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N1800BWL
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 17 Mars 2016
Tel était le constat doux-amer que Saint-Exupéry faisait dans Pilote de guerre, après la débâcle de l'armée Française et sa mission aérienne désastreuse du 23 mai 1940 sur Arras. L'écrivain humaniste, qui publiera un a plus tard, son Petit Prince, rappelait, ce faisant, le sanctuaire que représente l'enfance et sa protection lévitique comme obligation parentale, des adultes, de l'Etat : du souverain.
C'est pourquoi la loi du 14 mars 2016, relative à la protection de l'enfant, revêt d'une importance capitale en ces temps de conservatisme économique et social. L'intérêt de l'enfant prime désormais, et la loi nouvelle le fait savoir. Là où la loi du 5 mars 2007, loi fondatrice en la matière, adoptait encore le point de vue des parents, la loi du 14 mars 2016 choisit le prisme de l'enfant, son intérêt, dans la durée, tout en préservant au maximum ses liens familiaux.
De fortes disparités territoriales, l'absence de pilotage national, l'insuffisance de la formation des professionnels concernés, le manque de coopération entre les secteurs d'intervention, le retard dans le développement de la prévention, la prévalence du maintien du lien familial biologique à tout prix dans les pratiques professionnelles : telle est la "maltraitance institutionnelle" que la loi nouvelle tente d'enrayer, en améliorant la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfant ; en sécurisant le parcours de l'enfant protégé ; et en adaptant le statut de l'enfant placé sur le long terme.
Et, si en 1940, on sortait de l'enfance sous les balles, trop jeune, les adolescents, d'aujourd'hui, qui ont passé toute leur enfance dans un système de protection, ont besoin encore d'un accompagnement avant qu'on ne les "laisse aller". C'est cette prise en charge qu'assure encore la loi nouvelle.
Comme elle réintroduit dans le Code pénal l'inceste, pour lui donner une définition précise caractérisant les circonstances aggravantes d'une agression sexuelle : c'est sans doute un premier pas, avant la criminalisation de l'infraction.
Le dispositif de protection qui supplée temporairement ou définitivement la défaillance ou la maltraitance parentale, se doit d'offrir aux enfants des conditions de vie de nature à les aider à se construire un avenir à l'instar de tous les autres enfants : c'est cela la traduction législative "d'une protection souveraine".
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Réf. : Cass. civ. 1, 9 mars 2016, n° 15-18.899, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4000QYS)
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N1759BW3
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Le 17 Mars 2016
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Réf. : Cass. crim., 9 février 2016, n° 15-85.063, FS-P+B (N° Lexbase : A0246PLP)
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N1624BW3
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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy
Le 17 Mars 2016
Mais sur le pourvoi en cassation formé par le confrère, la Chambre criminelle a cassé l'arrêt attaqué au visa des articles 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT) et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). Après avoir rappelé "que l'absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, qui prive le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné", la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que, dès lors que "la décision de perquisition, portée à la connaissance de l'autorité ordinale, ne contenait pas les motifs précis justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci ni ne mentionnait le lieu où devaient être effectuées les investigations, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés".
Cette décision mérite l'attention à un double égard : d'une part, la Chambre criminelle de la Cour de cassation exige un encadrement particulièrement précis de la décision autorisant la perquisition au cabinet de l'avocat : celle-ci doit précisément indiquer le lieu et les motifs de la mesure (I). D'autre part, la Haute juridiction se montre nettement plus souple au sujet de la contestation de la mesure de perquisition : l'irrégularité ne doit pas nécessairement être soulevée au moment de la perquisition et toute irrégularité cause nécessairement atteinte aux droits de l'avocat concerné (II).
I - Une autorisation encadrée
L'arrêt commenté rappelle que la décision ordonnant la perquisition doit être rédigée avec le plus grand soin. La perquisition au cabinet de l'avocat est un acte d'investigation particulièrement brutal, susceptible de malmener le secret professionnel de l'avocat (2).
D'une part, la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure l'imprécision de la décision de perquisition qui "ne mentionnait le lieu où devaient être effectuées les investigations". Il convient de rappeler qu'en l'occurrence, le confrère partageait les locaux perquisitionnés avec d'autres confrères. De ce point de vue, il convenait évidemment d'éviter que la perquisition menée dans le bureau de l'un des avocats ne vienne troubler l'exercice de la profession des autres avocats occupant les mêmes locaux.
D'autre part, et surtout, la Chambre criminelle de la Cour de cassation se montre particulièrement attentive à la lettre de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, dont il résulte que "les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci". A s'en tenir à la lettre du texte, la décision ordonnant la perquisition doit contenir trois informations cumulatives : la nature de l'infraction reprochée, le motif de la perquisition et l'objet de la perquisition. C'est précisément à cet égard que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon s'était fourvoyée. Celle-ci ne pouvait considérer que la décision de perquisition respectait les exigences de l'article 56-1 du Code de procédure pénale en se bornant à énoncer "le cadre de la saisine du juge, la nature des faits, les noms des sociétés concernées, les agissements incriminés et l'objet de la perquisition envisagée". En effet, la décision de perquisition doit être aussi précise que possible sur les motifs justifiant la mesure (3). En effet, c'est sur la base de ces informations -communiquées dès le début de la mesure de perquisition- que l'autorité ordinale va s'assurer de la régularité des opérations de saisie et, le cas échéant, former opposition à la saisie des documents qui seraient étrangers à la mesure sollicitée. Autant dire que le législateur a mis en place un régime où l'autorité ordinale est invitée à formuler une contestation en "temps réel" : c'est à la suite des objections formulées dans le cadre des opérations de perquisition que le juge des libertés et de la détention va statuer. L'information complète de l'autorité ordinale constitue la condition sine qua non d'une contestation utile et pertinente devant le juge des libertés et de la détention. Et il va sans dire que le contrôle effectué par ce magistrat du siège n'a de sens réel et effectif que s'il est informé des motifs de la mesure querellée par l'autorité ordinale.
II - Une contestation facilitée
Tandis que la Chambre criminelle de la Cour de cassation se montre particulièrement exigeante quant à la justification de la perquisition réalisée au cabinet de l'avocat au regard de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, elle se montre, en revanche, plus souple dans la contestation de la perquisition.
D'une part, cette souplesse se manifeste dans les modalités de la contestation. Ainsi, l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon avait écarté la nullité de la perquisition, prise du défaut de précision du lieu et du motif de la mesure, en relevant que cette irrégularité "n'a pas été soulevée lors de la perquisition tant par l'avocat que par le délégué du Bâtonnier". Sans doute, la Chambre de l'instruction avait tenté de s'emparer du troisième alinéa de l'article 56-1 du Code de procédure pénale qui précise que "le Bâtonnier ou son délégué peut s'opposer à la saisie d'un document ou d'un objet s'il estime que cette saisie serait irrégulière" et que "ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections du Bâtonnier ou de son délégué, qui n'est pas joint au dossier de la procédure". En d'autres termes, la juridiction de l'instruction du second degré avait considéré que, faute d'avoir formulé une objection "en temps réel" au moment des opérations de perquisition, l'avocat concerné par la perquisition n'était plus fondé à s'en émouvoir devant la chambre de l'instruction dans le cadre d'une requête en nullité fondée sur l'article 173 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8645HW4). Cette analyse ne pouvait être retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans la mesure où elle revenait à ériger le juge des libertés et de la détention en juridiction de contrôle de la légalité de l'instruction judiciaire, en lieu et place de la chambre de l'instruction. Ceci ne pouvait être admis d'autant plus que l'article 56-1, alinéa 7, du Code de procédure pénale précise que le versement d'une pièce saisie au dossier de la procédure pénale "n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction". Le contrôle du juge des libertés et de la détention ne semble donc se confondre avec le contrôle exercé par la chambre de l'instruction : tandis que le premier est invité à vérifier si les documents saisis lors de la perquisition présentent un intérêt dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre l'avocat, la chambre de l'instruction reste compétente pour se prononcer sur la légalité de la mesure de perquisition.
D'autre part, la Chambre criminelle facilite encore largement la contestation de la perquisition au domicile de l'avocat en considérant que l'irrégularité qui en découle "porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné". L'exigence d'un grief aux intérêts de l'avocat concerné subsiste, mais la Chambre criminelle le présume en estimant que l'imprécision de la décision de perquisition lui nuit nécessairement. Cette catégorie intermédiaire, entre les nullités soumises à grief et celles dispensées de grief, n'est pas nouvelle en jurisprudence (5). Il est fréquent que la Chambre criminelle y fasse référence en cas de violation manifeste des droits de la défense, mais force est de constater que c'est la première fois, à notre connaissance, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation y fait référence dans le cadre du contentieux de la légalité de la perquisition du cabinet d'avocat fondé sur l'article 56-1 du Code de procédure pénale. En l'occurrence, l'imprécision de la décision de perquisition justifie pleinement le recours à cette catégorie de nullité intermédiaire : l'absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, prive irrémédiablement le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention.
(1) V. Nioré, Perquisitions au domicile et en cabinet d'avocats : pleins feux sur le juge des libertés et de la détention, Gaz. Pal., 23 au 27 décembre 2012, p. 4 et s. ; v. également le rapport sur la réforme du régime des perquisitions au domicile des avocats, présenté à l'assemblée générale du CNB en date des 6 et 7 juillet 2012.
(2) R. Martin, Juris.-Cl. Procédure civile, Fasc. 83-4, Avocats - obligations et prérogatives, n° 105.
(3) V., en ce sens, Cass. crim., 25 juin 2013, n° 12-88.021, FS-P+B (N° Lexbase : A3071KIL), Bull. crim., n° 155 (spéc. deuxième et troisième moyen).
(4) C. pr. pén., art. 170 (N° Lexbase : L0918DYN).
(5) Cass. crim., 29 février 2000, n° 99-85.573 (N° Lexbase : A4133CKB), Bull. crim., n° 92 ; Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81.441(N° Lexbase : A5695AT4), Bull. crim., n° 119 ; Cass. crim., 2 février 2005, n° 04-86.805, F-P+F (N° Lexbase : A8831DG8), Bull. crim., n° 41.
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newsid:451624
Réf. : Décret n° 2016-296 du 11 mars 2016, relatif à la simplification de formalités en matière de droit commercial (N° Lexbase : L9982K4H)
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N1772BWK
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Le 17 Mars 2016
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Réf. : Cass. soc., 2 mars 2016, n° 14-16.414, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9222QDW)
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N1774BWM
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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
Le 17 Mars 2016
Résumé
La structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue, à l'expiration des délais prévus à l'article L. 2261-13 du Code du travail (N° Lexbase : L2440H9A), un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation, l'employeur ne pouvant la modifier sans l'accord de chacun de ces salariés, quand bien même estimerait-il les nouvelles modalités de rémunération plus favorables aux intéressés. Un engagement unilatéral de l'employeur contraire à ce principe ne peut avoir force obligatoire. |
Observations
I - Le maintien des avantages individuels acquis
Exigences légales. Lorsqu'une norme conventionnelle fait l'objet d'une dénonciation par la totalité des signataires employeurs ou salariés, elle continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure (1).
A s'en tenir là, on pourrait penser que l'employeur ou le groupement patronal n'a guère d'intérêt à signer un accord de substitution dès lors qu'au terme du délai de survie, la norme conventionnelle dénoncée cesse purement et simplement de s'appliquer. Les choses ne sont, évidemment, pas aussi simples. Outre, qu'il convient de ne pas oublier qu'une convention ou un accord collectif de travail peut être source de flexibilité pour l'employeur, il importe surtout de rappeler que l'absence d'accord de substitution conduit, en application de l'article, L. 2261-13 du Code du travail, au maintien des avantages individuels acquis en application de la convention ou de l'accord dénoncé.
Il faut encore ajouter à cela que la Cour de cassation considère, dans le silence des textes, que ces avantages individuels acquis s'incorporent au contrat de travail des salariés concernés, avec pour conséquence notable qu'ils ne peuvent être remis ensuite en cause par décision unilatérale de l'employeur (2).
Difficultés de mise en oeuvre. Pour être simples en leur principe, les règles qui viennent d'être rappelées sont sources de récurrentes difficultés de mise en oeuvre. La principale d'entre elles réside, sans aucun doute, dans le fait de savoir ce que recouvre, très concrètement, la notion "d'avantages individuels acquis". On ne saurait dire que la Cour de cassation n'a pas tenté, au fil de sa jurisprudence, de cerner celle-ci. Mais le fait est que, nonobstant les nombreux arrêts rendus sur la question, la notion reste insaisissable. A tel point d'ailleurs, que l'avant-projet de loi "El Khomri" abandonne purement et simplement toute référence au maintien des avantages individuels acquis. A s'en tenir à l'état de ce texte à l'heure où ces lignes sont écrites, les salariés conserveraient "une rémunération" en application de la convention ou de l'accord dénoncé dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne pourrait être inférieur à la rémunération versée lors des douze derniers mois (3).
Une fois n'est pas coutume, ce n'était toutefois pas la notion "d'avantage individuel acquis" qui était en cause dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen, mais les conséquences de leur incorporation au contrat de travail des salariés concernés.
II - L'incorporation des avantages individuels acquis au contrat de travail
L'affaire. Etaient, en l'espèce, en cause, plusieurs salariés engagés par la caisse d'épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes (la caisse). Le 20 juillet 2001, la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance avait dénoncé divers accords collectifs nationaux et locaux applicables au sein des entreprises du réseau des caisses d'épargne, dont l'un, du 19 décembre 1985, qui prévoyait le versement, outre d'un salaire de base, notamment de primes de vacances, familiale et d'expérience.
Aucun accord de substitution n'ayant été conclu à l'expiration de la période de survie des accords qui avaient été dénoncés, la caisse a informé ses salariés que ces primes, devenues des avantages individuels acquis, ne figureraient plus de manière distincte sur les bulletins de salaire comme auparavant mais seraient intégrées au salaire de base.
Par deux arrêts (4), la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation. En conséquence de ces décisions, la caisse a, à compter de 2010, établi des bulletins de paie mentionnant sur des lignes distinctes le salaire de base et les avantages individuels acquis pour des montants cristallisés à la date de leur incorporation aux contrats de travail. Les salariés ont néanmoins saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Pour condamner la caisse à établir, pour chacun des salariés, et pour la période allant d'octobre 2008 à novembre 2013, des bulletins de paie faisant apparaître distinctement le salaire de base et chacune des primes maintenues au titre des avantages individuels acquis, valorisées en fonction de l'évolution du salaire de base, l'arrêt attaqué a retenu que l'employeur a pris en octobre 2002 un engagement unilatéral qu'il n'a pas dénoncé régulièrement depuis, qui portait sur l'intégration des avantages individuels acquis dans l'assiette de calcul des augmentations de salaire, et que les primes intégrées ont donc suivi l'évolution du salaire de base.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 2261-13 du Code du travail et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). La Chambre sociale rappelle, tout d'abord, que la structure de la rémunération résultant d'un accord collectif dénoncé constitue, à l'expiration des délais prévus à l'article L. 2261-13 du Code du travail, un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés employés par l'entreprise à la date de la dénonciation, l'employeur ne pouvant la modifier sans l'accord de chacun de ces salariés, quand bien même estimerait-il les nouvelles modalités de rémunération plus favorables aux intéressés. Elle affirme, ensuite, qu'un engagement unilatéral de l'employeur contraire à ce principe ne peut avoir force obligatoire.
La Cour de cassation considère, enfin, qu'en statuant comme elle l'a fait, "alors que l'intégration des primes constitutives des avantages individuels acquis dans l'assiette de calcul des augmentations du salaire de base n'était que la conséquence de la décision illicite prise par la caisse en octobre 2002 de modifier unilatéralement la structure de la rémunération en intégrant les dits avantages individuels acquis au salaire de base, ce dont elle aurait dû déduire qu'elle ne pouvait constituer un engagement unilatéral de l'employeur ayant force obligatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
Une solution juridiquement fondée. L'argumentation développée par les salariés dans la présente affaire n'était pas dénuée d'un certain opportunisme. En effet, ces derniers entendaient se prévaloir de la décision unilatérale de l'employeur d'intégrer les primes au sein du salaire de base ; décision datant d'octobre 2002. Il s'agissait, par ce biais, d'obtenir que ces primes bénéficient des mêmes valorisations que le salaire de base.
Cette argumentation pouvait s'autoriser du fait que la décision unilatérale en cause, qualifiée d'engagement unilatéral de l'employeur, n'avait pas été dénoncée par ce dernier et était donc toujours en vigueur. Cette absence de dénonciation se comprend parfaitement puisque, en quelque sorte, la décision de l'employeur avait été désavouée par la Cour de cassation qui, par deux arrêts en date du 1er juillet 2008 avait considéré que la structure de la rémunération constitue un avantage individuel acquis.
Deux conséquences découlaient de cette solution. En premier lieu, elle exigeait de l'employeur qu'il n'intègre pas les primes dans le salaire de base, mais qu'il les fasse apparaître distinctement sur les bulletins de salaire. En second lieu, la structure de la rémunération, parce qu'elle avait reçu la qualification d'avantage individuel acquis, était devenu, ipso facto, partie intégrante du contrat de travail des salariés.
On sait les effets d'une telle intégration : seul un accord entre l'employeur et les salariés concernés peut permettre la remise en cause de cet élément contractuel. Le fait que l'employeur estime que les nouvelles modalités de la rémunération soient plus favorables aux salariés ne change rien à l'affaire. Tout cela est, à dire vrai, fort classique.
On remarquera, cependant, que c'est moins l'employeur qui considérait que les nouvelles modalités de la rémunération étaient plus favorables, que les salariés qui entendaient se prévaloir de l'engagement unilatéral non dénoncé. On comprend ainsi que cet engagement unilatéral n'avait pas pour objet d'accorder un avantage aux salariés, auquel cas il aurait dû recevoir application, mais de remettre en cause un élément de leur contrat de travail intéressant leur rémunération, ce qui exigeait l'accord exprès des salariés intéressés. Ce n'est là qu'une conséquence du régime juridique de la modification du contrat de travail et plus particulièrement de la règle selon laquelle la rémunération d'un salarié ne peut être unilatéralement modifiée, alors même que cette modification serait favorable pour le salarié.
(1) C. trav., art. L. 2261-10, al. 1er (N° Lexbase : L3731IBS).
(2) V., par ex., Cass. soc., 6 novembre 1991, n° 87-44.507 (N° Lexbase : A9146AAY), Bull. civ. V, n° 479.
(3) Cette rémunération s'entendrait, au sens des dispositions de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8661KUC), à l'exception de la première phrase de son deuxième alinéa.
(4) Cass. soc, 1er juillet 2008, n° 07-40.799, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4995D9U) et n° 06-44.437, FP-P+B (N° Lexbase : A4826D9M), Bull. civ.V, n° 147.
Décision
Cass. soc., 2 mars 2016, n° 14-16.414, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9222QDW). Cassation partielle sans renvoi (CA Lyon, 25 février 2014). Textes visés : C. trav., art. L. 2261-13 (N° Lexbase : L2440H9A) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC). Mots-clefs : Convention collective ; dénonciation, maintien des avantages individuels acquis ; incorporation au contrat de travail ; modification ; engagement unilatéral de l'employeur. Lien base : (N° Lexbase : E2385ETI). |
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newsid:451774
Réf. : Cass. soc., 9 mars 2016, n° 14-11.837, FS-P+B (N° Lexbase : A1824Q7P)
Lecture: 2 min
N1790BW9
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Le 17 Mars 2016
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newsid:451790
Réf. : Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-26.929, F-P+B (N° Lexbase : A1815Q7D)
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N1801BWM
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Le 22 Mars 2016
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newsid:451801
Réf. : Cass. soc., 9 mars 2016, n° 14-25.840, FS-P+B (N° Lexbase : A1820Q7K)
Lecture: 2 min
N1820BWC
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Le 19 Mars 2016
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newsid:451820
Réf. : CE référé, 8 mars 2016, n° 397206, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4131Q77)
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N1837BWX
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Le 18 Mars 2016
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newsid:451837
Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 10 février 2016, n° 373529, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2028PLP)
Lecture: 13 min
N1776BWP
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par Caroline Lantero, Maître de conférences en droit public, Université d'Auvergne, codirectrice scientifique de l'Encyclopédie "Droit des étrangers"
Le 17 Mars 2016
Les principes gouvernant la procédure de réexamen. Les règles relatives aux demandes de réexamen de la demande d'asile sont codifiées dans la partie législative du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (2) depuis la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA), qui a transposé la Directive européenne dite "Procédures" (3). A l'époque des procédures commentées, elles étaient inscrites dans la partie réglementaire du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont l'article R. 723-3 alors en vigueur (N° Lexbase : L0301IBR) précisait les modalités de dépôt d'une demande "lorsque, à la suite d'une décision de rejet devenue définitive, la personne intéressée entend soumettre à l'office des éléments nouveaux". La justification d'une demande de réexamen fondée sur des éléments nouveaux n'a pas changé. Elle a pu être précisée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de principe de 1995 qui n'a jamais été remis en cause (4). Par éléments nouveaux, on entend des circonstances de fait (mais pas de droit) intervenues (ou connues) postérieurement à la décision de rejet définitive, mais qui doivent impérativement être établies et justifier les craintes de persécution. Les nouvelles dispositions en vigueur permettent à l'OFPRA de réexaminer la demande en procédant préalablement à un examen préliminaire (5), lequel peut être dispensé d'entretien ce qui était déjà le cas et a été récemment validé par le Conseil d'Etat (6), et est susceptible de conduire l'Office à prendre une décision d'irrecevabilité. Relevons enfin que la demande de réexamen relève -de droit- de la procédure accélérée (feue la procédure improprement nommée "prioritaire").
Le rejet par ordonnance. Aux termes des dispositions de l'article L. 733-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L6633KDZ), "le président et les présidents de section peuvent, par ordonnance, régler les affaires dont la nature ne justifie pas l'intervention d'une formation collégiale". Cette faculté, inscrite dans la loi depuis 2003 (7), permet notamment de rejeter les "recours qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides" (8). L'affaire est jugée sans audience publique mais après que le demandeur a été mis en mesure de connaître les éléments (notamment le dossier de l'OFPRA) sur lesquels le président s'appuie pour statuer (9). Les demandes de réexamen font assez classiquement l'objet d'ordonnances de rejet, tant il est difficile pour les demandeurs d'apporter des éléments considérés comme nouveaux.
Le débouté du droit d'asile. Ce terme n'est pas juridique. Il est apparu dans un article de presse en 1986 (10). Le nombre de déboutés étant inversement proportionnel au nombre de réfugiés reconnus, il est important. Leur sort est en revanche mal connu (11). Toutefois dans un référé de la Cour des comptes du 30 juillet 2015 rendu public le 20 octobre 2015 (12), la cour décomptait 75 % de déboutés, dont 42 % faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et dont 6 % étaient effectivement éloignés, soit un éloignement effectif des déboutés du droit d'asile de l'ordre de 1 %. En pratique, pour éloigner un débouté du droit d'asile vers son pays d'origine, l'autorité administrative (en l'occurrence le préfet), qui est informée chaque semaine par une application (TélémOfpra) de la liste des décisions devenues définitives de l'OFPRA et des dernières décisions notifiées par la CNDA (13), pourra prendre une décision portant OQTF et pourra solliciter des informations auprès dudit pays pour s'assurer de l'identité de l'intéressé et obtenir un laissez-passer consulaire, dans le cas où celui-ci ne détient pas de passeport (ou de carte nationale d'identité pour les ressortissants roumains ou algériens). C'était le cas dans les faits de l'espèce. La préfecture de l'Oise avait sollicité un laissez-passer auprès de l'ambassade du Sri Lanka. Mais elle avait également communiqué des pièces à ladite ambassade...
Le Conseil d'Etat censure la CNDA pour n'avoir pas pris en compte que les informations communiquées à l'ambassade du Sri Lanka étaient constitutives d'un fait nouveau justifiant la demande de réexamen, notamment en ce qu'elles sont susceptibles d'accroître le risque de persécution.
Cet arrêt est l'occasion de rappeler l'importance de la confidentialité des informations manipulées s'agissant des candidats au statut de réfugié (I) et d'identifier un nouveau motif de réexamen de la demande d'asile (II).
I - La confidentialité : une garantie essentielle du droit d'asile
L'exigence de confidentialité de traitement des demandes d'asile découle de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP), puisque la sollicitation d'informations auprès du pays d'origine peut avoir pour effet direct d'aggraver le risque allégué par le candidat. Mais surtout, toute information relative au dépôt même d'une demande d'asile, sans même qu'en soit divulgué le contenu, présuppose une critique envers l'Etat d'origine. Les Hautes parties contractantes de la Convention avaient pris la précaution de formuler en préambule le voeu que "les Etats, reconnaissant le caractère social et humanitaire du problème des réfugiés", "fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter que ce problème ne devienne une cause de tension entre Etats". Or, il y a toujours une part de jugement de valeur sur le pays d'origine lorsqu'on reconnaît le statut de réfugié à l'un de ses ressortissants. Cela est d'autant plus vrai que de nombreux pays sont estampillés comme "sûrs" pour disqualifier la demande d'asile (14) ou accélérer son traitement (15) et, qu'a contrario, un réfugié reconnu vient nécessairement d'un pays non-sûr.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés le souligne avec force : "l'octroi de l'asile est un acte pacifique et humanitaire qui ne doit pas être considéré comme un acte inamical par un autre Etat" (16), et rappelle que la confidentialité des informations obtenues, stockées et partagées est un principe opérationnel élémentaire de procédure (17).
Le droit de l'Union européenne interdit également aux Etats de divulguer à l'auteur présumé des persécutions qu'une demande d'asile est présentée (18).
Cette obligation de non divulgation, qui pesait déjà sur l'OFPRA mais était inscrite dans la partie réglementaire du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (19), a été promue au rang législatif par la loi du 29 juillet 2015 (20). Ce principe a été étendu à la CNDA. La loi a rappelé pour l'OFPRA (21), et énoncé pour la CNDA (22), que l'obligation de confidentialité à laquelle ils sont tenus en prescrivant que la collecte d'information nécessaire à l'examen d'une demande ou d'un recours "ne doit pas avoir pour effet de divulguer aux auteurs présumés de persécutions ou d'atteintes graves l'existence de cette demande d'asile ou d'informations la concernant".
A - Le juge de l'asile, garant de la confidentialité
Dans sa décision du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a érigé la confidentialité au rang de principe à valeur constitutionnelle : "la confidentialité des éléments d'information détenus par l'office français de protection des réfugiés et des apatrides relatifs à la personne sollicitant en France la qualité de réfugié est une garantie essentielle du droit d'asile, principe de valeur constitutionnelle qui implique notamment que les demandeurs du statut de réfugié bénéficient d'une protection particulière ; qu'il en résulte que seuls les agents habilités à mettre en oeuvre le droit d'asile, notamment par l'octroi du statut de réfugié, peuvent avoir accès à ces informations [...]" (23).
Le Conseil d'Etat l'énonce pour la première fois dans une ordonnance de référé-liberté le 6 mars 2008, mais pour estimer qu'il n'est pas porté atteinte à cette confidentialité par la consultation, par le préfet, de la base de données dactyloscopiques "Eurodac" (24). Bien plus tard, dans un arrêt du 30 juillet 2014, le Conseil d'Etat censure partiellement une note du ministre de l'Intérieur édictant un dispositif à destination de l'OFPRA alors qu'il est incompétent pour le faire puisque cet établissement n'est pas placé sous son autorité (25). Validant les autres éléments du dispositif, il saisit toutefois l'occasion de consacrer le principe de "confidentialité des éléments détenus par l'OFPRA et relatifs à la personne sollicitant l'asile en France", laquelle "constitue une garantie essentielle du droit d'asile, qui implique que les demandeurs d'asile bénéficient d'une protection particulière". Dans un arrêt de Section du 1er octobre 2014 (26), le Conseil d'Etat avait rappelé à la CNDA que les pouvoirs et devoirs généraux de direction de la procédure que détient le juge administratif étaient applicables à la Cour en tant que juridiction administrative spécialisée. Parmi les devoirs, la charge de "veiller au respect des droits des parties, d'assurer l'égalité des armes entre elles et de garantir, selon les modalités propres à chacun d'entre eux, les secrets protégés par la loi", et, plus précisément pour le juge de l'asile, garantir le respect de la confidentialité des éléments relatifs aux candidats à l'asile. Dans cette espèce, la CNDA avait précisé dans les visas de sa décision qu'elle avait sollicité des informations auprès de la juridiction turque "sans divulguer l'identité du requérant". Toutefois, le Conseil d'Etat lui a rappelé que s'il lui est "loisible de demander la communication de documents nécessaires pour vérifier les allégations des requérants et établir sa conviction", elle ne peut cependant le faire qu'en "suivant des modalités qui assurent pleinement la nécessaire confidentialité des éléments d'information relatifs aux personnes qui sollicitent l'asile".
La CNDA, de son côté, reconnaît de manière constante que la violation du principe de confidentialité est susceptible d'aggraver le risque de persécution en se référant au principe de confidentialité pour censurer la pratique tendant à de solliciter des informations auprès de l'Etat d'origine (cf infra).
Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat saisit l'occasion de rappeler la valeur constitutionnelle du principe de confidentialité et la garantie particulièrement essentielle qu'il représente lorsque des informations sur une personne qui dit craindre une persécution dans son pays d'origine sont précisément communiquées à son pays d'origine. Toutefois, en l'espèce, ce n'est pas le juge de l'asile ou l'OFPRA qui a brisé la confidentialité, mais la préfecture, qui n'est a priori pas soumise aux mêmes règles.
B - Un principe à valeur constitutionnelle qui s'impose à l'administration
Les règles de confidentialité énoncées ci-dessus concernent la communication ou la recherche d'informations éventuellement sanctionnées réalisées en cours d'instruction de la demande d'asile. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce, ce qui est parfaitement logique, compte tenu de ce que la préfecture a communiqué des informations pour obtenir un laissez-passer consulaire et qu'une telle entreprise n'est possible qu'après le rejet définitif de la demande d'asile.
Toutefois, une telle démarche n'est manifestement pas toujours couronnée de succès et les circulaires à destination des préfets s'enchaînent depuis de nombreuses années pour les assurer des efforts du ministère et pour les inviter à être plus offensifs dans les demandes de laissez-passer (27). Dans la dernière circulaire en date, les préfets ont été instamment invités "à solliciter de façon plus déterminée l'obtention de laissez-passer consulaires pour mener à bien les décisions d'éloignement [qu'ils sont] amenés à prendre, la direction de l'immigration menant de son côté une action de persuasion auprès des ambassades et des consulat" (28).
En l'espèce, en sollicitant la délivrance d'un laissez-passer, la préfecture de l'Oise avait communiqué à l'ambassade du Sri Lanka une copie du procès-verbal d'audition de l'intéressé par la police judiciaire. Et dans ce procès-verbal, le requérant faisait valoir qu'il avait déposé une demande d'asile en France. La préfecture avait donc divulgué des informations couvertes par la confidentialité.
Il convient de relever que la préfecture n'est pas liée par les dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou de la Convention de Genève qui prescrivent à l'OFPRA et à la CNDA de garantir la confidentialité des informations relatives aux demandeurs d'asile. Mais bien évidemment, la valeur constitutionnelle du principe de confidentialité des éléments d'information relatifs aux personnes sollicitant l'asile en France s'étend nécessairement aux préfectures. Le Conseil d'Etat avait déjà jugé dans l'arrêt "La Cimade" du 30 juillet 2014 que l'administration devait respecter le principe de confidentialité dans la transmission à l'OFPRA du dossier de demande d'asile de l'étranger la formulant en rétention (29). La préfecture de l'Oise n'est pas partie au litige jugé le 10 février 2016, mais il est important de relever le rappel qui lui est adressé en creux.
II - La "rupture de confidentialité" : un fait nouveau susceptible d'accroître le risque
Le principe de confidentialité ne fait pas obstacle à la transmission d'informations aux préfectures en ce qui concerne le résultat -et seulement (30) le résultat- de la demande d'asile (31), ni à la transmission aux autorités d'origine des seuls documents permettant d'identifier un étranger en vue de l'obtention d'un laissez-passer consulaire (32). Mais il y a classiquement "rupture de confidentialité" lorsqu'une information est transmise aux autorités du pays d'origine s'agissant des motifs de la demande d'asile, ce que la CNDA a toujours assez facilement reconnu et ce que le Conseil d'Etat a consacré dans un arrêt "D." du 5 novembre 2014 (33). La portée de l'arrêt du 10 février 2016 est d'étendre la portée de l'arrêt "D." aux informations qui ne concernent, non pas les motifs de la demande d'asile, mais son existence même. La rupture de confidentialité n'est pas une simple avarie de procédure, elle touche au fond de la demande d'asile. Attention toutefois, il ne s'agira jamais que d'un fait nouveau justifiant d'un réexamen, pas d'un fait justifiant de la reconnaissance automatique d'une protection.
A - La rupture de confidentialité sur les motifs de la demande d'asile est un fait nouveau justifiant un réexamen
Dans un arrêt "D." du 5 novembre 2014, le Conseil d'Etat a déjà eu l'occasion de statuer sur les conséquences d'une rupture de confidentialité par une préfecture. Les faits étaient d'ailleurs fort similaires puisque le préfet avait communiqué au consulat de Turquie un procès-verbal d'audition de l'intéressé dans lequel il était fait mention de sa demande d'asile et du contenu de celle-ci (c'est-à-dire des motifs). La CNDA, conformément à une jurisprudence bien établie, avait alors considéré qu'il s'agissait d'un fait nouveau justifiant le réexamen de la demande d'asile, mais avait estimé en l'espèce que la transmission d'information n'avait pas créé à elle seule les conditions d'une exposition à des persécutions au sens des stipulations de la Convention de Genève (34). Ce raisonnement avait été validé par le Conseil d'Etat.
S'agissant du requérant sri-lankais, la préfecture n'avait pas communiqué les motifs de la demande d'asile, mais des informations sur sa seule existence.
B - La rupture de confidentialité sur l'existence de la demande d'asile est un fait nouveau justifiant un réexamen
La Cour avait déjà jugé à de multiples reprises (35) en ce sens, conformément aux textes, et la solution retenue en l'espèce s'explique assez mal. Mais c'est là aussi l'un des intérêts du juge de cassation de venir lisser de son autorité les solutions parfois éparses ou, en l'espèce, inconstantes, des juges du fond.
La solution d'étendre le principe de confidentialité à toute divulgation aux autorités du pays d'origine de la moindre mention de l'existence d'une demande d'asile s'imposait. Elle est parfaitement conforme aux textes cités plus haut et parfaitement cohérente avec la logique à l'oeuvre dans l'arrêt "D." du 5 novembre 2014.
En conclusion, deux brèves séries de remarques.
1 - Pour aller plus loin dans cette logique, il convient, plus que pour toute autre décision de justice, de préserver l'anonymat des décisions rendues par la CNDA, surtout lorsqu'il s'agit de décisions de rejet. C'est déjà le cas dans le recueil de jurisprudence accessible en ligne sur le site de la Cour (36). Mais il faut ici aller plus loin et s'engager au-delà des prescriptions de la CNIL dans sa délibération de novembre 2001 (37) à anonymiser toutes les décisions et tous leurs commentaires susceptibles d'être publiés, en version numérique ou papier. Reste en suspens la difficulté posée par la publicité des audiences, principe fondamental du procès administratif (38), et de la possibilité qu'ont les autorités consulaires de consulter librement le rôle de ces audiences. Peut-être s'agit-il d'un futur problème (39).
2 - Dans l'attente, sans surprise, et comme l'avait dégagé le Conseil d'Etat dans l'arrêt du 1er octobre 2014, le juge doit apprécier in concreto la portée de la rupture de confidentialité. Car si la rupture de confidentialité justifie le réexamen, elle n'annonce pas nécessairement que le statut du réfugié sera reconnu. L'affaire a été renvoyée à la CNDA.
(1) CNDA, 23 décembre 2011, I., n° 11020175.
(2) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-15 (N° Lexbase : L2555KDY) à L. 723-17.
(3) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (N° Lexbase : L9263IXD), art. 40. Lire nos obs., La "réforme" du droit d'asile (N° Lexbase : N8741BUB), Lexbase éd. pub., n° 384, 2015.
(4) CE, Sect., 27 janvier 1995, n° 129428 (N° Lexbase : A2010ANR), Rec. p. 51.
(5) En conformité avec les jurisprudences : CEDH, 20 septembre 2007, Req. 45223/05 (N° Lexbase : A3708DYY), §§ 64-65, CEDH 2007-IV ; CE, 4 juin 2014, n° 370515 (N° Lexbase : A0202MQK) ; CJUE, 5 novembre 2014, C-166/13 (N° Lexbase : A6445MZQ), pt n° 44 ; CJUE, 11 décembre 2014, C-249/13 (N° Lexbase : A2151M7S), pt n° 32.
(6) Voir CE, 9 novembre 2015, n° 381171 (N° Lexbase : A7590NWZ) : le Conseil d'Etat valide l'absence d'audition du demandeur d'asile dans le cadre d'une procédure de réexamen.
(7) Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003, modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, relative au droit d'asile (N° Lexbase : L9630DLA).
(8) Disposition actuellement inscrite à l'article R. 733-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1397KMP) issu du décret n° 2015-1298 du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : L1290KMQ), auparavant prévue dans la partie législative du même code à l'article L. 733-2 (N° Lexbase : L6633KDZ).
(9) CE, 10 décembre 2008, n° 284159 (N° Lexbase : A6994EBN), Rec. T. 775, règle aujourd'hui codifiée à l'article R. 733-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1397KMP).
(10) D. Brutus, La France, peau de chagrin des réfugiés, Le Monde, 22 février 1986.
(11) V. G. Jacques, Le devenir des demandeurs d'asile. Entre maintien et éloignement, dans J. Fernandez et C. Laly-Chevalier, Droit d'asile, Pedone, 2015, pp. 303-314 ; S. Slama, Les déboutés du droit d'asile : la stratégie de "l'inespoir", dans J. Fernandez et C. Laly-Chevalier, Droit d'asile, Pedone, 2015, pp. 315-332.
(12) Cour des comptes, référé n° S 2015 0977 1 du 30 juillet 2015 adressé à M. Valls.
(13) Le Conseil d'Etat a jugé cette pratique conforme : CE, 12 octobre 2005, n° 273198 (N° Lexbase : A0071DL9).
(14) Les pays membre de l'UE sont réputés "super-sûrs" et ne produisent pas de réfugiés en vertu du Protocole dit "Aznar" annexé au Traité d'Amsterdam.
(15) Les demandes de protection des ressortissants des pays d'origine sûr, dont la liste est fixée par le conseil d'administration de l'OFPRA, font l'objet d'une procédure accélérée.
(16) Comité exécutif du HCR, conclusion sur le caractère civil et humanitaire de l'asile n° 94 (LIII) 2002, 8 octobre 2002.
(17) HCR, Principes directeurs opérationnels, septembre 2006, 73.
(18) Voir articles 22 et 30 de la Directive "Procédures" de 2013, préc..
(19) C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 723-2 (N° Lexbase : L2127KIM) pour l'OFPRA.
(20) Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile.
(21) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-10 (N° Lexbase : L2547KDP).
(22) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 733-4 (N° Lexbase : L6592KDI).
(23) Cons. const., décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 (N° Lexbase : A8441ACM). Principe rappelé dans la décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003 (N° Lexbase : A0372DIM).
(24) CE, 6 mars 2008, n° 313915 ([LXB=]), Rec. T. p. 775.
(25) CE, 30 juillet 2014, n° 375430 (N° Lexbase : A7947MUU).
(26) CE Sect., 1er octobre 2014, n° 349560 (N° Lexbase : A4258MXY).
(27) Circulaire du 1er juin 1999 relative aux mesures d'éloignement : délivrance des laissez-passer consulaires et compétence préfectorale en matière d'expulsion, BOMI n° 99/2, pp. 32-33 ; circulaire de la DLPAJ du 16 avril 2002, relative à la délivrance des laissez-passer consulaires.
(28) Circulaire du 11 mars 2014, Lutte contre l'immigration irrégulière - priorités 2014 (N° Lexbase : L1304I3P).
(29) CE, 30 juillet 2014, n° 375430 (N° Lexbase : A7947MUU).
(30) Cons. const., décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, préc., Rec. p. 455, cons. n°s 41 à 47.
(31) CE, 12 octobre 2005, n° 273198 (N° Lexbase : A0071DL9).
(32) CE, référé, 2 février 2011, n° 346088 (N° Lexbase : A5296GW3).
(33) CE, 5 novembre 2014, n° 369658 (N° Lexbase : A9391MZT).
(34) CNDA, 12 mars 2013, n° 12012125.
(35) CNDA, 24 juillet 2015, n° 15003542 ; CNDA, 18 mai 2015, n° 15002641 ; CNDA, 24 avril 2015, n° 12025382 ; CNDA, 29 septembre 2011, n° 10009297.
(36) Disponible à cette adresse.
(37) CNIL, délibération n° 01-057 du 29 novembre 2001, portant recommandation sur la diffusion de données personnelles sur internet par les banques de données de jurisprudence (N° Lexbase : L9476A8H) : "aussi, le nom et l'adresse des parties devraient-ils être occultés dans les jugements et arrêts diffusées sur des sites Web en accès libre, à l'initiative du diffuseur et sans que les personnes concernées aient à accomplir de démarche particulière".
(38) CJA, art. L. 6 (N° Lexbase : L2613ALD) et article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).
(39) CJA, art. L. 731-1 (N° Lexbase : L3411IQE), qui autorise le président à décider que l'audience se tienne hors la présence du public. Pour une application récente, conduisant d'ailleurs à l'anonymat de la décision, voir CE, référé, 10 février 2016, n° 396744 (N° Lexbase : A4748PZU).
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Réf. : Cass. com., 1er mars 2016, n° 14-14.716, FS-P+B (N° Lexbase : A0778QYH) ; T. com. Saint-Pierre, 1er mars 2016, n° 2015003678 (N° Lexbase : A1871Q7G)
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis
Le 17 Mars 2016
Le Code de commerce institue une cession judiciaire des contrats, applicable aux contrats limitativement énumérés par L. 642-7, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L7333IZM), dans la rédaction que lui donne la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), par l'article L. 621-88, alinéa 1er, du même code (N° Lexbase : L6940AIU), avant la loi de sauvegarde des entreprises.
Du fait de l'existence de la cessibilité du bail, en application de l'article L. 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5033I3S), la question pouvait légitimement se poser de savoir si une cession judiciaire de ce même bail était possible, lorsque l'absence de cession du bail aurait ôté toute pertinence au plan de cession, dans la mesure où l'exploitation n'aurait pu être poursuivie. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a clairement répondu par l'affirmative. Si le jugement arrêtant le plan prévoit, par une mention expresse, la cession du droit au bail, cette cession est judiciaire (1).
Pour sa part, la législation sur les baux commerciaux prévoit une quasi-cession légale du contrat de bail en cas de cession du fonds de commerce. En effet, l'article L. 145-16 du Code de commerce répute nulles, "quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent chapitre à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise". La cession d'un fonds de commerce n'inclut toutefois pas nécessairement celle du droit au bail (2). Il convient de préciser que le dispositif ne concerne que le bail, laissant ainsi soumis à l'application du droit commun, le contrat de crédit-bail immobilier (3). Pour ce dernier, seules les dispositions relatives à la cession judiciaire des contrats ont vocation à s'appliquer.
A quoi bon cette double possibilité de cession du bail selon les voies du droit commun et par voie de cession judiciaire ? La distinction n'est pas purement académique, ainsi que permet de s'en convaincre l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 1er mars 2016, appelé à la publication au Bulletin.
En l'espèce, une cession d'entreprise incluant la cession judiciaire du droit au bail est intervenue au profit d'une société. Le bail prévoyait, selon une clause classique, la rédaction d'un acte authentique en cas de cession. Cette forme n'ayant pas été respectée, le bailleur a assigné le cessionnaire en résiliation et en expulsion. Les juges du fond avaient fait droit à la demande en considérant que le non-respect de l'exigence de forme constituait une infraction aux clauses du bail qui présente un caractère de gravité suffisante pour conduire à la résiliation de celui-ci.
La question posée à la Cour de cassation, saisie par le repreneur, était de savoir si la prévision du contrat de bail selon laquelle sa cession supposait la rédaction d'un acte authentique s'imposait en cas de cession judiciaire du contrat de bail, dans le cadre d'une cession d'entreprise. Sans surprise, à notre sens, la Cour de cassation casse la décision des juges du fond, et répond à la manière d'un arrêt de principe, au visa de l'article L. 642-7 du Code de commerce, que "sauf disposition contraire du jugement arrêtant le plan de cession, la cession judiciaire forcée du bail commercial en exécution de ce plan n'est pas soumise aux exigences de forme prévues par ce contrat". En d'autres termes, la cession judiciaire du bail est exclusive du respect de toutes clauses restrictives de cession.
La solution ici dégagée par la Cour de cassation s'inscrit dans la lignée des décisions qui, sur le fondement du principe d'ordre public de la cession judiciaire des contrats, invalident les clauses restrictives de la cession (4).
La solution s'applique pleinement en matière de cession judiciaire du bail des locaux professionnels et revêt ici une importance de premier plan, dans la perspective du redressement de l'entreprise par la voie de sa cession.
Ainsi, la clause d'agrément est-t-elle privée d'effet en cas de cession judiciaire du bail (5). Il en est de même des pactes de préférence (6).
Au contraire, lorsque la cession du bail des locaux professionnels n'intervient pas judiciairement, mais par les voies du droit commun (C. com., art. L. 145-16), les clauses insérées au bail, dès lors qu'elles n'ont pas pour effet d'empêcher la cession, devront être respectées. Pleine efficacité doit ainsi être reconnue à la clause d'agrément (7), qui interdit la cession du bail sans l'accord du bailleur.
De même, si la cession du bail n'est pas judiciaire, il faut reconnaître efficacité aux pactes de préférence.
Identiquement, il y aura place à respecter toutes les clauses par lesquelles le bailleur enferme dans certaines formes la cession du bail (8). Il pourra s'agir de l'obligation de rédiger un acte authentique pour la cession du bail permettant au bailleur d'être en possession d'un titre exécutoire. Il pourra être question du respect des clauses prévoyant la délivrance d'une copie exécutoire au bailleur, la signification par acte extrajudiciaire de la cession de bail intervenue ou encore de la clause obligeant à appeler le bailleur à la rédaction de l'acte de cession sous la même forme.
On mesure ainsi tout l'intérêt pour le repreneur de prévoir une cession judiciaire du bail des locaux professionnels et ne pas se contenter d'une cession en application de l'article L. 145-16 du Code de commerce.
Par la mise à l'écart des clauses restrictives de cession, il s'agit de ne pas laisser la cession au bon vouloir du cocontractant, puisqu'il n'en a pas la maîtrise. Mais ces clauses ne seront réputées non écrites que dans les rapports du cédé et du cessionnaire. Elles conserveront leur efficacité en cas de cession du contrat au cessionnaire du repreneur (9).
Terminons en indiquant que la solution ici posée vaut pour la cession judiciaire du bail commercial. N'est pas visée par le Code de commerce, au rang des contrats cessibles, la sous-location. Le caractère limitatif de la liste des contrats cessibles doit conduire à son exclusion. En pratique, il existe pourtant des cessions judiciaires de contrats de sous-location. La Cour de cassation n'a pas été amenée à déterminer si ces contrats rentrent bien dans la liste des contrats cessibles. Leur cession n'est pas sans faire naître de difficultés. Ainsi, le contrat de crédit-bail immobilier peut prévoir que toute sous-location devra être préalablement autorisée par le crédit-bailleur. La sous-location non autorisée n'est pas nulle, mais seulement inopposable au crédit-bailleur. Il en résulte qu'elle produit ses effets entre le crédit-preneur et le sous-locataire. L'insertion dans l'acte de cession du contrat de sous-location de la condition suspensive d'autorisation par le crédit-bailleur est sans effet, dès lors qu'elle vient contrarier le dispositif du jugement arrêtant le plan de cession, qui prévoyait la cession de ce contrat sans réserver la condition suspensive (10).
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
L'attribution judiciaire est une prérogative offerte au créancier de faire ordonner en justice que le bien sur lequel porte sa sûreté lui demeurera en paiement. Ce mécanisme est précieux en ce qu'il évite au créancier le concours avec les titulaires de privilèges généraux, notamment le super privilège des salaires. L'attribution judiciaire était initialement prévue en faveur des créanciers gagistes (11). Depuis l'ordonnance du 23 mars 2006, relative aux sûretés (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH), cette possibilité a également été reconnue au créancier hypothécaire (12). L'article 2458 du Code civil (N° Lexbase : L6532HWT) dispose en effet, désormais, que "à moins qu'il ne poursuive la vente du bien hypothéqué selon les modalités prévues par les lois sur les procédures civiles d'exécution, auxquelles la convention d'hypothèque ne peut déroger, le créancier hypothécaire impayé peut demander en justice que l'immeuble lui demeure en paiement". Le texte précise, cependant, que cette faculté n'est pas offerte au créancier hypothécaire si l'immeuble constitue la résidence principale du débiteur. Cette faculté est-elle également écartée lorsque le débiteur fait l'objet d'une procédure collective ? Telle est la question sur laquelle s'est récemment penché le tribunal mixte de commerce de Saint-Pierre dans une espèce où le créancier hypothécaire avait sollicité l'attribution judiciaire de l'immeuble alors que la société débitrice faisait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire. Dans son jugement du 1er mars 2016, cette juridiction du premier degré n'a pas fait droit à la demande d'attribution judiciaire au motif que "l'attribution judiciaire vaut paiement et [qu']elle bouleverse l'ordre des paiements fixé par le législateur dans les procédures collectives". Cette décision rendue par les juges du fond mérite que l'on s'y attarde car, à notre connaissance, il s'agit de la première fois qu'est évoquée en jurisprudence cette question de l'impossibilité pour un créancier hypothécaire d'obtenir l'attribution judiciaire de l'immeuble hypothéqué en liquidation judiciaire.
La difficulté dont il est ici question est née de la symétrie organisée par l'ordonnance du 23 mars 2006 entre les modes de réalisation du gage et ceux de l'hypothèque conventionnelle. Rappelons qu'en dehors de l'existence d'une procédure collective, le créancier gagiste et le créancier hypothécaire ont le choix entre trois modes de réalisation de leur sûreté. A défaut de paiement de la dette garantie, ils peuvent poursuivre la vente du bien (C. civ., art. 2346 N° Lexbase : L1173HIB, en matière de gage, et C. civ., art. 2458, en matière d'hypothèque) ou solliciter l'attribution judiciaire du bien (C. civ., art. 2347 N° Lexbase : L1174HIC, en matière de gage, et C. civ., art. 2458, en matière d'hypothèque). Enfin, il peut être convenu entre le constituant et le créancier qu'à défaut d'exécution de l'obligation garantie, le créancier deviendra propriétaire du bien sur lequel porte la sûreté (C. civ., art. 2348 N° Lexbase : L1175HID, en matière de gage, et C. civ. art. 2459 N° Lexbase : L6533HWU, en matière d'hypothèque (13)). Cette dernière possibilité est désignée sous le vocable de "pacte commissoire".
A l'occasion de la procédure collective du constituant de la sûreté, le jeu du pacte commissoire est clairement écarté par le livre VI du Code de commerce. L'article L. 622-7 (N° Lexbase : L7285IZT) dispose, en effet, que le jugement ouvrant la procédure fait obstacle à la conclusion ou à la mise en oeuvre d'un tel pacte.
La vente forcée du bien est également écartée en toute phase de la procédure car elle contrarierait ouvertement deux règles fondamentales du droit des procédures collectives : celle de l'arrêt des poursuites individuelles et celle de l'interdiction des paiements des créances antérieures.
Ces règles semblent également exclure, sauf texte contraire, toute possibilité pour le créancier d'obtenir l'attribution judiciaire du bien objet de la sûreté. En effet, ainsi que le soulignent les doctrines civiliste (14) et faillitiste (15), l'attribution judiciaire peut être qualifiée de dation en paiement (judiciaire ici), c'est-à-dire de remise à titre de paiement d'une chose différente de celle qui faisait l'objet de l'obligation. Cette qualification rend, par principe, impossible l'attribution judiciaire pendant la procédure collective car cette dation en paiement violerait ouvertement la règle de l'interdiction des paiements. C'est la raison pour laquelle la jurisprudence exclut toute possibilité d'attribution judiciaire en période d'observation (16). En est-il de même lorsque la procédure est une liquidation judiciaire ? La réponse est assurément négative en matière de gage car un texte spécial -l'article L. 642-20-1, alinéa 2 (N° Lexbase : L3466ICD)- prévoit de la manière la plus claire qui soit que "le créancier gagiste, même s'il n'est pas encore admis, peut demander au juge-commissaire, avant la réalisation, l'attribution judiciaire".
En matière d'hypothèque, on cherchera en vain dans le Code de commerce une disposition analogue. Ainsi, faute de texte particulier, il semble impossible pour le créancier hypothécaire de solliciter l'attribution judiciaire, même si la procédure collective est une liquidation judiciaire. La doctrine est cependant divisée sur cette question. Certains auteurs, dont nous partageons l'avis, considèrent qu'en l'absence de disposition spéciale autorisant l'attribution judiciaire immeuble, les règles de l'interdiction des paiements des créances antérieures et celle de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution doivent conduire à en interdire l'exercice (17), alors que d'autres auteurs sont d'un avis contraire (18). La question qui se trouve désormais dans les "tuyaux judiciaires" ne devrait pas tarder à être clairement tranchée par les hauts magistrats. La réponse que ceux-ci y apporteront sera de première importance pour le créancier hypothécaire mais également pour la caution. En effet, en matière de gage, la Cour de cassation a jugé que le créancier gagiste qui négligeait de demander l'attribution judiciaire commettait une faute dont pouvait se prévaloir la caution qui se trouvait alors déchargée par le jeu de l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP) (19). Il en a été jugé de même lorsque l'exercice de l'attribution judiciaire du gage avait été tardif, entraînant une dépréciation importante de la valeur du bien gagé (20). Si la Cour de cassation fixait sa jurisprudence dans un sens contraire à la décision ici rapportée, les solutions adoptées en matière d'attribution judiciaire du gage auraient naturellement vocation à être transposées en matière d'attribution judiciaire de l'immeuble en liquidation judiciaire. Dans l'attente, et par prudence, les créanciers hypothécaires, par ailleurs bénéficiaires d'un cautionnement, seraient sans doute bien avisés de solliciter l'attribution judiciaire de l'immeuble afin que leur immobilisme ne puisse pas, un jour, leur être reproché par la caution.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201)
(1) Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-20.057, F-D (N° Lexbase : A1095DWH) ; Gaz. proc. coll. 2007/4, p. 42, note D. Voinot.
(2) Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-20.057, F-D, préc. et les obs. préc..
(3) Cass. com., 11 mars 1997, n° 94-15.678, inédit (N° Lexbase : A2680AGD), Dr. sociétés, 1997, n° 82, obs.Y. Chaput.
(4) F. Kendérian, n° 120 et s. ; nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 8ème éd., 2015/2016, n° 582.65.
(5) Cass. com., 6 décembre 1994, n° 91-17.927, publié (N° Lexbase : A6488ABW), Bull. civ. IV, n° 368 ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 25 juin 2004, n° 2004/2812.
(6) Ainsi, CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 15 janvier 2013, n° 12/17592 (N° Lexbase : A1232I3Z), F. Kendérian, Lexbase, éd. aff., 2013, n° 433 (N° Lexbase : N6438BTM).
(7) Cass. com. 3 juin 2009, n° 07-15.708, F-D (N° Lexbase : A6170EHY) ; Gaz. proc. coll. 2009/3, p. 21, note F. Kendérian.
(8) Cass. com., 26 octobre 1993, n° 91-15.877, publié (N° Lexbase : A5754ABQ), Bull. civ. IV, n° 362 ; JCP éd. N, 1994, n° 8, p. 65, obs. C. Destame.
(9) CA Versailles, 2 février 1995, AJDI, 1995, 588, note J.-P. Blatter.
(10) Cass. civ. 3, 18 septembre 2012, n° 10-30.696, F-D (N° Lexbase : A2495ITL).
(11) Ainsi qu'aux créanciers nantis à une époque où ce terme avait une autre définition que celle qu'il a aujourd'hui. En effet, avant l'ordonnance du 23 mars 2006, le nantissement désignait un gage sans dépossession. Depuis lors, le nantissement désigne la sûreté réelle portant sur un bien meuble incorporel (exemple : nantissement de compte titre, nantissement de fonds de commerce, nantissement de créance).
(12) Une discussion est compte pour domaine de l'attribution judiciaire, certains auteurs considérant qu'elle n'est plus ouverte qu'en cas d'hypothèque conventionnelle, au regard de la rédaction de l'article 2458 du Code civil qui vise "la convention hypothécaire", ce qui pourrait laisser à penser que l'hypothèque légale et hypothèque judiciaire resterait tenue à l'écart du domaine de l'attribution judiciaire. Sur la question, v. not., L. Aynès et P. Crocq, Droit des sûretés, 9ème éd., LGDJ, n° 686.
(13) Cette faculté étant exclue si l'immeuble constitue la résidence principale du débiteur (C. civ., art. 2459).
(14) L. Aynès et P. Crocq, Droit des sûretés, préc., n° 686.
(15) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 563.82.
(16) Cass. com., 6 mars 1990, n° 88-16.036, publié (N° Lexbase : A4125AGU), Bull. civ. IV, n° 67 ; Cass. com., 28 mai 1996, n° 94-16.269, publié (N° Lexbase : A2473AB9), Bull. civ. IV, n° 144, D., 1996, Somm. 385, obs. S. Piedelièvre ; RD banc. et bourse, 1996, 211, obs. M.-J Campana et J.-M. Calendini ; sol. impl. Cass. com. 7 juill. 2004, n° 02-14.767, F-D (N° Lexbase : A0219DDH).
(17) P.M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 621.79 et Les incidences de la réforme du droit des sûretés sur les créanciers confrontés aux procédures collectives, JCP éd. E, 2007, Chron. 1185, p. 24 et s., spéc. p. 28, n° 37 ; A. Jacquemont, Procédures collectives, 6ème éd., 2009, Litec, n° 919 ; R. Dammann et G. Le Beuze, Réforme des sûretés et des procédures collectives : quelles sûretés choisir ?, Cah. dr. entr., 2007/2, p. 45 et s., spéc. p. 49 ; D. Legeais, L'appréhension du droit des sûretés par l'ordonnance du 18 décembre 2008, in Colloque Sûretés réelles et droit des entreprises en difficulté, Nice, 20 mars 2010, LPA, 11 février 2011, n° 30, p. 27 et s., spéc. p. 29.
(18) M. Cabrillac, S. Cabrillac, Ch. Mouly et Ph. Pétel, Droit des sûretés, 9ème éd., Litec, 2010, n° 1095 ; F. Pérochon, Les sûretés immobilières classiques, in Colloque Sûretés réelles et droit des entreprises en difficulté, Nice, 20 mars 2010, LPA, 11 février 2011, n° 30, p. 49 et s., spéc. p. 53, n° 23.
(19) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 07-14.808, F-D (N° Lexbase : A7114D8Y).
(20) Cass. com., 17 février 2009, n° 07-20.458, FS-P+B (N° Lexbase : A2612ED4), Bull. civ. IV, n° 22 ; D., 2009, AJ 625 ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 43, n° 2, note P.-M. Le Corre ; JCP éd. E, 2009, 1347, n° 10, obs. M. Cabrillac ; Act. proc. coll., 2009, n° 103, note D. Legeais ; JCP éd. E, 2009, 1644, n° 14, obs. Ph. Simler ; RTDCiv., 2009, 555, n° 3, obs. P. Crocq ; nos obs. in Chronique, Lexbase, éd. aff., 2009, n° 342 (N° Lexbase : N8944BI4).
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Directeur du Master 2 Fiscalité européenne et internationale à la Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)
Le 17 Mars 2016
L'administration procède alors à la réintégration, dans les résultats de la société d'exploitation de la marque, du montant des redevances non perçues. Des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt sont ensuite logiquement (si l'on adopte le point de vue de l'administration) mises à la charge de la société mère. Cette dernière demande au juge administratif de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt et des contributions additionnelles, ainsi que des pénalités correspondantes. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejette sa demande (TA Cergy-Pontoise, 26 mai 2011, n° 0708716), tout comme la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 21 mai 2013, n° 11VE02628 N° Lexbase : A0911MR8). Le Conseil d'Etat annule l'arrêt de la cour en tant qu'il porte sur les redressements notifiés au titre des redevances d'utilisation de la marque.
Un acte de gestion peut être qualifié d'anormal lorsqu'une entreprise accepte une charge étrangère à son intérêt ou renonce à un profit. Dès 1983, le Conseil d'Etat avait posé une philosophie fiscale digne de feu le bon père de famille : une décision de gestion ne doit pas "excéder manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut prendre pour améliorer les résultats de son exploitation" (CE 8° et 9° s-s-r., 28 septembre 1983, n° 34626, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1280AMD). Puis la notion d'anormalité, appliquée à l'acte de gestion, avait fait son apparition dans l'arrêt "Loiseau" (CE 7° et 8° s-s-r., 17 octobre 1990, n° 83310, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4669AQY), arrêt qui n'était alors, selon l'analyse d'Olivier Fouquet, qu'une décision d'espèce au destin rétrospectivement glorieux. En 2016, le Conseil d'Etat fait montre, de prime abord, d'un pédagogique classicisme jurisprudentiel : "le fait de renoncer à obtenir une contrepartie financière à une concession de licence de marque ne relève pas en règle générale d'une gestion commerciale normale". La société d'exploitation de la marque n'a pas facturé à la société d'exploitation du restaurant les redevances correspondantes à l'utilisation de la marque. Or, la valorisation potentielle d'actifs ne constitue pas (en règle générale) un mode de rémunération normale d'une concession de licence de marque. De cette anormalité présumée, le juge tire la conclusion qu'il revient à la requérante de supporter la charge probatoire et de justifier le renoncement à la contrepartie financière évoquée.
De la contrepartie en terre fiscale ; tel pourrait être l'intitulé d'un article consacré à l'acte anormal de gestion. Une entreprise peut renoncer à un profit ; encore faut-il qu'existe une notable contrepartie à ce renoncement financier, une contrepartie à ce point substantielle qu'elle justifie la stratégie retenue. Un acte frappé de suspicion est normalisé s'il est manifeste que l'entreprise a agi, en consentant un tel avantage, dans son propre intérêt. On voit à quel point la notion d'acte anormal de gestion s'inspire originellement du droit commercial et de la notion d'acte non conforme à l'intérêt social (1). Une société enferrée dans les rets de l'anormalité gestionnaire doit démontrer l'existence d'une contrepartie "tant dans son principe que dans son montant", nous dit le Conseil d'Etat (décision commentée).
Il revient au contribuable de prouver que l'avantage consenti était impératif au regard de son intérêt propre : soit cet avantage a permis de préserver l'existence même d'actifs dont dépendait la pérennité de sa propre activité économique... Soit cet avantage a permis la prévention d'une dévalorisation certaine dans des conditions compromettant durablement leur usage comme source de revenus. On notera l'exigence sémantique et conceptuelle du juge qui encadre (trop ?!) les choix stratégiques des entreprises qui, par essence, prennent des risques (on reviendra sur cette notion). Quid de la stratégie financière et argumentative de la société requérante ? En renonçant à percevoir les redevances correspondant à l'utilisation de la marque par la société d'exploitation du restaurant, la société d'exploitation de la marque a contribué à "préserver la marque et son renom" ; une telle stratégie s'imposait, tant l'activité économique de la société d'exploitation de la marque repose sur ladite marque.
Renom : sans doute sommes nous en présence de la notion centrale dans cette affaire. Car la seule matière comptable, en ses formules positives et négatives, ne permet pas de trancher le noeud gordien. Il ne s'agit pas seulement d'une banale équation financière dans laquelle le juge opère, en son classique balancing test, un bilan coût/avantage pour savoir si l'entreprise a fauté ou non. Est en jeu ici le renom, élément qui renvoie à une subjectivité immatérielle fort délicate à évaluer. Si le Conseil d'Etat, fidèle à son modus operandi juridictionnel, est économe en son argumentation, nul doute qu'il a été sensible à la réputation, au prestige de la marque, si essentiels pour son développement, voire sa survie. La notion d'image, juridiquement délicate à cerner, vient embrasser l'acte anormal de gestion en sa complexité. A cet instant, il est loisible de relier les notions de renom et prévention évoquées toutes deux par le Conseil d'Etat : en agissant de manière préventive (en s'activant pour éviter la prévention d'une dévalorisation certaine d'actifs dans des conditions compromettant durablement leur usage comme source de revenus), une entreprise agit pour préserver son renom, clé de voûte de sa stratégie. La normalité d'un acte de gestion doit aussi et ainsi pouvoir se mesurer à l'aune d'une logique anticipatrice seule à même de préserver sur le moyen/long terme les intérêts supérieurs de l'entreprise concernée, au regard de son renom. Un mauvais coucheur épris d'égalité formelle sera tenté de souligner qu'on ne prête encore qu'aux riches, le juge de l'impôt s'écartant de la pure logique comptable pour s'appesantir sur les notions de reconnaissance, d'image, de prestige, de renom. Inconnus vous êtes, et rattrapés vous serez plus aisément par l'acte anormal de gestion puisque vous ne pourrez invoquer l'indispensable protection de vos nom et renom ; reconnus vous serez, et plus aisément vous écarterez le grief d'anormalité en invoquant la préservation de votre réputation.
Tout commence par une présomption : pour le juge, la valorisation potentielle d'actifs ne constitue pas, en principe, un mode de rémunération normal d'une concession de licence de marque. Cette présomption devient postulat dangereux lorsqu'elle génère la conséquence suivante : la charge de la preuve échoit à l'entreprise qui doit justifier ses choix stratégiques. Certains voient, dans cette politique jurisprudentielle, "une dérive du juge vers une appréciation subjective de l'objet de la preuve" (2). Une logique de présomption de régularité ne devrait-elle s'imposer, conduisant à ce que la dévolution de la charge de la preuve soit entre les mains de l'administration ? Commande un tel raisonnement les principes de liberté de gestion des entreprises et de non-immixtion de l'administration dans la gestion des entreprises ; sans même évoquer l'inégalité des armes entre l'Etat et le contribuable... Comment ne pas trouver tarabiscotées certaines formulations émanant du juge de l'impôt, à l'instar de celle emblématique lue dans une décision de 2003 ? Pour le Conseil d'Etat, "s'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un abandon de créances [...] constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties" (3). Etrange mécanisme intellectuel : la charge de la preuve appartient à l'administration... Mais son inaction probatoire lui permet d'imposer ses vues si l'entreprise ne justifie pas ses actes de gestion. Bref, est posé un principe de présomption d'anormalité qui conduit à ce que le fardeau probatoire revienne au contribuable. Christophe de la Mardière résume, en une salutaire formule, la chose : la charge de la preuve revient à l'administration mais est "apportée pour l'essentiel par le contribuable" (4). Si l'entreprise a correctement justifié sa stratégie, il appartient à l'administration fiscale de prouver que les contreparties accordées par l'entreprise sont "inexistantes, dépourvues d'intérêt [...] ou insuffisantes" (CE, décision commentée).
Le Conseil d'Etat conserve la logique probatoire initialement retenue mais a le mérite de morigéner la cour administrative d'appel de Versailles : erreur de droit il y a car la cour n'a pas recherché si la renonciation à la perception des redevances litigieuses était justifiée "par la préservation de l'existence même d'actifs dont dépend l'activité économique de l'entreprise ou par la prévention d'une dévalorisation certaine dans des conditions compromettant durablement leur usage comme source de revenus". La cour administrative d'appel ne pouvait se contenter, pour rejeter la demande de la requérante, de constater qu'aucune clause ne déterminait les modalités, la durée et le montant de l'avantage consenti ; tout comme la cour administrative d'appel ne pouvait se contenter de relever que la société d'exploitation de la marque était elle-même déficitaire et qu'elle ne pouvait se fonder sur l'intérêt commercial du groupe pour justifier l'aide apportée à sa société soeur.
De la théorie de l'acte anormal de gestion à la théorie du risque manifestement excessif, il n'y a qu'un pas qu'il est assez aisé de franchir. Lorsque la société requérante décide de renoncer à percevoir des redevances correspondant à l'utilisation d'une marque, elle adopte un acte de gestion, et opte, sur le fondement du principe de liberté de gestion, pour une certaine stratégie financière. L'acte, qui n'est que la manifestation juridique du risque entrepris, peut être (re)qualifié d'anormal par l'administration fiscale puis le juge ; le contrôle de ces derniers porte alors sur le risque adopté. Ce faisant, sont jaugées les décisions de l'entreprise en ce qu'elles ne sont pas manifestement exagérées, en ce qu'elles sont cohérentes au regard de l'espoir de contreparties suffisantes. L'"immixtion rampante" (5) dans la gestion de l'entreprise n'est pas seulement évidente ; elle est contestable en ce qu'elle est synonyme de contrôle d'opportunité éminemment contraire aux principes juridiques élémentaires censés gouverner les relations contribuable/administration /juge. Certaines rassurantes formules du juge, "sous réserve de circonstances exceptionnelles, une opération accomplie conformément à l'objet social de l'entreprise et dont le dénouement se traduirait par des pertes importantes, ne saurait, par elle-même, caractériser un acte anormal de gestion" (6), ne convainquent pas entièrement. Porter son regard sur la normalité ou l'anormalité d'un acte de gestion signifie analyse subjective tant il est parfois ardu d'apprécier la valeur de la contrepartie permettant de qualifier l'acte de normal, ou plutôt de non anormal. L'acte anormal de gestion n'est pas seulement "le premier risque fiscal pour l'entreprise" (7) ; peut-être est-il aussi "la bonne à tout faire" (8).
(1) Voir les conclusions Racine in CE Contentieux, 27 juillet 1984, n° 34580 (N° Lexbase : A2906AL9).
(2) O. Debat, Droit fiscal des affaires, Montchrestien, 2013, p. 130.
(3) CE 9° et 10° s-s-r., 26 février 2003, n° 223092, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3402A77).
(4) C. de la Mardière, La preuve en droit fiscal, Litec, 2009, p. 146.
(5) Y. Rutschmann et J. Gayral, Le risque manifestement excessif : immixtion rampante dans la gestion de l'entreprise ou simple garde-fou ?, Droit fiscal, 2012, n° 45, p. 500.
(6) CE, 24 mai 2011, avis n° 385088.
(7) C. Bur, L'acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l'entreprise, EFE, 1999.
(8) Nos obs., L'acte anormal de gestion. La bonne à tout faire ?, Revue européenne et internationale de droit fiscal, 2iSF, Institut international des sciences fiscales.
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Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 9 mars 2016, n° 364586, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5407QYW)
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Le 18 Mars 2016
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Réf. : Cass. civ. 3, 10 mars 2016, n° 14-15.326, FS-P+B (N° Lexbase : A1663Q7Q)
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Le 17 Mars 2016
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 9 mars 2016, n° 376042, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5413QY7)
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Le 19 Mars 2016
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par Natalie Fricero, Professeur à l'Université de Nice, et Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université de Toulon
Le 17 Mars 2016
A - Compétence du JEX
Si le juge de l'exécution est bien "l'homme-orchestre" des procédures civiles d'exécution, il n'est pas pour autant juge du fond de tous les différends qui opposent le créancier et le débiteur saisi ! La deuxième chambre civile de la Cour de cassation l'a rappelé le 3 décembre 2015 (Cass. civ. 2, 3 décembre 2015, n° 13-28.177, F-P+B N° Lexbase : A6854NYI ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8242E8R) : à l'occasion de la contestation d'une saisie immobilière effectuée sur le fondement d'un acte notarié constatant un prêt immobilier, les débiteurs saisissent le JEX d'une demande de remboursement d'un trop perçu à l'encontre de la banque et ce dernier déclare la demande irrecevable. Sur pourvoi, la Cour de cassation précise que le JEX ne peut statuer au fond que sur "la validité et les difficultés d'exécution des titres exécutoires qui sont directement en relation avec la mesure d'exécution contestée". En conséquence, le JEX n'a pas le pouvoir de se prononcer sur une demande en paiement portant sur le remboursement d'un trop perçu, qui relève du fond : la sanction est donc bien une irrecevabilité de la demande, et non une exception d'incompétence (C. pr. civ., art. 122 N° Lexbase : L1414H47), et le JEX, qui s'attribue des pouvoirs dont il ne dispose pas, commet un excès de pouvoir (Cass. civ. 2, 26 juin 2014, n° 13-15.932, FS-P+B N° Lexbase : A1557MSH, Bull. civ. II, n° 156). Le "fond du droit" visé à l'article L. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L4833IRG) sur lequel le JEX peut statuer n'est pas toujours aisé à définir, mais celui qui saisit le JEX doit vérifier qu'il soit "directement en relation avec la mesure d'exécution contestée" (c'est le cas d'une demande en modération de la clause pénale contenue dans le titre exécutoire : Cass. civ. 2, 5 juin 2014, n° 13-16.053, FS-P+B N° Lexbase : A2981MQH, Bull. civ. II, n° 127). Si la relation n'est pas directe, la demande sera déclarée irrecevable (c'est le cas d'une demande de paiement de salaires non visés par la saisie des rémunérations : Cass. civ. 2, 1er octobre 2009, n° 08-18.478, FS-P+B N° Lexbase : A5912ELK, Bull. civ. II, n° 231).
B - Voies de recours
1° Quel point de départ de l'appel en cas de signification irrégulière ? Selon une jurisprudence constante, l'acte de signification d'un jugement, qui ne mentionne pas précisément la voie de recours ouverte, son délai ou ses modalités d'exercice ou qui comporte les mentions erronées la concernant, ne fait pas courir le délai de recours (C. pr. civ., art. 528 N° Lexbase : L6676H7E et 680 N° Lexbase : L1240IZX). Selon l'article R. 322-19 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2438ITH), l'appel contre le jugement d'orientation est formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe sans que l'appelant ait à se prévaloir dans sa requête d'un péril. Si ces précisions ne figurent pas dans l'acte de notification du jugement, la Cour de cassation considère que l'acte est irrégulier et que le délai d'appel du jugement ne court pas ! Cette solution a été reprise plusieurs fois par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 24 septembre 2015 (Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 14-23.768, F-P+B N° Lexbase : A8203NPI), le 3 décembre 2015 (Cass. civ. 2, 3 décembre 2015, n° 14-24.909, F-P+B N° Lexbase : A6864NYU) et le 28 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 15-11.391, F-P+B N° Lexbase : A3232N7T), à propos de l'appel contre un jugement d'orientation (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E4660EU7). Elle peut paraître sévère dans la mesure où le type de procédure d'appel est imposé par le dispositif légal et que la procédure à suivre n'est pas incluse dans les mentions prévues à l'article 680 du Code de procédure civile de manière expresse, et que l'annulation de l'acte de signification pour vice de forme suppose la preuve d'un grief qui selon le demandeur au pourvoi, n'était pas démontré en l'espèce comme l'indiquait l'arrêt attaqué. Il appartient aux professionnels de rester très vigilants sur le contenu de la signification du jugement d'orientation, même si le degré de précision des mentions laisse place à certaines incertitudes. Par exemple, il ne faut pas oublier l'adresse de la cour d'appel compétente pour statuer (Cass. civ. 2, 4 juin 2015, n° 14-15.450, F-D N° Lexbase : A2118NKN, à propos d'un jugement du tribunal d'instance en matière de surendettement). En revanche, il est possible de signifier un acte intitulé "commandement de saisie-vente", mentionnant qu'il est délivré en vertu d'un jugement réputé contradictoire assorti de l'exécution provisoire dont la copie est jointe et qui expose notamment les modalités précises de l'appel et le délai du recours (Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-17.891, F-D N° Lexbase : A8785NHT).
2° Quelle procédure d'appel ? On sait que l'instance d'appel avec représentation obligatoire peut se dérouler selon deux modalités différentes. D'une part, selon le droit commun des articles 902 (N° Lexbase : L0377IT7) et suivants du Code de procédure civile, qui comporte des délais prévus à peine de caducité de la déclaration d'appel ou d'irrecevabilité des conclusions ; d'autre part, selon la procédure à bref délai prévue à l'article 905 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0374IGX), sans délai particulier (le projet de réforme de l'appel vise à introduire des délais pour conclure, sanctionnés par la caducité de l'appel ou l'irrecevabilité des conclusions). Le domaine d'application de la procédure prévue à l'article 905 du Code de procédure civile soulève des difficultés, parce que le texte vise deux hypothèses : en cas d'appel relatif à une ordonnance de référé ou à une ordonnance du juge de la mise en état, les dispositions de l'article 905 du Code de procédure civile s'appliquent de plein droit ; au contraire, dans les autres cas, ces dispositions sont appliquées de manière facultative sur décision du président de la chambre saisie d'office ou à la demande d'une partie, lorsque l'affaire semble présenter un caractère d'urgence ou être en état d'être jugée. L'article R. 121-20, alinéa 3, du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2164ITC), qui régit l'appel des décisions du juge de l'exécution, précise que "la cour d'appel statue à bref délai". Pour la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 21 janvier 2016, n° 14-28.985, F-P+B N° Lexbase : A5680N47 ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8296E8R), ces termes ne signifient pas que la procédure prévue à l'article 905 du Code de procédure civile s'applique de plein droit. En conséquence, dès lors que l'appel a été instruit conformément à l'article 907 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0389IGI), le président n'ayant pas décidé un circuit à bref délai, les dispositions des articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) à 911 sont applicables. La caducité de la déclaration d'appel peut alors être prononcée si l'avocat de l'appelant n'a pas signifié directement à la société intimée ses conclusions dans les délais prévus aux articles 908 et 911 du Code de procédure civile. En conclusion, statuer à "bref délai" au sens de l'article R. 121-20 du Code des procédures civiles d'exécution n'est pas statuer automatiquement à "bref délai" au sens de l'article 905 du Code de procédure civile !
C - Mesure d'exécution et procédures collectives
Si la liste des titres exécutoires est fixée limitativement par l'article L. 111-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5790IRU), son interprétation est parfois sujette à hésitations. Une saisie des rémunérations a donné lieu à une fort utile précision : un jugement ouvrant ou prononçant la liquidation judiciaire ne constitue pas un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible (Cass. civ. 2, 7 janvier 2016, n° 14-24.508, F-D N° Lexbase : A3907N34 ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8756E8S), rendu après avis de la Chambre commerciale (C. pr. civ., art. 1015-1 N° Lexbase : L1249H4Z). L'article R. 3251-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0907H9H) permet la saisie de la portion saisissable des rémunérations à condition que le créancier soit muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible : en cas d'ouverture d'une procédure collective, de nombreux créanciers sont tentés de saisir les rémunérations du débiteur. Néanmoins, les enjeux des procédures collectives, l'organisation de la survie des outils de production et des emplois, interdisent d'accorder à un créancier un avantage par le biais du recouvrement forcé de sa créance, tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée : en ce sens, il a déjà été jugé que l'état des créances, même visé par le juge commissaire, n'est pas un titre exécutoire au sens de l'article R. 3251-1 du Code du travail (Cass. com., 2 mai 2001, n° 97-19.536 N° Lexbase : A3381ATE, Bull. civ. IV, n° 82, procédures, 2001, comm., 151, Laporte). Il est vrai que le jugement qui prononce une liquidation judiciaire emporte des conséquences particulières : notamment, il ouvre une période de liquidation de l'entreprise, emporte dessaisissement du débiteur... Ce jugement ne contient pas de condamnation susceptible d'être mise à exécution forcée et n'est donc pas une "décision des juridictions de l'ordre judiciaire" au sens de l'article L. 111-3-1° du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2012KGM). Le jugement d'ouverture d'un redressement judiciaire a pour effet d'arrêter toute procédure d'exécution, tant sur les meubles que les immeubles, de la part des créanciers dont la créance n'est pas mentionnée à l'article L. 622-17-I du Code de commerce (N° Lexbase : L8102IZ4) (C. com., art. L. 622-21-II N° Lexbase : L3452ICT) : le juge de l'exécution ne peut qu'ordonner la mainlevée de la procédure de saisie des droits d'associés, dès lors qu'à la date du jugement d'ouverture, cette procédure d'exécution n'a pas, par la vente des droits d'associés, produit ses effets (Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 15-13.222, F-P+B N° Lexbase : A3397N7X ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9351E8T).
D - Prescription de l'exécution forcée
Aux termes de l'article L. 111-4 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5792IRX), l'exécution forcée d'un jugement se prescrit par 10 ans, à moins que l'action en recouvrement de la créance se prescrive par un délai plus long. Dès lors que la condamnation résulte d'un jugement, les attributs de ce titre exécutoire particulier (autorité de la chose jugée, force probante d'un acte authentique) justifient un délai suffisant pour la mise à exécution forcée. C'est ce que rappelle l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 7 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 7 janvier 2016, n° 14-28.088, F-D N° Lexbase : A3916N3G ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8180E8H) à propos d'un jugement de condamnation d'un débiteur à rembourser une dette prescrite par 2 ans sur le fondement de l'article L. 137-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3). Pour interrompre ce délai de 10 ans, "un acte d'exécution forcée" doit être accompli (C. civ., art. 2244 N° Lexbase : L4838IRM, ou une mesure conservatoire). La détermination du contenu précis des actes d'exécution forcée soulève des questions parfois malaisées à trancher, notamment s'agissant des saisie ventes des meubles corporels (le commandement de payer prévu à l'article R. 221-1 du Code des procédures civiles d'exécution N° Lexbase : L2246ITD est-il un acte interruptif ?). En outre, lorsqu'une mesure d'exécution forcée est engagée, et qu'elle ne permet pas l'exécution effective de la condamnation, il faut définir la fin de l'interruption de la prescription de l'exécution et le point de départ de la nouvelle prescription de l'exécution. Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 3 décembre 2015 (Cass. civ. 2, 3 décembre 2015, n° 14 -27.138, F-P+B N° Lexbase : A6977NY3 ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8180E8H) tranche cette difficulté : l'exécution de la saisie des rémunérations, engagée le 5 décembre 1997, avait donné lieu à la transmission par le greffe du tribunal d'instance d'un dernier chèque de l'employeur tiers saisi au créancier saisissant le 31 décembre 2002 ; en conséquence, la procédure de saisie des rémunérations avait interrompu le cours de la prescription, et un nouveau délai de prescription de l'exécution forcée du jugement de condamnation avait commencé à courir à compter du 3 décembre 2002. Cette solution, rendue sous l'empire de l'ancienne rédaction de l'article 2244 du Code civil (N° Lexbase : L1509C3B), peut conserver toute sa valeur...
Natalie Fricero
II - Quelques aspects substantiels des procédures civiles d'exécution
A - La procédure d'astreinte
Dans trois arrêts prononcés le 3 décembre 2015 (Cass. civ. 2, 3 décembre 2015, trois arrêts, n° 14-26.656 N° Lexbase : A6906NYG, n° 14-26.657 N° Lexbase : A6926NY8 et n° 14-26.658 N° Lexbase : A6987NYG, F-D), la Cour de cassation apporte des précisions sur le régime juridique de l'astreinte définitive (cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8342E8H). Dans ces affaires, un conseil de prud'hommes avait condamné -sous astreinte journalière- un groupement d'établissement de santé de l'Assurance maladie à régulariser la situation de ses assurés. Ces derniers avaient assigné l'Assurance maladie devant le juge de l'exécution compétent aux fins de liquidation de l'astreinte provisoire et d'obtenir le prononcé d'une astreinte définitive. Or, ledit juge de l'exécution a prononcé une astreinte définitive de 50 euros par jour de retard, passé une période de 30 jours à compter du prononcé de la décision, sans fixer le terme du délai à prendre en considération. Cette omission constitue, pour la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, un motif de cassation. Une telle solution est parfaitement justifiée non seulement par la lettre de l'article L. 131-2, alinéa 3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5816IRT) -aux termes duquel une "astreinte définitive ne peut être ordonnée qu'après le prononcé d'une astreinte provisoire et pour une durée que le juge détermine"-, mais également par la rigueur des effets des astreintes définitives et, singulièrement, le fait que le taux de l'astreinte définitive ne puisse pas être modifié lors de sa liquidation (C. proc. civ. exécution, art. L. 131-4 N° Lexbase : L5818IRW).
B - La saisie immobilière
Dans un arrêt du 7 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 7 janvier 2016, n° 14-26.908, F-P+B N° Lexbase : A3899N3S ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E0250E97), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation apporte des précisions sur la bonne articulation à opérer entre le déroulement de la procédure de saisie immobilière et les dispositions protectrices du Code de la consommation en matière de surendettement des personnes physiques (C. consom., art. L. 330-1 N° Lexbase : L6173IXW et s.). En l'espèce, un tribunal d'instance, statuant en tant que tribunal de l'exécution forcée immobilière, a prononcé l'adjudication forcée de l'immeuble par une ordonnance délivrée en août 2013. Le propriétaire de cet immeuble interjeta appel et obtint qu'il soit sursis à la procédure d'adjudication dans l'attente du traitement de sa situation de surendettement qui avait donné lieu à une décision de recevabilité rendue en septembre 2013 par une commission de surendettement. Pour la cour d'appel, en effet, la suspension de la procédure découle de cette décision de recevabilité, en application de l'article L. 331-3-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5242IXG). La Cour de cassation, saisie par l'établissement bancaire créancier, ne fait pas sienne cette analyse et casse sans renvoi l'arrêt attaqué. Elle juge que la cour d'appel a violé l'article précité aux motifs que la vente forcée a été ordonnée avant que la commission de surendettement ne se prononce sur la recevabilité de la demande du débiteur et que, dès lors, seule ladite commission de surendettement pouvait saisir le juge de la saisie immobilière d'une demande de report de l'adjudication pour causes graves et dûment justifiées.
Toujours à l'égard de la procédure de saisie immobilière, dans un arrêt également prononcé le 7 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 7 janvier 2016, n° 14-26.442, F-D N° Lexbase : A3871N3R ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9625E8Y), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation confirme sa jurisprudence à l'égard de la recevabilité des voies de recours -et, singulièrement, du pourvoi en cassation- à l'encontre du jugement d'adjudication. On le sait, lorsqu'il ne tranche aucune contestation, ce jugement n'est pas en principe susceptible de recours. Il en va ainsi de la voie d'appel (C. proc. civ. exécution, art. R. 322-60, al. 2 N° Lexbase : L2479ITY), de la tierce-opposition (Cass. civ. 2, 6 janvier 2011, n° 09-70.437, F -P+BN° Lexbase : A7479GNC, Bull. civ. II, n° 1) ou encore du pourvoi en cassation (Cass. civ. 2, 31 mars 2011, n° 09-70.920, F-P+B N° Lexbase : A3931HMK, Bull. civ. II, n° 81). Cela s'explique par sa nature, en l'occurrence : un jugement non contentieux dépourvu de l'autorité de la chose jugée. Toutefois, s'agissant du pourvoi, la Cour de cassation a admis une exception en cas d'excès de pouvoir du juge de l'exécution (Cass. civ. 2, 24 juin 2010, n° 08-19.974, FS-P+B N° Lexbase : A3231E33, Bull. civ. II, n° 120). C'est ce qu'elle confirme dans le présent arrêt. Elle déclare irrecevable le pourvoi dont elle est saisie, en jugeant que le juge de l'exécution a pu prononcer, sans excéder ses pouvoirs, l'adjudication de l'immeuble désigné au cahier des conditions de la vente, sans mentionner les formalités de publicité effectuées et leur date.
Par ailleurs, dans un autre arrêt rendu le 7 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 7 janvier 2016, n° 14-26.887, F-P+B N° Lexbase : A3904N3Y ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9664E8G), la deuxième chambre civile se prononce en faveur de la recevabilité d'une déclaration de surenchère formée après la réitération de la vente. Dans cette affaire, un bien immobilier a été adjugé à une société sur seconde réitération de la vente. Par la suite, deux autres sociétés ont déclaré former une surenchère du dixième et une nouvelle date d'adjudication sur surenchère fut fixée, ce que conteste sans succès le demandeur au pourvoi. Pour la Cour de cassation, après avoir rappelé que l'article R. 322-71 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2490ITE) -relatif à la réitération des enchères- ne concerne que les conditions de déroulement des enchères et considéré que le fait que cet article n'opère pas de renvoi aux dispositions régissant la surenchère ne saurait s'analyser en une exclusion de la faculté de surenchérir -cette faculté n'étant susceptible d'intervenir que postérieurement aux enchères-, la cour d'appel de Nîmes (CA Nîmes, 1ère ch., sect. A, 23 octobre 2014, n° 14/01304 N° Lexbase : A0108MZZ) a pu en déduire qu'à défaut de disposition contraire la déclaration de surenchère est recevable après la réitération de la vente.
En outre, dans un arrêt datant du 28 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 14-27.129, F-P+B N° Lexbase : A3446N7R ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9487E8U), la deuxième chambre civile a été amenée à se prononcer sur les règles régissant la procédure de saisie immobilière lorsqu'elle est mise en oeuvre en Alsace-Moselle. On le sait, les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin ou de la Moselle n'ont pas été concernés par l'importante réforme de la saisie immobilière de 2006 et demeurent soumis au "droit local" (en ce sens, C. proc. civ. exécution, art. L. 341-1 N° Lexbase : L5896IRS). Entre autres particularités, le commandement de payer n'y est qu'un acte préparatoire à l'exécution forcée immobilière, il n'est pas publié au livre foncier et n'entraîne pas saisie du bien. De même, de façon dérogatoire au droit commun, les dispositions de la loi du 1er juin 1924 -applicables dans ces départements- ne prévoient pas la caducité de ce commandement, notamment pour sanctionner le fait que cet acte ne soit pas suivi d'une publication valant saisie. Pour la cour d'appel de Colmar, ce caractère dérogatoire s'analyse en une atteinte au droit du débiteur à un procès équitable. Selon elle, telle que prévue en droit commun, la prévision de la caducité du commandement constitue en effet une protection du débiteur, en ce qu'elle évite que ce dernier soit exposé à une procédure d'adjudication immobilière réalisée sur la base d'un commandement ancien, susceptible de ne plus correspondre aux montants réellement dus. Elle estime, en conséquence, qu'il convient de retenir la caducité du commandement de payer, en soulignant que près de deux ans se sont écoulés à compter de sa signification avant que ne soit prononcée l'ordonnance d'exécution forcée immobilière. Bien que séduisant, ce raisonnement n'est pas partagé par la Cour de cassation. Pour conclure à la cassation de l'arrêt attaqué, cette dernière adopte un raisonnement en deux temps. Tout d'abord, elle s'appuie sur la lettre de l'article L. 341-1 du Code des procédures civiles d'exécution pour affirmer que le livre III de ce code relatif à la saisie immobilière ne modifie nullement les dispositions applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et en déduit que les dispositions relatives à la caducité du commandement valant saisie insérées dans les articles R. 311-11 (N° Lexbase : L7882IUH) et R. 321-6 de ce même code ne trouvent pas application dans ces départements. Ensuite, elle juge que cet article L. 341-1 n'est pas contraire au droit à un procès équitable et au principe d'égalité des armes qui s'en déduit, tels que garantis par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR).
C - La saisie-revendication d'un navire
Dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 15 décembre 2015 (Cass. com., 15 décembre 2015, n° 14-12.348, F-P+B N° Lexbase : A8660NZR ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E0647E97) un litige oppose l'acheteur d'un yacht à la société venderesse. Le premier reproche à la seconde le défaut de livraison du navire dans les délais prévus. En conséquence, en qualité de propriétaire, il sollicite et obtient du président du tribunal de commerce compétent la délivrance d'une ordonnance -rendue sur requête- l'autorisant à procéder à la saisie-revendication du navire. Déboutée par la cour d'appel de Bordeaux de sa demande visant à la rétractation de ladite ordonnance, la société venderesse forme un pourvoi en cassation. Elle fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir validé la saisie-revendication en prenant appui sur l'existence de règles spécifiques applicables à la saisie des navires (en l'occurrence, l'article 8, § 2 de la Convention de Bruxelles du 15 mai 1952 sur l'unification de certaines règles en matière de saisie conservatoire des navires de mer et les articles L. 5114-20 N° Lexbase : L7269INK et suivants du Code des transports). Ce recours sera néanmoins rejeté par la Cour de cassation qui affirme que les dispositions invoquées dans le pourvoi "n'excluent pas la possibilité d'une saisie-revendication", privilégiant ainsi une interprétation restrictive du droit spécial applicable aux saisies-exécution et saisies conservatoires des navires. On note qu'elle s'était déjà prononcée dans ce sens dans un arrêt du 16 septembre 2014 (Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13 -17.892, F-D N° Lexbase : A8456MW4). En conséquence, la saisie-revendication d'un navire est possible et doit être réalisée dans les conditions du droit commun, telles que définies par les articles L. 222-2 (N° Lexbase : L5858IRE) et R. 222-17 (N° Lexbase : L2323IT9) et suivants du Code des procédures civiles d'exécution.
D - Les sûretés judiciaires
Dans un arrêt du 7 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 7 janvier 2016, n° 14-29.118, F-D N° Lexbase : A3892N3K ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9966E8M) relatif à la dispense de publicité définitive d'une sûreté judiciaire au profit du créancier hypothécaire inscrit provisoirement sur un immeuble, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise la portée du terme "signification " employé dans l'article R. 533-5 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2597ITD) ou, plus exactement, de l'ancien article 264 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 (N° Lexbase : L9125AG3) qui l'a précédé. Aux termes de cet article, "si, après la vente du bien, le prix en a été régulièrement versé pour être distribué, la publicité définitive est remplacée par la signification du titre du créancier à la personne chargée de la répartition du prix, dans le délai de deux mois prévu à l'article R. 533-4 (N° Lexbase : L2596ITC)". Or, en l'espèce, le titre du créancier avait été transmis par courrier simple. Après avoir rappelé qu'une "signification" est une notification réalisée par un huissier de justice et, qu'à peine de nullité, ces professionnels ont seuls qualité pour signifier les actes et les exploits (loi du 27 décembre 1923, relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés, art. 6 N° Lexbase : L4844KY3 ; Ord. n° 45-2592 du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers, art. 1er N° Lexbase : L8061AIE), la Cour de cassation juge que la cour d'appel de Paris a exactement retenu que l'obligation de signifier le titre, aux fins de donner rang à l'inscription provisoire en se substituant à la publicité foncière, est opposable aux tiers et doit donc être opérée de façon à ce qu'une date certaine puisse être retenue. Elle approuve les juges du fond d'en avoir déduit que la demande de collocation du créancier hypothécaire devait être rejetée, sans qu'il faille relever l'existence d'un grief, ni rechercher si le courrier simple adressé par l'avocat dudit créancier à l'avocat chargé de la distribution avait atteint son destinataire. Il est permis d'approuver une telle solution, en ce que l'intervention d'un huissier de justice satisfait pleinement à l'exigence de sécurité juridique sans laquelle cette dispense de publicité définitive ne saurait être conçue.
Guillaume Payan
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Réf. : Décret n° 2016-285 du 9 mars 2016, relatif à la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances (N° Lexbase : L9803K4T)
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Le 17 Mars 2016
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