La lettre juridique n°651 du 14 avril 2016

La lettre juridique - Édition n°651

Actes administratifs

[Brèves] Contrôle de la conventionnalité d'une loi organique en l'absence d'"écran constitutionnel"

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 6 avril 2016, n° 380570, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8782RBU)

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Le 14 Avril 2016

Le juge administratif contrôle la compatibilité d'une loi organique avec un Traité international, dans la mesure où les dispositions contestées ne se bornent pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions constitutionnelles. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 6 avril 2016 (CE 1° et 6° s-s-r., 6 avril 2016, n° 380570, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8782RBU). Les requérants demandent au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 20 mars 2014 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a dit qu'il n'y avait pas lieu au prononcé d'une sanction à l'encontre de Mme X, vice-présidente d'un tribunal de grande instance. La Haute juridiction indique qu'aucune stipulation de la CESDH ne reconnaît de droit, pour une personne à laquelle le comportement d'un magistrat a porté préjudice, à obtenir qu'il fasse l'objet d'une sanction disciplinaire. Ni les dispositions de l'article 65 de la Constitution (N° Lexbase : L0894AHL), ni celles de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut des magistrats (N° Lexbase : L5336AGQ), dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010, relative à l'application de l'article 65 de la Constitution (N° Lexbase : L8183IMZ), ne confèrent aux personnes qui saisissent le CSM, en l'alertant sur des comportements susceptibles de constituer une faute disciplinaire, la qualité de partie, non plus qu'aucun droit à obtenir que le magistrat dont ils se plaignent fasse l'objet d'une sanction. Dès lors, les requérants ne sont pas recevables à former un pourvoi contre la décision du CSM statuant sur les poursuites disciplinaires engagées contre Mme X (voir, sur l'irrecevabilité d'un tiers à agir contre une décision infligeant une sanction à un agent public, CE 4° et 5° s-s-r., 17 mai 2006, n° 268938, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6508DPQ).

newsid:452232

Actes administratifs

[Brèves] Pouvoir du président de la Commission des sondages pour rejeter une réclamation ne relevant pas de la compétence de cette autorité

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 4 avril 2016, n° 393863, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6045RBI)

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N2244BWZ

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Le 14 Avril 2016

Le président de la Commission des sondages peut rejeter une réclamation relative à un sondage qui ne relève pas de la compétence de la commission. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 4 avril 2016 (CE 2° et 7° s-s-r., 4 avril 2016, n° 393863, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6045RBI). Eu égard à son objet et à la circonstance qu'il a été réalisé et publié plus de dix-neuf mois avant l'élection présidentielle et plus de quatorze mois avant l'organisation par des partis politiques d'élections pour la désignation de leur candidat au scrutin présidentiel, un sondage relatif aux engagements que les personnes interrogées souhaitaient voir inscrits dans les programmes des candidats à l'élection présidentielle de 2017 au sujet de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (N° Lexbase : L7926IWH), ne présente pas de rapport avec une élection présidentielle au sens des dispositions de l'article premier de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977, relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion (N° Lexbase : L7776AIT). Il ne relève donc pas du champ de compétence de la commission des sondages. Au vu du principe précité, le requérant n'est donc pas fondé à demander l'annulation de la décision de la présidente de la Commission des sondages ayant rejeté cette réclamation au motif que ce sondage n'entrait pas dans le champ de compétence de la commission.

newsid:452244

Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] La croyance légitime en l'engagement compromissoire du cocontractant

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mars 2016, n° 14-23.699, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4889Q79)

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N2097BWL

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

Le 14 Avril 2016

L'arbitrage est-il un colosse aux pieds d'argile ? Ce procédé performant de règlement des litiges, si performant que certains secteurs d'activité ne peuvent pas s'en passer et en font une clause de style, peut se trouver assujetti, en certaines circonstances, à certaines incertitudes ou ambiguïtés quant à l'existence ou la portée de l'engagement des parties à y recourir. L'arrêt du 16 mars 2016, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, contribue à instruire la question. Il est relativement fréquent qu'une partie prétende échapper à une procédure d'arbitrage en soulevant que son consentement à l'arbitrage ne serait pas suffisamment établi . La question se pose en particulier dans le contexte où l'arbitrage n'est pas un mode habituel de règlement du litige, et tout spécialement, il faut bien le reconnaître, lorsqu'une partie n'est pas rompue à la pratique et aux principes de l'arbitrage dont le premier en est la rapidité et l'efficacité.

Dans ce schéma, c'est bien entendu le défendeur qui soulève l'incompétence arbitrale, pour empêcher ou retarder la mise en oeuvre de la procédure. On sait, toutefois, que le principe de compétence-compétence permet d'éviter l'efficacité d'une telle manoeuvre dilatoire (1).

Il arrive également que l'absence de fondement contractuel de l'arbitrage soit invoquée après le déroulement de la procédure et la reddition de la sentence, à titre de motif de nullité de cette dernière. Cette stratégie concerne tous les types d'arbitrage ; la contestation de la compétence est alors instrumentalisée comme un mode de critique de la sentence.

Dans ces deux configurations d'une allégation d'incompétence arbitrale, la Cour de cassation a depuis longtemps choisi l'efficacité de l'arbitrage, surtout en matière d'arbitrage international (2), ce qui ne signifie pas, bien entendu, qu'une telle allégation soit toujours écartée. Mais la préférence pour la reconnaissance d'un engagement compromissoire, ou pour son interprétation en faveur de son efficacité est assez nette, au motif légitime de l'efficacité de ce mode de règlement des litiges.

On rencontre ici un troisième cas de figure de l'allégation d'incompétence arbitrale, plutôt inédit. Il ne s'agit ni de perturber le déroulement de l'instance, ni de contester la sentence ; il s'agit de contester les honoraires de l'avocat qui est intervenu dans la procédure d'arbitrage. Pourtant, rien ne permet a priori de considérer que la solution rendue par l'arrêt commenté ne devrait pas s'appliquer pareillement dans les deux premiers cas. Or, l'hypothèse est d'autant plus intéressante que l'argumentaire du débat et le motif de la solution sont eux-mêmes plutôt inédits.

Dans quelle mesure, en effet, cette préférence jurisprudentielle pour l'efficacité de l'engagement peut-elle s'exprimer dès lors que la question se pose sur le plan de l'apparence d'un engagement à l'arbitrage ? Sous bénéfice d'inventaire, c'est semble-t-il la première fois que la Cour de cassation est conduite à se prononcer sur cette configuration particulière.

On sait que l'apparence est une règle de fond du droit des obligations, une règle destinée à sauvegarder les finalités du système juridique. D'une situation certes spécialement circonstanciée, le juge tire des conséquences qui pourraient exactement être celles de l'expression d'une volonté juridique : création d'une obligation, prorogation d'un terme, renonciation à un droit, etc.. Le mandat apparent en est, en jurisprudence civile ou commerciale, l'illustration la plus remarquable, et d'ailleurs la plus fréquente. Encore faut-il bien entendu que les circonstances appropriées en soient caractérisées, parmi lesquelles la croyance légitime en l'engagement de la part du cocontractant. Telle était notamment la question posée en l'espèce.

Un opérateur, M. A, convient avec un cabinet d'avocats, le cabinet B., de l'assister et le représenter dans une procédure. En réalité, les choses se présentent différemment. C'est un autre cabinet d'avocats, le cabinet C., lequel est "chargé habituellement des intérêts des consorts A.", qui passe une convention en ce sens avec le cabinet B.. Cette convention comporte une clause compromissoire. Lorsque l'avocat B. présentera une note d'honoraires à M. A. ce dernier, aux fins de la contester, prétendra qu'il ne s'y est pas valablement engagé.

La clause compromissoire est mise en oeuvre. Le tribunal arbitral procède à une condamnation au paiement. M. A. conteste la sentence en soulevant l'argument en vertu duquel, selon son droit national, une clause compromissoire ne serait valablement signée par un mandataire que s'il est titulaire d'un mandat spécial à cet effet. Un tel mandat faisant défaut, il ne serait pas engagé par l'acte signé certes par son mandataire habituel, mais dépourvu du mandat spécial requis.

La cour d'appel de Paris (3) écarte le recours en annulation au motif qu'"en vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage international, l'existence et la validité d'une clause compromissoire sont appréciées, sans référence à une loi nationale, mais uniquement au regard de la volonté des parties de recourir à l'arbitrage, appréciée en fonction des circonstances de la cause".

La Cour de cassation rejette le pourvoi, fidèle en cela à sa position (4) que l'on peut qualifier désormais de classique et traditionnelle. Elle se place délibérément dans un schéma d'application pure et simple de la règle matérielle affirmée par la cour d'appel.

Il est d'ailleurs un peu curieux qu'elle s'abstienne de rappeler la règle avant d'en faire application. De cet oubli, au demeurant modérément critiquable, on pourra déduire que ladite règle matérielle lui semble évidente. Bien plus, cette évidence est telle que la règle est considérée comme relevant d'office de l'ordre arbitral international en sa qualité de l'une des règles matérielles les plus largement admises en la matière.

S'agissant de la mise en oeuvre de cette règle, la Cour de cassation se livre à l'identification et à l'interprétation d'un faisceau d'indices susceptible de qualifier "la volonté des parties en fonction des circonstances de la cause". Elle relève, à cet effet, la constatation de l'arrêt de la cour d'appel selon laquelle :

- 1°/ la convention a été signée par le cabinet d'avocats C. ;

- 2°/ l'avocat B. a adressé un message électronique au contrôleur financier du groupe de M. A. et à M. A. lui-même pour leur soumettre le projet de contrat stipulant la clause compromissoire ;

- 3°/ 35 jours plus tard, ledit contrat, signé par l'avocat A., a de nouveau été envoyé au contrôleur financier du groupe de M. A. et au cabinet d'avocat C. ;

- 4°/ le cabinet C., après l'avoir signé, l'a adressé encore à M. A. et au contrôleur financier ;

- 5°/ de surcroît, ce contrat a été ultérieurement exécuté par les consorts A. qui ont directement donné leurs instructions à l'avocat B. et réglé ses premières factures.

La Cour de cassation en déduit que l'arrêt de la cour a fait ressortir que les consorts A ont eu la volonté de se soumettre à l'arbitrage, que l'exigence de bonne foi pouvait leur être opposée et que les pouvoirs du cabinet C. étant apparents, la croyance de l'avocat A. à l'engagement des consorts A. était légitime.

Cette position de la Cour de cassation est cohérente avec sa jurisprudence antérieure (5) lorsqu'elle décide qu'une société est engagée dans une clause d'arbitrage signée, non par un dirigeant social, mais par le salarié de la société qui est l'interlocuteur du cocontractant. La solution est remarquable. En droit des sociétés en effet, le système des pouvoirs légaux, tel qu'il repose notamment sur la publicité légale de l'identité des "mandataires sociaux", est le seul en vertu duquel la société peut être engagée. La prise en compte de la croyance légitime du tiers en l'engagement compromissoire consenti par un salarié non délégataire d'un tel pouvoir est une exception remarquable au droit des sociétés. Le présent arrêt ajoute une autre exception du même genre.

Cela dit, ce n'est pas une révolution. Il s'agit d'une variante d'un principe plus large de bonne foi dans la formation de la convention d'arbitrage, qui recouvre l'apparence, la bonne foi, la croyance légitime, ou encore l'interdiction de se contredire au détriment des droits d'autrui, ainsi notamment que l'article 1466 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2253IP7) en affirme le principe.

Principe auquel d'ailleurs l'auteur du pourvoi pouvait également s'exposer compte tenu des données de l'espèce ; mais c'eût été à titre surabondant.

Ajoutons qu'avec ce positionnement, le droit de l'arbitrage fait figure de précurseur si l'on veut bien considérer la place de choix que l'ordonnance du 16 février 2016 (ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK) confère à la bonne foi dans la formation du contrat. Pour une fois que la morale contractuelle rejoint l'efficacité économique, personne ne s'en plaindra.


(1) D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, Gualino, 2012, n° 81 s..
(2) Ch. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l'arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, n° 601 s.. ; D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, op. cit., n° 497 s..
(3) CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 24 juin 2014, n° 13/07955 (N° Lexbase : A7651MRS), Rev. arb., 2015, p.515, note S. Akhouad.
(4) Ch. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 621 : c'est surtout à propos de l'engagement compromissoire d'une société que la solution est régulièrement affirmée : la société est engagée même par une personne qui ne disposerait pas du pouvoir de le faire si l'on se référait à la lex societatis.
(5) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-16.025, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7357EIC), Rev. arb., 2009, p. 529, note D. Cohen. Adde, D. Cohen, L'engagement des sociétés à l 'arbitrage, Rev. arb., 2006, p. 35.

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Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] La croyance légitime en l'engagement compromissoire du cocontractant

Réf. : Cass. civ. 1, 16 mars 2016, n° 14-23.699, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4889Q79)

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

Le 14 Avril 2016

L'arbitrage est-il un colosse aux pieds d'argile ? Ce procédé performant de règlement des litiges, si performant que certains secteurs d'activité ne peuvent pas s'en passer et en font une clause de style, peut se trouver assujetti, en certaines circonstances, à certaines incertitudes ou ambiguïtés quant à l'existence ou la portée de l'engagement des parties à y recourir. L'arrêt du 16 mars 2016, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, contribue à instruire la question. Il est relativement fréquent qu'une partie prétende échapper à une procédure d'arbitrage en soulevant que son consentement à l'arbitrage ne serait pas suffisamment établi . La question se pose en particulier dans le contexte où l'arbitrage n'est pas un mode habituel de règlement du litige, et tout spécialement, il faut bien le reconnaître, lorsqu'une partie n'est pas rompue à la pratique et aux principes de l'arbitrage dont le premier en est la rapidité et l'efficacité.

Dans ce schéma, c'est bien entendu le défendeur qui soulève l'incompétence arbitrale, pour empêcher ou retarder la mise en oeuvre de la procédure. On sait, toutefois, que le principe de compétence-compétence permet d'éviter l'efficacité d'une telle manoeuvre dilatoire (1).

Il arrive également que l'absence de fondement contractuel de l'arbitrage soit invoquée après le déroulement de la procédure et la reddition de la sentence, à titre de motif de nullité de cette dernière. Cette stratégie concerne tous les types d'arbitrage ; la contestation de la compétence est alors instrumentalisée comme un mode de critique de la sentence.

Dans ces deux configurations d'une allégation d'incompétence arbitrale, la Cour de cassation a depuis longtemps choisi l'efficacité de l'arbitrage, surtout en matière d'arbitrage international (2), ce qui ne signifie pas, bien entendu, qu'une telle allégation soit toujours écartée. Mais la préférence pour la reconnaissance d'un engagement compromissoire, ou pour son interprétation en faveur de son efficacité est assez nette, au motif légitime de l'efficacité de ce mode de règlement des litiges.

On rencontre ici un troisième cas de figure de l'allégation d'incompétence arbitrale, plutôt inédit. Il ne s'agit ni de perturber le déroulement de l'instance, ni de contester la sentence ; il s'agit de contester les honoraires de l'avocat qui est intervenu dans la procédure d'arbitrage. Pourtant, rien ne permet a priori de considérer que la solution rendue par l'arrêt commenté ne devrait pas s'appliquer pareillement dans les deux premiers cas. Or, l'hypothèse est d'autant plus intéressante que l'argumentaire du débat et le motif de la solution sont eux-mêmes plutôt inédits.

Dans quelle mesure, en effet, cette préférence jurisprudentielle pour l'efficacité de l'engagement peut-elle s'exprimer dès lors que la question se pose sur le plan de l'apparence d'un engagement à l'arbitrage ? Sous bénéfice d'inventaire, c'est semble-t-il la première fois que la Cour de cassation est conduite à se prononcer sur cette configuration particulière.

On sait que l'apparence est une règle de fond du droit des obligations, une règle destinée à sauvegarder les finalités du système juridique. D'une situation certes spécialement circonstanciée, le juge tire des conséquences qui pourraient exactement être celles de l'expression d'une volonté juridique : création d'une obligation, prorogation d'un terme, renonciation à un droit, etc.. Le mandat apparent en est, en jurisprudence civile ou commerciale, l'illustration la plus remarquable, et d'ailleurs la plus fréquente. Encore faut-il bien entendu que les circonstances appropriées en soient caractérisées, parmi lesquelles la croyance légitime en l'engagement de la part du cocontractant. Telle était notamment la question posée en l'espèce.

Un opérateur, M. A, convient avec un cabinet d'avocats, le cabinet B., de l'assister et le représenter dans une procédure. En réalité, les choses se présentent différemment. C'est un autre cabinet d'avocats, le cabinet C., lequel est "chargé habituellement des intérêts des consorts A.", qui passe une convention en ce sens avec le cabinet B.. Cette convention comporte une clause compromissoire. Lorsque l'avocat B. présentera une note d'honoraires à M. A. ce dernier, aux fins de la contester, prétendra qu'il ne s'y est pas valablement engagé.

La clause compromissoire est mise en oeuvre. Le tribunal arbitral procède à une condamnation au paiement. M. A. conteste la sentence en soulevant l'argument en vertu duquel, selon son droit national, une clause compromissoire ne serait valablement signée par un mandataire que s'il est titulaire d'un mandat spécial à cet effet. Un tel mandat faisant défaut, il ne serait pas engagé par l'acte signé certes par son mandataire habituel, mais dépourvu du mandat spécial requis.

La cour d'appel de Paris (3) écarte le recours en annulation au motif qu'"en vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage international, l'existence et la validité d'une clause compromissoire sont appréciées, sans référence à une loi nationale, mais uniquement au regard de la volonté des parties de recourir à l'arbitrage, appréciée en fonction des circonstances de la cause".

La Cour de cassation rejette le pourvoi, fidèle en cela à sa position (4) que l'on peut qualifier désormais de classique et traditionnelle. Elle se place délibérément dans un schéma d'application pure et simple de la règle matérielle affirmée par la cour d'appel.

Il est d'ailleurs un peu curieux qu'elle s'abstienne de rappeler la règle avant d'en faire application. De cet oubli, au demeurant modérément critiquable, on pourra déduire que ladite règle matérielle lui semble évidente. Bien plus, cette évidence est telle que la règle est considérée comme relevant d'office de l'ordre arbitral international en sa qualité de l'une des règles matérielles les plus largement admises en la matière.

S'agissant de la mise en oeuvre de cette règle, la Cour de cassation se livre à l'identification et à l'interprétation d'un faisceau d'indices susceptible de qualifier "la volonté des parties en fonction des circonstances de la cause". Elle relève, à cet effet, la constatation de l'arrêt de la cour d'appel selon laquelle :

- 1°/ la convention a été signée par le cabinet d'avocats C. ;

- 2°/ l'avocat B. a adressé un message électronique au contrôleur financier du groupe de M. A. et à M. A. lui-même pour leur soumettre le projet de contrat stipulant la clause compromissoire ;

- 3°/ 35 jours plus tard, ledit contrat, signé par l'avocat A., a de nouveau été envoyé au contrôleur financier du groupe de M. A. et au cabinet d'avocat C. ;

- 4°/ le cabinet C., après l'avoir signé, l'a adressé encore à M. A. et au contrôleur financier ;

- 5°/ de surcroît, ce contrat a été ultérieurement exécuté par les consorts A. qui ont directement donné leurs instructions à l'avocat B. et réglé ses premières factures.

La Cour de cassation en déduit que l'arrêt de la cour a fait ressortir que les consorts A ont eu la volonté de se soumettre à l'arbitrage, que l'exigence de bonne foi pouvait leur être opposée et que les pouvoirs du cabinet C. étant apparents, la croyance de l'avocat A. à l'engagement des consorts A. était légitime.

Cette position de la Cour de cassation est cohérente avec sa jurisprudence antérieure (5) lorsqu'elle décide qu'une société est engagée dans une clause d'arbitrage signée, non par un dirigeant social, mais par le salarié de la société qui est l'interlocuteur du cocontractant. La solution est remarquable. En droit des sociétés en effet, le système des pouvoirs légaux, tel qu'il repose notamment sur la publicité légale de l'identité des "mandataires sociaux", est le seul en vertu duquel la société peut être engagée. La prise en compte de la croyance légitime du tiers en l'engagement compromissoire consenti par un salarié non délégataire d'un tel pouvoir est une exception remarquable au droit des sociétés. Le présent arrêt ajoute une autre exception du même genre.

Cela dit, ce n'est pas une révolution. Il s'agit d'une variante d'un principe plus large de bonne foi dans la formation de la convention d'arbitrage, qui recouvre l'apparence, la bonne foi, la croyance légitime, ou encore l'interdiction de se contredire au détriment des droits d'autrui, ainsi notamment que l'article 1466 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2253IP7) en affirme le principe.

Principe auquel d'ailleurs l'auteur du pourvoi pouvait également s'exposer compte tenu des données de l'espèce ; mais c'eût été à titre surabondant.

Ajoutons qu'avec ce positionnement, le droit de l'arbitrage fait figure de précurseur si l'on veut bien considérer la place de choix que l'ordonnance du 16 février 2016 (ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK) confère à la bonne foi dans la formation du contrat. Pour une fois que la morale contractuelle rejoint l'efficacité économique, personne ne s'en plaindra.


(1) D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, Gualino, 2012, n° 81 s..
(2) Ch. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l'arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, n° 601 s.. ; D. Vidal, Droit français de l'arbitrage interne et international, op. cit., n° 497 s..
(3) CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 24 juin 2014, n° 13/07955 (N° Lexbase : A7651MRS), Rev. arb., 2015, p.515, note S. Akhouad.
(4) Ch. Seraglini et J. Ortscheidt, op. cit., n° 621 : c'est surtout à propos de l'engagement compromissoire d'une société que la solution est régulièrement affirmée : la société est engagée même par une personne qui ne disposerait pas du pouvoir de le faire si l'on se référait à la lex societatis.
(5) Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-16.025, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7357EIC), Rev. arb., 2009, p. 529, note D. Cohen. Adde, D. Cohen, L'engagement des sociétés à l 'arbitrage, Rev. arb., 2006, p. 35.

newsid:452097

Entreprises en difficulté

[Brèves] DNI : possibilité pour le créancier titulaire d'une sûreté réelle de faire procéder à la vente de l'immeuble sur saisie sans autorisation du juge-commissaire

Réf. : Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B (N° Lexbase : A1460RC3)

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N2316BWP

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Le 15 Avril 2016

Si un créancier, titulaire d'une sûreté réelle, à qui la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire est inopposable en application de l'article L. 526-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2000KG8), peut faire procéder à sa vente sur saisie, il ne poursuit pas cette procédure d'exécution dans les conditions prévues par L. 643-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3367ICP), lequel concerne le cas où un créancier se substitue au liquidateur n'ayant pas entrepris la liquidation des biens grevés dans les trois mois de la liquidation et non celui où le liquidateur est légalement empêché d'agir par une déclaration d'insaisissabilité qui lui est opposable. Il en résulte que ce créancier n'a pas à être autorisé par le juge-commissaire pour faire procéder à la saisie de l'immeuble qui n'est pas, en ce cas, une opération de liquidation judiciaire. Telle est la solution énoncée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 avril 2016 (Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, FS-P+B N° Lexbase : A1460RC3). En l'espèce, un débiteur, après avoir fait publier, le 10 mars 2010, une déclaration notariée d'insaisissabilité, a été mis en liquidation judiciaire le 28 juin 2011. Un créancier qui, par un jugement du 6 janvier 2011, avait obtenu la condamnation du débiteur à lui payer une certaine somme pour la mauvaise exécution, en 2008, d'un contrat, a, le 19 juin 2012, inscrit une hypothèque judiciaire sur l'immeuble déclaré insaisissable, puis signifié au débiteur un commandement valant saisie de l'immeuble. La cour d'appel déclare la procédure de saisie immobilière irrecevable et ordonne la radiation du commandement aux fins de saisie immobilière (CA Grenoble, 30 juin 2014, n° 14/00193 N° Lexbase : A3034MS8). Elle retient, en effet, que la circonstance que l'immeuble du débiteur ait fait l'objet, avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, d'une déclaration d'insaisissabilité n'autorise pas le créancier hypothécaire à s'abstenir de saisir le juge-commissaire d'une demande de vente aux enchères publiques en application des dispositions des articles L. 642-18 (N° Lexbase : L7335IZP) et R. 642-22 (N° Lexbase : L9317IC3) et suivants du Code de commerce, auxquelles il ne peut être dérogé. Mais, énonçant la solution précitée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa des articles L. 526-1 et L. 643-2 du Code de commerce (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E4645EUL).

newsid:452316

[Textes] Le cautionnement dans le nouveau Code de la consommation

Réf. : Ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation (N° Lexbase : L0300K7A)

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

Le 14 Avril 2016

S'il est de bon aloi de flatter les parents de nouveau-né et de ne pas leur faire remarquer que leur bambin est disgracieux, tout juriste qui s'intéresse au cautionnement aura bien du mal à respecter cette règle élémentaire de savoir-vivre au sujet du nouveau Code de la consommation, tel qu'il résulte de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, publiée au Journal officiel du et qui entrera en vigueur le 1er juillet 2016. Cette ordonnance a pour origine la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX), plus connue sous l'appellation de loi "Hamon". Elle habilitait le gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour recodifier la partie législative du Code de la consommation (art. 161). L'idée était "d'en aménager le plan et de l'adapter aux évolutions législatives intervenues depuis sa publication, ainsi que d'y inclure des dispositions non codifiées".
L'article 161 de la loi de 2014 précisait expressément que l'ordonnance devrait être prise à droit constant. Il en résulte que les principaux apports de celle-ci sont une refonte du plan du code et une renumérotation complète. Il faut néanmoins signaler l'enrichissement de l'article préliminaire, devenu article liminaire. Ce dernier est beaucoup plus complet que son prédécesseur. D'une part, la définition du consommateur répare l'oubli de la loi "Hamon" : le consommateur est la personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole. Ainsi, les activités agricoles, jusque là absentes du texte, sont réintégrées aux activités professionnelles.
D'autre part, le nouvel article liminaire contient désormais une définition du non-professionnel et du professionnel. La définition du non-professionnel est, au mot près, celle du consommateur, si ce n'est qu'elle concerne la personne morale, et non la personne physique. Le professionnel est, quant à lui, défini comme la personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel.
Ce nouvel article liminaire prête le flanc à certaines critiques. En premier lieu, ainsi que l'a remarqué un auteur, l'énumération des activités professionnelles semble peu judicieuse (1). Une formulation telle que "les activités n'entrant pas dans le cadre d'une activité professionnelle quelconque" aurait certainement été plus appropriée. En deuxième lieu, ces définitions conduisent à écarter complètement la question de savoir si le contrat a ou non un rapport direct avec l'activité professionnelle. Le critère du rapport direct, utilisé un temps par la Cour de cassation, avait certaines vertus. En troisième lieu, sont passés sous silence les contrats à double finalité, c'est-à-dire ceux qui sont conclus à des fins professionnelles et domestiques. Ils semblent exclus de la protection consumériste à la lecture du texte, contrairement au droit de l'Union Européenne (2). Enfin, en quatrième lieu, la démarcation opérée entre consommateur et non-professionnel paraît bien rigide. A lire ce texte, la seule différence entre eux est que le consommateur est une personne physique alors que le non-professionnel est une personne morale. S'il est incontestable que la notion de non-professionnel permet d'appliquer le droit de la consommation à certaines personnes morales (3), il est certainement quelque peu réducteur de limiter la notion aux personnes morales.

Pour en revenir au cautionnement, l'ordonnance du 14 mars 2016 est un festival d'occasions manquées (4). Les anciens textes du Code de la consommation, encore en vigueur jusqu'au 1er juillet 2016, traitant du cautionnement sont principalement les articles L. 313-7 (N° Lexbase : L1523HIA) à L. 313-10 et L. 341-1 (N° Lexbase : L6510ABQ) à L. 341-6 (5). Ces textes organisent les obligations d'information mises à la charge du créancier, les mentions manuscrites nécessaires à la validité du cautionnement, et l'exigence de proportionnalité entre les biens et revenus de la caution et le montant de la garantie. Dans la nouvelle codification, ces dispositions sont devenues l'objet des articles L. 314-15 (N° Lexbase : L1204K7Q) à L. 314-18, L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) à L. 331-3, L. 332-1 (N° Lexbase : L1162K78), L. 333-1 (N° Lexbase : L1161K77) à L. 333-2, et L. 343-1 (N° Lexbase : L1106K74) à L. 343-6.

La réforme suscite des doutes quant à la forme retenue (I) et des regrets quant au fond (II).

I - Les doutes quant à la forme

Dans le livre III du nouveau Code de la consommation, sobrement intitulé "crédit", l'ordonnance a fait le choix de détacher les règles et les sanctions. Ainsi, les trois premiers titres énoncent les règles, respectivement relatives aux opérations de crédit, à l'activité d'intermédiaire et au cautionnement. Enfin, le titre 4 énumère les sanctions, en reprenant comme subdivisions internes les opérations de crédit, l'activité d'intermédiaire et le cautionnement, comme autant de chapitres.

Cette méthode n'est guère judicieuse. Il est en effet possible de lui adresser trois reproches (6).

D'abord, les textes relatifs aux sanctions sont contraints de procéder systématiquement par renvois : "les dispositions de l'article L. [XXX-XX] sont sanctionnées par [...]" ou "sont prévues à peine de [...]" deviennent les tournures de phrase les plus usitées du code.

Ensuite, une telle méthode oblige le lecteur à d'incessants allers-retours entre les textes relatifs à la règle et ceux relatifs à la sanction. Le praticien apprendra qu'il a telle obligation, ou telle interdiction, mais devra se reporter à des dispositions situées bien plus loin pour connaître la sanction encourue. Enfin, cette méthode aboutit à des répétitions qui frisent le ridicule. C'est ainsi qu'il existe désormais des doublons dans le Code de la consommation. Par exemple, les articles L. 332-1 et L. 343-4, relatifs à l'exigence de proportionnalité du cautionnement sont identiques, à la virgule près ! Il en est de même des articles L. 331-3 et L. 343-3, qui concernent l'obligation de limiter le montant du cautionnement solidaire.

Bien évidemment, ce ne sont pas les critiques les plus graves que l'on peut adresser à l'ordonnance du 14 mars, car les défauts de forme sont tout de même moins lourds de conséquences que les problèmes de fond. Il n'en demeure pas moins que l'ordonnance avait pour mission d'"améliorer la cohérence rédactionnelle des textes" (loi du 17 mars 2014, art. 161). Un soin particulier apporté à la forme eut donc été appréciable.

II - Les regrets quant au fond

Les regrets quant au fond sont plus nombreux. Certes, l'ordonnance devait être prise à droit constant, aux termes de la loi d'habilitation. Cela pourrait laisser penser que les rédacteurs de l'ordonnance n'avaient pas le choix, et ne disposaient d'aucune marge de manoeuvre quant au fond.

Néanmoins, cette même loi d'habilitation énonçait que l'ordonnance devait "améliorer la cohérence rédactionnelle des textes, [...] remédier aux erreurs et insuffisances de codification et abroger les dispositions obsolètes ou devenues sans objet". Une certaine latitude était ainsi laissée à l'ordonnance. Elle n'a pas su en profiter.

Le "raté" le plus évident de la recodification est le maintien des textes relatifs au cautionnement dans les dispositions communes au crédit à la consommation et au crédit immobilier (C. consom., art. L. 314-15 N° Lexbase : L1204K7Q à L. 314-18, reprenant les anciens art. L. 313-7 N° Lexbase : L1261K7T à L. 313-10). Ces textes sont antérieurs à la loi "Dutreil" du 1er août 2003 (loin° 2003-721 d'initiative économique N° Lexbase : L3557BLC) et ont un domaine d'application limité aux crédits réglementés par le Code de la consommation. La loi "Dutreil" ayant repris ces dispositions, mais en élargissant leur domaine (C. consom., art. L. 341-2 N° Lexbase : L5668DLI et s., devenus L. 331-1 N° Lexbase : L1165K7B et s.), la question de l'opportunité de leur maintien se pose. Il serait concevable de penser que ces textes ont subi une sorte d'abrogation par absorption : ils sont en effet englobés dans des textes identiques, mais d'application plus étendue. La recodification était donc le moment idéal pour effacer cette erreur, et alléger l'arsenal juridique français de quatre articles devenus inutiles.

Par ailleurs, la recodification était l'occasion d'aller plus loin, même si cela devait entraîner l'ordonnance aux frontières de son habilitation. Procédons par ordre, en allant du plus simple et évident, au plus complexe.

La recodification était l'occasion de corriger la sanction, erronée, de l'obligation d'information annuelle de la caution incombant au créancier. En effet, l'ancien article L. 341-6 (N° Lexbase : L5673DLP), devenu l'article L. 333-2 (N° Lexbase : L1160K74), oblige le créancier professionnel à informer, avant le 31 mars de chaque année, du montant de la dette restant due au 31 décembre de l'année précédente. La sanction, reprise par le nouvel article L. 343-6 (N° Lexbase : L1101K7W), est la décharge de la caution des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information. Cette sanction procède d'une erreur : l'information n'est pas subordonnée à une défaillance du débiteur principal. Même si ce dernier s'est parfaitement acquitté des échéances de sa dette, le créancier sera tenu d'informer la caution. Or, il n'y aura pas, en pareille hypothèse, de pénalités et intérêts de retard. La sanction consistera alors en la décharge de quelque chose qui n'existe pas...

La recodification était également l'occasion d'améliorer la lettre des anciens articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7), devenus L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) et L. 331-2 (N° Lexbase : L1164K7A). Dans l'absolu, leur abrogation pure et simple est sans doute la meilleure solution (7). Néanmoins, cette solution ne semble pas avoir séduit le législateur. A défaut d'abrogation, il aurait au moins été judicieux de réécrire ces textes, afin de les rendre plus opérationnels. Ainsi, il aurait été utile de préciser que la mention apposée dans l'acte n'a pas à être rigoureusement identique au modèle légal, dès l'instant que ni le sens, ni la portée de l'engagement ne sont affectés (8). De même, il aurait été opportun de supprimer la disposition de l'article L. 331-1 qui énonce "et uniquement de celle-ci". En effet, comment ce texte peut-il exiger que la mention qu'il édicte soit la seule reproduite dans le contrat, quand le texte suivant (C. consom., art. L. 331-2) impose une autre mention en cas de cautionnement solidaire ? Il y a ici une absurdité criante.

Sur le même sujet, la recodification était, en outre, l'occasion de préciser la sanction du défaut de mention manuscrite relative à la solidarité. Il est connu que la Cour de cassation a décidé que ce défaut devait être sanctionné par la nullité de la seule stipulation de solidarité, le cautionnement demeurant valable (9). L'ancien article L. 341-3 disposant que la mention est requise à peine de nullité de l'engagement, cette sanction, fort souple, n'allait pas de soi. Le nouvel article L. 343-2 énonce que la mention manuscrite relative à la solidarité est "prévue à peine de nullité". Une telle formulation permettra-t-elle à la Cour de cassation de maintenir sa jurisprudence ? Faut-il y voir une volonté du législateur d'aboutir à la nullité du cautionnement dans son intégralité ? La seule certitude que l'on puisse avoir, c'est que l'on n'en a aucune!

La recodification était enfin l'occasion de rapatrier les nouveaux articles L. 331-1, L. 331-2 et L. 332-1 (C. consom., art. L. 341-2 à L. 341-4) dans le Code civil. La jurisprudence a, en effet, précisé que ces textes ne concernaient pas que les cautions profanes. Un dirigeant social, qui se porte caution des dettes de son entreprise, peut profiter des dispositions relatives aux mentions manuscrites et à la proportionnalité, dès l'instant qu'il est une personne physique (10). Pourquoi, dans ces conditions, maintenir ces textes dans le Code de la consommation ?

Au final, la recodification du Code de la consommation laisse le même sentiment que la réforme du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH) : celui que le cautionnement, pourtant sûreté la plus utilisée en droit français, est toujours le grand absent, le laissé pour compte des réformes.


(1)Y. Picod, Droit de la consommation, Sirey, 3ème éd., 2015, n° 35.
(2) La Directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs (N° Lexbase : L2807IRE), précise qu'en "cas de contrats à double finalité, lorsque le contrat est conclu à des fins qui n'entrent qu'en partie dans le cadre de l'activité professionnelle de l'intéressé et lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu'elle n'est pas prédominante dans le contexte global du contrat, cette personne devrait également être considérée comme un consommateur" (considérant 17).
(3) Cass. civ. 1, 15 mars 2005, n° 02-13.285, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2950DHQ), D., 2005, 1948, note A. Boujeka ; JCP éd. E, 2005, 769, note D. Bakouche.
(4) Ce qui était déjà le cas en 2006 : Ph. Simler, "2006, une occasion manquée pour le cautionnement", JCP éd. N, 2016.
(5) Si l'on exclut les textes calquant le sort de la caution sur celui de l'emprunteur lors de la conclusion du contrat de crédit (par exemple, C. consom., art. L. 311-11 N° Lexbase : L8197IMK ou C. consom., art. L. 312-7 N° Lexbase : L6769ABC et s.).
(6) En laissant de côté la question du nombre de textes : 16 nouveaux articles contre 10 actuellement. Pour une recodification à droit constant censée simplifier le droit, c'est plutôt étonnant.
(7) Nos obs., Lexbase, éd. privée, 2011, n° 442, (N° Lexbase : N2752BSQ), note sous Cass. com., 5 avril 2011, deux arrêts, n° 09-14.358, FS-P+B (N° Lexbase : A3426HN9) et n° 10-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A3424HN7) ; G. Piette et J. Lasserre-Capdeville, Portée des mentions manuscrites requises de la part de la caution, D., 2013, p. 1460.
(8) Cela ne serait qu'une prise en considération de la jurisprudence récente.
(9) Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-10.699, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0443G7K), D., 2011, p. 1193, note Y. Picod ; nos obs., Lexbase, éd. affaires, 2011, n° 246 (N° Lexbase : N9497BR8) ; Cass. com., 10 mai 2012, n° 11-17.671, F-P+B (N° Lexbase : A1210ILE).
(10) S'agissant des mentions manuscrites, Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-26.630, FS-P+B (N° Lexbase : A5284IAX), RTDCom., 2012, p. 177, obs. D. Legeais ; RD banc. fin., mars 2012, p. 45, obs. A. Cerles ; Rev. sociétés, mai 2012, p. 286, obs. I. Riassetto. S'agissant de la proportionnalité, Cass. com., 13 avril 2010, n° 09-66.309, F-D (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 22 juin 2010, n° 09-67.814, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2722E39), D., 2010, p. 1985, note D. Houtcieff, RTDCiv., 2010, p. 593, obs. P. Crocq, RTDCom., 2010, p. 552, obs. C. Champaud et D. Danet, RD banc. fin., septembre-octobre 2010, n° 172, obs. D. Legeais, V. Téchené, Lexbase, éd. privée, 2010, n° 404 (N° Lexbase : N6432BPW) ; Cass. com., 19 octobre 2010, n° 09-69.203, F-D (N° Lexbase : A4348GCZ), RLDC, décembre 2010, p. 33, obs. J.-J. Ansault ; Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-16.355, F-D (N° Lexbase : A8216IQD) et Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-20.192, F-D (N° Lexbase : A8174IQS), Gaz. Pal., 20 septembre 2012, p. 20, obs. Ch. Albigès.

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Licenciement

[Jurisprudence] L'obligation de l'employeur en matière de reclassement d'un salarié protégé après un refus d'autorisation de licenciement

Réf. : CE, 4° et 5° s-s-r., 23 mars 2016, n° 386108, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7142Q9E)

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par Samuel Deliancourt, premier conseiller, Rapporteur public, cour administrative d'appel de Marseille, Ecole de droit - Centre Michel de l'Hospital EA n° 4232 - Université d'Auvergne

Le 14 Avril 2016

Un employeur n'est pas tenu, au titre de son obligation de reclassement, d'adresser à nouveau au salarié, avant de présenter une seconde demande d'autorisation de licenciement après que la première a été refusée, les propositions de reclassement encore valides qu'il lui a déjà faites avant de présenter sa première demande d'autorisation de licenciement et que le salarié a refusées. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 23 mars 2016. La SA Sotralentz Packaging, qui est une société de fabrication spécialisée dans l'emballage industriel, a sollicité le 27 décembre 2010 l'autorisation de licencier pour motif économique M. D. qui exerçait les fonctions de délégué du personnel suppléant. Un premier refus lui a été opposé le 23 février 2011, au motif que la consultation du comité d'entreprise était entachée d'un vice substantiel. La société a déposé le 18 mars 2011 une nouvelle demande et a essuyé un nouveau refus le 16 mai 2011. Elle a introduit un recours hiérarchique auprès du ministre du Travail, lequel, par décision du 17 novembre 2011, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et lui a accordé l'autorisation sollicitée. Le salarié protégé a contesté cette décision ministérielle devant le tribunal administratif de Strasbourg (1), qui a rejeté sa demande d'annulation par jugement du 15 octobre 2013. En appel, la cour administrative d'appel de Nancy a, par arrêt lu le 30 septembre 2014, fait droit aux conclusions du salarié en annulant le jugement et la décision ministérielle (2) au motif que l'employeur avait méconnu ses obligations de reclassement en n'adressant à celui-ci aucune nouvelle offre de reclassement, en France ou à l'étranger, malgré un délai de plus de cinq mois écoulé depuis les dernières propositions faites. En cassation, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt du 23 mars 2016, annule cet arrêt pour erreur de droit et renvoie l'affaire devant la cour au motif que cette dernière ne pouvait déduire "cette méconnaissance des obligations de reclassement du seul écoulement du temps entre les deux demandes, alors que cette circonstance n'était pas, à elle seule, de nature à établir qu'à la date à laquelle le ministre a autorisé le licenciement, la recherche, par l'employeur, des possibilités de reclassement n'était pas complète". Cette décision précise les obligations à la charge de l'employeur s'agissant du reclassement d'un salarié protégé faisant suite à une première décision de refus d'autorisation de licenciement.
Résumé

Un employeur n'est pas tenu, au titre de son obligation de reclassement, d'adresser à nouveau au salarié, avant de présenter une seconde demande d'autorisation de licenciement après que la première a été refusée, les propositions de reclassement encore valides qu'il lui a déjà faites avant de présenter sa première demande d'autorisation de licenciement et que le salarié a refusées.

I - Le contrôle, par l'administration, du travail de la régularité et du bien-fondé de la procédure de licenciement à l'égard d'un salarié protégé

Un salarié protégé ne peut être licencié que si l'employeur a préalablement obtenu l'autorisation de la part de l'administration du travail (3), lequel doit se prononcer dans un délai de quinze jours (4), mais ce délai n'est pas à peine de nullité (5) et une décision implicite de rejet ne naît pas à l'expiration de ce délai (6), mais seulement au bout d'un délai de deux mois, par exception au principe selon lequel le silence vaut acceptation. L'inspecteur du travail, sous le contrôle éventuel du juge administratif, est tenu de vérifier que l'employeur s'est conformé à l'ensemble de ses obligations légales et conventionnelles. Il doit, à cet effet, contrôler la régularité de la procédure préalable à sa saisine (7), et notamment la tenue et la régularité de l'entretien préalable au licenciement du salarié (8), qui est une formalité prévue dans le seul intérêt des salariés (9) au cours duquel l'employeur doit indiquer les motifs de la décision envisagée (10) et recueillir les explications du salarié (11), ainsi que la convocation et la consultation des membres du comité d'entreprise (12). Il vérifie la succession de ces deux procédures, puisque l'entretien doit, à peine d'irrégularité (13), précéder la consultation du comité d'entreprise (14) avant que ne soit saisi l'inspecteur du travail (15), ainsi que le respect des délais imposés par le Code du travail entre les consultations et la saisine de l'inspecteur du travail (16). De telles irrégularités sont opérantes à l'appui de la contestation de l'autorisation de licenciement délivrée par l'administration du travail (17). En revanche, elles ne le seront pas devant le juge du contrat du travail, ce dernier n'étant pas compétent pour apprécier la régularité de la procédure avant l'autorisation délivrée en vertu du principe de la séparation des pouvoirs (18). Une fois l'autorisation accordée, l'inspecteur du travail ne peut plus apprécier la régularité de la procédure suivie après. Par exemple, l'irrégularité affectant la lettre de licenciement, laquelle est au surplus postérieure à la décision d'autorisation, est sans incidence sur la légalité de cette dernière (19).

L'inspecteur du travail doit également contrôler les éléments de fond, comme le motif économique invoqué, sauf hypothèse de cessation totale et définitive d'activité de l'entreprise (20) ou lorsqu'une entreprise est placée en période d'observation dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire (21), ou que l'employeur a bien satisfait à son obligation de recherche de reclassement des salariés protégés dans le périmètre requis (établissement, société puis groupe), la manière dont elle a été remplie, c'est-à-dire qu'elle doit avoir été faite de manière loyale et sérieuse et que les propositions éventuellement faites au salarié répondent aux exigences posées par l'article L. 1233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L2149KGP).

II - La recherche des possibilités de reclassement par l'employeur au sein du groupe

En vertu de l'article L. 1233-4 du Code du travail, "le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient [...]". Il s'agit d'une obligation de moyens renforcée (22). La recherche des possibilités de reclassement par l'employeur doit se faire au niveau de l'entreprise, puis, s'il existe, au niveau du groupe. Dans l'arrêt du 9 mars 2016, "Société Etudes technique Ruiz", le Conseil d'Etat, se ralliant à la position de la Cour de cassation (23), précise cette dernière notion, laquelle est autonome de celle du Code du commerce : "il résulte de l'article L. 1233-4 du Code du travail que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à l'obligation qu'il pose, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel" (24). Le groupe n'est pas celui défini par le Code de commerce (25), ni par la notion de contrôle (26). Le critère qui importe et qui doit fonder l'appréciation est celui tiré de la "permutabilité de l'emploi" (27). L'autorité administrative, tout comme l'employeur, doivent ainsi faire porter leur examen sur les entreprises du groupe dont les activités ou l'organisation offrent à l'intéressé la possibilité d'exercer des "fonctions comparables" (28) ou des "emplois équivalents au sein du groupe auquel elle appartient" (29). Le contrôle de la part de l'administration, comme celui des juridictions en cas de litige, est concret : le seul fait qu'existe un groupe, par exemple, en raison d'activités comparables et de dirigeants communs, ne suffit pas, il est nécessaire de vérifier si les relations entre ces sociétés sont ou non de nature à permettre la permutation de personnels et si le salarié protégé, dont l'autorisation de licenciement est sollicitée, aurait pu être reclassé.

III - Les propositions écrites et précises faites par l'employeur en cas de licenciement pour motif économique

La recherche de possibilité de reclassement d'un salarié de la part de son employeur dans le cadre d'un licenciement pour motif économique doit présenter un caractère préalable, effectif, loyal et sérieux (30). Une fois que ces recherches ont été effectuées et qu'un délai suffisant de réponse a été laissé aux sociétés du groupe interrogées, l'employeur doit, lorsque c'est possible, faire des propositions aux salariés. L'article L. 1233-4 du Code du travail, relatif au licenciement pour motif économique, prévoit que le reclassement du salarié doit s'effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites (31) et précises. "Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation de rechercher les possibilités de reclassement du salarié dans l'entreprise, l'autorité administrative ne peut prendre en compte que les propositions écrites de l'employeur" (32). C'est ainsi que dans l'affaire commentée, des offres avaient été faites à M. D. dans le cadre de la procédure dont il faisait l'objet. Quelles offres aurait dû lui faire son employeur à la suite du refus opposé par l'inspecteur du travail à sa première demande d'autorisation ? La légalité de la décision de l'inspecteur du travail, s'agissant notamment de la vérification que l'employeur n'a pas manqué à son obligation de recherche de reclassement, s'apprécie à la date de la décision contestée.

IV - La date d'appréciation de la légalité de la décision

Le Conseil d'Etat juge, dans l'arrêt présentement commenté du 23 mars 2016, que "si, après qu'une première demande d'autorisation de licenciement d'un salarié a été refusée par l'administration, celle-ci est à nouveau saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licencier le même salarié, il lui appartient d'apprécier cette nouvelle demande compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle elle prend sa nouvelle décision". Toute autorité administrative doit, en effet, statuer en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle elle se prononce. Lorsque le ministre du Travail annule la décision de l'inspecteur du travail dans le cadre d'un recours hiérarchique, comme c'était le cas en l'espèce, il doit prendre en considération des éléments de droit et de fait à la date à laquelle il se prononce : "lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler, puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision" (33). Il en va de même qu'il s'agisse d'un recours gracieux devant l'inspecteur du travail, d'un recours en annulation devant le tribunal administratif territorialement compétent, puisque, dans un litige pour excès de pouvoir, le juge administratif se placera à la date de la décision querellée pour apprécier sa légalité, ainsi que lorsque plusieurs demandes d'autorisation se succèdent.

V - A quel moment l'employeur doit-il reprendre la procédure ?

Dans la présente affaire, le premier refus opposé par l'inspecteur du travail était fondé sur un vice de procédure lors de la consultation du comité d'entreprise. Une annulation d'une autorisation de licenciement comme un refus d'autorisation de la part de l'inspecteur du travail comme du ministre du Travail n'oblige jamais l'employeur à déposer une nouvelle demande. Mais s'il le fait, doit-il reprendre l'ensemble de la procédure ?

En droit administratif général, lorsqu'une décision administrative fait l'objet d'une annulation contentieuse, l'administration peut reprendre la procédure en purgeant le vice dont celle-ci était affectée, sans avoir, en principe, à reprendre l'ensemble de la procédure (34). Qu'en est-il s'agissant de la procédure interne (et donc non administrative) à l'entreprise dans le cadre d'une procédure de licenciement d'un salarié protégé ? La situation est identique. Le Conseil d'Etat juge ainsi que, "lorsqu'une de ses décisions est annulée par une juridiction, l'autorité administrative n'est pas tenue, avant de se prononcer à nouveau, de reprendre les éléments de la procédure qui n'ont pas été affectés par des changements dans les circonstances de fait ou de droit" (35). Il en va de même lorsque l'employeur retire sa demande ou après un refus opposé par l'inspecteur du travail pour un vice, comme c'était le cas en l'espèce.

S'agissant de l'entretien préalable, le Conseil d'Etat avait d'abord admis qu'il n'était pas nécessaire de convoquer de nouveau le salarié protégé dès lors qu'un bref délai séparait les deux demandes d'autorisations, à condition que celles-ci soient toutes deux fondées sur le même motif (36). Mais si la seconde demande d'autorisation est motivée par un autre motif que la première demande déposée et annulée, refusée ou retirée, un nouvel entretien sera nécessaire, quand bien même un bref délai séparerait les deux (37), ce qui est logique puisque l'entretien doit aborder le motif du licenciement envisagé. La Haute juridiction a, par la suite, précisé sa position avec l'arrêt du 19 septembre 2014, "Cezilly-Guichard" (38). Désormais, peu importe le délai qui s'est écoulé entre les deux demandes d'autorisation (deux ans dans cette affaire) fondées sur un même motif, dès lors qu'il n'y a pas eu de changements de circonstances de droit ou de fait. Dans ce cas, l'employeur n'est pas tenu de procéder à un nouvel entretien du salarié. Cette position s'inspire directement de la position de la jurisprudence administrative concernant l'édiction des actes administratifs pour lesquels une consultation, même donnée plusieurs années avant la décision prise, reste valide en l'absence de changement de circonstance (39).

Dans le même ordre d'idée, le comité d'entreprise n'a pas à être de nouveau consulté dès lors que le motif de la demande reste inchangé et en l'absence de circonstance de droit ou de fait nouvelle. C'est d'ailleurs ce qu'avait jugé le tribunal administratif de Strasbourg en première instance, même si la brièveté du délai n'est plus un élément pertinent d'appréciation : "eu égard à la brièveté du délai écoulé entre les deux demandes d'autorisation de licenciement et au fait que ces deux demandes étaient fondées sur le même motif, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, ni même n'est alléguée par M. D., qu'existerait entre ces deux demandes une modification de la situation économique de l'entreprise, l'employeur n'était pas tenu de solliciter à nouveau l'avis du comité d'entreprise sur le projet de licenciement pour motif économique et sur la suppression d'un poste, alors que celui-ci avait donné un avis lors de la réunion du 30 juillet 2010".

Il en va de même s'agissant de l'enquête contradictoire que doit mener en principe l'inspecteur du travail (40). Ce dernier serait, en revanche, tenu d'entendre de nouveau le salarié s'agissant d'un licenciement pour motif personnel fondé, par exemple, sur des griefs postérieurs.

Qu'en est-il de la recherche des possibilités de reclassement par l'employeur ?

VI - L'appréciation des possibilités de reclassement du salarié par l'employeur

L'arrêt du 23 mars 2016 apporte des précisions utiles sur l'obligation de reclassement pesant sur l'employeur.

Tout d'abord, les offres de reclassement doivent être faites à compter du moment où le licenciement est envisagé, selon la formule consacrée par les textes et reprise par les juridictions. Les questions de savoir quand débute cette période tout comme la date à laquelle elle se termine sont intéressantes en droit. Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, les recherches comme les offres doivent être faites avant la notification du licenciement (41) : les possibilités de reclassement doivent être appréciées antérieurement à la date du licenciement, à compter du moment où le licenciement est envisagé (42). Pour les salariés protégés, le Conseil d'Etat a posé comme principe, dans l'arrêt du 3 juillet 2013, "Letavernier", que "les possibilités de reclassement dans l'entreprise, et éventuellement au sein du groupe, s'apprécient antérieurement à la date d'autorisation du licenciement, à compter du moment où celui-ci est envisagé ; que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation de rechercher les possibilités de reclassement du salarié, des propositions de postes faites par l'employeur ne peuvent être prises en compte qu'à la condition que le salarié ait connaissance que de telles offres, faites par l'employeur au cours de cette période, le sont dans le cadre du reclassement prévu par l'article L. 1233-4 du Code du travail" (43). La recherche comme les propositions doivent être faites dans ce laps de temps, ce qui semble induire que la demande d'autorisation déposée auprès de l'inspection du travail ne dispense pas l'employeur de poursuivre ses recherches et de proposer des offres au salarié concerné jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail, qui appréciera, à cette date, si l'employeur a bien satisfait à son obligation (44).

Ensuite, l'inspecteur du travail, saisi une nouvelle fois par l'employeur, doit vérifier que l'employeur a bien satisfait à ses obligations des recherches des possibilités de reclassement. A cet effet, il doit prendre en compte les changements des circonstances survenus postérieurement au premier refus. On pourrait, en effet, imaginer cette obligation non satisfaite si un poste correspondant au profil du salarié protégé a été ouvert et pourvu entre la première décision de refus et la date à laquelle l'inspecteur du travail se prononce.

Reste, enfin, à apprécier si l'employeur doit, à peine de vicier la procédure, de nouveau proposer au salarié protégé les offres qui lui avaient été déjà faites dans le cadre de la première procédure ayant abouti à un refus. La cour administrative d'appel de Nancy avait jugé que oui, et s'était fondée sur ce motif pour annuler la décision du ministre, comme le jugement attaqué : "l'employeur a transmis à M. D., le 26 août 2010, une offre de reclassement à l'étranger et, le 8 octobre 2010, trois offres de reclassement en France, que l'intéressé a refusées ; que, à la suite d'un premier refus de l'inspecteur du travail, en date du 23 février 2011, d'autoriser le licenciement, la société Sotralenz a présenté, le 18 mars 2011, une nouvelle demande d'autorisation de licenciement ; qu'il est constant que, se fondant sur les premiers refus opposés par l'intéressé, l'employeur n'a adressé aucune nouvelle offre de reclassement, en France ou à l'étranger, à M. D., alors qu'un délai de plus de cinq mois s'était écoulé depuis les dernières propositions ; que, par suite, M. D. est fondé à soutenir que l'employeur a méconnu ses obligations de reclassement". Le Conseil d'Etat censure cette motivation pour erreur de droit. Il estime au contraire, et ce, dans la logique découlant de l'absence de nécessité de reprendre la procédure dans son ensemble une fois le vice purgé, que l'employeur n'est nullement tenu de proposer de nouveau au salarié les offres qui lui avaient déjà été faites et qu'il avait déjà refusées dans le cadre de la première demande d'autorisation : "l'employeur n'est, en revanche, pas tenu, au titre de cette obligation, d'adresser à nouveau au salarié, avant de présenter cette seconde demande, celles des propositions de reclassement encore valides qu'il avait déjà faites au salarié avant de présenter sa première demande d'autorisation de licenciement et que ce dernier aurait refusées". Le seul fait que plusieurs mois se soient écoulés entre les deux procédures ne suffit pas à justifier que l'employeur aurait méconnu son obligation. Cependant, le salarié pourrait reprocher à son employeur de ne pas avoir poursuivi ses recherches dans le cadre de la deuxième procédure d'autorisation de licenciement s'il s'avère que, à la date de la seconde décision de l'inspecteur du travail, des postes auraient dû lui être proposés, étant précisé que les possibilités de reclassement s'apprécient antérieurement à la date d'autorisation du licenciement, sans que puissent être prises en compte les propositions qui seraient faites postérieurement à cette décision (45). Mais il n'y aura pas de manquement à l'obligation de reclassement si l'employeur est capable de justifier de l'absence de poste disponible à l'époque du licenciement dans l'entreprise ou, s'il y a lieu, dans le groupe auquel elle appartient (46).


(1) CE 5° et 3° s-s-r., 11 mars 1998, n° 120017, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6551ASG).
(2) CAA Nancy, 30 septembre 2014, n° 13NC02257 (N° Lexbase : A1636NAT).
(3) C. trav., art. L. 2411-1 (N° Lexbase : L1932KIE) et s..
(4) C. trav., art. R. 2421-4 (N° Lexbase : L0057IAD). Ce délai est réduit à huit jours en cas de mise à pied du salarié protégé.
(5) Par ex., CE, 10° et 7° s-s-r., 17 novembre 1986, n° 60219, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7178AMS).
(6) CE, 4° s-s., 22 février 1988, n° 73747, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8748APP).
(7) Voir Cass. soc., 30 avril 1997, n° 94-45.418 (N° Lexbase : A1680AC9), Bull. civ. V, n° 149, p. 108 ; Dr. soc., 1997, p. 645.
(8) Par ex., CE contentieux, 12 octobre 1990, n° 99640, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6102AQ3) (irrégularité de la lettre de convocation à l'entretien préalable).
(9) Cass. soc., 19 mai 1991, n° 89-44.670 (N° Lexbase : A9485AAK), Bull. civ. V, n° 235, p. 143 ; Dr. soc., 1991, p. 513.
(10) Voir CE, 4° et 5° s-s-r., 19 mars 2008, n° 289433, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5024D79), rec. tables, p. 954 ; CE, 4° s-s., 11 juin 2014, n° 365135, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6709MQK), RJS 11/14, n° 795.
(11) Par ex., Cass. soc. 14 novembre 1985, n° 82-42.582 (N° Lexbase : A5891AAG), Bull. civ. V, n° 538, p. 591.
(12) Par ex., CE contentieux, 18 octobre 1991, n° 83934, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0508ARA), rec. tables, p. 1229 (procédure irrégulière pour absence de convocation du salarié devant le comité d'entreprise) ; CE contentieux, 24 mai 1991, n° 68272, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1689ARY) (irrégularité en raison de l'absence de convocation régulière des membres du comité d'entreprise).
(13) Par ex., CE, 6° s-s., 5 juin 1987, n° 69014, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3789APZ), rec. tables, p. 78 ; CE contentieux, 30 novembre 1998, n° 173491, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9092ASK).
(14) C. trav., art. R. 2421-8 (N° Lexbase : L0048IAZ).
(15) Voir C. trav., art. R. 2421-3 (N° Lexbase : L0060IAH).
(16) Voir C. trav., art. R. 2421-14 (N° Lexbase : L0032IAG). Hypothèse de la faute grave et de mise à pied du salarié. Voir, CE, 6° et 2° s-s-r., 16 janvier 1987, n° 65315, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3580APB), rec. tables, p. 978 (appréciation de la brièveté du délai écoulé entre la délibération du comité d'entreprise et l'envoi de la demande d'autorisation de licenciement).
(17) Par ex., CE, 6° s-s., 7 mars 1986, n° 39277, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5589AMX) ; CE, 6° s-s., 5 juin 1987, n° 76589, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3804APL), rec. tables, p. 978 ; CE, 3 avril 1991, n° 107079, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1403ARE) (entretien après la consultation du comité d'entreprise).
(18) Par ex., Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-40.071, FS-P (N° Lexbase : A5232DCR), Bull. civ. V, n° 159, p. 150 ; RJS, 2004, n° 904.
(19) CE contentieux, 2 juin 1993, n° 107508, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1793ANQ), rec. tables, p. 1068.
(20) CE, 4° et 5° s-s-r., 8 avril 2013, n° 348559, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7203KBE), rec. p. 59 ; RDT, 2013, p. 394, concl. G. Dumortier ; AJDA, 2013, p. 769 ; CE, 4° et 5° s-s-r., 22 mai 2015, n° 375897, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5581NIK). En cas de transfert partiel en raison de la cession d'une partie des actifs, voir CE, 4° et 5° s-s-r., 27 janvier 2016, n° 386656, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5061PKN). En cas de reprise de l'activité, voir CE, 4° et 5° s-s-r., 22 mai 2015, n° 371061, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5573NIA). Voir M. Gadrat, Le contrôle administratif du licenciement d'un salarié protégé fondé sur la cessation d'activité, Dr. soc., 2015, p. 602.
(21) CE, 4° et 5° s-s-r., 3 juillet 2013, n° 361066, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4596KI3). Cette absence d'appréciation est fondée sur la procédure mise en place par laquelle le législateur a entendu que, pendant cette période d'observation, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes soient examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire.
(22) Voir B. Lardy-Pélissier, L'obligation de reclassement, D., 1998, Chron., p. 399 ; Ph. Waquet, La cause économique du licenciement, Dr. soc., 2000, p. 168 ; F. Géa, Licenciement pour motif économique : l'obligation générale de reclassement, RJS, 2000, p. 511.
(23) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, (N° Lexbase : A4018AA3).
(24) CE 4° et 5° s-s-r., 9 mars 2016, n° 384175, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5428QYP) et les obs. de Ch. Radé, A propos du reclassement au sein du "groupe" des salariés licenciés pour motif économique : quand le Conseil d'Etat adopte la définition de la Cour de cassation, Lexbase, éd. soc., n° 648, 2016 (N° Lexbase : N1900BWB).
(25) Voir, par ex., CAA Marseille, 26 juin 2012, n° 11MA01780 (N° Lexbase : A4007IRT).
(26) C. com., art. L. 233-3 (N° Lexbase : L5817KTM) et s.. Voir, par ex., CAA Marseille, 18 décembre 2012, n° 11MA03306 (N° Lexbase : A5357KIA) et nos obs., JCP éd. S, 2013, n° 1125.
(27) Par ex., Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.535 (N° Lexbase : A2438DZC).
(28) CE, 8° et 3° s-s-r., 17 novembre 2000, n° 206976, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9603AH7), rec. p. 523; CE, 8° et 3° s-s-r., 17 novembre 2000, n° 208993, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9613AHI) ; CE, 8° et 3° s-s-r., 31 janvier 2001, n° 198352, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4535AQZ) ; CE, 8° s-s., 28 janvier 2004, n° 225435, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2191DBR).
(29) CE, 4° s-s., 12 janvier 2011, req. n° 327191, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8734GP8).
(30) Par ex., Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 07-45.584, F-D (N° Lexbase : A7237EIU).
(31) La Cour de cassation vient de préciser que, s'agissant des licenciements motivés par l'inaptitude du salarié, les propositions de reclassement n'ont pas à être faites par écrit en l'absence de dispositions en ce sens : Cass. soc., 31 mars 2016, n° 14-28.314, FS-P+B (N° Lexbase : A1501RB9).
(32) CE, 4° et 5° s-s-r., 3 juillet 2013, n° 342477, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4562KIS), rec. tables, p. 866 ; AJDA 2013, p. 1838.
(33) CE, 4° et 5° s-s-r., 5 septembre 2009, n° 303992, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1008EAL), rec. p. 319.
(34) CE, 24 février 1956, rec. tables, p. 735.
(35) CE, 1° s-s., 16 mars 1988, n° 65103, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8907APL).
(36) CE, 1° et 4° s-s-r., 24 octobre 1984, n° 40555, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5628ALZ), rec. tables, p. 763 ; CE contentieux, 12 février 1988, n° 55446, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7981APB), rec. tables, p. 1053 ; CE, 1° et 4° s-s-r., 13 novembre 1991, n° 91226, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2817ARR) (deux demandes présentées à un mois d'intervalle).
(37) CAA Bordeaux, 18 novembre 2004, n° 03BX00355 (N° Lexbase : A8533DER), RJS, 2005, n° 295.
(38) CE, 4° et 5° s-s-r., 19 septembre 2014 n° 362660, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8595MWA), rec. tables, p. 810-819 ; Dr. soc., 2015, p. 25, concl. G. Dumortier ; RJS, 2014, n° 874.
(39) Par exemple, s'agissant d'un délai de dix ans écoulé : CE, 6° et 2° s-s-r., 27 février 1998, n° 182760, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6463AS8) ; RDImm. 1998, p. 199, obs. Y. Jégouzo et F. Jamay. Pour un exemple, voir CE, 4° et 1° s-s-r., 22 juin 1992, n° 96473, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7075ARH).
(40) Par ex., CE, 4° et 1° s-s-r., 16 mars 1988, n° 65103, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8907APL) ; CE, 4° et 1° s-s-r., 12 octobre 1990, n° 80533, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8216AQD).
(41) Par ex., Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-41.265 (N° Lexbase : A4730AGB), Bull. civ. V, n° 146 ; Dr. soc., 1999, p. 635, note G. Couturier.
(42) CE, 1° s-s., 24 janvier 1982, n° 17873 (N° Lexbase : A9734AKQ).
(43) CE, 4° et 5° s-s-r., 3 juillet 2013, n° 342477, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4562KIS), rec. tables, p. 866 ; AJDA, 2013, p. 1838.
(44) Jugeant au contraire que les propositions de postes doivent intervenir avant que soit présentée la demande d'autorisation par l'employeur auprès de l'inspection du travail : CAA Lyon, 28 juin 1999, n° 97LY21160 (N° Lexbase : A3595BGA).
(45) Par ex., CE, 8° s-s., 18 novembre 1996, n° 162142, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1747APE).
(46) Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-13.876, FS-P+B (N° Lexbase : A2764MTK), Bull. civ. V, n° 165 ; RJS 10/14, n° 672 ; Cass. soc., 29 septembre 2015, n° 14-17.774, F-D (N° Lexbase : A5575NSB).

Décision

CE, 4° et 5° s-s-r., 23 mars 2016, n° 386108, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7142Q9E).

Cassation (CAA Nancy, 30 septembre 2014, n° 13NC02257 N° Lexbase : A1636NAT).

Textes visés ou concernés : C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L2149KGP).

Mots-clés : salarié protégé ; obligation de reclassement ; refus d'autorisation de licenciement.

Liens base : (N° Lexbase : E9309ESL).

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Licenciement

[Brèves] Licenciement personnel : exigence de loyauté et du respect des droits du salarié lors de la procédure de licenciement et modalités de renonciation, par le salarié protégé, à son mandat

Réf. : Cass. soc., 6 avril 2016, n° 14-23.198, FS-P+B (N° Lexbase : A1666RCP)

Lecture: 2 min

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Le 15 Avril 2016

L'énonciation de l'objet de l'entretien dans la lettre de convocation adressée au salarié par un employeur qui veut procéder à son licenciement et la tenue d'un entretien préalable au cours duquel le salarié, qui a la faculté d'être assisté, peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfont à l'exigence de loyauté et du respect des droits du salarié au sens de l'article 7 de la Convention OIT n° 158. Le délégué syndical peut renoncer à son mandat en informant l'organisation syndicale qui l'a désigné de sa renonciation, à défaut il ne peut être licencié sans autorisation de l'inspecteur du travail. Telles sont les solutions dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 avril 2016 (Cass. soc., 6 avril 2016, n° 14-23.198, FS-P+B N° Lexbase : A1666RCP).
En l'espèce, M. X, engagé par la société Y le 3 novembre 2003 en qualité de maître d'hôtel, puis promu responsable de restauration, a fait l'objet le 22 octobre 2007 d'un avertissement et d'une mise à pied disciplinaire de trois jours. Par lettre du 11 février 2008, l'union locale CGT a demandé la tenue d'élections de délégués du personnel et de membres du comité d'entreprise, annoncé la candidature de M. X à ces futures élections et l'a désigné en qualité de délégué syndical dans l'entreprise. Il a été convoqué par lettre du 14 octobre 2009 à un entretien préalable à un licenciement, avec mise à pied conservatoire, puis licencié pour faute grave le 17 novembre suivant. Il a saisi la juridiction prud'homale le 5 avril 2011, sollicitant la nullité de son licenciement prononcé en violation du statut protecteur attaché à son mandat de délégué syndical, l'annulation des sanctions disciplinaires dont il a fait l'objet le 22 octobre 2007 ainsi que diverses sommes à titre de rappels de salaire et d'indemnités.
La cour d'appel (CA Versailles, 18 juin 2014, n° 12/00583 N° Lexbase : A3742MRZ) ayant débouté le salarié de sa demande de nullité du licenciement pour non-respect du statut de délégué syndical et de ses demandes au titre d'un licenciement nul, ce dernier s'est pourvu en cassation.
La Haute juridiction casse partiellement l'arrêt de la cour d'appel. En énonçant la première règle susvisée, elle rejette le premier moyen du pourvoi mais casse, en revanche, l'arrêt d'appel au visa des articles 2003 (N° Lexbase : L1764IE3) et 2007 (N° Lexbase : L2242ABN) du Code civil et L. 2411-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0148H9D) sur le second moyen en énonçant la seconde règle susvisée. Elle précise, à cet égard, qu'en statuant comme elle a fait, sans constater que le salarié avait informé l'organisation syndicale qui l'avait désigné de sa volonté de mettre fin de façon anticipée à son mandat de délégué syndical, ce dont il résultait que ce mandat n'avait pas pris fin et qu'il ne pouvait être licencié sans autorisation de l'inspecteur du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9087ESD et N° Lexbase : E9559EST).

newsid:452321

Licenciement

[Brèves] Indemnisation due au salarié protégé à la suite de l'annulation de l'autorisation de licenciement : ouverture du droit au paiement de congés payés

Réf. : Cass. soc., 6 avril 2016, n° 14-13.484, FS-P+B (N° Lexbase : A1542RC4)

Lecture: 1 min

N2247BW7

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Le 14 Avril 2016

Ouvre droit au paiement de congés payés l'indemnité due, en application de l'article L. 2422-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0228H9C), au salarié protégé, licencié sur le fondement d'une décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ensuite annulée, qui a, de par la loi, le caractère d'un complément de salaire. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 avril 2016 (Cass. soc., 6 avril 2016, n° 14-13.484, FS-P+B N° Lexbase : A1542RC4).
En l'espèce, Mme X a été engagée par la banque Y, le 1er décembre 1984. Elle a été élue membre suppléant du comité d'entreprise le 6 juillet 2010. Invoquant notamment des faits de harcèlement moral, la salariée a saisi le 6 janvier 2011 la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle a été licenciée pour inaptitude le 8 juin 2012 après autorisation de l'inspecteur du travail. Par décision du 13 décembre 2012, le ministre du Travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail en raison d'un vice de procédure.
La cour d'appel (CA Nîmes, 7 janvier 2014, n° 12/02341 N° Lexbase : A0311KTP) ayant condamné la banque la banque à verser à la salariée une somme à titre d'indemnité à la suite de l'annulation de l'autorisation de licenciement, et une certaine somme au titre des congés payés y afférents, cette dernière s'est pourvue en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi sur ce point (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E4751EXA).

newsid:452247

Presse

[Brèves] Diffamation et injure : exception à la rétroactivité d'un revirement de jurisprudence

Réf. : Cass. civ. 1, 6 avril 2016, n° 15-10.552 FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6051RBQ)

Lecture: 2 min

N2219BW4

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Le 11 Mars 2017

Si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, la mise en oeuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste. Tel est l'apport d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 6 avril 2016 (Cass. civ. 1, 6 avril 2016, n° 15-10.552 FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6051RBQ). En l'espèce, une commune avait confié à la société P. la construction et l'exploitation d'un crématorium situé dans un lieudit. Soutenant que le tract diffusé par un collectif, ainsi que la pétition que celui-ci avait mise en ligne sur Internet, contenaient des propos diffamatoires, la société P. et les consorts X avaient assigné les membres du collectif et l'hébergeur du site en cause, aux fins d'obtenir réparation de leur préjudice. Les assignations délivrées à la requête de la société et des consorts X visaient l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW), mais non l'article 32 et ne mentionnaient donc pas la peine applicable aux faits. En cause d'appel, la cour avait retenu la validité des assignations (CA Bastia, 12 novembre 2014, n° 12/01019 N° Lexbase : A6152M3A), en application de la jurisprudence de la première chambre civile, laquelle a considéré que la seule omission dans l'assignation de la mention de la sanction pénale encourue n'affectait pas sa validité (Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 08-17.315, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3176EL9). Toutefois, dans un arrêt du 15 février 2013 portant revirement, l'Assemblée plénière a consacré le principe de l'unicité du procès de presse et énoncé que l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 devait également recevoir application devant la juridiction civile (Ass. plén., 15 février 2013, n° 11-14.637, P+B+R+I N° Lexbase : A0096I83). La Haute juridiction, énonçant la solution précitée, censure l'arrêt d'appel, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société et des consorts X, considérant que les assignations en cause, dont les énonciations étaient conformes à la jurisprudence de la première chambre civile, ont été délivrées à une date à laquelle les demandeurs ne pouvaient ni connaître ni prévoir l'obligation nouvelle de mentionner le texte édictant la peine encourue. Dès lors, l'application immédiate, à l'occasion d'un revirement de jurisprudence, de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutirait à priver ces derniers d'un procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), en leur interdisant l'accès au juge (cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E4099EYH).

newsid:452219

Procédure civile

[Brèves] Effets sur le délai du contredit de la notification d'un jugement comportant des mentions erronées relatives aux voies de recours ouvertes contre la décision : la Cour de cassation amende sa jurisprudence

Réf. : Ass. plén., 8 avril 2016, n° 14-18.821, P+B+R+I (N° Lexbase : A8818RB9)

Lecture: 2 min

N2233BWM

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Le 14 Avril 2016

Le délai de contredit prévu par l'article 82 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1311H4C), ne court pas contre la partie qui a reçu, avant son expiration, une notification du jugement, non prévue par ces dispositions, mentionnant une voie de recours erronée. Tel est le revirement opéré par un arrêt de l'Assemblée plénière, rendu le 8 avril 2016 (Ass. plén., 8 avril 2016, n° 14-18.821, P+B+R+I N° Lexbase : A8818RB9 ; cf., sur la position jurisprudentielle antérieure, Cass. civ. 2, 19 mai 1980, n° 79-10319 N° Lexbase : A1358CI7 et, plus récemment, Cass. civ. 2, 10 avril 2014, n° 12-35.320, F-D N° Lexbase : A1000MKA). Selon les faits de l'espèce, M. X., salarié de la société MP., a démissionné le 24 avril 2008, pour être engagé par une société de droit suisse du même groupe afin d'exercer les fonctions de directeur exécutif à Genève. Après la rupture de son contrat de travail avec cette société, M. X. a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes dirigées contre la société MP.. Par jugement d'incompétence du 11 mai 2012, dont la date de prononcé a été portée à la connaissance des parties par leur émargement sur les notes d'audience, le conseil de prud'hommes a dit que les demandes de l'intéressé n'étaient pas recevables devant lui et renvoyé les parties à mieux se pourvoir. Le greffe a notifié ce jugement à M. X. le 15 mai 2012, par une lettre mentionnant qu'il était susceptible d'appel, puis lui a adressé une notification rectificative reçue le 22 mai 2012, indiquant que la voie de recours ouverte était le contredit. M. X., qui avait interjeté appel le 22 mai 2012, a formé le 29 mai 2012 un contredit reçu au greffe le 31 mai 2012. Pour déclarer irrecevable comme tardif le contredit, la cour d'appel a retenu que, lorsque les parties ont eu connaissance, comme en l'espèce, de la date à laquelle le jugement serait rendu, le délai pour former contredit court à compter du prononcé du jugement, l'erreur sur les modalités de notification étant inopérante. La Haute juridiction censure l'arrêt ainsi rendu car, relèvent les juges suprêmes, en statuant de la sorte, alors qu'elle constatait que le greffe du conseil de prud'hommes avait d'abord notifié le jugement à M. X., en mentionnant l'appel comme voie de recours, de sorte que le délai de quinze jours pour former contredit n'avait couru qu'à compter de la notification rectificative, la cour d'appel a violé le texte susvisé. L'Assemblée plénière amende ainsi sa jurisprudence antérieure en affirmant que, dans une telle hypothèse, le délai ne court pas (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E0547EUS).

newsid:452233

Procédures fiscales

[Brèves] Indemnisation du préjudice causé par le versement des intérêts de retard à la date du jugement statuant sur un litige fiscal

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 6 avril 2016, n° 374489, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3715RCL)

Lecture: 2 min

N2260BWM

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Le 21 Avril 2016

En application des articles 1727 du CGI (N° Lexbase : L9755I3P) et L. 277 du LPF (N° Lexbase : L4684ICH), si le contribuable qui a demandé la suspension de l'exigibilité de sa créance fiscale est dispensé de la payer jusqu'à ce qu'il ait été statué sur son recours, il devient redevable, à la date du jugement du tribunal administratif rejetant sa demande, des intérêts de retard ayant couru depuis l'établissement de la créance, même si ce jugement est frappé d'appel. La durée éventuellement excessive de la procédure après l'intervention du jugement du tribunal administratif ne peut lui avoir causé un préjudice au titre des intérêts de retard dès lors qu'il lui appartenait de payer sa créance et les intérêts de retard déjà constitués dès l'intervention de ce jugement. Toutefois, lorsque le délai mis par le tribunal administratif à statuer sur ce recours est excessif, le contribuable est fondé à obtenir réparation pour la fraction des intérêts de retard qui sont imputables à la durée qui excède le délai raisonnable de jugement devant ce tribunal. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 6 avril 2016 (CE 4° et 5° s-s-r., 6 avril 2016, n° 374489, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3715RCL). En effet, dans l'appréciation du caractère raisonnable de la durée globale d'une procédure juridictionnelle, il doit être tenu compte, le cas échéant, de la durée excessive d'un recours administratif préalable obligatoire à l'introduction du recours. En l'espèce, la réclamation fiscale du 8 octobre 1998 n'a été expressément rejetée que par une décision notifiée le 3 janvier 2002. Cependant, en vertu de l'article R. 199-1 du LPF (N° Lexbase : L1706INI), l'action pouvait être introduite dès l'expiration d'un délai de six mois sans réponse de l'administration fiscale sur la réclamation. Dès lors, le caractère excessif de la durée de la procédure précontentieuse est entièrement imputable au requérant. Néanmoins, la durée totale de la procédure juridictionnelle a été de neuf ans et dix mois. Si la société requérante a elle-même tardé à répondre aux mémoires en défense de l'administration et n'a ainsi pas fait preuve d'une diligence raisonnable, ce qui a partiellement concouru à l'allongement de la durée de la procédure, elle est cependant fondée à soutenir que la durée totale de la procédure est excessive, dès lors que le litige ne présentait pas de complexité particulière. Ainsi, sur la totalité des 305 395 euros d'intérêts de retard réclamés à la société requérante, le ministre chargé des Finances lui a accordé une remise gracieuse de 82 060 euros. Dans ces conditions, le préjudice né de la durée excessive de la procédure devant le tribunal administratif au titre du paiement des intérêts de retard doit être, dans la même proportion, ramené à la somme de 57 488 euros .

newsid:452260

Responsabilité

[Jurisprudence] De la reconnaissance du préjudice écologique à sa délicate évaluation par les juges du fond

Réf. : Cass. crim., 22 mars 2016, n° 13-87.650, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4317Q8E)

Lecture: 13 min

N2237BWR

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par June Perot - Rédactrice en droit privé

Le 14 Avril 2016

Dans un arrêt du 22 mars 2016, qui aura les honneurs d'une publication au bulletin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation nous éclaire sur l'office du juge en matière d'évaluation du préjudice, en décidant qu'il incombe à la cour d'appel "de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l'existence, et consistant en l'altération notable de l'avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l'estuaire de la Loire". Et ce au quintuple visa des articles 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), L. 142-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L7969IM4), 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC), ensemble les articles L. 161-1 (N° Lexbase : L3005KTH) et L. 162-9 (N° Lexbase : L2167IBU) du Code de l'environnement. En l'espèce, à la suite d'une pollution au fuel dans l'estuaire de la Loire, occasionnée par une rupture de tuyauterie d'une raffinerie exploitée par la société Total raffinage marketing (la société Total), cette dernière, reconnue coupable de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances entraînant des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la faune ou à la flore, a été condamnée à indemniser de leurs préjudices, diverses collectivités territoriales et associations agréées de protection de l'environnement, à l'exception de deux associations. Les deux associations ont interjeté appel. L'arrêt de la cour d'appel est pour le moins étonnant dans la mesure où, s'il reconnaît bien l'existence d'un préjudice écologique, il rejette toutefois les demandes d'indemnisation des deux associations concernant ce préjudice écologique (CA Rennes, 12ème ch., 27 septembre 2013, n° 12/02138 N° Lexbase : A5126RA4), au double motif, d'une part, que la LPO avait chiffré le préjudice sur la base d'une estimation du nombre d'oiseaux détruits, alors que cette destruction n'était pas prouvée et, d'autre part, parce qu'en évaluant son préjudice sur la base du budget annuel qu'elle consacrait à la gestion de la baie de l'Aiguillon, ce qui s'apparentait davantage à un préjudice économique, elle avait confondu son préjudice personnel et le préjudice écologique. Afin de casser l'arrêt d'appel, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans une motivation très détaillée, rappelle la définition du préjudice écologique pour, dans sa solution, préciser en quoi il a consisté et le rôle des juges dans son évaluation (II) mais elle se prononce également sur la question de la recevabilité d'une action de droit commun des associations de protection de l'environnement (I). I - La recevabilité de l'action civile des associations de protection de l'environnement

A l'heure des discussions du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, au travers duquel le Parlement envisage d'insérer dans le Code civil la notion de préjudice écologique, cet arrêt est intéressant à plusieurs égards. D'abord, parce qu'il fait application de la jurisprudence "Erika" (Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3030ITE), en prenant soin de rappeler la définition du préjudice écologique et la possibilité pour une association agréée d'en obtenir la réparation, ensuite parce qu'il vient l'affiner considérablement, en précisant le rôle des juridictions du fond dans l'évaluation de ce préjudice dont la spécificité n'est pas contestée. Il permet ainsi de combler les lacunes de la jurisprudence "Erika", qui, en son temps, si elle avait consacré le préjudice écologique, avait fait l'économie de précisions relatives à son évaluation et sa réparation en se réfugiant derrière la réparation du préjudice moral.

Une responsabilité spécifique. La loi n° 2008-757 du 1er août 2008 a transposé la Directive (UE) 2004/35 du 21 avril 2004 (N° Lexbase : L2058DYU), sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Elle a mis en place un régime de responsabilité spécifique concernant certains dommages dits "environnementaux", qui repose à la fois sur la prévention des dommages (en amont et en cas de menace imminente) et sur leur réparation (en aval soit en cas de réalisation). L'objectif était d'assurer la protection de la biodiversité, de l'eau et des sols pour permettre à titre préventif et curatif la remise en état des atteintes à l'environnement en s'assurant systématiquement que quelqu'un paye (principe pollueur-payeur). Seuls les dommages environnementaux sont pris en compte, à l'exclusion des dommages dits "traditionnels" (c'est-à-dire des dommages causés aux biens et aux personnes) (1).

Une responsabilité de droit commun. Toutefois, en dépit des dispositions particulières de la loi de 2008, la possibilité d'une action de droit commun que peuvent exercer les associations habilitées, reconnues d'utilité publique, comme la LPO en l'espèce, n'est pas exclue. La Haute juridiction le souligne dans l'arrêt commenté en énonçant que "la remise en état prévue par l'article L. 162-9 du Code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun". Partant, l'action civile en réparation du préjudice écologique est fondée, non pas sur un régime autonome, mais sur le régime de responsabilité civile de droit commun, lequel suppose classiquement l'établissement d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité, qui seront étudiés infra. Comme toute action en justice, l'action en responsabilité civile pour atteintes à l'environnement suppose que les parties à l'action justifient d'un intérêt à agir personnel (C. proc. civ., art. 31 N° Lexbase : L2514ADH). Dans le domaine de la défense de l'environnement, les associations disposent d'un statut particulier puisqu'elles sont spécialement habilitées par le législateur pour agir. La loi "Barnier" du 2 février 1995 (N° Lexbase : L8686AGS) a instauré une habilitation générale en faveur des "associations agréées de protection de l'environnement" (C. env., art. L. 141-1 N° Lexbase : L3005KTH) pour exercer "les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant préjudice directe ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre en constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement, à l'amélioration du cadre de vie, à la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, à l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, ainsi qu'aux textes pris pour leur application" (C. env., art. L. 142-2). Cette faculté des associations de demander la réparation du préjudice indirect porté à l'intérêt collectif qu'elles défendent constitue donc une véritable dérogation au droit commun de l'action en responsabilité civile et permet, indéniablement, une meilleure prise en compte des atteintes à l'environnement. De plus, la jurisprudence a jugé que ces associations avaient la possibilité d'agir non seulement devant les juridictions répressives mais également devant les juridictions civiles (Cass. civ. 2, 7 décembre 2006, n° 05-20.297, F-D N° Lexbase : A8419DSM).

L'objectivisation du préjudice écologique. Cette dérogation au droit commun de l'action en responsabilité nous a permis d'assister à un mouvement d'objectivisation du préjudice écologique, initié par la cour d'appel de Paris dans son arrêt concernant l'affaire "Erika". En effet, dans son arrêt de 2010, elle avait opéré une distinction entre les préjudices subjectifs, c'est-à-dire ceux qui sont subis par des sujets de droit, dont relèvent les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux et le préjudice écologique qui serait un préjudice objectif en ce qu'il n'est pas subi par un sujet de droit (CA Paris, Pôle 4, 11ème ch., 30 mars 2010, n° 08/02778 N° Lexbase : A6306EU4). Tandis que le droit de la responsabilité distingue deux types de préjudices réparables : le préjudice patrimonial et le préjudice extrapatrimonial, qui tiennent tous deux au caractère personnel que doit revêtir le préjudice, la cour d'appel a admis, quant à elle, que le préjudice écologique était hors catégorie en ce qu'il ne pouvait être personnel. Et pour cause, l'environnement n'étant pas doté de la personnalité juridique, et n'étant pas une personne, ce préjudice ne pouvait se trouver dans l'une ou l'autre des catégories qu'il convenait donc de surpasser pour mieux l'appréhender. La cour d'appel ne s'est donc pas contentée d'ajouter ce préjudice à la liste des préjudices réparables mais a également conceptualisé une classification entre préjudices subjectifs et préjudices objectifs. Ce nouveau concept a donc permis de passer outre l'exigence du caractère personnel du préjudice environnemental et de ne pas entraver les actions des associations dans ce type de contentieux. Compte tenu de ce qui précède, dans l'arrêt commenté, la Chambre criminelle ne pouvait donc que censurer l'arrêt d'appel puisque les juges du fond avaient retenu, pour débouter l'association, qu'en plus de n'avoir pas chiffré correctement leur préjudice, elle avait confondu son préjudice personnel et le préjudice écologique, ses frais de fonctionnement n'ayant pas de lien direct avec les dommages causés à l'environnement...

II - L'identification et la réparation du préjudice écologique

La définition du préjudice écologique. Dans son chapeau, la Cour de cassation, reprenant en ces termes la définition dégagée par l'arrêt du 25 septembre 2012 dans l'affaire de l'Erika, énonce que le préjudice écologique "consiste en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction". Sur ce point, elle approuve la cour d'appel quant à sa définition. Le préjudice écologique est donc une atteinte portée à l'environnement, celle-ci pouvant être directe ou indirecte et devant trouver son origine dans une infraction. Pour sa part, le projet de loi "biodiversité" propose un nouvel article 1386-19-1 du Code civil prévoyant que le préjudice écologique résultant d'une "atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement", peut être réparé sur le fondement de la responsabilité délictuelle. La définition proposée est loin d'être celle retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté et l'inscription d'un tel préjudice dans le Code civil est peut-être très symbolique, le caractère nécessaire restant discutable, dans la mesure où un régime de responsabilité existe déjà dans le Code de l'environnement.

La faute. En matière de responsabilité environnementale, les fautes peuvent être de nature délictuelle (C. civ., art. 1382) ou quasi-délictuelle (C. civ., art. 1383 N° Lexbase : L1489ABR) mais peuvent également consister en l'inexécution fautive d'un contrat. L'exigence d'une faute implique donc la démonstration, par la victime, que l'auteur du dommage a commis un manquement relatif à l'environnement. En l'espèce, concernant la faute, la cour d'appel de Rennes la considérait, à juste titre, établie puisque la société Total avait fait l'objet d'une condamnation pénale devenue définitive.

Le préjudice. Cependant, s'agissant du préjudice, pour débouter l'association demanderesse, la cour d'appel avait retenu qu'elle le chiffrait sur la base d'une destruction des oiseaux et leurs coûts de remplacement. Mais que la destruction des nombreux oiseaux (énumérés dans l'arrêt) n'était pas prouvée, ce que la partie civile reconnaissait elle-même dans ses conclusions en mentionnant "une estimation fiable du nombre d'oiseaux touchés a été rendue impossible à évaluer. L'on sait cependant a minima que [etc.]". Subséquemment, la cour relevait que l'association prenait pour base son budget annuel de la gestion de la baie pour demander le remboursement de deux années de son action écologique.

L'atteinte. Cet élément constitutif, quoique général, ne surprend guère mais peut poser quelques difficultés pour la simple raison que toute modification de l'environnement n'est pas nécessairement dommageable et toute atteinte n'est donc pas un préjudice. Ce point mérite d'ailleurs que l'on s'y attarde puisque, avant d'envisager toute réparation, il convient d'identifier le préjudice et donc l'atteinte. Les professeurs Laurent Neyret et Gilles J. Martin ont défini, dans la Nomenclature des préjudices environnementaux (2), les préjudices causés à l'environnement comme "l'ensemble des atteintes causées aux écosystèmes dans leur composition, leurs structures et/ou leur fonctionnement". Cela comprend donc les atteintes aux sols et à leurs fonctions, les atteintes à l'air ou à l'atmosphère, aux eaux et aux milieux aquatiques et aux espèces. Dans l'arrêt commenté, et au même titre que dans l'arrêt "Erika", l'atteinte considérée consistait en la disparition de milliers d'oiseaux vivant dans la baie touchée par la pollution. Or, comment mesurer cette atteinte ? La solution pourrait être de comparer l'état de l'environnement avant et après l'atteinte. Mais pour effectuer cette comparaison, faut-il encore avoir connaissance de l'état initial de l'environnement considéré. L'article L. 162-9 du Code de l'environnement, au visa duquel notamment est cassé l'arrêt de la cour d'appel, fait déjà référence à cette notion d'état initial puisque, aux termes de cet article, il "désigne l'état des ressources naturelles et des services écologiques au moment du dommage, qui aurait existé si le dommage environnemental n'était pas survenu, estimé à l'aide des meilleures informations disponibles". L'article se réfère aux "meilleures informations disponibles" et nous renvoie à l'importance du rôle des différents acteurs de l'environnement dans la collecte de ces informations. Pour ce faire, il serait donc indispensable d'élaborer des bases d'informations comprenant toutes les données relatives à l'état de l'environnement recueillies par ces acteurs. L'exploitation de ces données permettrait d'apprécier l'état initial et mesurer l'atteinte dommageable portée au milieu naturel dans le cadre d'un contentieux environnemental. En l'espèce, c'est la LPO qui était l'acteur principal de cette connaissance de l'environnement touché par la pollution de l'estuaire puisqu'il s'agit d'une association de protection de l'environnement en charge de la baie naturelle et dont le but est la connaissance et la conservation de la biodiversité. Dans le cadre de cette mission, cette association est amenée à collecter de nombreuses informations qui permettent l'évaluation du statut de la conservation des espèces, via des enquêtes, des suivis qu'elle coordonne et dont les résultats font l'objet de publications scientifiques ou de documentations publiques. C'est donc grâce aux actions coordonnées de ces différents acteurs de l'environnement que l'on peut espérer avoir une meilleure connaissance de l'état initial du milieu touché pour apprécier l'importance de l'atteinte alléguée.

A cet égard, le projet de loi sur la reconquête de la biodiversité propose d'ajouter un article dans le Code de l'environnement relatif à la création d'un "inventaire du patrimoine naturel", conçu pour inventorier les richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, pédologiques, minéralogiques et paléontologiques. Cet inventaire serait animé par l'Etat et l'article prévoit que "les maîtres d'ouvrages, publics ou privés, doivent contribuer à cet inventaire national par la saisie ou, à défaut, le versement des données brutes de biodiversité acquises à l'occasion des études d'évaluation préalable ou de suivi des impacts réalisées dans le cadre de l'élaboration des plans, schémas, programmes et autres documents de planification mentionnés à l'article L. 122-4 et des projets d'aménagement soumis à l'approbation de l'autorité administrative" (article 3 ter du projet de loi). Par ailleurs, dans un rapport de l'Association des Professionnels du Contentieux Economique et Financier (APCEF) rendu public en mars 2016, et intitulé "la réparation du préjudice écologique en pratique", la commission de réflexion sur le préjudice écologique, animée par le Professeur Laurent Neyret, proposait d'officialiser une liste de critères d'évaluation du préjudice écologique qui serait expressément applicable en cas de procédure judiciaire en réparation de ce préjudice (proposition n° 8).

En second lieu, la Cour de cassation déclare que l'atteinte peut être directe ou indirecte. Cela implique que, contrairement au droit de la responsabilité classique où le lien de causalité doit être direct, le préjudice écologique peut donner lieu à une réparation même s'il n'est pas la suite directe du fait générateur de responsabilité.

La nécessité d'une infraction préalable. Enfin, dans son chapeau, la Haute juridiction rappelle que le préjudice écologique doit découler d'une infraction. Elle entend vraisemblablement, mais cela se discute, faire de l'infraction préalable une condition à l'action civile en réparation du préjudice écologique, dont dépendrait également l'existence du préjudice. Cela peut se comprendre dans la mesure où la réparation du préjudice écologique, actuellement, dépend de la recevabilité de l'action exercée par les personnes morales auxquelles le législateur a entendu confier la défense de certains intérêts collectifs dans le domaine environnemental. C'est le cas, comme nous l'avons vu plus haut, des associations de protection de l'environnement et particulièrement celle agrées. La Cour le rappelle dans la deuxième partie de son chapeau puisqu'elle énonce que "la remise en état prévue par l'article L. 162-9 du Code de l'environnement n'exclut pas une indemnisation de droit commun que peuvent solliciter, notamment, les associations habilitées, visées par l'article L. 142-2".

Solution de la Cour de cassation. En l'espèce, pour la Cour, le préjudice écologique invoqué par la partie civile, et reconnu implicitement par la cour d'appel, a consisté en l'altération notable de l'avifaune et de son habitat, pendant une période de deux ans, du fait de la pollution de l'estuaire de la Loire. Ainsi, elle constate à la fois l'atteinte, "l'altération notable de l'avifaune et de son habitat" et le fait générateur, c'est-à-dire l'infraction préalable nécessaire, à savoir la pollution de l'estuaire par la société Total. Le préjudice écologique étant constaté et établi, la Cour énonce également que la cour d'appel, en rejetant l'indemnisation du préjudice écologique, "par des motifs pris de l'insuffisance ou de l'inadaptation du mode d'évaluation proposé par la LPO alors qu'il lui incombait de [le] chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise [...] n'a pas justifié sa décision". Outre la question du préjudice écologique cet arrêt posait donc la question de l'étendue du rôle du juge dans l'évaluation de ce préjudice.

L'étendue du rôle des juges du fond dans l'évaluation et la réparation du préjudice. La réparation en nature de l'atteinte constitue actuellement la solution idéale car elle permet au milieu concerné de retrouver son état initial. Ce mode de réparation est donc préféré et doit être privilégié autant que faire se peut. C'est ce que prévoit le projet de loi sur la biodiversité dans un nouvel article 1386-20 du Code civil, lequel disposerait que "la réparation du préjudice mentionné à l'article 1386-19-2 s'effectue par priorité en nature". Et ce n'est que subsidiairement, en cas d'impossibilité de fait ou de droit que le juge peut condamner l'auteur du préjudice à des dommages-intérêts. La loi de 2008 va encore plus loin puisqu'elle a fait de ce mode le seul admissible à l'exclusion de la réparation pécuniaire et aménage les modalités de remise en état selon que ce soit l'eau, les espèces et leurs habitats ou les sols qui sont touchés. Si l'on s'intéresse maintenant à la responsabilité de droit commun, la réparation en nature peut prendre diverses formes. L'exploitant de l'activité à l'origine du dommage doit prendre toutes les mesures afin de combattre, d'endiguer, d'éliminer ou de traiter les contaminants concernés et tout autre facteur de dommage et ce pour éviter la survenance de nouveaux dommages. En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Total avait exécuté cette réparation puisque les zones touchées ont été nettoyées et remises en état et qu'il a été remédié à la pollution en quelques semaines à l'aide de chantier et d'une main d'oeuvre conséquente.

Mais la réparation peut également être pécuniaire, même si cela est discuté compte tenu de l'absence de valeur marchande de l'environnement. C'est bien ici que l'évaluation du préjudice se complexifie. Comment quantifier, chiffrer l'environnement ? Comment fixer un prix pour la perte de certaines espèces d'oiseaux dans l'espèce présente ? La tâche est ardue pour les juges. Quant à la méthode d'évaluation, celle-ci est encore plus floue car la plupart du temps le montant de la réparation fait l'objet d'une évaluation forfaitaire, sans davantage de précisions. Sur ce point, la Chambre criminelle avait auparavant jugé que "la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la consistance du préjudice né des infractions et n'était pas tenue de préciser les bases de ses calculs, a justifié sa décision" (Cass. crim., 25 octobre 1995, n° 94-82.459 N° Lexbase : A8810ABW). Dès lors, cet arrêt, outre préciser l'étendue de l'office du juge, semble nous éclairer sur la méthode à adopter dans l'évaluation du préjudice puisque la Cour suprême, de façon inédite, mentionne la possibilité, "si nécessaire", de faire appel à une expertise pour le chiffrer. Tout ceci, en faveur d'une unification dans l'évaluation du préjudice écologique qui, jusque lors, était à géométrie variable selon les juridictions.

En l'espèce, les juges d'appel sont censurés sur ce point, la Haute juridiction estime que le rôle des juges du fond, dans le contentieux environnemental ici, ne saurait se résumer à la seule constatation du préjudice écologique puisqu'il leur appartient également de le chiffrer, cette tâche ne pouvant incomber au demandeur. A l'aide d'une expertise si besoin est. Concernant les expertises judiciaires, rappelons toutefois qu'actuellement, la nomenclature des experts de justice issue de l'arrêté du 10 juin 2005 ne contient aucune rubrique "environnement", ce qui démontre l'absence de spécialisation des experts actuels sur la question de l'environnement. Or, de la qualité de l'expertise judiciaire, dépend la réparation du préjudice écologique. C'est pourquoi la commission de réflexion dirigée par Laurent Neyret propose l'ajout d'une rubrique "environnement" et l'encadrement des experts judiciaires afin de garantir leurs compétences dans ce contentieux. Pourquoi pas en créant une Commission nationale du contentieux de l'environnement (propositions n° 21 et 22). Une meilleure indemnisation du préjudice écologique passerait donc à la fois par des outils techniques (inventaire du patrimoine naturel, rôle des acteurs de l'environnement etc.) et des outils juridiques (expertises judiciaires).


(1) A ce sujet lire, Quel bilan tirer des cinq premières années d'existence de la "LRE" ? - Questions à Jessica Makowiak, Maître de conférences en droit public à l'Université de Limoges, in Lexbase éd. pub., 2013, n° 301.
(2) L. Neyret et G.-J. Martin, Nomenclature des préjudices environnementaux, LGDJ, 2012.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Qualification de la fourniture de logiciels standard par voie télématique

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 7 mars 2016, n° 390746, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2225QY3)

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par Sabrina Le Normand-Caillère, Maître de conférences à l'Université d'Orléans et Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité

Le 14 Avril 2016

Dans un arrêt du 7 mars 2016, le Conseil d'Etat précise la qualification fiscale des opérations portant sur des logiciels en matière de TVA. Eu égard aux nombreux rebondissements de l'affaire, cette décision, publiée au Recueil Lebon, mérite attention (CE 9° et 10° s-s-r., 7 mars 2016, n° 390746, inédit au recueil Lebon). En l'espèce, une société française a pour activité l'importation de logiciels acquis auprès d'une société américaine pour assurer leur distribution en Europe, en Russie et au Moyen-Orient. Jusqu'en 2001, ces logiciels étaient fournis sur un support matériel en provenance des Etats-Unis. A compter de 2002, ils ont été transmis par voie électronique sécurisée pour assurer leur distribution. La société française a donc procédé en France à leur duplication, puis à leur matérialisation sur CD-ROM et, enfin, à leur emballage avant distribution. Pour chaque unité vendue, la société américaine a fourni et facturé des clés informatiques selon un tarif variable en fonction des qualités de l'acheteur et du nombre de postes utilisateurs.

L'administration fiscale a remis en cause la qualification de ces opérations. Tant que les logiciels étaient fournis sur un support matériel, l'administration fiscale les appréhendait comme des biens. En revanche, à partir du moment où ils ont fait l'objet d'une télétransmission, l'administration fiscale a contesté la qualification de livraisons de biens les considérant comme des prestations de services immatérielles au sens de l'article 259 B du CGI (N° Lexbase : L1676IPR). Elles seraient ainsi taxables à la TVA par une autoliquidation en France dès lors que le preneur était assujetti à la TVA en France et que le prestataire avait son siège dans un pays étranger. L'administration fiscale a ainsi réclamé le paiement d'une amende prévue à l'article 1788 septies du CGI (N° Lexbase : L4525HMK), alors applicable en cas d'omission d'opérations autoliquidées. Elle a également soumis les sommes acquittées à la société américaine, en tant que redevances de licences d'exploitation, à la retenue à la source de l'article 182 B du CGI (N° Lexbase : L9921IWD).

La société française a saisi le tribunal administratif de Bordeaux pour être déchargée du complément de retenue à la source et du paiement de l'amende. Par jugement du 6 mai 2010, les juges ont rejeté sa demande (TA Bordeaux, 6 mai 2010, n° 0601933-0703741 N° Lexbase : A1387IKL). La cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé cette décision lors de son arrêt du 31 janvier 2012 (CAA Bordeaux, 31 janvier 2012, n° 10BX01716 N° Lexbase : A7995IDH). Elle énonce que la livraison télématique de logiciels a transformé les livraisons de biens en prestations de services. Les juges d'appel ont alors déduit qu'il s'agissait d'un "service fourni par voie électronique". En conséquence, ils en ont conclu que la fourniture de logiciels par voie télématique devrait être regardée comme une concession d'un droit similaire à une licence, au sens du 1° de l'article 259 B du CGI, afin de justifier l'application de la retenue à la source. Déboutée de sa demande, la société a formé un pourvoi en cassation. Sur le fondement des articles 259 B et 182 B du CGI, le Conseil d'Etat a cassé l'arrêt de la cour administrative de Bordeaux pour qualification juridique erronée au motif que la société "n'a pas acquis des droits d'exploitation de logiciels auprès de la société" américaine, "mais a acheté pour les revendre des logiciels à l'unité auprès de cette société" (CE 9° et 10° s-s-r., 16 juillet 2014, n° 358126, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5488MUS). Le Conseil d'Etat a ainsi prononcé un non lieu à statuer sur les pénalités et a renvoyé à la cour administrative de Bordeaux le soin de (re)juger l'affaire au fond. Dans d'un arrêt du 16 avril 2015, les juges d'appel ont annulé le jugement du 6 mai 2010 et, partant, déchargé la société du paiement de l'amende au motif que l'opération litigieuse ne saurait être qualifiée de service fourni par voie électronique au sens du 12° de l'article 259 B du CGI (CAA Bordeaux, 16 avril 2015, n° 14BX02189 N° Lexbase : A2683Q7I). Le ministère des finances a alors formé un pourvoi à l'encontre de cette nouvelle décision afin de l'annuler et de régler l'affaire au fond.

Saisi de ce litige, une nouvelle fois, le Conseil d'Etat a ainsi dû rechercher si la dématérialisation d'un logiciel standard du fait de la transmission télématique est susceptible de le transformer en prestation de services ? L'opération de fourniture de logiciels dématérialisée peut-elle être qualifiée de "service fourni par voie électronique" au sens du 12° de l'article 259 B du CGI en vigueur avant le 1er janvier 2010 ?

Dans un arrêt du 7 mars 2016, le Conseil d'Etat a considéré que le fourniture par voie télématique (1) de logiciels en France par un prestataire établi hors de France relève des "services fournis par voie électronique" au regard de l'application combinée du 12° de l'article 259 B et de l'article 98 C de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L8054IMA). Les Hauts magistrats en déduisent que la TVA est exigible au moment de l'encaissement de la rémunération versée à la société américaine et, partant, aurait dû être mentionnée sur les déclarations de TVA. Faute d'avoir procédé à cette mention, l'administration fiscale a justement réclamé à la société française, pour les Hauts magistrats, le paiement de l'amende prévue à l'article 1788 septies du CGI.

Après avoir précisé que la fourniture de logiciels par voie télématique par une société étrangère constitue une prestation de service (I), le Conseil d'Etat vient à lui appliquer le régime spécifique des services fournis par voie électronique (II).

I - Qualification juridique de la fourniture de logiciels achetés et revendus à l'unité

La qualification des opérations portant sur les logiciels n'est pas dénuée de conséquence. En droit, de la qualification dépendent le moment du transfert de la propriété et des risques, le régime des clauses de responsabilité ou encore les règles sur la détermination du prix. En matière de TVA, les règles applicables sont également fondamentalement différentes. Les livraisons de biens et les prestations de services ne sont pas régies par les mêmes textes, notamment s'agissant du fait générateur et de l'exigibilité de la TVA (2). L'enjeu de la qualification réside en l'espèce dans le choix du régime territorial. En l'état des textes applicables avant le 1er janvier 2010, les prestations de services visées par l'article 259 B du CGI devaient faire l'objet d'une autoliquidation en France en tant que "prestations de services immatérielles". L'application de ce texte exigeait d'une part, que le preneur soit assujetti à la TVA et, d'autre part, que le prestataire ait son siège à l'étranger. Si la réforme du 1er janvier 2013 a modifié les règles de territorialité, la solution rendue par le Conseil d'Etat dans le présent arrêt demeure toujours d'actualité s'agissant de la définition des prestations visées à l'article 259 B du CGI, limité depuis la réforme aux seules relations "B to C".

Aux termes de l'article 256-II-1° du CGI (N° Lexbase : L0374IWR), "est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire". A contrario, la catégorie des prestations de services englobe toutes les opérations ne répondant pas à la définition des livraisons de biens, notamment la cession de biens meubles incorporels.

La qualification des logiciels en matière de TVA n'est pas évidente. Depuis la réponse ministérielle Authié (3), il est traditionnel de distinguer deux catégories.

La première concerne les logiciels de série, encore appelée logiciels "standard", pour lesquels les éléments intellectuels et immatériels sont indissociables et sont destinés à la revente au grand public. Une instruction les a définis comme "des articles fabriqués en série qui peuvent être acquis par tous les clients et être utilisés par eux après leur installation et une formation limitée, pour la réalisation des mêmes applications ou fonctions. Ils sont constitués d'un ensemble cohérent de programmation et de matériels d'appui et comporte souvent des services d'installation, de formation et de maintenance" (4). A titre d'exemple, la plupart des logiciels utilisés pour les ordinateurs du bureau appartiennent à cette catégorie. Ces derniers sont en conséquence considérés comme des livraisons de biens meubles corporels, et, partant, imposables à la TVA dans le pays d'importation sur le prix de l'opération.

La seconde concerne les logiciels "spécifiques", catégorie dite "par défaut". En tant que tels, ils ne répondent pas à la définition des logiciels de série. Ils sont conçus ou adaptés pour les besoins particuliers d'une entreprise ou d'un organisme, cette adaptation revêtant un caractère prédominant par rapport à la livraison du logiciel standard correspondant.

Cette distinction entre les logiciels dits "standard" et les logiciels dits "spécifiques" n'est pas sans rappeler les critères utilisés en droit civil pour distinguer le contrat de vente du contrat d'entreprise (5). Elle a également été consacrée par la Cour de justice de l'Union européenne. Lors d'une décision du 27 octobre 2005, la Cour a retenu que lorsque deux ou plusieurs éléments ou actes fournis par un assujetti à un consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment objectivement, sur un plan économique, un tout dont la dissociation revêtirait un caractère artificiel, l'ensemble de ces éléments ou de ces actes constitue une prestation unique pour l'application la TVA (6).

Au regard de ces éléments, la qualification de l'opération réalisée dépend de la part de service incluse lors la fourniture du bien. Elle relèvera du régime des prestations de services si celle-ci est prépondérante. Si la vente de logiciels sur des supports de disquette ou de CD-ROM conférait une attache matérielle au bien à l'origine incorporel, il en va différemment depuis la dématérialisation du transfert. Celui-ci conduit dorénavant à la disparition du support matériel du logiciel.

Destiné au grand public, le logiciel était considéré au regard de la TVA comme une livraison de bien meuble corporel. Le fait qu'à partir de 2002, leur transmission soit réalisée par voie télématique sécurisée, c'est-à-dire par voie dématérialisée, a posé toutefois question quant à leur qualification.

II - Application du régime des "services fournis par voie électronique" à la fourniture par voie télématique de logiciels achetés et revendus à l'unité

La cession d'un logiciel standard pour un prix déterminé est considérée comme une livraison de bien sauf lorsque, d'une part, le contrat s'analyse en une cession de droits d'auteur, et d'autre part, la cession intervient en l'absence de support matériel.

Dans sa décision 2 janvier 2012, la cour administrative d'appel de Bordeaux avait considéré la fourniture de logiciels comme des contrats de cessions ou de concession de droits de licence au sens du 1° de l'article 259 B du CGI à partir du moment où ils avaient été transmis. Cette assimilation était fortement critiquable et le Conseil d'Etat avait sanctionné fermement cette qualification juridique erronée lors de sa décision du 6 juillet 2014. En effet, l'importateur, la société française, n'étant pas le consommateur final, il n'avait pu acquérir de droits d'exploitation sur les logiciels.

Si à l'époque, le Conseil d'Etat n'avait pas usé de sa faculté de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du CJA (N° Lexbase : L3298ALQ), certains commentateurs avait pu en déduire de cette décision qu'en "dépit de la dématérialisation' de la livraison des logiciels, l'opération devait continuer à être qualifiée de vente de biens sans devenir une prestation de services susceptible de relever de l'article 182 B du CGI" (7). Les juges administratifs d'appel de Bordeaux avaient sûrement interprété de la même manière la première cassation comme une validation de la qualification de livraison de bien. Il n'en était rien. Les opérations réalisées à compter de 2002 aurait pourtant pu être regardées comme relevant du 12° de l'article 259 du CGI dès lors que les logiciels étaient fournis par voie télématique par le concepteur américain.

Telle est la voie choisie par le Conseil d'Etat dans cette affaire du 7 mars 2016. La Haute juridiction prend ainsi le contre-pied de la décision de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 avril 2015 mais également de sa propre décision précédemment rendue le 7 juillet 2014. Sur la même affaire, le Conseil d'Etat juge expressément que la fourniture par voie télématique de logiciels achetés et revendus à l'unité constitue une prestation de services, et non plus une livraison de biens comme il l'avait laissé entendre lors de sa décision de 2014. Le Conseil d'Etat modifie également son fondement. À l'article 182 B du CGI, il préfère la combinaison des articles 259 B, 12° et 98 C de l'annexe III au CGI. Le Conseil d'Etat fait ainsi prévaloir les modalités de livraison du bien sur le contrat conclu par les parties. La "dématérialisation" de la livraison des logiciels "standard" entraîne la requalification de l'opération en prestation de services.

Que faut-il en penser ?

Le nouveau fondement utilisé par la Haute juridiction peut de prime abord séduire. La fourniture par voie électronique de logiciels en France par un prestataire établi hors de France se rapproche sensiblement du service fourni par voie électronique. Toutefois, cette décision n'est pas à l'abri de toute critique.

Tout d'abord, il convient de définir les services fournis par voie électronique afin de vérifier leur adéquation avec les faits de l'espèce. Selon l'instruction du 24 septembre 2003, les services électroniques doivent satisfaire deux critères cumulatifs. D'une part, ils doivent être fournis par voie d'internet ou de réseaux électroniques. Cette condition semblait remplie en l'espèce. D'autre part, la nature de la prestation de services doit dépendre fortement de la technologie utilisée, c'est-à-dire que le service doit être largement automatisé et être impossible à assurer en l'absence de réseau informatique. Cette condition est davantage sujette à discussion dans la mesure où il devait exister, au cas présent, des modes alternatifs de transmission du logiciel en cas de difficulté, comme le transfert d'un CD-ROM. Par ailleurs, il convient de noter une précision importante donnée par l'instruction. Celle-ci précise que cette nouvelle hypothèse insérée au 12° de l'article 259 B du CGI a un champ d'application très limité. Elle ne vise que les seuls services "fournis par voie électronique ne correspondant ni à des livraisons de biens meubles corporels, ni à des prestations de services traditionnels', ni à des services de télécommunications" (8). Or, comme nous l'avons vu précédemment, le contrat litigieux portait sur des logiciels standard, soit en principe des livraisons de biens meubles corporels. Pour qualifier l'opération de prestation de services, le Conseil d'Etat fait ici primer les modalités de transfert sur les éléments du contrat. Pourtant, selon un auteur, cette position serait contestable dans la mesure où "la notion de livraison est indépendante de toute matérialité et qu'un bien corporel peut parfaitement être livré au sens de la TVA sans que cette opération implique un support matériel" (9). La notion de livraison serait ainsi devenue "une notion de fait, autonome par rapport à celle de la délivrance civile et aux obligations résultant de la vente et du transfert de propriété" (10), faisant référence à la maîtrise matérielle de la chose mise à disposition de la chose de l'acheteur par le vendeur.

Ensuite, cette décision semble également se heurter à la jurisprudence tant européenne qu'interne relative aux opérations complexes en matière de TVA. Selon une décision du 24 juin 2015, le Conseil d'Etat a rappelé qu'il convient de les apprécier globalement sur un plan économique (11). En principe, chaque livraison ou prestation, en présence d'opération complexe, doit être regardée comme distincte et indépendante et donc suivre le régime associé. Pour autant, plusieurs opérations formellement distinctes peuvent, dans certaines circonstances, être considérées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes. Il en va ainsi, d'une part, lorsqu'elles sont si étroitement liées qu'elles forment objectivement une prestation économique indissociable et que leur décomposition revêtirait un caractère artificiel, et, d'autre part, lorsque l'une de ces opérations doit être traitée comme étant accessoire d'une autre. En l'espèce, les logiciels standards étaient suffisamment individualisables, notamment par les clés informatiques. La société pouvait dès lors légitimement estimer qu'ils faisaient l'objet d'une livraison sans se préoccuper des conditions d'expédition.

Enfin, les travaux parlementaires de la loi de finances pour 2002 nous enseignent que le législateur ne souhaitait pas intégrer une nouvelle hypothèse de distinction entre les livraisons de biens et les prestations de services (12). La modification opérée n'avait pour seule finalité que de compléter les règles de localisation des prestations de services afin que les services électroniques soit taxés au lieu de consommation lorsqu'ils sont fournis au sein de l'Union européenne ou réputés se situer en France, par dérogation à l'article 259 C du CGI (N° Lexbase : L2801IGT), lorsque le prestataire est établi hors de l'Union européenne et que le preneur est établi en France. Cette réforme visait à transposer en outre la Directive 2002/38/CE du 7 mai 2002 (N° Lexbase : L0398A37) s'agissant notamment de certains services fournis par voie électronique. Or, comme le note un auteur "s'il est vrai que ces services fournis par voie électronique', sont bien ajoutés par l'article 1er-1, a de la Directive 2002/38/CE du 7 mai 2002 à l'article 9-2, e de la Directive n° 77/388/CE, et si le quatrième considérant de cette Directive de 2002 les définit par renvoi à la liste indicative de son annexe L, qui cite effectivement en son point 2, la fourniture de logiciels et mise à jour de ceux-ci', il reste que ce terme de fourniture' ne signifiait pas livraison de logiciels en vue de la revente, mais tout simplement prestation exécutée par voie électronique dans le propre système informatique du preneur consommateur". La modification opérée par la réforme de 2002 n'aurait ainsi que pour finalité d'adapter "les règles de territorialité de la fourniture des seules opérations préalablement considérées comme des prestations de services, sans prendre parti sur la qualification fiscale des biens livrés et sur la distinction [...], entre logiciels standards et logiciels spécifiques, en parfaite adéquation avec la directive précitée".

Cette décision témoigne de la difficile application de la distinction entre les livraisons et les prestations de services, pourtant essentielle pour déterminer le régime applicable de TVA. Règne ainsi en la matière une indéniable et préjudiciable insécurité fiscale pour les entreprises.

Le changement brutal de fondement et de décision trahit la pensée du Conseil d'Etat. L'énoncé clair de la solution, sans détour, laisse pourtant le lecteur sur sa fin, dubitatif s'agissant du pouvoir de l'internet de transformer une livraison de biens en prestation de services et ce, à l'insu des parties. A suivre...


(1) Selon le Dictionnaire Larousse, "télématique" fait référence à un "ensemble des services informatiques fournis à travers un réseau de télécommunication".
(2) Y. Sérandour, Le Conseil d'Etat demande à la CJCE de préciser les critères de qualification de la reproduction de documents au regard de la TVA, Dr. fisc., 2008, n° 39, comm. 511.
(3) Rép. min., n° 16353, à M. Germain Authié : JO Sénat, 11 octobre 1984, p. 1638 ; Dr. fisc., 1984, n° 47, comm. 2075.
(4) Instr., 8 septembre 2003 : BOI 3A-3-03 (N° Lexbase : X6655AB4), Dr. fisc., 2003, n° 39, instr. 13059.
(5) Y. Sérandour, op.cit. : "Selon la Cour de cassation, il y a contrat d'entreprise et non vente lorsque les produits fabriqués le sont avec des éléments fournis en partie par le donneur d'ordre et selon un processus défini et arrêté par lui, ce dont il résulte que les produits fabriqués ne répondent pas à des caractéristiques déterminées à l'avance par le fabricant, mais sont destinés à répondre aux besoins particuliers exprimés par le donneur d'ordre" : Cass. com., 3 janvier 1995, n° 92-20735, publié au Bulletin (N° Lexbase : A8180ABL) : Bull. civ. 1995, IV, n° 2, Gaz. Pal., 1997, 1, somm. p. 102, obs. Peisse. ; Contrats, conc. consom., 1998, n° 88, note L. Leveneur ; LPA, 18 novembre 1998, note Lehmann.
(6) CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04 (N° Lexbase : A0986DL4) : Dr. fisc., 2006, n° 23, comm. 434 ; RJF, 2006, n° 112. Y. Sérandour, Le logiciel, bien ou service au regard de la TVA ? : l'année fiscale, PUF, 2006, p. 230 ; Lexbase, éd. fisc., n° 192, 2005 (N° Lexbase : N1371AKY).
(7) E. Kornprobst, Sommes perçues par le fournisseur de logiciels par voie télématique : produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale ou de droits assimilés au sens de l'article 182 B du CGI, Dr. fisc., 2014, n° 37, comm. 525.
(8) Instr., 8 septembre 2003 : BOI 3A-3-03, Dr. fisc., 2003, n° 39, instr. 13059.
(9) E. Kornprobst, Sommes perçues par le fournisseur de logiciels par voie télématique : produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale ou de droits assimilés au sens de l'article 182 B du CGI, Dr. fisc., 2014, n° 37, comm. 525.
(10) E. Kornprobst, op.cit..
(11) CE 3° et 8° s-s-r., 24 juin 2015, n° 365849, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0109NMY), Dr. fisc., 2015, n° 48, comm. 703, S. Le Normand-Caillère.
(12) E. Kornprobst, op. cit..

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Remboursement de TVA : cas d'une facture dont les montants sont libellés en dollars américains

Réf. : TA Montreuil, 16 février 2016, n° 1503203 (N° Lexbase : A8086RB4)

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Le 15 Avril 2016

Si l'obligation de libeller le montant de TVA à payer dans la monnaie nationale de l'Etat membre où se situe la livraison de biens, c'est-à-dire en euros s'agissant de la France, est instituée par l'article 289 du CGI (N° Lexbase : L9887IW4), la seule circonstance que l'assujetti serait en possession d'une facture mentionnant la taxe dans une autre monnaie n'entraîne pas nécessairement la remise en cause de la validité de cette facture pour l'exercice des droits à déduction de la taxe. Telle est la solution retenue par le tribunal administratif de Montreuil dans un jugement rendu le 16 février 2016 (TA Montreuil, 16 février 2016, n° 1503203 N° Lexbase : A8086RB4). En l'espèce, la société requérante, établie en Allemagne, a déposé une demande de remboursement de la TVA ayant grevé les achats facturés par des sociétés françaises. Les montants litigieux de TVA portés sur les factures sont libellés en dollars américains. Dès lors, contrairement à ce que soutient la société requérante, l'obligation de libeller le montant de TVA à payer dans la monnaie nationale de l'Etat membre où se situe la livraison de biens est effectivement instituée en France (CGI, art. 289). Toutefois, pour les juges du fond, qui ont donné raison à la société allemande, il résulte de l'instruction qu'afin de régulariser, à titre subsidiaire, sa demande de remboursement, cette dernière a fourni en définitive un tableau de conversion dollars américains/euros de l'ensemble des montants de TVA facturés, dont l'exactitude n'est pas contestée par l'administration. Ainsi, dans ces conditions, l'administration, dont l'unique motif de rejet est tiré de l'absence de mention en euros des montants de ladite taxe, est en mesure de se prononcer sur l'étendue du droit à remboursement de la société, et de la lui accorder au cas présent .

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Urbanisme

[Jurisprudence] Mieux vaut être prématuré que forclos : la commune n'est pas un tiers à l'égard du permis de construire délivré par le préfet sur son territoire !

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 9 mars 2016, n° 384341, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5429QYQ)

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par Arnaud Le Gall, Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de l'urbanisme"

Le 14 Avril 2016

Une commune peut-elle se prévaloir des délais de recours de droit commun à l'encontre des autorisations d'urbanisme délivrées par le préfet sur son territoire ? C'est à cette question originale que répond l'arrêt rendu le 9 mars 2016 par la Haute juridiction en indiquant que, dans l'hypothèse où il est délivré par le préfet, la réception en mairie du permis de construire ou de l'extrait qui lui est adressé pour assurer le respect de cette obligation marque, pour la commune, et quand bien même cet affichage serait opéré par le maire en qualité d'agent de l'Etat, le point de départ du délai de recours contre ce permis. En l'occurrence, à la suite d'un désaccord entre le maire et le service instructeur et en application des dispositions du Code de l'urbanisme, le préfet des Yvelines avait délivré, le 8 septembre 2008, un permis de construire autorisant l'édification d'un immeuble d'une superficie hors oeuvre nette (SHON) de 345,56 m2 sur le territoire d'une commune. Afin d'éviter, sans doute, que sa requête ne soit rejetée comme prématurée, la commune a attendu l'affichage du permis sur le terrain avant d'introduire un recours en annulation contre ce permis de construire, affichage qui n'a pas été réalisé. Les premiers juges ayant fait droit à cette demande, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement de première instance et rejeté la requête, estimant que celle-ci était tardive (1). Le Conseil d'Etat confirme cette solution au prix d'une interprétation rigoureuse des dispositions applicables. I - Un cadre juridique assez rarement utilisé

Le cadre juridique de l'arrêt rapporté s'articule autour de deux aspects.

Le premier aspect concerne la détermination de l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme.

En application des dispositions de l'article L. 422-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9324IZD), le maire constitue l'autorité de droit commun compétente pour délivrer les autorisations d'urbanisme lorsque la commune est couverte par un plan local d'urbanisme ou une carte communale. L'autorisation est alors délivrée au nom de la commune. L'article L. 422-2 (N° Lexbase : L2772KII) réserve cependant certaines hypothèses dans lesquelles la compétence est transférée à l'autorité administrative de l'Etat, sans que ce transfert indique l'autorité précise qui doit prendre la décision.

La compétence est fixée par l'article R. 422-2 (N° Lexbase : L4916I8L) qui précise qu'elle est réservée au préfet pour les projets tels que ceux réalisés pour le compte de l'Etat ou d'Etats étrangers (2).

En revanche, le maire demeure, en tant qu'agent de l'Etat, compétent pour signer les autorisations de construire pour les constructions situées dans le périmètre des opérations d'intérêt national. Mais lorsqu'un désaccord surgit entre le maire et le service instructeur de l'Etat, la compétence pour signer l'autorisation revient au préfet, en application du e) de l'article R. 422-2 qui précise que "le préfet est compétent pour délivrer le permis de construire, d'aménager ou de démolir [...] dans les cas prévus par l'article L. 422-2 dans les hypothèses suivantes : [...] e) En cas de désaccord entre le maire et le responsable du service de l'Etat dans le département chargé de l'instruction mentionné à l'article R. 423-16 (N° Lexbase : L7758ICC)".

Le second aspect est relatif au déclenchement du délai de recours contentieux.

Les conditions de déclenchement du délai sont fixées par l'article R. 600-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2033ICB). Le champ d'application temporel de cette mesure est particulièrement vaste, puisqu'elle est applicable aux recours formés à compter du 1er octobre 2007, y compris ceux dirigés contre des autorisations d'urbanisme délivrées avant cette date (3).

A propos de l'article R. 600-2 dans sa rédaction issue du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007 (N° Lexbase : L0281HUX), l'avis du 19 novembre 2008 avait déjà eu l'occasion de préciser qu'il "résulte de ces dispositions que [...] le point de départ du délai de recours contentieux à l'encontre d'un permis de construire est le premier jour de l'affichage sur le terrain, pendant une période continue de deux mois, du permis assorti des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 du Code de l'urbanisme" (4).

Cet avis précisait également la différence de nature entre les différentes mentions figurant sur l'affichage et réserve un sort particulier à la mention relative à l'obligation de notification prévue par l'article R. 600-1 (N° Lexbase : L2127IBE). En effet, si, en application de l'article R. 424-15 (N° Lexbase : L3287IYE), l'affichage doit mentionner l'obligation prévue à peine d'irrecevabilité de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis, "cette mention, destinée à mieux informer les éventuels requérants de leur obligation de notification et des risques d'irrecevabilité qu'ils encourent à ne pas l'accomplir, n'est pas au nombre des éléments dont la présence est une condition au déclenchement du délai de recours contentieux". Elle n'est donc pas relative à l'information qui doit être apportée quand à la substance même du projet du pétitionnaire, dès lors qu'elle concerne une règle de procédure qui doit être accomplie postérieurement à l'introduction du recours : "elle ne peut, par suite, être assimilée aux éléments substantiels portant sur la nature et la consistance de la construction projetée ou sur les voies et délais de recours, dont la connaissance est indispensable pour permettre aux tiers de préserver leurs droits et d'arrêter leur décision de former ou non un recours contre l'autorisation de construire". La seule conséquence de l'absence de cette mention est donc l'impossibilité d'opposer à l'auteur du recours l'irrecevabilité prévue par l'article R. 600-1 (5).

Un arrêt du 1er juillet 2007 est venu rappeler que la mention du délai de recours sur le panneau d'affichage "relative au droit de recours est un élément indispensable pour permettre aux tiers de préserver leurs droits" (6).

L'arrêt commenté confirme l'objet des mesures de publicité de l'article R.600-2 qui "ont pour objet d'assurer la connaissance par les tiers des éléments indispensables pour leur permettre de préserver leurs droits et d'arrêter leur décision de former ou non un recours contre l'autorisation de construire, à savoir, d'une part, la connaissance de l'existence d'un permis de construire, des principales caractéristiques de la construction autorisée et de l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté et, d'autre part, celle du délai de recours relatif à cette décision".

Ce considérant étoffe ainsi la jurisprudence antérieure qui avait considéré, à propos de la mention des voies et délais de recours sur le panneau d'affichage du permis, que "cette mention relative au droit de recours est un élément indispensable pour permettre aux tiers de préserver leurs droits" (7).

L'arrêt du 9 mars 2016 précise les éléments essentiels à l'exercice du droit de recours : l'existence de l'autorisation qui est évidemment le préliminaire indispensable à ce droit. Les principales caractéristiques de la construction et l'adresse de la mairie où se trouve le dossier permettant de connaître l'ensemble de ces caractéristiques constituent la source des éventuels moyens de légalité susceptibles d'être invoqué par le requérant. Le délai de recours, enfin, encadre la recevabilité du recours.

On notera cependant que le Conseil d'Etat utilise une formule séduisante mais dont la généralité est excessive : la récente restriction jurisprudentielle et légale de l'intérêt pour agir en matière d'urbanisme a pour conséquence de réduire de manière assez significative cette protection du droit des tiers. Le fait de vouloir défendre un droit n'emporte pas nécessairement que l'on ait un intérêt pour agir, au sens de cette évolution récente. Si la formule retenue par le Conseil d'Etat semble évoquer une seule catégorie de personnes destinataires de l'information, en réalité, les tiers ne se confondent pas avec les quelques personnes qui sont aujourd'hui seules admises à accéder au recours pour excès de pouvoir.

L'article R. 600-2 organise donc un régime de notification spécifique auquel on ne peut déroger, même en cas de nouvelle décision intervenant en cours d'une instance juridictionnelle. En effet, lorsque le juge de l'excès de pouvoir est saisi par un tiers d'un recours contre une décision d'autorisation qui est remplacée, en cours d'instance, soit par une décision de portée identique, soit par une décision qui la modifie sans en altérer l'économie générale, le nouvel acte doit être notifié au tiers requérant, le délai pour le contester ne pouvant commencer à courir pour lui en l'absence d'une telle notification. Toutefois, "dans le cas du permis de construire où, pour l'ensemble des tiers à cet acte, le déclenchement du délai de recours est subordonné par l'article R. 600-2 du Code de l'urbanisme à l'accomplissement de formalités particulières, la forclusion ne peut être opposée au tiers requérant en l'absence de respect de ces formalités, alors même que l'acte lui aurait par ailleurs été notifié en application de la règle qui vient d'être rappelée" (8).

L'information ainsi donnée constitue la mise en oeuvre concrète du principe selon lequel les autorisations administratives sont toujours délivrées sous réserves des droits de tiers, réserve qui n'a de sens que si ces tiers sont mis en mesure de défendre leurs droits, avant que les actes administratifs ne deviennent définitifs. Contrairement à ce que peuvent soutenir certains requérants un peu fantaisistes, ces dispositions n'ont "ni pour objet, ni pour effet de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice du droit à un recours effectif" (9).

Le cumul de l'article R. 600-2 et des règles relatives à la compétence conduit le Conseil à adopter une solution rigoureuse.

II - Une interprétation rigoureuse du Code de l'urbanisme

La commune dont le maire exerce la compétence de droit commun pour la délivrance du permis de construire ne peut cependant être considérée comme un tiers au sens de l'article R. 600-2 du Code de l'urbanisme.

C'est l'apport essentiel de l'arrêt du 9 mars 2016 qui, après avoir rappelé qu'en cas de désaccord entre le maire et le service instructeur le permis est délivré par le préfet, "la commune ne saurait être regardée comme un tiers au sens de l'article R. 600-2 précité [...] la seule circonstance que les modalités d'affichage du permis de construire sur le terrain prévues par ces dispositions n'auraient pas été respectées ne fait, par suite, pas par elle-même obstacle à ce que le délai de recours contre cette décision commence à courir à son égard".

Cette solution évite de pousser l'exécutif local à la schizophrénie. En application des dispositions précédemment rappelées, le maire n'est pas compétent pour délivrer l'autorisation en sa qualité d'exécutif local mais en qualité d'agent de l'Etat. Toutefois, la compétence interne à l'Etat est modifiée en cas de désaccord puisqu'elle est, dans cette hypothèse, attribuée au préfet. On aurait donc pu tirer argument, et c'est ce qu'a sans doute fait la commune, de ce qu'à aucun moment, au plan strictement juridique, la commune n'a participé à l'instruction du dossier de demande ni à l'élaboration de la décision, dès lors que le maire n'était censé intervenir qu'en sa qualité d'agent de l'Etat. On pouvait donc, sous cet angle, la considérer comme un tiers. Le Conseil n'a pas adopté cette solution qui aurait conduit à une dissociation artificielle.

Cette clarification est la bienvenue car la jurisprudence en la matière est des plus lacunaires.

De manière générale, on sait que "le délai de recours contentieux contre une décision ne court à l'égard des tiers que si sa publication a été régulière et complète" (10). Le déclenchement du délai de recours à l'égard des tiers n'est pas soumis aux mêmes conditions que pour les parties (11). C'est, par exemple le cas, pour un syndicat qui a la qualité de tiers par rapport à un arrêté nommant un directeur des services, arrêté qui n'a fait l'objet d'aucune publication (12).

La jurisprudence a également précisé que, dès lors que le cumul des dispositions applicables a pour objet de limiter le délai dans lequel les tiers sont recevables à demander l'annulation d'une décision implicite de non-opposition et qu'en conséquence, la décision illégale peut être légalement être rapportée par l'autorité administrative à tout moment tant que le délai de recours contentieux n'est pas expiré ou que le juge saisi d'un tel recours dans le délai légal n'a pas statué, le bénéficiaire ne peut se prévaloir du fait que le maire, auteur de la décision, n'a pas la qualité de tiers pour soutenir qu'il ne pouvait procéder au retrait de sa décision dans le délai de deux mois suivant la date où cette décision était née (13).

L'arrêt du 9 mars 2016 affirme donc que la commune n'est pas un tiers au sens de l'article R. 600-2 et que, par conséquent, l'affichage de la décision ne fait pas courir les délais de recours à son encontre. Si la solution peut apparaître évidente, elle est justifiée au regard de la connaissance de l'existence et de la nature du projet.

Toutefois, elle opère une distinction, certes restreinte, mais toutefois originale. Trois catégories de personnes peuvent être traditionnellement identifiées à l'égard d'une décision individuelle : son auteur, le (ou les) destinataire(s) et les tiers. Cette dernière catégorie, comprend, par défaut, ceux qui n'appartiennent pas aux deux premières, ce qui ne signifie pas que le tiers ne soit pas intéressé à la décision dès lors que son droit à exercer un recours est encadré dans des règles de délai.

En affirmant, dans les circonstances de l'affaire, que la commune n'est pas tiers par rapport au permis délivré par le préfet, le Conseil semble, au premier abord, créer ainsi une nouvelle catégorie. Il est incontestable que la commune n'est pas le destinataire du permis. Elle n'en est pas non plus son auteur : en tant que personne morale, elle n'est pas intervenue dans l'instruction et l'édiction du permis qui n'a fait intervenir que le maire en sa qualité d'agent de l'Etat. Elle ne pourrait donc qu'être tiers par rapport à la décision, qualité que l'arrêt lui refuse. Toutefois, le refus de qualifier la commune de tiers ne vaut pas pour la décision elle-même mais pour les formalités de publicité qui l'entourent. Le Conseil d'Etat ne crée donc pas une quatrième catégorie de personnes à l'égard de la décision elle-même, mais uniquement au regard du déclenchement des délais de recours. L'arrêt précise en effet que la commune n'a pas la qualité de tiers au sens de l'article R. 600-2, ce qui limite la portée de cette qualification négative.

Se pose alors la question du point de départ du délai de recours courant contre le permis à l'encontre de la commune. Fort heureusement pour le Conseil d'Etat, l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme précise qu'en plus de l'affichage sur le terrain, un extrait de ce permis doit, dans les huit jours de sa délivrance expresse ou tacite, être publié par voie d'affichage en mairie pendant deux mois.

Il n'est pas nécessaire que cette disposition ait été spécialement prévue pour ce cas de figure, dès lors qu'elle dispense le Conseil d'Etat de fixer lui-même ce point de départ. L'arrêt peut ainsi relever que, "dans l'hypothèse où il est délivré par le préfet, la réception en mairie du permis ou de l'extrait qui lui est adressé pour assurer le respect de cette obligation marque, pour la commune, et quand bien même cet affichage serait opéré par le maire en qualité d'agent de l'Etat, le point de départ du délai de recours contre ce permis".

Une fois encore, la solution retenue passe outre la différence de qualité d'exécutif communal et d'agent de l'Etat du maire : le fait que le maire ait reçu le permis afin de procéder à l'affichage en mairie opère donc déclenchement du délai de recours à l'encontre de la commune, peu importe que cet affichage ait été réalisé par le maire agissant en qualité d'agent de l'Etat. Peu importe également que cette affichage ait été effectivement réalisé : l'arrêt est parfaitement explicite à ce sujet : c'est la réception en mairie du permis qui fait courir le délai et non l'expiration de la période d'affichage de huit jours.

Le Conseil peut ainsi recadrer la décision de la cour administrative d'appel qui s'était manifestement fondée plus ou moins implicitement sur une application de la théorie de la connaissance acquise pour estimer que la commune connaissait l'existence de la décision délivrée par le préfet. L'arrêt relève en effet que "les circonstances de fait ainsi relevées par la cour ne lui permettaient pas de conclure que la commune avait acquis, dès le 8 septembre 2008, date d'intervention de la décision préfectorale, une connaissance de cette décision propre à faire courir le délai de recours à son égard". En revanche, il sauve l'arrêt d'appel en le relisant au regard du principe qu'il vient d'énoncer et peut ainsi conclure qu'il "résulte des énonciations de son arrêt que cette connaissance est intervenue, compte tenu des délais prescrits par l'article R. 424-15 du Code de l'urbanisme, au plus tard huit jours après cette date".

La prudence de la commune, qui, en constatant l'absence d'affichage sur le terrain, avait manifestement cherché à éviter un recours prématuré, ou qui plus simplement encore, croyait à tort que le délai n'avait pas commencé à courir, s'est donc retournée contre elle et l'a conduit à former un recours tardif et donc irrecevable. On notera, en conclusion, que le principe énoncé par le Conseil d'Etat suffit à justifier la tardiveté du recours. Le fait que les pétitionnaires aient déposé une déclaration d'ouverture de chantier constitue un motif surabondant et, par conséquent, en application d'une jurisprudence constante, le moyen tiré d'une prétendue dénaturation est inopérant.


(1) CAA Versailles, 2ème ch., 8 juillet 2014, n° 12VE01812 (N° Lexbase : A2682Q7H).
(2) Sur la notion de "projets réalisés pour le compte de l'Etat" et sur le régime de la compétence issue de la loi "ALUR" (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, pour l'accès au logement et un urbanisme rénové N° Lexbase : L8342IZY), lire nos obs. sous CE 9° et 10° s-s-r., 5 février 2014, n° 366208, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9273MDS), Le préfet est compétent pour délivrer le permis de construire dès lors que la construction est faite pour le compte de l'Etat, dans le cadre d'une mission de service public justifiée par un intérêt général prédominant, Lexbase, éd. pub., n° 326, 2014 (N° Lexbase : N1154BUB).
(3) CE, 22 septembre 2014, n° 361715 (N° Lexbase : A2945MXD).
(4) CE, avis, 19 novembre 2008, n° 317279 (N° Lexbase : A3204EBB).
(5) CE, avis, 19 novembre 2008, n° 317279, préc..
(6) CE, 1er juillet 2007, n° 330702 (N° Lexbase : A6070E39).
(7) CE, 1er juillet 2007, n° 330702, préc..
(8) CE, 23 mai 2011, n° 339610 (N° Lexbase : A5839HS3).
(9) CE, 22 septembre 2014, n° 361715 (N° Lexbase : A2945MXD).
(10) CE, 17 décembre 1993, n° 140212 (N° Lexbase : A7895AMD).
(11) CE, 3 juillet 2013, n° 356922 (N° Lexbase : A4583KIL).
(12) CE, 24 juin 1994, n° 137745 (N° Lexbase : A1588ASM) ; CE, 1er avril 1994, n° 137743 (N° Lexbase : A0617ASN).
(13) CE, 17 décembre 1993, n° 140212, préc..

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