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N7024BUP
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 23 Avril 2015
Trois récentes décisions mettent à l'honneur cette création prétorienne qu'est la notion de débat d'intérêt général. Chacune est singulière quant à l'opportunité ou non "d'excuser" ou de "justifier", selon l'interprétation doctrinale que l'on voudra bien retenir, une atteinte à la vie privée ou à l'image au nom de ce débat.
Ces trois arrêts -deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 avril 2015 et un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 2 avril 2015- permettent de s'interroger sur la nature de la notion de débat d'intérêt général. En effet, à la lumière d'actions en diffamation, on pouvait penser que cette notion fut consubstantielle à l'exception de bonne foi, qu'elle fut une composante de la bonne foi, selon la Cour de cassation, ou l'inverse, selon la CEDH. Mais, au regard des atteintes au droit à l'image comme à celles à la vie privée, il semble définitivement que la notion de débat d'intérêt général soit une notion parfaitement autonome, comme son acte de naissance, l'arrêt du 24 octobre 2006, le laissait supposer. Ce faisant, cette autonomie peut paraître dangereuse, tant le concept est récent et extensif, et qu'il apparaît incertain et imprévisible, comme le soulignait le mémoire d'Hugo Chevry, publié en 2014 au sein de la banque des mémoires de l'Université de Paris II, sous la direction d'Yves Mayaud, sur le débat d'intérêt général et le droit de la presse, auquel nous invitons le lecteur à vivement se reporter.
Dans un premier arrêt, la Haute juridiction estime que le non-respect d'une lettre d'autorisation subordonnant la diffusion d'un documentaire participant d'un débat d'intérêt général à son visionnage préalable par l'interviewé ne constitue pas une atteinte à son droit à l'image. On pouvait penser que la licéité d'une publication ou d'un reportage était conditionnée, du moins lorsque le principe d'un consentement préalable était clairement établi, à l'expression univoque de ce consentement : le débat d'intérêt général offre une échappatoire à la parole donnée, excluant au final tout contrôle de sa pensée et de sa parole livrées de manière trop inconséquente aux médias. Pour autant, une interjection, un emportement, une parole ambiguë ou contrariée sont-elles l'expression d'une véritable opinion ou pensée de son auteur ? Ces propos égarés éclairent-ils le débat d'intérêt général qu'ils sont censés servir ? La maîtrise de son image et de sa parole semble bien se réduire à peau de chagrin devant une notion de débat d'intérêt général de plus en plus envahissante. Certes, la loi de 1881 interdit toute restriction préventive à la liberté d'expression, visant ainsi la censure, le consentement préalable à la publication, mais c'est bien ici le concept prétorien qui est mis à l'honneur pour écarter le droit à l'image, attribut de la personnalité.
Dans un deuxième arrêt, la Cour de cassation dit pour droit que la révélation de l'orientation sexuelle d'un homme politique figurant dans un ouvrage portant sur un sujet d'intérêt général n'est pas constitutive d'une atteinte à la vie privée. Ce faisant, elle confirme l'arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait conclu par une formule lapidaire et fracassante que le droit du public à être informé de l'homosexualité d'un homme politique prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée. A dire vrai, l'arrêt de la cour d'appel était emprunt de subtilité, puisque, si la révélation de l'homosexualité d'un homme politique de plan national peut être légitime, celle de son compagnon, homme politique régional ne l'est pas : on appréciera la subtilité toute byzantine de l'analyse... Les faits de l'espèce sont intéressants parce que c'est la révélation de cette même homosexualité dans un article publié sur un site internet qui sera condamnée par la cour d'appel de Lyon, le 2 avril 2015 ; cette révélation ne pouvant être "blanchie" par l'existence d'un débat d'intérêt général...
Dans l'affaire menée devant la Cour de cassation, une société d'édition était assignée devant le juge des référés en vue d'obtenir l'interdiction de la diffusion à venir et la saisie d'un livre, au motif que sa diffusion, qui rapportait que deux hommes politiques étaient homosexuels et vivaient ensemble, porterait atteinte à l'intimité de leur vie privée. Mais, pour les juges du Quai de l'Horloge, lorsque l'ouvrage litigieux porte sur un sujet d'intérêt général relatif à l'évolution d'un parti politique qui a montré des signes d'ouverture à l'égard des homosexuels à l'occasion de l'adoption de la loi relative au mariage des personnes de même sexe, l'atteinte à la vie privée est proportionnelle au but légitime poursuivi par l'auteur. En revanche, la cour d'appel de Lyon estimait que, lorsque le propriétaire d'un site internet révèle l'homosexualité d'un homme politique dans un article en ligne, sans apporter la preuve de la révélation publique de cette information, il porte atteinte au droit au respect de la vie privée protégé par l'article 9 du Code civil, écartant implicitement tout justification ou atteinte proportionnée en raison d'un débat d'intérêt général. Pour les juges lyonnais, le seul fait que quelques personnages politiques aient eu connaissance de son orientation sexuelle ne suffit pas à établir que l'homme politique en question l'ait publiquement revendiquée, voire évoquée. A dire vrai, l'affaire n'est pas aussi simple car l'article incriminé entendait soulever l'éventuelle influence de trois hommes politiques dont l'homosexualité était ainsi révélée à la tête d'un parti aux opinions supposées "tranchées" sur la question. D'où l'on constate que le débat d'intérêt général se distingue du débat interne au sein d'un parti politique... débat qui intéresserait un certain public et non l'ensemble du public.
Juridiquement, ces deux décisions sont en parfaite adéquation avec la position évolutive de la Cour de cassation visant à faire de la notion de débat d'intérêt général une notion autonome au sein de la liberté de la presse et visant à établir une définition certes extensive, suivant ainsi les pas de la CEDH, tout en essayant d'éviter une transparence inutile, voire nauséeuse, lorsque la polémique politique se résume à des attaques personnelles.
Mais il ne faut pas se mentir, la notion de débat d'intérêt général est une notion à géométrie variable et le juge est maître tout puissant de l'opportunité en la matière. Il condamnera la transcription d'enregistrements à l'insu des protagonistes, enregistrements pourtant inscrits dans le cadre d'un supposé scandale politique national, comme constituant une atteinte à l'intimité de la vie privée, que ne légitime pas l'information du public, en 2011 ; alors que les premiers juges avaient estimé, eux, que les conversations étaient de nature professionnelle et patrimoniale et rendaient compte des relations qu'une personne publique d'importance pouvait entretenir avec celui qui gérait sa fortune et que les informations ainsi révélées, mettant en cause la principale actionnaire de l'un des premiers groupes industriels français, dont l'activité et les libéralités ont fait l'objet de très nombreux commentaires publics, relevaient de la légitime information du public. A l'inverse, le juge de grande instance se montrera plus clément, en 2013, envers la transcription d'une conversation, dont la captation fut tout aussi illicite, s'agissant de révélations qui ont trait à plusieurs questions majeures d'intérêt général dépassant, du fait de la personnalité du demandeur et de la nature des pratiques évoquées, les seuls enjeux électoraux locaux et mettant en cause la probité publique, la sincérité du scrutin, les rapports entre les élus et les administrés et diverses questions sur le lien social dans les communes françaises.
Il semble d'ailleurs que les juges du fond soient plus enclins que la Haute juridiction à relever l'existence d'un débat d'intérêt général justifiant l'atteinte à la vie privée, au regard de la fameuse "balance des équilibres" entre les droits fondamentaux en présence. Il est alors heureux que la Cour de cassation ait fait de cette notion une question de droit, pour pouvoir contrôler son usage et harmoniser son appréciation. Le rattachement de la notion de débat d'intérêt général, de prime abord tout factuelle qui devrait être laissée à l'appréciation souveraine des juges du fond, à une question de droit soumise au contrôle de la Haute juridiction peut paraître étrange, mais la Cour suprême semble vouloir être seule juge de l'opportunité quant à l'existence d'un débat d'intérêt général, son enrichissement, son éclairage.
Pour autant ne risque-t-on pas une surenchère en la matière, malgré des garde-fous ? En janvier 2014, la CEDH approuvait une juridiction nationale ayant autorisé la publication du livre de l'ex-petite amie d'un ancien Premier ministre, alors que celui-ci était encore en fonction ; ouvrage dans lequel elle relatait sa rencontre et sa relation avec l'homme politique, renseignant ainsi notamment le public sur la probité du ministre -les passages sur les détails de leur intimité et la sexualité du couple ayant dû, eux, été retirés-. On pensait dès lors que le débat d'intérêt général s'arrêtait devant l'intimité voire la sexualité, ici des hommes politiques. La Cour de cassation va plus loin et permet la corrélation entre orientation sexuelle et débat d'intérêt général.
Ce faisant, elle se fait juge de la tonalité de l'information, distinguant l'enquête d'investigation, le livre politique, du brûlot, comme c'était le cas dans l'affaire portée devant la cour d'appel de Lyon. Mais, elle se fait donc juge du sérieux de l'information. Entre les mains du juge de cassation relève l'expression même du pluralisme des idées et des formes pour les exprimer...
Et ce faisant, aussi, la Cour de cassation, en liant l'orientation sexuelle d'un homme politique à ses positions ou celles de son parti en faveur ou en défaveur du mariage pour tous, estime que la pensée politique serait conditionnée par un élément naturel de la personnalité ; non plus seulement par l'appartenance à une confrérie, à une confession religieuse, comme elle l'avait pu le faire auparavant. C'est en quelque sorte afficher l'orientation sexuelle, exclue des débats dans l'entreprise, dans la fonction publique, dans la plupart des débats médiatiques ou des relations sociales, comme un attribut permettant d'expliquer telle ou telle prise de position politique... C'est ce caractère lié de la pensée à l'orientation sexuelle qui peut paraître dangereux : comme il existe des théologiens athées, l'homosexualité d'un homme politique ne conditionne en rien son engagement ou sa tolérance envers l'ouverture du mariage aux couples homosexuels. Ou alors, la pensée politique se résumerait à l'identité intime des hommes politiques... singulière et dangereuse circonscription de la pensée censée dépasser la simple humanité.
On est bien loin du Politique selon Platon qui ne doit subir aucune entrave dans l'exercice de son art qui doit être totalement libre de toute contingence matérielle... ou physique, dont l'action est tournée au profit de l'ensemble de la cité. Encore plus loin du Politique de Weber évoluant dans un véritable système impersonnel de bureaucratie basé sur des critères impersonnels...
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Réf. : Cass. crim., 14 avril 2015, trois arrêts, n° 14-85.334 (N° Lexbase : A5646NG9), n° 14-85.335 (N° Lexbase : A5647NGA), et n° 14-85.333, FS-P+B (N° Lexbase : A5645NG8)
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N7013BUB
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Le 01 Mai 2015
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Réf. : Cass. civ. 2, 16 avril 2015, n° 14-13.291, F-P+B (N° Lexbase : A9283NGW)
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N7066BUA
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Le 23 Avril 2015
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Réf. : Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n° 14-11.599, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4643NEP) et n° 14-15.013, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4644NEQ)
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N6924BUY
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Faculté de droit de Bordeaux
Le 22 Avril 2015
En retenant cette solution protectrice du client consommateur, la juridiction interne s'inscrit dans la mouvance des solutions retenues par la CJUE.
En effet, cette dernière a eu récemment l'occasion, par le biais d'une question préjudicielle d'une juridiction lituanienne, de se prononcer en faveur de l'application du droit de la consommation aux contrats standardisés conclus entre les avocats et leurs clients (1). L'enjeu reposait sur la mise en oeuvre ou non de la règle selon laquelle le doute sur l'interprétation d'une clause doit profiter au consommateur. Selon cette décision "la Directive 93/13 (N° Lexbase : L7468AU7) doit être interprétée en ce sens qu'elle s'applique à des contrats standardisés de services juridiques, tels que ceux en cause au principal, conclus par un avocat avec une personne physique qui n'agit pas à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle". Il est intéressant de remarquer que l'argumentaire développé par les juges de la Cour de cassation dans les affaires commentées correspond exactement à celui développé par la CJUE. Le coeur du raisonnement repose sur la qualification de consommateur du client face à son avocat en ne prenant pas en considération les éventuelles spécificités de cette profession libérale. Afin de mesurer la portée de ces solutions, nous nous arrêterons sur leur justification (I) avant d'évoquer leurs implications (II).
I - Justification de l'application du droit de la consommation dans les rapports entre l'avocat et ses clients
Afin de justifier la mise en oeuvre du délai de prescription réduit du droit de la consommation à l'encontre de la demande de paiement du solde des honoraires formulée par les avocats auprès de leurs clients, les juges de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation développent une argumentation succincte exclusivement centrée sur la qualification de consommateur du client. En protégeant le consommateur dans ses rapports contractuels avec le professionnel qu'est l'avocat, les juges se focalisent sur sa situation d'infériorité à l'égard de la négociation et des informations données. La même démarche est suivie sur le plan supra-national. Ainsi, les juges de la CJUE, pour légitimer l'application du droit de la consommation issu de la Directive 93/13, ont souligné l'asymétrie d'information entre l'avocat et son client (2). Toutefois, la mise en application de cette qualification n'est pas sans soulever des difficultés lorsqu'elle intervient dans les rapports entre clients et avocats.
Tout d'abord, l'approche divergente retenue par les juges d'appel dans les affaires étudiées ainsi que les solutions privilégiées par des arrêts rendus antérieurement par des juridictions du fond dans le sens d'une exclusion de la qualité de consommateur démontrent que la solution ne va pas nécessairement de soi (3). Dans les deux arrêts étudiés, les juges se référent à l'analyse stricte du consommateur correspondant à la définition légale introduite par la loi "Hamon" du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX). Le consommateur ne peut être qu'une personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Appliquée aux clients des avocats, cette approche suppose que soit introduite une dichotomie en fonction de l'objet des conseils sollicités, à savoir s'il relève de la sphère privée ou de la vie professionnelle. Or, cette opposition peut se révéler difficile en pratique du fait de l'imbrication des problèmes juridiques. Quelle qualification retenir lorsque, par exemple, la problématique soumise à l'avocat porte sur un divorce mais que la liquidation des règlements pécuniaires met en jeux, par ailleurs, des intérêts patrimoniaux professionnels comme des parts de société ? Devra-t-on dans ce cas, considérer que le client est un consommateur ou un professionnel ? Il apparaît que dans les situations complexes d'imbrication des problématiques, la solution devra résider dans une sous distinction plus subtile selon si l'objet de la demande du client relève principalement ou accessoirement de la sphère privée.
Ensuite, la référence faite par les juges à la notion stricte de consommateur laisse en suspend le sort des non professionnels. Cette interrogation apparaît à chaque fois qu'une solution jurisprudentielle ou qu'un texte législatif exploite uniquement le terme de consommateur du fait de l'existence de la double catégorie privilégiée en droit français. La terminologie de non professionnel a pour origine la réglementation sur le démarchage et a été développée, à la fois, par le législateur et la jurisprudence dans l'ensemble de la matière du droit de consommation. L'intégration d'une définition légale du consommateur n'a pas remis en cause la qualification plus controversée de non professionnels. L'enjeu repose sur l'extension du droit de la consommation aux personnes morales et à certains professionnels dans une situation de faiblesse. Deux approches du non professionnel sont privilégiées par la doctrine. Pour les uns, il s'agit d'y voir deux synonymes (4), alors que pour les autres, les deux termes doivent être clairement distingués (5). Selon cette seconde analyse, le consommateur contracte pour ses besoins personnels et familiaux tandis que le non professionnel conclut un contrat dans le cadre de son activité professionnelle mais hors du champ de sa compétence. Le droit positif privilégie une distinction nette entre les deux notions comme l'attestent la teneur des textes et l'état de la jurisprudence (6). Le fait que, dans les deux arrêts étudiés, les juges ne visent que les consommateurs exclut donc du raisonnement la catégorie des non professionnels. Seul l'état de faiblesse du consommateur entendu au sens strict justifie la mise en oeuvre du dispositif protecteur dans les rapports contractuels nés entre les avocats et leurs clients.
II - Implications de l'application du droit de la consommation dans les rapports entre l'avocat et ses clients
En soumettant les rapports contractuels nés entre les avocats et leur client au droit de la consommation, les juges de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation traitent les avocats comme des professionnels ordinaires. Ils ne se dirigent donc pas vers une démarche qui consisterait à opérer une distinction en fonction de la catégorie des professionnels. Si cet argument n'apparaît pas dans les affaires étudiées, un rapprochement avec la jurisprudence dégagée par la CJUE révèle qu'il a pu être soulevé (7). Plus précisément, deux particularités attachées à la profession d'avocat ont pu être avancées pour défendre la non-application du droit de la consommation. Il s'agit, en premier lieu, du caractère public de l'activité. Sur ce point, le droit de l'Union européenne apporte une réponse nette : les activités publiques sont soumises au droit de la consommation. Il s'agit, en second lieu, des difficultés d'articulation entre le droit de la consommation et les règles de déontologie propres aux avocats, comme le secret professionnel. En effet, le contrôle judiciaire des rapports contractuels entre client et avocat est susceptible d'interférer avec l'obligation de confidentialité. Sur cet aspect, aucune réponse claire n'a été encore formulée.
La question de la coordination entre les règles du droit de la consommation et les règles relatives à la profession d'avocat se rattache à une problématique plus générale consistant à déterminer si le droit de la consommation a vocation à s'appliquer lorsque des règles particulières protectrices sont déjà prévues dans une autre branche du droit. La tendance générale qui se dégage en jurisprudence consiste à exclure dans cette hypothèse le droit de la consommation (8). Or, les règles de déontologie imposent un certain nombre d'obligations à l'encontre du professionnel qui vont déjà dans le sens d'un rééquilibrage des rapports entre l'avocat et son client. Touchant la profession d'avocat, les arrêts commentés soulèvent la question plus globale du sort réservé à d'autres professions libérales. A l'égard de certains professionnels, la préexistence de règles protectrices ou non en faveur de la partie considérée comme faible au contrat a pu être considérée comme décisive dans des solutions dégagées par des juges du fond. Ainsi, la jurisprudence a jusqu'ici refusé d'assimiler le patient à un consommateur au motif qu'il est déjà protégé par le Code de la santé publique (9).
Dans les deux arrêts commentés, les juges de la Cour de cassation s'orientent donc vers une approche unitaire de la notion de professionnels, soumis au droit de la consommation en excluant la prise en compte des spécificités de telle ou telle catégorie professionnelle. Il reste à déterminer si cette approche uniforme va également s'imposer à l'égard des règles du droit de la consommation applicables aux avocats. L'ensemble des règles du droit de la consommation est-il susceptible de leur être opposé ou une réponse différenciée doit-elle être retenue en fonction de la mesure concernée ? L'étude parallèle des solutions retenues en droit interne et en droit supra-national semble aller dans le sens d'une application globale. Ainsi, les deux arrêtés étudiés portent sur le délai de prescription de l'article L. 137-2 du Code la consommation alors que la CJUE a eu l'occasion de se prononcer concernant la Directive de 1993 sur les clauses abusives dans les contrats cadres dressés par les avocats.
Les arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 26 mars 2015 en faveur du traitement des avocats comme des professionnels soumis au droit de la consommation à l'égard de leurs clients personnes physiques agissant dans une sphère privée, dévoilent une logique convergente suivie par la jurisprudence interne et européenne.
(1) CJUE, 9ème ch., 15 janvier 2015, aff. C-537/13 (N° Lexbase : A1934M9I), JCP éd. E, note S. Moracchini-Zeidenberg.
(2) Voir supra.
(3) CA Aix en Provence, 20 mai 2014, n° 13/24877 (N° Lexbase : A5980ML3) : "L'avocat et son client ne concluent pas un contrat de fourniture de services mais une relation, hors du commerce, qui n'entre pas dans le champ du droit spécial de la protection des consommateurs".
(4) J. Calay Auloy, Les contrats d'adhésion et la protection des consommateurs, ANAJ, 1978, p. 259.
(5) G. Berlioz, Droit de la consommation et droit des contrats, JCP éd. G, 1979, I, 2954.
(6) Ex. : Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n°13-13.779, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2973MQ8) concernant l'action en suppression des clauses abusives.
(7) Voir CJUE, 15 janvier 2015, préc..
(8) Ex. : non application du principe de proportionnalité à l'aval, soumis au droit cambiaire : Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 12-25.888, F-P+B (N° Lexbase : A7415KSG).
(9) CA Paris, 21 mars 2013, Contrats, conc. consom., 2013, comm. 195.
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Réf. : Cass. com., 10 mars 2015, n° 14-11.046, F-D (N° Lexbase : A3237NDA)
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N7027BUS
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par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque à l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire"
Le 23 Avril 2015
La réception de fonds ou de titres (I) ne permet de s'en dessaisir que sur les ordres d'une personne habilitée, le titulaire du compte ou son représentant (II), le professionnel ayant la charge de la preuve de la régularité des opérations exécutées (III).
I - La réception de fonds ou de titres
La solution donnée confirme, sinon conforte, la force et la vigueur de l'obligation de restitution pour les deux sortes de comptes (A) même si la nature de la restitution diffère (B).
A - Les comptes en cause
En premier lieu, le compte de dépôt, monétaire, comporte l'obligation de restitution qui vient du dépôt du Code civil. Si l'arrêt ne mentionne pas les textes appliqués, il est d'usage de citer ceux de la convention de dépôt (2), sans se préoccuper de leur accord avec les textes spéciaux, soit ceux qui visent la profession, soit ceux qui érigent la convention spéciale de compte. Le compte de dépôt ou le compte courant bancaire procèdent en partie de la définition de l'activité professionnelle du métier de la banque et de dispositions spéciales. La loi la plus récente régie mieux les dépôts bancaires, ce qui complète la figure frustre du dépôt civil. La définition même du métier de banquier, première pierre de l'ordre public financier, institue désormais les "fonds remboursables". L'obligation de restitution se fonde ainsi autant dans la définition du métier (Code monétaire et financier) que dans les règles du dépôt intégrées à la convention-cadre de compte. L'article L. 312-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2510IXA, réd. 27 juin 2013) définit les fonds remboursables du public comme ceux recueillis d'un tiers, soit par des dépôts, soit par une autre convention. Le caractère remboursable des fonds résulte ainsi du service reconnu par la loi qui, lui-même, ne fait qu'appliquer le Règlement de l'Union européenne.
La rénovation du service bancaire européen impose l'obligation de restitution, quelle que soit la convention conclue, en qualifiant ces sommes de "fonds remboursables". L'avenir dira si cela peut faciliter la démarche de certains clients dans des cas atypiques. En théorie juridique et encore de façon prospective, les services (européens) semblent de nature à parfois dominer le contrat (français), une révolution est probablement en marche. L'obligation de restitution varie encore s'agissant des sommes reçues en contrepartie de certains titres financiers qui financent les établissements de crédit (v. C. mon. fin., art. R. 312-7 N° Lexbase : L0248IZ9 pris pour l'application de son article L. 312-2).
En outre, le compte de dépôt devient une convention spéciale (C. mon. fin., art. L. 312-1-1 N° Lexbase : L6410DIA) qui absorbe le dépôt civil depuis quinze ans. Les plaideurs pourront à l'avenir en tenir compte en visant autant le Code monétaire et financier que le Code civil. Pour l'espèce, le demandeur n'a pas su ni eu besoin, il faut en convenir, d'invoquer ces règles spéciales. Il est vrai que nombre d'entre elles sont un cadre de ce que doit contenir la convention, à côté de multiples informations, ce qui est une façon de légiférer bigarrée et tiède. Toutefois, le demandeur aura invoqué la clause de la convention qui en principe incorpore les règles de droit applicable.
En second lieu, la cliente avait également ouvert un compte de titres. Il relève d'autres règles, celles qui permettent de parler (un peu abusivement) d'un "droit des services d'investissement". Elles relèvent de l'activité de "compte-conservation d'instruments financiers" (C. mon. fin., art. L. 321-2, 1° N° Lexbase : L2181IN4). La convention suppose, cette fois, une obligation de garde/conservation des titres et, aussi, évidemment, une obligation de restitution. Elle a diverses origines, à raison soit d'une cession, sur ou hors marché, soit d'un virement de titres à soi-même (transfert sur un autre compte) ou à un tiers pour donation ou paiement ou garantie.
La Chambre criminelle avait qualifié de dépôt le placement des titres sur un compte de titres pour réprimer le détournement de titres d'abus de confiance (3). Dans une affaire récente non moins spectaculaire, au civil cette fois, l'obligation de restitution a été nettement confortée (4). Mais le client doit savoir citer les textes en cause (C. mon. fin. art. L. 211-6 N° Lexbase : L5562ICY et L. 211-7 N° Lexbase : L5520ICG) ; le cas échéant, pour comprendre les montages, admis par les régulateurs, qui permettent d'organiser entre professionnels la conservation et finalement la restitution au client (C. mon. fin., art. L. 211-8 N° Lexbase : L5628ICG). Ici encore, le Code monétaire et financier ne fait que reprendre les textes européens en cause.
B - La nature de l'obligation de restitution
Le dépôt bancaire n'entraîne pas une obligation de restitution aussi pure que celle des comptes de titres. Le teneur de compte-conservateur, selon la loi, sauvegarde les droits des titulaires des comptes sur les titres financiers qui y sont inscrits et, à la différence du dépôt monétaire, le dépositaire (professionnel) ne peut pas, en principe, utiliser ces titres pour son propre compte (C. mon. fin., art. L. 211-9 N° Lexbase : L5492ICE). Les titres étant réduits à une inscription de compte, la situation se rapproche dans les faits du dépôt monétaire où la restitution porte sur un équivalent. Mais ce n'est qu'un rapprochement de fait, l'article L. 211-9 interdisant au professionnel l'usage des titres.
L'obligation de restitution monétaire a un caractère spécial, dépendant de la nature de la monnaie et de ses qualités, et du fonctionnement du système bancaire duquel elle relève (et en vertu de textes européens impératifs). La nature de l'opération n'altère pas a priori son intérêt pour le client, bien qu'elle ne soit pas accompagnée d'une obligation de garde : le dépôt irrégulier transfère, dit-on, la propriété de la somme à l'établissement. L'établissement n'a pas à rembourser les sommes mêmes qui lui ont été remises, tous les dépôts se fondent dans son passif comptable (sa dette), tout en prenant la forme d'une solde créditeur de compte pour le client (valant monnaie). De ce fait, l'obligation de garde du Code civil n'a ni sens, ni teneur. On peut douter que le banquier soit propriétaire des sommes déposées : il n'a guère de raison de l'être et la fongibilité qui fonde la doctrine est frustre et sans texte (5). Mais, au-delà de cette discussion théorique, qui pourrait avoir tantôt son utilité, le dépôt justifie le pouvoir sur les comptes lequel appelle des ordres.
II - Les ordres des personnes habilitées
Les comptes sont modifiés par le banquier sur les seuls ordres des personnes habilitées comme le dit pertinemment la décision et d'autres (6). Le banquier n'a pas respecté la règle en raison du contexte de ces ordres (A), ce qui suggère d'en préciser les textes (B).
A - Le contexte des ordres
Dans l'affaire commentée, le non-respect de la règle a peut-être tenu aux faits d'espèce qui ont pu abuser le professionnel. La cliente était à l'étranger et les envois des relevés de compte à un proche ont pu lui laisser penser à un mandat tacite (ce qui n'a peut-être pas été plaidé). Un point semble expliquer la situation, bien que les faits soient épurés. Les deux comptes semblent avoir fonctionné l'un pour l'autre (espèces provenant de la vente de titres financiers ou utilisées pour l'achat de titres).
D'ordinaire, le banquier n'opère évidemment pas sans ordre ce qui est de principe susceptible d'engager sa responsabilité. Le banquier a-t-il pu penser avoir lié le fonctionnement des deux comptes ? Ce fait de la dépendance des deux comptes n'est guère facile, sachant qu'il est légal et obligatoire pour les PEA (idée d'enveloppe fiscale) et que la loi vise ce phénomène (C. mon. fin. art. 314-1, III, 2° N° Lexbase : L4861IER) tant les services bancaires sont imbriqués aux services d'investissement. Le résumé des faits ne permet pas d'aller au bout de l'analyse sous toutes certitudes.
En tout cas, comme le banquier pouvait recevoir des ordres sans forme pour les titres financiers, il semble qu'il ait usé (et abusé) de cette voie, y compris pour le compte de dépôt. Si tel fut le cas dans les faits, c'était une erreur en droit. Le banquier peut travailler sur des ordres dont la forme est libre pour tout compte. La plus grande des libertés réside dans l'ordre donné par téléphone, l'ordre oral, que les conventions peuvent consacrer.
L'arrêt donne encore à distinguer le régime des opérations bancaires et de celles des services d'investissement. En pure théorie, un ordre est toujours fondamentalement une instruction que le professionnel doit exécuter, réalité qui démontre l'unité du "droit bancaire et financier", portée par le Code monétaire et financier. Malgré cette unité des concepts et mécanismes (ordre, compte, virement...), d'une matière, la loi laisse varier leur régime, au gré de divers textes sur les ordres, ce que les plaideurs ne doivent pas oublier -et la présente décision n'éclaire pas cette situation-.
B - Les textes sur les ordres
Les ordres sur les comptes de titres sont peu réglementés par le Code monétaire et financier qui est toutefois bien complété par le règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L0199I7I). L'exécution sur un marché (marché réglementé ou système multilatéral de négociations) impose une convention qui doit détailler comment se donnent les ordres (RG AMF, art. 314-62). Leur traitement et exécution sont très réglementés (RG AMF, art. 314-65 et s.).
Les ordres sur les comptes de dépôt obéissent à la tradition conventionnelle et jurisprudentielle. Toutefois, la nouvelle législation sur les services de paiement a posé des règles légales, notamment pour régir les ordres de paiement des instruments de paiement (7).
L'exigence de l'ordre du client, que ce soit pour les comptes de titres ou les comptes monétaires, n'est pas idéalement formulée en principe. Mais elle tombe sous le coup de l'évidence, sous l'influence de textes plus spécifiques et détaillés et, surtout, des conventions conclues. L'évidence tient à ce que tout compte, sauf exception bien comprise (8), laisse au déposant le pouvoir de disposer des sommes ou titres déposées. Or ce pouvoir s'exerce par nature par les ordres donnés au professionnel. Ici, la décision est d'espèce, ce sont seulement en vertu des articles 1134 et 1147 du Code civil que le litige est jugé, l'article 1134 renvoyant à la convention à défaut d'invoquer une règle légale ou réglementaire plus précise.
Si le débat judiciaire peut en rester à des idées et textes généraux c'est parce que, à défaut d'un principe clairement énoncé, le régime des ordres de tout compte (de dépôt ou de titres) a une logique commune pour une même problématique. Le droit commun peut ainsi encore opérer, y compris dans des cas délicats. Ainsi, l'ordre libre donné sans écrit (courrier, télex, email, minitel, instruction à partir du site et de la page web du client...) est accepté ou toléré. Le banquier rédige les conventions dans ce sens parce qu'il sait, depuis toujours, devoir et pouvoir prouver l'instruction justifiant un mouvement de compte. Il tient compte de cette réalité théorique tout en rédigeant des conventions (clauses sur les ordres) tempérant cette liberté : le client doit en principe confirmer sans délai son ordre oral. C'est entamer la question de la preuve des ordres.
III - La preuve de la régularité des ordres exécutés
La Cour de cassation a, depuis longtemps, posé que le professionnel qui soutient être libéré d'une obligation particulière, dont il est légalement tenu, a la charge de la preuve de sa libération (9). On peut rattacher le présent arrêt à cette jurisprudence, spécialement développée en matière d'information et de mise en garde. La loi vient, du reste, de la consacrer pour toute obligation d'information due au consommateur : le professionnel supporte la charge de la preuve (C. consom., art. L. 111-4 N° Lexbase : L7668IZZ) (10). La tendance ainsi décrite érode l'idée première que celui qui invoque un droit et/ou un fait, sous-entendu au cours d'un procès, doit le prouver (comp. C. civ., art. 1315 N° Lexbase : L1426ABG). Les fondements de cette solution sont multiples (11).
Le nouveau droit des opérations et instruments de paiement, qui n'était pas applicable à l'espèce, va également dans ce sens. Le paiement fait sans autorisation valable du client doit être assumé par l'établissement qui l'a effectué, et il a la charge de prouver son autorisation (C. mon. fin., art. L. 133-22 N° Lexbase : L4767IEB). Ce texte lie étroitement l'autorisation de l'opération de paiement et la charge de sa preuve, ce que fait aussi l'arrêt commenté.
Les opérations sur un compte de titres, quant à elles, et donc les ordres, peuvent concerner une opération de marché (sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral), ou hors bourse (ordre visant à faire virer un titre vers un autre compte, le cas échéant pour un prêt ou une donation) (12). La tatillonne réglementation boursière sur les ordres postule l'exigence de l'ordre du client pour ces comptes (13) en ce sens, notamment, qu'elle complète cette exigence en imposant une obligation de meilleure exécution (pour les transactions boursières) et d'information après son exécution. La rigoureuse législation sur les ordres relatifs aux titres financiers commande ainsi encore que le professionnel en ait la charge de la preuve.
La charge de la preuve de l'existence de l'ordre est essentielle sur un plan pratique. Le banquier qui a bel et bien reçu un ordre oral mais qui n'en a pas reçu confirmation pourra difficilement prouver qu'il est libéré de son obligation de restitution et qu'il a exécuté une opération conforme à l'ordre de son client. Dans de tels cas, il invoquera parfois un document dans lequel le client prend acte de l'exécution de son ordre ; il invoquera souvent l'envoi d'un avis d'exécution et des relevés de comptes périodiques pour soutenir que le silence du client ratifie et prouve l'ordre (14). En l'espèce, les relevés n'étaient pas envoyés à la cliente, mais à son frère, sans que le professionnel puisse justifier qu'il devait en être ainsi, ce qui engageait sa responsabilité (en devant contrepasser à ses frais les opérations non autorisées), ce qui s'est en définitive produit au terme de ce contentieux, à défaut d'autres arguments (15). Le plaideur doit aujourd'hui prendre garde à vérifier les textes applicables qui ne sont pas seulement les principes du droit commun, bien que certains arrêts puissent le laisser penser.
(1) Expression bien connue qui permet de reconnaître des obligations non stipulées expressément : "Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature" (C. civ., art. 1135 N° Lexbase : L1235ABD).
(2) Cass. com., 9 février 2010, n° 09-12.853, F-D (N° Lexbase : A7858ERH), au visa des articles 1315 et, surtout, 1937 du Code civil (N° Lexbase : L2161ABN).
(3) Cass. crim., 30 mai 1996, n° 95-82.427 (N° Lexbase : A7201CLB), Bull. crim., n° 224, dans l'affaire "Tuffier", du nom de l'agent de change en cause, le juge estima qu'il y avait un dépôt pour qualifier les faits d'abus de confiance.
(4) "Le dépositaire qui a reçu pour mission d'assurer la conservation des actifs d'un organisme de placement collectif en valeurs mobilières est tenu en toutes circonstances, même s'il en a confié la sous-conservation à un tiers, d'une obligation de restitution immédiate de ces actifs en vertu de dispositions d'ordre public destinées à assurer la protection de l'épargne et le bon fonctionnement des marchés financiers. Ni un nantissement sur les actifs du fonds au bénéfice d'un tiers, ni la conclusion d'une convention de sous-conservation ne sont de nature à le dispenser de l'obligation de restitution de ces actifs" : Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-14.187, FS-P+B sur le premier moyen (N° Lexbase : A0776EXZ), Bull. civ. IV, n° 83 -rejet du pourvoi formé contre CA Paris, 1ère ch., sect. H, 8 avril 2009, n° 2008/22218 (N° Lexbase : A1799EGQ)- (et du même jour, Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-14.975, FS-P+B N° Lexbase : A0792EXM).
(5) La loi explicite les choses (Code monétaire et financier), sans évoquer la propriété de la banque, ce qui révolterait les déposants. On doit plutôt penser que le Code institue un droit d'usage du banquier qui explique à la fois que le client apparaisse comme propriétaire, mais parfois comme créancier du banquier. Ce droit d'usage porte sur l'ensemble des dépôts bancaires, droit collectif qui résulte et se délimite par la fonction monétaire du bilan des banques (les dépôts de la clientèle ne sont pas un actif de la banque, mais un élément de son passif).
(6) Cass. com., 5 décembre 2000, n° 97-19.285, publié (N° Lexbase : A1791AI8), Bull. civ. IV, n° 191 : obligation du banquier de recevoir un ordre pour "mouvementer " un livret et un compte ordinaire ; Cass. com., 2 octobre 2007, n° 05-21.421, F-D (N° Lexbase : A6519DY4).
(7) L'article L. 133-3, I, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4786IEY) définit ainsi l'opération de paiement comme une action transférant des fonds et indique que l'ordre est émis par le payeur ou le bénéficiaire (ibid., II). L'article L. 133-6 du même code (N° Lexbase : L4700IES) rappelle l'exigence d'un consentement qui peut porter sur un paiement ou une série de paiements (prélèvement permanent). Le consentement est exprimé en principe avec l'ordre de payer, mais il est désormais accepté qu'il le soit après l'exécution de cet ordre si cette (curieuse) modalité a été prévue avec le professionnel (teneur de comptes banquier ou prestataire de services de paiement). En outre, le consentement ne colle parfois pas à l'ordre, lequel peut émaner d'un tiers (par ailleurs autorisé à émettre des ordres pour se faire payer : mécanisme du prélèvement).
(8) Quand ce n'est pas le cas, la convention le stipule : tel est le cas du compte à terme qui est "bloqué" car le banquier rémunère ce dépôt spécial ou, encore, du compte nanti.
(9) Cass. civ. 1, 13 févier 1996, n° 94-11.726,publié (N° Lexbase : A9646ABU), Bull. civ. I, n° 84 (assurance) ; Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 publié (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132 ; Cass. civ. 1, 15 mai 2002, n° 99-21.521, F-P+B (N° Lexbase : A6723AYN), Bull. civ. I, n° 132 (vente) ; Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.485, FS-P+B (N° Lexbase : A8469DBB), Bull. civ. II, n° 163 (assurance).
(10) Disposition qui n'exclut pas l'information sur les opérations bancaires et boursières (interprétation a contrario de l'article L. 111-2, II (N° Lexbase : L7771IZT), qui exclut l'application de son I aux opérations du Code monétaire et financier mais non des autres articles de ce chapitre) ; toutefois, ces dispositions sont superfétatoires car la plupart des conventions bancaires et des conventions de services d'investissement exigent, selon les textes spéciaux du Code monétaire et financier.
(11) Le professionnel a une méthode qui lui permet de présenter ses diligences au juge ; le client est en peine pour prouver que le professionnel n'a pas fait ceci ou cela car c'est un fait négatif ; le client est ainsi protégé au détriment du professionnel ce qui vaut politique législative en faveur du consommateur ; le professionnel a parfois et de toute façon l'obligation de prouver que son dossier est bien tenu et qu'il a exécuté ses obligations à une autorité professionnelle, c'est particulièrement vrai pour les faits de l'espèce tant à l'égard de l'ACPR que de l'AMF : pourquoi ce qu'il doit au régulateur ne serait-il pas dû au juge ?
(12) Pour les opérations en monnaie liées à ces titres, la logique du (pur) droit bancaire joue et le professionnel ne saurait s'en défaire sans ordre. Toutefois, le compte de titres influence le compte en monnaie : un ordre d'achat de titres justifie automatiquement le débit des sommes en monnaie utile à cet ordre de bourse. La discussion ayant donné l'arrêt rapporté ne le signale pas, mais la preuve de l'ordre sur le compte de titres peut valoir preuve du débit qu'elle justifie sur le compte en espèces.
(13) Les ordres appellent du reste des précisions qui n'existent pas pour la monnaie (désignation par le code ISIN, quantité de titres et, le cas échéant, sens de l'ordre -achat/vente- quantité et prix ou limite de prix). Le banquier agit alors en qualité de prestataire de services d'investissement justiciable de l'AMF (pour l'aspect pratique : les litiges pouvant faire l'objet d'une médiation du médiateur de l'AMF).
(14) Le juge ne l'a pas accepté de façon générale car on ne peut pas prouver la ratification d'un consentement qui n'a pas existé ; le client peut donc contester des opérations du moins dans le temps conventionnel réservé à la contestation du client ou dans le temps de la prescription : Cass. com., 10 février 1998, n° 96-11.241, publié (N° Lexbase : A2618ACX), Bull. civ. IV, n° 63 (défaut de mandat et donc d'ordres réguliers). Sur les relevés de compte et ce point très précis, voyez : J. Stoufflet et autres, Travaux dirigés de droit bancaire, 2011, éd. Lexisnexis, p. 82.
(15) Le banquier aurait sinon pu reprocher à la cliente de n'avoir jamais surveillé ses comptes en ne s'étant pas même souciée de l'absence de relevés de comptes ; mais la cliente lui aurait peut-être rétorqué qu'il a procédé de la sorte dès le début et que, étrangère, elle ne savait pas (bien) lire les clauses de la convention exigeant de surveiller le compte...
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Réf. : Cass. civ. 3, 15 avril 2015, n° 14-15.976, FS-P+B (N° Lexbase : A9379NGH)
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Le 29 Avril 2015
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Réf. : Décret n° 2015-417 du 14 avril 2015, relatif au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des entreprises et de leurs établissements et au registre spécial des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (N° Lexbase : L4014I88)
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Le 23 Avril 2015
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Réf. : Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-19.855 (N° Lexbase : A3737NGI)
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N7102BUL
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
Le 25 Avril 2015
Résumé
Ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. La Cour de justice de l'Union européenne n'a pas été, jusqu'ici, amenée à préciser si les dispositions de l'article 4 § 1 de la Directive 2000/78 doivent être interprétées en ce sens que constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d'un client d'une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieur d'études, portant un foulard islamique. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer cette question à titre préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne. |
La Cour de cassation analyse la décision de l'employeur de licencier la salariée pour cause de port d'un foulard islamique non pas dans l'enceinte de l'entreprise, mais en "rendez-vous client", non pas en termes de "discrimination", mais de "différence de traitement" : mais la Cour de cassation refuse de procéder elle-même à cette analyse, et confie à la CJUE le soin de le faire (renvoi de cette question à titre préjudiciel à la CJUE).
Le débat est en réalité double : d'une part, la question est celle de son cadre juridique (la qualification de discrimination est-elle pertinente ? Ne s'agit-il pas plutôt d'une atteinte à une liberté individuelle ?) ; et, ensuite, celle de son traitement et de son analyse (qualification de discrimination ou, alternativement, celle de différence de traitement justifiée par une exigence professionnelle).
I - Le cadre juridique de la neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses
La neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses, ici envisagée, est celle qui prévaut en entreprise, et non celle dans un espace public (loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 N° Lexbase : L1365INU ; CEDH, 1er juillet 2014, req. n° 43835/11 N° Lexbase : A2696MSN) (5).
A - Qualification de discrimination
1 - Une qualification de discrimination invoquée devant les juges
Il faut relever, en premier lieu, que la salariée s'est bien située sur ce terrain de la discrimination. A l'appui de son pourvoi en cassation, la salariée a fait grief à l'arrêt rendu par la cour d'appel, de rejeter ses demandes au titre d'un licenciement nul en raison de la discrimination (CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 18 avril 2013, n° 11/05892 N° Lexbase : A2134KCZ).
Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation vise deux séries de dispositions, tirées du droit européen et du droit interne :
- la Directive 2000/78 (art. 4 § 1). L'article 4 (relatif aux exigences professionnelles) prévoit qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs (tenant à la religion ou les convictions, l'handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle) ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée ;
- les articles L. 1132-1 (discrimination) (N° Lexbase : L5203IZQ) et L. 1133-1 (différences de traitement autorisées) (N° Lexbase : L0682H97) du Code du travail tels qu'issus de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 (N° Lexbase : L8986H39). La constatation d'une discrimination (C. trav., art. L. 1132-1) est sanctionnée par la nullité (C. trav., art. L. 1132-4 N° Lexbase : L0680H93) (6).
2 - Une qualification qui prête à discussion
Dans l'affaire "Baby Loup", le procureur général (7) avait déjà critiqué la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui aurait confondu atteinte aux libertés individuelles et discrimination fondée sur un motif prohibé. En l'espèce (affaire "Baby Loup"), Mme F. a été licenciée parce qu'elle a manifesté sa religion dans l'entreprise en violation des consignes de l'employeur (atteinte aux libertés individuelles), mais pas en raison même de sa confession musulmane (discrimination). Le procureur général avait relevé, avec justesse, qu'"[...] il n'est pas soutenu ou prouvé, que d'autres salariés de confession musulmane ont été sanctionnés du fait de leur appartenance à cette religion, ni que l'interdiction de manifester sa religion ne visait, en réalité, que les salariés de cette confession, ni enfin que ces mêmes salariés auraient été traités différemment des autres dans leur emploi ou leur travail à capacité professionnelle égale du fait de leur confession".
Ces observations peuvent tout à fait être transposées dans l'affaire donnant lieu à l'arrêt rapporté.
B - Exclusion des autres qualifications
Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation vise les articles L. 1132-1 (discrimination), L. 1133-1 (différences de traitement autorisées) du Code du travail, enfin, la Directive 2000/78 ; mais la Cour ne vise ni l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4799AQS), ni l'article L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) ni, enfin, l'article L. 1321-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8833ITC).
1 - Atteinte à une liberté individuelle
La Cour de cassation, dans sa décision 9 avril 2015 (arrêt rapporté), ne vise pas l'article L. 1121-1 (droits des personnes et libertés individuelles) ou l'article 9 de la CESDH. L'atteinte aux libertés individuelles (C. trav., art. L. 1121-1 : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché") se résout en dommages et intérêts, mais n'est pas un cas de nullité. L'analyse a été menée, en ce sens, par le procureur général (voir son Avis), dans l'affaire "Baby Loup" (Ass. Plén., 25 juin 2014, n° 13-28.369, préc.).
2 - Violation du règlement intérieur
La Cour de cassation ne vise pas l'article L. 1321-3 du Code du travail (régime du règlement intérieur). L'enjeu n'est absolument pas la nature des clauses contenues dans le règlement intérieur, donc le caractère trop général et imprécis, tel qu'il a pu susciter débats et controverses (affaire "Baby Loup", réf. préc.) (8).
II - La neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses peut-elle être qualifiée d'exigence professionnelle essentielle et déterminante ?
L'argument de l'employeur, prononçant le licenciement d'une salariée, était fondé sur le non-respect de laïcité (expression entendue en son sens large, et non juridique ; par défaut et par simplicité, la formule "neutralité" convient mieux) dans ses relations avec ses clients (sur leur demande). Cet argument revient, de fait, à celui d'une "nécessité commerciale" (sic) qui s'impose aux salariés d'une entreprise de renoncer à la liberté d'exprimer ses convictions religieuses, "nécessité commerciale" dictée (imposée) par une entreprise cliente (en l'espèce, la société G.).
A - "Nécessité commerciale", imposée par un client et existence d'une discrimination
La Cour de cassation (arrêt rapporté) mentionne une affaire de déclaration formée par un employeur (belge), invoquant expressément une "nécessité commerciale" de répondre à la demande de ses clients, à l'image de l'employeur français, invoquant pareillement une "nécessité commerciale" de répondre à une demande formulée par une entreprise cliente. Cette référence faite par la Cour de cassation (arrêt rapporté) à la décision rendue par la CJCE (CJCE, 10 juillet 2008, aff. C-54/07 N° Lexbase : A5470D9H) (9), n'emporte pas vraiment la conviction.
1 - Volonté du client, une justification invoquée en droit européen
La question de la discrimination (en l'espèce, fondée sur l'appartenance à une ethnie), comme "nécessité commerciale", a été évoquée dans l'arrêt de la CJCE du 10 juillet 2008. L'organisme belge désigné afin de promouvoir l'égalité de traitement, a demandé aux juridictions du travail belges de constater que l'employeur, appliquait une politique discriminatoire à l'embauche. L'employeur avait fait une déclaration publique ouvertement raciste, en se justifiant par le fait qu'il répondait à une demande de ses clients (10).
La CJCE n'a pas analysé le contenu du discours (raciste) de l'employeur, ni apprécié la valeur des arguments avancés par l'employeur (la nécessité, appréhendée en termes commerciaux, pour un employeur, de n'avoir, parmi son personnel, que des représentants d'une certaine ethnie, à l'exclusion d'autres), mais la CJCE s'est seulement posée la question de savoir si un discours tenu par un employeur constitue un acte suffisant pour caractériser une discrimination directe, sachant que la discrimination ne repose sur aucun élément matériel (il s'agit d'une discrimination à l'embauche, la question a donc une portée probatoire). Répondant précisément à ce point, la CJCE a estimé que l'absence de plaignant identifiable permet de conclure à l'absence de toute discrimination directe au sens de la Directive 2000/43 (cons. 23) (N° Lexbase : L8030AUX) ; la déclaration de l'employeur suffit à caractériser la discrimination (cons. 25, "le fait pour un employeur de déclarer publiquement qu'il ne recrutera pas de salariés ayant une certaine origine ethnique ou raciale, ce qui est évidemment de nature à dissuader sérieusement certains candidats de déposer leur candidature et, partant, à faire obstacle à leur accès au marché du travail, constitue une discrimination directe à l'embauche").
2 - Volonté du client, une justification invoquée en droit interne
La question de la nécessité de prendre en compte la volonté du client (en l'espèce, la société G.) est mentionnée par la Cour de cassation (arrêt rapporté).
La Cour de cassation relève que la CJCE (CJCE, 10 juillet 2008, aff. C-54/07, préc.) a jugé que, le fait, pour un employeur, de déclarer publiquement qu'il ne recrutera pas de salariés ayant une certaine origine ethnique ou raciale, ce qui est de nature à dissuader sérieusement certains candidats de déposer leur candidature et à faire obstacle à leur accès au marché du travail, constitue une discrimination directe à l'embauche au sens de la Directive 2000/43.
Dans le corps même de sa décision (arrêt rapporté), la Cour précise que l'avocat général de la Cour de justice avait indiqué que "l'affirmation de M. A. selon laquelle les clients ne seraient pas favorablement disposés à l'égard d'employés d'une origine ethnique déterminée est totalement dénuée de pertinence pour la question de l'application de la Directive 2000/43. Même si cette affirmation était correcte, elle ne ferait qu'illustrer que "les marchés ne remédieront pas à la discrimination" et qu'une intervention réglementaire est essentielle. En outre, l'adoption de mesures réglementaires au niveau communautaire aide à résoudre un problème d'action collective pour les employeurs en empêchant toute distorsion de concurrence qui, précisément à cause de ce manquement du marché, pourrait se manifester au cas où différents niveaux de protection contre la discrimination existeraient au niveau national" (point 18 des conclusions).
Mais la discrimination, envisagée comme une "nécessité commerciale" (sic), est appréhendée en des termes spécifiques à l'affaire C-54/07, non transposables à l'arrêt rapporté :
- le discours à tonalité "raciste", tenu par l'employeur belge, n'est pas analysé en tant que tel par la CJCE, mais il est utilisé par la CJCE pour caractériser l'existence d'une discrimination (directe à l'embauche). Dans l'arrêt rapporté, le discours à tonalité "laïque" (refus qu'une salariée exprime ses convictions religieuses, en l'espèce musulmanes, à partir d'arguments commerciaux, sur le fondement d'une demande formulée par un client) n'a pas cette dimension, puisque ce discours de l'employeur n'a pas vocation à être appréhendé pour caractériser l'existence d'une discrimination, mais pour justifier de l'inexistence d'une discrimination, car la qualification exacte serait la différence de traitement, au sens de l'article 4 § 1 de la Directive 2000/78 (notion d'exigence professionnelle) (infra) ;
- l'enjeu, pour la CJCE, était de savoir si la discrimination existe du seul fait du discours de l'employeur. La question se posait du fait de l'impossibilité d'identifier un plaignant soutenant qu'il aurait été victime d'une telle discrimination. Dans l'arrêt rapporté, cette question ne se pose pas car la situation est totalement différente, puisqu'il existe bien une victime se plaignant du comportement discriminatoire de l'employeur.
Au final, le discours utilitariste invoqué par l'employeur belge (aff. C-54/07) n'est pas transposable ni exploitable. L'argument tiré d'une demande formulée par le client n'a pas été examiné, en tant que tel, par la CJCE (aff. C-54/07) ; la CJCE s'est simplement souciée de caractériser la discrimination, alors qu'il est demandé à la Cour de cassation (arrêt rapporté) de qualifier une différence de traitement, au sens de l'article 4 § 1 de la Directive 2000/78, qualification opérée sur la seule base et le seul fondement d'une demande d'un client.
B - "Nécessité commerciale" de neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses et différence de traitement autorisée
A titre liminaire, il faut relever que :
- la Directive 2000/78 ne propose pas de définition de l'"exigence professionnelle" (art. 4 § 1). La différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à la religion (ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle) ne constitue pas une discrimination en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, dans la mesure où la caractéristique en cause (la religion ou les convictions, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle) constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence soit proportionnée ;
- la Directive 2000/78 admet également la justification de différences de traitement qui seraient fondées sur l'âge (art. 6, "Justification des différences de traitement fondées sur l'âge") (11).
Trois éléments sont donc mis en avant : une exigence professionnelle essentielle et déterminante, un objectif légitime, et, enfin, une exigence proportionnée. Ces trois éléments conditionnent la qualification de "différence de traitement", au sens de la Directive 2000/78.
1 - Une exigence professionnelle
La jurisprudence de la CJCE/CJUE est plutôt rare, et permet assez difficilement de mieux saisir ce qui rentre dans la catégorie des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice.
- Age et condition physique : Dans l'affaire "Wolf" (CJUE, 12 janvier 2010, aff. C-229/08 N° Lexbase : A2385EQE), la question portait sur l'accès au métier de pompier. La candidature de M. W. a été refusée en raison du fait qu'il dépassait la limite d'âge de 30 ans. La CJUE a admis que le litige mettait en avant une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour l'activité de pompier ou pour son exercice. En effet, les activités du service technique intermédiaire des pompiers sont caractérisées par leur caractère physique. Le fait de disposer de capacités physiques particulièrement importantes peut être considéré comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l'art. 4 § 1 de la Directive 2000/78, pour l'exercice de la profession de pompier du service technique intermédiaire (cons. 40). L'avocat général avait conclu dans le même sens (12).
- Convictions religieuses : La Directive 2000/78 a fixé un cadre spécifique pour les organismes religieux (art. 4 § 2 et non art. 4 § 1). La proposition initiale concernait les "organisations publiques ou privées fondées sur la religion ou les convictions". Mais les Quinze ont finalement retenu une notion élargie, visant les organismes dont "l'éthique" est fondée sur la religion ou les convictions. Ce cadre spécifique s'adresse aux Etats (essentiellement, l'Allemagne et l'Irlande) dans lesquels existe une législation ou une pratique nationale établissant, pour les activités professionnelles qui ont directement et essentiellement trait à la religion ou aux convictions, la possibilité de différences de traitement fondées sur cette religion ou ces convictions.
L'article 4 § 2 de la Directive 2000/78 prévoit un mécanisme désigné sous l'appellation d'entreprise de conviction en droit interne : dans le cas des activités professionnelles d'églises et d'autres organisations publiques ou privées dont l'éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d'une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l'éthique de l'organisation. Cette différence de traitement doit s'exercer dans le respect des dispositions et principes constitutionnels des Etats membres, ainsi que des principes généraux du droit communautaire, et ne saurait justifier une discrimination fondée sur un autre motif.
A travers ces deux exemples (la capacité physique, pour le pompier, ou la foi, pour les salariés d'une entreprise de conviction), se dessine un profil relativement précis (mais insuffisamment) (13) de l'exigence professionnelle. Dans certaines situations, les convictions religieuses, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle peuvent être contractualisés dans le contrat de travail, et être intégrés dans le profil de poste, en tant qu'exigence professionnelle. En l'espèce, admettre la neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses au rang des exigences professionnelles pose difficulté. Une telle neutralité, analysée comme une exigence professionnelle, rappelle le débat porté devant la Cour de cassation dans l'affaire "Baby Loup". Cet argument, avancé par l'employeur sous un aspect proche, celui d'entreprise de conviction, n'avait pas prospéré. La Cour avait relevé que l'association "Baby Loup" avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'oeuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes, sans distinction d'opinion politique et confessionnelle.
2 - Un objectif légitime
Dans l'affaire "Wolf" (supra), la CJCE a relevé que la condition physique répond bien à une exigence professionnelle et repose sur un objectif légitime. Le dix-huitième considérant de la Directive 2000/78 précise que celle-ci "ne saurait avoir pour effet d'astreindre les forces armées ainsi que les services de police, pénitentiaires ou de secours à embaucher ou à maintenir dans leur emploi des personnes ne possédant pas les capacités requises pour remplir l'ensemble des fonctions qu'elles peuvent être appelées à exercer au regard de l'objectif légitime de maintenir le caractère opérationnel de ces services". A ce titre, l'objectif est réputé légitime.
En l'espèce, la question de l'objectif légitime poursuivi par un employeur, au titre d'une neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses, appréhendée en tant qu'exigence professionnelle, pose difficulté. La Directive 2000/78 ne donne aucune indication sur ce que recouvre le terme "objectif légitime" ; les propositions avancées par la Directive 2000/78 portent sur "objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle", au titre des différences de traitement fondées sur l'âge (art. 6), thème distinct de la différence fondée sur l'appartenance religieuse (au sens de l'art. 4 § 1).
L'objectif légitime dont l'employeur pourrait se prévaloir ne se rattache pas à une catégorie juridique connue et identifiable :
- la référence à la neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses ne peut être avancée, faute d'être érigée au rang de "principe" ;
- pas plus, par transposition, les objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle (Directive 2000/78, art. 6, a priori non applicable ici). On voit mal en quoi la neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses pourrait se rattacher à un objectif légitime de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle.
- ou enfin, un objectif légitime de protection de la santé et de la sécurité en milieu hospitalier (CEDH, 15 janvier 2013, req. n° 59842/10 N° Lexbase : A9855NG4).
3 - Une exigence proportionnée
Le contrôle de proportionnalité renvoie à la question de savoir si la mesure est nécessaire pour atteindre l'objectif légitime.
La CJCE (affaire "Wolf") a admis que la condition physique est bien une exigence professionnelle présentant un caractère proportionné, car elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que les pompiers du service technique intermédiaire puissent remplir correctement les missions qui sont les plus exigeantes physiquement pendant une durée suffisamment longue (14).
La CJCE (CJUE, 13 septembre 2011, aff. C-447/09 N° Lexbase : A7249HXR) (15) a estimé que le fait de posséder des capacités physiques particulières peut être considéré comme une "exigence professionnelle essentielle et déterminante" (au sens de l'article 4 § 1 de la Directive 2000/78) pour l'exercice de cette profession, et la possession de telles capacités est liée à l'âge. Mais, en fixant la limite à 60 ans, l'accord collectif impose une exigence disproportionnée, au sens de l'article 4 § 1 de la Directive 2000/78.
La neutralité dans l'expression de ses convictions religieuses ne passe pas le test du contrôle de proportionnalité, puisqu'en amont, l'objectif légitime n'a pas pu être identifié.
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L'arrêt rapporté appelle plusieurs observations conclusives :
- l'argument de l'employeur, fondé sur l'exigence d'une neutralité dans l'expression des convictions religieuses imposée par une entreprise cliente, n'est pas très convaincant, en ce sens qu'il est réversible. Comment un employeur doit réagir, si, dans un contexte d'exportation, il est amené à vendre des produits ou services auprès de clients dont la culture est fortement influencée par son environnement religieux (religion musulmane, pour des clients du Moyen-Orient ; religion juive, pour des clients localisés en Israël ; religion bouddhiste, pour des clients localisés au Japon, en Asie,...) ? On voit bien la limite au raisonnement avancé par l'employeur, puisque dans certaines hypothèses, la situation inversée pourrait se rencontrer (intérêt que le/la salarié/e exprime ses convictions religieuses, notamment sur un plan vestimentaire, en raison de l'appartenance supposée du client à cette religion) ;
- la neutralité dans l'expression des convictions religieuses résiste mal à l'analyse de l'exigence professionnelle, sauf à considérer qu'une entreprise puisse se prévaloir du statut d'entreprise de conviction (par exemple, un organe de presse, un syndicat, un parti politique, une association), prônant explicitement la laïcité. En l'espèce, le label "entreprise de conviction" peut difficilement être attribué à l'entreprise en question (la société M., société de conseil, d'ingénierie et de formation spécialisée dans le développement et l'intégration de solutions décisionnelles) ;
- l'exigence professionnelle pertinente, en l'espèce, n'a pas trait aux tenues vestimentaires de la salariée, mais à sa compétence technique, en sa qualité d'ingénieur d'études. Or, il apparaît que l'employeur était tout à fait satisfait des prestations de l'intéressée ("nous regrettons cette situation dans la mesure où vos compétences professionnelles et votre potentiel nous laissaient espérer une collaboration durable").
(1) Nos obs., Convictions religieuses du salarié vs Pouvoir de direction de l'employeur : un arbitrage de la CEDH nuancé, Lexbase Hebdo n° 515 du 7 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5652BTI).
(2) Nos obs., Affaire "Baby-Loup" : entre souplesse et fermeté, Lexbase Hebdo n° 577 du 3 juillet 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2936BUB) et les réf. citées.
(3) Entretien avec J.-G. Huglo, Conseiller à la Cour de cassation, LSQ, n° 16813 du 13 avril 2015 ; JCP éd. A, n° 16, 16 avril 2015, act. 332 ; JCP éd. S, n° 15, 15 avril 2015, act. 171.
(4) V. not. LSE, n° 19 du 8 novembre 2000.
(5) F. Dieu, Le droit de dévisager et l'obligation d'être dévisageable, pour "vivre ensemble", JCP éd. A, n° 7, 16 février 2015, 2056.
(6) J.-C. Marin, Avis , p. 11.
(7) J.-C. Marin, Avis, préc., p. 13-14.
(8) Spéc., entretien avec J.-G. Huglo, Conseiller à la Cour de cassation (préc.), qui marque bien la différence entre l'arrêt rapporté et l'affaire "Baby Loup".
(9) J. Cavallini, Une déclaration publique d'un employeur peut constituer en elle-même une discrimination fondée sur la race ou l'ethnie, JCP éd. S, 2008, n° 1520, p. 25-26 ; L. Driguez, Lutte contre les discriminations à l'embauche fondées sur la race ou l'origine ethnique, Europe, 2008, octobre 2008, comm. n° 321, p. 27-28 ; H. Tissandier, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2008, p. 885-887 ; Nos obs., Une histoire belge, ou comment la CJCE sanctionne un employeur ouvertement raciste, Lexbase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7122BGU).
(10) "Je dois répondre aux exigences de mes clients. Si vous me dites je veux tel produit ou je veux ceci ou cela', et que je vous dis je ne le fais pas, je fais venir ces gens', vous me répondrez je ne veux pas de votre porte'. J'en viendrais à mettre la clé sous la porte. Nous devons répondre aux exigences des clients. Ce n'est pas mon affaire. Ce n'est pas moi qui ai créé ce problème en Belgique. Je veux faire tourner ma société et qu'à la fin de l'année, le chiffre d'affaires soit atteint et comment j'y parviens... Je dois l'obtenir en me conformant aux désirs du client !".
(11) LSE, n° 19 du 8 novembre 2000. Le contentieux de la discrimination fondé sur l'âge est particulièrement abondant. V. not. nos obs., Comment la CJUE caractérise une discrimination fondée sur l'âge et apprécie la justification d'une différence de traitement, Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N4314BQT) et les réf. citées.
(12) Conclusions de l'avocat général Y. Bot, 3 septembre 2009, point 37 : "la nature de plusieurs des domaines d'activités dans lesquels les pompiers du service technique intermédiaire sont amenés à intervenir ainsi que les conditions d'exercice de leurs missions principales exigent des capacités physiques particulièrement élevées. Dans la mesure où ces capacités physiques sont naturellement amenées à diminuer avec l'âge, celui-ci constitue, à notre avis, une caractéristique qui est consubstantielle au bon exercice des activités de cette profession qui sont les plus exigeantes physiquement. Dès lors, une limite d'âge de 30 ans peut, selon nous, être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante afin de garantir le caractère opérationnel du service technique intermédiaire des pompiers".
(13) Not., S. Hénion, M. Le Barbier-Le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF, 2ème éd., n° 361, p. 368-369.
(14) Conclusions de l'avocat général Y. Bot, présentées le 3 septembre 2009, Point 38.
(15) LSE, n° 286 du 6 octobre 2011.
Décision
Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-19.855 (N° Lexbase : A3737NGI). Textes concernés : C. trav., art. L. 1132-1 (N° Lexbase : L5203IZQ) et L. 1133-1 (N° Lexbase : L0682H97) ; Directive 2000/78, art. 4 §1 ; art. 2 § 1 et 2 (N° Lexbase : L3822AU4) Mots-clés : discrimination ; expression conviction religieuse ; "foulard islamique" ; licenciement ; justification ; employeur ; désir du client ; différence de traitement autorisée ; conditions. Lien base : (N° Lexbase : E9166ESB) |
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Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 15 avril 2015, n° 369339, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9508NGA)
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Le 25 Avril 2015
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 17 avril 2015, n° 372195, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9571NGL)
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Le 24 Avril 2015
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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 23 Avril 2015
A l'occasion d'un arrêt du 25 février 2015, le Conseil d'Etat annule l'arrêt de la cour administrative de Nancy qui avait jugé illégal l'arrêté du préfet du Jura du 8 septembre 2010 déclarant d'utilité publique un projet de réhabilitation d'immeubles déclarés en état d'abandon manifeste dans une commune et déclarant cessibles les propriétés nécessaires à la réalisation de cette opération (1).
Il est utile de rappeler qu'en application de l'article L. 2243-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2087G98) : "Lorsque, dans une commune, des immeubles, parties d'immeubles, voies privées assorties d'une servitude de passage public, installations et terrains sans occupant à titre habituel ne sont manifestement plus entretenus, le maire, à la demande du conseil municipal, engage la procédure de déclaration de la parcelle concernée en état d'abandon manifeste". La procédure se décompose alors en deux séquences. Tout d'abord, l'article L. 2243-2 (N° Lexbase : L9079IZB) précise que le maire constate, par procès-verbal provisoire, l'abandon manifeste de la parcelle, tout en indiquant la nature des travaux indispensables pour faire cesser l'état d'abandon. Ce procès-verbal est ensuite affiché pendant trois mois à la mairie et sur les lieux concernés. Il fait l'objet d'une insertion dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département. En outre, il est notifié aux propriétaires, aux titulaires de droits réels et aux autres intéressés. Ensuite, l'article L. 2243-3 (N° Lexbase : L9078IZA) prévoit que si les mesures requises ne sont pas prises à l'issue d'un délai de six mois à compter de l'exécution des mesures de publicité et des notifications, le maire constate par un procès-verbal définitif l'état d'abandon manifeste de la parcelle. Il saisit alors le conseil municipal qui décide s'il y a lieu de déclarer la parcelle en état d'abandon manifeste et d'en poursuivre l'expropriation au profit de la commune, pour une destination qu'il détermine, étant précisé que cette destination doit être définie de façon suffisamment précise (2).
Il faut relever ici que le procès-verbal définitif, comme le procès-verbal provisoire, constituent des actes préparatoires à la décision éventuelle du conseil municipal de déclarer la parcelle en l'état d'abandon manifeste et de procéder à son expropriation (3). Ils ne peuvent donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, mais les illégalités les entachant peuvent être invoquées à l'appui du recours dirigé contre la décision de déclaration d'abandon manifeste. Par ailleurs, même s'il s'agit de procédures relevant d'autorités distinctes, la déclaration de parcelle en état d'abandon manifeste et la déclaration d'utilité publique constituent une opération complexe. L'illégalité de la première décision peut donc être invoquée à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre la seconde.
C'est cette procédure qui a conduit dans la présente affaire à l'arrêté préfectoral dont la légalité est contestée par un propriétaire indivis du terrain d'assiette du projet. Le litige porte ici exclusivement sur la reconnaissance de l'utilité publique de l'opération projetée qui consistait, précisément, à créer dans une commune rurale quatre logements et un commerce de proximité-restaurant ainsi que seize places de parking. La cour administrative d'appel de Nancy avait considéré que l'intérêt de cette opération, à le supposer établi, ne pouvait, à lui seul, lui conférer un caractère d'utilité publique, eu égard à son coût financier excessif au regard des possibilités financières de la commune. Elle a donc prononcé l'annulation de la déclaration d'utilité publique, en application de la théorie du bilan qui implique "qu'une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente" (4).
La cour avait relevé que le coût du projet s'élevait à 684 200 euros, dont 20 % étaient couverts par des subventions de l'Etat et du département du Jura. Or, il n'était pas démontré que la commune, qui est un village rural comptant 235 habitants dont le taux d'endettement est inconnu, puisse financer le solde de cette somme par autofinancement et par recours à l'endettement. Dans le cadre de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, le commissaire enquêteur avait d'ailleurs émis de sérieux doutes sur le caractère soutenable du montage financier très sommaire retenu par la commune. Ainsi, pour la cour, "l'intérêt de l'opération déclarée d'utilité publique [...] à le supposer établi, ne pouvait, à lui seul, lui conférer un caractère d'utilité publique, eu égard à son coût financier excessif au regard des possibilités financières de la commune" (5).
On sait pourtant que si l'apparition de la théorie du bilan paraît avantageuse pour les requérants, elle aboutit assez peu fréquemment, dans la pratique, à des annulations. Par ailleurs, si les contours de la notion d'utilité publique ont été principalement définis par la jurisprudence, il existe des cas où le législateur est intervenu en prévoyant expressément des hypothèses précises dans lesquelles les pouvoirs publics ont la possibilité de recourir à l'expropriation : pour la prévention des risques naturels majeurs prévisibles (6), pour la suppression de l'habitat insalubre, mais également pour la constatation de l'état d'abandon manifeste d'une parcelle.
Il est probable que le fait que le législateur a prévu la possibilité pour les pouvoirs publics de recourir à l'expropriation pour la suppression de l'habitat insalubre favorise la reconnaissance de l'utilité publique des opérations qui poursuivent cet objet. C'est certainement pour cette raison que le Conseil d'Etat ne se réfère pas expressément à la théorie du bilan pour apprécier la légalité de la déclaration d'utilité publique contestée. Les juges relèvent d'abord que l'opération mise en oeuvre "poursuit [...] un but d'utilité collective". Par ailleurs, ils estiment que le coût de l'opération est modéré "et ce alors même que le plan de financement présenté ne serait pas complètement stabilisé à ce stade de la procédure d'utilité publique". Enfin, ils considèrent que "le dossier soumis aux juges du fond ne fait apparaître aucune difficulté financière particulière de la commune". L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy est donc cassé pour erreur de qualification juridique des faits. Toutefois, plutôt que de régler lui-même l'affaire au fond, le Conseil d'Etat choisit de la renvoyer à la cour.
A l'occasion de sa décision du 13 février 2015, rendue dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel met certainement un point final aux nombreux questionnements qui ont été suscités par l'article L. 15-2 du Code de l'expropriation. C'est en effet la deuxième décision rendue par le Conseil constitutionnel concernant ces dispositions. Une première déclaration d'inconstitutionnalité était intervenue le 6 avril 2012 (7). Elle avait conduit à la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013, portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports (N° Lexbase : L8932IWQ), qui a modifié les articles L. 15-1 (N° Lexbase : L9123IWS) et L. 15-2 du Code de l'expropriation. La conformité de ces textes à la Constitution a de nouveau été contestée, ce qui a conduit la Cour de cassation à transmettre une nouvelle QPC au Conseil constitutionnel (8).
Dans sa rédaction originelle, issue du décret n° 77-392 du 28 mars 1977, l'article L. 15-1 (N° Lexbase : L2960HL9) précisait que "dans le délai d'un mois, soit du paiement ou de la consignation de l'indemnité, soit de l'acceptation ou de la validation de l'offre d'un local de remplacement, les détenteurs sont tenus d'abandonner les lieux". L'article L. 15-2 N° Lexbase : L2961HLA, sur lequel se concentre l'essentiel des difficultés, prévoyait quant à lui que "l'expropriant peut prendre possession, moyennant versement d'une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l'indemnité fixée par le juge".
Dans leur rédaction originelle, ces dispositions posaient une difficulté au regard de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1364A9E), dont il résulte que "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité". Plus précisément, il s'agissait de déterminer si la possibilité ouverte à l'expropriant de consigner l'indemnité répondait à l'exigence constitutionnelle d'une "juste et préalable indemnité".
La question n'était pas inédite puisqu'elle s'était déjà posée dans le cadre de certaines procédures dérogatoires du droit commun qui autorisent le recours à la consignation. Le Conseil constitutionnel avait ainsi déjà eu l'occasion de juger, dans sa décision "Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles" du 25 juillet 1989 (9), que dans le cadre du dispositif organisé par l'article L. 15-9 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L7735IMG), qui organise une procédure d'extrême urgence permettant une prise de possession rapide, "l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due n'est pas incompatible avec le respect (des exigences constitutionnelles) si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général et est assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés", ce qui est le cas pour cette procédure. Le même raisonnement a ensuite été appliqué par une décision du 17 septembre 2010 (10) concernant le régime spécial d'expropriation pour la résorption de l'habitat insalubre qui prévoit également l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due.
Toutefois, il s'agissait ici de procédures dérogatoires du droit commun qui n'avaient vocation à s'appliquer que dans des hypothèses exceptionnelles. Or, comme l'a précisé le Conseil constitutionnel, "si le législateur peut déterminer les circonstances particulières dans lesquelles la consignation vaut paiement au regard des exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, ces exigences doivent en principe conduire au versement de l'indemnité au jour de la dépossession". Il en résultait que les dispositions de l'article L. 15-1 relatives à la consignation de l'indemnité étaient contraires à l'exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité. Les juges critiquaient surtout les dispositions de l'article L. 15-2 qui prévoyaient, en cas d'appel contre l'ordonnance fixant l'indemnité, que "quelles que soient les circonstances", l'expropriant peut prendre possession des biens expropriés "moyennant le versement d'une indemnité égale aux propositions qu'il a faites et inférieure à celle fixée par le juge de première instance et consignation du surplus". S'il peut être admis, dans des hypothèses précisément circonscrites, que la consignation de l'indemnité autorise la prise de possession, la généralité du principe défini par les articles L. 15-1 et L. 15-2 a conduit le Conseil constitutionnel à conclure à leur inconstitutionnalité au regard du principe selon lequel les personnes expropriées ont le droit à une "juste et préalable indemnité".
Conformément aux dispositions de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93), les juges ont décidé, eu égard aux conséquences manifestement excessives qu'aurait une abrogation immédiate des dispositions susvisées, de reporter au 1er juillet 2013 la date de cette abrogation. Finalement, la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 est intervenue en vue de modifier les articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation (11). L'article L. 15-1 n'avait toutefois fait l'objet d'aucune modification de fond, le législateur se bornant à préciser, confirmant l'état du droit antérieur, les deux cas dans lesquels l'expropriant est autorisé à prendre possession du bien contre consignation : en cas d'obstacles au paiement et lorsque l'exproprié refuse de recevoir l'indemnité fixée à son profit, ce qui renvoie aux dispositions de l'article R. 13-65 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3198HLZ) (12). En revanche, l'article 15-2 a été profondément remanié dans le sens où il limite les possibilités de prise de possession anticipée en cas d'appel aux seules hypothèses où "il existe des indices sérieux laissant présumer qu'en cas d'infirmation, l'expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution".
De prime abord, cette réécriture des textes pouvait paraître conforme à la décision du Conseil constitutionnel du 6 avril 2012. Elle présentait toutefois de sérieuses lacunes, ce qui a conduit la Cour de cassation à transmettre une nouvelle QPC au Conseil constitutionnel. D'une part, en effet, la loi n'organise aucune procédure devant être utilisée par l'expropriant pour être autorisé à consigner l'indemnité, puisque l'article L. 15-2 se borne à préciser que "celui-ci peut être autorisé par le juge à consigner tout ou partie du montant de l'indemnité supérieur à ce que l'expropriant avait proposé". D'autre part elle ne définit pas ce que sont les "indices sérieux" qui permettront à l'expropriant de prendre possession des biens de façon anticipée contre consignation de l'indemnité.
En dépit de ces griefs, le Conseil constitutionnel a considéré que l'article L. 15-2 du Code de l'expropriation, dans sa rédaction issue de la loi du 28 mai 2013, était conforme à l'article 17 de la Déclaration de 1789. Il a considéré, en effet, que le législateur avait précisément défini les circonstances dans lesquelles la consignation vaut paiement, cette possibilité étant subordonnée à une autorisation du juge.
Toutefois, le Conseil constitutionnel définit une réserve d'interprétation, au regard non plus de l'exigence d'une indemnité "préalable", mais au regard de l'exigence d'une juste "indemnisation". Comme a déjà eu l'occasion de le juger le Conseil constitutionnel, "pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation" (13). L'objet ainsi recherché est de permettre à la personne évincée de faire l'acquisition d'un bien équivalent. Or, puisqu'en cas de consignation l'indemnité n'est pas perçue dans son intégralité au jour de la perte de possession, le propriétaire exproprié peut subir un préjudice résultant de l'impossibilité, faute d'avoir perçu une indemnité intégrale, de faire l'acquisition d'un bien équivalent. Cette solution est d'ailleurs retenue par les articles L. 521-5 (N° Lexbase : L8055I44) et L. 522-4 (N° Lexbase : L8062I4D) du Code de l'expropriation qui prévoient, dans le cadre de la procédure d'extrême urgence, l'octroi d'une "indemnité spéciale aux personnes intéressées qui justifient d'un préjudice causé par la rapidité de la procédure". Il en résulte, pour le Conseil constitutionnel, que, "lorsque l'indemnité définitivement fixée excède la fraction de l'indemnité fixée par le juge de première instance qui a été versée à l'exproprié lors de la prise de possession du bien, l'exproprié doit pouvoir obtenir la réparation du préjudice résultant de l'absence de perception de l'intégralité de l'indemnité d'expropriation lors de la prise de possession".
A l'occasion de l'arrêt n° 382502 du 27 février 2015, le Conseil d'Etat décide que la violation des règles de procédure relatives aux enquêtes publiques régies par le Code de l'environnement n'entraîne pas nécessairement l'annulation de la déclaration d'utilité publique. Cette décision se situe dans le droit fil de la jurisprudence "Danthony" (14), qui a profondément modifié le régime juridique des vices de procédure. L'arrêt "Danthony" a en effet abandonné la distinction qui était auparavant opérée entre les vices de procédure substantiels, qui sont systématiquement sanctionnés, et les vices de procédure non substantiels qui ne le sont jamais. Désormais, "si les actes administratifs doivent être pris selon des formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie". Ce texte conduit donc le juge à avoir une démarche très concrète qui le conduit à évaluer quelle est l'influence de la règle violée sur la décision qui a été prise. En d'autres termes, comme l'a relevé le Conseil d'Etat dans son rapport annuel de 2011, cette évolution "place le juge en arbitre subjectif des intentions plutôt qu'en marqueur des irrégularités" (15).
Cette logique s'applique dans de nombreux domaines, notamment en matière de procédure de révision du plan local d'urbanisme (16), ou encore dans le cadre des autorisations d'exploiter une installation classée (17). Elle s'applique surtout, ce qui nous intéresse ici plus directement, aux formalités de publicité encadrant l'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.
Dans son arrêt "Commune de Noisy-le-Grand" du 3 juin 2013 (18), le Conseil d'Etat avait ainsi considéré que le non-respect d'une règle de procédure de l'enquête publique relevant du Code de l'expropriation ne devait pas nécessairement entraîner l'annulation de la déclaration d'utilité publique. En l'espèce, il était reproché au préfet d'avoir procédé au rappel de la publicité de l'avis d'ouverture de l'enquête publique dans un seul journal régional ou local, alors que ce sont deux publications qui sont requises par l'article R. 11-4 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3018HLD). Toutefois, la méconnaissance de ces dispositions n'est de nature à entraîner l'illégalité de la déclaration d'utilité publique "que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative".
C'est cette logique qui est transposée dans la présente affaire aux enquêtes publiques organisées en application des dispositions du Code de l'environnement. Rappelons ici que sont concernés, au titre de l'article L. 122-1, I du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8199I4G), les "projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact". L'article L. 122-1 renvoie lui-même aux articles R. 122-1 (N° Lexbase : L5491IRS) et suivants qui définissent ces projets. Ainsi, par exemple, ce sont les dispositions du Code de l'environnement, et non celles du Code de l'expropriation, qui régissent l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique pour les projets de construction de ponts d'une longueur d'au moins 100 mètres ou encore pour les routes d'une longueur égale ou supérieure à trois kilomètres.
Plus précisément ce sont trois enquêtes publiques relatives à différents travaux devant permettre d'assurer la desserte du futur grand stade de l'agglomération lyonnaise qui sont ici en cause. Dans la présente affaire, le préfet avait omis d'indiquer dans les arrêtés annonçant l'ouverture des enquêtes publiques la présence dans le dossier de l'étude d'impact dont le projet avait été l'objet, comme l'exige l'article R. 123-13 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L0748ISI) (19). La même omission entachait également les avis au public relatifs à ces enquêtes visés par les articles R. 123-14 (N° Lexbase : L0747ISH) et suivants (20).
La cour administrative d'appel de Lyon, faisant application de la jurisprudence "Commune de Noisy-le-Grand", avait estimé que ces omissions avaient été de nature à nuire à l'information des personnes intéressées par le projet et justifiait l'annulation des arrêtés portant déclaration d'utilité publique. Cette analyse n'est toutefois par partagée par le Conseil d'Etat qui relève d'abord que l'étude d'impact qui est qualifiée de "particulièrement volumineuse", figurait dans le dossier d'enquête et avait pu être consultée par le public lors des permanences de la commission d'enquête. Par ailleurs, les juges relèvent le nombre d'observations recueillies au cours de l'enquête, ainsi que le fait que le programme du Grand Stade avait été largement couvert par les médias et que le dossier de permis de construire le stade avait lui-même été soumis à enquête publique avec mention de l'existence de l'étude d'impact. Enfin, les juges relèvent que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement avait émis un avis sur l'étude d'impact disponible par voie électronique. En conséquence, le Conseil d'Etat annule l'arrêt attaqué pour erreur de droit, la violation des règles de procédure susvisées n'étant pas, en l'absence d'autres circonstances, de nature à faire obstacle, faute d'information suffisante, à la participation effective du public à l'enquête ou à exercer une influence sur les résultats de l'enquête.
(1) CAA Nancy, 1ère ch., 19 décembre 2013, n°13NC00302 (N° Lexbase : A7046MLK).
(2) CAA Douai, 1ère ch., 11 décembre 2013, n° 13DA00030 (N° Lexbase : A1598MPU).
(3) CE 4° et 5° s-s-r., 18 février 2009, n° 301466, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2533ED8), BJCL, 2009, p.333, concl. C. De Salins et obs. B.P ; CAA Versailles, 2ème ch., 11 avril 2013, n° 11VE00659 (N° Lexbase : A8573MQL).
(4) CE Ass., 28 mai 1971, n° 78825, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9136B8U), p. 409, concl. G. Braibant, D. 1972, jurispr. p. 194, note J. Lemasurier, RDP, 1972, p. 454, note M. Waline, AJDA, 1971, p. 404, chron. D. Labetoulle et Cabanes, concl. G. Braibant, Rev. adm. 1971, p. 422, concl. G. Braibant, JCP 1971, II, 16873, note Homont, CJEG, 1972, p. 35, note Virole.
(5) Voir, en revanche, admettant l'utilité publique d'un projet de création d'un aménagement paysager d'un montant légèrement supérieur à 86 000 euros dans une commune rurale, CAA Nancy, 1ère ch., 2 avril 2009, n° 08NC00276 (N° Lexbase : A2087EGE).
(6) C. env., art. L. 561-1 (N° Lexbase : L8171I4E) à L. 565-2.
(7) Cons. const., décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012 (N° Lexbase : A1495II9).
(8) Cass. QPC, 18 décembre 2014, n° 14-40.046, FS-P+B (N° Lexbase : A2681M8S).
(9) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM).
(10) Cons. const., décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010 (N° Lexbase : A4758E94).
(11) Depuis l'entrée en vigueur au 1er janvier 2015 de l'ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014, relative à la partie législative du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L7867I47), ces dispositions figurent aux articles L. 331-2 (N° Lexbase : L8011I4H) et L. 331-3 (N° Lexbase : L8012I4I).
(12) Dispositions actuellement codifiées à l'article R. 323-8 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L2186I74).
(13) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM), Rec., p. 53 ; Cons. const., décision n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011 (N° Lexbase : A1520GQD), AJDA, 2011, p. 134, p. 447, obs. S. Brondel et R. Hostiou, JCP éd. A, 2011, act. 79, Dr. adm., 2011, comm. 32, Constr.-Urb., 2011, comm. 37, note X. Couton.
(14) CE, Ass., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9048H8M), p. 649, JCP éd. A, 2012, 2089, note C. Broyelle, JCP éd. G, 2012, 558, note D. Connil, Dr. adm., 2012, comm. 22, note F. Melleray, AJDA, 2012, p. 195, chron. X. Domino et A. Bretonneau, RFDA, 2012, p. 284, concl. G. Dumourtier et note P. Cassia.
(15) EDCE, 2011, p.126.
(16) CE 1° et 6° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 350380, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0041KKQ), AJDA, 2013, p. 1548 et 2326, note J.-B. Sibileau, Constr.urb., 2013, comm. 130, note L. Santoni.
(17) CE 1° et 6° s-s-r., 25 septembre 2013, n° 359756, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9657KLA), Environnement et dév. durable, 2013, comm. 82, note D. Gillig.
(18) CE 1° et 6° s-s-r., 3 juin 2013, n° 345174, mentionné aux tables du recueil Lebon ([LXB=A3359KGI)]), AJDA, 2014, p. 515, note N. Ach, BJCL, n° 12, 2014, p. 796, concl. M. Vialettes, JCP éd. A, 2013, act. 521, obs. L. Erstein, RD imm., 2013, p. 349 et 423, note R. Hostiou, Dr. rur. 2013, comm. 206, note P. Tifine.
(19) Ces dispositions sont aujourd'hui codifiées à l'article R. 123-9 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L0752ISN).
(20) Il s'agit de l'actuel article R. 123-11 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L0750ISL).
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Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-25.283, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9402NGC)
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N7096BUD
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Le 25 Avril 2015
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Réf. : Cass. crim., 14 avril 2015, trois arrêts, n° 14-85.334 (N° Lexbase : A5646NG9), n° 14-85.335 (N° Lexbase : A5647NGA), et n° 14-85.333, FS-P+B (N° Lexbase : A5645NG8)
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N7013BUB
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Le 01 Mai 2015
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2015, n° 373269, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9521NGQ)
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N7047BUK
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Le 28 Avril 2015
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N7028BUT
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Le 23 Avril 2015
Accueil à partir de 8h30
Conférence de 9h00 à 13h00
- Brevetabilité (conditions formelles et recours ; domaine et conditions de fond) ;
- Titularité des inventions ;
- Portée des droits ;
- Exploitation des droits ;
- Défense des droits ;
- Actualité de la future juridiction européenne.
Jean-Christophe Galloux, Coprésident de l'IRPI, Professeur à l'Université Panthéon-Assas Paris II
Bertrand Warusfel, Professeur à l'Université de Lille 2, Avocat
Mardi 2 juin 2015
9h00-13h00
CCI Paris Ile-de-France
2 place de la Bourse 75002 Paris - salle Haussmann
400 euros (non assujettis à la TVA)
Ce prix comprend en outre le dernier numéro de la revue Propriétés intellectuelles (valeur 130 euros TTC) et l'envoi de l'ensemble des décisions commentées par mail
Tél : 01.49.23.58.80
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Programme et inscription : site internet de l'IRPI
Heures validées au titre de la formation des avocats
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Réf. : T. confl., 13 avril 2015, n° 3988 (N° Lexbase : A9546NGN)
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N7058BUX
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Le 30 Avril 2015
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Réf. : Cass. civ. 1, 1er avril 2015, n° 14-14.349, F-P+B (N° Lexbase : A1036NGH)
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N7020BUK
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par Jean-Baptiste Donnier, Agrégé des facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille
Le 23 Avril 2015
La Cour de cassation reprend ici, en substance, la formulation de son arrêt du 25 septembre 2013 en précisant, toutefois, qu'il appartient aux juges du fond de déterminer la portée de la clause litigieuse et, surtout, en faisant application de cette solution à une clause rédigée dans des termes beaucoup moins précis que celle ayant donné lieu à l'arrêt de 2013. En affirmant de la sorte, d'une part, qu'il appartient aux juges du fond de déterminer la portée de la clause de contribution aux charges du mariage insérée dans un contrat de séparation de biens, la Cour de cassation précise le régime de la présomption (I) instituée par cette clause. En admettant, d'autre part, que cette présomption "interdisait de prouver que l'un ou l'autre des conjoints ne s'était pas acquitté de son obligation", l'arrêt du 1er avril 2015 prend position sur le caractère de la présomption (II).
I - Le régime de la présomption
La présomption de contribution "au jour le jour" par chacun des époux aux charges du mariage découle de la clause insérée à cet effet dans leur contrat de mariage. C'est donc une présomption de l'homme, au sens de l'article 1353 du Code civil (N° Lexbase : L1017ABB), et non une présomption légale. Dès lors, l'appréciation de la portée de la présomption relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, à qui il appartient d'interpréter la volonté des parties. Dans la mesure où la présomption découle de cette volonté (puisqu'elle ne résulte pas de la loi mais du contrat de mariage), il est naturel que les juges du fond soient souverains pour en déterminer la portée. C'est ce qu'énonce l'arrêt du 1er avril 2015, qui consacre le pouvoir souverain des juges du fond pour déterminer la portée de la présomption en recherchant la volonté des parties.
Cette solution, qui reprend celle déjà retenue dans l'arrêt du 25 septembre 2013, s'écarte, en revanche, heureusement de la position qu'avait adoptée la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2010 (3) qui avait admis, de manière générale, que si, par l'effet de la clause insérée dans leur contrat de mariage, chacun des époux était réputé avoir contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés, la preuve contraire était néanmoins toujours possible, indépendamment de la portée que les parties avaient entendu donner à la clause de leur contrat. Cette position, qui ne tirait pas les conséquences nécessaires de la nature de la présomption, est manifestement abandonnée ; on ne peut que s'en réjouir car elle aboutissait à "des appréciations casuistiques, subjectives et imprévisibles" favorisant "le développement du contentieux" (4). A l'opposé, l'arrêt du 1er avril 2015, en permettant aux époux de conférer un caractère irréfragable à la présomption de contribution aux charges du mariage, leur permet par là même de prévenir un tel contentieux.
II -Le caractère de la présomption
Contrairement à la position qu'elle avait adoptée en 2010, qui faisait de la présomption de contribution aux charges du mariage découlant de la convention des époux une présomption simple, la Cour de cassation admet désormais que, si telle est la volonté des parties souverainement interprétée par les juges du fond, la présomption résultant du contrat de mariage peut se voir reconnaître un caractère irréfragable et interdire "de prouver que l'un ou l'autre des conjoints ne s'était pas acquitté de son obligation" (5).
La signification du revirement ainsi confirmé par rapport à l'arrêt du 3 mars 2010 mérite d'être précisée. Les termes de l'arrêt pourraient, en effet, laisser penser que, selon la volonté des parties, la présomption prévue par le contrat de mariage pourrait être qualifiée de simple ou d'irréfragable. Mais, en réalité, la volonté des parties apparaît davantage comme le fondement du caractère, de fait, irréfragable de la présomption. Déjà, les commentateurs de l'arrêt du 25 septembre 2013 ne s'y étaient pas trompés : "bien que se retranchant derrière la souveraine appréciation des juges du fond", la Cour de cassation "soutient le caractère irréfragable de la présomption de contribution" (6). Cela est encore plus vrai dans l'arrêt du 1er avril 2015 car la clause du contrat de mariage était apparemment rédigée, dans cette espèce, dans des termes qui auraient pu justifier de n'y voir qu'une présomption simple. En effet, dans l'arrêt du 25 septembre 2013, la Cour de cassation, s'appuyant sur les constatations des juges du fond, relève que "les époux étaient convenus [...] qu'ils contribueraient aux charges du mariage dans la proportion de leurs facultés respectives et que chacun d'eux serait réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive en sorte [...] qu'ils n'auraient pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature". En revanche, dans l'arrêt du 1er avril 2015, il n'est fait mention que d'une clause se contentant d'affirmer que chacun des époux "serait réputé s'être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage", sans préciser que cette présomption interdisait tout recours entre époux. Or, comme cela avait été justement relevé à propos de l'arrêt du 25 septembre 2013, la seule mention que chacun des époux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, si elle impose un renversement de la charge de la preuve, n'interdit nullement de combattre la présomption par la preuve contraire (7). C'est uniquement l'ajout, à la fin de la clause, que les époux n'auraient pas de recours l'un contre l'autre qui empêche la preuve contraire et confère un caractère irréfragable à la présomption. Or, dans l'arrêt du 1er avril 2015, la Cour de cassation admet ce caractère irréfragable alors même que la clause du contrat de mariage n'exclut pas expressément tout recours entre époux. Il semble donc que la seule mention, dans le contrat de mariage, d'une clause aux termes de laquelle chaque époux est réputé avoir contribué au jour le jour aux charges du mariage, suffise désormais à conférer un caractère irréfragable à la présomption.
Cette position mérite d'être approuvée car si les époux se sont accordés pour réputer remplie leur obligation respective de contribuer aux charges du mariage, ils ont, par là même, renoncé par anticipation à toute preuve contraire. Certes, en fondant le caractère irréfragable de la présomption tirée des termes du contrat de mariage sur la volonté commune des parties, la Cour de cassation n'exclut pas absolument la possibilité pour les juges du fond d'interpréter la volonté des époux dans le sens d'une présomption simple mais, en pratique, une telle interprétation paraît difficile sans dénaturer les termes du contrat (8). On peut espérer que cela empêchera la prolifération d'un contentieux inutile, tout en préservant l'entière liberté des époux dans la rédaction de leur contrat de mariage. Cette jurisprudence doit, en effet, inciter les futurs époux à user de cette liberté en indiquant clairement, dans leur contrat de mariage, la portée qu'ils entendent donner à la présomption de contribution aux charges du mariage (9).
(1) Arrêt commenté in Defrénois, 15 avril 2015, p. 367, note G. Champenois et N. Couzigou-Suhas.
(2) Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-21.892, F-P+B (N° Lexbase : A9497KLC), D., 2013, 2682, note A. Molière ; RJPF, 2013, 12, note J. Vassaux ; Droit de la famille, 2014, comm. 38, note B. Beignier.
(3) Cass. civ. 1, 3 mars 2010, n° 09-11.005, F-P+B (N° Lexbase : A6550ESE), AJ. Famille, 2010, 188, note F. Chénedé ; RTDciv., 2010, 305, obs. J. Hauser et 363, obs. B. Vareille ; Defrénois, 2010, p. 1336, note D. Autem ; D., 2011, 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau.
(4) J. Vassaux, op. cit..
(5) L'arrêt du 1er avril 2015 renoue ainsi avec la solution retenue dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 1er octobre 1996 (Cass. civ. 1, 1 octobre 1996, n° 94-19625 N° Lexbase : A8638ABK).
(6) J. Vassaux, op. cit. ; dans le même sens, A. Molière, op. cit., D., 2013, p. 2683.
(7) A. Molière, op. cit., p. 2683.
(8) En ce sens, A. Molière, op. cit., p. 2684.
(9) V., en ce sens, les clauses proposées par G. Champenois et N. Couzigou-Suhas, op. cit., Defrénois, 15 avril 2015, p. 367.
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Réf. : Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-27.211, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9279NGR)
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N7097BUE
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Le 24 Avril 2015
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2015, n° 377093, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9178NCW)
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N7056BUU
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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section
Le 23 Avril 2015
Les mêmes requérants avaient demandé la suspension de cette note au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA (N° Lexbase : L3057ALS). Celui-ci a rejeté leur demande pour défaut d'urgence (CE référé, 18 avril 2014, n° 377094, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5567MKE).
A leur recours pour excès de pouvoir, le ministre chargé du Budget et le Garde des Sceaux opposent, en défense, une fin de non-recevoir tirée de ce que la note attaquée ne comporterait aucune disposition impérative à caractère général. Ils se prévalent naturellement d'une jurisprudence du Conseil d'Etat de 2002 (CE section, 18 décembre 2002, n° 233618, publié au recueil Lebon, p. 463 N° Lexbase : A9733A7M). Selon le Rapporteur public, cette fin de non-recevoir n'est pas fondée. Mais quoiqu'il en soit, si les Hauts magistrats suivent cet avis pour rejeter le recours, il n'aura pas à y répondre.
La note attaquée indique que les collaborateurs du service de la justice "sont en principe assujettis à la TVA, sauf cas d'exonération". Parmi ces collaborateurs, on trouve notamment les experts, les contrôleurs judiciaires, les médiateurs, les administrateurs ad hoc, les enquêteurs sociaux et bien sûr les interprètes-traducteurs. La note, après avoir averti qu'elle "fait état du droit applicable au 1er juin 2013" et attiré l'attention sur les modifications à intervenir à compter du 1er janvier 2014, comprend trois parties, dont seule la première est intéressante en l'espèce. C'est celle qui expose la situation des collaborateurs du service de la justice au regard du champ d'application de la TVA. Après avoir mentionné les articles 256 (N° Lexbase : L0374IWR) et 256 A (N° Lexbase : L3557IAY) du CGI, la note précise que ces collaborateurs "ne sont pas considérés comme intervenant dans des conditions caractéristiques d'un lien de subordination mais de manière indépendante au sens de l'article 256 A du CGI. Ils sont par conséquent assujettis à la TVA pour leur activité de prestataire de service". La fiche récapitule ensuite les exonérations applicables, dont aucune n'intéresse les interprètes-traducteurs.
A l'appui de leur recours, les requérants soutiennent que les interprètes-traducteurs intervenant comme collaborateurs du service de la justice n'exercent pas, à ce titre, une activité indépendante au sens de l'article 256 A du CGI. En affirmant le contraire, les auteurs de la note litigieuse auraient à la fois ajouté à la loi, ce qu'ils n'avaient pas compétence pour faire, et méconnu celle-ci. Les requérants font également valoir que cette note viole l'autorité de la chose jugée.
Il faut écarter immédiatement ce dernier moyen. Les requérants se prévalent de deux décisions de justice. D'une part, un jugement du 4 avril 2001 du tribunal des affaires de Sécurité sociale de Paris (TASS Paris, 3ème sect., 4 avril 2001, n° 15.796/00) jugeant qu'un interprète-traducteur exerçant sa mission à la demande d'autorités publiques dépendant des ministères de la Justice ou de l'Intérieur était "dans un lien de subordination évident à l'égard de ces dernières". D'autre part, un arrêt du 4 avril 2005 de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 4 avril 2005, n° 01PA03820 N° Lexbase : A1144DI9) (1) jugeant, pour l'application de l'article 256 A du CGI, qu'une interprète-traductrice "ne pouvait être regardée comme ayant agi, dans l'exercice de ses fonctions de collaborateur du service public de la justice, à titre indépendant". Au-delà des cas particuliers qu'elles tranchent, ces décisions ne lient pas l'administration, et les juges suprêmes ne sont naturellement pas plus lié par elles.
La double critique d'incompétence et d'erreur de droit au regard de l'article 256 A du CGI est plus intéressante.
L'article 256 A du CGI exclut explicitement du champ des assujettis à la TVA "les salariés et les autres personnes qui sont liés par un contrat de travail ou par tout autre rapport juridique créant des liens de subordination en ce qui concerne les conditions de travail, les modalités de rémunération et la responsabilité de l'employeur".
Pour apprécier l'existence d'un lien de subordination caractérisant une activité salariée, notamment en matière de TVA, le Conseil d'Etat a adopté en tant que juge fiscal la même approche que celle du juge judiciaire pour l'application du droit du travail et de la Sécurité sociale (par exemple : CE 9° et 10° s-s-r., 18 janvier 2008, n° 303824, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1137D4U, RJF, 4/2008, n° 418, concl. P. Collin, BDCF, 4/2008, n° 52 ; CE 9° et 10° s-s-r., 20 décembre 2011, n° 322295, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8094H8B, RJF, 3/2012, n° 237, concl. P. Collin, BDCF, 3/2012, n° 33). Sans s'arrêter aux termes des conventions conclues le cas échéant entre les parties, il convient alors d'examiner les conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité (étant entendu que la notion de subordination est relative, l'autorité de l'employeur pouvant être plus ou moins affirmée selon les professions ou les situations). A cette fin, il faut recourir à la méthode du faisceau d'indices, lesquels sont, pour reprendre l'analyse de la jurisprudence du Conseil d'Etat que faisait Pierre Collin dans ses conclusions sur l'affaire précitée du 18 janvier 2008, principalement de trois ordres :
- il y a, d'abord, les conditions matérielles dans lesquelles le travail est exécuté. L'existence d'obligations précises quant au lieu, aux horaires et aux méthodes de travail, la mise à disposition de l'outil de travail, l'intégration à un service organisé vont dans le sens de l'existence d'une relation salariée ;
- il y a, ensuite, la nature des relations entre les parties. Un pouvoir de contrôle sur l'organisation et l'exécution du travail, un pouvoir disciplinaire vont là aussi dans le sens de l'existence d'un lien de subordination ;
- il y a, enfin, le mode de rémunération. Vont dans le sens du salariat la garantie d'une rémunération minimale, celle d'une rémunération forfaitaire sans rapport avec le volume des prestations fournies, un mode de rémunération imposé par l'établissement au sein duquel l'activité s'exerce et, de manière plus générale, le constat que le prestataire ne subit aucun des risques liés à son activité et, notamment, qu'il ne supporte pas les pertes éventuelles.
C'est ainsi, par exemple, que la Cour de cassation a reconnu l'existence d'un lien de subordination, et donc d'une relation salariale, à propos d'instructeurs occasionnels chargés par une fédération des centres de vacances de l'encadrement des stagiaires préparant le diplôme d'Etat de moniteur dès lors, d'une part, qu'ils se voient imposer les directives de la fédération, responsable des stages qu'elle organise, qu'ils sont soumis à un contrôle permanent, sont tenus de se conformer au plan de stage et doivent rendre compte de leur activité en sorte qu'ils restent, malgré une certaine liberté qui leur est reconnue quant au choix des méthodes, sous la dépendance de la fédération (Cass. soc., 14 février 1980, n° 78-14.961 N° Lexbase : A3988CH8, Bull. civ. V, n° 150).
En revanche, le Conseil d'Etat a refusé de reconnaître le statut de salarié aux arbitres de football dès lors qu'ils interviennent sur sollicitation de la Fédération française de football sans obligation d'y déférer, qu'ils disposent d'une totale indépendance dans l'exercice de leur mission et que le pouvoir disciplinaire que la Fédération exerce à leur égard au même titre qu'à l'égard de tous ses licenciés, dans le cadre des prérogatives de puissance publique qui lui sont déléguées, n'est pas assimilable à celui dont dispose un employeur sur son personnel (arrêt du 18 janvier 2008 précité). Même solution pour les enquêteurs assermentés en matière d'accident du travail, à propos desquels les Hauts magistrats ont relevé que les contraintes législatives et réglementaires auxquels ils sont soumis, notamment le respect de délais et de tarifs fixés par l'autorité publique, n'attestent pas d'un lien de subordination mais assurent au contraire leur indépendance à l'égard des organismes de sécurité sociale (CE Section, 14 novembre 1984, n° 37779, inédit au Recueil Lebon N° Lexbase : A7801ALI, RJF, 1/1985, n° 87). Quant à la Cour de cassation, elle a refusé de reconnaître l'existence d'un lien de subordination dans le cas d'interprètes venant occasionnellement exercer leur activité lors de conférences-colloques organisées pour le personnel d'une société, dès lors qu'ils n'ont reçu aucune directive mais seulement des explications sur le fonctionnement du matériel mis à leur disposition pour une traduction simultanée (Cass. soc., 14 janvier 1982, n° 80-13.037 N° Lexbase : A3868CHQ, Bull. civ. V, n° 24).
Mais aucun de ces précédents ne prend position sur le cas des traducteurs-interprètes agissant en tant que collaborateurs du service public de la justice. Il faut donc examiner concrètement les modalités de leur activité, au regard des trois principaux groupes d'indices que la jurisprudence du Conseil d'Etat et celle de la Cour de cassation regardent comme pertinents.
Il faudra s'attacher plus particulièrement au cas des interprètes. Les traducteurs disposent en effet d'une autonomie d'organisation intrinsèquement supérieure et, dès lors que les interprètes collaborateurs de la justice ne sont pas soumis à un lien de subordination, il semble que cette conclusion vaut aussi, a fortiori, pour les traducteurs.
S'agissant des conditions dans lesquelles le travail est exécuté (premier groupe d'indices pertinents), les requérants font valoir que leur activité s'exerce dans le cadre d'un service organisé et, matériellement, qu'elle s'accomplit dans les locaux de l'administration, avec les moyens de celle-ci, et selon les horaires qu'elle fixe. Cela semble incontestable. Toutefois, ces caractéristiques paraissent en réalité inhérentes à l'activité exercée elle-même : l'interprète qui assure une traduction orale, que ce soit pour des entreprises ou pour des autorités publiques, le fait toujours dans le cadre extrêmement contraint des échanges qu'il traduit, selon les horaires et les modalités imposés par ces échanges et dans d'autres locaux que les siens, sans que pour autant, de manière générale, cela soit l'indice d'un lien de subordination.
Les requérants insistent néanmoins sur une spécificité, tenant au fait que leur activité est accomplie sous le régime de la réquisition, et qu'il leur est donc impossible de refuser les missions confiées. Cette présentation paraît excessive : certes (et à la différence des experts judiciaires), le Code de procédure pénale prévoit que l'interprète est "requis ou désigné" (C pr. pén., art. D. 594-11 N° Lexbase : L4537IYP). Toutefois, d'une part, l'interprète est choisi par priorité sur une liste d'experts judiciaires, l'inscription sur cette liste supposant une candidature de la part de l'interprète (2). D'autre part, la seule sanction encourue est celle prévue à l'article R. 642-1 du Code pénal (N° Lexbase : L0869ABS), punissant de l'amende prévue pour les contraventions de deuxième classe le refus de répondre à une réquisition "sans motif légitime". Enfin, il semble exact de souligner, comme le fait le ministre des Finances en défense, que l'existence d'un tel régime de réquisition serait inutile si vraiment les interprètes étaient placés à l'égard du service public de la justice dans une position de subordination caractéristique du salariat.
S'agissant de la nature des relations avec le service public de la justice (deuxième groupe d'indices pertinents), là encore, les apparences sont à première vue trompeuses. L'administration paraît contrôler directement l'organisation et l'exécution du travail, qui se fait aux côtés et sous l'autorité immédiate des officiers de police judiciaire ou des magistrats. Et la différence semble réelle si l'on compare l'activité des interprètes à celle d'autres collaborateurs de la justice, comme les experts ou les avocats. Mais là aussi, cet assujettissement aux échanges traduits n'est pas l'indice d'un lien de subordination. C'est tout simplement le propre de toute activité de traduction. L'indépendance des interprètes collaborateurs de la justice est bien réelle mais difficilement saisissable pour l'observateur extérieur qui ne maîtrise pas le même art. Car cette indépendance est purement intellectuelle et réside dans le choix des mots. Dans ce choix, l'interprète ne saurait être contraint par des directives émanant des enquêteurs ou des juges en présence desquels se fait l'échange, ni leur rendre des comptes. Il prête d'ailleurs serment "d'apporter son concours à la justice en son honneur et en sa conscience" (3).
De même, le fait que l'interprète ne choisit pas la personne qu'il assiste ne paraît pas déterminant : si un tel élément a pu être relevé comme indice de subordination pour les médecins ou les enseignants, il perd beaucoup de sa pertinence pour l'activité de traduction, qui se fait toujours en présence de deux locuteurs dont l'un n'est pas le client de l'interprète.
Enfin, le ministre des Finances souligne à raison que l'administration ne dispose pas de pouvoir de sanction sur les interprètes-traducteurs. La faculté pour l'administration de ne plus recourir aux services d'un interprète si elle n'en est pas satisfaite, n'est pas un pouvoir de sanction mais une caractéristique ordinaire du lien avec un prestataire de services. Quant à la sanction prévue par le Code pénal en cas de refus de déférer à un ordre de réquisition sans motif légitime, qui a été mentionnée tout à l'heure, elle relève d'une nécessité d'ordre public et non d'une logique hiérarchique.
Bref, au-delà des particularités tenant à la nature même de l'activité de traduction, il n'est pas identifié, chez les interprètes collaborateurs de la justice, de situation de dépendance juridique et administrative.
Enfin, s'agissant des modalités de la rémunération (dernier groupe d'indices pertinents), elles sont prévues par le Code de procédure pénale. La rémunération des interprètes-traducteurs est fixée forfaitairement par ses dispositions (C. pr. pén., art. R. 122 N° Lexbase : L4304IBZ). Comme il a été dit, une rémunération forfaitaire peut constituer l'indice d'un lien de subordination. Toutefois, il n'est jamais suffisant (par exemple : CJCE, 26 mars 1987, aff. C-235/85 N° Lexbase : A8003AUX, point 14, au sujet de notaires et huissiers de justice). Et au contraire, l'existence d'un tarif réglementé peut être regardée comme une garantie d'indépendance allant à rebours du lien de subordination (voir l'arrêt du 14 novembre 1984, précité).
Surtout, les interprètes-traducteurs demeurent soumis à un risque économique caractéristique de travailleurs exerçant à leur compte. Ce risque est constitué dès lors que, si le tarif de chaque vacation est fixé forfaitairement par le Code de procédure pénale, l'administration ne garantit aux interprètes-traducteurs auxquels elle a recours aucun volume d'activité minimal (ni, bien sûr, aucun revenu minimal). Il n'est pas exclu, certes, que certains traducteurs-interprètes réalisent la quasi-totalité de leur chiffre d'affaires en tant que collaborateurs du service public de la justice. Mais la dépendance économique n'est plus retenue comme un critère déterminant du lien de subordination par la jurisprudence judiciaire en raison de son caractère trop général et imprécis. Il a ainsi été jugé que le fait de travailler pour une seule entreprise n'implique pas nécessairement, à lui seul, l'existence d'un lien de subordination (par exemple : Cass. soc., 22 février 1971, n° 69-13.819 N° Lexbase : A5083CI4, Bull. civ. V, n° 153).
Au final, au-delà des contraintes d'organisation inhérentes à l'activité d'interprète et de la soumission aux exigences du Code de procédure pénale, il semble que les interprètes-traducteurs collaborateurs du service public de la justice conservent leur indépendance dans l'exercice de leur mission, demeurent libres, en pratique, de travailler ou non pour l'administration et assument totalement le risque économique de leur activité. Dans ces conditions, leur relation avec le service public de la justice demeure celle d'un prestataire de services à l'égard d'un client, et non celle d'un salarié avec son employeur.
La position exprimée dans la note attaquée paraît donc fondée au regard des caractéristiques générales de l'activité d'interprète-traducteur du service public de la justice. Certes, il ne peut être exclu que l'administration déroge à ces caractéristiques générales en instituant, avec certains d'entre eux, un lien de subordination au sens de l'article 256 A du CGI (par exemple en contractualisant une relation qui leur garantit un certain niveau d'activité et requiert en retour une assurance de disponibilité). Mais, d'une part, les requérants ne se prévalent pas d'une telle situation, et, d'autre part, la circulaire attaquée ne paraît pas exclure, dans un tel cas, d'en tirer les conséquences.
Par ces motifs, il convient de conclure au rejet de la requête.
(1) Il n'a pas fait l'objet de pourvoi en cassation.
(2) Voir la loi n° 71-498 du 29 juin 1971, relative aux experts judiciaires (N° Lexbase : L3155AIP).
(3) Voir, pour les experts inscrits sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par le bureau de la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel, les dispositions des articles 2 et 6 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 ; pour ceux inscrits sur la liste prévue par l'article R. 111-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1478HWN), les dispositions de l'article R. 111-12 de ce code (N° Lexbase : L1489HW3) ; pour les autres, voir les dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article D. 594-11 du Code de procédure pénale.
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