La lettre juridique n°630 du 22 octobre 2015

La lettre juridique - Édition n°630

Éditorial

La grève... pour une économie de la qualité

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 22 Octobre 2015


Jadis, on allait place de Grève, sur les quais de Seine, chercher du travail auprès des bateliers. Aujourd'hui, l'on fait grève pour conserver son emploi ou, du moins, les conditions de ce dernier. Il est peu de cas, mais il en existe vertueusement, où l'on fait grève pour conserver une certaine qualité de la prestation ainsi délivrée à travers son travail.

Jadis, le droit était l'affaire des juristes, des docteurs ou du moins des licenciés en droit. Aujourd'hui, la matière juridique est embrassée tant par les tenants du chiffre que par les marchands algorithmiciens.

Jadis, l'avocat était promis aux plus hautes instances de son Etat : a minima nommé à la Chancellerie, voire élu à la Présidence, elle-même. Aujourd'hui, si un banquier tient bien les cordons de Bercy, la garde des Sceaux est confiée à un professeur de sciences économiques ; et c'est en passant d'abord par la case politicienne, que certains ont tenté de revêtir la robe sacerdotale de l'avocat.

On peut gloser sur le tournant numérique de certains métiers ; sur une hypothétique "uberisation" de certaines professions. D'aucuns, comme Luc-Marie Augagneur, dans le JCP éd. G, souhaiterait démystifier ce néoconcept, en démontrant que le coeur de cette algorithmisation ne concerne que des activités simples et répétitives abandonnées depuis longtemps par les avocats eux-mêmes. D'autres, comme Stéphanie Matt et Ludovic Blanc, même édition, acceptent le néologisme appliqué à la profession, pour mieux exhorter à l'innovation afin de rester compétitif.

La vérité juridique ne sera jamais dans le code ! Godel, Cantor et Turing contredisent cette ambition démontrant l'incomplétude, l'indécidabilité et l'inconsistance de tout système algorithmique. Et, il n'est pas certain que ce code évolue, avec le temps et face aux affres de son environnement, aussi bien que l'humain. Et puis derrière l'algorithme se cache en fait un homme ; le problème c'est que cet homme n'est pas nécessairement juriste et encore moins orfèvre juridique.

Il faut croire Arnaud Simon, Maître de conférences à Dauphine, quand il écrit, dans Le Monde daté du 13 octobre 2015, que la question n'est pas tant de savoir comment la vague numérique, du big data, remplace mais comment elle transforme... une profession.

A la vérité, les trois nostalgies décrites plus haut expliquent en grande partie le malaise actuel qu'éprouve une profession, les avocats, pour accomplir au quotidien leur mission d'auxiliaire de justice.

Il n'y a pas de fracture numérique au sein de la profession : le taux d'équipement, le succès du RPVA, la migration de la documentation papier vers les bases de données juridiques, montrent chaque jour combien les avocats ont su prendre le virage numérique sans dérapage ; la réforme du régime de la communication de l'avocat elle-même prend en compte la nécessité d'investir de nouveaux champs d'action tout en maintenant un équilibre certain avec la déontologie.

L'action, voilà le maître mot d'un Congrès des avocats qui s'est déroulé le 9 octobre, brossant au pas de charge les enjeux majeurs de l'avocature au sein de cette justice du XXIème siècle en préparation.

Car, les avocats agissent. Ils ne sont pas arc-boutés contre toute évolution des pratiques et même des mentalités, bien au contraire. La justice se paupérise ? Qu'à cela ne tienne ! Si l'Etat veut marquer son désengagement judiciaire en promouvant les modes alternatifs de règlement des conflits, les avocats sont prêts pour assurer leur mission aussi dans un cadre extrajudiciaire, car ils sont avant tout des tiers de confiance, des mandataires ad litem, des auxiliaires de justice et non juridictionnels.

L'enjeu de demain est d'assurer la haute couture juridique et de maintenir sa déclinaison prêt-à-porter sous contrôle et sans contrefaçon. L'avocat ne peut être à la fois artisan orfèvre et ouvrier à la chaîne : ce n'est pas dans son code génétique. La confrontation de la profession à la libéralisation de certaines activités juridiques voire judiciaires, aux plateformes distributives de formules (toutes faites) et de courriers (usuels) de procédure, n'est pas une menace en soi, pour autant que le véritable conseil soit exclu de cette marchandisation numérique du droit. L'ouverture du marché juridique est même inexorable car, même avec 4 000 nouvelles prestations de serment par an, la France... manque d'avocats ! Au regard des besoins réels des justiciables. La paupérisation de la profession n'est d'ailleurs pas le produit d'une concurrence entre les avocats eux-mêmes, mais le fait d'une difficulté structurelle des justiciables à accéder au droit et à la justice (30 % d'entre eux renoncent à recourir à un avocat pour régler leurs conflits). L'inégalité est au coeur de la machine judiciaire. Alain Lacabarats soulignait, lors de ce Congrès, que si le contentieux prud'homal diminuait, c'est parce que ne demeuraient entre les mains de la justice que les contentieux les plus conflictuels ; le taux de conciliation baisse, celui du départage augmente. Reste alors cette phase obscure, trop souvent sans assistance, que constitue la rupture conventionnelle, désormais véritable phase de conciliation prud'homale.

Du coup, on l'aura compris, la question de l'aide juridictionnelle n'est pas tant l'affaire d'une revalorisation de l'unité de valeur ou de l'instauration inique d'une contribution sur l'activité des délégataires de cette aide. C'est l'histoire d'une profession qui souhaite continuer à servir la justice dans une économie de la qualité, plutôt que dans une économie de la quantité. Antoine Lyon-Caen les a appelés, ces avocats congressistes, à critiquer toute tentative de quantification de la qualité, ce gouvernement des nombres. Cette critique pouvait résonner à l'oreille du ministère de tutelle, lorsque c'était encore la Chancellerie qui était en charge de la justice. Mais, les avocats, donc le droit, semblent passer sous la houlette du ministère de l'Economie dont les oreilles sont plus habituées à la mélodie des experts-comptables -plus à même de conseiller les entreprises selon les mots du Premier ministre (sic)- et des jeunes pousses du secteur numérique. Il est certain que le dernier acte de modernisme, le seul nécessaire réellement, dont doit faire preuve la profession est tout simplement de parler le langage "bercyen", démontrant que l'on doit et qu'il est possible de protéger la qualité au service du plus grand nombre -notons, pas de la quantité-, tout en respectant les contraintes budgétaires de l'Etat. Les pistes ont été lancées depuis longtemps, maintenant : c'est désormais affaire de trophallaxie linguistique... et de lobbying actif.

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Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Prohibition des pactes de quota litis

Réf. : Cass. civ. 2, 10 septembre 2015, n° 14-23.627, F-D (N° Lexbase : A9390NN4)

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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1

Le 22 Octobre 2015

Par un arrêt du 10 septembre 2015, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation relève que la convention d'honoraire est illicite lorsqu'elle fixe la rémunération de l'avocat en considération du seul résultat judiciaire obtenu. Tel n'est pas le cas lorsque la convention, conclue en première instance, prévoit un honoraire de diligences. Doit donc être cassée la décision du juge taxateur qui relève que la convention ne prévoit pas d'honoraire de base pour la procédure d'appel. En retenant la qualification de pacte de quota litis alors qu'il constatait que la convention d'honoraire avait prévu un honoraire de diligences, le premier président a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), en lui ajoutant une condition qu'elle ne prévoyait pas. La rémunération de l'avocat est organisée par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dont l'article 10 distingue deux composantes : les émoluments tirés de la postulation et les honoraires de l'avocat (1). Si cette distinction ne donne lieu qu'à un faible contentieux (2), il n'en va pas de même de la fixation des honoraires de l'avocat qui repose sur une convention librement négociée avec le client. Plus spécialement, les modalités de la rémunération représentent une source importante de contentieux.

Au nombre de ces modalités, la profession recourt souvent à la pratique des honoraires de résultat qui viennent compléter un honoraire de base dont les modalités sont visées par les articles 10 de la loi du 31 décembre 1971, 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) et 11-1 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8). La pratique serait même courante : "sans même parler des honoraires pratiqués par les cabinets d'affaires, une pratique d'honoraire raisonnable des avocats de salariés consiste à demander, en première instance, un forfait de 2 000 euros, augmenté d'un honoraire de résultat de 10 % des sommes obtenues, pour une procédure de licenciement abusif" (3). C'est, précisément, cette pratique des honoraires de résultat qui était portée devant la Cour de cassation dans l'espèce commentée.

A l'occasion d'une procédure en annulation d'un acte de partage, un client avait confié la défense de ses intérêts à un avocat. Une convention d'honoraires avait été conclue alors que l'affaire était pendante devant la juridiction de première instance. Cette convention prévoyait un honoraire de diligences auquel s'ajoutait un honoraire de résultat. Après avoir obtenu une décision de la cour d'appel sur le fond, l'avocat demandait donc à son client le paiement des honoraires de résultat, prévus par la convention en sus des honoraires de diligences. C'est sur cette question que se développait le contentieux.

Conformément à la procédure de contestation en matière d'honoraires et de débours (4), l'avocat sollicita la fixation de ses honoraires auprès du Bâtonnier de son Ordre. Il forma, ensuite, un recours contre la décision du Bâtonnier et le premier président de la cour d'appel taxa les honoraires selon les modalités prévues par l'article 10 de la loi de 1971. Saisie par l'avocat, la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 28 avril 2011, n° 10-15.477, FS-P+B N° Lexbase : A5345HPN) cassa cette ordonnance et l'affaire fut renvoyée devant une cour d'appel.

Sur renvoi après cassation, le premier président rejeta une nouvelle fois la demande de l'avocat en fixation d'un honoraire de résultat. Le juge taxateur relevait, en effet, que la convention prévoyait un honoraire de diligences ainsi qu'un honoraire de résultat perçu en sus. Toutefois, la convention ne mentionnait pas que le client confiait à l'avocat la défense de ses intérêts devant la cour d'appel et ne prévoyait d'honoraires de base que pour la procédure de première instance. Or, selon l'ordonnance, le litige ne concernait que les honoraires dus au titre de la procédure devant la cour d'appel. Si bien que la convention, qui ne prévoyait pas d'honoraire principal de diligences dans le cadre de la procédure d'appel, s'analysait en un pacte de quota litis, prohibé par les différents textes organisant la rémunération de l'avocat. Reposant sur une application rigoureuse de la prohibition des pactes de quota litis (I), cette solution est cependant cassée par la Cour de cassation sur le fondement d'une interprétation restrictive conduisant à écarter la qualification (II).

I - L'application rigoureuse de la prohibition des pactes de quota litis

La disparition de la profession d'avoué a reporté sur l'avocat la défense des intérêts des justiciables devant les cours d'appel. Se trouvait ainsi posée la question de la rémunération de l'avocat intervenant en appel (1). En l'espèce, en effet, la convention avait été conclue par l'avocat et son client alors que l'affaire était pendante devant la juridiction de première instance. Bien qu'il ne fasse pas de doute, puisque cela n'était pas contesté en l'espèce, que l'avocat ait été chargé de la défense des intérêts de son client dans le cadre de la procédure d'appel, c'est bien l'application d'une convention, rédigée dans la perspective de la première instance et sans anticipation de l'intervention de l'avocat en appel, qui fait difficulté. La solution prononcée par le juge taxateur apparait sévère pour l'avocat. Mais elle trouve ancrage dans une précédente décision (2).

A - La prohibition des pactes de quota litis

Selon l'article 10 de la loi de 1971, les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. Il ne faisait pas débat dans cette espèce que l'avocat et son client aient échangé un accord sur les modalités de la rémunération de l'avocat. Le client de l'avocat arguait, cependant, de l'illicéité des modalités de calcul de cette rémunération.

L'article 10 de la loi de 1971 dispose en effet que "toute fixation d'honoraires qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire est interdite". L'article 11-3 du RIN fait écho à cette disposition en interdisant à l'avocat de fixer ses honoraires par un pacte de quota litis (5). Il vient également préciser les éléments de la qualification : le pacte de quota litis est une convention passée entre l'avocat et son client (6) avant décision judiciaire définitive, qui fixe exclusivement l'intégralité de ses honoraires en fonction du résultat judiciaire de l'affaire, que ces honoraires consistent en une somme d'argent ou en tout autre bien ou valeur. Selon l'article 10 de la loi de 1971, une telle convention est sanctionnée par la nullité. Est, en revanche, licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu.

Toute la difficulté de l'espèce reposait, précisément, sur ce point : d'une part, le juge taxateur doutait de l'application de la convention dans le cadre de la procédure d'appel ; d'autre part, et à supposer qu'elle soit applicable, cette convention ne prévoyait explicitement d'honoraire principal de diligences que dans le cadre de la première instance. De sorte que les honoraires de l'avocat, intervenant en appel, n'étaient considérés que par référence au résultat judiciaire obtenu.

Or, la loi sanctionne par la nullité les conventions fixant un honoraire de résultat exclusif de tout honoraire de diligences (7) et où l'avocat "serait rémunéré exclusivement selon le résultat obtenu en prenant le risque des frais du procès" (8).

Classiquement, l'interprétation de la prohibition des pactes de quota litis par la jurisprudence tend à écarter la qualification. Pour prononcer la nullité, la Cour de cassation impose au juge taxateur de constater que la convention fixe les honoraires en fonction du seul résultat judiciaire et indépendamment de tout aléa (9). Sur ce fondement, la jurisprudence admet les honoraires complémentaires à deux conditions :

- d'une part, ces honoraires doivent venir compléter un honoraire principal de diligence. A défaut, les honoraires complémentaires sont nuls comme constituant un pacte de quota litis (10) ;

- d'autre part, ces honoraires de résultat doivent avoir fait l'objet d'un accord entre l'avocat et son client, explicite (11) et caractérisé (12) par le juge (13). En ce sens, la Cour de cassation a annulé l'ordonnance d'un juge taxateur qui avait relevé d'office la qualification de pacte de quota litis et prononcé la nullité de la convention, au motif que le juge aurait du inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur cette qualification (14).

Si elle exige que l'existence d'un accord sur le versement d'un honoraire de résultat soit établi (15), la Cour de cassation n'impose, cependant, pas que soient déterminées dans la convention les modalités d'évaluation de la rémunération des prestations effectuées (16) dès lors que la rémunération de base n'est pas dérisoire (17) ou artificielle (18). Aussi, la Cour de cassation avait déjà censuré une décision du juge taxateur qui avait rejeté la demande d'un avocat en paiement des honoraires de résultat au motif que ceux-ci devaient rester en rapport avec l'honoraire principal, la prohibition du pacte de quota litis supposant, sauf à vider ce principe de toute réalité, que l'essentiel de la rémunération de l'avocat ne dépende pas du résultat obtenu (19).

B - Les fondements jurisprudentiels de la décision du juge taxateur

Classique à bien des égards, la question posée en l'espèce à la Cour de cassation présentait une originalité certaine. Elle doit, en premier lieu, attirer l'attention des avocats sur la rédaction des conventions d'honoraires (20). La convention avait été précisément rédigée pour la première instance de sorte que, comme le souligne, sur renvoi après cassation, l'ordonnance du premier président, le litige ne concernait que les honoraires dus au titre de la procédure en appel. Concernant celle-ci, il n'est pas contesté que le client ait entendu confier la défense de ses intérêts à l'avocat. C'est uniquement la rémunération de celui-ci qui faisait débat. Relevant que la convention, conclue alors que la procédure était pendante devant le tribunal de grande instance, ne prévoyait pas d'honoraire de base pour la cour d'appel, le juge taxateur concluait à la qualification de pacte de quota litis dont il relevait la nullité en application de l'article 10 de la loi de 1971. A défaut de convention valable prévoyant les honoraires, c'est par application des modalités de fixation prévues par l'article 10 qu'il évaluait les honoraires de l'avocat, conformément à la jurisprudence constante en la matière : usages, fortune du client, difficulté de l'affaire, frais exposés par l'avocat, notoriété et diligences de l'avocat.

Ce n'est donc pas l'évaluation de la rémunération qui faisait difficulté, mais l'application de la qualification de pacte de quota litis à la convention d'honoraire conclue en l'espèce.

Dans cette perspective, l'ordonnance du juge taxateur trouvait encore ancrage dans une précédente décision : par un arrêt du 2 juin 2010 (21), la Cour de cassation avait, en effet, approuvé un juge taxateur qui avait relevé que la convention, qui prévoyait un honoraire de base pour la première instance mais ne prévoyait pas d'honoraires de diligences devant la cour d'appel, fixait les honoraires de l'avocat en fonction du seul résultat judiciaire obtenu s'agissant de l'instance d'appel. Saisie de cette ordonnance, la deuxième chambre civile avait rejeté le pourvoi et considéré que le premier président avait statué "à bon droit". Cette solution semble remise en cause par la décision du 10 septembre 2015 au profit d'une interprétation restrictive de la qualification de pacte de quota litis.

II - L'interprétation restrictive de la qualification de pacte de quota litis

Statuant sous le visa de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, la Cour de cassation casse la décision du juge taxateur sur le fondement d'une violation de la loi : "en statuant ainsi alors qu'il constatait que la convention d'honoraires avait prévu un honoraire de diligences, le premier président, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé le texte susvisé".

Du point de vue de la technique de cassation, il convient de souligner que la censure intervient sur le fondement de la violation de la loi. La deuxième chambre civile contrôle la qualification de pacte de quota litis appliquée par le juge taxateur à la convention litigieuse. La circonstance que le juge ait constaté que la convention d'honoraire avait prévu un honoraire de diligences parait suffisante pour exclure la qualification de pacte de quota litis, peu important les maladresses rédactionnelles. En d'autres termes, l'honoraire de diligences prévu pour l'intervention de l'avocat en première instance vient sauver la convention appliquée dans le cadre de la procédure d'appel.

Du point de vue légal, il faut souligner qu'une interprétation littérale des différents textes conduit à ne sanctionner par la nullité que les honoraires exclusivement fixés en considération du résultat judiciaire obtenu. Tel n'était pas le cas en l'espèce : le critère d'exclusivité n'était pas rempli dès lors qu'un honoraire de base était prévu en première instance. Le texte, en effet, n'exige pas que l'honoraire de diligences soit précisé selon l'état d'avancement de la procédure.

Du point de vue jurisprudentiel, la solution s'inscrit dans la ligne jurisprudentielle classique conduisant à écarter la qualification de pacte de quota litis. Elle entre également en cohérence avec la jurisprudence selon laquelle les honoraires de résultat ne sont exigibles qu'une fois la mission définitivement accomplie : celle-ci n'est définitivement accomplie que lorsqu'a été obtenue la décision définitive, voire irrévocable sur le fond de l'affaire. Il n'était, en l'espèce pas contesté que l'avocat ait été chargé de défendre les intérêts de son client non seulement en première instance, mais également en appel. Au demeurant, l'avocat est tenu de conduire jusqu'à son terme l'affaire dont il est chargé, sauf si son client l'en décharge ou s'il décide de ne pas poursuivre sa mission. En conséquence, il semble légitime de permettre aux parties d'attendre l'issue de la procédure pour demander le paiement des honoraires de résultat. Au risque d'une tautologie, il convient de préciser que cette solution ne semble pas de nature à remettre en cause la jurisprudence antérieure relative à l'exigence de l'existence d'un accord caractérisé des parties en vue du versement d'un honoraire de résultat.

Cette décision n'a pas été publiée au bulletin. Elle ne remet pas en cause la jurisprudence antérieure et ne bouleversera pas les pratiques professionnelles des avocats. Cependant, elle vient préciser les conséquences de la disparition des avoués sur la rémunération de l'avocat intervenant en cause d'appel. Pour cette raison, elle doit attirer l'attention des praticiens sur la rédaction des conventions d'honoraires et, notamment, sur l'anticipation nécessaire de l'intervention de l'avocat tout au long de la procédure afin de sécuriser les conventions.


(1) R. Martin, Fixation des honoraires de l'avocat, JCP éd. G, 1992, I, 3620.
(2) V. par ex. G. Deharo, La procédure spéciale applicable à la contestation des honoraires d'avocat ne s'applique pas à la taxation des émoluments, JCP éd. G, 2015, act. 755.
(3) V. Rebeyrol, Une réforme pour la Cour de cassation ?, JCP éd. G, 2015, doctr., 954, note 8.
(4) Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, art. 174 et suiv..
(5) La prohibition concerne toutes les activités de l'avocat, qu'elles soient juridiques ou judiciaires : Cass. civ. 2, 22 mai 2014, n° 13-20.035, FS-P+B (N° Lexbase : A4958MML) - Adde. Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n° 14-13.901 (N° Lexbase : A6664NEK), n° 14-13.902, (N° Lexbase : A6694NEN), F-D.
(6) L'article 11-3 du RIN ne concerne que les rapports de l'avocat avec son client. Il ne s'applique pas aux contrats de collaboration : Cass. civ. 1, deux arrêts, 18 février 2015, n° 14-10.461, F-D (N° Lexbase : A0176NCI) et n° 14-10.460, F-P+B (N° Lexbase : A0151NCL).
(7) Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n° 14-13.902 (N° Lexbase : A6694NEN) et n° 14-13.901 (N° Lexbase : A6664NEK), F-D.
(8) R. Martin, D. Landry, Avocats - Obligations et prérogatives, J-Classeur, Fasc. 83-4, n° 28.
(9) Cass. civ. 2, 27 mars 2014, n° 13-11.682, FS-P+B (N° Lexbase : A2469MIB).
(10) Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 11-22.574, F-D (N° Lexbase : A7524ISH).
(11) V. sur un accord des parties en vue du règlement d'un honoraire de résultat après service rendu Cass. civ. 2, 05 février 2015, n° 14-11.947, F-D (N° Lexbase : A2383NBU).
(12) Cass. civ. 2, 10 septembre 2015, n° 14-23.959, F-P+B (N° Lexbase : A9388NNZ) ; Cass. civ. 2, 3 juillet 2014, n° 13-18.418, F-D (N° Lexbase : A2587MTY).
(13) Cass. civ. 2, 24 novembre 2011, n° 10-17.742, F-D (N° Lexbase : A0187H3C).
(14) Cass. civ. 2, 5 juin 2003, n° 02-12.731, F-D (N° Lexbase : A7281C88).
(15) Cass. civ. 2, 3 juillet 2014, n° 13-18.418, F-D (N° Lexbase : A2587MTY). La jurisprudence relève qu'aucun formalisme n'est imposé à cet accord de sorte que le versement d'un honoraire de résultat peut être convenu oralement : Cass. civ. 2, 9 juillet 2009, n° 08-15.318, F-D (N° Lexbase : A7334EIH).
(16) Cass. civ. 2, 3 novembre 2011, n° 10-30.790, F-D (N° Lexbase : A5262HZW).
(17) Cass. civ. 2, 15 janvier 2015, n° 14-10.981, F-D (N° Lexbase : A4639M9P).
(18) Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 07-10.791, FS-D (N° Lexbase : A4580EQP) ; Cass. civ. 1, 15 juillet 1999, n° 97-13.575 (N° Lexbase : A7509CTB).
(19) Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 93-20.290 (N° Lexbase : A6140ABZ).
(20) Cass. civ. 2, 11 septembre 2014, n° 13-21.739, F-D (N° Lexbase : A4288MWQ).
(21) Cass. civ. 2, 2 juin 2010, n° 09-11.627, F -D (N° Lexbase : A0072EZP).
(22) Cass. civ. 2, 11 septembre 2014, n° 13-21.739, F-D (N° Lexbase : A4288MWQ).
(23) Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, art. 13.

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Construction

[Brèves] CCMI : nullité totale du contrat en l'absence de mention des travaux d'équipements indispensables et conséquences de l'annulation

Réf. : Cass. civ. 3, 15 octobre 2015, n° 14-23.612, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5827NTY)

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Le 23 Octobre 2015

L'article L. 231-3 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7278AB8) ne réputant non écrites que les clauses limitativement énumérées qui ont pour conséquence de créer un déséquilibre en défaveur du maître de l'ouvrage et présentant un caractère abusif, doit être entièrement annulé le contrat de construction qui ne répond pas aux exigences de l'article L. 231-2 dudit code (N° Lexbase : L7277AB7). Telle est la solution rapportée par la Cour de cassation dans un arrêt du 15 octobre 2015 (Cass. civ. 3, 15 octobre 2015, n° 14-23.612, FS-P+B+R N° Lexbase : A5827NTY). En l'espèce, Mme B. et la société T. ont signé un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans. Mme B. ayant découvert que l'ossature en bois de la construction ne reposait pas sur la dalle de béton, la réception des travaux a été reportée. Ultérieurement, et après expertise, la société T. a assigné Mme B. pour faire prononcer la réception judiciaire de l'ouvrage, lui décerner acte de son offre de réaliser les travaux décrits par l'expert dans les deux mois et condamner le maître de l'ouvrage au paiement du solde des travaux. Un litige portant sur le contenu du contrat étant né, Mme B., quant à elle, a sollicité l'annulation du contrat et, subsidiairement, sa résolution. L'affaire a été portée devant la cour d'appel, laquelle a accueilli la demande de Mme B. et prononcé l'annulation du contrat à raison de la non-conformité de certaines mentions des documents contractuels (plans et notice descriptive) à l'article L. 231-2, ce qui affectait la totalité de la convention et non seulement les clauses irrégulières (CA Rennes, 4ème ch., 5 juin 2014, n° 11/02222 N° Lexbase : A1470MQI). La société T. a formé un pourvoi, arguant principalement du fait que l'absence de mention dans le CCMI des travaux d'équipement indispensables constituait un manquement du constructeur à son obligation d'information qui n'est susceptible d'entraîner la nullité du contrat qu'à la condition qu'il soit établi que mieux informé, le maître de l'ouvrage n'aurait pas contracté. La Haute juridiction approuve la solution des juges d'appel. Toutefois, énonçant le principe précité, elle casse et annule l'arrêt de la cour d'appel mais seulement en ce qu'il condamne la société T. à démolir l'ouvrage, sans avoir recherché si celle-ci constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non conformités qui l'affectaient (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E2305EYZ).

newsid:449535

Contrat de travail

[Brèves] Absence de contrat de travail entre une personne associée d'une SNC et ladite société

Réf. : Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-10.960, FS-P+B (N° Lexbase : A5870NTL)

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N9614BUM

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Le 23 Octobre 2015

Le juge qui retient qu'une personne est associée d'une société en nom collectif et se trouve, en vertu de l'article L. 221-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L5797AIK), être un commerçant répondant indéfiniment et solidairement des dettes sociales, en déduit exactement que cette situation exclue qu'il puisse être lié à cette société par un contrat de travail. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 octobre 2015 (Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-10.960, FS-P+B N° Lexbase : A5870NTL).
En l'espèce, la société en nom collectif X, exploitant un fonds de commerce de "café bar restaurant brasserie" à Paris a été constituée le 26 mars 2009 entre M. B., Mme M. et M. S.. M. S. tenait l'établissement une partie du temps et logeait dans l'appartement situé à l'étage. Se prévalant d'un contrat de travail, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes de rappels de salaires et d'indemnités pour rupture abusive.
La cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 21 novembre 2013, n° 13/0284 N° Lexbase : A9392KPK) ayant rejeté le contredit de M. S., considéré que le conseil de prud'hommes de Paris n'était pas compétent pour connaître de ses demandes et renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris, ce dernier s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette son pourvoi (cf. les encyclopédies "Droit du travail" N° Lexbase : E7670ESU et "Droit des sociétés" N° Lexbase : E5910ADA).

newsid:449614

Droit des étrangers

[Brèves] Modification de la procédure applicable devant la Cour nationale du droit d'asile

Réf. : Décret n° 2015-1298 du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : L1290KMQ)

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N9602BU8

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Le 24 Octobre 2015

Le décret n° 2015-1298 du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : L1290KMQ), pris pour l'application de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile et relatif à la procédure applicable devant la Cour nationale du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA), a été publié au Journal officiel du 18 octobre 2015. Il comporte des dispositions relatives à l'organisation de la cour (suppléance, présidence des formations de jugement) et aux conditions d'examen des recours. Sur ce dernier point, dans les cas de rejet par ordonnance des recours sans élément sérieux susceptibles de remettre en cause la décision de l'OFPRA, l'ordonnance ne peut être prise qu'après que le requérant a été mis en mesure de prendre connaissance des pièces du dossier et après examen de l'affaire par un rapporteur. L'ordonnance doit également viser les formalités accomplies par le requérant afin de prendre connaissance des pièces du dossier, ainsi que l'examen de celui-ci par le rapporteur. Le recours devant la CNDA doit dorénavant indiquer la langue dans laquelle le requérant souhaite être entendu à l'audience. En l'absence de cette indication ou si la cour ne peut désigner un interprète dans la langue demandée, le requérant est entendu dans la langue dans laquelle il a été entendu à l'OFPRA ou dans une langue dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. Désormais, les communications avec les requérants et leurs avocats seront effectuées au moyen de lettres simples, à l'exception de l'ordonnance de clôture de l'instruction et de l'avis d'audience notifiés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le président de la cour ou le président désigné pourra, dès l'enregistrement du recours, par une décision qui tient lieu d'avis d'audience, fixer la date à laquelle l'affaire sera appelée à l'audience. Dans ce cas, l'instruction écrite sera close trois jours avant la date de l'audience. Le décret modifie enfin le régime du huis clos et révise le régime de l'aide juridique.

newsid:449602

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] L'Assemblée plénière de la Cour de cassation adopte une règle de raison (à propos de l'interprétation de la Convention franco-monégasque relative à l'imposition des successions)

Réf. : Ass. plén., 2 octobre 2015, n° 14-14.256, P+B+R+I (N° Lexbase : A0098NSG)

Lecture: 33 min

N9584BUI

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par Thibaut Massart, Professeur et Codirecteur du Master Fiscalité de l'entreprise à l'Université Paris-Dauphine, PSL Research University

Le 22 Octobre 2015

1. A travers un arrêt du 2 octobre 2015, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation réaffirme clairement la primauté des conventions fiscales internationales sur le droit interne (Ass. plén., 2 octobre 2015, n° 14-14.256, P+B+R+I). Cette approche semble s'opposer frontalement au principe de subsidiarité du droit conventionnel prôné par le Conseil d'Etat. Pour la Haute juridiction administrative, les conventions fiscales ne doivent, en effet, être appliquées qu'après vérification préalable de la correcte application du droit interne. La fracture est-elle consommée entre la Cour de cassation et le Conseil d'Etat ? En réalité, en observant attentivement la méthode effectivement suivie par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans cette affaire, l'opposition ne paraît nullement flagrante. La Haute juridiction affirme avec force "qu'en vertu de la hiérarchie des normes, il convient de se référer, d'abord, aux conventions internationales". Certes, mais avant même d'appliquer la Convention dans cette affaire, l'Assemblée plénière mobilise le droit interne pour qualifier les biens litigieux. Il s'agissait, en l'espèce, de parts sociales d'une société monégasque qui sont qualifiées de "biens incorporels de nature mobilière", alors même que cette société possédait de nombreux biens immobiliers en France. Fort de cette analyse préalable, la Haute juridiction applique alors scrupuleusement la Convention franco-monégasque du 1er avril 1950, relative au droit de mutation à titre gratuit (N° Lexbase : L6725BHK). La Cour de cassation déclare que ces parts relevaient de l'article 6 de la Convention, qui vise les actions ou parts sociales, et non de l'article 2, qui concerne les immeubles et droits immobiliers. Comme cet article 6 prévoit que, si le de cujus était domicilié, au moment de son décès, dans l'un des deux Etats, lesdits biens ne sont soumis à l'impôt sur les successions que dans cet Etat, la cour d'appel en a exactement déduit que l'imposition des parts sociales transmises par le décès de leur titulaire résidant à Monaco relevait de cet Etat et non de la France. 2. La méthode suivie par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, ce qu'elle donne en réalité une priorité au droit interne pour qualifier les biens et qu'elle interprète littéralement la Convention, se rapproche très sensiblement de la grille d'analyse utilisée par le Conseil d'Etat. Il n'est donc nullement certain que la solution retenue par la plus Haute juridiction de l'ordre judiciaire aurait été différente si le Conseil d'Etat avait été sollicité pour résoudre ce conflit.

Avant d'analyser plus avant cette décision (II), il nous semble nécessaire de revenir sur l'ensemble du traitement judiciaire de cette affaire, car l'arrêt de l'Assemblée plénière clôt un long contentieux (I).

I - Un long contentieux

3. Avant d'aborder la décision attaquée et d'étudier la présente décision de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (A), il semble indispensable de reprendre le contentieux depuis son origine afin de mettre en relief la première cassation intervenue dans cette affaire à travers l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 octobre 2012 (Cass. com., 9 octobre 2012, n° 11-22.023, F-P+B N° Lexbase : A3451IUD) (B).

A - L'origine du contentieux, les décisions du fond et l'arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2012

4. Cet arrêt clôt un contentieux de plus de 15 ans entre l'administration fiscale et les héritiers d'un marocain qui résidait à Monaco. Le défunt détenait des parts sociales d'une société monégasque qui possédait plusieurs immeubles en France. Comme les héritiers résidaient en France, ils déposèrent une déclaration de succession devant l'administration fiscale française. Cette dernière prétendit que ces parts sociales devaient être rentrées dans l'actif successoral taxable en France. Pour étayer cette affirmation, l'administration se fondait sur l'article 750 ter du CGI (N° Lexbase : L9528IQX). Cet article distingue plusieurs cas selon la situation de résidence du défunt et des héritiers. L'article 750 ter 2°, alinéa 1er, du CGI précise que sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit "les biens meubles et immeubles, que ces derniers soient possédés directement ou indirectement, situés en France", lorsque le défunt est non-résident de France. On soulignera, pour faire bonne figure, que c'est l'article 23 de la loi de finances pour 1999 (loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 N° Lexbase : L1137ATB), dont l'entrée en vigueur a eu lieu le 1er janvier 1999, qui a étendu les cas d'imposition en France avec la notion d'immeubles possédés indirectement introduite au 2° de l'article 750. Peu importe la forme de la personne morale. L'article 750 ter 2°, alinéa 2, du CGI mentionne d'ailleurs que "tout immeuble ou droit immobilier est réputé possédé indirectement lorsqu'il appartient à des personnes morales [...] dont le donateur ou le défunt, seul ou conjointement avec son conjoint, leurs ascendants ou descendants ou leurs frères et soeurs, détient plus de la moitié des actions, parts ou droits". Cette situation était celle de l'espèce puisque le défunt détenait conjointement avec ses frères et soeurs plus de la moitié des parts. L'article 750 ter 2°, alinéa 4 poursuit en mentionnant que "sont également considérées comme françaises les actions et parts de sociétés ou personnes morales non cotées en bourse dont le siège est situé hors de France et dont l'actif est principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés sur le territoire français, et ce à proportion de la valeur de ces biens par rapport à l'actif total de la société". Or, la société monégasque détenait un vaste ensemble immobilier en France.

Selon ces règles, pourraient être considérés comme immeubles situés en France tous les titres de sociétés françaises ou étrangères qui détiennent principalement des immeubles situés en France (1). Il en est de même de toutes les participations de plus de 50 % dans des sociétés qui détiennent, même de manière secondaire, des immeubles en France.

L'administration fiscale estimait même que les parts sociales étaient taxables sur la base du 3° de cet article qui vise "les biens meubles et immeubles situés en France ou hors de France, [...] et généralement toutes les valeurs mobilières françaises ou étrangères de quelque nature qu'elles soient, reçus par l'héritier [...] qui a son domicile fiscal en France au sens de l'article 4 B (N° Lexbase : L1010HLY)". Comme les héritiers étaient résidents de France, cette disposition était éventuellement susceptible de s'appliquer.

5. Mais ces règles de territorialité ne s'appliquent en principe qu'à défaut de conventions internationales conclues avec la France en matière de droits de mutation à titre gratuit (2). Or, la France avait conclu le 1er avril 1950 avec la Principauté de Monaco une Convention tendant à éviter les doubles impositions et à codifier les règles d'assistance en matière successorale. Cette Convention conclue avant l'élaboration du modèle OCDE de 1982 n'évoque pas la situation des immeubles possédés indirectement. Son article 2, paragraphe 1er indique que "les immeubles et droits immobiliers faisant partie de la succession d'un ressortissant de l'un des deux Etats contractants ne seront soumis à l'impôt sur les successions que dans l'Etat où ils sont situés". Tandis que son article 6 précise que "les actions ou parts sociales, [...] et tous autres biens laissés par un ressortissant de l'un des deux Etats auxquels ne s'appliquent pas les articles 2 à 5, seront soumis aux dispositions suivants, a) Si le de cujus était domicilié au moment de son décès dans l'un des deux Etats, lesdits biens ne sont soumis à l'impôt sur les successions que dans cet Etat".

6. Arguant de cette Convention, les héritiers ont alors assigné le directeur des services fiscaux pour contester l'imposition en France des parts de la société en cause et obtenir la restitution de la somme de 1 694 933 euros versée à ce titre.

7. Pour conforter sa position, l'administration fiscale excipait un échange de lettres (non ratifié) intervenu le 16 juillet 1979 entre les deux gouvernements dont il ressortait que "pour l'application du paragraphe 1er de l'article 2 de la Convention [...], les immeubles et droits immobiliers représentés par des actions et parts sociales de sociétés ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance ne sont soumis à l'impôt sur les successions que dans l'Etat où ils sont situés". L'administration prétendait que cet échange de lettres ne devait pas être interprété comme un accord destiné à limiter l'application de l'article 2 de la Convention franco-monégasque aux seules parts ou actions de société de construction ou d'attribution, mais à l'inverse comme un accord élargissant la portée de l'article 2 à des parts sociales de sociétés particulières. L'administration indiquait, en conséquence, qu'il fallait appliquer l'article 2, paragraphe 2 de la Convention mentionnant que "la question de savoir si un bien ou un droit a le caractère immobilier sera résolue d'après la législation de l'Etat dans lequel est situé le bien considéré ou le bien sur lequel porte le droit envisagé". L'administration prétendait ainsi que l'article 2 de la Convention portait également sur les parts sociales des sociétés à prépondérance immobilière.

8. Par jugement du 25 mars 2010, le tribunal de grande instance de Nice a estimé que l'article 750 ter du CGI était inapplicable à la succession en raison de la suprématie du droit conventionnel international. D'autant que la société monégasque "ne relevait pas du type de sociétés visées par l'échange de lettres du 16 juillet 1979" et que, dans ces conditions, les parts sociales appartenant au de cujus "devaient, en application de l'article 6 de la Convention franco-monégasque, dès lors que celui-ci était domicilié à Monaco, être assujetties aux droits de mutation dans la Principauté de Monaco". C'était donc à tort que la proposition de rectification se fondait sur cet article. La direction des services fiscaux a été condamnée à rembourser aux héritiers la somme de 1 694 933 euros outre intérêts dans les termes de l'article L. 208 du LPF (N° Lexbase : L7618HEU).

Sur appel de la direction générale des finances publiques, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, par arrêt du 3 mai 2011, confirmé le jugement.

9. Mais, saisie d'un pourvoi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, réunie en formation plénière, censura, par un arrêt du 9 octobre 2012 (3), cette dernière décision dans toutes ses dispositions, au visa de "l'article 2 de la Convention franco-monégasque du 1er avril 1950 interprété par les lettres échangées entre les gouvernements français et monégasque le 16 juillet 1979". Pour la Cour de cassation, d'une part, seuls les biens auxquels ne s'appliquent pas les articles 2 et 5 de la Convention relèvent de l'article 6, d'autre part, l'échange de lettres étend le champ d'application du § 1er de l'article 2 de la Convention, et enfin, il résulte du § 2 de l'article 2 de la Convention que la question de savoir si un bien ou un droit a le caractère immobilier doit être résolue d'après la législation de l'Etat dans lequel est situé le bien considéré ou le bien sur lequel porte le droit envisagé. Force est d'admettre que cet arrêt était pour le moins déroutant et difficile à interpréter. La grille de lecture pouvait être la suivante (4). Dans un premier temps, dans la mesure où l'article 6 est une sorte de clause générale qui a vocation à concerner tous les biens dont le statut n'est pas spécifiquement envisagé par un autre article de la Convention, il appartenait aux juges du fond de vérifier que le bien considéré ne ressortait pas de l'une des catégories de biens visées par les autres articles. Dans un second temps, s'agissant de l'article 2, peu importait que la société dont les parts étaient en cause ne répondait pas à la définition de celles qui étaient concernées par l'échange de lettres entre les deux gouvernements, puisque cet échange de lettres n'avait pas vocation à définir, mais seulement à étendre le champ d'application de cet article. Enfin, il incombait au juge du fond, confronté à la question du caractère immobilier d'un bien ou d'un droit, de se référer, en application du § 2 de l'article 2, à la législation de l'Etat dans lequel était situé le bien considéré, en l'occurrence, implicitement, à la législation française. Toutefois, même en suivant scrupuleusement cette méthode, la solution ne s'imposait pas d'elle-même, car, par exemple, il n'est nullement évident d'affirmer qu'en droit français, les parts ou les actions d'une société à prépondérance immobilière peuvent être qualifiées de biens ou de droits immobiliers.

10. La doctrine, dans son ensemble, s'était montrée particulièrement critique à l'encontre de cette décision (5). Certains ont souligné que l'échange de lettres du 16 juillet 1979 ne pouvait avoir étendu le champ d'application de la Convention, car un simple accord entre fonctionnaires ne peut étendre le champ d'application d'un traité international (6). A supposer même que l'échange de lettres ait été applicable, la doctrine soulignait que la décision paraissaît en méconnaître la portée réelle puisque cet échange ne vise que les sociétés véritablement transparentes sur un plan fiscal, et non pas toutes les sociétés à prépondérance immobilière, de même que cet échange de lettres ne couvrait pas non plus la possession d'immeubles par personnes interposées. Selon une opinion doctrinale modérée (7), la Cour de cassation aurait avant tout reproché à la cour d'appel d'avoir insuffisamment analysé le traitement en droit interne des titres de sociétés détenant des immeubles et la juridiction de renvoi devait ainsi affiner son analyse avant de conclure à l'absence d'imposition en France.

Mais, pour débouter à nouveau l'administration fiscale, la cour d'appel de renvoi d'Aix-en-Provence persista dans l'analyse qu'avaient faite les magistrats du fond.

B - La décision attaquée et l'arrêt de l'Assemblée plénière du 2 octobre 2015

11. Pour la cour de renvoi, la société monégasque n'est pas une société d'attribution concernée par l'échange de lettres du 16 juillet 1979. Si, au regard des articles 750 ter du CGI, la société apparaît comme une société à prépondérance immobilière, au regard de la Convention franco-monégasque du 1er avril 1950 à laquelle il convient de se référer en vertu de la hiérarchie des normes, cette société relève de l'article 6 de cette Convention qui vise spécifiquement les parts sociales. La fiscalité applicable est donc celle de la Principauté de Monaco.

12. Sans surprise, l'administration fiscale se pourvut en cassation en affirmant que, contrairement aux allégations de la cour d'appel de renvoi, l'échange de lettres du 16 juillet 1979 ne restreignait pas la portée de l'article 2 de la Convention franco-monégasque. Il est vrai que la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en censurant les premiers juges par sa décision du 9 octobre 2012, avait justement affirmé que l'échange de lettres étendait le champ d'application du § 1er de l'article 2 de la Convention.

13. L'échange de lettres entre les gouvernements étendait-il ou restreignait-il la portée de l'article 2 de la Convention ? Telle était, semble-t-il, la question posée à l'Assemblée plénière de la Cour de cassation.

Mais la Haute assemblée ne répond pas à cette question. Elle estime que l'échange de lettres invoqué par le moyen est un motif surabondant utilisé par la cour de renvoi pour justifier sa décision. Pour la Haute juridiction, la cour d'appel pouvait valablement, en invoquant la hiérarchie des normes, se référer d'abord aux conventions internationales. Or, en retenant que les parts de la société monégasque constituaient des biens incorporels de nature mobilière, il était possible d'affirmer qu'au regard de la Convention franco-monégasque du 1er avril 1950, la société monégasque relevait de l'article 6, qui vise les actions ou parts sociales, et non de l'article 2, qui concerne les immeubles et droits immobiliers. Or, l'article 6 prévoit que, si le de cujus était domicilié, au moment de son décès, dans l'un des deux Etats, lesdits biens ne seront soumis à l'impôt sur les successions que dans cet Etat, si bien que la cour d'appel pouvait exactement en déduire que l'imposition des parts sociales transmises par le décès de leur titulaire résidant à Monaco relevait de cet Etat et non de la France.

II - Analyse critique de l'arrêt

14. A travers cette décision, la Cour de cassation propose une méthode de lecture des conventions fiscales. D'une manière parfaitement claire, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation indique qu'il faut d'abord se référer aux conventions fiscales avant d'aborder le droit interne (A). D'une manière plus implicite, mais manifeste, la Haute cour prône également une lecture littérale des conventions fiscales (B). Par ailleurs, la Haute juridiction avance une qualification juridique précise pour les parts sociales des sociétés à prépondérance immobilière, ces dernières étant qualifiées de "biens corporels de nature mobilière" (C).

A - Le principe de primauté du droit conventionnel

15. Cet arrêt met en relief la difficulté de définir une méthodologie de lecture des conventions fiscales, en particulier en ce qui concerne les interactions entre le droit interne et la Convention fiscale.

A priori, la solution est donnée par l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L0884AH9) qui affirme très explicitement que "les Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie". L'article 55 instaure une hiérarchie des normes en plaçant les conventions internationales au-dessus de la loi nationale. Le droit fiscal ne devrait, en théorie, nullement échapper à ce principe.

16. Pourtant, le Conseil d'Etat considère que les conventions fiscales ne doivent être appliquées qu'après vérification préalable de la correcte application du droit interne (8). Tel est, en résumé, le principe de subsidiarité des conventions fiscales. Mais lorsque les conventions fiscales s'appliquent, elles l'emportent alors sur le droit interne. C'est le principe de primauté du traité sur la loi, qui vaut en matière fiscale comme ailleurs.

Le principe de subsidiarité est a priori un principe favorable au contribuable qui repose sur deux postulats (9). D'une part, le contribuable ne doit, de toutes les façons, pas être imposé si la loi interne ne l'impose pas. D'autre part, la convention fiscale qui vise précisément à éviter les doubles impositions peut permettre au contribuable d'échapper à l'impôt lorsque la loi interne lui est défavorable. Ces postulats forment ce que d'éminents fiscalistes ont qualifié de principe de non-aggravation. Ce principe implique que la situation d'un contribuable ne peut être aggravée par l'application d'une convention fiscale, dont la raison d'être est précisément la protection des contribuables par la recherche de l'élimination des doubles impositions. La supériorité conventionnelle ne joue donc qu'à sens unique, à titre de garantie. Elle peut alléger ou supprimer des obligations fiscales, mais non les aggraver ou en créer de nouvelles.

Cependant, dès sa naissance, le principe de non-aggravation fut accablé par le malheur. D'abord, la génitrice naturelle de tous les grands principes du droit fiscal, à savoir la plus Haute juridiction administrative, ne reconnut jamais la maternité d'un tel précepte. Il faut avouer que plusieurs dispositions du CGI prévoient que lorsque l'imposition de revenus est attribuée à la France par une convention fiscale, ils y sont passibles soit de l'impôt sur le revenu, soit de l'impôt sur les sociétés. Ces textes permettent ainsi de soumettre à l'impôt certains revenus alors même que le droit interne ne le permettrait pas. Né sous X, pupille de la doctrine, le principe de non-aggravation a ensuite souffert d'une maladie dégénérative fatale. A force d'attaques jurisprudentielles répétées et mortelles, dont la dernière remontait au 12 juin 2013 (CE 3° et 8° s-s-r., 12 juin 2013, n° 351702, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5884KGZ), le principe de non-aggravation s'est définitivement éteint avec un arrêt rendu le 12 mars 2014 (CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2014, n° 362528, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6800MGX). A travers cette décision, le Conseil d'Etat réussit l'exploit d'instaurer une double imposition en se fondant sur une convention bilatérale dont l'objet consistait précisément à éviter les doubles impositions.

Avec la disparition du principe de non-aggravation, la question de la survie du principe de subsidiarité devait inévitablement se poser. D'autant que le présent arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation semble porter un coup mortel au principe de subsidiarité.

17. En affirmant qu'en vertu de la hiérarchie des normes, il convient de se référer, d'abord, aux conventions internationales, la Haute cour se dégage incontestablement de la méthode posée avec précision à l'arrêt précité du 28 juin 2002. Il convient, à ce sujet, de rappeler que le Conseil d'Etat avait considéré "que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer (en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office) si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale".

A vrai dire, ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation opte pour une méthode différente de celle proposée par le Conseil d'Etat.

18 Dans un arrêt du 19 janvier 2010 (Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-20.936, F-D N° Lexbase : A4649EQA), relatif à l'application de la Convention franco-saoudienne (N° Lexbase : L6661BH8), la Chambre commerciale retenait "que selon la Convention fiscale franco-saoudienne, les actions, parts ou autres droits détenus dans une société dont les actifs sont constitués pour plus de 50 % par des biens immobiliers situés dans un Etat contractant, ou des droits portant sur de tels biens immobiliers, sont considérés comme des biens immobiliers situés dans cet Etat, [...] que le requérant est propriétaire de 99 % des parts de deux sociétés, qui détiennent respectivement 90 % et 10 % d'une autre société, propriétaire de deux chalets situés à Courchevel, que ces sociétés ont des actifs constitués pour plus de 50 % par des biens immobiliers en France, et qu'il détient 99 % des actions d'une société, qui possède 100 % du capital d'une autre société, laquelle détient 100 % d'une société française, propriétaire d'un bien immobilier à Paris ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que les actifs des sociétés en cause étaient constitués, directement ou indirectement, pour plus de 50 % par des biens immobiliers situés en France, la cour d'appel a décidé à bon droit que les parts et actions de ces sociétés devaient être considérées comme des biens immobiliers situés en France au sens de l'article 14 A paragraphe 1 et 2 de la Convention ; que le moyen n'est pas fondé". Comme le soulignait Jean-Luc Pierre en commentant cette décision, "à la différence du Conseil d'Etat, la Cour de cassation, qui se réfère directement aux dispositions de la Convention en vigueur entre la France et l'Arabie Saoudite, ne conjugue pas la règle de supériorité des conventions bilatérales sur la loi nationale avec celle de subsidiarité desdites conventions" (10). Mais l'éminent fiscaliste soulignait également qu'"eût-elle retenu la règle de subsidiarité des conventions fiscales, la Haute juridiction judiciaire n'aurait pas pour autant adopté une solution autre que celle du rejet du pourvoi : les dispositions des deuxième et quatrième alinéas de l'article 750 ter, 2° du CGI auraient été considérés comme justifiant l'assujettissement du requérant au titre de la valeur des biens immobiliers situés en France, et celles de l'article 14 A de la Convention comme n'amenant pas à écarter un tel assujettissement, même dans la situation où ces biens sont détenus par l'intermédiaire d'une chaîne de sociétés" (11).

19. Dans un autre arrêt, en revanche, la Chambre commerciale, en appliquant le principe de supériorité du droit conventionnel, a rendu une décision qui s'écarte sensiblement de celle qui aurait été prise si le principe de subsidiarité avait été appliqué. Cet arrêt du 26 octobre 2010 (12) concernait un avenant publié le 23 août 2005 à la Convention du 18 mai 1963 entre la France et la Principauté de Monaco, relatif à l'impôt sur la fortune (N° Lexbase : L6726BHL) : "Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'avenant ne fait pas de discrimination entre les Français résidant à Monaco et tend à aligner leur situation sur celle des Français résidant en France ; qu'il retient encore qu'il prend en compte la situation particulière de la Principauté vis-à-vis de la France, et est fondé sur un motif d'intérêt général, éviter l'évasion fiscale ; qu'il relève que les négociations entre la France et Monaco qui se sont déroulées au cours de l'année 2001 ont abouti à un accord le 18 octobre 2001, que la mesure, ainsi que son entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2002, ont été publiquement annoncées le 24 octobre 2001, puis en 2002, ce qui a incité les contribuables concernés à anticiper l'entrée en vigueur du texte ; qu'il ajoute qu'il a été prévu d'accorder à ces derniers de larges facilités de paiement, et qu'aucune pénalité n'a été appliquée sur la période 2002-2005 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que l'avenant, qui ne procédait à aucune discrimination, ménageait un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la protection des droits des contribuables, la cour d'appel a légalement justifié sa décision". Comme le souligne Jean-Pierre Maublanc, la Cour de cassation s'est affranchie du principe de subsidiarité des conventions fiscales internationales, et "l'avenant litigieux a été, en l'absence totale de loi interne, invoqué par la seule administration pour l'ériger en fondement direct de l'ISF dû à raison de leur patrimoine mondial par certains Français domiciliés dans la Principauté. L'avenant du 26 mai 2003 a donc fondé à la fois la domiciliation et l'imposition en France, par exception à des solutions pourtant regardées comme solidement établies" (13).

20. Dans notre affaire, qu'en est-il ?

Assurément, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation proclame que la méthode à suivre consiste à analyser en priorité la Convention.

Mais, contre toute attente, au lieu de se livrer à une analyse de la Convention franco-monégasque, la Cour de cassation utilise le droit interne pour qualifier les parts sociales de la société monégasque. Ces parts sont qualifiées de "biens incorporels de nature mobilière". Nous retrouvons ici une parfaite application du principe de priorité du droit interne sur le droit conventionnel.

En effet, en vertu de la supériorité du droit conventionnel, pour déterminer quel article de la Convention fiscale s'applique, il faudrait, en principe, d'abord savoir comment elle qualifie le bien. Néanmoins, lorsque la Convention n'est pas suffisamment précise, la jurisprudence a une nette tendance à faire prévaloir les définitions données par le droit interne. En pratique, le basculement au droit interne est fréquent, puisque lorsque la Convention ne définit pas un terme qu'elle emploie, celui-ci a, en principe, le sens que lui donne le droit de l'Etat qui applique la Convention (14).

21. On notera que la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait d'ailleurs résolument adopté le principe de subsidiarité des conventions fiscales en énonçant, après avoir analysé la nature de la société monégasque et ses règles de fonctionnement, que "vue au travers du prisme des règles des articles 750 ter et 990 D (N° Lexbase : L5483H9X) du CGI français, la société (monégasque) est une société à prépondérance immobilière. Mais au regard de la Convention franco-monégasque du 1er avril 1950, cette société relève de l'article 6 de la Convention et non de son article 2".

22. Dans notre espèce, il n'est pas possible d'affirmer que l'Assemblée plénière a appliqué, implicitement, l'article 2, paragraphe 2 de la Convention qui indique que "la question de savoir si un bien ou un droit a le caractère immobilier sera résolue d'après la législation de l'Etat dans lequel est situé le bien considéré ou le bien sur lequel porte le droit envisagé". En effet, les biens dont on cherche la qualification ne sont naturellement pas les immeubles situés en France puisque leur caractère ne posait aucune difficulté. Le débat concernait des parts sociales donnant droit à une quote-part du capital d'une société civile particulière de droit monégasque répondant aux articles 1679 et suivants du Code civil monégasque. Or, ces parts sociales étaient localisées à Monaco et non en France. En conséquence, c'est le droit monégasque qui aurait dû être appliqué pour déterminer si ces parts sociales devaient être qualifiées de biens meubles ou d'immeubles. Telle n'a pas été la démarche suivie par la Haute juridiction judiciaire qui ne s'est nullement intéressée à la législation monégasque.

23. Sans conteste, et malgré sa pétition de principe, l'Assemblée plénière s'est donc d'abord livrée à une qualification des parts sociales selon le droit français avant d'appliquer la Convention fiscale entre la France et Monaco.

La méthode suivie par la Haute juridiction de l'ordre judiciaire ne se distingue ainsi pas vraiment de celle prônée par la Haute juridiction de l'ordre administratif.

Les juridictions se rejoignent également lorsqu'elles adoptent une interprétation littérale des conventions.

B - L'interprétation littérale de la Convention

24. On soulignera, pour être précis, que cette affaire mobilisait en réalité deux conventions fiscales : la Convention franco-marocaine du 29 mai 1970 (N° Lexbase : L6722BHG), et la Convention franco-monégasque du 1er avril 1950. Mais l'application de la première Convention qui, dans son article 5, précisait que "les ressortissants de l'un des Etats contractants ne peuvent être soumis à une imposition autre ou plus lourde que celle à laquelle seraient assujettis les nationaux de l'autre Etat dans la même situation" ne posait aucune difficulté puisque les magistrats du fond en avaient à juste titre déduit que "la succession du de cujus, de nationalité marocaine, domicilié fiscalement à Monaco, revenant à des héritiers français demeurant en France, ne peut être traitée, pour ce qui concerne les héritiers, différemment de celle d'un Français domicilié à Monaco". L'on peut ainsi comprendre que l'Assemblée plénière se soit concentrée uniquement sur l'interprétation de la Convention franco-monégasque.

25. Deux articles pouvaient s'appliquer et le choix de l'article pertinent s'avérait fondamental.

L'article 2 de la Convention franco-monégasque comporte deux paragraphes.

Le premier indique que "les immeubles et droits immobiliers faisant partie de la succession d'un ressortissant de l'un des deux Etats contractants ne seront soumis à l'impôt sur les successions que dans l'Etat où ils sont situés", tandis que le second pose que "la question de savoir si un bien ou un droit a le caractère immobilier sera résolue d'après la législation de l'Etat dans lequel est situé le bien considéré ou le bien sur lequel porte le droit envisagé".

Quant à l'article 6, il mentionne que "les actions ou parts sociales, fonds d'Etat, obligations, créances chirographaires ou hypothécaires et tous autres biens laissés par un ressortissant de l'un des deux Etats auxquels ne s'appliquent pas les articles 2 à 5, seront soumis aux dispositions suivantes : si le de cujus était domicilié au moment de son décès dans l'un des deux Etats, lesdits biens ne seront soumis à l'impôt sur les successions que dans cet Etat".

26. Cet article 6 pose une difficulté d'interprétation, car l'on peut se demander si la formule "auxquels ne s'appliquent pas les articles 2 à 5" ne concerne que le "et tous autres biens" ou qu'elle se rapporte également aux biens énumérés au début de la phrase, à savoir "les actions ou parts sociales, fonds d'Etat, obligations, créances chirographaires ou hypothécaires". Si l'on considère que la formule ne concerne que les "et tous les autres biens", il en ressort inévitablement que les actions ou parts sociales relèvent par nature de l'article 6 et, par conséquent échappent, dans tous les cas, au régime spécifique des immeubles. Si l'on estime, au contraire, que la formule vise également les actions ou parts sociales, l'article 6 se présente comme une règle générale applicable à tous les biens qui ne sont pas concernés par les articles spécifiques qui le précédent, c'est-à-dire les articles 2 à 5. Autrement dit, certaines actions ou parts sociales pourraient parfaitement rentrer dans le champ d'application de l'article 2, dès lors que ces actions ou parts sociales présentent un caractère immobilier.

Alors que la Chambre commerciale Cour de cassation avait résolument opté pour la seconde lecture en indiquant que "seuls les biens auxquels ne s'appliquent pas les articles 2 à 5 de ladite Convention relèvent dudit article 6", la cour d'appel de renvoi a persisté à retenir la première interprétation, la plus étroite, en précisant, entre autres arguments pour débouter l'administration fiscale, que l'article 6 "vise spécifiquement les parts sociales".

27. Indiscutablement, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation censure sur ce point l'analyse qu'avait faite la Chambre commerciale, en indiquant, après avoir qualifié les parts sociales en cause de biens incorporels de nature mobilière, que la société monégasque "relevait de l'article 6, qui vise les actions ou parts sociales".

Cette solution peut se justifier en considérant que pour déterminer l'article pertinent dans une convention fiscale, il faut en principe se référer à l'article le plus précis, car ce dernier prévaut normalement sur le plan plus général en raison de la règle "specialia generalibus derogant" (15). Or, les parts sociales sont une catégorie très particulière de biens alors que l'article 2 vise une catégorie générale, à savoir les immeubles et les droits immobiliers.

28. Il n'en reste pas moins que la lecture que l'Assemblée plénière fait de l'article 6 est curieuse dans la mesure où il ne fait aucun doute que certaines actions ou parts sociales, dès lors qu'elles sont investies "dans une entreprise commerciale, industrielle ou autre", rentrent dans le champ d'application de l'article 5 de la Convention (16). De la même manière, certaines actions ou parts sociales peuvent avoir un caractère immobilier et, par conséquent, rentrer dans le champ d'application de l'article 2. L'échange de lettres en les Gouvernements français et monégasque du 16 juillet 1979 précise d'ailleurs que "pour l'application du paragraphe 1er de l'article 2 de la Convention [...], les immeubles et droits immobiliers représentés par des actions et parts sociales de sociétés ayant pour objet la construction ou l'acquisition d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance ne sont soumis à l'impôt sur les successions que dans l'Etat où ils sont situés".

29. Mais l'Assemblée plénière considère que cet échange de lettres, qui avait pourtant cristallisé l'ensemble du débat et constituait le moyen essentiel du pourvoi, est surabondant pour résoudre le problème.

La question de la portée de l'échange de lettres était effectivement périphérique au conflit principal et brouillait incontestablement le débat.

Dans un commentaire d'une grande clarté relatif à l'arrêt du 9 octobre 2012, Bruno Gouthière avait parfaitement montré que l'échange de lettres ne pouvait, contrairement à ce qu'avait affirmé la Chambre commerciale de la Cour de cassation, avoir étendu le champ d'application du paragraphe 1er de l'article 2 de la Convention (17). Un tel accord entre fonctionnaires non ratifié ne peut étendre le champ d'application d'un traité international. Il ne s'agit nullement d'un avenant au traité. C'était donc à tort, à son avis, que la Cour de cassation avait donné à cet échange de lettres une portée juridique qu'il n'avait pas. Tout au plus, reconnaissait-il qu'il s'agissait d'une interprétation éventuellement intéressante que le juge de l'impôt pouvait prendre en considération s'il le souhaitait, pourvu que cette interprétation s'appuie sur des textes et qu'elle soit suffisamment étayée.

30. Le fait de déterminer si cet échange de lettres étendait ou restreignait la portée (juridique ?) de l'article 2 de la Convention n'avait ainsi aucun sens. D'autant que l'échange de lettres, en reprenant fidèlement la lettre de l'article 1655 ter du CGI (N° Lexbase : L1910HMP), visait exclusivement des sociétés très particulières dont les parts donnent vocation à la jouissance ou à l'attribution de lots de copropriété d'un immeuble alors que la société monégasque en cause ne rentrait en aucune façon dans cette catégorie.

C'est donc avec une grande habilité que l'Assemblée plénière surmonte la difficulté qui lui était posée en énonçant, à juste titre, que le recours à l'échange de lettres est surabondant pour débouter l'administration fiscale, et implicitement, mais sûrement qu'une lecture littérale de la Convention suffit.

Selon le premier avocat général dans cette affaire, la solution "résulte d'une disposition claire, c'est-à-dire insusceptible d'interprétation contraire, de la Convention bilatérale passée entre les deux Etats" et doit à son sens être considéré comme décisif (18).

31. Par là même, la Haute juridiction de l'ordre judiciaire rejoint la jurisprudence du Conseil d'Etat qui privilégie également cette méthode d'interprétation.

Cette lecture stricte de la Convention est suffisante pour régler le conflit, dès lors que l'Assemblée plénière avait pris soin de qualifier préalablement les parts sociales en cause de "biens incorporels de nature mobilière". En effet, dès cette qualification posée, l'affaire était entendue puisque, de toutes les manières, l'article 2 ne vise que les immeubles et droits immobiliers, tandis que l'article 6 mentionne expressément les parts sociales.

La question essentielle consistait effectivement à qualifier juridiquement les parts sociales litigieuses.

C - La qualification des parts sociales des sociétés à prépondérance immobilière

32. L'Assemblée plénière répond de manière directe à la question principale portant sur la qualification des parts sociales de la société monégasque.

33. La question de la qualification d'un bien (meuble ou immeuble) est, a priori, une question différente de celle de la localisation de ce bien (France ou Monaco). Si un bien est qualifié d'immeuble, mais se trouve localisé à Monaco, l'application de la Convention franco-monégasque implique que l'imposition de ce bien transmis par le décès de son propriétaire résidant à Monaco relève de cet Etat et non de la France.

L'Assemblée plénière ne répond pas à la question de la localisation du bien. Mais dès lors qu'elle affirme que les parts sociales litigieuses sont des "biens incorporels de nature mobilière", on peut aisément en déduire qu'il s'agit de biens meubles localisés à Monaco. En effet, les valeurs mobilières émises par une société qui a son siège social à Monaco sont considérées comme situées à Monaco (19).

34. En revanche, la Cour de cassation ne précise pas si elle s'est contentée de la définition civile des parts sociales ou si elle a recherché une définition "fiscale". En effet, la jurisprudence du Conseil d'Etat tend à faire prévaloir les définitions données par les textes fiscaux, lorsqu'il y a conflit avec d'autres textes. Par exemple, les juges suprêmes administratifs ont retenu une définition "fiscale" de la notion d'immeuble (immeuble par nature) et non pas une définition "civile" (immeuble par destination) dans un arrêt rendu en 2002 (20).

Pour déterminer si la Cour de cassation a préféré privilégier le droit civil au détriment du droit fiscal, il convient d'entrevoir la qualification des parts sociales en question sous le prisme de ces deux domaines de droit.

35. Rappelons que la division des biens en biens meubles et immeubles fonde l'ensemble des règles concernant le droit des biens (C. civ., art. 516 N° Lexbase : L1056ABQ et s.). Si le langage quotidien réduit le mot "immeuble" à la désignation d'un bâtiment urbain, il n'en est pas de même dans le langage juridique où le mot désigne tout un ensemble de biens et de droits. Si les biens qui ne peuvent être déplacés sont des immeubles, sont aussi juridiquement des biens immobiliers certains droits comme l'usufruit, les servitudes, les hypothèques et les actions judiciaires qui tendent à la revendication de la propriété immobilière. Dès lors, il est parfaitement envisageable que des parts sociales ou des actions puissent être analysées, éventuellement, comme des droits immobiliers particuliers.

36. Cependant, selon l'article 529, alinéa 1er du Code civil (N° Lexbase : L3103ABK), "sont meubles par la détermination de la loi les obligations et actions qui ont pour objet des sommes exigibles ou des effets mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d'industrie, encore que des immeubles dépendant de ces entreprises appartiennent aux compagnies. Ces actions ou intérêts sont réputés meubles à l'égard de chaque associé seulement, tant que dure la société". Il en ressort que les actions d'une société par actions sont des biens meubles quand bien même cette société ne posséderait que des immeubles. Toutefois, l'article 529 ne concerne que les actions et non, à proprement parler, les parts sociales. L'extension de la solution aux parts sociales s'explique par la théorie sous-jacente qui la justifie. En effet, c'est parce que la société a la personnalité juridique que les biens qu'elle possède ne sont pas la copropriété des associés. Les associés ont un droit de créance contre la société leur permettant de récupérer la valeur de leurs apports et d'avoir droit à une quote-part des bénéfices. Si les associés disposent d'un droit de propriété, ce droit s'exerce directement sur les actions qui étaient matérialisées à l'origine par des titres papier. Si les actions, comme toutes les valeurs mobilières, ont été dématérialisées en 1981, elles conservent leur qualification de biens meubles incorporels.

Comme c'est la théorie de la personnalité morale qui justifie la solution pour les actions, l'analyse doit en être identique pour les parts sociales depuis que toutes les sociétés acquièrent la personnalité juridique à compter de leur immatriculation.

37. En revanche, dès que la personnalité morale s'efface, il est possible d'estimer que les titulaires de parts sociales ont un droit direct sur l'immeuble, justifiant la qualification réelle immobilière de leurs droits. Cette analyse a pu être faite (21) à propos des parts de sociétés civiles d'attribution créées par la loi du 28 juin 1938, reprise aujourd'hui, à la suite de la loi du 16 juillet 1971 (N° Lexbase : L4688GU8), dans les articles L. 212-1 (N° Lexbase : L7217ABW) et suivants du Code de la construction et de l'habitat. Philippe Malinvaud fait, à cet égard, observer que si le législateur a tendance à donner à ces parts le statut d'immeubles, la jurisprudence applique le régime des meubles pour résoudre les problèmes non réglés par la loi. Pour lui ces sociétés sont d'une transparence particulièrement affirmée et d'une personnalité morale ténue, ce qui se manifeste tant en matière fiscale qu'en matière civile (22). Toujours en suivant cette idée, la Cour de cassation reconnaît aux juges du fond le droit de requalifier la cession de parts sociales en cession d'immeubles, dès lors qu'en réalité la société n'est qu'une coquille vide (23).

Cependant, et il convient de la souligner avec force, la Cour de cassation n'a jamais affirmé que les parts sociales d'une société civile immobilière étaient des immeubles.

Au contraire, elle affirme avec force que ces parts ont un caractère mobilier (24).

38. Qu'en est-il maintenant dans la loi ou la jurisprudence fiscale ?

Sans conteste, le droit fiscal a tendance à lever plus facilement le voile de la personnalité morale des sociétés lorsque ces dernières possèdent des immeubles. Ainsi l'article 728 du CGI (N° Lexbase : L7961HLG) prévoit que : "Sans préjudice des dispositions de l'article 1655 ter, les cessions d'actions ou de parts conférant à leurs possesseurs le droit à la jouissance d'immeubles ou de fractions d'immeubles sont réputées avoir pour objet lesdits immeubles ou fractions d'immeubles pour la perception des droits d'enregistrement". De même l'article 1655 ter du CGI prévoit que "les sociétés qui ont, en fait, pour unique objet soit la construction ou l'acquisition d'immeubles ou de groupes d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance, soit la gestion de ces immeubles ou groupes d'immeubles ainsi divisés, soit la location pour le compte d'un ou plusieurs des membres de la société de tout ou partie des immeubles ou fractions d'immeubles appartenant à chacun de ces membres, sont réputées, quelle que soit leur forme juridique, ne pas avoir de personnalité distincte de celle de leurs membres pour l'application des impôts directs". Dans ce cas, le principe de transparence fiscale s'applique pour la perception des droits de mutation par décès, la société est considérée comme n'ayant pas de personnalité distincte de celle de ses associés et la mutation des parts sociales est considérée comme ayant pour objet (25) :

- les locaux à la propriété ou à la jouissance desquels les droits sociaux donnent vocation, si la mutation intervient postérieurement à l'établissement d'un état de division et à l'affectation d'un local déterminé à chaque groupe d'actions ou de parts ;
- une quote-part de l'actif social représenté par les droits sociaux, si la mutation intervient avant l'établissement de l'état de division.

39. Cependant, Bruno Gouthière considère que les titres de sociétés transparentes sont réputés ne pas avoir de personnalité juridique distincte de celle de leurs membres, si bien qu'il est possible de soutenir que les titres de ces sociétés doivent être traités comme des immeubles pour l'application des conventions fiscales (26).

Quoi qu'il en soit, ces remarques ne concernent que des sociétés immobilières de copropriété et non les sociétés à prépondérance immobilière.

Or, dans notre affaire, les juges du fond avaient qualifié la société monégasque de société à prépondérance immobilière.

40. L'article 726 du CGI (N° Lexbase : L9764I3Z), relatif aux cessions de droits sociaux, précise qu'est "à prépondérance immobilière la personne morale [...] dont l'actif est, ou a été au cours de l'année précédant la cession des participations en cause, principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés en France ou de participations dans des personnes morales [...] elles-mêmes à prépondérance immobilière". La société à prépondérance immobilière n'est donc pas une société de copropriété, mais une société de gestion. Elle ne se confond pas avec les immeubles dont elle est propriétaire, mais a une existence en dehors de chacun d'entre eux : il n'est pas question de les partager, mais de les exploiter. Or, si le législateur français a décidé que la mutation à titre gratuit de sociétés de cette sorte devait être imposée en France au même taux que pour les mutations d'immeubles, il n'en a pas, pour autant, fait des biens immobiliers. Bien au contraire, l'article 726 commence par indiquer que "les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement dont le taux est fixé [...]". Au demeurant, comme le relève Laurent Le Mesle, si les parts de "SCI" relevaient, par nature, de la rubrique "immeubles et droits immobiliers", les conventions les plus récentes (avec l'Allemagne, l'Italie...) n'auraient pas eu besoin de le préciser expressément (27). On soulignera également que plusieurs réponses ministérielles allaient dans ce sens (28) et que, dans une instruction du 26 avril 1999 (29), l'administration avait précisé qu'aucune des 35 Conventions fiscales conclues par la France en matière de droits de mutation à titre gratuit, y compris, par conséquent, la Convention franco-monégasque, ne permettait l'application du 2ème alinéa de l'article 750 ter, 2° du CGI. Pour finir, on rappellera que le rapport du ministère des Finances et de l'Industrie "sur les relations économiques et financières entre la France et la Principauté de Monaco" d'octobre 2000 (30) propose de "modifier la convention de 1950 sur les successions, notamment s'agissant de l'imposition des parts de SCI monégasques propriétaires de biens immobiliers situés en France. La Convention actuelle permet en effet aux héritiers de parts de SCI monégasques propriétaires de biens immobiliers situés en France d'éluder l'impôt sur les successions lorsque le défunt résidait à Monaco". La réforme n'a jamais abouti contrairement à ce qui s'est passé pour la Convention sur les revenus.

41. Pour conclure, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a parfaitement énoncé que les parts sociales de la société monégasque, même si elle est à prépondérance immobilière, sont des biens incorporels de nature mobilière. Qu'en appliquant ensuite scrupuleusement la Convention franco-monégasque, sans procéder à une interprétation déformante, la Haute cour pouvait souverainement en déduire que ces parts relevaient de l'article 6 qui vise précisément les parts sociales et non l'article 2 qui concerne les immeubles et droits immobiliers. Qu'en conséquence, c'était donc bien la Principauté de Monaco qui était investie du droit d'imposer ces parts aux droits de mutation à titre gratuit. Au final, à défaut de réellement promouvoir la règle de la supériorité des conventions fiscales sur le droit interne, la Haute juridiction propose une règle de raison en écourtant le raisonnement pour répondre rapidement et sans détour à la question de fond.


(1) D. Hadjiveltchev et F. Roux, Les parts sociales sont-elles des immeubles ? La Cour de Cassation n'en doute point !, Option Finance, 10 décembre 2012 : les auteurs estiment que l'article 750 ter du CGI "se limite à définir si un bien est français ; il ne qualifie pas la nature du bien. Ainsi, selon ce texte, les titres de sociétés qui détiennent des immeubles en France peuvent être considérés (sous certaines conditions) comme des biens français. Les titres ne sont pour autant pas qualifiés d'immeubles". Cette analyse s'appuie assurément sur la lettre de l'alinéa 4 de l'article 750 ter, 2°. Il s'agirait d'un texte de "territorialité". Cette analyse suppose, néanmoins, que l'on fasse abstraction de la notion d'immeuble possédé indirectement, puisque, dans cette situation, l'immeuble est réputé faire partie de la succession dès lors qu'il est situé en France et la qualification ou la localisation des parts sociales n'a donc plus d'importance.
(2) B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, éd. Fr. Lefebvre, 9ème éd., n° 46700 et s..
(3) Cass. com. 9 octobre 2012, n° 11-22.023, F-P+B (N° Lexbase : A3451IUD), Bull n° 180 ; B. Gouthière, Convention franco-monégasque : droits de succession, éd F. Lefebvre, FR 50 /12, n° 8, questions d'actualité ; D. Gutmann et E. Pornin, Octobre 2011-octobre 2012 : la fiscalité du patrimoine en évolution constante, Droit et patrimoine, février 2013, chron. n° 56 ; D. Hadjiveltchev et F. Roux, Les parts sociales sont-elles des immeubles ? La Cour de cassation n'en doute point !, Option Finance, 10 décembre 2012 ; Ch. Laroche, Convention franco-monégasque : détermination du lieu d'assujettissement aux droits de succession d'immeubles représentés par des titres, Revue de droit fiscal, 7 février 2013, comm. 144.
(4) En ce sens Avis de l'avocat général, L. Le Mesle, sous Ass. plén. 2 octobre 2015.
(5) Références précitées.
(6) B. Gouthière, article précité.
(7) D. Hadjiveltchev et F. Roux, article précité.
(8) CE Ass., 28 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0219AZ7), Rec. CE 2002, p. 233 ; Dr. fisc., 2002, n° 36, comm. 657 ; Dr. fisc., 2002, n° 36, étude 28, P. Dibout, L'inapplicabilité de l'article 209 B du CGI face à la convention franco-suisse du 9 septembre 1966 (à propos de l'arrêt CE, ass., 28 juin 2002), Dr. sociétés, 2002, comm. 184, note J.-L. Pierre, RJF, 10/2002, n° 1080, chron. L. Olléon, p. 755, BDCF, 10/2002, n° 120, concl. S. Austry, Rev. Sociétés, 2002, p. 538 et s., obs. O. Fouquet, LPA, 17 août 2002, p. 4 et s., note B. Boutemy, E. Meier et Th. Perrot, Bull. Joly Sociétés, 2002, n° 200, note C. Nouel et S. Reeb, BGFE, 2002, n° 4, p. 3 et s., obs. E. Davoudet, FR Lefebvre, 34/2002, p. 14, obs. N. Chahid-Nouraï et P. Couturier, GAJF, 4ème éd., n° 4 ; CE 3° et 8° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 290266, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2858DX7), Rec. CE 2007, tables, p. 776, Dr. fisc., 2007, n° 43, comm. 937, note J.-Ch. Gracia, RJF, 11/2007, n° 1302, BDCF, 11/2007, n° 132, concl. F. Séners.
(9) D. Gutmann, Droit fiscal des affaires, Monchrestien-Lextenso éd., 6ème éd., n° 66.
(10) J.-L. Pierre, Titres détenus par un non-résident dans une société à prépondérance immobilière étrangère propriétaire d'immeubles en France, JCP, éd. E, 2010, 1462.
(11) Ibid.
(12) Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-15.044, FS-P+B (N° Lexbase : A0311GDU), Bull. n° 160.
(13) J.-P. Maublanc, Taxation rétroactive à l'ISF, sur leur patrimoine mondial, des Français établis à Monaco depuis 1989, Droit fiscal, 2011, n° 3, comm. 117.
(14) B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, précité, n° 10232.
(15) En ce sens, B. Gouthière, préc., n° 10490.
(16) En ce sens, Avis de L. Le Mesle, p. 5.
(17) Cass. com., 9 octobre 2012, préc. ; B. Gouthière, Convention franco-monégasque : droits de succession, préc..
(18) Avis L. Le Mesle, préc..
(19) B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, préc., n° 48060.
(20) CE 9° et 10° s-s-r., 27 mai 2002, n° 125959, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8154AYN), RJF, 8-9/02, n° 900, conclusions G. Goulard au BDCF, 8-9/02, n° 104 ; B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, préc., n° 9450.
(21) M.-C. de Lambertye-Autrand, La distinction des meubles et immeubles en droit international privé, Thèse Paris 1, 2001.
(22) Ph. Malinvaud, La distinction des meubles et immeubles à l'épreuve des sociétés d'attribution, études offertes à Roger Houin, Dalloz-Sirey, 1985, p. 201.
(23) Cass. civ. 3, 5 mai 1981, n° 79-17.115, publié au bulletin (N° Lexbase : A1879CGP), Bull. civ. III, n° 90 : "L'arrêt, par motifs propres et adoptés, énonce souverainement que la société n'a été qu'une technique de commercialisation, que la cession de parts sociales n'a été qu'une forme juridique dénuée d'effets réels, les cessionnaires n'ayant jamais été effectivement associés puisque l'acte de cession entraînait immédiatement partage et attribution à l'acquéreur d'un lot privatif et de tantièmes de parties communes, et que par le biais d'une société civile d'attribution et sous la forme d'une cession de parts, les consorts avaient procédé à des ventes d'immeuble achevé".
(24) Cass. civ. 3, 9 avril 1970, n° 68-13.956 (N° Lexbase : A6556AGW), Bull. civ. III, n° 234, JCP éd G, II, 16925, note Petot-Fontaine ; Cass. civ. 3, 15 mai 1970, n° 68-13.973, publié au bulletin (N° Lexbase : A5562CHH), Bull. civ. III, n° 340 ; Cass. civ. 3, 23 octobre 1974, n° 73-12.024, publié au bulletin (N° Lexbase : A7371CIT), Bull. civ. III, n° 375, RTD Com., 1975, p. 326, note Saint-Alary.
(25) Rapport M. Dagneau sous Ass. plén. 2 octobre 2015, p. 15.
(26) B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, préc., n° 48125.
(27) Avis L. Le Mesle, sous Ass. plén. 2 octobre 2015.
(28) Réponse faite à Charles Ehrmann, député : "les transmissions par décès de parts d'une société civile, quelles que soient la nature et la localisation de ses actifs, sont imposables en France si le défunt avait son domicile en France au moment de son décès" (Rép ministérielle n° 52230 à Monsieur Charles Ehrmann, JOAN Q, 24 février 1992, p. 884). Voir également la (réponse à M. Patriat, JOAN, 25 septembre 1989, n° 12663, p. 4260.
(29) BOI-ENR-DMTG-10-10-30, n° 420 (N° Lexbase : X8211ALP).
(30) La documentation française.

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Fonction publique

[Jurisprudence] Le Conseil d'Etat conforte les mesures d'ordre intérieur en droit de la fonction publique en considérant uniquement leurs effets sur la situation des agents publics

Réf. : CE, Sect., 25 septembre 2015, n° 372624, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8495NPC)

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par Olivier Dord, Professeur agrégé de droit public, Université Paris Ouest - Nanterre La Défense (CRDP-EA n° 381)

Le 22 Octobre 2015

Dans un arrêt de Section rendu le 25 septembre 2015, le Conseil d'Etat précise la catégorie des mesures d'ordre intérieur en contentieux de la fonction publique. Il affirme d'abord que les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Il précise ensuite que le recours contre une telle mesure, à moins qu'elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d'affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l'agent public concerné. Par une décision du 23 août 2011, Mme B., contrôleur du travail en fonction dans une section parisienne de l'inspection du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Ile-de-France, est affectée dans une autre section de cette même direction. Cette mesure est prise dans l'intérêt du service afin de mettre fin aux difficultés relationnelles de Mme B. avec plusieurs de ses collègues. L'intéressée, qui considère ce changement d'affectation comme une sanction déguisée, saisit le tribunal administratif de Paris. Elle demande, en vain, l'annulation de cette décision et que soit enjoint, sous astreinte, au ministre du travail de la réintégrer dans son ancienne affection. Contestant le rejet de sa requête, elle saisit la cour administrative d'appel de Paris. Par une ordonnance du 27 septembre 2013, le président de la cour transmet en application de l'article R. 351-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2998ALM) son pourvoi au Conseil d'Etat. Dans son pourvoi et deux mémoires complémentaires, Mme B. demande à ce dernier d'annuler le jugement du 28 mars 2013 du tribunal administratif de Paris ; de régler l'affaire au fond en faisant droit à sa demande de première instance et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4). Dans une décision du 25 septembre 2015, la Section du contentieux du Conseil d'Etat rejette le pourvoi de Mme B.

Ce rejet s'explique au plan juridique par la réaffirmation des effets d'une décision d'ordre intérieur comme unique critère de sa qualification (I) et la confirmation de l'existence d'une discrimination illégale comme nouvelle cause de requalification d'une telle mesure (II). Ce rejet permet aussi, de façon plus stratégique, de préserver la liberté de gestion de l'employeur public et l'accessibilité du prétoire du juge de la légalité (III).

I - La qualification de mesure d'ordre intérieur au regard de ses seuls effets sur la situation de l'agent

La catégorie des mesures d'ordre intérieur répond à un régime juridique bien connu : il s'agit de la qualification donnée par le juge administratif à une décision individuelle de l'administration qui, dès lors, est insusceptible de tout recours contentieux. Il en va de même pour le refus de l'édicter (1) ou de la retirer (2). Elle ne saurait pas davantage être contestée par voie d'exception (3) ni engager la responsabilité de l'administration (4). En droit de la fonction publique civile, figurent au premier rang de ces mesures le simple changement d'affectation ou le changement de tâche d'un agent public (5), mais aussi des remontrances faites à un fonctionnaire non portées à son dossier (6) ou encore le refus d'une autorisation d'absence d'une journée demandée pour convenance personnelle (7).

Si leur régime contentieux est clair, l'identification des mesures d'ordre intérieur est plus délicate (8). Parmi les critères traditionnellement invoqués pour fonder cette catégorie (9), seule l'importance des effets, juridiques ou matériels, d'une telle mesure sur la situation de l'intéressé paraît aujourd'hui pertinente. C'est ce que réaffirme de façon solennelle l'arrêt rapporté à propos du contentieux de la fonction publique. Au début d'un considérant de principe, le Conseil d'Etat énonce en effet que "les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours [...]". Cette phrase appelle deux remarques. D'une part, les mesures d'ordre intérieur sont bien des décisions administratives exécutoires et non des actes dépourvus de tout effet juridique comme les actes préparatoires. D'autre part, il revient au juge administratif de décider au cas par cas, compte tenu de l'importance des effets d'une telle mesure sur la situation de l'agent concerné, si elles font grief ou pas. L'adage De minimis non curat praetor est confirmé comme devise de la catégorie des mesures d'ordre intérieur.

Compte tenu de la clarification ainsi opérée, le Conseil d'Etat abandonne une veine jurisprudentielle qui s'écarte de cette position de principe en faisant obstacle à ce qu'une décision administrative individuelle prise en considération de la personne puisse être qualifiée de mesure d'ordre intérieur (10). Dans ses conclusions conformes sous la décision commentée (11), le rapporteur public plaide pour cet abandon en insistant sur la différence de finalité qui caractérise, d'une part, les mesures d'ordre intérieur et, d'autre part, les mesures prises en considération de la personne. Les premières constituent selon M. Pellissier "l'un des points d'équilibre entre les exigences de la légalité et celles d'une bonne administration des services publics et de la justice". Quant aux secondes, elles ont pour objet d'assurer aux agents publics le respect d'une garantie procédurale qui est l'accès au dossier. Croiser les deux catégories en acceptant de généraliser la recevabilité d'un recours contre toute mesure d'ordre intérieur prise en considération de la personne conduirait, toujours selon le rapporteur public, à "un changement radical de logique". La notion de décision faisant grief ne viserait plus alors à filtrer les recours en fonction de l'impact des décisions sur leurs destinataires, mais bien à assurer les conditions du contrôle de leur légalité. Ce contrôle ne manquerait pas, en outre, de s'étendre aux motifs de la décision menaçant ainsi l'autre objet de la catégorie des mesures d'ordre intérieur, qui est de garantir à l'administration une certaine liberté dans l'organisation de ses services. Dans l'espèce commentée, le Conseil d'Etat suit son rapporteur public en confirmant l'autonomie contentieuse des deux catégories juridiques en cause. Il qualifie donc de mesure d'ordre intérieur le simple changement d'affectation de la requérante d'une résidence administrative à une autre au sein de la même commune, nonobstant les motifs tenant à son comportement qui l'ont motivé. La demande est donc rejetée pour irrecevabilité.

II - La requalification confirmée d'une mesure d'ordre intérieur en cas de discrimination illégale d'un agent

Comme dans d'autres secteurs de l'activité administrative (école, armée et prisons), le juge administratif opère une restriction du champ des mesures d'ordre intérieur en matière de fonction publique civile. Il fixe les bornes au-delà desquelles un recours contentieux devient recevable en raison de l'importance des effets d'une telle mesure sur la situation de l'agent public. Dégagée progressivement par une jurisprudence déjà ancienne (12), ce cadre est rappelé dans la deuxième partie du considérant de principe de l'arrêt commenté. Selon le Conseil d'Etat, constituent en effet des mesures d'ordre intérieur pour les fonctionnaires requérants "les mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération". Si une mesure d'ordre intérieur porte atteinte aux droits professionnels ou aux droits fondamentaux de l'agent public concerné, un recours formé à son encontre est alors recevable. Cette grille d'analyse permet aussi de rendre compte des mesures d'ordre intérieur qui constituent des sanctions disciplinaires déguisées (13). Selon les conclusions du président Genevois sous l'arrêt "Spire" du 9 juin 1978 (14), une telle décision suppose la présence à la fois d'un élément objectif relatif aux effets de la mesure sur la situation professionnelle de l'agent, et un élément subjectif tenant à l'intention de la hiérarchie de punir le subordonné. Il revient alors au juge d'apprécier les conséquences de la mesure sur la situation de l'agent. En présence d'une décision aux effets négligeables qui pourrait être qualifiée de mesure d'ordre intérieur, le premier élément manque en fait et il n'est pas besoin de s'interroger sur l'existence du second. Donc, si l'on est conduit à rechercher l'élément subjectif, c'est que la décision en cause fait déjà grief au regard de ses effets sur l'agent public.

Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat confirme en outre une avancée jurisprudentielle récente qui résulte de son arrêt du 15 avril 2015 rendu dans l'affaire "Pôle Emploi" (15). Il existe désormais une nouvelle limite à l'injusticiabilité des mesures d'ordre intérieur : leur éventuel caractère discriminatoire. Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat juge qu'une mesure qui ne porte atteinte ni aux perspectives de carrière, ni à la rémunération d'un agent, mais traduit une discrimination illégale est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Parce qu'elle porte atteinte au droit à la non-discrimination en fonction de certains critères (opinion, origine...) que le fonctionnaire tient de l'article 6, alinéa 2 de la loi statutaire du 13 juillet 1983 (loi n° 83-634, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3), la mesure d'ordre intérieur peut être requalifiée en mesure faisant grief. Sur le terrain de la charge de la preuve, il revient toutefois au requérant de soumettre au juge, selon les termes de l'arrêt "Pôle emploi" précité, "des éléments de faits précis et concordants" permettant d'établir que la décision repose sur des motifs discriminatoires. La première étape de l'administration de la preuve telle que dégagée de façon générale par l'arrêt d'Assemblée "Mme Perreux" du 30 octobre 2009 (16), intervient alors au stade de la recevabilité du recours. Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat, après avoir affirmé que le recours contre les mesures d'ordre intérieur, "à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable", juge, qu'en l'espèce, il n'est ni démontré ni même soutenu que le changement d'affectation de l'intéressée traduirait une discrimination.

III - La préservation de la liberté de gestion de l'administration et de l'accessibilité du prétoire du juge

De façon plus stratégique, la solution retenue dans l'arrêt rendu le 25 septembre 2015 contribue à alléger les contraintes qui pèsent tant sur l'administration que sur le juge de la légalité. S'agissant de l'administration, elle voit ainsi sa liberté de gestion des agents confortée. Dans le cadre de la distinction cardinale qu'opère le statut général des fonctionnaires entre le grade et l'emploi, l'employeur public bénéficie d'un pouvoir d'organisation des services que traduit à titre principal l'affectation des agents. Conforter la qualification de mesures d'ordre intérieur des simples changements d'affectation ou de tâche, qu'ils soient ou non pris en considération de la personne, renforce à l'évidence ce pouvoir d'organisation en le préservant contre les recours excessifs des agents ou de leurs groupements. Les circonstances de l'espèce commentée le soulignent suffisamment. S'agissant du juge de la légalité, qualifier une décision individuelle de mesure d'ordre intérieur lui permet d'opposer au requérant l'irrecevabilité de sa requête qui n'est pas régularisable et souvent manifeste. Le recours peut alors être rejeté sans examen au fond par simple ordonnance au titre des articles R. 122-12 (N° Lexbase : L5968IG7) et R. 222-1 (N° Lexbase : L7258KHB) du Code de justice administrative. La décision rapportée conduit ainsi à relativiser les avancées introduites par le décret n° 2013-730 du 13 août 2013, portant modification du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7180IX9), en matière de contentieux de la fonction publique. Le rétablissement, sauf exception (17), de l'examen en formation collégiale et de l'appel des jugements dans ce secteur devient en effet bien théorique face à cet instrument efficace de régulation des flux que constitue le rejet par voie d'ordonnance.

A titre de conclusion, nous souscrivons sans réserve à l'affirmation de M. Gilles Pellissier selon laquelle : "imposer aux agents publics qui peuvent sans grand risque saisir le juge administratif d'une décision relative à l'organisation du service qu'elle doit avoir un certain impact sur leur situation nous semble une juste contrepartie de la protection que leur offre leur situation juridique et de la garantie que représente l'existence d'une voie de droit d'accès facile telle que le recours pour excès de pouvoir pour la défendre lorsqu'elle est sérieusement compromise".


(1) CE, 17 octobre 1986, n° 59536 (N° Lexbase : A5130AMX), Rec. p. 650.
(2) CE, 20 octobre 1954, Chapon, Rec. p. 541.
(3) CE, Ass, 6 mai 1966, n° 57452 (N° Lexbase : A4227B7P), Rec. p. 305.
(4) CE, 10 mars 1982, n° 24010 (N° Lexbase : A7124B7Y), Rec. p. 534.
(5) CE, 4 janvier 1946, Amiel, Rec. p. 2 ; CE, 23 novembre 1951, Hartmann, Rec. p. 548.
(6) CE, 25 janvier 2006, n° 275070 (N° Lexbase : A5411DMD), Rec. p. 29.
(7) CE 2° et 7° s-s-r., 11 mai 2011, n° 337280, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8761HQK), p. 981.
(8) C. Chauvet, Que reste-t-il de la "théorie" des mesures d'ordre intérieur ?, AJDA, 2015, p. 793.
(9) R. Odent invoque ainsi leur caractère exclusivement interne à l'administration, l'absence d'effet sur la situation juridique des intéressés ou encore leur caractère discrétionnaire (v. Contentieux administratif, rééd. Dalloz, 2007, t. 1, p. 784).
(10) V. notamment CE, 13 mars 1985, n° 48365 (N° Lexbase : A3425AMS), T. pp. 664 et 778.
(11) L'auteur remercie sincèrement M. Gilles Pellissier, maître des requêtes au Conseil d'Etat, pour lui avoir permis d'accéder à ses conclusions.
(12) V. CE, Sect. 4 mars 1977, n° 02014 (N° Lexbase : A2784B7A), Rec. p. 126, RA, 1977, p. 267, concl. Labetoulle.
(13) CE 2° et 6° s-s-r., 18 mars 1996, n° 141089, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8134ANL) ; CE 2° et 6° s-s-r., 14 avril 1999, n° 199721, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3814AXK).
(14) CE, Sect., 9 juin 1978, n° 8397, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4887AIT).
(15) CE, 15 avril 2015, n° 373893, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9522NGR).
(16) CE, Ass., 30 octobre 2009, n° 298348 (N° Lexbase : A6040EMN), Rec. p. 407, concl. Guyomar.
(17) Selon le 2° de l'article R. 222-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0863IYM), ne sont plus jugés par un juge unique que les litiges relatifs à la notation ou à l'évaluation professionnelle des fonctionnaires ou agents publics ainsi qu'aux sanctions disciplinaires prononcées à leur encontre qui ne requièrent pas l'intervention d'un organe disciplinaire collégial.

newsid:449531

[Brèves] Impossibilité pour la caution d'opposer au créancier la clause du contrat de prêt instituant une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge

Réf. : Cass. com., 13 octobre 2015, n° 14-19.734, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1935NTT)

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N9517BUZ

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Le 22 Octobre 2015

La fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en oeuvre d'une clause contractuelle qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, ne concerne, lorsqu'une telle clause figure dans un contrat de prêt, que les modalités d'exercice de l'action du créancier contre le débiteur principal et non la dette de remboursement elle-même dont la caution est également tenue, de sorte qu'elle ne constitue pas une exception inhérente à la dette que la caution peut opposer. Tel est le sens d'un arrêt rendu le 13 octobre 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 13 octobre 2015, n° 14-19.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A1935NTT). En l'espèce, par acte sous seing privé, une personne s'est rendue caution solidaire envers une banque d'un prêt consenti, par celle-ci à une société, par acte authentique. La banque a assigné la caution en paiement du solde, cette dernière ayant opposé l'irrecevabilité de la demande pour non-respect de la procédure préalable de conciliation prévue par le contrat de prêt. La cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 23 janvier 2014, n° 11/09051 N° Lexbase : A7767MCN) a accueilli cette fin de non-recevoir, retenant que l'obligation de mettre en oeuvre une procédure préalable de conciliation s'analyse en une exception inhérente à la dette en ce que cette prévision est indifférente à la personne du souscripteur et ne se rapporte qu'à l'obligation souscrite, dont elle définit les modalités présidant à son admission et sa mise en exécution. Mais énonçant la solution précitée, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel au visa des articles 2313 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN) et 122 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1414H47 ; cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E9544AGL).

newsid:449517

Hygiène et sécurité

[Brèves] Absence de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés : annulation de la délibération du CHSCT désignant un expert

Réf. : Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-17.224, FS-P+B (N° Lexbase : A6031NTK)

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N9542BUX

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Le 22 Octobre 2015

Doit être annulée la délibération du CHSCT désignant un expert dès lors que l'existence d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail des salariés n'est pas avérée, le CHSCT se bornant à invoquer une baisse significative du chiffre d'affaires d'un établissement et la disparition de certaines productions attribuées à ce site, que cette situation était le résultat prévisible de la fin de certains marchés à quoi s'ajoutaient les difficultés conjoncturelles affectant l'industrie automobile en Europe et notamment des marques françaises, que s'il avait existé un projet de redéploiement industriel de l'activité dans le bassin Nord en 2008, celui-ci avait suscité un important conflit social conclu par un protocole d'accord du 14 mai 2009, complété par un avenant du 14 mai 2010 aux termes duquel la société FII s'est engagée notamment à ne pas remettre en cause la vocation industrielle du site jusqu'à fin 2015, et à maintenir sur le site un effectif de cent trente salariés. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 octobre 2015 (Cass. soc., 14 octobre 2015, n° 14-17.224, FS-P+B N° Lexbase : A6031NTK).
En l'espèce, la société Faurecia intérieur industrie (FII) fait partie du groupe Faurecia, qui constitue la division équipement automobile du groupe PSA Peugeot-Citroën, lequel déploie son activité dans le secteur automobile avec Peugeot Citroën automobiles, le secteur équipement automobile avec Faurecia, le secteur financier avec PSA finance, chacune de ces entités disposant de comités d'établissement et d'un comité central d'entreprise propres. En juillet 2012, la société Peugeot Citroën automobiles, faisant état de pertes importantes, a engagé un projet de réorganisation de ses activités et de réduction des effectifs consistant notamment en la fermeture de son site d'Aulnay-sous-Bois. Par délibération du 9 janvier 2013, le CHSCT de l'établissement d'Auchel de la société FII a décidé de recourir à l'expertise prévue à l'article L. 4614-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5577KGN).
La cour d'appel (CA Douai, 27 septembre 2013, n° 11/03298 N° Lexbase : A1534KMR) ayant annulé cette délibération, le CHSCT s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3403ET9).

newsid:449542

Marchés publics

[Brèves] Conditions de recevabilité de la contestation de la validité du contrat de la société susceptible d'intervenir comme sous-traitante d'un candidat évincé

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 391183, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3735NTI)

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N9607BUD

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Le 23 Octobre 2015

Si une société ne justifie pas, en sa seule qualité de société susceptible d'intervenir comme sous-traitante d'un candidat évincé, d'un intérêt lésé pouvant la rendre recevable à contester la validité du contrat en cause, en revanche, dès lors que l'offre d'un des candidats évincés reposait sur la technologie que fournit cette société, elle justifie être lésée par la conclusion du contrat litigieux de manière suffisamment directe et certaine pour être recevable à en demander l'annulation, ainsi que la suspension (voir CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6449MIP). Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 14 octobre 2015 (CE 2° et 7° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 391183, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3735NTI). Toutefois, le Conseil d'Etat relève que les moyens invoqués par la société requérante à l'encontre du contrat en litige, tirés de l'absence de publication au JOUE et de délai minimum de réponse de cinquante-trois jours, et de ce que ce contrat méconnaît l'article L. 1425-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2566KG7) et l'article 10 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2670HPL) ne sont pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité du marché en cause (cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E1141EUS).

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Procédure pénale

[Brèves] Inconstitutionnalité de la procédure de restitution en cours d'instruction des objets placés sous main de justice

Réf. : Cons. const., décision n° 2015-494 QPC, du 16 octobre 2015 (N° Lexbase : A3695NTZ)

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N9527BUE

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Le 22 Octobre 2015

Aucune disposition n'impose au juge d'instruction de statuer dans un délai déterminé sur la demande de restitution d'un bien saisi, formée en vertu du deuxième alinéa de l'article 99 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7171A4D). S'agissant d'une demande de restitution d'un bien placé sous main de justice, l'impossibilité d'exercer une voie de recours devant la chambre de l'instruction ou toute autre juridiction en l'absence de tout délai déterminé imparti au juge d'instruction pour statuer, conduit à ce que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) et prive de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété. Il en résulte que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 99 du Code de procédure pénale doivent être déclarées contraires à la Constitution. Telle est la solution retenue par un arrêt du Conseil constitutionnel, rendu le 16 octobre 2015 (Cons. const., décision n° 2015-494 QPC, du 16 octobre 2015 N° Lexbase : A3695NTZ). En l'espèce, selon les requérants, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 99 du Code de procédure pénale, qui n'impartissent au juge d'instruction, dans le cadre d'une information, aucun délai déterminé pour statuer sur une requête en restitution d'un bien saisi, portent atteinte, d'une part, au droit de propriété du saisi et, d'autre part, au droit à un recours juridictionnel effectif. Les Sages leur donnent raison mais décident, en vertu de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH) et afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, de différer l'effet de la décision d'inconstitutionnalité au 1er janvier 2017 (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4436EUT).

newsid:449527

Procédure pénale

[Textes] Adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne

Réf. : Loi n° 2015-993 du 17 août 2015, portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne (N° Lexbase : L2620KG7)

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N9534BUN

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par Guillaume Payan, Maître de conférences (HDR) à l'Université de Toulon, Membre du CDPC-JCE (UMR CNRS 7318)

Le 22 Octobre 2015

Le Code de procédure pénale vient de s'enrichir de nouvelles dispositions permettant d'adapter la législation française à l'évolution du droit de l'Union européenne. Ces dispositions sont issues de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 (1), laquelle transpose en droit français cinq instruments européens, en l'occurrence : la décision-cadre 2008/947/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 concernant l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de substitution (2) ; la décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil du 23 octobre 2009 concernant l'application, entre les Etats membres de l'Union européenne, du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions relatives à des mesures de contrôle en tant qu'alternative à la détention provisoire (3) ; la décision-cadre 2009/948/JAI du Conseil du 30 novembre 2009, relative à la prévention et au règlement des conflits en matière d'exercice de la compétence dans le cadre des procédures pénales (4) ; la Directive 2011/99/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la décision de protection européenne (5) ; la Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 (6), établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes (N° Lexbase : L5485IUP) (7). Sur le plan de la procédure législative française suivie, il est remarquable que 27 articles des 39 que comportait le projet de loi ont été censurés par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 13 août 2015 (8), en raison du défaut de lien "même indirect" avec le projet de loi initial. En somme, les nombreux articles jugés contraires à la Constitution s'analysaient, pour le Conseil constitutionnel, en des "cavaliers législatifs".

Sur le plan de la nature des instruments européens adoptés, on se bornera à souligner que les trois premiers instruments transposés en droit français -qui viennent d'être énumérés- comptent parmi les derniers à avoir été adoptés préalablement à l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. Contrairement aux deux autres textes -à savoir, des Directives adoptées conjointement par le Parlement européen et le Conseil-, il s'agit donc de "décisions-cadres" élaborées par le seul Conseil, en application des règles animant l'ancien "pilier justice et affaires intérieures". On le sait, en faisant disparaître l'organisation en "piliers" instituée par le Traité de Maastricht, le Traité de Lisbonne opère un certain alignement du régime juridique applicable en matière de coopération judiciaire pénale (9), sur celui gouvernant la coopération judiciaire civile (10), et tend à l'élaboration d'un véritable Espace judiciaire pénal européen.

Sur le plan substantiel, les dispositions de la loi n° 2015-993 paraissent s'articuler en trois axes principaux (11) : la gestion des conflits positifs de compétence internationale (I), l'élargissement du domaine du principe de reconnaissance mutuelle (II) ainsi que la protection des droits des victimes de la criminalité (III). Alors que les articles de cette loi intéressant les deux premiers sont entrés en vigueur le 1er octobre dernier, l'entrée en vigueur de ceux relatifs au troisième a été différée au 15 novembre 2015.

I - La gestion des conflits positifs de compétence internationale

La décision-cadre 2009/948/JAI du Conseil du 30 novembre 2009 (N° Lexbase : L0903I3T) (12) promeut une "coopération plus étroite", entre les autorités compétentes des Etats membres, visant à "éviter les situations dans lesquelles une même personne fait l'objet, pour les mêmes faits, de procédures pénales parallèles dans différents Etats membres qui seraient susceptibles de donner lieu à des jugements définitifs dans deux Etats membres ou plus, constituant ainsi une violation du principe non bis in idem'" (13). Pour le dire autrement, dans un souci de bonne administration de la justice, il est ici question des règles permettant de (tenter de) résoudre les cas de litispendance. La transposition de cet instrument européen se matérialise par l'ajout, au sein du chapitre II du titre X du livre IV du Code de procédure pénale, d'une section 8 relative à la prévention et au règlement des conflits en matière de compétence (C. pr. pén., art. 695-9-54 N° Lexbase : L2648KG8 à 695-9-57). Sont successivement envisagés le principe (A), la portée (B) et les suites (C) de la communication entre les autorités nationales au sujet des procédures pénales parallèles en cours.

A - Le principe d'une communication entre autorités nationales

Le principe d'un dialogue entre les autorités compétentes des Etats membres est consacré à l'article 695-9-54 du Code de procédure pénale. Ainsi, lorsque dans plusieurs Etats membres sont conduites des procédures pénales parallèles ayant pour objet les mêmes personnes pour les mêmes faits et que ces procédures peuvent conduire au prononcé de jugements définitifs, "les autorités compétentes des Etats membres concernés communiquent entre elles des informations relatives [auxdites] procédures pénales et examinent ensemble de quelle manière elles peuvent limiter les conséquences négatives de la coexistence de telles procédures parallèles". En somme, ce dialogue doit être mis à profit, par les autorités compétentes, pour tenter de trouver -éventuellement, avec l'assistance d'Eurojust (14)- un accord de nature à éviter le déroulement de procédures parallèles inutiles dans leurs Etats respectifs. On le voit, l'objectif poursuivi est assez modeste, du moins au regard des règles régissant les cas de litispendance élaborées par le législateur de l'Union européenne dans le domaine de la coopération judiciaire civile (15).

Le(s) décret(s) d'application de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 devrai(en)t préciser les contours de l'obligation des autorités françaises de prendre contact avec les autorités étrangères ou, inversement, de leur obligation de répondre. A cet égard, on peut signaler que les projets d'articles D. 47-1-1 et s. du Code de procédure pénale figurent dans l'étude d'impact rédigée par les services du ministère de la Justice en date du 18 avril 2014. Il ressort notamment du projet d'article D. 47-1-3 du Code de procédure pénale que lorsque l'autorité française compétente -en l'occurrence, le procureur de la République, le juge d'instruction ou la juridiction saisie de la procédure- "a des motifs raisonnables de croire qu'une procédure parallèle est en cours dans un autre Etat membre de l'Union européenne", il lui incombe de prendre contact avec l'autorité compétente de cet autre Etat membre. Cette démarche poursuit une double finalité. Il s'agit, d'une part, de s'assurer qu'une procédure parallèle est bien pendante et, d'autre part, "d'engager des consultations directes et d'éviter des poursuites concurrentes ou d'éviter qu'une même personne soit condamnée deux fois pour les mêmes faits".

Par ailleurs, ainsi qu'il est précisé dans le projet d'article D. 47-1-2 du Code de procédure pénale, ces échanges d'informations doivent s'effectuer par "tout moyen laissant une trace écrite" et de façon à permettre aux destinataires d'en vérifier le caractère authentique. De plus, une certaine célérité est imposée aux autorités judiciaires françaises sollicitées dans le cadre de ce dispositif. En ce sens, il est prévu qu'elles répondent "sans retard indu" et, "au plus tard dans les 10 jours à compter de la réception de la demande" dans le cas où la personne mise en cause est placée en garde à vue ou en détention provisoire (16).

B - La portée de la communication entre autorités nationales

Dans l'absolu, pour que le dialogue soit fructueux, toutes les informations pertinentes devraient pouvoir être échangées entre les autorités compétentes des Etats membres. Toutefois, la nature des informations visées appelle certaines restrictions.

A ce propos, ainsi que cela est affirmé à l'article 695-9-55 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2649KG9), "sous réserve de confidentialité", le principe du secret de l'enquête et de l'instruction consacré à l'article 11 de ce même code (N° Lexbase : L7022A4T) ne saurait constituer un obstacle à la communication, par l'autorité française compétente, d'"informations, issues de procédures pénales, relatives aux faits, aux circonstances, à l'identité des personnes mises en cause ou poursuivies et, le cas échéant, à leur détention provisoire ou à leur garde à vue, à l'identité des victimes et à l'état d'avancement de ces procédures". Il en va de même s'agissant de "toute autre information pertinente" ayant trait à la procédure, sous réserve toutefois qu'une telle communication "ne nuise pas au bon déroulement de l'enquête ou de l'instruction".

Au titre des limites, il en est une importante visée à l'article 695-9-56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2650KGA). Les autorités judiciaires françaises sollicitées d'une demande d'informations sont en droit d'opposer un refus lorsque lesdites informations sont de nature "à nuire aux intérêts fondamentaux de l'Etat en matière de sécurité nationale ou à compromettre la sécurité d'une personne". Il sera intéressant d'observer l'usage qui sera fait, par les autorités françaises, de cette limite -tout à fait légitime- au dialogue institué par la décision-cadre 2009/948/JAI du Conseil.

C - Les suites de la communication entre autorités nationales

Lorsque les échanges entre autorités compétentes des Etats membres concernés ont révélé l'existence de procédures pénales parallèles et ont débouché sur un "consensus sur un éventuel désistement" (17) d'une au profit d'une autre, seule va se poursuivre la procédure menée dans un de ces Etats. En pratique, l'autorité judiciaire française qui, au vu de ces échanges, décide de "s'abstenir de tout nouvel acte dans l'attente des résultats d'une procédure pénale parallèle à celle qu'elle conduit", doit en avertir les parties (18). Il est bon de préciser néanmoins que l'échec de la procédure pénale se déroulant à l'étranger permet aux autorités judiciaires françaises de reprendre la procédure (19).

II - L'élargissement du domaine du principe de reconnaissance mutuelle

Depuis l'important sommet du Conseil européen, tenu à Tampere en octobre 1999, le principe de reconnaissance mutuelle est présenté comme la "pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l'Union" (20). Véritable principe directeur de la coopération judiciaire, son domaine d'application ne cesse de s'étendre. Trois des instruments européens transposés par la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 en fournissent de nouvelles illustrations à l'égard des mesures de contrôle (A), des mesures de probation et des peines de substitution (B) ainsi que des mesures de protection européenne (C). L'étude des articles de cette loi révèle une certaine volonté d'adopter -autant que faire se peut- des règles sinon identiques, du moins similaires dans les différents domaines considérés (21).

A - Reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle

La décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil du 23 octobre 2009 (22) a un triple objet. Elle établit les règles sur la base desquelles un Etat membre va reconnaître une décision portant sur des mesures de contrôle rendue dans un autre Etat membre à titre d'alternative à la détention provisoire, assurer un suivi desdites mesures de contrôle ordonnées à l'encontre d'une personne physique et remettre cette personne à l'Etat membre d'émission en cas de méconnaissance de ces mesures (23). Les dispositions de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 la concernant ont été insérées dans un nouveau chapitre VI ("De l'exécution des décisions de contrôle judiciaire au sein des Etats européens de l'Union européenne en application de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 23 octobre 2009") du titre X du Livre IV du Code de procédure pénale (C. pr. pen.,, art. 696-48 N° Lexbase : L2652KGC à 696-89). A la suite de règles générales, sont tour à tour envisagés les cas où la France est l'"Etat d'émission" ou l'"Etat d'exécution" des décisions relatives à des mesures de contrôle.

Dispositions générales. Au titre de ces dispositions générales, des précisions sont tout d'abord apportées sur le caractère transfrontière de la situation. Par hypothèse, la mise en application de la décision de placement sous contrôle judiciaire doit avoir lieu dans un Etat membre différent de celui où elle a été prononcée. Plus précisément, deux situations peuvent se présenter : soit la personne visée par la décision réside -habituellement et dans des conditions régulières- sur le territoire d'un Etat distinct de celui où ladite décision a été adoptée "et, ayant été informée des mesures concernées, consent à y retourner" ; soit la "personne concernée demande que la décision de placement sous contrôle judiciaire s'exécute dans un autre Etat membre que celui dans lequel elle réside de manière habituelle, dans des conditions régulières, et l'autorité compétente de cet Etat consent à la transmission de la décision de placement sous contrôle judiciaire la concernant" (24).

Cette situation transfrontière conduit les autorités des deux Etats concernés à prendre contact. On distingue alors, d'une part, l'"Etat d'émission" (celui sur le territoire duquel a été ordonnée la décision de placer une personne sous contrôle judiciaire, dont la reconnaissance est demandée dans un autre Etat membre) et, d'autre part, l'"Etat d'exécution" (celui à qui est demandé de reconnaitre et de contrôler sur son territoire la décision, prononcée dans un autre Etat membre, de placer une personne sous contrôle judiciaire). Ce dialogue entre autorités a notamment pour finalité de déterminer si l'Etat d'exécution "consent à la transmission d'une décision de placement sous contrôle judiciaire" (25).

De plus, les différentes obligations susceptibles d'être imposées dans l'Etat d'exécution à la personne physique visée sont énumérées aux articles 696-50 (N° Lexbase : L2654KGE) et 696-51 (N° Lexbase : L2655KGG) du Code de procédure pénale. Il s'agit par exemple de l'obligation d'informer une autorité spécifique de tout changement de résidence, de l'interdiction de se rendre dans certains endroits, de l'obligation de rester dans un lieu déterminé pendant une période définie, de l'obligation de prendre contact avec des personnes liées à l'infraction ou encore, lorsque la France est l'Etat d'exécution, des différentes obligations énumérées à l'article 138 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9534I3I).

Enfin, la circulation transfrontière de la décision de placement sous contrôle judiciaire (ou, plus exactement, de sa copie certifiée conforme) est subordonnée à la délivrance d'un certificat -dont le contenu est détaillé à l'article 696-53 (N° Lexbase : L2657KGI) du Code de procédure pénale- fait office de "passeport judiciaire européen" (26). Dans un double souci de célérité procédurale et de sécurité juridique, la transmission de ces documents -copie de la décision et certificat- doit en principe être réalisée "directement" entre les autorités compétentes de l'Etat membre d'émission et celles de l'Etat membre d'exécution et cela "par tout moyen laissant une trace écrite et dans des conditions permettant au destinataire d'en vérifier l'authenticité" (27).

- Dispositions applicables lorsque la France est l'Etat d'émission. La compétence pour transmettre une décision de placement sous contrôle judiciaire -de même que le certificat précité et les différentes pièces s'y rapportant- aux fins de reconnaissance et d'exécution dans l'Etat membre d'exécution est conférée aux autorités judiciaires françaises à qui le Code de procédure pénale donne également compétence pour ordonner une telle mesure de placement (28). A noter que l'autorité judiciaire française qui a ordonné ledit placement sous contrôle judiciaire demeure compétente pour assurer le suivi de la mesure, aussi longtemps qu'elle n'a pas été informée de la reconnaissance, dans l'Etat membre d'exécution, de la décision qu'elle a rendue (29). Dans le même ordre d'idées, elle peut décider du retrait du certificat -et, partant du retrait de la demande de reconnaissance et d'exécution- dans les conditions strictement encadrées par les articles 696-60 (N° Lexbase : L2664KGR) et 696-61 (N° Lexbase : L2665KGS) (30).

- Dispositions applicables lorsque la France est l'Etat d'exécution. La réception des demandes relatives aux décisions étrangères de contrôle judiciaire (C. pr. pén., art. 696-66 N° Lexbase : L2670KGY à 696-69), la reconnaissance (C. pr. pén., art. 696-70 N° Lexbase : L2674KG7 à 696-83) et le suivi de ces décisions (C. pr. pén., art. 696-84 N° Lexbase : L2688KGN à 696-89) sont envisagés par le législateur. S'il ne s'agit point ici d'entrer dans le détail de ce dispositif, quelques dispositions méritent d'être brièvement évoquées.

En premier lieu, compétence est donnée au procureur de la République (31) non seulement pour recevoir les demandes relatives à la reconnaissance et à l'exécution en France des décisions de placement sous contrôle judiciaire prononcées dans les autres Etats membres, mais également pour solliciter un complément d'information ou encore obtenir de l'autorité de l'Etat d'émission la rectification du certificat (32). Il s'agit du procureur de la République du lieu de la (future) résidence -habituelle et régulière- de la personne placée sous contrôle judiciaire et, à défaut, du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris (33). Dans les trois jours ouvrables qui suivent la réception de la demande, ce dernier saisit alors le juge des libertés et de la détention territorialement compétent de la demande et de ses réquisitions (34).

En deuxième lieu, il est permis d'insister sur le fait que c'est le juge des libertés et de la détention (35) qui est compétent pour statuer sur la demande de reconnaissance des décisions étrangères de placement sous contrôle judiciaire ainsi que pour mettre à exécution et assurer le suivi des mesures ainsi reconnues (36). A cet égard, on relève avec intérêt que les motifs de refus de reconnaissance et d'exécution de la décision de l'autorité de l'Etat d'émission sont limitativement énumérés aux articles 696-73 (N° Lexbase : L2677KGA) (37) et 696-74 (N° Lexbase : L2678KGB) (38) du Code de procédure pénale. Motifs qui, pour la majorité d'entre eux, ne peuvent être opposés par le juge des libertés et de la détention qu'après que ce dernier a informé l'autorité de l'Etat membre d'émission et -le cas échéant- obtenu un complément d'informations (39). De même, il est permis à ce juge de procéder à l'"adaptation des mesures de contrôle judiciaire" prononcées à l'étranger ne correspondant pas à celles prévues en droit français (40). A la condition de ne pas être plus sévères, les mesures équivalentes (41) prévues dans la législation française peuvent ainsi être substituées à celles initialement ordonnées à l'étranger. Ces différentes solutions vont sans aucun doute dans le sens d'une libre circulation de ce type de décisions entre les Etats membres.

En troisième lieu, une fois la décision de placement sous contrôle judiciaire reconnue en France, les démarches nécessaires au suivi des mesures ordonnées sont prises par le juge des libertés et de la détention, conformément aux dispositions des articles 696-84 (N° Lexbase : L2688KGN) et s. du Code de procédure pénale. Il est notamment prévu que ce dernier puisse "à tout moment solliciter auprès de l'autorité de l'Etat membre d'émission des informations de nature à déterminer si le suivi desdites mesures est toujours nécessaire" (42).

B - Reconnaissance mutuelle des mesures de probation et des peines de substitution

L'adoption de la décision-cadre 2008/947/JAI du Conseil du 27 novembre 2008 (43) a été motivée par la volonté de "faciliter l'application de mesures de probation et de peines de substitution appropriées lorsque l'auteur de l'infraction ne vit pas dans l'Etat de condamnation" (44). Dans les relations entre les Etats membres, elle remplace la Convention du Conseil de l'Europe du 30 novembre 1964 pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition (45). En ce qui la concerne, les dispositions de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 ont été regroupées dans un nouveau titre VII quater ("De l'exécution des condamnations et des décisions de probation en application de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 27 novembre 2008") du livre V du Code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 764-1 N° Lexbase : L2694KGU à 764-43). A l'image de ce qui a été dit à propos de la décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil du 23 octobre 2009 relative à la reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle, ces dispositions sont classées en trois catégories : des règles générales, la reconnaissance et le suivi à l'étranger des condamnations et décisions prononcées par les juridictions françaises ainsi que la reconnaissance et le suivi en France des condamnations et décisions prononcées par les juridictions des autres Etats membres. D'ailleurs, le dispositif de reconnaissance et d'exécution révèle un certain mimétisme avec celui établi à l'occasion de la transposition de la décision-cadre 2009/829/JAI précitée.

- Dispositions générales. La transmission à l'autorité compétente d'un autre Etat membre d'une condamnation ou d'une décision de probation est envisagée dans deux situations : d'une part, lorsque "la personne concernée réside de manière habituelle, dans des conditions régulières, sur le territoire de cet Etat et y est retournée ou souhaite y retourner" et, d'autre part, lorsque la "personne concernée ne réside pas de manière habituelle, dans des conditions régulières, sur le territoire de cet Etat, mais demande à y exécuter sa peine ou mesure de probation, à condition que l'autorité compétente de celui-ci consente à la transmission de la décision de condamnation ou de probation la concernant" (46).

On distingue ici l'"Etat de condamnation" (correspondant à celui où a été prononcée la condamnation ou la décision de probation) et l'"Etat d'exécution" (à savoir celui sur le territoire duquel sont demandés la reconnaissance et le suivi de ces condamnations ou décisions) (47).

Alors que les condamnations et décisions pouvant donner lieu à une exécution transfrontière en application du dispositif mis en place sont énumérées à l'article 764-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2695KGW) (48), les articles 764-3 (N° Lexbase : L2696KGX) et 764-4 ([LXB=L2697KGY ]) de ce même code contiennent la liste des obligations et injonctions pouvant être imposées, dans l'Etat membre d'exécution, aux personnes condamnées, au titre des peines de substitution ou des mesures de probation. Pour ce qui est des obligations, on peut notamment citer celles d'informer une autorité spécifique de tout changement de domicile ou de lieu de travail ; de se présenter à des heures précises devant une autorité spécifique ou d'éviter tout contact avec des personnes spécifiques ; de réparer financièrement le préjudice causé par l'infraction ou l'obligation d'apporter la preuve que cette obligation a été respectée ; de réaliser des travaux d'intérêt général ou encore de coopérer avec un agent de probation ou avec un représentant d'un service social exerçant des fonctions liées aux personnes condamnées. Les injonctions adressées aux personnes condamnées peuvent prendre la forme d'interdictions telle que celle de se rendre dans certains lieux ou bien celle de détenir ou de faire usage d'objets spécifiques qui ont été utilisés par la personne condamnée ou pourraient l'être en vue de commettre un crime ou un délit.

Ici également, la circulation transfrontière des condamnations ou décisions de probation est conditionnée par la délivrance d'un "certificat" (49). De même, la transmission de l'ensemble des documents -certificat et copie de la condamnation ou de la décision de probation- doit en principe être réalisée "directement" entre les autorités compétentes de l'Etat membre d'émission et celles de l'Etat membre d'exécution et, cela, "par tout moyen laissant une trace écrite et dans des conditions permettant au destinataire d'en vérifier l'authenticité" (50).

Dispositions applicables lorsque la France est l'Etat de condamnation. Les magistrats du Parquet constituent les personnages centraux du dispositif mis en place. En ce sens, le ministère public près la juridiction qui a prononcé la condamnation ou rendu une décision de probation est compétent pour établir le certificat précité et pour transmettre, à l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution, aux fins de reconnaissance et de réalisation du suivi, cette condamnation ou décision de probation (51). A noter qu'à compter de la reconnaissance de la condamnation ou de la décision de probation par l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution, les autorités de cet Etat deviennent seules compétentes notamment pour procéder au suivi des mesures de probation ou des peines de substitution imposées ou encore pour modifier les obligations ou injonctions (52). Cependant, il est des cas -décrits aux articles 764-15 (N° Lexbase : L2708KGE) et 764-16 (N° Lexbase : L2709KGG) du Code de procédure pénale- dans lesquels les autorités judiciaires françaises redeviennent compétentes, à l'initiative de l'Etat membre d'exécution. Ainsi en est-il, par exemple, en cas de méconnaissance des obligations ou des injonctions mentionnées dans la condamnation ou dans la décision de probation, "pour prononcer la révocation du sursis à l'exécution de la condamnation ou de la libération conditionnelle ou prononcer et mettre à exécution une peine privative de liberté dans les cas pour lesquels l'Etat d'exécution a déclaré au secrétariat général du Conseil de l'Union européenne qu'il refuse d'exercer cette compétence".

Dispositions applicables lorsque la France est l'Etat d'exécution. Sur le modèle de celui retenu à l'égard de la mise en oeuvre de la décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil du 23 octobre 2009, relative à la reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle, le législateur français traite successivement la réception des demandes de reconnaissance et de suivi des condamnations et des décisions de probation (C. pr. pén., art. 764-18 N° Lexbase : L2711KGI à 764-21), la reconnaissance desdites condamnations et décisions de probation (C. pr. pén., art. 764-22 N° Lexbase : L2715KGN à 764-33) ainsi que le "suivi des mesures de probation et des peines de substitution et décision ultérieure en cas de non-respect" (C. pr. pén., art. 764-34 N° Lexbase : L2727KG4 à 764-43).

En premier lieu, les demandes tendant à la reconnaissance et à l'exécution en France des condamnations ou des décisions de probation prononcées par les juridictions des autres Etats membres sont adressées au procureur de la République (53). Ce dernier est également compétent pour solliciter un complément d'information ou encore obtenir de l'autorité de l'Etat d'émission la rectification du certificat (54). Il s'agit du procureur de la République du lieu de la résidence -habituelle et régulière- de la personne condamnée et, à défaut, du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris (55). Dans les sept jours ouvrables qui suivent la réception de la demande, ce dernier saisit alors le juge de l'application des peines territorialement compétent de la demande et de ses réquisitions (56).

En deuxième lieu, on constate que c'est le juge de l'application des peines (57) qui est compétent pour statuer sur la demande de reconnaissance et de suivi des condamnations et des décisions de probation (58), du moins lorsque la personne condamnée par la juridiction de l'Etat de condamnation est majeure à la date des faits (à défaut, cette compétence est confiée au juge pour enfants) (59). Dans le droit fil du principe de reconnaissance mutuelle, les motifs de refus de reconnaissance et d'exécution sont limitativement énumérés aux articles 764-24 (N° Lexbase : L2717KGQ) (60) et 764-25 (N° Lexbase : L2718KGR) (61) du Code de procédure pénale. Par voie de conséquence, en l'absence de tels motifs, le juge de l'application des peines doit reconnaître le caractère exécutoire en France de la décision étrangère de condamnation ou de probation. Il est à noter que, pour la majorité d'entre eux, ces motifs de refus ne peuvent être opposés par le juge de l'application des peines qu'après que ce dernier a informé l'autorité de l'Etat membre de condamnation et -le cas échéant- obtenu un complément d'informations (63). De même, il est permis à ce juge de procéder à l'"adaptation" de la mesure de probation ou de la peine de substitution prononcée à l'étranger lorsqu'elle ne correspond pas à celles prévues en droit français (63). Le choix du juge doit se porter sur "la mesure la plus proche de celle prononcée par l'Etat de condamnation qui aurait pu être légalement prononcée par une juridiction française pour les mêmes faits", conformément aux dispositions de l'article 764-26 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2719KGS).

En troisième lieu, en application de l'article 764-34 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2727KG4), l'"exécution de la condamnation ou de la décision de probation est régie par le code pénal et par le [Code de procédure pénale], y compris l'exécution des décisions ultérieures prises lorsqu'une mesure de probation ou une peine de substitution n'est pas respectée ou lorsque la personne condamnée commet une nouvelle infraction pénale". Il est à souligner que le suivi des mesures de probation et des peines de substitution dont la reconnaissance est définitive, est assuré par le juge de l'application des peines, dans les conditions déterminées aux articles 764-36 (N° Lexbase : L2729KG8) et suivants du Code de procédure pénale A titre d'exemple, il est compétent pour adopter toute mesure ultérieure modifiant les obligations ou la durée de la période probatoire, dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale (64). De même, il doit informer, l'autorité compétente de l'Etat membre de condamnation, de l'impossibilité d'exécuter la condamnation ou la décision de probation, lorsque la personne condamnée ne peut être localisée sur le territoire français (65).

C - Reconnaissance mutuelle des mesures de protection européenne

La reconnaissance mutuelle des mesures de protection a déjà été mise à l'honneur en début d'année avec l'entrée en application -le 11 janvier 2015- du Règlement (UE) n° 606/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures de protection en matière civile (N° Lexbase : L1845I44) (66). S'inscrivant dans le volet pénal de la coopération judiciaire, la Directive 2011/99/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 (67) vient, à son tour, d'être transposée en droit français par l'article 6 de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 (C. pr. pén., art. 696-90 N° Lexbase : L2737KGH à 696-107). La concernant, il résulte de l'article 696-90 du Code de procédure pénale qu'"une décision de protection européenne peut être émise par l'autorité compétente d'un Etat membre, appelé Etat d'émission, aux fins d'étendre sur le territoire d'un autre Etat membre, appelé Etat d'exécution, une mesure de protection adoptée dans l'Etat d'émission, imposant à une personne suspectée, poursuivie ou condamnée et pouvant être à l'origine d'un danger encouru par la victime de l'infraction, une ou plusieurs des interdictions suivantes : 1° Une interdiction de se rendre dans certains lieux, dans certains endroits ou dans certaines zones définies dans lesquelles la victime se trouve ou qu'elle fréquente ; 2° Une interdiction ou une réglementation des contacts avec la victime ; 3° Une interdiction d'approcher la victime à moins d'une certaine distance, ou dans certaines conditions".

Il y a lieu d'envisager brièvement les dispositions respectivement applicables lorsque la France est l'Etat d'émission ou l'Etat d'exécution de la décision de protection européenne.

Dispositions applicables lorsque la France est l'Etat d'émission. Sur demande de la victime ou de son représentant légal, une décision de protection européenne peut être délivrée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance dans le ressort duquel se situe l'autorité compétente qui a ordonné l'une des interdictions visées à l'article 696-90 du Code de procédure pénale (68). Il lui revient de vérifier le caractère contradictoire de la procédure à l'issue de laquelle la décision fondant la mesure de protection a été adoptée (69) et il doit apprécier la nécessité de faire droit à la demande d'émission d'une décision de protection européenne en prenant notamment en compte la durée du séjour envisagé par la victime dans l'Etat membre d'exécution (70). Ne peuvent donner lieu à l'émission en France d'une telle décision de protection européenne, les mesures de protection se fondant sur un titre qui a été transmis pour exécution dans un autre Etat membre en application des articles 696-48 (N° Lexbase : L2652KGC) à 696-65 (décisions de contrôle judiciaire) ou des articles 764-1 (N° Lexbase : L2694KGU) à 764-17 (condamnations et décisions de probation) du Code de procédure pénale, précités. Par ailleurs, la transmission de la décision de protection européenne à l'autorité compétente de l'Etat membre d'exécution doit être opérée dans le respect des dispositions de l'article 696-95 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2742KGN), c'est-à-dire par "tout moyen laissant une trace écrite", dans "des conditions permettant au destinataire d'en vérifier l'authenticité" et en étant "accompagnée de sa traduction soit dans l'une des langues officielles de l'Etat d'exécution, soit dans l'une de celles des institutions de l'Union européenne acceptées par cet Etat". Copie de cette décision est également transmise à la juridiction française ayant prononcé la mesure de protection à reconnaître dans l'Etat d'exécution.

Dispositions applicables lorsque la France est l'Etat d'exécution. Le procureur de la République (et, plus précisément, celui dans le ressort duquel la victime envisage de séjourner ou de résider ou, à défaut, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris) et le juge des libertés et de la détention apparaissent comme les principaux acteurs de la procédure.

C'est au procureur de la République que sont adressées les demandes tendant à la reconnaissance et à l'exécution en France des décisions de protection européenne délivrées par les autorités compétentes des autres Etats membres (71). C'est également lui qui peut (faire) procéder à tout complément d'enquête qu'il estime utile (72).

Dans un délai de sept jours ouvrables suivant la date de la réception de la demande de protection européenne (ou des informations complémentaires qu'il a sollicitées), le procureur de la République saisit alors le juge des libertés et de la détention de la demande de reconnaissance et de mise à exécution de la décision de protection européenne ainsi que de ses réquisitions. Il incombe notamment à ce dernier de statuer sur les demandes de reconnaissance et d'exécution dans un délai de dix jours.

Toujours dans la même optique de favoriser la libre circulation des décisions au sein de l'Espace judiciaire pénal européen, les motifs de refus de reconnaissance de la décision de protection européenne sont limitativement énumérés dans les articles 696-100 (N° Lexbase : L2747KGT) (73) et 696-101 (N° Lexbase : L2748KGU) (74) du Code de procédure pénale. De même, lorsque la décision de reconnaître la décision de protection européenne a été prise, le juge des libertés et de la détention détermine les mesures de protection prévues par le droit français, la mesure choisie correspondant "dans la mesure la plus large possible, à celle adoptée dans l'Etat d'émission" (75).

A noter que lorsqu'il décide de reconnaître la décision étrangère de protection européenne, le juge des libertés et de la détention notifie -sans délai- son ordonnance à l'auteur de l'infraction, conformément aux dispositions de l'article 696-103 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2750KGX) (76). Inversement, il revient à ce juge d'informer la victime et l'autorité compétente de l'Etat membre d'émission -"par tout moyen laissant une trace écrite"- de sa décision de refus, en en précisant les motifs dans un délai de dix jours (77). La victime peut d'ailleurs soulever une contestation contre ce refus, auprès de la chambre d'instruction compétente, dans un délai de cinq jours.

III - La protection des droits des victimes de la criminalité

Aux termes du deuxième paragraphe de l'article 82 du TFUE (N° Lexbase : L2734IPX), "dans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des Etats membres. Elles portent sur : [...] les droits des victimes de la criminalité". C'est sur le fondement de cet article qu'a été adoptée la Directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 "établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes" (78). Tout en consacrant le principe selon lequel "à tous les stades de l'enquête, la victime peut, à sa demande, être accompagnée par son représentant légal et par la personne majeure de son choix, sauf décision contraire motivée prise par l'autorité judiciaire compétente" (79), la transposition de cette Directive (80) se traduit par une garantie accrue, au bénéfice des victimes, de leur droit d'information (A), de leur droit à une traduction (B) et de leur droit à bénéficier d'une protection (C).

A - Droit d'information des victimes

Le nouvel article 10-2 du Code de procédure pénale a trait à l'information des victimes au sujet de leurs droits, par les officiers et les agents de police judiciaire. Cette information, qui peut être réalisée par "tout moyen", se décline en neuf catégories. Pour ne citer que quelques exemples, elle concerne le droit "d'obtenir la réparation de leur préjudice, par l'indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté, y compris, s'il y a lieu, une mesure de justice restaurative" ; le droit de "se constituer partie civile soit dans le cadre d'une mise en mouvement de l'action publique par le Parquet, soit par la voie d'une citation directe de l'auteur des faits devant la juridiction compétente ou d'une plainte portée devant le juge d'instruction" ou encore, pour les victimes ne comprenant pas la langue française, le droit "de bénéficier d'un interprète et d'une traduction des informations indispensables à l'exercice de leurs droits". Il s'agit également du droit d'être "accompagnées chacune, à leur demande, à tous les stades de la procédure, par leur représentant légal et par la personne majeure de leur choix, sauf décision contraire motivée prise par l'autorité judiciaire compétente".

Dans un autre registre, il sera porté à la connaissance de la victime qui a déposé plainte sans toutefois s'être constituée partie civile, par tout moyen et à sa demande, l'ordonnance de non-lieu devenue définitive (81).

B - Droit des victimes à une traduction

Dans le cas où la partie civile ne comprend pas la langue française, l'article 10-3 du Code de procédure pénale (82) lui reconnaît le droit de bénéficier, à sa demande, de l'assistance d'un interprète ou d'une traduction. Cette traduction, qui est -bien entendu- réalisée dans une langue qu'elle comprend, porte sur les "informations qui sont indispensables à l'exercice de ses droits et qui lui sont, à ce titre, remises ou notifiées" en application du Code de procédure pénale. Pour une plus grande efficacité de cette disposition, il est demandé à l'autorité procédant à l'audition de la partie civile ou devant laquelle cette personne comparaît, de s'assurer que cette dernière parle et comprend la langue française.

C - Droit des victimes à une protection

L'article 10-5 du Code de procédure pénale est relatif au droit des victimes à une protection. Ainsi, "dès que possible, les victimes font l'objet d'une évaluation personnalisée, afin de déterminer si elles ont besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure pénale". Il revient à l'autorité réalisant l'audition de la victime de recueillir les "premiers éléments permettant cette évaluation". Sur la base de ces premiers éléments, avec l'accord de l'autorité judiciaire compétente, un approfondissement de cette évaluation pourra être opéré. Le principe d'une association de la victime à cette évaluation est également consacré.

Par ailleurs, en application de l'article 40-4, alinéa 1, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0959DY8), la victime souhaitant se constituer partie civile a la possibilité de déclarer son adresse personnelle ou l'adresse d'un tiers, "sous réserve de l'accord exprès" de ce dernier.


(1) JORF n° 0189, 18 août 2015, p. 14331. Ci-après, la "loi n° 2015-993 du 17 août 2015". Adde, Projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, Etude d'impact, 14 avril 2014, 242 p..
(2) Loi n° 2015-993, art. 3 à 5.
(3) Loi n° 2015-993, art. 2.
(4) Loi n° 2015-993, art. 1er.
(5) Loi n° 2015-993, art. 6.
(6) On remarque que l'intitulé du chapitre 5 de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 vise la Directive 2012/29/UE du "22 octobre 2015". Il convient de lire "25 octobre 2015", ainsi que cela ressort de la publication de cette Directive dans le Journal officiel de l'Union européenne (JOUE n° L 315, 14 novembre 2012, p. 57).
(7) Loi n° 2015-993, art. 7.
(8) Cons. const., 13 août 2015, n° 2015-719 DC (N° Lexbase : A2665NNZ), JORF n° 0189 du 18 août 2015, p. 14395 ; A.-S. Chavent-Leclere, Censure par le Conseil constitutionnel de la loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, Procédures, octobre 2015, comm. 310.
(9) Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), art. 82 et 83.
(10) TFUE, art. 81.
(11) Sans qu'il y ait toutefois de frontières étanches entre eux.
(12) JOUE n° L 328, 15 décembre 2009, p. 42. Sur cette décision-cadre, voir not. S. LAVRIC, Décision-cadre sur l'exercice de la compétence en matière pénale, Dalloz actualité, 16 décembre 2009.
(13) Décision-cadre 2009/948/JAI du Conseil, art. 1, §2, point a).
(14) C. pr. pén., art. 695-5-1 (N° Lexbase : L6290IXA). Adde, Projet d'article D. 47-1-7 du Code de procédure pénale (Ministère de la Justice, Etude d'impact relative au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, 18 avril 2014).
(15) A titre d'exemple, voir les articles 29 et suivants du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale dit "Bruxelles I bis" (N° Lexbase : L9189IUU) (JOUE n° L 351, 20 décembre 2012, p. 1).
(16) C. pr. pén., projet d'article D. 47-1-5.
(17) C. pr. pén., projet d'article D. 47-1-7.
(18) C. pr. pén., art. 695-9-57 (N° Lexbase : L2651KGB).
(19) Sur ce point, voir O. Cahn, Nouvelle étape dans l'adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, JCP éd. G., 28 septembre 2015, 1018. Cet auteur souligne la réserve tenant à l'acquisition éventuelle de la prescription.
(20) Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, Conclusions de la présidence, spéc. point n° 33.
(21) Particulièrement en ce qui concerne, d'une part, la reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle et, d'autre part, celle des mesures de probation et des peines de substitution.
(22) JOUE n° L . 294, 11 novembre 2009, p. 20.
(23) Décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil du 23 octobre 2009, art. 1er.
(24) C. pr. pen., art. 696-52, respectivement point 1° et point 2° (N° Lexbase : L2656KGH).
(25) C. pr. pén., art. 696-49 (N° Lexbase : L2653KGD).
(26) A titre de comparaison, dans le domaine voisin de la coopération judiciaire civile, la rédaction de ce type de "certificat" est prévue dans plusieurs instruments européens. A cet égard, voir dernièrement le Règlement (UE) n° 606/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures de protection en matière civile (N° Lexbase : L1845I44), JOUE n° L 181, 29 juin 2013, p . 4.
(27) C. pr. pén., art. 696-55, al. 1er (N° Lexbase : L2659KGL).
(28) C. pr. pén., art. 696-56 (N° Lexbase : L2660KGM) à 696-58.
(29) C. pr. pén., art. 696-59 ([LXB=L2663KGQ ]).
(30) Il convient notamment que le suivi n'ait pas commencé dans l'Etat membre d'exécution. Sur la répartition des compétences entre les autorités françaises (Etat d'émission) et les autorités étrangères (Etat d'exécution), voir également les articles 696-62 (N° Lexbase : L2666KGT) à 696-65 du Code de procédure.
(31) De façon assez critiquable, la saisine du ministère de la justice est néanmoins prévue lorsque, dans l'hypothèse précitée visée à l'article 696-52 (N° Lexbase : L2656KGH), point 2°, les autorités françaises doivent donner leur consentement préalable à la transmission de la décision étrangère de placement sous contrôle judiciaire et que la personne en cause n'a pas la nationalité française (C. pr. pén., art. 696-68 [LXB=L2672KG]).
(32) C. pr. pén., art. 696-66 (N° Lexbase : L2670KGY).
(33) C. pr. pén., art. 696-67 (N° Lexbase : L2671KGZ).
(34) C . pr. pén., art. 696-69 (N° Lexbase : L2673KG4).
(35) C. pr. pén., art. 696-70 (N° Lexbase : L2674KG7). Concernant les modalités de notification et les voies de recours ouvertes contre les décisions du juge des libertés et de la détention, voir les articles 696-78 (N° Lexbase : L2682KGG) et s. du Code de procédure pénale.
(36) On note cependant qu'il revient au ministère public d'informer -"sans délai"- les autorités compétentes de l'Etat membre d'émission des décisions définitives, prises par le juge des libertés et de la détention, à l'égard des demandes de reconnaissance transfrontière des décisions de placement sous contrôle judiciaire.
(37) Cet article est rédigé comme il suit : "la reconnaissance et l'exécution de la décision de placement sous contrôle judiciaire sont refusées dans les cas suivants : 1° Le certificat n'est pas produit, est incomplet ou ne correspond manifestement pas à une décision de placement sous contrôle judiciaire et n'a pas été complété ou corrigé dans le délai fixé ; 2° Les conditions prévues aux articles 696-50 à 696-52 ne sont pas remplies , notamment lorsque, en application du 2° de l'article 696-52, la reconnaissance de la décision est subordonnée au consentement de la France et que ce consentement n 'a pas été sollicité ou a été refusé ; 3° La décision de placement sous contrôle judiciaire est fondée sur des infractions pour lesquelles la personne placée sous contrôle judiciaire a déjà été jugée définitivement par les juridictions françaises ou par celles d'un Etat de l'Union européenne autre que l'Etat d'émission, à condition que la peine ait été exécutée, soit en cours d'exécution ou ne puisse plus être mise à exécution selon la loi de l'Etat ayant prononcé cette condamnation ; 4° La décision est fondée sur des faits qui ne constituent pas des infractions au regard de la loi française. Toutefois, ce motif de refus n'est pas opposable : a) Lorsque la décision de placement sous contrôle judiciaire concerne une infraction qui, en vertu de la loi de l'Etat d'émission, entre dans l'une des catégories d'infractions mentionnées aux troisième à trente-quatrième alinéas de l'article 695-23 (N° Lexbase : L0782DYM) et y est punie d 'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement ; b) Lorsque la décision de placement sous contrôle judiciaire concerne une infraction en matière de taxes et d'impôts, de douane et de change, en raison de ce que le droit français n'impose pas le même type de taxes ou d'impôts ou ne contient pas le même type de réglementation en matière de taxes , d'impôts, de douane et de change que le droit de l'Etat d'émission ; 5° Les faits pouvaient être jugés par les juridictions françaises et la prescription de l'action publique est acquise selon la loi française à la date de la réception du certificat ; 6° La personne placée sous contrôle judiciaire bénéficie en France d'une immunité faisant obstacle à l'exécution de la décision ; 7° La décision a été prononcée à l'encontre d'un mineur de treize ans à la date des faits".
(38) Aux termes de cet article : "la reconnaissance et le suivi de la décision de placement sous contrôle judiciaire peuvent être refusés dans les cas suivants : 1° Lorsque la remise de la personne concernée ne pourrait être ordonnée en cas de délivrance à l'encontre de cette personne d'un mandat d'arrêt européen en raison du non-respect des mesures ordonnées dans le cadre du contrôle judiciaire ; 2° Lorsque la décision de placement sous contrôle judiciaire est fondée sur des infractions pour lesquelles la personne placée sous contrôle judiciaire a déjà été jugée définitivement par la juridiction d'un Etat non membre de l'Union européenne, à condition que la peine ait été exécutée, soit en cours d'exécution ou ne puisse plus être mise à exécution selon la législation de cet Etat".
(39) C. pr. pén., art. 696-72 (N° Lexbase : L2676KG9).
(40) C. pr . pén., art. 696-75 (N° Lexbase : L2679KGC).
(41) L'article 696-75 du Code de procédure pénale vise, à ce propos, les mesures correspondant le mieux à celles ordonnées et qui auraient pu être légalement prononcées, pour les mêmes faits, par une autorité judiciaire française.
(42) C. pr. pén., art. 696-86 (N° Lexbase : L2690KGQ).
(43) JOUE n° L. 337, 16 décembre 2008, p. 102.
(44) Décision-cadre 2008/947/JAI du Conseil du 27 novembre 2008, art. 1er, § 1.
(45) Loi n° 2015-993 du 17 août 2015 , art. 39.
(46) C. pr. pén., art. 764-5 (N° Lexbase : L2698KGZ), respectivement point 1° et point 2°.
(47) C. pr. pén., art. 764-1 (N° Lexbase : L2694KGU).
(48) Aux termes de cet article, "les condamnations et les décisions qui peuvent donner lieu à une exécution transfrontalière en application du présent titre sont les suivantes : 1° Les condamnations à des mesures de probation prévoyant en cas de non-respect une peine d'emprisonnement, ou à une peine privative de liberté assortie en tout ou en partie d'un sursis conditionné au respect de mesures de probation ; 2° Les condamnations assorties d'un ajournement du prononcé de la peine et imposant des mesures de probation ; 3° Les condamnations à une peine de substitution à une peine privative de liberté, imposant une obligation ou une injonction, à l'exclusion des sanctions pécuniaires et des confiscations ; 4° Les décisions imposant des mesures de probation, prononcées dans le cadre de l'exécution de condamnations définitives , notamment en cas de libération conditionnelle".
(49) Certificat dont le contenu est précisé à l'article 764-6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2699KG3).
(50) C. pr. pén., art. 764-8 (N° Lexbase : L2701KG7).
(51) C. pr. pén.,, art. 764-9 (N° Lexbase : L2702KG8). Sur la possibilité de retirer le certificat (avant que le suivi n'ait débuté dans l'État membre d'exécution) et l'effet de ce retrait sur la demande de reconnaissance et de suivi, voir également les articles 764-12 (N° Lexbase : L2705KGB) et 764-7 (N° Lexbase : L2700KG4) du Code de procédure pénale.
(52) C. pr. pén., art . 764-13 (N° Lexbase : L2706KGC).
(53) Dans le cadre de cette procédure également (voir supra concernant la transposition de la décision-cadre 2009/829/JAI du Conseil du 23 octobre 2009 relative à la reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle), la saisine du ministère de la Justice est toutefois prévue lorsque, dans l'hypothèse précitée visée à l'article 764-5, point 2°, les autorités françaises doivent donner leur consentement préalable à la transmission de la condamnation ou de la décision étrangère de probation et que la personne en cause n'a pas la nationalité française (C. pr. pén, art. 764-20 N° Lexbase : L2713KGL).
(54) C. pr. pén., art. 764-18.
(55) C. pr. pén., art. 764-19 (N° Lexbase : L2712KGK).
(56) C. pr. pén., art. 764-21 (N° Lexbase : L2714KGM).
(57) C. pr. pén., art. 764-22. Concernant les modalités de notification et les voies de recours ouvertes contre les décisions du juge de l'application des peines, voir les articles 764-28 (N° Lexbase : L2721KGU) et suivants du Code de procédure pénale.
(58) On note cependant qu'il revient au ministère public d'informer -"sans délai"- les autorités compétentes de l'Etat membre de condamnation des décisions définitives, prises par le juge de l'application des peines, à l'égard de la demande de reconnaissance transfrontière de la condamnation ou de la décision de probation (C. pr. pén., art. 764-33 N° Lexbase : L2726KG3).
(59) Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, relative à l'enfance délinquante, art. 20-12 (N° Lexbase : L4662AGR) (rédaction issue de la loi n° 2015-993, 17 août 2015).
(60) Aux termes de l'article 764-24 du Code de procédure pénale : "l'exécution de la condamnation ou de la décision de probation est refusée dans les cas suivants : 1° Le certificat n'est pas produit, est incomplet ou ne correspond manifestement pas à la condamnation ou à la décision et n'a pas été complété ou corrigé dans le délai fixé ; 2° Les conditions prévues aux articles 764-2 à 764-5 ne sont pas remplies, notamment lorsque, en application du 2° de l'article 764-5, la reconnaissance de la condamnation ou de la décision de probation est subordonnée au consentement de la France et que le consentement n'a pas été sollicité ou a été refusé ; 3° La décision de condamnation porte sur des infractions pour lesquelles la personne condamnée a déjà été jugée définitivement par les juridictions françaises ou par celles d'un Etat de l'Union européenne autre que l'Etat de condamnation, à condition que la peine ait été exécutée, soit en cours d'exécution ou ne puisse plus être mise à exécution selon la loi de l'Etat ayant prononcé la condamnation ; 4° La condamnation est fondée sur des faits qui ne constituent pas des infractions selon la loi française ; 5° Les faits pouvaient être jugés par les juridictions françaises et la prescription de la peine est acquise selon la loi française à la date de la réception du certificat ; 6° La personne condamnée bénéficie en France d'une immunité faisant obstacle à l'exécution de la condamnation ou de la décision ; 7° La condamnation ou la décision a été prononcée à l'encontre d'un mineur de treize ans à la date des faits ; 8° La personne condamnée n'a pas comparu en personne au procès qui a mené à la décision, sauf dans les cas mentionnés aux 1° à 3° de l'article 695-22-1 ; 9° La peine prononcée comporte une mesure de soins psychiatriques ou médicaux ou une autre mesure qui ne peut être exécutée en application des règles du système juridique ou de santé français [al. 1]. Le motif de refus prévu au 4° n'est pas opposable lorsque la décision de condamnation concerne une infraction en matière de taxes et d'impôts, de douane et de change, en raison de ce que le droit français n'impose pas le même type de taxes ou d'impôts ou ne contient pas le même type de réglementation en matière de taxes, d'impôts, de douane et de change que le droit de l'Etat de condamnation [al. 2]".
(61) L'article 764-25 du Code de procédure pénale est rédigé comme il suit : "l'exécution de la décision de condamnation peut être refusée dans les cas suivants : 1° La durée de la peine de substitution ou de la mesure de probation est inférieure à six mois à la date de réception du certificat ; 2° La condamnation ou la décision est fondée sur des infractions commises en totalité, en majeure partie ou pour l'essentiel sur le territoire de la République ou en un lieu assimilé ; 3° La décision de condamnation porte sur des infractions pour lesquelles la personne condamnée a déjà été jugée définitivement par la juridiction d'un Etat non membre de l'Union européenne, à condition que la peine ait été exécutée, soit en cours d'exécution ou ne puisse plus être mise à exécution selon la législation de cet Etat".
(62) C. pr. pén., art. 764-23.
(63) C. pr . pén., art. 764-26.
(64) C. pr. pén., art. 764-38 (N° Lexbase : L2731KGA).
(65) C. pr. pén., art. 764-37 (N° Lexbase : L2730KG9).
(66) JOUE n° L 181, 29 juin 2013, p. 4. Sur ce règlement, voir not. J. Jehl, Union européenne : vers un renforcement de la protection (civile) des victimes de violences, JCP éd. G., 3 juin 2013 , 652 ainsi que nos obs. in Le Règlement européen n° 606/2013 du 12 juin 2013, relatif à la reconnaissance mutuelle des mesures de protection en matière civile : entrée en application d'un règlement passé quasiment inaperçu, Lexbase Hebdo n° 603 du 5 mars 2015 - édition privée (N° Lexbase : N6208BUH).
(67) JOUE n° L. 338, 21 décembre 2011, p. 2.
(68) C. pr. pén., art. 696-91 (N° Lexbase : L2738KGI).
(69) C. pr. pén., art. 696-92 (N° Lexbase : L2739KGK).
(70) C. pr. pén., art. 696-93 (N° Lexbase : L2740KGL).
(71) C. pr. pén., art. 696-97 (N° Lexbase : L2744KGQ).
(72) C. pr. pén., art. 696 -98 (N° Lexbase : L2745KGR).
(73) L'article 696-100 du Code de procédure pénale dispose : "La reconnaissance de la décision de protection européenne est refusée dans les cas suivants : 1° La décision de protection européenne est incomplète ou n'a pas été complétée dans le délai fixé par l'autorité compétente de l'Etat d'exécution ; 2° Les conditions énoncées à l'article 696-90 ne sont pas remplies ; 3° La mesure de protection a été prononcée sur le fondement d'un comportement qui ne constitue pas une infraction selon la loi française ; 4° La décision de protection européenne est fondée sur l'exécution d'une mesure ou d'une sanction concernant un comportement qui relève de la compétence des juridictions françaises et qui a donné lieu à une amnistie conformément à la législation française ; 5° L'auteur de l'infraction bénéficie en France d'une immunité qui fait obstacle à l'exécution en France de la décision de protection européenne ; 6° La décision de protection européenne est fondée sur des faits qui pouvaient être jugés par les juridictions françaises et la prescription de l'action publique est acquise selon la loi française ; 7° La décision de protection européenne est fondée sur des infractions pour lesquelles la personne soupçonnée, poursuivie ou condamnée a déjà été jugée définitivement par les juridictions françaises ou par celles d'un Etat membre autre que l'Etat d'émission, à condition que la peine ait été exécutée, soit en cours d'exécution ou ne puisse plus être mise à exécution selon la loi de l'Etat membre ayant prononcé cette condamnation ; 8° L'auteur de l'infraction était âgé de moins de treize ans à la date des faits".
(74) L'article 696-101 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2748KGU) énonce : "la reconnaissance de la décision de protection européenne peut être refusée si cette décision est fondée : 1° Sur des infractions commises en totalité, en majeure partie ou pour l'essentiel sur le territoire de la République ou en un lieu assimilé ; 2° Sur des infractions pour lesquelles la personne soupçonnée, poursuivie ou condamnée a déjà été jugée définitivement par les juridictions d'un autre Etat qui n'est pas membre de l'Union européenne, à condition que la peine ait été exécutée, soit en cours d'exécution ou ne puisse plus être mise à exécution selon la loi de l'Etat ayant prononcé cette condamnation".
(75) C. pr. pén., art. 696-102 (N° Lexbase : L2749KGW).
(76) Cet article prévoit également la possibilité, offerte à l'auteur de l'infraction, de contester l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, auprès de la chambre de l'instruction. Cette contestation doit être effectuée -dans les cinq jours- au moyen d'une requête précisant, à peine d'irrecevabilité, les motifs de droit ou de fait qui la fondent.
(77) C. pr. pén., art. 696-104 (N° Lexbase : L2751KGY).
(78) JOUE n° L 315, 14 novembre 2012, p. 57. Cette Directive remplace la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil du 15 mars 2001, relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales (JOCE n° L. 82, 22 mars 2001, p. 1).
(79) C. pr. pén., art. 10-4.
(80) Cette transposition s'est matérialisée par la rédaction d'une sous-section III ("Des droits des victimes") insérée dans le titre préliminaire du livre Ier du Code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 10-2 à 10-5) ainsi que par l'ajout des nouveaux articles 40-4-1 et 183-1 du Code de procédure pénale et d'un alinéa supplémentaire à l'article 391 de ce même code ([LXB=L4383AZ]).
(81) C. pr. pén., art. 183-1.
(82) Voir également la nouvelle rédaction de l'article 391 du Code de procédure pénale.

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Procédures fiscales

[Brèves] Prescription du droit de reprise de l'administration : confirmation de l'interruption à la date de la présentation à l'adresse du contribuable de la proposition de rectification

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 378503, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3720NTX)

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N9578BUB

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Le 27 Octobre 2015

Eu égard à l'objet des articles L. 169 (N° Lexbase : L9777I3I) et L. 189 (N° Lexbase : L8757G8T) du LPF, relatifs à la détermination du délai dont dispose l'administration pour exercer son droit de reprise, la date d'interruption de la prescription est celle à laquelle le pli contenant la proposition de rectification a été présenté à l'adresse du contribuable. Il en va de même dans le cas où le pli n'a pu lui être remis lors de sa présentation et que, avisé de sa mise en instance, il l'a retiré ultérieurement ou a négligé de le retirer. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 14 octobre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 378503, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3720NTX). En l'espèce, une proposition de rectification relative à l'année 2003 a été adressée, par pli recommandé avec demande d'avis de réception, à la dernière adresse de contribuables connue de l'administration. En l'absence des intéressés, un avis de mise en instance du pli a été déposé au bureau de poste dont ils relevaient le 18 décembre 2006. Les intéressés ont retiré ce pli le 2 janvier 2007, dans le délai de quinze jours prévu par la réglementation en vigueur du service des postes, mais postérieurement à l'expiration, le 31 décembre 2006, du délai de reprise dont disposait l'administration au titre de l'année 2003. La cour administrative d'appel de Paris avait donné raison aux contribuables en prononçant la méconnaissance des règles de prescription par l'administration fiscale (CAA Paris, 17 mars 2014, n° 12PA02087 N° Lexbase : A5617NT9). Cependant, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt car la date qu'il fallait prendre en compte pour l'interruption de la prescription n'était pas celle à laquelle leur a été remis physiquement la proposition de rectification par les contribuables, à savoir le 2 janvier 2007 (considérée comme la date de notification de la proposition aux contribuables par les juges du fond), mais bien celle à laquelle le pli contenant cette proposition a été présenté à l'adresse des contribuables. Cette décision vient confirmer la doctrine de l'administration fiscale qui précise que, dans tous les cas, que le pli ait été retiré ou non par le contribuable, l'interruption de la prescription prenait effet à la date de la présentation à domicile de la proposition de rectification (BOI-CF-IOR-10-50 N° Lexbase : X8965ALM et BOI-CF-IOR-10-30 N° Lexbase : X6311ALC) .

newsid:449578

Procédures fiscales

[Brèves] Possibilité pour l'administration de répondre de manière motivée sur un seul des motifs contestés par un contribuable

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 374211, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3706NTG)

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N9580BUD

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Le 23 Octobre 2015

Lorsque l'administration, dans une proposition de rectification, motive un chef de redressement par plusieurs motifs distincts de nature à le justifier et que le contribuable conteste, dans ses observations, le bien-fondé de plusieurs de ces motifs, l'administration satisfait aux exigences de l'article L. 57 du LPF (motivation de la réponse de l'administration aux observations d'un contribuable N° Lexbase : L0638IH4) lorsqu'elle répond de manière motivée aux observations du contribuable sur un des motifs fondant ce chef de redressement. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 14 octobre 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 374211, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3706NTG). Au cas présent, l'administration a indiqué, dans une proposition de rectification adressée au requérant, qu'elle entendait remettre en cause les exonérations litigieuses sur deux motifs. Par des observations, le requérant a contesté ces deux motifs. Par la suite, l'administration fiscale n'a pas répondu aux observations du contribuable sur le premier motif. Pour le Conseil d'Etat, à l'inverse des juges du fond (CAA Paris, 24 octobre 2013, n° 12PA01656 N° Lexbase : A5572MP3), la réponse était régulière car l'administration avait répondu de manière motivée aux observations du contribuable sur le second motif. Cette décision permet d'élargir le champ des possibilités offertes à l'administration, qui ne pouvait déjà répondre, dans ce cadre, qu'au principal moyen invoqué par le contribuable (CE 8° s-s., 28 janvier 2004, n° 248108, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2204DBA). Par ailleurs, la Haute juridiction a également jugé que le fait qu'un contribuable effectuant des versements en numéraire sur son PEA pour acheter des titres qui lui appartiennent déjà peut ne pas être constitutif d'un abus de droit. En effet, l'épargnant qui effectue des versements en numéraire sur son PEA pour acheter des titres qui lui appartiennent déjà réalise une opération, d'ailleurs susceptible de dégager une plus-value imposable avec ses revenus au cours de l'année de la cession, qui ne peut être assimilée à un simple transfert de titres. Dans ces conditions, en se fondant sur le seul fait qu'un contribuable a acquis des titres qui lui appartenaient déjà au travers de son PEA, après avoir approvisionné en numéraire le compte espèces de ce plan, l'administration ne peut être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de ce que les opérations litigieuses auraient été inspirées par un but exclusivement fiscal et de ce qu'elles seraient ainsi constitutives d'un abus de droit .

newsid:449580

Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Du nouveau sur le régime juridique des oeuvres musicales

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-11.944, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7904NR8)

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N9523BUA

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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour

Le 22 Octobre 2015

Les compositions musicales sont des oeuvres de l'esprit à part d'une nature particulière : leur mode de création bien souvent collégial les prédispose au régime juridique des oeuvres de collaboration prévu par l'article L.113-3 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3339ADZ) ; la complexité technique de la langue musicale représente par ailleurs un défi pour les juridictions et peut poser de réelles difficultés en termes de motivation des décisions. L'arrêt de censure rendu le 30 septembre 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation, voué aux honneurs d'une publication au Bulletin (1), est remarquable dans la mesure où il aborde ces deux problématiques. Ses enseignements, sur lesquels nous reviendrons successivement, présentent également un intérêt pour les régimes juridiques de l'ensemble des oeuvres de l'esprit. A titre liminaire, il est intéressant de s'attarder sur les étapes d'une procédure atypique, aux conséquences paradoxales. I - Une procédure atypique, fruit d'une médiation manquée

Sur la présentation des faits, il convient simplement de rappeler que Monsieur Jean-Jacques Goldman a écrit et composé les paroles et la musique d'une oeuvre musicale intitulée "Aïcha", les arrangements ayant été réalisés en collaboration avec Monsieur Eric Benzi. Par la suite, une seconde version de cette chanson a été créée à partir des paroles en arabe ajoutées par le chanteur Cheb Khaled ("Aïcha 2"). Monsieur Jean-François Leo, estimant que 16 mesures des couplets des chansons "Aïcha 1" et "Aïcha 2" portaient atteinte à ses droits d'auteur sur la composition musicale "For ever", il les a assignés devant le tribunal de grande instance de Paris, aux côtés de leurs éditeurs. Selon jugement du 18 novembre 2011 (2), le tribunal a retenu l'existence de la contrefaçon et condamné les défendeurs au versement de la somme de 15 000 euros en réparation de l'atteinte au droit moral de Monsieur Leo. Toutefois, statuant avant-dire droit, il a ordonné la réouverture des débats pour entendre les parties sur la médiation qu'il proposait, portant sur le montant du préjudice patrimonial.

Cette initiative du tribunal met en lumière la mission de conciliation qui est dévolue au juge par l'article 21 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1147H4A). Le récent décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends (N° Lexbase : L1333I8U), poursuit ainsi l'objectif de favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges (3).

En l'espèce, les défendeurs n'ayant pas fourni de pièces permettant d'apprécier le préjudice patrimonial de Monsieur Leo, le tribunal souhaitait par ce biais éviter une mesure d'expertise longue et sans doute coûteuse. Malheureusement, n'ayant pas trouvé d'écho favorable auprès des plaideurs, cette initiative a eu pour effet paradoxal de complexifier singulièrement la procédure : en effet, alors que l'instance a repris devant le tribunal s'agissant du quantum du préjudice patrimonial (4), un appel a été interjeté contre le jugement du 18 novembre 2011 (qui ne concernait donc que la question de l'atteinte aux droits moraux).

Or, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 20 septembre 2013 (5), après avoir rappelé le périmètre limité de sa saisine (qui ne porte donc ni sur l'évaluation, ni sur la réparation du préjudice patrimonial de Monsieur Leo), a infirmé la décision de première instance et écarté l'existence de toute contrefaçon. En définitive, le tribunal de grande instance de Paris se trouvait, dès lors, dans la situation singulière d'avoir à se prononcer sur le préjudice patrimonial induit par des actes de contrefaçon qui ont été écartés -certes au regard des droits moraux- par une juridiction du degré supérieur. La censure prononcée le 30 septembre 2015 par la Cour de cassation présente donc également un intérêt de ce point de vue en ce qu'elle pourrait mettre un terme définitif à un imbroglio procédural, l'action de Monsieur Leo encourant in fine la sanction de l'irrecevabilité dans chacune des deux procédures.

II - Condition de recevabilité de l'action en contrefaçon dirigée contre une oeuvre de collaboration : indifférence de la nature des droits d'auteur invoqués

Le régime -dérogatoire- des oeuvres de collaboration tend à se préciser au gré des décisions rendues. L'oeuvre de collaboration étant "la propriété commune des coauteurs" (ainsi que le précise l'article L.113-3 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3337ADX), les droits des coauteurs ne peuvent être exercés que d'un commun accord. Ce principe d'unanimité dans la gestion de l'oeuvre de collaboration trouve à s'appliquer s'agissant de l'exploitation commerciale mais également de la défense de l'oeuvre. Le coauteur d'une oeuvre de collaboration qui agit en justice pour la défense de ses droits patrimoniaux (6) est donc tenu, à peine d'irrecevabilité, de mettre en cause les autres auteurs, dès lors que leurs contributions ne peuvent être séparées (7).

Cette exigence d'unanimité se justifie par la nature même de l'oeuvre de collaboration : financièrement intéressé à sa gestion, chacun des coauteurs jouit d'un droit de regard. Elle n'en représente pas moins une contrainte procédurale pour les coauteurs soucieux de défendre l'oeuvre commune ; contrainte dont le principal bénéficiaire n'est autre que le contrefacteur.

La même philosophie trouve à s'appliquer mutatis mutandis en défense, lorsque c'est désormais l'oeuvre de collaboration qui est arguée de contrefaçon. La première chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé que la recevabilité de l'action en contrefaçon dirigée à l'encontre d'une oeuvre de collaboration, laquelle est la propriété commune des coauteurs, est subordonné à la mise en cause de l'ensemble de ceux-ci, dès lors que leur contribution ne peut être séparée (8).

A noter, toutefois, que cette même formation a jugé que la recevabilité de l'action engagée à l'encontre de l'exploitant d'une oeuvre de collaboration n'est pas subordonnée à la mise en cause des coauteurs (9). Les intérêts de la victime des actes de contrefaçon se trouvent ainsi préservés grâce au choix qui lui est laissé d'agir contre chacun des coauteurs de l'oeuvre de collaboration litigieuse ou contre le seul exploitant de ladite oeuvre (10). Nul doute que cette dernière option devrait recueillir la préférence des plaideurs dans la majorité des cas, compte tenu de sa simplicité procédurale mais également, de façon plus prosaïque, pour des raisons de solvabilité.

Dans l'affaire qui nous intéresse, la cour d'appel de Paris avait rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en cause de l'un des coauteurs de l'oeuvre de collaboration arguée de contrefaçon, au motif que l'action en justice était exclusivement fondée sur la violation du droit moral d'auteur (11). Son arrêt est censuré. Aux termes de son arrêt du 30 septembre 2015, la Cour de cassation rappelle en effet que l'irrecevabilité est encourue "quelle que soit la nature des droits d'auteur invoqués par le demandeur à l'action". Peu importe, donc, que le demandeur à l'action invoque des droits patrimoniaux ou moraux d'auteur ; il lui appartient, dans tous les cas, d'attraire à l'instance l'ensemble des coauteurs de l'oeuvre arguée de contrefaçon dès lors que leur contribution ne peut être séparée, ce qu'avait précisément retenu la cour d'appel, estimant en l'espèce que "paroles et musique forment un tout indivisible qui relève d'un même genre, celui de la chanson".

Une nouvelle fois, les conséquences directes que pourraient avoir une décision défavorable sur l'exploitation des droits des coauteurs permettent de justifier cette rigueur procédurale. Aucune raison objective ne semble d'ailleurs pouvoir justifier un régime juridique différent entre droits moraux et droits patrimoniaux. Quoi qu'il en soit, plus que jamais, les demandeurs se trouvent incités à privilégier une action directement dirigée à l'encontre de l'exploitant de l'oeuvre de collaboration arguée de contrefaçon.

III - La présence d'éléments connus au sein d'une composition musicale ne permet pas d'exclure per se son caractère original

Parmi les oeuvres de l'esprit qu'il énumère, l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3334ADT) vise notamment les "compositions musicales avec ou sans paroles" (5°) aux côtés des oeuvres dramatico-musicales et des séquences animées d'images sonorisées. Les oeuvres musicales sont donc éligibles à la protection du droit d'auteur sous réserve qu'elles en remplissent la condition d'originalité et portent ainsi l'empreinte de la personnalité de leur auteur. Pour autant, l'étude de la jurisprudence révèle que les compositions musicales tendent à occuper une place à part parmi les oeuvres de l'esprit. En effet, si l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3333ADS) pose un principe général d'indifférence du genre et de la forme d'expression des oeuvres en droit d'auteur, force est de constater que les oeuvres musicales bénéficient d'un traitement particulier par les juridictions.

La raison en est avant tout technique : bien qu'universelle, la musique est un langage qui n'est pas unanimement maîtrisé et dont la perception (ses détails notamment) dépend pour une grand part de l'oreille de son auditoire. Pour preuve, le recours généralisé par les juridictions aux services d'experts (12). Pour autant, celles-ci prennent alors systématiquement la précaution de souligner qu'elles se sont elles-mêmes livrées à l'écoute des oeuvres (13). Rappelons en effet que, aux termes d'un récent arrêt du 10 mars 2015, la cour d'appel de paris a écarté les rapports réalisés par un expert à la demande de l'une des parties après avoir relevé, au visa de l'article 238 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1734H4Y), que "l'appréciation de l'originalité des photographies revendiquées [...] au titre du droit d'auteur est une analyse d'ordre juridique réservée au juge et qu'ainsi l'expert -qui au demeurant n'est pas un juriste- n'est pas habilité à dire le droit à la place du juge et donc de qualifier l'originalité d'une création" (14). De même, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que l'expert en musique n'étant pas un détective, il ne pouvait se substituer au juge pour vérifier l'antériorité d'une musique par rapport à une autre (15). En définitive, la position des juridictions est parfaitement synthétisée par la cour d'appel de Paris : "le juge n'est pas lié par les constatations et conclusions de l'expert mais peut également s'approprier l'avis d'un expert même s'il a exprimé une opinion d'ordre juridique excédant les limites de sa mission (16).

Afin d'apprécier le caractère protégeable d'une composition musicale, les juridictions s'attachent à en analyser la mélodie (c'est-à-dire la phrase musicale de premier plan, immédiatement perçue par le public (17)), l'harmonie (succession d'accords jouée simultanément à la mélodie, afin de la soutenir et de l'enrichir) et le rythme (par exemple le rythme ternaire de la valse) ainsi que, le cas échéant, l'orchestration (18). Bien souvent, l'originalité est principalement fonction de la mélodie plus que de l'harmonie et du rythme, lesquels empruntent régulièrement au fonds commun de la musique. Cela étant, les juridictions rappellent de façon classique que l'originalité de l'oeuvre musicale ne saurait être appréciée en considération d'éléments pris isolément mais en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement de ces différentes caractéristiques (19).

Dans l'affaire qui nous intéresse, afin d'écarter le caractère protégeable de la composition musicale du demandeur, la cour d'appel avait retenu que, si les oeuvres "Aïcha 1", "Aïcha 2", "For ever" de même que les antériorités dont elle avait pu prendre connaissance révélaient un enchaînement d'accords identiques sur quatre notes, "ce passage était couramment utilisé dans les oeuvres actuelles et n'était pas en tant que tel susceptible d'appropriation". Elle en avait déduit que l'oeuvre "For ever", qui "reprend des éléments connus dans une combinaison dont l'originalité n'est pas établie", ne pouvait bénéficier de la protection instaurée par le livre I du Code de la propriété intellectuelle.

La première chambre civile censure ce raisonnement en ce que les motifs qu'il a retenus sont impropres à exclure l'originalité de l'oeuvre revendiquée "qui doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments, fussent-ils connus, qui la composent, pris en leur combinaison". Ce faisant, la Haute juridiction rappelle implicitement que l'originalité ne doit pas être confondue avec la nouveauté et que la notion d'antériorité reste inopérante en droit d'auteur (20). Seuls comptent en définitive l'arrangement apporté à l'oeuvre musicale et la capacité qu'a pu avoir l'artiste d'y imprimer l'empreinte de sa personnalité, raison pour laquelle un emprunt au folklore n'exclut pas nécessairement toute originalité (21). En pratique toutefois, l'on constate que l'existence de morceaux se rapprochant de l'oeuvre dont la protection est revendiquée tend à exercer une influence réelle dans la décision des juridictions (22).

L'affaire objet du présent commentaire met ainsi en évidence une autre particularité des oeuvres musicales, à savoir le fait qu'elles se nourrissent entre elles et que l'inspiration de nouvelles oeuvres est fréquemment puisée au sein d'oeuvres préexistantes. Il n'est d'ailleurs pas anodin de constater que la théorie (exonératoire) des réminiscences et de la rencontre fortuite a connu un succès tout particulier pour ce type d'oeuvres (23). L'appréciation du caractère éventuellement contrefaisant d'une oeuvre par rapport à une autre pose dès lors les mêmes difficultés que pour caractériser l'originalité. Afin de s'extraire de la subjectivité inhérente aux oeuvres musicales, certaines juridictions privilégient un raisonnement tout scientifique : à titre d'exemple, pour retenir le caractère contrefaisant d'une chanson de Calogéro, le tribunal de grande instance de Paris a relevé que l'analyse mélodique laissait ressortir "que les refrains des deux oeuvres présentent d'importantes similitudes de l'ordre de 63 % de notes communes, les mélodies des mesures 0 à 4 et 12 à 16 étant quasiment identiques, commençant dans les 2 cas en levée" (24).

De manière plus générale, les juridictions recherchent si l'oeuvre litigieuse reprend, dans la même combinaison, les éléments au fondement de l'originalité de l'oeuvre revendiquée : "la contrefaçon d'une oeuvre musicale suppose l'existence de similitudes rythmique, mélodique et harmonique entre les deux compositions opposées permettant la reconnaissance de l'oeuvre première dans l'oeuvre seconde". Il s'agit alors de vérifier si l'on retrouve à suffisance des éléments de la forme originale de l'oeuvre revendiquée dans l'oeuvre arguée de contrefaçon. En revanche, il a été jugé qu'un "simple air de famille' mélodique ou le sentiment pour une oreille avertie d'avoir déjà entendu ailleurs un thème musical ne suffisent pas à constituer une contrefaçon" (25) ; de même, un arpège étant "un simple outil de composition qui appartient au fonds commun de la création musicale", sa seule reprise ne saurait être sanctionnée au titre de la contrefaçon (26).


(1) L'arrêt rapporté a également été publié sur le site internet de la Cour de cassation.
(2) TGI Paris, 3ème ch., 18 novembre 2011, n° 08/13451 (N° Lexbase : A2745H4G).
(3) C. proc. civ., art. 27 : "S'il n'est pas justifié, lors de l'introduction de l'instance et conformément aux dispositions des articles 56 (N° Lexbase : L1441I8U) et 58 (N° Lexbase : L1442I8W), des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation".
(4) Ayant donné lieu à un jugement du 2 novembre 2012 (TGI Paris, 3ème ch., 2 novembre 2012, n° 08/13451 [LXB= A9245I48]) ordonnant une expertise ; selon ordonnance du 28 février 2013 (CA Paris, Pôle 1, 5ème ch., 28 février 2013, n° 12/21802 N° Lexbase : A7063I84), le premier Président de la cour d'appel de Paris a refusé d'autoriser l'appel de cette décision (ordonnant l'expertise) indépendamment du jugement sur le fond au motif que les demandeurs ne justifiaient pas de l'existence d'un motif légitime.
(5) CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 20 septembre 2013, n° 11/22947 (N° Lexbase : A4369KLE).
(6) Il semble, en revanche, que chaque coauteur soit recevable à agir seul contre des atteintes portées au droit moral sur l'ensemble de l'oeuvre de collaboration (par un raisonnement a contrario, Cass. civ. 1, 5 décembre 1995, n° 93-13.559 N° Lexbase : A7682AB7).
(7) Cass. civ. 1, 10 mai 1995, n° 93-10.945 (N° Lexbase : A8543CQH).
(8) Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, n° 04-16.687, F-D (N° Lexbase : A3656DQH).
(9) Cass. civ. 1, 11 décembre 2013, n° 12-25.974, FS-P+B (N° Lexbase : A3457KRH).
(10) L'exploitant conservant quant à lui la possibilité d'agir en garantie à l'encontre de l'ensemble des coauteurs.
(11) Implicitement dans le même sens, TGI Paris, 3ème ch., 20 mars 2012, n° 10/07952 (N° Lexbase : A2686IIC).
(12) Avec pour conséquence pratique un allongement sensible de la durée de la procédure ; pour un jugement rendu prêt de 17 ans après l'acte d'assignation compte tenu des contestations élevées à l'encontre de la personne de l'expert et du recours interjeté à l'encontre de l'ordonnance de désignation : TGI Paris, 3ème ch., 14 juin 2013, n° 12/09428 (N° Lexbase : A8419KHB).
(13) CA Paris, 25 septembre 2015, n° 14/01364 ; TGI Paris, 3ème ch., 16 mai 2014, n° 12/08810 (N° Lexbase : A1645MQY).
(14) CA Paris, Pôle 5,1ère ch., 10 mars 2015, n° 13/09634 (N° Lexbase : A1420NMK) ; TGI Paris, 3ème ch., 16 mai 2014, n° 12/08810 préc. : "si l'avis de l'expert ne saurait lier le Tribunal qui est seul compétent pour apprécier le caractère original d'une composition [...]".
(15) TGI Paris, 3ème ch., 3 avril 2015, n° 13/08932 (N° Lexbase : A3788NGE).
(16) CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 19 octobre 2011, n° 09/22987 (N° Lexbase : A9235H78).
(17) En ce sens, TGI Paris, 3ème ch., 16 mai 2014, n° 12/08810, préc. : le point de vue mélodique "est celui qui va le plus attirer l'attention de l'auditeur, étant relevé que le refrain d'une chanson, par son caractère répétitif, est plus de nature à marquer l'auditeur que les couplets".
(18) CA Paris, 25 septembre 2015, n° 14/01364, préc. ; TGI Paris, 16 mai 2014, n° 12/08810, préc. ; CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 20 janvier 2012, n° 11/01924 (N° Lexbase : A1225IBY).
(19) CA Paris, 25 septembre 2015, préc..
(20) En ce sens déjà, Cass. civ. 1, 3 juin 1998, n° 96-14.352 (N° Lexbase : A8740AYD) ; CA Paris, 4ème ch., sect. A, 26 mars 2008, n° 06/11848 (N° Lexbase : A5844D8X) ; s'agissant d'un texte de chanson : "il convient [...] de rappeler que la banalité n'est en rien exclusive de cette originalité, laquelle n'a rien à voir, quand il s'agit de textes, avec la qualité littéraire et qui découle seulement des choix faits par l'auteur et de l'empreinte de sa personnalité qui se dégage de son oeuvre (TGI Paris, 3ème ch., 10 juillet 2015, n° 13/08938 N° Lexbase : A3144NP7).
(21) TGI Paris 13 septembre 2012, n° 10/17282 ; CA Paris, 19 octobre 2011, préc..
(22) TGI Paris, 16 mai 2014, préc. ; CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 6 avril 2012, n° 11/08586 (N° Lexbase : A0999IIT) ; le tribunal de grande instance de Paris a même jugé le 13 septembre 2012 (préc.) qu'une oeuvre musicale répond aux critères d'originalité "si aucune antériorité musicale n'est rapportée, la preuve d'une éventuelle antériorité incombant au défendeur à l'action en contrefaçon".
(23) TGI Paris, 16 mai 2014, préc. : "la contrefaçon d'une oeuvre de l'esprit résulte de la seule reproduction et ne peut être écartée que lorsque celui qui la conteste démontre que les similitudes entre les 2 oeuvres procèdent d'une rencontre fortuite ou de réminiscences résultant notamment d'une source d'inspiration commune" ; Cass. civ. 1 2 octobre 2013, n° 12-25.941, F-P+B+I (N° Lexbase : A1768KMG). Cf. également, CA Paris, 25 septembre 2015 et CA Paris, 20 janvier 2012, préc. ; CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 15 juin 2011, n° 2010/09821 ((LXB=A8617HTC]).
(24) TGI Paris, 16 mai 2014, préc. ; pour des coïncidences à plus de 92 % sur l'intégralité des oeuvres, TGI Paris, 13 septembre 2012, préc..
(25) TGI Paris, 3ème ch., 27 janvier 2011, n° 09/15307 (N° Lexbase : A5364GR4) (définitif).
(26) TGI Paris, 3ème ch., 18 mars 2011, n° 09/10603 (N° Lexbase : A4827HPH) ; confirmé par CA Paris, 6 avril 2012, préc..

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Le rôle fondamental du délai de rétractation dans la rupture conventionnelle

Réf. : Cass. soc., 6 octobre 2015, n° 14-17.539, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0465NTE)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 22 Octobre 2015

Il existe tant de méthodes différentes pour rompre un contrat de travail qu'il était inévitable que des conflits surgissent entre les différents modes de rupture. Sous certaines limites et à quelques exceptions près, la Chambre sociale de la Cour de cassation règle ces conflits par l'usage d'un critère temporel. Le premier mode de rupture ayant produit ses effets rend sans objet toute tentative de rupture ultérieure : rupture sur rupture ne vaut. Par un arrêt rendu le 6 octobre 2015, c'est cette règle que la Chambre sociale adapte à l'articulation entre rupture conventionnelle et prise d'acte de la rupture adressée à l'employeur avant que la convention ne produise ses effets (I). L'adaptation du critère chronologique habituellement utilisé pour résoudre ce type de conflits met surtout en lumière l'importance primordiale que revêt le délai de rétractation dans la procédure de rupture conventionnelle (II).
Résumé

Le droit de rétractation dont dispose chacune des parties à la convention de rupture doit être exercé par l'envoi à l'autre partie d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception. N'est pas valable la rétractation adressée à la seule administration du travail.

En l'absence de rétractation de la convention de rupture, un salarié ne peut prendre acte de la rupture du contrat de travail, entre la date d'expiration du délai de rétractation et la date d'effet prévue de la rupture conventionnelle, que pour des manquements survenus ou dont il a eu connaissance au cours de cette période.

Commentaire

I - L'articulation entre rupture conventionnelle et prise d'acte de la rupture

Succession de modes de rupture. Il est, par définition, impossible de rompre un contrat de travail déjà rompu. De cette formule logique simple, la Chambre sociale de la Cour de cassation déduit généralement une règle chronologique pour déterminer, en cas de succession de deux modes de rupture d'un contrat de travail, lequel doit produire effets.

Il a, par exemple, été jugé que le licenciement prononcé contre un salarié ayant préalablement pris acte de la rupture de son contrat de travail ne peut produire ses effets (1). De la même manière, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut prospérer si le salarié prend acte de la rupture au cours de la procédure (2) ou si le salarié démissionne avant son issue (3).

La règle n'est toutefois pas absolue. Ainsi, lorsque le salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que l'employeur le licencie avant que le juge ne se soit prononcé, celui-ci doit d'abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée avant d'apprécier la validité du licenciement (4), alors, pourtant, que la date de rupture du contrat, en cas de résiliation judiciaire, est, en principe, fixée au jour du jugement prononçant la rupture (5). Le critère chronologique est également atténué en cas d'articulation entre une démission (6) et une prise d'acte, les griefs invoqués contre l'employeur après la démission permettant de requalifier cette rupture en prise d'acte (7).

Articulation entre rupture conventionnelle et autres modes de rupture. Plus récemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation a dû s'intéresser à l'articulation entre la rupture conventionnelle du contrat de travail et les autres modes de rupture.

Elle jugeait ainsi, en 2013, que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail introduite avant la conclusion d'une rupture conventionnelle était devenue sans objet (8). Puisque la rupture judiciaire n'est prononcée qu'au jour du jugement (9), la rupture conventionnelle intervenue chronologiquement la première devait produire ses effets.

En revanche, la Chambre sociale jugeait au mois de mars 2015 que la rupture conventionnelle conclue après un licenciement caractérisait la renonciation d'un commun accord par les parties au licenciement (10). Quoiqu'un peu artificielle, cette renonciation permettait d'effacer un licenciement, pourtant valablement prononcé, et de maintenir, au moins en apparence, l'effectivité du critère temporel.

D'autres articulations doivent encore être éprouvées par la Chambre sociale. Dans l'affaire présentée, elle était saisie d'une prise d'acte intervenue après l'engagement d'une procédure de rupture conventionnelle.

L'affaire. Le 6 juin 2009, un salarié et son employeur concluent une convention de rupture du contrat de travail. Le délai de rétractation légal imposé par l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS) expirait le 22 juin suivant et la convention fixait au 16 juillet la date de la rupture. Le 21 juin 2009, l'avocat du salarié adressait à l'administration du travail un courrier signifiant la rétractation du salarié à la rupture conventionnelle. Finalement, le salarié pris acte de la rupture de son contrat de travail, par courrier adressé à l'employeur le 2 juillet. La convention de rupture fut toutefois homologuée le 13 juillet 2009 et le salarié, estimant que la rupture était abusive, saisit le juge prud'homal.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence débouta le salarié de ses demandes, jugea que la rétractation ne pouvait produire d'effets et qu'elle n'avait pas à apprécier la gravité des manquements de l'employeur invoqués par le salarié car la rupture résultait de la convention, et non de la prise d'acte (11). Par un arrêt rendu le 6 octobre 2015, qui aura les honneurs d'une publication au rapport annuel de la Cour de cassation, la Chambre sociale rejette le pourvoi formé par le salarié contre cette décision d'appel.

A propos de la rétractation du salarié, elle juge d'abord que, par application de l'article L. 1237-13 du Code du travail, "le droit de rétractation dont dispose chacune des parties à la convention de rupture doit être exercé par l'envoi à l'autre partie d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception", ce qui n'était pas le cas, en l'espèce, puisque le courrier de rétractation avait été adressé à l'administration du travail.

S'agissant de l'appréciation des manquements reprochés à l'employeur, la Chambre sociale considère "qu'en l'absence de rétractation de la convention de rupture, un salarié ne peut prendre acte de la rupture du contrat de travail, entre la date d'expiration du délai de rétractation et la date d'effet prévue de la rupture conventionnelle, que pour des manquements survenus ou dont il a eu connaissance au cours de cette période".

II - Le rôle primordial du délai de rétractation

Inefficacité de la rétractation. La première partie du raisonnement, relative à l'absence d'efficacité de la rétractation, n'appelle pas de commentaires trop approfondis.

La dernière phrase de l'article L. 1237-13 du Code du travail est, en effet, dépourvue de toute ambiguïté : le droit de rétractation "est exercé sous la forme d'une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l'autre partie". C'est bien l'autre partie à la rupture conventionnelle qui doit être destinataire de la rétractation et non l'administration du travail. Cela s'explique fort logiquement par le fait que c'est l'autre partie qui va subir les conséquences du revirement du rétractant : le contrat de travail va être maintenu, ce qui implique le maintien des obligations respectives des parties et, spécialement dans cette affaire, l'obligation de fournir du travail et de rémunérer le salarié. A l'évidence, l'employeur doit donc être informé de la rétractation.

Un enseignement indirect peut toutefois être tiré de la décision. Même s'il est vrai que la question ne lui avait pas été posée, la Chambre sociale ne semble pas remettre en cause le procédé employé par le salarié, c'est-à-dire le recours à un pouvoir conféré à un avocat, à condition, encore, qu'il puisse être attesté de la date de réception de la rétractation. Si rien ne semble s'opposer théoriquement à ce que le salarié ou l'employeur recoure aux services d'un avocat pour signifier la rétractation, le procédé risque d'être fort peu courant en pratique.

On peut également se demander si d'autres arguments n'auraient pas pu être utilement portés par le salarié devant le juge. Il est, en effet, étonnant que la convention ait été homologuée par l'administration du travail alors que le salarié avait clairement manifesté son changement d'avis, et donc, la disparition de son consentement à la rupture conventionnelle. Comme le prévoit l'article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9), la mission d'homologation de la DIRECCTE tient essentiellement à "s'assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties". Sans aucun doute, la rétractation n'était pas valable, mais l'administration du travail, informée du changement d'avis du salarié, aurait pu aisément considérer qu'il ne consentait plus librement à la rupture et, par conséquent, aurait pu refuser l'homologation. La contestation de l'homologation aurait peut-être permis au salarié d'obtenir la remise en cause de la rupture conventionnelle là où l'argumentation fondée sur l'efficacité du droit de rétractation ne pouvait aboutir.

Rupture conventionnelle et prise d'acte : l'importance du délai de rétractation. La seconde partie de l'argumentation, relative à l'articulation entre rupture conventionnelle et prise d'acte, appelle davantage de réflexions.

Explicitement, la Chambre sociale limite très strictement le recours à la prise d'acte de la rupture du contrat de travail lorsqu'une convention de rupture a été préalablement conclue. Entre la date d'échéance du délai de rétractation et la date de rupture effective du contrat, la prise d'acte ne peut être utilisée qu'à la condition que les manquements de l'employeur invoqués par le salarié soient survenus pendant cette période, ou aient été découverts par le salarié au cours de cette période (12). Dans tous les autres cas, la prise d'acte n'est pas permise alors pourtant que, sur le plan chronologique, le contrat de travail n'est pas encore rompu.

Implicitement, la Chambre sociale semble, en revanche, autoriser qu'une prise d'acte intervienne avant l'écoulement du délai de rétractation, sans égard, cette fois, pour la date des manquements reprochés à l'employeur. L'idée semble tenir au fait que la prise d'acte adressée pendant le délai de rétractation pourrait être assimilée à l'exercice du droit de rétractation, sous condition toujours que la prise d'acte soit bien adressée au cocontractant et qu'elle ait une date certaine.

Si l'on ramène ce débat sur le terrain chronologique, on peut en déduire que le principe de la rupture du contrat de travail par rupture conventionnelle est acquis dès que le délai de rétractation est écoulé, ce qui confirme que le terme du délai de rétractation est un moment clé dans la procédure de rupture conventionnelle (13). La procédure d'homologation administrative peut, certes, aboutir à une remise en cause de la rupture conventionnelle, mais cette issue ne dépend plus de la volonté des parties qui, individuellement, ne peuvent plus revenir en arrière. Le principe de la rupture par accord commun étant acquis, l'usage d'un autre mode de rupture postérieurement est proscrit.

L'incidence des manquements reprochés à l'employeur en cas de rupture conventionnelle. La rupture conventionnelle du contrat de travail n'est pas un acte abdicatif ou transactionnel : son objet est seulement de mettre fin au contrat de travail.

Il y a pourtant, dans la décision présentée, l'idée selon laquelle la conclusion d'une rupture conventionnelle purge une partie d'un éventuel différend existant entre les parties avant la rupture. Plus exactement, les conséquences que ce différend aurait pu avoir sur le régime de la rupture du contrat de travail s'effacent derrière le consentement de chacune des parties à la résiliation.

Les parties ne renoncent pas pour autant aux créances qu'elles peuvent avoir l'une sur l'autre, ce dont témoignent parfaitement les décisions qui admettent qu'une transaction soit conclue entre les parties à la rupture conventionnelle, à la condition, toutefois, qu'elle ne porte pas sur l'objet de la convention, sur les causes de la rupture conventionnelle (14). Il devrait donc rester admis qu'une partie réclame réparation du préjudice subi du fait du manquement de l'autre partie à ses obligations, sans conséquence, toutefois, sur le régime de la rupture.

Seuls les manquements survenus ou découverts entre la fin du délai de rétractation et la rupture effective du contrat continuent de pouvoir être invoqués. Cette solution ne va pas sans évoquer le cas de la faute grave commise par un salarié au cours du préavis de licenciement. Ce rapprochement est d'autant plus tentant que, depuis quelques mois, les manquements de l'employeur permettant la prise d'acte ont été sensiblement rapprochés de la notion de faute grave (15).

On se souviendra, alors, que la faute grave permet à l'employeur de mettre immédiatement un terme à la relation qui aurait dû perdurer jusqu'au terme du préavis (16) et, donc, de faire évoluer le régime de la rupture en raison de manquements survenus alors que la rupture est déjà irrévocable.

La Chambre sociale a cependant régulièrement jugé que le salarié ne pouvait être privé d'indemnités de licenciement ou d'indemnités de préavis, s'il avait été dispensé de l'exécuter, malgré la commission ou la découverte d'une faute grave (17). Faut-il alors penser que le régime de la prise d'acte pourrait, lui aussi, être aménagé lorsqu'elle est prononcée après le délai de rétractation pour des motifs survenus ou découverts durant cette période ? Si le raisonnement par analogie est tentant, il doit toutefois être repoussé.

L'interruption du préavis en cas de faute grave permet d'écarter immédiatement le salarié de son poste de travail, comme la prise d'acte permet au salarié de quitter immédiatement l'entreprise. Toutefois, l'intérêt de prendre acte de la rupture, plutôt que d'attendre l'issue de la procédure de rupture conventionnelle, tient à l'obtention d'une indemnisation pour rupture abusive lorsque le juge considère qu'elle doit produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ce n'est qu'au regard de cette éventuelle indemnisation que le salarié peut avoir intérêt à prendre acte de la rupture plutôt qu'à laisser la procédure de rupture conventionnelle s'achever. Préserver la faculté de prendre acte pour des manquements survenus ou révélés après l'écoulement du délai de rétractation, n'a donc de sens qu'à la condition de maintenir, dans ce cas de figure, tous les effets de la prise d'acte.


(1) Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, FS-P+B (N° Lexbase : A6513DI3) ; Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0755DG3) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 4 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4456ABN).
(2) Cass. soc., 31 octobre 2006, 3 arrêts, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0483DSP), n° 04-46.280, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0481DSM) et n° 04-48.234, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0482DSN) et les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 17 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5061ALZ).
(3) Cass. soc., 30 avril 2014, n° 13-10.772, FS-P+B (N° Lexbase : A6830MK8) et les obs. de Ch. Radé, Le salarié démissionnaire ne peut poursuivre l'action en résiliation judiciaire de son contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 570 du 15 mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2161BUL).
(4) Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-46.649, FS-P+B (N° Lexbase : A7356DGK) et les obs. de Ch. Radé, Résiliation judiciaire du contrat de travail ou licenciement ?, Lexbase Hebdo n° 157 du 4 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4812ABT) ; Cass. soc., 7 février 2007, n° 06-40.250, FS-P+B (N° Lexbase : A9615DTB) et les obs. de Ch. Radé, Résiliation judiciaire et licenciement : pourquoi faire simple ?, Lexbase Hebdo n° 248 du 16 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0442BAM).
(5) Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY) et les obs. de G. Auzero, Date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 245 du 26 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7973A98).
(6) Ou un départ à la retraite, v. Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-26.784 et 11-26.930, FP-P+B (N° Lexbase : A5125KD8) et les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte et départ à la retraite, Lexbase Hebdo n° 529 du 30 mai 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7207BT4).
(7) Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315 (N° Lexbase : A0908DWK), n° 05-40.518 (N° Lexbase : A0909DWL), n° 05-41.324 (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8) et les obs. de Ch. Radé, Clarifications (?) sur la distinction entre prise d'acte et démission, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0691BB9).
(8) Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-15.651, FS-P+B (N° Lexbase : A0813KC4) et nos obs., Articulation entre rupture conventionnelle et résiliation judiciaire du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 525 du 25 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6799BTY).
(9) Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, FS-P+B+R+I, préc..
(10) Cass. soc., 3 mars 2015, trois arrêts, n° 13-20.549, FP-P+B (N° Lexbase : A8994NC4), n° 13-23.348, FP-P+B (N° Lexbase : A9004NCH), n° 13-15.551, FP-P+B (N° Lexbase : A9097NCW) et nos obs., L'influence de la rupture conventionnelle sur un licenciement ou la procédure disciplinaire préalable, Lexbase Hebdo n° 605 du 19 mars 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N6464BUX).
(11) CA Aix-en-Provence, 27 février 2014, n° 11/19312 (N° Lexbase : A0074MGT).
(12) La preuve de la découverte du manquement pendant cette période risque d'être particulièrement difficile à rapporter, ce qui réduira le plus souvent l'alternative au seul cas où le manquement a eu lieu pendant la période en cause.
(13) V. nos obs., Protection au titre d'un mandat extérieur à l'entreprise : à quel moment l'information doit-elle être délivrée ?, Lexbase Hebdo n° 629 du 15 octobre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9400BUP) à propos de l'énigmatique "moment de la rupture conventionnelle" employé comme moment ultime auquel un salarié protégé doit avoir informé l'employeur de son statut pour bénéficier de la procédure spéciale.
(14) Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-21.136, FP-P+B+R (N° Lexbase : A2556MII) et les obs. de S. Tournaux, Rupture conventionnelle, transaction et autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 566 du 10 avril 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N1736BUT) ; RDT, 2014, p. 330, obs. G. Auzero ; D., 2014, p. 115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JCP éd. S, 2014, p. 1137, note G. Loiseau ; Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-23.368, FS-P+B (N° Lexbase : A6723NEQ) et les obs. de Ch. Radé, Transaction et rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 608 du 9 avril 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N6801BUG).
(15) Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-23.634, FP-P+B (N° Lexbase : A2543MIZ) ; D., 2014, p. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc., 2014, p. 397, J.-E. Ray.
(16) Cass. soc., 7 mars 1990, n° 86-45.685 (N° Lexbase : A1802AGT).
(17) Cass. soc., 4 octobre 1990, n° 88-43.274 (N° Lexbase : A8329AGL) ; Cass. soc., 9 mai 2000, n° 97-45.294 (N° Lexbase : A4912AGZ).

Décision

Cass. soc., 6 octobre 2015, n° 14-17.539, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0465NTE).

Rejet (CA Aix-en-Provence, 27 février 2014, n° 11/19312 N° Lexbase : A0074MGT).

Textes cités : C. trav., art. L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9).

Mots-clés : rupture conventionnelle ; délai de rétractation ; prise d'acte.

Lien base : (N° Lexbase : E0220E7B).

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