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N1601BW9
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 25 Février 2016
Ainsi, le 23 février 2016, la Cour européenne prononçait, à la bonne heure, la condamnation, pour violation de l'article 2 de la Convention (droit à la vie), des autorités étatiques turques, informées de la menace réelle et sérieuse pesant sur la vie d'une femme victime de violences conjugales, qui n'ont pas pris les mesures afin de prévenir l'assassinat perpétré par son époux.
Quelques semaines avant, le Président de la République Française prononçait la grâce partielle d'une Jacqueline Sauvage, condamnée le 3 décembre 2015 à 10 ans de réclusion pour l'assassinat de son mari dans les conditions décrites ci-dessus.
Il y a le droit : la légitime défense n'avait pu être retenue, car contrairement à l'affaire "Alexandra Lange", la réponse -le crime- n'était pas directe et proportionnée à la mise en danger de la prévenue. Alexandra Lange avait tué son mari d'un coup de couteau alors qu'il était en train de l'étrangler ; Jacqueline Sauvage, le jour du meurtre, n'avait essuyé que "quelques coups" à la lèvre -pardonnez l'euphémisme-, après 47 années de violences, d'injures et d'abus sexuels sur elle et ses filles. Seules les circonstances atténuantes et l'état de nécessité pouvaient venir au secours de la femme battue.
Et, il y a la vox populi : en l'occurrence, l'incompréhension des citoyens devant la sévérité du verdict qui ne fait qu'appliquer le droit pénal en l'état. La classe politique s'insurge, certains députés veulent élargir la notion de légitime défense étroitement liée à une reconnaissance de l'état de danger permanent subi par ces femmes, mais l'on sait que ce même article 2 de la Convention, consacrant le droit à la vie, s'opposerait sûrement à un élargissement même circonstancié de la légitime défense.
118 femmes sont décédées en 2014 -le chiffre est sensiblement le même, chaque année, depuis de nombreuses années-, victimes de leur compagnon ou de leur ex-compagnon. En moyenne, une femme décède tous les 3 jours sous les coups de son compagnon. 7 enfants sont également décédés concomitamment à l'homicide de leur père ou de leur mère. 25 hommes sont par ailleurs décédés, victimes de leur compagne, compagnon ou ex-compagne, 5 étant eux-mêmes auteurs de violences.
La lutte contre les violences faites aux femmes est, paraît-il, une priorité du Gouvernement, qui s'est traduite par la mise en place en 2014 du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. Ce plan, conçu et mis en oeuvre avec l'ensemble des associations et des acteurs concernés, est construit autour de trois priorités : organiser l'action publique autour d'un principe d'action simple selon lequel aucune violence déclarée ne doit rester sans réponse ; protéger efficacement les victimes ; et enfin, mobiliser l'ensemble de la société. Pourtant, les chiffres macabres sont là...
Les Etats ont inventé un concept idoine pour attaquer le premier quand une attaque à leur encontre est imminente : c'est la guerre préventive. Cette dernière est juridiquement illégale aux yeux du droit international. Illégale, elle a bien souvent été jugée illégitime par l'Histoire (guerre du Pacifique déclenchée par le Japon ou intervention américaine en Irak en 2003).
Mais, qu'en est-il du meurtre préventif ? Nul doute qu'il en est de même, exception faite que les Etats ne sont pas reclus et que leurs dirigeants échappent à la Cour pénale internationale jusqu'à présent. Comme ils échappent, à quelques milliers d'euros près, à toute condamnation pour ne pas avoir porté assistance aux femmes en danger.
"Moi je me suis suicidé en état de légitime défense" écrit Giono, dans La femme du boulanger, histoire passionnelle s'il en est : voilà aujourd'hui, sauf grâce présidentielle, l'état de ces femmes qui tuent pour ne plus mourir à petit feu. Si les lois passionnelles ne sont jamais de bon augure, il y a urgence à responsabiliser plus radicalement les Etats coupables, par leurs disfonctionnements, de fermer encore les yeux.
* Jean Giono, Le chant du monde
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:451601
Réf. : Cass. civ. 1, 17 février 2016, n° 15-11.304, F-P+B (N° Lexbase : A4667PZU)
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N1560BWP
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Le 02 Mars 2016
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Réf. : Cass. civ. 2, 28 janvier 2016, n° 14-29.185, F-P+B+I (N° Lexbase : A9588N4U)
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N1342BWM
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par Sarah El Hammouti, Avocate au barreau de Paris
Le 25 Février 2016
I - Un rappel de la notion dérogatoire de multipostulation
A - Une règle procédurale gouvernée par la territorialité
La postulation est l'hypothèse dans laquelle la représentation par un avocat est obligatoire devant certaines juridictions, telles que le TGI, pour les justiciables. Elle est régie par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).
En vertu de l'article 751 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6967H78), l'avocat postulant doit être inscrit au barreau de son tribunal et sa constitution, selon l'alinéa 2 du même texte, emporte élection de domicile en son cabinet. Il représente obligatoirement la partie et cette représentation comporte le droit et le devoir de postuler, c'est-à-dire que c'est à lui qu'incombe la mission de mener la procédure, de conclure, et d'effectuer la saisine du tribunal en formulant les demandes des parties.
Cette règle procédurale est régie par le principe de territorialité.
Conformément à l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q), la méconnaissance de cette règle est également sanctionnée par la nullité des actes pour vice de fond : il s'agit du défaut de capacité à représenter une partie en justice.
Cependant, tout principe est tempéré par une exception.
L'article 1 III de la loi du 31 décembre 1971 précité dispose a cet effet : "par dérogation [...] les avocats inscrits au barreau de l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère [...] d'avoué près les cours d'appel auprès de la cour d'appel de Paris quand ils ont postulé devant l'un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre".
Historiquement, la multipostulation en région parisienne a été créée par le démembrement du tribunal de première instance de la Seine en tribunal de grande instance de Paris ainsi qu'en tribunaux périphériques (Nanterre, Bobigny et Créteil).
B - Une multipostulation conditionnée à la représentation obligatoire
Après avoir rappelé cette notion, la Cour de cassation met en exergue qu'en matière de référés, la représentation n'étant pas obligatoire, la postulation n'est donc inéluctablement pas de mise. Ainsi, en présence d'une décision du juge des référés, l'avocat parisien, n'ayant pas été mandaté en première instance, ne saurait interjeter régulièrement exercer un recours devant la cour d'appel versaillaise.
De ce fait, est rappelé que l'exception de la multipostulation doit être appréciée de manière restrictive.
Il n'existe pas de capacité générale de l'avocat parisien à exercer un recours devant la cour d'appel de Versailles sous prétexte qu'il aurait auparavant postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Dès lors, la déclaration d'appel, interjetée dans ces conditions, est nulle.
II - Un arrêt de rejet rappelant les contours de la loi
A - Un arrêt de rupture avec la jurisprudence du fond
Cet arrêt interpelle car il ne s'inscrit pas dans la lignée des juridictions du fond.
Pour preuve, citons par exemple une décision de la cour d'appel de Paris très récente (CA Paris, Pôle 4, 9ème ch., 18 juin 2015, n° 14/18240 N° Lexbase : A3416NL4), qui avait estimé qu'un avocat, cette fois-ci de Nanterre, ne pouvait relever appel d'un jugement de tribunal d'instance parisien qu'à la condition d'avoir postulé pour cette partie en première instance.
Cet arrêt étendait donc le nombre de juridictions devant lesquelles un avocat inscrit à un barreau extérieur pouvait exercer un mandat de représentation.
De même, s'agissant de la juridiction commerciale, un avocat au barreau de Nanterre, qui n'avait pas postulé en première instance devant l'un des tribunaux de Paris, Bobigny ou Créteil, n'a pu se constituer valablement devant la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 28 mars 2012, n° 10/15480 N° Lexbase : A7005IGK).
Semblait alors exister pour la validité de l'acte d'appel, une condition de représentation de l'avocat mandaté pour l'appel lors de la première instance.
Cependant, la Haute juridiction tranche, sans équivoque : il n'y a pas de règle de postulation, sans représentation obligatoire, donc pas de bénéfice des règles qui lui sont applicables.
B - Un arrêt rendu en plein questionnement juridico-politique
La Haute juridiction, par cet arrêt, rend une décision détonante eu égard aux préconisations du Gouvernement souhaitant une généralisation de la multipostulation des avocats.
En effet, le ministère de l'Economie et des Finances avait émis l'idée d'une généralisation de la multipostulation des avocats. Cette "fameuse idée" n'est pas nouvellement née et était déjà mise en avant par le rapport "Darrois". Poussée par la Commission européenne, une nouvelle restriction "injustifiée" dans les secteurs et professions réglementés serait supprimée.
Par la suppression du principe de territorialité seraient amenés à disparaître de nombreux petits cabinets.
Avec la multipostulation, les grands gagnants sont déjà les avocats parisiens, absorbant un grand nombre des contentieux périphériques, qui verraient leur périmètre d'intervention élargi.
Par ailleurs, les tribunaux de grande instance seraient librement saisis comme les juridictions commerciales, prud'homales, administratives par tout avocat, quel que soit son barreau de rattachement. Dès lors, les avocats qui n'étaient pas tous égaux devant le principe de la territorialité de la postulation verraient une exception de multipostulation devenir la règle.
A nous la libre concurrence chez les avocats, secteur prétendument privilégié !
Cependant, la Cour de cassation tend à protéger les barreaux et retoque les avantages de la territorialité, en l'affirmant comme le principe de mise.
En filigrane, on peut s'interroger sur les motivations de cette décision. Seulement juridiques ? Ou sensiblement politiques ?
Bruno Oppetit avait évoqué dans la Grand'Chambre le rôle créateur de la Cour de cassation, soulignant "le chemin parcouru depuis les deux derniers siècles par la voie de la cassation, devenue, de prérogative de justice retenue, puis de sentinelle établie pour le maintien des lois, un moyen de régulation de la réalisation judiciaire du droit".
Alors peut être qu'une nouvelle fois, la Haute juridiction a jalousement veillé au respect de la loi et aux règles de la postulation, en rappelant que c'est à elle que revient le rôle magistral de l'interprétation et de l'application de la loi.
Ou peut être qu'il s'agit d'une lanterne rouge allumée dans l'attente d'une réforme de fond, qui pourrait en blesser plus d'un.
En premier lieu, réflexe corporatiste oblige, pensons aux avocats, qui ne seraient plus indispensables pour les procédures des tribunaux de leur ressort. Ensuite, aux justiciables qui ne bénéficieraient plus d'un conseil proche de sa juridiction, au fait des usages procéduraux.
Or, parfois seul un avocat local connaît les habitudes de sa juridiction. Il y a la théorie mais également la pratique : le Code de procédure civile, et les démarches sur place.
Fiabilité, proximité, célérité seraient donc quelque peu malmenées.
Alors, supprimer la postulation, c'est enterrer de nombreux petits cabinets, qui se nourrissaient de ces postulations. Etant encore acquise, autant la préserver de mise !
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:451342
Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 17 février 2016, n° 368342, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4121PL9)
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N1582BWI
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Le 01 Mars 2016
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newsid:451582
Réf. : Cass. civ. 1, 17 février 2016, n° 14-29.612, F-P+B+I (N° Lexbase : A3360PLZ)
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N1480BWQ
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Le 25 Février 2016
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newsid:451480
Réf. : Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L4857KYK)
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N1492BW8
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 25 Février 2016
Un impact direct exceptionnel. L'ordonnance du 10 février 2016 ne comporte que deux dispositions qui visent directement à modifier le Code du travail (art. 6-XIX) mais uniquement pour actualiser les renvois opérés par les articles L. 3251-4 (N° Lexbase : L0913H9P) et L. 5125-2 (N° Lexbase : L2144KGI) respectivement aux articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1226 du Code civil (N° Lexbase : L1340ABA), qui deviennent donc 1240 (N° Lexbase : L0950KZ9) et 1231-5 (N° Lexbase : L0617KZU). Le texte ne contient aucune autre disposition qui limiterait le champ d'application des nouvelles règles à certains contrats, ni dans le Code civil, ni dans d'autres codes. Le texte rappelle le principe de l'articulation du droit commun et des règles spéciales, sans autre précision (1), ce qui renverra les principes d'articulation à l'appréciation du juge.
Un impact indirect limité par l'autonomie du droit du travail. La question de l'applicabilité des règles du Code civil en droit du travail fait classiquement difficulté dans la mesure où le Code du travail lui-même renvoie le contrat de travail au droit commun (2), mais où cette application peut conduire à mettre en concurrence des techniques de même objet et de même fonction (3). Face à ces situations, la Cour de cassation a cherché à éviter que le recours au droit civil n'ait pour effet d'éluder l'application de règles impératives protectrices des salariés, et a progressivement écarté l'application de plusieurs techniques issues du droit civil, singulièrement celles du droit du licenciement (4), qu'il s'agisse d'interdire à l'employeur de demander la résiliation judiciaire du contrat de travail (5), ou aux parties de conclure un accord de rupture amiable hors du cadre défini depuis 2008 de la rupture conventionnelle (6).
Par ailleurs, et pour préserver la particularité du droit du travail, la Cour de cassation interprète les règles du Code civil pour qu'elles réalisent les objectifs propres au droit du travail, quitte à prendre des libertés avec les règles en question. C'est ainsi qu'elle a consacré un régime de responsabilité civile contractuelle du salarié fortement dérogatoire aux dispositions des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et suivants du Code civil (7), qu'elle a progressivement retenu une conception très restrictive de la résiliation pour force majeure (8) ou que les voies de l'annulation du contrat de travail sont également réduites pour préserver l'application du régime du licenciement (9).
II - Un impact modéré en matière de formation et d'exécution du contrat de travail
Eléments de contexte. La question de l'applicabilité des règles du droit civil est étroitement liée, comme cela a été démontré par le passé, à la nécessité de préserver l'application des règles propres au droit du travail, singulièrement lorsqu'elles sont chargées de protéger les intérêts des salariés. Ces règles sont extrêmement nombreuses s'agissant de la rupture du contrat, ce qui est logique compte tenu des risques importants auxquels les salariés sont à cette occasion exposés, mais moins nombreuses s'agissant de la formation, de la conclusion et du régime du contrat de travail, où les interventions législatives se sont faites plus rares. L'application du droit civil doit alors y être envisagée de manière différente dans la mesure où il s'agit moins de contester l'application des règles propres au contrat de travail que de compléter les maigres dispositions du Code du travail, quitte à adapter l'interprétation de ces règles pour les rendre compatibles avec les objectifs propres à la matière.
Un apport en normes limité. Les innovations apportées par l'ordonnance du 10 février 2016 sont finalement assez limitées, au-delà de la reformulation des règles qui peut traduire simplement une modernisation du vocabulaire sans véritable volonté de modifier les normes en vigueur, ou la consécration, dans le Code civil, de solutions déjà admises en jurisprudence ; c'est le cas de la reconnaissance d'une obligation de bonne foi qui s'étend à la formation, à l'exécution et à la rupture du contrat (nouvel art. 1104 N° Lexbase : L0821KZG) (10).
D'autres dispositions modifient l'état du droit, mais sans que des effets notables s'y attachent nécessairement, comme la reconnaissance des nouvelles catégories de contrats, dans lesquelles peut se ranger le contrat de travail, qu'il s'agisse des contrats à exécution successive (art. 1111-1, al. 2 N° Lexbase : L0594KZZ) , des contrats d'adhésion (art. 1110, al. 2 N° Lexbase : L0815KZ9 (11)), des contrats cadre en raison de leur objet et de l'articulation avec le pouvoir de direction de l'employeur (art. 1111 (12)). Ces définitions ouvrent toutefois la voie à des éléments de régime nouveaux qui doivent être examinés.
A - Existence du contrat
Obligation précontractuelle d'information. Le nouvel article 1112-1 du Code civil (N° Lexbase : L0598KZ8) précise les contours de l'obligation précontractuelle d'information et conforte ainsi plusieurs décennies d'évolutions jurisprudentielles : cette obligation, qui se rattache implicitement à l'exigence de bonne foi qui s'applique désormais aussi au stade de la formation du contrat (13), doit en effet porter sur toute "information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre [...] dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant". Le texte précise ce qu'il y a lieu d'entendre par "importance déterminante", en visant "les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties", mais écarte cette obligation s'agissant de "l'estimation de la valeur de la prestation".
Cette obligation présente un intérêt dans le cadre de la formation du contrat de travail, dans la mesure où chaque partie a intérêt à contracter en connaissance de cause (14).
S'agissant de l'employeur, le caractère intuitu personae du contrat de travail le conduit à se renseigner complètement sur son salarié pour connaître non seulement son profil professionnel, mais aussi pour tenter de cerner sa personnalité, pour s'assurer qu'il pourra s'intégrer au sein de l'entreprise. Le Code du travail s'est intéressé à cette phase au travers des conditions qu'il pose, notamment au regard de la finalité professionnelle des questions posées et de la pertinence et de la fiabilité des moyens mis en oeuvre. Ce texte conforte donc la jurisprudence qui a pu sanctionner des salariés demeurés silencieux dans les phases de recrutement sur des éléments pourtant déterminants, comme l'existence d'une condamnation pénale antérieure qui semble incompatible avec le niveau de responsabilité du salarié dans la structure (15).
S'agissant du salarié, ce dernier a également intérêt à mieux connaître son employeur, sa structure, ses évolutions de carrière, l'existence d'une UES ou d'un groupe autour de l'entreprise, etc.. La nouvelle disposition fait, de ce point de vue, double emploi avec les dispositions de la Directive communautaire du 14 octobre 1991 et les éléments de sa mise en oeuvre en droit interne (16), l'obligation faite à l'employeur par l'article R. 1221-9 du Code du travail (N° Lexbase : L5209IQY), qui imposent à l'employeur la remise au salarié d'une copie de la déclaration préalable d'embauche. On sait également que l'employeur a tout intérêt à informer le salarié du détail des dispositions conventionnelles dont il entend faire application s'il veut ultérieurement pouvoir les opposer au salarié.
Ici encore, l'impact pratique de ces nouveautés devrait être limité, car si l'employeur, ou le salarié, prennent rapidement conscience de leur erreur, ils pourront rompre unilatéralement la période d'essai, sans avoir à s'en justifier.
Suppression formelle de la cause. L'ordonnance supprime la référence à la cause comme condition de validité du contrat (art. 1128 N° Lexbase : L0844KZB) et remplace la référence à l'objet par l'existence d'un "contenu licite et certain". L'ordonnance reprend, par ailleurs, les principales applications contemporaines de la cause, tant dans son acceptation subjective (la justification) qu'objective (les prestations). Cette disparition ne devrait pas avoir d'effet en droit du travail dans la mesure où l'ancien article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9) n'était que peu utilisé, et qu'il pourra être remplacé par d'autres techniques.
Elargissement des causes de nullité. L'ordonnance élargit les hypothèses de dol aux malversations imputables non pas au cocontractant, mais au "représentant, gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant" ou encore à "un tiers de connivence" (nouvel art. 1138 N° Lexbase : L0853KZM).
L'ordonnance consacre également un nouveau vice du consentement inspiré de la "violence économique" et du délit d'abus de faiblesse (17). L'article 1143 (N° Lexbase : L0848KZG) qualifie de "violence" susceptible d'entraîner la nullité du contrat le fait, pour une partie, d'abuser de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, pour obtenir de sa part "un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte [et qu'il] en tire un avantage manifestement excessif".
L'ordonnance prend ainsi en compte, de manière plus réaliste, le contexte dans lequel de nombreux contrats sont aujourd'hui conclus, et rompt ainsi avec la neutralité économique sociale et psychologique qui caractérisait l'approche du contrat dans le Code de 1804. Le contractant-modèle n'est plus cet être abstrait, ce sujet de droit déconnecté de toute réalité sociale et traité uniquement comme un citoyen investi de prérogatives juridiques (18), mais devient un être social, marqué par une certaine fragilité qu'il convient de prendre en compte pour lui reconnaître des prérogatives supplémentaires et le protéger en renforçant le contrôle du juge sur le contrat.
Un impact limité. Reste à déterminer si ces nouvelles causes de nullité sont susceptibles de s'appliquer dans le contexte particulier des relations de travail, et de modifier les solutions aujourd'hui admises.
Pour ce qui est de la nullité du contrat de travail lui-même, c'est peu probable. On sait, en effet, que la jurisprudence est assez opposée aux actions en nullité du contrat de travail exercées par l'employeur qui aurait à se plaindre, par exemple, de mensonges ou de manoeuvres du salarié dans la phase de formation du contrat. L'objectif est ici toujours de contraindre l'employeur à emprunter la voie du licenciement et de respecter les droits du salarié, tant sur un plan procédural que substantiel et indemnitaire.
La question est certainement différente s'agissant des actions engagées par le salarié, dans la mesure où l'hypothèque d'un contournement d'un régime protecteur par l'employeur est, par la force des choses, levée. Certes, le salarié n'a aucun intérêt à poursuivre l'annulation de son contrat de travail et préfèrera soit demander la résiliation judiciaire au juge prud'homal, soit prendre acte de la rupture, et ce, afin de se voir attribuer les indemnités normalement dues en cas d'absence de cause réelle et sérieuse, voire de nullité.
Le recours à la nullité pour anéantir certaines clauses du contrat de travail est, en revanche, plus envisageable, même si, là encore, la pratique montre que la partie au contrat qui considère une clause comme nulle a tendance à faire comme si elle n'existait pas, obligeant l'autre partie à agir en exécution forcée, le débat sur la validité de l'obligation étant alors le préalable au débat sur la violation de l'obligation et sur la réparation du préjudice qui en est résulté.
Reconnaissance de la caducité. L'ordonnance consacre aussi, de manière générale, la caducité des actes juridiques (nouvel art. 1186 N° Lexbase : L0892KZ3). Or, on sait que la Cour de cassation a rejeté le recours à la caducité, singulièrement pour la clause de non-concurrence lorsque l'entreprise dont les intérêts sont protégés par la clause, a été liquidée en cours d'exécution (19). La condition posée par la loi est la "disparition" de l'un de ses "éléments essentiels". Or, il nous semble bien que l'intérêt de l'entreprise constitue bien l'un de ses intérêts essentiels (elle en constitue d'évidence une condition de validité centrale), et que, s'il n'y a plus d'intérêt à le protéger, la clause de non-concurrence doit disparaître, et avec elle la contrepartie financière dont nous continuons à penser qu'elle ne constitue pas un droit qui naît de la conclusion de la clause, mais la contrepartie de la soumission du salarié à une restriction effective de sa liberté professionnelle, ce qui est très différent. Cette jurisprudence refusant la caducité de la clause lorsque l'entreprise disparaît devrait donc logiquement évoluer.
B - Clauses du contrat
Intérêt pour le droit du travail de la généralisation de la prohibition des clauses abusives. L'ordonnance crée de nouveaux outils pour lutter contre les clauses problématiques qui sont regroupés dans une sous-section 3 consacrée au "contenu du contrat". Parmi les dispositions nouvelles qui seraient susceptibles de s'appliquer en droit du travail, figure incontestablement le nouvel article 1171 (N° Lexbase : L0875KZG), généralisant la lutte contre les clauses abusives, au-delà donc des contrats passés par les consommateurs.
Cette disposition suppose qu'on soit en présence d'un "contrat d'adhésion" et répute non écrite "toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat". Le texte précise que "l'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation".
En admettant que le contrat de travail soit bien un contrat d'adhésion, soit qu'on retienne cette qualification par principe, ce qui ne semble guère satisfaisant compte tenu de la grande variété des situations rencontrées (20), soit qu'on s'attache aux conditions réelles de conclusion du contrat considéré, ce qui semble préférable, certaines clauses portant sur des obligations accessoires pesant sur le salarié pourraient poser problème, comme la faculté unilatérale de renonciation à une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail, car d'évidence il s'agit là d'un déséquilibre entre faveur de l'employeur (21), qui peut renoncer, et le salarié qui ne le peut pas, alors que tous deux ont, à tout le moins, à en croire la Cour de cassation, un égal intérêt à la clause (22). Qu'en sera-t-il également de la clause de mobilité, qui ne profite qu'à l'employeur, et qui n'est compensée par aucune indemnité ? Ou encore de la clause d'exclusivité, pour les mêmes raisons ? En se focalisant sur l'absence de contrepartie, sans s'intéresser à la justification de la clause au regard de la situation de l'entreprise et des fonctions exercées par le salarié, ne risque-t-on pas de menacer de nombreuses clauses économiquement utiles ? Ou alors faudra-t-il, pour les rééquilibrer, et à l'instar des clauses de non-concurrence, compenser financièrement toutes les clauses porteuses entraînant des atteintes à la liberté professionnelle des salariés ?
C - Régime du contrat
Révision judiciaire pour imprévision. L'ordonnance consacre la révision du contrat pour imprévision (art. 1995) en permettant au juge, à la demande d'une partie et lorsqu'une révision amiable n'a pu avoir lieu, de "réviser le contrat ou d'y mettre fin" "si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque". On peut penser que la Cour de cassation préservera la spécificité du droit du licenciement, singulièrement de ses dispositions applicables en matière économique, pour écarter l'application de ce texte qui pourrait conduire à une résiliation judiciaire échappant au régime du licenciement.
Les dispositions consacrées aux contrats à durée déterminée (articles 1212 N° Lexbase : L0926KZC à 1215) ne semblent pas non plus devoir s'appliquer au contrat de travail, pour les mêmes raisons que celles qui conduisent à réserver l'application exclusive des règles relatives à la rupture du contrat de travail.
Il en va de même pour les dispositions consacrées à la cession de contrat (articles 1216 N° Lexbase : L0929KZG à 1216-3) qui viennent directement se heurter aux articles L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) et suivants du Code du travail, ou celles qui visent la résolution du contrat, déjà écartée comme mode de rupture en droit du travail depuis plusieurs années (23).
Cession de contrat. Le Code du travail prévoit une hypothèse légale de cession de contrat en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur constatée dans les conditions posées par l'article L. 1224-1 du Code du travail. D'autres situations se rencontrent, qui font difficulté, et qui ne sont pas directement appréhendées par le Code du travail. Il en va ainsi lorsqu'un salarié change d'employeur dans le cadre d'une mobilité intra groupe, en France ou à l'étranger, car dans cette hypothèse l'opération se divise en deux séquences, la première entraînant la rupture du contrat de travail avec le premier employeur, la seconde se traduisant par l'embauche du salarié par le nouvel employeur. Si cette seconde phase ne fait guère difficulté dans la mesure où les parties peuvent contractuellement reprendre l'ancienneté acquise et les avantages antérieurs du salarié, la rupture du premier contrat fait difficulté dans la mesure où elle ne correspond à aucun des cas existants. Jusqu'à aujourd'hui, les parties procédaient à la rupture amiable du premier contrat (24), mais on sait que la Cour de cassation a considéré que celle-ci devait entrer dans le cadre de la rupture conventionnelle (25) et ouvrir ainsi droit au versement d'une indemnité de rupture ; or, ici, le salarié ne perd pas son emploi mais change d'employeur dans le cadre d'une mobilité, ce qui est différent. La cession de contrat offre alors une alternative intéressante, dans la mesure où elle exprime parfaitement l'objet de l'accord, qui est de transférer l'ancienne relation contractuelle à un nouvel employeur, sous réserve bien entendu de son accord et des aménagements rendus nécessaires par le nouveau contexte juridique et professionnel de cette relation de travail. L'article 1216, nouveau, décrit cette opération qui suppose le consentement des trois protagonistes (le cédant, l'employeur d'origine, le cédé, salarié, et le cessionnaire, nouvel employeur), et pourrait bien entériner la validité de ces opérations en libérant les parties de l'hypothèque que constitue aujourd'hui la position de la Cour de cassation sur les ruptures amiables.
(1) Le nouvel article 1105 (N° Lexbase : L0820KZE) dispose, en effet, que "les contrats, qu'ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d'eux. Les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières".
(2) L'article L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) a été placé, lors de la recodification intervenue en 2007, dans un chapitre consacré à la formation du contrat. Ce placement n'empêche toutefois pas le recours au droit commun au stade de l'exécution ou de la rupture, dans la mesure où le Code civil, en tant que loi de police (sauf exceptions), a vocation à s'appliquer très largement sur le territoire national, sans qu'il soit besoin de la préciser dans les différents autres codes.
(3) Sur cette question classique, notre ouvrage Droit du travail et responsabilité civile, LGDJ - Bibliothèque de droit privé, n° 282, 1997, Préface J. Hauser, 398 p., et les réf. citées.
(4) Notre étude L'autonomie du droit du licenciement (brefs propos sur les accords de rupture amiable du contrat de travail et les transactions), Dr. soc., 2000, p. 178-184.
(5) Cass. soc., 13 mars 2001, n° 98-46.411 (N° Lexbase : A0103ATY), Dr. soc., 2001, p. 624, et la chron.
(6) Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6594MYU) et les obs. de S. Tournaux, La (quasi) disparition de la rupture amiable du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 589 du 6 novembre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N4455BUK).
(7) Notre étude Droit social et responsabilité civile, Dr. soc., 1995, p. 495-501.
(8) Cass. soc., 12 février 2003, n° 01-40.916, FP-P+B+I (N° Lexbase : A0041A7N) ; Cass. soc., 12 février 2003, n° 99-42.985, FP-P+B (N° Lexbase : A0187A73) et nos obs., La nouvelle définition de la force majeure en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 59 du 20 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6084AAL).
(9) Ainsi, l'annulation pour dol se heurte à la preuve du caractère déterminant de celui-ci sur la décision de recruter prise par l'employeur : Cass. soc., 5 octobre 1994 n° 93-43.615 (N° Lexbase : A2081AAC), D. 1995, p. 282, note P. MOZAS.
(10) La bonne foi dans la formation du contrat est également reprise à l'article 1112, al. 1er (N° Lexbase : L0825KZL).
(11) "Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties".
(12) "Le contrat cadre est un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures. Des contrats d'application en précisent les modalités d'exécution".
(13) V. l'article 12 du projet du comité "Badinter" (N° Lexbase : X7292APR).
(14) Le projet "Badinter" a d'ailleurs retenu ce principe comme l'un des 61 principes essentiels du droit du travail : art. 16.
(15) Médecin-conseil d'une caisse de sécurité sociale : Cass. soc., 29 septembre 2014, n° 13-13.661, FS-P+B (N° Lexbase : A7965MXB) et les obs. de S. Tournaux, La dissimulation déloyale de sa mise en examen par le salarié, Lexbase Hebdo n° 587 du 16 octobre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N4184BUI). Sur la question du droit au silence du salarié concernant son état de santé, lire dernièrement S. Fantoni Quinton et A.-M. Laflamme, Garder le silence ou mentir sur son état de santé : quelles conséquences juridiques pour le candidat à l'embauche ? Une approche comparée France/Québec, Dr. soc., 2016, p. 19.
(16) Directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail (N° Lexbase : L7592AUQ) : "2. L'information visée au paragraphe 1 porte au moins sur les éléments suivants: a) l'identité des parties; b) le lieu de travail ; à défaut de lieu de travail fixe ou prédominant, le principe que le travailleur est occupé à divers endroits ainsi que le siège ou, le cas échéant, le domicile de l'employeur; c) i) le titre, le grade, la qualité ou la catégorie d'emploi en lesquels le travailleur est occupé ou ii) la caractérisation ou la description sommaires du travail ; d) la date de début du contrat ou de la relation de travail ; e) s'il s'agit d'un contrat ou d'une relation de travail temporaire, la durée prévisible du contrat ou de la relation de travail ; f) la durée du congé payé auquel le travailleur a droit ou, si cette indication est impossible au moment de la délivrance de l'information, les modalités d'attribution et de détermination de ce congé ; g) la durée des délais de préavis à observer par l'employeur et le travailleur en cas de cessation du contrat ou de la relation de travail, ou, si cette indication est impossible au moment de la délivrance de l'information, les modalités de détermination de ces délais de préavis ; h) le montant de base initial, les autres éléments constitutifs ainsi que la périodicité de versement de la rémunération à laquelle le travailleur a droit ; i) la durée de travail journalière ou hebdomadaire normale du travailleur ; j) le cas échéant : i) la mention des conventions collectives et/ou accords collectifs régissant les conditions de travail du travailleur ou, ii) s'il s'agit de conventions collectives conclues en dehors de l'entreprise par des organes ou institutions paritaires particuliers, la mention de l'organe compétent ou de l'institution paritaire compétente au sein duquel/de laquelle elles ont été conclues (NB : Ce texte n'ayant pas été transposé, il n'est pas directement invocable par un salarié contre son employeur). 3. L'information sur les éléments visés au paragraphe 2 points f), g), h) et i) peut, le cas échéant, résulter d'une référence aux dispositions législatives, réglementaires, administratives ou statutaires ou aux conventions collectives régissant les matières y visées".
(17) V. l'article 223-15-2 du Code pénal (N° Lexbase : L2214IEQ), qui réprime "l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse" d'un mineur ou d'une personne particulièrement vulnérable.
(18) On sait, toutefois, que ce modèle de référence (le trop fameux "bon père de famille" sacrifié sur l'autel de la lutte contre les stéréotypes de genre par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, art. 26 N° Lexbase : L9079I3N) n'est que faussement neutre et véhicule tous les a priori de la société dominante du début XIXème siècle : notre étude Peut-on dire qu'à l'époque moderne le droit civil reposerait sur l'idée d'une égalité abstraite alors que le droit du travail reposerait sur l'idée d'une inégalité concrète ?, dans Mélanges en l'honneur du Professeur Jean Hauser, LexisNexis et D., 2012, pp. 589-600, et les réf. citées.
(19) Cass. soc., 5 avril 2005, n° 02-45.540, FS-P+B (N° Lexbase : A7512DHP) et nos obs., Une clause de non-concurrence ne peut être caduque, Lexbase Hebdo n° 163 du 14 avril 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3076AIR) ; Cass. soc., 21 janvier 2015, n° 13-26.374, FS-P+B (N° Lexbase : A2694NAZ) et les obs. de S. Tournaux, La clause de non-concurrence protégeant les intérêts d'une entreprise... qui a disparu !, Lexbase Hebdo n° 600 du 5 février 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N5824BUA).
(20) Entre le cadre dirigeant "chassé" par des cabinets spécialisés et monnayant chèrement ses compétences, et le manoeuvre affecté à des tâches n'exigeant aucune qualification particulière, et se trouvant en concurrence avec des milliers de travailleurs au chômage, le rapport de force salarié/employeur n'a rien de comparable.
(21) En l'état actuel du droit des obligations on pourrait voir dans cette faculté réservée à l'employeur une condition purement potestative, nulle comme telle.
(22) Sur cette interrogation, notre étude Nullité de la clause de non-concurrence assortie d'une faculté de renonciation anticipée : la Cour de cassation n'en fait-elle pas trop ?, Lexbase Hebdo n° 637 du 17 décembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N0428BWR).
(23) Préc..
(24) Soit formellement, soit implicitement dans le cadre d'une opération tripartite constant la rupture du premier contrat et la conclusion d'un nouveau.
(25) Préc..
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Réf. : CJUE, 15 février 2016, aff. C-601/15 (N° Lexbase : A0515PLN)
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Le 02 Mars 2016
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 20 janvier 2016, n° 376980, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5766N4C)
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Directeur du Master 2 Fiscalité européenne et internationale à la Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)
Le 25 Février 2016
Selon le Conseil d'Etat, la Directive 90/434/CEE ne peut être invoquée utilement à l'appui de la requête dès lors qu'est visée une opération impliquant "seulement" des opérations établies en France. La compatibilité de la disposition législative nationale avec le droit de l'UE vaut a fortiori lorsque l'obligation mentionnée au 3 de l'article 210 A du CGI ne rend pas "pratiquement impossible" l'application du régime de faveur visé au 1er alinéa du 1 de la même disposition. Le Conseil d'Etat rejette donc le pourvoi dans la présente affaire, estimant que la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 28 janvier 2014, n° 13VE00293 N° Lexbase : A3311PL9) n'a pas commis une erreur de droit. La position du Conseil d'Etat ne manque pas d'interroger dans la mesure où celui-ci avait donné en 2012 une lecture autre des dispositions soumises à son examen. Dans sa décision du 28 décembre 2012 (CE 9° s-s., 28 décembre 2012, n° 349323, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6859IZ3), le Conseil d'Etat avait en effet annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 1er mars 2011 (CAA Versailles, 1er mars 2011, n° 09VE02294 N° Lexbase : A1662HRY) pour erreur de droit : reproche avait été fait à cette dernière d'avoir retenu, à mauvais droit, que le régime de faveur était applicable seulement à compter de la création de l'article 210 A du CGI (par l'article 85 de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 portant loi de finances pour 2002 N° Lexbase : L1042AWI).
2016 versus 2012 : si, dans les deux cas, "la notion de fusion [...] doit être interprétée à la lumière de la définition qu'en donne la Directive", le juge tire des conclusions différentes.
L'affaire a connu quelques rebondissements jurisprudentiels.
A la suite d'une vérification de comptabilité de la SARL requérante, l'administration fiscale a remis en cause l'application du régime de faveur visé au 1er alinéa du 1 de l'article 210 A du CGI. Une telle disposition ne pouvait être invoquée par la SARL à la suite de l'opération par elle réalisée, à savoir une dissolution sans liquidation d'une première société dont elle détenait l'intégralité des parts composant le capital social. Saisi par la SARL, le tribunal administratif de Versailles accueille ses prétentions (TA Versailles, 28 avril 2009, n° 0506865). La requérante avait alors obtenu la décharge des cotisations supplémentaires d'IS et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle avait été assujettie au titre de l'année 2002 (ainsi que des intérêts de retard correspondants). La cour administrative d'appel de Versailles, saisie sur recours du ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l'Etat, infirme le jugement du tribunal et rétablit les impositions en litige (CAA Versailles, 1er mars 2011, n° 09VE02294). Saisi d'un pourvoi, le juge de cassation annule l'arrêt de la cour et renvoie l'affaire (CE 9° s-s., 28 décembre 2012, n° 349323, inédit au recueil Lebon). Le juge d'appel versaillais entre en résistance (CAA Versailles, 28 janvier 2014, n° 13VE00293) et annule, à nouveau, le jugement du tribunal administratif. Enfin, le Conseil d'Etat, en ce début d'année 2016, rend la décision présentement commentée et (surprise) ne censure pas l'arrêt de la cour administrative d'appel.
Partant de l'énoncé de l'article 210 A ("Les plus-values nettes et les profits dégagées sur l'ensemble des éléments d'actif apportés du fait d'une fusion ne sont pas soumis à l'impôt sur les sociétés"), le Conseil d'Etat s'arrête sur la volonté du législateur. Le juge se réfère en effet aux travaux préparatoires de l'article 25 de la loi du 30 décembre 1991, de finances rectificative pour 1991 (loi n° 91-1323 N° Lexbase : L5158IQ4), dont la finalité est de transposer la Directive 90/434/CEE du 23 juillet 1990. L'objet du texte communautaire est de poser le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'Etats membres différents. Non sans logique, le Conseil d'Etat rapporte que le législateur n'a pas entendu, avec l'adoption des dispositions visées, traiter moins favorablement les fusions opérées uniquement entre sociétés françaises qui sont hors du champ de la Directive. On ne saurait retenir une lecture a minima (rectius discriminatoire) des dispositions législatives conduisant à ce que soient traitées plus favorablement les fusions visant les sociétés d'un autre Etat membre, fusions qui sont, elles, dans le champ de la Directive.
La notion de fusion doit s'interpréter à la lumière de la définition donnée par la Directive. Les opérations visées à l'article 1844-5 du Code civil, relatives à la transmission universelle du patrimoine de la société à un associé unique, sont des fusions au sens de l'article 2 de la Directive 90/434/CEE ; ces opérations entrent dans le champ d'application de l'exonération prévue par l'article 210 A du CGI, et ce dès l'entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de celui-ci. Le fait que les opérations de fusion ne concernent que des sociétés françaises ne saurait être un argument retenu au détriment des prétentions de la requérante. Jusqu'à cet instant, le Conseil d'Etat n'innove point, ne fait que reprendre une logique qu'il décline dans la décision précitée du 28 décembre 2012.
La novation, en 2016, s'opère par le truchement d'une rupture sémantique classique : "Toutefois"... Toutefois, il convient, dit le juge, de prendre en considération les obligations découlant du 3 de l'article 210 A du CGI, à savoir l'impératif de subordination. L'application du régime de faveur de l'article 210 A (1er alinéa du 1) est subordonnée au respect des prescriptions du 3 de l'article 210 A du CGI : la société absorbante doit s'engager (dès l'acte de fusion, dans l'acte de fusion) à reprendre les provisions dont l'imposition est différée et à réintégrer dans ses bénéfices imposables les plus-values dégagées lors de l'apport des biens amortissables. Pour le Conseil d'Etat, la société absorbante requérante devait avoir pris un tel engagement dans l'acte de dissolution. A défaut, elle ne peut jouir de l'exonération d'imposition des plus-values constatées à l'occasion de la dissolution sans liquidation. Certes, la Directive 90/434/CEE prohibe, s'agissant des fusions impliquant des sociétés établies dans au moins deux Etats membres différents, qu'il soit imposé aux sociétés concernées des conditions rendant "pratiquement impossible" le bénéfice du régime fiscal prévu.
Pour autant, il ne saurait être soutenu que la prohibition à peine évoquée emporte contradiction du droit français avec les objectifs de la Directive 90/434/CEE. En d'autres termes, l'obligation de mentionner, dans l'acte de fusion, l'engagement visé au 3 de l'article 210 A du CGI, n'est pas incompatible avec les objectifs de la Directive 90/434/CEE. La justification est d'évidence pour le Conseil d'Etat : nous sommes, dans l'affaire qui nous est soumise, en présence d'une opération qui implique seulement des sociétés établies en France. Par la négative, le propos est encore plus parlant : la configuration étudiée ici ne renvoie pas à une fusion impliquant des sociétés établies dans au moins deux Etats membres différents. Le Conseil d'Etat ajoute, in fine, que l'obligation posée au 3 de l'article 210 A du CGI ne constitue en rien un obstacle susceptible de rendre pratiquement impossible l'application du régime de faveur.
Dans sa décision du 28 décembre 2012, le Conseil d'Etat avait adopté une toute autre lecture de la présente affaire et une toute autre lecture de la Directive 90/434/CEE. Le juge (après avoir rappelé, comme en 2016, que la notion de fusion devait être interprétée à la lumière de la définition donnée par la Directive) avait estimé que les opérations visées à l'article 1844-5 du Code civil entraient bien dans le champ d'application de l'exonération prévue à l'article 210 A du CGI. Puis, il avait tiré la conclusion suivante : la circonstance que les opérations menées sur le fondement de l'article 1844-5 du Code civil ne concernent que des sociétés françaises ne pouvait entraîner une exclusion du régime de faveur. Avait été alors censuré, pour erreur de droit, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en ce qu'elle avait jugé que les opérations ne pouvaient bénéficier du régime de faveur qu'à compter de la création de l'article 210 A du CGI par la loi du 28 décembre 2001 portant loi de finances pour 2002.
La Conseil d'Etat avait fait application de la jurisprudence posée dans deux arrêts du 17 juin 2011 (CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2011, n° 324392, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6421HTY ; CE 9° et 10° s-s-r., 17 juin 2011, n° 314667, inédit recueil Lebon N° Lexbase : A6416HTS). Si l'arrêt de 2012 fait droit à la demande des requérants, celui de 2016 accueille les prétentions de l'administration fiscale. Le "toutefois" (§ 3) de l'arrêt de 2016, qui explique le refus d'exonération, jure avec le "ainsi" (§ 3) de l'arrêt de 2012 qui justifie le principe de l'exonération. Le juge opère en 2016 une interprétation restrictive de la Directive 90/434/CEE sans pour autant faire montre d'une grande pédagogie herméneutique. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il prend soin de souligner que l'obligation de mentionner dans l'acte de fusion l'engagement prévu au 3 de l'article 210 A du CGI ne rend pas "pratiquement impossible" l'application du régime de faveur visé au 1 du même article. Et le juge de cassation ajoute qu'un tel raisonnement "ne comporte l'appréciation d'aucune circonstance de fait". On ne comprend, à dire vrai, pas cette assertion : comment apprécier si une disposition rend ou non "pratiquement impossible" l'application d'un régime juridique particulier sans concrètement analyser les circonstances de fait ?
Quid d'une société n'ayant pas pris, dans l'acte de fusion, l'engagement imposé par le 3 de l'article 210 A du CGI mais ayant, en pratique, respecté les obligations qui en découlent ? Car la SARL a bien, au cas présent, respecté ex post les obligations en question. Avec la jurisprudence de 2016, le Conseil d'Etat entérine la position de l'administration fiscale : à défaut d'engagement formel et temporel adéquat, une société ne peut pas bénéficier du régime de faveur. La condition de forme devient alors une condition de fond.
Or, la Directive UE ne mentionne en rien l'obligation d'un engagement formel à l'identique de celui prévu à l'article 210 A du CGI ; la Directive indique "seulement" que la société bénéficiaire doit calculer les nouveaux amortissements et les plus ou moins-values transférés dans des conditions identiques à celles adoptées par la société apporteuse dans l'hypothèse d'une absence de fusion. Certes, il est possible d'arguer qu'en vertu du droit de l'UE, le principe d'autonomie procédurale prévaut et que les Etats sont libres quant aux modalités de mise en oeuvre des Directives. Pour autant, cette autonomie procédurale nationale ne saurait violenter le principe d'équivalence et conduire à traiter moins favorablement des situations similaires relevant du droit interne. Tout comme l'autonomie procédurale interne ne saurait porter atteinte au principe d'effectivité, à savoir empêcher un plein exercice des droits tirés du droit de l'UE ; en l'espèce, rendre impossible en pratique une fusion ou dissuader en pratique l'utilisation du mécanisme de la fusion.
Or, la position défendue par l'administration fiscale peut aisément conduire à dissuader les sociétés d'entreprendre l'acte de fusion. Dès lors que la société respecte en pratique les conditions du régime de faveur, il apparaît quelque peu formaliste et abusif de regarder son comportement non respectueux des dispositions en vigueur. Il est certes loisible de soutenir, à l'instar de l'administration fiscale et in fine du juge, que l'octroi d'un régime de faveur doit s'accompagner d'un strict respect formel des obligations imposées par le CGI. En présence d'un dispositif optionnel, le contribuable ne pourrait en quelque sorte bénéficier d'une régularisation ex post. On doit avouer ne guère être séduit par cette distinction "exercice d'un droit/système optionnel" tant elle semble s'apparenter, dans le cas présent, à une stratégie de contournement formaliste.
Il n'est jamais bon pour la sécurité juridique et l'éthique fiscale (si la formule possède minimalement un sens) que l'administration et le juge refusent de prendre en considération le comportement d'un contribuable ayant respecté l'esprit de la loi. La lettre, parfois, émascule.
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 15 février 2016, n° 376739, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1013PL4)
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Le 08 Mars 2016
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Réf. : CEDH, 23 février 2016, Req. 55354/11 (N° Lexbase : A5132PZ4)
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Le 25 Février 2016
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Réf. : CE, 5 février 2016, n° 393540, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5083PKH)
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par Aurélie Bretonneau, Rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 25 Février 2016
Il faut dire que le "sommeil cataleptique" -nous citons toujours le Président Chauvaux- dans lequel était plongée cette "belle endormie" en préserva les traits inchangés pendant de si nombreuses années qu'elle se trouva, lorsque la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU), et votre jurisprudence l'en tirèrent, désorientée dans son nouvel environnement juridique. Dans le conte de Perrault, la bonne fée qui transforme en sommeil la mort de la Belle au bois dormant prend soin d'assoupir tout le Palais avec elle afin qu'à son réveil, elle retrouve à sa cour un environnement familier. Aucune précaution similaire n'a été prise pour le référé conservatoire, autrement appelé "mesures utiles", ranimé à l'aube du vingt-et-unième siècle dans ses habits de 1955 à peine réajustés alors que tout, autour de lui, avait sensiblement changé.
L'un des avantages à ce que votre Section du contentieux se soit si régulièrement penchée sur le référé mesures utiles est que nous nous croyons dispensée d'en reprendre intégralement l'historique, remarquablement brossé dans son dernier état il y a moins d'un an par notre collègue Edouard Crépey dans ses conclusions sur l'affaire "Section française de l'Observatoire international des prisons" (3). Nous n'insisterons, au sein de cette histoire, que sur les événements susceptibles d'expliquer deux étrangetés consubstantielles à l'article L. 521-3 du Code de justice administrative auxquelles, dans les affaires qui vous sont soumises, nous nous trouvons confrontée.
La première tient à l'absence de précision donnée par le texte sur l'utilité des mesures susceptibles d'être prises dans ce cadre par le juge des référés ; la seconde, à l'indétermination de la condition selon laquelle ces mesures ne doivent faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative.
S'agissant de l'utilité, l'imprécision est presque d'origine, mais ses conséquences se sont amplifiées au fil des évolutions législatives et jurisprudentielles.
Lorsqu'il a été envisagé d'introduire, après quelques péripéties (4), par la loi n° 55-1557 du 28 novembre 1955 à l'article 24 de la loi du 22 juillet 1889, sur la procédure à suivre devant les conseils de préfecture), ce qu'on appelait alors le "référé administratif", il s'agissait de doter les tribunaux administratifs, fraîchement institués par le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953, d'un outil dont le Conseil d'Etat disposait déjà depuis dix ans. Pour ce dernier, l'ordonnance du 31 juillet 1945, sur le Conseil d'Etat (N° Lexbase : L4723AGZ), prévoyait en son article 34 que : "sur simple requête, le président de la section du contentieux peut, dans les cas d'urgence, ordonner toutes mesures utiles en vue de la solution d'un litige". C'est ainsi le prononcé de mesures utiles "en vue de la solution d'un litige" que la proposition de loi présentée le 9 juin 1954 envisageait de confier au président du tribunal administratif dans les cas d'urgence. Cette procédure devait permettre de pallier les lacunes d'une part, du constat d'urgence, figurant lui-même à l'article 24 de la loi du 22 juillet 1889, qui permettait de constater rapidement certains faits, mais pas d'ordonner une expertise, d'autre part du dispositif prévu à l'article 17 du décret du 26 septembre 1926 qui lui le permettait, mais pas dans tous les contentieux (étaient exclues les matières fiscale et électorale) et à la condition très limitative que toutes les parties en soient d'accord. Bref, la proposition de loi tirait plutôt le référé administratif du côté des référés instruction.
La qualification de l'utilité s'est rapidement perdue dans les débats parlementaires, sans que cette modification s'y trouve expliquée. Peut-être faut-il y lire la trace de ce que, dans ces débats agités, les promoteurs du référé administratif, qui y voyaient une opportunité propre à doter les tribunaux de l'efficacité qu'ils prêtaient par contraste aux juges des référés civil et commercial, espéraient permettre à leurs présidents de s'en saisir pour ordonner des mesures conservatoires plus audacieuses. Les opposants au référé administratif ne se battirent pas sur le terrain de l'utilité et eurent plutôt à coeur d'enserrer les pouvoirs du juge dans un carcan le plus serré possible, lui fermant le champ des litiges intéressant l'ordre et la sécurité publique (cette condition sautera par l'effet du décret n° 69-86 du 28 janvier 1969) et ne lui permettant ni de "faire préjudice au principal", ni de "faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative". Ces deux derniers verrous, qui restèrent en l'état lors des codifications successives (5), devaient interdire au juge des référés de prescrire des mesures autres que provisoires, de trancher des questions juridiques délicates (6) et d'empiéter le moins du monde sur le domaine réservé au sursis à exécution (7) qui régnait sans partage sur le contentieux des actes en excès de pouvoir. A cela s'ajoutait qu'il était interdit au juge, fût-ce sous sa casquette de juge des référés, d'adresser des injonctions de faire à l'administration (8).
Prenant acte de ces verrous et y ajoutant l'exigence que la mesure sollicitée ne soit l'objet d'aucune contestation sérieuse, ce que nous interprétons comme l'exigence que le juge du référé administratif restât un juge de l'évidence, votre jurisprudence ne s'est pas attachée à préciser ce qu'il fallait entendre par utile. Elle n'avait toujours rien dit de l'utilité des mesures utiles lorsque le décret n° 88-907 du 2 septembre 1988 institua un référé expertise ou instruction autonome (9), vidant le référé mesures utiles du versant le plus identifiable de sa substance initiale et le transfigurant en référé destiné à la prescription de mesures conservatoires dont nul n'avait jamais défini la portée. Elle ne s'est pas non plus aventurée à théoriser l'utilité après cette transformation. S'agissant du référé instruction, vous vous laissiez aller, guidés par le texte réglementaire, à préciser que : "l'utilité d'une mesure [...] demandé[e] au juge des référés [...] doit être appréciée, bien qu'il ne soit pas saisi du principal, dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle se rattache" (10). Mais vous vous êtes contentés, s'agissant du référé mesures utiles, de préciser que n'est pas utile ce qui est superflu, c'est-à-dire qui peut être obtenu d'une autre façon (11). La question "utile à quoi ?" est, en revanche, toujours restée sans réponse de principe.
La loi du 30 juin 2000, qui a hissé ce référé au niveau législatif (12), a pris acte, selon les termes du groupe de travail du Conseil d'Etat sur les procédures d'urgence, de ce qu'il était susceptible de rendre quelques services. Son maintien relevait d'une forme de prudence matinée de pari, laissant donc largement à l'avenir le soin de dire à quoi les mesures L. 521-3 seraient utiles dans le nouvel état du droit des référés.
Or avec le temps, les verrous mis à l'usage du référé mesures utiles ont été partiellement levés. Le législateur l'a débarrassé de la condition tenant à ce que les mesures ordonnées ne puissent préjudicier au principal. Votre décision "M. Capellari" (13) a levé l'interdiction de prononcer des injonctions à l'égard de l'administration. Vous aviez très tôt toléré que les mesures ordonnées par le juge du référé mesures utiles revêtent un caractère si difficilement réversible qu'elles n'avaient plus grand chose de provisoire (14) ; vous l'avez explicitement admis avec votre décision "Masier" (15), relative à la possibilité d'ordonner au maire de faire dresser un procès-verbal d'infraction aux règles d'urbanisme et de le transmettre au Procureur de la République. Par votre décision "Mme Elissondo Labat" précitée, vous avez entrepris d'assouplir, nous y reviendrons, la condition tenant à ce qu'il ne soit fait obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative. Bref, outre l'urgence, ne restait plus intacte que l'exigence tenant à l'absence de contestation sérieuse : on comprend mieux le vertige que nos prédécesseurs à ce pupitre ont, dans ces conditions, déclaré ressentir face aux pouvoirs d'un juge susceptible d'ordonner toute mesure revêtant une certaine utilité, sans autre précision, loin des sentiers balisés de la légalité.
S'agissant des décisions administratives auxquelles il s'agit de ne pas faire obstacle, la condition était claire à ses débuts, mais s'est obscurcie avec la loi du 30 juin 2000.
Lorsque cette condition fut introduite, à l'instigation du ministre de l'Intérieur (16), lors de l'examen de la loi du 28 novembre 1955, il s'agissait de faire en sorte que le juge du référé administratif ne puisse jamais être amené à prononcer une mesure réputée utile revenant à suspendre les effets d'une décision exécutoire : un tel prodige, alors très mal perçu par le pouvoir exécutif, devait être réservé aux formations collégiales statuant au titre du très restrictif sursis à exécution. N'était envisagé alors que le cas des mesures positives édictées par l'administration, totalement occulté étant celui d'une éventuelle décision négative par laquelle l'administration aurait refusé de prendre les mesures ensuite sollicitées du juge. Ce cas n'avait pas à être envisagé pour une raison juridique implacable : les décisions de refus étant dépourvues de force exécutoire, le juge du référé mesures utiles ne pouvait, par construction, faire obstacle à leur exécution. Ces décisions n'étaient pas plus susceptibles d'être saisies en principe par la voie du sursis à exécution (17).
On aurait pu alors imaginer que l'intervention d'une décision administrative de rejet ne s'opposait pas à ce que la mesure refusée par l'administration soit ensuite demandée au juge du référé mesures utiles et prescrite par lui. On l'aurait pu d'autant plus que le décret n° 59-515 du 10 avril 1959 modifiant la procédure à suivre devant les tribunaux administratifs a précisé que la demande adressée au juge du référé mesures utiles était recevable "même en l'absence de décision administrative préalable". Il semble au vrai que cette précision, introduite simultanément à l'article régissant le référé-constat, visait surtout, à une époque où le référé mesures utiles jouait encore le rôle de référé instruction, à préciser qu'il pouvait être introduit sans attendre que le litige à la solution duquel il devait contribuer soit en passe de se cristalliser. Reste qu'on pouvait l'interpréter comme envisageant, a contrario, qu'un tel référé puisse être formé y compris en présence d'une décision administrative préalable, c'est-à-dire d'une décision par laquelle l'administration aurait refusé la mesure utile, excluant ainsi ces décisions du champ de celles avec lequel le juge des référés ne pouvait légalement interférer. Le tout sans remettre en cause l'étanchéité du référé mesures utiles par rapport au sursis à exécution, impuissant à se saisir de telles situations.
La possibilité de cette construction harmonieuse s'est vu anéantie par votre décision "Ouatah" (18) et par la rédaction de la loi du 30 juin 2000 s'agissant du référé suspension. En permettant, dans le cadre de l'article L. 521-1 (N° Lexbase : L3057ALS), la suspension de l'exécution de décisions administratives "même de rejet", le législateur a fait voler en éclat l'objection du caractère non exécutoire des décisions négatives. Or il l'a fait au moment même où, insérant le référé mesures utiles à la suite des dispositions relatives aux référés suspension (CJA, art. L. 521-1) et liberté (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT), il gravait dans le marbre des textes le caractère subsidiaire de ce référé d'urgence par rapport aux deux autres, précisant que le juge saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 peut prescrire "toutes autres mesures utiles" que celles susceptibles d'être ordonnées sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2.
Ce faisant, le législateur a placé les exégètes face à un choix impossible : soit estimer que la décision administrative refusant la mesure n'est pas au nombre de celles à l'exécution desquelles le juge du référé mesures utiles ne saurait faire obstacle, ce qui donne un sens utile à l'incise "même en l'absence de décision préalable" maintenue par le législateur mais prive de sa portée l'expression "toutes autres mesures utiles", puisque la décision de refus peut aussi bien être déférée au juge du référé suspension ; soit traiter la décision de refus comme une décision administrative à part entière, sacrifiant l'a contrario sibyllin du début de l'article L. 521-3 à son caractère subsidiaire désormais codifié.
Par la décision "Mme Elissondo Labat", vous avez ouvert une brèche notable en faveur de la première option. Même si vous n'avez pas totalement cédé à l'appel de votre commissaire du gouvernement vous invitant à trancher de façon générale en faveur de cette façon de raisonner, vous avez estimé que la circonstance que le responsable d'un dommage de travaux publics, saisi par l'intéressé d'une demande tendant à la réalisation des mêmes mesures que celles demandées au juge, l'ait rejetée par une décision expresse ou implicite n'est pas à elle seule de nature à faire obstacle à la mise en oeuvre de la procédure prévue par l'article L. 521-3. Les commentateurs autorisés de cette décision y voyaient un signal prometteur et envisageaient son éventuelle extension en dehors de la sphère des dommages liés à un travail public. Toutefois, lorsque la question de cette extension s'est posée à vos 10ème et 9ème sous sections réunies il y a deux mois à peine, elles ont fermement réaffirmé une ligne de jurisprudence abondante et constante (19) selon laquelle, en matière de communication de documents administratifs, la naissance d'une décision de refus faisait obstacle à ce que le juge du référé mesures utiles ordonne la communication sur le fondement de l'article L. 521-3. Signe peut-être de ce que la réflexion d'ensemble ne semblait pas parfaitement aboutie, le choix délibéré a toutefois été fait de ne pas ficher cette solution (20) et de laisser entier le mystère de la portée sur ce point de la jurisprudence "Elissondo Labat".
Les deux questions -celles des mystères qui entourent les notions de mesure utile et de décision à l'exécution de laquelle il est interdit de faire obstacle- se posaient dans les affaires soumises par M. X au juge des référés. Celui-ci a choisi de ne se saisir que de la première. Vous pourrez, selon votre appétence, vous saisir de l'une, de l'autre ou des deux au stade de l'examen des pourvois en cassation.
M. X est détenu. Les 14 avril et 1er juin 2015, il a demandé au directeur de la maison d'arrêt de Besançon de lui permettre d'acquérir un nécessaire d'hygiène, en lui permettant de le faire passer au parloir, et de bénéficier de trois douches hebdomadaires. Celui-ci a rejeté ses demandes par deux décisions expresses des 13 mai et 4 juin 2015. Le directeur faisait valoir, s'agissant du nécessaire d'hygiène, que s'il souhaitait compléter le kit d'accueil remis lors de l'écrou, il lui appartenait de cantiner des produits d'hygiène, quitte à demander que l'administration prenne en charge ses dépenses s'il s'avérait indigent, la sécurité de l'établissement faisant obstacle à ce que des produits passent par le parloir ; s'agissant des douches elles-mêmes, que l'intéressé pouvait en prendre jusqu'à cinq par semaine par l'effet de son inscription aux activités de sport extérieur et de musculation et qu'il n'avait donc pas à prendre de mesure permettant à l'intéressé de se doucher plus souvent. Non convaincu, X a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative, de deux demandes tendant à ce que soit respectivement ordonnées les mesures refusées par le directeur d'établissement. Le juge des référés, par deux ordonnances dont la rédaction est similaire, a traité par prétérition la circonstance que des refus exprès étaient intervenus ; il a en revanche relevé que de telles mesures, "qui ne porte[nt] pas atteinte à des droits et libertés protégés du détenu ou une atteinte substantielle à la situation statutaire ou administrative de l'intéressé, constitue[nt des] mesure[s] d'ordre intérieur insusceptible[s] d'être discutées devant le juge ; que dans ces conditions, la demande présentée au juge des référés ne relève dès lors pas de l'office du juge saisi en application des dispositions de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative".
M. X critique l'erreur de droit qui entacherait ce raisonnement. Vous avez pour votre part fait savoir aux parties que la circonstance que les décisions de refus du directeur étaient susceptibles d'interdire le prononcé de mesures contraires par le juge du référé mesures utiles. Nous traiterons successivement ces deux questions qui sont toutefois selon nous intimement liées l'une à l'autre.
La première question, celle de l'erreur de droit qu'aurait commise le juge du référé mesures utiles en convoquant la notion de mesure d'ordre intérieur, pourrait appeler une réponse brutale.
Il est clair que la notion de mesure d'ordre intérieur a été bâtie dans le cadre et pour l'usage du contentieux de la légalité. La mesure d'ordre intérieur est celle qui, ne faisant pas grief, est insusceptible de recours pour excès de pouvoir. Les conclusions tendant à son annulation devant le juge du principal sont, pour ce motif, entachées d'irrecevabilité. La même irrecevabilité existe devant le juge du référé suspension, tant parce la suspension n'est accordée que dans l'attente d'un recours au fond, et ne saurait donc intervenir quand ce recours n'est pas possible, que parce que lorsqu'une décision est dépourvue d'effets juridiques, il paraît difficile d'en suspendre l'exécution (21). On voit mal, en première analyse, comment transposer ce raisonnement au référé mesures utiles, qui ne se présente pas comme un contentieux de la légalité et où n'existe pas de condition tenant à l'existence d'un recours au fond. Ce d'autant que votre jurisprudence a déjà refusé d'exporter la catégorie des mesures d'ordre intérieur hors de la sphère de l'excès de pouvoir : par une décision "Spire" (22), aux conclusions du président Genevois, vous avez neutralisé sa portée en contentieux de la responsabilité, en jugeant que le préjudice né d'une mesure d'ordre intérieur pouvait, le cas échéant, être indemnisé.
Si vous souhaitiez vous en tenir à cette première analyse, vous pourriez, nous semble-t-il, censurer une erreur de droit.
Il nous paraît, ce néanmoins, que par-delà quelques maladresses d'étiquetage, le juge des référés, dont vous ne censurez en cassation que les erreurs de droit manifestes, a formulé une intuition pas totalement hétérodoxe. Il a, en quelque sorte, entendu arrimer l'utilité des mesures utiles à des droits, libertés et intérêts du requérant juridiquement protégés. Il a estimé que lorsqu'au regard d'un tel arrimage, l'utilité alléguée ne franchissait pas le seuil de la justiciabilité, alors il n'était pas possible de solliciter une intervention du juge.
La volonté de dresser un pont entre utilité et droit nous paraît sur le fond être une démarche salutaire. S'il peut ordonner toutes mesures utiles, le juge du référé conservatoire n'en reste pas moins...un juge. De sorte que mesurer l'utilité des mesures à l'aune de critères de droit ne nous semble pas procéder d'un trop mauvais réflexe.
Si vous n'avez jamais précisé à quoi les mesures du référé L. 521-3 devaient être utiles, toutes les illustrations jurisprudentielles de cette voie de recours impliquent la mobilisation d'un critère de droit.
Commençons par les hypothèses les plus fréquentes, dans lesquelles le référé est formé par une personne publique. On sait que la particularité du référé mesures utiles est de servir de bras séculier à l'autorité administrative pour obtenir de lui ce que le privilège du préalable ne lui permet pas d'obtenir seule. En ce cas, les mesures utiles sont en premier lieu celles qui servent à la poursuite de l'intérêt général, lui-même au frontispice de votre mission juridictionnelle. Il en va ainsi des injonctions adressées à des personnes privées afin de garantir la bonne exécution de travaux publics ou, de manière plus générale, le fonctionnement correct et continu des services publics (23). Il en va de même du prononcé, au nom de la protection du domaine public, de mesures d'expulsion d'occupants sans titre de ce domaine (24) et, symétriquement, d'injonctions d'interrompre des travaux irrégulièrement entrepris sur ce dernier (25). Dans ces cas, est également en cause le droit de propriété des personnes publiques, ainsi que l'a formalisé une récente ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat à propos de la possibilité de demander sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative le déplacement d'une jardinière irrégulièrement installée sur le domaine public (26). Les autres mesures utiles sont celles qui permettent l'exercice par l'administration ou une personne agissant en son nom d'une prérogative de puissance publique lorsque ses décisions ne sont pas exécutoires de plein droit (27).
Dans l'hypothèse symétrique, où c'est une personne privée qui demande au juge des référés d'intervenir à l'égard de l'administration, l'existence d'un droit lésé ou susceptible de l'être surplombe toujours l'utilité des mesures prononcées. Dans le cas le plus courant, où la mesure consiste à ordonner la production d'un document administratif, c'est toujours l'exercice du droit au recours, ou à tout le moins des droits de la défense, qui est en ligne de mire (28), sachant que l'accès aux documents est de toute façon en lui-même une garantie fondamentales pour l'exercice des libertés publiques (29). Dans le domaine des travaux publics, où s'est épanoui ce référé depuis son renouveau, la mesure utile l'est à la préservation du droit à la sécurité (30), voire à la vie du requérant (31), ou à tout le moins à son droit de propriété lorsque c'est son bien que menacent les dommages (32). Dans les domaines plus atypiques, les mesures regardées comme utiles nous semblent toujours l'être à l'exercice ou à la préservation d'une liberté ou d'un droit : vous avez par exemple, en matière pénitentiaire, admis l'utilité de la mesure, ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif, consistant à faire cloisonner les cabines téléphoniques mises à la disposition des détenus en convoquant à son soutien le droit au respect de la vie privée, impliquant la confidentialité des conversations avec les avocats (33) ; lorsque vous avez indiqué à l'auteur d'un référé liberté placé sous surveillance électronique qu'il pouvait, s'il s'y estimait fondé, former un référé mesures utiles pour obtenir la réparation du système de surveillance, c'est après avoir relevé que ses dysfonctionnements, et la carence de l'administration à y mettre fin, portait atteinte à sa dignité, à son intégrité et à sa vie privée (34) ; lorsque vous avez, dans un autre domaine, admis que le juge du référé mesures utiles puisse enjoindre à l'Ofpra d'examiner une demande d'asile, c'est naturellement parce que l'exercice du droit d'asile était en jeu (35).
De ce panorama, il ressort que la mesure utile l'est toujours, côté administration, à la préservation d'un droit d'une personne publique et/ou de l'intérêt général ; côté administrés, à l'exercice ou à la sauvegarde d'un droit ou d'une liberté. De sorte que le juge des référés ne nous semble pas avoir erré en relevant, pour refuser d'intervenir sur saisine d'un administré à l'égard de l'administration, que n'était en cause ni les droits et libertés protégés de l'intéressé, ni aucune atteinte substantielle à sa situation juridique.
Quant à l'idée d'un seuil, elle ne nous choque pas non plus.
Le référé mesures utiles pourrait passer pour celui des petites choses, trop petites pour relever des autres référés d'urgence. C'est l'idée qui semble se dégager de votre décision de Section "Section française de l'Observatoire international des prisons" du 27 mars 2015 (36) qui insiste sur le caractère subsidiaire du référé mesures utiles, en rappelant que le juge ne peut ordonner sur son fondement que des mesures autres que celles régies par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du Code de justice administrative, et qui lui interdit de se préoccuper de grandes choses, comme l'édiction d'actes réglementaires, parce qu'elle peut être obtenue autrement et qu'elle est trop importante pour lui (37). Cette idée, le requérant la traduit en procédant au recensement des mesures ordonnées au titre de l'article L. 521-3, en relevant que certaines -cloisonnement d'une cabine téléphonique, réparation d'un bracelet électronique- semblent si bassement matérielles qu'elles semblent bien relever de la catégorie des mesures d'ordre intérieur.
Ce dernier argument nous paraît reposer sur une compréhension imparfaite de cette notion depuis qu'elle a été clarifiée par vos décisions d'Assemblée "Garde des sceaux c/ Boussouar" (38). Aux termes de ces jurisprudences, vous vérifiez, pour qualifier une décision de mesure d'ordre intérieur non seulement qu'elle n'appartient pas à une catégorie de mesures qui, par leurs nature ou leurs effets, font grief, mais également si, alors qu'elle n'appartient pas à une telle catégorie, elle ne met pas en cause les libertés et droits fondamentaux de l'intéressé en l'espèce. Le maniement de cette soupape a pour conséquence que le refus de cloisonner une cabine pour permettre le respect de la vie privée, ou de réparer un bracelet électronique pour préserver la dignité de son porteur, ne pourraient pas être qualifiés de mesure d'ordre intérieur. Le même raisonnement vaut à propos de mesures d'apparences mineures ordonnées par le juge du référé liberté, mais qui précisément ne le sont que parce qu'est en cause, du fait de leur absence, une liberté fondamentale (39).
L'absence de règle de minimis devant le juge indemnitaire ne suffit pas non plus à nous convaincre que cette règle soit réservée au juge de l'excès de pouvoir. Une chose est en effet de permettre que le juge indemnitaire, statuant après coup sur les conséquences d'un acte fautif de l'administration, puisse réparer tout préjudice sans plancher d'indemnisation. Une autre est de permettre qu'on puisse au moindre dérangement demander au juge, qui plus est statuant en urgence, de mobiliser ses pouvoirs de suspension ou d'injonction.
Bref, nous ne pensons pas que le caractère subsidiaire du référé mesures utiles en fasse une voie de droit totalement supplétive, qui demeurerait ouverte chaque fois que les autres sont fermées, y compris en-deçà d'un certain seuil de justiciabilité. Nous croyons que c'est ce qu'a voulu dire, au prix d'un maladroit effort de théorisation, le juge des référés saisi dans notre espèce. Dès lors, il nous semble que vous avez le choix, soit, en vous attachant à la rédaction de son ordonnance, de censurer l'erreur consistant à subordonner, par le truchement de la notion de mesure d'ordre intérieur qui doit sous ce vocable connoté être cantonné à cet usage, l'action du juge du référé mesures utiles à la recevabilité d'un hypothétique recours pour excès de pouvoir ; soit, en vous abstrayant de la formulation retenue, d'estimer que le juge des référés n'a pas eu tort d'énoncer qu'à défaut de droit lésé, en raison du faible impact de la mesure, la condition d'utilité, qui préside à son office, ne pouvait être remplie.
Nous ne sommes pas choquée par cette dernière formule, ce qui nous conduirait, en l'absence d'erreur sur la question d'un droit lésé en l'espèce, à rejeter les pourvois. Mais même si vous reteniez une position plus sévère, nous vous proposerions d'aboutir au même dispositif sur un autre terrain.
Cela nous amène à la seconde question, celle de savoir si une décision de refus de prendre des mesures est au nombre des décisions administratives à l'exécution desquelles le juge du référé conservatoire ne saurait faire obstacle.
Sur ce point, la jurisprudence "Mme Elissondo Labat" n'a fait qu'entrouvrir une porte dans laquelle votre jurisprudence a hésité à s'engouffrer. Postérieurement, et indépendamment des deux décisions "Section française de l'OIP" dont nous vous entretenions tout à l'heure, plusieurs de vos décisions continuent de porter la trace de ce qu'une décision de refus empêcherait le juge du référé mesures utiles d'exercer son office. Dans l'affaire "Beaumont" précitée (40), vous avez relevé que le requérant pourrait saisir le juge du référé mesures utiles "en l'absence de décision administrative refusant de faire droit à la demande". Par une décision récente, votre 7ème sous-section jugeant seule a estimé que l'existence d'un refus de communiquer une liste de marchés faisait obstacle à ce que cette communication soit ordonnée sur le fondement de l'article L. 521-3 (41). On trouve également trace de ce raisonnement en présence de refus, explicites ou implicites, d'autorisations administratives dont la délivrance par le juge du référé mesures utiles est demandée (42).
Plusieurs motifs solides sous-tendent cette position de cantonnement.
En premier lieu, la solution "Elissondo Labat" ne saurait valoir pour toutes les décisions de refus. Le Président Chauvaux indiquait clairement dans ses conclusions que "certaines décisions négatives s'imposeraient certainement au juge des référés", par exemple quand la réalisation de la mesure "exige à un titre quelconque une autorisation administrative qui aurait été refusée". Il n'est pas évident de distinguer entre différents types de refus. Même la distinction entre refus explicites et implicites n'est pas pleinement opérante : que ce soit dans un sens ("Mme Elissondo Labat") ou dans l'autre ("Section française de l'OIP"), vous vous êtes toujours refusés à en distinguer le régime au regard de l'article L. 521-3.
En deuxième lieu, la généralisation de cette solution miroiterait avec le caractère subsidiaire du référé conservatoire par rapport, en particulier, au référé suspension. Dès lors que vous admettez sans restriction que le juge de la légalité soit saisi de refus de faire, alors de tels refus sont toujours susceptibles de référé suspension. Permettre au requérant de contourner cette voie de droit commun en demandant au juge du référé conservatoire de priver la décision de refus d'effet nous semblerait aller à rebours de l'articulation législative des référés d'urgence telle qu'explicitée il y a moins d'un an par une décision de Section.
Le contournement est d'autant plus à craindre que l'intervention du juge du référé mesures utiles semble plus facile à obtenir que celle du référé suspension. Sa saisine, d'abord, n'est enserrée dans aucune condition de délai, tandis que le bien-fondé d'un référé suspension est subordonné à l'existence d'un recours au fond recevable, c'est-à-dire formé dans le délai de recours contre la décision de refus (43). Soustraire les décisions de refus de celles visées par l'article L. 521-3 permettrait leur remise en cause, passé ce délai (44). L'argument est plus sensible lorsque la saisine du juge de l'excès de pouvoir est soumise à l'exercice d'un recours préalable obligatoire, que le référé conservatoire permettrait de court-circuiter (45). Son office, ensuite, est moins encadré que celui du référé suspension : vous avez récemment jugé que ce dernier, suspendant l'exécution du refus de faire procéder à une enquête prévue par la législation du travail, peut enjoindre au réexamen, mais pas ordonner que cette enquête se tienne sous huit jours, au motif que l'injonction aurait les mêmes effets qu'une annulation au fond. Le juge du référé mesures utiles pourrait formuler une telle injonction, comme le relevait d'ailleurs le rapporteur public Jean Lessi dans ses conclusions contraires, relevant le paradoxe qu'il y a à permettre à un juge subsidiaire statuant sans audience publique (46) de faire plus que le juge de droit commun des procédures d'urgence.
Nous ne prêtons le risque de marginalisation du référé suspension au profit du référé mesures utiles qu'à la généralisation de la solution "Mme Elissondo Labat". Dans le domaine où cette décision a été rendue, celui des travaux publics, la décision préalable n'a en principe pas sa place, la saisine du juge n'est enserrée dans aucune condition de délai et les mesures susceptibles d'être prises n'ont pas grand-chose à voir avec des suspensions, s'agissant de freiner des dommages par nature évolutifs. Une concurrence avec le référé suspension n'a donc pas vraiment lieu d'être, le seul recoupement possible étant avec le référé liberté, dont la frontière avec le référés mesure utiles épouse les contours de l'urgence à quarante-huit heures (47). Ce motif n'apparaît pas explicitement dans votre décision "Mme Elissondo Labat", mais c'est ainsi que, par la suite, elle a été expliquée, y compris dans les notes de rapprochement de vos propres fichages (48).
Hors de la matière des travaux publics où il nous semble éminemment logique de tenir pour inopérante l'existence ou non d'une décision de refus, nous pensons, pour les raisons que nous vous avons dites, qu'une telle décision doit faire obstacle à l'intervention du juge du référé mesures utiles. Et nous pensons, comme le jugent les décisions non fichées du 18 novembre 2015, qu'une telle décision de refus doit s'entendre des refus explicites ou implicites, né avant la saisine du juge du référé mesures utiles ou en cours d'instance, pour peu bien sûr qu'ils interviennent sur demande de l'intéressé préalable à la saisine du juge. Ce paramétrage permet de laisser toute sa place au référé suspension. Mais il interdit que l'administration fasse en cours d'instance volontairement échec au référé mesures utiles en édictant spontanément une décision de refus qui n'aurait pas été sollicitée.
Disant cela, nous courons le risque de bâtir un remède pire que le mal. Fermer la voie séduisante du référé conservatoire en cas de décision de refus pourrait dissuader le justiciable de faire naître cette décision. Le contournement se ferait au détriment non plus seulement du juge du référé suspension, mais de l'administration elle-même, ce qui n'est pas notre propos.
Cette objection nous conduit à insérer notre proposition dans un tableau plus global de l'office du juge saisi sur le fondement de l'article L. 521-3. Nous pensons que chaque fois qu'une demande préalable est possible et pertinente (c'est-à-dire hors travaux publics et hors des cas où c'est l'administration qui saisit le juge des référés), la voie normale pour obtenir une mesure est de saisir l'administration d'une telle demande et de former le cas échéant à son encontre une demande d'annulation assortie d'un référé suspension. Le référé mesures utiles ne permettrait de court-circuiter cette voie normale que dans deux types d'hypothèses. La première hypothèse elle celle où l'urgence de la situation ne permet pas d'attendre la naissance d'une décision de refus sans que se cristallise une atteinte au droit certaine et irréversible : c'était le cas, par exemple, dans l'affaire "Masier" ; ça l'est également lorsqu'un justiciable souhaite obtenir un document lui permettant de former un recours dans un délai contraint, ou de faire valoir ses droits dans une procédure en cours, notamment disciplinaire. Le détour par la saisine de l'administration, puis de la commission d'accès aux documents administratifs étant en ce cas impossible, et l'exercice de ses droits par l'intéressé étant en jeu sans que sa situation relève nécessairement d'une urgence à quarante-huit heures, le juge du référé conservatoire apparaît indiqué pour intervenir. L'autre hypothèse, plus marginale, concerne les cas où l'intéressé est mis dans l'incapacité de faire naître une décision susceptible d'être déférée au juge : c'est notamment le cas lorsque l'administration refuse de répondre à une demande, et que des règles particulières empêche la naissance d'une décision implicite de rejet. Vous avez abordé de front ce cas de figure dans une décision CE, 18 juillet 2011, M. Fathi, précitée (49), relative à la carence de l'Ofpra à examiner une demande d'asile, alors que l'article L. 723-3-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9212H3L) prévoyait qu'"aucune décision ne peut naître du silence gardé par l'office". Vous avez jugé que "la mesure consistant à ordonner à l'Office de statuer, dans un délai prescrit par le juge et sous astreinte, sur une demande d'asile, ne fait en principe obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative, et peut être regardée comme utile, dans la mesure où le silence gardé par l'administration ne peut faire naître aucune décision administrative dont en cas d'urgence le juge des référés pourrait être saisi en application de l'article L. 521-1 du CJA. En l'absence d'autres voies de droit permettant au demandeur d'asile d'obtenir qu'il soit remédié à cette situation, cette mesure relève en conséquence de celles qu'il appartient au juge des référés statuant par application de l'article L. 521-3 de prononcer, si l'urgence le justifie" (50).
Cette approche, dont la rusticité ne messied pas à la matière des référés, nous semble concilier le caractère subsidiaire de ce dernier par rapport aux autres procédures d'urgence avec l'utilité que vous avez su lui donner depuis sa consécration législative, sans faire ombrage au privilège du préalable dont le législateur a toujours pris soin qu'il ne puisse le tenir en échec. Nous ne lui avons trouvé comme véritables angles morts que les cas dont, précisément, nous ne croyons pas que le juge du référé mesures utiles doive connaître : ceux où le référé suspension ne pourra pas aboutir, parce les voies de recours seront expirées, ou parce que la mesure litigieuse n'atteindra pas le seuil critique de la justiciabilité, ce qui nous semble exclure -c'est en cela que els deux questions sont liées- qu'elle puisse revêtir un caractère d'utilité. Quant à des faiblesses plus structurelles du référé suspension, à supposer qu'elles existent et que le référé liberté ne suffise pas à les pallier, ce dont nous doutons, nous pensons en tout état de cause qu'on ne saurait renvoyer le soin de les résoudre à une voie de droit subsidiaire entourée de garanties procédurales plus limitées.
Dans ces conditions, nous ne voyons pas d'inconvénient à opposer les décisions de refus à l'intervention du juge du référé conservatoire chaque fois que ce qui lui est demandé revient à paralyser les effets de ce refus. Il est constant que de tels refus existent dans nos espèces, de sorte que vous pourriez substituer ce motif, d'ordre public et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, à celui, si vous l'estimez erroné, retenu par le juge des référés (51).
Nous avons conscience, en suggérant cette architecture, de nous inscrire dans la lignée plutôt restrictive, vis-à-vis du référé conservatoire, dont témoignent vos récentes décisions "Section française de l'Observatoire des prisons" (de Section et de réunies) et "SELARL Docteur Dominique Debray" et "M. Mazer", plutôt que dans l'élan, plus galvanisant, initié par vos décisions "Masier" et "Elissondo Labat". Nous adhérons pourtant pleinement tant à leur lettre qu'à leur esprit. Nous pensons simplement que grâce à ces jurisprudences, et à d'autres qui ont permis aux référés d'urgence, et singulièrement au référé liberté, de remplir leurs promesses au-delà même sans doute de ce qu'avaient imaginé leurs instigateurs, le référé mesures utiles a trouvé une place, que nous ne remettons pas en cause, mais que nous ne trouvons pas nécessaire d'élargir au point d'en faire, plus qu'un juge, un quasi-administrateur.
Par l'ensemble de ces motifs, nous concluons au rejet des pourvois.
(1) C. Landais et F. Lenica, Le réveil du juge du référé conservatoire, in AJDA, 2006, p. 1839.
(2) CE, Sect., 18 juillet 2006, n° 283474 (N° Lexbase : A6569DQD), p. 369.
(3) CE, Sect., 27 mars 2015, n° 385332 (N° Lexbase : A6873NEB), à publier au Recueil.
(4) Le "référé administratif" comptait par les mesures adoptées par l'Assemblée nationale le 26 mars 1953 avant qu'elle ne décide, par l'article 7 de la loi n° 53-611 du 11 juillet 1953, de laisser au pouvoir réglementaire le soin de réformer, par le décret du 30 septembre 1953, le contentieux administratif.
(5) Le texte fut successivement transféré aux articles R. 102 puis, à compter du décret du 2 septembre 1988, R. 102-2 du Code des tribunaux administratifs, avant de figurer, à compter du décret du 7 septembre 1989, à l'article R. 130 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
(6) CE, Ass., 3 mars 1978, n° 94827 (N° Lexbase : A5042AIL), p. 116.
(7) Créé par l'article 9 du décret du 30 septembre 1953, lui-même inspiré de l'article 48 de l'ordonnance du 31 juillet 1945.
(8) Voir, pour l'application de ce principe au référé conservatoire, CE, 14 février 1964, Société anonyme produits chimiques Péchiney Saint Gobain, p. 113 ; CE, 27 février 1974, n° 92403 (N° Lexbase : A8333B87), p. 154 ; CE, 25 octobre 1978, n° 10162 (N° Lexbase : A3155AIP), p. 391.
(9) Appelé à figurer successivement aux articles R. 102 du Code des tribunaux administratifs, R. 128 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, puis R. 532-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3075ALH).
(10) CE, Section, 11 février 2005, n° 259290 (N° Lexbase : A6746DGX), p. 65.
(11) Voir, pour un document pouvant être obtenu dans le cadre de l'instruction d'un litige déjà engagée, CE, 3 mars 2008, n° 308275 (N° Lexbase : A3461D7C), T. p. 862.
(12) "Sans doute au-delà de ce qu'exigeait le strict partage des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire", ainsi que le relevait le Président Stahl, l'un des rédacteurs du rapport du groupe de travail du Conseil d'Etat sur les procédures d'urgence ayant inspiré la loi du 30 juin 2000 (RFDA, 2000.941), dans ses conclusions sur l'affaire "Masier" (CE, Section, 6 février 2004, n° 256719 N° Lexbase : A3537DBM).
(13) CE, 29 avril 2002, n° 240322 (N° Lexbase : A6452AYM), T. p. 876.
(14) Voir, notamment, s'agissant de la communication d'un document, CE, 11 mai 1979, n° 11551 (N° Lexbase : A0017AKT), p. 214 ; s'agissant d'expulsion, CE, Ass., 3 mars 1978, n° 06079, préc.. Voir, sur la notion de mesures provisoires en référé, J. Gourdou et A. Bourrel, Les référés d'urgence devant le juge administratif, L'Harmattan, p. 86 ; P. Cassia, Champ des mesures ordonnées en référé : Provisoires, sauf si...'', in Les référés administratifs d'urgence, LGDJ, p. 142 ; F. Lenica et C. Landais, AJDA, 2007, p. 1237.
(15) CE, Section, 6 février 2004, n° 256719, préc..
(16) M. Maurice Bourgès-Maunoury, intervention devant le Conseil de la République lors de la séance du 28 juin 1955.
(17) CE, Assemblée, 23 janvier 1970, n° 77861 (N° Lexbase : A0341AU8), p. 51)
(18) CE, Sect., 20 décembre 2000, n° 206745 (N° Lexbase : A2049AIQ), p. 64.
(19) V. not., CE, 25 octobre 1978, n° 10162, préc., p. 391 ; CE, 10 mars 1995, n° 158582 (N° Lexbase : A3225ANR), T. pp. 819-967.
(20) Voir les deux décisions très explicites, CE, 18 novembre 2015, n°s 381998 (N° Lexbase : A5627NXP) et 383189 (N° Lexbase : A5629NXR), inédites au Recueil.
(21) CE, 23 février 2011, n° 339826 (N° Lexbase : A7034GZK), T., p. 1077.
(22) CE, Sect., 9 juin 1978, n° 08397 (N° Lexbase : A6580B7T), p. 237.
(23) CE, Sect., 13 juillet 1956, OPHLM du département de la Seine, p. 343 ; CE, 30 octobre 1963, SARL Sonetra représentée par les sieurs Enault et Giraudet, p. 520 ; CE, 29 juillet 2002, n° 243500 (N° Lexbase : A2996AZY), p. 307.
(24) CE, 2 mars 1977, n° 00047 (N° Lexbase : A1584B7S), T. p. 926 ; CE, 22 juin 1977, n° 04799 (N° Lexbase : A5248B8U), p. 288 ; CE, Ass., 3 mars 1978, Lecoq, préc. ; CE Sect., 28 novembre 1980, n° 17732 (N° Lexbase : A6614AIS), p. 453 ; CE, Sect., 2 mars 1990, n° 91687 (N° Lexbase : A5555AQS), p. 59 ; CE Sect., 16 mai 2003, n° 249880 (N° Lexbase : A7833C8M).
(25) CE, Section, 25 janvier 1980, n° 11514 (N° Lexbase : A7541AI7), p. 49 ; CE, 26 mai 1989, n° 96673 (N° Lexbase : A3304AQG).
(26) CE, 9 octobre 2015, n° 393895 (N° Lexbase : A1212NT3), à publier au Recueil.
(27) CE, Ass., 1er mars 1991, n° 118382 (N° Lexbase : A1130B7Y), p. 78 ; CE, Sect., 9 juillet 1997, n° 163099 (N° Lexbase : A0898AEY), p. 298 ; CE, 10 mars 2005, n° 278035 (N° Lexbase : A2873DHU), p. 99.
(28) CE, 11 mai 1979, n° 11551, préc., p. 214 ; CE, 6 juin 1980, n° 17547 (N° Lexbase : A8453AIW), T. p. 835 ; CE, 26 mars 1982, n° 34200 (N° Lexbase : A7872AKR), p. 137 ; CE, 28 mai 1984, n° 49098 (N° Lexbase : A7005ALZ), p. 191 ; CE, 9 avril 1998, n° 195453 (N° Lexbase : A9783AYY), p. 176.
(29) CE, 29 avril 2002, n° 228830 (N° Lexbase : A6368AYI), p. 157.
(30) CE, Sect., 18 juillet 2006, n° 283474, préc., s'agissant de l'injonction au responsable du dommage de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou mettre un terme aux dangers immédiats présentés par l'état d'un l'immeuble.
(31) CE, Sect., 16 novembre 2011, n°s 353172, 353173 (N° Lexbase : A9195HZL), p. 552.
(32) CE, 8 mars 2010, n° 331115 (N° Lexbase : A1658ETL), p. 68.
(33) CE, 23 juillet 2014, n° 379875 (N° Lexbase : A7358MU3).
(34) CE, 26 octobre 2011, n° 350081 (N° Lexbase : A0840HZ7), T. pp. 838-999-1079-1082.
(35) CE, 18 juillet 2011, n° 343901 (N° Lexbase : A3199HWE), p. 366.
(36) CE, Sect., 27 mars 2015, n° 385332, préc..
(37) Voir aussi, pour l'adoption de mesures de contrôle de la mise en oeuvre d'une réglementation, CE, 23 octobre 2015, n° 383938 (N° Lexbase : A0332NUT), à mentionner aux Tables.
(38) CE, 14 décembre 2007, n° 290730 (N° Lexbase : A0918D3E), p. 495 et CE, 14 décembre 2007, n° 290420 (N° Lexbase : A0917D3D), p. 474.
(39) Voir les mesures prescrites pour assurer la dignité des personnes détenues à la prison des Baumettes par l'ordonnance, CE, 22 décembre 2012, n°s364584 364620 364621 364647 (N° Lexbase : A6320IZ4), p. 496.
(40) CE, 26 octobre 2011, n° 350081, préc..
(41) CE, 9 octobre 2015, n° 391425 (N° Lexbase : A1194NTE).
(42) CE, 16 décembre 2008, n° 316027 (N° Lexbase : A8903EBD), inédite pour un refus d'octroi d'une licence ; voir parmi d'autres, CE, 12 décembre 2008, n° 322349 (N° Lexbase : A8934EBI), inédite pour un refus de visa ; CE, 5 février 2009, n° 324589 (N° Lexbase : A1177EDX), inédite, pour un refus d'admission à concourir.
(43) CE, 11 mai 2001, n° 231802 (N° Lexbase : A7155AT8), T. p. 1099.
(44) Voir, sur ce point, les conclusions d'Emmanuel Glaser sur CE, 26 octobre 2005, n° 279441 (N° Lexbase : A1432DLM), p. 447.
(45) Voir cette fois les conclusions d'Edouard Crépey sur les affaires Section française de l'OIP précitée.
(46) Sauf, dans certains cas, en matière d'expulsion, CE, 24 novembre 2006, n° 291294 (N° Lexbase : A7652DS9), p. 494.
(47) Voir, sur cette articulation en matière de travaux publics, CE Sect., 16 novembre 2011, préc..
(48) CE, 8 mars 2010, n° 331115 (N° Lexbase : A1658ETL), p. 68.
(49) CE, 18 juillet 2011, n° 343901, préc..
(50) Voir également en ce sens la rédaction de votre récente décision CE, 23 octobre 2015, n° 383938, préc..
(51) Voir, pour une substitution de motifs identique, CE, 16 décembre 2008, n° 316027 (N° Lexbase : A8903EBD).
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Réf. : Cass. crim., 10 février 2016, n° 16-80.510, FS-P+B (N° Lexbase : A4510PZ3)
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Le 25 Février 2016
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 17 février 2016, n° 374928, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4124PLC)
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Le 03 Mars 2016
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Réf. : Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-18.434, FS-P+B (N° Lexbase : A5617N4S)
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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour
Le 25 Février 2016
Afin d'éviter d'avoir à prononcer la cassation de l'arrêt d'appel, la Cour suprême commence par rappeler l'apport de cette décision communautaire ayant précisé que, dans le contexte particulier d'une "famille" ou d'une "série" de marques, l'usage d'une marque ne saurait être invoqué aux fins de justifier de l'usage d'une autre marque. La Cour retient ainsi que, la demanderesse à l'action s'étant prévalue de l'appartenance de sa marque "Micro Rain" à une famille de 16 marques composées autour du terme "Rain", utilisé comme suffixe ou préfixe, pour désigner les produits et services proposés dans le cadre de son activité de fabrication et de commercialisation de systèmes d'irrigation agricole, elle ne pouvait invoquer l'usage de la marque "Mini Rain" pour soustraire la marque "Micro Rain" à la sanction de la déchéance.
Où l'on constate que si la "famille de marques" bénéficie d'une protection renforcée en matière d'oppositions communautaires (I), elle se voit étrangement appliquer un régime dérogatoire et défavorable lorsqu'il s'agit de la déchéance pour défaut d'usage (III). Le principe reste toutefois que l'exploitation d'une marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif lui permet d'échapper à la sanction de la déchéance, peu important que cette forme modifiée ait elle-même fait l'objet d'un enregistrement à titre de marque (II).
I - La "famille de marques", enfant chéri du droit des marques communautaire
En l'absence de fondement textuel, le concept de "famille de marques" apparaît comme une pure création jurisprudentielle communautaire (4). Lorsqu'une opposition à une demande de marque communautaire est fondée sur plusieurs marques antérieures et que ces marques présentent des caractéristiques incitant à les considérer comme faisant partie d'une série, un risque de confusion est susceptible d'être créé par la possibilité d'association entre la marque contestée et ces marques antérieures sérielles. L'existence d'une "famille de marques" est alors prise en considération dans le cadre de l'appréciation globale du risque de confusion (5). C'est ainsi que le régime juridique des "familles de marques" est appréhendé au sein des Directives d'opposition mises en ligne par l'OHMI (Partie C), dans un chapitre 6 "autres facteurs" d'une section 2 ("double identité et risque de confusion").
La notion de concept de "famille de marques" est donc étroitement liée à une particularité procédurale communautaire (6) : la possibilité d'invoquer cumulativement différent droits antérieurs -et donc plusieurs droits de marques- pour s'opposer à une demande d'enregistrement de marque communautaire. Il est en effet admis qu'un risque d'association peut exister même lorsque la comparaison entre la marque demandée et les marques antérieures, prises chacune isolément, ne permet pas d'établir l'existence d'un risque de confusion direct (7).
A l'inverse, la notion de "famille de marques" n'a pas cours dans le cadre des oppositions dont l'INPI a à connaître, l'Office français rappelant régulièrement que les arguments tirés de l'existence d'une "famille de marques" sont extérieurs à la procédure ; pour cause, la procédure française ne permettant de fonder une opposition jusqu'à présent que sur un unique droit antérieur (8).
Pour être complet, il convient de préciser que la prise en compte des "familles de marques" a été étendue aux oppositions formées à l'encontre de marques communautaires sur le fondement d'une marque jouissant d'une renommée. Elle n'intervient pas alors au niveau de l'appréciation du risque de confusion mais comme l'un des facteurs permettant d'établir un caractère distinctif /une renommée accru de la marque antérieure opposée (9). En revanche, le Tribunal de l'Union européenne considère que le concept de "famille de marques" ne relève pas des motifs absolus de refus (10).
Afin de pouvoir bénéficier du régime de protection prétorienne élargie dont bénéficient les "familles de marques", l'opposant doit naturellement établir l'existence de cette famille. Dans le silence des textes, les contours de cette notion n'ont pu se préciser qu'au fil des décisions rendues par l'OHMI et les juridictions communautaires saisies. Depuis 2015, les Directives d'opposition de l'OHMI fixent à 3 marques (en principe enregistrées) le seuil minimum à partir duquel une famille pourrait être caractérisée (11). Au-delà de cette approche purement numérique, il est désormais admis qu'une "famille de marques" existe, notamment, lorsque plusieurs marques contiennent un même élément distinctif ou répètent un même préfixe ou suffixe extrait d'une marque originaire ; l'élément commun qui caractérise la famille occupe alors en principe la même position au sein des marques sérielles (12). En revanche, le constat que d'autres éléments des signes antérieurs ont un plus grand impact dans l'impression d'ensemble produite par ces signes est de nature à écarter l'existence d'une "famille". C'est ainsi que les marques "Unifonds", "Unirak" et "Unizins" de la société Unicrédit constituent une "famille de marques", étant composées d'un élément commun "Uni" en position initiale, auquel sont accolés, sans coupure, des termes ayant un caractère descriptif ou non distinctif des produits financiers (13) ; il en va de même s'agissant des marques "Citicorp", "Citigroup", "Citibond" et "Citequity" (14).
Ainsi que le relevait l'Avocat général dans l'affaire "Brainbridge", la "famille de marques" n'est pas enregistrée en tant que telle et ne peut donc pas bénéficier d'une protection en tant que telle. Pour qu'il existe un risque que le public se méprenne quant à l'appartenance à une "famille de marques" ou une série de la marque dont l'enregistrement est demandé, les marques antérieures faisant partie de cette "famille" ou "série" doivent donc être présentes sur le marché. En découle l'exigence, pour la partie qui entend se prévaloir d'une famille, de soumettre la preuve de l'usage "d'un nombre suffisant de marques pour être perçues par le consommateur moyen comme constituant une série" (15). L'Avocat général précisait alors que cet usage devait être "effectif", critère régulièrement rappelé par la jurisprudence communautaire ultérieure. En revanche, il n'est nullement nécessaire que le public pertinent perçoive les marques présentes sur le marché comme constituant une série (16).
A défaut de la preuve de l'usage d'un nombre suffisant de marques pour constituer une famille, le risque de confusion devra être apprécié en comparant chacune des marques antérieures prises isolément avec la marque demandée (17).
Après avoir isolé un élément commun distinctif au sein de la "famille de marques", il convient de vérifier si celui-ci est repris au sein du signe contesté, générant ainsi un risque de confusion par association. La marque objet de l'opposition devra donc non seulement être similaire à la famille dans son ensemble mais également présenter les caractéristiques capables de l'associer à cette série, amenant le public à croire que la marque contestée fait également partie de la famille c'est-à-dire que les produits et services en cause pourraient provenir de la même entreprise ou d'entreprises liées (18). Le risque d'association sera en revanché écarté si, au sein de la marque contestée, l'élément commun se situe dans une position différente de celle dans laquelle il apparaît généralement dans les marques de la série ou s'il présente un contenu sémantique différent (19).
II - Enregistrements de marques et déchéance : l'histoire d'une valse-hésitation en trois temps
Le droit des marques est un droit d'appropriation, soumis à une obligation corollaire d'usage sérieux prévue à l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3738ADS), transposant en droit interne l'article 10 de la Directive 89/104 du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (N° Lexbase : L9827AUI) (20). Cette exigence, rigoureuse en son principe, connaît néanmoins des adaptations afin de prendre en considération les réalités propres à la vie des affaires et à la nécessaire évolution des marques dans le temps. Il est donc admis que l'usage d'une marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif est suffisant pour échapper à la sanction de la déchéance.
Afin de sécuriser leurs droits, certains titulaires avaient toutefois jugé plus prudent de procéder à de nouveaux dépôts au fur et à mesure de l'évolution de leur marque d'origine. La démarche semblait pleine de bon sens. Sauf que, par une importante affaire "Brainbridge", le Tribunal de l'Union européenne y a mis un sérieux coup de frein en jugeant que l'enregistrement à titre de marque d'un second signe empêchait que son exploitation puisse servir de preuve de l'utilisation d'une marque menacée de déchéance, quand bien mêmes les signes en cause ne différeraient que par des éléments n'en altérant pas le caractère distinctif. Il s'agissait ainsi d'empêcher qu'une même série de preuves d'usage puisse être produite afin de faire échec à la déchéance de deux enregistrements distincts (21).
Saisie sur renvoi, la CJUE a confirmé l'analyse du Tribunal (22). Sa position semblait alors d'autant plus mûrement réfléchie qu'elle était rendue dans le cadre d'un obiter dictum, c'est-à-dire sans nécessité au regard des faits de l'espèce (23) ; pour cette raison, l'Avocat général s'était, pour sa part, abstenu d'émettre une opinion, estimant "inutile" de traiter cette question.
En suite de l'arrêt "Brainbridge", la Cour de cassation avait opéré le, 16 février 2010, un premier revirement de sa jurisprudence (24), approuvant donc la cour d'appel de Paris d'avoir relevé qu'en déposant diverses marques, leur titulaire avait entendu les distinguer, de sorte que l'exploitation de l'une ne saurait constituer la preuve de l'exploitation des autres.
Dans ce contexte, c'est peu de dire que la "volte-face" apparente (25) opérée par la Cour de justice au terme de son arrêt "Rintisch" du 25 octobre 2012 (26) a été accueillie avec soulagement par la doctrine (27) aussi bien que par les titulaires de marques, que la jurisprudence antérieure privait de la date d'antériorité liée au premier dépôt. Se livrant à une analyse textuelle et téléologique des dispositions de l'article 10 §2 sous a) de la Directive 89/104, la Cour en déduit que cette disposition ne s'oppose pas à ce que l'usage d'une marque sous une forme modifiée mais n'en altérant pas le caractère distinctif puisse lui permettre d'échapper à la sanction de la déchéance, peu important le fait que cette forme différente ait elle-même été enregistrée en tant que marque.
Effectivement, le libellé de l'article 10 précité n'opère aucune distinction selon que la forme différente sous laquelle la marque est utilisée a, ou non, fait l'objet d'un enregistrement à titre de marque : conformément au principe ubi lex non distinguit, il n'y a donc pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas en ajoutant une condition non prévue par les textes (28) (point 20). S'agissant de la finalité de cette disposition, la CJUE rappelle qu'elle vise à permettre au titulaire de la marque d'apporter aux signes, à l'occasion de son exploitation commerciale, les variations qui, sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l'adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés (point 21).
Le résultat auquel parvient la Cour de justice dans l'affaire "Rintisch" convainc pleinement, correspondant d'ailleurs à l'état de la jurisprudence de la Cour de cassation en 2006 (29). Sans surprise, la Chambre commerciale s'est dès lors empressée de revenir à sa position initiale par un revirement du 3 juin 2014, publié au Bulletin (30).
Le dénouement final viendra comme souvent du législateur communautaire. Le Règlement n° 2015/2424 du 16 décembre 2015 (N° Lexbase : L3614KWR) (31), qui entrera en vigueur le 23 mars 2016, souligne à son considérant 23, que "pour des raisons d'équité et de sécurité juridique, l'usage d'une marque de l'Union européenne (32) sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée devrait suffire à préserver les droits conférés, que la marque ait ou non été aussi enregistrée sous la forme sous laquelle il en est fait usage". L'article 15 §1 du Règlement dispose ainsi que l'usage faisant échec à la déchéance peut prendre la forme d'un usage sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas le caractère distinctif de la marque, "que la marque soit ou non aussi enregistrée sous la forme utilisée au nom du titulaire". A noter que la formulation de l'article 15 n'a que très légèrement évolué au fil des travaux communautaires (33). Une Directive communautaire devrait également être prise dans les prochains mois afin d'organiser la refonte du droit des marques ; curieusement, le libellé français figurant dans le projet signé le 16 décembre 2015 par le président du Parlement européen et le président du Conseil diffère très légèrement de celui du Règlement (à l'inverse du libellé anglais) (34).
III - La "famille de marques", parent pauvre du régime de la déchéance
Comment la Cour de justice est-elle parvenue à justifier la "volte-face" opérée par l'arrêt "Rintisch", dont elle prend soin de préciser qu'il ne serait "pas en contradiction" avec sa jurisprudence antérieure, au grand scepticisme de la doctrine (35) ? En tentant de cantonner la solution retenue dans l'arrêt "Brainbridge" au contexte particulier de cette affaire faisant intervenir une "famille de marques" ; en d'autres termes, le principe -contrairement à ce que pouvait laisser penser l'arrêt du 13 septembre 2007- reste que l'enregistrement de la marque telle que concrètement exploitée est sans incidence, dès lors qu'elle ne diffère de la marque première que par des éléments n'en altérant pas le caractère distinctif. En revanche, s'agissant des "familles de marques", la Cour rappelle que "l'usage d'une marque ne saurait être invoqué aux fins de justifier de l'usage d'une autre marque, dès lors que le but est d'établir l'utilisation d'un nombre suffisant de marques d'une même famille" (36).
L'analyse menée par la Cour de justice peut apparaître quelque peu artificielle, l'arrêt "Braindbridge" n'évoquant précisément nullement l'hypothèse d'une "famille de marques" dans ses développements sur la déchéance (points 78 à 87). Surtout, la formulée utilisée dans l'arrêt "Rintisch" semble curieuse, présentant l'exigence de la preuve de l'usage de chacune des marques comme une condition pour établir l'existence d'une "famille de marques" (dans le cadre de la preuve du risque de confusion par association), alors pourtant que le débat est censé porter sur la déchéance pour défaut d'usage. D'ailleurs, à aucun moment, la Cour ne s'intéresse à l'exigence de modifications n'altérant pas le caractère distinctif de la marque, pourtant essentielle en matière de déchéance. La Cour amalgame donc deux notions distinctes, aboutissant apparemment à soumettre les "familles de marque" à un régime plus rigoureux que la moyenne en matière de déchéance.
Cela étant, il est constant que, pour pouvoir valablement invoquer l'existence d'une "famille de marques" et bénéficier de la protection élargie qui y est associée, le demandeur doit prouver l'usage effectif de chacune des marques de la série ; pour cette raison, il ne saurait se prévaloir de l'usage d'une marque sérielle au bénéfice d'une autre. L'affirmation de la Cour de justice dans l'affaire "Rintisch" -selon laquelle "l'usage d'une marque ne saurait être invoqué aux fins de justifier de l'usage d'une autre marque, dès lors que le but est d'établir l'utilisation d'un nombre suffisant de marques d'une même famille"- nous semble alors parfaitement valable. Toutefois, il s'agit de circonstances bien particulières, dans lesquelles l'enregistrement matérialise l'existence d'une marque distincte, certes proche de ses marques "soeur" mais s'en différenciant plus que par de simples "modifications n'en altérant pas le caractère distinctif" (37) ; par définition, nous ne sommes plus alors dans une hypothèse de déchéance telle qu'envisagée dans l'affaire "Brainbridge". L'arrêt "Rintisch" souffre malheureusement de cette incohérence.
L'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 19 janvier 2016 mérite l'approbation, en ce qu'il fait une application fidèle des enseignements de la dernière jurisprudence communautaire. Pour autant, le résultat auquel parvient la Cour de cassation nous semble symptomatique des limites de l'arrêt "Rintisch". En premier lieu, il est permis de douter que le demandeur cherchait véritablement à établir l'existence juridique d'une "famille de marques" afin de bénéficier des effets de cette qualification ; d'ailleurs, quel intérêt aurait-il pu avoir à invoquer l'existence d'un concept, dont nous avons vu qu'il n'a pas véritablement cours en droit français et reste pour l'heure cantonné à une application communautaire ? Au surplus, il semble résulter de l'arrêt d'appel que seules deux marques étaient invoquées en demande, chiffre insuffisant pour composer une "famille". Dès lors, la "famille de marques" n'aurait-elle pas été évoquée plus qu'invoquée ?
En second lieu, il nous semblait difficile de soutenir que le signe "Mini Rain" effectivement exploité constituait une simple évolution commerciale de la marque "Micro Rain". Les différences réelles entre ces signes faisaient au contraire pencher pour deux marques bien distinctes ; pour cette raison, l'exploitation de l'une ne pouvait, selon nous, valoir exploitation de l'autre. Dès lors, si la solution juridique retenue nous semble devoir être approuvée, c'est d'avantage parce que la condition d'usage sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif faisait manifestement défaut (peu important l'existence d'un enregistrement à titre de marque) qu'en raison de l'application d'un régime dérogatoire propre aux "familles de marques", dont la justification reste obscure.
Où l'on constate qu'il est finalement d'un intérêt limité, voire contre-productif, d'évoquer l'existence d'une "famille de marques" devant les juridictions françaises alors que, à l'inverse, il peut être avantageux d'invoquer ce concept devant les juridictions communautaires.
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Réf. : Cass. soc., 17 février 2016, deux arrêts, n° 14-23.854, FS-P+B (N° Lexbase : A4622PZ9) et n° 14-25.711, FS-P+B (N° Lexbase : A4534PZX)
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Le 02 Mars 2016
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Réf. : Cass. soc., 18 février 2016, n° 14-12.614, FS-P+B (N° Lexbase : A4654PZE)
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Le 08 Mars 2016
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par June Perot - Rédactrice en droit privé
Le 25 Février 2016
Valérie Depadt : La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades (N° Lexbase : L1457AXA), aborde la question de la fin de vie en termes de participation du malade à toute décision concernant sa santé. Ainsi, elle dispose que "le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix", tout en précisant que "si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables".
Cependant, ces mesures sont apparues insuffisantes face à la gravité des situations dans lesquelles les médecins et les proches des personnes demandant qu'il soit mis fin à leurs souffrances, au prix de leurs vies, se trouvaient confrontés.
Le débat sur la nécessité de légiférer avait commencé depuis plusieurs années lorsque le cas de Vincent Humbert, décédé le 26 septembre 2003, contribua largement au vote d'une loi spécifique à la fin de vie. Dans cette affaire, largement médiatisée, un médecin avait administré une substance mortelle à un jeune tétraplégique, agissant sur la demande de la mère de ce dernier, qui lui-même avait écrit au Président de la République pour lui demander qu'un médecin soit autorisé à mettre fin à ses jours.
Quelques mois plus tard, une mission d'information sur l'accompagnement de la fin de vie, présidée par le député Jean Léonetti, fut mise en place. Elle déposa en juin 2004 un rapport d'information et une proposition de loi.
La loi relative aux droits des malades et à la fin de la vie, promulguée le 22 avril 2005 (N° Lexbase : L2540G8L), traduit la réponse du législateur français de l'époque à la question de la prise en charge de la fin de vie et, précisément, de l'acte létal. Refusant tant l'euthanasie que le suicide assisté, la France "a opté pour un encadrement de bonnes pratiques médicales et a pris le parti de faire prévaloir l'expression des solidarités collectives sur une vision individualiste de la personne humaine"(1).
La loi de 2005, sans d'aucune façon dépénaliser l'euthanasie, définit les droits de la personne malade en fin de vie. En ce qu'elle attache une importance cruciale à la volonté de la personne, elle distingue diverses situations liées à l'état des patients, notamment selon qu'ils sont ou non en état de manifester leur volonté.
Son insertion dans le Code de la santé publique a conduit à la création d'une section, intitulée "Expression de la volonté des malades en fin de vie".
Le 14 décembre 2006, les dispositions fixées dans ce texte furent transposées dans le Code de déontologie médicale, aux articles 36 (C. santé. pub., art. R. 4127-36 N° Lexbase : L8714GTW), 37 (C. santé. pub., art. R. 4127-37 N° Lexbase : L5241IG9) et 38 (C. santé. pub., art. R. 4127-38 N° Lexbase : L8319GTB). Le premier oblige le médecin à respecter le refus de soins exprimé par le malade, le deuxième exclut l'obstination déraisonnable et le troisième prohibe le fait de provoquer délibérément la mort.
La loi, qui traduit "une recherche d'équilibre entre la protection de la vie et la demande des malades à mourir sans souffrir"(2), envisage la fin de vie au travers de la condamnation de l'obstination déraisonnable, de la possibilité d'arrêt des traitements et de l'administration de traitements antalgiques susceptibles d'entraîner la mort. Elle fait oeuvre de pédagogie à deux titres. Tout d'abord, elle réaffirme les droits des patients tels qu'ils figurent dans la loi de 2002, mais elle enrichit l'arsenal existant de certaines mesures dictées par les impératifs de participation du patient à la décision médicale, donc d'information et de consentement, ainsi que de transparence de la procédure. Ensuite, elle procède à la codification des bonnes pratiques médicales.
L'article L. 1110-5 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4249KYZ), dans ses dispositions issues de la loi du 4 mars 2002, reconnaît à toute personne "compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées". A la suite de cet alinéa, il en est ajouté un second, marquant clairement la condamnation de l'obstination déraisonnable, par la référence aux trois critères de l'inutilité, de la disproportion et du seul maintien artificiel de la vie comme raison d'être de la poursuite des soins. De fait, il s'y trouve énoncé que "ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10 (N° Lexbase : L4543DLT)".
L'article précité, dans son dernier alinéa, également issu de la loi du 22 avril 2005, consacre ce qu'on appelle la théorie du double effet. Il en ressort que "si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade [...] la personne de confiance [...], la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical". Cette disposition trouve sa justification dans la volonté de soulager les douleurs du patient, en aucune façon de permettre un acte destiné à abréger la vie. C'est pourquoi elle ne doit pas être comprise comme la traduction d'un droit à l'euthanasie, qu'il s'agisse d'euthanasie indirecte ou passive.
La loi du 22 avril 2005 vise également le développement des soins palliatifs, défini par l'article L. 1110-10 du Code de la santé publique comme "des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile". Le texte définit ensuite leur objectif, en énonçant qu'"ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage".
Malgré les avancées réalisées en matière de soins palliatifs, ceux-ci restent insuffisamment développés en France. A la suite d'un rapport parlementaire consacré à cette question, publié en 2008, le Conseil d'Etat a souligné "combien la législation en vigueur sur les soins palliatifs et la prise en charge de la douleur est encore insuffisamment appliquée dans notre pays".
Le rapport a mis l'accent également sur le manque de formation des médecins (3), de même que la méconnaissance par le corps médical des dispositions de la loi de 2005, dont témoigne certainement l'utilisation des soins palliatifs. Effectivement, la médecine palliative prend le relais de la médecine curative lorsque celle-ci constate son impuissance, alors qu'il serait souhaitable que ces soins interviennent en début de traitement, dès qu'ils apparaissent nécessaires.
Prenant acte de ces critiques, le chef de l'Etat, en 2012, confia au Professeur Sicard la présidence d'une commission chargée d'évaluer la loi de 2005, dans le cadre d'une réflexion sur la fin de vie. Le rapport de cette commission, publié en décembre 2012, plaide essentiellement pour une application effective de la loi de 2005, un renforcement des directives anticipées et le développement de l'enseignement des soins palliatifs.
De son côté, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), dans un avis rendu public le 28 juin 2013 (Avis CCNE n° 121, 13 juin 2013 N° Lexbase : X3174AMI), appelait de ses voeux la nécessité de rendre accessible à tous le droit aux soins palliatifs, ainsi que la mise en oeuvre de directives anticipées contraignantes pour les soignants. La majorité de ses membres recommandait de ne pas légaliser l'assistance au suicide et/ou l'euthanasie, mais le comité se déclarait favorable à un droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu'au décès si elle en fait la demande, lorsque les traitements ont été interrompus. Le 14 décembre 2013, une conférence des citoyens instituée à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique avait défendu l'idée d'une exception d'euthanasie, appréciée dans des cas particuliers par des commissions locales. Antérieurement, le 8 février 2013, le Conseil national de l'Ordre des médecins avait milité pour l'introduction d'un droit à la sédation terminale dans des situations exceptionnelles.
C'est ainsi que le 20 juin 2014, le Premier ministre confia aux députés Alain Claeys et Jean Léonetti la mission de revoir la loi du 22 avril 2005.
Le 21 octobre 2014, le CCNE publia un rapport rendant compte du débat public initié depuis deux ans (Rapport CCNE). Dressant un constat sévère sur la situation réelle des personnes en fin de vie, il adhérait aux propositions en faveur du caractère contraignant des directives anticipées et d'une sédation profonde jusqu'au décès, mais aussi, il ouvrait une réflexion sur la délibération et la décision collective relatives aux arrêts de traitement.
C'est dans ce contexte que fut élaborée la loi du 2 février 2016 (N° Lexbase : L4191KYU), créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, loi résolument tournée vers les droits des malades. Le texte de la loi reconnaît donc un droit à la sédation profonde et continue pour accompagner l'arrêt de traitement, mais également, dans certaines conditions, lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté. La loi a également modifié le statut des directives anticipées.
Lexbase : Pouvez-nous nous exposer les modalités du nouveau "droit à une sédation" instauré par l'article L. 1110-5-2 du Code de la santé publique ?
Valérie Depadt : Il convient tout d'abord de préciser que la pratique de la sédation existe déjà, notamment dans certains services de soins palliatifs ou des services hospitaliers spécialisés dans les maladies graves. Mais cette pratique est loin d'être générale et homogène. Le nouvel article L. 1110-5-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4209KYK) encadre cette pratique qui doit répondre à la demande de la personne atteinte d'une maladie grave et incurable. Désormais, le patient qui souhaite éviter toute souffrance et ne pas subir d'obstination déraisonnable, peut demander à bénéficier d'une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie.
Cette possibilité d'une sédation continue jusqu'au décès devrait permettre de mettre fin à la pratique consistant à réveiller le patient pour lui demander de réitérer son choix. L'article prévoit deux hypothèses dans lesquelles cette sédation peut être mise en oeuvre : lorsque le patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ; lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable. Le législateur a entendu insister sur l'obligation de coordonner cette sédation avec un arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie. En effet, les praticiens ont considéré que ne pas associer ces deux actes médicaux serait incohérent, les effets de l'un contrariant les effets de l'autre. Il s'agit donc, en pratique, d'arrêter tout traitement thérapeutique : techniques invasives de réanimation, traitements antibiotiques ou anticoagulants mais, également, traitements dits "de survie", parmi lesquels la nutrition et l'hydratation artificielles.
L'alinéa 2 de l'article L. 1110-5-2 envisage l'hypothèse dans laquelle le patient n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté. A cet égard, c'est au titre du principe du refus de l'obstination déraisonnable, posé par l'article L. 1110-5-1 (N° Lexbase : L4208KYI), que le médecin a l'obligation d'appliquer une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie. Dans tous les cas, cette sédation ne peut être mise en oeuvre qu'après avoir respecté la procédure collégiale qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application sont remplies. Si ces conditions sont réunies et que la décision d'arrêter le traitement de survie d'un patient hors d'état de s'exprimer est prise, il est reconnu à ce dernier le droit à une sédation profonde et continue.
Lexbase : Si on comprend bien que l'intérêt de la sédation est d'accompagner au mieux le malade et d'éviter toute souffrance, pour autant, la frontière entre la sédation dans le but d'apaiser, avec pour conséquence la mort, et la sédation euthanasique aux fins de la mort existe-t-elle vraiment ?
Valérie Depadt : La sédation, telle qu'instaurée par la loi du 2 février 2016, est un moyen de lutter contre la douleur, physique et psychique, de la personne en fin de vie. Elle entraîne l'altération de la conscience jusqu'au décès, la posologie administrée rendant impossible l'éveil du patient.
Le rapport de la commission "Sicard" de 2012, "penser solidairement la fin de vie" (Rapport Sicard) avait suggéré, pour sa part, la décision d'un "geste létal" ou d'un "geste accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort". L'Ordre des médecins, de son côté, a pris position dans les débats et préconisé une "sédation adaptée, profonde et terminale", accompagnée d'une clause de conscience à la disposition des médecins. La sédation en question n'est donc, en aucun cas, une sédation létale puisqu'elle ne provoque pas le décès, elle est un soin, un geste accompli par le médecin pour soulager le patient. L'intention qui précède et accompagne le geste n'est pas de mettre fin à la vie, mais de soulager les souffrances dans des cas où soit l'avancement de la maladie, soit la décision de cesser les traitements thérapeutiques rend la fin de la vie proche, en d'autres termes, ceux employés par le législateur, "lorsque le pronostic vital est engagé à court terme".
Ainsi, la frontière entre l'euthanasie volontaire et la sédation profonde peut sembler ténue mais, pour autant, elle existe bel et bien.
Lexbase : Les directives anticipées existaient déjà dans la loi de 2005. Quel est l'apport de la loi de 2016 les concernant ?
Valérie Depadt : La possibilité de rédiger des directives anticipées a été introduite dans la loi du 22 avril 2005 et figurait déjà à l'article L. 1111-11 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4253KY8). L'article prévoyait que "toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté". Ces directives indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie, concernant les conditions de la limitation ou de l'arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. Deux décrets du 6 février 2006 (décret n° 2006-119 N° Lexbase : L6130HG7 et décret n° 2006-120 N° Lexbase : L6131HG8) étaient venus définir, pour le premier, les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées par lesquelles toute personne peut indiquer ses souhaits relatifs à sa fin de vie et, pour le second, les modalités de mise en oeuvre de la procédure collégiale préalable à toute décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Cette procédure prévoit que le médecin doit se réunir avec l'équipe de soins et inviter un médecin consultant extérieur avant toute prise de décision.
La volonté du législateur de 2005 d'instaurer un dialogue entre le corps médical et les proches de la personne malade prend tout son sens lorsque cette dernière est en état d'inconscience. Lorsque la limitation ou l'arrêt de traitement est susceptible de mettre en danger la vie d'une personne inconsciente, la loi "Léonetti" de 2005 imposait au médecin de respecter la procédure collégiale telle que définie à l'article 37 du Code de déontologie médicale, ainsi que, le cas échéant, de consulter la personne de confiance. A défaut d'une personne de confiance, le médecin était tenu de consulter les proches et, si elles avaient été rédigées, les directives anticipées de la personne.
Les directives anticipées n'étaient qu'une des données de la décision du médecin, elles ne s'imposaient pas à lui.
De plus, l'examen de l'application de ce dispositif a démontré qu'elles étaient d'une part méconnues, tant du corps médical que de la population, d'autre part difficiles d'accès, notamment en cas d'urgence. En pratique, ces directives anticipées n'ont été rédigées que par un nombre infime de personnes en fin de vie (seulement 2,5 % en 2012 et 36 % jugeait cela inutile).
Dès lors, le législateur a entendu renforcer le rôle de ces directives. La loi du 2 février 2016 leur a donc conféré un nouveau régime et davantage de force contraignante. A cet égard, l'article L. 1111-11 du Code de la santé publique dispose désormais que "les directives anticipées s'imposent au médecin pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de traitement". Elles sont révisables et révocables à tout moment et sans limitation de durée. Sur la forme, elles peuvent être rédigées conformément à un modèle dont le contenu sera fixé ultérieurement par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Haute autorité de santé.
Le principe de leur opposition au médecin connaît cependant certaines limites, "en cas d'urgence pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation" ou lorsqu'elles "apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale". La décision de refus d'application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches.
Concernant la conservation de ces directives, la loi a prévu de définir, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les conditions d'information des patients et les conditions de validité, de confidentialité et de conservation. Elles seront notamment conservées sur un registre national et un rappel de leur existence sera régulièrement adressé à leur auteur. Le recours à ces directives devrait vraisemblablement se démocratiser dans la mesure où le médecin traitant doit informer ses patients de la possibilité et des conditions de leur rédaction.
Lexbase : Que se passe-il dans l'hypothèse où aucune directive anticipée n'a été rédigée ?
Valérie Depadt : En l'absence de directives anticipées, lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable est hors d'état de manifester sa volonté, le médecin a l'obligation de s'enquérir de la volonté de cette personne. Pour ce faire, il recueille le témoignage de la personne de confiance ou, si elle n'a pas été désignée, de tout autre témoignage de la famille ou des proches.
En effet, la loi du 4 mars 2002 a permis à toute personne de désigner une personne de confiance, qui sera consultée sur la décision à prendre au cas où elle-même serait hors d'état de décider par elle-même (C. santé. pub., art. L. 1111-6 N° Lexbase : L4254KY9). Cette personne peut être un parent, un proche ou le médecin traitant. Il faut bien comprendre que la personne de confiance porte la parole du patient, en aucun cas elle ne substitue sa volonté à celle du patient.
Près de quinze ans après la loi qui l'a instituée, la désignation d'une personne de confiance reste une démarche à laquelle il est rarement recouru dans la mesure où, au même titre que les directives anticipées, elle est méconnue du public. La loi du 2 février 2016 tend à généraliser la désignation d'une personne de confiance, en précisant son rôle dans le sens d'un renforcement de ses pouvoirs au travers de l'article L. 1111-6 nouveau "elle [la personne désignée] rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage".
Dans le cas particulier où aucune directive anticipée n'a été rédigée et aucune personne de confiance désignée, le médecin doit se tourner vers la famille ou les proches afin de s'enquérir de la volonté de la personne. Il est souhaitable que ce type de situations devienne exceptionnel, l'affaire "Lambert" ayant tristement démontré les problèmes que peuvent entraîner ce type de témoignages entre les membres de la famille.
Lexbase : Cette loi aura-elle un impact sur les cas similaires à celui de Vincent Lambert ?
Valérie Depadt : Dans le cas de Vincent Lambert, le temps des mesures anticipatives comme la rédaction des directives anticipées ou la désignation d'une personne de confiance est dépassé.
Pour autant, Vincent Lambert n'est pas en fin de vie. Son pronostic vital n'est pas engagé à court terme dès lors que les traitements qui le maintiennent en vie sont poursuivis.
Il reste la question de l'arrêt des traitements, associé à une sédation profonde. Or, la loi de 2005 traite cette question et sur ce point, la loi de 2016 ne fait que reprendre ses dispositions en réservant cette décision au médecin, à l'issue d'une décision collégiale, dans le cas d'une obstination déraisonnable. La notion d'obstination déraisonnable reste définie par les trois critères de l'inutilité, de la disproportion ou du seul maintien artificiel de la vie.
Dans la mesure où, au terme d'une procédure collégiale déjà deux fois suivie, sa situation est appréciée comme relevant d'une obstination déraisonnable, il pourrait être décidé d'arrêter les traitements qui maintiennent Vincent Lambert en vie, y compris l'alimentation et l'hydratation artificielle. Celui-ci bénéficierait alors du droit à une sédation profonde et continue.
(1) Yves-Marie Doublet, Fin de vie, éthique et législation, in Fin de vie, éthique et société, sous la direction d'Emmanuel Hirsch, Erès 2012, p. 559.
(2) Médecins, Septembre-octobre 2011, numéro spécial Droits des patients, p. 18.
(3) On estimait, en 2005, que 80 % des médecins n'avaient bénéficié d'aucune formation à la simple prise en charge de la douleur et que 63 % n'avaient jamais reçu de formation sur la limitation de traitements.
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