont pas modifiés ;
- les points 5° à 7° mentionnant les composantes de la rémunération brute du salarié ne sont pas, non plus, changés.
L'évolution concerne, en réalité, les seules mentions relatives aux prélèvements sociaux et fiscaux opérés sur la rémunération. En effet, il semble que nombre de chefs d'entreprise, tout particulièrement dans les PME, se plaignent, de longue date, de la complexité des bulletins de paie qu'ils doivent établir et, en conséquence, de la perte d'un temps précieux mais également de la création de risques.
Si la réforme opérée conduit indéniablement à une simplification de lecture des bulletins de paie du fait du regroupement de certaines lignes, on peut s'interroger sur la réalité de l'allègement des contraintes pour les employeurs mais également sur la portée de cette réforme s'agissant de l'information donnée aux salariés.
En tout état de cause, ces préconisations sont facultatives, les employeurs désireux de conserver leur ancien système de paie en ayant la possibilité.
En réalité, la mesure de simplification représentera essentiellement une économie financière pour les entreprises externalisant la gestion de leur paie, puisque les prestations informatiques pour l'établissement de fiches de paie sont souvent facturées à la ligne. Cependant, même à ce niveau, les entreprises concernées ne devraient pas se priver de refacturer les dépenses qu'elles auront engagées pour la création de nouveaux logiciels.
1.2. La circulaire rappelle, par ailleurs (1), que des mesures générales de simplification ont été instaurées en 2004 pour les petites entreprises et associations qui emploient un nombre réduit de salariés.
Ces dispositifs proposent une aide globale recouvrant le service d'assistance à la paie.
2. La simplification du bulletin de paie : une ligne par organisme collecteur et par assiette
La réforme consiste à offrir la possibilité aux employeurs de regrouper, sur les bulletins de salaire, les diverses cotisations et contributions salariales et patronales, par assiette et par organisme collecteur.
2.1. Les cotisations et contributions salariales
La circulaire du 30 juin précise les modalités à retenir s'agissant de certaines cotisations et contributions.
Les employeurs ne pourront pas fusionner en une seule ligne les prélèvements opérés au titre des cotisations de sécurité sociale car, s'il existe un seul organisme collecteur (l'Urssaf), on rencontre, en revanche, deux assiettes. En effet, la couverture du risque vieillesse donne lieu à la perception d'une cotisation plafonnée et d'une autre déplafonnée.
En conséquence, la fusion des lignes relatives aux cotisations de sécurité sociale devra se faire de la façon suivante :
- une ligne correspondant aux cotisations plafonnées ;
- une autre correspondant aux cotisations déplafonnées. Bien évidemment, cette ligne n'aura pas besoin d'apparaître sur les bulletins de paie lorsque le salaire est inférieur au plafond.
Depuis le 1er janvier 1997, ces deux contributions ont la même assiette (2) lorsqu'elles portent sur des revenus d'activité. En conséquence, les lignes relatives à ces contributions peuvent être regroupées et leurs taux additionnés.
Toutefois, cette idée comporte une limite dans la mesure où seulement une partie de la CSG est déductible du revenu imposable (à hauteur de 5,10 %).
En conséquence, la circulaire privilégie une solution faisant apparaître deux lignes :
- l'une regroupant la CSG non déductible et la CRDS ;
- l'autre relative à la CSG déductible.
Par ailleurs, pour tous les revenus perçus depuis le 1er janvier 2005 (3), le taux de la réduction forfaitaire permettant de déterminer l'assiette de la CSG-CRDS est passé de 5 à 3 %. A ce sujet, la circulaire propose une simplification de la méthode de calcul des contributions en reportant, sur le taux, le pourcentage de l'abattement.
Ainsi, ce serait un taux de 2,813 pour la CRDS et la CSG non déductible et un taux de 4,947 pour la CSG déductible qui s'appliqueraient.
La circulaire précise toutefois que cette simplification n'est pas envisageable dans toutes les hypothèses, dans la mesure où l'abattement de 3 % ne s'applique ni aux assiettes forfaitaires ni aux indemnités journalières de base versées aux salariés en congés de maladie par les employeurs qui, en cas de subrogation, les font figurer sur les bulletins de paie.
Peut-on, en conséquence, estimer qu'il s'agit d'une véritable simplification ?
- S'agissant de la CSG-CRDS portant sur le financement patronal de prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire, les employeurs sont autorisés à précompter ces contributions en une seule fois, au plus tard sur le dernier bulletin de paie de l'année, lorsque ce montant n'excède pas 1 % du plafond annuel de la Sécurité sociale par entreprise ou par établissement (soit, en 2005, 301,92 euros) (4).
Les employeurs pourront fusionner, en une seule ligne intitulée "assurance chômage (dont AGS)", les cotisations versées à l'assurance chômage mais également à l'AGS dans la mesure où les Assedics sont compétentes pour recouvrer ces deux cotisations.
Par ailleurs, les cotisations relatives aux régimes de retraite complémentaire pourront également être regroupées de la façon suivante :
- une ligne afférente aux contributions collectées par l'Arrco, à savoir les contributions dues au titre de l'Arrco et celles affectées à l'AGFF (ligne intitulée Arrco dont AGFF) ;
- une ligne afférente aux contributions collectées par l'Agirc, à savoir les contributions dues au titre de l'Agirc et celles affectées à l'AGFF et à l'Apec (ligne intitulée Agirc dont AGFF et Apec) ;
- une ligne afférente à la CET dans la mesure où, même si elle est collectée par l'Agirc, son assiette est différente des autres contributions collectées par cette association (du 1er euro à 8 du plafond annuel de la Sécurité sociale).
Les employeurs ont la possibilité de mettre en place des régimes de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire. Lorsque les salariés participent au financement de tels régimes, le précompte opéré sur leur rémunération doit clairement apparaître sur leurs bulletins de paie.
La circulaire précise, en outre, de façon générale, qu'une information claire doit également être portée sur le bulletin de paie pour toutes les retenues opérées sur les salaires et ce, quel qu'en soit le motif.
2.2. Les cotisations et contributions patronales
Depuis une loi du 2 juillet 1998 (loi n° 98-546 du 2 juillet 1998, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier N° Lexbase : L1474AIG), il n'est plus obligatoire de faire figurer les cotisations et contributions patronales sur chaque bulletin de paie. Ainsi, leur absence est compensée par la remise d'un "récapitulatif annuel" en fin d'année ou lors du départ du salarié en cours d'année. Ce récapitulatif doit bien évidemment mentionner la nature, le taux et le montant de chaque cotisation et contribution.
Bien évidemment, les employeurs qui décident de faire figurer leurs cotisations et contributions sur les bulletins de paie mensuels des salariés pourront les regrouper selon le même principe que celui applicable aux cotisations et contributions salariales.
La circulaire précise qu'en raison des caractéristiques de la contribution solidarité autonomie créée par l'article 11 de la loi du 30 juin 2004 (loi n° 2004-626 du 30 juin 2004, relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées N° Lexbase : L5185DZ3), elle peut être fusionnée sur la ligne relative à la cotisation patronale d'assurance maladie.
Il s'agit principalement de la taxe d'apprentissage, de la participation à l'effort de construction, de la participation à la formation professionnelle continue, des contributions aux fonds national d'aide au logement, du versement transport et de la taxe de 8 %.
Ces contributions sont dues par les seuls employeurs et peuvent être regroupées en une seule ligne intitulée "Autres charges patronales".
3. Les obligations de l'employeur et l'importance de l'information à fournir aux salariés
Dès lors que l'employeur opte pour la rédaction "simplifiée" des bulletins de paie, il sera tenu de donner des informations claires et complètes à ses salariés afin que ceux-ci disposent, en réalité, des mêmes informations que celles qui étaient précédemment contenues sur leurs feuilles de paie.
Ainsi, une information détaillée sur les prélèvements opérés, le contenu exact de chaque ligne fusionnée avec, la destination, le montant et le taux des prélèvements devra :
- figurer, mensuellement, au pied du bulletin de paie ou à tout autre endroit ;
- ou être communiqué aux salariés au moins une fois par an et, le cas échéant, à la fin du contrat de travail lorsque la rupture intervient en cours d'année.
Ainsi, si ces opérations de simplification peuvent être attirantes, il ne faut pas perdre de vue qu'elles contraignent les employeurs à des opérations annuelles pouvant se révéler complexes, et ce d'autant plus que l'on ne peut exclure des modifications d'assiette et de taux des cotisations et contributions en cours d'année...
En outre, cette faculté offerte aux employeurs, à propos de la paie, ne les dispense bien évidemment pas de leurs obligations trimestrielles ou mensuelles pour procéder aux déclarations aux organismes de protection sociale ou pour établir la Ducs (déclaration unique des données sociales).
Ainsi, chaque employeur devra peser les conséquences en termes de gestion et de responsabilité que pourrait avoir une modification des méthodes d'établissement de la paie visant à fusionner des lignes et ne plus faire apparaître les cotisations et contributions patronales...
Pascale Baron
Avocate au sein du cabinet Fromont, Briens et associés
(2) Modification issue de la loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996, de financement de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7090AZM)
(3) Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie (N° Lexbase : L0836GT7)
(4) Cette mesure, en faveur des PME, était déjà mentionnée dans la circulaire DSS/SDFGSS/5B n° 96/785 du 31 décembre 1996 relative aux modifications en matière de cotisations et de contributions sociale généralisée portant sur les revenus d'activité et de remplacement ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1791529, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "Circ. min., n\u00b0 96-785, du 31-12-1996, 2, 2.1", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: L8471AIL"}})
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:78566
Réf. : L. Lerouge, La reconnaissance d'un droit à la protection de la santé mentale au travail, préf. P. Chaumette, LGDJ 2005, coll. Bibliothèque de droit social, t. 40, 428 pages, 38
Lecture: 9 min
N8335AIK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
L'histoire du travail s'est construite sur la protection du salarié dans ses rapports avec l'employeur et cette protection a porté, à l'origine, sur la personne même du travailleur (enfant, femme...). Pendant plus de deux siècles, cette vision est finalement restée inchangée. Tout le mérite de Loïc Lerouge est d'attirer notre attention sur des phénomènes pourtant très médiatisés de harcèlement moral au travail (§ n° 365, 609), de stress (§ n° 546), de souffrance psychique au travail (§ n° 513 et 537), de fragilité psychique, de fatigue mentale, de suicide (...) qui, juridiquement, méritent pleinement de jouir du même corps de règles que la santé physique au travail.
Selon les travaux conduits par la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail de Dublin, environ un tiers des salariés déclarent une détérioration de leur santé mentale. Comme le relève le Conseil économique et social, les enquêtes relatives aux conditions de travail, les analyses de sociologues, de médecins, ainsi que de professionnels et de chercheurs, témoignent de l'impact des facteurs psychosociaux au travail sur la santé et le bien-être des personnes. Elles confirment les effets que les nouvelles formes d'organisations du travail, qui s'inscrivent dans un contexte d'exigence de compétitivité accrue, peuvent avoir sur les conditions de travail. Elles mettent en évidence un accroissement du poids relatif des facteurs mentaux et psychologiques dans les préoccupations de santé au travail (2).
La démonstration de Loïc Lerouge, ainsi présentée, a le mérite de la simplicité : le propos est de synthétiser un corps de règles très récentes, éparpillées entre différentes sources, visant la santé mentale du travailleur. Identifiées et repérées, ces règles sont ensuite analysées dans leur régime afin de mieux saisir la prise en charge par le droit de la santé mentale du salarié.
Ce thème, très innovant en droit du travail est, hasard du calendrier, porté par l'actualité législative et jurisprudentielle : loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (loi n° 2005-102, 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R) ; décrets n° 2005-724 et n° 2005-725 (décret 29 juin 2005, n° 2005-725, relatif à l'allocation aux adultes handicapés modifiant le Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L6302G9B) du 29 juin 2005 relatif à l'allocation aux adultes handicapés ; actualité jurisprudentielle sur le harcèlement moral au travail (Cass. civ. 2, 24 mai 2005, n° 03-30.480, M. Jean Liard c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir, FS-P+B N° Lexbase : A4216DIY, lire nos obs., Harcèlement moral et qualification juridique d'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5322AIX), la prise en charge, au titre de la législation sur les accidents du travail, de l'état dépressif (Cass. civ. 2, 15 juin 2004, n° 02-31.194, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Indre-et-Loire c/ M. Philippe Badin, FS-P+B N° Lexbase : A7392DCR, lire nos obs., Le choc émotionnel créant des troubles psychologiques est bien un accident du travail, Lexbase Hebdo n° 128 du 8 juillet 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2259ABB).
Dans une première partie, sont traitées les questions de notions et qualifications juridiques se rapportant à la santé mentale. Le champ d'analyse couvert par l'auteur reste très large, rendant nécessaire et utile, au préalable, des définitions. Selon l'auteur, "la santé mentale au travail est qualifiée par un état d'équilibre et de bien-être mental caractérisé par l'absence de troubles mentaux et favorisé par l'harmonie du sujet avec les éléments matériels et moraux de son environnement professionnel" (§ n° 421). La maladie mentale "est une affection dont les symptômes résultent d'une atteinte organique du cerveau ou d'un trouble du comportement lié à une anomalie fonctionnelle" (n° 315), alors que "les troubles mentaux se rapportent plus largement aux déséquilibres affectant la santé mentale [...] les troubles mentaux recouvrent les affections d'ordre mental qui se manifestent notamment par une détérioration du comportement et des fonctions psychiques" (§ n° 316).
Les fondements d'un droit à la santé mentale sont multiples et recouvrent de nombreuses dispositions, aussi bien en droit international (convention OIT n° 155 ou n° 161 § n° 161) qu'en droit communautaire (directive CE 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail N° Lexbase : L9900AU9) (§ n° 130). Mais le droit interne reste très en retrait et l'auteur observe seulement une montée en puissance d'un droit subjectif à la santé mentale et psychique du salarié.
Deux dispositions vont en ce sens. Le chef d'établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l'établissement. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. Il veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes (C. trav., art. L. 230-2 N° Lexbase : L5946AC9).
De plus, l'employeur est tenu d'assurer une sorte de sérénité à ses salariés, en s'abstenant de tout comportement conduisant au harcèlement, c'est-à-dire des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (C. trav., art. L. 122-49 N° Lexbase : L0579AZH).
Enfin, l'auteur pose la question du champ d'application de la jurisprudence dite "Amiante", faisant peser sur l'employeur une obligation de sécurité de résultat, qui devrait couvrir le champ de la sécurité physique et corporelle du salarié, mais également sa sécurité mentale (§ n° 301).
Dans une seconde partie, logiquement, est analysée la prise en compte et prise en charge de la santé mentale en droit du travail. La jurisprudence tend de plus en plus à prendre en compte l'état mental et psychique du salarié dans l'analyse des rapports individuels de travail. Les illustrations connues portent essentiellement sur le régime de la démission, puisque la fragilité psychologique du salarié peut rendre équivoque sa décision de rompre unilatéralement le contrat de travail (§ 724, 728).
La loi, ensuite, prend en compte l'atteinte à l'intégrité mentale et psychique du salarié dans deux dispositifs déjà mentionnés : une obligation générale de sécurité et de prévention (C. trav., art. L. 230-2) d'une part, le régime du harcèlement moral au travail, d'autre part (C. trav., art. L. 122-49). La loi de modernisation sociale (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9) a marqué une étape décisive dans la prise du conscience, par le législateur, d'une meilleure protection de la santé mentale des travailleurs (§ n° 767 s.).
La loi du 17 janvier 2002 a apporté une définition du harcèlement moral professionnel (art. 169), l'a pénalisé (art. 170 de la loi), a modifié en conséquence le contenu du règlement intérieur des entreprises (art. 172), a élargi l'obligation de prévention de l'employeur à la santé mentale (art. 173), a étendu le rôle du CHSCT à la santé mentale (art. 174) et a, enfin, accordé aux médecins du travail de nouvelles compétence (art. 175).
Il faut souligner que ces avancées ont exprimé un consensus qui dépassait les clivages politiques et la loi de modernisation sociale n'a pas, ici, connu les outrages du législateur ayant suspendu, mais ultérieurement abrogé, les dispositions relatives au droit du licenciement économique collectif donnant lieu à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 N° Lexbase : L9374A8P amendant et suspendant partiellement la loi de modernisation sociale ; loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49, abrogeant les articles 97 et 98 de la loi de modernisation sociale).
Plus classiquement, la victime d'un trouble mental ou psychique causé par son activité professionnelle peut invoquer le droit commun de la législation sur les accidents du travail, notamment lorsque la dégradation de son état mental résulte d'une faute inexcusable de l'employeur (§ n° 854). En effet, contrairement à ce que l'intitulé de la thèse laisse entendre, la protection de santé mentale du travailleur passe d'abord et avant tout par un corpus de normes et de règles "travaillistes", mais aussi par le droit de la Sécurité sociale, notamment le droit des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ce droit constitue un excellent terrain d'observation de l'analyse que le juge peut faire du stress au travail, de la fragilité psychologique générée par les conditions de travail, qui peuvent déboucher sur des pathologies appelant une prise en charge médicale et, dans les cas les plus extrêmes, au suicide.
La jurisprudence n'est pas, en la matière, très audacieuse ni protectrice des maux dont peuvent souffrir certains salariés. Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour de cassation, confrontée à la question des conditions auxquelles le harcèlement moral, à l'origine d'un état dépressif du salarié, peut conduire à la qualification juridique d'accident du travail, a décidé que la victime d'un harcèlement moral qui ne rapporte pas la preuve de ce qu'un arrêt de travail a été causé par une brutale altération de ses facultés mentales, en relation avec les événements invoqués, ne peut se prévaloir de la législation sur les accidents du travail (Cass. civ. 2, 24 mai 2005, n° 03-30.480, FS-P+B N° Lexbase : A4216DIY, lire nos obs., Harcèlement moral et qualification juridique d'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5322AIX).
La Cour de cassation refuse la qualification juridique d'accident du travail à l'état dépressif du salarié causé par le harcèlement, faute d'être en présence d'une brutale altération des facultés mentales de la victime. La solution est rigoureuse, d'autant plus que la Cour de cassation fait peser sur le salarié la charge de la preuve que l'arrêt de travail prescrit, dû à son état dépressif, a été causé par une brutale altération de ses facultés mentales en relation avec les événements invoqués.
La protection accordée par le législateur aux salariés victimes d'actes de harcèlement (au titre du droit du travail) ne trouve pas son prolongement, pourtant logique et naturel, par la législation sur les accidents du travail (reconnaissance de la qualification d'accident du travail à un état dépressif causé par des actes de harcèlement).
Enfin, le droit interne privé suggère d'autres approches possibles du phénomène de l'atteinte à l'équilibre psychique du travailleur par le comportement de l'employeur que celles visées par le droit du travail ou le droit de la Sécurité sociale. Le droit pénal offre, là aussi, un beau terrain d'observation des pratiques "esclavagistes" des employeurs, qui soumettent leurs employés à des conditions de travail contraires à la dignité de la personne humaine (C. pén., art. 225-13 N° Lexbase : L1875AME et 225-14 N° Lexbase : L2183AMS).
La jurisprudence donne des illustrations pathétiques d'employeurs eux-mêmes psychologiquement fragiles, soumettant leurs salariés à un véritable enfer mental et psychique. La cour d'appel de Versailles le 20 novembre 2001 (3) relève que la soumission à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine abaisse ou avilit l'être humain en tendant à la réification de son corps ou en portant atteinte aux droits essentiels de sa personnalité.
Dans son arrêt rendu le 4 mars 2003, la Chambre criminelle de la Cour de cassation souligne que la soumission d'un salarié à des conditions de travail indignes doit être assimilée à une pratique esclavagiste, lorsqu'elle tend à faire considérer le travailleur comme un prolongement d'une machine-outil (Cass. crim., 4 mars 2003, n° 02-82.194, F-P+F N° Lexbase : A4267A78, lire nos obs., "Quand le travail devient esclavage", Lexbase Hebdo n° 83 du 28 août 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8530AA8). Les critères du travail indignes les plus souvent relevés par les juges portent sur les brimades, vexations, humiliations et injures. Ces situations infligées aux salariés vont au-delà de la pénibilité au travail, des conditions d'hygiène et de sécurité défaillantes, d'une durée du travail excessive, au-delà du harcèlement (stress, dépression...), au-delà de la faute inexcusable de l'employeur définie par le droit des accidents du travail.
Bref, lorsque la santé mentale des salariés est compromise parce que l'employeur n'est plus en état de comprendre que derrière le salarié, se profile l'homme et la personne humaine, le droit pénal prend alors toute la mesure de son efficacité dissuasive car, dans de tels cas extrêmes, la responsabilité pénale plus que civile de leurs auteurs a un sens et s'impose.
Au final, le Conseil économique et social (rapport précité n° 2004-10) suggère un certain nombre d'avancées, conclusion partagée par l'auteur : renforcer le rôle des acteurs au sein de l'entreprise et mieux les former, sensibiliser les délégués syndicaux et les élus du personnel, optimiser et déployer les moyens des CHSCT, mobiliser les membres des comités d'entreprise, soutenir l'engagement des organisations syndicales de salariés.
Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace
(1) AS Universitaire Nantes : 4ème aux 400 mètres homme série 2, Meeting National de Castres ; qualifiés au 13 février 2003 pour les France Elite 2003 pour les 400 mètres hommes ; champion de France, Athlétisme indoor 2003/04 ; 4x100 mètres relais, arrivé 4ème aux championnats d'Europe, en 1999 ; championnat du monde, 4x100 mètres relais, arrivé 3ème, en 1997 ; 3ème au 400 mètres, championnats de France Elite, en salle, 2002...
(2) E. Bressol, Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés, Rapport du Conseil économique et sociale, publié in extenso sur le site internet du CES ; S. Hamon-Cholet et C. Rougerie, La charge mentale au travail : des enjeux complexes pour les salariés, Economie et statistique n° 339-340, 2000 - 9/10, p. 243, accessible sur le site internet de l'Insee.
(3) Cour d'appel de Versailles, 20 novembre 2001, RG 2001/00366, inédit.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:78335
Lecture: 9 min
N8567AI7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 07 Octobre 2010
Le DIF n'est pas un droit absolu à la formation (1). Il s'agit plutôt d'un droit du salarié à l'initiative en matière de formation et l'accord de l'employeur reste nécessaire (C. trav., art. L. 930-1 N° Lexbase : L8835G7D).
A contrario, l'employeur ne peut pas obliger le salarié à prendre son DIF. Cependant, l'employeur peut tout à fait suggérer au salarié une telle initiative. Le rôle de l'encadrement et des supérieurs hiérarchiques est, en effet, d'orienter le salarié entre tous les dispositifs de formation qui s'ouvrent à lui (plan de formation, DIF, période de professionnalisation, CIF...) et de redonner à chaque dispositif sa vocation d'origine.
En pratique, émerge la notion de "coresponsabilité" entre le salarié et l'employeur en matière de formation professionnelle.
Les salariés en CDI ayant au moins 1 an d'ancienneté dans l'entreprise bénéficient du DIF (C. trav., art. L. 933-1 N° Lexbase : L4730DZ9).
En principe, un salarié en CDI acquière 20 heures de DIF par an. Les dispositions issues de la réforme étant entrées en vigueur le 7 mai 2004, les salariés peuvent demander le DIF à compter du 7 mai 2005. On pouvait se demander si les salariés devaient justifier d'un an d'ancienneté dans l'entreprise pour commencer à acquérir leurs droits au DIF à compter du 7 mai 2004. Si tel était le cas, les salariés, pour pouvoir bénéficier du DIF à compter du 7 mai 2005, auraient dû justifier d'une embauche antérieure au 7 mai 2003. Toutefois, la Direction nationale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle n'a pas retenu cette interprétation et n'oblige pas les salariés à justifier d'une année d'ancienneté avant l'entrée en vigueur de la loi.
Le DIF s'acquière à terme échu, c'est-à-dire que le salarié sous CDI à temps plein ne pourra utiliser ses 20 heures de DIF qu'au bout d'un an de présence dans l'entreprise.
Les salariés en CDD ayant au moins 4 mois d'ancienneté, consécutifs ou non, au cours des 12 derniers mois bénéficient également du DIF. Dans le Code du travail, le législateur emploie le terme d'"ancienneté professionnelle" et non d'"ancienneté dans l'entreprise". L'ensemble des CDD conclus par le salarié dans l'année précédant la demande, quelle que soit l'entreprise, sont donc comptabilisés.
Pour bien comprendre le mécanisme du DIF, la période d'ouverture des droits doit être distinguée de la période qui permet d'acquérir des droits au terme de l'ancienneté requise. Si le salarié a travaillé 4 mois sous CDD, son droit à DIF est ouvert. Par la suite, son ancienneté dans l'entreprise lui permet d'acquérir des droits. A l'inverse du salarié sous CDI, le salarié sous CDD n'est pas obligé de prendre son DIF à terme échu mais peut l'utiliser au prorata de son temps de présence. Ainsi, au bout de 4 mois de travail à temps plein, le salarié bénéficie de 4/12 des 20 heures annuelles de DIF.
Le CDD et le CDI ont un régime propre au regard du DIF : lorsque le salarié est en CDD, on utilise les règles du CDD ; lorsqu'il est en CDI, on utilise les règles du CDI.. Dès lors, le salarié qui obtient un CDI à l'issue d'un CDD n'obtient pas le transfert de ses droits à DIF. A l'inverse, si le salarié a utilisé ses droits à DIF dans le cadre de son CDD, il aura tout de même droit à 20 heures de DIF lors du CDI lorsqu'il totalisera dans l'entreprise une année d'ancienneté.
De même, le transfert des droits à DIF lorsqu'un salarié conclut plusieurs CDD successifs avec une période d'interruption entre les CDD n'a pas été prévu par le Code du travail. Dans ce cas, le salarié ne pourra pas, lors du second CDD, utiliser les droits à DIF acquis lors du premier CDD.
En tout état de cause, les droits à DIF ne sont, en principe, jamais transférés d'une entreprise à l'autre, sauf pour certains accords de branche qui ont prévu la possibilité de conserver le capital DIF acquis lorsque le salarié retrouve un emploi dans la même branche dans un délai limité.
Normalement, le salarié acquière 20 heures de DIF par an jusqu'à concurrence de 120 heures. Les droits acquis annuellement peuvent ainsi être cumulés sur une durée de 6 ans pour un salarié en CDI à temps plein. Au terme de cette durée et à défaut de son utilisation, en tout ou partie, le droit individuel à la formation reste plafonné à 120 heures (C. trav., art. L. 933-2 N° Lexbase : L4731DZA).
Le principe est que toutes les périodes de contrat sont comptabilisées pour le droit au DIF, sauf si ces périodes donnent droit au DIF chez un autre employeur. Ainsi, bien que cela n'ait pas été confirmé, il semblerait que le congé sabbatique ne donne pas droit à DIF. En revanche, une période de CIF, un congé maladie ou maternité, par exemple, permettent d'acquérir des droits à DIF.
Une convention ou un accord collectif de branche ou d'entreprise peut prévoir des modalités particulières de mise en oeuvre du droit individuel à la formation (C. trav., art. L. 933-1 N° Lexbase : L4730DZ9). En pratique, très peu d'accords prévoient la possibilité d'anticipation du DIF et le principe est, le plus souvent, l'acquisition de 20 heures de DIF par an. Toutefois, certains accords de branche ont augmenté le plafond d'anticipation des droits et prévoient que le salarié puisse utiliser, par exemple, 30 heures les trois premières années et 10 heures les trois dernières années. Dans ce cas, une clause de dédit-formation est parfois prévue. Un tel aménagement permet au salarié de faire des formations conséquentes dès le départ. En tout état de cause, le plafond de 120 heures reste, à de rares exceptions près prévues par accord de branche, intangible.
En principe, les salariés ne peuvent utiliser leur DIF que depuis le 7 mai 2005. Or, certains accords de branche étendus ont prévu le 1er janvier 2005 comme date de première distribution du DIF. Ainsi, certains salariés ont bénéficié du DIF au 1er janvier 2005 mais cela au prorata des droits qu'ils ont acquis. Or, si le salarié est licencié le 8 mai 2005, alors qu'il a objectivement acquis 20 heures de DIF, il ne pourra pas en bénéficier si l'on s'en tient à certains accords de branche.
L'employeur doit informer chaque salarié individuellement et par écrit de ses droits à DIF (C. trav., art. L. 933-2 N° Lexbase : L4731DZA). La loi parle de "support écrit" et il faut donc, probablement, exclure la possibilité de procéder à une information par intranet. Beaucoup d'entreprises ont opté pour une information sur le bulletin de salaire. C'est, en effet, une solution qui semble à la fois économique et fiable. Elle permet, en plus, d'obtenir un décompte régulier des heures de DIF dont dispose le salarié. Pour le salarié sous CDD, l'information peut, par exemple, se réaliser dans le bordereau individuel d'accès à la formation (Biaf) que l'employeur doit obligatoirement remettre au salarié en début de contrat.
En principe, les actions de formation se déroulent en dehors du temps de travail et le salarié bénéficie du versement par l'employeur de l'allocation de formation (C. trav., art. L. 933-3 N° Lexbase : L4732DZB). Tout temps non habituellement travaillé, qu'il soit rémunéré (congés payés, RTT, jours fériés...) ou non (repos hebdomadaire, repos avant ou après le temps de travail...) peut être utilisé pour le DIF.
Cependant, pour pouvoir être en formation, il faut être apte à travailler. Ainsi, les périodes de congé maladie ou maternité, par exemple, sont exclues puisque le salarié n'est pas apte à suivre une formation. Le congé sabbatique est quant à lui litigieux car, dans ce cas, il n'y a pas véritablement de notion de "hors temps de travail".
Le montant de l'allocation de formation ainsi que les frais de formation correspondant aux droits ouverts sont à la charge de l'employeur et sont imputables sur sa participation au développement de la formation professionnelle continue (C. trav., art. L. 933-4 N° Lexbase : L4733DZC). Cette allocation, dont le montant est égal à 50 % de la rémunération nette de référence du salarié, ne revêt pas le caractère de rémunération au sens de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7529HBH) et est donc exclue de l'assiette de la CSG et de la CRDS (lettre DSS, dossier A12290/04-D8998/04, 20 décembre 2004 N° Lexbase : L4735DZE).
Seul un accord d'entreprise ou de branche peut rendre possible le DIF sur le temps de travail, mais le seul accord du salarié est insuffisant (C. trav., art. L. 933-3 N° Lexbase : L4732DZB). Les heures consacrées à la formation pendant le temps de travail ouvrent simplement droit au maintien de la rémunération du salarié dans les conditions définies au I de l'article L. 932-1 (N° Lexbase : L4729DZ8) et le salarié ne pourra pas percevoir l'allocation de formation.
Le salarié doit demander une action de formation éligible, c'est-à-dire soit une action de promotion, d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances (C. trav., art. L. 900-2 N° Lexbase : L4630DZI), soit une action de qualifications (C. trav., art. L. 900-3 N° Lexbase : L4632DZL).
La loi est silencieuse sur le délai de dépôt de la demande. Dans sa demande, le salarié doit décrire l'action de formation (intitulé, durée, contenu) et la date de dépôt de la demande. S'agissant d'une demande de DIF, l'envoi par lettre recommandée avec accusé de réception n'est pas approprié et donne à la demande une connotation contentieuse. Il peut être utile pour l'employeur de prévoir, par avance, la personne ou le service habilité à recevoir les demandes de DIF. En outre, il est conseillé de mentionner sur certains supports, tels que les recueils de besoin, qu'ils ne constituent pas une demande de DIF. Ces précautions évitent que des demandes affluent dans n'importe quel service et sur n'importe quels supports.
L'employeur peut décider d'accepter ou de refuser cette demande mais, dans tous les cas, il ne dispose que d'un mois pour répondre au salarié à compter de la demande de celui-ci.
L'employeur n'a pas en principe à motiver son refus, sauf si un accord de branche le prévoit. L'employeur peut, par exemple, arguer du décalage entre le résultat de l'entretien annuel de formation et la demande de formation effectuée par le salarié.
Lorsque, durant deux exercices civils consécutifs (2), le salarié et l'entreprise sont en désaccord sur le choix de l'action de formation au titre du droit individuel à la formation, l'organisme paritaire agréé au titre du congé individuel de formation dont relève son entreprise assure par priorité la prise en charge financière de l'action dans le cadre d'un congé individuel de formation sous réserve que cette action corresponde aux priorités et aux critères définis par ledit organisme (C. trav., art. L. 933-5 N° Lexbase : L4734DZD).
Dans ce cas, l'employeur est tenu de verser à cet organisme le montant de l'allocation de formation correspondant aux droits acquis par l'intéressé au titre du droit individuel à la formation et les frais de formation calculés conformément aux dispositions de l'article L. 933-4 (N° Lexbase : L4733DZC) et sur la base forfaitaire applicable aux contrats de professionnalisation mentionnés à l'article L. 983-1 (N° Lexbase : L4811DZ9).
Dans le cas où l'employeur accepte la demande du salarié, il faut formaliser l'accord entre l'employeur et le salarié. Cet accord doit contenir, notamment, l'organisme de formation, le lieu de déroulement de l'action, les dates et les heures.
En principe, le DIF s'exécute dans l'entreprise. A défaut, il est perdu. Il existe cependant deux exceptions.
Tout d'abord, en cas de licenciement, sauf pour faute grave ou lourde, le salarié peut suivre une action de formation alors qu'il n'est plus salarié dans l'entreprise (C. trav., art. L. 933-6 N° Lexbase : L4735DZE). L'employeur est alors obligé d'accéder à la demande du salarié. L'employeur a une obligation d'information dans la lettre de licenciement sur le capital acquis en termes de DIF à la date de départ de l'entreprise. La procédure à suivre pour demander le DIF doit également être précisée dans la lettre. Le salarié doit, en tout état de cause, faire sa demande de DIF avant la fin du préavis, que celui-ci soit effectué ou non.
Ensuite, en cas de démission, le salarié peut suivre une action de formation sous réserve qu'il ait commencé sa formation avant la fin du préavis. Contrairement au licenciement pour lequel la formation doit être demandée avant le départ de l'entreprise, en cas démission, la formation doit être engagée avant la fin du préavis.
Aurélie Serrano
SGR Droit social
(2) Rien n'empêche, en pratique, le salarié de se prévaloir, pour former son recours, d'une décision de refus datée du 31 décembre et d'une autre datée du 1er février.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:78567