La lettre juridique n°621 du 16 juillet 2015

La lettre juridique - Édition n°621

Éditorial

Visite domiciliaire : attention à la violation, mais de quel domicile au juste ?

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N8388BU9

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 16 Juillet 2015


Une nouvelle fois la Cour européenne des droits de l'Homme condamnait la France, le 18 juin 2015, en ce que notre procédure de visite en matière de droit de la concurrence ne prévoyait qu'un recours en cassation pour contester la régularité et le bien-fondé de l'ordonnance du JLD ayant autorisé les opérations de visites et de saisies, et ce en contrariété au droit à un contrôle juridictionnel effectif au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH. La Cour préconise, elle, un contrôle indépendant de la régularité de l'autorisation elle-même.

A l'inverse, le 17 juin 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation estimait que le prévenu qui, en sa qualité d'occupant des lieux, disposait d'un recours contre les opérations de visite en matière douanières, était irrecevable à invoquer l'irrégularité de ces opérations à l'occasion des poursuites dont il fait l'objet.

Parallèlement, la loi du 24 juin 2015 réformait l'article 226-4 du Code pénal qui désormais punit l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Et, désormais, le maintien dans le domicile d'autrui à la suite d'une telle introduction, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.

Voilà maintenant plus de 35 ans que le droit des visites domiciliaires (accompagnées de leurs comparses téléologiques, les saisies) fait l'objet de nombre d'ajustements face aux critiques des avocats, sentinelles des droits et libertés, d'abord, des magistrats, bouches de la loi et désormais des droits fondamentaux, ensuite. Loin de nous l'idée de faire l'historique d'une procédure, avatar de la perquisition en matière pénale : il suffira de dire que la loi de 1985 sur les visites domiciliaires n'aura pas satisfait les gardiens de la propriété et de la vie privée, puisque l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales aura connu pas moins de douze versions depuis lors -dont dix depuis 2001 !-.

Mais on ne peut pas comprendre l'essence même de ce droit sans opérer une distinction fondamentale entre les différentes conceptions du domicile en question. En fait, il faut avouer que les croisades contre l'intrusion de la justice, comme de l'administration, dans nos maisons, viennent de la pauvreté linguistique française -il faut oser le dire- au regard de l'unique idiome de "domicile" ou plus communément de "maison". Si les tenants de la recherche de la vérité, du moins de la preuve sans laquelle l'incrimination tomberait, et ceux de la vie privée et du droit de propriété, deux droits fondamentaux constitutifs des libertés individuelles, se déchirent sur fond de réformes législatives ou de jurisprudences assassines, c'est bien parce qu'ils ne parlent pas le même langage, et malheureusement pas le grec -par trop élitiste paraît-il-.

On y apprendrait, alors, en lisant la République de Platon, qui a sans doute inspiré nos conceptions de la cité, de la politique et du droit, qu'en distinguant l'oikeiosis, de l'oikia et de l'oikos, tout trois s'apparentant à ce que l'on pourrait, par mesure de simplicité, appeler "maison", ces trois concepts regroupent en fait trois facettes distinctes d'une même terminologie linguistique.

La première fait référence à la maison, comme demeure matérielle où vit la maisonnée. Et finalement, Platon comme la République des temps modernes n'ont que faire, hormis le respect dû au droit de la construction et de l'urbanisme, de cet oikeiosis. Les visites domiciliaires se désintéressent volontiers du toit abritant la famille. Le droit de propriété n'est en rien inquiété, puisqu'il n'est pas cherché à y attenter.

L'oikia s'apparenterait plutôt, elle, aux relations affectives qui unissent les membres vivant derrières les mêmes murs -encore que Platon rassemble cette acceptation sous le vocable d'oikos, également-. Le péripatéticien invétéré porte, certes, un intérêt à la vie privée de la maisonnée, tout comme l'administration des temps modernes, mais de manière mesurée. L'oikia serait ainsi le versant clanique de l'oikos, la famille au sens large mais en ce qu'elle résulte de liens affectifs consolidés sur un terrain de prospérité du domaine familial. La maison est alors le lieu d'un double attachement affectif, d'un double désir possessif tourné vers les membres de la famille, d'un côté, vers la richesse accumulée dans et par l'oikos, de l'autre. Platon sépare donc l'oikia de l'oikos pour séparer la vie privée, qui doit naturellement être protégée, du caractère néfaste du repli sur soi ; comme la justice veillera à ce que la droit à la vie privée ne couvre ni exactions contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs, ni une secte dont les principes annihileraient la liberté individuelle des membres de la "famille". Ainsi, ni la structure, ni la nature du lien familial ne sont ici attentées par une quelconque visite domiciliaire.

Et finalement, La République épistolaire, comme la République des temps modernes se méfient de la seule acception oikos de la maison ; celle qui justifie l'intrusion, pour s'assurer que l'économie, les échanges qui y sont développés ne vont pas à l'encontre de l'intérêt collectif, en cherchant à corroborer de sérieuses présomptions de fraude, du moins de dissimulations contra legem. Pour Platon, la dimension autocentrée de la famille, non pas clanique, mais proprement économique, présente un risque pour le développement de la cité -c'est presque la condamnation de l'entente en matière de droit de la concurrence !-. Au point qu'un auteur, Etienne Helmer, écrira qu'il souhaitait l'élimination de l'oikos comme unité de production économique privée, tournée vers l'expansion et la concurrence, au profit d'une économie pensée à l'aune de la cité tout entière. Voici donc les bases du libéralisme jetées dans l'oeuvre constitutive de la démocratie occidentale ! Il s'agit, dès lors, poursuit-il, de contrer la force antipolitique de l'oikos pour le transformer en instrument d'unification de la cité juste : et pour cela, le droit moderne s'autorise quelques visites pour s'assurer que la "maison" ne recèle pas quelque secret -désir de richesse pour Platon- contraire au droit économique (essentiellement) et donc à l'intérêt de la cité toute entière. Au final, la visite domiciliaire est l'une des expressions du droit moderne de la politisation -au sens littéral- de la "maison".

"Trois choses entrent dans une maison sans se faire annoncer : les dettes, la vieillesse et la mort", dit le proverbe. Remarquez que l'administration et la justice ne s'intéressent bien qu'à ces dernières et il convient, effectivement, qu'elles ne se préoccupent que peu de la propriété comme du lien familial qui constitue la maison, terrain inviolable. Il est là le combat contre l'atteinte à la vie privée et au droit de propriété.

newsid:448388

Arbitrage

[Brèves] Compétence des juridictions judiciaires en matière d'exequatur de sentences arbitrales étrangères

Réf. : Cass. civ. 1, 8 juillet 2015, n° 13-25.846, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7869NME)

Lecture: 2 min

N8430BUR

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Le 21 Juillet 2015

La sentence internationale, qui n'est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où la reconnaissance et l'exécution sont demandées ; l'exequatur des sentences arbitrales rendues à l'étranger est exclusif de tout jugement sur le fond et relève de la compétence des juridictions judiciaires. Tels sont les enseignements d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 8 juillet 2015 (Cass. civ. 1, 8 juillet 2015, n° 13-25.846, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7869NME). En l'espèce, un syndicat, établissement public de droit français propriétaire de l'aéroport d'Angoulême, a conclu deux contrats avec les sociétés irlandaises R. et A., portant sur l'ouverture d'une liaison aérienne avec Londres et des prestations publicitaires, et prévoyant un arbitrage à Londres, d'après le règlement de la Cour internationale d'arbitrage de Londres. L'arbitre, saisi par les sociétés R. et A., a rendu une sentence retenant sa compétence et rejetant la demande de sursis à statuer du syndicat dans l'attente de la décision des juridictions administratives françaises. Cette sentence a reçu l'exequatur du président du tribunal de grande instance de Paris. Pour décliner la compétence des juridictions judiciaires et infirmer la décision qui accorde l'exequatur, la cour d'appel (CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 10 septembre 2013, n° 12/11596 N° Lexbase : A8355KKN) a retenu que l'article 1516 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2203IPB), édicté pour régler les compétences au sein de l'ordre judiciaire, est sans influence sur le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et qu'il n'appartient pas à la cour d'appel de se prononcer sur les voies par lesquelles les juridictions de l'ordre administratif sont susceptibles d'être saisies d'une demande d'exequatur d'une sentence rendue à l'étranger. A tort. En statuant ainsi, alors que la Convention de New-York du 10 juin 1958, applicable à l'exequatur en France d'une sentence rendue à Londres, interdit toute discrimination entre les sentences étrangères et les sentences nationales ainsi que toute révision au fond, la cour d'appel a violé les articles III, V et VII de la Convention de New York du 10 juin 1958, pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (N° Lexbase : L6808BHM), ainsi que l'article 1516 du Code de procédure civile précité (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E7342ET4).

newsid:448430

Avocats/Déontologie

[Brèves] La règle selon laquelle aucun conseil de l'Ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du conseil de discipline ne s'applique pas à la composition des formations restreintes de jugement

Réf. : Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-15.402, F-P+B (N° Lexbase : A5527NMN)

Lecture: 1 min

N8312BUE

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Le 16 Juillet 2015

Il résulte des articles 22-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), ensemble les articles 180 et 181 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) que le conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel est composé de représentants des conseils de l'Ordre de ce ressort, sans qu'aucun d'eux ne puisse désigner plus de la moitié de ses membres, et peut siéger en formation restreinte d'au moins cinq membres délibérant en nombre impair. Tel est le rappel opéré par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 1er juillet 2015 (Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-15.402, F-P+B N° Lexbase : A5527NMN). Dans cette affaire, un avocat, Me O., a fait l'objet de poursuites disciplinaires à la requête du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Lyon. Ayant été condamné par le conseil régional de discipline à la peine d'interdiction temporaire d'exercice pendant deux ans, assortie du sursis, il a formé un recours contre cette décision. Pour annuler cette dernière la cour d'appel de Lyon constate que la formation restreinte du conseil de discipline était composée de sept membres, dont la majorité appartenaient au barreau de Lyon, et relève que la règle selon laquelle aucun conseil de l'Ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du conseil de discipline, s'applique aussi à la composition des formations restreintes de jugement. L'arrêt sera censuré par la Haute juridiction au visa des articles précités : en effet en statuant ainsi la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9162ETI).

newsid:448312

Avocats/Déontologie

[Brèves] Recours formés contre les décisions de sursis à statuer du conseil de discipline : application des règles du Code de procédure civile

Réf. : Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-18.149, F-P+B (N° Lexbase : A5446NMN)

Lecture: 2 min

N8380BUW

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Le 16 Juillet 2015

En l'absence dans la loi de 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) de disposition relative aux recours formés contre les décisions de sursis à statuer du conseil de discipline, ce sont les règles du Code de procédure civile qui s'appliquent. Tel est l'apport de l'arrêt rendu le 1er juillet 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-18.149, F-P+B N° Lexbase : A5446NMN). En l'espèce, Me K., avocat, a fait l'objet de poursuites disciplinaires à la requête du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Marseille, qui a saisi le conseil régional de discipline le 11 juin 2012. Par décision du 17 novembre 2012, celui-ci a prorogé jusqu'au 11 juin 2013 le délai de huit mois pour statuer. L'avocat a comparu à l'audience du 1er juin 2013 et déposé une requête en récusation à l'encontre des onze membres de la formation du conseil de discipline, lesquels s'y sont opposés. Les membres récusés s'étant abstenus, le conseil de discipline a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel et Me K. a formé un recours contre cette décision. La cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant déclaré son appel irrecevable (CA Aix-en-Provence, 27 mars 2014, n° 13/13445 N° Lexbase : A0632MIA), Me K. s'est pourvu en cassation. En vain. Pour rejeter le pourvoi, la Haute juridiction énonce que, saisie d'une demande de renvoi pour cause de récusation de tous les membres de la formation du conseil de discipline, la cour d'appel n'était pas tenue d'inviter les parties à présenter leurs observations. Ensuite, elle relève que l'article 23 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne comportant aucune disposition relative aux recours formés contre les décisions de sursis à statuer du conseil de discipline, c'est par une exacte appréciation des dispositions de l'article 380 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7845I4C), applicables en l'espèce en vertu de l'article 277 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991(N° Lexbase : L8168AID), que la cour d'appel, qui a constaté que Me K. ne s'était pas conformé aux exigences de ce texte, a déclaré l'appel irrecevable. Enfin, elle approuve les juges du fond d'avoir constaté que le conseil de discipline avait sursis à statuer dans le délai imparti par l'article 195 du décret susvisé, l'instance était suspendue jusqu'à la décision sur la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime (cf. les Ouvrages "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0090EUU et "Procédure civile" N° Lexbase : E1362EUY).

newsid:448380

Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Quand la forme prévaut sur le fond

Réf. : Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A2160NK9)

Lecture: 6 min

N8283BUC

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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions

Le 16 Juillet 2015

Par un arrêt rendu le 3 juin 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation marque un degré supplémentaire dans la consécration de l'exigence de procès équitable et l'affirmation du principe du contradictoire. Un justiciable décide de changer d'avocat. C'est son droit, et le cas de figure est classique. Est révolue la règle ancienne, tellement protectrice de l'avocat dessaisi qu'elle pouvait apparaître comme corporatiste, selon laquelle celui-ci pouvait interdire au confrère lui succédant d'accomplir des actes au profit du client tant qu'il n'aurait pas été payé du montant de ses honoraires. Souvenons-nous que l'avocat dessaisi pouvait avoir la tentation, compréhensible mais tellement détestable, d'établir un décompte définitif de ses frais et honoraires quelque peu majorés, ce qui compliquait davantage encore la succession d'un confrère dans la défense des intérêts du client.

En cas de succession d'avocats dans un dossier, la règle est maintenant clairement établie par le règlement intérieur national des avocats (RIN) dans son article 9.2 (N° Lexbase : L4063IP8) : "l'avocat dessaisi, ne disposant d'aucun droit de rétention, doit transmettre sans délai tous les éléments nécessaires à l'entière connaissance du dossier".

La règle est simple, normale, évidente. Cette règle de l'article 9.2 vient préciser ici des principes essentiels plus généraux énoncés par l'article 1.3 du RIN selon lequel l'avocat doit respecter, notamment, dans l'exercice de sa profession les principes de délicatesse, de confraternité, de loyauté, de conscience et de diligence. Il en va de l'intérêt du client que sa défense ne souffre aucun retard, surtout s'il est exposé à la sanction d'une prescription, d'une péremption, ou d'autres délais de procédure impératifs. Quand bien même ce ne serait pas le cas, tout retard dans la transmission de son dossier lui est nécessairement préjudiciable.

La règle applicable porte-t-elle atteinte aux droits de l'avocat dessaisi ? Evidemment non puisqu'il lui est loisible notamment d'engager une procédure de recouvrement de ses honoraires à l'encontre de son ancien client s'il en est créancier.

Un avocat du barreau de Paris (il n'est hélas pas le seul) semblait méconnaître cette règle qui n'est pourtant plus nouvelle. Plusieurs lettres lui demandant la transmission de l'entier dossier et émanant de l'avocat lui succédant sont restées vaines. Une invitation de la commission de déontologie "succession et honoraires" à transmettre immédiatement le dossier n'a pas eu davantage d'effets. Notons au passage qu'il est symptomatique de constater que la commission de déontologie de l'Ordre des avocats du barreau de Paris comporte une section "succession et honoraires", ce qui témoigne de la rémanence de ce type de conflit.

Convoqué par la commission de déontologie pour avoir à s'expliquer sur les motifs de son refus de transmettre un dossier à l'avocat lui succédant, ce dernier n'a pas jugé utile de comparaître. Ce n'est qu'ultérieurement, et après plusieurs mois, que le client du premier avocat a pu obtenir personnellement la restitution de son dossier et ainsi le remettre à son nouvel avocat. C'est dans ces conditions qu'une procédure disciplinaire a été ouverte à l'encontre du premier avocat, tellement ignorant des principes essentiels de la profession ainsi que des règles applicables à la succession d'avocats dans un dossier, tellement désinvolte également à l'égard des instances ordinales.

Le conseil de discipline a fait preuve pourtant d'une grande mansuétude à l'égard de cet avocat en lui infligeant la peine du blâme.

Les principes (lesquels ?) n'ont pas de prix. Se considérant vraisemblablement victime d'une sanction inique, l'avocat sanctionné a relevé appel de la décision du conseil de discipline.

Par arrêt en date du 27 février 2014, la cour d'appel de Paris a cependant confirmé la décision du conseil de discipline.

Un pourvoi en cassation a donc été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait confirmé la peine du blâme infligée.

La Cour de cassation va casser l'arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris.

Avant d'examiner les motifs de l'arrêt de cassation, relevons pour mieux les comprendre que le Bâtonnier du barreau de Paris, en dépit de l'importance de l'affaire, ne s'était pas déplacé personnellement à l'audience de la cour d'appel, mais s'était fait représenter.

Rappelons également qu'une telle représentation du Bâtonnier lors de l'instance disciplinaire devant la cour est possible.

Rappelons enfin que le Bâtonnier, à peine de cassation, doit être entendu en ses observations et que mention doit en être faite dans l'arrêt de la cour d'appel.

Les motifs de l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 3 juin 2015 méritent d'être cités : "attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X, avocat, a été poursuivi à la requête du Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris, pour avoir manqué aux obligations édictées par l'article 9 du règlement intérieur national et aux principes essentiels de délicatesse, confraternité et diligences édictées par son article 1.3, notamment en persistant de nombreux mois, malgré de multiples demandes, dans son refus de transmettre le dossier d'une cliente à un confrère qui lui succédait ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche : attendu que M. X fait grief à l'arrêt de prononcer à son encontre une sanction disciplinaire pour des manquements à ses obligations professionnelles alors, selon le moyen qu'en condamnant M. X à une peine disciplinaire, après avoir relevé que l'avocat représentant du Bâtonnier a présenté des observations, mais sans préciser si le Bâtonnier avait été empêché, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID). Mais attendu que le Bâtonnier disposait, en cas d'indisponibilité qui se déduisait de son absence à l'audience, de la faculté de se faire substituer ; que le moyen n'est pas fondé ; Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : Vu l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et des libertés fondamentales, ensemble l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q) ; Attendu que l'arrêt mentionne que le Bâtonnier a été entendu en ses observations ; Qu'en procédant ainsi, sans préciser si le Bâtonnier avait, en outre, déposé des conclusions écrites préalablement à l'audience et, si tel avait été le cas, sans constater que le professionnel poursuivi en avait reçu communication afin d'être en mesure d'y répondre utilement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; Par ces motifs, [...] casse et annule [...] l'arrêt rendu le 27 février 2014".

Nous ne pouvons qu'être indéfectiblement attachés au respect des droits de la défense, et en particulier aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi bien sûr qu'au sacro-saint principe du respect du contradictoire.

Avec l'arrêt du 3 juin 2015, un degré supplémentaire est atteint dans la consécration de l'exigence de procès équitable et l'affirmation du principe du contradictoire : la violation de ces principes intangibles doit être sanctionnée non seulement lorsqu'elle est avérée, mais lorsque la Cour de cassation n'est pas en mesure de vérifier qu'ils n'ont pas été violés, en l'absence de mention spécifique dans l'arrêt des juges du fond.

En l'espèce, le Bâtonnier, par la voix de son représentant, avait été entendu en ses observations par la cour d'appel. Ne l'aurait-il pas été et mention n'en aurait-elle pas été faite dans l'arrêt, celui-ci encourrait inéluctablement la cassation.

Le fait que le Bâtonnier ait été entendu en ses observations ne laisse nullement présumer qu'il aurait déposé des conclusions écrites. L'arrêt doit néanmoins être cassé.

Peut-être le Bâtonnier avait-il déposé des conclusions écrites, et dans l'affirmative, peut-être ces conclusions n'avaient-elles pas été régulièrement communiquées à l'avocat poursuivi ?

Les principes n'ont pas de prix.

Gageons que la cliente concernée par ce problème de succession d'avocats dans un dossier, si elle avait connaissance de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 3 juin 2015, ne pourrait que s'incliner devant cette notion de violation hypothétique des règles du procès équitable et du principe du contradictoire.

La procédure disciplinaire des avocats est d'une rare complexité, au point que nombre de Bâtonniers qui n'ont plus aujourd'hui qu'un rôle d'autorité de poursuite, hésitent à la mettre en oeuvre face à des comportements d'avocats qui contreviennent à des règles déontologiques, mais de façon jugée peu grave.

Faut-il être découragé par cette complexité procédurale ? Assurément non, une solution existe.

Elle n'est pas dans le principe du droit au procès équitable, ni dans celui du principe du contradictoire, mais dans la mention qu'ils ont été respectés.

La solution est dans le traitement de texte, lequel permet de répertorier les mentions obligatoires et tous les pièges de la procédure, de les enregistrer dans un canevas, et ainsi de prévenir toute omission.

Un pré-arrêt de cour d'appel statuant sur un recours formé contre un conseil régional de discipline des avocats pourrait ainsi comporter la mention "le Bâtonnier de l'Ordre a été entendu en ses observations mais n'a pas déposé de conclusions écrites, de sorte que ses conclusions n'ont pas été notifiées à l'avocat poursuivi".

L'arrêt serait ainsi à l'abri de la cassation, peu important à cet égard que des conclusions aient été effectivement déposées mais non communiquées.

Quand la forme prévaut sur le fond, les droits fondamentaux ne sont pas nécessairement préservés.

newsid:448283

Baux commerciaux

[Brèves] Fixation judiciaire et révision triennale du loyer en renouvellement

Réf. : Cass. civ. 3, 1er juillet 2015, n° 14-13.056, FS-P+B (N° Lexbase : A5507NMW)

Lecture: 1 min

N8378BUT

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Le 16 Juillet 2015

Le loyer en renouvellement d'un bail commercial ne peut être fixé en tenant compte des révisions triennales qui auraient pu intervenir à compter de la date d'effet du bail renouvelé en l'absence de demande régulière de révision. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2015 (Cass. civ. 3, 1er juillet 2015, n° 14-13.056, FS-P+B N° Lexbase : A5507NMW). En l'espèce, le propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail a assigné le preneur en fixation du loyer du bail renouvelé. Les juges du fond (CA Bastia, 30 octobre 2013, n° 12/00620 N° Lexbase : A8130NM3) avaient fixé le loyer à la valeur locative en retenant une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant eu une incidence sur le commerce considéré et en tenant compte des révisions triennales qui auraient pu intervenir à compter de la date d'effet du bail renouvelé. Le preneur s'est pourvu en cassation. L'arrêt objet du pourvoi a été censuré sur ce dernier point, au visa des articles L. 145-37 (N° Lexbase : L5765AID) et R. 145-20 (N° Lexbase : L7054I4Z) du Code de commerce, au motif qu'aucune demande de révision triennale du loyer n'avait été formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E5359A8Y).

newsid:448378

Droits de l'Homme

[Chronique] Chronique de droit public pénitentiaire - Juillet 2015

Lecture: 16 min

N8387BU8

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par Christophe de Nantois, Maître de conférences en droit public à l'Université de Lorraine

Le 16 Juillet 2015

La jurisprudence pénitentiaire des derniers mois a été marquée par le renforcement du contrôle effectué par le Conseil d'Etat sur les décisions disciplinaires relatives aux détenus. Celui-ci continue et amplifie le mouvement entamé en 1995 avec l'arrêt "Marie" (1) qui consiste à ce que les décisions de l'administration pénitentiaire soient toujours plus examinées par le juge administratif (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juin 2015, n° 380449, mentionné aux tables du recueil Lebon). D'autre part, de façon logique et largement anticipée, le contentieux relatif aux questions prioritaires de constitutionnalité continue d'augmenter : le Conseil d'Etat saisissant occasionnellement le Conseil constitutionnel (CE, 10° et 9° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit au recueil Lebon ; CE, 10° et 9° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit au recueil Lebon), mais écartant la plupart des demandes de saisine (CE 1° et 6° s-s-r., 25 mars 2015, n° 374401, mentionné aux tables du recueil Lebon). La Haute juridiction se montre relativement libérale vis-à-vis de l'administration pénitentiaire quant à la fourniture de repas conformes aux principes religieux des détenus (CE 1° et 6° s-s-r., 25 février 2015, n° 375724, mentionné aux tables du recueil Lebon), puis indique que les inondations occasionnant la perte des biens personnels dont disposait un détenu dans sa cellule ne peuvent aboutir à l'engagement de la responsabilité de l'Etat (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 373267, mentionné aux tables du recueil Lebon). Elle indique aussi, dans le domaine du référé "mesures utiles" en matière pénitentiaire, qu'il n'appartient pas au juge d'édicter des mesures à caractère réglementaire (CE, Sect., 27 mars 2015, n° 385332, publié au recueil Lebon). Cette chronique se conclut par la condamnation à deux reprises de la France par la Cour de Strasbourg (CEDH, 19 février 2015, Req. 10401/12 ; CEDH, 21 mai 2015, Req. 50494/12).
  • Les mesures disciplinaires relatives aux détenus peuvent désormais être examinées par le juge administratif (CE 9° et 10° s-s-r., 1er juin 2015, n° 380449, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9222NIE)

Le directeur de la maison centrale de Clairvaux avait placé le 23 juillet 2012 le requérant, M. A., en cellule disciplinaire pour vingt-cinq jours, placement implicitement confirmé par le directeur interrégional des services pénitentiaires centre-est Dijon. Cette décision a fait l'objet d'un recours devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui l'a rejeté le 2 mai 2013. La cour administrative d'appel de Nancy a certes annulé ce jugement pour irrégularité, mais a néanmoins rejeté la demande de M. A. le 13 février 2014 (2).

Dans un considérant de principe, le Conseil d'Etat a modifié sa jurisprudence antérieure : "considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes". Par ce considérant, le juge administratif abandonne le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation jusque là en vigueur et le remplace par un contrôle normal, plus protecteur.

Une logique en deux temps est désormais mise en place : le juge va pouvoir vérifier, d'une part, la matérialité des faits et si ces faits justifient une sanction et, d'autre part, s'il existe une proportionnalité entre la faute incriminée et la faute retenue.

Concernant la matérialité des faits, le contrôle est parfaitement logique et justifié, le juge vérifiait déjà l'existence de ceux-ci, sans le dire vraiment, par l'erreur manifeste d'appréciation. Plus complexe était la question de savoir si les faits devaient être sanctionnés. C'est notamment dans l'arrêt "Letona Biteri" de 2011 (3) que des questions avaient vu le jour sur ce point. M. X, détenu alors à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a fait l'objet le 29 avril 2005 d'une sanction de mise en cellule disciplinaire de sept jours avec sursis pour "avoir refusé d'obéir à la demande d'un surveillant de quitter le muret sur lequel il se trouvait assis et qui se trouvait à l'intérieur du parloir dans lequel il recevait sa famille".

Cette injonction de quitter un muret avait en effet fait douter les juges : s'agissait-il d'un ordre légitime ou d'un ordre abusif ? Le tribunal administratif de Melun avait estimé le 5 avril 2007 que "l'injonction du gardien n'avait aucune base légale ou réglementaire, ni dans les dispositions du Code de procédure pénale, ni dans le règlement intérieur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis". En conséquence, le tribunal avait annulé la sanction de quartier disciplinaire. Mais la cour administrative d'appel de Paris (4) avait estimé au contraire que l'ordre était justifié. Le Conseil d'Etat avait tranché cette question sans tergiverser en se basant directement sur le Code de procédure pénale, jugeant que "constitue une faute disciplinaire du troisième degré le fait, pour un détenu [...] de refuser d'obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l'établissement" (5). Le Conseil d'Etat avait ajouté que la cellule disciplinaire était une sanction possible dès lors qu'une faute disciplinaire était constatée. Le Conseil concluait assez sèchement que : "tout ordre du personnel pénitentiaire doit être exécuté par les détenus [sauf dans] l'hypothèse où l'injonction adressée à un détenu par un membre du personnel de l'établissement pénitentiaire serait manifestement de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine".

Cette interprétation stricte du Code de procédure pénale avait suscité ici ou là quelques interrogations (6), mais elle avait pour mérite d'être claire et elle avait réaffirmé sans détours l'autorité des personnels pénitentiaires. C'est pour cette raison que cet arrêt avait été très apprécié par l'administration pénitentiaire, dont les relations, disons d'incompréhension voire parfois de défiance, avec le Conseil d'Etat sont fréquentes depuis l'arrêt "Marie" de 1995.

La rédaction retenue ici : "il appartient au juge de l'excès de pouvoir [...] de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction" est un lointain écho à cet arrêt "Letona Biteri" de 2011.

Mais le plus important apport de cet arrêt du 1er juin 2015 se situe dans la seconde partie de ce considérant : "il appartient au juge de l'excès de pouvoir [...] de rechercher si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes". Désormais, le juge va pouvoir vérifier la proportionnalité des sanctions disciplinaires des détenus. Ce passage du contrôle restreint du juge au contrôle normal est particulièrement bienvenu.

L'arrêt "Dahan" (7) avait effectué cette avancée pour les sanctions disciplinaires relatives aux fonctionnaires en 2013. Depuis cet arrêt "Dahan" (qui revient sur la jurisprudence "Lebon" de 1978 (8)), les agents publics bénéficient d'un contrôle normal sur leurs sanctions disciplinaires et non plus d'un contrôle restreint. Le régime juridique appliqué aux sanctions disciplinaires aux fonctionnaires et celui appliqué aux sanctions des détenus auraient toutefois pu continuer à être différents quelques années encore, les injonctions données aux fonctionnaires et aux détenus n'étant pas strictement comparables. En d'autres termes, l'incitation créée par l'arrêt "Dahan" aurait sans doute pu rester lettre morte encore longtemps.

L'intérêt le plus grand d'accorder au juge le contrôle de proportionnalité des sanctions disciplinaires est de mettre fin à une pratique fréquemment observée. On rapporte en effet que les personnels pénitentiaires présents dans les commissions disciplinaires (ces commissions sont à l'origine des décisions disciplinaires des directeurs relatives aux détenus), demandent presque systématiquement la sanction maximale dès que l'acte incriminé est une violence à l'égard d'un personnel. En l'espèce, tel devait être le cas, car la sanction retenue de vingt-cinq jours de quartier disciplinaire ne peut être infligée que pour "acte de violence physique contre les personnes" (9). La peur ressentie par les personnels de l'administration pénitentiaire qui subissent une agression est à la fois parfaitement humaine et totalement compréhensible mais demander en ce cas, presque systématiquement, la peine maximale de trente jours ne permet sans doute pas de faire oeuvre de pédagogie en la matière.

Pour toutes ces raisons, cet arrêt constitue une avancée des droits des détenus et une limitation de l'arbitraire, réel ou supposé, au sein des prisons. Espérons simplement que les délais des justiciables ne soient pas trop allongés par cet arrêt. En effet, si le juge a si longtemps résisté à étendre ses compétences à ces mesures de moindre importance c'est, en partie au moins, en raison du risque d'augmentation du nombre de contentieux. Si l'amélioration des droits que constitue l'examen des sanctions disciplinaires par le juge est diminuée par l'augmentation des délais de décision, le détenu, n'y aura peut-être pas tant gagné que cela.

  • Renvoi au Conseil constitutionnel d'une QPC relative au travail des détenus : une réponse attendue sur le droit à l'emploi, la liberté syndicale et le droit de grève (CE, 10° et 9° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5773NMR)

A l'occasion d'un litige classique relatif au déclassement d'un détenu, le Conseil d'Etat a été invité à se pencher sur la question du travail en prison. C'est ici, plus précisément, l'article 33 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (loi n° 2009-1436 N° Lexbase : L9344IES) qui est visé : "la participation des personnes détenues aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l'établissement d'un acte d'engagement par l'administration pénitentiaire". Cet acte, signé par le chef d'établissement et la personne détenue, énonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération. Ces dispositions n'ayant pas été examinées par le Conseil constitutionnel et commandant la résolution du litige en cours, elles peuvent faire l'objet d'une QPC. En l'espèce, le moyen soulevait une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, "notamment au droit à l'emploi, à la liberté syndicale, au droit de grève et au principe de participation des travailleurs, respectivement garantis par les alinéas 5, 6, 7 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946". Le Conseil d'Etat a estimé, à juste titre, que ce moyen soulevait une question présentant un caractère sérieux et a, de ce fait, renvoyé cette question au Conseil constitutionnel.

Quelle que soit la réponse du Conseil constitutionnel, ce recours va venir utilement compléter la décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 (10) qui concernaient le contrat de travail pour les relations de travail des personnes incarcérées, sur un recours de la Cour de cassation. Le requérant considérait qu'il n'y a avait pas de véritable contrat de travail pour les détenus ; le Conseil constitutionnel avait écarté ces griefs et jugé que ces dispositions étaient conformes à la Constitution.

  • Le Conseil d'Etat refuse de saisir le Conseil constitutionnel d'une QPC relative au "permis de communiquer" accordé aux avocats lorsqu'ils doivent rencontrer leurs clients dans un établissement pénitentiaire (CE 1° et 6° s-s-r., 25 mars 2015, n° 374401, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6855NEM)

Aux termes de l'article 25 de la loi pénitentiaire de 2009, "les personnes détenues communiquent librement avec leurs avocats", alors qu'aux termes de l'article R. 57-6-5 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0339IPA), un "permis de communiquer est délivré aux avocats, pour les condamnés, par le juge de l'application des peines ou son greffier pour l'application des articles 712-6 (N° Lexbase : L9396IEQ), 712-7 (N° Lexbase : L9476IEP) et 712-8 (N° Lexbase : L7104IG9) et, pour les prévenus, par le magistrat saisi du dossier de la procédure. / Dans les autres cas, il est délivré par le chef de l'établissement pénitentiaire". C'est cette opposition potentielle entre la liberté de communication proclamée par l'article 25 et la restriction possible du fait de l'existence même du "permis de communiquer" qui était soulevée par le requérant qui demandait l'abrogation des articles R. 57-6-5, D. 115-15 (N° Lexbase : L4821HZL), D. 115-16 (N° Lexbase : L4822HZM) et D. 115-18 (N° Lexbase : L8238G7A) du Code de procédure pénale ou la saisine du Conseil constitutionnel par la voie de la QPC.

Si le Conseil d'Etat ne donne pas droit à cette requête concernant l'annulation ou la saisine du Conseil constitutionnel, il opère néanmoins d'importants rappels concernant le permis de communiquer et crée ainsi de véritables garde-fous en cette matière.

Dans son troisième considérant, le Conseil d'Etat précise en effet que "les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats ; que ce droit implique notamment qu'ils puissent, selon une fréquence qui, eu égard au rôle dévolu à l'avocat auprès des intéressés, ne peut être limitée à priori, recevoir leurs visites, dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges". Le Conseil ajoute également que "ce droit s'exerce dans les limites inhérentes à la détention ; qu'ainsi, si les dispositions de l'article R. 57-6-5 du Code de procédure pénale prévoient que les avocats doivent obtenir un permis de communiquer pour pouvoir rencontrer leurs clients lorsque ceux-ci sont détenus, afin de préserver le bon ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de subordonner l'obtention de ce permis à l'exercice par l'autorité chargée de délivrer le permis, d'un contrôle portant sur l'opportunité ou la nécessité de telles rencontres".

Tous ces éléments permettent des garanties tant pour les détenus, que pour les avocats, que pour l'administration pénitentiaire, chacun ayant des intérêts légitimes à préserver.

Si toutes ces précisions sont les bienvenues, la suite laisse néanmoins l'observateur plus dubitatif : "ces dispositions n'imposent pas au détenu ou à l'avocat de mentionner les motifs justifiant la nécessité qu'ils puissent communiquer, mais leur imposent seulement d'identifier la procédure juridictionnelle au titre de laquelle l'avocat est sollicité". Cette dernière précision a-t-elle une réelle utilité ? Pourquoi un avocat doit-il, pour entrer dans un centre pénitentiaire et rencontrer son client, identifier la procédure juridictionnelle concernée ? A la réflexion, il n'est pas certain que cette dernière mention soit totalement indispensable.

  • Le Conseil d'Etat n'impose pas à l'administration pénitentiaire de fournir systématiquement des repas aux détenus conformes à leurs prescriptions religieuses (CE 1° et 6° s-s-r., 25 février 2015, n° 375724, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5172NCK)

Aux termes de la législation actuelle en vigueur, "chaque personne détenue reçoit une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité que la quantité aux règles de la diététique et de l'hygiène, compte tenu de son âge, de son état de santé, de la nature de son travail et, dans toute la mesure du possible, de ses convictions philosophiques ou religieuses" (11). L'objet principal du recours portait sur les repas conformes aux prescriptions religieuses et, plus précisément, sur le fait que dans la législation actuelle l'administration pénitentiaire n'est pas contrainte de fournir de tels repas mais seulement incitée "dans toute la mesure du possible".

Le Conseil d'Etat effectue un raisonnement en deux temps dans son quatrième considérant en reconnaissant que, "si l'observation de prescriptions alimentaires peut être regardée comme une manifestation directe de croyances et pratiques religieuses au sens de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4799AQS)", il tempère immédiatement les effets de ce constat et maintient ces dispositions en vigueur "eu égard à l'objectif d'intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires et aux contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements".

Que quelques dispositions juridiques soient écartées au profit "du bon ordre et des contraintes matérielles" n'est pas rare en matière pénitentiaire et cela se justifie la plupart du temps. Mais ici il existe une double difficulté. Cette décision est en effet surprenante car elle est contraire à la fois aux règles pénitentiaires européennes, qui sont de plus en plus incitatives, et, surtout, à la jurisprudence de la CEDH.

D'une part, les règles pénitentiaires européennes (RPE) imposent des repas conformes aux prescriptions religieuses : "Les détenus doivent bénéficier d'un régime alimentaire tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur état physique, de leur religion, de leur culture et de la nature de leur travail" (règle 22.1.). Certes, les RPE n'ont pas de valeur contraignante mais le ministère de la Justice a fait de l'adoption de ces RPE un objectif pour 2015 : "l'administration pénitentiaire a ainsi décidé de faire du respect des règles pénitentiaires européennes un objectif prioritaire en ce qui concerne l'orientation de sa politique de modernisation et ses pratiques professionnelle" (12).

D'autre part, et ce motif est nettement plus sérieux, la CEDH a condamné la Pologne en 2010 précisément pour n'avoir pas fourni un régime alimentaire conforme aux prescriptions religieuses du requérant (13). Certes, le régime alimentaire en cause n'est peut-être pas identique puisque dans cet arrêt, il s'agissait d'un régime végétarien destiné à un détenu bouddhiste, alors qu'on suppose du fait de la composition des prisons françaises, qu'un régime hallal ou éventuellement casher était demandé, mais, au plan des principes, il n'y a guère de différences. L'argumentation de la CEDH ne laissait d'ailleurs guère de doutes : "la Cour n'est pas convaincue que le fait de fournir au requérant un régime végétarien aurait entraîné une gêne pour le fonctionnement de la prison ou une baisse de la qualité des repas servis aux autres détenus ; elle note que, aux termes de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des ministres sur les règles pénitentiaires européennes, les détenus doivent bénéficier d'un régime alimentaire tenant compte de leur religion" (14), et la CEDH a conclu à la violation de la Convention à l'unanimité, ce qui restreint encore la marge de négociation possible de la France.

On peut raisonnablement supposer que l'administration pénitentiaire utilise ici une stratégie dilatoire pour se donner le temps de mettre en place de telles mesures, évidemment très contraignantes. La grande compréhension qu'a manifestée le Conseil d'Etat dans cette décision est plus surprenante. Il n'est cependant pas certain que cette position puisse tenir très longtemps.

  • Exonération de la responsabilité de l'Etat dans le cadre d'une inondation ayant causé la perte des biens d'un détenu (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 373267, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6221NMD)

De très sérieuses intempéries ont touché le département du Var les 15 et 16 juin 2010. Ces intempéries exceptionnelles ont entraîné d'importantes inondations qui ont nécessité un transfert en urgence de tous les détenus du centre pénitentiaire de Draguignan vers les établissements pénitentiaires voisins. Cette évacuation d'une prison, rarissime, avait, à l'époque, fait la une des journaux qui avaient souligné le bon déroulement des opérations malgré les difficultés dues à l'urgence, à l'inondation des routes, à l'inondation du centre pénitentiaire et surtout, à l'indispensable maintien des conditions de sécurité lors du transfèrement de détenus.

Dans l'urgence cependant, il n'avait pas été possible de mettre à l'abri les effets de tous les détenus. Le requérant avait ainsi perdu les objets personnels qui se trouvaient dans sa cellule. L'administration pénitentiaire avait proposé une indemnisation au détenu mais, celui-ci la trouvant trop faible, il avait effectué un recours. En première instance, le tribunal administratif de Toulon donne droit à cette demande en accordant 2 500 euros au requérant. Le Garde des Sceaux s'est pourvu en cassation contre cette décision.

Dans l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat annule le jugement du tribunal administratif de Toulon car ce dernier n'a pas reconnu le caractère de force majeure aux intempéries. Il relève "qu'en jugeant que les inondations qui ont ravagé, notamment, la commune de Draguignan les 15 et 16 juin 2010, ne revêtaient pas la nature d'un cas de force majeure, alors que cet événement, qui a résulté de la conjonction imprévisible de plusieurs phénomènes, a présenté une intensité exceptionnelle, sans précédent dans ce département depuis 1827, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits de l'espèce".

Le Conseil d'Etat, après avoir requalifié les événements en force majeure, exonère intégralement l'Etat de sa responsabilité. Il n'exclut cependant pas une "une indemnisation forfaitaire à titre gracieux" à destination du détenu qui a tout perdu.

Si cette décision est mentionnée dans les tables du recueil Lebon, c'est en raison des circonstances de fait, tout à fait exceptionnelles, qui sont à l'origine de cet arrêt. En effet, la force majeure n'est que rarement retenue et, si celle-ci est retenue, l'Etat n'est pas toujours exonéré de toute responsabilité. Ici, l'action remarquable des services pénitentiaires, compte tenu des circonstances, exonère intégralement l'Etat. Pour ne pas créer d'injustice vis à vis du détenu qui a tout perdu, le Conseil d'Etat ménage cependant la possibilité d'une indemnisation "forfaitaire à titre gracieux". Cette indemnisation sera, par conséquent, fixée par la seule administration pénitentiaire et sans possibilité pour le détenu d'exercer le moindre recours. Avec cet arrêt, toutes les autres demandes d'indemnisation en cours relatives aux mêmes événements vont donc être interrompues.

  • Précisions relatives à la notion de référé "mesures utiles" en matière pénitentiaire : il n'appartient pas au juge d'édicter des mesures à caractère réglementaire (CE, Sect., 27 mars 2015, n° 385332, publié au recueil Lebon)

La section française de l'Observatoire International des Prisons (OIP) a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Basse-Terre, en Guadeloupe, sur la base de la procédure du référé "mesures utiles" (CJA, art. L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU) afin que l'administration pénitentiaire mette en place une expression collective des détenus.

L'expression collective des détenus est une revendication fort ancienne dont l'administration pénitentiaire se méfie car elle induit des rassemblements dans lesquels la parole, en particulier la critique, serait libre tant sur le fond que sur la forme. On comprend aisément ces réticences à propos de tels rassemblements qui pourraient tourner à de véritables meetings, voire générer des émeutes. Aussi, sans aller aussi loin, l'OIP demandait des mesures que l'administration pénitentiaire aurait pu encadrer tout en permettant aux détenus de s'exprimer collectivement (et éventuellement anonymement) : "un comité consultatif des personnes détenues, [ou] à titre subsidiaire, un cahier de doléances ou, à défaut, de prendre toutes autres mesures utiles d'organisation du service permettant une expression collective des détenus sur les problèmes de leur vie quotidienne ainsi que sur leurs conditions de détention".

Le tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté cette demande. Le Conseil d'Etat, saisi à son tour, a également rejeté cette requête. Il estime que "les mesures demandées par l'OIP revêtent le caractère de mesures réglementaire" et considère par conséquent qu'elles ne relèvent pas des mesures "qu'il appartient au juge des référés [au titre] de l'article L. 521-3 du code de justice administrative d'ordonner".

Cette décision, parfaitement logique sur le fond, ne permet cependant pas de faire avancer ce dossier de l'expression collective des détenus qui, si elle était correctement menée, pourrait peut-être améliorer les conditions de détention, voire apaiser celle-ci en atténuant des revendications inexprimées car inexprimables.

Dans un arrêt du 19 février 2015 devenu définitif, (CEDH, 19 février 2015, Req. 10401/12), la France est condamnée à l'unanimité pour violation de l'article 3 de la Convention (N° Lexbase : L4764AQI) (traitements inhumains ou dégradants) du fait des conditions de détention d'un détenu paraplégique.

En outre, la France est également condamnée à l'unanimité du fait des conditions de détention au centre pénitentiaire de Nouméa (Requête n° 50494/12). A dire vrai, la condamnation de la France sur la base de ce même article 3 ne faisait guère de doutes au vu du rapport extrêmement sévère du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) effectué en novembre 2011. Les conditions de détention observées par le CGLPL étaient telles qu'il a été amené à utiliser la procédure d'urgence pour signaler cette situation au Garde des Sceaux. La défense du Gouvernement s'était d'ailleurs cantonnée à des arguments techniques relatifs à la procédure, notamment sur l'article 13 de la CESDH (N° Lexbase : L4746AQT) et l'absence d'épuisement des voies de recours avant saisine de la CEDH.


(1) CE Ass., 17 février 1995, n° 97754, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1636B84).
(2) CAA Nancy, 1ère ch., 13 février 2014, n° 13NC01290 (N° Lexbase : A0667MMN).
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 20 mai 2011, n° 326084, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0317HSK), conc. Mattias Guyomar.
(4) CAA Paris, 1ère ch., 22 mai 2008, n° 07PA02011 (N° Lexbase : A0155D9M).
(5) C. pr. pén., art. R. 57-7-3 (N° Lexbase : L0229IP8).
(6) R. Grand, AJDA, 2011 p. 1056.
(7) CE Ass., 13 novembre 2013, n° 347704, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2475KPD).
(8) CE, Sect., 9 juin 1978, n° 05911, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6577B7Q).
(9) "Le placement en cellule disciplinaire ou le confinement en cellule individuelle ordinaire ne peuvent excéder vingt jours, cette durée pouvant toutefois être portée à trente jours pour tout acte de violence physique contre les personnes", loi pénitentiaire, art. 91.
(10) Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 (N° Lexbase : A4732KGD).
(11) Règlement type des établissements pénitentiaires annexé à l'article R. 57-6-18 du Code de procédure pénale, relatif à "l'alimentation" des personnes détenues, art. 9, al. 1.
(12) Communication officielle du ministère de la Justice.
(13) CEDH, 7 décembre 2010, Req. 18429/06.
(14) La version ici citée est issue du résumé juridique, l'arrêt n'existe pas en français.

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Durée du travail

[Brèves] Convention de forfait en jours : nullité des stipulations du contrat de travail ne garantissant pas que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé

Réf. : Cass. soc., 7 juillet 2015, n° 13-26.444, FS-P+B (N° Lexbase : A7739NML)

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N8473BUD

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Le 18 Juillet 2015

Sont nulles les stipulations du contrat de travail relatives au forfait en jours conclues par application de l'article 13.2 de l'avenant n° 1 du 13 juillet 2004, relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail, aux congés payés, au travail de nuit et à la prévoyance à la Convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997 (N° Lexbase : X0793AE4) dont les dispositions, dans le cas de forfait en jours, se limitent à prévoir, s'agissant de la charge et de l'amplitude de travail du salarié concerné, en premier lieu, que l'employeur établit un décompte mensuel des journées travaillées, du nombre de jours de repos pris et de ceux restant à prendre afin de permettre un suivi de l'organisation du travail, et, en second lieu, que l'intéressé bénéficie du repos quotidien minimal prévu par la Convention collective et du repos hebdomadaire. Les stipulations de l'accord d'entreprise du 19 mai 2000, qui ne prévoient que l'obligation de respecter les limites légales de la durée quotidienne de travail et qu'un entretien annuel entre l'intéressé et son supérieur hiérarchique portant sur l'organisation du travail et l'amplitude des journées de travail, ne sont de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 juillet 2015 (Cass. soc., 7 juillet 2015, n° 13-26.444, FS-P+B N° Lexbase : A7739NML).
Mme X a été engagée le 1er octobre 2007 en qualité de gouvernante générale d'hôtel par la société Y, dont l'activité relève de la Convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997. Elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle le 29 octobre 2008. Contestant cette mesure et estimant ne pas être remplie de ses droits, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
La cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 7ème ch., 19 septembre 2013, n° 10/11021 N° Lexbase : A4238KLK) ayant déboutée la salariée de ses diverses demandes, cette dernière s'est pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 151 du TFUE (N° Lexbase : L2453IPK), l'article L. 212-15-3 (N° Lexbase : L7755HBT) devenu L. 3121-45 du Code du travail (N° Lexbase : L0340H9H), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ), interprété à la lumière de l'article 17, paragraphes 1 et 4, de la Directive 1993/104 du Conseil du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : L7793AU8), des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la Directive 2003/88 du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM) et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E4318EX9).

newsid:448473

Électoral

[Brèves] Protestation tendant à l'annulation d'une élection : office du juge en cas de non-conservation des bulletins de vote dont la validité est contestée

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 10 juillet 2015, n° 382737, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7879NMR)

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N8449BUH

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Le 18 Juillet 2015

Dans l'hypothèse où tous les bulletins de vote dont la validité est contestée n'ont pu, faute d'avoir été conservés, être versés au dossier et où le juge se trouve ainsi dans l'impossibilité de déterminer avec certitude le nombre et la teneur des bulletins valables et, par suite, de procéder à la rectification des résultats, le juge doit procéder à des calculs hypothétiques afin de déterminer si le grief dont il est saisi conduit à remettre en cause les résultats proclamés. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 10 juillet 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 10 juillet 2015, n° 382737, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7879NMR). Le procès-verbal des opérations électorales qui se sont déroulées le 23 mars 2014 pour le premier tour de scrutin fait état de 168 votants et de "huit bulletins blanc" déclarés nuls, 160 suffrages ayant ainsi été regardés comme valablement exprimés. Il résulte toutefois de l'instruction que sont annexés au procès-verbal, qui ne comporte ni observation, ni réclamation, douze bulletins dont un blanc, aucun n'étant contresigné, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 66 du Code électoral (N° Lexbase : L5163IZA). Cette irrégularité place le juge de l'élection dans l'impossibilité de contrôler le bien-fondé de l'annulation, non seulement du bulletin litigieux dont la description qu'en font Mme X et ses colistiers ne correspond d'ailleurs à aucun des bulletins annexés, mais aussi des autres bulletins non décomptés mentionnés au procès-verbal. Dès lors, il y a lieu d'ajouter hypothétiquement aux 160 suffrages exprimés, non le seul bulletin mentionné dans la protestation comme l'ont fait à tort les premiers juges, mais également les huit bulletins déclarés nuls, ce qui porte ce nombre à 168 et la majorité absolue de 81 à 85 (cf. l’Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E7835EPU).

newsid:448449

Entreprises en difficulté

[Brèves] Domaine de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif : exclusion des débiteurs personnes physiques

Réf. : Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-15.984, F-P+B (N° Lexbase : A5421NMQ)

Lecture: 1 min

N8456BUQ

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Le 18 Juillet 2015

L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif prévue par l'article L. 651-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L8961IN9) ne peut être intentée par le liquidateur que contre les dirigeants de droit ou de fait d'une personne morale de droit privé. Ainsi, lorsque la liquidation judiciaire concerne un artisan exerçant à titre individuel et non une personne morale, l'article L. 651-2 du Code de commerce est inapplicable. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 30 juin 2015 (Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-15.984, F-P+B N° Lexbase : A5421NMQ). En l'espèce, le 20 février 2003, un artisan chauffeur routier, qui avait conclu, le 11 septembre 2002, un contrat de prestation de service de livraison avec une société, a été mis en redressement judiciaire. Sa liquidation judiciaire ayant été prononcée, le 5 juin 2008, sur résolution de son plan, le liquidateur a assigné la société donneur d'ordre en responsabilité pour insuffisance d'actif, la tenant pour dirigeant de fait de l'entreprise de l'artisan. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a rejeté cette demande en paiement de l'insuffisance d'actif du débiteur dirigée contre la société (CA Aix-en-Provence, 9 janvier 2014, n° 12/14429 (N° Lexbase : A8783KTH). Le liquidateur a alors formé un pourvoi en cassation faisant valoir que le donneur d'ordre accomplissait des actes positifs de gestion et de direction de son sous-traitant qui caractérisait la direction de fait puisqu'il accomplissait bien des actes positifs de direction et de gestion, sans être investi de ces fonctions. Mais énonçant la solution précitée, la Cour de cassation approuve les juges d'appel et rejette, en conséquence, le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E8228EPG).

newsid:448456

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juillet 2015

Lecture: 12 min

N8395BUH

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis

Le 16 Juillet 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201), retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Le Professeur Le Corre commente le très important arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin 2015, soumis à la plus large publicité, qui pose, pour la première fois, une définition de la notion d'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers (Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, FS-P+B+R+I). Emmanuelle Le Corre-Broly a, pour sa part, choisi de revenir sur un arrêt de la même chambre, rendu le 16 juin 2015, relatif aux conséquences de l'absence de réponse par le créancier à la contestation de créance (Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-11.190, F-P+B)
  • La notion d'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers (Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8367NIQ)

Lorsqu'une procédure collective de paiement s'ouvre, les conditions procédurales d'engagement d'une action en responsabilité civile contre un tiers se trouvent modifiées. En effet, l'article L. 622-20, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L7288IZX) attribue qualité exclusive au mandataire judiciaire pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. En liquidation judiciaire, cette même qualité est confiée au liquidateur, en vertu de l'alinéa 1er de l'article L. 641-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L3103I4P). Ajoutons que, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), en cas de carence du mandataire judiciaire, le créancier nommé contrôleur peut agir dans l'intérêt collectif des créanciers dans des conditions fixées par décret, à savoir une mise en demeure au mandataire judiciaire au liquidateur restée infructueuse plus de deux mois et demandant à cet organe d'engager l'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers.

L'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers apparaît donc comme une action attitrée, pour laquelle, sous réserve du pouvoir subsidiaire d'action des contrôleurs, un monopole est attribué au mandataire judiciaire ou au liquidateur, organes qui apparaissent ainsi comme les défenseurs de l'intérêt collectif des créanciers.

Une fois le plan de sauvegarde ou de redressement adopté, le mandataire judiciaire ne reste en fonction que pour terminer les opérations de vérification du passif et la défense de l'intérêt collectif des créanciers est alors attribuée en monopole au commissaire à l'exécution du plan par l'article L. 626-25, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3349ICZ).

Du fait de ce monopole d'action confié à un organe de la procédure collective, un créancier ne peut isolément engager une action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. Il n'a pas qualité et est donc irrecevable en son action. C'est la contrepartie du monopole.

Mais, pour qu'il en soit ainsi, encore faut-il que l'action engagée individuellement par le créancier, voire par un groupe de créanciers, tende à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. C'est la question au centre d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin 2015.

En l'espèce, des salariés reprochaient à une banque un montage financier, invoquant un préjudice tenant à la perte de leur emploi, entraînant la perte de leur rémunération pour l'avenir et l'atteinte à leur droit de voir leurs chances de retrouver un emploi optimisées, faute d'avoir bénéficié de formations qualifiantes. Etaient-ils recevables en leur action ? Oui, va répondre la Cour de cassation par une formule qui, incontestablement fera date : "l'action en réparation des préjudices invoqués par les salariés licenciés, étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne relevait pas du monopole du commissaire à l'exécution du plan".

On mesure immédiatement l'importance de la solution dégagée par la Cour de cassation qui n'a pas craint, de manière très pédagogique, de poser une définition de la notion d'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. Si l'on admet, ce que doit faire tout spécialiste du droit des entreprises en difficulté, que la question de l'intérêt collectif des créanciers est cardinale dans notre discipline, alors, en n'ayant pas peur des mots, nous pouvons affirmer que nous sommes ici en présence de l'arrêt de la décennie.

Car, et aussi étrange que cela puisse paraître, c'est la première fois que la Cour de cassation se livre à l'exercice.

Auparavant, un illustre auteur niçois avait tenté de définir négativement la notion d'intérêt collectif des créanciers. Le Professeur Derrida avait ainsi indiqué qu'il ne se confond pas avec la somme des intérêts individuels (1).

Pour notre part, nous avions, pour la première fois, tenté de poser cette définition de l'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers dans la huitième édition de notre ouvrage, en 2014, en indiquant que "la défense de l'intérêt collectif des créanciers a pour objet la protection, l'accroissement ou la mise en oeuvre du gage commun, c'est-à-dire le gage que partagent, en théorie au moins, tous les créanciers" (2).

On ne peut que constater la proximité de la formule de la Cour de cassation par rapport à notre tentative de définition. Là où nous avions évoqué l'action tendant à la protection du gage commun, la Cour de cassation parle d'action tendant à la conservation du gage commun. Là où nous visions l'action tendant à l'augmentation du gage commun, la Cour de cassation évoque l'action tendant à la reconstitution du gage commun. Nos idées nous semblent donc consacrées, sous d'autres vocables, plus juridiques il est vrai, mais allant exactement dans le même sens. Protéger le gage commun, c'est bien le conserver. Reconstituer le gage commun, c'est bien augmenter le gage commun qui apparaît à l'ouverture de la procédure collective.

Nous avons ajouté à la définition de l'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers un élément, qui n'est pas ici repris par la Cour de cassation, parce qu'elle n'en avait pas véritablement besoin dans l'espèce, mais qui nous semble pourtant indispensable à la définition de ce type d'action. L'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers peut aussi avoir pour objet la mise en oeuvre du gage commun, c'est-à-dire une distribution du gage commun différente, à la suite de l'action, de celle qui aurait existé sans l'action. Pour illustrer le propos, prenons un exemple. Un mandataire judiciaire assigne pour obtenir la nullité d'une hypothèque sur le fondement des nullités de la période suspecte. L'action ne tend pas la conservation du gage commun. Elle ne tend pas non plus à sa reconstitution, dans la mesure où le gage commun ne pas se trouver modifié après l'action en nullité. En revanche la distribution du gage commun va se trouver changée, puisque le produit de la vente de l'immeuble sera réparti à titre chirographaire au lieu de l'être, à concurrence de la créance détenue par le créancier inscrit, hypothécairement. La même solution vaudrait pour une action en inopposabilité de l'inscription de l'hypothèque sur le fondement de la règle de l'arrêt du cours des inscriptions de sûretés.

En reprenant à son compte, mais avec d'autres mots, la définition que nous avions posée de la notion d'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers, la Cour de cassation semble également faire sienne notre conception du gage commun. Il ne s'agit pas du gage du créancier quelconque, mais bien du gage accessible en théorie à tous les créanciers.

La notion de gage du créancier quelconque ne sous semble pas avoir d'utilité, au contraire de la notion de gage accessible en théorie à tous les créanciers. Elle permet, par exemple, de justifier la jurisprudence en matière de responsabilité solidaire du loueur d'un fonds de commerce à l'égard des créanciers de la créance née des six premiers mois de l'exploitation. Seuls ces créanciers peuvent agir contre le loueur du fonds et non le liquidateur (3). Le produit de l'action en responsabilité n'est en effet pas accessible à tous les créanciers, mais seulement aux créanciers au profit desquels la solidarité légale a été instituée et c'est pourquoi, naturellement, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers ne peut pas agir. La même explication est fournie avec la problématique de la déclaration notariée d'insaisissabilité. Les créanciers auxquels la déclaration est opposable ne peuvent saisir l'immeuble. Par voie de conséquence, le produit de la vente de l'immeuble ne peut leur profiter. Il ne leur est pas accessible. Le produit de la vente de l'immeuble n'est accessible qu'aux seuls créanciers ayant conservé le droit de saisir l'immeuble. Le produit de la vente de l'immeuble n'est donc pas un élément du gage commun et c'est pourquoi le liquidateur ne peut pas agir sur l'immeuble (4).

Grâce à la définition de l'action tendant à défendre l'intérêt collectif des créanciers, peut être mieux appréhendé le domaine des actions en responsabilité contre les tiers : ce sont négativement, comme le dit la Cour de cassation, les actions qui ne tendent ni à la conservation, ni à la reconstitution du gage commun. Positivement, ce sont des actions en responsabilité qui vont permettre la réparation d'un préjudice personnel à un créancier ou à un groupe de créanciers, préjudice qu'on dénomme aussi le préjudice distinct de celui de la collectivité des créanciers.

La notion d'intérêt personnel ou de préjudice distinct a été précisée, sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 N° Lexbase : L7803GT8), par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (5). Il faut qu'il s'agisse d'un préjudice personnel, distinct de celui des autres créanciers (6), et non d'un préjudice inhérent à la procédure collective (7).

On comprend aisément que le préjudice lié à la perte de son emploi n'a rien à voir avec le préjudice inhérent à la procédure collective, le préjudice qui fait perdre à un créancier sa créance. Il en est de même du préjudice lié à la perte d'une chance de retrouver un emploi, faute d'avoir bénéficié de formations qualifiantes.

Ces solutions ne sont d'ailleurs pas nouvelles. L'existence d'un préjudice personnel a déjà été reconnue au profit de salariés d'une filiale objet d'une cession, qui invoquent la perte de leur emploi ainsi que la diminution de leur droit à participation dans la société mère et la perte d'une chance de bénéficier des dispositions du plan social du groupe (8). Dans le même ordre d'idées, le préjudice distinct de celui subi par la collectivité des créanciers a été retenu à l'égard de salariés, ayant perdu leur emploi, victimes des agissements d'un fonds d'investissement, qualifié de dirigeant de fait, qui n'avait pas respecté ses engagements (9). Il peut s'agir d'un préjudice moral, tel celui subi du fait du stress compte tenu de l'incertitude sur la poursuite éventuelle du contrat de travail (10).

On remarque, au passage, que le préjudice distinct sera souvent invoqué par des salariés, lesquels ne peuvent évidemment être résumés à des créanciers de salaires.

Concluons pour dire que cet arrêt apporte une pierre très importante à ce complexe édifice du droit des entreprises en difficulté, qui ne cesse, par sa baroque richesse, de susciter l'admiration de ses connaisseurs.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Conséquences de l'absence de réponse à la contestation de créance (Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-11.190, F-P+B N° Lexbase : A5263NLI)

Aux termes des dispositions de l'article L. 622-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L7285IZT), s'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance, le mandataire judiciaire en avise le créancier intéressé en l'invitant à faire connaître ses explications. En cas de défaut de réponse dans un délai de trente jours, le créancier ne peut plus contester la proposition du mandataire judiciaire dès lors, du moins, qu'elle ne porte pas sur la régularité de la déclaration de créance (11).

La proposition émanant du mandataire sera transmise au juge-commissaire auquel il appartiendra de statuer sur l'admission de la créance par voie d'ordonnance. Une sanction procédurale atteint le créancier qui s'est abstenu de répondre au courrier de contestation : l'article L. 624-3, alinéa 2 (N° Lexbase : L3982HB4), énonce, en effet, que "le créancier dont la créance est discutée en tout ou en partie qui n'a pas répondu au mandataire judiciaire dans le délai mentionné à l'article L. 622-27 ne peut pas exercer de recours contre la décision du juge-commissaire lorsque celle-ci confirme la proposition du mandataire judiciaire". Il en résulte, a contrario, que le créancier recouvre le droit d'exercer un recours lorsque le juge-commissaire n'a pas entériné la position du mandataire. Telle est la solution posée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 16 juin 2015, appelé à la publication au Bulletin.

En l'espèce, le mandataire judiciaire avait avisé un créancier de ce que sa créance était partiellement contestée. Le créancier n'avait pas répondu au courrier de contestation dans le délai de trente jours prévu à l'article L. 622-27. Le juge-commissaire avait alors rejeté la créance en totalité par ordonnance dont le créancier avait interjeté appel. Le défaut de réponse à contestation avait cependant conduit, à tort selon la Chambre commerciale, les juges du fond à déclarer irrecevable cet appel. Sur le pourvoi formé par le créancier, la Chambre commerciale prononce, en effet, la cassation et l'annulation de l'arrêt d'appel au motif "qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que le juge-commissaire avait rejeté la créance en totalité cependant que le mandataire judiciaire en avait proposé le rejet partiel [...] ce dont il résultait que la proposition de ce dernier n'avait pas été confirmée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte [de l'article L. 624-3, alinéa 2, du Code de commerce]".

La solution retenue par la Chambre commerciale est à l'abri de toute critique car elle n'est que l'expression de la stricte application de l'article L. 624-3, alinéa 2, du Code de commerce, interprété a contrario. Par principe, un recours contre les décisions du juge-commissaire est ouvert au créancier (C. com., art. L. 624-3, al. 1er). En matière d'admission des créances, ce recours est l'appel (C. com., art. R. 624-7 N° Lexbase : L0907HZM). Cependant, par exception, dès lors que l'ordonnance du juge-commissaire confirme la proposition du mandataire judiciaire, ce double degré de juridiction est écarté lorsque le créancier dont la créance a été contestée n'a pas répondu au mandataire (C. com., art. L. 624-3, al. 2). Lorsque la décision du juge-commissaire n'entérine pas la proposition du mandataire judiciaire, a contrario, il faut en revenir au principe, c'est-à-dire celui du double degré de juridiction. Ainsi, le créancier dont la créance est contestée et qui n'a pas répondu à la lettre de contestation dans le délai de trente jours ne sera privé de la possibilité d'exercer un recours sur l'ordonnance du juge-commissaire que si ce dernier a purement et simplement confirmé la proposition émise par le mandataire (12). En revanche, si, comme en l'espèce, le juge-commissaire rend une décision aggravant la proposition de rejet partiel du mandataire, l'abstention du créancier à répondre au courrier de contestation ne le prive pas de la possibilité d'exercer un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire. Il en va de même si le juge-commissaire rend une décision qui, au contraire, adoucit la proposition du mandataire. En effet, dans ces deux hypothèses, le juge-commissaire n'entérine pas purement et simplement la proposition du mandataire, de sorte que le texte d'exception qui prive le créancier de la voie de recours ne trouve pas application.

A cette sanction procédurale tenant en l'impossibilité pour le créancier d'interjeter appel, l'article R. 624-4 (N° Lexbase : L6269I3L) en ajoute une autre. Il résulte du deuxième alinéa de cet article que le créancier doit être convoqué par le greffier par lettre recommandée avec demande d'avis de réception lorsque le juge-commissaire est appelé à statuer sur une contestation de créance. Le texte poursuit en indiquant que "toutefois, il n'y a pas lieu à convocation du créancier lorsque celui-ci n'a pas contesté la proposition du mandataire judiciaire dans le délai prévu à l'article L. 622-27". Certains greffes, n'appliquant pas à la lettre les dispositions de l'article R. 624-4, adressent cependant une convocation devant le juge-commissaire aux créanciers n'ayant pas répondu à la lettre de contestation. Dans cette hypothèse, le créancier convoqué pourra s'expliquer sur la contestation devant le juge. Une question se pose alors : le créancier qui a été convoqué devant le juge-commissaire alors même qu'il n'a pas répondu au courrier de contestation peut-il exercer un recours sur la décision du juge qui confirme la proposition de rejet du mandataire de justice ? En jurisprudence (13), cette faculté est reconnue au créancier qui a comparu devant le juge-commissaire s'il a été convoqué devant ce dernier dans le délai de trente jours imparti au créancier pour répondre au courrier de contestation (14). Cette solution est logique : il semble peu cohérent de sanctionner le créancier qui n'aurait pas répondu au mandataire dans le délai de trente jours alors même que, dans ce même délai, il reçoit une convocation devant le juge pour s'exprimer au sujet de cette contestation. Dès lors que, dans le délai posé à l'article L. 622-27, l'on est invité à s'entretenir avec Dieu, à quoi bon répondre à ses Saints ? En revanche, si la convocation devant le juge-commissaire intervient après l'expiration du délai de trente jours de réponse à contestation, la sanction procédurale tenant à l'impossibilité d'interjeter appel doit, semble-t-il, être à nouveau applicable (15).

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Co-directrice du Master 2 Droit des difficultés d'entreprise, Membre du CERDP (EA 1201)


(1) F. Derrida, Intérêt collectif et intérêts individuels des créanciers dans les procédures de redressement ou de liquidation judiciaire, Etudes Mercadal, éd. Lefebvre, 2002, p. 147.
(2) Nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 8ème éd., 2015/2016, n° 611.36.
(3) Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685, FS-P+B (N° Lexbase : A8419DD8), Bull. civ. IV, n° 193, RTDCiv., 2005, 183-184, obs. R. Perrot, D., 2004, AJ 3069, obs. A. Lienhard ; D., 2005, pan. 296, nos obs., RTDCom., 2005, 247, obs. B. Saintourens ; Act. proc. coll., 2004/20, n° 245, note C. Régnaut-Moutier, LPA, 13 avril 2005, p. 4, obs. F.-X. Lucas ; Dr. et patr., 2005/4, p. 115, n° 3677, obs. M.-H. Monsèrié-Bon, Defrénois, 2005/11, p. 993, Chron. 38177, n° 4, note D. Gibirila ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 04-18.567, F-D (N° Lexbase : A0035DMA), Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 40, obs. Ph. Roussel Galle.
(4) Sur le détail de la question, v. nos obs., Déclaration notariée d'insaisissabilité et liquidation judiciaire : questions-réponses, Gaz. pal. éd. spéc. Dr. entr. en diff., 1er mai 2013, n° 121, Technique 48.
(5) Ass. plén., 9 juillet 1993, n° 89-19.211, publié (N° Lexbase : A4199AGM), Bull. ass. plén., n° 13 ; D., 1993, jur. 469, note M. Jéol, J.-P. Dumas et F. Derrida ; Quot. Jur., 1993, n° 76, p. 4, note J.-P. D. ; LPA, 17 novembre 1993, n° 138, p. 17, note F. Derrida ; Rev. proc. coll., 1993, 135, n° 5, obs. Y. Chaput ; D., 1993, jur. 469, obs. F. Derrida et concl. M. Jéol ; JCP éd. G, 1993, II, 22122, obs. F. Pollaud-Dulian ; JCP éd. E, 1993, I, 298, obs. M. Cabrillac ; JCP éd. E, 1993, I, 302, obs. Ch. Gavalda et J. Stoufflet ; Dr. sociétés, 1994, n° 26, obs. Y. Chaput.
(6) Ainsi, Cass. com. 16 avril 1991, n° 90-13.369, publié (N° Lexbase : A4155ABI), Bull. civ. IV, n° 309 ; Cass. com., 11 octobre 1994, n° 90-16.309, publié (N° Lexbase : A6306AB8), Bull. civ. IV, n° 281, Quot. Jur. 8 novembre 1994, note P. M., Rev. huissiers, 1995, 335, note Courtier.
(7) Sur cette notion : Ass. plén., 9 juillet 1993, no 89-19.211, préc. et les obs. préc. ; Cass. com., 11 octobre 1994, n° 90-12.129, publié (N° Lexbase : A6285ABE), Bull. civ. IV, n° 279, LPA, 16 juin 1995, n° 72, p. 22, note Courtier ; Cass. com., 27 février 1996, n° 94-13.862, inédit (N° Lexbase : A9764C3Z), RJDA, 1996, n° 688 ; Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-15.099, publié (N° Lexbase : A1870ACA), Bull. civ. IV, n° 112, Rev. proc. coll. 1998, 158, n° 1, obs. B. Soinne.
(8) Cass. soc., 14 novembre 2007, n° 05-21.239, FS-P+B (N° Lexbase : A5847DZL), Bull. civ. V, n° 188 . D., 2007, AJ 3075 ; Rev. proc. coll., 2008, p. 74, n° 94, note A. Martin-Serf ; Bull. Joly Sociétés, mars 2008, p. 223, § 51, note B. Saintourens ; RJ com, 2008, 225, note J.-P. Sortais.
(9) T. com. Orléans, 1er juin 2012, n° 2012/11170, Gaz. Pal. éd. spéc. Dr. entr. en diff., 3 août 2012, n° 216, p. 19, note L.-C. Henry ; JCP éd. E, 2012. 1494, note A. Couret et B. Dondéro ; Bull Joly Entreprises en diff., juillet 2012, éditorial p. 201, note R. Dammann et M. Boché-Robinet ; Bull. Joly Sociétés, septembre 2012, comm. 357, note N. Pelletier.
(10) T. com. Orléans, 1er juin 2012, n° 2012/11170, préc.
(11) La solution résultait, avant l'ordonnance du 12 mars 2014 (N° Lexbase : L7194IZH), de la jurisprudence. Cette solution jurisprudentielle a ensuite été reprise par l'ordonnance du 12 mars 2014 qui a complété l'article L. 622-27 (qui interdit au créancier, n'ayant pas répondu à la contestation dans un délai de trente jours, de contester la proposition du mandataire) par le membre de phrase suivant : "à moins que la discussion ne porte sur la régularité de la déclaration de créance".
(12) Cass. com. 30 mars 1993, n° 91-16.393, publié (N° Lexbase : A5765AB7), Bull. civ. IV, n° 128 ; Cass. com., 28 mars 2000, n° 97-21.593 (N° Lexbase : A4595A4X), Act. proc. coll. 2000/11, n° 132 ; Cass. com., 1er avril 2003, n° 99-18.545, F-D (N° Lexbase : A6391A7T), Act. proc. coll., 2003/10, n° 137.
(13) Cass. com., 7 décembre 2004, n° 03-16.321, FS-P+B (N° Lexbase : A3649DEU), Bull. civ. IV, n° 216 ; D., 2005, AJ 80, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2005/2, n° 23, note D. Voinot ; RD banc. fin., 2005/1, p. 25, n° 19, note F.-X. Lucas ; RTDCom., 2005, 175, n° 10, obs. J.-L. Vallens ; Rev. proc. coll., 2005/2, p. 129, n° 9, obs. S. Gorrias ; P.-M. Le Corre, Absence de réponse à la contestation de la créance, convocation du créancier contesté et appel de l'ordonnance de rejet de la créance, Lexbase Hebdo n° 149 du 6 janvier 2009 - édition affaires (N° Lexbase : N4130ABL).
(14) Solution à rapprocher de celle selon laquelle le délai de trente jours ne court pas contre le créancier auquel il est annoncé, dans la lettre de contestation, qu'il sera convoqué devant le juge-commissaire : Cass. com., 18 mars 2003, n° 01-15.793, F-D (N° Lexbase : A5354A7G), Act. proc. coll., 2003/11, n° 141.
(15) En ce sens, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 671.32.

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Fiscalité immobilière

[Brèves] Achats destinés à la revente de lots libres de toute occupation : absence de réduction du délai de revente

Réf. : Cass. com., 7 juillet 2015, n° 13-23.366, FS-P+B (N° Lexbase : A7515NMB)

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N8407BUW

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Le 17 Juillet 2015

Les dispositions du premier alinéa l'article 1115 du CGI (N° Lexbase : L4880IQS), relatives à l'exonération des droits et taxes de mutation quand l'acquéreur prend l'engagement de revendre un bien dans un délai de cinq ans (quatre ans au moment des faits), sont applicables aux reventes ayant porté sur des lots alors libres de toute occupation. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 juillet 2015 (Cass. com., 7 juillet 2015, n° 13-23.366, FS-P+B N° Lexbase : A7515NMB). En l'espèce, une société a acquis le 29 décembre 2005 un immeuble en se plaçant sous le régime des marchands de biens puis, le 13 juin 2008, a fait établir un règlement de copropriété contenant un état descriptif de division. Le 15 décembre 2008, l'administration fiscale lui a notifié une proposition de rectification remettant en cause le régime des marchands de biens pour les lots à usage d'habitation loués lors de l'acquisition, au motif qu'ils n'avaient pas été revendus dans le délai de deux ans imparti par le dernier alinéa de l'article 1115 du CGI. Cependant, la Cour de cassation n'a pas donné raison à l'administration fiscale. En effet, aux termes de son acte d'acquisition, la société s'était bornée à s'engager à revendre le bien acquis dans un délai maximum de quatre ans, avec la précision que ce délai serait ramené à deux ans pour les reventes consistant en des ventes par lots déclenchant l'un des droits de préemption des locataires de l'article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 (N° Lexbase : L6321G9Y) ou de l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH). Toutefois, ni le fait de se placer sous le régime de l'article 1115 du CGI, ni la division de l'immeuble par lots n'ont déclenché en eux-mêmes le droit de préemption des locataires qui occupaient les appartements au moment de l'acquisition de l'immeuble par la société. Ainsi, les reventes litigieuses avaient porté sur des lots alors libres de toute occupation et, par conséquent, le délai applicable était bien celui de quatre ans .

newsid:448407

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Le charitable trust est-il assimilable à un organisme à but non lucratif du point de vue du droit fiscal français ?

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 22 mai 2015, n° 369819, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5570NI7)

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N8439BU4

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par Karim Sid Ahmed, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Cergy-Pontoise

Le 16 Juillet 2015

Dans un arrêt rendu le 22 mai 2015, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de s'interroger sur le caractère désintéressé de la gestion d'un charitable trust en raison de retenues à la source qui avaient été effectuées en application des articles 119 bis (N° Lexbase : L4671I77) et 187-1 (N° Lexbase : L0960IZL) du CGI sur des dividendes de source française qu'il avait perçus en 2008 et 2009 (CE 9° et 10° s-s-r., 22 mai 2015, n° 369819, mentionné aux tables du recueil Lebon). Toutefois, malgré des rémunérations versées aux onze dirigeants de l'oeuvre de bienfaisance supérieures pour certaines au triple du plafond de la Sécurité sociale, la juridiction administrative a estimé qu'elles n'étaient pas disproportionnées en raison d'une part, des sujétions imposées à ces dirigeants et d'autre part, des règles spécifiques auxquelles le charitable trust est soumis dans son Etat de résidence. Ainsi, le caractère désintéressé de la gestion de celui-ci n'est pas remis en cause et, par conséquent, à l'instar d'un organisme à but non lucratif ayant sa résidence en France, il est exonéré d'impôt sur les sociétés sur les dividendes qui lui sont versés par des sociétés françaises. Au cas présent, une oeuvre de bienfaisance de droit britannique a perçu en 2008 et 2009 des dividendes de source française qui ont fait l'objet de retenues à la source au taux de 25 % en vertu des articles 119 bis alinéa 2 et 187-1 du CGI. Il paraît utile de souligner que cet organisme constitué en charitable trust poursuit un but caritatif qui, selon ses statuts (1), consiste à protéger, à préserver et à faire progresser tous ou chacun des aspects de la santé et du bien-être du genre humain, à faire progresser et à promouvoir la connaissance et l'éducation. A ce titre, il bénéficie d'un certain nombre d'avantages fiscaux prévus par la législation anglaise en matière d'impôt sur le revenu, de droits de succession et d'impôt sur les plus-values. Cependant, ils comportent une contrepartie qui consiste en la soumission du charitable trust au contrôle notamment de la High Court (2).

Par la suite, le charitable trust a contesté les retenues litigieuses devant le tribunal administratif de Montreuil qui lui a donné gain de cause dans un jugement du 13 avril 2012 en l'assimilant à une fondation française totalement exonérée d'impôt (TA Montreuil, 13 avril 2012, n° 1105206). L'administration fiscale a alors interjeté appel mais sans succès car la cour administrative de Versailles a estimé, dans un arrêt du 16 mai 2013, que "l'application à la fondation des retenues à la source litigieuses méconnaît l'article 56 du Traité instituant la Communauté européenne et l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2713IP8)" (CAA Versailles, 16 mai 2013, n° 12VE03005 N° Lexbase : A7463MLY).

Devant le Conseil d'Etat, le charitable trust a demandé, d'une part, à titre principal, le remboursement total des sommes versées en se fondant sur le principe de la liberté de circulation des capitaux au sein de l'Union européenne (3). Et, d'autre part, à titre subsidiaire, un remboursement partiel en application de la Convention fiscale franco-anglaise du 22 mai 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus (N° Lexbase : L5161IEU). En effet, son article 6 b) prévoit que les dividendes payés par une société ayant sa résidence fiscale en France à un résident britannique font l'objet d'une retenue qui ne peut excéder 15 % de leur montant brut.

On rappellera que le droit français (4) prévoit que le versement de dividendes à des non-résidents donne lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 du CGI. Toutefois, la perception de tels revenus échappe à l'impôt, lorsque le bénéficiaire est un organisme de bienfaisance, résident de France, dont la gestion est désintéressée et dont les activités non lucratives restent significativement prépondérantes (5). Ainsi, on l'aura compris, c'est la question de la véritable nature de la fondation anglaise (organisme à but non lucratif ou non) qui était au coeur de cette intrigante affaire.

Les conseils de l'organisme britannique ont plaidé, de façon audacieuse, la thèse de l'assimilation. C'est-à-dire que selon eux les caractéristiques de l'oeuvre de bienfaisance ne différent pas fondamentalement de celles d'une association ou d'une fondation de droit français bénéficiant de l'exonération accordée par les articles 206 et 207 du CGI à raison du caractère non lucratif de leurs activités. Par conséquent, le même traitement fiscal doit lui être réservé. Les retenues à la source pratiquées constituent ainsi une restriction à la liberté de circulation des capitaux qui ne saurait être justifiée par "une différence de situation objective entre les organismes français et ceux d'un autre Etat membre". Une telle restriction a, en outre, pour conséquence de priver le charitable trust de la possibilité d'apporter la preuve qu'il pourrait prétendre, s'il était établi en France, à une exonération d'impôt sur les sociétés sur les dividendes versés par des sociétés françaises (6). Il faut se référer à l'instruction fiscale du 18 décembre 2006 pour connaître les éléments qui entrent en jeu dans la soumission ou non d'un organisme à but non lucratif aux impôts commerciaux. Il s'agit essentiellement du caractère désintéressé de la gestion ainsi que le fait qu'il ne concurrence pas les entreprises commerciales de son secteur géographique en offrant des services similaires (7).

L'administration, quant à elle, s'était attachée dans son pourvoi à remettre en cause le caractère non lucratif de l'organisme en s'appuyant sur les rémunérations jugées excessives de ses onze dirigeants. Néanmoins, l'instruction fiscale du 18 décembre 2006 (BOI 4 H-5-06 N° Lexbase : X7805ADG) permet à des organismes à but non lucratif d'échapper aux impôts commerciaux même dans l'hypothèse où ses dirigeants perçoivent des rémunérations. Mais cette possibilité est strictement encadrée car la rémunération brute mensuelle totale versée à chaque dirigeant, de droit ou de fait ne doit pas excéder les trois quarts du SMIC. Par ailleurs, le CGI, même s'il proclame qu'un organisme à but non lucratif "doit, en principe, être géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation", admet dans le même temps qu'il puisse "rémunérer trois de ses dirigeants si le montant annuel de ses ressources, majorées de celles des organismes qui lui sont affiliés et qui remplissent les conditions leur permettant de bénéficier de la présente disposition, hors ressources issues des versements effectués par des personnes morales de droit public, est supérieur à un million d'euros en moyenne sur les trois exercices clos précédant celui pendant lequel la rémunération est versée" (8).

Ainsi, les juges du Palais-Royal devaient se prononcer sur le fait de savoir si la gestion du charitable trust pouvait être qualifiée de désintéressée malgré des rémunérations supérieures, pour certaines, au triple du plafond de la Sécurité sociale (9) versées aux onze dirigeants (en 2008 et 2009) en raison de la difficulté de leur mission et compte tenu également du fait que loi française n'autorise la rémunération que de trois dirigeants au maximum. Au vu de ces éléments, qualifier la gestion du charitable trust britannique de désintéressée était loin d'être une évidence, pourtant, le Conseil d'Etat se retranchant derrière le régime contraignant des charitable trust (sujétions imposées aux dirigeants et règles spécifiques applicables à l'organisme), a considéré que ces rémunérations aux montants inhabituels dans le monde associatif et philanthropique n'étaient pas disproportionnées par rapport aux limites établies par l'article 261-7 1° d du CGI.

Cette décision du 22 mai 2015 n'est pas dénuée d'importance car elle assimile le charitable trust à un organisme à but non lucratif ayant sa résidence fiscale en France. Ce qui lui permet de bénéficier des exonérations fiscales qui sont accordées à celui-ci par la loi française. Certains pourraient s'en inquiéter en pensant au rôle joué par le trust dans des montages d'évasion fiscale. Cette crainte nous paraît pourtant exagérée s'agissant du charitable trust qui sont, malgré leur nom, bien plus proche d'une association que d'un trust classique si l'on s'attache uniquement à l'objectif poursuivi. Reste que du point de vue organisationnel, l'organisation britannique, dont la gestion de ses revenus (10) est assurée par une société, diffère sensiblement d'une association française qui aurait le même objet.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat est dans le vrai lorsqu'il souligne que le charitable trust fait l'objet tout au long de son existence d'un contrôle poussé des autorités britanniques qui encadrent notamment le montant des rémunérations versées aux dirigeants (11) ou lorsqu'il prend en compte les spécificités d'un droit étranger surtout lorsqu'il s'agit du droit d'un Etat membre de l'UE ainsi que la lourdeur de la tâche des dirigeants (12). C'est ce qu'a fait également la cour administrative de Versailles dans un arrêt rendu le 4 mars 2014 (13) à propos d'une affaire où les treize dirigeants d'un fonds de pension britannique avaient perçu des rémunérations largement supérieures aux trois quarts du SMIC de sorte que l'administration fiscale française avait estimé que sa situation ne pourrait être regardée comme objectivement comparable à celle des organismes à but non lucratif établis en France dont l'objet est de servir des pensions de retraite et qui sont exonérés d'impôt sur les sociétés.

Ce que l'on peut, en revanche, reprocher à la Haute juridiction administrative, c'est la désinvolture avec laquelle elle rejette les arguments de l'administration fiscale. Elle balaie d'un revers de main le fait que les rémunérations aient été versées à onze dirigeants alors que la loi française ne permet d'en rétribuer que trois... On aurait aimé ici lire un début de justification ou un semblant d'explication. On ne peut, dès lors, que regretter l'absence d'une analyse plus fouillée qui aurait permis d'être totalement convaincu que le charitable trust se trouve bien dans une situation semblable à celle d'un organisme de bienfaisance établi en France.


(1) Les statuts les plus récents ont été agréés le 20 février 2001 par les Charity Commissioners.
(2) Cf. pour plus de détails : le Charities Act 2006.
(3) L'article 63-1 du TFUE dispose que "toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".
(4) CGI, art. 119 bis, al. 2.
(5) CGI, art. 206-5 c (N° Lexbase : L3027I7A) et 207-1 5° bis (N° Lexbase : L3980I3S).
(6) CGI, art. 206-5 c.
(7) S'il concurrence le secteur commercial, il faudra alors rechercher si l'organisme exerce son activité selon des modalités de gestion similaires à celles des entreprises commerciales. Pour cela, quatre éléments doivent être pris en compte, mais leur importance dans l'appréciation de la "commercialité" n'est pas la même. Ainsi, il convient d'étudier dans l'ordre décroissant : le "Produit" proposé, le "Public" visé, les "Prix " pratiqués et la "Publicité" réalisée (règle des "4 P"). Ce n'est que s'il exerce son activité selon des méthodes similaires à celles des entreprises commerciales, que l'organisme sera soumis aux impôts commerciaux de droit commun.
(8) CGI, art. 261-7 1° d (N° Lexbase : L7799I8D).
(9) Entre 66 589 et 133 177 livres sterling en 2008 et entre 67 462 et 134 923 livres sterling en 2009.
(10) Près de 200 millions d'euros en 2009 !
(11) En l'espèce, ces rémunérations importantes ont été autorisées à titre exceptionnel par la Charity Commission et la England and Wales High Court.
(12) Sachant que la Cour de justice de l'Union européenne a reconnu aux Etats membres la possibilité de fixer leurs propres critères de lucrativité.
(13) CAA Versailles, 4 mars 2014, n° 12VE03030, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9549M9K) : la juridiction estime que ces rémunérations importantes doivent être regardées comme la contrepartie des sujétions imposées par les fonctions exercées.

newsid:448439

Fonction publique

[Brèves] Réparation des préjudices découlant de l'illégalité de la modification substantielle du contrat opérée sans l'accord de l'agent public

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 10 juillet 2015, n° 374157, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7874NML)

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N8453BUM

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Le 17 Juillet 2015

Le Conseil d'Etat précise les modalités de réparation des préjudices en cas d'illégalité de la modification substantielle du contrat opérée sans l'accord de l'agent public dans une décision rendue le 10 juillet 2015 (CE 1° et 6° s-s-r., 10 juillet 2015, n° 374157, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7874NML). Lorsqu'un agent public sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision de ne pas renouveler son contrat ou de le modifier substantiellement sans son accord (en l'espèce, le renouvellement pour un an d'un contrat de trois ans), sans demander l'annulation de cette décision, il appartient au juge de plein contentieux de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte et déterminée en tenant compte, notamment, de la nature et de la gravité de l'illégalité, de l'ancienneté de l'intéressé, de sa rémunération antérieure, et des troubles dans ses conditions d'existence. Dès lors, la cour administrative d'appel (CAA Marseille, 8ème ch., 17 octobre 2013, n° 12MA01005 N° Lexbase : A8684ML9), qui a déterminé une indemnité de perte de rémunération calculée en fonction d'un renouvellement du contrat initial pour trois ans, a commis une erreur de droit .

newsid:448453

Licenciement

[Brèves] Arrêt de travail pour maladie à la suite d'un congé de maternité : absence de report du point de départ de la protection de quatre semaines suivant le congé de maternité de l'intéressée

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-15.979, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7741NMN)

Lecture: 2 min

N8475BUG

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Le 17 Juillet 2015

Si la période de protection de quatre semaines suivant le congé de maternité est suspendue par la prise des congés payés suivant immédiatement le congé de maternité, son point de départ étant alors reporté à la date de la reprise du travail par la salariée, il n'en va pas de même en cas d'arrêt de travail pour maladie. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 juillet 2015 (Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-15.979, FS-P+B+R N° Lexbase : A7741NMN).
En l'espèce, Mme X, engagée le 2 novembre 2004 par la société Y, en qualité de gestionnaire réseau junior, a exercé ses fonctions entre mars et octobre 2006 au sein d'une autre société du groupe, la société Z, avant de réintégrer le 1er octobre 2006 la société Y en qualité de contrôleur de gestion-ressources humaines. Elle a été en congé de maternité du 12 mars au 21 juillet 2008, puis en arrêt pour maladie du 22 juillet au 22 août 2008 et enfin en congés payés jusqu'à la première semaine de septembre au cours de laquelle elle a repris le travail. Elle a été licenciée le 11 septembre 2008 au motif de divergences persistantes d'opinion sur la politique de ressources humaines de l'entreprise. Une transaction a été régularisée entre les parties le 26 septembre 2008. Ayant dénoncé à l'employeur cet accord, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
La cour d'appel (CA Rennes, 26 février 2014, n° 11/08804 N° Lexbase : A8969MEW) ayant débouté la salariée de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement, cette dernière s'est pourvue en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette son pourvoi. Elle précise qu'ayant constaté que l'arrêt de travail pour maladie de la salariée du 22 juillet au 22 août 2008 ne mentionnait pas un état pathologique lié à la maternité, la cour d'appel, qui a relevé que l'attestation du médecin traitant indiquant cet état pathologique avait été établie un an et demi après la prise du congé, a souverainement apprécié l'absence de valeur probante de ce document (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3341ETW).

newsid:448475

Procédure pénale

[Jurisprudence] Nullité de la garde à vue et défaut de notification du lieu de commission de l'infraction : l'histoire d'une politique jurisprudentielle casuistique

Réf. : Cass. crim., 27 mai 2015, FS-P+B+I, n° 15-81.142, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8349NI3)

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N8398BUL

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par Romain Ollard, Professeur à l'Université de La Réunion et Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit pénal", "Droit pénal spécial" et "Procédure pénale"

Le 16 Juillet 2015

La matière des nullités de la procédure pénale ne brille pas par la prévisibilité de ses solutions, la Chambre criminelle de la Cour de cassation préférant opérer par petites touches impressionnistes plutôt que par l'énoncé de principes généraux, en décidant au cas par cas, formalités par formalités, que le prononcé de la nullité est ou non subordonné à la preuve d'un grief. L'interprète se trouve ainsi réduit à scruter les décisions que la Chambre criminelle voudra bien rendre au gré parfois capricieux des espèces qui lui sont soumises. Dans une décision du 27 mai 2015, la Chambre criminelle vient apporter une nouvelle pierre à la lente -et très empirique- construction de cet édifice en décidant que le défaut de notification, au moment du placement en garde à vue, du lieu de commission de l'infraction soupçonnée constitue, non point une cause de nullité automatique, mais soumise à l'exigence d'un grief. La solution mérite d'être remarquée en ce qu'elle montre que, même lorsque la formalité omise a trait aux droits de la défense, le prononcé de la nullité n'est pas nécessairement automatique, contrairement à ce que la jurisprudence pouvait pourtant jusqu'ici laisser entendre. L'affaire. Dans cette affaire, un individu fut interpelé aux termes d'une course poursuite menée par les agents des douanes après que le conducteur du véhicule automobile eut refusé d'obtempérer à leur injonction de s'arrêter. Au cours de la poursuite, les agents ont perçu que le conducteur jetait sur la chaussée deux sacs contenant une importante somme d'argent en petites coupures, ce qui justifia son placement en garde à vue. Un officier de police judiciaire lui notifia un tel placement sans toutefois mentionner le lieu de commission du blanchiment soupçonné ainsi que l'exige pourtant l'article 63-1, 2° du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3163I3K). Mis en examen de ce chef, l'intéressé déposa une requête en annulation à laquelle la chambre de l'instruction fit droit en annulant certains actes de la procédure, au motif qu'"une telle omission portait nécessairement atteinte aux intérêts" du requérant. Selon les juges du fond, aucun élément du procès-verbal ne permettait à l'intéressé, même au prix d'une déduction, de déterminer dans quel lieu les policiers le soupçonnaient d'avoir commis le blanchiment alors pourtant que "la connaissance de ce lieu était de nature, eu égard particulièrement au type d'infraction poursuivie, à lui permettre d'organiser sa défense".

La solution. La décision est cassée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation au visa des articles 63-1, 2°, 171 (N° Lexbase : L3540AZ7) et 802 (N° Lexbase : L4265AZY) du Code de procédure pénale au motif que si, aux termes du premier de ces textes, la personne gardée à vue doit être informée du lieu l'infraction soupçonnée, "l'omission de cette précision lors de la notification de la garde à vue ne peut entraîner le prononcé d'une nullité que si elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie concernée". Plus précisément, afin de prononcer une cassation sans renvoi, la Chambre criminelle, qui fait ainsi de cette formalité une cause de nullité soumise à l'exigence d'un grief, vient décider "que le lieu de l'infraction de blanchiment notifiée était, en l'état de la procédure, indéterminé et que l'absence de l'information, au début de la garde à vue, sur la localisation du délit reproché n'a, en l'espèce, causé aucune atteinte aux intérêts du demandeur".

Distinction des causes de nullité. Plusieurs causes de nullité doivent être distinguées, suivant que l'on est en présence de nullités textuelles, "en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité" (1), ou de nullités virtuelles, procédant de l'"inobservation des formalités substantielles" (2) qui, bien que non formellement prescrites par le code, n'en présentent pas moins un caractère fondamental. Toutefois, malgré quelques tentatives pour donner corps à cette distinction (3), elle ne présente plus guère d'intérêt aujourd'hui, sinon en ce qui concerne la possibilité d'y renoncer, pour les seules causes de nullités substantielles (4). La distinction est désormais supplantée par une autre classification, autrement plus fondamentale (5), entre les nullités d'ordre public, dispensées de la preuve d'un grief, pour lesquelles le prononcé de la nullité est donc automatique, et les nullités d'ordre privé qui sont, quant à elles, subordonnées à la preuve que l'irrégularité "a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne" (6).

Rapprochement des nullités d'ordre public et des nullités d'intérêt privé : atteinte nécessaire aux droits de la défense. Toutefois, outre que la distinction entre les deux sources de nullités est extrêmement fragile dès lors qu'un revirement de jurisprudence déqualifiant une nullité d'ordre public en nullité d'ordre privé est toujours envisageable (7), un rapprochement sensible du régime des deux sortes de nullité peut être relevé. En effet, dès l'instant que la formalité en cause concerne les droits de la défense, spécialement au cours de la garde à vue, la jurisprudence estime que sa violation fait "nécessairement grief à l'intéressé", c'est-à-dire qu'elle porte ipso facto atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne. Ainsi en est-il par exemple du droit de s'entretenir avec un avocat (8), du retard dans la notification des droits (9) ou dans l'avis donné au procureur (10), du dépassement de la durée de la garde à vue (11) ou encore du défaut de mention des motifs de placement en garde à vue (12). En définitive, lorsque la formalité litigieuse a trait aux droits de la défense, une présomption de grief semble être admise, de sorte que si les irrégularités entachant la garde à vue constituent des causes de nullité d'ordre privé, formellement soumises à l'exigence de grief, matériellement, elles obéissent au régime des nullités d'ordre public, auxquelles elles sont ainsi "assimilées" (13) en fait.

Refus de généralisation de la présomption de grief à toutes les formalités garantissant les droits de la défense. Pour autant, en décidant que le défaut de notification du lieu de commission de l'infraction constitue une cause de nullité soumise à grief, la décision ici commentée montre que, même lorsque la formalité omise concerne les droits de la défense, la nullité n'est pas nécessairement automatique, contrairement à ce que la jurisprudence pouvait pourtant jusqu'ici laisser entendre. Il apparaît ainsi qu'au cours de la garde à vue, toutes les formalités destinées à garantir les droits de la défense ne sont pas logées à la même enseigne, certaines omissions entraînant une nullité automatique, là où d'autres sont soumises à l'exigence d'un grief. Comment expliquer une telle distorsion ?

Solution fondée sur la nature de la formalité omise ? Une première justification pourrait résider dans la nature même de la règle violée (14). En effet, contrairement aux autres notifications prévues à l'article 63-1 du Code de procédure pénale (notification des droits, notification du placement ou de la durée de la mesure, etc.), qui sont des formalités processuelles dont la violation entraîne une nullité automatique, celle du lieu de commission de l'infraction constitue une formalité de fond en ce sens qu'elle permet au suspect de préparer sa défense. Aussi est-il tentant de considérer que l'omission des premières formalités, de type processuel, serait automatiquement frappée de nullité tandis que la sanction du non respect des secondes, prescrites aux fins d'organisation de la défense, serait au contraire soumise à grief.

Toutefois, une telle explication, d'une part, serait décevante car, outre le fait qu'elle établirait une hiérarchie -arbitraire- entre les différentes formalités garantissant les droits de la défense, elle véhiculerait cette idée que le respect des formalités purement processuelles (notification des motifs de la garde à vue, avis du procureur, etc.) sont plus essentielles que celles permettant au suspect d'organiser la défense. Or, à tout prendre, la hiérarchie inverse ne serait-elle pas préférable, du moins si l'on entend promouvoir une approche, non pas purement illusoire, mais bien concrète et effective de l'exercice des droits de la défense ? L'explication, d'autre part, paraît largement improbable si l'on veut bien admettre qu'une solution différente aurait été rendue si le défaut d'information avait concerné, non plus le lieu de commission, mais la nature même de l'infraction reprochée qui, prescrite par le même article 63-1, 2°, permet elle aussi au suspect de préparer sa défense : car si les circonstances de commission de l'infraction (date et lieu) peuvent sans doute à ce stade de la procédure rester indéterminées, sans remettre fondamentalement en cause la possibilité pour le suspect de construire sa défense, le suspect doit nécessairement être informé, a minima, de la nature et de la qualification de l'infraction reprochée, sauf à faire basculer notre enquête policière dans le joug d'un procès kafkaïen... Espérons donc -et gageons même-, qu'en cas d'omission d'une telle formalité, la jurisprudence opterait pour une nullité automatique, lors même qu'elle constitue une formalité de fond. L'explication de la solution semble dès lors devoir être recherchée ailleurs que dans la seule nature de la règle violée.

Solution fondée sur une approche concrète des droits de la défense. En énonçant "que le lieu de l'infraction de blanchiment notifiée était, en l'état de la procédure, indéterminé et que l'absence de l'information, au début de la garde à vue, sur la localisation du délit reproché n'a, en l'espèce, causé aucune atteinte aux intérêts du demandeur", la Chambre criminelle semble en réalité s'attacher moins à la seule violation abstraite de la norme processuelle qu'à la réalité concrète de l'atteinte aux droits de a défense (15).

Impossibilité de notification. Si l'absence d'information relative au lieu de commission de l'infraction est considérée comme n'ayant causé aucune atteinte aux intérêts du demandeur "en l'espèce", c'est d'abord parce que ce lieu était encore "indéterminé" en l'état de la procédure, même pour les enquêteurs, de sorte que l'information du suspect était logiquement impossible à ce stade. La solution rejoint ainsi une jurisprudence bien établie qui admet que l'omission de certaines formalités fait nécessairement grief à l'intéressé sauf "circonstances insurmontables" rendant impossible le respect des formalités prescrites (16). Sans doute ne s'agissait-il pas ici d'une impossibilité matérielle, mais d'une simple impossibilité logique, peut-être liée à la nature spécifique de l'infraction de blanchiment dont la localisation est particulièrement malaisée mais surtout à l'ignorance effective de cette localisation par les enquêteurs eux-mêmes.

Absence de nécessité de la notification. Or, dès l'instant que l'information du suspect était impossible à ce stade, la notification du lieu de l'infraction n'apparaissait plus nécessaire, ensuite, pour l'exercice concret et effectif des droits de la défense. Dès lors en effet que ce lieu était "indéterminé" pour les enquêteurs eux-mêmes, le défaut de notification ne pouvait en aucune manière apparaître comme une manoeuvre destinée à ce que le suspect s'incrimine lui-même. Au fond, la solution se bornerait à énoncer que les enquêteurs n'ont pas à informer le suspect d'éléments dont ils ne disposent pas eux-mêmes, l'obligation d'information ne prenant corps qu'au cas où ces derniers disposeraient d'éléments nécessaires à l'organisation concrète de la défense du suspect. En définitive, ce qui apparaît formellement, dans la motivation de la Chambre criminelle, comme deux conditions cumulatives de l'annulation ("et") -possibilité et nécessité d'informer le suspect- apparaît davantage comme impliquant un rapport de cause à effet entre les deux conditions : c'est parce que la notification était impossible en l'espèce, dans la mesure où ce lieu était encore incertain pour les enquêteurs, qu'une telle information n'était pas nécessaire -en l'absence de risque de détournement de procédure- à l'exercice concret et effectif des droits de la défense.

Solution fondée sur le temps de la procédure. Plus généralement, en énonçant que "le lieu de l'infraction de blanchiment notifiée était, en l'état de la procédure, indéterminé", la Chambre criminelle paraît fonder sa solution sur une appréciation in globo du droit à un procès équitable en vertu de laquelle le respect de ce droit doit s'apprécier, non pas isolément, au sein de chacune des étapes de la procédure, mais au regard de l'ensemble de la procédure pénale, globalement envisagée. Or, précisément, au stade de l'enquête policière, à un moment où le dossier de la procédure n'est qu'embryonnaire et où les éléments recueillis par les enquêteurs sont encore largement "indéterminé[s]", il peut être admis que le suspect doive composer avec cette nécessaire indétermination quant au lieu de commission de l'infraction, à la condition toutefois que ces éléments lui soient communiqués à des stades ultérieurs, lorsque ces éléments apparaîtront effectivement. Au fond, le droit à un procès équitable (et le suspect) peuvent bien s'accommoder de quelques entorses ponctuelles aux premiers stades de l'enquête, dès lors que celles-ci pourront être "corrigées" à des stades ultérieurs. Cette explication, fondée sur une appréciation globale du droit à un procès équitable paraît d'autant plus plausible qu'elle se situe dans le parfait sillage de la position adoptée par les juges internes s'agissant de la question controversée de l'accès au dossier pénal au cours de la garde à vue, entièrement dépendante qu'elle est de la vision de l'enquête, bâtie, dans la culture française, dans le moule de l'inquisitoire et du culte de l'efficacité policière.

Accès au dossier de procédure au cours de la garde à vue. L'on sait en effet que l'accès restreint au dossier de la procédure au cours de la garde à vue (17) a été validé au plan interne dès lors d'une part que la consultation des pièces énumérées permet à l'avocat d'avoir connaissance des informations pour apprécier la légalité de la détention de son client et, d'autre part, qu'un plein accès au dossier est garanti à un stade ultérieur de la procédure, devant les juridictions d'instruction ou de jugement (18). Or, outre le fait que la solution revient à cantonner l'avocat dans un rôle d'observateur passif de la légalité de la mesure, c'est là cautionner, sous couvert d'une appréciation globale du droit à un procès équitable, que les droits de la défense puissent être garantis selon une intensité variable au cours des différentes phases de la procédure, comme si la nécessité de se défendre n'apparaissait pas dès les premiers pas de l'enquête, avec l'apparition de soupçons. De son côté, si elle se garde bien de préciser l'étendue concrète du droit d'accès au dossier, la Cour européenne impose que le suspect ait pu disposer, dès les premiers stades de l'enquête, des éléments recueillis par l'accusation afin de construire une défense efficace, concrète et effective (19). Si la solution semble bien impliquer un accès utile au dossier (20), elle n'est, toutefois, pas de nature à remettre en cause la décision ici commentée, dès lors que les enquêteurs ne pouvaient logiquement communiquer au suspect des éléments dont ils ne disposaient pas eux-mêmes.

Quoi qu'il en soit, si la solution dégagée par la Chambre criminelle paraît équilibrée en ce que, privilégiant une approche concrète et effective de l'atteinte aux droits de la défense, elle refuse de prononcer une nullité aveugle fondée sur la seule violation abstraite de la norme, les critères de la nullité peinent à émerger avec la force de l'évidence. A défaut de guide d'interprétation générale, sinon celui -fort vague- de l'atteinte nécessaire aux droits de la défense (mais dans quels cas et pour quelles formalités ?), l'observateur en est réduit à des interprétations conjoncturelles et incertaines, dans une matière aussi importante que celles des nullités de procédure où les praticiens ont pourtant un impérieux besoin de solutions certaines et prévisibles.


(1) C. proc. pén., art. 802 (N° Lexbase : L4265AZY).
(2) Ibid. Adde, C. proc. pén., art. 171 (N° Lexbase : L3540AZ7).
(3) Désireuse de clarifier le système des nullités, la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale (N° Lexbase : L8015H3A) avait énuméré vingt dispositions dont la violation était sanctionnée par la nullité sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve d'un grief. Les nullités textuelles, dispensées de la preuve de tout grief, étaient ainsi automatiques, contrairement aux nullités substantielles. Quoi que techniquement imparfaite, la loi tentait ainsi de faire coïncider nullités textuelles et d'ordre public, dispensées de grief. Supprimant l'énumération des cas de nullité textuelle, la loi n° 93-1013 du 24 août 1993 modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, portant réforme de la procédure pénale (N° Lexbase : L0140IUQ) est revenue au système antérieur ravalant ainsi la distinction des nullités textuelles et substantielles au rang d'une distinction toute théorique (v. S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 9ème éd., 2013, n° 2378).
(4) V. C. proc. pén., art. 172 (N° Lexbase : L3541AZ8).
(5) Dans le même sens, F. Fourment, Procédure pénale, Larcier, 2ème éd., 2012, n° 217 ; S. Guinchard, J. Buisson, op. cit., n° 2380 ; H. Angevin, La pratique de la chambre de l'instruction, Litec, 2ème éd., 2004, n° 333 et s.
(6) C. proc. pén., art. 802 qui, malgré la généralité de ses termes, ne trouve donc à s'appliquer que pour les seules nullités d'ordre privé, à l'exclusion des nullités d'ordre public.
(7) Pour un exemple en ce sens, v. Cass. crim., 17 septembre 1996, n° 96-82.105 (N° Lexbase : A9289CUL), Dr. pén. 1997, Chr. 9, Lesclous et Marsat, décidant que la présence de l'habitant au domicile de la perquisition n'est plus une cause de nullité d'ordre public mais d'ordre privé soumise à la preuve d'un grief.
(8) Cass. civ. 1, 31 mai 2005, n° 04 -50.035, F-D (N° Lexbase : A5651DI7).
(9) Cass. crim., 30 avril 1996, n° 95-82.217 (N° Lexbase : A9154ABN, RSC, 1996, 879, obs. Dintilhac ; Cass. crim. 31 mai 2007, F-P+F (N° Lexbase : A9586DWX), Bull. crim., n° 146.
(10) Cass. crim. 29 février 2000, n° 99-85.573 (N° Lexbase : A4133CKB), Bull.crim., n° 92 ; Cass. crim. 27 novembre 2007, n° 07-83.786, F-D (N° Lexbase : A8129NMZ).
(11) Cass. crim. 13 février 1996, n° 95-85.676 (N° Lexbase : A9276AB8), Dr. pén. 1996, comm. 143, A. Maron.
(12) Cass. crim., 25 juin 2013, n° 13-81.977, FS-P+B (N° Lexbase : A8752KIY) et les observations de G. Beaussonie et Madeleine Sanchez in Chronique de procédure pénale - Septembre 2013, Lexbase Hebdo n° 539 du 12 septembre 2013 - édition privée (N° Lexbase : N8428BTC).
(13) J. Dumont, J.-Cl. Procédure pénale, art. 170 (N° Lexbase : L0918DYN) à 174-1 et 802 (N° Lexbase : L4265AZY) ; F. Fourment, op. cit., 2012, n° 217.
(14) En ce sens, C. Benelli-de-Bénézé, Dalloz actualités 15 juin 2015.
(15) Comp., J. Buisson, Procédures 1998, comm. 50.
(16) V. par exemple, Cass. crim., 29 février 2000, précité ; Cass. crim., 27 novembre 2007, précité.
(17) C. proc. pén., art. 63-4-1 (N° Lexbase : L3162I3I) qui confère à l'avocat et à son client la possibilité de consulter le procès-verbal de placement en garde à vue et de notification des droits, le certificat médical et les procès verbaux d'audition du suspect, à l'exclusion donc de toutes autres pièces qui pourraient pourtant constituer des éléments à charge (audition des témoins, preuves matérielles, etc.).
(18) Cons. const., décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, du 18 novembre 2011 (N° Lexbase : A9214HZB), D., 2011, 3034, note H. Matsopoulou ; Cass. crim., 4 septembre 2012, n° 12-83.997, FS-P+B (N° Lexbase : A7536ISW) ; CE 1° et 6° s-s-r., 11 juillet 2012, n° 349752 (N° Lexbase : A8418IQT).
(19) CEDH, 13 octobre 2009, n° 7377/03 (N° Lexbase : A3221EPY), Dr. pén., 2010, chron. 3, obs. E. Dreyer ; D., 2009, p. 2897, note J.-F. Renucci, § 32.
(20) Sur l'ensemble de la question, v. R. Ollard, Quel statut pour le suspect au cours de l'enquête pénale ? A propos de la loi du 27 mai 2014, JCP éd. G, 2014, 212, n° 20 et s.

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Procédure prud'homale

[Jurisprudence] L'exigence de motivation sous surveillance étroite

Réf. : Cass. soc., 2 juillet 2015, n° 13-26.437, F-D (N° Lexbase : A5411NMD)

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par Vincent Orif, Maître de conférences à l'Université de Caen Basse-Normandie - Institut Demolombe, EA 967

Le 16 Juillet 2015

La Cour de cassation veille fermement au respect de l'exigence de motivation des décisions des juges du fond pour éviter toute violation des exigences du procès équitable. Dans un arrêt du 2 juillet 2015, la Chambre sociale souligne, une nouvelle fois, qu'un juge ne peut pas motiver sa décision en se contentant de reprendre les conclusions d'une des parties.
Résumé

Le juge viole l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L6799BHB), ainsi que les articles 455 (N° Lexbase : L6565H7B) et 458 (N° Lexbase : L6568H7E) du Code de procédure civile lorsqu'il se contente de reproduire sur tous les points en litiges les conclusions de la salariée pour motiver son jugement.

I - Le contrôle rigoureux de la Cour de cassation

Les faits. La salariée a été engagée le 7 novembre 1996 par la société X. Elle est devenue responsable de magasin à partir du 19 janvier 1998. Le 27 avril 2012, la salariée a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire d'une journée en raison du non-respect des procédures concernant la perte de marchandises. Elle a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir l'annulation de la mise à pied ainsi que le paiement d'un rappel de salaire et de dommages-intérêts par l'employeur. Par un jugement du 16 septembre 2013, le conseil de prud'hommes de Sète a accueilli ses demandes. L'employeur a alors formé un pourvoi en cassation (1).

L'apparence de motivation censurée. Le 2 juillet 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé le jugement du conseil de prud'hommes au visa de l'article 6 § 1 de la CESDH, ensemble les articles 455 et 458 du Code de procédure civile. En effet, la Haute juridiction a relevé qu'au titre de sa motivation le jugement s'est contenté de reprendre, sur tous les points du litige, les conclusions de la salariée. La Cour de cassation a souligné que le jugement n'a effectué que des adaptations de style et n'a indiqué aucune autre motivation. Elle a aussi reproché aux juges du fond d'avoir statué par une apparence de motivation, sans avoir effectué, même sommairement, une analyse des pièces produites par l'employeur. Dès lors, cette apparence de motivation faisait peser un doute sur l'impartialité de la juridiction. Cette cassation ferme de la Haute juridiction ne peut qu'être approuvée, car elle exige une qualité des décisions de justice qui évite une remise en cause de la crédibilité de la justice.

II - L'indispensable exigence de motivation

Une exigence textuelle. Il ressort de l'article 455, alinéa 1er, du Code de Procédure civile que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Il est également tenu d'être motivé. Cette disposition doit être observée à peine de nullité, comme l'énonce l'article 458 Code de procédure civile. Il faut préciser que cette nullité ne peut être demandée qu'en exerçant les voies de recours (2). La motivation doit faire ressortir le raisonnement du juge puisqu'il est tenu de trancher le litige en appliquant les règles de droit aux faits (3).

Les multiples vertus de la motivation. La motivation impose au juge d'élaborer un raisonnement rigoureux pour fonder sa décision. D'un côté, elle sert la protection des justiciables, en leur permettant un contrôle de l'activité des juges. Elle limite ainsi les soupçons des justiciables relatifs à un risque de solution arbitraire ou partiale. La motivation a également des vertus pédagogiques puisqu'elle permet aux parties de comprendre le raisonnement du juge fondant sa décision. C'est alors un moyen d'apprécier les chances de succès d'un éventuel de recours. Si aucun recours n'est exercé, la solution est alors acceptée plus aisément. Plus largement, elle permet aux tiers d'ajuster leurs comportements aux exigences de la loi telles qu'elles sont interprétées par le juge. D'un autre côté, la motivation sert l'intérêt du service public de la justice et du droit. En effet, une bonne motivation facilite le contrôle des juridictions supérieures. Elle participe également à la création d'une jurisprudence (4). Au regard des vertus de la motivation, les tentations d'un allègement du travail de rédaction du jugement apparaissent dangereuses.

Les tentations dangereuses d'un allègement du travail de rédaction du jugement. Alors qu'ils doivent traiter un nombre important de dossiers et qu'il y a une augmentation des préoccupations managériales (5), il peut être tentant de diminuer la charge de travail des juges en réduisant les exigences relatives à la rédaction des jugements. D'ailleurs, certains assouplissements ont déjà eu lieu puisque le juge est autorisé à réaliser l'exposé des prétentions et moyens des parties en se contentant de viser les conclusions des parties avec l'indication de leur date (6). Néanmoins, l'économie de temps, supposée découler de cette faculté, paraît illusoire car le juge doit tout de même effectuer ce travail intellectuellement. De plus, bien rédiger cette présentation succincte des prétentions et moyens des parties facilite la motivation (7). Par ailleurs, l'idée d'un allègement de la motivation pourrait séduire afin d'accélérer le travail du juge, spécialement en l'autorisant à se contenter de se référer aux écritures des parties. Cette évolution, si elle se réalisait, ouvrirait la voie à une paresse intellectuelle du juge. Par conséquent, il y aurait un risque d'aboutir à des décisions arbitraires des juges (8). Heureusement, actuellement, comme le montre l'arrêt étudié, la Cour de cassation interdit strictement aux juges du fond de se contenter de motiver leur décision par une simple reprise des conclusions d'une partie.

L'interdiction stricte de la Cour de cassation. L'arrêt analysé s'inscrit dans une récente lignée jurisprudentielle qui se développe avec fermeté. Depuis un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 18 novembre 2009 (Cass. civ. 3, 18 novembre 2009, n° 08-18.029, FS-P+B N° Lexbase : A7463ENQ), la Cour de cassation reprend des formules similaires pour censurer des décisions des juges du fond (9). Cette formulation est reprise dans l'arrêt étudié : "le jugement se borne, au titre de sa motivation, à reproduire sur tous les points en litige [...] les conclusions de la salariée. Qu'en statuant ainsi, [...] par une apparence de motivation pouvant faire peser une doute sur l'impartialité de la juridiction, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés". Il est remarquable de constater une position quasi-unanime de toutes les chambres de la Cour de cassation (10). Certes, cette interdiction pourrait paraître sévère. En effet, lorsque les conclusions d'une partie comportent des moyens pertinents et bien développés, le juge peut être tenté de se contenter de reprendre ces conclusions. Reformuler cette argumentation pourrait paraître hypocrite. Toutefois, cette approche est dangereuse. Elle implique le non-respect de plusieurs exigences du procès équitable, dont l'impartialité (11). Par ailleurs, il faut bien mesurer la portée de cette interdiction. La motivation implique que le juge ne renonce pas à son pouvoir d'appréciation. La décision rendue doit être le résultat de sont raisonnement intellectuel. Dès lors, un juge qui souhaite donner intégralement raison à une partie ne doit pas se contenter d'une simple reprise des conclusions de cette partie. Il doit incorporer les arguments de la partie dans son propre raisonnement. Ceci implique d'expliquer pourquoi il donne raison (12). Ce travail nécessite forcément de répondre aux arguments de l'autre partie, comme le relève l'arrêt commenté.

La Cour de cassation constate que le jugement prud'homal n'a effectué que "quelques adaptations de style" par rapport aux conclusions de la salariés. La Haute juridiction reproche également aux juges du fond de ne pas avoir "analyser, même sommairement, les pièces produites par l'employeur". Cet arrêt montre l'attachement de la Cour de cassation à l'exigence de motivation puisqu'elle effectue un contrôle approfondi pour aller au-delà des apparences. La sévérité compréhensible de la Cour de cassation ne concerne pas, comme en l'espèce, que des juges, qui ne sont pas des magistrats de carrière. Elle exerce ce contrôle rigoureux envers toutes les décisions des juges du fond. Il est d'ailleurs inquiétant que plusieurs décisions, censurées en raison d'une absence de motivation ou d'une motivation de mauvaise qualité, soient rédigées par des magistrats de carrière, et plus particulièrement des juges d'appel (13). Ceci interroge sur la formation des juges et souligne la nécessité d'un enseignement de qualité sur le style et la rédaction des jugements (14). Il n'en demeure pas moins que cette interdiction stricte posée par la Cour de cassation connaît quelques tempéraments.

Les tempéraments à la sévérité de la Cour de cassation. Dans deux situations, la Cour de cassation paraît accepter que la motivation se limite à une reprise des conclusions d'une partie. D'abord, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment admis que la motivation de juridictions d'instruction constitue une simple reprise des réquisitions du ministère public. La Haute juridiction a relevé que ces réquisitions contenaient des éléments à charge et à décharge (15). Pour comprendre cette solution, une autre explication pourrait résider dans une délimitation particulière de l'interdiction de reprise des conclusions d'une partie. La prohibition ne concernerait donc que l'adoption pure et simple du raisonnement d'une partie privée. En revanche, elle serait admise à l'égard de l'argumentation du ministère public (16). Il est possible de se demander si ces justifications sont suffisantes puisque cette motivation ne fait ressortir aucun travail d'analyse du juge. Ensuite, concernant les ordonnances sur requête, il est acquis qu'elles doivent être motivées (17). Cependant, la jurisprudence admet que le juge des requêtes se contente de viser la requête (18), voire de signer au bas de la requête (19). Cette jurisprudence, qualifiée de curieuse (20), peut éventuellement s'expliquer par le caractère non-contradictoire de la procédure sur requête (21). En cas de recours en rétractation contre l'ordonnance sur requête (22), le juge devra de nouveau statuer. Le rétablissement du principe du contradictoire interdit que le jugement, concernant la rétractation de l'ordonnance sur requête, se contente de reprendre les conclusions des parties (23). A défaut, comme dans l'arrêt examiné, il y aurait une violation de la loi.

Une cassation pour violation de la loi. Dans l'arrêt commenté, la cassation du jugement prud'homal est rendu pour violation de l'article 6 § 1 de la CESDH et des articles 455 et 458 du Code de procédure civile. Or, classiquement, lorsqu'elle contrôle la motivation des décisions des juges du fond, la cassation intervient soit pour défaut de motif, soit pour défaut de base légale (24).

D'une part, le défaut de motifs sanctionne l'absence de motifs. Deux situations sont principalement concernées. Il s'agit de l'absence totale de motivation ou le défaut de réponse à conclusion. Le défaut de motivation est assimilé à un vice de forme. Dans ces situations, la Cour de cassation vise l'article 455 Code de procédure civile (25) et énonce que les juges du fond n'ont pas satisfait aux exigences de ce texte (26), ce qui correspond à une cassation pour violation de la loi. D'autre part, le défaut de base légale condamne l'insuffisance de motifs. Plus précisément, la décision attaquée ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer un contrôle sur le respect des conditions légales d'application de la règle de droit. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation vise le texte de fond, dont l'une des conditions d'application n'a pas été suffisamment caractérisée par le juge du fond (27). En l'espèce, il semble que l'apparence de motivation soit assimilée à un défaut de motifs. Il en résulte la nullité du jugement prud'homal, ce que confirme la référence à l'article 458 Code de procédure civile. Au-delà de ces considérations techniques, l'arrêt analysé montre qu'une apparence de motivation, résultant d'une simple reprise des conclusions de la salariée, aboutit au non-respect de plusieurs exigences du procès équitable.

III - Le non-respect de plusieurs exigences du procès équitable

L'obligation de motivation rattachée aux exigences du procès équitable. L'importance de la motivation est telle que le Conseil constitutionnel lui a reconnu une valeur constitutionnelle. Son aménagement ne peut donc relever que de la loi (28). Cette valeur constitutionnelle de la motivation se comprend d'autant mieux qu'il s'agit d'une garantie essentielle pour les justiciables qui se rattache aux droits de la défense (29). Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l'Homme a reconnu que l'exigence de motivation est l'une des composantes du procès équitable, en application de l'article 6 § 1 de la CESDH. Pour autant, cette obligation n'impose pas une réponse détaillée à chacun des arguments avancés par les parties (30). Le juge ne doit répondre que si les moyens sont formulés de manière claire et précise. En outre, les moyens doivent être étayés par des preuves. Les moyens doivent aussi être pertinents, c'est-à-dire qu'ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la solution du litige (31). Ainsi, en elle-même, une motivation absente ou de mauvaise qualité emporte la violation d'une exigence du procès équitable (32). Ce n'est pas la seule. Comme le souligne expressément la Cour de cassation, lorsque le juge se contente de reprendre les conclusions d'une partie pour motiver sa décision, il ne respecte pas son exigence d'impartialité.

Le rappel de la violation de l'impartialité du juge. L'arrêt examiné retient que le juge prud'homal a statué par une apparence de motivation "pouvant faire peser un doute sur l'impartialité de la juridiction". Dès lors, il fait ressortir directement un lien entre l'exigence de motivation et l'impartialité du juge. En effet, le juge doit conserver la faculté de changer d'opinion (33) et d'être convaincu par l'argumentation de chacune des parties à l'issue du débat judiciaire. Classiquement, l'étude de la notion de l'impartialité fait ressortir l'existence d'une distinction entre l'impartialité objective et l'impartialité subjective (34). D'un côté, l'impartialité subjective nécessite que, dans l'affaire dont il est saisi, le juge ne doit avoir aucun parti pris en faveur ou à l'encontre de l'une des parties au procès. D'un autre côté, l'impartialité objective se rattache aux fonctions du juge. Elle évite que le juge ne tranche un litige dont il a déjà eu connaissance car il risque de ne pas statuer avec la neutralité nécessaire (35).

Récemment, la Cour de cassation s'est prononcée dans plusieurs arrêts pour contrôler l'impartialité subjective des juges. Elle vérifie particulièrement que les motifs de la décision ne comportent ni terme injurieux ni propos excessifs ou inappropriés (36). En matière sociale, il est alors particulièrement primordial de s'assurer que les motifs ne servent pas d'exutoire en utilisant des propos passionnés incompatibles avec la neutralité du juge (37). La situation est différente en l'espèce. Les propos tenus par le juge prud'homal étaient sobres. Toutefois, en se contentant de reproduire les conclusions de la salariée, alors que l'employeur avançait des arguments pour les combattre, le juge du fond a montré une incapacité à changer d'opinion. Cette pratique a pu être qualifiée de "motivation à la hussarde", faisant ressortir une conception défectueuse de la fonction de juger (38). En définitive, il ressort de ce mouvement jurisprudentiel que l'exigence de motivation est accrue. La Cour de cassation ne se contente plus de l'existence de la motivation. Elle contrôle que les décisions des juges du fond contiennent une "motivation impartiale" en application de l'article 6 § 1 de la CESDH (39). Outre, l'exigence d'impartialité, en statuant par une apparence de motivation, les juges du fond ne respectent pas le principe du contradictoire.

Une atteinte au principe du contradictoire. Conformément à l'article 16, alinéa 1er, du Code de procédure civile, le juge doit faire respecter et respecter lui-même le principe du contradictoire. Ce principe est l'un des piliers du procès civil. Il est aussi l'une des exigences du procès équitable (40). Il implique que le juge tranche le litige, en ajustant sa solution au plus près de la vérité des faits, après la confrontation des moyens des parties (41). En conséquence, les liens entre l'exigence de motivation, l'impartialité du juge et le principe du contradictoire apparaissent. En effet, la motivation suppose que le juge confronte les moyens des parties et statue par une argumentation personnelle pour fonder sa solution (42). Lorsque le juge se contente de reprendre les conclusions d'une partie, non seulement il est partial, mais encore il ne respecte pas le principe du contradictoire. D'ailleurs, en l'espèce, la lecture du pourvoi montre que l'employeur a produit une pièce relative à la procédure à respecter en cas de retour de marchandises non commercialisables. Pourtant, le jugement prud'homal se limite à reprendre les conclusions de la salariée selon lesquelles il n'existe en interne aucun document précisant la procédure à suivre pour faire face à cette situation. C'est pour cela que la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas avoir analysé, "même sommairement, les pièces produites par l'employeur". Elle reproche, implicitement, au juge prud'homal, de ne pas avoir pris en considération le débat contradictoire pour trancher le litige.

Ainsi, quand le juge statue par une apparence de motivation, il viole plusieurs des exigences du procès équitable. Ceci explique la surveillance étroite de la motivation des juges du fond effectuée par la Cour de cassation.


(1) Dans cette affaire, la voie d'appel était fermée car le montant des demandes de la salariée était inférieur au taux de compétence en dernier ressort, qui est de 4 000 euros (C. trav., art. D. 1462-3 N° Lexbase : L0776IAY).
(2) C. pr. civ., art. 460 (N° Lexbase : L6570H7H).
(3) C. pr. civ., art. 12, al. 1er (N° Lexbase : L1127H4I).
(4) Pour des développements, voir notamment J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 5ème éd., 2012, p. 405 et s. ; L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie générale du procès, PUF, 2ème éd., 2013, p. 683-687 ; C. Giverdon et O. Staes, Jurisclasseur, Procédure civile, Fasc. 508 "Jugements - Motifs et dispositifs", n° 3.
(5) S. Amrani-Mekki et Y. Strickler, Procédure civile, Thémis, PUF, 2014, p. 730 ; J.-P. Marguénaud, L'influence sur l'impartialité du tribunal de la motivation réduite à la reproduction des conclusions de la partie victorieuse, obs. Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-11.029, FS-D (N° Lexbase : A1591EUH) et Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-11.508, FS-P+B (N° Lexbase : A1596EUN), RTDCiv., 2010, p. 289-291, spéc. p. 290.
(6) C. pr. civ., art. 455, al. 1er (N° Lexbase : L6565H7B).
(7) S. Amrani-Mekki et Y. Strickler, op. cit., p. 731.
(8) S. Guinchard, Rép. proc. civ., D., V°, "Procès équitable", spéc. n° 379.
(9) Cass. civ. 3, 18 novembre 2009, n° 08-18.029, FS-P+B (N° Lexbase : A7463ENQ), Bull. civ. III, n° 253.
(10) Cass. civ. 1, 17 mars 2011, n° 10-10.583, F-P+B+I (N° Lexbase : A2314HCP), Bull. civ. I, n° 56 ; Cass. com., 23 mars 2010, n° 09-11.508, préc; ; Cass. com. 23 mars 2010, n° 09-11.029, préc. ; Cass. civ. 2, 23 septembre 2010, n° 09-66.812, F-D (N° Lexbase : A2374GA8).
(11) Voir en ce sens J. Héron et T. Le Bars, op. cit., p. 408-409. Pour des développements relatifs au lien entre la motivation et d'autres exigences du procès équitable, voir infra, III.
(12) A. de Laforcade, obs. sous. Cass. civ. 1, 17 mars 2011, n° 10-10.583, préc., Droit et procédures, 2011, n° 6, p. 151-156, spéc. p.155 ; N. Fricero, Apparence de motivation et impartialité du juge, obs. sous Cass. civ. 3, 18 novembre 2009, n° 08-18.029, FS-P+B (N° Lexbase : A7463ENQ), Act. proc. coll., 2010, n°1, p.1-2.
(13) C. Bléry, Mauvaise rédaction des jugements : florilège, RLDC, 2012, n° 93, p. 65-67, spéc. p. 66.
(14) Voir en ce sens C. Giverdon et O. Staes, op. cit., n° 4.
(15) Cass. crim., 2 mars 2011, n° 10-86.940, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3553G4D), Bull. crim., n° 47.
(16) A. de Laforcade, op. cit., spéc. p. 155.
(17) C. pr. civ., art. 495, al. 1er (N° Lexbase : L6612H7Z).
(18) Cass. civ. 1, 24 octobre 1978, n° 77-11.513, publié (N° Lexbase : A8656CIG), Bull. civ. I, n° 317.
(19) Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 96-10.631, publié (N° Lexbase : A3221CGE), Bull. civ. II, n° 81 ; JCP éd. G, 1999, IV, 2153.
(20) S. Amrani-Mekki et Y. Strickler, op. cit., p. 733.
(21) Sur la relation entre l'exigence de motivation et le principe du contradictoire, voir infra, III.
(22) C. pr. civ., art. 496, al. 2 (N° Lexbase : L6613H73).
(23) Néanmoins, la portée de cet argument est à relativiser. En effet, lorsqu'un jugement est rendu par défaut, le juge est tenu d'analyser les documents du demandeur. Lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne doit faire droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée (C. pr. civ., art. 472 N° Lexbase : L6584H7Y). Il s'ensuit que le juge est tenu de motiver le jugement même si une partie ne comparaît pas. Voir C. Giverdon et O. Staes, op. cit., n° 8.
(24) Pour des développements, voir A. de Laforcade, op. cit., spéc. p. 153 ; C. Giverdon et O. Staes, op. cit., n° 61-64 ; N. Fricero, Jurisclasseur, Procédure civile, Fasc. 509 : "Jugements-Sanctions des irrégularités commises lors du délibéré et dans la rédaction des jugements", n° 49. Cependant, cette classification n'est pas si nette, voir F. Eudier et N. Gerbay, Rép. pr. civ., D., V° "Jugement", n° 311.
(25) Cass. soc., 16 juin 2015, n° 14-16.953, F-P+B (N° Lexbase : A5159NLN).
(26) Cass. civ. 3, 29 mai 2013, n° 12-10.070, FS-P+B (N° Lexbase : A9665KEP), Bull. civ. III, n° 70.
(27) Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 06-17.869, F-P+B (N° Lexbase : A7031DUX), Bull. civ. I, n° 103.
(28) Cons. const., 3 novembre 1977, n° 77-101 L (N° Lexbase : A7970AC8).
(29) J. Héron et T. Le Bars, op. cit., p. 405.
(30) CEDH, 9 décembre 1994, req. n° 18064/91 (N° Lexbase : A8132NM7) ; et req. n° 18390/91(N° Lexbase : A8133NM8).
(31) N. Fricero, Garanties de nature procédurale : équité, publicité, célérité et laïcité, in Droit et pratique de la procédure civile (Guinchard, sous dir.), 8ème éd., 2014-2015, p. 715.
(32) CEDH, 16 novembre 2010, req. n° 926/05 (N° Lexbase : A0241GHE).
(33) M.-A. Frison-Roche, L'impartialité du juge, D., 1999, p. 53-57, spéc. p. 53-54.
(34) Voir par exemple : CEDH, 1er octobre 1982, req. n° 8692/79 (N° Lexbase : A5322AZ7). Cette distinction est critiquée puisque l'impartialité du juge serait toujours subjective. Les causes de l'impartialité du juge seraient personnelles ou fonctionnelles. Voir N. Fricero, Droit à un tribunal indépendant et impartial, in Droit et pratique de la procédure civile (Guinchard, sous dir.), 8ème éd., 2014-2015, p. 687 ; S. Guinchard, op. cit., spéc. n° 243 et s..
(35) L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, op. cit., p. 603 et s. ; J.-L. Vallens, Impartialité du tribunal, procédures collectives et droits de la défense, D., 2008, p. 972-973.
(36) Pour des illustrations, voir nos obs., On ne badine pas avec l'impartialité, note sous Cass. soc., 8 avril 2014, n° 13-10.209, FS-P+B (N° Lexbase : A0811MKA), Lexbase Hebdo n° 569 du 8 mai 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2103BUG) ; J. Mouly, Conditions du droit de retrait et impartialité du juge, note sous Cass. soc., 20 novembre 2014, n° 13-22.421, F-D (N° Lexbase : A9297M3Q), Dr. soc., 2015, n° 2, p. 189-190 ; C. Puigelier, Application de l'exigence d'impartialité, note sous Cass. soc., 12 juin 2014, n° 13-16.236, FS-P+B (N° Lexbase : A2301MRN), JCP éd. S, 2014, n° 30, p. 43-44.
(37) Voir en ce sens A. Bugada, Motivations violant l'exigence d'impartialité : encore !, obs. sous Cass. soc., 8 avril 2014, n° 13-10.209, FS-P+B (N° Lexbase : A0811MKA), Procédures, 2014, n° 8-9, comm. 237, p. 21-22.
(38) R. Perrot, Motivation apparente, obs. sous Cass. civ. 2, 23 septembre 2010, n° 09-66.812, F-D (N° Lexbase : A2374GA8), Procédures, 2010, n° 11, comm. 369, p. 12.
(39) A. de Laforcade, op. cit., p. 154-155 ; N. Fricero, Apparence de motivation et impartialité du juge, préc..
(40) CEDH, 24 février 1995, req. n° 16424/90 (N° Lexbase : A8131NM4).
(41) L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 8ème éd., 2013, p. 397 et s..
(42) N. Fricero, Apparence de motivation et impartialité du juge,préc., spéc. p. 2 ; S. Guinchard, op. cit., spéc. n° 297.

Décision

Cass. soc., 2 juillet 2015, n° 13-26.437, F-D (N° Lexbase : A5411NMD).

Rejet (CA Chambéry, 5 septembre 2013).

Textes concernés : CESDH, art. 6 § 1 (N° Lexbase : L6799BHB) ; C. proc. civ., art. 455 (N° Lexbase : L6565H7B) et art. 458 (N° Lexbase : L6568H7E).

Mots-clefs : contestation d'une mise à pied disciplinaire ; jugement du conseil des prud'hommes ; absence de motivation ; doute sur l'impartialité de la juridiction ; atteinte au principe du contradictoire

Lien base : (N° Lexbase : E3810ETB).

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Taxes diverses et taxes parafiscales

[Brèves] Taxe sur les salaires : assujettissement des activités agricoles

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 8 juillet 2015, n° 369730, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7003NMC)

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N8413BU7

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Le 23 Juillet 2015

Les seules activités agricoles assujetties à la taxe sur les salaires sont celles mentionnées par les dispositions réglementaires de l'article 53 bis de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L5404IM4) s'agissant des organismes coopératifs, mutualistes et professionnels agricoles, et celles de l'article 53 ter de cette même annexe (N° Lexbase : L2074HMR) s'agissant des employeurs agricoles à raison des salaires versés au personnel affecté à des établissements de nature commerciale ou artisanale. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 8 juillet 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 8 juillet 2015, n° 369730, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7003NMC). En l'espèce, dans le cadre de ces missions, un office de développement agricole et rural régional expérimente diverses techniques culturales et d'irrigation, ainsi que des systèmes de pâturage et des cultures fourragères. Ces activités s'inscrivent dans le déroulement et la maîtrise d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal. Les juges du fond (CAA Marseille, 26 avril 2013, n° 10MA02771, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1467MRR) avaient alors estimé que cette activité ne pouvait être regardée comme étant de nature agricole, dès lors qu'elle était réalisée à des fins d'expérimentation et de recherche et non dans un objectif de production. La cour administrative d'appel a donc écarté comme étant sans incidence la circonstance que l'office procédait à la vente des produits obtenus dans le cadre de ces deux stations expérimentales, au motif que cette vente ne présente qu'un caractère accessoire au regard des finalités de recherche et d'expérimentation. Cependant, le Conseil d'Etat n'a pas jugé en ce sens. En effet, selon les juges suprêmes, la qualification d'activité agricole, qui détermine l'absence d'assujettissement à la taxe sur les salaires, n'est pas subordonnée à la poursuite d'un objectif de production ou de vente, à l'exclusion des finalités de recherche et d'expérimentation. Ainsi, en jugeant que l'office du développement agricole et rural devait être assujetti à la taxe sur les salaires dès lors que l'activité des exploitations était menée dans un but d'expérimentation et que la vente du produit de ces exploitations présentait un caractère accessoire par rapport à cet objectif, la cour a commis une erreur de droit .

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Vente d'immeubles

[Brèves] Responsabilité du diagnostiqueur en cas d'état parasitaire erroné ou non conforme aux normes édictées

Réf. : Cass. mixte, 8 juillet 20145, n° 13-26.686, P+B+R+I (N° Lexbase : A6242NM7)

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N8385BU4

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Le 16 Juillet 2015

Il résulte de l'article L. 271-4 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L9092IZR) que le dossier de diagnostic technique annexé à la promesse de vente ou à l'acte authentique de vente d'un immeuble garantit l'acquéreur contre le risque mentionné au 3° du deuxième alinéa du I de ce texte et que la responsabilité du diagnostiqueur se trouve engagée lorsque le diagnostic n'a pas été réalisé conformément aux normes édictées et aux règles de l'art et qu'il se révèle erroné. Telle est la solution énoncée par la Chambre mixte de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 juillet 2015 (Cass. mixte, 8 juillet 2015, n° 13-26.686, P+B+R+I N° Lexbase : A6242NM7). En l'espèce, les époux X., ont acquis auprès de M. Y. un bien à usage d'habitation pour lequel ils ont eu connaissance, avant la vente, des états parasitaires établis par une société de diagnostic immobilier. A l'occasion de travaux, ils ont découvert un état avancé d'infestation de termites et on, en conséquence, et après expertise judiciaire, assigné en indemnisation de leurs préjudices l'agence immobilière par l'entremise de laquelle ils avaient acquis le bien, ainsi que son assureur. L'assureur a été condamné par les juges d'appel à réparer l'intégralité des préjudices matériels et de jouissance des époux. X au motif que si ces derniers "avaient connu l'ampleur des dégâts causés par l'infestation des insectes xylophages, ils auraient négocié la vente avec leur vendeur en tenant compte du coût des travaux de réparations desdits dégâts" (CA Montpellier, 26 septembre 2013, n° 11/05282 N° Lexbase : A7243KLT). L'assureur soutenait à l'appui de son pourvoi que les conséquences d'un manquement à un devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance dès lors que la décision qu'aurait prise le créancier de l'obligation d'information et les avantages qu'il aurait pu obtenir, s'il avait été mieux informé, ne sont pas établis de manière certaine. La Chambre mixte de la Cour de cassation, rappelant le principe sus-énoncé, rejette le pourvoi de l'assureur.

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