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N5524AIG
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 07 Octobre 2010
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Réf. : Cass. com., 15 mars 2005, n° 03-13.032, Société générale c/ M. Moyrand, F-P+B (N° Lexbase : A2986DH3)
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N5463AI8
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par Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen
Le 07 Octobre 2010
La délégation de pouvoirs permet donc au délégant de se départir d'une sphère de sa compétence, de ses pouvoirs, de son autorité et de ses responsabilités en faveur du délégataire. L'action du délégataire suppose une chaîne de représentations. Le PDG (il pourrait encore s'agir d'un directeur général, d'un directeur général délégué, d'un directeur général unique ou d'un membre du directoire) représente la société, le délégataire représente cette même société en vertu de la délégation de pouvoirs donnée par le PDG.
La délégation de pouvoirs implique donc une représentation. Partant, différentes solutions sont envisageables pour expliquer l'existence de cette représentation.
I - En premier lieu, on pourrait considérer que la délégation de pouvoirs implique un mandat tacite du PDG au délégataire. Suivant l'article 1985, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2208ABE), l'acceptation du mandat peut n'être que tacite, et résulter de l'exécution qui lui a été donnée par le mandataire. Accepter le principe du transfert de responsabilités emporterait, alors, l'acceptation tacite du mandataire de la fonction de représentation inhérente à la délégation de pouvoirs.
Dans ce cas, la délégation de pouvoirs serait un curieux avatar du mandat. Le PDG délégant devant s'assurer de ce que le mandant a la compétence et les moyens de recevoir la délégation, le mandat serait, alors, intuitu personae et, comme tel, prendrait fin en cas de changement de PDG.
En 1997, l'argument avancé par le demandeur au pourvoi suivait une telle logique. Cependant, celle-ci était poussée à de tels extrêmes qu'une certaine confusion était faite entre le mandat et la délégation de pouvoirs. A l'époque, il était, en effet, fait grief au jugement d'avoir rejeté une demande en nullité, "alors, selon le pourvoi, que la délégation de pouvoirs donnée par le président du conseil d'administration d'une société anonyme à un autre que le directeur général de la société est un mandat conclu intuitu personae qui prend nécessairement fin lorsque le mandat cesse, notamment par démission, d'exercer les fonctions qui lui conféraient légalement les pouvoirs qu'il avait délégués". Ce pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation, aux motifs "que le tribunal a jugé à bon droit que la délégation de pouvoirs en exécution de laquelle avait agi M. Pradeau [le délégataire] avait été faite par le président au nom et pour le compte de la société, et non en son nom personnel, et que la banque était restée engagée par celle-ci, malgré le changement de président du conseil d 'administration, tant qu'elle n'avait pas été révoquée" (Cass. com., 4 février 1997, n° 94-20.681, préc.).
II - En second lieu, à partir de cet arrêt de 1997, il était possible de considérer que le mandat est donné directement par la société, et non par l'intermédiaire de son représentant légal (le PDG). Dans cette hypothèse, tout renouvellement de mandat entre le représentant légal et son délégataire serait inutile.
L'arrêt commenté du 15 mars 2005 est un arrêt de cassation qui apporte de nouveaux éléments de réponse. Comme tel, il contient un chapeau introductif. Celui-ci n'apporte rien au débat, car, à peu de choses près, il reprend les termes de l'arrêt de 1997 ("Attendu qu'une société reste engagée par la délégation de pouvoirs faite par un président du conseil d'administration agissant au nom et pour le compte de la société, et non en son nom personnel, à un préposé de celle-ci, malgré le changement de président du conseil d'administration, tant que cette délégation n'a pas été révoquée"). En revanche, ce chapeau suit le visa des articles L. 621-43 du Code de commerce (N° Lexbase : L6895AI9), 113 de la loi du 24 juillet 1966 (devenu C. com., art. L. 225-51 N° Lexbase : L5922AI8), 1984 (N° Lexbase : L2207ABD) et 2003 (N° Lexbase : L2238ABI) du Code civil. La combinaison de ces textes est éclairante.
L'article L. 621-43 du Code de commerce concerne la déclaration de créances en cas de procédure collective. Celle-ci, suivant l'alinéa 2, "peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix".
L'article 113 de la loi du 24 juillet 1966 était relatif au pouvoir de direction général et de représentation sociale du président du conseil d'administration, avant que la loi n° 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (loi NRE N° Lexbase : L8295ASZ), n'intervienne pour permettre une dissociation entre le président du conseil d'administration et le directeur général, une même personne pouvant, néanmoins, exercer ces deux fonctions (C. com., art. L. 225-51-1 N° Lexbase : L2183ATZ).
L'article 1984 du Code civil définit le contrat de mandat. L'article 2003 du même code précise les circonstances dans lesquelles le mandat prend fin et fait, notamment, état de la révocation du mandataire.
Il y a donc bien un mandat : le mandataire (délégataire) peut faire la déclaration de créances (C. com., art. L. 621-43). Mais, à suivre le visa, celui-ci existe bien entre la société et le délégataire et non entre le dirigeant et le délégataire. En effet, le président du conseil d'administration (le DG ou le PDG depuis la loi NRE) représente la société dans ses rapports avec les tiers (L. 24 juillet 1966, art. 113). Le mandat permet la représentation (C. civ., art. 1984) et prend fin, notamment, en cas de révocation (C. civ., art. 2003).
En conséquence, si un mandat existe entre la société et le délégataire, peu importe le changement du représentant légal de la société. Il devient inutile de renouveler les mandats donnés par le PDG afin de pérenniser la représentation de la société.
III - Ce raccourci peut choquer à un double titre.
Tout d'abord, en matière de mandat, la transitivité n'a pas lieu d'être. Si A donne mandat à B (où représente légalement B) qui donne mandat à C, A n'a pas pour autant donné un mandat à C. Il y a simplement une chaîne de représentations. Si le mandataire légal représente la société, il agit, néanmoins, en tant que dirigeant. S'il y a un mandat entre la société et le délégataire, c'est bien le représentant légal qui le donne. C'est lui qui choisit personnellement le mandataire, en appréciant sa compétence et en s'assurant des moyens dont il dispose. Ce choix, un autre représentant légal ne l'aurait peut-être pas fait.
Ensuite, on pourrait considérer que, lorsque le délégant des pouvoirs n'est pas directement le représentant légal de la société (en cas de chaîne de délégations de pouvoirs, par exemple), la délégation est maintenue, mais pas le mandat.
L'arrêt du 15 mars 2005 ne peut pas vouloir dire cela. Il tend -comme l'ensemble de la jurisprudence en matière de délégation de pouvoirs- à assurer la sécurité juridique et à maintenir une répartition des pouvoirs et de la représentation tant que la délégation n'est dénoncée, ni par le délégataire (en cas de démission, par exemple), ni par le délégant (en cas de révocation, par exemple).
Il convient donc de rechercher comment le délégataire peut voir le mandat maintenu tant qu'il n'est pas révoqué ou qu'il ne l'a pas dénoncé. Deux explications paraissent envisageables.
Soit le mandat tacite est un accessoire de la délégation de pouvoirs et, cette dernière n'ayant pas à être renouvelée, le mandat est maintenu, nonobstant l'interruption de la chaîne de représentations.
Soit la délégation de pouvoirs implique, sui generis, un transfert de la représentation légale de la société et, par suite, un partage du pouvoir et de la responsabilité entre délégant et délégataire(s). Dans cette hypothèse, toute référence au mandat devient inutile (à moins de considérer, comme le fait encore la jurisprudence, notamment, en matière de révocabilité ad nutum, que les dirigeants de la société sont investis en vertu d'une forme de mandat). Cette dernière solution nous paraît plus conforme à la force de la délégation de pouvoirs. Comment expliquer qu'un mandat existe, alors que l'enjeu principal de la délégation de pouvoirs est de couper toute représentation entre le délégant et le délégataire.
La jurisprudence sera peut être, un jour, amenée à préciser ce point. En attendant, l'arrêt du 15 mars 2005 et son visa apportent, néanmoins, une certitude : les délégations de pouvoirs données par le représentant légal sont maintenues après que celui-ci ait changé, mandat compris !
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Réf. : CJCE, 31 mai 2005, aff. C-53/03, Synetairismos Farmakopoion Aitolias & Akarnanias (Syfait) e.a. c/ GlaxoSmithKline plc (N° Lexbase : A4824DII)
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N5410AI9
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par André-Paul Weber, Professeur d'économie, Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence
Le 07 Octobre 2010
L'article 234 du traité CE enseigne que la Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation du Traité, sur la validité des actes pris par les institutions de la Communauté et par la BCE, ainsi que sur l'interprétation des statuts des organismes créés par un acte du Conseil, quand ces statuts le prévoient. Ce même article dispose, au surplus, dans ses 2ème et dernier alinéas que :
"Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de Justice de statuer sur cette question.
Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de Justice".
Or, par l'arrêt précité, la Cour vient de se considérer comme non compétente pour répondre aux questions qui lui ont été posées par l'Epitropi Antagonismou, Commission hellénique de la Concurrence, ci après dénommée EA, quant à la lecture qu'il convenait de faire de l'article 82 du Traité CE. Par cet arrêt, la Cour a entendu rappeler sa jurisprudence concernant le concept de juridiction. Elle a souligné, par ailleurs, la nécessité qu'il y avait de respecter les dispositions du règlement (CE) n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 (N° Lexbase : L9655A84) relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité. En l'espèce, la CJCE réaffirme les pouvoirs de la Commission par rapport aux pouvoirs des autorités nationales de concurrence. Mais ces précisions apportées ne doivent pas masquer une déception. Les questions posées par la Commission hellénique de la concurrence portaient, en effet, sur le point de savoir si le fait, pour un fournisseur de produits pharmaceutiques, de refuser de répondre à des commandes de grossistes destinées à nourrir le marché des importations parallèles sur d'autres territoires était ou non constitutif d'un abus de position dominante au sens de l'article 82 du Traité CE.
Différentes associations et entreprises assurant, en Grèce, la distribution en gros de produits pharmaceutiques ont, au début 2001, formé une plainte devant l'EA, à l'encontre de la société de droit britannique GlaxoSmithKline plc (GSK plc) et de sa filiale GlaxoSmithKline AEVE (GSK AEVE) localisée en Grèce. Les plaignants dénoncent, alors, les refus de vente de ces dernières sociétés.
Ces associations et entreprises ont traditionnellement acheté à GSK AEVE de nombreuses spécialités pharmaceutiques, tels les médicaments Imigran (contre les migraines), Lamictal (un anti-épileptique) et Serevent (destiné aux asthmatiques). Jusqu'en novembre 2000, GSK AEVE a satisfait toutes les commandes qui lui ont été adressées. Mais, une grande partie des livraisons était, en fait, destinée à être réexportée vers d'autres Etats membres, notamment au Royaume-Uni, où les prix des médicaments en cause étaient sensiblement supérieurs.
Au motif que les réexportations auraient entraîné une situation de pénurie sur le marché grec, GSK AEVE a décidé d'approvisionner en direct les hôpitaux et les pharmacies et a cessé de répondre aux commandes formées par les plaignants. Les stocks des hôpitaux et des pharmacies ayant été reconstitués, GSK AEVE a, de nouveau, modifié son mode de distribution et réintroduit les plaignants dans le circuit. Mais, faute de répondre à la totalité des commandes qui lui étaient adressées, GSK AEVE a été l'objet d'une plainte devant l'EA, les plaignants dénonçant, alors, l'abus de position dominante sur le fondement des articles 2 de la loi grecque n° 703/1977 et 82 du Traité CE.
Par décision du 22 janvier 2003, l'EA a décidé de surseoir à statuer et a posé, sur le fondement de l'article 234 du Traité CE précédemment cité, différentes questions préjudicielles à la CJCE. La question essentielle était de savoir si le refus par une entreprise occupant une position dominante de satisfaire intégralement les commandes émanant de grossistes constitue un comportement abusif au sens de l'article 82 du Traité CE, dès lors que ce refus est dû "[...] à la volonté de restreindre l'activité d'exportation de grossistes en produits pharmaceutiques et de limiter ainsi le préjudice causé par le commerce parallèle".
Procédant à l'analyse du cadre juridique de l'EA, la CJCE va considérer qu'elle n'est pas compétente pour répondre aux questions qui lui ont été soumises. La Cour estime que l'EA ne présente pas le caractère d'une juridiction au sens de l'article 234 du Traité CE.
La loi n° 703/1977 a institué l'EA. Il s'agit là d'une "autorité indépendante". Si ses membres, au nombre de neuf, jouissent, selon la loi, d'une "indépendance personnelle et fonctionnelle", l'institution est soumise à la tutelle du ministre du développement qui, d'ailleurs, procède aux nominations, pour une durée de trois ans, des membres et du Président. Le Président coordonne et dirige le secrétariat de l'instance, il est le chef hiérarchique du personnel et exerce le pouvoir disciplinaire approprié.
Face à ce constat, la CJCE rappelle tout d'abord sa jurisprudence. Le caractère juridictionnel d'une institution s'apprécie au regard de différents éléments, tels son origine légale, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la contradiction qui préside à sa procédure, l'indépendance de ses membres (CJCE, 17 septembre 1997, aff. C-54/96, Dorsch Consult Ingenieurgesellschaft mbH c/ Bundesbaugesellschaft Berlin mbH N° Lexbase : A1668AWP, Rec. p. I-4961, point 23 ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98, Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT ) N° Lexbase : A1997AIS, Rec. p. I-1577, point 33 ; CJCE, 30 novembre 2000, aff. C-195 /98, Österreichischer Gewerkschaftsbund, Gewerkschaft öffentlicher Dienst c/ Republik Österreich N° Lexbase : A1881AWL, Rec. p. I-10497, point 24 ; CJCE, 30 mai 2002, aff. C-516/99, Walter Schmid N° Lexbase : A7579AYD, Rec.p. I-4573, point 34). La Cour ajoute que les juridictions nationales ne sont habilitées à la saisir que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d'une procédure devant aboutir à une décision de caractère juridictionnel (CJCE, 12 novembre 1998, aff. C-134/97, Victoria Film N° Lexbase : A0482AWR, Rec. p. 7023, point 14, et CJCE 30 novembre 1998, Österreichischer Gewerkschaftsbund, précité, point 25).
Or, en l'espèce, la Cour va relever que l'EA est soumise à la tutelle du ministre du Développement (point 30). Si les membres de l'institution sont indépendants, la Cour estime "[...] qu'il n'apparaît pas que la révocation ou l'annulation de leur nomination soit soumise à des garanties particulières. Or, un tel système ne semble pas de nature à faire obstacle efficacement aux interventions ou pressions indues du pouvoir exécutif à l'égard des membres [de l'institution]" (point 31). La Cour fait, également, remarquer qu'en raison même des pouvoirs dont le président de l'EA est doté, il n'existe pas une séparation fonctionnelle entre l'EA, organe décisionnel, et son secrétariat, organe d'instruction, sur proposition duquel l'EA adopte ses décisions (points 32 et 33).
Mais la Cour rappelle, par ailleurs (point 34), qu'une autorité de concurrence comme l'EA "[...] est tenue de travailler en étroite collaboration avec la Commission des Communautés européennes", ainsi que le principe fondamental voulant qu'en application de l'article 11, paragraphe 6, du règlement (CE) n° 1/2003 précité, "l'ouverture par la Commission d'une procédure en vue de l'adoption d'une décision en application du chapitre III [chapitre intitulé décisions de la Commission] dessaisit les autorités de concurrence des Etats membres de leur compétence pour appliquer les articles 81 et 82 du Traité. Si une autorité de concurrence d'un Etat membre traite déjà d'une affaire, la Commission n'intente la procédure qu'après avoir consulté cette autorité nationale de concurrence".
En d'autres termes, pour la Cour, une institution comme l'EA, pouvant se trouver dessaisie d'une affaire à la suite d'une décision de la Commission, perd donc la faculté de prendre des décisions de caractère juridictionnel. L'EA ne disposait donc pas, en raison même des limites fixées par l'article 234 du Traité CE, du pouvoir de saisir la CJCE.
La précision apportée est importante, du moins pour les autorités nationales de concurrence des Etats membres qui, par l'effet de l'article 5 du règlement (CE) n °1/2003 du Conseil, sont compétentes pour appliquer les articles 81 et 82 du Traité CE. Rappelons, à cet égard, que ces autorités, agissant d'office ou saisie d'une plainte, peuvent ordonner la cessation d'une infraction, ordonner des mesures provisoires, accepter des engagements, infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national. Si, par conséquent, ces instances perdent toute faculté de saisir la CJCE d'une question d'ordre préjudiciel, quelles sont, alors, les juridictions qui sont à même d'en formuler ? La réponse est, en fait, donnée par l'article 35, paragraphe 3, du règlement :
"Les effets de l'article 11, paragraphe 6, s'appliquent aux autorités désignées par les Etats membres, y compris les juridictions qui exercent des fonctions portant sur la préparation et l'adoption des types de décision prévues à l'article 5. Les effets de l'article 11, paragraphe 6, ne s'appliquent pas aux juridictions lorsqu'elles statuent en qualité d'instances de recours contre les types de décision visés à l'article 5".
En bref, toutes choses égales par ailleurs, s'agissant du cas français, l'arrêt de la Cour dénierait au Conseil de la concurrence la possibilité de poser une question d'ordre préjudiciel à la Cour de Justice, alors que cette possibilité demeure offerte à la cour d'appel de Paris statuant sur une décision du Conseil de la concurrence.
Pour importante qu'elle soit, cette décision laisse en suspens, et on peut le regretter, l'importante question de fond qui était soulevée par l'EA. Le refus par une entreprise occupant une position dominante de satisfaire intégralement les commandes de grossistes constitue-t-il un comportement abusif au sens de l'article 82 du Traité CE, dès lors que ce refus est dû "à la volonté de restreindre l'activité de grossistes en produits pharmaceutiques et de limiter ainsi le préjudice causé par le commerce parallèle" ? En d'autres termes, une société dominante doit-elle être considérée comme exploitant de façon abusive sa position dominante du seul fait qu'elle n'honore pas l'intégralité des commandes qui lui sont adressées afin de restreindre l'activité d'exportation de ses clients ?
Sans doute faut-il rappeler qu'en plusieurs circonstances, les services de la Commission et la CJCE ont eu l'occasion de traiter des questions liées au refus de vente ou au refus de prestation. L'examen de la jurisprudence révèle que l'entreprise dominante est tenue de répondre à la demande des distributeurs et transformateurs et tel est, particulièrement, le cas, lorsqu'une interruption de livraisons risque de perturber gravement la concurrence entre l'entreprise dominante et son client sur un marché aval ou entre cette entreprise et ses concurrents actuels ou potentiels sur le marché des produits ou services fournis (CJCE, 6 mars 1974, aff. C-7/73, Istituto Chemioterapico Italiano S.p.A. et Commercial Solvents Corporation c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A2305AWB, Rec.1974, p.223 ; CJCE, 14 février 1978, aff. C-27 /76, United Brands Company et United Brands Continentaal BV c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A4495AWE, Rec. 1978, p. 207 ; CJCE, 3 octobre 1985, aff. C-311 /84, SA Centre belge d'études de marché - télémarketing (CBEM) c/ SA Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) et SA Information publicité Benelux (IPB) N° Lexbase : A8235AUK, Rec . 1985, p. 3261 ; CJCE, 6 avril 1995, aff. C-241/91, Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A8042AYI, Rec.1995, p. I-743 ; CJCE, 26 novembre 1998, aff. C-7/97, Oscar Bronner GmbH & Co. KG c/ Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag GmbH & Co. KG , Mediaprint Zeitungsvertriebsgesellschaft mbH & Co. KG et Mediaprint Anzeigengesellschaft mbH & Co. KG N° Lexbase : A1799AWK, Rec. 1998, p. I-7791; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-418 /01, IMS Health GmbH & Co. OH c/ NDC Health GmbH & Co. KG N° Lexbase : A0419DCI).
Mais la jurisprudence enseigne, également, que l'obligation de livraison imposée par l'article 82 du Traité CE est conditionnelle. L'entreprise dominante n'est pas tenue de satisfaire des commandes qui présentent un caractère anormal (CJCE, 29 juin 1978, aff. C-77/77, Benzine en Petroleum Handelsmaatschappij BV et autres c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A5615AUI, Rec. 1978, p. 1513).
A partir du moment où le commerce parallèle représente, pour les autorités de concurrence, la base même de la formation d'un marché unique en favorisant la concurrence intra-marque et en égalisant, par conséquent, les prix au bénéfice des consommateurs, l'appréciation portée par la CJCE sur la question posée par l'EA aurait été du plus grand intérêt. La CJCE était-elle prête, en effet, à se ranger aux conclusions déposées par l'Avocat Général et qui ont été présentées le 28 octobre 2004 ?
Partant du constat que le secteur pharmaceutique est soumis, tant au niveau communautaire qu'au plan national, à une réglementation omniprésente et hétérogène qui le distingue de tous les autres secteurs où les produits sont aisément commercialisables, l'Avocat Général devait conclure qu'"1. Une entreprise pharmaceutique détenant une position dominante n'exploite pas nécessairement de façon abusive cette position en refusant de satisfaire intégralement les commandes que lui ont adressées des grossistes en produits pharmaceutiques du seul fait qu'elle vise ainsi à limiter le commerce parallèle.
2. Un tel refus est susceptible d'être objectivement justifié, et ainsi de ne pas constituer un abus, lorsque les différences de prix donnant lieu au commerce parallèle sont dues à l'intervention de l'Etat membre d'exportation, qui fixe le prix à un niveau inférieur à celui pratiqué dans le reste de la Communauté, compte tenu de l'ensemble des caractéristiques du secteur pharmaceutique européen dans son état actuel [...]".
De ce dernier point de vue, l'Avocat Général rappelle que les différences de prix entre les Etats membres sont la conséquence de l'omniprésence, de la diversité, de l'incohérence des interventions étatiques. Il évoque, également, le fait que les réglementations nationales pesant sur la distribution des produits pharmaceutiques diffèrent d'un Etat à l'autre, ce qui peut, également, expliquer les disparités de prix. Il souligne encore le point central voulant que le commerce parallèle peut emporter des conséquences négatives sur l'incitation à innover. Il relève, enfin, que le commerce parallèle ne bénéficie pas nécessairement au consommateur final des produits pharmaceutiques et qu'il n'est pas établi que les autorités publiques des Etats membres "[...] tirent avantage de prix inférieurs, puisqu'elles sont elles-mêmes chargées de fixer les prix sur leurs territoires respectifs". Il ne fait pas de doute qu'une appréciation de la CJCE sur ces différents points aurait été du plus haut intérêt. Elle aurait éclairé la politique que les laboratoires pharmaceutiques sont susceptibles de conduire. L'incertitude dans laquelle ils se trouvent aujourd'hui placés ne peut satisfaire personne.
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Réf. : CJCE, 26 mai 2005, aff. C-465/03, Kretztechnik AG c/ Finanzamt (N° Lexbase : A3969DIT)
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N5397AIQ
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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA
Le 07 Octobre 2010
"1) Une société par actions accomplit-elle une prestation à titre onéreux, au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive-TVA [...], lorsqu'elle émet des actions pour de nouveaux actionnaires contre paiement d'un prix d'émission lors d'une introduction en bourse ?
2) Si la première question appelle une réponse affirmative : faut-il interpréter les articles 2, point 1, et 17 de la sixième directive-TVA [...] en ce sens que les prestations de services liées à une introduction en bourse doivent être qualifiées dans leur intégralité d'opération exonérée de taxe et ne permettent pas dès lors de déduire la taxe versée en amont ?
3) Si la première question appelle une réponse négative : l'article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive-TVA ouvre-t-il un droit à déduction de la taxe versée en amont au motif que les autres prestations (publicité, frais d'avocat, conseil technique et juridique), censées fonder le droit à déduction, ont été affectées à des opérations taxées de l'entreprise?"
En réponse, la CJCE dit pour droit :
"1) Une émission d'actions nouvelles ne constitue pas une opération relevant du champ d'application de l'article 2, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995.
2) L'article 17, paragraphes 1 et 2, de la sixième directive-TVA 77/388, telle que modifiée par la directive 95/7, ouvre droit à déduction de l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée grevant les dépenses exposées par un assujetti pour les différentes prestations qu'il a acquises dans le cadre d'une émission d'actions dans la mesure où l'intégralité des opérations effectuées par cet assujetti dans le cadre de son activité économique constitue des opérations taxées".
Si l'émission d'actions est hors du champ d'application de la TVA (1), cela ne retentit nullement sur la déductibilité de la TVA supportée sur les frais d'émission (2).
1. L'émission d'actions hors du champ d'application de la TVA
L'article 2, § 1, de la sixième directive-TVA soumet à cette taxe "les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel". En l'espèce, le premier problème à résoudre portait sur la catégorie à laquelle il convenait de rattacher l'émission de titres. Selon l'article 5 § 1 de la sixième directive-TVA, la livraison d'un bien s'entend du "transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire". La CJCE considère que "L'émission d'actions nouvelles - qui sont des titres représentant un bien incorporel - ne saurait donc être considérée comme une livraison de biens à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la même directive" (§ 22).
Si la nature juridique des actions est discutée, il n'en demeure pas moins que la doctrine française majoritaire range les actions parmi les biens meubles incorporels (pour une remarquable synthèse de la discussion, voir R. Mortier, Le rachat par la société de ses droits sociaux, Nouvelle bibliothèque de thèses, Dalloz, 2003, spéc. n° 308). Cependant, quoique susceptible de faire l'objet d'un droit de propriété (R. Mortier, op. cit. n° 318-2), la nature incorporelle de l'action exclut ce bien de la catégorie des livraisons visées par la sixième directive-TVA. Le droit communautaire de la TVA retient le sens courant, lequel désigne par biens les choses affectées à l'usage des hommes c'est-à-dire des objets que nous pouvons toucher et voir (sur le sens juridique du mot "biens" : Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit civil, Les biens, Defrénois, 2004, n° 8). La livraison servant à fixer la date d'exigibilité de la TVA, il était impossible de classer autrement les titres. Sans cette approche purement physique des biens, il eut été très difficile d'identifier précisément la date de livraison de certaines choses, notamment des prestations immatérielles. La fiscalité serait impraticable sans ces approximations juridiques indispensables à la sécurité juridique des contribuables.
Si les actions ne sont pas des biens corporels, elles viennent dans la catégorie des prestations de services. L'article 6, § 1, al. 1er de la sixième directive-TVA renvoie "toute opération qui ne constitue pas une livraison d'un bien" à l'autre catégorie d'opérations : les prestation de services. La qualification étant acquise, il restait à se demander si l'émission d'actions est une opération dans le champ d'application de la TVA. A défaut de pouvoir caractériser une activité économique, la question de l'applicabilité de la TVA ne se pose pas. L'article 2 précité de la sixième directive-TVA suspend le champ d'application de la TVA à la réalisation de l'opération en cause en qualité d'assujetti, laquelle suppose l'exercice d'une activité économique (sixième directive-TVA, art. 4).
La CJCE considère que la simple acquisition et la seule détention d'actions ne constituent pas des activités économiques (CJCE, 20 juin 1991, aff. C-60/90, Polysar Investments Netherlands BV c/ Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen N° Lexbase : A7267AHM ; CJCE, 6 février 1997, aff. C-80/95, Harnas & Helm CV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A2997AUK ; CJCE, 26 juin 2003, aff. C-442/01, KapHag Renditefonds 35 Spreecenter Berlin - Hellersdorf 3. Tranche GbR c/ Finanzamt Charlottenburg N° Lexbase : A0203C9E). Il en va de même des cessions de telles participations (CJCE, 20 juin 1996, aff. C-155/94, Wellcome Trust Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise, § 33 N° Lexbase : A7243AHQ ; CJCE, 26 juin 2003, aff. C-442/01, KapHag Renditefonds 35 Spreecenter Berlin - Hellersdorf 3. Tranche GbR c/ Finanzamt Charlottenburg, précité, § 40 ; CJCE, 21 octobre 2004, aff. C-8/03, Banque Bruxelles Lambert SA (BBL) c/ Etat belge, § 38 N° Lexbase : A6245DDN ; lire Yolande Sérandour, L'assujettissement des SICAV à la TVA, Lexbase Hebdo n° 141, du 4 novembre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N3360AB3). En revanche, relèvent du champ d'application de la TVA mais en sont exonérées, en vertu de l'article 13, B, d), § 5, de la sixième directive-TVA, les opérations destinées à retirer des recettes ayant un caractère permanent d'activités dépassant le cadre de la simple acquisition et de la vente de titres. Sont ainsi visées les opérations effectuées dans l'exercice d'une activité commerciale de transaction de titres (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-77/01, Empresa de Desenvolvimento Mineir o SGPS SA (EDM), anciennement Empresa de Desenvolvimento Mineiro SA (EDM) c/ FazendaPública, § 59 N° Lexbase : A9953DBA ; lire Yolande Sérandour, Les produits financiers accessoires exclus du calcul du droit à déduction de la TVA, Lexbase Hebdo n° 123, du 3 Juin 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1766ABZ ; CJCE, 21 octobre 2004, aff. C-8/03, Banque Bruxelles Lambert SA (BBL) c/ Etat belge, précité, § 41).
En résumé, la gestion non professionnelle de titres mobiliers et de capitaux n'entre pas dans le champ d'application de la TVA. Cette exclusion se comprend si l'on veut bien se souvenir que la TVA ne doit frapper que la valeur ajoutée. Chaque espèce oblige à rechercher l'existence d'une valeur ajoutée produite par l'exploitation d'un ensemble de moyens professionnels. Depuis l'arrêt "Enkler" du 26 septembre 1996 (CJCE, 26 septembre 1996, aff. C-230/94, Renate Enkler c/ Finanzamt Homburg N° Lexbase : A0096AWH), nous savons que, sauf dérogation, seule l'activité indépendante non occasionnelle relève de la TVA. En sorte qu'en matière d'activités financières, l'applicabilité de la TVA dépend du caractère habituel ou non du commerce de l'argent et des valeurs (CJCE, 14 novembre 2000, aff. C-142/99, Floridienne SA et Berginvest SA c/ Etat belge N° Lexbase : A2001AIX et CJCE, 29 avril 2004, aff. C-77/01, Empresa de Desenvolvimento Mineir o SGPS SA (EDM), anciennement Empresa de Desenvolvimento Mineiro SA (EDM) c/ FazendaPública, précité). L'arrêt "Kretztechnik AG" confirme la jurisprudence communautaire antérieure : le placement occasionnel en vue de percevoir des intérêts et le placement aléatoire en vue de percevoir des dividendes demeurent hors du champ d'application de la TVA. Seule la mise à disposition de capitaux ou la commercialisation de titres, à titre professionnel, moyennant rémunération certaine caractérise les activités financières dans le champ.
S'agissant de l'entrée d'un nouvel associé dans une société, la CJCE a déjà jugé qu'une société de personnes qui admet un associé en contrepartie du versement d'un apport en numéraire n'effectue pas envers cet associé une prestation de services à titre onéreux au sens de l'article 2, § 1, de la sixième directive-TVA (CJCE, 26 juin 2003, aff. C-442/01, KapHag Renditefonds 35 Spreecenter Berlin - Hellersdorf 3. Tranche GbR c/ Finanzamt Charlottenburg, précité, § 43). Au point 26 de l'arrêt commenté, elle analyse pareillement l'émission d'actions en affirmant que "ainsi que le relève à bon droit M. l'avocat général aux points 59 et 60 de ses conclusions, une société qui émet de nouvelles actions entend accroître son patrimoine en se procurant un capital supplémentaire tout en reconnaissant aux nouveaux actionnaires un droit à la propriété d'une partie du capital ainsi augmenté. Du point de vue de la société émettrice, l'objectif est d'acquérir du capital et non pas de fournir des services. Au regard de l'actionnaire, le versement des sommes nécessaires à l'augmentation de capital représente non le paiement d'une contrepartie, mais un investissement ou un placement de capital".
En réalité, la contrepartie est pour l'associé qui apporte ses capitaux moyennant la remise d'actions (C. civ., art. 1843-2 N° Lexbase : L2016ABB). Or, la question de l'applicabilité de la TVA se pose à l'égard de l'émetteur et non de l'associé. Il s'agit de savoir si une société qui augmente son capital fournit une prestation de services taxable et non si le nouvel associé qui apporte ses capitaux réalise une opération imposable. L'émission d'actions ne procède pas d'un cycle économique de production de valeur ajoutée. Les nouveaux moyens financiers ainsi reçus permettront certes de produire une valeur ajoutée par leur affectation au règlement des dettes sociales mais ils ne servent pas à fournir directement aux nouveaux associés une prestation destinée à leur consommation. Dans la mesure où la TVA frappe la consommation, l'émission d'actions y échappe car elle ne fait pas l'objet d'une consommation (sur la nécessité d'une consommation, voir CJCE, 29 février 1996, aff. C-215/94, Jürgen Mohr c/ Finanzamt Bad Segeberg N° Lexbase : A7293AHL ; N. Fennelly, Conclusions sous l'arrêt, Dr. fiscal, 1996, n° 27, comm. 867 et n° 43, comm. 1304 ; CJCE, 18 décembre 1997, aff. C-384/95, Landboden-Agrardienste GmbH & Co. KG c/ Finanzamt Calau, § 20 N° Lexbase : A0318AWP).
Quoique hors du champ d'application de la TVA, l'émission d'actions n'interdit pas la déduction de la TVA en ayant grevé les frais.
2. La déduction de la TVA ayant grevé les frais d'émission d'actions hors du champ d'application de la TVA
Aux termes de l'article 17 § 1 et 2, de la sixième directive-TVA, la déduction de la TVA d'amont dépend de l'affectation des dépenses aux besoins des opérations imposables du redevable. L'émission d'actions étant une simple conséquence d'une augmentation de capital et non d'une affaire, au sens de l'article 2 de la sixième directive-TVA, les frais y afférents visaient à accroître la surface financière de la société Kretztechnik AG, c'est-à-dire la capacité de production de biens et de services dont la commercialisation relevait effectivement de la TVA.
Le droit comptable permet de traiter ces frais comme des frais d'établissement à immobiliser en compte 2013 pour une déduction étalée sur 5 ans au plus par la technique de l'amortissement (décret, n° 83-1020, 29 novembre 1983, art. 19 N° Lexbase : L1189AIU). Il ne s'agit que d'une faculté. Les dépenses engagées pour créer ou développer une entreprise constituent, par nature, des frais généraux déductibles en totalité au titre de l'exercice au cours duquel ils ont été engagés. Le juge communautaire considère que les frais généraux d'un assujetti font en principe partie du coût de l'ensemble de son activité économique et présentent ainsi un lien direct et immédiat avec celle-ci. La TVA en amont grevant ces frais généraux peut donc être déduite dans la mesure où les livraisons en aval sont taxées (CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group plc. c/ Commissioners of Customs & Excise, § 25 N° Lexbase : A9796AUD ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc., § 30-31 N° Lexbase : A2016AII ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc. c/ Commissioners of Customs & Excise, § 28-35-36-40 N° Lexbase : A1648AWX ; CJCE, 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations SA c/ Directeur régional des impôts du Nord-Pas-de-Calais, § 31-33 N° Lexbase : A5734AWB).
La déduction de la TVA acquittée sur les frais généraux apparaît d'autant plus nécessaire que, selon la CJCE : "Le régime des déductions vise à soulager entièrement l'entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA" (§ 34 ; CJCE, 14 février 1985, aff. C-268/83, D.A. Rompelman et E.A. Rompelman-Van Deelen c/ Minister van Financiën, § 19 N° Lexbase : A8121AUC ; CJCE, 15 janvier 1998, aff. C-37/95, Belgische Staat c/ Ghent Coal Terminal NV, § 15 N° Lexbase : A9657AU9 ; CJCE, 21 mars 2000, aff. C-110/98 à C-147/98, Gabalfrisa SL e.a. c/ Agencia Estatal de Administración Tributaria (AEAT), § 44 N° Lexbase : A1997AIS ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc., précité, § 19 ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc. c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 24).
Si la déduction de la TVA ayant grevé l'émission d'actions est admise, encore faut-il distinguer selon que l'intégralité des opérations effectuées par le redevable dans le cadre de son activité économique constitue ou non des opérations taxées. En cas de réalisation d'opérations effectivement imposables et d'opérations exonérées, l'article 17 § 5, alinéa 1er de la sixième directive-TVA prévoit une déduction proportionnelle au montant afférent aux premières opérations ( CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc. c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 37 ; CJCE, 27 septembre 2001, aff. C-16/00, Cibo Participations SA c/ Directeur régional des impôts du Nord-Pas-de-Calais, précité, § 34). Seule l'affectation de chaque dépense détermine le principe et l'étendue du droit à déduction (CJCE, 6 avril 1995, aff. C-4/94, BLP Group plc. c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 25 et 27 ; CJCE, 8 juin 2000, aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc., précité, § 32 ; CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, Abbey National plc. c/ Commissioners of Customs & Excise, précité, § 37 à 40 ; lire Yolande Sérandour, Le droit à déduction de la TVA en jurisprudence communautaire, JCP, éd. E, 1999, p. 1954). Cet arrêt vient, après d'autres, confirmer la nécessité d'apprécier le champ d'application et le droit à déduction opération par opération, dépense par dépense. Cela interdit toute approche globale du champ d'application et du droit à déduction.
Soulignons aussi que cet arrêt "Kretztechnik AG" clarifie la situation fiscale des sociétés en matière de création et de développement de l'entreprise nécessitant l'engagement de frais généraux. L'arrêt "KapHag" précité, en date du 26 juin 2003 aurait pu faire douter de la déductibilité de la TVA payée sur de tels frais. Il s'agissait déjà de frais de création de société, plus précisément d'une consultation juridique. La question préjudicielle ne soulevait pas explicitement le problème de la déductibilité de la TVA sur les frais d'entrée d'un associé, interdisant ainsi à la CJCE de se prononcer. Il suffit de la lire pour s'en convaincre : "1) Une société de personnes qui admet un associé en contrepartie du versement d'un apport en numéraire effectue-t-elle envers celui-ci une prestation de services à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la directive 77/388/CEE ? 2) Est-on dans ce cas en présence d'une opération accessoire au sens de l'article 19, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive 77/388/CEE et l'assujetti peut-il exciper de cette disposition, selon laquelle de telles opérations accessoires n'excluent pas la déduction de l'impôt payé en amont ?". La CJCE ayant constaté que l'entrée d'un nouvel associé ne constituait pas une opération, la question des opérations accessoires ne se posait plus.
En France, les opérations relatives au capital ne soulèvent aucune difficulté depuis que notre administration fiscale admet largement la déduction de la TVA ayant grevé ces opérations. Elle cite elle-même l'introduction en bourse, l'augmentation de capital, la prise de participation, la fusion, la scission et l'apport d'une universalité totale ou partielle (instruction du 15 octobre 2001, BOI n° 3 D-4-01 {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1010974, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-textedeloi", "_title": "Instr. du 15-10-2001, BOI 3 D-4-01 ", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: X7429AAE"}}). Ces opérations de financement ou de restructuration occasionnent des frais généraux venant augmenter le prix de revient des opérations dans le champ ouvrant droit à déduction de la TVA d'amont.
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Réf. : CE, 3° et 8° s-s., 18 mai 2005, n° 267087, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Sagal (N° Lexbase : A3517DI4)
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par Sophie Duval, Juriste-fiscaliste
Le 07 Octobre 2010
Toutefois, cette règle n'est pas absolue.
En effet, l'article 209 B du CGI , d'une part, exclut, dans certains cas, l'application de ce régime de faveur lorsque la filiale est située dans un pays à fiscalité privilégiée. Bien que la filiale soit située au Luxembourg, pays à fiscalité privilégiée, l'article 209 B ne trouvait, cependant, pas, en l'espèce, à s'appliquer, car la participation de la société G. était inférieure au seuil de 25 % prévu par cet article dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, au-delà duquel l'application du régime des sociétés mères était écartée.
D'autre part, l'administration fiscale peut toujours s'opposer, sur le fondement de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U) à l'application du régime des sociétés mères toutes les fois que la création d'une filiale est purement fictive ou a pour seul objet de transformer des produits qui auraient été soumis en France à une imposition au taux normal en dividendes exonérés.
Bien que le champ d'application de la procédure d'abus de droit soit, en principe, strictement défini, il est de jurisprudence constante, et relativement ancienne (CE, contentieux, 10 juin 1981, n° 19079, Ministre du Budget c/ M. xxxxx N° Lexbase : A7572AKN ; CE, contentieux, 4 décembre 1981, n° 29742, M. X. c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4559AK3), que cette procédure peut, aussi, être mise en oeuvre dans des situations basées sur des actes réels, mais ayant pour but exclusif d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportée eu égard à sa situation et à ses activités réelles. Dans ces hypothèses, l'accent est mis par les juges sur le caractère exclusif du but fiscal de l'opération. Si elle répond, également, à d'autres préoccupations, l'abus de droit n'est caractérisé que si le caractère fictif des actes est établi.
L'administration fiscale a, donc, considéré que l'opération réalisée par la société G. était constitutive d'un abus de droit. A ses yeux, la société G. a fait une application abusive du régime des sociétés mères dans un but exclusivement fiscal, contre l'esprit de la loi. En effet, le régime des sociétés mères qui a pour finalité d'éviter une double impositions entre sociétés mères et filiales, n'avait pas de raison d'être appliqué en l'absence d'imposition de la filiale, l'activité de holding de participations financières étant au Luxembourg soumise à un régime d'exonération des bénéfices et des plus-values.
Cette analyse avait, néanmoins, été rejetée par la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 18 février 2004, n° 00NT01082, Société Sagal c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0793DCD), qui avait estimé que le but de l'opération n'était pas exclusivement fiscal puisque, comme l'indiquait la société G. sans être, d'ailleurs, contredite par l'administration sur ce point, la création de la société luxembourgeoise chargée de gérer la trésorerie de ses actionnaires s'expliquait par la volonté de réaliser des économies d'échelle et d'obtenir de meilleurs placements à moyen terme, objectif, par la suite, atteint.
Le Conseil d'Etat, quant à lui, a fait une tout autre analyse. En aucun cas, selon ce dernier, la création de la société F. n'avait eu pour effet d'améliorer le rendement des placements financiers réalisés par la société G. Bien au contraire, il estime que la société F. est restée sous l'entière dépendance de la banque à l'origine de sa création en ce qui concerne tant sa gestion que ses investissements, que la totalité de son actif était constituée de valeurs mobilières, qu'elle n'avait aucune compétence technique en matière de placements financiers, que ses actionnaires ne prenaient aucune part aux assemblées statutaires et, qu'ainsi, cette société était dépourvue de toute substance.
Dans ces conditions, le Conseil d'Etat a considéré que la société ne pouvait prétendre que le régime des sociétés mères lui était applicable de plein droit, ni que l'opération lui avait permis de réaliser de quelconques économies d'échelle. L'opération ne présentait, ainsi, aucun intérêt économique la concernant, dés lors qu'elle n'établissait pas que la localisation de la holding à l'étranger plutôt qu'en France lui avait procuré un quelconque avantage.
2. La procédure d'abus de droit et la liberté d'établissement
Par ailleurs, la Haute cour réaffirme la compatibilité de la procédure de l'abus de droit avec le principe communautaire de liberté d'établissement prévu à l'article 43 du Traité CE .
La société G. invoquait, en effet, la législation européenne, qui proscrit les restrictions de liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans un autre Etat membre. Cette interdiction s'étendant aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, la société requérante soutenait que les dispositions de l'article L. 64 du LPF étaient de nature à restreindre l'exercice de cette liberté d'établissement, en exerçant un effet dissuasif à l'égard des contribuables qui souhaitent s'installer dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, notamment, lorsque le projet d'établissement est inspiré par un motif d'ordre fiscal.
Rappelant que l'application de la législation sur l'abus de droit est strictement limitée aux cas où l'administration apporte la preuve que l'acte par lequel un contribuable s'établit à l'étranger revêt un caractère fictif ou simulé, ou à défaut, n'a pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder l'impôt et que l'objectif de cette législation consiste à exclure du bénéfice de dispositions fiscales favorables, les montages purement artificiels dont le seul objet est de contourner la législation fiscale, le Conseil d'Etat réaffirme avec force que l'article L. 64 du LPF ne peut être regardé comme apportant une restriction à la liberté d'établissement incompatible avec les stipulations du Traité de Rome.
Ce rappel du Conseil d'Etat est loin d'être anodin dans un contexte où le dispositif français de lutte contre l'évasion fiscale a été malmené, à plusieurs reprises, dans un passé récent, sur fond d'incompatibilité de certaines de ses dispositions avec le droit communautaire.
L'article 212 du CGI , tout d'abord, instaurant un dispositif destiné à lutter contre la sous-capitalisation, a été déclaré incompatible avec l'article 43 du Traité CE (CE, contentieux, 30 décembre 2003, n° 249047, SARL Coréal Gestion c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6490DAM et CE, contentieux, 30 décembre 2003, n° 233894, SA Andritz c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie [LXB=6487DAI] ; lire Fabien Girard de Barros, L'incompatibilité de l'article 212 du CGI avec le droit communautaire et certaines conventions fiscales internationales, Lexbase Hebdo n° 102, du 7 janvier 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0037ABY).
Les articles 125-0 A et 125 A du CGI , instaurant un prélèvement libératoire sur les seuls revenus financiers dont le débiteur est domicilié ou établi en France, ont, également, été déclarés contraires aux articles 49 (N° Lexbase : L5359BCH) et 56 du Traité CE relatifs à la liberté de circulation des capitaux et à la libre prestation de services (CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission des Communautés européennes c/ République française [LXB=A4317DB] ; lire Jean-Marc Priol, Prélèvement libératoire sur les revenus financiers et opérations transfrontalières : les articles 125-0 A et 125 A du CGI déclarés contraires aux principes de libre prestation de services et de capitaux, Lexbase Hebdo n° 111, du 10 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0838ABN).
Enfin, l'article 167 bis du CGI a été considéré, à son tour, comme s'opposant à l'article 43 du Traité CE , en ce qu'il instaurait, dans un but de prévention d'évasion fiscale, un mécanisme d'imposition des plus-values latentes sur titres possédés par des personnes transférant leur domicile fiscal à l'étranger (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de Lasteyrie du Saillant c/ Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5001DBT ; lire Jean-Marc Priol, Liberté d'établissement et présomption d'évasion ou de fraude fiscale, Lexbase Hebdo n° 113, du 25 mars 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N1015AB9).
Par ailleurs, il est à noter que l'article 209 B du CGI a été modifié en profondeur par la loi de finances pour 2005 (n° 2004-1484, 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5203GUA) (lire Fabien Girard de Barros, Le nouvel article 209 B : entre lutte contre l'évasion fiscale et liberté d'établissement, Lexbase Hebdo n° 151, du 19 Janvier 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N4306AB4).
Cette modification fait suite à l'arrêt "Schneider Electric" du 28 juin 2002 (CE, contentieux, 28 juin 2002, n° 232276, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Schneider Electric N° Lexbase : A0219AZ7), qui a fait apparaître l'opposition de nombreuses conventions signées par la France à l'application de l'article 209 B du CGI et, cela, avant que la Cour de justice des Communautés européenne ne condamne, comme c'était probable, ce dispositif au regard des principes de liberté d'établissement et de circulation des capitaux. Aussi, à compter du 1er janvier 2006, seules les sociétés dont le seuil de participation dans l'entité juridique étrangère excède 50 % seront, désormais, concernées par le dispositif prévu à l'article 209 B du CGI et les revenus de cette entité seront réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers ajoutés aux résultats de la société mère.
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Haute Alsace
Le 07 Octobre 2010
1.1. Droits aux allocations servies par le régime d'assurance chômage
Le régime d'assurance chômage (convention 1er janv. 2004, régl. art. 12 N° Lexbase : L1601DPY ; C. trav., art. R. 351-1 N° Lexbase : L0253ADQ) a modifié en profondeur la durée de versement des allocations. Les durées d'indemnisation sont déterminées en fonction des périodes d'affiliation et de l'âge du salarié privé d'emploi à la date de la fin du contrat de travail (terme du préavis) retenue pour l'ouverture des droits.
Les durées d'indemnisations sont de :
- 213 jours lorsque le salarié privé d'emploi remplit la condition d'affiliation de 182 jours d'affiliation ou 910 heures de travail ;
-700 jours lorsque le salarié privé d'emploi remplit la condition d'affiliation de 426 jours d'affiliation ou 2 123 heures de travail ;
- 1 095 jours pour le salarié privé d'emploi âgé de 50 ans et plus lorsqu'il remplit la condition d'affiliation de 821 jours d'affiliation ou 4 095 heures de travail ;
- 1 277 jours pour le salarié privé d'emploi âgé de 57 ans et plus, lorsqu'il remplit la condition d'affiliation de 821 jours d'affiliation ou 4 095 heures de travail et justifie de 100 trimestres validés par l'assurance vieillesse.
Le pouvoir réglementaire a introduit une nouvelle règle, réduisant le droit des allocataires aux allocations chômage. En application de l'article R. 351-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0253ADQ), complété par un dernier alinéa introduit par le décret n° 2005-587 du 27 mai 2005 (N° Lexbase : L7716G8B), les durées de versement des allocations de chômage sont diminuées de la durée de la convention de reclassement personnalisé dont l'intéressé a bénéficié à la fin du même contrat de travail (en application de l'article L. 321-4-2 du Code du travail N° Lexbase : L8927G7R).
La raison de cette nouvelle disposition trouve son origine dans la volonté des partenaires sociaux de lier les allocations servies par le régime d'assurance chômage, à l'allocation spécifique de reclassement, servie au titre de la convention de reclassement personnalisé. Cette indexation de la seconde sur la première a été décidée par les partenaires sociaux, dans la Convention relative à la convention de reclassement personnalisé du 27 avril 2005. En effet, les textes conventionnels (art. 11 de la convention du 27 avril 2005) posent le principe que l'allocation spécifique de reclassement est versée pour une durée maximum de huit mois de date à date à compter de la prise d'effet de la convention de reclassement personnalisé. La durée de versement de l'allocation spécifique de reclassement ne peut en aucun cas excéder celle à laquelle ils auraient pu prétendre au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi.
1.2. Sanctions pour non présentation par l'employeur d'une convention de reclassement personnalisé
Une contribution spéciale était due au régime par l'employeur qui procédait au licenciement pour motif économique d'un salarié, sans lui proposer le bénéfice d'un Pare anticipé en application des dispositions de l'article L. 321-4-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8927G7R). Elle était calculée en fonction du salaire journalier moyen (visé à l'article 22 § 4 du Règlement) ayant servi au calcul des allocations du salarié concerné. Elle correspondait à 30 fois le salaire journalier de référence servant au calcul des allocations (Règl. annexé, Conv. 1er janv. 2004, art. 67 N° Lexbase : L1601DPY).
Les partenaires sociaux ont pris acte de la "novation" du Pare anticipé, en convention de reclassement personnalisé, appelant un nouveau régime juridique de ce dispositif, notamment, au regard des sanctions encourues par l'employeur défaillant.
C'est pourquoi les partenaires sociaux ont modifié la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004, par un avenant n° 5, ainsi que le règlement d'assurance chômage, annexé à la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004, par un avenant n° 4. Ces deux textes ont été rendus obligatoires par la procédure de l'agrément ministériel (arrêté du 24 mai 2005 N° Lexbase : L7949G8W). Une contribution égale à deux mois de salaire brut moyen des douze derniers mois travaillés est due au régime d'assurance chômage par l'employeur qui procède au licenciement pour motif économique d'un salarié sans lui proposer le bénéfice d'une convention de reclassement personnalisé, en application de l'article L. 321-4-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8927G7R).
Il faut relever que le montant de la sanction a doublé, passant de 1 mois de salaire, au titre du Pare anticipé, à 2 mois de salaire, au titre de la convention de reclassement personnalisé.
Les partenaires sociaux ont, par un accord signé le 18 février 2004, fixé le régime juridique du financement par l'assurance chômage de points de retraite complémentaire. Puisque le sort des adhérents aux conventions de reclassement personnalisé suit, de près, celui des allocataires du régime d'assurance chômage, il était donc cohérent que le financement par l'assurance chômage de points de retraite complémentaire bénéficie également aux adhérents d'une convention de reclassement personnalisé.
C'est pourquoi les partenaires sociaux ont conclu un avenant n° 1 à l'accord signé le 18 février 2004, fixant le régime juridique du financement par l'assurance chômage de points de retraite complémentaire, agréé par le ministre du Travail et de l'Emploi par arrêté du 24 mai 2005.
Les bénéficiaires des allocations visées par la convention du 27 avril 2005 relative à la convention de reclassement personnalisé (N° Lexbase : L4927G8Y) acquièrent des points de retraite complémentaire dans les conditions précisées par l'article 2 de l'accord du 18 février 2004, fixant le régime juridique du financement par l'assurance chômage de points de retraite complémentaire. L'assurance chômage contribue au financement des points de retraite en versant comme suit :
- pour le régime Agirc : les cotisations obligatoires prévues par l'article 6 § 2 de la Convention collective nationale du 14 mars 1947 (N° Lexbase : L1737AI8) et assorties du pourcentage d'appel applicable aux cotisations versées à l'Agirc, assises sur 60 % de la tranche B du salaire journalier de référence retenu pour le calcul des allocations de chômage ; une partie du prélèvement du précompte supporté par les allocataires du régime d'assurance chômage et par les adhérents à une convention de reclassement personnalisé ; une participation sur 20 ans au titre du financement des points de retraite pour les périodes de chômage antérieures au 1er janvier 1996.
- pour le régime Arrco : les cotisations prévues par l'article 13 de l'Accord du 8 décembre 1961 (N° Lexbase : L1403AIS) et assorties du pourcentage d'appel applicable à l'ensemble des cotisations versées à l'Arrco, assises sur 60 % du salaire journalier de référence retenu pour le calcul des allocations de chômage, ce salaire étant limité au plafond de la Sécurité sociale pour les ressortissants de l'Agirc, ou limité à trois plafonds de la Sécurité sociale pour les personnes ne relevant pas de l'Agirc ; une partie du prélèvement du précompte supporté par les allocataires du régime d'assurance chômage et par les adhérents à une convention de reclassement personnalisé, en fonction d'un salaire limité au plafond de la Sécurité sociale pour les ressortissants de l'Agirc, ou limité à trois plafonds de la Sécurité sociale pour les personnes ne relevant pas de l'Agirc.
- pour les autres régimes de retraite complémentaire, en application d'une convention, sur la base des taux d'appels prévus par ces régimes, assis sur 60 % du salaire journalier de référence retenu pour le calcul des allocations de chômage et dans la limite : du taux obligatoire de cotisation fixé par l'accord du 8 décembre 1961 relatif à l'Arrco (N° Lexbase : L1403AIS) sur la fraction de la rémunération inférieure ou égale au plafond de la sécurité sociale ; et du taux obligatoire de cotisation fixé par la Convention collective nationale du 14 mars 1947 relative à l'Agirc (N° Lexbase : L1737AI8) pour la fraction de la rémunération comprise entre le plafond de la Sécurité sociale et quatre fois ce plafond.
2. Portée des arrêtés d'agrément
La loi de cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49) a renvoyé aux partenaires sociaux le soin de fixer le régime juridique des conventions de reclassement personnalisé, et au pouvoir réglementaire, le soin d'agréer ces textes conventionnels, en application du droit commun de l'agrément des conventions d'assurance chômage.
Les textes conventionnels relatifs à la convention de reclassement personnalisé ne visent pas le régime d'assurance chômage, mais sont rendus obligatoires par application du régime juridique de l'agrément ministériel des conventions d'assurance chômage.
2.1. Nécessité d'un agrément par le ministre de l'Emploi
Les accords conclus entre employeurs et travailleurs à l'effet de servir des allocations aux travailleurs sans emploi peuvent être rendus obligatoires en vertu de la procédure d'agrément (C. trav., art. L. 352-1 N° Lexbase : L6273ACC). Il en va donc de même pour les accords portant sur la convention de reclassement personnalisé.
Cet agrément sera d'autant plus nécessaire que l'accord serait minoritaire. Il a pour effet de rendre obligatoires les dispositions de l'accord pour tous les employeurs et travailleurs compris dans le champ d'application professionnel et territorial dudit accord (C. trav., art. L. 352-1 N° Lexbase : L6273ACC et L. 352-2 N° Lexbase : L6274ACD).
2.2. Modalités de l'agrément
L'agrément est accordé après avis du comité supérieur de l'emploi, pour la durée de la validité de l'accord (C. trav., art. L. 352-2). Les conditions de publicité prévues aux articles L. 133-13 (N° Lexbase : L5707ACD) et L. 133-14 (N° Lexbase : L5708ACE) du Code du travail s'appliquent.
La procédure d'agrément met en scène plusieurs intervenants : le ministre lui-même (auteur de l'acte d'agrément) ; les syndicats (qui ont conclu la convention d'assurance chômage, objet de l'agrément), des organisations et personnes intéressées (qui font connaître leurs observations : C. trav., art. L. 133-14 et R. 133-1 N° Lexbase : L9081ACC) et, enfin, le comité supérieur de l'emploi (qui donne son avis sur l'agrément).
La procédure est assez complexe. Le comité supérieur de l'emploi donne son avis, pris en compte par le ministre de l'Emploi, avant la délivrance de l'agrément (C. trav., art. L. 352-2 N° Lexbase : L6274ACD), ainsi que dans l'hypothèse d'une convention non majoritaire (C. trav., art. L. 352-2-1 N° Lexbase : L6275ACE). Un avis est publié au Journal officiel, portant sur le projet d'agrément, invitant les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations (C. trav., art. L. 133-14), qui disposent alors d'un délai de 15 jours (C. trav., art. R. 133-1 N° Lexbase : L9081ACC).
La question a donné lieu à des développements contentieux, s'agissant de l'agrément de convention d'assurance chômage. Les solutions sont donc transposables à la procédure d'agrément des textes conventionnels relatifs à la convention de reclassement personnalisé.
Dans un premier temps, le Conseil d'Etat a considéré que les textes législatifs et réglementaires n'ont ni pour objet, ni pour effet d'exiger que la réunion du Conseil supérieur de l'emploi doive avoir lieu après expiration d'un délai de 15 jours suivant la publication de l'avis publié au Journal officiel (CE 1° et 2° s-s, 29 mars 2000, n° 207444, Association des Officiers dans les carrières civiles et autres N° Lexbase : A9503AG3, RD sanit. soc. 2000, p. 854, obs. CW ; D. 2001, somm. p. 736, obs. C. Guénin ; Dr. soc. 2000, p. 927, obs. P. Fombeur).
Un tel dispositif reviendrait, en effet, à établir une sorte de hiérarchie et une procédure s'imposant au ministre du Travail et de l'Emploi, qui n'ont pas de traduction législative : solliciter les organisations et personnes intéressées afin qu'elles fassent connaître leurs observations (C. trav., art. L. 133-14 N° Lexbase : L5708ACE) ; puis, dans un délai de 15 jours (C. trav., art. R. 133-1 N° Lexbase : L9081ACC), recueillir l'avis du Comité supérieur de l'emploi. Le Conseil d'Etat a rappelé opportunément, dans cet arrêt rendu le 29 mars 2000, qu'un tel dispositif n'est pas expressément prévu par les textes et n'emporte donc aucune conséquence juridique sur la validité de l'agrément lui-même, ou sur la validité de l'avis émis par le Conseil supérieur de l'emploi.
Puis, le Conseil d'Etat s'est prononcé une seconde fois sur la légalité d'un arrêté d'agrément, dont la légalité peut alors être mise en cause, à défaut de respect des règles de consultation du conseil supérieur de l'emploi par le ministre (CE 1° s-s, 11 mai 2004, n° 255886, Association AC ! et autres N° Lexbase : A1829DCQ, TPS 2004, comm. 236, note Prétot ; X. Prétot, Le contentieux de l'assurance chômage entre le juge civil et le juge administratif - Erreur de calcul ou erreur de droit ?, Dr. soc. 2004, p. 766).
Le juge administratif a rappelé que, dans l'hypothèse où une convention collective nationale d'assurance chômage n'est pas signée par la totalité des syndicats d'employeurs et de travailleurs, le ministre de l'Emploi ne peut procéder à son agrément que si le comité supérieur de l'emploi a émis un avis favorable motivé et que, en cas d'opposition écrite et motivée de deux syndicats d'employeurs ou de deux syndicats de travailleurs qui y sont représentés, il ne peut y procéder qu'au vu d'une nouvelle consultation du comité, sur la base d'un rapport qui précise la portée des dispositions en cause ainsi que les conséquences de l'agrément. Aussi, selon le Conseil d'Etat, la consultation du comité supérieur de l'emploi revêt le caractère d'une formalité substantielle.
S'agissant de la convention d'assurance chômage, son agrément par arrêté du ministre chargé du Travail est conditionné à ce que la convention ne comporte aucune stipulation incompatible avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur, en particulier avec celles relatives au contrôle de l'emploi, à la compensation des offres et des demandes d'emploi, au contrôle des travailleurs privés d'emploi et à l'organisation du placement de l'orientation ou du reclassement des travailleurs sans emploi.
L'agrément peut être retiré par le ministre chargé du Travail si les dispositions de l'accord ou ses conditions d'application cessent d'être en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur (C. trav., art. L. 352-2 N° Lexbase : L6274ACD). Il ne s'agit donc que d'un simple rappel du principe de la hiérarchie des normes : la convention collective nationale d'assurance chômage est conditionnée, dans sa validité, au respect des dispositifs législatifs et réglementaires.
Ces recommandations du législateur, destinées au pouvoir réglementaire, exerçant son pouvoir d'agréer une convention d'assurance chômage, n'intéressent que de loin l'agrément des textes conventionnels relatifs à la convention de reclassement personnalisé.
Le Conseil d'Etat en déduit que la légalité d'un arrêté ministériel portant agrément est nécessairement subordonnée à la validité des stipulations de l'accord en cause (CE Contentieux, 18 mai 1998, n° 187836, Union nationale de coordination des associations militaires et autres N° Lexbase : A7752ASW, RD sanit. et soc. 1999, p. 225, obs. CW ; D. 1999, somm. p. 30, obs. A. Bouilloux et p. 282, obs. D. Morel, X. Prétot, De la complexité des règles de compétence en droit du travail. À propos du contentieux de la convention d'assurance chômage).
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Réf. : Cass. soc., 8 juin 2005, M. Patrick Edline c/ SARL Imprimerie Mavit-Sival, pourvoi n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A6513DI3)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé de la décision
1° La prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail rompt ce dernier et l'initiative prise ensuite par l'employeur de le licencier est non avenue. 2° Le délai imparti conventionnellement à l'employeur pour renoncer à la clause de non-concurrence court au jour où il reçoit la lettre de prise d'acte de la rupture du contrat de travail adressée par le salarié. |
Décision
Cass. soc., 8 juin 2005, M. Patrick Edline c/ SARL Imprimerie Mavit-Sival, pourvoi n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A6513DI3) Cassation partielle sans renvoi (cour d'appel de Montpellier, chambre sociale, 18 mars 2003) Texte visé : article 17 de l'Accord national interprofessionnel (ANI) des VRP du 3 octobre 1975 Mots-clés : rupture du contrat de travail ; prise d'acte ; effets ; clause de non-concurrence ; renonciation ; point de départ du délai Lien base : |
Faits
1° M. Edline a été embauché par la société Mavit Sival le 2 mai 1989 en qualité de VRP multicartes. Le 2 novembre 1994, un avenant a été conclu entre les parties fixant la rémunération et les modalités de celle-ci. Une clause de non-concurrence a été acceptée par le salarié. Le 19 décembre 1996, un autre avenant a été signé par le salarié concernant le taux des commissions. Le 26 janvier 1998, M. Edline a pris acte de la rupture de son contrat en raison de fautes imputées à l'employeur et le 10 mars 1998, l'employeur l'a licencié pour fautes graves. 2° L'arrêt attaqué a dit que son licenciement par la société Imprimerie Mavit Sival était justifié pour faute grave et l'a débouté, en conséquence, de ses demandes d'indemnité de préavis, de congés payés sur préavis, d'indemnité spéciale de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de commission sur retour d'échantillonnage et de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de la contrepartie pécuniaire de la clause de non concurrence contractuelle, la cour d'appel a énoncé que le salarié qui a été libéré de cette clause dans les 15 jours suivant la lettre de licenciement, conformément aux modalités conventionnelles applicables entre les parties, soit par lettre recommandée avec accusé de réception présentée et notifiée le 16 mars 1998, est mal fondé à réclamer une quelconque contrepartie financière. |
Problème juridique
A quelle date commence à courir le délai de renonciation à la clause de non-concurrence stipulée par l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 lorsque le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail ? |
Solution
1° "lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ; le contrat étant rompu par la prise d'acte du salarié, l'initiative prise ensuite par l'employeur de le licencier est non avenue" 2° "Vu l'article 17 de l'Accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 " ; "aux termes de ce texte sous condition de prévenir, par lettre recommandée avec accusé de réception, dans les quinze jours suivant la notification par l'une ou l'autre des parties de la rupture, l'employeur pourra dispenser l'intéressé de l'exécution de la clause de non-concurrence" "le point de départ du délai de quinze jours prévu par l'article susvisé était la date de réception par l'employeur de la lettre de prise d'acte de la rupture par le salarié" "la cour d'appel a violé le texte susvisé" |
Commentaire
1. La nature de la prise d'acte du contrat de travail
Le 25 juin 2003, la Chambre sociale de la Cour de cassation consacrait la prise d'acte comme un nouveau mode de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I N° Lexbase : A8977C8Y ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, F-P P+B+R+I N° Lexbase : A8976C8X ; n° 01-43.578 N° Lexbase : A8978C8Z ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.578, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8975C8W ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-40.235, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8974C8U, lire Christophe Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9951AAS). Ignoré formellement par le Code du travail, ce mode de rupture ne dispose d'aucun régime juridique propre et doit donc être rattaché à la démission ou au licenciement lorsqu'il s'agit de déterminer ses effets : si les fautes imputées par le salarié à son employeur sont avérées, la rupture produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; mais si elles ne le sont pas, alors la rupture produira les effets d'une démission. Le 19 janvier 2005, la Haute juridiction confortait cette analyse : la prise d'acte à l'initiative du salarié rompt bien le contrat de travail, privant ainsi l'employeur de la possibilité de prononcer ultérieurement le licenciement (Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0755DG3 : lire notre commentaire dans Lexbase Hebdo n° 153 du 3 février 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4456ABN). Dans cet arrêt, la Cour avait précisé que la lettre de licenciement envoyée postérieurement "importe peu", ce qui, on en conviendra, n'était guère précis. Ce nouvel arrêt, rendu le 8 juin 2005, tente de préciser sur le plan juridique le sort qu'il convient de réserver au licenciement prononcé postérieurement à la prise d'acte. Selon la Haute juridiction, "l'initiative prise ensuite par l'employeur de le licencier est non avenue". La formule n'est guère plus heureuse. En réalité, le licenciement du salarié postérieurement à la prise d'acte doit être considéré comme inexistant puisque le contrat a déjà été rompu.
Dans cette affaire, le salarié avait adressé à son employeur une lettre de prise d'acte le 26 janvier 1998 et ce dernier l'avait licencié pour faute grave le 10 mars 1998. La cour d'appel de Montpellier avait considéré que les prétendues fautes commises par l'employeur n'étaient pas établies, mais n'en avait pas tiré les bonnes conclusions puisqu'elle avait refusé de considérer le contrat de travail comme rompu par la prise d'acte et examiné le licenciement prononcé pour faute grave qu'elle avait considéré comme parfaitement justifié. Le raisonnement avait, par conséquent, ignoré totalement la nature même de la prise d'acte du contrat de travail qui constitue un mode de rupture du contrat de travail. Cette erreur était compréhensible dans la mesure où l'arrêt en cause datait du 18 mars 2003, c'est-à-dire avant le revirement intervenu le 25 juin 2003 (préc.). C'est sans doute, sans bien entendu l'avouer, pour cette raison que la Chambre sociale n'a pas censuré cette décision et décidé, au contraire, de la sauver. Cette mansuétude s'explique, également, techniquement, par le fait qu'une démission et un licenciement pour faute grave produisent le même effet sur un plan strictement indemnitaire. Dans les deux hypothèses, en effet, le salarié n'aura droit ni au préavis ni à l'indemnité de licenciement. Or, dans la mesure où la cour d'appel était saisie de demande tenant au paiement de ces indemnités, elle avait finalement bien jugé en déboutant le salarié, même si elle l'avait fait au prix d'un raisonnement erroné. Cette identité de régime entre la démission et le licenciement pour faute grave n'est toutefois pas totale. Si la rupture du contrat de travail s'analyse en effet en une démission, le salarié ne pourra pas prétendre au bénéfice des allocations de chômage, alors qu'il pourra en bénéficier s'il est licencié pour faute grave. Précisons, toutefois, que la Cour n'était nullement saisie dans ce contexte et que le salarié avait sans doute retrouvé du travail après sa prise d'acte (voire avant, ce qui expliquerait sa décision). Dans l'hypothèse où un salarié déciderait véritablement de mettre un terme à son contrat uniquement pour riposter à des comportements de son employeur considérés comme fautifs, il aurait tout intérêt à saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, puisqu'en cas d'échec, le rejet de sa requête entraînerait la poursuite de l'exécution du contrat de travail et nullement les effets d'une démission, ce qui est le cas si le salarié prend acte, à tort, de la rupture de son contrat de travail. 2. Les conséquences de la prise d'acte sur la renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence
L'ANI du 3 octobre 1975 relatif aux VRP, dans son article 17 , donne à l'employeur la possibilité de renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence "sous condition de prévenir le représentant dans les quinze jours suivant la notification, par l'une ou l'autre des parties, de la rupture (...)". Reste, bien entendu, à déterminer concrètement à partir de quel moment court ce délai.
Dans cette affaire, l'employeur avait exercé cette faculté dans les quinze jours qui avaient suivi le licenciement du salarié pour faute grave. Les juges du fond avaient considéré qu'il avait respecté le délai fixé par la convention collective, ce qui était logique, à condition d'admettre que le contrat de travail n'avait pas été utilement rompu par la prise d'acte effectuée auparavant. Dans la mesure où c'était bien la prise d'acte qui avait rompu le contrat, et non le licenciement, et ce indépendamment du caractère infondé des griefs du salarié, l'analyse des juges du fond ne pouvait plus être admise et la cassation s'imposait sur ce point.
Dans un arrêt en date du 9 mars 2005, la Cour de cassation avait pris soin de préciser comment il convenait de calculer ce délai. Selon la Haute juridiction, en effet, "le point de départ du délai de 15 jours prévu par l'article 17 de l'Accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 pendant lequel l'employeur peut dispenser le salarié de l'exécution de la clause de non-concurrence est la date de réception de la lettre de licenciement, c'est-à-dire, en l'espèce, le 7 octobre qui ne comptait pas dans la computation du délai" (Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-46.149, FS-P+B N° Lexbase : A2519DHR). Cette solution ne fait guère difficulté lorsque la rupture du contrat de travail résulte du licenciement du salarié puisque le Code du travail formalise la procédure et impose la notification écrite du licenciement. Mais en cas de démission ou de prise d'acte, la détermination du point de départ risque d'être délicate en l'absence de lettre adressée par le salarié (ce qui n'était pas le cas ici). Dans ces hypothèses, il appartiendra aux juges du fond de fixer souverainement la date à laquelle le salarié a rompu son contrat, au vu des éléments fournis par les parties. |
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Le 07 Octobre 2010
23 juin 2005
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