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N1745ABA
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par D. M.
Le 07 Octobre 2010
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Réf. : Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-41.810, Mme Jacqueline Sausseau c/ Société Château Maucamps, F-D (N° Lexbase : A2004DC9)
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N1722ABE
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-41.810, Mme Jacqueline Sausseau c/ Société Château Maucamps, F-D (N° Lexbase : A2004DC9) Cassation de CA Bordeaux (chambre sociale, section A),17 janvier 2002 Textes visés : C. trav., articles 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) ; L. 122-45 (N° Lexbase : L5583ACR) Salarié victime d'un dommage d'origine non professionnelle ; licenciement ; conditions ; motivation de la lettre de licenciement ; insuffisance ; sanction ; défaut de cause réelle et sérieuse Liens base : |
Faits
1. Une salariée avait été embauchée en qualité d'agent polyvalent des services par la société Château Maucamps, qui exploite une maison de retraite en Gironde. Après avoir été en arrêt de travail pour maladie, elle a été licenciée 12 août 1997 pour "absences répétées dues à la maladie entraînant des répercussions dommageables sur la bonne marche de l'entreprise par application de l'article 33, alinéa 11, de la Convention collective nationale des établissements et services privés sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 24 décembre 1993". 2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de son licenciement et de rappel de salaires. 3. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts au titre de son licenciement, l'arrêt attaqué retient que tant l'imprévisibilité et le nombre des arrêts de travail pour maladie et de prolongation que la nature de l'emploi occupé et l'obligation de recourir à des emplois temporaires, constituent un trouble d'organisation et de fonctionnement et que le caractère spécifique de l'activité de la maison de retraite, consistant dans l'hébergement des personnes âgées, s'accorde mal avec l'existence d'un personnel de passage, incompatible avec la stabilité qu'exige ce genre de clientèle. |
Solution
1. Cassation au visa des articles 122-14-3 et L. 122-45 du Code du travail, ensemble l'article 33 de la Convention collective nationale des établissements et services privés sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 24 décembre 1993 . 2. "Si l'article L. 122-45 du Code du travail fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du Titre IV du Livre II de ce même Code, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé, non pas par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié ; que celui-ci ne peut toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif". 3. "En statuant ainsi, alors que l'employeur ne s'était pas prévalu de la nécessité d'un tel remplacement dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés". |
Commentaire
1. La justification du licenciement du salarié victime d'un dommage d'origine non-professionnelle Généralités Le licenciement d'un salarié victime d'un accident survenu dans le cadre de sa vie privée ou d'une maladie non considérée comme professionnelle au titre du livre IV du Code de la Sécurité sociale ne bénéficie, contrairement au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (C. trav., art. L. 122-32-2 N° Lexbase : L5519ACE), d'aucune protection générale contre le licenciement. Le Code du travail interdit simplement à l'employeur de prendre comme motif de rupture son état de santé, conformément aux dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L5583ACR). Validité du licenciement Dès lors que le motif de la rupture est étranger à l'accident ou la maladie, et ce même s'il s'agit d'un motif personnel, le licenciement sera donc valable. La Cour de cassation a précisé, à partir de 1998, les conditions exactes dans lesquelles l'employeur pouvait procéder à un tel licenciement (Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 97-43.484, Société La Parisienne assurances c/ M. Darcy et autre, publié N° Lexbase : A3150ABB Dr. soc. 1998, p. 950, obs. A. Mazeaud ; Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 98-40.493, Mme De L'Hamaide c/ Société Radiospares, publié N° Lexbase : A4917AG9 ; Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-40.110, Mme Herbaut c/ Société Adressonord, publié N° Lexbase : A9275ASC Dr. soc. 2001, p. 558, obs. J.-Y. Frouin). Ce dernier ne sera valable que s'il est motivé "non pas par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement". Motivation de la lettre de licenciement La Cour de cassation a encore renforcé la sévérité de la solution en en tirant les conséquences concernant la motivation de la lettre de licenciement. L'employeur doit en effet se prévaloir "de la nécessité d'un tel remplacement dans sa lettre de licenciement" (Cass. soc., 5 juin 2001, n° 99-41.603, Société Imprimerie papeteries Sauvion-Champerret (IPS) c/ Mme Josette Morand, publié N° Lexbase : A5125AGW Dr. soc. 2001, p. 1051, chron. J. Savatier). Critique de la rétroactivité de la solution On pourra discuter à l'infini de la nécessité d'une telle exigence. Nous voudrions ici simplement souligner les conséquences iniques du caractère rétroactif d'une pareille exigence. On peut, en effet, admettre que la décision concerne les licenciements notifiés postérieurement à cette décision, les employeurs étant censés avoir pris connaissance des nouvelles exigences formelles posées par la Cour de cassation. Mais, on ne saurait accepter que cette exigence soit opposée rétrospectivement à des entreprises ayant procédé à des licenciements antérieurement à la décision, c'est-à-dire à une époque où la Cour de cassation ne posait pas pareille exigence et où la notification avait été correctement réalisée. C'est ce qui s'était passé en l'espèce puisque la lettre de licenciement, que la Chambre sociale de la Cour considère comme insuffisamment motivée, avait été adressée à la salariée le 12 août 1997, c'est-à-dire 11 mois avant le premier arrêt ayant fixé les règles de fond (Cass. soc., 16 juillet 1998 : préc.) et près de 4 ans avant l'arrêt ayant imposé une mention spécifique dans la lettre de licenciement (Cass. soc., 5 juin 2001 : préc.) ! Refus de limiter dans le temps la portée des revirements Or, on sait, depuis un arrêt (non publié !) rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 7 janvier 2003 à propos de la contrepartie financière des clauses de non-concurrence (Cass. soc., 7 janvier 2003, n° 00-46.476, F-D N° Lexbase : A6000A4Y Lire Pour en finir avec la rétroactivité des revirements de jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 55 du jeudi 23 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5616AAA), que "la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit". Un refus injuste Sans revenir sur un débat largement illustré (édito préc.), nous voudrions simplement relever, de nouveau, l'injustice de l'affirmation, puisqu'elle aboutit à la condamnation d'employeurs pour des comportements qui, lorsqu'ils se sont déroulés, étaient parfaitement conformes à la jurisprudence de l'époque. Il est infiniment regrettable que la Cour de cassation, au nom de la fiction du juge se contentant d'interpréter la loi, alors qu'il la refait chaque jour un peu plus, ne soumette pas aux principes qui gouvernent l'application des lois dans le temps. Faudra-t-il attendre que la Cour de Strasbourg condamne la France pour violation de l'article 6-1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), pour que l'on se rende enfin compte de la situation dans laquelle se trouvent les justiciables ? 2. L'interdiction d'invoquer des éléments étrangers à la lettre de licenciement Généralités sur la motivation de la lettre de licenciement L'injustice résultant de l'application rétroactive de la jurisprudence concernant la motivation de la lettre de licenciement se double d'une autre affirmation qui nous paraît également contestable. On sait, depuis l'arrêt "Rogie" (Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, M. Rogie c/ Société Sermaize Distribution, publié N° Lexbase : A9329AAR D. 1991, p. 99, note J. Savatier), que le défaut d'énonciation des motifs dans la lettre de licenciement équivaut à une absence de motifs et entraîne la condamnation de l'employeur au paiement des dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse. Or, on sait également que l'insuffisance des motifs entraîne les mêmes conséquences et que l'employeur ne peut invoquer devant le juge de nouveaux éléments, dans la mesure où la lettre de licenciement fixe définitivement les termes du litige. Une exigence excessive en soi La solution, qui se justifie par le souci -certes louable- de protéger le salarié contre les malversations de l'employeur, nous paraît à bien des égards excessive, dans la mesure où elle aboutit à la condamnation de milliers d'employeurs à verser des indemnités pour défaut de cause réelle et sérieuse, alors qu'il apparaît que ce licenciement était parfaitement justifié sur le fond, la seule erreur commise par l'employeur étant de n'avoir pas apporté à la rédaction de la lettre de licenciement le soin nécessaire. Une exigence injuste en l'espèce Cette solution, en soi excessive, devient intolérable dans l'hypothèse qui nous intéresse ici, c'est-à-dire lorsque le défaut de motivation résulte rétrospectivement d'un changement de jurisprudence intervenu postérieurement à la notification du licenciement. Sans demander l'impossible, c'est-à-dire un assouplissement de la jurisprudence "Rogie" lorsque l'employeur était de bonne foi, tout au moins pourrait-on espérer que la Cour de cassation admette une exception, précisément lorsque le défaut de motivation n'était pas caractérisé au regard de la jurisprudence applicable à l'époque des faits. Une telle solution permettrait alors, faute de mieux, de tempérer la rétroactivité des revirements de jurisprudence et de faire de nouveau coïncider justice... et justice ! |
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Réf. : TGI Paris, 18 mai 2004, n° RG 02/18937, Association UFC-Que choisir c/ SA Bnp Paribas ([LxB=A1880DCM]) et n° RG 03/00510, Association UFC Que choisir c/ SA Crédit Lyonnais ([LxB=A1881DCN])
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N1742AB7
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par Richard Routier, Maître de conférences à l'Université du sud Toulon-Var, Codirecteur du Master banque
Le 07 Octobre 2010
Les dates ou jours de valeurs qui, comme on le sait, distinguent le moment où une somme est effectivement débitée ou créditée de celui de l'opération, ont toujours été l'objet de vifs débats. Pour les banques, une telle pratique trouverait son fondement dans les délais de traitement interbancaire de l'opération qui ne leur permettent pas de disposer immédiatement des fonds. Leurs besoins de liquidité, l'avance qu'elles seraient amenées à faire à leur client, justifieraient alors une date de valeur antérieure à celle de l'opération pour les débits, et une date postérieure pour les crédits. Pour les titulaires de compte, appuyés aujourd'hui par les associations de défense des consommateurs, elle aboutirait au contraire à mettre à leur charge des intérêts inutiles, et par conséquent à leur faire payer une commission déguisée. Les établissements de crédit peuvent encore utiliser les dates de valeur pour améliorer leur trésorerie. Ils recueillent, en effet, les fonds pour le compte de leur client mais avec le droit d'en disposer pour leur propre compte (3). Toute restitution tardive, en terme d'encours ou de produit financier est donc tentante pour le banquier (4).
Issues d'une époque où les opérations étaient sur support papier faisant l'objet d'un traitement physique, les dates de valeur pouvaient sans peine se comprendre. Doivent-elles être encore maintenues à l'ère des échanges numériques quasi-instantanés ? Une telle pratique peut sans doute se concevoir en tant qu'usage bancaire (5), ainsi que le rappelle un parère de la Fédération bancaire française (6). Mais comme le relève un auteur, "un consensus général est la condition sine qua non des usages bancaires qui ne signifient pas la volonté unilatérale des banques, résultant de leur façon de faire habituelle" (7). Et il faut bien reconnaître que l'acceptation des dates de valeur par la clientèle est assez relative. La jurisprudence a déjà été amenée à prendre position en mettant un terme à cette pratique dénuée de cause pour les opérations portant sur des espèces, lesquelles doivent être prises en compte au jour de l'opération, et non à une date différée ou avancée (8). Une condamnation au visa de l'article 1131 du Code civil, confirmée pour les espèces (9), ne peut-elle alors être étendue à d'autres opérations avec, le cas échéant, une responsabilité pour le préjudice occasionné ? Les juges parisiens ont répondu en reprenant la jurisprudence bien établie de la cour de cassation qui reconnaît la licéité des dates de valeur pour les remises de chèques et la dénie pour les autres opérations. Cette décision de maintenir la jurisprudence antérieure n'en demeure pas moins remarquable, d'une part, parce que c'est la première fois que le juge intervient depuis la mise en place du nouveau système d'échange d'image chèque (EIC), d'autre part, parce que sont rajoutées dans le périmètre de la licéité certaines opérations spécialement énumérées. De ce point de vue, les jugements du 18 mai sont sans doute une victoire pour les banques. A y mieux regarder cependant, ce succès est assez relatif : la licéité n'apparaît qu'en demi-teinte (I) et la portée de ces décisions pour les banques demeure restreinte (II).
I - Une licéité en demi-teinte
A - Confirmation pour les chèques et extension à trois sortes d'opérations
S'agissant de la remise de chèques, la jurisprudence a déjà pu admettre la validité des dates de valeur (10), sous réserve que les délais ne soient pas manifestement excessifs (11). Force est donc de constater que, sur ce point, les jugements du 18 mai 2004 n'apportent pas grand chose. Le pouvaient-ils pour autant ? Il est possible de considérer qu'un revirement en la matière n'était pas sans fondement. D'abord parce que certaines banques avaient déjà spontanément anticipé le mouvement en décidant également, purement et simplement, la suppression des dates de valeur pour le chèque. Mais surtout, il y avait tout lieu de penser que cette suppression serait généralisée avec la mise en place des "chèques image" en 2002 (12). Même si certains chèques demeurent "circulants", il s'agit d'une infime partie du volume traité (13) qui ne saurait justifier à elle seule le maintien du système en l'état.
Cette question fut abordée lors des débats parlementaires concernant l'amélioration des relations entre les banques et leurs clients, à l'occasion du vote de la loi de sécurité financière (14). Néanmoins, le législateur n'a finalement pas pris position sur ce point. Dans ce contexte, les jugements du TGI de Paris du 18 mai 2004 étaient particulièrement attendus.
Pour les juges parisiens, la pratique des dates de valeur reste valable pour la remise de chèques, en dépit de l'informatisation de la transmission. Les différents jugements portent d'ailleurs l'empreinte d'une même motivation : "l'institution du système des dates de valeur réside dans l'existence d'un délai nécessaire entre la remise du chèque à l'encaissement et le crédit effectif de la banque des sommes correspondantes [...] si l'instauration du système EIC a très fortement raccourci le temps de traitement des opérations bancaires et permis ainsi aux opérations d'entrer en compte dans des délais inférieurs à ceux qui existaient antérieurement [...], ce système nécessite des interventions à la charge de la banque, notamment par la création de fichier EIC, de sorte que la banque n'est pas créditée instantanément".
Le premier jugement vient indirectement mais explicitement rajouter que les dates de valeur peuvent aussi valablement s'appliquer aux opérations avec l'étranger ou en devises, ainsi qu'aux les chèques de voyages. Une telle extension ne peut qu'être approuvée. C'est en effet à juste titre que les juges ont pu constater que la mise en oeuvre du système EIC ne prenait pas en compte ces opérations, "leur délai de traitement ne se [trouvant] pas affecté par l'instauration de ce nouveau système".
La conclusion s'impose alors d'elle-même : en raison de "la subsistance même limitée des délais nécessaires" à la réalisation de ces opérations, la pratique des dates de valeur ne se trouve pas sans cause. Elle ne crée pas non plus un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Les banques sont donc fondées à utiliser le système des dates de valeur. Cet aspect du jugement, positif pour les banquiers, doit toutefois être confronté aux aspects plus négatifs qu'il comporte pour eux.
B - Restriction et prohibition
Les juges parisiens apportent une restriction importante à la liberté du banquier d'imposer une date de valeur, laquelle ne saurait trouver sa source dans une quelconque rémunération. Plus exactement, "la cause invoquée par la banque [...] à savoir la tarification forfaitaire de ses encaissements, n'est pas la cause réelle de la pratique des dates de valeur [...] il s'agit d'une fausse cause". En d'autres termes, le TGI de Paris vient fort opportunément rappeler que les dates de valeur sont une question de temps et non d'argent. Les conséquences d'une telle solution ne sont pas négligeables. Le système des dates de valeur se justifie pleinement pour pallier les contraintes techniques auxquelles est confronté le banquier. Mais il est appelé à disparaître en même temps que celles-ci.
Les jugements du 18 mai 2004 reprennent également la prohibition résiduelle et générale - qui concerne les opérations autres que les remises de chèque -, mais de manière assez cohérente, le second jugement précité vient expressément prohiber l'utilisation des dates de valeur pour plusieurs opérations, dont certaines au demeurant ne s'étaient pas encore véritablement présentées devant les tribunaux. En effet, si la pratique consistant à imposer des dates de valeur rétroactives aux paiements par chèque français en France, ou pour les avis de prélèvements était déjà sanctionnée (15), il n'en était pas de même pour les retraits d'espèces effectués dans les automates de paiement, ou encore pour les avis de TIP ou de TEP. Pour les juges parisiens, l'institution de date de valeur pour ce type d'opération se trouve sans cause dès lors que la banque ne justifie pas ici "en quoi l'application de dates de valeur négatives , et donc la facturation d'intérêts [...] se trouvent causés par un crédit consenti à ses clients s'agissant de paiements que la banque ne décaisse pas par anticipation".
Ces nouvelles prohibitions rejoignent donc les hypothèses sur lesquelles la jurisprudence a déjà eu l'occasion de se prononcer. C'est le cas en matière de virement, où la responsabilité du banquier put être retenue pour avoir rejeté un effet au motif que le solde du compte était débiteur en date de valeur, alors qu'il ne l'était pas en réalité. Pour la Cour de cassation, l'application d'une date de valeur ne pouvant se concevoir qu'en présence de contraintes découlant de l'exécution matérielle de l'opération, le bénéficiaire doit pouvoir disposer du montant du virement, dès réception par la banque, sans devoir attendre l'écoulement d'un délai supplémentaire (16) ; les opérations de virement n'impliquant pas que, même pour le calcul des intérêts, les dates de valeur soient différées ou avancées (17). On l'a vu, dans le domaine voisin des prélèvements, le banquier ne jouit pas non plus d'une totale liberté pour les dates de valeurs. Ainsi par exemple, s'agissant de prélèvements découlant du remboursement d'un prêt, le banquier ne fut-il pas admis à prélever des intérêts de retard lorsque ceux-ci étaient dus au décalage systématique opéré par la banque entre les dates d'opération et les dates de valeur (18). Ne sont pas admises non plus les dates de valeur appliquées aux sommes provenant de ventes de valeurs mobilières dès lors qu'elles privent le donneur d'ordre de la rémunération des fonds concernés (19). Quant aux effets, si les dates de valeurs ont pu être admises (20), ce n'est que dans la mesure où il ne s'agit pas de remise à l'escompte (21).
Pour le TGI de Paris, les clauses relatives à des dates de valeur qui se trouvent sans cause créent un déséquilibre significatif - "la banque percevant des intérêts [...] qui ne sont justifiés par aucune contrepartie" -, et sont donc abusives. Le juge peut conséquemment les déclarer non écrites et inopposables au client qui les subit. Pour le reste, les solutions sont identiques à celles que les tribunaux ont déjà pu dégager. La banque, qui ne justifie pas pour chaque opération que les dates de valeur appliquées pour le calcul des intérêts débiteurs procède d'une cause déterminée, n'a ainsi droit qu'aux seuls intérêts légaux calculés en fonction des dates d'encaissement et de décaissement des fonds (22). Elle ne saurait non plus, pour justifier sa pratique des dates de valeur, se borner "à soutenir n'y avoir pas procédé abusivement et discrétionnairement dans des conditions différentes de celles usuellement pratiquées par l'ensemble des établissements bancaires" (23). Signalons, enfin, que si les dates de valeurs illicites peuvent engager au premier chef la responsabilité du banquier, il n'est pas le seul à pouvoir être inquiété. Il a par exemple été jugé qu'une action en réparation du préjudice, résultant des anomalies affectant les dates de valeurs, pouvait être intentée contre l'expert comptable n'attirant pas spécialement l'attention de son client sur ces anomalies (24).
II - Une portée restreinte
De toutes les opérations de paiement ou d'encaissement domestiques, il ne resterait finalement que les remises de chèque qui seraient encore susceptibles d'être assorties de dates de valeur. Ce dernier avantage concédé au banquier n'est cependant pas définitif, ce qui peut donner à penser que, sur ce point, les jugements du 18 mai n'ont pas une grande portée.
D'abord, parce que "les interventions à la charge de la banque et notamment la création d'un ficher EIC" ne sont pas quantifiées. Dans l'absolu, la numérisation d'un chèque ne devrait prendre que quelques secondes, ce qui n'est déjà en soi pas très pénalisant pour le banquier. Celui-ci pourrait encore envisager de réaliser cette opération à ses guichets, beaucoup moins encombrés que par le passé. Des automates qui restent naturellement à imaginer et à mettre en place pourraient aussi réduire à néant les délais techniques.
Ensuite, parce que même partiel, le maintien des dates de valeur pose encore de nombreux problèmes. Par exemple, en matière d'usure, le système des dates de valeur est assez curieusement neutralisé au préjudice du client, alors même que leur prise en compte est solennellement déclaré. En effet, "lorsqu'un établissement compare le TEG d'un crédit au seuil d'usure correspondant, il se fonde sur des éléments et des modalités de calcul [...] qui incluent notamment les dates de valeur dans la durée effective du crédit. Lorsque la Banque de France, pour le calcul [...] des seuils d'usure, recense les taux pratiqués, il est donc d'usage que les établissements de crédit lui communiquent les taux qui sont appliqués sur la durée des crédits déterminés en incluant les dates de valeur" (25). Mais comme il a été très justement démontré (26), la Commission consultative sur les taux de prêts d'argent (27) - qui peut être saisie par les juridictions de l'ordre judiciaire pour être éclairées sur le taux de l'usure -, compare l'établissement qu'elle examine sans tenir compte des dates de valeur. Par conséquent, elle "invite le juge à comparer des taux incluant l'incidence des dates de valeur avec des taux retraités, qui excluent celle-ci", ce qui avantage le banquier.
La portée du principe commun aux décisions du 18 mai 2004 peut paraître limitée, enfin, parce que le législateur européen se préoccupe également de cette question. Dans un souci de transparence des conditions applicables aux virements transfrontaliers, la directive du 27 janvier 1997 (28) oblige déjà les établissements de crédit à mettre à la disposition de leurs clients effectifs et potentiels certaines informations préalables, aux rang desquelles l'indication du délai nécessaire pour que les fonds soient crédités sur le compte de l'établissement du bénéficiaire, et la date de valeur, s'il en existe une, qui sera appliquée par l'établissement (29).
Cette indication de la date de valeur doit être rappelée à leurs clients, postérieurement à l'exécution ou à la réception du virement transfrontalier, sauf renonciation expresse de leur part (30). Toutefois, c'est surtout la récente communication de la Commission européenne concernant un nouveau cadre juridique pour les paiements dans le marché intérieur (31) qui est à signaler. D'une part, parce qu'elle propose un premier projet de dispositions applicables à tous les services de paiement, aux termes duquel figurerait une obligation d'information sur les dates de valeur (32). D'autre part, parce qu'une telle obligation n'élude pas la question de la pertinence du maintien des dates de valeur.
Comme le remarque la Commission elle-même : "dans le passé, la plupart des paiements n'étaient pas traités de manière instantanée, de sorte que l'utilisation de dates de valeur pouvait se justifier pour des raisons techniques. De nos jours, ce n'est généralement plus le cas puisque la majorité des opérations sont traitées par voie électronique" (33). La Commission n'ignore pas non plus les inconvénients de cette pratique : "la post-datation d'une date de valeur peut conduire à allonger le délai d'exécution, alors que l'objectif du marché unique en matière de paiements est de réduire ce délai au minimum requis [...] les dates de valeur introduisent un élément non transparent dans la structure des tarifs. L'utilisation de dates de valeur peut donc être assimilée à un "tarif caché"" (34). Aussi n'exclut-elle pas de réglementer la matière.
Dans une telle hypothèse, trois pistes sont envisagées pour fixer la date de valeur d'une opération de paiement (35). La première consisterait à retenir "la date à laquelle le flux monétaire correspondant à l'ordre de paiement est exécuté auprès du prestataire du service de paiement concerné". C'est la solution la plus juste mais elle présente l'inconvénient pour le client de ne pas connaître le moment de cette exécution. La deuxième retiendrait "la date de l'opération" : c'est la plus simple et la plus favorable au client, tout en comportant l'avantage d'inciter le banquier à améliorer le système. La dernière serait celle "de la comptabilisation". C'est la solution la plus mauvaise pour le client alors même qu'il est en situation de partie faible en n'ayant pas la maîtrise des écritures.
Face à une opinion contrastée (36), le Gouvernement français serait attaché à un système de date de valeur dépendant "des délais techniques incompressibles de traitement des ordres" et serait favorable à des mesures réglementaires pour assurer une plus grande transparence (37). Sans vouloir ici préjuger de ce que fera le législateur, disons déjà que cette notion de "délais techniques incompressibles" n'a pas que des vertus. Certes, avec les progrès de la technique, on peut théoriquement s'attendre à une disparition rapide des dates de valeur, y compris pour les chèques. Mais il ne faut pas ignorer que les progrès de la technique dépendent des banques qui, avec les jugements du 18 mai 2004 - et c'est leur principale faiblesse - ont de moins en moins intérêt à faire progresser le traitement du chèque. Pour toutes ces raisons, il est possible de penser que ce que n'a pas cru devoir faire une juridiction du premier degré, pourrait bien être fait par une juridiction supérieure ou le législateur. Dans cette perspective, la suppression d'un tel système ne serait alors, comme les dates de valeur elles-mêmes, qu'une question de temps...
(1) TGI Paris, 18 mai 2004, n° RG 02/18937, Association UFC-Que choisir c/ SA Bnp Paribas ([LxB=A1880DCM]).
(2) TGI Paris, 18 mai 2004, n° RG 03/00510, Association UFC Que choisir c/ SA Crédit Lyonnais ([LxB=A1881DCN]).
(3) C. mon. et fin., art. L. 312-2 ([LxB=L3744APD]).
(4) Selon J. Desallangre "le Conseil national du crédit et du titre avait estimé, en 1990, à 10 milliards de francs, soit 1,5 milliard d'euros la recette procurée par le seul placement de la trésorerie résultant des dates de valeur. En 2000, les paiements de masse représentaient 10,247 milliards d'opérations, pour un montant de 4 381 milliards d'euros. En tenant compte du taux de rémunération des banques, qui s'élevait à 4,1 %, nous aboutissons au chiffre de 2 milliards d 'euros pour 4 jours de décalage dus aux dates de valeur ! Et encore ce montant est-il certainement inférieur à la réalité : il faudrait y ajouter les frais et autres agios prélevés sur les comptes à découvert", Ass. Nat., compte rendu 2ème séance du 29 avril 2003, JO Ass. Nat., 30 avril 2003.
(5) En ce sens : Aix en Provence, 29 sept. 1990, Banque n° 512, janv. 1991, 96, obs. J-L. Rives-Lange.
(6) Parère du 16 juillet 2001, aux termes duquel "Il est d'usage constant que les établissements de crédit appliquent à leurs opérations avec la clientèle des dates de valeur, c'est-à-dire que la prise en compte de ces opérations pour le calcul des intérêts se fait avec un certain décalage par rapport au jour où elles sont effectuées".
(7) C. Gavalda, J. Stoufflet, JCP éd. E, 1995, I, 463, n° 7 et I, 465, n° 13 ; voir aussi des mêmes auteurs : Droit bancaire, Litec, 1994, n° 20, p. 8 ; note sous Cass. com., 10 janvier 1995, n° 91-21.141 ([LxB=A4626ABX]).
(8) Cass. com., 6 avril 1993, n° 90-21.198 ([LxB=A6348ABQ]), Bull. civ. IV n° 138, p. 94 ; D. 1993, 310 note C. Gavalda ; RTD com. 1993, p. 549, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; JCP éd. G, 1993, II, 22062, et éd. E, II, 444 note J. Stoufflet ; Petites Affiches n° 45, 14 avril 1993, obs. JPD ; C. Mouly, "Bilan provisoire d'une critique des dates de valeur", RJDA 1993, p. 503 ; B. Vigneron, "Date de valeur bancaires : censure de la Cour de cassation", Droit et patrimoine, mai 1993, p. 10 ; C . Ferry, "La remise en cause des dates de valeur : la parade", Rev. dr. bancaire et bourse n° 37, mai-juin 1993, p. 106.
(9) Cass. com., 10 janv. 1995 préc. ; Bull. civ. IV, n° 8 ; Rev. dr. bancaire 1995, p. 80 ; Banque 1995, p. 93 obs. J-L. Guillot ; JCP éd. G, 1995, II, 22475 et éd. E, II, 739, note F. Auckenthaler.
(10) Cass. com., 6 avril 1993, préc. ; Cass. com., 10 janv. 1995, préc., D. 1995, p. 229, note C. Gavalda ; JCP éd. E, 1995, I 465, n° 13, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet ; D. 1996, som. 114, obs. R. Libchaber ; Cass. com. 21 mai 1996, n° 94-16.917 ([LxB=A1952AXL]), RTD com.. 1996 , p. 507, obs. M. Cabrillac.
(11) Cass. com., 17 mars 2001, RJDA 8-9/2001, n° 895.
(12) L'Echange d'Image Chèque qui permet la compensation électronique des chèques sur le Système Interbancaire de Télé-compensation (SIT) et qui consiste pour la banque remettante à procéder à la numérisation du chèque et à la transmission de sa seule image à la banque émettrice, a en effet pratiquement supprimé les délais techniques.
(13) 2 % des chèques reviennent physiquement chez le banquier tiré (c'est notamment le cas pour les chèques importants, ou ceux qui présentent des défauts de lecture).
(14) Ass. Nat., 2ème séance du 29 avr. 2003, exposé de J. Desallangre préc.
(15) Cass. civ. 1, 10 mars 1998, n° 96-11886 ([LxB=A2204ACM]), Bull. civ. I n° 96 p. 64 ; D. aff. 1998 , p. 761. Adde : Cass. com., 29 mars 1994, n° 92-11843 ([LxB=A6812ABW]), Bull. civ. IV n° 134, p. 104 ; D . 1994, p. 611, note C. Gavalda.
(16) Cass. com., 27 juin 1995, n° 93-10.179 ([LxB=A8209ABN]), JCP éd. G, 1995, n° 29, Actualités ; JCP éd. E, 1995, pan. 1070 et 1996, I, pan. 525 obs. C. Gavalda et J. Stoufflet ; D. 1996, som . p. 114 , obs. R. Libchaber, et p. 383, note A-M. Romani ; RTD com. 1995, p. 820, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié.
(17) Cass. com., 15 oct. 1996 n° 94-19.174 ([LxB=A7938CT8 ]) ; Cass. com., 24 septembre 2002, n° 00-21.162 ([LxB=A4927AZI]); Cass. com., 17 décembre 2003, n° 01-13.170 ([LxB=A4760DAK]).
(18) Cass. civ. 1, 10 mars 1998, préc.
(19) La COB pouvant obliger la banque à verser une indemnité à son client : Rapport COB pour 1985, Bull. Joly 1986, § n°14.
(20) Cass. com., 17 octobre 1995, RTD com. 1996, p. 96, obs. M. Cabrillac.
(21) M. Cabrillac, obs. préc.
(22) Cass. com., 1er février 2000, Leconnetable c/ Société marseillaise de crédit, n° 97-17.331 ([LxB=A1956AXQ]).
(23) Cass. com., 12 janvier 1999, n° 96-11.792 ([LxB=A6697AXC]) ; Cass. com., 6 avril 1999, 2 arrêts : Sté Galy c/ Banque de Bretagne, n° 96-12.339 ([LxB=A4829CN8]) et Consorts Labbé c/ Banque de Bretagne, n° 96-13.948 ([LxB=A4831CNA]).
(24) Cass. com., 23 avril 2003, n° 00-21.698 ([LxB=A4993BMU]).
(25) Parère du 16 juillet 2001 préc.
(26) J. Le Calvez, "Les dates de valeur et l'usure", D. aff. 2002, n° 23, p. 1892.
(27) C. consom., art. L. 313-6.
(28) Directive n° 97/5/CE concernant les virements transfrontaliers, JOCE n° L 043 du 14 févr. 1997 p. 25 ([LxB=L7886AUM]).
(29) Directive n° 97/5, art. 3.
(30) Directive n° 97/5, précit..
(31) COM(2003) 718 final du 2 déc. 2003.
(32) Ibid., p. 28 et 29.
(33) Ibid., annexe 4, p. 33.
(34) Ibid.
(35) Ibid., annexe 4, p. 34.
(36) Les banques militent pour le maintien du système d'autorégulation des dates de valeur. Dans le même esprit, la Fédération française du Commerce et de la Distribution (FCD) souhaite conserver le cadre contractuel actuel des dates de valeur entre le commerçant et son banquier qui permet au commerçant de choisir une date de valeur adaptée à son entreprise. En revanche, l'Association Française des Trésoriers d'Entreprise (AFTE) serait favorable à un encadrement réglementaire de l'utilisation des dates de valeur (cf. le document cadre de la direction du Trésor sur la position française sur le nouveau cadre juridique des paiements en Europe).
(37) Ibid.
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Réf. : CNC, avis n° 2004-01 du 25 mars 2004
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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne
Le 07 Octobre 2010
Plusieurs points sont traités. Parmi eux, on retiendra essentiellement la nouvelle méthode d'évaluation des apports et la comptabilisation du mali de fusion non représentatif d'une dépréciation de titres dans un compte d'immobilisations incorporelles.
Rappelons qu'actuellement, les sociétés qui fusionnent ont le choix entre plusieurs méthodes de valorisation des apports.
Pour des raisons essentiellement fiscales, elles retiennent soit la valeur réelle des biens apportés soit la valeur comptable. En principe, la valeur réelle ou valeur vénale est la valeur la plus souvent utilisée en cas d'évaluation des sociétés qui fusionnent. Cependant, il est admis que la valeur comptable, si elle est suffisamment proche de la situation réelle de la société, puisse être considérée, dans le cadre du régime de faveur, comme valeur d'apport. Le choix de la valeur comptable est purement fiscal dans la mesure où la plus-value d'annulation des titres est exonérée si et seulement si elle est réalisée dans le cadre du régime de faveur.
Ce régime, en cas de fusion par exemple, a pour but principal de minimiser les charges fiscales de la société absorbée et de les transférer sur la société absorbante .
Le CNC est venu modifier quelque peu ces méthodes d'évaluation des apports. En effet, les personnes morales qui fusionnent n'auront plus le choix. Désormais, la valeur retenue leur sera imposée en fonction de la situation de contrôle au moment de l'opération de fusion (1).
Outre cette nouvelle méthode d'évaluation des apports, l'avis vient également préciser le traitement comptable du "mali de fusion". Il est à comptabiliser, lorsqu'il n'est pas représentatif d'une dépréciation de titres, dans un compte d'immobilisations incorporelles (2).
1. La méthode d'évaluation des apports est liée à la situation des entreprises qui fusionnent
Les sociétés ont désormais l'obligation d'évaluer leurs apports soit à la valeur réelle soit à la valeur comptable. Le choix n'est plus possible en fonction des intérêts fiscaux. Ainsi, il faudra distinguer entre les fusions à l'endroit ou à l'envers impliquant des entités sous contrôle commun ou sous contrôle distinct au sens de l'article L. 233-16 du Code de commerce (C. com., art L 233-16 N° Lexbase : L6319AIU). L'avis définit successivement la société absorbante, la société absorbée, la société initiatrice et la société cible ainsi que les notions de fusions à l'endroit, à l'envers et de contrôle avant d'évoquer la nouvelle méthode d'évaluation.
1.1. Evaluation à la valeur réelle
L'évaluation des actifs et passifs se fait à leur valeur réelle, lorsque l'opération de restructuration est à l'endroit, et lorsqu'elle est réalisée entre entités non contrôlées ou entre entités sous contrôle distinct. L'avis rapporté définit les opérations impliquant des sociétés sous contrôle distinct comme des opérations dans lesquelles "aucune des sociétés ne contrôle préalablement l'autre ou lorsque ces sociétés ne sont pas préalablement sous le contrôle d'une même société-mère".
Cette valeur réelle est logiquement celle qu'il convient de retenir pour la valorisation des biens apportés dans la mesure où la situation de contrôle entre la société initiatrice (société absorbante dans le cadre de fusion) et la société cible (société absorbée en cas de fusion) n'est pas établie. Il s'agit, comme le rappelle le CNC, de traiter cette opération comme une acquisition à la valeur réelle.
Le Conseil souligne aussi que cette valeur est exceptionnellement utilisée pour les opérations de filialisation suivies d'une cession à une société sous contrôle distinct.
De manière générale, les apports sont évalués à leur valeur réelle lorsqu'une réévaluation est à effectuer. Le CNC rappelle que les valeurs réelles individuelles des actifs et passifs apportés s'apprécient en fonction du marché et de l'utilité du bien pour la société.
A l'opposé, lorsque l'ensemble des actifs et passifs ne nécessitent pas de réévaluation, c'est la valeur comptable qui servira alors de valeur d'apport. Le CNC précise que la valeur comptable des actifs et passifs apportés est celle qui figure dans les comptes de l'absorbée ou de la société apporteuse à la date d'effet de l'opération.
1.2. Evaluation à la valeur comptable
L'évaluation des actifs et passifs se fait à leur valeur comptable lorsque l'opération de restructuration est réalisée entre entités contrôlées ou entre entités sous contrôle commun.
Le CNC rappelle la définition du contrôle exclusif dans l'avis : il s'agit du "pouvoir de diriger les politiques financière et opérationnelle d'une entreprise afin de tirer avantage de ses activités".
Les apports sont évalués à la valeur comptable lorsque les opérations, peu importe le sens de l'opération, impliquent des sociétés sous contrôle commun. En effet, la situation de contrôle entre les entités concernées a préalablement été établie. L'évaluation des actifs et passifs a par conséquent déjà été effectuée ce qui ne nécessite pas de réévaluation : la valeur comptable est donc logiquement la valeur d'apport à retenir.
En outre, il convient de soumettre les apports à la valeur comptable lorsque l'opération est à l'envers et implique des sociétés sous contrôle distinct. Ceci s'explique notamment par le sens de la fusion. En effet, dans ce cas de figure, c'est la société qui aurait du être la société initiatrice qui devient la cible. Les biens de la cible ne figurant pas dans le traité d'apport ne peuvent pas être évalués à leur valeur réelle : la valeur comptable est encore une fois la valeur de référence.
L'avis, s'il détaille les nouvelles modalités d'évaluation des apports, vient également affiner la notion et le régime du mali de fusion.
2. Le mali de fusion non représentatif d'une dépréciation de titres est comptabilisé dans un compte d'immobilisations incorporelles
L'avis confirme les règles applicables au boni de fusion, mais vient surtout préciser le traitement comptable du mali de fusion. Défini par le CNC, le mali de fusion représente "l'écart négatif entre l'actif net reçu par la société absorbante à hauteur de sa participation détenue dans la société absorbée et la valeur comptable de cette participation". Plus simplement, le mali correspond, contrairement au boni de fusion, à un écart d'acquisition, le prix d'acquisition dépassant l'actif net apporté.
Le CNC distingue le mali dit technique et le mali de surprix. Le premier correspond à la différence entre la valeur des titres acquis pour leur valeur de marché et l'actif net comptable apporté.
Le second correspond au "surpaiement" par la société initiatrice de la participation prise dans la société cible. L'avis parle de "complément de dépréciation de la participation détenue dans la société absorbée".
Comptablement, la société initiatrice inscrit la totalité du mali dans un compte d'immobilisations incorporelles. Il convient de rappeler que le mali n'est en principe pas un élément amortissable. Toutefois, il peut perdre de sa valeur lorsque "la valeur actuelle [valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d'usage] d'un ou plusieurs actifs sous-jacents auxquels une quote-part de mali a été affectée devient inférieure à la valeur comptable du ou des actifs précités, majorée de la quote-part de mali affectée".
Le CNC précise que "les entreprises procèdent à la date de l'opération de manière extra-comptable à l'affectation de ce mali aux différents actifs apportés par la société apporteuse dans la mesure où la plus-value latente constatée par actif est significative, cela afin de suivre dans le temps la valeur du mali".
Soulignons qu'en retenant la valeur comptable en cas de fusion ou d'opérations assimilées entre sociétés sous contrôle commun, la neutralité des opérations pour la société initiatrice est pleinement assurée. La comptabilisation du mali de fusion dans un compte d'immobilisations incorporelles le confirme parfaitement.
Après lecture de l'avis, force est de constater que ce dernier axe principalement ses développements sur les méthodes d'évaluation des apports. La valeur comptable, dorénavant plus largement utilisée comme valeur d'apport, témoigne encore une fois du lien étroit entre la comptabilité et la fiscalité. A compter du 1er janvier 2005, les opérations de fusion et assimilées seront soumises à ce nouveau traitement. Il est cependant possible pour les sociétés commerciales qui figurent dans le champ d'application de l'avis de bénéficier des nouvelles règles comptables pour les fusions et opérations assimilées à compter du 1er janvier 2004.
Notons que le 4 mai dernier, l'avis du CNC a été transformé en règlement par le Comité de la réglementation comptable. Mais il faudra encore attendre un arrêté ministériel qui homologuera ces nouvelles règles afin que ces dernières soient pleinement applicables et une instruction fiscale pour que cet avis emporte toutes ses conséquences en la matière.
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Le 07 Octobre 2010
Une récente étude réalisée par le cabinet d'audit Ernst &Young (*) révèle que seulement 27 % des entreprises interrogées ont pris en compte l'impact fiscal du projet de conversion aux normes comptables internationales. Pourtant, selon le baromètre établi par KPMG et Cartésis fin 2003, il apparaît que 83 % des groupes français ont démarré leurs projets de transition, et certains groupes sont même déjà prêts tels que EDF, Renault ou Michelin. Or, sachant que la réflexion comptable liée au passage aux IFRS porte en priorité sur les immobilisations (88 % des réponses), sur les impôts différés (dettes ou créances fiscales, 72 % des réponses) et les stocks (55 %) et frais de développement (53 %), sujets dont la prise en compte comptable s'accompagne, en général, d'une étude sur les aspects fiscaux, il semble étonnant qu'une minorité d'entreprises s'inquiète de la nécessité d'anticiper les conséquences fiscales de l'avènement des IFRS, afin de les intégrer à temps dans leur processus de gestion.
1. La vision erronée d'une fiscalité épargnée par le développement actuel de la comptabilité
Certes, il n'y a pas, pour l'instant d'impact du passage aux normes IFRS sur la fiscalité usuelle des entreprises, puisque celles-ci concernent les comptes consolidés, alors que la fiscalité se fonde sur les comptes sociaux. Cependant, cette situation peut ne pas perdurer.
En effet, le règlement européen de juin 2002 exigeant la publication de comptes consolidés en normes IFRS pour les sociétés cotées prévoit aussi la possibilité pour les Etats membres d'adopter sur option les normes IFRS au niveau des comptes sociaux. Les entreprises pourraient alors être tentées, par souci de ne pas tenir deux jeux de comptes, d'appliquer les normes IFRS dans leurs comptes sociaux. En outre, les Directives comptables européennes, actuellement en phase d'harmonisation avec les normes IFRS, vont progressivement influer sur les normes comptables locales, et, corrélativement sur les comptes sociaux des sociétés européennes.
Il est vrai qu'il est peu probable que les normes IFRS soient directement utilisables pour établir les comptes sociaux dès 2005, puisque, à ce jour, les pouvoirs publics français ne se sont pas encore prononcés sur l'utilisation de ces normes pour l'établissement des comptes sociaux des sociétés cotées ou non. Cependant, les pouvoirs publics n'écartent pas cette hypothèse puisqu'ils ont demandé une étude sur les conséquences qui résulteraient de l'exercice de cette option en France au Conseil national de la comptabilité au cours de l'année 2003.
2. Conséquences de l'option
La question de savoir si la France doit ou non exercer cette option revêt une dimension fiscale extrêmement importantes pour diverses raisons.
Contrairement au Royaume-Uni où la base fiscale est totalement autonome par rapport au résultat comptable, la base de l'impôt sur les sociétés en France est calculée à partir des écritures comptables en effectuant des retraitements (imprimé 2058-A ). Il y a donc connexité entre la comptabilité et la fiscalité. Cependant, elle n'est pas totale, puisque, aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III du CGI "les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt". Ainsi, le législateur peut apporter des exceptions plus ou moins nombreuses ou importantes, consistant notamment à écarter de l'assiette du prélèvement certains enrichissements comptables constatés au cours d'un exercice. Il y donc une interaction permanente entre la comptabilité et la fiscalité en France et, par conséquent, toute modification de règles comptables françaises a, en principe, nécessairement des répercussions sur l'assiette fiscale, sauf disposition fiscale spécifique contraire.
Prenons un exemple pour illustrer notre propos en cas d'option. Les normes IFRS modifient la définition de l'immobilisation, ainsi que celle de leur prix de revient. Ces changements, qui font passer certaines charges en immobilisation, amortissable ou non, vont entraîner des difficultés de déductibilité différée des dépenses nouvellement immobilisées. Ainsi, si l'administration fiscale continue de se référer à la définition comptable d'une immobilisation, les charges, qui étaient déductibles immédiatement auparavant, ne seront désormais déductibles que de manière échelonnée si l'actif est amortissable, ou, dans le cas contraire, lors de la cession des actifs. Or, si l'administration fiscale souhaite maintenir une connexion entre la fiscalité et la comptabilité sur cette question, elle ne semble pourtant pas envisager une modification des principes de déductibilité des provisions pour dépréciation subie par une immobilisation non amortissable. Quelle incohérence ! Selon Anne Colmet Daage (**), "on ne peut pas à la fois dire que la valeur des actifs augmente en intégrant des frais auparavant qualifiés de charges déductibles par nature, et dans le même temps, ne pas évoluer sur les critères de déductibilité des provisions pour dépréciation". Les entreprises n'apprécieront guère.
En outre, actuellement les "provisions dites réglementées" ne sont déductibles des résultats imposables que si elles ont été pratiquées en comptabilité. Or, les normes IFRS ne reconnaissent pas cette notion.
Par conséquent, pour éventuellement sauvegarder certains avantages fiscaux, de nombreuses modifications du Code général des impôts seraient nécessaires, entraînant une déconnexion plus forte entre la comptabilité et la fiscalité.
3. Positions des différents acteurs
La majorité des comptables d'entreprises semble favorable à ce que la France permette cette option, afin de faciliter leurs travaux de consolidation et à ne pas avoir à tenir deux jeux de comptes.
Toutefois, le Conseil national de la comptabilité n'est pas pour le moment favorable à l'exercice de l'option pour les comptes sociaux. Cependant, il souhaite faire converger les règles comptables de l'ensemble des entreprises avec les normes comptables internationales imposées par la mondialisation des marchés.
Quant à l'administration fiscale, elle semble ouverte à une évolution des règles comptables vers d'autres normes, mais se refuse, pour l'instant à déconnecter la fiscalité de la comptabilité. Ses objectifs principaux sont de limiter autant que possible les retraitements fiscaux et les obligations déclaratives, ainsi que de maintenir les avantages fiscaux existants issus des politiques de protection des investissements.
Pour l'instant, ont été mis en place en France, afin d'envisager une adaptation des règles fiscales en réponse aux évolutions comptables, des groupes de réflexion, notamment sous l'égide du Conseil national de la comptabilité en collaboration avec le ministère des finances, mais aussi au niveau européen dans le cadre d'une consultation de la Commission en vue de parvenir à une harmonisation fiscale européenne, et éventuellement à un impôt sur les bénéfices européens, par l'intermédiaire des normes IFRS.
Sabine Dubost
DESS de fiscalité internationale, Université de Paris II Panthéon -Assas
DEA de droit fiscal, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
(*) Les entreprises ont peu formalisé l'impact fiscal des normes IFRS, La Tribune, le 19 mai 2004
(**) MN, bfinance du 13 mai 2004
Lire également :
- Les conséquences fiscales de l'adoption des normes comptables internationales, Dominique Villemot, Dr. Fisc n° 50, 2003, p. 1581 ;
- L'extension des normes internationales aux comptes sociaux et la déconnexion entre fiscalité et comptabilité, Gilbert Gélard, Dr. Fisc n° 8, 2004, p. 423 ;
- Fiscalité et normes comptables internationales : "mais où et donc or ni car ?", Eric Delesalle, Dr. Fisc n° 16, 2004, p. 739 ;
- Les normes comptables internationales à leur juste valeur, A. M. Profeta et P. de Thomasson, Petites affiches, 5 février 2004, n° 26, p. 4 ;
- Quand le comptable tient le fiscal en l'état, Jean-Luc Rossignol, Petites affiches, 7 février 2004, n° 42, p. 4 ;
- Identifier les incidences fiscales des normes IFRS, Claire Acard, Anne Colmet Daage, Véronique Ménard, Isabelle Santenac, Sarah Belin-Zerbib et Florence Fougerousse, Option Finance n° 779 du 5 avril 2004.
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