La lettre juridique n°652 du 21 avril 2016

La lettre juridique - Édition n°652

Actes administratifs

[Jurisprudence] Le recours pour excès de pouvoir est désormais recevable contre certains actes de droit souple

Réf. : CE, Ass., 21 mars 2016, deux arrêts publiés au recueil Lebon, n°s 368082, 368083, 368084 (N° Lexbase : A4320Q8I) et 390023 (N° Lexbase : A4296Q8M)

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine, directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE) et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 21 Avril 2016

A l'occasion de deux arrêts rendus le 21 mars 2016, le Conseil d'Etat accepte pour la première fois de connaître de recours pour excès de pouvoir dirigés contre des actes de droit souple, notamment lorsque l'acte contesté est de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou lorsqu'il a pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles il s'adresse. Apparue dans le domaine du droit international dans les années 1930, puis en droit de l'Union européenne, la notion de droit souple ou "soft law" a progressivement pénétré le droit interne, et plus particulièrement le droit administratif, jusqu'à faire l'objet de l'étude thématique insérée dans le rapport public annuel du Conseil d'Etat pour 2013 (1). Dans un contexte où la notion de régulation se substitue parfois à celle de réglementation, elle se manifeste par l'édiction d'actes qui ont pour point commun de ne pas prescrire des droits et des obligations précises. Ces actes sont très divers : il peut s'agir de lignes directrices (2), de circulaires, d'avis, de chartes, de guides de déontologie, de codes de conduite, de lettres d'intention ou encore de recommandations d'autorités administratives indépendantes.

Dans l'arrêt n° 368082, ce sont des communiquées de presse publiés par l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur son site internet qui font l'objet d'un recours contentieux. Dans ces communiqués, l'AMF avait voulu inviter les investisseurs à la vigilance concernant certains placements immobiliers qu'elle estimait commercialisés de façon "très active par des personnes tenant des discours parfois déséquilibrés au regard des risques encourus".

Dans l'arrêt n° 390023, c'est une prise de position de l'Autorité de la concurrence qui fait l'objet d'un recours. Elle fait suite à une décision -donc d'un acte attaquable- du 23 juillet 2012 autorisant sous conditions le rachat de TPS et de CanalSatellite par Vivendi et le Groupe Canal Plus. L'une de ces conditions, dite "injonction 5 (a)", posait des difficultés d'application suite à l'évolution du cadre concurrentiel résultant du rachat de SFR par Numericable. Le Groupe Canal Plus avait alors demandé à l'Autorité de la concurrence quelle portée il y avait lieu de donner à "l'injonction 5(a)". Sans pour autant modifier cette injonction, l'Autorité de la concurrence a estimé qu'il y avait lieu de considérer que l'une des obligations en résultant était devenue sans objet. C'est cette prise de position de l'Autorité de la concurrence, qui ne modifiait pas par elle-même l'injonction 5(a) présente dans la décision de 2012, qui est attaquée par la société Numericable, qui l'estimait erronée.

Les deux décisions rendues par le Conseil d'Etat contiennent à la fois un rappel et une nouveauté. Tout d'abord, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de prendre en compte, pour déterminer la recevabilité du recours, les éventuels effets juridiques de l'acte contesté (I). Ensuite, le Conseil d'Etat décide d'élargir l'accès au prétoire en acceptant de prendre en compte les effets extra-juridiques des actes attaqués (II).

I - Un rappel : La prise en compte d'éventuels effets juridiques de l'acte contesté

Traditionnellement, en droit administratif, la recevabilité du recours pour excès de pouvoir est déterminée par la normativité de l'acte de contesté. Une ligne de partage est ainsi tracée entre les actes décisoires, qui emportent des effets juridiques, et les actes non décisoires qui ne créent ni droits ni obligations. Seuls les actes décisoires peuvent faire l'objet d'un recours, étant précisé qu'il doit bien s'agir d'actes administratifs, ce qui conduit à exclure du prétoire les actes de Gouvernement.

Comme la exprimé le commissaire du Gouvernement Laroque dans ses conclusions sur l'arrêt "SA Laboratoires Goupil" du 27 mai 1987 (3), "le caractère décisoire de l'acte résulte de la modification qu'il apporte à l'ordonnancement juridique : la circonstance qu'il fasse grief à l'administré ne suffit pas à rendre ce dernier recevable à former un recours pour excès de pouvoir si cet acte n'est pas susceptible par lui-même de modifier sa situation juridique" (3).

Cette distinction entre actes décisoires et actes non décisoires doit être appréciée non pas d'un point de vue formel, en fonction du type d'acte qui fait l'objet d'un recours, mais d'un point de vue matériel, au regard du contenu de l'acte et des effets juridiques qu'il emporte.

Dans ce sens, le Conseil d'Etat a pu juger qu'un communiqué par lequel la Commission des sondages donne l'interprétation des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre, au moyen de dispositions impératives à caractère général peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir (4). De même, peut faire l'objet d'un recours une délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel énonçant les critères devant lui permettre d'apprécier le respect, par les services de radio et de télévision, de leurs obligations en matière de pluralisme politique et, en cas de méconnaissance de ces critères, d'adresser à ces services une mise en demeure puis, le cas échéant, une sanction (5). Plus récemment, à l'occasion d'un arrêt "Formindep" du 27 avril 2011 (6), le Conseil d'Etat a accepté de connaître du recours dirigé contre une recommandation de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé au motif que celle-ci, en définissant ce qu'est l'état de l'art, était susceptible d'être ultérieurement prise en compte pour apprécier l'obligation déontologique du médecin.

Toutefois, la recevabilité du recours pour excès de pouvoir n'est pas exclusivement déterminée par la distinction traditionnellement opérée entre les actes décisoires et les actes non décisoires.

Dans le cadre spécifique du contentieux des circulaires, le Conseil d'Etat, à l'occasion du célèbre arrêt de Section "Dame Duvignères" du 18 décembre 2002 (7), avait élargi l'accès au prétoire en substituant à l'ancienne distinction entre les circulaires interprétatives inattaquables car dénuées d'effets juridiques et les circulaires réglementaires attaquables, une nouvelle distinction entre les circulaires impératives et celles dénuées d'impérativité. Si la plupart des circulaires impératives créent des règles nouvelles, ce n'est pas nécessairement toujours le cas. En revanche, la façon impérative dont est rédigé l'acte est susceptible, là encore, de conditionner des décisions qui seront ultérieurement prises.

C'est cette solution qui a été transposée pour les actes de droit souple dans un arrêt du Conseil d'Etat du 26 septembre 2005 "Conseil national des médecins" (8). Il a été jugé dans cette affaire que si les recommandations de bonnes pratiques établies par l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la Santé n'ont pas, en principe, le caractère de décision faisant grief, "elles doivent toutefois être regardées comme ayant un tel caractère, tout comme le refus de les retirer, lorsqu'elles sont rédigées de façon impérative". De même, il a été jugé, que si les recommandations de la HALDE ne peuvent en principe faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, "il en irait, en revanche, différemment de recommandations de portée générale, qui seraient rédigées de façon impérative" (9).

Il y a donc deux éléments qui sont pris en compte pour déterminer la recevabilité du recours pour excès de pouvoir dirigé contre des actes relevant en principe du droit souple : la rédaction impérative de l'acte ; la possibilité qu'interviennent ultérieurement des décisions dont le contenu est susceptible d'être influencé par le sens de cet acte. Il faut toutefois considérer, dans ces différentes hypothèses, que les actes litigieux, en dépit de leur apparence, ne sont pas des actes de droit souple, dès lors qu'ils emportent des effets juridiques même limités.

Dans ses arrêts "Société Casino Guichard-Perrachon" (10) et "Société ITM Entreprises et a." (11) du 11 octobre 2012, le Conseil d'Etat a systématisé ces solutions en précisant que si les prises de position et les recommandations de l'Autorité de la concurrence "ne constituent pas des décisions faisant grief [...] il en irait toutefois différemment si elles revêtaient le caractère de dispositions générales et impératives ou de prescriptions individuelles dont l'Autorité pourrait ultérieurement censurer la méconnaissance". C'est ce considérant de principe qui est repris par le Conseil d'Etat dans ses arrêts du 21 mars 2016. Cependant, le Conseil d'Etat va plus loin en admettant la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre des actes dépourvus d'effets juridiques mais produisant d'autres effets.

II - Une nouveauté : La prise en compte des effets extra-juridiques de l'acte contesté

Comme on l'a vu, l'évolution de la jurisprudence récente du Conseil d'Etat l'a conduit à appréhender des instruments de droit souple, mais seulement dans les hypothèses où ils entraînent des effets juridiques. Cette approche, somme toute classique, ne rend toutefois pas parfaitement compte des effets concrets que sont susceptibles de produire certains de ces actes, particulièrement lorsqu'ils émanent des autorités de régulation dans l'exercice de leurs missions.

Désormais, le recours pour excès de pouvoir est recevable contre les normes de droit souple qui "sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique" ou qui "ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent". De tels actes font grief, alors même qu'ils ne créent ni droits ni obligations, et ils peuvent donc être contestés devant le juge de l'excès de pouvoir.

Manifestement, les actes contestés dans les affaires jugées par le Conseil d'Etat correspondent à ces conditions. Certes, les communiqués de presse publiés par l'AMF ainsi que la prise de position de l'Autorité de la concurrence n'emportaient aucune conséquence juridique, dans le sens où ils n'avaient pas pour effet de prescrire aux acteurs du marché un comportement à suivre. Il n'en demeure pas moins, cependant, que de par leur contenu, ces actes exercent une forte influence sur ces acteurs.

Concrètement, les conseils de prudence de l'AMF à destination des investisseurs concernant les placements immobiliers proposés par les sociétés requérantes auront certainement pour effet de détourner une partie d'entre eux des ces placements, ce qui entraîne des conséquences économiques notables pour ces sociétés. De même, la prise de position adoptée par l'Autorité de la concurrence a pour effet, en reconnaissant à la société Groupe Canal Plus la possibilité d'acquérir des droits de distribution exclusive sur la plateforme de Numericable, de lui permettre de concurrencer la société NC Numericable sur sa propre plateforme. Dans cette affaire également, les effets extra-juridiques de l'acte contesté sont indéniables.

Mais s'il autorise la contestation de certains actes de droit souple, le Conseil d'Etat a voulu réserver l'accès au juge aux seuls requérants pouvant justifier d'un "intérêt direct et certain à leur annulation". En d'autres termes, si le Conseil d'Etat a fait sauter un verrou, il entend canaliser le contentieux que ne manquera pas de susciter l'évolution de sa jurisprudence.

Concernant l'appréciation de la légalité des actes de droit souple pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d'Etat précise qu'il appartient au juge de vérifier que les actes contestés entrent bien dans les compétences de leur auteur. C'est bien le cas s'agissant de l'AMF qui est compétente, dans sa mission de régulation, pour adresser des mises en garde aux épargnants ou investisseurs. C'est aussi le cas, concernant l'Autorité de la concurrence, qui est compétente pour veiller à la bonne exécution de ses décisions, notamment en modifiant la portée pratique d'une injonction ou d'une prescription en fonction de l'évolution du marché.

Dans la seconde affaire, le juge va également contrôler que le principe général du droit de respect des droits de la défense n'a pas été violé, ce qui implique que l'opérateur concerné ait été informé au préalable de la position de l'Autorité, en vue de lui permettre de présenter ses observations, ce qui est bien le cas en l'espèce.

Enfin, du point de vue de la légalité interne, l'intensité du contrôle sur la qualification juridique des faits opérée par l'autorité compétente est variable. S'agissant des communiqués de l'AMF appelant les investisseurs à faire preuve de vigilance à l'égard de placements immobiliers offerts au public, le contrôle opéré est restreint et, en conséquence, seule une erreur manifeste d'appréciation, qui n'est pas retenue en l'espèce, peut donner lieu à une annulation par le juge. En revanche, concernant les prises de position de l'Autorité de la concurrence, dont les effets sont plus directs, c'est un contrôle normal qui doit être opéré par le juge de l'excès de pouvoir. Dans cette seconde affaire, le juge considère toutefois que l'Autorité de la concurrence n'a commis aucune erreur dans son analyse et elle l'a donc confirmé. Cette différence de degré de contrôle des actes concernés démontre à quel point il y aura lieu pour le juge de l'excès d'opérer une analyse précise des actes de droit souple portés devant lui en vue de leur appliquer le régime juridique approprié, ce qui ne manquera pas de donner naissance à une jurisprudence qui ne pourra être rien d'autre que casuistique.


(1) Etude annuelle du Conseil d'Etat, Le droit souple, la Documentation française 2013.
(2) Rappelons qu'en droit interne, la notion de ligne directrice s'est substituée à celle de directive depuis l'arrêt n° 364385 du Conseil d'Etat du 19 septembre 2014 (N° Lexbase : A8596MWB), Rec. p. 272, AJDA, 2014, p. 2262, concl. G. Dumortier, Dr. adm., 2015, 70, note J.-B. Auby.
(3) CE, 27 mai 1987, n° 83292 (N° Lexbase : A3342APH), Rec. p. 181.
(4) CE, 18 juin 1993, n° 137317 (N° Lexbase : A0169ANL), Rec. p. 178.
(5) CE, 8 avril 2009, n° 311136 (N° Lexbase : A9543EE8), Rec. p. 140, AJDA, 2009, p. 1096, chron. S.-.J. Liéber et D. Botteghi, RFDA, 2009, p. 351, concl. C. de Salins.
(6) CE, 27 avril 2011, n° 334396 (N° Lexbase : A4347HPP), AJDA, 2011, p. 1326, concl. C. Landais, D., 2011, p. 2565, obs. A. Laude, RDSS, 2011, p. 483, note F. Peigné.
(7) CE, 18 décembre 2002, n° 233618 (N° Lexbase : A6682A7M), AJDA, 2003, p. 487, chron. F. Donnat et D. Casas, Dr. adm., 2003, 73 et repère 3, JCP éd. A, 2003, 5, note Moreau, LPA, 23 juin 2003, note P. Combeau, RFDA, 2003, p. 280, concl. P. Fombeur.
(8) CE 26 septembre 2005, n° 270234 (N° Lexbase : A6088DKP), Rec. p. 395, AJDA, 2005, p. 308, note J.-.P. Markus.
(9) CE, 13 juillet 2007, n° 294195 (N° Lexbase : A2880DXX), Rec. p. 335, AJDA, 2007, p. 2145, concl. L. Derepas.
(10) CE, 11 octobre 2012, n° 357193 (N° Lexbase : A2714IU3).
(11) CE, 11 octobre 2012, n° 346378, 346444 (N° Lexbase : A2692IUA).

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Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Avocats - Ecoutes téléphoniques : de la pêche à la ligne à la pêche au chalut

Réf. : Cass. crim., 22 mars 2016, deux arrêts, n° 15-83.206 (N° Lexbase : A6046Q8G) et n° 15-83.205 (N° Lexbase : A7139Q9B), FS-P+B

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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions

Le 22 Avril 2016

Il n'est pas utile de revenir dans le détail sur la jurisprudence, maintenant bien connue, de la Cour de cassation en matière d'interception de conversations téléphoniques impliquant un avocat, jurisprudence qui a donné lieu à de nombreuses chroniques, souvent critiques, parfois résignées. Les écoutes téléphoniques peuvent viser directement l'avocat, sur une ligne lui appartenant, ou viser ses clients et peuvent alors le concerner incidemment (1). Deux arrêts rendus par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 mars 2016 ont suscité de nombreux commentaires, ce qui se conçoit aisément dès lors qu'étaient en cause un ancien Président de la République, Nicolas S. ; son avocat habituel, Thierry H. ; un avocat général en fonction auprès de la Cour de cassation, Gilbert A., et, à son corps défendant, le Bâtonnier alors en exercice du barreau de Paris, Pierre-Olivier S.. Ces deux arrêts appelaient d'autant plus de commentaires qu'était à nouveau au coeur des débats l'importante question de l'atteinte au secret professionnel de l'avocat par le biais des écoutes téléphoniques. Ils ont été prononcés sur les pourvois formés par Nicolas S. et Thierry H., à l'encontre de deux arrêts de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris validant les écoutes des conversations téléphoniques dont ils avaient fait l'objet.

La Cour de cassation a rejeté les pourvois formés contre ces arrêts, validant ainsi ces écoutes.

Seule cassation partielle intervenue, celle de la conversation téléphonique entre Thierry H. et le Bâtonnier en exercice du barreau de Paris, Pierre-Olivier S., mais par des motifs qui laissent subsister des interrogations.

D'une façon qui n'est pas très surprenante, les commentaires concernant ces arrêts font généralement référence à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation en matière d'écoutes téléphoniques mettant en cause un avocat, pour souligner que les deux arrêts du 22 mars 2016 s'inscrivent dans la même logique juridique.

A cet égard, il nous paraît regrettable que cette logique juridique, qui ne peut pas être appréhendée d'un point de vue strictement technique, ne suscite davantage de commentaires sur la doctrine, effectivement constante, de la Cour de cassation sur un sujet qui concerne les libertés fondamentales, et en particulier la question des droits de la défense.

En revanche, il est plus étonnant de constater que la plupart des commentaires passent sous silence deux points pourtant importants tranchés par la Cour de cassation dans l'un des deux arrêts du 22 mars 2016 :

- le refus de censurer le choix opéré par deux juges d'instruction, selon leur bon vouloir, de saisir le procureur national financier de faits nouveaux révélés par une écoute téléphonique, quand leur saisine initiale émanait du procureur de la République de Paris ;

- l'annulation de la saisie et de la mise sous scellés, par deux autres juges d'instruction, de documents saisis lors d'une perquisition à la Cour de cassation, au motif qu'ils portaient atteinte au secret du délibéré.

  • Le contexte

Dans une information ouverte à Paris, deux juges d'instruction ont, par commissions rogatoires techniques successives et pour une durée de quatre mois chacune, toutes deux prolongées, fait placer sous surveillance deux lignes téléphoniques de M. Nicolas S..

M. Nicolas S. étant avocat, et en vertu des dispositions de l'article 100-7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5915DYQ), le Bâtonnier du barreau de Paris avait été avisé de ces mesures d'écoutes téléphoniques. Chacun sait que notre Code de procédure pénale offre des garanties dérisoires en matière de libertés, puisque, si le Bâtonnier est avisé (il doit bien entendu garder le secret sur l'information qui lui est donnée), la décision de mise sous écoute téléphonique est prise par le juge d'instruction, dont personne ne peut raisonnablement penser que la décision offrirait des garanties suffisantes, et cette décision est insusceptible de recours.

Me Thierry H., également avocat, a fait l'objet d'écoutes incidentes dès lors qu'il était fréquemment en relation téléphonique avec son client Nicolas S..

Les policiers ont découvert l'existence d'une nouvelle ligne téléphonique, ouverte au nom de Paul B., utilisée par Nicolas S. pour des échanges avec un interlocuteur unique, en l'occurrence son avocat Thierry H..

Cette ligne a été mise également sous surveillance, le Bâtonnier de Paris en étant, cependant, avisé (bien que "Paul B." ne soit pas avocat), mais pour que les dispositions de l'article 100-7 du Code de procédure pénale soient respectées dès lors qu'il était établi que deux avocats se téléphonaient sur cette troisième ligne.

Les écoutes sur cette ligne "secrète" ont laissé supposer aux policiers que Nicolas S. et Thierry H. étaient au courant des écoutes téléphoniques et des perquisitions envisagées. Elles ont révélé en outre que Thierry H. recevait des informations, dont certaines confidentielles, d'un certain Gilbert A., premier avocat général près de la Cour de cassation, sur un pourvoi formé par Nicolas S. dans une affaire distincte.

  • Quand les juges d'instruction choisissent leur procureur

Les deux juges d'instruction ont alors adressé une ordonnance de soit-communiqué aux fins d'obtenir un réquisitoire supplétif, non pas au procureur de la République de Paris dont ils tenaient leur saisine initiale, mais au procureur de la République financier, lequel a décidé de l'ouverture d'une information distincte, confiée à deux autres juges d'instruction, des chefs de trafic d'influence passif et actif, complicité et recel de ces infractions, violation du secret de l'instruction et recel.

Ces derniers ont ordonné le placement sous écoutes des lignes téléphoniques de Gilbert A. et ont délivré plusieurs commissions rogatoires, notamment aux fins de transcription des écoutes opérées dans la procédure qui en a été à l'origine.

Par des motifs que nous ne pouvons qu'inciter le lecteur à lire avec la plus grande attention, la Cour de cassation a jugé en substance que les juges d'instruction ne pouvaient pas se voir reprocher d'avoir choisi eux-mêmes le Parquet compétent en saisissant le procureur de la République financier, le procureur de la République territorialement compétent et le procureur de la République financier ayant en effet une compétence concurrente sous le contrôle du procureur général de la cour d'appel de Paris, et que, par ailleurs, le réquisitoire introductif du procureur de la République financier était régulier en la forme.

  • Secret du délibéré et secret des communications entre un avocat et son client : deux poids, deux mesures ?

Les deux nouveaux juges d'instruction ont procédé à diverses perquisitions, notamment à la Cour de cassation, et auditions, en particulier, de magistrats de cette juridiction.

A l'occasion de cette perquisition, les deux juges d'instruction ont procédé à la saisie de l'avis personnel du conseiller de la Chambre criminelle ayant instruit le pourvoi formé par Nicolas S. dans une affaire distincte, ainsi que le projet d'arrêt qu'il avait préparé en vue de l'audience collégiale.

C'est cette saisie qui, au visa notamment de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), a été annulée par l'un des deux arrêts au motif notamment que : "si aucune disposition légale ne protège spécifiquement le secret du délibéré, principe indissociable des fonctions juridictionnelles en tant que garantie de l'indépendance des juges et d'un procès équitable il se déduit de la disposition conventionnelle susvisée et des principes généraux du droit que l'atteinte que constitue la saisie par un juge d'instruction, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 81 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6395ISN), de documents couverts par ce secret, ne saurait être justifiée qu'à la condition qu'elle constitue une mesure nécessaire à l'établissement de la preuve de l'infraction pénale [...]".

Au visa du même texte de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la Cour de cassation aurait pu, par des motifs strictement identiques (à cette différence près que le secret professionnel de l'avocat est spécifiquement protégé par une disposition légale), juger que ce secret professionnel de l'avocat appelait a minima la même protection que le secret du délibéré.

  • Errare Humanum est, perseverare diabolicum

Il serait difficile d'imaginer que la Cour de cassation pourrait être hostile à nos libertés fondamentales, et, en particulier, aux droits de la défense.

Mais il est permis de se demander si la Cour de cassation ne nourrit pas quelque défiance à l'égard des avocats, ou si elle ne privilégierait pas l'efficacité des enquêtes au mépris de certains principes généraux du droit.

Souvenons-nous en effet de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).

Rappelons-nous également de cette récente évolution positive qui permet l'intervention de l'avocat en garde à vue.

  • L'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971

L'article 66-5 de la loi n° 71-1130, dans sa version initiale issue de la loi du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3046AIN), disposait : "Les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".

La règle, justement parce qu'elle était rédigée en termes généraux, semblait claire.

Elle ne l'était pas, semble-t-il, pour la Cour de cassation qui en faisait une interprétation restrictive, notamment en ce qui concerne l'activité de conseil de l'avocat, ce qui a conduit le législateur à préciser les termes de l'article 66-5 par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale (N° Lexbase : L8015H3A) : "en toute matière les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel".

L'adjonction des mots "en toute matière" était de nature à clarifier le sens et la portée du texte initial de 1990. Celle des mots "ou destinées à celui-ci" apportait une précision utile en visant expressément les consultations de l'avocat non encore adressées à son client et donc susceptibles d'être saisies à son cabinet à l'occasion d'une perquisition.

La Cour de cassation, pourtant gardienne d'une application orthodoxe de la règle de droit, a persisté dans son appréciation restrictive des termes de l'article 66-5 de la loi de 1971, rendant nécessaire en 2011 une nouvelle rédaction de ces dispositions protectrices.

L'article 66-5, alinéa 1er de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L2792IRT), dispose : "en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle', les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel".

A bien y regarder, en 2011, le législateur ne se bornait pas à préciser à nouveau la règle posée par l'article 66-5 de la loi de 1971. Il affirmait avec force, et en termes on ne peut plus précis, la règle intangible selon laquelle les relations entre un avocat et son client doivent demeurer couvertes par le secret.

En cela, la loi du 28 mars 2011 a une valeur de principe car elle réaffirme un principe fondamental dans une société libre et démocratique.

Hélas, cette loi ne vise pas expressément, tel n'était pas son objet, les communications téléphoniques entre un avocat et son client.

  • L'article 100-5 du Code de procédure pénale

Ainsi ressurgit dans la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation issue des arrêts du 22 mars 2016, l'analyse restrictive des textes par la Haute juridiction dès lors qu'il est question du caractère secret de toute communication entre l'avocat et son client, ceci à propos cette fois de l'application de l'article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3498IGN) dont il convient ici de rappeler les termes : "à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense".

C'est ainsi que la Cour de cassation énonce : "une distinction doit être faite entre le principe de confidentialité des échanges de toute nature de l'avocat, et le principe de garantie des droits de la défense, en procédure pénale, existant entre une personne mise en examen et son avocat désigné, dans une procédure déterminée, principes protégés par l'article 100-5, alinéa 3 du Code de procédure pénale ; que tel n'était pas le cas en l'espèce, la qualité d'avocat désigné ne se présumant pas, en procédure pénale, les dispositions des articles 63-3-1 (N° Lexbase : L9629IPC) et 116 (N° Lexbase : L3171I3T) du Code de procédure pénale faisant dans chaque cas, et pour une procédure précisément déterminée, référence à un avocat choisi ou désigné, à défaut commis d'office par le Bâtonnier [...]".

Il est vrai que le texte de l'article 100-5, alinéa 3, du Code de procédure pénale fait une référence expresse à "l'exercice des droits de la défense".

Il faudrait donc considérer qu'un avocat n'exercerait "les droits de la défense" en matière pénale, dans ses échanges avec son client, que de façon formelle lorsque ce dernier serait mis en examen ou placé sous le statut de témoin assisté. Comme un urologue n'exercerait la médecine que lorsqu'il a la main gantée ?

Voici revenue, à propos de l'article 100-5 du Code de procédure pénale, une motivation qui s'apparente à celle qui avait justifié trois rédactions successives de l'article 66-5 de la loi de 1971 par le législateur.

Faut-il souhaiter une intervention du législateur pour préciser le sens et la portée de l'article 100-5 du Code de procédure pénale, à l'instar de ses interventions concernant le sens et la portée de l'article 66-5 de la loi de 1971 dans les conditions qui ont été rappelées ?

A l'évidence oui, la Haute juridiction manifestant à l'égard du rôle et de la mission de l'avocat dans une société libre et démocratique une défiance qui, à certains égards, apparaît constante.

  • L'intervention de l'intervention de l'avocat en garde à vue

Souvenons-nous encore qu'en matière de garde à vue, longtemps menée sans la présence de l'avocat et sans que la Cour de cassation n'y voie sujet à critiques, l'avocat n'a été admis à assister son client en garde à vue qu'avec le vote de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 (N° Lexbase : L9584IPN), laquelle s'inscrivait dans la mise en application tardive de la jurisprudence de la CEDH.

Qu'il eût été réconfortant que la Cour de cassation soit l'instigatrice de la loi du 14 avril 2011, plutôt que la Cour européenne !

  • L'annulation des écoutes téléphoniques entre un avocat et son Bâtonnier

L'un des deux arrêts rendu le 22 mars 2016, infirme partiellement un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en censurant la transcription des écoutes téléphoniques entre Maître Thierry H. et le Bâtonnier en exercice de son Ordre, Pierre-Olivier S..

Au visa de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R), la Cour de cassation juge : "attendu qu'il se déduit de ces textes que, même si elle est surprise à l'occasion d'une mesure d'instruction régulière, la conversation téléphonique dans laquelle un avocat placé sous écoute réfère de sa mise en cause dans une procédure pénale à son Bâtonnier ne peut être transcrit et versé au dossier de la procédure, à moins qu'elle ne révèle un indice de participation personnelle de ce dernier à une infraction pénale ; [...] ; attendu que pour écarter le moyen d'annulation, pris de la violation du principe de la confidentialité des conversations entre un avocat et son Bâtonnier ainsi que des droits de la défense, l'arrêt énonce que 'cette conversation ne relevait pas de l'exercice des droits de la défense et que seuls ont été retranscrits les propos utiles à la manifestation de la vérité et à la caractérisation des infractions punissables [...]' ; mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que ne pouvait être transcrite la conversation téléphonique entre un avocat, placé sous interception, et son Bâtonnier, qui ne révélait aucun indice de participation personnelle de ce dernier à la commission d'une infraction pénale, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé [...]".

La Cour de cassation revient sur ce point à sa jurisprudence habituelle en matière d'interception des conversations téléphoniques d'un avocat.

Certains crient victoire. Une chronique récemment publiée est même intitulée "le Bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle !". (2)

Certes, il aurait été consternant que la Cour de cassation valide cette interception, et en cela cet arrêt du 26 mars 2016 "rassure".

Mais la motivation de l'arrêt n'est pas satisfaisante.

Le Bâtonnier de l'Ordre est certes avocat, mais il n'est pas l'avocat de ses confrères. En l'espèce, Pierre-Olivier S. n'était pas l'avocat de Thierry H., et ce dernier n'était pas son client.

Pourquoi la Cour de cassation n'a-t-elle pas tout simplement jugé, comme elle l'a fait pour la protection du secret du délibéré, au visa de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme : "si aucune disposition légale ne protège spécifiquement le secret des échanges entre un avocat et son Bâtonnier, principe indissociable des fonctions de défense en tant que garantie de l'indépendance des avocats et d'un procès équitable, il se déduit de la disposition conventionnelle susvisée et des principes généraux du droit que l'atteinte que constitue la décision par un juge d'instruction, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de l'article 100-5 du Code de procédure pénale, de faire placer sous écoute ces échanges couverts par ce secret, ne saurait être justifiée qu'à la condition qu'elle constitue une mesure nécessaire à l'établissement de la preuve de l'infraction pénale [...]".

La motivation de l'arrêt y aurait gagné en cohérence.

Et si le Bâtonnier, à l'instar d'un magistrat, n'est pas au dessus des lois et peut faire l'objet d'écoutes téléphoniques lorsqu'il est suspecté d'avoir commis une infraction (cela est tellement évident), il n'était ni indispensable, ni respectueux, d'invalider l'interception d'une écoute téléphonique d'un Bâtonnier en relevant qu'il n'existait pas d'indice de participation personnelle de ce dernier à une infraction pénale.

On n'écoute pas les échanges d'un Bâtonnier avec un avocat, tout simplement parce qu'il est le chef d'un Ordre d'avocats, et parce que le secret professionnel est consubstantiel à l'exercice des droits de la défense.

Le Bâtonnier est effectivement le protecteur et le confident nécessaire de ses confrères.

Mais tels ne sont pas -quelle défaite- les motifs qui ont été adoptés par la Cour de cassation.


(1) Nous renverrons le lecteur vers ces chroniques, et en particulier celles qui ont été publiées par Lexbase sous la signature de M. Aziber Seïd Algadi en mars 2015 sous le titre "Le secret professionnel de l'avocat dans le cadre des écoutes téléphoniques : vers une inspiration états-unienne, Lexbase, éd. Prof., n° 190, 2015 (N° Lexbase : N6415BU7) et, en avril 2015, sous le titre Secret professionnel des avocats dans le cadre des écoutes téléphoniques : quel impact des décisions de la CEDH en droit interne ?, Lexbase, éd. Prof., n° 192, 2015 (N° Lexbase : N6895BUW).
(2) D. Piau, Le Bâtonnier, protecteur et confident nécessaire de ses confrères, là est la victoire, et elle est belle ! , Dalloz, Act., 2016.

newsid:452347

Avocats/Procédure

[Brèves] Ecoutes entre un avocat et son client : non-transmission des QPC portant sur les articles 100 et suivants du Code de procédure pénale

Réf. : Cass. crim., 6 avril 2016, n° 15-86.043, FS-P+B (N° Lexbase : A1550RCE)

Lecture: 2 min

N2253BWD

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Le 21 Avril 2016

Si les dispositions de l'article 100 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4316AZU) n'excluent pas la possibilité d'une interception inopinée d'une conversation entre un avocat et son client, à l'occasion de l'écoute d'une ligne dont l'avocat n'est pas titulaire, sa transcription ne peut être réalisée qu'à titre exceptionnel s'il existe contre l'avocat des indices de participation à une infraction, l'annulation des actes de transcription devant être prononcée, en l'absence de tels indices, par la chambre de l'instruction ou la formation de jugement, saisie à cette fin. Partant les QPC portant sur la conformité à la Constitution des articles 100, 100-7, alinéa 2 (N° Lexbase : L5915DYQ) et 100-5, alinéas 1 et 3 (N° Lexbase : L3498IGN), ne sont pas sérieuses et il n'y a donc pas lieu de les renvoyer. Telle est la solution d'un arrêt rendu le 6 avril 2016 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 6 avril 2016, n° 15-86.043, FS-P+B N° Lexbase : A1550RCE). Les deux questions rejetées étaient ainsi rédigées :
"Les dispositions des articles 100 et 100-7, alinéa 2, du Code de procédure pénale, qui, en matière d'écoute et d'enregistrement de correspondances d'un avocat émises par la voie des télécommunications, d'une part, ne posent aucune limite de fond particulière, d'autre part, ne prévoient pas de garanties spéciales de procédure protectrices du secret professionnel des avocats (ou une garantie insuffisante), portent-elles atteinte au droit au respect de la vie privée, au secret des correspondances, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ?".
"Les dispositions des articles 100 et 100-5, alinéas 1 et 3, du Code de procédure pénale, en ce qu'elles autorisent, en vertu d'une jurisprudence constante, la transcription et le versement au dossier des correspondances entre l'avocat et son client de nature à faire présumer la participation de l'avocat à une infraction, et sans prévoir de garanties spécifiques protectrices du secret professionnel des avocats, permettant un contrôle préalable des transcriptions envisagées, en sus du contrôle général confié au seul juge ayant ordonné la mesure, portent-elles atteinte au droit au respect de la vie privée, au secret des correspondances, aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ?" (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6635ETW).

newsid:452253

Avocats/Statut social et fiscal

[Brèves] Rupture du contrat de collaboration et installation d'un logiciel professionnel par une société tierce, dans des conditions garantissant le secret professionnel et la confidentialité : absence de faute grave

Réf. : Cass. civ. 1, 6 avril 2016, n° 15-17.475, F-P+B (N° Lexbase : A1592RCX)

Lecture: 2 min

N2252BWC

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Le 21 Avril 2016

L'installation, à la demande de la collaboratrice, d'un logiciel professionnel par une société spécialisée, dans des conditions garantissant le secret professionnel et la confidentialité, ne caractérise pas une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de collaboration libérale. Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 avril 2016 (Cass. civ. 1, 6 avril 2016, n° 15-17.475, F-P+B N° Lexbase : A1592RCX). Dans cette affaire, une SCP d'avocats a mis fin, sans respect du délai de prévenance, au contrat de collaboration libérale la liant à Me X, avocat, à qui elle reprochait d'avoir, sans son autorisation, fait installer, sur l'ordinateur mis à sa disposition et connecté au réseau du cabinet, un logiciel professionnel de gestion des dossiers administratifs ainsi qu'une protection contre les virus. Cette dernière a saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Montpellier pour obtenir le paiement de la rétrocession d'honoraires pendant le délai de prévenance et d'une indemnité pour repos non pris. La cour d'appel ayant, par arrêt du 2 mars 2015, jugé que la rupture du contrat de collaboration ne reposait pas sur une faute grave, la SCP a formé un pourvoi en cassation (CA Montpellier, 2 mars 2015, n° 14/07129 N° Lexbase : A5417NCM et lire N° Lexbase : N6687BU9). En vain. En effet, la cour d'appel a relevé que l'avocate avait l'usage d'un ordinateur mis à sa disposition par la SCP tant pour les besoins de sa collaboration que pour le développement de sa clientèle personnelle. L'utilisation normale de l'ordinateur incluait la faculté d'installer les logiciels litigieux, et la société A., prestataire habituel et reconnu des avocats et des instances ordinales, présentait toutes les garanties de sérieux exigibles. De plus, l'avocate avait fait signer au technicien informatique un engagement de confidentialité et avait assuré, par sa présence continue durant l'intervention de celui-ci, le respect du secret professionnel et de la confidentialité, aucun détournement de dossiers n'étant d'ailleurs allégué. La cour souligne aussi que tout accès à distance par la société A. au serveur du cabinet était impossible dès lors que seule la collaboratrice détenait le code d'accès. Partant, les juges du fond ont pu déduire que l'installation, à la demande de la collaboratrice, d'un logiciel professionnel par une société spécialisée, dans des conditions garantissant le secret professionnel et la confidentialité, ne caractérisait pas une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat de collaboration libérale (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9279ETT).

newsid:452252

Concurrence

[Brèves] Concentration : nécessité de communiquer au Conseil d'Etat les engagements alternatifs acceptés par l'Autorité de la concurrence

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 390457, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7127RIS)

Lecture: 2 min

N2387BWC

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Le 27 Avril 2016

Lorsque l'Autorité de la concurrence accepte, dans le cadre d'une opération de concentration, un engagement alternatif, celui-ci constitue, tout autant que l'engagement auquel il est, le cas échéant, appelé à se substituer, un élément de sa décision d'autorisation, qui ne saurait, sans qu'il soit porté atteinte à la possibilité de contester la légalité de celle-ci devant le juge de l'excès de pouvoir, rester confidentiel, de sorte que le contenu des engagements alternatifs doit être produit devant le juge par l'Autorité, sous réserve, le cas échéant, d'éléments couverts par le secret des affaires. Tel est le sens d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 15 avril 2016 (CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 390457, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7127RIS). En l'espèce, l'Autorité de la concurrence a autorisée une concentration par une décision du 15 mai 2015, sous réserve de l'exécution de plusieurs engagements. Les principales entreprises concurrentes de l'entité issue de l'opération de concentration ont alors demandé l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, l'une d'elles demandant cependant au Conseil d'Etat, avant de statuer sur sa requête, d'ordonner à l'Autorité de la concurrence de verser au débat contradictoire deux "engagements alternatifs" dont elle a occulté le contenu dans sa décision. Le Conseil fait droit à cette demande. Il rappelle que les engagements que l'Autorité accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche. Elle peut être conduite à examiner s'il y a lieu d'accepter, "par exemple lorsqu'il existe des incertitudes sur la cessibilité, la viabilité ou la compétitivité", de l'actif dont la cession est proposée, que cet engagement soit assorti d'un "engagement alternatif consistant en la cession d'un actif dont la cessibilité et la viabilité posent a priori moins de difficultés". Dès lors, énonçant la solution précitée, le Conseil estime ne pas être en mesure de statuer sur les requêtes dont il est saisi, en particulier d'apprécier si les engagements pris par les parties à la concentration sont de nature à garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir sont de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération, de sorte qu'il ordonne un supplément d'instruction afin de permettre à l'Autorité de la concurrence de produire, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de sa décision, le contenu des engagements alternatifs en cause en vue de le soumettre au débat contradictoire, sous réserve, le cas échéant, d'éléments couverts par le secret des affaires.

newsid:452387

Contrat de travail

[Brèves] Disposition conventionnelle prévoyant une minoration de la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence en cas de rupture de ce contrat : atteinte au principe de libre exercice d'une activité professionnelle

Réf. : Cass. soc., 14 avril 2016, n° 14-29.679, F-P+B (N° Lexbase : A7018RIR)

Lecture: 1 min

N2368BWM

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Le 26 Avril 2016

Doit être réputée non écrite la disposition de l'article 32 de la Convention collective nationale de l'industrie textile du 1er février 1951 (N° Lexbase : X0651AET), auquel se conformait le contrat de travail, et qui prévoie une minoration de la contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence en cas de rupture de ce contrat par le salarié, et qui est donc contraire au principe de libre exercice d'une activité professionnelle et à l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P). Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 avril 2016 (Cass. soc., 14 avril 2016, n° 14-29.679, F-P+B N° Lexbase : A7018RIR, voir en ce sens Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-25.847, FS-P+B N° Lexbase : A5250NGK).
En l'espèce, Mme X a été engagée le 28 septembre 2005 par la société Y en qualité de responsable développement, son contrat de travail comportant une clause de non-concurrence prévoyant une indemnité égale à la moitié de son traitement mensuel en cas de licenciement et au tiers de ce traitement en cas de rupture par la salariée. Celle-ci a démissionné le 27 mars 2012 et a saisi la juridiction prud'homale.
La cour d'appel (CA Lyon, 24 octobre 2014, n° 14/00887 N° Lexbase : A0173MZG) ayant condamné l'employeur à payer à la salariée un solde d'indemnité de clause de non-concurrence et les congés payés afférents, ce dernier s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E8710ESE).

newsid:452368

Domaine public

[Brèves] Inclusion dans le domaine public virtuel du bien dont l'affectation au service public est décidée et dont l'aménagement indispensable peut être regardé comme entrepris de façon certaine

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 13 avril 2016, n° 391431, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4279RIC)

Lecture: 1 min

N2408BW4

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Le 26 Avril 2016

Quand, postérieurement à l'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques, une personne publique a pris la décision d'affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l'aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l'ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 13 avril 2016 (CE 3° et 8° s-s-r., 13 avril 2016, n° 391431, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4279RIC). La Haute juridiction rappelle qu'aux termes de l'article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4505IQW) : "Le domaine public d'une personne publique [...] est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public" (voir CE, 19 octobre 1956, n° 20180 N° Lexbase : A3283B84). En jugeant que les terrains n'étaient pas incorporés au domaine public de la commune, sans rechercher s'il résultait de l'ensemble des circonstances de droit et de fait, notamment des travaux dont il constatait l'engagement, que l'aménagement indispensable à l'exécution des missions du service public auquel la commune avait décidé d'affecter ces terrains pouvait être regardé comme entrepris de façon certaine, le tribunal a commis une erreur de droit. Son jugement ayant constaté que les parcelles cadastrées qui ont fait l'objet d'une expropriation partielle n'étaient pas entrées dans le domaine public de la commune est donc annulé.

newsid:452408

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Avril 2016

Réf. : Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B (N° Lexbase : A1460RC3) ; CA Versailles, 13ème ch., 14 avril 2016, n° 15/07606 (N° Lexbase : A2709RI8)

Lecture: 14 min

N2367BWL

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

Le 21 Avril 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Emmanuelle Le Corre-Broly commente un important arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2016, promis aux honneurs du Bulletin qui consacre la possibilité pour le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable de saisir l'immeuble (Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B). Le Professeur Le Corre a sélectionné, pour sa part, un arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles du 14 avril qui revient sur quelques conditions d'ouverture du rétablissement professionnel (CA Versailles, 13ème ch., 14 avril 2016, n° 15/07606).
  • Possibilité pour le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable de saisir l'immeuble (Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B N° Lexbase : A1460RC3 ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E4645EUL)

La déclaration notariée d'insaisissabilité soulève de passionnantes questions. Même s'il est question de sa prochaine suppression, l'intérêt des questions juridiques soulevées reste intact dans la mesure où les solutions dégagées en la matière sont, pour l'essentiel, transposables dans le domaine de l'insaisissabilité légale de la résidence principale instaurée par la loi "Macron" du 6 août 2015 (loi n° 2015-990 N° Lexbase : L4876KEC).

La première question tranchée par la jurisprudence a été celle de savoir si le liquidateur judiciaire pouvait vendre l'immeuble objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité lorsque, comme c'est généralement le cas, la déclaration notariée d'insaisissabilité est opposable à certains créanciers du débiteur (les créanciers professionnels dont la créance est née postérieurement à la publication de la DNI) et inopposable à d'autres (tous les créanciers non professionnels ainsi que les créanciers professionnels dont la créance est née antérieurement à la publication de la DNI). La Cour de cassation a apporté à cette question une réponse de principe en jugeant que "le débiteur peut opposer la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée [...] avant qu'il ne soit mis en liquidation judiciaire" et qu'il en résulte que le juge-commissaire commet un excès de pouvoir à autoriser le liquidateur à procéder à la vente aux enchères de l'immeuble, objet de la déclaration notariée (1).

Ainsi, aux yeux des Hauts magistrats, l'immeuble objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité ne se trouve pas dans le périmètre de la saisie des biens appartenant au débiteur (2). La solution avait été soutenue par un auteur (3) qui considérait que l'immeuble objet de la DNI ne figurait pas dans le gage commun (4) et échappait alors aux règles du dessaisissement, de sorte que le liquidateur n'avait aucun pouvoir sur cet immeuble. En effet, si l'immeuble échappe au dessaisissement, il échappe au pouvoir d'administration et de disposition du liquidateur puisque cet organe ne représente le débiteur que pour autant que ce dernier est dessaisi.

Insistons sur le fait que l'impossibilité pour le liquidateur de saisir et de vendre l'immeuble, objet de la déclaration notariée, suppose qu'existent des créanciers ayant le droit de saisir l'immeuble -créanciers antérieurs à la publicité de la déclaration notariée et créanciers non professionnels- et des créanciers n'ayant pas le droit de saisir l'immeuble -créanciers professionnels postérieurs à la publicité-.

La réponse à cette première question -celle de la possibilité pour le liquidateur de faire vendre l'immeuble objet de la DNI- étant posée, surgit immédiatement une deuxième interrogation tout aussi fondamentale : le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable peut-il saisir l'immeuble objet de la déclaration ?

La doctrine (5) s'était prononcée sur cette question en considérant que, si le bien concerné ne pouvait pas être vendu par le liquidateur, il convenait de reconnaître logiquement aux créanciers, auxquels la déclaration notariée est inopposable, le droit de saisir l'immeuble.

Telle est la solution qui s'évince aujourd'hui d'un important arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2016, appelé à la publication au Bulletin.

En l'espèce, la question était de savoir si le créancier, titulaire d'une sûreté réelle, à qui la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire est inopposable, peut faire procéder à sa vente sur saisie et, dans l'affirmative, s'il doit, pour cela, y avoir été autorisé par le juge-commissaire en application de l'article L. 643-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3367ICP).

La cour d'appel avait déclaré "irrecevable" la procédure de saisie immobilière engagée par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité était inopposable et avait ordonné la radiation du commandement aux fins de saisie immobilière. Les juges du fond considéraient que la circonstance que l'immeuble du débiteur ait fait l'objet, avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, d'une déclaration d'insaisissabilité n'autorisait pas le créancier hypothécaire à s'abstenir de saisir le juge-commissaire d'une demande de vente aux enchères publiques en application des articles L. 642-18 (N° Lexbase : L7335IZP) et R. 642-22 (N° Lexbase : L9317IC3) et suivants du Code de commerce. Sur le pourvoi formé par le créancier hypothécaire saisissant, la Chambre commerciale casse l'arrêt d'appel pour violation des articles L. 526-1 (N° Lexbase : L2000KG8) et L. 643-2 du Code de commerce. Cette solution, qui reconnaît la possibilité pour le créancier, auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable, de saisir l'immeuble sans être soumis aux règles propres aux procédures collectives, doit être approuvée sans réserve.

Rappelons, tout d'abord, que l'article L. 643-2 du Code de commerce autorise les créanciers titulaires d'une sûreté spéciale, telle l'hypothèque, à exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la réalisation des biens grevés de la sûreté dans le délai de trois mois posé à l'article L. 643-2 (6). La vente est cependant ordonnée par le juge-commissaire (C. com., art. R. 642-22), de sorte que le créancier doit ainsi être autorisé par le juge-commissaire à faire procéder à la saisie de l'immeuble.

Dans ce cadre, l'action du créancier ne tend qu'à pallier l'inaction du liquidateur, dans l'intérêt collectif des créanciers. En effet, le prix de vente de l'immeuble grevé sera réparti dans le cadre de la liquidation judiciaire et en application des règles de répartition posées en la matière.

Il en va tout à fait différemment lorsque le créancier saisissant est un créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable car, relativement à cet immeuble, ce créancier n'est pas soumis à la discipline collective puisque l'immeuble échappe totalement à l'emprise de la procédure collective. Ce créancier n'a donc pas à obtenir une quelconque autorisation du juge-commissaire pour faire procéder à la saisie de l'immeuble dont le prix de vente n'a pas vocation à être réparti dans le cadre de la procédure collective.

Il a été observé, en doctrine, que les créanciers, auxquels la déclaration notariée est inopposable et qui ont donc conservé le droit de saisir l'immeuble, ne se voient pas appliquer, relativement à l'immeuble objet de la DNI, les grands corps de règles de la discipline collective, dont l'interdiction des paiements et l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution (7). Le créancier auquel la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable pourra donc, malgré l'ouverture de la procédure collective du débiteur, obtenir un titre exécutoire, inscrire une hypothèque sur l'immeuble et procéder à sa saisie. Le juge saisi aux fins d'obtention d'un titre exécutoire pourrait être étonné de l'audace procédurale du créancier. C'est pourquoi, dans l'acte introductif d'instance, il appartiendra au créancier auquel la déclaration notariée est inopposable de justifier la recevabilité exceptionnelle de son action, et ainsi expliquer qu'il a conservé le droit d'action contre le débiteur, en tant que créancier ayant conservé le droit de saisir l'immeuble du débiteur. Une fois le titre exécutoire obtenu, ce dernier ne pourra, bien évidemment, être utilisé que pour procéder à une exécution sur l'immeuble objet de la déclaration notariée (8).

Une fois reconnue aux créanciers auxquels la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable, la possibilité de saisir l'immeuble, en étant affranchi des règles de la procédure collective, d'autres questions surgissent, telle celle de la manière dont le prix de vente sera réparti. Un auteur (9) s'est prononcé sur la question en considérant que tous les créanciers auxquels la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable doivent être désintéressés avant que le solde du prix puisse être remis au débiteur ou à son liquidateur. Selon le même auteur, il appartiendra au répartiteur du prix de vente de l'immeuble et de son solde, après paiement des créanciers inscrits sur l'immeuble et ayant conservé le droit de le saisir, ainsi, à notre avis, que des créanciers non inscrits qui ont identiquement conservé le droit de saisir l'immeuble, de tout mettre en oeuvre pour que le prix soit consigné, soit jusqu'à la déclaration de remploi, soit, à défaut, jusqu'à expiration du délai d'un an, qui met fin à l'insaisissabilité du prix de vente.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, Membre du CERDP (EA 1201)

La procédure de rétablissement professionnel n'a pas, pour l'heure, rencontré le succès qu'en escomptait le législateur. Aussi, rares sont les décisions intervenues en la matière, spécialement au stade des cours d'appel. La décision de la cour d'appel de Versailles du 14 avril 2016 (10) n'en présente que plus d'intérêt.

Selon l'article L. 645-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7248IZH), le rétablissement professionnel est ouvert à tout débiteur, personne physique, mentionné à l'article L. 640-2 (N° Lexbase : L8862INK). Il s'agit de tout professionnel indépendant en activité. Le débiteur ne peut avoir un actif déclaré supérieur à une somme fixée par décret, soit 5 000 euros. L'article L. 645-2 du même code ajoute que la procédure ne peut être ouverte à l'égard d'un débiteur qui a fait l'objet, depuis moins de cinq ans, au titre de l'un quelconque de ses patrimoines, d'une procédure de liquidation judiciaire, clôturée pour insuffisance d'actif ou d'une décision de clôture d'une procédure de rétablissement professionnel.

Ainsi, au regard du débiteur, les choses apparaissent-elles assez claires et ces conditions semblent bien devoir être interprétées restrictivement.

Encore faut-il préciser que, en application de l'article L. 645-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L7256IZR), à tout moment de la procédure de rétablissement professionnel, le débiteur peut ouvrir la liquidation judiciaire, s'il est établi que le débiteur n'est pas de bonne foi ou si l'instruction fait apparaître l'existence d'éléments susceptibles de donner lieu aux sanction prévues par le titre V du livre VI (C. com., art. L. 650-1 N° Lexbase : L3503ICQ et s.) ou à l'application des articles L. 632-1 (N° Lexbase : L7320IZ7) à L. 632-3, c'est-à-dire les nullités de la période suspecte.

Ainsi, les articles L. 645-1 et L. 645-2 du code posent-ils des conditions d'ouverture de la procédure de rétablissement personnel, cependant que l'article L. 645-9 envisage des cas de remise en cause de la procédure obligeant à son abandon au profit d'une procédure de liquidation judiciaire.

Ces problématiques sont au coeur de la décision de la cour d'appel de Versailles.

La première question qui se posait en l'espèce était de savoir si le débiteur, professionnel indépendant ne disposant pas d'un actif supérieur à 5 000 euros, pouvait bénéficier de la procédure alors qu'il était parallèlement dirigeant d'une société dont la liquidation judiciaire avait été prononcée.

La réponse n'apparaissait pas douteuse à l'examen des conditions d'éligibilité. Certes, le débiteur ne doit pas avoir connu, dans les cinq ans précédant, une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif. Il n'est pas précisé, en l'espèce, si la liquidation judiciaire de la société dirigée par celui qui sollicitait l'ouverture du rétablissement professionnel avait été clôturée pour insuffisance d'actif. Mais qu'importe en réalité. Le texte ne vise pas la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif de la personne morale dont l'intéressé était dirigeant dans les cinq ans précédents, mais la clôture d'une procédure ouverte personnellement contre l'intéressé, c'est-à-dire en tant que professionnel indépendant. Il n'y avait donc, en l'espèce, aucun obstacle à l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel contre l'intéressé et, contrairement à ce qu'avait cru devoir juger le tribunal de grande instance de Nanterre, dont la décision avait été à raison critiquée (11), c'est justement que la cour d'appel de Versailles s'est prononcée en ce sens. Il n'est pas inintéressant de noter, ici, une différence rédactionnelle entre le bénéfice de la procédure de rétablissement personnel et le bénéfice de la purge des dettes de l'article L. 643-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L8934KUG). En effet, pour bénéficier de l'interdiction du droit de reprise de poursuites individuelles, le débiteur ne doit pas avoir connu, dans les cinq ans précédents, de clôture de la liquidation judiciaire, soit à titre personnel, soit en tant que dirigeant d'une personne morale débitrice. Ainsi, l'accès à la procédure de rétablissement professionnel est-il moins exigeant que celui de la purge des dettes de l'article L. 643-11, alors pourtant que le bénéfice économique sera, pour le débiteur, sensiblement le même dans les deux cas : le droit de ne pas payer ses dettes.

Une autre difficulté se présentait en l'espèce. En effet, le tribunal avait relevé que le débiteur avait tardé à demander l'ouverture du rétablissement personnel et qu'il était en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours. En outre, il n'était pas, selon le tribunal, de bonne foi, car il avait omis de déclarer un nom de domaine et un appareil photographique d'une certaine valeur marchande.

Le premier reproche tenait à la demande tardive de saisine du tribunal aux fins d'ouverture du rétablissement personnel et, parallèlement, comme y oblige la loi, d'ouverture d'une liquidation judiciaire. On sait, en effet, que le débiteur, qui demande l'ouverture d'un rétablissement professionnel, doit également solliciter l'ouverture d'une liquidation judiciaire. Si le tribunal ouvre le rétablissement, il sursoit à statuer sur la liquidation judiciaire. La technique a été ingénieusement mise au point par les rédacteurs du décret du 30 juin 2014 (décret n° 2014-736 N° Lexbase : L5913I3E ; C. com., art. R. 645-2 N° Lexbase : L6210I3E) pour contourner l'interdiction de la saisine d'office aux fins d'ouverture de la liquidation judiciaire : si le tribunal met fin au rétablissement professionnel, il peut ouvrir la liquidation sans se saisir d'office puisqu'il aura déjà été saisi de cette demande par le débiteur, en application de l'article L. 645-3, al. 1er N° Lexbase : L7250IZK).

Ce mécanisme procédural a des conséquences sur le fond du droit. En effet, le législateur n'a pas précisé que le débiteur sollicitant l'ouverture du rétablissement doit se trouver dans une certaine situation économique. Mais, puisqu'il sollicite l'ouverture de la liquidation judiciaire en demandant l'ouverture du rétablissement professionnel, il faut nécessairement comprendre qu'il doit en remplir les conditions : être en état de cessation des paiements (12) et ne pas pouvoir se redresser (13).

Au stade de la liquidation judiciaire, le fait de ne pas saisir le tribunal dans les 45 jours de son état de cessation des paiements n'est évidemment pas un cas d'irrecevabilité de la demande. C'est juste un cas d'interdiction de gérer prévu par l'article L. 653-8, alinéa 3 (N° Lexbase : L2082KG9). Encore faudra t-il, depuis la loi "Macron" du 6 août 2015, démontrer que cette omission de déclaration a été faite "sciemment".

Que décider pour l'ouverture du rétablissement professionnel si la demande d'ouverture est faite plus de 45 jours après la cessation des paiements ? On est alors en présence d'un cas visé au titre V du livre VI du Code de commerce, ainsi que l'énonce l'article L. 645-9. A suivre le texte à la lettre, il n'est pas ici question d'ouverture, mais de remise en cause de la procédure de rétablissement professionnel. C'est en ce sens que s'est fixée, dans la présente espèce, la cour d'appel de Versailles, qui estime que le tribunal et à sa suite la cour, saisis d'une demande d'ouverture de rétablissement professionnel, doivent vérifier si le débiteur remplit les conditions posée par les articles L. 645-1 et L. 645-2 au jour où ils statuent, "que les dispositions de l'article L. 645-9 ne sont pas applicables au moment où le tribunal et à sa suite la cour apprécient les conditions d'ouverture d'une procédure de rétablissement professionnel".

Cette solution a été précédemment posée par une autre cour d'appel (14). Elle est certes strictement conforme à la lettre des textes, qui distinguent bien conditions d'ouverture et conditions d'abandon de la procédure de rétablissement professionnel au profit de la liquidation judiciaire.

Un autre problème se posait en l'espèce, qui tenait à la mauvaise foi du débiteur. Si celle-ci est avérée, il y a matière, selon l'article L. 645-9 du Code de commerce, à ouvrir une liquidation judiciaire en mettant fin au rétablissement professionnel. Mais que se passe-t-il si le tribunal, lors de la demande d'ouverture du rétablissement professionnel, dispose des éléments pour considérer que le débiteur est de mauvaise foi ? La solution sera rare en pratique. En revanche, si la question se pose devant la cour d'appel, l'instruction du dossier sera, à cette date, suffisante au jour où la cour statuera à nouveau pour que le problème se pose avec toute sa force. Ici encore, la cour d'appel de Versailles, dans une vision littérale des textes, considère-t-elle que la bonne foi n'est pas une condition d'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel, la mauvaise foi n'étant qu'une condition d'abandon de la procédure, en application de l'article L. 645-9 du Code de commerce. On mesure ici, au passage, la différence qui sépare le rétablissement professionnel du rétablissement personnel du Code de la consommation, érigeant la bonne foi en condition d'ouverture de la procédure de rétablissement personnel.

On ne peut évidemment faire reproche à la cour d'appel de Versailles de respecter les textes à la lettre. Pour autant, il faut bien apercevoir que, si au stade de l'ouverture du rétablissement professionnel, le tribunal, et surtout la cour d'appel, disposent des éléments leur permettant d'asseoir leur conviction qu'il y a place à remise en cause de la décision de rétablissement professionnel, on va ouvrir deux procédures au lieu d'une. Où se trouvent le gain de temps et l'économie financière voulus par le législateur, qui a instauré des procédures dédiées aux dossiers impécunieux ? La ratio legis nous semble donc commander une autre solution : si par principe, les cas visés à l'article L. 645-9 ne sont que des causes de déchéance de la procédure de rétablissement professionnel, la juridiction n'en ayant été informée qu'au cours de l'instruction, il n'en va pas de même si la juridiction, au jour où elle statue sur l'ouverture du rétablissement professionnel, sait pertinemment qu'il y a matière à ne pas maintenir cette procédure. La juridiction nous semble devoir s'abstenir d'ouvrir cette procédure, car ouvrir en sachant dès le départ que l'on va dire ensuite que cette procédure n'est pas la bonne n'est guère utile. Nous ne pouvons donc ici que partager l'opinion d'un de nos collègues (15).

En tout état de cause, si la jurisprudence n'ose pas franchir le pas, au regard de la lettre des textes, c'est alors à cette dernière que le législateur devra s'attaquer, car tout cela n'apparaît guère sérieux ! Il serait plus pertinent de faire figurer, au stade des conditions d'ouverture, l'absence d'éléments faisant obstacle au maintien de la procédure.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6407HUT), Bull. civ. IV, n° 109 ; D., 2011, actu 1751, note A. Lienhard ; D., 2012, pan. 1573, note P. Crocq ; D., 2012, pan. 2202, note P.-M. Le Corre ; Gaz. Pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 11, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll. 2011/13, comm. 203, note L. Fin-Langer ; JCP éd. E, 2011. 1551, note F. Pérochon ; JCP éd. E, Chron. 1596, n° 4, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2011. 375, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 412, obs. M. Rousille ; Rev. sociétés, septembre 2011, 526, note Ph. Roussel Galle ; Bull Joly Entrep. en diff., septembre/octobre 2011, comm. 125, p. 242, note L. Camensuli-Feillard ; RDBF, septembre-octobre 2011, comm. 171, note S. Piedelièvre ; Defrénois, 2011, 40083, note F. Vauvillé ; Dr. et patr., novembre 2011, n° 208, 74, note P. Crocq ; Rev. proc. coll., septembre 2011, études 23, note L. Fin-Langer ; JCP éd. E, 19 janvier 2012, Chron., n° 11, obs. Ph. Delebecque ; LPA, 28 septembre 2011, n° 193, p. 11, note G. Teboul ; Dr. et procédures, octobre 2011, p. 234, note F. Vinckel ; Rev. proc. coll., mai 2012, comm. 111, note C. Lisanti ; Dr. et patr., septembre 2012, n° 217, p. 102, note M.-H. Monsèrié-Bon ; P.-M. Le Corre, in Chron. Lexbase, éd. aff., 2011, n° 259 (N° Lexbase : N6983BSG).
(2) Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27.087, F-D (N° Lexbase : A8884IER), D., 2012, pan. 2202, note P.-M. Le Corre ; Rev. proc. coll., mai 2012, comm. 111, note C. Lisanti.
(3) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2014/2015, n° 562.13.
(4) Le gage commun est celui auquel, en théorie, peuvent accéder tous les créanciers du débiteur.
(5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 562.13.
(6) L'alinéa premier de cet article prévoit que ce délai court à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. Cependant, lorsqu'est envisagé un plan de cession, ce délai de trois mois court à compter du délai de présentation des offres de reprise prévu par le tribunal en application de l'article L. 642-2 (N° Lexbase : L7331IZK), à condition qu'aucune offre n'ait été présentée dans ce délai (C. com., art. L. 643-2, al. 2 N° Lexbase : L3367ICP).
(7) V. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 562.13.
(8) TGI Grasse, JEX, 20 février 2014, n° 2014/91.
(9) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 562.13.
(10) Nous remercions Maître Thierry Montéran, Avocat au barreau de Paris, pour la communication de cette décision.
(11) TGI Nanterre, ch. proc. coll., 23 octobre 2015, n° 15/00062, Act. proc coll., 2016/1, comm. 3, note crit. P. Cagnoli.
(12) Ph. Pétel, Entreprises en difficulté : encore une réforme !, JCP éd. E, 2014, 1223, n° 21 ; Fl. Reille, Une nouvelle procédure qui n'en est pas une : le rétablissement professionnel, Rev. proc. coll., mars 2014, Etude 22, n° 7.
(13) Fl. Reille, préc..
(14) CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 22 octobre 2015, n° 14/24304 (N° Lexbase : A7971NUR), décision aimablement communiquée par Me P. Guetta, Avocat au barreau de Nice.
(15) D. Voinot, Les modifications intéressant la liquidation judiciaire issues de l'ordonnance du 12 mars 2014, Gaz. Pal., 6 avril 2014, n° 96, p. 23 et s., spéc. p. 25.

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Filiation

[Jurisprudence] L'association "Juristes pour l'enfance" jugée sans intérêt

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mars 2016, 4 arrêts, n° 15-10.576 (N° Lexbase : A3539Q8L), n° 15-10.577 (N° Lexbase : A3441Q8X), n° 15-10.578 (N° Lexbase : A3365Q87), n° 15-10.579 (N° Lexbase : A3414Q8X) ; CA Rennes, 7 mars 2016, 2 arrêts, n° 15/03855 (N° Lexbase : A1914QYK), n° 15/03859 (N° Lexbase : A1869QYU)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Encyclopédies de droit de la famille

Le 21 Avril 2016

Les actions relatives à l'état de l'enfant ont récemment donné lieu à plusieurs tentatives d'abordage de la part d'une association qui, sous couvert d'un objet social tendant à "défendre l'intérêt des enfants nés, à naître ou à venir"..., vise à médiatiser par tous les moyens son combat contre les effets de la filiation fondée sur l'engendrement par un tiers, lorsque la conception de l'enfant résulte soit d'une assistance médicale à la procréation, soit d'une gestation pour autrui. L'acharnement à lutter contre les effets des filiations fondées sur un engendrement par un tiers de l'association "Juristes pour l'enfance" s'articule logiquement avec sa position farouchement opposée au mariage pour tous dont la presse, y compris juridique, s'est fait directement ou indirectement l'écho en son temps...
Saisie par deux fois de la question de la recevabilité de l'intervention volontaire de l'association "Juristes pour l'enfance", dans le cadre d'une demande de transcription d'un acte de naissance étranger d'un enfant né d'une convention de gestation pour autrui, la cour d'appel de Rennes composée des mêmes magistrats a rendu, le même jour, le 7 mars 2016, deux décisions opposées (CA Rennes, 7 mars 2016, n° 15/03855 et n° 15/03859) qui traduisent les hésitations des juges du fond (I). Les quatre arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 mars 2016 (Cass. civ. 1, 16 mars 2016, quatre arrêts, n° 15-10.576, F-D ; n° 15-10.577, F-P+B ; n° 15-10.578, F-D ; et n° 15-10.579, F-D) dans le cadre de l'adoption d'un enfant conçu par insémination avec tiers donneur, par la femme de sa mère, devraient mettre fin à ces hésitations en ce qu'ils excluent clairement l'intervention de l'association (II). I - Les hésitations des juges du fond

Divergences. Le résultat des tentatives de l'association "Juristes pour l'enfance" pour intervenir dans les procédures n'ont pas toujours été vaines. En effet, si la cour d'appel de Versailles, dans les quatre décisions du 11 décembre 2014 ayant donné lieu aux quatre arrêts de la Cour de cassation du 16 mars 2016 (1), a fait preuve de cohérence en déclarant, dans toutes les procédures, l'intervention de l'association "Juristes pour l'enfance" irrecevable, la cour d'appel de Rennes, dans le cadre des procédures de transcription de l'acte de naissance étranger d'un enfant né d'une mère porteuse sur les actes d'état civil français, a, quant à elle, adopté une position moins homogène. Alors que la cour d'appel de Versailles affirme que l'association n'invoquait pas d'autre intérêt que celui né de la défense des intérêts collectifs dont elle se prévaut et "qu'un tel intérêt n'est pas légitime au regard de la nature de l'affaire relative à l'état d'un enfant, instruite et débattue en chambre du conseil, après avis du ministère public", la cour d'appel de Rennes rend deux arrêts totalement contraires. Elle admet, dans un cas, la recevabilité de l'intervention volontaire de l'association et la rejette dans l'autre. Toutefois, cette contradiction apparente s'explique, selon la cour d'appel de Rennes, par la différence de nature de l'intervention volontaire de l'association dans chacune des procédures, cette différence de nature étant elle-même liée au fond de l'affaire et aux sens des conclusions du ministère public.

Irrecevabilité de l'intervention principale. Dans l'arrêt n° 15/03859, l'affaire concernait la reconnaissance en France de la seule filiation paternelle de l'enfant né de la mise en oeuvre d'une convention de gestation pour autrui en Californie, l'acte de naissance indiquant le nom de la mère porteuse au titre de la filiation maternelle. Le ministère public qui, dans un premier temps, avait refusé la transcription, a modifié sa position devant la cour d'appel au regard des arrêts rendus par la Cour de cassation en juillet 2015 (2), "établissant que le recours à une gestation pour autrui est désormais inopérante" et qui concernait des faits tout à fait similaires à ceux auxquels la cour d'appel de Rennes était confrontée. Ainsi, alors qu'il s'était opposé à la transcription en première instance, le ministère public demandait, en appel, la confirmation du jugement qui ordonnait la transcription de l'acte de naissance mentionnant au titre de la filiation maternelle, la mère porteuse, et au titre de la filiation paternelle le père d'intention qui devait aussi être le père biologique, "rappelant qu'il a toujours convenu que l'acte de naissance de l'enfant quant à la filiation paternelle et maternelle mentionnées est conforme aux exigences de l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW)".

Ce changement de position du ministère public aboutissait à ce que l'association se retrouvait seule à soutenir qu'il était de l'intérêt de l'enfant que sa filiation paternelle ne soit pas reconnue, et à demander l'annulation du jugement qui ordonnait la transcription de l'acte de naissance. Dès lors, les conditions de l'intervention volontaire à titre accessoire (C. pr. civ., art. 330 N° Lexbase : L2007H44) n'étaient plus réunies puisque celle-ci doit venir s'appuyer sur les prétentions d'une partie. L'intervention ne pouvait donc qu'être une intervention principale (C. pr. civ., art. 329 N° Lexbase : L2005H4Z). Or, selon la cour d'appel de Rennes, une intervention principale est exclue dans une instance mettant en oeuvre une action attitrée, strictement personnelle au demandeur originaire, "en effet, JPE, tiers au jugement déféré qui ne lui a pas été notifié, n'a pas d'intérêt et qualité relativement à la prétention personnelle [du père de l'enfant] tendant à la transcription de l'acte de naissance étranger de l'enfant, ne disposant pas d'un droit propre né de l'acte de naissance de l'enfant". La cour d'appel ajoute que "la seule défense des intérêts collectifs dont se prévaut JPA est insuffisante à rendre légitime son intervention au regard d'un contentieux relatif à l'état des personnes, en présence du ministère public, qui concerne un jeune mineur et qui relève de l'intimité de la vie privée s'agissant de liens de filiation et du récit de la vie familiale, les débats fussent-ils en audience publique". Non contente de déclarer l'intervention de l'association irrecevable, la cour d'appel de Rennes la condamne à verser 500 euros de dommages et intérêts au père de l'enfant du fait de son ingérence dans l'intimité de sa vie familiale, accusant à raison l'association d'avoir eu pour objectif de "donner une résonance médiatique à cette procédure".

Transcription de l'acte de naissance. Au fond, la cour d'appel confirme le jugement de première instance en motivant longuement sa décision et en affirmant "que l'enfant fût-il issu d'une convention de gestation pour autrui, ne saurait se voir opposer les conditions de sa naissance, la loi n'édictant aucune distinction selon le mode de conception des enfants". Cette affirmation, qui s'inscrit dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation portant à la fois sur les enfants nés de PMA (3) et ceux de GPA (4), mérite d'être soulignée en ce qu'elle traduit l'évolution du droit de la filiation fondée sur l'engendrement par un tiers et l'importance de centrer le débat sur l'enfant lui-même, à l'exclusion de considération idéologiques et politiques. La cour d'appel de Rennes précise en outre que, dans l'affaire qui lui était soumise, la paternité biologique du demandeur n'était pas mise en doute et qu'aucun indice de contrariété à l'article 47 du Code civil n'était relevé. Ce faisant, les magistrats rennais mettent parfaitement, et heureusement, en oeuvre la solution posée par la Cour de cassation dans les arrêts du 3 juillet 2015 (5).

Filiation de l'enfant à l'égard du père et de la mère d'intention. Dans l'autre arrêt rendu le même jour (n° 15/03855), la cour d'appel de Rennes adopte une solution tout à faire différente sur la question de l'intervention volontaire de la même association, comme sur la question au fond de la transcription de l'acte de naissance étranger sur les registres d'état civil français.

Sur le premier point, elle déclare l'intervention de l'association recevable, sur le fondement de droit commun de l'article 31 du Code de procédure civile, en affirmant qu'elle a intérêt et qualité pour agir au regard de son objet social "centré autour de la défense de l'intérêt des enfants nés à naître ou à venir et pour la protection de l'enfance sous quelque forme que ce soit". Cette différence radicale avec la décision précédente s'explique par la situation jugée au fond qui retentissait sur la position des parties et particulièrement celle du ministère public. Dans cette affaire, l'acte de naissance ukrainien mentionnait en effet comme parents de l'enfant, le père et la mère d'intention. Le ministère public, qui s'était opposé à la transcription en première instance, sollicite en appel l'annulation du jugement qui l'a admise. Il fait valoir qu'après les arrêts du 3 juillet 2015, "la jurisprudence reste incertaine pour toute affaire dont les faits ne seraient pas strictement identiques". Or en l'espèce, il considère que "les actes de naissance litigieux ne sont pas conformes à la réalité au sens de l'article 47 du Code civil puisque la personne désignée comme mère de l'enfant n'a pas accouché".

Recevabilité de l'intervention accessoire. Dès lors que l'association "Juristes pour l'enfant" demandait également l'infirmation du jugement de première instance, son intervention est qualifiée d'accessoire par la cour d'appel de Rennes, en ce qu'elle vient appuyer les prétentions du ministère public. La cour d'appel considère ainsi que "la condition de lien suffisant de l'article 325 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1992H4K) n'exige qu'un lien avec les prétentions des parties et non avec les parties elles-mêmes".

La distinction opérée par la cour d'appel de Rennes entre intervention principale et accessoire n'emporte pas la conviction. L'action en demande de transcription de l'acte de naissance reste en effet une action attitrée et éminemment personnelle, et ce même si les débats sont publics. Or, dans le cadre d'une action attitrée, l'intervention d'un tiers est toujours problématique car elle procède clairement de l'immixtion dans la vie privée et familiale des parties à la procédure. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle en ce sens refusé l'intervention volontaire d'un créancier dans le cadre d'une procédure de divorce (6). Elle a cependant admis l'intervention volontaire d'un comité d'entreprise dans une action en révocation d'une donation pour ingratitude de parts sociales de l'entreprise (7), établissant ainsi que si l'intervention volontaire est en principe exclue dans les actions attitrées, elle n'est pas totalement inenvisageable (8). Dans les arrêts de la cour d'appel de Versailles du 11 décembre 2014, l'intervention de l'association est qualifiée de principale. On peut penser que le ministère public avait, comme dans la première affaire jugée par la cour d'appel de Rennes, modifié sa position après l'avis de la Cour de cassation du 22 septembre 2014 (9) admettant l'adoption par l'épouse de sa mère de l'enfant né d'une PMA à l'étranger, faisant ainsi de la prétention de l'association une intervention principale et non plus accessoire aux prétentions du ministère public.

Vie privée et familiale. Par ailleurs, pour admettre l'intervention de l'association dans son second arrêt du 7 mars 2016, la cour d'appel de Rennes affirme que "le Code de procédure civile ne soumet nullement l'accès à la justice, principe constitutionnellement garanti, au respect de la vie privée et familiale". Ce faisant, elle prend nettement le contre-pied du raisonnement qu'elle a tenu dans l'arrêt du même jour et qui l'a conduit à condamner l'association à verser des dommages et intérêts au père de l'enfant pour atteinte à sa vie privée, sachant que, dans les deux affaires, les débats étaient publics. Cet argument paraît fort contestable car l'atteinte à la vie privée et familiale de l'enfant et de ses parents est la même quel que soit le fond de l'affaire dès lors qu'il s'agit de l'état civil de l'enfant. En outre, le fait que les débats soient publics ne justifie pas qu'une association qui n'a rien à voir avec les personnes concernées puissent intervenir, même à titre accessoire, dans une affaire des plus privées. On frémit en pensant à ce qui pourrait survenir si on permettait aux associations de toute obédience d'intervenir dans les procédures touchant au lien familial et à l'état des personnes.

Refus de transcription de la filiation maternelle. La cour d'appel n'ordonne qu'une transcription partielle de l'acte de naissance ukrainien au seul bénéfice de la filiation paternelle. Elle refuse en effet la transcription de la filiation maternelle au motif que l'établissement de la filiation maternelle de la mère d'intention, qui n'est pas la mère biologique des enfants et qui ne les a pas mis au monde est impossible en l'état du droit français, en dehors du cadre de l'adoption, qui ne peut être applicable au cas d'espèce. La cour d'appel, pour atténuer l'effet sur les enfants de ce défaut de reconnaissance de la filiation maternelle, précise que "l'absence de transcription ne prive pas les enfants de leur filiation maternelle que le droit ukrainien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec leur père et leur mère', cette dénomination étant mentionnée dans le certificat de nationalité française délivré à chacun des enfants". En effet, depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 12 décembre 2014 (10) validant la circulaire "Taubira" (circulaire du 25 janvier 2013, JUSC1301528C N° Lexbase : L6121I34) imposant aux autorités judiciaires et administratives compétentes de délivrer un certificat de nationalité français aux enfants nés de GPA, dont la filiation à l'égard de parents d'intention français étaient établie à l'étranger, les enfants concernés bénéficient de ce certificat de nationalité française, comme ce fut le cas dans les deux affaires jugées par la cour d'appel de Rennes. Cette évolution limite en effet les inconvénients liés au défaut de reconnaissance sur les registres d'état civil français de la filiation de ces enfants. Il n'en reste pas moins que ce défaut de reconnaissance de la filiation maternelle reste problématique et qu'une solution doit rapidement être apportée soit par le législateur, soit par la Cour de cassation qui pourrait admettre le recours à l'adoption dans cette hypothèse.

II - La position tranchée de la Cour de cassation

Insuffisance de l'intérêt collectif. La Cour de cassation, dans la série des quatre arrêts du 16 mars 2016, déclare irrecevables les interventions volontaires de l'association "Juristes pour l'enfance". La Haute cour affirme en effet que "c'est dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation que la cour d'appel a estimé que cette association, qui n'évoquait aucun autre intérêt que la défense des intérêts collectifs dont elle se prévalait, ne justifiait pas d'un intérêt légitime à intervenir dans une procédure d'adoption". Cette solution tranchée, met clairement fin aux tentatives de cette association pour s'immiscer dans les affaires concernant l'état civil d'enfants conçus par le recours à une PMA ou GPA.

Exclusion de l'intervention d'une association. La Cour de cassation exclut toute intervention volontaire fondée sur la seule défense d'intérêts collectifs. L'intervenant doit invoquer un intérêt légitime, propre. Or, une association ne peut par hypothèse invoquer un tel intérêt, dans le cadre d'une procédure relative à l'état civil d'une personne physique avec lequel elle n'a pas de lien. En exigeant un intérêt autre qu'un intérêt collectif, la Cour de cassation exclut toute intervention volontaire de groupement dans les procédures relatives à l'adoption, ce dont il faut évidemment se féliciter. Dans ces différentes actions, en effet, le ministère public est présent, comme partie principale ou partie jointe, pour représenter l'intérêt général et pour, en fonction de la jurisprudence de la Cour de cassation, définir les contours de l'ordre public familial. On ne saurait permettre que des associations, surtout lorsqu'elles représentent une opinion heureusement minoritaire, interviennent dans des actions au caractère familial et privé. Dans le cas contraire en effet, comme l'a très justement relevé un auteur "ne risque-t-on pas de renverser les digues qui empêchaient toutes sortes d'associations à l'idéologie forcenée de faire irruption dans les affaires de divorce et de filiation ?" (11).

Possibilité d'une intervention d'un membre de la famille. Pour autant, la Cour de cassation n'exclut pas toute intervention volontaire dans le cadre des procédures relatives à la filiation adoptive. Pourrait donc intervenir volontairement à une procédure d'adoption, une personne physique qui aurait un intérêt propre à ce que l'adoption soit prononcée, ou à l'inverse à ce qu'elle ne le soit pas. Comme le précise la Cour de cassation, l'appréciation de l'intérêt propre de l'intervenant volontaire relèverait alors du pouvoir souverain des juges du fond. Il pourrait s'agir notamment d'un membre de la famille d'origine de l'enfant, tels que ses grands-parents ou encore ses frères et soeurs. En ce sens, lorsque la Cour de cassation, dans l'arrêt du 8 juillet 2009 (12), a déclaré irrecevable l'intervention volontaire des grands-parents biologiques dans la procédure d'adoption de leur petit-enfant né dans le secret, c'est l'absence d'un lien juridique entre l'enfant et les intervenants qui motive la décision et non l'impossibilité pour eux d'intervenir dans la procédure parce qu'il s'agissait d'une action attirée ; a contrario des grands-parents dont la qualité juridique est établie auraient pu intervenir volontairement dans la procédure d'adoption. Il en serait de même de frères et soeurs qui interviendraient volontairement pour s'opposer à l'adoption plénière d'un enfant pour éviter la rupture des liens entre lui et eux.

Généralisation à toutes les interventions. Dans les arrêts du 16 mars 2016, la Cour de cassation ne précise pas si l'intervention volontaire était principale ou accessoire, alors qu'il s'agissait, dans les différentes espèces, d'une intervention principale, selon la cour d'appel de Versailles. Cette absence de précision peut permettre de penser que la Cour de cassation n'a pas souhaité limiter la portée de la solution aux interventions principales et qu'elle est aussi destinée à s'appliquer aux interventions accessoires. Cette interprétation viendrait invalider la décision de la cour d'appel de Rennes admettant l'intervention volontaire de l'association lorsqu'elle est accessoire. Une telle solution serait particulièrement opportune car le caractère accessoire de l'intervention n'enlève rien à l'immixtion dans la vie privée et familiale qu'elle constitue. C'est le caractère attitré d'une action qui justifie la solution, laquelle est donc applicable sans distinction aux interventions principales comme accessoires. En effet, si la Cour de cassation vise spécialement la procédure d'adoption, la cour d'appel, dont elle confirme le raisonnement, avait quant à elle évoqué "la nature de l'affaire relative à l'état de l'enfant", et on pourrait considérer que la solution de la Cour de cassation est transposable à toutes les actions relatives à l'état des personnes, dont les procédures relatives aux actes d'état civil. Il serait cependant opportun que la Cour de cassation confirme cette analyse. L'occasion pourrait lui en être donnée si elle devait examiner l'éventuel pourvoi que l'association "Juristes pour l'enfance" pourrait former contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes qui a rejeté son intervention. Il faudrait cependant que l'association accepte le risque d'une nouvelle condamnation pécuniaire. En effet, la Cour de cassation, non contente d'affirmer l'irrecevabilité de l'intervention de l'association, a prononcé une condamnation de 3 000 euros fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), dans chacune des affaires, ce qui pourrait être de nature à, enfin, dissuader cette association de poursuivre son acharnement procédural.

Appropriation de l'intérêt de l'enfant. L'analyse selon laquelle toute intervention volontaire fondée sur un intérêt collectif est exclue dans les procédures attitrées, spécialement relatives à l'état des personnes, permettrait de mettre définitivement fin à un empiètement choquant de l'association "Juristes pour l'enfance" sur les compétences du ministère public et qui repose sur une appropriation éhontée de la défense de l'intérêt de l'enfant. Cette association qui s'est autoproclamée défenseur de l'intérêt des enfants nés ou à naître, prétend en effet définir, in abstracto, ce qu'est l'intérêt de l'enfant dans le contexte de ces procédures relatives à la filiation fondée sur l'engendrement par un tiers. En s'opposant, dans l'affaire ayant donné lieu au premier arrêt de la cour d'appel de Rennes, à la reconnaissance de la filiation paternelle de l'enfant -pourtant conforme à sa filiation biologique- elle défend l'idée que cette reconnaissance serait contraire à l'intérêt de l'enfant, au mépris des affirmations de la Cour européenne des droits de l'Homme en 2014 (13) et de la Cour de cassation en 2015 (14). Ce faisant, elle sacrifie le droit de l'enfant à son identité sur l'autel de revendications traditionalistes. De même, lorsque l'association "Juristes pour l'enfance" s'oppose à l'adoption, par l'épouse de sa mère, d'un enfant conçu par insémination avec donneur, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts de la Cour de cassation du 16 mars 2016, elle considère que l'intérêt de l'enfant n'est pas d'être adopté par la femme qui, avec sa mère, le prend en charge au quotidien, là encore en contradiction avec la jurisprudence postérieure à l'avis de la Cour de cassation de 2014.

Il faut donc se féliciter que la Cour de cassation ait mis fin aux agissements procéduraux de cette association pour permettre des débats sereins et équilibrés et protégés de tout dogmatisme rétrograde sur la question de savoir quel est vraiment, dans le cadre d'une filiation fondée sur l'engendrement par un tiers, l'intérêt de l'enfant.


(1) Les quatre pourvois étaient formés contre des décisions rendues par la cour d'appel de Versailles, le 11 décembre 2014 : CA Versailles, 16 avril 2015, n° 14/04245 (N° Lexbase : A7451NG3), n° 14/04253 (N° Lexbase : A7103NG8), n° 14/04243 (N° Lexbase : A7604NGQ) et n° 14/04244 (N° Lexbase : A7638NGY) ; AJFam., 2015, p. 220, obs. A. Machez.
(2) Ass. Plén., 3 juillet 2015, deux arrêts, n° 14-21.323 (N° Lexbase : A4482NMX) et n° 15-50.002 (N° Lexbase : A4483NMY), P+B+R+I ; Dr. Fam., 2015, n° 11 p. 8, obs. I. Corpart ; JCP éd. G, 2015 p. 1614, nos obs. ; RCDIP, 2015, p. 885, obs. E. Gallant.
(3) Cass. avis, 22 septembre 2014, n° 15010 (N° Lexbase : A9175MWQ) et n° 15011 (N° Lexbase : A9174MWP), D., 2015, p. 1777, obs. I. Gallmeister ; RLDC, 20144, n° 121 p. 41, obs. M.-C. Le Boursicot.
(4) Ass. plén., 3 juillet 2015, préc..
(5) Préc..
(6) Cass. Req., 3 août 1937, Gaz. Pal., 1937, 2, p. 742 ; TGI Boulogne-sur-mer, 25 juin 1965, JCP, 1965, IV, 4717, obs. J. A. ; RTDCiv., 1963, p. 626, obs. P. Raynaud.
(7) Cass. civ. 1, 8 mars 1988, n° 86-11.144 (N° Lexbase : A7672AAE), Bull. civ. I, n° 67 ; JCP éd. G, 1988, IV, p. 183.
(8) Juris-cl., Proc. civ., J-J. Taisne, Fasc. 127-1, V° Intervention.
(9) Cass. avis, 22 septembre 2014, préc..
(10) CE 2° et 7° s-s-r., 12 décembre 2014, n° 367324 (N° Lexbase : A3276M7H), JCP éd. G, 2015, p. 144, nos obs..
(11) J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, LGDJ, 6ème éd., 2015, n° 1174, texte et note 55.
(12) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-20.153, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7497EII), D., 2009, AJ, 1973, obs. C. Le Douaron ; AJ fam., 2009. 350, obs. F. Chénedé ; RTDCiv., 2009, 708, obs. J. Hauser.
(13) CEDH, 26 juin 2014, 2 arrêts, Req. 65192/11 (N° Lexbase : A8551MR7) et Req. 65941/11 (N° Lexbase : A8552MR8), JCP éd. G, 2014 p. 1486 nos obs..
(14) Préc..

newsid:452380

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Transfert indirect de bénéfices à l'étranger : la notion de lien de dépendance

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2016, n° 372097, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7095RIM)

Lecture: 2 min

N2429BWU

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Le 03 Mai 2016

Pour l'application de l'article 57 du CGI (N° Lexbase : L9738I33), qui prévoit, en matière d'impôt sur le revenu, la réintégration dans le résultat d'une entreprise des bénéfices indirectement transférés à des entreprises situées hors de France avec qui elle entretient un lien de dépendance, l'existence d'un lien de dépendance entre deux sociétés n'est pas subordonnée à celle d'un lien capitalistique ou à la présence de dirigeants de droit communs. Par suite, l'application de cet article peut être fondée sur l'existence d'une dépendance de fait entre deux sociétés. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 15 avril 2016 (CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2016, n° 372097, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7095RIM). Au cas présent, la société requérante exerce une activité de conception, fabrication et commercialisation de fauteuils pour personnes handicapées. Elle a conclu un contrat de distribution exclusif avec une société de droit suisse chargeant cette dernière de la distribution dans le monde entier, excepté la France, l'Allemagne, la Grèce et les pays de l'Europe de l'Est. Toutefois, faisant application des dispositions de l'article 57 du CGI, l'administration fiscale a notamment estimé que la société requérante avait indirectement transféré à la société suisse une partie de son bénéfice, compte tenu des sommes qu'elle lui avait versées en exécution du contrat de distribution exclusif. Le Conseil d'Etat a tout d'abord tenu à préciser, avant de donner raison à la société requérante, que le juge de cassation contrôle la qualification juridique des faits à laquelle se livre le juge du fond pour caractériser l'existence d'un lien de dépendance, au sens de l'article 57 du CGI, entre deux sociétés. Ainsi, en l'espèce, pour les Hauts magistrats, d'une part, la cour n'a pas recherché si le taux de commission de 25 % devait être regardé comme normal et, d'autre part, elle n'a pas regardé comme entièrement dépourvue de contrepartie l'intervention de la société suisse (CAA Lyon, 11 juillet 2013, n° 11LY00678 N° Lexbase : A0654MRN). Pour autant, il incombait aux juges du fond de rechercher si l'administration avait établi que la société requérante avait acquitté un prix excessif pour les prestations en cause, ce qu'elle n'a pas fait. Cette décision apporte une précision importante sur la définition du lien de dépendance (v. pour le principe général déjà bien établi : CE plén., 27 juillet 1988, n° 50020, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6610API) .

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Fiscalité des particuliers

[Brèves] Régime fiscal des prestations compensatoires : le sort des versements effectués sous forme de capitaux et de rentes

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 376785, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7103RIW)

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N2433BWZ

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Le 27 Avril 2016

Les versements de sommes d'argent et l'attribution de biens ou de droits effectués, en cas de divorce, en exécution d'une prestation compensatoire (C. civ., art. 274 N° Lexbase : L2840DZ9, 275 N° Lexbase : L2841DZA et 278 N° Lexbase : L2846DZG) sur une période inférieure ou égale à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée, ouvrent droit, pour le débiteur, à la réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 octodecies du CGI (N° Lexbase : L3637HLB) sous la réserve, prévue au II de ce même article, de l'absence du versement, en plus de ce capital, d'une partie de la prestation compensatoire sous forme de rente. Par ailleurs, sont déductibles des revenus du débiteur les versements de sommes d'argent effectués dans ce cadre sur une période supérieure à douze mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce est passé en force de chose jugée ainsi que, le cas échéant, certaines rentes (C. civ., art. 276 N° Lexbase : L2843DZC et 278). Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 15 avril 2016 (CE 3° et 8° s-s-r., 15 avril 2016, n° 376785, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7103RIW). En l'espèce, par un jugement définitif du 27 janvier 2006, le JAF du TGI de Nanterre a homologué la convention conclue le 24 octobre 2005 entre le requérant et sa conjointe portant règlement des conséquences de leur divorce. Cette convention précisait qu'il devait s'acquitter d'une prestation compensatoire au bénéfice de son ex-épouse, en premier lieu, par abandon de soulte et attribution de biens, en deuxième lieu, par le versement en numéraire d'un capital et, enfin, par le versement d'une rente jusqu'au 31 mars 2013. Il soutenait que la somme versée à son ex-épouse durant l'année 2006 était déductible de ses revenus imposables dès lors que ce règlement, en argent et en abandon de biens, devait, compte tenu du versement ultérieur de la rente mensuelle, dont le caractère déductible avait été admis et qui n'est pas en litige, s'analyser comme le versement d'une somme d'argent effectué sur une période supérieure à douze mois. Cependant, pour les Hauts magistrats, qui n'ont pas donné raison au requérant, la somme correspondant au versement d'une partie de la prestation compensatoire sous la forme d'un capital, effectué dans les douze mois suivant la date à laquelle le jugement de divorce était passé en force de chose jugée, n'était pas déductible sur le fondement du 2° du II de l'article 156 du CGI (N° Lexbase : L3998KWY), dont les dispositions ne sont applicables qu'aux versements de sommes d'argent effectués sur une période supérieure à douze mois à compter de cette même date. Le Conseil d'Etat évoque ici pour la première fois le sort de la déduction des prestations compensatoires versées sur une période supérieure à douze mois .

newsid:452433

Procédure pénale

[Brèves] Publication de la loi relative à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs

Réf. : Loi n° 2016-457 du 14 avril 2016, relative à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs (N° Lexbase : L7083K7H)

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N2339BWK

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Le 21 Avril 2016

A été publiée au Journal officiel du 15 avril 2016, la loi n° 2016-457 du 14 avril 2016, relative à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs (N° Lexbase : L7083K7H). Tirant les conséquences des défaillances relevées dans la circulation de l'information, la nouvelle loi définit un cadre juridique précis régissant les modalités de communication entre le ministère public et l'autorité administrative en cas de mise en cause, de poursuite ou de condamnations de personnes exerçant une activité soumise à l'autorité ou au contrôle des autorités publiques. L'objectif est de permettre à ces dernières de prendre les mesures à caractère conservatoire ou disciplinaire nécessaires pour assurer la protection des personnes, et en particulier des mineurs, l'ordre public ou le maintien du bon fonctionnement du service public. Le texte institue un cadre spécifique pour les personnes en contact habituel avec les mineurs mises en cause pour certaines infractions particulièrement graves. Cette loi établit notamment que le ministère public peut informer par écrit l'administration des décisions rendues contre une personne qu'elle emploie, y compris à titre bénévole, lorsqu'elles concernent un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement. Il peut s'agir de la condamnation, même non définitive, de la saisine d'une juridiction de jugement par le procureur de la République ou par le juge d'instruction ou de la mise en examen. Pour assurer la conciliation des principes constitutionnels, et en particulier le respect de la présomption d'innocence et de la vie privée des personnes mises en cause, les transmissions d'informations rendues possibles par le texte à un stade de la procédure pénale antérieur à la condamnation sont assorties de certaines garanties. Ainsi, le ministère public ne peut procéder à cette information que s'il estime cette transmission nécessaire, en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, pour mettre fin ou prévenir un trouble à l'ordre public ou pour assurer la sécurité des personnes ou des biens. Le ministère public peut informer, dans les mêmes conditions, les personnes publiques, les personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public ou les ordres professionnels des mêmes décisions à l'égard d'une personne dont l'activité professionnelle ou sociale est placée sous leur contrôle ou leur autorité. La nouvelle loi est entrée en vigueur le 16 avril 2016.

newsid:452339

Procédure prud'homale

[Textes] Vers la nomination des conseillers prud'hommes et au-delà

Réf. : Ordonnance n° 2016-388 du 31 mars 2016, relative à la désignation des conseillers prud'hommes (N° Lexbase : L3872K7K)

Lecture: 25 min

N2396BWN

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par Vincent Orif, Maître de conférences à l'Université de Caen Normandie - Institut Demolombe - EA 967

Le 17 Juin 2016

Le mode de recrutement des conseillers prud'hommes est profondément modifié par le passage d'une élection à une nomination. La réforme est d'ampleur. Cependant, l'examen des nouvelles dispositions fait ressortir une certaine continuité avec les règles antérieures, spécialement pour déterminer les personnes pouvant être nommées comme juges prud'homaux. L'ordonnance n° 2016-388 du 31 mars 2016, relative à la désignation des conseillers prud'hommes (N° Lexbase : L3872K7K) marque l'aboutissement de la réforme qui implique la disparition des élections prud'homales. Cependant, les objectifs de simplification du processus de recrutement des conseillers prud'hommes et d'amélioration de leur légitimité ne seront pas forcément atteints. I - Le contexte de la réforme

Une recherche de simplification et de légitimité. L'un des symboles de la juridiction prud'homale disparaît. Pour ce faire, il suffit d'enlever un mot à l'article L. 1421-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1889H9T). Cette juridiction n'est plus "élective et paritaire". Elle devient simplement une juridiction "paritaire" (1). A lire les différents rapports et ouvrages consacrés à la juridiction prud'homale, il en ressort le sentiment qu'elle est continuellement en crise. Il en découle de nombreux reproches, sans que les causes des dysfonctionnements constatés soient toujours recherchées (2). Il n'en demeure pas moins que ces projets sont parvenus à des réformes institutionnelles et procédurales, dont certaines sont encore en cours. L'une des évolutions implique le remplacement de l'élection des conseillers prud'hommes par une procédure de nomination pour recruter les conseillers prud'hommes (3). Les objectifs de la réforme seraient de renforcer la légitimité de la juridiction et de diminuer les coûts du recrutement car l'organisation des élections était perçue comme complexe (4). Pour élaborer ce projet, le Parlement a autorisé le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance (5), ce qui a été jugé conforme à la Constitution (6). Certains approuvent cette évolution (7). Pourtant, les justifications de la réforme peuvent se discuter (8). Il est loin d'être acquis que la légitimité de l'institution soit renforcée par la nouvelle procédure de désignation des conseillers prud'hommes (9). En effet, faire reposer la légitimité spécialement sur l'audience syndicale interroge, vu le taux de syndicalisation et la faiblesse de la participation aux élections professionnelles, surtout dans les très petites entreprises (10). Quant à la simplification, l'analyse technique des règles montre que ce but ne sera pas forcément atteint. Les difficultés anciennes relatives à l'organisation des élections, avec notamment la composition des listes électorales par collèges et par section, vont probablement ressurgir pour établir les listes de candidatures par collèges et par sections. Ceci invite à étudier les nouvelles règles de la nomination des conseillers prud'hommes (II) avant de voir leurs conséquences (III).

II - Les nouvelles règles de la nomination des conseillers prud'hommes

A - Des évolutions essentielles du mandat des conseillers prud'hommes

Une nomination par deux ministres. Il est, désormais, prévu que les conseillers prud'hommes sont nommés conjointement, sur proposition des organisations syndicales et professionnelles, par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, ainsi que par le ministre chargé du Travail (11). Ce choix illustre l'une des spécificités des juridictions prud'homales qui relèvent aussi bien du domaine de la justice que de celui du travail (12). Cependant, cette procédure de nomination questionne sur l'indépendance des conseillers prud'hommes (13).

Une diminution de la durée du mandat. L'ordonnance diminue la durée des mandats des conseillers prud'hommes. Il passe de cinq (14) à quatre ans (15). Il est précisé que les conseillers sont nommés durant l'année suivant chaque cycle de mesure de l'audience syndicale et de l'audience patronale (16). Celles-ci seront connues à la fin du premier trimestre 2017 (17). Il convient de rappeler que la désignation des conseillers prud'hommes devra être effectuée au plus tard le 31 décembre 2017 (18). Paradoxalement, cette diminution de la durée du mandat des conseillers prud'hommes affaiblit un des arguments justifiant la suppression de leur élection. Il était effectivement soutenu que la mesure de la représentativité des organisations syndicales et professionnelles, effectuée en mesurant leur audience, pourrait entrer en conflit avec le résultat des élections professionnelles. Ce risque pouvait exister avec le décalage temporel résultant de l'ancienne durée des mandats des conseillers prud'hommes et celle de la mesure des audiences. Puisque la durée du mandat est maintenant alignée sur celle de la mesure de l'audience (19), l'éventualité d'un décalage entre les deux apparaît assez faible. Avec une réduction de la durée du mandat des conseillers prud'hommes, cette critique pouvait donc être évitée (20). Par ailleurs, cette réduction de la durée du mandat a été l'occasion de prévoir une fin de plein droit du mandat de conseiller prud'hommes en cas de perte de nationalité française, pour quelque cause que ce soit. En dehors de toute considération politique, cet ajout se comprend car la nationalité française est une condition pour être conseiller prud'hommes (21).

B - Le difficile parcours de l'aspirant conseiller prud'hommes

Les conditions de la candidature. La suppression des élections prud'homales n'implique pas celle des candidats. En effet, les organisations syndicales et professionnelles, qui proposent les listes au ministre de la Justice et au ministre chargé du Travail, doivent effectuer une sélection. Cependant, pour éviter toute ambiguïté, une évolution terminologique aurait pu être effectuée. Il était, par exemple, possible de se référer à la notion d'aspirant ou de postulant. Quoi qu'il en soit, la logique de l'ordonnance analysée est similaire à celle existant auparavant. Deux catégories de conditions sont posées.

D'une part, il existe des conditions positives devant être respectées par chaque personne souhaitant devenir conseiller prud'hommes. D'abord, selon les collèges, il peut s'agir de salariés ou d'employeurs. Le législateur a maintenu la possibilité pour les demandeurs d'emploi ainsi que pour les personnes ayant cessé toute activité professionnelle d'être candidat (22). Ceci permet de garantir l'égal accès aux emplois publics pour ces personnes. En revanche, l'ordonnance examinée ne comporte aucune mesure permettant de garantir que des personnes non syndiquées puissent devenir conseiller prud'hommes. Le monopole de présentation syndicale envisagé (23) risque de devenir une réalité. Certes, le nombre de personnes concernées est très réduit. D'ailleurs, lors des dernières élections prud'homales, il n'y a eu qu'1 % de conseillers prud'hommes salariés élus dans la catégorie divers (24). Toutefois, la suppression des élections semble emporter celle de la liberté de candidature qui y était attachée (25). Ce monopole, de fait, des organisations syndicales et professionnelles est-il pleinement justifié pour l'exercice d'un pouvoir qui se manifeste en dehors de l'entreprise ? Ensuite, des conditions sont reprises. Chaque candidat doit avoir la nationalité française, être âgé de vingt-et-un ans et n'être l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à ses droits civiques (26). Il y a aussi de nouvelles conditions (27). Dès lors, le candidat ne doit pas avoir, au bulletin n° 2 du casier judiciaire, des mentions incompatibles avec l'exercice des fonctions prud'homales. Cette condition concerne la moralité du candidat. Sa capacité (28), entendue notamment comme sa connaissance du monde de l'entreprise, est aussi recherchée. En effet, le candidat doit avoir exercé une activité professionnelle de deux ans ou justifier d'un mandat prud'homal dans les dix ans précédant sa candidature.

D'autre part, des interdictions sont posées pour empêcher des candidatures. Certaines interdictions sont permanentes. Il n'est pas possible d'être candidat sur plus d'une liste ; dans plus d'une section ainsi que dans un conseil de prud'hommes, un collège ou une section autre que celui pour lequel le candidat peut postuler (29). De même, un conseiller prud'homme déchu de manière définitive à l'issue d'une procédure disciplinaire ne peut plus être candidat (30). D'autres interdictions sont temporaires. Elles concernent les conseillers prud'hommes qui refusent de se faire installer et ceux qui sont déclarés ou réputés démissionnaires car ils n'ont pas suivi la formation initiale obligatoire avant leur prise de fonction. L'interdiction est alors de quatre ans. Le point de départ de ce délai est déterminé soit par la date du refus, soit par celle de la décision du tribunal qui déclare le conseiller démissionnaire, soit par celle de l'expiration du délai fixé par décret pour accomplir la formation (31).

Les démarches à respecter pour rattacher les candidats à leurs sections. L'ordonnance analysée précise les modalités à suivre pour identifier la section à laquelle un candidat peut être rattaché. L'identification de la section de rattachement doit suivre trois étapes.

La première étape implique de déterminer le conseil de prud'hommes de candidature (32). Les salariés et les employeurs bénéficient d'une option (33). Ils peuvent être candidats dans le conseil de prud'hommes dans le ressort duquel ils exercent leur activité principale ou dans la section de même nature de l'un des conseils de prud'hommes limitrophes. Cette option existait déjà lorsque les conseillers prud'hommes étaient élus (34). La règle est similaire pour les demandeurs d'emploi ou les candidats qui ont exercé toute activité professionnelle. En revanche, il existe des règles spécifiques pour certaines catégories de personnes. C'est le cas des VRP qui bénéficient d'une possibilité supplémentaire. Ils peuvent également être candidat au conseil de prud'hommes dans le ressort duquel se trouve leur domicile. Quant aux employés de maison et leurs employeurs, l'option ne concerne que le conseil de prud'hommes dans le ressort duquel est situé leur domicile ou dans la section de même nature dans l'un des conseils de prud'hommes limitrophes. Ces règles dérogatoires s'expliquent par les spécificités de ces professions.

La deuxième étape sert à déterminer le collège de rattachement du conseiller. Ceci nécessite de distinguer les salariés des employeurs. Les règles élaborées s'inspirent de celles qui existaient pour établir les collèges électoraux (35). S'agissant du collège des salariés (36), il y a essentiellement une reprise des règles antérieures. Relèvent ainsi du collège salarié, les salariés non cadres, les salariés cadres qui n'ont pas de délégation particulière d'autorité de l'employeur, ainsi que les demandeurs d'emploi. Le nouveau texte ajoute aux salariés titulaires d'un contrat de professionnalisation ceux qui sont titulaires d'une formation en alternance. De plus, pour correspondre aux évolutions concernant les candidats, il est prévu que les salariés qui ont exercé toute activité professionnelle sont rattachés au collège des salariés. Quant au collège des employeurs (37), comme auparavant, la notion d'employeur est entendue non seulement au sens strict, mais aussi dans un sens plus large. Ceci permet d'inclure les dirigeants non salariés et les cadres dirigeants qui bénéficient d'une délégation particulière d'autorité (38). Cette dernière doit être établie par écrit. Toutefois, le juge contrôle la nature des fonctions du cadre pour déterminer s'il bénéficie d'une telle délégation d'autorité (39). L'ordonnance analysée étend encore la notion d'employeurs. Par exemple, sont assimilés aux employeurs les conjoints collaborateurs des artisans, commerçants et professions libérales.

La dernière étape permet d'identifier la section de rattachement du candidat au poste de conseiller prud'hommes. Une distinction doit être opérée.

D'un côté, il convient de s'intéresser à la répartition des candidats entre les différentes sections autre que la section encadrement. D'abord, l'appartenance des salariés candidats aux sections est déterminée au regard du champ d'application de la convention ou de l'accord collectif de travail dont ils relèvent, en fonction d'un tableau de répartition dans des conditions définies par décret (40). La section de candidature dépend donc de l'IDCC et non plus du Code NAF APE (41). Par ailleurs, des incertitudes apparaissent. En effet, sous le régime de l'élection prud'homale, le législateur avait prévu la situation des salariés qui cumulaient différents emplois ou qui étaient parallèlement employeurs (42). Par exemple, quand un salarié travaillait pour plusieurs employeurs, il fallait prendre en considération l'entreprise où il exerçait son activité principale (43). Les nouvelles dispositions ne paraissent pas régler ces situations particulières. Sera-t-il possible de maintenir les solutions antérieures ? Ensuite, et étrangement, un privilège est accordé aux candidats du collège employeur. Ils peuvent librement choisir parmi les sections dont relèvent au moins un de leurs salariés (44). Ceci rompt avec les règles qui existaient pour déterminer la section dans laquelle un employeur était électeur. Cette ancienne répartition reposait sur des critères objectifs. Il fallait spécialement prendre en considération l'activité principale de l'employeur, qui dépendait éventuellement de celle pour laquelle il employait le plus grand nombre de salariés (45). Aucune raison ne semble justifier cette différence de traitement, pour la répartition des candidats parmi les différentes sections, entre les employeurs et les salariés.

D'un autre côté, il existe des règles spécifiques pour la section de l'encadrement afin de distinguer les candidats qui relèvent du collège des salariés et ceux rattachés au collège des employeurs. Pour les salariés cadres, la délégation particulière d'autorité de l'employeur est le critère de distinction essentiel. Concernant les employeurs, il y a une reprise d'une règle antérieure (46) même si la nouvelle formulation est moins claire. En conséquence, relèvent nécessairement de la section de l'encadrement, les employeurs ou assimilés qui n'emploient que des salariés pour lesquels l'affaire est tranchée par la section de l'encadrement (47). Inversement, les employeurs ou assimilés disposent d'une option quand ils emploient des salariés dont les affaires relèvent de la section de l'encadrement et d'autres qui seront tranchés par d'autres sections du conseil de prud'hommes. Ils peuvent candidater dans la section de l'encadrement ou dans une autre section conformément aux règles précédemment présentées. Quoi qu'il en soit, ces règles spécifiques impliquent qu'il faut déterminer préalablement si un candidat remplit les conditions pour appartenir à la section encadrement. Il ne faut rechercher une autre section de rattachement que si ces conditions ne sont pas réunies (48).

C - L'élaboration complexe des listes de candidatures

La déclaration dématérialisée des listes de candidatures. Les candidatures sont déclarées par le dépôt d'une liste des candidats pour chaque conseil de prud'hommes. Cette déclaration ne peut être effectuée que par les mandataires des organisations auxquelles des sièges ont été attribués (49). Ceci confirme que seules les organisations syndicales ou professionnelles ayant une audience suffisante peuvent présenter des candidats. Le dépôt doit être effectué par voie dématérialisée. Un décret en précisera les conditions (50).

La répartition des sièges. L'une des étapes les plus importantes du nouveau processus de désignation des conseillers prud'hommes réside dans la détermination des sièges attribués à chaque organisation syndicale ou professionnelle. Pour cette étape, le nouveau mode de répartition des sièges est plus complexe à manier que l'ancienne élection prud'homale. Cette dernière nécessitait un simple dépouillement des bulletins de vote. Puis, il fallait répartir les sièges selon les règles de la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel (51). Ce mode de répartition était le plus respectueux de la proportion des voix obtenues par chaque liste (52). Avec le nouveau mode de désignation, elle est d'ailleurs maintenue (53). Cependant, il faut préalablement mesurer l'audience syndicale et l'audience patronale. L'ordonnance étudiée apporte une réponse importante concernant le périmètre d'appréciation de ces audiences. Un choix devait être effectué entre deux possibilités. D'un côté, les sièges peuvent être répartis au niveau national en fonction des résultats de l'audience mesurée au niveau social. D'un autre côté, la répartition des sièges est effectuée dans chaque juridiction en fonction d'une audience mesurée au plus près. Il faut alors se demander s'il est préférable d'effectuer la mesure de l'audience au niveau du ressort territorial de la juridiction ou à celui du département (54). L'ordonnance a choisi de retenir le niveau départemental (55). Ceci permet de prendre en considération les particularités locales concernant la représentativité des organisations syndicales et d'employeurs. Dans l'idéal, le choix du ressort territorial était préféré, mais il semble difficile à mettre en oeuvre. En revanche, l'ordonnance n'indique pas expressément si la répartition des sièges se fait par conseil ou par section. La lecture d'une autre disposition permet de clarifier cette situation. Les listes de candidats ne peuvent pas comporter un nombre de candidats supérieur au nombre de postes attribués par conseil et par section (56). Dès lors, la répartition des sièges en fonction de l'audience syndicale et de l'audience patronale devrait être effectuée pour chaque section. L'ordonnance se contente du minimum pour déterminer les modalités de répartition des sièges par organisation dans les sections, collèges et conseils. Pour l'essentiel, elle indique le périmètre d'appréciation et renvoie aux règles de mesures de l'audience syndicale et de l'audience patronale. Pour comprendre la manière de calculer la répartition des sièges, il convient de se reporter au rapport à l'origine de la réforme. Celui-ci donne une notice explicative et un exemple (57). Schématiquement, le calcul s'effectue en trois temps. Le premier temps implique de partir des résultats nationaux et par branche, pour apprécier l'audience de chaque organisation syndicale au niveau du département. Le second temps nécessite d'additionner les résultats obtenus pour l'audience syndicale dans les entreprises de moins de onze salariés et celles dans lesquelles sont organisées des élections professionnelles. La dernière étape consiste à répartir les sièges de chaque section de la juridiction entre les organisations (58). Il n'est pas certain que le nouveau système d'établissement des listes et de répartition des sièges entre les organisations soit plus simple à manier que l'ancien. Il y a cependant des différences importantes. Seules les organisations syndicales et professionnelles, qui se voient attribuer des sièges, peuvent établir des listes de candidats. De plus, le nombre de sièges limite le nombre de candidats (59).

La confirmation du caractère central de l'audience. La loi d'habilitation et la décision du Conseil constitutionnel du 11 décembre 2014 (60) montraient déjà le caractère central de l'audience des organisations syndicales et des organisations professionnelles. Pour l'essentiel, l'ordonnance examinée se contente d'opérer par renvoi aux dispositions du Code du travail relatives à ces audiences (61). Quelques observations rapides peuvent être effectuées.

D'abord, concernant les organisations syndicales, l'audience, mesurée au niveau du département, est calculée selon les règles prévues par l'article L. 2121-1, 5° du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN). Il faut alors distinguer les règles relatives aux entreprises procédant à des élections professionnelles (62) et celles qui comptent moins de onze salariés (63). Il y a un lien indirect entre les élections pour mesurer l'audience syndicale dans les entreprises de moins de onze salariés et la désignation des conseillers prud'hommes. Ceci accroît l'importance de ces élections. Il en résulte également que l'audience devient l'enjeu majeur des organisations syndicales en raison de sa relation avec la représentativité. Elle a des incidences non seulement sur leur pouvoir de procéder à des négociations collectives (64) mais elle a aussi des conséquences sur d'autres prérogatives comme la désignation des conseillers prud'hommes (65). Il y a ainsi une inversion des logiques. Initialement, l'élection des conseillers prud'hommes permettait de déterminer, officieusement, l'audience des syndicats (66). Dorénavant, la mesure de l'audience des syndicats leur confère la possibilité, si elle est suffisante, de désigner des conseillers prud'hommes.

Ensuite, s'agissant des organisations professionnelles d'employeur, la mesure de leur audience a des répercussions sur leur représentativité. Ceci conditionne les prérogatives qui leur sont reconnues et permet, notamment de sélectionner les organisations qui sont aptes à participer aux relations collectives du travail (67). Toutefois, le choix a été fait de déconnecter leur audience d'une élection. Il est avancé que la légitimité d'une organisation professionnelle d'employeur ne réside pas dans son élection mais dans le nombre de ses adhérents. Il est soutenu, sans que cela soit démontré, qu'il serait risqué qu'une organisation professionnelle fasse de bons scores électoraux alors qu'elle n'aurait pas les moyens matériels pour négocier ou représenter les entreprises face aux pouvoirs publics et aux organisations syndicales (68). Il serait intéressant de voir les réactions suscitées si ces arguments étaient étendus aux élections politiques. Surtout, cet argument d'une différence de fondement de la légitimité entre les organisations syndicales patronales et syndicales n'emporte pas pleinement la conviction (69). Par ailleurs, l'une des questions soulevées est celle de savoir si le nombre d'adhérents ne devrait pas être pondéré, spécialement par le nombre de salariés, pour déterminer l'audience patronale. Actuellement, l'audience est établie en fonction du poids des entreprises adhérentes selon le principe "une entreprise = une voix" (70). Le MEDEF, l'UIMM et d'autres fédérations patronales ont récemment posé la question au Conseil constitutionnel dans le cadre d'une QPC. La réponse donnée est claire. En ne prenant pas en considération le nombre de salariés, le législateur traite de la même manière l'ensemble des entreprises pour déterminer l'audience d'une organisation professionnelle d'employeurs. Le principe d'égalité devant la loi est ainsi respecté (71). Le débat risque de rapidement revenir sur le devant de la scène avec le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (72). Cette évolution, si elle est adoptée, aura nécessairement des conséquences sur la mesure de l'audience des organisations professionnelles d'employeurs. Outre une complexification de la mesure de l'audience patronale (73), elle aura aussi des effets sur le calcul du nombre de sièges de conseillers prud'hommes attribués à chaque organisation. Puisque l'histoire est un éternel recommencement, les grandes entreprises avaient déjà tenté de pondérer le nombre des voix, obtenues aux élections prud'homales, en fonction du nombre de salariés (74). Le Conseil constitutionnel avait censuré cette mesure en raison des atteintes portées à l'égalité devant la loi et à l'égalité du suffrage (75). Il n'est donc pas acquis que cette disposition soit validée par le Conseil constitutionnel si elle était soumise à son contrôle.

Une composition précise des listes. Plusieurs précisions sont effectuées concernant les listes composées par les organisations syndicales et professionnelles d'employeurs. D'abord, dans la continuité de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3) (76), l'ordonnance étudiée prévoit le nécessaire respect du principe de parité entre les femmes et les hommes. Dès lors, chaque liste de candidats est composée alternativement d'un homme et d'une femme (77). Certes, cette promotion de la parité, qui garantit l'égalité entre les hommes et les femmes est vertueuse. Néanmoins, cela peut éventuellement soulever des difficultés pratiques pour les organisations syndicales et les organisations professionnelles d'employeurs afin de composer leurs listes. Ensuite, il est impératif que la liste comporte un nombre de candidats égal au nombre de postes attribués, à l'organisation qui établit la liste, par section et conseil de prud'hommes (78). Il n'est plus possible d'avoir des candidats complémentaires pour pallier d'éventuelles vacances de postes (79). Enfin, il est précisé que l'autorité administrative ne peut pas enregistrer les listes qui ne respectent pas les conditions précitées. Il en va de même lorsque la liste n'est pas déposée par un mandataire d'une organisation syndicale qui s'est vue attribuer des sièges ou que la liste n'est pas déposée par voie dématérialisée selon les conditions déterminées par décret (80).

D - Le contrôle des candidatures

Le contrôle effectué par l'autorité administrative. En dehors des procédures spécifiques pour les contestations relatives aux conditions de nomination ou de répartition entre les sièges (81), la question se pose de savoir si le ministre de la Justice et celui chargé du Travail dispose d'un pouvoir d'appréciation concernant les candidatures proposées par les organisations syndicales et professionnelles. L'ordonnance examinée est silencieuse sur ce point. Toutefois, le contrôle qui sera effectué par les services du ministère du Travail et du ministère de la Justice devrait se limiter à leur seule recevabilité (82). Si elles sont recevables, aucun des ministres ne pourrait donc décider d'écarter un candidat. En l'absence de disposition expresse et claire sur l'étendue des contrôles effectués par les ministres, l'indépendance des juges prud'homaux peut être affectée (83).

Le moment d'appréciation du respect des conditions. L'ordonnance étudiée précise les dates devant être prises en considération par les autorités de contrôle pour déterminer si les différentes conditions sont réunies. D'un côté, la date de la nomination est retenue pour apprécier si le candidat a la nationalité française et si son bulletin n° 2 du casier judiciaire ne comporte aucune mention incompatible avec l'exercice des fonctions prud'homales. Il en va de même pour déterminer si le candidat ne fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relative à ses droits civiques (84). D'un autre côté, la date d'ouverture du dépôt des candidatures, qui est fixée par voie réglementaire, est celle à prendre en considération pour les conditions de rattachement du candidat à une section (85). La règle est identique pour apprécier si le candidat a vingt et un ans ainsi que pour savoir s'il a une expérience professionnelle de deux ans ou s'il justifie d'un mandat prud'homal au cours des dix années précédant la candidature (86).

E - Les évolutions relatives aux désignations complémentaires

La nécessaire désignation complémentaire en cas de poste vacant. L'ordonnance commentée marque une évolution pour pallier les postes vacants en cours de mandat. Antérieurement, aucune liste ne pouvait comporter un nombre de candidats inférieur au nombre de postes à pourvoir. Surtout, il était possible que la liste compte un nombre de candidats supérieur qui ne devait pas dépasser le double du nombre de postes à pourvoir (87). Ceci permettait aux candidats placés sur une liste immédiatement après le dernier candidat élu, de remplacer les conseillers élus sur cette liste dont le siège était devenu vacant. Ceci concernait aussi l'inéligibilité d'un élu (88). Des élections complémentaires n'étaient organisées qu'en cas d'augmentation de l'effectif d'une section ou lorsqu'il n'était pas possible de pourvoir à un poste vacant en faisant appel aux premiers non-élus des listes concernées (89). A l'avenir, puisque la liste ne peut pas comporter un nombre de candidats supérieur au nombre de postes à pourvoir, des désignations complémentaires devront être effectuées en cas de vacance de sièges (90). L'ordonnance étudiée précise la procédure à suivre. Pour l'essentiel, la procédure de nomination est proche de celle élaborée lors d'une nomination initiale. Il y a, cependant, quelques ajustements. La déclaration de candidature est déposée par les mandataires des organisations dont la totalité des sièges n'est pas pourvue, alors qu'ils leur ont été attribués (91). S'agissant de la parité, l'égalité stricte n'est pas requise. Les organisations doivent, néanmoins, veiller à ce que l'écart entre le nombre d'hommes et de femmes, parmi les conseillers désignés, ne soit pas supérieur à un. Cet écart est apprécié au niveau du conseil de prud'hommes, et non de celui de la section (92). Les listes ne peuvent pas comporter un nombre de candidats supérieur au nombre de postes restant à pourvoir par section et conseil de prud'hommes (93). Curieusement, il est prévu que si la liste comprend un nombre de candidats inférieur au nombre de sièges restant à pourvoi, alors l'organisation doit veiller à faire diminuer l'écart entre le nombre de conseillers de chaque sexe (94). Est-ce dire qu'un poste peut rester vacant ? Par ailleurs, comme pour la procédure classique de désignation, ces conditions peuvent entraîner l'irrecevabilité de la liste lors du contrôle de l'autorité administrative (95).

III - Les conséquences de la nouvelle procédure de nomination des conseillers prud'hommes

A - L'indépendance des conseillers prud'hommes à améliorer

Les incertitudes soulevées au regard de l'indépendance des conseillers prud'hommes. Les justiciables attendent du juge une indépendance, non seulement par rapport au pouvoir politique mais aussi par rapport au réseau des relations diverses (philosophiques, politiques, sociales, etc.) dans lesquelles il est impliqué (96). Cette question est essentielle car la justice est l'un des premiers garants de la démocratie. Il importe alors que les justiciables puissent soumettre leurs litiges à un juge indépendant, impartial et compétent. Le juge donne effectivement à la norme sa signification et à la règle de droit sa sanction (97). Le juge doit donc être en mesure de résister aux pressions. Le recrutement des magistrats doit spécialement garantir leur indépendance par rapport à tous les pouvoirs (98). Récemment, l'intervention du pouvoir exécutif dans le processus de nomination des juges a été qualifiée de problématique (99). Dès lors, afin d'améliorer cette indépendance, il est proposé que les nominations des magistrats ne dépendent plus du ministre de la Justice afin qu'ils n'apparaissent pas comme des fonctionnaires du ministère. La nomination des magistrats dépendrait alors d'un organe indépendant du ministre de la Justice qui pourrait être un Conseil de justice (100). Par ailleurs, pour la justice du travail, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron" avait eu le mérite d'améliorer l'indépendance des conseillers prud'hommes en modifiant la procédure disciplinaire (101). Dans sa décision du 11 décembre 2014 (102), le Conseil constitutionnel soulignait que, conformément à la loi d'habilitation, "les dispositions qui seront prises par ordonnances devront respecter les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions". Ceci montre que le Conseil constitutionnel devrait, s'il était saisi, vérifier que la désignation des conseils prud'hommes prévue par l'ordonnance garantisse l'indépendance de ces juges. Dans ce contexte, il apparaît étrange de prévoir que la nomination des conseillers prud'hommes soit effectuée par le ministre de la Justice et le ministre chargé du Travail. En outre, les services des ministères effectuent les contrôles administratifs relatifs aux listes des candidatures. Pour éviter une atteinte excessive à l'indépendance des juges prud'homaux, il est indispensable que ce contrôle se limite à la recevabilité des candidatures. Il n'est pas certain que ces dispositions soient jugées conformes à l'exigence d'indépendance des juges (103). Le choix effectué n'était pourtant pas inéluctable. D'autres solutions étaient envisageables. A l'image de ce qui est proposé pour les magistrats, la Commission nationale de discipline aurait pu être transformée en organe de nomination et de sanction indépendant du pouvoir exécutif. Il était également possible de s'inspirer du mode de nomination des juges des tribunaux des affaires de Sécurité sociale. La nomination serait alors effectuée par les présidents de cour d'appel, sur propositions des organisations syndicales (104).

B - Les aménagements relatifs aux conseillers prud'hommes

L'adaptation de la protection des conseillers prud'hommes. L'ordonnance sous analyse modifie les règles relatives à la protection des candidats aux fonctions des conseillers prud'hommes. Initialement, il était prévu que le licenciement du salarié ne pouvait intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsque le salarié était candidat aux fonctions de conseiller prud'hommes, dès que l'employeur avait reçu notification de la candidature du salarié ou lorsque le salarié prouvait que l'employeur avait eu connaissance de l'imminence de sa candidature, et pendant une durée de six mois après la publication des candidatures par l'autorité administrative (105). Désormais, la durée de la protection est réduite à trois mois à compter de la nomination des conseillers prud'hommes (106). Ceci laisse entrevoir qu'un candidat, pour être désigné conseiller prud'homme, ne sera pas forcément nommé. Est-ce dire que les ministres de la Justice et du Travail peuvent refuser des candidats proposés par les organisations syndicales et professionnelles ? Ou cela renvoie-t-il à des situations spécifiques comme les candidatures irrecevables ou la déchéance des conseillers qui n'ont pas suivi la formation initiale obligatoire ?

L'évolution de quelques règles du statut des conseillers prud'hommes. Afin de garantir l'indépendance des conseillers prud'hommes par rapport aux organisations syndicales et professionnelles, il est prévu que l'acceptation par un conseiller prud'homme d'un mandat impératif constitue un manquement grave à ses devoirs (107). L'ordonnance analysée supprime toutes les références faites aux opérations électorales. Il en va de même pour les dispositions pénales. Il n'en existe plus qu'une. Celle-ci prévoit, spécialement, une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 3 750 euros pour sanctionner le fait de porter atteinte ou de tenter de porter atteinte à la libre désignation des candidats à la nomination des conseillers prud'hommes (108).

C - Une extension de la compétence du juge administratif

Du juge judiciaire au juge administratif. Auparavant, qu'il s'agisse d'une contestation d'une inscription d'électeurs sur les listes électorales (109) ou d'une contestation relative à l'éligibilité, à la régularité et à la recevabilité des listes électorales ainsi qu'à la régularité des opérations électorales, le juge judiciaire était compétent pour les trancher (110). Le tribunal d'instance bénéficiait ainsi d'une compétence générale pour connaître du contentieux de l'établissement des listes (111). Maintenant, la compétence du juge judiciaire est exclue au profit de celle du juge administratif. Plus précisément, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort pour les contestations relatives à la nomination des conseillers prud'hommes. Seuls les candidats et les mandataires de liste ont qualité pour soumettre cette contestation au juge. En outre, un délai maximal de dix jours doit être respecté. Ces conditions sont posées à peine d'irrecevabilité de la demande de contestation (112). Par ailleurs, les contestations relatives à la répartition du nombre de sièges opérée, respectivement entre les différentes organisations syndicales ou professionnelles, sont formées directement devant le Conseil d'Etat. Là encore, la qualité à agir est limitée. Seules les organisations syndicales et professionnelles d'employeur peuvent soumettre cette demande. La limite temporelle pour soumettre cette contestation au juge est de quinze jours (113). A l'image d'autres contentieux, comme pour le plan de sauvegarde de l'emploi (114), le domaine d'intervention du juge administratif est étendu dans le contentieux du travail. Cette extension s'explique par l'intervention du ministre de la Justice et du ministre chargé du Travail ainsi que par le contrôle de l'autorité administrative dans la nouvelle procédure de désignation des conseillers prud'hommes. Néanmoins, elle ne va pas dans le sens d'une simplification en éclatant un peu plus le contentieux du travail.

D - La répartition des affaires entre les sections

L'identification des litiges relevant des différentes sections. Puisqu'il s'agit d'un critère permettant de répartir les conseillers prud'hommes entre les collèges employeurs et les collèges salariés (115), l'ordonnance étudiée comprend des dispositions concernant la répartition des affaires entre les différentes sections du conseil de prud'hommes. Les critères de répartition entre les sections ne sont pas homogènes (116). D'une part, pour la section encadrement, le critère retenu est celui de la qualification professionnelle des salariés. Il y a une reprise des règles qui existaient pour l'élaboration des collèges électoraux de la section encadrement (117). Dès lors, relèvent de la section de l'encadrement (118) les affaires dont le salarié, partie au litige, est un ingénieur, un VRP ou un agent de maîtrise qui a une délégation écrite de commandement. Pour ces derniers, même si le législateur n'a pas précisé les formes de cette délégation écrite, il importe que le salarié justifie d'une véritable délégation de commandement lui conférant personnellement et durablement des pouvoirs distincts de ceux normalement exercés par tout agent de maîtrise dans la hiérarchie de l'entreprise (119). Sont aussi concernés les litiges où le salarié exerce un commandement par délégation de l'employeur, lorsqu'il a acquis une formation technique, administrative, juridique, commerciale ou financière. Ces salariés doivent donc avoir un haut niveau de formation, équivalent à celui des ingénieurs (120). Il faut que les tâches confiées à ces salariés confèrent initiative et responsabilité pour qu'ils soient assimilés à ceux qui exercent un commandement (121). D'autre part, pour les autres sections, les affaires sont réparties entre les sections du conseil de prud'hommes au regard du champ d'application de la convention ou de l'accord collectif de travail dont le salarié, partie au litige, relève (122). Il faudra, là encore, attendre un tableau de répartition dans des conditions définies par décret. Une évolution des dispositions réglementaires devra être effectuée car, actuellement, la répartition des affaires entre les sections dépend de l'activité principale de l'employeur (123).

E - L'application dans le temps de la réforme

Le choix d'une entrée en vigueur différée des mesures adoptées. L'ordonnance retient deux dates d'entrée en vigueur différées pour les diverses mesures élaborées. D'une part, la date du 1er février 2017 est choisie essentiellement pour les dispositions relatives au nouveau mode de désignations des conseillers prud'hommes et aux adaptations qui en découle. Il en va de même pour les modifications de la protection contre le licenciement des candidats à la nomination de conseiller prud'hommes. D'autre part, le législateur privilégie la date du 1er janvier 2018 pour d'autres règles. Tel est particulièrement le cas de celles relatives à la répartition des litiges par section, de celles concernant la désignation complémentaire des conseillers prud'hommes ou de celles portant sur la durée du mandat du conseiller prud'hommes.


(1) Ordonnance n° 2016-388 du 31 mars 2016, relative à la désignation des conseillers prud'hommes (N° Lexbase : L3872K7K), art. 1 et 2.
(2) E. Serverin, Décryptage : la réforme de la justice prud'homale, d'une critique à l'autre, Dr. ouvr,. 2016, n° 3, p. 118-127, spéc. p. 118-119 ; A. Supiot, Les juridictions du travail, Droit du Travail, Tome 9, publié sous la direction de G.H. Camerlynck, D., 1987, p. 405-406.
(3) Pour une analyse rapide des différents modes de recrutement des juges, V. S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, Institutions juridictionnelles, D., 13ème éd., 2015, p. 172-174.
(4) J. Richard et A. Pascal, Pour le renforcement de la légitimité de l'institution prud'homale : quelle réforme de désignation des conseillers prud'hommes ?, Rapport au ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique, avril 2010, p. 13 et s., ainsi que p. 35 et s..
(5) Loi n? 2014-1528 du 18 décembre 2014, relative à la désignation des conseillers prud'hommes (N° Lexbase : L1805I7Y).
(6) Cons. const., décision n? 2014-704 DC, du 11 décembre 2014 (N° Lexbase : A2168M7G).
(7) T. Lahalle, La justice prud'homale à l'aune des lois du 18 décembre 2014 et du 6 août 2015, JCP éd. S, 2015, n° 38, 1324.
(8) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 596, 2015 (N° Lexbase : N5314BUD), p. 2-3.
(9) F. Guiomard, Les conseils de prud'hommes, de l'élection à la désignation : un contrôle constitutionnel léger, note sous Cons. const., décision n? 2014-704 DC, du 11 décembre 2014 (N° Lexbase : A2168M7G) ; RDT, 2015, n° 3, p. 164-169, spéc. p. 166.
(10) L. Casaux-Labrunée, Justice du travail et démocratie, Dr. soc., 2014, n° 3, p. 193.
(11) C. trav., art. L. 1441-1, nouveau (N° Lexbase : L3950K7G).
(12) L. Cadiet et S. Guinchard, Du juste travail à la justice du travail, Justices, 1997, n° 8, p. VII et s., spéc. p. 11 ; Y. Desdevises, Le particularisme de la procédure prud'homale, Justices, 1997, n° 8, p. 23-31, spéc. p. 24.
(13) V. infra, II, A.
(14) C. trav., art. L. 1442-3, ancien (N° Lexbase : L2008H9A).
(15) C. trav., art. L. 1441-1, nouveau (N° Lexbase : L3950K7G).
(16) C. trav., art. L. 1441-2, nouveau (N° Lexbase : L3949K7E).
(17) Les grands axes de la désignation des conseillers prud'hommes en 2017, in Lamy prud'hommes, n° 285.
(18) Loi n° 2014-1528 du 18 décembre 2014, relative à la désignation des conseillers prud'hommes, préc., art. 2. Pour un projet indicatif de calendrier, voir La désignation des conseillers prud'hommes est en marche, SSL, 2016, n° 1718, p. 2-3.
(19) L'audience des organisations syndicales et professionnelles est mesurée tous les quatre ans. Voir C. trav., art. L. 2122-5 (N° Lexbase : L1857IN4) ; L. 2122-9 (N° Lexbase : L1859IN8) et L. 2152-1 (N° Lexbase : L5722KGZ).
(20) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 596, 2015, préc..
(21) V. infra, II, B.
(22) C. trav., art. L. 1441-6, nouveau (N° Lexbase : L3966K7Z).
(23) A. Chevillard, Conseil de prud'hommes et procédures prud'homales quelles réformes ?, Dr. soc., 2010, n° 9-10, p. 919-929, spéc. p. 922.
(24) Voir le site.
(25) A. Supiot, ouvr. préc., p. 429.
(26) C. trav., art. L. 1441-7, nouveau (N° Lexbase : L3967K73) ; C. trav., art. L. 1441-16, ancien (N° Lexbase : L1959H9G).
(27) C. trav., art. L. 1441-7, nouveau (N° Lexbase : L3967K73).
(28) Service juridique confédéral CFDT, Prud'hommes : l'ordonnance désignation est publiée !, voir le site.
(29) C. trav., art. L. 1441-9, nouveau (N° Lexbase : L3969K77).
(30) C. trav., art. L. 1441-10, al. 1, nouveau (N° Lexbase : L1949H93).
(31) C. trav., art. L. 1441-10, al. 2, nouveau et C. trav., art. L. 1442-1 (N° Lexbase : L5967KG4).
(32) C. trav., art. L. 1441-11, nouveau (N° Lexbase : L3971K79).
(33) T. Lahalle, Fixation des règles de désignations des conseillers prud'hommes, JCP éd. S, 2016, n° 14, act. 149, p. 3-5, spéc., p. 4-5.
(34) C. trav., art. L. 1441-18, ancien (N° Lexbase : L1962H9K).
(35) C. trav., art. L. 1441-3, ancien (N° Lexbase : L1936H9L) et L. 1441-4, ancien (N° Lexbase : L1938H9N).
(36) C. trav., art. L. 1441-13, nouveau (N° Lexbase : L3973K7B).
(37) C. trav., art. L. 1441-12, nouveau (N° Lexbase : L3972K7A).
(38) A. Supiot, ouvr. préc., p. 415-418.
(39) Cass. soc., 7 décembre 1982, n° 82-60.607(N° Lexbase : A5416CGP), Bull. Civ. V, n° 687.
(40) C. trav., art. L. 1441-16, nouveau (N° Lexbase : L1959H9G).
(41) Les grands axes de la désignation des conseillers prud'hommes en 2017, préc..
(42) C. trav., art. R. 1441-8, ancien (N° Lexbase : L1472IAR).
(43) C. trav., art. R. 1441-5, ancien (N° Lexbase : L1480IA3).
(44) C. trav., art. L. 1441-17, nouveau (N° Lexbase : L3977K7G).
(45) C. trav., art. R. 1441-5, ancien et R. 1441-6, ancien (N° Lexbase : L1477IAX).
(46) C. trav., art. R. 1441-11, ancien (N° Lexbase : L1464IAH).
(47) Pour identifier ces affaires v. infra, II, D.
(48) Il y a donc un maintien de la logique concernant la répartition des anciens électeurs parmi les différentes sections. Voir A. Supiot, ouvr. préc., p. 410.
(49) C. trav., art. L. 1441-18, al. 1, nouveau (N° Lexbase : L3978K7H).
(50) C. trav., art. L. 1441-18, al. 2, nouveau.
(51) C. trav., art. L. 1441-30, ancien (N° Lexbase : L1985H9E).
(52) A. Supiot, ouvr. préc., p. 433.
(53) C. trav., art. L. 1441-4, al. 2, nouveau (N° Lexbase : L3952K7I).
(54) J. Richard et A. Pascal, rapp. préc., p. 49.
(55) C. trav., art. L. 1441-4, nouveau.
(56) C. trav., art. L. 1441-20, nouveau (N° Lexbase : L3980K7K).
(57) J. Richard et A. Pascal, rapp. préc., p. 50-51.
(58) Pour connaître le nombre de sièges existants pour toutes les sections des conseils de prud'hommes, voir le tableau annexé au décret n° 2008-515 du 29 mai 2008, fixant la composition des conseils de prud'hommes (N° Lexbase : L9007H3Y).
(59) Il ne peut effectivement plus y avoir plus de candidats que de sièges attribués même pour pallier une éventuelle carence, v. infra, II, E.
(60) Cons. const., décision n° 2014-704 DC du 11 décembre 2014 (N° Lexbase : A2168M7G).
(61) C. trav., art. L. 1441-4, al. 1, nouveau.
(62) Il faut alors appliquer les articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9), L. 2122-5 (N° Lexbase : L1857IN4), L. 2122-6 (N° Lexbase : L1858IN7) et L. 2122-9 (N° Lexbase : L1859IN8) du Code du travail.
(63) Voir, C. trav., art. L. 2122-10-1 (N° Lexbase : L1872INN) à L. 2122-10-11.
(64) Voir, par ex., C. trav., art. L. 2232-16 (N° Lexbase : L2299H9Z).
(65) Parmi les autres prérogatives des organisations syndicales, il y a la désignation des délégués syndicaux (C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L6612IZW).
(66) T. Lahalle, Fixation des règles de désignations des conseillers prud'hommes, art. préc., spéc., p. 4.
(67) F. Héas, Etat des lieux de la représentativité patronale, Dr. soc., 2014, n° 3, p. 198-203, spéc., 199-200.
(68) J.-D. Combrexelle, De la négociation collective aux réformes des représentativités syndicale et patronale, JCP éd. G, 2015, n° 8, doctr. 235, p. 379-387, spéc. p. 384.
(69) Pour une critique récente, voir C. Radé, Peut-on raisonnablement parler d'égalité entre organisations professionnelles de salariés et d'employeurs, RDT, 2016, n° 3, p. 134-137, spéc. p. 136-137.
(70) S. Izard, La mesure de l'audience est précisée, SSL, 2015, n° 1682, p. 2-4, spéc. p. 2.
(71) Cons. const., décision n° 2015-519 QPC du 3 février 2016 (N° Lexbase : A4422PAZ), considérants nos 12 à 14.
(72) L'article 19 de ce projet de loi envisage de modifier l'article L. 2152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5722KGZ).
(73) Voir en ce sens, L. Dauxerre, Conformité à la Constitution du critère de mesure de l'audience des organisations professionnelles d'employeurs, note sous décision n° 2015-519 QPC du 3 février 2016, préc. ; JCP éd. S, 2016, n° 8-9, 1081, p. 32-34, spéc. p. 34.
(74) A. Supiot, ouvr. préc., p. 415.
(75) Cons. const., décision n° 78-101 DC du 17 janvier 1979 (N° Lexbase : A7988ACT), considérant no 5.
(76) La désignation des conseillers prud'hommes est en marche, préc..
(77) C. trav., art. L. 1441-19, nouveau (N° Lexbase : L3979K7I).
(78) C. trav., art. L. 1441-20, nouveau (N° Lexbase : L3980K7K).
(79) Voir infra, II, E.
(80) C. trav., art. L. 1441-20.
(81) Voir infra, II, C.
(82) Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-388 du 31 mars 2016, relative à la désignation des conseillers prud'hommes (N° Lexbase : L3872K7K), JORF n° 0077 du 1er avril 2016, texte n° 40.
(83) Voir infra, II, A.(84) C. trav., art. L. 1441-8, al. 1, nouveau (N° Lexbase : L3968K74).
(85) Voir supra, II, B.
(86) C. trav., art. L. 1441-8, al. 2, nouveau.
(87) C. trav., art. L. 1441-25, ancien (N° Lexbase : L1976H93).
(88) C. trav., art. L. 1442-4, ancien (N° Lexbase : L2010H9C).
(89) C. trav., art. L. 1441-36, ancien (N° Lexbase : L1996H9S) ; A. Supiot, ouvr. préc., p. 440.
(90) C. trav., art. L. 1441-25, nouveau (N° Lexbase : L3960K7S).
(91) C. trav., art. L. 1441-28, nouveau (N° Lexbase : L3957K7P).
(92) C. trav., art. L. 1441-29, nouveau (N° Lexbase : L3956K7N).
(93) C. trav., art. L. 1441-30, nouveau (N° Lexbase : L1985H9E).
(94) C. trav., art. L. 1441-29, nouveau.
(95) C. trav., art. L. 1441-31, nouveau (N° Lexbase : L3954K7L).
(96) S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, ouvr. préc., 2015, p. 170.
(97) T.-S. Renoux, Le statut des magistrats, garant de la démocratie, LPA, 2003, n° 121, p. 4-12, spéc. p. 4-6.
(98) S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, ouvr. préc., p. 849.
(99) Groupe d'Etats contre la corruption, Combattre la corruption, Promouvoir l'intégrité, 14ème rapport général d'activités, 2013, p. 12.
(100) B. Louvel, Les citoyens veulent que les juges soient indépendants sans être coupés de la société, Gaz. Pal., 2015, n° 136, p. 10-12, spéc. p. 10.
(101) Nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 623, 2015 (N° Lexbase : N8676BUU) et (N° Lexbase : N8694BUK).
(102) Cons. const., décision n? 2014-704 DC, du 11 décembre 2014 (N° Lexbase : A2168M7G).
(103) Il s'agit effectivement d'une exigence de valeur constitutionnelle. Voir S. Guinchard, A. Varinard et T. Debard, ouvr. préc., p. 176-177.
(104) L'article L. 142-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3151IQR) prévoit que "les assesseurs sont désignés pour une durée de trois ans par ordonnance du premier président de la cour d'appel, prise après avis du président du tribunal des affaires de sécurité sociale, sur une liste dressée dans le ressort de chaque tribunal par l'autorité compétente de l'Etat, sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives intéressées".
(105) C. trav., art. L. 2411-22, ancien (N° Lexbase : L0168H94).
(106) C. trav., art. L. 2411-22, nouveau (N° Lexbase : L3965K7Y).
(107) C. trav., art. L. 1442-11, nouveau (N° Lexbase : L5965KGZ).
(108) C. trav., art. L. 1443-1, nouveau (N° Lexbase : L3964K7X).
(109) C. trav., art. L. 1441-15, ancien (N° Lexbase : L1958H9E).
(110) C. trav., art. L. 1441-39, ancien (N° Lexbase : L2001H9Y).
(111) A. Supiot, ouvr. préc., p. 423-424.
(112) C. trav., art. L. 1441-24, nouveau (N° Lexbase : L3953K7K).
(113) C. trav., art. L. 1441-4, nouveau (N° Lexbase : L3952K7I).
(114) Loi n° 2013-504,14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU). Voir notamment P. Morvan, Le Conseil d'Etat et les plans de sauvegarde de l'emploi : une oeuvre de modération, note sous CE, 4° et 5° s-s-r., 7 décembre 2015, n° 383856 (N° Lexbase : A6208NYL), JCP éd. S, 2016, 1047, p. 31-35.
(115) V. supra, II, B.
(116) A. Supiot, ouvr. préc., p. 410.
(117) C. trav., art. L. 1441-6, ancien (N° Lexbase : L1942H9S).
(118) C. trav., art. L. 1423-1-2, nouveau (N° Lexbase : L3942K77).
(119) Cass. soc., 30 novembre 1982, n° 82-60.573, publié (N° Lexbase : A6027CKG), Bull. civ. V, n° 664.
(120) Cass. soc., 7 décembre 1982, n° 82-60.610, publié (N° Lexbase : A5418CGR), Bull. civ. V, n° 688.
(121) A. Supiot, ouvr. préc., p. 411.
(122) C. trav., art. L. 1423-1-1, nouveau (N° Lexbase : L3941K74).
(123) C. trav., art. R. 1423-4 (N° Lexbase : L1698IA7) à R. 1423-6.

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Procédures fiscales

[Questions à...] Le droit fiscal soumis au non bis in idem ? - Questions à Maître Eric Meier, Avocat associé et Arnaud Tailfer, Avocat au sein du cabinet Baker & McKenzie SCP

Réf. : Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.001, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5104RAB) et Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.005, FS-P+B (N° Lexbase : A1597RBR)

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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 21 Avril 2016

Dans les deux affaires qui nous sont soumises, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Il s'agissait de savoir si, en matière de droit de succession, d'impôt de solidarité sur la fortune et de contribution exceptionnelle sur la fortune, les articles 1729 (N° Lexbase : L4733ICB) et 1741 (N° Lexbase : L9491IY8) du CGI, lesquels autorisent le cumul de procédures ou de sanctions pénales et fiscales à l'encontre d'une même personne et en raison des mêmes faits, portaient atteinte au principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la DDHC (N° Lexbase : L0834AHD) (Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.001, FS-P+B+I et Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.005, FS-P+B). Pour en savoir plus sur ces décisions, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maître Eric Meier, Avocat associé et Arnaud Tailfer, Avocat au sein du cabinet Baker & McKenzie SCP.

Lexbase : Trouvez-vous justifiés les arguments avancés par la Cour de cassation au sujet du renvoi de ces deux QPC devant le Conseil constitutionnel ?

Eric Meier et Arnaud Tailfer : Pour déterminer si la QPC devait être renvoyée au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation devait vérifier que les dispositions contestées étaient applicables au litige, n'avaient pas déjà été déclarées conformes à la constitution et que la question présentait un caractère sérieux ou nouveau.

S'agissant de la première condition, l'applicabilité au litige des articles 1729 et 1741 n'était pas débattue.

S'agissant de la condition liée à la conformité à la Constitution de ces dispositions, il est intéressant de relever que la réponse n'apparaissait pas évidente à la Cour de cassation. En effet, elle a relevé qu'à supposer même qu'elle avait déjà été affirmée par le Conseil constitutionnel (1), il était toutefois permis de considérer la décision "EADS" rendue le 18 mars 2015 (2), et dont le principe a été réaffirmé en ce début d'année (3), comme un changement de circonstances.

Sur le caractère sérieux de la question soulevée, la Cour de cassation disposait d'une grille de lecture récemment développée par le Conseil constitutionnel dans la décision "EADS" précédemment évoquée. Sur cette base, la Cour de cassation a procédé à un raisonnement en quatre temps :

- tout d'abord, elle a relevé qu'on ne pouvait pas exclure que les dispositions des articles 1729 et 1741 du CGI soient considérées comme susceptibles de réprimer les mêmes faits qualifiés de manière similaire, à savoir des insuffisances de déclaration dans l'intention d'éluder l'impôt ;

- en second lieu, elle a relevé que les dispositifs répressifs fiscal et pénal pouvaient être admis comme protégeant les mêmes intérêts sociaux, même si les pénalités fiscales visent notamment à garantir le recouvrement de l'impôt, tandis que les sanctions pénales répriment l'atteinte à l'égalité qui doit exister entre les citoyens, en raison de leurs facultés, dans la contribution aux charges publiques ;

- en troisième lieu, la cour a estimé qu'une incertitude demeurait quant à la question de savoir si les sanctions pénales et fiscales doivent être regardées comme étant d'une nature différente ;

- enfin, et bien qu'appartenant au même ordre de juridiction, elle a considéré que le juge judiciaire de l'impôt et le juge pénal étaient deux juridictions de nature différente, à l'office distinct.

Dès lors, sur la base de ces éléments, la Cour de cassation a fait une application a priori correcte de la jurisprudence en la matière du Conseil constitutionnel et en a déduit que ces questions présentaient un caractère sérieux.

La Cour de cassation a donc décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel les deux questions soulevées et l'on ne peut que s'en féliciter, tant cela devrait permettre de clarifier le sujet.

Lexbase : Le Conseil constitutionnel s'était montré hésitant dans la décision "EADS" rendue le 18 mars 2015. Pensez-vous que la Haute juridiction pourrait juger en faveur du cumul des poursuites et des sanctions en matière fiscale ?

Eric Meier et Arnaud Tailfer : Tout dépendra de l'appréciation par le Conseil constitutionnel de l'équivalence des sanctions fiscales et pénales, laquelle est complexifiée en matière fiscale. En effet, comme le relève la Cour de cassation, la majoration fiscale est d'une nature différente de la sanction pénale en ce qu'elle est assise sur le montant de l'impôt éludé et est donc proportionnelle et variable et peut, eu égard au taux applicable de 40 ou de 80 % et à l'absence de plafond, être d'une grande sévérité. Le juge pénal peut, quant à lui, condamner l'auteur d'un délit de fraude fiscale à une peine d'emprisonnement, à une amende s'élevant (à défaut de circonstances aggravantes) selon les années de 37 500 à 500 000 euros ainsi qu'à des peines complémentaires de confiscation, de privation de droits civiques, civil et de famille, ou d'interdiction d'exercer une activité professionnelle. Il est toutefois nécessaire de préciser que ces peines peuvent être aménagées par le juge pénal en fonction des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation de son auteur.

Et effectivement, il n'apparait pas aisé de déterminer une équivalence entre ces peines fiscales et pénales et notamment entre une peine de prison et une amende, d'autant plus que la peine de prison peut être faible et l'amende élevée. Sur ce point, il est intéressant de rappeler les propos du vice-Procureur de la République à l'audience où la QPC a été discutée : "Quelle étrange conception que de dire que l'argent a le même prix que la liberté, que de le mettre ainsi sur un piédestal. Ce ne sont pas nos valeurs, au parquet national financier. Pour nous, l'argent ne vaut pas nos libertés les plus précieuses".

Tout dépendra donc de l'équivalence retenue par le Conseil constitutionnel. De fait, si le Conseil constitutionnel considère la gravité de la "sanction fiscale" comme n'étant pas comparable avec celle des sanctions pénales, la non-conformité des dispositions des articles 1729 et 1741 du CGI sera écartée. A les considérer comme étant équivalentes, il y a un risque pour qu'il penche en faveur de la non-conformité.

Il convient de souligner que la saisine actuelle du Conseil porte à la fois sur un dispositif répressif antérieur au 16 mars 2012 (pour lequel une amende de 37 500 euros est encourue) et sur le dispositif postérieur, lequel a été considérablement alourdi puisque l'amende a été élevée à 500 000 euros. Cette différence pourrait éventuellement mener le Conseil constitutionnel à avoir des approches différentes selon le dispositif concerné.

Outre cette condition tenant à la nature des sanctions, il n'est également pas certain que le Conseil constitutionnel considère que les sanctions prévues par les articles 1729 et 1741 protègent les mêmes intérêts sociaux. En effet, les sanctions appliquées en matière de fraude fiscale n'ont vocation à s'appliquer qu'aux situations les plus graves, celles qui portent atteinte au principe d'égalité des citoyens devant l'impôt, à raison de leurs facultés, pour la contribution aux charges publiques. La finalité des pénalités administratives apparait plus générale puisqu'elles visent à sanctionner les inexactitudes et les omissions relevées dans les déclarations, afin que soit acquitté l'impôt qui est dû.

Lexbase : Qu'apporterait la reconnaissance du principe "non bis in idem" en matière fiscale ?

Eric Meier et Arnaud Tailfer : En l'état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, une généralisation du principe de non cumul des poursuites et des sanctions est a priori à exclure. En effet, dans sa décision "EADS" du 18 mars 2015, le Conseil a précisé que de mêmes faits peuvent faire l'objet de poursuites différentes dès lors que les poursuites et sanctions ne relèvent pas du même ordre de juridiction. Or, en matière fiscale, le juge de l'impôt est le plus souvent le juge administratif. Ainsi, le principe de non-cumul pourrait être limité aux seuls impôts relevant de la compétence du juge judiciaire.

En tout état de cause, l'approche du Conseil constitutionnel pourrait ne pas être conforme à la jurisprudence développée par la CEDH. En effet, la Cour européenne a jugé (4) que la règle du "non bis in idem" contenue dans le protocole n° 7 à la CESDH devait s'entendre comme s'appliquant aux poursuites visant des faits identiques ou qui sont en substance les mêmes, quelle que soit la qualification qui a pu leur être successivement donnée et quelle que soit la nature de l'organe qui a statué sur les poursuites. Cette position a été réaffirmée récemment en 2014 (5) et pourrait encore l'être dans un futur proche, dans le cadre d'une affaire actuellement en cours d'instruction.

Le dernier obstacle qui semblait s'opposer à l'application de ce principe à la France était la réserve d'interprétation limitant l'application du protocole n° 7 (6). Cependant, la CEDH a récemment écarté la réserve d'interprétation italienne dont la rédaction était analogue à la réserve d'interprétation française (7). On peut dès lors imaginer que la CEDH écarterait de la même façon la réserve d'interprétation française en cas de contentieux.

Lexbase : Selon vous, quelles seraient les mesures les plus urgentes à prendre afin de modifier le régime des sanctions en matière fiscale ?

Eric Meier et Arnaud Tailfer : Tout d'abord, dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel déciderait de ne pas appliquer à la matière fiscale un principe de non-cumul des poursuites et des sanctions, il conviendrait, à tout le moins, de neutraliser les effets iniques de la double poursuite rendue possible par le droit positif. En effet, ainsi que nous avions pu le relever par le passé (8), il faudrait rendre impossible toutes poursuites pénales s'il résulte d'une décision de justice devenue définitive que l'impôt n'est pas dû. Un tel principe permettrait notamment d'éviter la condamnation absurde et inique d'un contribuable pour fraude fiscale alors que le juge administratif l'avait, par une décision devenue définitive, déchargé de toute imposition. Cela a d'ailleurs été envisagé par la Commission des Finances de l'Assemblée nationale dans le cadre de l'étude d'un amendement déposé par Gilles Carrez (9) sur la loi de finances rectificatives pour 2012. Malheureusement, cette tentative de réforme n'a pas abouti. Ce serait déjà un premier pas positif à l'égard des contribuables.

Dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel reconnaitrait le principe de non-cumul, cela nécessiterait une adaptation du régime répressif existant. Sur ce point, il est intéressant de faire un parallèle avec la procédure de répression des abus de marchés dont la réforme a été annoncée à la suite de la décision "EADS" que nous évoquions précédemment. Selon le Sénateur Albéric de Montgolfier (10), la nouvelle architecture devrait reposer sur une répartition des affaires à l'issue de l'enquête et avant l'ouverture des poursuites, sur la base d'une concertation systématique entre l'AMF et le Parquet national financier. Si le même schéma était adopté en matière fiscale, cela aboutirait a minima à une réforme voire une suppression pure et simple du "verrou de Bercy".

Ces considérations sont toutefois prématurées, espérons seulement qu'elles se poseront à la suite de la décision du Conseil constitutionnel.


(1) V. notamment Cons. const., 17 mars 2011, n° 2010-103 QPC (N° Lexbase : A8912HC3) et Cons. const., 4 décembre 2013, n° 2013-679 DC (N° Lexbase : A5483KQ7).
(2) Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC (N° Lexbase : A7983NDZ).
(3) Cons. const., 14 janvier 2016, n° 2015-513/514/526 QPC (N° Lexbase : A5893N3N).
(4) CEDH, 10 février 2009, Req. 14939/03 (N° Lexbase : A0804ED7).
(5) CEDH, 27 novembre 2014, Req. 7356/10.
(6) Cette réserve d'interprétation stipule que "seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 et 4 du présent Protocole".
(7) La décision CEDH, 4 mars 2014, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10, 18698 /10 (N° Lexbase : A1275MGC) a écarté la réserve d'interprétation italienne. Dans un arrêt du 23 octobre 1995, la Cour avait déjà écarté la réserve formulée par l'Autriche (CEDH, 23 octobre 1995, Req. 33/1994/480/562 N° Lexbase : A8370AWW). L'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni n'ont pas ratifié le protocole n° 7.
(8) Eric Meier, Avocat associé, Baker & McKenzie SCP et Régis Torlet, Avocat, Baker & McKenzie SCP, L'indépendance des procédures fiscale et pénale, ou quand un train peut en cacher un autre, Droit fiscal, n° 42, 18 octobre 2012, comm. 488.
(9) Amendement CF 21 portant article additionnel après l'article 8, projet de loi de finances rectificative pour 2012 (n° 403).
(10) Communiqué de presse du Sénat, "La commission des finances du Sénat présente ses orientations sur la réforme de la répression des abus de marché", 25 juin 2015.

newsid:452444

Propriété intellectuelle

[Brèves] Marques de renommée : indifférence de la constatation d'un risque d'assimilation ou de confusion

Réf. : Cass. com., 12 avril 2016, n° 14-29.414, FS-P+B (N° Lexbase : A6911RIS)

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Le 21 Avril 2016

La protection conférée aux marques jouissant d'une renommée n'est pas subordonnée à la constatation d'un risque d'assimilation ou de confusion ; il suffit que le degré de similitude entre une telle marque et le signe ait pour effet que le public concerné établit un lien entre le signe et la marque. Tel est le sens d'un arrêt rendu le 12 avril 2016 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 12 avril 2016, n° 14-29.414, FS-P+B N° Lexbase : A6911RIS). En l'espèce, une société, spécialisée dans l'équipement et la décoration de la maison, est titulaire de la marque semi-figurative "maisons du monde" déposée le 5 octobre 1999 avec revendication de couleurs, pour désigner divers produits dans de nombreuses classes. Après avoir fait constater que des magasins commercialisant des articles d'art de la table, d'ameublement et de décoration de la maison, utilisaient des panneaux publicitaires comportant l'intitulé "tout pour la maison" surmonté d'une petite maison stylisée, elle a assigné la société exploitant ces magasins en contrefaçon de sa marque et en concurrence déloyale et parasitaire. Elle a également demandé l'annulation de la marque semi-figurative "tout pour la maison", qui avait été déposée par cette dernière société le 15 avril 2003, enregistrée pour désigner en classe 35 des services de regroupement, mise à disposition et présentation aux consommateurs de produits en vue de leur vente et de leur achat, à savoir cosmétiques et produits voisins. L'arrêt d'appel rendu sur cette action (CA Rennes, 9 mai 2012, n° 10/08075 N° Lexbase : A8636IK3) a été cassé (Cass. com., 9 juillet 2013, n° 12-21.628, F-D N° Lexbase : A8952KIE), mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande formée sur le fondement de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2200ICH). Sur renvoi, la cour d'appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 20 octobre 2014, n° 13/05295 N° Lexbase : A7109MYX) rejette de nouveau cette demande, retenant qu'il n'existe aucun risque d'assimilation entre les deux marques en cause, compte tenu de leurs différences visuelle, phonétique et conceptuelle, leur conférant une impression globale pour le consommateur moyen différente, et que certaines ressemblances à caractère mineur ne sont pas susceptibles de créer un risque de confusion ou d'assimilation pour le consommateur moyen. Mais énonçant la solution précitée, la Cour régulatrice censure une nouvelle fois la décision d'appel.

newsid:452357

Responsabilité

[Brèves] Compétence de la juridiction administrative en cas de recours en garantie du centre hospitalier contre le producteur, fondé sur la responsabilité du fait des produits défectueux

Réf. : T. confl., 11 avril 2016, n° 4044 (N° Lexbase : A6728RC8)

Lecture: 2 min

N2358BWA

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Le 21 Avril 2016

Même si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'est pas fondé sur le contrat, dans le cas particulier où le service public hospitalier est lié au producteur par un contrat administratif portant sur la fourniture de prothèses dont la défectuosité de l'une d'elles a été constatée, son action en garantie découle de la mauvaise exécution par le producteur de ce contrat et doit donc, comme l'action fondée sur les stipulations du contrat ou sur les vices cachés, relever de la compétence de la juridiction administrative. Tel est l'apport d'un arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 11 avril 2016 (T. confl., 11 avril 2016, n° 4044 N° Lexbase : A6728RC8). En l'espèce, à la suite de la luxation d'une prothèse du genou, M. F. a dû subir deux interventions chirurgicales tendant à la reprise et au remplacement de sa prothèse. Invoquant la défectuosité de celle-ci, M. F. a exercé un recours indemnitaire contre le centre hospitalier qui a appelé en garantie le producteur de la prothèse. Par un arrêt du 12 décembre 2013, la cour administrative d'appel a condamné le centre hospitalier à verser des indemnités à M. F. en réparation de ses préjudices (CAA Lyon, 6ème ch., 12 décembre 2013, n° 13LY02237 N° Lexbase : A4882MPI). Elle a rejeté les conclusions du centre hospitalier tendant à ce que le producteur le garantisse des condamnations prononcées à son encontre sur le fondement des dispositions issues de la Directive 85/374 du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L9620AUT), transposée en droit français par les dispositions des articles 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX) à 1386-18 du Code civil. Sur le pourvoi du centre hospitalier, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, par décision du 23 décembre 2015 (CE 4° et 5° s-s-r., 23 décembre 2015, n° 375406 N° Lexbase : A0090N3Q), renvoyé au Tribunal des conflits la question de savoir si le litige relève ou non de la compétence de la juridiction administrative en application de l'article 35 du décret du 27 février 2015 (N° Lexbase : L0472I8Y). Le Tribunal des conflits n'avait encore jamais statué sur l'ordre de juridiction compétent pour connaître d'un recours en garantie exercé par un centre hospitalier à l'encontre d'un producteur fondé sur les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil, régissant la responsabilité du producteur à l'égard de la victime, qu'il soit lié ou non par un contrat avec celle-ci. Enonçant la solution précitée, il retient que c'est la juridiction de l'ordre administratif qui est compétente (cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5267E79).

newsid:452358

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Remise tardive de divers documents de fin de contrat : il appartient aux juges du fond d'apprécier l'existence du préjudice du salarié et de l'évaluer

Réf. : Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6796RIK)

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N2366BWK

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Le 22 Avril 2016

L'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond qui peuvent écarter la demande en condamnation de l'employeur pour remise tardive de divers documents de fin de contrat, dès lors que le salarié n'apporte aucun élément pour justifier le préjudice allégué. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 13 avril 2016 (Cass. soc., 13 avril 2016, n° 14-28.293, FS-P+B+R N° Lexbase : A6796RIK, a contrario, voir Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 04-47.742, F-D N° Lexbase : A0859DTY et Cass. soc., 17 septembre 2014, n° 13-18.850, F-D N° Lexbase : A8508MWZ).
En l'espèce, M. X, salarié de la société Y a saisi le conseil de prud'hommes aux fins de remise, sous astreinte, de divers documents, lesquels ont été remis lors de l'audience de conciliation. Il a alors demandé la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation de cette remise tardive.
Le conseil de prud'hommes, statuant en dernier ressort, ayant débouté le salarié de sa demande, ce dernier s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9999ES7).

newsid:452366

Urbanisme

[Brèves] Détermination du point de départ du délai de recours à l'encontre du permis de construire : exercice par un tiers démontrant la connaissance acquise de la décision

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 15 avril 2016, n° 375132, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7099RIR)

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N2423BWN

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Le 28 Avril 2016

L'exercice par un tiers d'un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire montre qu'il a connaissance de cette décision et a, en conséquence, pour effet de faire courir à son égard le délai de recours contentieux, alors même que la publicité concernant ce permis n'aurait pas satisfait aux dispositions prévues en la matière par l'article A. 424-17 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9870HZL). Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 15 avril 2016 (CE 1° et 6° s-s-r., 15 avril 2016, n° 375132, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7099RIR, sur les obligations d'affichage destinées à informer les tiers afin qu'ils puissent préserver leurs droits, voir CE, 14 novembre 2012, n° 342389 N° Lexbase : A8644IW3). En formant, par la lettre reçue par le maire le 2 juillet 2008, un recours administratif à l'encontre de l'arrêté du 24 avril 2008, M. X a manifesté avoir acquis la connaissance du permis de construire délivré à M. Y le 2 juillet 2008. Dès lors, c'est sans erreur de droit que le président de la première chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a pu juger, en dépit du défaut de mention des délais de recours sur le panneau d'affichage du permis litigieux, que la requête introduite par M. X le 28 janvier 2011 devant le tribunal administratif de Marseille, plus de deux mois après que le recours administratif qu'il avait formé avait été rejeté, était tardive (cf. l’Ouvrage "Droit de l'urbanisme" N° Lexbase : E4687E7Q).

newsid:452423