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N1473BWH
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 18 Février 2016
A vos marques, prêts, feu, doctrinez !
Bon, nous laisserons le soin aux Professeurs et à ceux méritants d'interpréter, d'expliquer, encore pour nombre d'entre nous, la portée de chacune des nouvelles dispositions de ce texte. Poursuivant l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la règle de droit, l'ordonnance consacre et codifie de nombreuses solutions jurisprudentielles, rendant le droit plus prévisible pour tous, paraît-il ? Pas si évident que cela à lire et à en croire la doxa.
Nous ouvrerons donc le bal, la semaine prochaine, à travers la revue Lexbase de droit social, dont Christophe Radé est l'éminent chef d'orchestre et ne pouvait laisser à l'Index la portée de cette réforme sur l'un des contrats les plus spéciaux qui soient -au regard du nombre d'articles codifiés qui lui sont consacrés- : le contrat de travail. La symphonie doctrinale s'achèvera le 10 mars par une édition spéciale de la revue Lexbase de droit privé -encore que sa résonance n'ait pas fini d'hanter nos esprits pour les années à venir-.
Non, en ces jours révolutionnaires pour un juriste d'Ancien régime -c'est-à-dire un juriste rompu aux articles 1134 et 1382 du Code civil comme l'alpha et l'oméga de la sapiens juridique- une seule question taraude : pourquoi avoir remplacé les dispositions de 1804 aussi sèchement, aussi brutalement, par les nouvelles ? Pourquoi les avoir bannies du Code civil alors... qu'elles constituent toujours la loi des contrats conclus avant le 1er octobre 2016 ? Ce n'est pas comme si nous attendions l'extinction de ce droit bicentenaire par l'effet d'une quelconque prescription. Non ! Ici, les effets du droit des contrats napoléonien perdureront tant que les contrats ante-octobriens ne seront toujours "en vigeur". Rien de moins !
Nous n'irions pas jusqu'à suivre le hashtag "Je suis 1382", comme nous l'avons vu fleurir sur les réseaux sociaux. L'amalgame avec les drames de l'an dernier semble assez inopportun, d'autant que la "brutalité" de la recodification est toute relative puisque annoncée depuis plus de 10 ans !
Mais, on aurait pu procéder, par exemple, comme on l'a fait pour le Code de procédure civile de 1975. L'amorce du Nouveau code (NCPC) entamée en 1973 par voie de décrets successifs avait donné lieu à la coexistence de deux codes, certes, mais pour des raisons d'intelligibilité et de praticité bien ordonnées : une partie de l'ancien code était encore en vigueur alors que le Nouveau code était déjà promulgué... Finalement, ce n'est qu'en 2007 que le législateur prit le soin d'abroger l'ancien code et amputa le code de 1975 de son sobriquet, "Nouveau".
L'uchronie juridique nous aurait alors livré un Code civil avec une simple nouvelle partie, avec son plan et sa codification propres, applicable à compter du 1er octobre 2016 et qui aurait vocation à tuer la "mère" partie, dans les lointaines années à venir, une fois les contrats d'Ancien temps disparus, une fois les juristes habitués à la nouvelle numérotation, une fois tous les modèles d'actes consolidés et les tableaux de correspondance bien rodés.
Tel ne fut pas le choix du législateur, enfin de la Chancellerie -car le législateur pour le moment n'a été consulté qu'a minima-.
Pourtant, la légistique nous enseigne que la codification permet de créer un document unique dans une matière du droit, le code, composé d'une partie législative et d'une partie réglementaire ; de rassembler des normes dispersées, législatives ou réglementaires, qu'elle coordonne pour les rendre cohérentes et accessibles à travers un plan logique ; de clarifier le droit et l'actualiser en abrogeant les textes obsolètes, incompatibles ou contraires à la Constitution, aux engagements communautaires ou internationaux ; de mettre en évidence les lacunes du système juridique et préparer les réformes nécessaires. Rien n'oblige donc à la disparition de nos codes des régimes certes abrogés -du fait de leur remplacement- mais non obsolètes car toujours de plein effet sur la vie de nos actes juridiques.
Que dit la Commission supérieure de codification sur le sujet ? Nous n'en avons pas trouvé trace. La codification emporte nécessairement perte de la chronologie. Un code n'a aucune épaisseur historique : les dispositions abrogées disparaissent à jamais. Seules figurent au code les dispositions en vigueur, comme si elles avaient toujours été de tout temps les mêmes. Le code repose sur une fiction : il est atemporel. Or l'utilisateur, qu'il soit juriste, magistrat, historien, étudiant, a besoin des versions successives d'une disposition. La pratique des tables de concordance est extrêmement difficile et source de nombreuses erreurs pour le praticien ; elle est, reconnaissons-le, quasi incompréhensible pour le citoyen. Tel était le précieux avertissement formulé par Catherine Bergeal, Conseiller d'Etat, Directrice des affaires juridiques, dans un article sur les Apports et limites de la codification à la clarté de la loi : les enseignements de la pratique française.
Pour le codificateur historique, que ce soit Hammourabi, l'empereur romain Justinien ou le consul Bonaparte, la codification remplit, d'abord, une fonction politique : la codification est une prise de pouvoir. Le codificateur affirme son autorité sur ses sujets en leur dictant sa loi, qui l'emporte sur les droits divers, en particulier les droits coutumiers. Il a dès lors l'obligation d'exhaustivité : le code opère un partage définitif entre ce qui est la loi (le contenu du code) et ce qui n'existe plus (tout ce qui n'est pas dans le code).
Dans le même sens, le Gouvernement, par la volonté de sortir du Code civil les anciennes dispositions pourtant toujours applicables, entend imposer sa loi nouvelle dans la pratique, sans distinction, sans retard et sans discussion à venir sur l'opportunité de sa réforme. Il serait, à ce propos, intéressant de se procurer l'étude d'impact de la Commission supérieure de codification sur les effets escomptés de cette réforme dite à droit constant, emportant recodification du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
"Un article c'est comme un bas de femme : l'important, c'est de bien garder le fil à l'esprit". Groucho Marx prophète de la légistique, qui l'eut cru ?
* Nous nous permettons ici d'emprunter la formule à l'éminent @APietrancosta, à l'occasion d'un tweet publié le 12 février 2016.
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Réf. : Cass. soc., 10 février 2016, n° 14-26.909, FS-P+B (N° Lexbase : A0232PL8)
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N1382BW4
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Le 20 Février 2016
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Réf. : Cass. crim., 9 février 2016, n° 15-85.063, FS-P+B (N° Lexbase : A0246PLP)
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N1360BWB
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Le 18 Février 2016
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Réf. : Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 14-23.960, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2070PCN)
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N1238BWR
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Le 18 Février 2016
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newsid:451238
Réf. : Cass. civ. 1, 14 janvier 2016, n° 14-23.200, FS-P+B (N° Lexbase : A9310N39)
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N1337BWG
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par Olivia Baldes, Docteur en droit, qualifié Maitre de conférences
Le 05 Mai 2016
De nombreuses procédures ont été engagées devant les tribunaux et cours d'appel jusqu'à ce que la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière a décidé, par quatre arrêts du 6 février 2004 (Ass. plén., 6 février 2004, quatre arrêts, n° 03-30.305 N° Lexbase : A2416DB4, n° 01-21.435 N° Lexbase : A2300DBS, n° 03-30.070 N° Lexbase : A2414DBZ, et n° 03-30.086 N° Lexbase : A2415DB3), que l'application immédiate du taux de cotisations du régime général de la Sécurité sociale à ces salariés était impossible avant le décret de mai 1995, relatif à la protection sociale des intéressés ; ce qui a eu pour conséquence l'annulation des redressements ordonnés auparavant à la charge de la société G..
C'est dans ce contexte que notre affaire prend naissance.
En l'espèce, par jugement du 9 janvier 1997, notifié le 23 janvier 1998, le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de Bourges a condamné la société G. à payer à l'URSSAF du Cher la somme de 1 128 083 francs (soit 171 975,37 euros) au titre des primes retour défense et, par jugement du 22 mai 1998, notifié le 12 juin 1998, la même juridiction a confirmé le redressement opéré par l'URSSAF du Cher au titre des cotisations applicables aux rémunérations servies par la société G. aux "ouvriers sous décret" de 1993 à 1995 et l'a condamnée à payer à l'URSSAF la somme de 13 061 563 francs (soit 1 991 225 euros), déclarant irrecevable comme prescrite l'action en répétition de l'indu formée par la société G. contre la CPAM du Cher.
Par arrêt du 26 février 1999, la cour d'appel de Bourges a déclaré irrecevable l'appel interjeté par la société G.. Cet arrêt est devenu irrévocable à la suite du rejet, le 7 décembre 2000 (Cass. civ. 2, 7 décembre 2000, n° 99-14.091 N° Lexbase : A4873CP8), du pourvoi formé par la société.
Par acte du 23 novembre 2010, la société G. engageait la responsabilité professionnelle de son avocat pour avoir relevé appel hors délais des deux décisions de première instance en réparation de la perte de chance subie.
Mais le tribunal de grande instance de Paris, confirmé par la cour d'appel de Paris le 18 juin 2014 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 18 juin 2014, n° 12/11666 N° Lexbase : A4123MR7), constate la prescription de la demande formée par la société G. à l'encontre de Me X..
La société G. a formé aussitôt un pourvoi en cassation exposant trois arguments majeurs.
Elle soulève, d'abord, que la fin de mission de l'avocat doit être fixée au plus tôt à la date de l'arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 2000, ayant constaté définitivement l'irrecevabilité de l'appel et confirmant par ce biais la faute professionnelle de l'avocat.
Elle évoque, ensuite, qu'elle avait confié un mandat général d'assistance à Me X, qui s'est maintenu bien après l'arrêt du 7 décembre 2000.
Elle soutient, enfin, que la mission confiée à Me X ne s'est achevée que postérieurement aux arrêts rendus le 6 février 2004 par la Cour de cassation, qui ont mis fin au contentieux l'opposant à l'URSSAF.
Toutefois, par motif de pur droit substitué, la Cour de cassation énonce, en application des dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 27 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I) (loi du 27 juin 2008, art. 26), que l'action décennale "en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de l'appel", date fixée en l'espèce à celle de l'arrêt de la cour d'appel de Bourges du 26 février 1999.
Par cet arrêt, la Cour de cassation revient sur une conception traditionnelle de la fin de mission de l'avocat (I) en s'attachant davantage à la nature de la mission de ce dernier (II).
I - Le retour sur une conception large de la fin de mission de l'avocat
La fin de mission de l'avocat, qui peut émaner soit de l'avocat soit du client, marque le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité contre l'avocat.
Ainsi, l'article 156 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), aujourd'hui abrogé par le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), mais applicable à l'espèce, précisait que "l'avocat doit conduire jusqu'à son terme l'affaire dont il est chargé, sauf si son client l'en décharge ou si lui-même décide de ne pas poursuivre sa mission, sous réserve, dans ce dernier cas, que le client soit prévenu en temps utile pour pourvoir à la défense de ses intérêts. Il doit observer les règles de prudence et de diligence qu'inspire la sauvegarde des intérêts qui lui sont confiés par ses clients".
Aucune condition de forme de la constatation de la fin de mission n'était nécessaire.
Ceci étant, lorsqu'elle émane de l'avocat, les articles 419 (N° Lexbase : L0431IT7) et 420 (N° Lexbase : L0430IT4) du Code de procédure civile viennent ajouter que "le représentant qui entend mettre fin à son mandat n'en est déchargé qu'après avoir informé de son intention son mandant, le juge et la partie adverse" et que "l'avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau pouvoir jusqu'à l'exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d'un an après que ce jugement passé soit en force de chose jugée".
La fin de mission émanant du client doit être expresse et non équivoque. Celle-ci peut alors correspondre à la date de l'envoi par le client d'une lettre prenant acte que celui-ci entendait mettre fin à la mission de son avocat (1).
En l'espèce, aucune lettre de fin de mission n'a été remise de la part de l'avocat ou de son client.
Au contraire, la société G. demanderesse revendique au delà du cadre de la représentation ad litem, un mandat général d'assistance pour l'ensemble du contentieux l'opposant à l'URSSAF. Ainsi, bien que le mandat de représentation comporte mission d'assistance (C. pr. civ., art. 413 N° Lexbase : L6514H7E), la société G. met en évidence une mission d'assistance générale (C. pr. civ., art. 412 N° Lexbase : L6513H7D) bien distincte et qui, selon le texte, emporte notamment pouvoir et devoir de conseiller la partie. La société G. évoque d'ailleurs que Me X servait d'intermédiaire avec l'avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat constitué leur organisant des réunions ou lui rendant compte de l'avancement des procédures. Par ce biais, la société G. tente de repousser la date de fin de mission de Me X à la fin de l'ensemble du contentieux l'opposant à l'URSSAF et la fixer à la date des arrêts de la Cour de cassation du 6 février 2004.
Cette argumentation de la société G. ne sera pas retenue.
La cour d'appel de Paris, rappelant que le point de départ du délai de prescription en matière de responsabilité d'un avocat est la date de la fin de sa mission et non pas celle du jour où le dommage s'est révélé (2), précise que le mandat de l'avocat ne prend pas fin dès le prononcé du jugement puisqu'il entre dans sa mission d'informer son client de la teneur de la décision, de lui fournir les explications utiles à sa compréhension, de l'aviser des voies de recours existantes et de l'opportunité de les exercer au regard des chances de succès (3). Cependant, elle relève qu'il est constant de retenir que le mandat donné pour une procédure ne peut s'étendre à la procédure d'appel sans un nouveau mandat exprès.
Dès lors, la cour d'appel de Paris considère dans cette affaire que l'introduction du pourvoi en cassation a nécessairement permis de déplacer le dossier sous la responsabilité de l'avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat mettant automatiquement fin au mandat de représentation de l'avocat initialement constitué. Elle situe donc la fin de mission de l'avocat entre la décision de la cour d'appel constatant l'irrecevabilité de l'appel et la constitution de l'avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat.
Si la décision de la cour d'appel de Paris constate la prescription de l'action en responsabilité menée contre l'avocat, la Cour de cassation par motif de pur droit substitué tiendra une toute autre argumentation pour rejeter le pourvoi.
II - Les balbutiements d'une conception restrictive de la fin de mission de l'avocat
On rappellera que l'article 620, alinéa 1, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6779H79) permet à la Cour de cassation de "rejeter le pourvoi en substituant un motif de pur droit à un motif erroné".
La substitution de motifs est de pur droit lorsqu'elle ne s'applique qu'à des faits constatés par les juges du fond sans faire appel à d'autres constatations ou appréciations nouvelles. Par ce biais, la première chambre civile rejette donc le pourvoi formé par la société G. et déclare que "l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de l'appel" tout en précisant que la durée de ce délai est de 10 ans.
Concernant d'abord l'application du délai décennal, on retiendra que la Cour de cassation fait une juste appréciation de l'application des dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 précitée.
En effet, les dispositions transitoires de l'article 26 de la loi précisent bien que "les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure".
En l'espèce, l'action a été introduite postérieurement à la loi de 2008. Or, cette loi a réduit le délai de prescription de l'action en responsabilité contre les personnes légalement habilitées à représenter ou à assister les parties en justice de 10 ans à 5 ans à compter de leur fin de mission.
Cela signifie donc que ce délai de 5 ans doit être computé à compter du 19 juin 2008, mais que le délai total ne pourra pas excéder 10 ans. Ainsi, partant de la date de fin de mission fixée par la Cour de cassation qui est celle de l'arrêt du 26 février 1999 constatant l'irrecevabilité de l'appel de Me X, un délai de 9 ans et environ 4 mois se sont écoulés jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi de 2008. Il restait donc environ 8 mois à la société G. pour agir soit jusqu'au 26 février 2008. L'introduction de la nouvelle loi en matière de prescription, en application de ses dispositions transitoires, n'était pas plus avantageuse pour la société G..
On observera ensuite que par cette décision la Cour de cassation semble adopter une conception restrictive du contenu de la mission de l'avocat. Ainsi, elle envisage que la mission d'interjeter appel d'une décision serait un acte de procédure autonome et prendrait naturellement fin au prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité ou pas de l'appel.
Bien que l'on puisse approuver que l'avocat ait une responsabilité attachée aux actes de procédure lorsque ceux-ci pourraient être détachables d'une mission générale, cette solution souffre toutefois de critiques.
En effet, par cette solution, la Cour de cassation n'exige pas de décision définitive de constatation de l'irrecevabilité de l'appel comme condition d'engagement de la responsabilité professionnelle de l'avocat, rappelant ainsi que le pourvoi n'est pas suspensif. De plus, cette décision de la Cour de cassation implique que le pourvoi en cassation formé par la société G. ne puisse être considéré comme un acte d'interruption ou de suspension de prescription.
Dès lors, il apparaît que la seule interruption de prescription envisageable aurait consisté de la part de la société G. à engager la responsabilité professionnelle de son avocat à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris constatant l'irrecevabilité de l'appel comme tardif, et ce d'autant, qu'en l'espèce la société G. avait eu connaissance de la déclaration de sinistre effectuée le 12 mai 1999 auprès de l'assureur garantissant la responsabilité professionnelle de l'avocat. Dans ce cas, la juridiction aurait alors sursis à statuer jusqu'au pourvoi et permis de reporter le point de départ du délai de prescription de la responsabilité professionnelle de l'avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission d'interjeter appel.
(1) Cass. civ. 1, 17 octobre 2012, n° 11-15.635 (pourvoi non admis). Cf. l'arrêt d'appel : CA Paris, 30 novembre 2010, n° 10/03855 (N° Lexbase : A5738GMH) ; J. Jeannin et M. Mahy-Ma-Somga, La notion de fin de mission de l'avocat, Dalloz avocats - Exercer et entreprendre, 2013 p. 9.
(2) Voir déjà en ce sens, Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-24.396, F-D (N° Lexbase : A0431IXA).
(3) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 18 juin 2014, n° 12/11666, précité ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" (N° Lexbase : E9775ET9).
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Le 18 Février 2016
Hervé Causse, Professeur des Universités, enseigne le droit des affaires à l'Université de Clermont-Auvergne et, où il dirige un Master 2 Droit des Affaires et de la Banque, et à l'Université de Reims. Directeur scientifique de l’Ouvrage Droit bancaire des éditions Lexbase, l'auteur édite le site juridique Direct Droit.
H. Causse, Droit bancaire et financier, Mare & Martin, 2016, 874 pages, 63 euros.
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Réf. : Cass. civ. 1, 11 février 2016, 4 arrêts, n° 14-28.383, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7326PKK) ; n° 14-27.143, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7325PKI) ; n° 14-29.539, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7327PKL) ; n° 14-22.938, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7324PKH)
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Le 18 Février 2016
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Réf. : Cass. civ. 1, 10 février 2016, n° 15-14.757, FS-P+B (N° Lexbase : A0411PLS)
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Le 25 Février 2016
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis
Le 18 Février 2016
Avant la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), la résolution du plan de continuation n'avait, dans les textes, qu'une seule cause : l'inexécution du plan. Rapidement, cependant, il a fallu traiter en jurisprudence la question de l'apparition de l'état de cessation des paiements pendant l'exécution du plan. Il a été décidé qu'un nouvel état de cessation des paiements devait également entraîner la résolution du plan. Et la solution était incontournable : comment payer les dividendes du plan si on est en état de cessation des paiements ?
Ces solutions ont été consacrées par la loi de sauvegarde des entreprises qui distingue soigneusement deux hypothèses de résolution du plan. L'article L. 626-27, I, alinéa 1er du Code de commerce (N° Lexbase : L7300IZE) s'intéresse à la résolution du plan pour apparition de l'état de cessation des paiements. Elle est obligatoire. L'article L. 626-27, I, alinéa 2, du même code vise l'hypothèse de la résolution du plan pour inexécution, sans cessation des paiements. Elle est facultative.
Il faut comprendre que s'il y a résolution du plan pour inexécution avec cessation des paiements, on appliquera l'alinéa 1er. Autrement dit, la résolution du plan pour cessation des paiements intervient avec ou sans inexécution.
Cette distinction n'aurait aucun intérêt si elle ne devait être qu'académique. Mais tel n'est pas le cas. Et ce sont ces problématiques qui sont au coeur d'un très intéressant arrêt rendu par la Chambre commerciale le 26 janvier 2016, appelé, compte tenu de son importance, à la publication au Bulletin.
En l'espèce, un jugement ouvre, en 2004, une procédure collective contre une SARL, lequel est étendu un mois plus tard à une société civile immobilière (SCI) et deux personnes physiques. Huit mois plus tard, au cours de l'année 2005, un plan de continuation est arrêté au profit de l'ensemble des personnes à patrimoine confondu, en vertu du principe de l'unicité de solution qui s'applique en cas d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines. Le 17 décembre 2010, le tribunal, saisi par le commissaire à l'exécution du plan, rejette une demande de résolution du plan pour inexécution. Mais le même jour, le tribunal, après avoir constaté l'état de cessation des paiements au cours de l'exécution du plan, prononce sa résolution et ouvre une liquidation judiciaire distincte à l'encontre de chacune des personnes initialement parties à la confusion. La cour d'appel confirme en 2013 cette décision de résolution du plan (1). Un an plus tard, la cour d'appel confirme la jonction des procédures qui avait été décidée entre temps par le tribunal, mais rejette la demande du liquidateur tendant à leur extension à une autre personne physique (2).
Les deux personnes physiques à l'égard desquelles le jugement d'ouverture initial avait été étendu demandent l'annulation de l'arrêt de 2014 qui avait confirmé la décision du 17 décembre 2010 ayant prononcé la résolution sur le constat de l'état de cessation des paiements en faisant valoir une contrariété de décision par rapport à celle du même jour qui avait rejeté la demande de résolution du plan pour inexécution émanant du commissaire à l'exécution du plan.
Avant d'apprécier la portée de cette argumentation, il faut comprendre pourquoi ces deux personnes physiques avaient le plus grand intérêt à soutenir pareille argumentation et pourquoi, sans doute, elles auraient préféré que la résolution du plan soit prononcée pour inexécution du plan et non par pour cessation des paiements. Et pour cela, il faut maintenant apporter des précisions sur les effets respectifs de ces deux causes de résolution du plan.
Si la résolution du plan de continuation, et aujourd'hui de redressement, intervient pour apparition de l'état de cessation des paiements pendant l'exécution du plan, l'article L. 626-27, I, alinéa 1er, du Code de commerce indique la conséquence : le tribunal ouvre simultanément une liquidation judiciaire. Le droit à la seconde chance n'existe pas. Notons toutefois que, depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT), la résolution d'un plan de sauvegarde pour apparition de l'état de cessation des paiements autorise le tribunal à choisir entre l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire.
Si la résolution du plan de continuation, et aujourd'hui de redressement, intervient pour inexécution, sans cessation des paiements, l'article L 626-27, I, alinéa 2, du Code, qui la régit, ne précise pas qu'il y a lieu d'ouvrir une seconde procédure. Ce silence conduit à décider que le tribunal n'ouvrira pas de procédure collective concomitamment à la décision prononçant la résolution du plan.
Si l'on applique maintenant ces solutions à l'hypothèse d'un plan de continuation -et désormais de redressement- adopté au profit de plusieurs personnes à patrimoine confondu, on aboutit au résultat suivant.
Commençons par préciser que le plan adopté au profit de plusieurs personnes à patrimoine confondu est indivis. Il en résulte que sa résolution est elle-même indivise (3).
Si la résolution intervient pour cessation des paiements, toutes les personnes à patrimoine confondu vont être obligatoirement placées en liquidation judiciaire. Il s'agira cependant, comme l'a justement décidé le tribunal dans la présente affaire, de procédures de liquidations judiciaires distinctes. Pourquoi ? Parce que la confusion des patrimoines ne dure que le temps de la procédure et de son traitement. Elle cesse, par conséquent, soit en cas de complète exécution du plan, soit en cas de résolution du plan (4).
Si la résolution du plan indivis intervient sans cessation des paiements, il n'y a pas lieu d'ouvrir une liquidation judiciaire à l'encontre de chacune des personnes initialement parties à la confusion des patrimoines. L'autonomie patrimoniale retrouvée, et alors que toutes les personnes sont in bonis, autorise leur traitement séparé dès lors que subsistent des difficultés. L'unicité de solution, conséquence de l'unicité de procédure et de masse active et passive, n'a plus lieu d'être. Certaines personnes pourront prétendre à une procédure de conciliation. La solution a été justement admise en jurisprudence (5). D'autres solliciteront une procédure de sauvegarde. L'utilisation astucieuse des textes permettrait même à une personne initialement placée en redressement judiciaire, de bénéficier d'un plan de sauvegarde, alors même qu'elle serait en état de cessation des paiements lors de l'ouverture de sa seconde procédure collective. Comment ? En demandant, dès la résolution de son plan, l'ouverture d'une procédure de conciliation. Puis elle chercherait à obtenir une sauvegarde accélérée. Et le tour est joué, ave ce curieux enchaînement : redressement judiciaire, plan de redressement, résolution du plan pour inexécution sans cessation des paiements, ouverture d'une conciliation, passage en sauvegarde accélérée et obtention d'un plan de sauvegarde accélérée. La mécanique des textes ne s'y oppose pas, pour étrange que cela apparaisse ! Et ainsi on contourne le principe : plan sur plan ne vaut !
Si la cessation des paiements est la conséquence et non la cause de la résolution du plan, il peut même être envisagé un redressement judiciaire de telles ou telles personnes. En effet, le redressement judiciaire est exclu après résolution du plan pour cessation des paiements mais nullement en cas de résolution du plan pour inexécution, lequel entraîne la suppression des remises et des délais accordés dans le cadre du plan, ce qui peut justifier un nouvel état de cessation des paiements. Le débiteur pourra donc obtenir un second plan de redressement, ce qu'admet la jurisprudence (6) et ce qui avait clairement été énoncé lors des travaux parlementaires (7).
Ces explications permettent de comprendre tout l'intérêt que les débiteurs pouvaient avoir à éviter la résolution du plan pour cessation des paiements et à préférer largement la résolution du plan pour inexécution.
Mais elles justifient aussi pleinement la réponse apportée par la Cour de cassation à la prétendue contradiction entre la décision qui refuse la résolution du plan pour inexécution et celle du même jour qui prononce la résolution pour apparition de l'état de cessation des paiements. Comme nous l'avons vu, non seulement les causes de résolution du plan sont distinctes, ce que qu'affirme pour la première fois avec netteté la Cour de cassation, et c'est ce qui justifie sans doute la publication de la décision au Bulletin, la décision apparaissant de principe à cet égard, mais encore et surtout, elles ne produisent absolument pas les mêmes effets.
Pour intéressante que soit, pour le débiteur, en termes d'opportunités procédurales subséquentes, la distinction entre résolution du plan pour inexécution et résolution du plan pour apparition de l'état de cessation des paiements, il faut bien reconnaître que la marge de manoeuvre du débiteur est mince. Il doit y avoir une inexécution. A priori, on imagine assez mal que ce soit le débiteur qui s'en prévale. Il serait donc préférable, comme cela était le cas en l'espèce, que ce soit le commissaire à l'exécution du plan. Mais surtout, il ne doit pas y avoir cessation des paiements. Le seul fait pour le débiteur, en cours d'exécution de son plan de redressement, de solliciter l'ouverture de son redressement judiciaire est une grave maladresse ; il se condamne lui-même à la liquidation judiciaire, puisque, comme le juge dans le présente affaire la Cour de cassation, il reconnaît, en sollicitant l'ouverture de son redressement judiciaire, son état de cessation des paiements, puisque c'est une condition sine qua non d'ouverture du redressement judiciaire, encore que l'on sache aujourd'hui que ce n'est plus une condition sine qua non de conversion d'une sauvegarde en redressement judiciaire.
En cas d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, il y a, a-t-on dit, masse active et passive unique. L'unicité de solution oblige à l'adoption d'un plan indivis. La résolution du plan est elle aussi indivise. Mais alors, comment s'apprécie l'état de cessation des paiements ? Tant que dure la confusion des patrimoines et c'est le cas jusqu'au jugement de résolution du plan, l'état de cessation des paiements doit s'apprécier en tenant compte des actifs disponibles à court terme et du passif exigible de toutes les personnes parties à la confusion des patrimoines ; on ne sait en l'espèce si la discussion avait été menée sur ce terrain. Mais on voit qu'il peut s'agir là d'un axe permettant la résolution du plan indivis pour inexécution sans cessation des paiements. Il suffit que certaines personnes, parties à la confusion des patrimoines ne puissent contribuer au paiement de leur part de dividendes, pour aboutir à une inexécution, sans pour autant nécessairement caractériser la cessation des paiements de l'ensemble. Mais la discussion avait-elle été menée sur ce terrain ? C'était semble-t-il l'axe intéressant pour tenter le traitement délicat de ce dossier, comme chaque fois qu'un problème se présente en cas de plan indivisément adopté au profit de personnes à patrimoine confondu.
Conseils, gardez bien les idées claires sur la... confusion !
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Alors qu'il s'agit d'une sûreté ancienne, le warrant a, ces derniers temps, fait couler beaucoup d'encre doctrinale et jurisprudentielle. L'arrêt rendu récemment par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 janvier 2016 en témoigne à nouveau. L'importance de cette sûreté, notamment dans le monde du financement de l'activité viticole, justifie qu'un intérêt soit apporté à cet arrêt.
Dans l'espèce rapportée, un établissement de crédit avait déclaré sa créance au passif d'une société productrice de champagne en faisant mention de sa garantie constituée par un "engagement de garantie" portant sur des bouteilles de vin. Le représentant des créanciers avait contesté, d'une part, la régularité de la délégation de pouvoirs du préposé qui avait procédé à la déclaration de créance et, d'autre part, la qualité de la société débitrice à consentir à la banque la sûreté garantissant la créance déclarée.
La cour d'appel avait, à la fois, déclaré régulière la déclaration de créance et admis la banque à titre privilégié.
Le représentant des créanciers, qui s'était alors pourvu en cassation, soutenait d'abord à l'appui de son pourvoi que la déclaration de créance aurait été irrégulièrement effectuée. Selon lui, le préposé avait agi en vertu d'une subdélégation de pouvoirs libellée en termes généraux reçue d'un autre préposé subdélégant qui n'avait reçu une faculté de subdélégation qu'à la condition qu'elle s'opère à la faveur d'un pouvoir spécial. Cet argument aurait pu s'avérer particulièrement pertinent puisque le préposé titulaire de cette délégation n'aurait pu valablement déclarer sur le fondement de celle-ci que si la subdélégation avait été spéciale, c'est-à-dire donnée dans les termes prévus par la délégation principale. Fort heureusement pour le créancier, en l'espèce, le préposé était également titulaire d'une délégation de pouvoirs qui lui avait été donnée en 1995 par le président du conseil d'administration de la banque. Dès lors que cette délégation n'avait pas été dénoncée, la cour d'appel en avait exactement déduit que le préposé était directement investi par le représentant légal de la banque du pouvoir de déclarer les créances, peu important qu'il ait indiqué dans la déclaration de créance litigieuse, agir en vertu de la subdélégation plutôt que de cette délégation.
Afin d'éviter toute difficulté, la prudence conduira les créanciers à prévoir, dans le cadre des délégations de pouvoirs prévoyant la faculté de subdélégation, la possibilité de subdéléguer le pouvoir de déclarer les créances sans restriction, et non pas de façon spéciale, c'est-à-dire dossier par dossier.
Le représentant des créanciers soutenait, en outre, que la garantie -dont il prétendait qu'il s'agissait d'un warrant agricole- prise par la banque était nulle au motif que la société débitrice n'était pas agricultrice. On sait que, au titre des conditions de fond du warrant agricole, figure celle tenant à la nécessité pour le constituant d'être un agriculteur (C. rur., art. L. 342-1 N° Lexbase : L3894AEX). Sont agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole dans le prolongement de l'acte qui ont pour support l'exploitation (loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988, relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social, art. 2 N° Lexbase : L9121AGW). Or, en l'espèce, la société débitrice n'intervenait ni de près, ni de loin dans un processus de production vinicole et se livrait exclusivement au négoce. Cependant, en l'espèce, ce n'était pas du warrant agricole stricto sensu dont il s'agissait mais d'un engagement de garantie, dénommé en pratique "warrant simplifié" qui ne répond pas aux mêmes exigences quant à la qualité du constituant.
L'arrêt rapporté présente le grand intérêt de souligner la distinction entre ces deux sûretés. Le warrant agricole classique ne doit pas être confondu avec la sûreté voisine qui est l'engagement de garantie du stock de vins, certes appelé "warrant" par la pratique. Cette sûreté, instituée par un décret-loi du 23 octobre 1935, intégré dans les articles 56 et suivants du Code du vin, devenus les articles 661 (N° Lexbase : L6740HH4) (8) et 662 (N° Lexbase : L6739HH3) du Code rural ancien, était à l'origine réservée aux producteurs de vin, y compris les caves coopératives qui achètent le raisin. Ce régime a ensuite été étendu à toutes les entreprises vitivinicoles exerçant leur activité en tant qu'entrepositaire agréé (9). Ainsi, la qualité de commerçant ne fait pas obstacle à la souscription d'un engagement de garantie et il a été admis en jurisprudence qu'un négociant puisse constituer cette garantie (10).
Dans l'espèce rapportée, cette distinction avait été parfaitement opérée par l'arrêt d'appel qui avait retenu que "le warrant agricole diffère de l'engagement de garantie, dénommé warrant simplifié, en ce qui concerne la qualité de l'emprunteur habilité à procéder la sûreté, le premier étant réservé aux agriculteurs, notamment aux viticulteurs, tandis que le second est mis à la disposition des propriétaires de vin, dont l'activité, qui est plus large que celle de viticulteur, peut notamment s'étendre au négociant manipulant comme la société [débitrice], qui élabore le vin de Champagne avant de le commercialiser".
La constitution de ce gage résulte de la signature d'un titre à ordre, lequel doit être inscrit sur un registre spécial tenu par l'administration des contributions indirectes. Cette inscription confère aux créanciers un droit proche de celui du porteur de warrant agricole (11), sûreté dont la jurisprudence a pendant longtemps considéré qu'elle conférait au créancier une possession fictive. Cependant, la nature juridique du warrant agricole a récemment connu une modification induite par la réforme du droit du gage issue de l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH). Cette évolution, d'abord prédite en doctrine (12) alors qu'elle n'avait rien d'évidente (13), a été très récemment consacrée par la première chambre civile de la Cour de cassation (14) : le warrant agricole -et également l'engagement de garantie- est analysé comme un gage sans dépossession.
Puisque ces sûretés sont des gages sans dépossession, assortis à ce titre du droit de rétention fictif de l'article 2286, 4° du Code civil (N° Lexbase : L2439IBX), il convient d'en tirer la conséquence de leur neutralisation partielle par l'article L. 622-7, I, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L7285IZT). Il résulte de cette disposition, applicable en sauvegarde et, par renvoi de texte (art. L. 631-14 N° Lexbase : L7317IZZ), en redressement judiciaire, que le droit de rétention reconnu par l'article 2286, 4° du Code civil aux créanciers gagistes sans dépossession est inopposable pendant la période d'observation et pendant l'exécution des plans de sauvegarde ou de redressement.
La fragilisation de ces sûretés est également perceptible lorsqu'il est question du conflit susceptible d'opposer le créancier porteur du warrant agricole ou de l'engagement de garantie au vendeur réservataire de propriété.
Parce que, avant l'ordonnance du 23 mars 2006, le warrant agricole était, comme tous les gages, nécessairement un gage avec dépossession -en l'occurrence fictive-, la jurisprudence considérait que, comme tout créancier gagiste (15) de bonne foi (16), le créancier porteur du warrant était en droit d'invoquer la maxime de l'article 2279, alinéa 1er, ancien, du Code civil N° Lexbase : L2567ABP devenu C. civ., art. 2276 N° Lexbase : L7197IAS) "en fait de meuble possession vaut titre" (17).
Puisque le warrant ou l'engagement de garantie sur stocks de vins doit, depuis la réforme de 2006, être analysé en un gage sans dépossession, son titulaire n'est désormais plus protégé par l'article 2276. En conséquence, au contraire de la solution posée en matière de gage avec dépossession (fictive ou effective), le droit du créancier gagiste sans dépossession devra céder face à l'action en revendication du véritable propriétaire, généralement réservataire de propriété (18).
Force est alors de constater que, dans l'attente d'une nouvelle réforme annoncée du droit du gage, la supériorité du gage sur stocks de vin avec dépossession par rapport à l'engagement de garantie sur stocks de vins reste donc de mise.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201)
(1) CA Aix-en-Provence, 28 juin 2013, n° 10/23025 (N° Lexbase : A3775KIN).
(2) CA Aix-en-Provence, 9 octobre 2014, n° 12/00307 (N° Lexbase : A0107MYM).
(3) Cass. com., 23 juin 1998, n° 96-19.997, inédit (N° Lexbase : A8209AHI), RJDA, 1998/11, p. 938, n° 1247, RTDCom., 1998, 924, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Cass. com., 17 septembre 2013, n° 12-17.657, F-D (N° Lexbase : A4818KLZ), Gaz. Pal., 12 janvier 2014, p. 17, note Fl. Reille, Bull. Joly Entrep. en diff., janvier 2014, p. 16, note Th. Favario, Rev. proc. coll., janvier 2014, comm. 23, note J.-J. Fraimout, Rev. proc. coll., mars 2014, comm. 52, note B. Saintourens ; CA Montpellier, 2ème ch., sect. B, 5 octobre 2004, Act. proc. coll., 2005/10, n° 124, note C. Régnaut-Moutier.
(4) Cass. com., 29 avril 2014, n° 12-27.058, FS-P+B (N° Lexbase : A6856MK7), Bull. civ. IV, n° 74, D., 2014, actu 1038, note A. Lienhard ; Gaz. pal., 5 octobre 2014, n° 278, p. 26, note Fl. Reille; Rev. sociétés, 2014. 403, note Ph. Roussel Galle ; Act. proc. coll., 2014/10, comm. 189, note L. Thiberge; JCP éd. E, 2014, chron. 1447, n° 3, obs. crit. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., 2014, comm. 162, note J.-J. Fraimout.
(5) T. com. Pontoise, 9 décembre 2013, n° 2013/P01137, LEDEN, mars 2014, comm. 52, note F.-X. Lucas.
(6) Aussi : Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté - De la théorie à la pratique, 2ème éd., Litec, 2007, n° 651 ; A. Lienhard, Procédures collectives, 4ème éd., Delmas, 2011, n° 84-16.
(7) Rapport J.-J. Hyest, n° 335, p. 289.
(8) Les prêts consentis à des producteurs de vin, à leurs coopératives agricoles et aux unions constituées par ces dernières peuvent, dans les conditions ci-après indiquées, faire l'objet, si ces récoltes ne sont pas déjà warrantées, d'un engagement de garantie sur récoltes souscrit auprès de l'administration des contributions indirectes dans les conditions fixées par le décret du 23 octobre 1935 accordant des facilités nouvelles aux viticulteurs pour le financement de leurs récoltes.
(9) Circ. min., NOR: BCRD1025719C, du 5 octobre 2010, Contributions indirectes - Facilitation du financement des stocks de vins à rotation lente - Convention ministérielle du 2 juin 2009 (N° Lexbase : L1640KZR).
(10) Cass. com., 12 janvier 2010, n° 08-17.420, F-D (N° Lexbase : A2950EQC), Rev. droit banc. et fin., 2010, n° 2, p. 63, obs. D. Legeais : "attendu que la qualité de commerçant du débiteur ne fait pas obstacle à la souscription par lui d'engagements de garantie sur récoltes, dès lors qu'il a la qualité de producteur au sens des articles 59 et 60 du Code du vin devenus les articles 661 et 662 du Code rural ancien ; qu'ayant retenu que la notion de producteur de vin' est plus large que celle de viticulteur et qu'il résultait des statuts de la société que son activité portait sur toute opération de fabrication, achat, vente de vin, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs du moyen ; que celui-ci n'est pas fondé".
(11) V. Lamy Droit du financement, 2015, n° 4711.
(12) Nos obs., La situation du porteur d'un warrant agricole après l'ordonnance du 23 mars 2006 et la LME, JCP éd. E, 2013, 1446.
(13) Sur ce constat et sur la question, Ch. Juillet, Le warrant agricole, les sûretés mobilières spéciales et le droit commun du gage, D., 2016, p. 178, n° 4.
(14) Cass. civ. 1, 12 novembre 2015, n° 14-23.106, FS-P+B (N° Lexbase : A7430NW4), D. 2016, p. 179, note Ch. Juillet ; G. Piette, Warrant agricole et droit commun du gage, Lexbase Hebdo n° 446 du 3 décembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N0183BWP).
(15) Cass. com., 28 novembre 1989, n° 87-19.626, publié (N° Lexbase : A4065AGN), Bull. civ. IV, n° 300 ; Cass. com. 26 mai 2010, n° 09-65.812, F-P+B (N° Lexbase : A7373EXD), Bull. civ. IV, n° 98, D., 2010, 1412, note Lienhard, D., 2011, pan. comm. 410, obs. P. Crocq, Gaz. Pal., éd. sp. Droit des entreprises en difficulté, 15 et 16 octobre 2010, p. 19, note F. Pérochon, JCP éd. E, 2010, 1601, note D. Legeais, RTDCiv., 2010, 597, n° 4, note P. Crocq ; JCP éd. E, 2011, chron. 1251, n° 17, obs. Ph. Delebecque ; Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-65.813, F-D (N° Lexbase : A7374EXE) ; CA Poitiers, 2ème ch. civ., 11 janvier 2011, n° 09/02106 (N° Lexbase : A6059GQH), Act. proc. coll., 2011/20, comm. 305. Sur le rappel de cette solution, QE n° 16491 de M. Suguenot Alain, JOANQ 12 février 2008 p. 1110, Justice, réponse publ. 29 avril 2008 p. 3668, 13ème législature (N° Lexbase : L8926H3Y), D., 2008, 1335 ; Act. proc. coll., 2008/8 ; RTDCiv., 2008, 319, n° 2, obs. P. Crocq.
(16) C'est-à-dire qui ignore l'absence de propriété de son auteur. Le créancier n'a pas à rechercher, lors de la constitution du gage, si les biens remis en gage ont fait l'objet d'une clause de réserve de propriété : Cass. com., 11 septembre 2012, n° 11-22.240, F-D (N° Lexbase : A7407IS7), RTDCiv., 2012, 755, obs. P. Crocq ; QE n° 16491 de M. Suguenot Alain, JOANQ 12 février 2008 p. 1110, Justice, réponse publ. 29 avril 2008 p. 3668, 13ème législature, préc..
(17) Cass. civ., 23 avril 1918, DP, 1919, I, p. 3, note Capitant ; S., 1919, 1, p. 153, note Lyon Caen
(18) En ce sens, Ch. Albigès, M.-P. Dumont-Lefranc, Droit des sûretés, Hypercours, Dalloz, n° 405 ; G. Ansaloni, Sur l'opposabilité du gage sans dépossession de droit commun, JCP éd. E, 2009, 1672, spéc. n° 12, p. 14. Dans le même sens QE n° 16491 de M. Suguenot Alain, JOANQ 12 février 2008 p. 1110, Justice, réponse publ. 29 avril 2008 p. 3668, 13ème législature, préc., D., 2008, 1335 ; RTDCiv., 2008, 519, obs. P. Crocq ; Dr., Sociétés 2008, Alerte 32.
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par Aziber Seïd Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef droit pénal et droit processuel et June Perot, Rédactrice en droit privé
Le 23 Février 2016
Thierry-Serge Renoux : L'état d'urgence fait partie de ces régimes d'exception qui ont pour but non pas de renverser la démocratie mais au contraire d'assurer le maintien de son existence même.
Toute démocratie a, dès lors qu'elle est confrontée à un péril extrême qui s'attaque à ses fondements, ses valeurs de dignité humaine, de liberté et de pluralisme, non pas le droit, mais l'impérieux devoir de défendre ses principes à condition de respecter l'Etat de droit. Ceci suppose une prévisibilité et une juridicité suffisantes de mesures exceptionnelles qui, adoptées temporairement et de manière appropriées, doivent être dictées par un seul impératif, le retour rapide à la pleine légalité républicaine, non plus celle des jours de tempêtes, mais celle des jours de paix.
Or, pour parer à une telle situation, notre Constitution de 1958 (N° Lexbase : L7403HHN) ne prévoit à ce jour que deux instruments :
- soit le recours à son article 16, très critiqué mais jamais supprimé, qui confère au Président de la République les pleins pouvoirs dès lors que, d'une part, les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et, d'autre part, que le fonctionnement réguliers de pouvoirs publics est interrompu. Même si ces deux conditions sont cumulatives et non alternatives, on admettra que cette dictature de salut public, dont l'usage est subordonné à une consultation purement formelle du Premier ministre, des présidents des assemblées parlementaires et du Conseil constitutionnel, qui ne rend pas un avis obligatoire, est loin de donner une réponse proportionnée à la question posée par un péril terroriste même imminent. Il s'agit bien davantage d'un ultime remède à une paralysie des pouvoirs publics. Fort heureusement, nous ne sommes pas dans le contexte d'un tel scénario catastrophe -il faut raison garder- visant l'hypothèse où, précisément, les autres moyens gouvernementaux, moins restrictifs de nos droits et libertés constitutionnels, se sont avérés insuffisants.
- soit le recours à son article 36, qui permet de déclarer, par simple décret en Conseil des ministres, l'état de siège. Si ce régime de crise ne peut être prorogé au delà de douze jours que sur autorisation du Parlement, il n'est guère plus protecteur des libertés que le précédent, d'autant que notre Constitution est totalement silencieuse tant sur les conditions nécessaires à son déclenchement que sur ses effets.
Quant aux premières, l'état de siège ne peut être déclaré en tout ou partie du territoire de la République qu'en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée. Le décret désigne le territoire auquel il s'applique et détermine sa durée d'application.
Quant aux seconds, aussitôt l'état de siège décrété, les pouvoirs dont l'autorité civile était investie pour le maintien de l'ordre et la police sont transférés à l'autorité militaire, ce qui habilite celle-ci à procéder à toutes perquisitions domiciliaires de jour et de nuit, éloigner toute personne ayant fait l'objet d'une condamnation devenue définitive, ordonner la remise des armes et munitions, et procéder à leur recherche et à leur enlèvement, enfin à interdire publications et réunions qui menaceraient l'ordre public. Ce n'est pas tout : les juridictions de droit commun ne sont compétentes que pour autant que l'autorité militaire ne revendique pas la poursuite devant les juridictions militaires, ainsi rétablies par une loi...
De telle sorte que si le droit de déclarer l'état de siège est explicitement prévu par la Constitution, c'est encore à la loi ordinaire (C. def., art. L. 2121-1 N° Lexbase : L8925HEB à L. 2121-8) qu'il faut se reporter pour en connaître les conditions et les conséquences. Un régime d'exception à la Constitution organisé par la loi : ceci signifie qu'une simple loi ultérieure peut en modifier le cas et conditions, le domaine et même le contenu, le tout par la grâce d'une simple renvoi de la Constitution à un régime législatif !
Le juriste est en droit de douter du caractère protecteur pour nos libertés d'un tel mécanisme dont le régime de l'état d'urgence actuel se rapproche, sans pour autant que son principe même ne soit admis par le texte de notre Constitution.
Commençons donc par améliorer le dispositif de crise auquel nous sommes confrontés : celui, moins contraignant, de l'état d'urgence pour en préciser au niveau constitutionnel, les garanties minimales qui ne sauraient être renvoyées à la loi ou à la jurisprudence. Ce dispositif pourra ensuite nous servir de modèle.
Dans le cadre de l'état d'urgence, les pouvoirs attribués à l'autorité militaire par le régime de l'état de siège sont dévolus à l'autorité civile. A l'heure actuelle, c'est toujours à la seule loi ordinaire et plus particulièrement au Code la défense qu'il faut se reporter (C. def., art. L. 2131-1 N° Lexbase : L8933HEL qui lui-même renvoie à la loi n° 55-385 du 3 avril 1955). Selon celui-ci, l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ou des départements d'outre-mer, dans deux hypothèses : soit en cas de "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public", soit en cas d'"événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamités publiques". Si l'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres (et non plus par la loi depuis 1960) sa prorogation au-delà de douze jours ne peut, en revanche, être autorisée que par une loi. Cette même loi fixe la durée maximale d'application de l'état d'urgence et bien que la loi de 1955 n'en prévoit pas expressément la possibilité, les récentes lois de prorogation de l'état d'urgence ont toutes donné au seul pouvoir exécutif la faculté d'y mettre fin par décret en conseil des ministres avant le terme fixé par le législateur.
Aussi, sauf à estimer que la jurisprudence et la loi puissent suppléer aux lacunes de la Constitution -ce qui serait excessif, pour instaurer dans son principe même un régime d'exception- sans que soit constitutionnellement garanti un plein contrôle du Parlement, on mesure plus que l'intérêt, la nécessité d'une révision de la Constitution.
Dans son seul contexte législatif actuel, le régime de l'état d'urgence, élaboré pour s'efforcer de donner un cadre juridique par défaut aux graves atteintes aux libertés commises lors des "évènements d'Algérie" -ce qui en soit confirme déjà ses imperfections- peut très bien être modifié par n'importe quelle loi subséquente, le contrôle minimal du Parlement être effacé et les atteintes aux libertés aggravées.
Pour répondre au second aspect de votre question, dès la déclaration de l'état d'urgence, tant le ministre de l'Intérieur que les préfets sont dotés de pouvoirs de police extrêmement étendus. En substituant à une légalité ordinaire une légalité d'exception, l'état d'urgence autorise des atteintes graves à trois catégories de droits et libertés constitutionnellement garantis.
- D'une part, atteinte à la liberté d'aller et venir : interdiction de la circulation des personnes ou des véhicules ; institution de zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; interdictions de séjour ; assignations à résidence, complétées le cas échéant par une assignation à domicile à temps partiel, pouvant comporter jusqu'à trois pointages au commissariat ou à la brigade de gendarmerie et une interdiction d'entrer en relation avec certaines personnes, qui peut être aménagée sous la forme d'un placement sous surveillance par bracelet électronique (loi du 3 juin 1955, modifiée par la loi du 20 novembre 2015, art. 5 et 6).
- D'autre part, atteinte aux libertés d'association, de réunion, d'expression et de communication, habituellement considérées comme le socle même de toute démocratie : dissolution d'associations ou de groupements; fermeture de salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion ; interdiction de manifestation ; blocage de sites internet (loi du 3 juin 1955 modifiée, art. 6-1, 8 et 11-II de l).
- Enfin et surtout, atteinte à la protection du domicile, au droit de propriété et à la liberté professionnelle : perquisitions domiciliaires sur simple décision administrative sans autorisation, à toute heure du jour et de la nuit ; remise à l'administration d'armes soumises à déclaration ; réquisition par l'administration de biens ou de personnes (loi du 3 juin 1955 modifiée, respectivement, art. 11-I, 10 et 9).
Lexbase : Dans l'exposé des motifs de la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l'état d'urgence, il est question "d'actualisation" et de "modernisation" de l'état d'urgence. Pouvez-vous nous éclairer sur l'éventuelle corrélation entre modernisation et constitutionnalisation ? Est-il vraiment opportun de recourir à une révision de la Constitution en ce domaine ou une nouvelle loi suffirait-elle ?
Thierry-Serge Renoux : Tout dépend de ce que l'on entend par "modernisation". S'il s'agit d'une simple "actualisation" au regard de nouvelles formes de menaces sur l'ordre public que constituent la cybercriminalité ou la diffusion de messages par internet, il est certain que la nouvelle législation du 20 novembre 2015 répond à cet objectif : le blocage de la consultation de sites internet concerne ceux provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie. Il en va de même à propos de la suppression de l'une des dispositions de la loi de 1955 ouvrant aux préfets la possibilité de prendre des mesures pour contrôler la presse et les publications de toute nature, ainsi que les émissions radiophoniques, les projections cinématographiques et les représentations théâtrales. Ce type de contrôle serait largement inefficace dans le contexte médiatique actuel où l'information circule en permanence sur internet, les réseaux sociaux et les chaînes de télévision satellitaires. J'observe simplement qu'il est pour le moins surprenant d'inscrire ce dispositif dans un régime juridique censé encadrer strictement l'état d'urgence alors même qu'il existe déjà dans le droit commun : depuis la loi du 13 novembre 2014, l'article 6-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique permet de bloquer les contenus publiés en ligne qui relèvent d'une qualification pénale, notamment de l'article 421-2-5 du Code pénal (N° Lexbase : L8378I43) qui réprime la provocation à des actes de terrorisme ou l'apologie de ceux-ci. Et d'ailleurs, cette faculté n'a pas été utilisée par le pouvoir exécutif depuis l'entrée en vigueur de la loi du 20 novembre 2015, alors que, dans le même temps, il a été fait usage à de nombreuses reprises des dispositions de l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC) permettant à l'autorité administrative de demander le retrait de contenus ou de procéder à des blocages de tels sites sur internet.
- S'il s'agit d'une véritable "modernisation", au sens d'un accroissement des garanties entourant le recours à des mesures de polices d'exception, le constat est nettement plus nuancé.
- Dès lors, cette seule garantie légale est-elle suffisante ? On est en droit d'en douter. L'unique condition quant au recours à ces perquisitions administratives concerne l'emploi des locaux visés : il doit s'agir d'un local où existeraient des "raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics", ce qui on l'admettra est une assurance bien maigre. Quant au contrôle du juge, exercé nécessairement après que la perquisition décidée par le préfet ait été de toute façon exécutée, quel est-il ? Faut-il par analogie avec les assignations à résidence, confier ce contrôle au juge administratif ? Ce n'est pas certain, car si les assignations à résidence mettent en cause la liberté d'aller et venir, il en va tout autrement ici, où l'intimité même de la vie privée, la protection du domicile personnel ne se trouvent absolument pas à l'abri des abus. Ceci explique que lors du précédent recours à l'état d'urgence en application de la loi du 18 novembre 2005, le droit des perquisitions, pourtant administratives, ait été considéré comme placé sous le contrôle du juge judiciaire, ainsi que le soulignait le rapporteur du projet de loi au Sénat, Jean-Jacques Hyest (Sénat, Rapport n° 84, 2005-2006). Une décision du Conseil constitutionnel doit être citée, car elle déclare contraire à nos droits fondamentaux un dispositif semblable, car trop général, permettant les perquisitions de nuit, alors même qu'il s'agit de perquisitions décidées par un juge d'instruction et placée sous son contrôle (Cons. const. décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996 N° Lexbase : A8343ACY, Perquisitions de nuit, cons. 18). Sans doute, objectera-t-on que la notion de liberté individuelle a été considérablement réduite par la jurisprudence constitutionnelle depuis la consécration autonome de la notion de "vie privée" en 1999 (Cons. const. décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 N° Lexbase : A8782ACA, Couverture maladie universelle) et ainsi encore récemment s'agissant du domicile (Cons. const., décision n° 2015-464 QPC, du 9 avril 2015, cons. 5 N° Lexbase : A2528NGQ) à propos du délit d'obstacle au droit de visite en matière d'urbanisme). Sans doute encore, dans une récente décision, relative à la loi du 20 novembre 2015, le Conseil constitutionnel n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence et considère qu'il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre la prévention des atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Mais en l'occurrence la seule question posée au Conseil constitutionnel concernait le régime des assignations à résidence dans le cadre de l'état d'urgence et non les perquisitions administratives (Cons. const, décision n° 2015-527 QPC, du 22 décembre 2015 N° Lexbase : A9511NZB). Aussi, c'est l'amplitude et la généralité des mesures de perquisitions domiciliaires que la loi relative à l'état d'urgence autorise qui exigent un support constitutionnel minimum, ce que le juge constitutionnel ne saurait présumer ou établir par voie prétorienne sans courir le risque de substituer son appréciation à celle du pouvoir constituant.
Lexbase : Peut-on craindre que l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution soit davantage une instrumentalisation de celle-ci, permettant au Gouvernement de renforcer et légitimer, à titre préventif, des mesures administratives qui, sinon, risqueraient d'être déclarées inconstitutionnelles ?
Thierry-Serge Renoux : Il existe toujours deux manières de considérer une disposition constitutionnelle en la matière : d'un côté, c'est exact, toute révision qui définit plus précisément les conditions et les limites d'un régime de crise ou d'exception, peut être perçu comme une limitation des libertés. Mais ainsi que je l'ai déjà indiqué, il en va de la survivance même des nos institutions démocratiques et à défaut de prévoir un régime de police suffisamment "encadré" par des garanties notamment procédurales -et sur ce point l'intervention du procureur, à supposer accrues ses garanties d'indépendance statutaires, me paraît tout aussi, sinon davantage efficace, qu'un simple contrôle administratif- c'est à la Constitution elle-même, et non encore une fois au juge, qu'il appartient de fixer un régime d'exception, dérogatoire au droit commun des droits et libertés. Ne pas inscrire dans notre Constitution un régime d'état d'urgence "rénové" c'est ouvrir la voie à son détournement par une simple loi. Et personne ne soutiendra sérieusement que plutôt qu'à un état d'urgence "constitutionnalisé", il est préférable de recourir à l'existant, autrement dit aux pleins pouvoirs de l'article 16 ou bien à l'état de siège, régimes juridiques beaucoup plus coercitifs sans être dénués de toute lacune.
Il est exact toutefois que dans sa version actuelle, le projet de loi de protection de la Nation adopté par l'Assemblée nationale le 10 février 2016, dispose que "la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face (aux) évènements". C'est une rédaction que nous qualifierons d'économe, pour ne pas dire minimale. Cette référence générale à la notion de "police administrative" est beaucoup trop vague. Elle révèle même une régression par rapport au régime actuel de l'état d'urgence, puisque celui-ci énumère les seules mesures de polices administratives autorisées, dont les assignations à résidence et les perquisitions.
Il reste que même si cette rédaction attribue la décision "aux autorités civiles", constitutionnellement (bien au contraire) rien n'oblige à déceler dans la nature de l'opération, qualifiée de "police administrative", une quelconque conséquence quant à la compétence contentieuse pour en connaître. La distinction police administrative - police judiciaire a été dégagée par la jurisprudence des juges du fond et quand bien même le Conseil constitutionnel s'y réfèrerait (encore récemment : Cons. const., décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 N° Lexbase : A9642NM3), rien n'oblige le législateur constitutionnel à en tenir compte et encore moins à en déduire une compétence contentieuse réservée au seul juge administratif. Pareil distinguo n'est pas plus opératoire que la prétendue distinction entre mesures restrictives de liberté et mesures privatives de liberté. Un exemple ? Un prélèvement génétique opéré par la police sur une personne n'est pas privatif de liberté. Pourtant, selon cette même jurisprudence constitutionnelle, il doit être placé sous le contrôle de l'autorité judiciaire.
Last but not least, l'inscription de l'état d'urgence dans le texte de la Constitution n'est ni une manoeuvre de pure opportunité politique, ni une simple opération cosmétique. Son objet n'est pas uniquement de garantir les droits fondamentaux. Il est tout autant de permettre au Parlement d'effectuer, dans le temps et en dehors des fragiles conditions d'un unique régime législatif, toujours abrogeable, un contrôle effectif de l'utilisation de tels pouvoirs exceptionnels par l'exécutif. C'est en ce sens qu'à l'instar des constitutions européennes les plus modernes, le projet de révision qui sera bientôt examiné par le Sénat non seulement oblige à ce que pendant toute la durée de l'état d'urgence le Parlement se réunit de plein droit, autrement dit sans même avoir à être convoqué, mais également et surtout établit un mécanisme de contrôle parlementaire tout au long de l'application de ce régime dérogatoire, ce qui est sans doute déjà le cas en pratique mais ira mieux en l'inscrivant en toutes lettres dans la Constitution et, par suite, dans les règlement intérieurs des assemblées parlementaires.
Lexbase : A quels principes doit, selon vous répondre, l'état d'urgence ?
Thierry-Serge Renoux : Ils sont très simples et découlent de ce qui vient d'être dit. Ils sont au nombre de quatre :
- Efficacité : Dans l'élaboration d'un régime d'état d'urgence, le législateur doit écarter toute mesure qui n'est pas efficace pour atteindre le seul but de protéger les personnes et les biens, renforcer les fondements d'une démocratie pluraliste mise en péril, permettre, sans précipitation, un retour à des jours paisibles.
- Légalité : ce principe suppose un régime juridique suffisamment précis des cas et conditions de déclenchement de l'état d'urgence, sans dévoiement possible. L'état d'urgence ne modifie temporairement la légalité constitutionnelle que dans les strictes conditions prévues par la Constitution et la loi. Il ne peut affecter, en particulier, les règles constitutionnelles relatives à la compétence et au mode de fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels. L'état d'urgence ne peut enfin, en aucun cas, porter atteinte aux droits à la vie, à l'intégrité de la personne, à la non rétroactivité de la loi pénale ou aux droits du procès équitable.
- Proportionnalité : celle-ci implique un contrôle permanent, notamment du Parlement, afin que rien ne soit entrepris de ce qui n'est absolument nécessaire ou requis pour contrer le péril imminent. Le territoire, la durée et les moyens utilisés sont limités au strict nécessaire pour rétablir, au plus vite, la pleine légalité.
- Justiciabilité : l'état d'urgence doit être placé, dans son application, sa mise en oeuvre ainsi que dans ses conséquences, sous un contrôle effectif du juge, de manière à éviter tout excès et à assurer la réparation d'éventuel dommages.
Lexbase : Quelle analyse faites-vous de la récente décision du Conseil d'Etat refusant de suspendre l'Etat d'urgence (CE référé, 27 janvier 2016, n° 396220 N° Lexbase : A7046N4Q) ?
Thierry-Serge Renoux : Après avoir admis de contrôler, en référé comme au fond, la légalité du décret instituant l'état d'urgence, le juge administratif a été conduit à examiner les motifs justifiant de recourir à ce régime d'exception. Les attentats du 13 novembre dernier, parce qu'ils emportaient un danger immédiat de récidive, ont pu justifier l'état d'urgence et ce "péril imminent" n'a pas disparu deux mois plus tard : en l'espèce, le Conseil d'Etat n'a pas statué sur la légalité du décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 déclarant l'état d'urgence mais sur la décision du Président de la République de ne pas mettre fin à l'état d'urgence avant l'expiration du délai prévu par loi. Contrôler la légalité du décret instituant l'état d'urgence, puis celle de ses mesures d'application, enfin, donner un avis au Gouvernement sur sa prorogation : n'est-ce pas beaucoup (trop ?) pour une seule et même institution ? S'il a accru la portée de son contrôle contentieux, en passant d'un contrôle minimum de l'erreur manifeste d'appréciation à un contrôle de la proportionnalité, le Conseil d'Etat reste cependant mal à l'aise pour délivrer une injonction au président de la République : l'arrêt "Canal" (CE Contentieux, 19 octobre 1962, n° 58502 N° Lexbase : A3284B87) reste dans tous les esprits. Mais il a été rendu en 1962 et se bornait à annuler une ordonnance du président de la République prise en application de l'article 16 de la Constitution. On en connaît les conséquences. Aujourd'hui, une telle compétence d'injonction au Président de la République semble davantage relever des attributions d'une Cour constitutionnelle, ce qui suscite une légitime réflexion sur le développement d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel assurant un plus grand contrôle des actes du pouvoir exécutif.
Lexbase : Selon vous, existe-t-il un risque de glissement vers une pérennisation de l'état d'urgence et une sorte de "normalisation" d'une situation pourtant exceptionnelle ?
Thierry-Serge Renoux : C'est une erreur que de croire que l'institutionnalisation d'un régime constitutionnel, plus protecteur que la loi, enfermant l'état d'urgence dans des cas et conditions connus de tous, préalables et stricts, conduit à sa banalisation. Bien sûr, l'état d'urgence a pour vocation à rester "temporaire". L'état d'urgence ne doit pas être confondu avec la lutte contre le terrorisme. Celle-ci s'inscrit dans un temps long, quand l'état l'urgence implique une temporalité courte.
L'urgence se constate et ne se définit point : ce n'est pas la Constitution qui exige l'utilisation de l'état d'urgence, pas plus qu'elle n'oblige à décréter l'état de siège ou l'application des pleins pouvoirs de l'article 16. Ce sont les circonstances, internes et externes. L'opportunité de recourir à de tels régimes, relève non plus du droit, fût-il constitutionnel, mais de la politique.
Le pire, en la matière, serait de ne rien prévoir. "Tout Etat libre -écrivait Jean-Jacques Rousseau- où les grandes crises n'ont pas été prévues est, à chaque orage, en danger de péril" (Considération sur le gouvernement de Pologne, 1772).
(1) Interview réalisée avant la publication des deux décisions du Conseil constitutionnel ayant validé les perquisitions et interdictions de réunions et censuré la copie de données informatiques (Cons. const., deux arrêts, décisions n° 2016-535 QPC N° Lexbase : A9138PLZ et n° 2016-536 QPC N° Lexbase : A9145PLB, du 19 février 2016 ; et lire N° Lexbase : N1484BWU).
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 10 février 2016, n° 371258, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7061PKQ)
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N1422BWL
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Le 19 Février 2016
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Réf. : Cons. const., 14 janvier 2016, n° 2015-515 QPC (N° Lexbase : A5894N3P)
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N1436BW4
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par Jean-Marie Garinot, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne (CREDIMI)
Le 18 Février 2016
Par hypothèse, la clause d'earn out suppose donc le versement d'une partie du prix d'acquisition lors de la cession des titres, puis le versement d'un complément variable, à l'expiration d'un délai n'excédant généralement pas quelques années. Fiscalement, lorsque le cédant est une personne physique, il est de principe que chaque fraction du prix est imposée au titre de l'année lors de laquelle elle est perçue. Or, la loi de finances pour 2013 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR) a modifié le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières réalisées à compter du 1er janvier 2013 : auparavant taxées au taux spécial de 19 % (majoré des prélèvements sociaux de 15,5 %), ces dernières sont depuis cette date soumises à l'impôt sur le revenu, après application de divers abattements pour durée de détention. Ce dispositif a également été modifié par la loi de finances pour 2014 (loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 N° Lexbase : L7405IYW), qui est venu préciser que le complément de prix bénéficiait de l'abattement "appliqué lors de [la] cession" (CGI, art. 150-0 D).
Le législateur n'ayant pas jugé bon d'édicter des mesures transitoires, cette réforme a eu pour effet de priver d'abattement les compléments de prix perçus après le 1er janvier 2013 en exécution d'opérations antérieures à cette date puisque, par hypothèse, ces abattements n'existaient pas au moment de la cession. Le complément de prix était donc intégralement soumis à l'impôt sur le revenu. Telle était d'ailleurs la position de la doctrine administrative qui estimait que "En ce qui concerne les compléments de prix reçus par le cédant en exécution d'une clause d'indexation (ou clause d'earn out) en relation directe avec l'activité de la société dont les titres ou droits sont l'objet du contrat de cession, ces gains sont éligibles à l'abattement pour durée de détention appliqué aux gains (plus-values ou moins-values) réalisés lors de la cession considérée. Ainsi, l'abattement pour durée de détention s'applique également au montant du complément de prix reçu dès lors que le gain net afférent à la cession concernée par ce complément de prix est lui-même dans le champ d'application dudit abattement".
Au soutien d'une requête en annulation pour excès de pouvoir de la doctrine précitée, un contribuable faisait valoir que les termes "et appliqués lors de cette cession" n'étaient pas conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution. Après avoir constaté que les dispositions litigieuses privaient le contribuable du bénéfice de l'abattement pour durée de détention, le Conseil d'Etat a décidé de transmettre la question au Conseil constitutionnel (CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 392257, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2686NTN).
Si le respect de la liberté contractuelle, de la liberté d'entreprendre et des attentes légitimes n'emportent pas l'adhésion des juges constitutionnels (II), l'argument tiré de l'égalité devant l'impôt est accueilli par le Conseil, qui formule une réserve d'interprétation. Le contribuable peut donc introduire une réclamation (III). Compte-tenu de la complexité des dispositions litigieuses, un bref rappel d'impose (I).
I - Retour sur le régime d'imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières
Jusqu'au 1er janvier 2013, les plus-values constatées lors des cessions de valeurs mobilières étaient imposées au taux spécial de 19 %, conformément à l'article 200 A du CGI (N° Lexbase : L1890KG4). L'éventuel complément de prix était taxé au titre de l'année au cours de laquelle il était perçu, à condition d'avoir été déterminé en fonction d'une indexation en relation directe avec l'activité de la société dont les titres ont été cédés (CGI, art. 150-0 A, I. 2 N° Lexbase : L9238HZ8). Par hypothèse, les plus-values peuvent être d'un montant élevé et ne sont guère susceptibles de se renouveler ; elles s'accommodent donc mal de la progressivité de l'impôt sur le revenu, ce qui justifiait leur imposition à un taux spécial. En outre, l'imposition de la plus-value à un tel taux ne soulevait pas de difficulté, que le versement du prix soit immédiat ou étalé dans le temps.
A compter du 1er janvier 2013, le législateur a décidé d'encourager les investisseurs à conserver leurs titres. A cette fin, les plus-values sont désormais soumises à l'impôt sur le revenu dans les conditions de droit commun, mais après réduction de la base imposable par le jeu d'abattements, dont le taux augmente avec la durée (2). Pour éviter tout effet d'aubaine consistant à céder les titres et à étaler le versement du prix dans le temps de manière à déterminer l'abattement non pas à compter de la cession, mais à compter de la date du versement du complément (3), le législateur a précisé qu'il convenait de prendre en compte l'abattement "appliqué lors de [la] cession" (4).
Ainsi, la plus-value réalisée en raison du complément de prix versé à compter de 2013 en exécution d'une cession conclue antérieurement ne pouvait bénéficier ni du taux spécial, ni d'un quelconque abattement.
II - Rejet des arguments fondés sur liberté contractuelle, la liberté d'entreprendre et les attentes légitimes du contribuable
Le requérant soutenait notamment que les dispositions litigieuses portaient atteinte à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et aux attentes légitimes nées de situations légalement acquises. Sans surprise, les deux premiers arguments ne sont pas retenus par le Conseil puisque les textes litigieux n'avaient ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle ou à la liberté d'entreprendre (cons. n° 6). Force est de constater que le régime d'imposition n'est pas censé affecter le contenu même du contrat de cession, ni les décisions de gestion prises par un dirigeant d'entreprise.
En apparence, plus discutable est le rejet de l'argument tiré des attentes légitimes du contribuable. Le Conseil considère en effet que, par principe, le législateur ne peut pas porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations, sauf s'il dispose d'un motif d'intérêt général suffisant (5). En ce sens, doit par exemple être annulée la nouvelle contribution portant sur des revenus soumis à un prélèvement libératoire lors de leur perception (6). En l'espèce, le juge constitutionnel commence par rappeler qu'"il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier les textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres impositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations". Il précise ensuite que "d'une part, les dispositions contestées modifient, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, des règles d'assiette applicables à des faits générateurs postérieurs à leur entrée en vigueur ; que, d'autre part, la soumission à un taux forfaitaire, au titre de l'impôt sur le revenu, de la plus-value réalisée lors de la cession des titres ne peut être regardée comme ayant fait naître l'attente légitime que le complément de prix y afférent soit soumis aux mêmes règles d'imposition". En l'espèce, force est de constater que les textes litigieux sont bel et bien entrés en vigueur avant le versement du complément de prix et qu'ils n'ont donc pas donné lieu à une imposition rétroactive. Compte-tenu de l'extrême volatilité des dispositions fiscales, on comprend également que la stabilité législative ne puisse pas être considérée comme une attente légitime du contribuable.
Il n'en reste pas moins que lorsque l'exécution du contrat s'étale dans le temps, ces principes placent le contribuable dans une situation inconfortable puisque la convention l'oblige à percevoir un gain à une date déterminée, dans des conditions d'imposition imprévisibles à la date de conclusion de la cession. Quoi qu'il en soit, la réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel permet d'atténuer l'effet de la réforme pour les opérations conclues avant 2013 et produisant leurs effets après cette date.
III - Réserve d'interprétation fondée sur l'égalité devant les charges publiques
Le Conseil constitutionnel rappelle que l'impôt ne doit pas revêtir un caractère confiscatoire, ni faire peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive, compte-tenu de leurs facultés contributives (cons. n° 10). Il précise que ces facultés doivent, d'une part, être déterminées en considération de critères objectifs et rationnels, en fonction des objectifs conférés à la loi, et, d'autre part, ne pas entraîner de rupture d'égalité devant les charges publiques.
Dans une décision antérieure (7), le Conseil avait considéré que l'érosion monétaire devait être prise en compte lors de l'imposition des plus-values, sous peine de méconnaître l'exigence de prise en compte des facultés contributives des contribuables. Concrètement, ce principe oblige le législateur à imposer les plus-values à un taux spécial ou, s'il décide de les soumettre au barème progressif de l'IR, à réduire la base imposable grâce à des abattements.
En l'espèce, la référence à l'abattement "appliqué lors de [la] cession" avait pour objectif de priver le contribuable de l'effet d'aubaine consistant à repousser le versement du prix pour revendiquer le bénéfice de l'abattement en tenant compte de la date de ce versement et non de celle de la cession. Si l'objectif poursuivi par le législateur paraît légitime, ces dispositions avaient potentiellement pour effet de priver le contribuable du taux spécial et de l'abattement, alors même que la condition tenant à la durée de détention pouvait avoir été satisfaite lors de la cession. Par ailleurs (conformément à l'article 150-0 A du CGI), le montant du complément de prix est déterminé (par hypothèse) après la cession et en fonction d'éléments en relation directe avec l'activité de la société. Il est donc possible que la plus-value ne soit pas constatée au moment du versement de la partie fixe du prix, c'est-à-dire lors de la cession, mais au moment du versement du complément. Comme dans l'hypothèse précédente, aucun abattement ne pouvait donc être appliqué puisque la cession elle-même n'a généré aucune plus-value imposable.
Force est donc de constater que cette interprétation des textes entraîne une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, puisque les plus-values sur cession de titres vendus au même moment et détenus pendant la même durée pouvaient ne pas être imposées de la même manière. Cette discrimination étant contraire à l'objectif poursuivi par le législateur, qui entend encourager l'actionnariat de long terme, le Conseil ne pouvait qu'émettre une réserve d'interprétation (cons. n° 12). L'abattement pour durée de détention doit donc être appliqué au complément de prix dès lors que la condition tenant à la durée de détention était satisfaite au moment de la cession, que celle-ci soit intervenue avant la réforme ou qu'elle n'ait pas dégagé de plus-value (quelle que soit sa date). En revanche, on peut regretter qu'aucun abattement ne puisse être appliqué au complément de prix versé après 2013 si, au moment de la cession, la condition tenant à la durée détention n'était pas satisfaite, alors même que cette condition a été introduite postérieurement à l'opération.
Quoi qu'il en soit, se pose la question du droit à réclamation pour les contribuables ayant subi l'imposition sans abattement d'un complément de prix, versé à compter de 2013. Faute de précision de la part du Conseil constitutionnel, seul le droit de réclamation général paraît ouvert (8). Par application combinées des articles L. 190 (N° Lexbase : L9530IYM) et R. 190-1 (N° Lexbase : L6750ISS) du LPF, ce droit de réclamation expire le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de mise en recouvrement de l'impôt. Ce délai ne soulève aucune difficulté en l'espèce puisque les compléments de prix concernés par la réforme ont été versés au plus tôt en 2013. L'avis d'imposition les concernant ayant été émis en 2014, le délai de réclamation expire donc le 31 décembre 2016.
(1) V. Mémento expert Cessions de parts et actions, éd. 2015-2016, Francis Lefebvre, 2014, n° 37710.
(2) Des abattements dits "renforcés" sont également prévus lorsque le dirigeant prend sa retraite ou lorsque le cédant a investi dans des PME.
(3) Comme pouvait le laisser entendre l'article 150-0 D dans sa rédaction au 1er janvier 2013.
(4) Cette précision est issue de la loi de finances pour 2014.
(5) Cons. const., 19 décembre 2013, n° 2013-682 DC (N° Lexbase : A6536KRI).
(6) Cons. const., 5 septembre 2014, n° 2014-435 QPC (N° Lexbase : A8231M4M).
(7) Cons. const., 29 décembre 2013, n° 2013-685 DC (N° Lexbase : A9152KSR).
(8) V. en ce sens Th. Jacquemont, Les effets d'une QPC sur le droit à réclamation, Dr. fisc., 2015, n° 18, comm. 291, spéc. n° 8 et s..
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 10 février 2016, n° 394708, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7088PKQ)
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Le 25 Février 2016
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Réf. : Cass. com., 9 février 2016, n° 14-22.179, FS-P+B (N° Lexbase : A0236PLC)
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Le 23 Février 2016
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Réf. : Cass. soc., 10 février 2016, n° 14-24.350, FS-P+B (N° Lexbase : A0333PLW)
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Le 19 Février 2016
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 10 février 2016, n° 385929, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7079PKE)
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Le 19 Février 2016
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Réf. : Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-18.600, FS-P+B (N° Lexbase : A3233PKX)
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 18 Février 2016
Résumé
Le fait, pour l'employeur, de reprocher au salarié, dans la lettre de licenciement, d'avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation de son contrat de travail entraîne à lui seul la nullité du licenciement, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. |
Commentaire
I - L'existence d'un motif illicite contaminant
L'hypothèse d'une pluralité de motifs. L'article L. 1232-6 du Code du travail (N° Lexbase : L1084H9Z) dispose que la lettre de licenciement doit faire mention "du ou des motifs invoqués par l'employeur". Il suffit alors que l'un d'entre eux soit de nature à justifier le licenciement, et que l'employeur ait respecté la procédure propre à ce ou ces motifs (par exemple la procédure disciplinaire) pour que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse (1).
Cette règle connaît toutefois deux limites.
La première tient à une exigence logique : l'employeur ne peut invoquer deux motifs contradictoires et devra donc choisir entre un motif personnel, inhérent à la personne du salarié, et un motif économique qui ne l'est pas. S'il invoque les deux, il risque alors de tout perdre (2).
La seconde tient à l'existence d'un motif discriminatoire parmi les motifs invoqués, car dans cette hypothèse la sanction est immédiate et radicale. Depuis 2007, en effet (3), la Cour de cassation considère que, dans ce cas, le licenciement doit être annulé (4), quels que soient les autres motifs visés par l'employeur et que le juge n'a même pas à examiner (5), ce grief illicite emportant "à lui seul" la nullité du licenciement (6).
Cette solution avait, jusqu'à présent, été dégagée pour protéger des salariés dénonçant des mauvais traitements sur des personnes vulnérables (7), puis reprise essentiellement dans des hypothèses de harcèlement moral (8), plus rarement dans d'autres cas concernant, par exemple, des hypothèses de discriminations en raison d'activités syndicales (9) ou de participation à une grève (10).
Une nouvelle affaire. Un salarié, qui occupait au moment de la rupture de son contrat de travail les fonctions de directeur régional, a été mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave, quelques jours après avoir saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, la lettre de licenciement lui reprochant notamment d'avoir, en sa qualité de directeur de région, cherché à compromettre un projet auquel il avait contribué et, après avoir en vain tenté d'obtenir une rupture négociée, d'avoir saisi directement le juge prud'homal d'une demande de résiliation judiciaire sans avoir jamais avisé son employeur du moindre désaccord sur le projet ni sur l'exécution de son contrat.
La juridiction prud'homale avait considéré ce licenciement comme nul, précisément parce que l'employeur lui faisait grief d'avoir saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire, ce que l'intéressé contestait. Dans le cadre de son pourvoi, l'employeur prétendait, en effet, que la cour d'appel aurait dû rechercher si le salarié n'avait pas saisi le juge prud'homal de manière abusive, que la lettre de licenciement reconnaissait elle-même que l'employeur ne sanctionnait pas le seul fait que le salarié ait saisi le juge mais seulement qu'il n'ait pas recherché auparavant une solution amiable à ses difficultés, et que même à considérer que l'employeur avait visé un motif illicite, il appartenait au salarié de prouver que ce motif avait bien été déterminant dans la décision prise par l'employeur.
Le rejet du pourvoi. Ces arguments n'ont pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette ici le pourvoi. Après avoir considéré que la cour d'appel n'avait pas dénaturé la lettre de licenciement qui visait bien la saisine, par le salarié, du juge prud'homale, et qu'elle avait également implicitement écarté tout abus ou mauvaise foi du salarié, compte tenu des faits de l'espèce, la Haute juridiction indique, reprenant la formule traditionnelle dans les hypothèses de motifs "contaminants", que ce "grief, constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement".
II - Une extension justifiée
L'intérêt de la solution. Cette décision constitue une nouvelle application des solutions dégagées par la Cour depuis 2007 s'agissant de la présence, dans la lettre de licenciement, d'un motif de rupture prohibé, cette fois-ci dans le contexte particulier des atteintes aux droits fondamentaux des salariés qui justifient la nullité de la rupture (11).
On sait, en effet, que la Cour de cassation a entrepris de sanctuariser le droit au juge et les règles du procès équitable en sanctionnant par la nullité les actes pris par l'employeur en raison de l'exercice par le salarié d'actions en justice (12), ou de sa participation à l'action de collègues par le biais d'attestations ou de témoignages (13).
Dans cette affaire, l'employeur ne s'était pas caché d'avoir voulu sanctionner le salarié qui avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire, et lui reprochait de n'avoir pas cherché auparavant de solution "amiable" au différend qui les opposait.
La sanction s'imposait d'évidence dans la mesure où le droit de saisir un juge pour que soit tranché un différend est fondamental, et ne saurait être subordonné au respect d'une quelconque obligation préalable de rechercher un arrangement amiable.
On observera, d'ailleurs, que le comportement du salarié antérieurement à la saisine pourra être pris en compte par le juge lorsqu'il devra établir, comme il le lui était demandé ici, si les manquements allégués de l'employeur sont réels et suffisamment graves pour empêcher la poursuite de l'exécution du contrat et justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail (14). C'est donc au juge qu'il appartiendra de prendre en compte le comportement du salarié, ainsi que celui de l'employeur, et, s'il estime que les "fautes" commises par l'employeur ne sont pas de nature à justifier la résiliation du contrat, de rejeter les demandes du salarié voire, si un licenciement a été entre temps décidé, de s'interroger sur sa justification. Mais ce n'est certainement pas à l'employeur de se faire juge du bien-fondé de la saisine du tribunal par le salarié, sauf à établir que la demande est fantaisiste et uniquement destinée à bénéficier de l'immunité accordée aux justiciables qui font valoir leurs droits en justice, ce qui n'avait pas été le cas ici.
Une sanction justifiée. Dans son pourvoi, l'employeur contestait, en substance, le caractère automatique de la nullité du licenciement, fondé sur le seul constat que la lettre de notification comporterait la référence à un motif illicite, et ce dans la mesure où, s'agissant d'une application du principe de non-discrimination, la nullité supposerait que la preuve du caractère déterminant du motif discriminatoire sur la décision de licencier soit rapportée.
L'argument était particulièrement spécieux dans la mesure où l'acte dont il s'agit, la lettre de licenciement, est précisément celui par lequel l'employeur porte à la connaissance du salarié les motifs de la rupture de son contrat de travail. En visant des faits qui établissent un motif illicite, l'employeur se condamne lui-même et la lettre de licenciement sonne comme un aveu de culpabilité, à tout le moins dès lors que l'employeur ne conteste pas, dans cette lettre, la bonne foi du salarié et n'établit pas des faits qui laissent supposer que le salarié aurait tenté de se placer indûment sous la protection de la loi.
(1) Cass. soc., 23 septembre 2003, n° 01-41.478, publié (N° Lexbase : A5815C9A), Dr. soc., 2003, p. 1119, note A. Cristau ; JCP éd. E, 2004, p. 561, note J.-F. Cesaro ; Cass. soc., 7 mars 2006, n° 04-42.472, F-D (N° Lexbase : A5065DNW).
(2) Même de vieilles décisions retiennent la première cause (sur un plan chronologique) : Cass. soc., 10 octobre 1990, n° 87-45.366 (N° Lexbase : A4315ACS).
(3) Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-40.039, FS-P+B (N° Lexbase : A5880DYG), Bull. civ. V, n° 136 ; Dr. soc., 2007, 1325, obs. J. Savatier ; RDT, 2007, 652, obs G. Auzero ; D. Boulmier, Le témoignage de mauvais traitements : du bon usage de l'article L. 313-24 du CASF, RDSS, 2008, 126 ; Dr. ouvr., 2008, 306, note X. Médeau ; JCP éd. G, 2014, p. 1092, étude E. Alt.
(4) Cass. soc., 3 juillet 2012, n° 11-10.793, FS-P+B (N° Lexbase : A4774IQU) ; Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH) et nos obs., Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS) ; JCP éd. S, 2009, 1225, note C. Leborgne-Ingelaere ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-40.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7503EIQ) et nos obs., Protection du salarié gréviste : la Cour de cassation veille au grain, Lexbase Hebdo n° 362 du 10 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7426BLM) ; JCP éd. S, 2009, p. 1484, note R. Vatinet.
(5) Cass. soc. 26 septembre 2007, n° 06-40.039, FS-P+B (N° Lexbase : A5880DYG), Bull. civ. V, n° 136 ; Dr. soc., 2007, 1325, obs. J. Savatier ; RDT, 2007, 652, et les obs. de G. Auzero ; D. Boulmier, Le témoignage de mauvais traitements : du bon usage de l'article L. 313-24 du CASF, RDSS, 2008, 126 ; Dr. ouvr., 2008, 306, note X. Médeau ; JCP éd. G, 2014, p. 1092, étude E. Alt. V., pour des arrêts d'appel jugeant en ce sens, CA Amiens, 5 janvier 2012, n° 11/2145 (N° Lexbase : A0492H94) ; CA Orléans, 4 mai 2010, n° 09/00502 (N° Lexbase : A3671GA9).
(6) Formule présente dans les arrêts rendus pas la Cour de cassation depuis Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH) : salarié ayant dénoncé des faits de harcèlement moral sur sa personne ; Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-40.139, FS-P+B, préc. ; JCP éd. S, 2009, p. 1484, note R. Vatinet : participation à une grève ; Cass. soc., 31 mars 2010, n° 07-44.675, F-D (N° Lexbase : A4003EUS) : dénonciation d'un harcèlement moral ; Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-40.628, FP-P+B+R (N° Lexbase : A2118EY4) et les obs. de C. Willmann, Discrimination syndicale : la Halde n'a pas la qualité de partie, mais peut présenter devant la Cour de cassation des observations, Lexbase Hebdo n° 400 du 24 juin 2010 édition sociale (N° Lexbase : N4366BPE) : faits laissant supposer une discrimination syndicale ; Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.528, F-D (N° Lexbase : A6836E4X) : harcèlement moral ; Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-42.057, F-D (N° Lexbase : A7644GAD) : harcèlement moral ; Cass. soc., 2 mars 2011, n° 08-43.067, F-D (N° Lexbase : A3298G4W) : harcèlement moral ; Cass. soc., 29 février 2012, n° 10-23.710, F-D N° Lexbase : A8728IDM).
(7) Cass. soc. 26 septembre 2007, n° 06-40.039, FS-P+B, préc..
(8) Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, FP-P+B+R, préc. ; Cass. soc., 31 mars 2010, n° 07-44.675, F-D (N° Lexbase : A4003EUS) ; Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 09-41.528, F-D (N° Lexbase : A6836E4X) ; Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-42.057, F-D (N° Lexbase : A7644GAD) ; Cass. soc., 2 mars 2011, n° 08-43.067, F-D (N° Lexbase : A3298G4W) ; Cass. soc., 29 février 2012, n° 10-23.710, F-D (N° Lexbase : A8728IDM) ; Cass. soc., 14 mars 2012, n° 10-28.335, F-D (N° Lexbase : A8834IEW) ; Cass. soc., 29 mars 2012, n° 11-13.947, F-D (N° Lexbase : A0066IHW) ; Cass. soc., 25 septembre 2012, n° 11-18.352, F-D (N° Lexbase : A6151ITY) ; Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 11-14.774, F-D (N° Lexbase : A5996ITA) ; Cass. soc., 12 juin 2014, n° 12-28.944, F-D (N° Lexbase : A5974MRP) ; Cass. soc., 10 février 2016, n° 14-13.792, F-D (N° Lexbase : A0375PLH) ; Cass. soc., 10 juin 2015, n° 13-25.554, FS-P+B (N° Lexbase : A8982NKU) et nos obs., Précisions sur la mauvaise foi du salarié qui dénonce des faits de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 618 du 25 juin 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N8014BUD) ; Cass. soc., 8 décembre 2015, n° 14-16.278, F-D (N° Lexbase : A1818NZD)
(9) Cass. soc., 2 juin 2010, n° 08-40.628, FP-P+B+R, préc..
(10) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-40.139, FS-P+B, préc. ; JCP éd. S, 2009, p. 1484, note R. Vatinet : participation à une grève.
(11) Mouvement initié par Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-45.735 F-D (N° Lexbase : A0149ATP) ; Dr. soc., 2001, p. 1117, obs. C. Roy-Loustaunau.
(12) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-11.740, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6281I7R), et les obs. de B. Gauriau, La protection du droit d'agir en justice à l'épreuve du droit de la rupture anticipée du CDD, Lexbase Hebdo n° 519 du 14 mars 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6134BTD) ; Procédures, 1er avril 2013, p. 21, note A. Bugada ; Dr. soc., 2013 p. 415, chron. J. Mouly ; JCP éd. S, 2006, n° 19, p. 24, obs. P-Y Verkindt ; Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-17.882, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6852KMQ) et nos obs., Nullité du licenciement en raison de la violation par l'employeur du principe de l'égalité des armes, Lexbase Hebdo n° 545 du 24 octobre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9072BT8).
(13) Cass. soc., 28 mars 2006, n° 04-41.695, FS-P+B (N° Lexbase : A8616DNG) ; Cass. soc., 29 octobre 2013, n° 12-22.447, FS-P+B (N° Lexbase : A8165KNQ) : Lexbase Hebdo n° 547 du 14 novembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9337BTY).
(14) Conformément aux conditions désormais posées par la Cour de cassation.
Décision
Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-18.600, FS-P+B (N° Lexbase : A3233PKX). Rejet (CA Versailles, 9 avril 2014, n° 12/02343 N° Lexbase : A8770MIN). Textes : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) ; CESDH, art. 6, § 1 (N° Lexbase : L7558AIR). Mots clef : licenciement ; nullité ; droit au juge ; motif illicite. Lien base : (N° Lexbase : E9237ESW). |
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2016, n° 382016, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7070PK3)
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N1405BWX
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Le 20 Février 2016
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Réf. : Cass. crim., 10 février 2016, n° 15-84.152, FS-P+B (N° Lexbase : A0348PLH)
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N1383BW7
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Le 18 Février 2016
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N1466BW9
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par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne
Le 19 Février 2016
A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC
1 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution
La décision n° 2015-508 QPC du 11 décembre 2015 (N° Lexbase : A0394NZM) mérite attention quant à l'appréciation de ce que l'on peut qualifier de "déjà jugé conforme" par simple référence.
Dans la mesure où l'escroquerie en bande organisée ne figurait pas dans les infractions visées à l'article 706-73 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7144KU7) lors de la décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004 (N° Lexbase : A3770DBA), le 8° bis visant cette infraction ayant effectivement été rétabli postérieurement par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), le Conseil constitutionnel a estimé qu'il ne pouvait, par principe, avoir déclaré par cette décision la référence au 8° bis au sein des 14° et 15° conforme à la Constitution.
Le Conseil écarte ainsi l'argument du Premier ministre estimant qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la QPC, dès lors que les dispositions contestées avaient déjà été déclarées constitutionnelles par la décision n° 2004-492 DC.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé implicitement qu'il ne pouvait pas non plus être déduit de sa décision n° 2014-420/421 QPC du 9 octobre 2014 (N° Lexbase : A0029MYQ) que cette référence avait été déclarée inconstitutionnelle. Par sa décision n° 2014-420/421 QPC, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel le 8° bis au motif que l'escroquerie en bande organisée ne pouvait être regardée comme portant atteinte en elle-même à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Une telle motivation n'impliquait pas que tout autre comportement répréhensible pénalement, articulé avec des faits d'escroquerie en bande organisée, soit apprécié de la même manière. Cela s'imposait avec d'autant plus de force qu'en QPC, le Conseil constitutionnel ne saurait contrôler d'autres dispositions que celles qui lui sont expressément renvoyées.
De sorte que, contrairement à ce qui était avancé par le Premier ministre, la déclaration d'inconstitutionnalité du 8° bis par la décision n° 2014-420/421 QPC n'avait pas entraîné l'inconstitutionnalité de la référence au 8° bis au sein des 14° et 15°. L'inconstitutionnalité du 8° bis ne s'oppose pas à un nouvel examen de constitutionnalité des dispositions du 14° et 15°, dans la mesure où le Conseil refuse de considérer que les effets de l'inconstitutionnalité du 8° bis s'appliquent nécessairement aux cas dans lesquels les dispositions du 8° bis ont été appliquées en combinaison avec d'autres dispositions de l'article 706-73.
Il appartenait donc au Conseil constitutionnel de trancher expressément la question du blanchiment, du recel ou de l'association de malfaiteurs en lien avec une escroquerie en bande organisée. Celui-ci a, en conséquence, jugé recevable la question de constitutionnalité qui lui était posée.
2- Applicabilité d'une disposition législative au litige
Une série de décisions du Conseil d'Etat écarte les QPC soulevées pour défaut d'applicabilité au litige de la disposition législative contestée. Elles témoignent parfois d'une rigueur nouvelle.
Il en est ainsi eu égard à l'objet de l'arrêté dont la légalité est contestée (CE, 2 novembre 2015, n° 386319 N° Lexbase : A6495NU4 ; CE, 27 novembre 2015, n° 394016 N° Lexbase : A9219NXQ ; CE, 11 décembre 2015, n° 393921 N° Lexbase : A2065NZI) ou à l'objet de la demande initiale (CE, 27 novembre 2015, n° 381826 N° Lexbase : A0975NYR), ou lorsque la disposition législative ne constitue pas le fondement du décret litigieux et est sans incidence sur sa légalité (CE, 11 décembre 2015, n° 393531 N° Lexbase : A2064NZH).
Par ailleurs, il est logiquement jugé que "les dispositions d'une loi qui sont dépourvues de portée normative ne sauraient être regardées comme applicables au litige" (CE, 19 octobre 2015, n° 392400 N° Lexbase : A7043NTZ, s'agissant d'une QPC posée par l'association pour la neutralité de l'enseignement de l'histoire turque dans les programmes scolaires invoquant l'inconstitutionnalité de la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien).
Dans une application plus stricte, la Cour de cassation retient que "le juge de l'exécution, saisi d'une demande de nullité de l'opposition à tiers détenteur [...], ne peut statuer que sur les contestations portant sur la régularité de cette procédure d'exécution sans pouvoir se prononcer sur la validité du titre fondant celle-ci, de sorte que l'inconstitutionnalité alléguée de l'article L. 480-8 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9352IZE) serait sans incidence sur la solution du litige" (Cass. civ. 2, 17 décembre 2015, n° 15-19.118, F-D N° Lexbase : A8738NZN).
Dans une autre affaire, la Cour de cassation écarte l'examen d'une QPC au motif que "la disposition critiquée n'est pas applicable à la procédure ; qu'en effet, conformément à l'article 84 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2964IZS), le dessaisissement, au sein d'un tribunal de grande instance, d'un juge d'instruction au profit d'un autre, fût-il spécialisé, relève des attributions du président de la juridiction qui statue par une ordonnance insusceptible de voie de recours; que l'article 706-77 dudit code (N° Lexbase : L2776KGW) [qui était contesté] prévoit une procédure spécifique à caractère juridictionnel dans le cas où le dessaisissement d'un juge d'instruction au profit d'un magistrat spécialisé s'accompagne du transfert du dossier vers une autre juridiction, l'éloignement pouvant affecter les modalités d'exercice des droits de la défense" (Cass. crim. 18 novembre 2015, cinq arrêts, F-D, n° 15-82.642 N° Lexbase : A5404NXG, 15-82.645 N° Lexbase : A5371NX9, 15-82.641 N° Lexbase : A5574NXQ, 15-82.644 N° Lexbase : A5588NXA, 15-82.643 N° Lexbase : A5449NX4).
B - Normes constitutionnelles invocables
On notera plusieurs avancées dans la mise en oeuvre de certains droits ou libertés constitutionnels.
Ainsi, dans la décision n° 2015-502 QPC du 27 novembre 2015 (N° Lexbase : A9181NXC), le Conseil constitutionnel s'est, pour la première fois, expressément prononcé sur la question du respect du principe d'égalité entre organisations professionnelles d'employeurs et organisations syndicales de salariés.
Dans la décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4920NYU), de façon inédite également, le Conseil constitutionnel se prononce dans le sens d'un rattachement du secret du délibéré comme une composante du principe constitutionnel d'indépendance des juridictions. Il définit à cette occasion les atteintes pouvant être portées au secret du délibéré à l'occasion d'une saisie.
Dans la décision n° 2015-507 QPC du 11 décembre 2015 N° Lexbase : A0393NZL), le Conseil constitutionnel a estimé que le droit de grève ne pouvait, au sens constitutionnel, être invoqué pour les gérants indépendants. La cessation de travail des professions indépendantes est analysée comme un moyen de faire valoir des préoccupations relatives à leurs conditions d'exercice professionnel, et donc à leur liberté d'entreprendre.
II - Procédure devant les juridictions ordinaires
A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes
1 - Présentation de la requête
La Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle que, lorsque la QPC est soulevée à l'occasion d'un pourvoi en cassation, le mémoire distinct et personnel qui la présente doit être déposé dans les formes et délais prévus aux articles 584 (N° Lexbase : L4425AZW) et suivants du Code de procédure pénale. Un mémoire personnel, non signé par le requérant, n'est pas recevable (Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 15-85.772, F-D N° Lexbase : A8558NZY).
Est également irrecevable le mémoire en QPC qui, en dépit d'une argumentation, ne précise pas expressément quel droit ou liberté que la Constitution garantit, au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), serait méconnu (CE, 9 novembre 2015, n° 388286 N° Lexbase : A3624NW7).
2 - Juge des référés
L'article 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3) prévoit qu'une juridiction saisie d'une QPC "peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires" et qu'elle peut statuer "sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence".
Il résulte de la combinaison des dispositions des articles 23-5 et 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 avec celles du livre V du Code de justice administrative qu'une QPC peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 (N° Lexbase : L3058ALT) de ce code.
Le Conseil d'Etat a précisé la portée de cette combinaison (CE, 11 décembre 2015, n° 395009 N° Lexbase : A2118NZH, Lebon). Il est retenu que le juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une QPC est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. S'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la QPC ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel.
En outre, même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du Code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère.
Dans ces conditions, au cas rapporté, il est jugé que "la seule circonstance que la QPC soulevée par l'intéressé est renvoyée au Conseil constitutionnel n'implique pas d'ordonner immédiatement la suspension des effets de la décision d'assignation à résidence contestée, dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel à qui il appartient de se prononcer, en vertu de l'article 61-1 de la Constitution, sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la disposition législative critiquée et de déterminer le cas échéant, en vertu de l'article 62 (N° Lexbase : L0891AHH), les conditions et limites dans lesquels les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause".
B - Saisine directe du Conseil constitutionnel
Aux termes de la dernière phrase de l'article 23-7, "si le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel". L'ordonnance reste toutefois silencieuse sur les modalités de transmission de la QPC en cas d'expiration et le Conseil constitutionnel avance à pas feutrés pour fixer, dans cette hypothèse, la marge d'action du justiciable.
La décision n° 2015-491 QPC du 14 octobre 2015 (N° Lexbase : A1934NTS) portant sur une demande de saisine directe du Conseil constitutionnel mérite, à cet égard, une attention particulière. Ce n'est pas la première fois que le Conseil se trouve saisi d'une telle demande, ce fut le cas en particulier dans sa décision n° 2012-237 QPC du 15 février 2012 (N° Lexbase : A3861ICY) (1).
Mais l'affaire n° 2012-237 QPC présentait une particularité liée à l'existence d'une procédure parallèle, incitant à une lecture prudente et pragmatique des textes applicables. Si bien que la question centrale avait été réservée : le Conseil constitutionnel peut-il être saisi par un requérant lorsque ce dernier estime que la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat a méconnu le délai maximum de trois mois auquel fait référence l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ?
L'examen des décisions rendues par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation montre que les deux juridictions suprêmes transmettent automatiquement au Conseil constitutionnel les QPC dont elles sont saisies dès lors qu'elles sont confrontées à un cas où le délai de trois qui leur est imparti a été dépassé. Cette pratique est conforme à la lettre de la loi organique : le verbe "transmettre" semble en effet indiquer qu'il appartient non pas directement à l'auteur de la question, mais à la juridiction qui en est saisie de la transmettre au Conseil constitutionnel.
On est donc conduit à considérer que, si le requérant estime que le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation a méconnu le délai de trois mois et que la juridiction ne l'a pas déjà d'office transmise, il revient au requérant de s'adresser à cette juridiction et non de saisir directement le Conseil constitutionnel.
Une telle lecture des textes s'appuie sur plusieurs arguments.
D'une part, elle permet d'éviter que le Conseil constitutionnel ne soit saisi de questions dont l'irrecevabilité pourrait être contestée, comme dans l'affaire n° 2015-491 QPC, par une décision du Conseil d'Etat ou la Cour de cassation notifiée postérieurement à sa saisine directe par le requérant.
D'autre part, elle permet également d'éviter que le Conseil constitutionnel ne soit saisi d'un recours contestant l'analyse faite par le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation quant au point de savoir si un mémoire doit être regardé comme contestant le refus de transmission d'une juridiction subordonnée ou comme soulevant une nouvelle QPC.
Enfin, cette lecture est aussi la plus conforme au partage des rôles prévu par la loi organique et à la nature des relations qui se sont établies entre les juridictions suprêmes de chaque ordre et le Conseil constitutionnel pour le traitement des QPC.
Tout ceci pourrait plaider en faveur d'une position tranchée, consistant à affirmer que le Conseil constitutionnel ne peut être valablement saisi d'une QPC soulevée devant une juridiction administrative ou judiciaire que sur transmission du Conseil d'Etat ou la Cour de cassation, même lorsque le délai de trois mois est dépassé.
A tout le moins, la position retenue dans la décision n° 2015-491 QPC du 14 octobre 2015 peut ne pas apparaître aussi catégorique, sans doute par économie de moyens. Il y est jugé que "le Conseil constitutionnel ne peut être saisi sur le fondement de la troisième phrase de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 lorsque l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est éteinte, pour quelque cause que ce soit". Le Conseil adopte une lecture combinée avec l'article 23-9 de cette ordonnance aux termes duquel : "Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l'extinction, pour quelque cause que ce soit, de l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l'examen de la question". En l'espèce, la demande du justiciable enregistrée au Conseil constitutionnel le 17 juillet 2015 est jugée irrecevable dès lors que le Conseil d'Etat a rendu la veille une ordonnance de non-admission du pourvoi.
Qu'en serait-il a contrario à défaut d'une telle extinction ou d'une extinction postérieure ? L'articulation des deux textes précités ne permet pas d'affirmer, dans l'immédiat, que le Conseil constitutionnel ne peut en aucune hypothèse être saisi directement par un justiciable d'une QPC attachée à une instance non (encore) éteinte à la date de sa saisine. On peut tout au plus retenir que l'extinction de l'instance couvre le dépassement du délai de renvoi... tant que le Conseil constitutionnel n'est pas saisi au sens de l'article 23-9.
III - Procédure devant le Conseil constitutionnel
A - Interventions devant le Conseil constitutionnel
Dans l'affaire n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4920NYU), le Conseil constitutionnel était saisi de deux demandes d'intervention qu'il a écartées... après qu'elles aient été versées à la procédure et que les intervenants aient été admis à présenter des observation orales en audience publique. C'est donc à la lumière des productions, après clôture de l'instruction, qu'elles ont été finalement écartées (2). La première pour défaut d'un "intérêt spécial" à intervenir, la seconde en ce qu'elle ne développait aucun grief à l'encontre des dispositions contestées telles que délimitées par le Conseil constitutionnel.
Cette dernière position repose sur deux pieds.
D'une part, la recevabilité d'une intervention doit s'apprécier au regard de l'objet de la QPC tel que le Conseil constitutionnel l'a délimitée et non tel qu'il résulte de la décision de renvoi. Ainsi que le précise le commentaire officiel, "en restreignant le champ de la QPC, le Conseil constitutionnel donne à celle-ci la portée qu'elle aurait dû avoir ab initio ou à laquelle le juge du filtre aurait dû la réduire ; il est donc normal que cette restriction rétroagisse et s'applique aux interventions".
D'autre part, la partie intervenante ne peut étendre le champ de la QPC. Elle peut bien entendu développer des moyens différents du requérant, mais ne saurait élargir le débat devant le Conseil constitutionnel.
B - Réserves d'interprétation
S'agissant de dispositions relatives aux modalités d'application de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d'interprétation neutralisante en ces termes : "les dispositions contestées ne sauraient, sans créer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que les salariés d'un groupement d'employeurs mis à disposition d'une entreprise utilisatrice soient pris en compte dans le nombre des bénéficiaires de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, lorsqu'ils sont dénombrés dans l'assiette d'assujettissement du groupement à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés" (Cons. const., décision n° 2015-497 QPC du 20 novembre 2015 N° Lexbase : A3248NXL). Cette réserve permet de préserver le principe d'égalité devant les charges publiques. Par clarté, le Conseil précise dans son commentaire que la formulation retenue permet de la lier au mode de prise en compte des salariés du groupement d'employeurs au dénominateur du ratio d'emploi des travailleurs handicapés "lorsqu'ils sont dénombrés dans l'assiette d'assujettissement du groupement à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés". Si bien qu'une telle réserve présente une portée ajustable, voire à durée déterminée ! Dans l'hypothèse où le législateur ferait un choix de comptabilisation des salariés d'un groupement d'employeurs mis à disposition d'une entreprise utilisatrice dans les seuls effectifs de cette entreprise, cette réserve serait neutralisée. En revanche, tant que ces salariés sont comptabilisés dans l'effectif du groupement d'employeurs, une telle réserve demeure valable.
Dans la décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4918NYS) concernant les effets de la représentation mutuelle des personnes soumises à imposition commune postérieurement à leur séparation, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation en ces termes : "les dispositions contestées porteraient une atteinte disproportionnée au droit des intéressés de former une telle réclamation si le délai de réclamation pouvait commencer à courir sans que l'avis de mise en recouvrement ait été porté à la connaissance de chacun d'eux ; que, sous cette réserve, les mots 'notifiés à l'un d'eux' figurant dans la seconde phrase de l'article L. 54 A du LPF (N° Lexbase : L8549AED), qui ne méconnaissent ni les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution".
L'application dans le temps les effets de cette réserve est assortie d'une double précision. D'une part, il est prévu qu'elle "n'est applicable qu'aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu établies à compter de la date de publication de la présente décision". D'autre part, afin de préserver l'effet utile de la réserve pour les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu établies antérieurement à la date de publication de la décision commentée et qui n'ont été notifiées qu'à un seul des anciens conjoints, le Conseil constitutionnel a considéré qu'il convenait de prévoir l'ouverture d'un délai de réclamation propre au débiteur qui n'a pas été destinataire de la décision d'imposition à compter du premier acte de recouvrement forcé.
C - La décision du Conseil constitutionnel et ses effets
1 - Autorité des décisions du Conseil constitutionnel
Les dispositions de l'article 62 de la Constitution sont invocables à l'appui d'une QPC visant à faire respecter une précédente décision QPC. Deux décisions de renvoi du 25 septembre 2015 (CE, n° 391331 N° Lexbase : A8501NPK et n° 392164 N° Lexbase : A8503NPM) l'avaient souligné en jugeant recevable un moyen tiré de ce que la disposition législative contestée méconnaît l'autorité de chose jugée qui s'attache, en vertu dudit article, aux décisions du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel confirme cette lecture dans sa décision n° 2015-504/505 QPC du 4 décembre 2015 (N° Lexbase : A4919NYT) qui, entre temps, a été reprise par le Conseil d'Etat (CE, 30 novembre 2015, n° 392473 N° Lexbase : A1508NYI).
Si l'article 62 de la Constitution ne peut être strictement qualifié de disposition définissant un "droit et liberté que la Constitution garantit", le non-respect d'une décision QPC du Conseil constitutionnel constitue, par nature, une atteinte au droit constitutionnel protégé par cette décision et, par hypothèse, une mise en cause du "droit et liberté" qui y avait été convoqué. On aurait mal compris que la QPC ne puisse permettre de vérifier, dans les cas sérieux, que le législateur a donné aux décisions du Conseil constitutionnel les suites qu'elles imposent sans, d'une façon ou d'autre, la contourner. Ce droit de suite constitue un atout majeur de la procédure QPC.
Dans l'affaire n° 2015-504/505 QPC précitée, le Conseil constitutionnel s'est trouvé saisi de la question de la conformité à la Constitution de l'article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987, relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés (N° Lexbase : L3698IPN), dans sa rédaction issue du paragraphe I de l'article 52 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale (N° Lexbase : L2087IZC), au motif, notamment, "que les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaissent l'autorité de chose jugée qui s'attache, en vertu de l'article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-93 QPC du 4 février 2010 (N° Lexbase : A1688GRX) [...] soulèvent une question présentant un caractère sérieux".
Les requérants soutenaient, sur ce point, que les dispositions contestées portent atteinte à l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en ce qu'elles rétablissent une condition qui a été abrogée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011.
Il convient de rappeler que, dans sa décision n° 2010-93 QPC, le Conseil constitutionnel avait censuré la condition de nationalité énoncée par l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987. En pratique, du fait du renvoi opéré à l'article 2 de l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962, relative à certaines dispositions concernant la nationalité française, prises en application de la loi n° 62-421 du 13 avril 1962, cette condition ne visait que les supplétifs ayant un statut civil de droit local et ayant fait le choix de conserver la nationalité française. Pouvait, dès lors, se poser la question de savoir si le législateur n'avait pas rétabli, par l'article 52 de la loi du 18 décembre 2013, une condition analogue à celle ayant été précédemment censurée.
Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative. Il juge qu'"en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'a pas méconnu l'autorité qui s'attache, en vertu de l'article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011".
Il ne s'agit pas là d'une simple lecture formelle, limité au constat que les dispositions contestées en 2015 ont été conçues en termes distincts de ceux censurés en 2011. La question a en effet pour objet les mots "de statut civil de droit local", tandis que le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution les mots "qui ont conservé la nationalité française en application [...]".
La position retenue dans la décision n° 2015-504/505 QPC repose sur deux temps d'analyse.
D'une part, l'article 52 contesté ne pouvait être analysé comme un retour pur et simple à la situation antérieure à la censure opérée par la décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011, puisque la condition d'acquisition de la nationalité française n'était pas rétablie. C'est l'élément le plus factuel du contrôle du respect de ses décisions : le Conseil constitutionnel relève précisément que la loi du 18 décembre 2013 n'a pas réintroduit, d'une façon ou d'une autre, une condition de nationalité.
D'autre part, la circonstance que les effets de la nouvelle condition puissent, dans certains cas, être proches de ceux de la condition précédemment censurée par le Conseil n'a pas conduit ce dernier à considérer que l'objet de la nouvelle disposition était similaire à celui de l'ancienne disposition. En d'autres termes, la loi du 18 décembre 2013 a prévu une condition d'une nature différente.
Cette lecture repose, dans un premier temps, sur l'interprétation téléologique des dispositions précédemment déclarées contraires à la Constitution. Ainsi que le soulignait le Gouvernement, elles avaient un double objet. L'un explicite, qui était de subordonner l'attribution de l'allocation à une condition de nationalité en énonçant que "seuls peuvent en bénéficier les membres des forces supplétives qui avaient conservé la nationalité française en application de l'article 2 de l'ordonnance précitée". Ces dispositions avaient aussi un objet implicite qui était de réserver cette allocation aux membres des forces supplétives soumis au statut de droit local. En effet, seuls ces derniers devaient faire une déclaration de reconnaissance, en application des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance du 21 juillet 1962, pour conserver la nationalité française. Les membres des forces supplétives soumis au statut civil de droit commun la conservaient eux de plein droit.
Dans un second temps, il ressort clairement des motifs de la décision n° 2010-93 QPC que ces dispositions n'ont été déclarées contraires à la Constitution qu'en conséquence du motif retenant que le législateur "ne pouvait, sans méconnaitre le principe d'égalité, établir au regard de l'objet de la loi de différence selon la nationalité". Le Conseil constitutionnel ne s'était donc nullement prononcé sur la condition tenant au statut de droit local, qui n'était d'ailleurs pas contesté et qui ne ressortait pas clairement des dispositions déclarées contraires à la Constitution. Les dispositions prévoyant désormais explicitement une telle condition, en des termes qui excluent désormais toute exigence de nationalité, ne pouvaient ainsi être regardées comme ayant un objet analogue à celui des dispositions déclarées contraires à la Constitution pour avoir prévu une condition de nationalité. En conséquence, ainsi que le retient le Conseil constitutionnel, le législateur pouvait introduire une condition tenant au droit local sans méconnaître l'autorité de chose jugée.
2 - Effets dans le temps
a - Application immédiate aux instances en cours
De la même manière que dans les précédentes décisions de censure en matière de conditions d'ouverture d'une procédure collective, le Conseil a limité l'effet d'une censure à effet immédiat (notamment au regard de la complexité qui résulterait d'une application à des procédures collectives déjà ouvertes), en prévoyant qu'elle "est applicable à tous les jugements d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire à l'égard d'un dirigeant de droit ou de fait rendus postérieurement à cette date" (Cons. const., décision n° 2015-487 QPC du 7 octobre 2015 N° Lexbase : A7236NSS).
b - Report des effets de la décision
Le report des effets d'une décision d'inconstitutionnalité peut tenir au fait que l'abrogation à effet immédiat de la disposition incriminée aurait pour effet d'aggraver l'inconstitutionnalité constatée.
Ainsi, dans sa décision n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : A3693NTX), concernant les associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, le Conseil a relevé que l'abrogation des dispositions contestées "aura pour effet de faire disparaître, pour toute association ayant pour objet de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la Résistance ou des déportés, le droit d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité".
Il en est de même, dans sa décision n° 2015-494 QPC du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : A3695NTZ), concernant une procédure de restitution, au cours de l'information judiciaire, des objets placés sous main de justice. L'application immédiate de cette annulation aurait eu pour effet de faire disparaître toute voie de droit permettant de demander, au cours de l'information, la restitution des biens placés sous main de justice. Dans cette affaire, le législateur se trouve devant une alternative qu'il est seul à pouvoir arbitrer : soit instaurer un délai, soit aligner le régime contesté aux autres demandes d'actes qui sont susceptibles d'être présentés.
Il en est de même, encore, dans sa décision n° 2015-499 QPC du 20 novembre 2015 (N° Lexbase : A3250NXN), dans laquelle l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait pu annuler ou empêcher la tenue d'un nombre important de procès d'assises, notamment pour l'ensemble des cours d'assises non équipées du matériel d'enregistrement des débats.
Il en est de même, enfin, dans sa décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015, s'agissant de la censure de dispositions relatives au respect du secret professionnel et des droits de la défense lors d'une saisie de pièces à l'occasion d'une perquisition.
Dans les première et dernière affaires citées, la date de l'abrogation des dispositions censurées est fixée au 1er octobre 2016 ; dans la deuxième, il s'agit du 1er janvier 2017 ; dans la troisième, il s'agit du 1er septembre 2016. Soit un délai respectivement d'un an, quinze mois, et onze mois. Cela illustre la marge d'appréciation discrétionnaire réservée au Conseil constitutionnel pour fixer, en tenant compte dans la mesure du possible des contingences, le temps imparti au législateur pour revoir sa copie et combler le vide juridique provoqué par l'abrogation.
On notera que, dans la décision n° 2015-492 QPC, de façon originale, le Conseil constitutionnel a suspendu "les délais de prescription applicables à la mise en mouvement de l'action publique par la partie civile en matière d'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi et au plus tard jusqu'au 1er octobre 2016". Il s'agit de préserver par projection l'effet utile de la déclaration d'inconstitutionnalité dans l'hypothèse où le législateur déciderait d'ouvrir la possibilité d'une mise en oeuvre de l'action publique pour certaines associations en ce qui concerne l'apologie de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Cette suspension des délais de prescription permet de préserver toute sa latitude de choix au législateur.
On notera aussi que, dans la décision n° 2015-506 QPC, le Conseil constitutionnel a conféré une portée utile à sa décision en édictant une réserve transitoire aux termes de laquelle : "les dispositions du troisième alinéa de l'article 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3895IRP) ne sauraient être interprétées comme permettant, à compter de cette publication, la saisie d'éléments couverts par le secret du délibéré".
(1) Lire nos obs., QPC : évolutions procédurales récentes, Janvier à Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 245 du 9 mai 2012 - édition publique (N° Lexbase : N1731BTB).
(2) Voir déjà Cons. const., décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 (N° Lexbase : A0762KBT).
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