La lettre juridique n°609 du 16 avril 2015

La lettre juridique - Édition n°609

Éditorial

Le Serment : attention bien précieux !

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N6902BU8

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 16 Avril 2015


Le "Serment du Management" : voilà donc la dernière idée de l'IAE d'Aix-Marseille proposée à ses étudiants en fin de cursus, sur la base d'un texte initialement écrit par un ancien élève d'Harvard. Ce "Serment du Management" est, aujourd'hui signé, par les diplômés d'une quarantaine d'universités anglo-saxonnes prestigieuses (HBS, Duke, McGill, MIT, LBS...), précise l'article d'Aude Bariéty dans le Figaro du 8 avril dernier. Enfin, "un serment ferait de meilleurs managers, et la société en bénéficierait également", relève Emmanuelle Reynaud, Professeur et Directrice du département Stratégie de l'IAE, qui mène le projet.

Assurément, l'initiative surfe sur un éventuel engouement, voire besoin, de responsabilité sociale au sein de l'entreprise (RSE) et, plus généralement, sur la "quête de sens" poursuivie désormais par la majorité des employés, cadres bien entendu compris. En période de crise persistante, comment redonner du sens au travail pour qu'il redevienne ce qu'il devrait être : un vecteur d'épanouissement ? Cette "quête de sens" constitue une tendance forte que Dominique Méda, sociologue, a bien identifiée : "En Europe, il existe un nouveau rapport au travail, particulièrement marqué chez les jeunes : des attentes extrêmement fortes en matière d'investissement subjectif au travail. Il faut que le travail ait du sens", retranscrit un récent article de RSE Magazine. Pour que le collaborateur puisse trouver du sens à son travail, il doit donc avant tout se reconnaître dans le projet de l'entreprise et, plus profondément, dans son identité. C'est indispensable pour qu'il parvienne à se sentir utile et que le fruit de son effort lui procure une satisfaction réelle.

Tout est dit : c'est cette identité que ce "Serment du Management" compte donner, ou rendre -c'est selon-, aux cadres en charge de conduire et développer nos entreprises. "Ce serment va construire une sorte de contrat social implicite entre les managers et la société. D'un côté, les managers vont s'engager à être honnêtes, et d'un autre côté, la société leur fera confiance". En résumé, soutient Emmanuelle Reynaud, l'objectif est de "moraliser les affaires".

Alors malheureusement, la présentation est fallacieuse ; et par conséquent, elle risque d'induire les esprits en erreur. Une erreur même fondamentale puisqu'elle est de nature et de portée, lorsque l'on tente de hisser ce "Serment du Management" au rang, principalement, de celui des avocats ; ce serment jalousé par nombre de professions, le plus souvent non réglementées, qui confère un grand pouvoir de dire et de faire sur la base de la confiance de la société et des citoyens, et qui oblige conséquemment l'assermenté à une vertu professionnelle quotidienne.

"La tyrannie commence avec la fraude des mots" prévenait Platon. Or, l'on n'acquiert pas le sens d'une vie professionnelle du fait d'avoir prêté serment. Le serment est, en fait, l'aboutissement de ces vies professionnelles conjuguées à travers les âges, au sein d'un corps constitué, la Profession d'avocat, envers lequel les futures générations d'avocats témoignent leur reconnaissance et s'engagent, finalement, à s'inscrire dans une histoire vertueuse. C'est cette histoire vertueuse qui manque cruellement au monde de l'entreprise, parce que l'entreprise n'est pas la Société ; l'entreprise n'est pas l'Etat de droit, elle en est simplement le sujet.

Louis Assier-Andrieux, dans son remarquable essai sur Les avocats Identité, culture et devenir, pose parfaitement que "la déontologie, le serment qui consacre l'engagement de la respecter sans faillir, et le rigoureux contrôle de son effectivité par les conseils de disciplines [-les managers assermentés seront-ils jugés par leurs pairs ?-], sont autant de visages des valeurs attachées à la profession et qu'elle offre en partage au public qui en retour lui octroie sa confiance. En tant que symbole, ce capital témoigne du lien fort qui associe l'avocat au corps social tout entier dans cet échange, garanti par la culture, qui anticipe et conditionne toute relation de clientèle. Il y a une communauté de valeur entre l'avocat et la société". C'est la foi publique qui fait de l'avocat un auxiliaire de justice.

"Vous êtes placés, pour le bien du public, entre le tumulte des passions humaines et le trône de la justice ; vous portez à ses pieds les voeux et les prières des peuples ; c'est par vous qu'ils reçoivent ses décisions et ses oracles ; vous êtes également redevables et aux juges et aux parties, et ce double engagement et le double principe de toutes vos obligations [...]. Tel est le pouvoir de la vertu". Voilà, en peu de mots, le rôle bien singulier de l'avocat et son indépendance inhérente décrits par le Chancelier d'Aguesseau dans L'indépendance de l'avocat. C'est là même le rejet du commerce et l'apparition de l'intérêt et de son antonyme le désintéressement...

Et au sein de l'entreprise ? Comparaison peut-elle être raison ?

Voici les termes du "Serment du Management" consensuel mais litigieux :

"En tant que manager, j'ai un rôle dans la société.

Mon objectif est de diriger les hommes et de gérer les ressources afin de créer une valeur qu'aucun individu ne peut créer seul.

Mes décisions affectent le bien-être présent et à venir des individus à l'intérieur et à l'extérieur de mon entreprise.

Par conséquent, je promets que :

Je gérerai mon entreprise avec loyauté et prévenance et je ne privilégierai pas mes intérêts personnels au détriment de ceux de mon entreprise ou de la société,

Je respecterai et ferai respecter les lois et les contrats (non seulement à la lettre mais dans l'esprit) à titre personnel et pour le compte de mon entreprise,

Je m'abstiendrai de toute corruption, concurrence déloyale et autres pratiques préjudiciables à la société,

Je protégerai les droits de l'Homme et la dignité humaine de toutes les personnes touchées par mon entreprise, je m'opposerai à la discrimination et à l'exploitation,

Je protégerai le droit des générations futures d'améliorer leur niveau de vie et de profiter d'une planète saine,

J'informerai de la performance et des risques de mon entreprise avec précision et honnêteté,

J'aurai à coeur de me perfectionner et de faire progresser mes collaborateurs, pour aider la profession à s'améliorer et à créer de la richesse durable pour tous.

En exerçant les devoirs de ma profession en accord avec ces principes, je reconnais que mon comportement doit servir d'exemple d'intégrité, suscitant la confiance et l'estime de ceux que je sers. Je rendrai des comptes à mes pairs et à la société de mes actions et de l'application de ces principes.

Je fais ce serment librement et sur mon honneur".

Le serment reprend les canons et les obligations de la RSE à tout crin, mais le principal bénéficiaire n'est pas l'Etat de droit et encore moins le public justiciable ; mais l'entreprise elle-même. "Un cercle vertueux : motivation et enthousiasme entraînent la performance économique. Epanouir le capital humain entraîne une performance économique durable" livre en toute honnêteté Delphine Dupuis, DRH de la filiale française de Pepsico. Où est le bien commun ? Où est la défense des Libertés vecteur de la Démocratie ? Où est l'indépendance ? Qui sera chargé de sanctionner les manquements au serment ? Sinon "les serments les plus forts ne sont que de la paille dans le brasier des sens" prédit Shakespeare dans La Tempête. Ce serment sera-t-il opposable et pourra-t-il servir de fondement à un licenciement en cas de transgression ?

On ne peut nier qu'un retour à plus de spiritualité au sein de l'entreprise, un retour au sens de la marche et de la conduite des actions managériales serait un anti-stress puissant pour revitaliser la vie professionnelle de tous les employés. Mais à l'heure où certaines professions, comme celle des avocats, luttent pour leur identité sur le front de l'indépendance, du service au justiciable, de la défense des plus faibles, de la modernisation conjuguée à la conservation du rapport de confiance inhérent à leur relation avec leur clientèle, calquer un "Serment du Management" sur l'idée du serment de l'avocat, comme celui du médecin du reste, c'est indéniablement travestir la réalité économique de l'entreprise qui est tout simplement qu'elle peine, à force de désincarnation, à créer un rapport de confiance réciproque avec ses managers qui sont tentés, faute de sens et de vertu professionnels, d'aller voir ailleurs. Le "Serment du Management", c'est la promesse d'un engagement du manager pour susciter la confiance de son employeur ainsi plus rassuré sur la continuité et la pertinence de son investissement ; mais quel est le serment en retour de l'entreprise au juste ?

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Agent immobilier

[Brèves] Loi "Hoguet" : l'agent immobilier peut détenir un mandat du vendeur et un mandat de l'acquéreur pour une même opération

Réf. : Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-13.501, F-P+B (N° Lexbase : A5194NGH)

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N6920BUT

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Le 16 Avril 2015

Un agent immobilier peut détenir un mandat du vendeur et un mandat de l'acquéreur pour une même opération. Le droit à commission s'applique à chacun des deux mandats dès lors que les exigences de l'article 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 (N° Lexbase : L7536AIX) et de l'article 73 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 (N° Lexbase : L8042AIP) sont respectées. Tel est l'apport de l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 avril 2015 (Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-13.501, F-P+B N° Lexbase : A5194NGH). En l'espèce, M. B. a confié à un agent immobilier, un mandat de vendre sa maison moyennant un prix net vendeur de 310 000 euros et une rémunération de 20 000 euros à sa charge. Les époux V. ont quant à eux donné à cet agent immobilier un mandat de recherche portant sur le même bien et prévoyant une rémunération de 10 000 euros à leur charge, et ont conclu, le même jour, une promesse de vente de l'immeuble au prix de 270 000 euros, assortie d'une rémunération du mandataire de 20 000 euros à leur charge. Par la suite, M. B. a renoncé à la vente mais a signé une nouvelle promesse de vente avec les époux V.. L'agent immobilier a donc assigné les acquéreurs et le vendeur en paiement de dommages-intérêts. Dans un arrêt du 25 juillet 2013 (CA Pau, 25 juillet 2013, n° 12/03007 N° Lexbase : A1191KKC), la cour d'appel de Pau a rejeté cette demande au motif qu'il résulterait de l'article 73 du décret du 20 juillet 1972 que l'agent immobilier ne peut demander ni recevoir directement ou indirectement d'autre rémunération ou commission à l'occasion d'une opération spécifier à l'article 1er de la loi de 1970, de sorte qu'il ne peut percevoir à la fois une rémunération du vendeur et de l'acquéreur. Rappelant le principe énoncé, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel. En effet, aucune disposition de la loi dite "Hoguet" et de son décret d'application ne s'oppose à ce que l'agent immobilier perçoive à la fois une rémunération de l'acheteur et une rémunération du vendeur (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E2565EYN).

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Aides d'Etat

[Jurisprudence] Les conséquences de la décision de reversement d'une aide agricole indûment versée en application d'un texte de l'UE - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE, Sect., 13 mars 2015, n° 364612, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6896NDR)

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N6910BUH

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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section

Le 16 Avril 2015

Les modalités de récupération d'une aide indûment versée sur le fondement d'un texte de l'Union européenne sont soumises à l'obligation de suivi d'une procédure contradictoire écrite conduite avec le bénéficiaire de cette aide, énonce le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 13 mars 2015. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat, sur cet arrêt. La présente affaire est portée devant votre section, avant tout, pour que vous tranchiez une question d'interprétation des dispositions de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (N° Lexbase : L8803AG7).

1. Quelques éléments sur le contexte de l'affaire, avant d'arriver à la question qui a justifié son renvoi devant vous.

Et un mot, tout d'abord, du régime d'aides agricoles dont l'application est en cause. Il s'agit du régime de l'aide compensatoire aux producteurs de bananes, qui n'est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2007 (1). Cette aide, financée dans le cadre de la politique agricole commune, avait pour objet de compenser, pour les producteurs de bananes de l'Union européenne, la baisse des prix consécutive à la mise en place d'une organisation commune des marchés (OCM) dans ce secteur par le Règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil du 13 février 1993 (N° Lexbase : L6004AUW). L'aide compensatoire était calculée par différence entre une recette forfaitaire de référence reflétant l'état des prix antérieur à la mise en place de l'OCM et la recette à la production moyenne au cours de l'année considérée.

Les faits de l'espèce sont très simples. La société X est un producteur de bananes martiniquais. Elle a changé, au cours de l'année 1996, d'organisation de producteurs, puisqu'elle a adhéré le 17 août 1996 au Groupement d'intérêt des producteurs martiniquais (GIPAM). Elle a parallèlement demandé et obtenu, par l'intermédiaire du GIPAM, le versement de l'aide compensatoire à la banane au titre de la campagne correspondant à l'année 1996, pour un montant d'environ 760 000 francs (117 000 euros). Toutefois, l'office de développement de l'économie agricole dans les départements d'outre-mer (ODEADOM), organisme d'intervention agricole compétent pour le versement de cette aide, s'est ensuite ravisé. Par une lettre du 22 juillet 1999, il a indiqué à la société X que l'aide lui avait été attribuée à tort, au motif qu'elle avait livré sa production, au cours de l'année 1996, à deux organisations de producteurs différentes. L'ODEADOM indiquait qu'en conséquence, il récupérait la somme indûment versée, majorée d'intérêts, par compensation avec le montant de l'aide due au titre de la campagne correspondant à l'année 1998.

Cette décision a été contestée par la société. Après une première cassation par votre troisième sous-section jugeant seule, suivie d'un renvoi (2), la cour administrative d'appel de Bordeaux a de nouveau prononcé l'annulation de la décision litigieuse et enjoint à l'ODEADOM de restituer l'aide, augmentée des intérêts légaux et de leur capitalisation. La cour a expressément cité le Règlement n° 404/93 portant OCM dans le secteur de la banane, qui institue l'aide litigieuse, ainsi que le Règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (N° Lexbase : L5328AUU). Elle a ensuite jugé que ces règlements se bornaient à poser le principe de l'obligation de récupérer les aides européennes indûment versées, sans régir les modalités de leur récupération. Elle en a déduit que les règles de droit interne s'appliquaient -en l'occurrence, celles issues de votre jurisprudence "Ternon" (3). Et en application de cette jurisprudence, elle a annulé la décision litigieuse au motif que l'ODEADOM avait entendu revenir sur une décision créatrice de droits au-delà d'un délai de quatre mois.

Comme le soutient l'ODEADOM, cet arrêt doit être annulé pour erreur de droit. La cour n'a pas tiré les conséquences du motif d'annulation retenu par votre première décision de cassation, laquelle ne faisait qu'appliquer votre jurisprudence "Viniflhor" (4) du 28 octobre 2009, au Recueil, relative aux modalités de récupération d'une aide indûment versée sur le fondement du droit de l'Union européenne. La cour a ignoré les règles qui, au sein du Règlement n° 2988/95, encadrent dans le temps la récupération de l'aide, alors même que ces règles étaient invoquées par l'ODEADOM. Et contrairement à ce que soutient la société X en défense, une substitution de motifs en cassation ne nous paraît en tout état de cause pas possible sur ce point.

2. C'est après cassation que se pose la question qui justifie l'inscription de cette affaire au rôle d'aujourd'hui.

2.1. Disons d'abord que le bien-fondé de la décision de l'ODEADOM nous paraît devoir être confirmé.

En premier lieu, si l'obligation de livrer l'intégralité de la production à la même organisation de producteurs au cours d'une même campagne ne résulte de manière expresse d'aucune disposition des règlements communautaires applicables, on parvient à cette conclusion en rapprochant les dispositions du Règlement (CEE) n° 404/93, éclairées par son cinquième considérant, de celles de son Règlement d'application (CEE) n° 1858/93 du 9 juillet 1993 (N° Lexbase : L5926AUZ). Il nous paraît donc possible d'affirmer que cette obligation résulte clairement du droit communautaire alors applicable.

En deuxième lieu, il n'est pas sérieusement contesté -et il résulte d'ailleurs de l'instruction- que la société X a méconnu cette obligation. Elle a adhéré au cours de la campagne 1996, successivement, à deux organisations de producteurs différentes, auxquelles elle a successivement livré sa production.

En troisième lieu, il était encore possible à l'ODEADOM de récupérer en juillet 1999 l'aide indûment versée, en application du règlement de 1995. Celui-ci autorise la récupération d'une aide indûment versée dans un délai de quatre ans "à partir de la réalisation de l'irrégularité" (art. 3 § 1) et il définit cette irrégularité comme "toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés [...]" (art. 1er). Or il nous semble que le fait, pour un producteur de bananes, de prétendre bénéficier de l'aide compensatoire tout en méconnaissant l'obligation de livrer l'intégralité de sa production à la même organisation de producteurs est bien susceptible d'avoir un impact sur le budget de l'Union. Cette obligation a en effet pour objet d'assurer la concentration et la stabilité de l'offre afin de soutenir les prix qui rémunèrent les producteurs et ainsi de limiter le montant de la compensation qui doit être versée à ces producteurs au travers de l'aide compensatoire financée sur le budget européen. L'impact sur ce budget, bien qu'indirect, nous paraît donc certain et la Cour de justice de l'Union européenne n'en exige pas plus (5).

Enfin, si le point de départ des intérêts mis à la charge de la société était contesté, celui-ci nous paraît ressortir clairement des dispositions de l'article 12 du Règlement d'application du 9 juillet 1993 : il s'agit bien de la date de versement de l'aide.

2.2. Mais nous croyons qu'il faut faire droit aux conclusions de la société sur un moyen d'irrégularité de procédure qu'elle soulève.

Avant d'y venir, vous devrez écarter un moyen d'appel de la société X : contrairement à ce qui est soutenu, le jugement dont elle fait appel n'est pas entaché d'insuffisance de motivation. Vous devrez également statuer sur une fin de non-recevoir opposée par l'ODEADOM à la demande de première instance. Elle consiste à soutenir que la lettre du 22 juillet 1999 que conteste la société ne constitue pas une décision faisant grief mais une simple mesure d'information. Selon l'office en effet, les décisions relatives à l'attribution de l'aide compensatoire à la banane n'intéressent que les organisations de producteurs, et pas les producteurs eux-mêmes. Nous ne croyons pas cette argumentation fondée : il est vrai que le Règlement (CE) n° 404/93 et son règlement d'application prévoient que les demandes d'aide sont présentées par l'intermédiaire des organisations de producteurs. Mais il est clair que l'aide est attribuée au producteur. C'est donc bien lui le seul destinataire de la décision de récupération de l'aide, et pas l'organisation de producteurs à laquelle il adhère.

Nous en venons au moyen qui nous paraît devoir être accueilli. La société soutient que la décision contestée est intervenue sans qu'elle ait été mise à même de présenter ses observations au préalable, en méconnaissance de l'article 8 du décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983, concernant les relations entre l'administration et les usagers (N° Lexbase : L0278A3P), alors en vigueur. Avant même d'examiner le bien-fondé de ce moyen, il faut déterminer s'il est opérant. C'est, à ce titre, à un véritable jeu de piste qu'il faut se livrer... Prenons les questions une à une.

2.2.1. La première à se poser est celle de savoir si le moyen soulevé, tiré d'un vice propre de la décision contestée, est bien opérant au regard de l'office du juge.

Cette décision est assimilable à un ordre de reversement, de sorte que le litige relève par nature du plein contentieux (6). Or, dans le vaste ensemble composite du plein contentieux, les moyens critiquant les vices propres de la décision à l'origine du litige ne sont pas toujours opérants. Toutefois, dans le contentieux des états exécutoires et des ordres de perception, qui relève plutôt d'un plein contentieux objectif, de légalité, vous admettez de longue date l'opérance de ces moyens (7). Et tout doute à cet égard a été levé par votre décision de section du 27 juillet 2012 (8), dans laquelle, pour le plein contentieux de l'aide sociale, vous avez confirmé l'opérance des moyens tirés des vices propres de la décision par laquelle l'administration ordonne la récupération de sommes qu'elle estime indûment versées (9).

2.2.2. Deuxième question : les dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 sont-elles bien applicables à l'ODEADOM ?

L'article 4 de ce décret prévoyait qu'il s'appliquait aux services administratifs de l'Etat et des établissements publics de l'Etat. Or à la date de la décision litigieuse, le décret constitutif de l'ODEADOM le qualifiait d'établissement public industriel et commercial (10). Mais votre jurisprudence ne s'arrête pas aux dénominations données par les textes lorsqu'elles ne découlent pas de la loi elle-même : voyez votre décision "Syndicat national des industriels de l'alimentation animale" (11), par laquelle vous avez jugé que la mission de l'office national interprofessionnel des céréales (ONIC) revêtait un caractère entièrement administratif. Il en allait de même pour l'ODEADOM, dont la mission n'est pas d'une nature différente (12).

2.2.3. Reste à voir, et c'est encore une question d'opérance, si la décision litigieuse devait, au regard de son objet, être soumise à la procédure contradictoire de l'article 8 du décret de 1983.

Le décret renvoie sur ce point au champ d'application de l'obligation de motivation prévue par l'article 1er de la loi de 1979. Et c'est là que se pose la question que nous signalions au début de ces conclusions : la décision litigieuse, qui revient sur la décision initiale attribuant à la société le bénéfice de l'aide compensatoire, devait-elle être motivée en application de ces dispositions ?

Rappelons que, selon une jurisprudence constante, le principe reste que "les décisions des autorités administratives n'ont pas à être motivées" (13). La loi du 11 juillet 1979 constitue donc une exception à un principe et, comme telle, vous n'en faites pas une lecture extensive : vous jugez, là aussi de manière constante, que "l'article 1er de [cette loi] [...] n'exige la motivation que des seules décisions administratives individuelles défavorables qu'il énumère" -étant précisé que ce caractère défavorable s'apprécie "en considération des seules personnes [...] qui sont directement concernées par elles" (14).

En l'occurrence, le caractère individuel de la décision litigieuse ne fait aucun doute. Il faut déterminer, d'une part, si elle relève d'une des catégories énumérées par l'article 1er de la loi de 1979 ; et il faut vérifier, d'autre part, qu'elle revêt un caractère défavorable pour son destinataire.

Sur le premier point, nous sommes convaincu, comme nous l'étions lorsque nous avons conclu une première fois sur cette affaire devant les sous-sections réunies, que la décision litigieuse entre dans une des catégories de décisions énumérées par l'article 1er de la loi de 1979 -au moins une, si ce n'est plusieurs. Nous défendions l'idée que cette décision était au nombre de celles qui "refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir". Nous ne renonçons pas à cette idée, qui suppose seulement d'admettre que cette catégorie inclut non seulement les refus a priori, ab initio, mais aussi les refus a posteriori, les refus rétroactifs des avantages en question (15). Etant observé, d'une part, que les seconds sont en général autrement plus graves que les premiers, notamment lorsqu'il s'agit comme en l'espèce de revenir sur une aide financière déjà versée, avec paiement d'intérêts à la clé. Et, d'autre part, que vous avez déjà admis de ne pas faire une lecture strictement bornée de cette catégorie de décisions en assimilant au refus d'un avantage une décision mettant fin pour l'avenir à l'attribution d'un logement de fonctions déjà concédé (16).

Mais nous n'y insistons pas davantage. Aujourd'hui en effet, après un supplément de réflexion, nous pensons que la décision litigieuse se rattache plus aisément à une autre des catégories de décisions mentionnées par l'article 1er de la loi de 1979 : elle nous semble procéder au retrait d'une décision créatrice de droits.

Rappelons que, pour l'application de la jurisprudence "Ternon", vous avez procédé en 2002 à un important revirement de jurisprudence en regardant comme créatrices de droits toutes les décisions administratives accordant un avantage financier, sans distinguer selon leur caractère "purement pécuniaire" -c'est-à-dire récognitif- ou non (17). Depuis lors, vous avez retouché à plusieurs reprises les contours de la notion de décision "accordant un avantage financier" (18). Mais vous n'êtes jamais revenu sur le principe qu'une telle décision crée des droits. Et vous en avez tiré les conséquences pour l'application de la loi de 1979 (19).

Dans notre affaire, la décision sur laquelle l'ODEADOM a entendu revenir est une décision d'attribution d'une aide financière. Il ne fait pas de doute, au regard de la jurisprudence issue de votre décision du 6 novembre 2002, qu'il s'agit d'une décision créatrice de droits.

De certains droits, à tout le moins. Car vous savez que, pour l'application correcte des règles issues de votre jurisprudence "Ternon", l'enjeu n'est pas tellement de faire le partage entre les décisions créatrices de droits et celles qui n'en créent pas. La véritable question est plutôt celle de savoir quels sont les droits ainsi créés -ou, autrement dit, dans quelle mesure la décision considérée est créatrice de droits. C'est en répondant à cette question que l'on fait apparaître, notamment, tout un ensemble de décisions qui créent des droits de manière conditionnelle. Les bénéficiaires de ces décisions n'ont droit au maintien de leurs effets que pour autant que sont respectées certaines conditions.

Ainsi, par votre décision "CCI de l'Indre" du 5 juillet 2010 (20), vous avez admis que l'attribution d'une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire, mais seulement dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi. Et dans la même ligne, vous avez jugé que, si un contrat d'agriculture durable crée des droits au profit de l'exploitant agricole, qui bénéficie d'un droit au versement des aides que ce contrat prévoit pendant sa durée, c'est sous réserve du respect par lui des conditions mises à leur octroi (21).

L'économie du régime d'aides en cause dans la présente affaire n'est pas différente. L'aide compensatoire est attribuée sous réserve du respect par les producteurs des conditions auxquelles son bénéfice est subordonné. L'organisme payeur dispose d'un pouvoir de contrôle afin de s'assurer de leur respect (22). S'il s'avère, après vérification, qu'une des conditions mises à l'octroi de l'aide compensatoire fait défaut, il est en droit de remettre en cause son attribution. Ce faisant, il ne remet pas en cause des droits acquis par le bénéficiaire.

La circonstance que la décision retirée par l'ODEADOM soit au nombre des décisions créatrices de droits conditionnelles doit-elle exercer une influence sur sa qualification de décision créatrice de droits au sens de l'article 1er de la loi de 1979 ? Nous ne le pensons pas. L'interprétation que vous donnez des dispositions de la loi de 1979 doit être simple, prévisible, opérationnelle. Savoir dans quelle mesure des droits ont été créés par une décision est indispensable pour déterminer si et dans quelles conditions elle peut être abrogée ou retirée. Mais pour apprécier si une décision entre dans la catégorie de celles qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits au sens de la loi de 1979, il nous semble plus sage de s'en tenir au constat que la décision initiale a accordé un avantage financier -c'est-à-dire d'en rester à la ligne de partage générale tracée par votre décision de section du 6 novembre 2002.

Relevons que votre jurisprudence s'est déjà montrée sensible aux vertus de la simplification. Ainsi, quand bien même une décision aurait été obtenue par fraude et aurait ainsi perdu son caractère créateur de droits, vous jugez que cette circonstance ne dispense pas l'administration de motiver la décision qui en prononce le retrait (23).

De la même manière -et nous y voyons même un a fortiori, nous croyons qu'il faut considérer que, dès lors qu'une décision initiale accorde un avantage financier, et constitue par suite une décision créatrice de droits, la décision postérieure qui en prononce l'abrogation ou le retrait est au nombre des décisions qui abrogent ou retirent une décision créatrice de droits. N'ont d'incidence sur ce point ni la circonstance que la décision initiale ne créerait des droits que dans une certaine mesure, en raison de son caractère conditionnel, ni, à plus forte raison, la circonstance qu'elle est abrogée ou retirée au motif, précisément, qu'une des conditions mises à son octroi n'aurait pas été respectée (24).

Si vous n'étiez pas convaincu, il serait encore possible de soutenir que la décision contestée est au nombre de celles qui "imposent des sujétions". Vous rangez parmi ces décisions celles par lesquelles l'autorité administrative procède à la récupération de sommes indûment versées au titre de l'allocation de revenu de solidarité active (RSA) (25). Au regard de ce précédent, rendu conformément aux conclusions de notre collègue Alexandre Lallet, nous sommes enclin à considérer que toutes les décisions tendant à la récupération de sommes indûment versées peuvent être regardées comme des décisions qui "imposent des sujétions".

Ce n'est pas, cependant, le terrain que nous retiendrions en priorité pour estimer que la décision litigieuse entre dans les catégories mentionnées par l'article 1er de la loi de 1979. A la lecture des conclusions d'Alexandre Lallet sur l'avis du 16 octobre 2013, il semble que vous ayez retenu la catégorie des décisions imposant des sujétions parce qu'elle permettait de dessiner, en matière de RSA, un bloc cohérent de décisions soumises à l'obligation de motivation. Ce que n'autorisait pas le recours à la catégorie des décisions retirant ou abrogeant une décision créatrice de droit, en raison des modalités particulières de liquidation de l'allocation de RSA. Dans notre affaire, cette difficulté ne se pose pas et c'est le rattachement à cette catégorie de décisions qui nous paraît s'imposer le plus naturellement, compte tenu de la jurisprudence issue de votre décision de section du 6 novembre 2002.

Nous vous proposons donc de juger que la décision litigieuse, dès lors qu'elle revient sur l'attribution d'un avantage financier, est au nombre des décisions qui retirent une décision créatrice de droits, au sens de l'article 1er de la loi de 1979.

Avant d'affirmer que cette décision entre dans le champ de l'obligation de motivation prévue par ces dispositions, il reste toutefois un point à vérifier : s'agit-il bien d'une décision défavorable ?

A première vue, cela paraît évident. Mais vous pourriez hésiter au vu de ce que vous avez jugé en matière fiscale.

Vous avez jugé que les décisions par lesquelles l'administration met une imposition à la charge d'une personne ne peuvent, en dépit de la "sujétion" qui en résulte pour cette dernière, être regardées comme des décisions administratives individuelles "défavorables" au sens de l'article 1er de la loi de 1979 (26). La solution est justifiée, aux termes mêmes de votre décision, "eu égard à l'obligation faite à l'administration d'établir les impôts dus par tous les contribuables d'après leur situation au regard de la loi fiscale" (27). Pour le dire autrement, la décision individuelle d'établissement de l'impôt n'est que l'application à la situation particulière du contribuable des règles fixées par la loi fiscale. L'administration ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire dans la mise en oeuvre de ces règles. La décision d'imposition ne serait donc pas une défaveur faite au contribuable mais la résultante nécessaire de la rencontre entre sa situation individuelle et la loi fiscale.

Vous avez réitéré cette position quelques années plus tard. La cour administrative d'appel de Lyon, à l'origine de la demande ayant donné lieu à votre avis du 4 novembre 1992, avait refusé de s'y plier, par un arrêt rendu en formation plénière (28). Saisi d'un pourvoi dirigé contre son arrêt, vous avez réaffirmé comme juge de cassation la teneur de votre avis contentieux. Et, mettant les points sur les i, vous avez ajouté que les décisions d'imposition ne peuvent être regardées comme "défavorables" au sens de la loi de 1979, "y compris dans le cas où il s'agit d'une imposition supplémentaire, découlant d'un rehaussement des bases" (29).

Si vous choisissiez de faire prévaloir la même logique au cas d'espèce, vous devriez aboutir à la même conclusion. Il ne fait pas de doute, en effet, que les autorités nationales sont tenues de procéder à la récupération d'aides indûment versées financées sur le budget de l'Union européenne, sans disposer sur ce point d'aucun pouvoir d'appréciation en opportunité (30).

Nous ne vous proposons pas, cependant, de vous engager dans la voie d'une extension de la solution retenue par votre avis "Société Lorenzy-Palanca" (31).

Pour le dire sans fard, nous avons un peu de mal à adhérer à cette solution. Nous disions tout à l'heure qu'il nous paraît préférable d'adopter de la loi du 11 juillet 1979 une interprétation simple. A cet égard, pour apprécier le caractère défavorable d'une décision, nous sommes partisan de s'en tenir aux effets qu'elle produit dans le chef de son destinataire. Une décision d'imposition, primitive ou supplémentaire, a pour effet incontestable d'amputer le patrimoine du contribuable concerné. Il en va de même de la décision par laquelle l'administration décide de récupérer une aide financière indûment versée. Selon nous, c'est bien suffisant pour admettre que de telles décisions sont défavorables pour leur destinataire, au sens de l'article 1er de la loi de 1979.

Relevons d'ailleurs qu'à pousser à son terme la logique de votre avis "Lorenzy-Palanca", on abouti à vider d'une bonne partie de sa substance la loi de 1979. Cette logique refuse de regarder comme défavorable une décision que l'administration est tenue de prendre, compte tenu des textes qu'elle a pour mission d'appliquer. En la généralisant, vous restreindriez l'obligation de motivation prévue par la loi de 1979 aux seules décisions prises par l'administration dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Une telle restriction, dont on ne trouve pas d'autre trace dans votre jurisprudence, serait délicate à défendre, aussi bien au regard de la lettre de la loi que des intentions du législateur. Elle serait en outre difficilement compatible avec la manière dont vous avez interprété la notion de décisions qui "refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir" puisque vous lisez cette catégorie de décisions, précisément, comme incluant celles prises par l'administration en dehors de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire (32). Enfin il nous semble que vous avez déjà refusé, par le passé, d'étendre la jurisprudence "Lorenzy-Palanca" : comme le soulignait Alexandre Lallet dans ses conclusions sur l'avis du 16 octobre 2013 précité, les organismes payeurs du RSA sont en principe soumis, en vertu de l'article L. 262-46 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L6601I7M), à une obligation de récupération des montants d'allocation indûment versés (33) -cela ne vous a pas empêché d'admettre que ces décisions de récupération devaient être motivées en application de la loi de 1979.

Est-ce à dire qu'il faut formellement revenir sur la solution de l'avis "Lorenzy-Palanca" ? Cela ne s'impose pas. Nous proposons seulement de ne pas lui donner plus de portée qu'elle n'en a, c'est-à-dire de la cantonner à la matière fiscale. Au-delà de la circonstance que l'établissement de l'impôt n'est pas un domaine d'action discrétionnaire de l'administration, cette solution nous semble en effet justifiée par la nature particulière du prélèvement fiscal. Comme le soulignait Jean Gaeremynck dans ses conclusions sur cet avis, l'impôt "représente dans notre tradition politique et juridique le premier symbole de la participation publique du citoyen à la vie de la collectivité nationale". Il lui paraissait impossible, dans ces conditions, de qualifier l'assujettissement à l'impôt de décision défavorable. On peut effectivement défendre l'idée que chacun, en sa qualité de contribuable, doit légitimement s'attendre à ce que l'administration fiscale lui réclame le paiement de l'impôt -y compris, le cas échéant, en y revenant à plusieurs fois par le biais de décisions d'imposition supplémentaire. Il est un peu plus difficile d'admettre, en revanche, que la remise en cause par l'administration d'une décision initiale par laquelle elle avait octroyé le bénéfice d'une aide financière n'est pas une décision défavorable.

Si vous nous suivez vous admettrez que la décision litigieuse revêt bien un caractère défavorable au sens de l'article 1er de la loi de 1979 et qu'elle entre au moins dans l'une des catégories de décisions qu'il énumère. En conséquence, vous jugerez qu'elle devait être motivée en application de ces dispositions. Et qu'elle ne pouvait intervenir, en vertu de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983, qu'après que l'intéressé ait été mis à même de présenter des observations.

2.2.4. Le jeu de piste n'est pas achevé : il faut encore déterminer si vous pouvez annuler la décision litigieuse en accueillant un tel moyen de légalité externe, compte tenu du contexte européen dans lequel s'inscrit le présent litige. La décision contestée est en effet intervenue pour l'application du droit de l'Union européenne et même, plus précisément, pour assurer la récupération d'une aide indûment versée financée sur le budget de l'Union. Cette circonstance a-t-elle une incidence sur le sort que vous devez réserver au moyen que nous proposons d'accueillir -notamment, sur son opérance ?

Le sujet a déjà été exploré par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et la vôtre : voyez l'arrêt fondateur de la Cour en la matière du 21 septembre 1983 (34) ; et dans votre jurisprudence, reprenant les principes dégagés par la Cour, votre décision "Viniflhor" précitée du 28 octobre 2009.

Le droit de l'Union reconnaît aux Etats membres une autonomie institutionnelle et procédurale dont la seule limite réside dans les principes d'équivalence et d'effectivité. Ce dernier implique plus particulièrement que les règles de procédure prévues par le droit interne des Etats membres ne doivent pas rendre l'application du droit de l'Union impossible en pratique ou excessivement difficile. Et vous avez précisé dans votre décision "Viniflhor" qu'il appartient en tout état de cause au juge national d'apprécier si, pour le règlement du litige qui lui est soumis, la règle de droit national doit être écartée ou interprétée, afin que la pleine efficacité du droit de l'Union soit assurée.

Il faut donc examiner si la règle de droit interne prévue par le décret du 28 novembre 1983, en obligeant l'administration à respecter une procédure contradictoire préalable à la récupération d'une aide indûment versée, est de nature à porter atteinte à la pleine efficacité du droit de l'Union.

Nous n'avons pas de doute qu'il faut répondre par la négative à cette question.

La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union est respectueuse de l'autonomie institutionnelle et procédurale des Etats membres. Et elle l'est d'autant plus lorsque leurs règles de droit interne contribuent à l'application de principes du droit de l'Union. A cet égard, la Cour juge que le respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit de l'Union, qui doit s'appliquer même sans texte (35). Elle en a déduit très logiquement qu'il y a lieu de prendre en considération, lorsqu'il s'agit de vérifier que le principe d'effectivité ne s'oppose pas à une règle nationale, si cette dernière a pour objet la protection des droits de la défense (36).

Tel est l'objet de la règle interne qui est en cause dans notre affaire. Et nous ne croyons pas un instant qu'au regard de l'obligation qu'elle fait peser sur l'administration, cette règle contribue à rendre impossible en pratique ou excessivement difficile la bonne application du droit de l'Union. Une obligation aussi banale que celle de motiver une décision ou de mettre son destinataire en mesure de présenter au préalable ses observations ne peut faire échec à la récupération de l'aide indûment versée qu'en cas de négligence de l'administration. Or, la Cour de justice admet parfaitement qu'un comportement de l'administration elle-même, que celle-ci peut donc éviter, entraîne l'exclusion de la récupération de l'aide (37). A cela nous ajoutons qu'en cas d'annulation de la décision de récupération pour un motif de légalité externe, l'administration peut parfaitement, si elle s'y croit fondée et, notamment, si aucune règle de prescription n'y fait obstacle, reprendre une nouvelle décision, cette fois régulière (38).

Signalons, pour en terminer sur ce point, qu'on ne se trouve pas dans une hypothèse de récupération d'une aide d'Etat, dans laquelle le principe d'effectivité s'applique avec une force toute particulière (39).

Nous estimons donc qu'il n'y a lieu ni d'écarter, ni d'interpréter les dispositions combinées des articles 1er de la loi du 11 juillet 1979 et 8 du décret du 28 novembre 1983, qui ne portent pas atteinte au principe d'effectivité du droit de l'Union.

2.2.5. Notre jeu de piste -qui commence à relever du saut d'obstacles, voire du parcours du combattant- n'est pas tout à fait terminé. Toujours au titre de l'opérance du moyen tiré du défaut de procédure contradictoire préalable, il faut se demander si l'ODEADOM n'était pas en situation de compétence liée pour prendre la décision litigieuse, au sens de votre jurisprudence de section du 3 février 1999 (40). C'est ce que soutiennent aussi bien l'office que, dans ses observations, le ministre de l'Agriculture.

Nous l'avons déjà dit : une fois identifié le versement indu d'une aide financée sur le budget de l'Union, les autorités nationales sont tenues de procéder à leur récupération, sans pouvoir exercer aucun pouvoir d'appréciation en opportunité sur le principe même de la récupération. Ce n'est pas suffisant, cependant, pour en déduire que l'ODEADOM se trouvait en situation de compétence liée pour prendre la décision litigieuse. Rappelons qu'avec la décision de section du 3 février 1999, vous avez entendu définir restrictivement les hypothèses de compétence liée. Vous avez jugé que cette théorie ne peut jouer que lorsque la constatation des faits commande mécaniquement la décision que l'administration doit prendre, sans qu'il y ait place pour une quelconque "appréciation des faits" dit votre décision.

L'ODEADOM était-il dans une telle situation en l'espèce ? Rappelons la règle de droit dont il a entendu faire application : un producteur de bananes ne peut bénéficier de l'aide compensatoire que s'il commercialise l'intégralité de sa production, au cours d'une même campagne, par l'intermédiaire de la même organisation de producteurs. Une fois cette règle dégagée, son application paraît simple. Mais nous n'irions pas jusqu'à dire qu'elle est mécanique. Les notions d'"organisation de producteurs" et de "campagne de commercialisation" sont des notions juridiques définies par le Règlement (CE) n° 404/93 (41). Et quant au point de savoir si la totalité de la récolte d'un producteur au titre d'une campagne donnée a été livrée à une même personne, il ne se déduit pas d'un simple coup d'oeil -le cas d'espèce l'illustre assez bien. Il nous semble que l'on est au-delà du simple constat de fait.

Surtout, ne perdez pas de vue que ce qui est en cause, ce n'est pas le refus ab initio de l'aide compensatoire mais une décision de récupération d'une aide indûment versée. Il vous est déjà arrivé d'admettre que l'administration était en situation de compétence liée pour récupérer des sommes indûment versées (42). Mais en l'occurrence, nous ne croyons pas que ce soit le cas. S'il était exclu que l'ODEADOM appréciât en opportunité s'il y avait lieu de récupérer l'aide litigieuse, la décision même de récupération impliquait de porter une série d'appréciations, notamment sur le point de savoir si l'action en récupération était prescrite au regard des dispositions du Règlement (CE) n° 2988/95, si la récupération ne portait pas atteinte au principe de confiance légitime, ou encore sur les modalités de cette récupération -puisqu'ici, comme on l'a vu, une récupération par compensation était possible. Autant de points qui dépassent, là encore, le simple constat de fait.

Nous pensons donc que l'ODEADOM n'était pas en situation de compétence liée.

2.2.6. Au final, nous croyons opérant le moyen tiré de ce que la décision litigieuse a été prise en méconnaissance de l'obligation de recueillir au préalable les observations de la société X. Et ce moyen apparaît fondé. L'ODEADOM soutient qu'une procédure contradictoire a été suivie avec l'organisation de producteurs dont relevait la société. Mais nous vous avons dit tout à l'heure pourquoi c'est bien le producteur de bananes la personne intéressée, et pas l'organisation de producteurs. La société a donc bien été privée d'une garantie, au sens de votre jurisprudence "Danthony" (43), ce qui ne peut conduire qu'à l'annulation de la décision de reversement, prise au terme d'une procédure irrégulière.

2.2.7. Il restera à statuer sur les conclusions à fins d'injonction et d'astreinte formulées par la société.

Vous jugez que l'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation éventuelle, que les sommes perçues sur le fondement du titre soient immédiatement restituées (44). Dans ce cas, si le juge est saisi de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint de restituer les sommes perçues sur le fondement du titre irrégulier, il doit commencer par vérifier que la créance de l'administration est bien fondée (45). Et dans l'affirmative, le juge ne doit prononcer qu'une injonction "conditionnelle", c'est-à-dire subordonner l'injonction de restitution à l'absence d'émission par l'administration, dans le délai déterminé par sa décision, d'un nouveau titre de perception régulier.

Nous vous proposons de reprendre cette démarche, qui nous paraît tout à fait opportune en ce qu'elle oblige le juge à examiner les autres moyens soulevés devant lui pour obtenir la décharge des sommes en litige, sans s'arrêter à un moyen de légalité externe évidemment fondé (46). Nous vous avons dit tout à l'heure pourquoi la créance de l'ODEADOM, au regard des moyens soulevés par la société X, ne nous paraissait pas mal fondée. Vous enjoindrez à l'ODEADOM, en conséquence, de restituer à la société la somme qu'il a récupérée, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts que demandent la société, à moins qu'il n'ait, dans un délai de deux mois suivant la lecture de votre décision, pris un nouveau titre au terme d'une procédure cette fois régulière. Il n'y a pas lieu d'enjoindre plus. Et il n'y a, dès lors, évidemment pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'astreinte présentées par la société X.

Par ces motifs nous concluons :

- à l'annulation de l'arrêt attaqué ;
- dans le cadre du règlement de l'affaire au fond, à l'annulation de la décision du 22 juillet 1999, ainsi que du jugement du tribunal administratif de Fort-de-France du 18 octobre 2007 ;
- à ce qu'il soit enjoint à l'ODEADOM de verser à la société X la somme de 126 041,57 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 6 octobre 2000 et capitalisation des intérêts à compter du 14 janvier 2008 ainsi qu'à chaque échéance annuelle, dans un délai de deux mois à compter de la notification de votre décision, à moins qu'il n'ait émis, avant l'expiration de ce délai, un nouvel ordre de reversement dans des conditions régulières ;
- à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'ODEADOM au bénéfice de la société au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4) ;
- au rejet des conclusions présentées à ce même titre par l'ODEADOM ;
- et au rejet du surplus des conclusions de la société X.


(1) Il a été intégré dans le régime dit de "paiement unique" institué par le Règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 (N° Lexbase : L5622DLS).
(2) CE 3° s-s., 26 novembre 2010, n° 330320, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4342GLE).
(3) CE, Ass., 26 octobre 2001, n° 197018, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1913AX7), p. 497.
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 28 octobre 2009, n° 302030, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6009EMI).
(5) Voyez notamment CJUE 4 octobre 2012, aff. C-669/11 (N° Lexbase : A8189ITH), point n° 34.
(6) CE, Sect., 23 décembre 1988, n° 70113, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7895AP4).
(7) Pour ne citer qu'un exemple, vous annulez des titres insuffisamment motivés pour n'avoir pas indiqué les bases de la liquidation (voyez par exemple, en matière agricole, CE 11 janvier 2006, n° 272216, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5295DM3).
(8) CE, Sect., 27 juillet 2012, n° 347114, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0743IRX).
(9) Point n° 7 de la décision.
(10) Voir le décret n° 84-356 du 11 mai 1984, portant création d'un office de développement de l'économie agricole dans les départements d'outre-mer. Ce décret constitutif a ensuite été modifié par les décrets n° 93-1246 du 18 novembre 1993 et n° 97-68 du 27 janvier 1997, puis abrogé par le décret n° 2003-851 du 1er septembre 2003, relatif à la partie réglementaire du livre VI du Code rural et modifiant la partie réglementaire des livres II et III du même code, qui a codifié ses dispositions aux articles R. 684-1 (N° Lexbase : L4438H7I) et suivants du Code rural. Celles-ci ont été modifiées par le décret n° 2009-340 du 27 mars 2009, relatif à l'Agence de services et de paiement, à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer et à l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (N° Lexbase : L8858IDG) (art. 5), qui a renoncé à qualifier l'ODEADOM d'établissement public industriel et commercial pour le regarder comme un établissement public administratif. Enfin, les dispositions relatives aux missions de l'établissement ont été recodifiées aux articles D. 684-1 (N° Lexbase : L8704IXN) et suivants du Code rural et de la pêche maritime par le décret n° 2012-972 du 20 août 2012, relatif à la délivrance de certains certificats exigés par le droit de l'Union européenne pour les échanges intracommunautaires, les importations et les exportations de produits agricoles (N° Lexbase : L9629ITS) ; ces missions ont été étoffées à la même occasion.
(11) CE, 20 décembre 1985, n° 28277, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3335AMH).
(12) En effet, l'ODEADOM se substitue, dans les départements et collectivités d'outre-mer dans lesquels il est territorialement compétent, aux interventions, hier, des autres offices agricoles, aujourd'hui, de FranceAgriMer.
(13) CE, Sect., 26 janvier 1973, n° 87890, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7590B8M) ; et pour un rappel récent, CE, Ass., 23 décembre 2013, n° 363978, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7907KSN), point n° 6.
(14) Voyez, pour l'affirmation de principe, CE, Sect., 9 décembre 1983, n° 43407, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1816AM9) p. 497.
(15) L'honnêteté nous oblige à indiquer qu'une de vos décisions -mais elle est ancienne- se refuse précisément à faire une telle assimilation : CE, Sect., 7 janvier 1955, Association "La chaumière des pastourelles", publié au recueil Lebon, p. 11.
(16) CE 4° et 5° s-s-r., 29 novembre 2006, n° 281232, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7620DSZ), concl. D. Chauvaux.
(17) CE, Sect., 6 novembre 2002, n° 223041, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7473A38), note Delvolvé à la RFDA, 2003 p. 240.
(18) Voyez en dernier lieu CE, Sect., 12 octobre 2009, n° 310300, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0756EMX).
(19) Voyez CE, Sect., 26 février 2003, n° 220227, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3398A7Y), jugeant qu'une décision procédant à la révision d'une pension déjà concédée est au nombre de celles qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits, au sens et pour l'application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979.
(20) CE 3° et 8° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 308615, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1308E49).
(21) CE 3° et 8° s-s-r., 26 juillet 2011, n° 324523, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8299HWB).
(22) Voir l'article 12 du Règlement (CE) n° 1858/93.
(23) CE 2° et 6° s-s-r., 25 avril 1990, n° 93916, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5940AQ3) ; solution plusieurs fois réitérée depuis lors : voyez notamment CE 4° et 5° s-s-r., 29 septembre 2004, n° 249543, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4535DDC), sur un autre point.
(24) L'honnêteté nous oblige, là encore, à signaler qu'une de vos décisions, un peu moins ancienne celle-là, peut être lue comme desservant notre position : CE 7° et 10° s-s-r., 19 juin 1996, n° 145397, 145765, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9624ANR).
(25) CE avis, 16 octobre 2013, n° 368174, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1111KNH), confirmant un précédent : CE 23 avril 2007, n° 284024, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9789DU4). Voir aussi, dans la même lignée, CE 30 mars 2001, n° 208934, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2379ATB), par laquelle vous jugez que des décisions de récupérer sur la succession des bénéficiaires de l'aide sociale les sommes versées aux intéressés de leur vivant sont des décisions individuelles imposant des sujétions.
(26) CE, avis, 4 novembre 1992, n° 138380, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0046AIK), p. 390 et à la RJF 1/1993, n° 103, concl. J. Gaeremynck à la RJF 1/1993, p. 7.
(27) Termes qui font écho à une autre formule bien connue de votre jurisprudence fiscale selon laquelle "l'administration ne peut renoncer au bénéfice de la loi fiscale".
(28) CAA Lyon, Plén., 5 avril 1993, n° 90LY00810 (N° Lexbase : A9131BEW), RJF 5/1993, n° 687, conclusions D. Richer au BDCF 5/1993, p. 87.
(29) CE, 6 mai 1996, n° 148503, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9060ANU), RJF 6/1996, n° 739.
(30) CJCE, 6 mai 1982, aff. C-146/81, C-192/81 et C-193/81 (N° Lexbase : A6437NGI), point 30 ; CJCE 21 septembre 1983, aff. C-205/82 à C-215/82 (N° Lexbase : A6438NGK), point 22 ; CJUE 28 octobre 2010, aff. C-367/09 (N° Lexbase : A7811GCB), point n° 50 ; CJUE 13 décembre 2012, aff. C-670/11 (N° Lexbase : A8286IYK), point n° 66.
(31) CE, 6 mai 1996, n° 148503, inédit au recueil Lebon, préc..
(32) Voyez, à l'origine de cette jurisprudence, votre décision CE, Sect., 11 juin 1982, n° 36143, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9432AKK), p. 220, chronique Tiberghien et Lasserre, AJDA, 1982, p. 583, éclairée par les conclusions de B. Genevois, JCP éd. A,1983 n° 10, 19953.
(33) Cette obligation n'exclut pas l'exercice d'un pouvoir de remise gracieuse de l'indu -mais ce pouvoir est lui-même exclu en cas de manoeuvre frauduleuse ou fausse déclaration (antépénultième alinéa de l'article L. 262-46 du Code de l'action sociale et des familles N° Lexbase : L6601I7M).
(34) CJCE 21 septembre 1983, aff. C-205/82 à C-215/82, préc., points n°s 17 à 23, et point n° 31.
(35) CJCE 15 juin 2006, aff. C-28/05 (N° Lexbase : A9300DP7), point n° 74 ; CJCE, 18 décembre 2008, aff. C-349/07 (N° Lexbase : A8738EBA), point n° 36.
(36) CJUE, 17 juillet 2014, aff. C-169/14 (N° Lexbase : A4755MUN), point n° 34.
(37) CJCE 21 septembre 1983, aff. C-205/82 à C-215/82, préc., point n° 31 ; CJCE 12 mai 1998, aff. C-366/95 (N° Lexbase : A1670AWR), points n°s 31 et 32.
(38) Pour un rappel exprès de cette faculté, et de cette réserve, voir CE, Sect., 27 juillet 2012, n° 347114, publié au recueil Lebon, point n° 7.
(39) Voir notamment CJCE, 20 mai 2010, aff. C-210/09 (N° Lexbase : A4817EXP), plus particulièrement points n°s 20 et 22, 29 et 33.
(40) CE, 3 février 1999, n° 149722, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4357AXN), p. 6.
(41) Voir en particulier les articles 1er § 3, 5 § 1, 15 § 5 de ce Règlement.
(42) Voyez CE 9° et 10° s-s-r., 3 décembre 2003, n° 232826, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3871DAM), à propos des indemnités et traitements versés à un élève de l'Ecole nationale d'administration postérieurement à la date d'effet de sa démission.
(43) CE, Ass., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9048H8M), p. 649.
(44) Voyez CE 9° et 10° s-s-r., 11 décembre 2006, n° 280696, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8871DSD).
(45) Voyez, sur cette précision, CE 4° et 5° s-s-r., 16 mars 2011, n° 324984, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2431HDE), mais sur un autre point.
(46) La décision CE 4° et 5° s-s-r., 16 mars 2011, n° 324984, préc., sonne comme un écho des stimulantes réflexions que faisaient J.-H. Stahl et X. Domino à la fin de leur chronique intitulée "Injonctions : le juge administratif face aux réalités", publiée à l'AJDA, 2011, p. 2226.

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - avril 2015

Lecture: 9 min

N6974BUT

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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

Le 16 Avril 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique mensuelle de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. Trois arrêts ont retenu l'attention de l'auteur. Le premier, rendu le 5 février 2015 par la Cour de cassation, énonce que l'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu'il a apportées auxdites questions (Cass. civ. 2, 5 février 2015, n° 13-28.538, F-D) ; le deuxième, rendu à la même date par la même formation, retient que la responsabilité de l'assureur ne peut être recherchée dès lors qu'il avait satisfait à son obligation d'information et de conseil en tenant compte de la situation personnelle de son assuré (Cass. civ. 2, 5 février 2015, n° 13-28.468, F-D). Enfin, le dernier arrêt retenu par l'auteur, rendu par la cour d'appel de Bordeaux, le 23 mars 2015, rappelle que le contrat d'assurance de groupe souscrit, qui n'était pas exclusivement un contrat d'assurance vie dans la mesure où d'autres risques étaient garantis, peut être résilié à l'expiration du délai d'un an (CA Bordeaux, 23 mars 2015, n° 13/07023). I - Déclaration des risques
  • L'assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré que si celles-ci procèdent des réponses qu'il a apportées auxdites questions (Cass. civ. 2, 5 février 2015, n° 13-28.538, F-D N° Lexbase : A2387NBZ)

Rien n'y fait ! Malgré les efforts déployés par les juges du fond (1) pour démontrer que l'assuré était, en l'espèce, particulièrement de mauvaise foi, la Cour de cassation estime qu'en l'absence de la production des questions posées à l'assuré, les déclarations qu'il a pu faire, d'où ressort clairement un mensonge, ne suffisent pas à obtenir la nullité du contrat sur le fondement de l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM).

En l'espèce, l'assuré/conducteur dissimule une suspension du permis de conduire prononcée quelques jours avant la souscription du contrat. Dans les conditions particulières du contrat l'intéressé "a non seulement déclaré ne pas avoir fait l'objet au cours des trente-six derniers mois de sanctions pour des faits en relation avec la conduite d'un véhicule automobile, mais a également certifié l'exactitude de ses déclarations au visa des articles L. 113-8 et L. 113-9 (N° Lexbase : L0065AAN) du Code des assurances, en apposant sa signature précédée de la mention 'lu et approuvé'". Ces éléments sont soumis à l'appréciation du juge par l'assureur au soutien de sa demande en nullité du contrat. On le sait, depuis l'arrêt rendu en chambre mixte le 7 février 2014 (2), l'assureur doit produire les questions qui ont conduit aux réponses mensongères pour espérer obtenir cette sanction.

Le domaine des assurances automobiles est celui où la solution jurisprudentielle est la plus choquante dans la mesure où l'assuré connait la portée de son mensonge sans que l'assureur ait besoin de lui indiquer les éléments déterminants de son opinion sur le risque et de les formuler sous forme de questions !

On se consolera en se disant que, pour d'autres formes d'assurance, cette position ne protège pas que des personnes de mauvaise foi...

II - Information et conseil

  • La cour d'appel a pu déduire, sans inverser la charge de la preuve, que l'assureur, qui n'était pas intervenu dans les choix de restructuration du patrimoine de Mme X, avait satisfait à son obligation d'information et de conseil en tenant compte de la situation personnelle de l'intéressée (Cass. civ. 2, 5 février 2015, n° 13-28.468, F-D N° Lexbase : A2484NBM)

En l'espèce l'assurée se plaint qu'une partie de son patrimoine, anciennement constitué de biens immobiliers et investi dans des contrats d'assurance vie, a perdu de sa valeur. Au fond, elle regrette de ne pas avoir pu profiter de la santé du marché immobilier pendant la période considérée ! Elle recherche donc la responsabilité de l'assureur pour manquement à son obligation d'information et son devoir de conseil.

Sa demande est rejetée. Pour confirmer la solution des juges du fond, la Cour de cassation considère que les juges du fond ont pu constater que l'assureur avait tenu compte de la situation personnelle de l'intéressée. C'est l'élément d'appréciation qu'elle rappelle régulièrement dans ses décisions (3). L'exécution de ce devoir de conseil se fait cependant en restant dans le périmètre de l'opération d'assurance. En l'occurrence, et à moins qu'il n'ait accepté cette charge, l'assureur ne devient pas conseil en restructuration de patrimoine. De façon générale, la jurisprudence considère qu'il n'est censé conseiller l'assuré sur les éléments excédant le cadre de l'opération d'assurance (4).

Dans le domaine de l'assurance vie et des opérations de capitalisation, le Code des assurances s'est fait plus précis sur le devoir de conseil de l'assureur à l'occasion de la réforme opérée par l'ordonnance du 30 janvier 2009 (N° Lexbase : L6938ICX). L'article L. 132-27-1 (N° Lexbase : L7088ICI) indique les diligences à opérer par l'assureur en la matière.

On peut rapprocher le présent arrêt d'un autre rendu le même jour. Il illustre l'idée que le devoir de conseil se poursuit pendant la vie du contrat. Cela n'implique pas cependant que l'assureur doive effectuer un contrôle des installations des voisins de l'assuré pour vérifier que les garanties de son client sont toujours adaptées (5) !

III - Vie du contrat

  • Le contrat d'assurance de groupe souscrit, qui n'était pas exclusivement un contrat d'assurance vie dans la mesure où d'autres risques étaient garantis, pouvait être résilié à l'expiration du délai d'un an prévu à l'article L. 113-12 du Code des assurances (CA Bordeaux, 23 mars 2015, n° 13/07023 N° Lexbase : A1348NEN)

Le contentieux de la résiliation du contrat est certainement moins dense que celui de la nullité, pourtant sont régulièrement rendues des décisions qui montrent les enjeux de la question. Deux décisions rendues récemment attirent l'attention.

La première précision vient d'un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 23 mars 2015. La cour fait droit à la demande d'un assuré qui affirme que la faculté de résiliation annuelle prévue à l'article L. 113-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0070AAT) est applicable à l'assurance emprunteur.

"Il convient de constater que le contrat d'assurance de groupe souscrit par Madame [...], qui n'était pas exclusivement un contrat d'assurance vie dans la mesure où d'autres risques étaient garantis, pouvait être résilié par elle à l'expiration du délai d'un an prévu à l'article L. 113-12 du Code des assurances et qu'elle a donc valablement résilié le contrat en cause par courrier du 24 octobre 2012, avec effet au 31 décembre 2012".

Cet arrêt pose clairement la question du domaine d'application de l'article L. 113-12. Il est rappelé que le texte est d'ordre public et c'est incontestable. Il s'applique donc aux contrats d'assurances qui entrent dans son domaine quelle que soit la façon dont ils sont souscrits. Toute la question est donc de déterminer ce domaine. On rappellera que l'article prévoit deux dérogations (assurances individuelles maladie et risques autres que particulier) et une exclusion.

L'article L. 113-12 exclut son application aux assurances sur la vie auxquelles on pourrait, au premier abord, rattacher l'assurance emprunteur. La cour d'appel souligne cependant la spécificité des assurances emprunteur qui couvrent des risques vie et non vie. A bien y regarder, cette décision n'est pas originale, elle s'inscrit dans le fil d'un arrêt de la Cour de cassation qui avait considéré qu'une assurance emprunteur pouvait être résiliée en application de l'article L. 113-12 du Code des assurances (Cass. civ. 1, 7 juillet 1987, n° 85-14.605 N° Lexbase : A7696AG7, RGAT, 1988, 138, note J. Bigot). La solution se trouve confortée par la loi du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX) qui fait expressément référence à l'utilisation de cette faculté dans l'article L. 312-9 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8596IZE) (6).

La justification de cette solution est simple. La partie des risques ne relevant pas de l'assurance vie ramène le contrat vers le droit commun des assurances. Pour effectuer ce retour au droit commun, la jurisprudence ne semble tenir aucun compte de l'importance respective des risques couverts dans le contrat. Cette considération ne produirait d'ailleurs aucun résultat probant pour les assurances emprunteur.

Cet arrêt contribue à donner une cohérence à la jurisprudence rendue en matière d'assurances mixtes. On rappellera en effet que la cour de cassation décide que l'article L. 113-3 (N° Lexbase : L0444IXQ) (sanctions du non-paiement des primes) est applicable à une assurance mixte (7) ce qui nécessite de respecter les formalités et les délais qu'il impose.

La décision de la cour d'appel de Bordeaux paraît donc parfaitement fondée, mais il faut cependant en envisager les conséquences au regard du contexte contractuel et légal dans lequel elle s'inscrit. D'abord, on pourrait se demander si cette solution ne vient pas vider de son intérêt la faculté de résilier l'assurance emprunteur dans les 12 mois suivants la signature de l'offre telle que la législateur l'a prévu et organisé dans la loi du 17 mars 2014. Cependant, depuis l'adoption de la loi, puisque la faculté de résiliation est évoquée par le Code de la consommation aux côtés de la résiliation annuelle, cela semble indiquer une volonté du législateur de voir les assurés accumuler les possibilités de rompre. Il en résulte que l'assurance emprunteur peut être remise en cause régulièrement dès la première année du contrat.

Cette perspective de remise en cause doit être prise en compte à un autre point de vue. L'assurance emprunteur s'inscrit dans un ensemble dans lequel elle est un élément rendu obligatoire par le prêteur pour couvrir des risques financiers sur une période qui peut être longue. De ce point de vue, résilier n'est pas substituer. L'article L. 312-9 du Code de la consommation indique : "Au-delà de la période de douze mois susmentionnée, le contrat de prêt peut prévoir une faculté de substitution du contrat d'assurance en cas d'exercice par l'emprunteur du droit de résiliation d'un contrat d'assurance de groupe ou individuel mentionné à l'article L. 113-12 du Code des assurances ou au premier alinéa de l'article L. 221-10 du Code de la mutualité. Dans ce cas, l'existence d'une faculté de substitution ainsi que ses modalités d'application sont définies dans le contrat de prêt. Toute décision de refus doit être motivée". Cela tend, à montrer que la substitution ne va pas de soi lorsque la résiliation intervient au-delà de la première année. Les promoteurs de cette loi ont clairement souhaité créer un droit de substitution dans les douze premiers mois du contrat et s'en remettre ensuite à la volonté des parties au contrat de prêt (8). C'est une mécanique bien différente de celle que consacre la cour d'appel. Elle estime en effet que le créancier ne peut refuser un nouveau contrat présentant des garanties équivalentes au précédent : la résiliation emporte, sous quelques réserves, substitution d'assurance. Evidemment, la solution, à la lumière des dispositions de la loi du 17 mars 2014, est plus incertaine. Sous l'empire de la loi nouvelle, la résiliation pourrait n'atteindre qu'une partie des effets. L'assuré/emprunteur se trouverait donc dans une situation périlleuse.

Un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (9), vient rappeler l'existence d'une autre voie d'extension de la résiliation : il s'agit de la volonté commune des parties. Les parties peuvent évidemment recourir au mutuus dissensus notamment parce qu'elles veulent conclure un autre accord (10). Ce recours à la résiliation conventionnelle peut se faire de façon plus progressive... en l'espèce, un assuré avait fait connaitre à son assureur sa volonté de mettre fin au contrat d'assurance qui les liait en dehors des cas et des modalités permis de résiliation. L'assureur a cependant pris acte de la résiliation en renvoyant le solde de prime dû (ce point est vainement discuté par l'assuré). Un incendie survient peu de temps après. La Cour de cassation considère que les juges ont pu décider que le contrat était valablement résilié. Le sinistre ne sera donc pas pris en charge. Dans cette hypothèse, il faut souligner que la résiliation prend effet au moment où les parties s'accordent sur son principe. Aucune règle, aucun accord ne vient aménager sa prise d'effet.

Cet arrêt vient rappeler une position ancienne mais contestée (11) de la jurisprudence selon laquelle, lorsque l'assuré exerce irrégulièrement une faculté de résiliation, celle-ci dégénère en simple offre de résilier que l'assureur peut accepter ou non de façon tacite ou expresse (12). On trouve dans l'arrêt de 1998 une affirmation claire qui s'applique parfaitement à l'espèce : "Un contrat d'assurance peut être résilié à la demande de l'assuré, même si celui-ci n'a pas respecté les formes légales, dès lors que l'assureur a accepté cette offre de résiliation".

Cette hypothèse de résiliation pourrait se raréfier pour certaines catégories d'assurés car le décret du 29 décembre 2014 fait de la résiliation infra-annuelle la voiture balai des cas de résiliation : elle a vocation à jouer en cas de résiliation irrégulière quand ses conditions sont réunies (13). Il en résulte notamment des différences sur les conséquences de la résiliation qui sont organisées par la loi. En particulier, la résiliation ne prend effet qu'un mois après sa notification. C'est un élément important car, dans l'espèce invoquée, l'assuré a peut être maitrisé la relation contractuelle mais pas du tout la prise en charge des risques auxquels il était exposé.


(1) Déjà : Cass. civ. 2, 11 septembre 2014, n° 13-22.429, F-D (N° Lexbase : A4327MW8), et nos obs., Chronique de droit des assurances - octobre 2014, Lexbase Hebdo n° 587 du 16 octobre 2014 - édition privée (N° Lexbase : N4106BUM).
(2) Cass. mixte, 7 février 2014, n° 12-85.107, P+B+R+I (N° Lexbase : A9169MDX), et les obs. de F. Wamba, Vers un renforcement de la charge de la preuve de la fausse déclaration du souscripteur ?, Lexbase Hebdo n° 564 du 27 mars 2014 - édition privée (N° Lexbase : N1472BU3) ; RCA, 2014, comm. 99, note H. Groutel ; RGDA, 2014, 196, note J. Kullmann et L. Mayaux ; JCP éd. G, 2014, 419, note M. Asselain ; www.actuassurance.com, n° 35, obs. A. Astegiano-La Rizza.
(3) Cass. com., 8 avril 2008, n° 07-13.013, F-P+B (N° Lexbase : A8891D7G), Bull. civ. IV, n° 77 ; Cass. civ. 2, 7 juillet 2011, n° 10-16.267, F-D (N° Lexbase : A9753HUR) ; Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n° 13-12.770, F-P+B+I (N° Lexbase : A6788MP4), Bull. civ. I, n° 98.
(4) Cass. civ. 2, 2 juin 2002, n° 99-14.765 (N° Lexbase : A0638AZN), Bull. civ. II, n° 178 ; Cass. civ. 2, 5 juillet 2006, n° 05-13.580, FS-P+B (N° Lexbase : A3757DQ9), Bull. civ. II, n° 183 ; cependant, Cass. civ. 2, 29 octobre 2014, n° 13-19.729, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2832MZW), nos obs., Chronique de droit des assurances - décembre 2014, Lexbase Hebdo n° 595 du 18 décembre 2014 - édition privée (N° Lexbase : N5083BUS) ; RGDA, 2015, 16, note J. Kullmann.
(5) Cass. civ. 2, 5 février 2015, n° 13-24.856, F-D (N° Lexbase : A2331NBX), RGDA, 2015, 134, note M. Asselain.
(6) A. Pélissier, La protection par la renonciation et la résiliation : le volet substantiel de la loi "Hamon", RGDA, 2014, p. 312.
(7) Cass. civ. 2, 4 octobre 2012, n° 11-19.431, FS-P+B (N° Lexbase : A9638IT7), RGDA, 2012, 139, note J. Bigot.
(8) Assemblée nationale, séance du 16 décembre 2013.
(9) Cass. civ. 2, 5 mars 2015, n° 14-11.054, F-D (N° Lexbase : A8941NC7).
(10) Cass. civ. 2, 7 février 2010, n° 09-16.763, F-D (N° Lexbase : A3722GBH), RGDA, 2011, 57, note Abravanel-Jolly.
(11) J. Bigot et alii, Droit des assurances, Le contrat d'assurance, LGDJ, 2ème éd., T. 3, 2014, n° 1137.
(12) Cass. civ. 1, 31 mars 1998, n° 96-10.725, inédit (N° Lexbase : A7906C7X), RGDA, 1998, 713, note J. Kullmann.
(13) C. ass., art. R. 113-12, I (N° Lexbase : L4816I7I).

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Avocats/Déontologie

[Brèves] Les correspondances entre un avocat et son client font l'objet d'une protection renforcée

Réf. : CEDH, 2 avril 2015, Req. 63629/10 (N° Lexbase : A8726NEW)

Lecture: 2 min

N6796BUA

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Le 16 Avril 2015

Aux termes d'un arrêt rendu le 2 avril 2015, la Cour européenne des droits de l'Homme réaffirme que les correspondances entre un avocat et son client font l'objet d'une protection renforcée (CEDH, 2 avril 2015, Req. 63629/10 N° Lexbase : A8726NEW). Dans cette affaire la DGCCRF avait demandé au juge des libertés et de la détention (JLD) l'autorisation de procéder à des visites et saisies dans les locaux des sociétés requérantes, dans le cadre d'une enquête ouverte pour des faits d'entente illicite. Le JLD accéda à cette demande par une ordonnance du 5 octobre 2007. Les visites eurent lieu le 23 octobre 2007. De nombreux documents et fichiers informatiques furent saisis, ainsi que l'intégralité de la messagerie électronique de certains employés. A l'appui des recours qu'elles introduisirent devant le JLD à l'encontre de ces visites, les requérantes alléguèrent que les saisies pratiquées avaient été massives et indifférenciées, en ce qu'elles portaient sur plusieurs milliers de documents informatiques, dont un grand nombre était sans lien avec l'enquête ou protégé par la confidentialité qui s'attache à la relation entre un avocat et son client. Les sociétés requérantes furent déboutées de l'intégralité de leurs demandes (Cass. crim., 8 avril 2010, n° 08-87.415, F-D N° Lexbase : A7242EXI). La CEDH, dans son arrêt du 2 avril 2015, estime que la fouille et la saisie de données électroniques, constituées de fichiers informatiques et des messageries électroniques de certains employés des sociétés requérantes, ont constitué une ingérence dans les droits de ces dernières protégés par l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). La Cour relève que les saisies ont porté sur de nombreux documents, incluant l'intégralité des messageries électroniques professionnelles de certains employés, parmi lesquels figuraient des correspondances échangées avec des avocats. La Cour relève le JLD s'est contenté d'apprécier la régularité du cadre formel des saisies litigieuses, sans procéder à l'examen concret qui s'imposait après avoir pourtant admis la présence de correspondances échangées avec un avocat. A cet égard, la Cour estime qu'il appartient au juge, saisi d'allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu'ils relevaient de la confidentialité s'attachant aux relations entre un avocat et son client, de statuer sur leur sort au terme d'un examen précis et d'un contrôle concret de proportionnalité et d'ordonner par la suite, le cas échéant, leur restitution. La Cour conclut par conséquent que les visites domiciliaires et les saisies effectuées aux domiciles des requérantes étaient disproportionnées par rapport au but visé, en violation de l'article 8 (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6392ETW).

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Avocats/Honoraires

[Jurisprudence] Créance d'honoraires d'avocat et liquidation judiciaire

Réf. : Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-15.139, FS-P+B (N° Lexbase : A6709NE9)

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N6970BUP

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224), de l'Institut de droit des affaires et du Centre d'étude du droit de l'insolvabilité

Le 16 Avril 2015

L'arrêt rendu le 24 mars 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à une très bonne question : celle de savoir à quelle date prend naissance la créance d'honoraires d'un avocat. La réponse est d'importance au regard du traitement dont ladite créance va faire l'objet en cas de procédure collective du client de l'avocat. Soit elle est antérieure, et alors elle devra être déclarée à la procédure, sous peine d'être inopposable au passif du débiteur, sauf à être relevée de la forclusion (avec la possibilité désormais pour le débiteur de déposer une liste de créances valant déclaration pour le compte du créancier). Une fois admise après vérification, elle a peu de chances d'être honorée. Soit elle est postérieure : elle sera dispensée de déclaration, et pourra même être payée à son échéance, sous réserve d'être utile. Avant même d'étudier les faits, on serait tenté de penser que la créance d'honoraires d'avocat naît au fur et à mesure de sa construction, au fil de l'eau, en fonction des diligences accomplies par l'avocat. Un tel raisonnement conduit à voir la prestation d'avocat comme un contrat d'entreprise, et sur le terrain des procédures collectives, comme un contrat à exécution successive. Le risque est alors d'avoir une partie de la créance antérieure et l'autre, postérieure. Le système des provisions corrobore cette analyse : la créance naîtrait au fur et à mesure de la facturation, après chaque étape des diligences faites.

Mais si la créance d'honoraires est de résultat, quel en est le fait générateur ? On le sait, les avocats peuvent facturer des honoraires de résultat, dans la limite du quota litis (sauf peut-être lorsqu'ils interviennent en tant que mandataire immobilier ou mandataire sportif) et sous réserve que le client ne soit pas à l'aide juridictionnelle totale. Même si le travail de l'avocat est nécessairement fractionné dans le temps, et que ce travail peut donner lieu au paiement de provisions, ces dernières, en général, ne couvrent pas l'honoraire escompté, si bien que l'honoraire de résultat naîtra au jour du dénouement définitif de l'affaire, par exemple au jour d'une décision de justice irrévocable (et l'exigibilité ne sera pas nécessairement concomitante : paiement à trente jours ou plus en pratique).

C'est la solution retenue par la Cour de cassation qu'elle formule en ces termes : "la créance d'honoraires de résultat naît à la date de l'exécution de la prestation caractéristique".

En l'espèce, par convention du 19 octobre 2006, une société a confié à une SCP d'avocats la défense de ses intérêts dans un litige l'opposant à un tiers. Un honoraire de résultat était prévu, le résultat ne devant être réputé obtenu qu'une fois rendue une décision définitive. La société a été mise en redressement judiciaire le 14 mars 2011, puis en liquidation judiciaire le 10 septembre 2012. La SCP a demandé le paiement de l'honoraire de résultat, après qu'eut été rendu, le 15 janvier 2013, par la cour d'appel de Lyon (CA Lyon, 15 janvier 2013, n° 12/02438 N° Lexbase : A1479I38) désignée comme cour d'appel de renvoi après cassation (Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-14.080 N° Lexbase : A3488HNI), un arrêt allouant une indemnité au liquidateur ès qualités. Le liquidateur a alors formé un pourvoi contre l'ordonnance l'ayant condamné à payer à la SCP une somme à titre d'honoraires.

Le mandataire liquidateur soulevait trois points. D'abord, sur le terrain des contrats en cours. Il estimait ainsi que, dans la mesure où "la décision du mandataire judiciaire de mettre fin à un contrat en cours ne nécessite aucun formalisme particulier", il avait fait le choix en sa qualité de liquidateur d'un autre conseil pour la représenter, ès qualités, devant la cour d'appel de Lyon, d'où il résultait nécessairement qu'il avait été mis fin au contrat du 19 octobre 2006. En estimant au contraire qu'il avait "expressément entériné", après le jugement d'ouverture en date du 14 mars 2011, la convention conclue le 19 octobre 2006, la cour d'appel n'avait pas selon lui tiré les conséquences légales de ses constatations et avait violé les articles L. 641-10 (N° Lexbase : L7330IZI) et L. 641-11-1 (N° Lexbase : L3298IC7) du Code de commerce, textes relatifs aux contrats en cours spécifiquement en cas de liquidation judiciaire, pour le second, et à la poursuite d'activité en liquidation judiciaire, pour le premier.

Après les contrats en cours, le liquidateur se plaçait sur le terrain du dessaisissement. Il soutenait ainsi que le débiteur se trouvant dessaisi à compter du jugement d'ouverture (de liquidation judiciaire), les juges du fond, en considérant que le contrat dont était titulaire la SCP d'avocats avait pu se poursuivre après l'ouverture d'une procédure collective à l'égard du débiteur, et cela par la seule volonté de cette société qui souhaitait se faire représenter personnellement devant la cour d'appel de Lyon dans le cadre de son litige, alors qu'en principe par l'effet du jugement d'ouverture, cette société se trouvait dessaisie et ne pouvait figurer à titre personnel à cette instance, avaient violé l'article L. 641-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L7329IZH) qui pose le ledit principe du dessaisissement.

Enfin, le liquidateur rappelait "que la date du fait générateur d'une créance d'honoraire de résultat ne se confond pas avec la date de son exigibilité". Or, en faisant droit à la demande en paiement d'un honoraire de résultat présenté par la SCP bien que celle-ci n'ait pas déclaré cette créance au passif de la procédure, au motif que "le fait générateur de la créance d'honoraires de résultat est constitué non par la convention [du 19 octobre 2006], dès lors qu'à cette date elle revêtait un caractère hypothétique, mais par l'arrêt définitif de la cour d'appel de Lyon du 15 janvier 2013 qui a seul défini les contours précis de leur assiette mais surtout le principe même de leur exigibilité", quand la date à laquelle la décision de la cour d'appel de Lyon a été rendue ne correspond qu'à la date d'exigibilité de l'honoraire de résultat et non à la date du fait générateur de la créance de l'avocat, qui remonte à la date où l'honoraire de résultat a été convenu, la cour d'appel avait méconnu le principe susvisé et a violé l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L7290IZZ).

Mais la Cour de cassation rejette ces trois arguments.

En premier lieu, la Cour de cassation relève qu'ayant constaté que la SCP avait poursuivi l'exécution de sa prestation après le redressement puis la liquidation judiciaires et retenu que, s'il avait choisi un autre avocat pour le représenter devant la cour d'appel de Lyon, le liquidateur s'était borné, sans les reproduire, ni les modifier, à s'associer aux conclusions de la société débitrice établies par la SCP, auteur exclusif de l'argumentation qui avait déterminé la condamnation, le premier président a ainsi fait ressortir que la SCP avait assisté, avec son accord, le liquidateur et que celui-ci avait opté pour la continuation des relations contractuelles liant la SCP à la débitrice.

En second lieu, la Cour de cassation énonce que la créance d'honoraires de résultat naît à la date de l'exécution de la prestation caractéristique. Ainsi, en relevant que la SCP était l'auteur exclusif de l'argumentation juridique retenue par la cour d'appel de Lyon pour faire droit à la demande de la débitrice, le premier président a fait ressortir que c'est dans le cadre de la procédure de renvoi après cassation que la prestation donnant naissance à sa créance d'honoraires de résultat avait été exécutée, de sorte que la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

La solution n'est pas nouvelle. La Cour de cassation a déjà considéré que la date d'exigibilité de la commission ne se confond pas avec la date du fait générateur de la créance, en conséquence de quoi, la créance d'honoraires de résultat ne naît pas à la date du paiement mais à celle de l'exécution de la prestation caractéristique et ce, à propos d'un mandataire chargé d'une mission d'optimisation fiscale (Cass. com., 27 septembre 2011, n° 10-21.277, FS-P+B N° Lexbase : A1221HYU, Bull. civ. IV, n° 142 ; D. actu., 5 octobre 2011, obs. A. Lienhard ; D., 2012, Pan. p. 1573, obs. P. Crocq ; Rev. Sociétés, 2011, p. 730, obs. Ph. Roussel Galle).

Elle s'autorise d'une conception matérialiste ou économique (en ce sens : A. Lienhard, D. actu., 7 avril 2015) s'agissant de déterminer le fait générateur d'une créance résultant d'un contrat à exécution successive conclu avant l'ouverture de la procédure et poursuivi au-delà de ce dernier, en l'occurrence une créance d'honoraires de résultat trouvant sa cause dans un contrat de mandat.

Personne ne contestera que la date de naissance de la créance, autrement dit le fait générateur, ne signifie pas sa date d'exigibilité (E. Putman, La formation des créances, thèse Aix-Marseille III, 1987). La cause semble également entendue sur le fait que la créance d'honoraires de résultat naît à la date de l'exécution de la prestation caractéristique, et non à la date de conclusion du contrat (rejet de la thèse volontariste. En faveur de cette thèse : P.-E. Audit, La "naissance" des créances. Approche critique du conceptualisme juridique, Dalloz, 2015, n° 184 et s.). Toutefois, une fois dégagé et retenu le critère de l'exécution de la prestation caractéristique (V. encore Cass. com., 12 janvier 2010, n° 08-21.456, FS-P+B N° Lexbase : A3015EQQ, D., 2010, p. 203, obs. A. Lienhard ; D., 2010, p. 1820, obs. P.-M. Le Corre), le problème n'est pas pour autant réglé car la question reste entière de sa mise en oeuvre.

En effet, tout en affirmant la primauté de l'exécution de la prestation caractéristique pour retenir le fait générateur de la créance, le jour de conclusion du contrat peut toujours être retenu pour fixer ledit fait générateur. C'est d'ailleurs en ce sens que dans l'arrêt de 2011 la Cour de cassation avait approuvé les juges du fond d'avoir fixé le fait générateur à la conclusion du mandat, position qui au demeurant n'est pas nouvelle (Cass. com., 17 février 1998, n° 95-15.409 N° Lexbase : A2373ACU, Bull. civ. IV, n° 81 ; RTDCom., 1998, p. 938, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 16 octobre 2007, n° 06-11.102, F-D N° Lexbase : A8035DYA, Gaz. Pal., 23-24 janvier 2008, p. 44, obs. L.-C. Henry).

Ce qui compte en réalité c'est que la prestation du mandataire, ou de l'avocat, se poursuive après l'ouverture de la procédure collective, et aucunement, bien entendu, de retenir que la date de naissance de la créance est la date de paiement de la commission ou des honoraires, ce à quoi la Cour de cassation se refuse. C'est tout le principe de la thèse matérialiste ou du critère de la prestation caractéristique : cette thèse signifie que les créances du mandataire naissent au fur et à mesure de l'accomplissement de sa prestation de mandataire (P.-M. Le Corre, Continuation des contrats en cours, date de naissance des créances et mandat, D., 2009, Chron., p. 2172).

Or autant dans l'arrêt de 2011 cela était discutable, d'où une certaine ambigüité quant à sa portée. Autant dans l'arrêt sous commentaire la solution est claire, donc d'une portée importante.

La créance d'honoraires de résultat de l'avocat naît à la date de l'exécution de la prestation caractéristique. Ainsi, le fait générateur de la créance d'honoraires de résultat est constitué par l'arrêt d'appel rendu après cassation qui, pour faire droit à la demande de la débitrice, a retenu l'argumentation développée par l'avocat. Cet arrêt ayant été rendu après l'ouverture de la procédure collective du client, la créance d'honoraires de résultat est une créance postérieure (cf. l’Ouvrage "Entreprise en difficultés" N° Lexbase : E0334EUW).

La vraie question était donc de savoir si le contrat conclu avec le débiteur était toujours un contrat en cours. Oui il l'était. Le liquidateur le contestait, notamment sur le terrain de l'article L. 641-11-1 du Code de commerce. Il aurait même pu tenter d'invoquer les trois cas de résiliation de plein droit du III de l'article précité, cela n'aurait rien changé. Même si un autre avocat était intervenu (et précisément un autre avocat était intervenu), il n'en demeure pas moins que le premier avocat a accompli des diligences après l'ouverture de la procédure collective, matérialisées ici par des écritures complètement et entièrement reprises par le liquidateur devant la cour d'appel de renvoi. Le liquidateur aurait donc dû, d'une part, notifier à la SCP la non-continuation du contrat en cours conformément à l'article L. 641-11-1 du Code de commerce, d'autre part, surtout ne pas utiliser les conclusions du premier avocat. Le fait d'être représenté par un nouvel avocat est insuffisant pour valoir rupture du contrat en cours, la créance d'honoraires étant née très exactement dans le cadre de la procédure de renvoi (et non à la date de l'arrêt de la cour d'appel de renvoi).

La solution de l'arrêt sous commentaire est indiscutable. Cependant, on remarquera que les écritures utilisées devant la cour de renvoi avaient été prises avant, un peu par anticipation, si bien que l'on pourrait se demander si cette anticipation n'est pas une forme d'antériorité car de fait l'avocat n'avait plus vraiment accompli de diligences postérieurement. D'autre part, l'honoraire de résultat devait intervenir à la suite d'une décision définitive : la procédure de renvoi après cassation est-elle vraiment définitive quand on sait qu'il reste encore l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation...

Ces détails précisés, reste tout de même un point important : la créance est postérieure certes, mais est-elle utile ? La Cour de cassation ne le dit pas expressément mais en reconnaissant qu'elle n'avait pas être déclarée, et qu'elle devait être réglée à son échéance, elle considère implicitement qu'elle était "née pour les besoins du déroulement de la procédure", au sens des articles L. 622-17 (N° Lexbase : L8102IZ4) ou L. 641-13 (N° Lexbase : L8595IZD) du Code de commerce. Cela signifie qu'elle accède au rang privilégié de créance de la procédure, conséquence qui s'avère ici contenue en filigrane dans le principe même de sa naissance. Il faut prendre pour acquis que le résultat obtenu impliquait nécessairement l'utilité pour le débiteur, partant pour la procédure, ce qui paraît peu contestable puisque l'argumentation juridique victorieuse de l'avocat créancier avait fondé la condamnation à paiement de l'indemnité prononcée au bénéfice de la société en liquidation judiciaire. Les frais de dépens engagés sont ainsi présumés utiles (Cass. com., 15 octobre 2013, n° 12-23.830, F-P+B N° Lexbase : A1003KNH, Bull. civ. IV, n° 152 ; D. actu., 25 octobre 2013, obs. A. Lienhard ; Rev. Sociétés, 2013, p. 728, obs. Ph. Roussel Galle). La présomption pourrait être renversée en cas de défaite lors du procès, délibéré qui par définition ne peut être connu à l'avance. De sorte que la créance postérieure pourrait être après coup une créance postérieure non utile, c'est-à-dire non privilégiée, c'est-à-dire soumise à déclaration à compter de sa date d'exigibilité.

Deux remarques en conclusion : la solution de l'arrêt ne vaut nous semble-t-il que pour les honoraires de résultat, aucunement pour ceux qui n'en sont pas. De plus, la créance d'honoraire, de résultat ou pas, nous paraît pouvoir bénéficier du privilège des frais de justice, qui n'était pas invoqué ici car cela n'était pas nécessaire.

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Avocats/Périmètre du droit

[Brèves] Confirmation des sanctions et astreintes prononcées à l'encontre de la société exploitant le site "Divorce Discount"

Réf. : CA Aix-en-Provence, 2 avril 2015, n° 2015/243 (N° Lexbase : A9656NED)

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N6886BUL

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Le 16 Avril 2015

Sont confirmées les sanctions et astreintes prononcées à l'encontre de la société exploitant le site "Divorce Discount", proposant au public la mise en place, à bas coût, de procédures de divorce par consentement mutuel. Telle est la solution d'un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 2 avril 2015 (CA Aix-en-Provence, 2 avril 2015, n° 2015/243 N° Lexbase : A9656NED). Après avoir constaté que le site internet présentait la société comme le n° 1 du divorce en France ce qui pouvait créer dans l'esprit du public une confusion avec le titre d'avocat ; que le site proposait une prestation consistant en la gestion et le traitement d'une procédure de divorce par consentement mutuel et la réalisation des formalités nécessaires à l'obtention d'un divorce, sans déplacement du client, ni rendez vous avec celui-ci, à un prix très inférieur au tarif pratiqué, ce qui constitue un démarchage public prohibé par l'article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) ; que la société traitait pour le client toutes les étapes de la procédure jusqu'à l'audience, qu'elle percevait une rétribution, donnant ainsi des consultations de manière habituelle et rémunérée sans disposer de la compétence ni du titre lui permettant de le faire ; que la requête en divorce ainsi que les conventions et l'acte d'acquiescement n'étaient pas rédigés par "l'avocat partenaire" mais par la société qui les lui transmettait afin qu'il y appose son tampon et sa signature en échange d'honoraires d'un montant de 135 euros, comprenant l'obtention d'une date de rendez vous auprès du JAF et la présence à l'audience ; et que "l'avocat partenaire" ne rencontrait pas les clients avant l'audience, qu'il ne leur prodiguait aucun conseil, que le client ne connaissait pas son nom avant la convocation à l'audience et ne devait pas entrer en contact avec lui "sous peine d'annulation de la procédure" ; enfin qu'il recevait directement de la société exploitant le site l'acte notarié de liquidation du régime matrimonial des époux ; la cour estime qu'il y a bien contravention aux dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971. L'ordonnance du 24 décembre 2013 (TGI Aix-en-Provence, 24 décembre 2013, n° 13/01542 N° Lexbase : A6147MDZ ; lire N° Lexbase : N0951BUR) par laquelle le juge des référés a condamné la société à interrompre toute activité de consultation juridique et de rédaction d'actes ; retirer de sa documentation commerciale toute référence à une offre de services relative au traitement d'une procédure de divorce et plus généralement à l'accomplissement d'actes de représentation et d'assistance judiciaire ; faire supprimer de son site internet toute mention présentant le site internet "Divorce Discount" comme le numéro 1 du divorce en France ou en ligne ; le tout sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée et dans un délai de trois jours à compter de la signification de la décision ; est confirmée (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1072E7T).

newsid:446886

Discrimination et harcèlement

[Brèves] Question préjudicielle renvoyée à la Cour de justice sur le droit d'interdire ou non à une salariée embauchée en qualité d'ingénieur d'étude de porter le voile islamique chez le client d'une société de conseils informatiques

Réf. : Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-19.855, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3737NGI)

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N6901BU7

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Le 16 Avril 2015

Est renvoyée à titre préjudiciel, dans un arrêt rendu le 9 avril 2015 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-19.855, FS-P+B+I N° Lexbase : A3737NGI), la question visant à déterminer si les dispositions de l'article 4 § 1 de la Directive 78/2000/CE (N° Lexbase : L3822AU4) doivent être interprétées en ce sens que constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d'un client d'une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieur d'études, portant un foulard islamique.
En l'espèce, Mme X a été engagée à compter du 15 juillet 2008 par contrat de travail à durée indéterminée par la société Y, société de conseil, d'ingénierie et de formation spécialisée dans le développement et l'intégration de solutions décisionnelles, en qualité d'ingénieur d'études. Elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 15 juin 2009 et licenciée par lettre du 22 juin 2009.
Elle a saisi le 10 novembre 2009 le conseil de prud'hommes de Paris en contestant son licenciement et en faisant valoir qu'il constituait une mesure discriminatoire en raison de ses convictions religieuses. L'Association de défense des droits de l'homme est intervenue volontairement à l'instance et par jugement du 4 mai 2011, le conseil a dit le licenciement fondé par une cause réelle et sérieuse, a condamné la société à verser à la salariée une certaine somme au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et a rejeté ses autres demandes au fond. Sur appel de Mme X et appel incident de la société, la cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 1ère ch., 18 avril 2013, n° 11/05892 N° Lexbase : A2134KCZ) a confirmé le jugement.
La cour d'appel ayant rejeté ses demandes au titre d'un licenciement nul en raison de la discrimination, Mme X s'est pourvue en cassation.
La Haute juridiction relève que la Cour de justice n'ayant pas été jusqu'ici amenée à préciser la question susvisée, cette dernière lui est renvoyée (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9166ESB).

newsid:446901

Droit pénal des affaires

[Jurisprudence] Inconstitutionnalité du cumul des poursuites pour manquement d'initié et délit d'initié

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC, du 18 mars 2015 (N° Lexbase : A7983NDZ)

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N7001BUT

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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II

Le 16 Avril 2015

Par sa décision extrêmement importante du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a remis en cause le système de dualité des poursuites en matière boursière. Il a, en effet, jugé que les articles du Code des marchés financiers prévoyant le délit d'initié et le manquement d'initié méconnaissaient le principe de nécessité des délits et des peines. En déclarant contraires à la Constitution les dispositions relatives à ce cumul des poursuites, les Sages ont rendu, aux termes d'un raisonnement rigoureux, une solution parfaitement justifiée au regard de la jurisprudence européenne.
Depuis la loi n° 89-531 du 2 août 1989, relative à la sécurité et à la transparence du marché financier (N° Lexbase : L0886BD8), la répression des infractions à la législation boursière se caractérise par un système de dualité des poursuites et des sanctions de nature administrative et pénale. Sur le plan pénal, la répression repose essentiellement sur le délit d'initié tandis que sur le plan administratif, il existe un manquement dit d'initié. Un certain nombre de dispositions, codifiées dans le Code des marchés financiers (CMF), tendent à assurer une coordination entre ces deux répressions. C'est relativement à cette dualité qu'a été saisi le Conseil constitutionnel les 19 décembre 2014 (1) et 4 février 2015 (2). En effet, la Cour de cassation a transmis trois questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions de l'article 6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9881IQZ) et des articles L. 465-1 (N° Lexbase : L5192IXL), L. 466-1 (N° Lexbase : L2167INL), L. 621-15 (N° Lexbase : L5045IZU), L. 621-15-1 (N° Lexbase : L4337I7R), L. 621-16 (N° Lexbase : L3132G9U), L. 621-16-1 (N° Lexbase : L4336I7Q) et L. 621-20-1 (N° Lexbase : L3133HZ3) du Code monétaire et financier. Deux de ces questions s'inscrivent dans une procédure pénale relative aux conditions dans lesquelles des actions d'une société avaient été vendues entre novembre 2005 et mars 2006 par des personnes suspectées de détenir, à cette date, des informations privilégiées dont la révélation ultérieure avait entraîné la chute du cours de ces actions. L'action publique pour délit d'initié avait alors été mise en mouvement par un réquisitoire introductif du Procureur de la République de Paris du 20 novembre 2006. Par ordonnance du 27 novembre 2013, un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris avait renvoyé plusieurs personnes mises en examen devant le tribunal correctionnel pour des faits qualifiés de délit d'initié. Parallèlement, une procédure d'enquête de l'AMF avait été conduite. A l'issue de cette procédure, l'AMF avait notifié des griefs à ces mêmes personnes, ainsi renvoyées devant la commission des sanctions de l'AMF. Par décision du 27 novembre 2009, cette dernière avait prononcé une décision de mise hors de cause de l'ensemble des personnes poursuivies au motif que les informations en cause ne pouvaient être qualifiées de privilégiées. A l'audience du tribunal correctionnel de Paris du 3 octobre 2014, avaient été posées, d'une part, une QPC visant l'article 6 du Code de procédure pénale et, d'autre part, une QPC portant sur les articles L. 465-1, L. 466-1, L. 421-15-1, L. 621-16-1 et L. 621-20-1 du Code monétaire et financier. Ces questions avaient été transmises à la Cour de cassation par le tribunal de correctionnel de Paris par deux jugements du même jour. La Cour de cassation a alors renvoyé ces QPC au Conseil constitutionnel.

Selon les requérants, les dispositions critiquées, qui permettent que des poursuites pénales visant les mêmes faits que ceux poursuivis devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers puissent être engagées et prospérer, portent atteinte, en méconnaissance du principe non bis in idem, aux principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et au droit au maintien des situations légalement acquises. Ils soulignaient, en particulier, les similitudes entre la définition du manquement d'initié, poursuivi devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers, et la définition du délit d'initié, poursuivi devant les juridictions pénales de sorte qu'en confiant à l'Autorité des marchés financiers un pouvoir de sanction de nature pénale, ces dispositions porteraient aussi atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Ils précisaient encore qu'en obligeant l'autorité judiciaire à recueillir l'avis de l'Autorité des marchés financiers en cas de poursuites pour des faits de délit d'initié, en permettant à l'autorité judiciaire d'obtenir communication des éléments de l'enquête menée par l'AMF et en autorisant le juge pénal à prendre en compte l'éventuelle décision de sanction prononcée par cette dernière, le principe de la présomption d'innocence et les droits de la défense seraient méconnus (consid. n° 18).

Si le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions contestées de l'article 6 du Code de procédure pénale et l'article L. 621-20-1 du Code monétaire et financier étaient conformes à la Constitution, il en a jugé autrement s'agissant de l'article L. 465-1, relatif au délit d'initié réprimé par le juge pénal, et de l'article L. 621-15, relatif au manquement d'initié réprimé par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers.

L'argumentation des requérants a donc reçu un écho favorable, le Conseil constitutionnel rendant une décision attendue (I) et pleinement justifiée (II).

I - Une décision attendue

L'état du droit antérieur doit être rappelé (A) avant d'examiner plus avant le sens de la décision du 18 mars 2015 (B).

A - L'état du droit antérieur

L'article 4 du Protocole n° 7 annexé à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales dispose que "nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif, conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat". A la ratification du Protocole, la France avait posé une réserve aux termes de laquelle, "seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 et 4 du présent Protocole". Ainsi, cette réserve limitait le champ d'application du principe non bis in idem aux poursuites exercées au sein d'un "même ordre" répressif.

C'est sur cette réserve conventionnelle que se fondait traditionnellement la Cour de cassation pour justifier le cumul des poursuites. Encore récemment, elle a jugé le cumul des sanctions conforme à l'article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, entrée en vigueur le 1er décembre 2009, qui consacre le principe non bis in idem dans les termes suivants : "nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi" (3). On sait d'ailleurs que la Cour de cassation avait considéré que la question n'était ni nouvelle, ni sérieuse pour justifier une question prioritaire de constitutionnalité (4).

De son côté, le Conseil constitutionnel n'hésitait pas à valider le cumul des deux régimes de sanctions, administratives et pénales, dès lors que le principe de proportionnalité des délits et des peines était respecté et, en particulier, que le montant global des sanctions ainsi prononcées ne dépassait pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (5). Cette solution avait fait l'objet d'une confirmation très récente, le Conseil ayant énoncé, l'occasion d'une décision en date du 24 octobre 2014, que "lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; qu'il appartient donc aux autorités juridictionnelles et disciplinaires compétentes de veiller au respect de cette exigence". (6).

Pour autant, la question posée en l'espèce présentait un aspect tout à fait particulier puisqu'elle était moins relative à la question du plafonnement des sanctions qu'à l'atteinte que portent aux garanties constitutionnelles des dispositions qui permettent, à l'encontre d'une même personne, d'engager des poursuites et, le cas échéant de prononcer une sanction, pour des faits ayant déjà fait l'objet d'une décision définitive de l'AMF l'ayant mise hors de cause. A cet égard, comme le rappelait très justement un auteur "en droit pénal, la règle non bis in idem' ne se confond pas avec le principe de non-cumul des sanctions, même si des liens évidents existent entre les deux. La première est une règle de forme qui prohibe l'exercice de deux actions répressives à l'égard d'une même infraction et se rattache à l'autorité absolue de la chose jugée en matière pénale (v. par ex., art 368 du CPP). La seconde est d'ordre substantiel et interdit soit qu'une même infraction puisse être sanctionnée par plusieurs peines, soit, lorsqu'existent plusieurs infractions commises, que le cumul des peines afférentes à chacune d'elles n'excède le maximum légal de la peine la plus élevée" (7).

Sur ce point, la question posée pouvait donc paraître inédite et pouvait donc laisser espérer une décision clairement défavorable au cumul.

B - Le sens de la décision

Le Conseil constitutionnel a d'abord pris le soin de rappeler les dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) aux termes duquel "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Le Conseil a souligné que ces principes de nécessité et de légalité ne concernaient pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendaient à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Toutefois, il a ajouté que "le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction", tout en précisant que "si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues". L'article 9 de la DDHC (N° Lexbase : L1373A9Q), qui pose le principe de la présomption d'innocence, a également été mentionné (consid. n° 19) par le Conseil, conformément à sa jurisprudence traditionnelle (8)

Après ces rappels, le Conseil constitutionnel a analysé scrupuleusement les dispositions des articles L. 465-1 et L. 621-15 en adoptant un raisonnement en quatre temps. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a comparé la définition du délit d'initié et celle du manquement d'initié. Il a relevé notamment que les articles précités tendaient à réprimer les mêmes faits et en a conclu qu'ils définissaient et qualifiaient de la même manière le manquement d'initié et le délit d'initié (consid. 22 à 24). En second lieu, le Conseil a étudié la finalité de la répression des deux hypothèses envisagées. Or, selon lui, la répression du manquement d'initié et celle du délit d'initié poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l'intégrité des marchés financiers. Les deux répressions protègent donc les mêmes intérêts sociaux (consid. 25). En troisième lieu, il a examiné les sanctions des délits et des manquements d'initiés. Rappelons que si l'auteur d'un délit d'initié peut être puni d'une peine de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros, l'auteur d'un manquement d'initié encourt une sanction pécuniaire de 10 millions d'euros. Aussi, les Sages ont-ils précisé que, si seul le juge pénal peut condamner l'auteur d'un délit d'initié à une peine d'emprisonnement lorsqu'il s'agit d'une personne physique et à une dissolution lorsqu'il s'agit d'une personne morale, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers peuvent être aussi d'une très grande sévérité et atteindre jusqu'à plus de six fois celles encourues devant la juridiction pénale en cas de délit d'initié. Il en résultait que les faits réprimés par les articles L. 465-1 et L. 621-15 devaient être regardés comme susceptibles de faire l'objet de sanctions qui ne sont pas de nature différente (consid. 26). Enfin, le Conseil constitutionnel a constaté que, dès lors que l'auteur d'un manquement d'initié n'était pas une personne ou entité mentionnée au paragraphe II de l'article L. 621-9 du Code monétaire et financier, la sanction qu'il encourait et celle qu'encourait l'auteur d'un délit d'initié relevaient toutes deux des juridictions de l'ordre judiciaire (consid. 27). Le Conseil constitutionnel en a déduit que les sanctions du délit d'initié et du manquement d'initié ne pouvaient être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction.

Dès lors, le Conseil a estimé que les articles L. 465-1 et L. 621-15 méconnaissaient (en ce qu'ils peuvent être appliqués à une personne ou entité autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9) le principe de nécessité des délits et des peines et a déclaré ces dispositions, ainsi que celles des articles L. 466-1, L. 621-15-1, L. 621-16 et L. 621-16-1 qui sont vues comme leur étant inséparables, contraires à la Constitution (consid. 28). Cette conclusion adoptée aux termes d'un raisonnement clair et rigoureux est parfaitement justifiée, des précisions étant, en outre, apportée quant à l'application dans le temps de la solution.

II - Une décision justifiée aux effets reportés

La décision rendue par le Conseil constitutionnel est conforme à la jurisprudence européenne qui avait rendu un arrêt récent très instructif en condamnant le système dual italien (A). Les Sages ont donc pris le soin d'en tirer les enseignements tout en précisant les effets dans le temps de la décision du 18 mars 2015 (B).

A - Une décision conforme à la jurisprudence européenne

La jurisprudence européenne avait eu l'occasion de se prononcer, à plusieurs reprises, sur le principe non bis in idem en matière boursière. Ainsi, il ressort des décisions rendues par la Cour européenne des droits de l'Homme que le manquement boursier et le délit boursier ont "pour origine des faits identiques ou des faits en substance les mêmes", et que les réserves au principe non bis in idem, émises par quelques Etats, ne peuvent être invoquées qu'à condition d'offrir un degré de précision suffisant, imposant une identification exhaustive des procédures qui échapperaient à l'emprise de l'article 4 du Protocole n° 7 (9).

Plus récemment, la réserve italienne a été soumise à la Cour de Strasbourg qui a déclaré, dans son arrêt "Grande Stevens", contraire à la Convention l'engagement de poursuites pénales réprimant des faits ayant déjà fait l'objet d'une décision de sanction rendue par le régulateur italien, la CONSOB (10).

La doctrine avait été unanime pour souligner que l'approche de la jurisprudence nationale du principe non bis in idem était en contrariété avec les précisions apportées par la jurisprudence européenne. Ainsi, le Professeur Anne-Valérie Le Fur (11) avait précisé, avec d'autres auteurs (12), que la position antérieure du Conseil constitutionnel devenait fragile au regard du droit européen (13). De la même manière, pour le Professeur Marc Pelletier, la "conception formaliste [des juridictions internes] a été abandonnée par la Cour européenne des droits de l'homme" (14). Pour le Professeur Frédéric Stasiak, l'arrêt "Grande Stevens" "ne peut que conforter le sentiment d'une contrariété du système français de répression des abus de marché aux exigences de la Convention" et "fragilise[r] davantage [la solution] admise par la Chambre criminelle" (15). D'ailleurs, eu égard aux précisions apportées par la jurisprudence européenne, le Professeur Stéphane Torck avait affirmé : "l'on ne voit guère, dans ces conditions, comment la France pourrait éviter une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme" et en avait conclu qu'"il est grand temps, en France, à l'heure où se profile la mise en oeuvre des nouveaux dispositifs sur les Abus de marché, que nos institutions s'interrogent sur l'articulation des responsabilités pénale et administrative en droit financier et, plus largement, dans tous les domaines où, aujourd'hui, un cumul de sanctions pour des mêmes faits est possible" (16). La décision du Conseil constitutionnel prend donc acte des préconisations de la doctrine et du dernier état de la jurisprudence européenne en considérant que la dualité des poursuites est contraire à la Constitution en reportant les effets de sa décision.

B - Les effets de la décision

Il convient de rappeler qu'à l'occasion de l'arrêt rendu à l'encontre de l'Italie, la Cour européenne avait non seulement rejeté la réserve italienne, mais avait également ordonné la clôture immédiate des poursuites pénales ouvertes par le parquet italien contre un investisseur et ses représentants accusés de manipulations de marché, ces personnes ayant en effet déjà fait l'objet de poursuites et de sanctions administratives, dont la décision était devenue définitive (17).

En l'espèce, le Conseil constitutionnel a décidé de reporter 1er septembre 2016 la date d'abrogation de ces dispositions, dès lors que leur abrogation immédiate "aurait pour effet, en faisant disparaître l'inconstitutionnalité constatée, d'empêcher toute poursuite et de mettre fin à celles engagées à l'encontre des personnes ayant commis des faits qualifiés de délit ou de manquement d'initié, que celles-ci aient ou non déjà fait l'objet de poursuites devant la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ou le juge pénal, et entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives" (consid. 35).

Toutefois, afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il a précisé que des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l'article L. 621-15 du Code monétaire et financier, à l'encontre d'une personne autre que celles mentionnées au paragraphe II de l'article L. 621-9 du même code, dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne devant le juge judiciaire statuant en matière pénale sur le fondement de l'article L. 465-1 du même code, ou que celui-ci aura déjà définitivement statué sur des poursuites pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne.

De même, et à l'inverse, des poursuites ne pourront être engagées ou continuées sur le fondement de l'article L. 465-1 du Code monétaire et financier, dès lors que des premières poursuites auront déjà été engagées, pour les mêmes faits et à l'encontre de la même personne, devant la commission des sanctions de l'AMF sur le fondement des dispositions contestées de l'article L. 621-15 du même code, ou que celle-ci aura déjà statué de manière définitive sur des poursuites pour les mêmes faits à l'encontre de la même personne (consid. 36). Ainsi, la tenue du procès "EADS" devant les juridictions pénales parisiennes est donc clairement remise en cause.

Indépendamment de la portée dans le temps de la décision, la présente décision invite à s'interroger, plus globalement, sur son impact en dehors du droit pénal boursier. Cette interrogation est d'autant plus vive que dans un récent arrêt du 27 novembre 2014, la Cour européenne a repris le raisonnement adopté dans la décision "Grande Stevens" pour sanctionner une hypothèse de cumul de poursuites pénales et de sanctions fiscales (18). La personne intéressée avait, en effet, contesté avec succès les pénalités administratives fiscales prononcées contre elle mais avait été condamnée sur le fondement de l'infraction pénale de fraude fiscale pour les faits ayant occasionné les pénalités administratives.


(1) Cass. crim., 17 décembre 2014, deux arrêts, n° 14-90.042, F-D (N° Lexbase : A2844M8T) et n° 14-90.043, F-D (N° Lexbase : A2853M88).
(2) Cass. crim., 28 janvier 2015, n° 14-90.049, F-D (N° Lexbase : A4277NBZ).
(3) Cass. crim., 22 janvier 2014, n° 12-83.579, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9859KZ8).
(4) Ass. plén., 8 juillet 2010, n° 09-71.252 et n° 10-10.965, P+B (N° Lexbase : A2174E4B). V. égal. CE, 1° et 6° s-s-r., 16 juillet 2010, n° 321056 (N° Lexbase : A6422E4M).
(5) Cons. const., décision n° 89-260 DC, du 28 juillet 1989, (N° Lexbase : A8202ACR), Rec. Cons. const., 1989, 71 ; Cons. const., décision n° 97-395 DC, du 30 décembre 1997, (N° Lexbase : A8445ACR), Rec. Cons. const., 1997, 333 ; Cons. const., décision n° 2013-341 QPC, du 27 septembre 2013, (N° Lexbase : A8221KL3).
(6) Cons. const., décision n° 2014-423 QPC, du 24 octobre 2014 (N° Lexbase : A0011MZG), consid. n° 37.
(7) F. Stasiak, RSC, 2009, p. 117.
(8) Cons. const., décision n° 2012-289 QPC, du 17 janvier 2013 (N° Lexbase : A2952I3Q).
(9) CEDH, 23 octobre 1995, Req. n° 33/1994/480/562 (N° Lexbase : A8370AWW) ; CEDH, 10 février 2009, Req. n° 14939/03 (N° Lexbase : A0804ED7), D., 2009. 2014, note J. Pradel.
(10) CEDH 4 mars 2014, Req. n° 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10 (N° Lexbase : A1275MGC).
(11) A.-V. Le Fur, Non bis in idem : un jugement attendu !, Recueil Dalloz, 2014 p. 2059
(12) V., en dernier lieu, E. Dezeuze et N. Rontchevsky, note sous CEDH 4 mars 2014, n° 18640/10, préc., RTDF, 2014, n° 2, p. 149.
(13) D. Schmidt et A.-V. Le Fur, Il faut un tribunal des marchés financiers, D., 2014, 551, A.-V. Le Fur, Faut-il faire de la Commission des sanctions de l'AMF un tribunal des marchés financiers ?, Mélanges AEDBF VI, RB, Paris, 2013, p. 335 et s..
(14) M. Pelletier, La résurrection du principe non bis in idem ?, Droit fiscal, n° 19, 8 mai 2014, act. 276.
(15) F. Stasiak, Une conception du juge pénal français difficilement conciliable avec elle de la Cour européenne des droits de l'Homme, RSC, 2014, p. 106.
(16) S. Torck, Chronique d'une mort annoncée ou la vaine résistance de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, Droit des sociétés, n° 5, mai 2014, comm. 87.
(17) CEDH, 4 mars 2014, préc..
(18) CEDH, 27 novembre 2014, Req. n° 7356/10 (texte en anglais)

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Entreprises en difficulté

[Brèves] Arrivée du terme du plan de continuation : reprise du droit de poursuite individuelle

Réf. : Cass. com., 8 avril 2015, n° 13-28.061, F-P+B+I (N° Lexbase : A2530NGS)

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N6898BUZ

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Le 16 Avril 2015

Lorsque le plan de continuation est arrivé à son terme sans avoir fait l'objet d'une décision de résolution, le créancier recouvre son droit de poursuite individuelle contre le débiteur. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 avril 2015 (Cass. com., 8 avril 2015, n° 13-28.061, F-P+B+I N° Lexbase : A2530NGS). En l'espèce, une société (la débitrice) ayant été mise en redressement judiciaire, un plan de redressement d'une durée de dix ans a été adopté. Faisant valoir que sa créance, fixée au passif de la débitrice et portée sur l'état des créances, n'avait pas été payée en exécution du plan, un créancier a assigné la débitrice devant le juge des référés en paiement d'une provision. La cour d'appel ayant fait droit à cette demande (CA Fort-de-France, 5 juillet 2013, n° 12/00750 N° Lexbase : A4860KK9), la débitrice s'est pourvue en cassation. La Haute juridiction rejette le pourvoi. D'une part, elle rappelle que le commissaire à l'exécution du plan de continuation étant nommé pour la durée du plan, sa mission prend fin à l'arrivée du terme de celui-ci. Ainsi, le plan de continuation de la débitrice ayant été adopté pour une durée de dix ans par jugement du 30 juin 1998, la mission du commissaire à l'exécution du plan avait pris fin à la date de l'assignation, le 23 octobre 2012. Dès lors, et contrairement à ce que soutenait la débitrice, le créancier pouvait agir. D'autre part, la Cour approuve la cour d'appel d'avoir énoncé que, lorsque le plan de continuation est arrivé à son terme sans avoir fait l'objet d'une décision de résolution, le créancier recouvre son droit de poursuite individuelle contre le débiteur. Par conséquent, la cour d'appel, devant laquelle il n'était pas allégué que la créance avait fait l'objet d'une remise, n'a fait qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 873 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A) en allouant une provision correspondant au montant de la créance telle que fixée au passif de la procédure (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E5007E7L).

newsid:446898

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Pas d'imputation de déficits antérieurs d'une société avant les amortissements de l'exercice

Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 10 avril 2015, n° 369667, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5029NGD)

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N6927BU4

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Le 17 Avril 2015

Une société ne peut imputer les déficits antérieurement subis que sur un bénéfice net établi après déduction des charges d'amortissement de l'exercice. Tel est le principe énoncé par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 10 avril 2015 (CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 10 avril 2015, n° 369667, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5029NGD). Au cas présent, une société, membre d'un groupe fiscalement intégré à la tête duquel était placée une société mère, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. A l'issue de ce contrôle, l'administration a réintégré dans son résultat imposable le déficit reportable, dégagé avant son entrée dans le groupe fiscal, qu'elle avait imputé sur cet exercice. La société mère requérante, par sa qualité, seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû par l'ensemble du groupe, a demandé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés. Cependant, le Conseil d'Etat n'a pas accédé à ses requêtes. En effet, selon les Hauts magistrats, les déficits d'exercices antérieurs, qui n'entrent pas dans la définition comptable des charges et ne sont pas non plus pris en compte pour la détermination des bénéfices industriels et commerciaux imposables à l'impôt sur le revenu, y sont cependant assimilés pour la détermination du bénéfice fiscal d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés, sous la réserve énoncée par la seconde phrase du premier alinéa du I de l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L4558I7X), selon laquelle un déficit antérieur ne peut être déduit du bénéfice de cet exercice que dans la limite du bénéfice de cet exercice, l'excédent étant lui-même reporté, le cas échéant, sur les exercices suivants. Ainsi, un tel déficit ne peut s'imputer que sur le bénéfice net de l'exercice sur lequel il est reporté, ce bénéfice ayant préalablement été établi, conformément aux dispositions du 1 de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH), après déduction de toutes charges, dont les amortissements mentionnés au 2° .

newsid:446927

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Exonération des plus-values réalisées par les petites entreprises

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 17 février 2015, n° 371410, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0274NC7)

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N6969BUN

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par Karim Sid Ahmed, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Cergy-Pontoise

Le 16 Avril 2015

L'article 151 septies du CGI (N° Lexbase : L8692I4P) à l'image d'autres dispositions de ce code (par exemple : CGI, art. 238 quindecies N° Lexbase : L5712IXT) vise notamment à encourager les transmissions d'entreprises à titre onéreux. Pour ce faire, il prévoit l'exonération partielle ou totale des plus-values réalisées à l'occasion de la cession d'éléments d'actif immobilisé ou d'éléments d'actif affectés à l'exercice de la profession réalisées par les petites entreprises, en cours ou en fin d'exploitation, sous réserve que certaines conditions soient remplies. Celles-ci portent sur l'activité exercée par le contribuable (sa nature et sa durée) et sur le montant des recettes. C'est cette dernière condition qui était au centre de l'affaire tranchée par l'arrêt du Conseil d'Etat du 17 février 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 17 février 2015, n° 371410, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le requérant avait fait l'objet d'un rappel d'impôt sur le revenu au titre des années 2001 et 2002 qui l'a amené à saisir le tribunal administratif de Melun (TA Melun, 22 novembre 2012, n° 1000329/3) afin d'obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu. La juridiction l'ayant débouté de sa demande, il fait alors appel du jugement rendu le 22 novembre 2012. La cour administrative de Paris, dans un arrêt du 25 juin 2013 (CAA Paris, 25 juin 2013, n° 13PA00382 N° Lexbase : A7415KKT), puis le Conseil d'Etat, saisi par un pourvoi en cassation, vont à leur tour lui donner tort.

Les faits qui sont rappelés sommairement par l'arrêt du 17 février 2015 nous enseignent que le plaignant estimait que la fraction des plus-values professionnelles correspond à ses droits dans une SNC dont il était l'un des associés devait échapper à l'impôt. On rappellera que l'article 151 septies s'applique aux plus-values réalisées dans le cadre d'une activité agricole, artisanale, commerciale, industrielle ou libérale qui doit être exercée à titre professionnel. En revanche, il importe peu que cette activité soit exercée dans une entreprise individuelle ou, comme c'est le cas en l'espèce, dans le cadre d'une société de personnes.

L'article 151 septies dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige disposait que "Les plus-values réalisées [...] par des contribuables dont les recettes n'excèdent pas le double de la limite des régimes définis aux articles 50-0 (N° Lexbase : L4001I3L) et 102 ter (N° Lexbase : L3996I3E) du CGI, appréciée toutes taxes comprises sont exonérées [...] ; que lorsque l'activité dans le cadre de laquelle ont été réalisées des plus-values est exercée par une société de personnes [...], les recettes à prendre en compte pour vérifier si la limite prévue par les dispositions précitées de l'article 151 septies du CGI n'est pas dépassée sont celles dégagées par la société".

Or, le noeud du problème résidait justement dans le fait que les recettes de la SNC étaient supérieures à la limite prévue par ce texte et qu'ainsi les plus-values en cause ne pouvaient être exonérées. Ce qui n'était d'ailleurs pas contesté par l'associé qui avait cru trouver la parade en invoquant le bénéfice de l'article 70 du CGI (N° Lexbase : L3704IC8) qui concerne les exploitants agricoles !

L'intérêt de se placer sous l'égide de cette disposition était pourtant bien clair. L'article 70, ainsi que l'article 71 du CGI (N° Lexbase : L4709I7K), apportent quelques dérogations à l'article 151 septies s'agissant des sociétés civiles agricoles soumises à l'IR. A la différence de l'article 151 septies, le dispositif applicable à ces sociétés apprécie les conditions d'exonération au niveau de l'associé. Par conséquent, selon le contribuable, afin de savoir si les plus-values étaient exonérées, il ne fallait pas prendre en compte les recettes de la société mais sa quote-part dans celles-ci. On peut supposer que le montant des recettes qui lui revenait devait être inférieur à la limite légale.

La thèse était habile mais ni les juges du fond, ni le juge de cassation ne se sont laissés berner. Et pour cause, les plus-values litigieuses avaient été réalisées dans le cadre de l'activité de location en meublé de la SNC ! Nous étions donc bien loin de toute activité agricole...

C'est ainsi, fort logiquement, que le Conseil d'Etat, à l'instar de la cour administrative d'appel, a pris en considération les recettes de la société et non la partie de celles-ci attribuée au plaignant pour apprécier un éventuel dépassement des seuils légaux : "Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, pour l'imposition à l'impôt sur le revenu de la quote-part des plus-values professionnelles correspondant aux droits du requérant dans la société de personnes dont il était l'un des associés, les recettes à prendre en compte pour l'appréciation du respect du montant mentionné à l'article 151 septies du CGI étaient celles dégagées par la société".

La solution est d'autant plus cohérente qu'elle ne fait qu'appliquer finalement le régime fiscal des sociétés semi-transparentes qui conduit à calculer le résultat au niveau de la société même si le recouvrement de l'impôt ne concerne que les associés.

newsid:446969

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Exonération d'IR de suppléments de salaire versés à des salariés envoyés à l'étranger

Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 10 avril 2015, n° 365851, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5021NG3)

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N6930BU9

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Le 21 Avril 2015

S'agissant des dispositions applicables à l'imposition des salariés détachés à l'étranger, et plus particulièrement s'agissant de la prise en compte de suppléments de rémunération dans ce type de cas, le montant de la rémunération servant de base au calcul du plafond de 40 % n'est pas celui de la rémunération qu'aurait normalement perçue un contribuable au cours des périodes pendant lesquelles il a effectué des déplacements à l'étranger. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 10 avril 2015 (CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 10 avril 2015, n° 365851, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5021NG3). En effet, il résulte des dispositions de l'article 81 A du CGI (N° Lexbase : L8873IR3), en particulier des termes de la seconde phrase du 3° du II, rapprochés de ceux de la première phrase du même 3°, que le législateur a entendu, d'une part, subordonner le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu des suppléments de rémunération versés à un salarié envoyé par son employeur à l'étranger à des conditions tenant, notamment, à ce que le montant de ces suppléments soit déterminé préalablement et en rapport avec le nombre, la durée et le lieu de ses séjours hors de France, et d'autre part, ces conditions étant remplies, limiter le montant du revenu pouvant être exonéré pendant la période d'imposition à 40 % de la rémunération, laquelle doit ainsi s'entendre comme correspondant au montant global de la rémunération hors suppléments versée au salarié pendant cette période, et non à celui de la seule rémunération perçue pendant la durée des séjours hors de France donnant lieu au versement de ces suppléments. Par conséquent, en l'espèce, les montants des suppléments de rémunération déclarés par les requérants (un couple), dont il n'est pas contesté par l'administration qu'ils ont été déterminés préalablement en rapport avec le nombre, la durée et le lieu des séjours hors de France de ces derniers, sont inférieurs à 40 % des rémunérations annuelles, hors suppléments de rémunération, versées au mari au cours des années 2006 et 2007. Ils bénéficient ainsi d'une exonération d'impôt sur le revenu en application des dispositions du II de l'article 81 A du CGI. Dès lors, l'administration n'est pas fondée à rehausser les revenus imposables du couple pour les périodes litigieuses .

newsid:446930

[Brèves] La délivrance de l'obligation annuelle d'information de la caution n'est pas un acte d'exécution du cautionnement de nature à faire obstacle à une demande de nullité

Réf. : Cass. com., 8 avril 2015, n° 13-14.447, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2529NGR)

Lecture: 1 min

N6890BUQ

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Le 16 Avril 2015

La seule délivrance de l'obligation d'information annuelle à la caution est une simple obligation légale sanctionnée par la déchéance du droit aux accessoires de la créance et non la contrepartie de l'obligation de la caution. Il en résulte, pour la caution, la possibilité de se prévaloir d'une exception de nullité. Tels sont les principes exposés dans un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 avril 2015 (Cass. com., 8 avril 2015, n° 13-14.447, FS-P+B+I N° Lexbase : A2529NGR). En l'espèce, M. X. s'est rendu caution solidaire envers la société CA., aux droits de laquelle est venu le Fonds commun de créances (le FCC), du prêt consenti à la société C.. Cette dernière ayant été défaillante, le créancier, en qualité de société de gestion du FCC, a assigné en paiement la caution, qui s'est prévalue de la nullité de son engagement. Contestant le prononcé de la nullité du cautionnement par la cour d'appel, le créancier se pourvoit en cassation. Selon lui, l'exception de nullité ne peut être soulevée que pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté. Or, l'information annuelle délivrée par le créancier, établissement de crédit, à la caution constituerait un acte d'exécution du cautionnement. En affirmant le contraire, pour juger que le contrat de cautionnement n'avait pas encore été exécuté à la date à laquelle la caution avait soulevé l'exception, alors que l'obligation légale d'information prend effet sur l'étendue de la créance pouvant être réclamée à la caution, et constitue une forme d'exécution du contrat de cautionnement, la cour d'appel aurait violé les articles 1304 du Code civil (N° Lexbase : L8527HWQ) et L. 313-22 (N° Lexbase : L2501IXW) du Code monétaire et financier. Rappelant le principe énoncé, la Cour de cassation rejette l'argumentation avancée au motif que les obligations mises à la charge du créancier professionnel ne sont que des obligations légales sanctionnées par la déchéance du droit aux accessoires de la créance et non la preuve de l'exécution de l'engagement de cautionnement .

newsid:446890

Habitat-Logement

[Brèves] Inexécution d'une décision octroyant un logement dans le cadre de la loi "DALO" : condamnation de la France devant la CEDH

Réf. : CEDH, 9 avril 2015, Req. 65829/12 (N° Lexbase : A2537NG3)

Lecture: 2 min

N6978BUY

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Le 18 Avril 2015

Dans un arrêt rendu le 9 avril 2015, la CEDH a condamné la France dans le cadre de l'inexécution d'un jugement définitif octroyant à la requérante un logement dans le cadre de la loi "DALO" (loi n° 2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale N° Lexbase : L5929HU7) (CEDH, 9 avril 2015, Req. 65829/12 N° Lexbase : A2537NG3). La loi "DALO" prévoit que le droit à un logement décent et indépendant, pour toute personne n'étant pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir, est garanti par l'Etat, qui est désormais soumis à une obligation de résultat et non plus seulement de moyens. A cet effet, la loi a institué une procédure devant permettre l'attribution effective d'un logement : le demandeur exerce un recours amiable auprès des commissions départementales de médiation puis, si nécessaire, un recours contentieux auprès de la juridiction administrative. Le 28 décembre 2010 (TA Paris, 28 décembre 2010, n° 1016817 N° Lexbase : A3738NGK), le tribunal administratif de Paris fit droit à la demande de Mme X en enjoignant au préfet de la région d'Ile-de-France d'assurer le relogement de la requérante, de sa fille et de son frère sous astreinte. La Cour constate qu'en l'absence de relogement de l'intéressée, le jugement du 28 décembre 2010 n'a pas été exécuté dans son intégralité, plus de trois ans et demi après son prononcé, et ce, alors même que les juridictions françaises avaient indiqué que sa demande devait être satisfaite avec une urgence particulière. Si l'astreinte prononcée dans ce jugement a effectivement été liquidée et versée par l'Etat, elle n'a aucune fonction compensatoire et n'a pas été versée à la requérante, mais à un fonds géré par l'Etat. Ce défaut d'exécution du jugement en question ne se fonde sur aucune justification valable au sens de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle l'Etat ne peut faire valoir un problème de ressources pour ne pas honorer, par exemple, une dette fondée sur une décision de justice (CEDH, 26 septembre 2006, Req. 57516/00 N° Lexbase : A3186DRG). Par conséquent, en s'abstenant pendant plusieurs années de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la décision enjoignant le relogement de la requérante, les autorités françaises ont privé l'article 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR) (droit à un procès équitable) de tout effet utile. La Cour conclut donc à la violation de cette disposition.

newsid:446978

Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Contrôle d'alcoolémie au travail : jusqu'où l'employeur peut-il aller ?

Réf. : Cass. soc., 31 mars 2015, n° 13-25.436, FS-P+B (N° Lexbase : A0971NG3)

Lecture: 9 min

N6995BUM

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par Pascal Lokiec, Professeur à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Le 16 Avril 2015

La lutte contre l'alcoolisme au travail constitue une priorité avec environ 15 % des accidents du travail qui surviennent chez des personnes présentant un taux d'alcoolémie supérieur au taux légal (0,5 g/l). Le récent décret n° 2014-754 du 1er juillet 2014 (N° Lexbase : L6426I3E) rappelle, en ce sens, que "l'alcool est la substance psycho-active la plus consommée et les consommations ponctuelles importantes ainsi que les ivresses déclarées en augmentation parmi les actifs" (1). C'est cependant dans le respect des libertés fondamentales que la lutte contre l'alcoolisme au travail doit être conduite, comme le rappelle un arrêt rendu le 31 mars 2015 par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Dans cette affaire, le salarié d'une société d'autoroute, embauché en qualité d'ouvrier routier qualifié, a été licencié pour faute grave pour s'être notamment trouvé en état d'imprégnation alcoolique sur son lieu de travail. Il contestait son licenciement au motif, d'une part, que le contrôle d'alcoolémie était intervenu en dehors de son lieu de travail, et, d'autre part, que la "charte" applicable dans l'entreprise (en sus du règlement intérieur) ne permettait de sanctionner des faits d'alcoolémie que si le salarié avait déjà été averti. La Cour de cassation donne tort au salarié sur ces deux points, inscrivant sa jurisprudence dans une tendance au durcissement de la lutte contre les substances nuisibles à la santé (tabac, alcool, drogues...). Un durcissement qui s'explique par une volonté de renforcer la lutte contre l'alcoolisme au travail, mais constitue aussi une réponse à la responsabilité des employeurs qui, sur fond d'obligation de sécurité de résultat, engagent leur responsabilité, civile et pénale, pour les dommages liés à l'alcoolisme (2).
Résumé

Ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale, le recours à un contrôle d'alcoolémie permettant de constater l'état d'ébriété d'un salarié au travail, dès lors qu'eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, et que les modalités de ce contrôle, prévues au règlement intérieur, en permettent la contestation, peu important qu'il s'effectue, pour des raisons techniques, hors de l'entreprise.

Commentaire

I - La prohibition de l'alcool au travail

Le Code du travail pose une interdiction de principe de consommer des boissons alcoolisées au travail, qu'il assortit de quatre exceptions : le vin, la bière, le cidre et le poiré (3). Exceptions qui, bien entendu, concernent la consommation, non l'état d'ébriété, qui est sanctionnable quelle que soit la boisson consommée. L'essentiel du contentieux porte sur l'appréciation de la faute du salarié et sur la frontière entre la simple consommation de boissons (y compris la consommation très modérée et exceptionnelle de boissons interdites) et l'état d'ébriété. La faute grave a, par exemple, été retenue à l'encontre d'un salarié ayant consommé deux fois de l'alcool jusqu'à l'ivresse, ce qui l'avait empêché d'effectuer correctement son travail (4) ou d'une hôtesse de caisse en état d'ébriété et ayant commis, sous l'emprise de l'alcool, plusieurs erreurs de caisse (5). Inversement, n'est pas suffisamment sérieuse pour justifier un licenciement la faute du salarié qui a bu, pendant son temps de pause, un verre de whisky offert par une société prestataire de service dans les locaux qui lui étaient réservés (6), celle d'un salarié surpris un verre de pastis à la main, dans les vestiaires et seulement 10 minutes avant la fin de sa journée de travail, alors que pendant ses 13 ans de présence dans l'entreprise, il n'avait fait l'objet d'aucune remarque, ni d'aucun reproche (7), ou encore, celle d'un salarié qui a consommé de l'alcool en très faible quantité, une seule fois, avant le début de sa journée de travail, alors même que l'employeur avait admis, à plusieurs reprises, l'introduction et la consommation de boissons alcoolisées dans son établissement à l'occasion de la fête des rois et de réunions de fin d'année ou d'anniversaires sur le temps et au lieu du travail (8).

Malgré les incertitudes que génère cette appréciation casuistique, impossible pour l'employeur de sécuriser son licenciement, puisqu'aucune clause du contrat de travail ne peut préconstituer la cause d'un licenciement (que ce soit pour motif économique (9) ou pour motif personnel) en droit français. La Cour de cassation estime, par exemple, qu'aucune clause du contrat ne peut valablement décider que la suspension ou le retrait du permis de conduire constitueront, en eux-mêmes, une cause de licenciement (10).

L'entreprise, désireuse d'adopter une attitude stricte vis-à-vis de l'alcool au travail, peut-elle, cependant, aller jusqu'à interdire, dans son règlement intérieur, la consommation d'alcool, y compris de boissons tolérées par le Code du travail ? Le Conseil d'Etat l'avait refusé, à propos du règlement intérieur d'une entreprise de fabrication de matériel de travaux publics qui interdisait la consommation de boissons alcoolisées dans l'entreprise, y compris dans les cafétérias, au moment des repas et pendant toute autre manifestation organisée en dehors des repas (11). C'est chose possible depuis un décret du 1er juillet 2014 qui ajoute à l'article R. 4228-20 (N° Lexbase : L6397I3C) un second alinéa : "lorsque la consommation de boissons alcoolisées [...] est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur [...] prévoit dans le règlement intérieur [...] les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d'accident. Ces mesures, qui peuvent notamment prendre la forme d'une limitation voire d'une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché". Il faut comprendre que pour certains types de fonctions (conduite de véhicule, d'engin dangereux, etc.) ou dans certaines entreprises (usine nucléaire, installations dangereuses, liées, par exemple, à la sécurité nationale (12), etc.), la prohibition de toute boisson peut être admise, dès lors qu'est caractérisée l'existence d'une situation particulière de danger ou de risque pour la santé et la sécurité des salariés et que les restrictions sont proportionnées.

Parce qu'aucun fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut constituer une faute (13), la consommation d'alcool en dehors du temps et du lieu de travail (le soir, par exemple) ne peut être l'objet d'une sanction disciplinaire. Ce qui ne veut pas dire que l'état d'ébriété du salarié pendant ses temps de vie personnelle est toujours sans conséquence. Un licenciement est possible si le comportement du salarié a causé un trouble à l'entreprise (licenciement non disciplinaire) ou s'il caractérise un manquement du salarié à ses obligations, notamment à son obligation de loyauté (licenciement disciplinaire). Les violences commises par un salarié en état d'ivresse à l'encontre des autres salariés de l'entreprise, sur le lieu de travail, mais hors de son temps de travail, constituent, ainsi, une faute grave (14). Par contre, le retrait ou la suspension du permis de conduire, fut-ce en lien avec une conduite en état d'ivresse, ne peut fonder un licenciement pour motif disciplinaire s'il intervient en dehors de l'exécution du contrat de travail (15).

II - Les conditions du contrôle d'alcoolémie

Pour établir ou prévenir l'état d'ébriété, un contrôle d'alcoolémie est souvent nécessaire, avec pour enjeu de prévenir ou faire cesser une situation dangereuse ou de sanctionner le salarié (16). Le contrôle d'alcoolémie est admis à deux conditions, rappelées par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 mars 2015.

Premièrement, le contrôle n'est possible qu'à l'égard des salariés dont l'état d'ébriété, eu égard à la nature du travail effectué, exposerait les personnes ou les biens à un danger. En l'espèce, le salarié était amené, d'après les faits rapportés par l'arrêt d'appel, à conduire un véhicule sur le réseau autoroutier, alors que celui-ci demeurait ouvert à la circulation publique.

Il a été jugé, de même, qu'est licite la clause d'un règlement intérieur qui prévoit que l'alcootest peut être imposé aux salariés amenés à manipuler des machines ou produits dangereux ainsi qu'à ceux qui conduisent des engins ou des véhicules automobiles et dont l'état d'imprégnation alcoolique constituerait une menace pour eux-mêmes ou leur entourage (17). Cela veut dire, concrètement, que l'employeur a tout intérêt à élaborer, en concertation avec les membres du CHSCT, et après avis du médecin du travail, la liste des postes à risque pour lesquels le dépistage par alcootest peut être pratiqué (18). Cette liste pourra trouver appui sur la liste des postes nécessitant une surveillance médicale renforcée (19), sur celle des postes qui présentent des risques particuliers pour les CDD et les intérimaires (20) ou encore sur celle des postes liés à la sécurité des installations classées SEVESO (21).

Deuxièmement, le contrôle doit être prévu par le règlement intérieur et être assorti d'une possibilité de contestation. Sans prévision dans le règlement intérieur, pas de contrôle d'alcoolémie possible. Cela veut dire, par exemple, qu'un contrôle d'alcoolémie prévu par un règlement intérieur non affiché n'est pas opposable au salarié, celui-ci étant alors réputé ne pas avoir eu connaissance dudit règlement et des procédures de contestation qu'il contient (22). Il doit s'agir du règlement intérieur et pas d'un autre document, tel une simple charte, rappelle l'arrêt du 31 mars 2015. Rendu au visa d'un article du règlement intérieur -ce qui n'est pas fréquent- il refuse toute portée à la "charte du district de Dijon concernant la consommation d'alcool sur les lieux de travail" qui, selon la Cour, a pour "seul objet de prévenir l'alcoolisation sur les lieux de travail de l'ensemble du personnel et de définir les mesures immédiates à prendre en cas d'imprégnation aiguë et occasionnelle de certains". Ajoutons que, si une simple charte ne peut réglementer le contrôle d'alcoolémie, il en va autrement d'une note de service, expressément évoquée à l'article R. 4228-20 du Code du travail ("dans le règlement intérieur ou, à défaut, par note de service") laquelle constitue, en droit, une adjonction au règlement intérieur.

Rien n'empêche le règlement intérieur de prévoir des conditions supplémentaires, comme l'illustre un arrêt remarqué du 2 juillet 2014 (23). Bien que les conditions jurisprudentielles aient été respectées, et que les résultats d'alcoolémie aient été positifs, l'employeur s'était vu condamné pour ne pas avoir respecté les modalités de réalisation du test prévues par le règlement. Il avait fait réaliser un contrôle inopiné d'alcoolémie sur l'ensemble des salariés d'un service, amenés à manipuler des engins de manutention, en début de matinée (9h45), et avait licencié un salarié pour faute grave, au motif que son test s'était révélé positif à deux reprises. Pour les Hauts magistrats, l'employeur ne s'est pas conformé aux prescriptions du règlement intérieur qui n'autorisaient le dépistage de l'alcoolémie qu'à la condition que le salarié présente un état d'ébriété apparent, ce qui ne pouvait être le cas d'un contrôle inopiné qui, de surcroît, concernait dix-huit salariés !

III - Le lieu du contrôle

L'arrêt du 31 mars 2015 apporte des précisions quant à un aspect rarement discuté : le lieu de réalisation du contrôle d'alcoolémie. Le salarié reprochait à son employeur de l'avoir soumis à un contrôle d'alcoolémie "en dehors du lieu de travail". Sans mentionner les dispositions du règlement intérieur (ce qui laisse penser que ledit règlement ne précisait pas que le contrôle devait intervenir dans l'enceinte de l'entreprise (24)), la Cour de cassation pose, en principe, que le contrôle peut, "pour des raisons techniques", avoir lieu "en dehors de l'entreprise". La formulation de l'arrêt ne permet pas d'en connaître l'exacte portée. D'abord, le pourvoi mentionnait un contrôle en dehors du "lieu de travail", alors que la Cour de cassation utilise la formule "en dehors de l'entreprise". Doit-on comprendre que les Hauts magistrats autorisent un contrôle en tout lieu de travail, qu'il soit ou non celui de l'entreprise (entendue comme l'établissement de rattachement du salarié) ? Même si la Cour n'utilise pas l'expression, dont elle est coutumière dans d'autres contextes - "en dehors du lieu et du temps de travail" (25) - elle entend sans nul doute autoriser un contrôle en dehors du lieu de travail. Mais l'ouverture est étroite puisque seules des raisons techniques la justifient. En l'espèce, le contrôle a pu être effectué à la gendarmerie car l'entreprise ne disposait pas d'éthylomètre sur le lieu de travail du fait de sa révision annuelle (26).

L'arrêt du 31 mars 2015 doit être lu dans le prolongement de celui, rendu il y a un peu plus d'un an, qui admet que l'alcootest soit pratiqué aussi bien avant la prise de poste qu'en fin de journée (27). Comme dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation allie un contrôle strict, au titre du règlement intérieur, à une recherche d'effectivité dans la lutte contre l'alcoolisme qui la conduit à faire preuve de souplesse quant au temps et au lieu du contrôle d'alcoolémie.

Même si les contours du contrôle d'alcoolémie sont aujourd'hui bien tracés, d'autres précisions sont à attendre, notamment sur les techniques de dépistage. On sait que les prises de sang sont admises lorsqu'elles sont réalisées par un médecin du travail (ou par un infirmier du service de santé au travail) et ont reçu le consentement du salarié (28). La Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la pratique de plus en plus répandue de l'éthylotest au démarrage (dit EAD), c'est-à-dire du dispositif qui ne permet de démarrer le véhicule qu'après un contrôle du taux d'alcoolémie. Ce test, qui tend à se généraliser dans les transports publics (ils seront obligatoires dans tous les autocars à partir du 1er septembre 2015), permet-il de fonder une sanction disciplinaire ? Récemment, la cour d'appel de Rennes a refusé qu'un licenciement soit fondé sur un tel dispositif alors que, selon elle, ce système "ne permet pas un contrôle de l'alcoolémie et qu'il ne présente pas de garantie de fiabilité" (29). La CNIL avait adopté semblable solution en limitant l'usage de ces tests à des fins de prévention routière (et à l'exclusion de toute sanction disciplinaire) (30). L'enjeu est évidemment essentiel, sur fond de respect des droits et libertés fondamentales des salariés, dans des secteurs comme le transport routier.


(1) Décret n° 2014-754 du 1er juillet 2014 modifiant l'article R. 4228-20 du Code du travail (N° Lexbase : L6426I3E).
(2) Cass. crim., 30 novembre 1993, n° 92-82.090, inédit (N° Lexbase : A6480C77).
(3) C. trav., art. R. 4228-20 (N° Lexbase : L6397I3C).
(4) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-42.198, F-D (N° Lexbase : A3557ELC).
(5) Cass. soc., 7 mai 2014, n° 13-10.985, F-D (N° Lexbase : A9192MKN).
(6) Cass. soc., 18 décembre 2002, n° 00-46.190, inédit (N° Lexbase : A4942A4S).
(7) Cass. soc., 24 février 2004, n° 02-40.290, F-D (N° Lexbase : A3878DBA).
(8) Cass. soc., 20 juin 2012, n° 11-19.914, F-D (N° Lexbase : A4960IPE).
(9) Proposition du MEDEF d'un contrat de travail sécurisé.
(10) Cass. soc., 12 février 2014, n° 12-11.554, F-P+B (N° Lexbase : A3675MET).
(11) C. trav., art. L. 1321-3 (N° Lexbase : L8833ITC) ; CE, 1° et 1 s-s-r., 2 novembre 2012, n° 349365 (N° Lexbase : A7332IWH).
(12) CAA Douai, 5 juillet 2012, n° 11DA01214 (N° Lexbase : A7506IT8) rendu à propos d'une usine classée "SEVESO II" comportant des points sensibles pour la défense nationale.
(13) Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326 (N° Lexbase : A2206AAX).
(14) Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.823 (N° Lexbase : A6370AGZ)..
(15) Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, F-S+P+B (N° Lexbase : A2484HQ3) ; Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 12-16.878, F-D (N° Lexbase : A8657KIH).
(16) Seule la Cour de cassation reconnaît à l'employeur le pouvoir de sanctionner sur la base d'un contrôle d'alcoolémie ; le Conseil d'Etat le refuse, CE, 9 octobre 1987, n° 72220 (N° Lexbase : A3945APS).
(17) Cass. soc., 24 février 2004, n° 01-47.000, F-D (N° Lexbase : A3817DBY).
(18) Rev. Lamy, sécurité au travail, n° 530-3 ; l'article 3 du règlement intérieur comportait une telle liste, en l'espèce.
(19) C. trav., art. R. 4624-18 (N° Lexbase : L7830I3E).
(20) C. trav., art. L. 4154-2 (N° Lexbase : L1890IEQ).
(21) C. trav., art. L. 4523-2 (N° Lexbase : L1619H9T) ; C. trav., art. R. 4523-1 (N° Lexbase : L0018IAW) ; Rev. Lamy, sécurité au travail, op. cit..
(22) CA Rennes, 14 janvier 2015, n° 14/00618 (N° Lexbase : A2477M9M).
(23) Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-13.757, F-D (N° Lexbase : A2789MTH).
(24) Ce point est incertain à la lecture de l'arrêt de la Cour de cassation, même si l'on peut penser qu'en présence d'une clause du règlement intérieur fixant le lieu du dépistage dans l'enceinte de l'entreprise, un contrôle en dehors de l'entreprise aurait été exclu, fut-ce pour des raisons techniques.
(25) Cass. soc. 26 janvier 2012, n° 11-10.189, F-D (N° Lexbase : A4397IBH).
(26) Dans la même affaire, CA, 19 septembre 2013, n° 12/01196 .
(27) Cass. soc., 24 février 2004, n° 01-47.000, F-D (N° Lexbase : A3817DBY).
(28) CA Bourges, 18 janvier 2002, n° 01/836.
(29) CA Rennes, 14 janvier 2015, n° 14/00618, préc..
(30) Délibération CNIL n° 2010-005, 28 janvier 2010, portant autorisation unique de mise en place d'éthylotests anti-démarrage dans les véhicules affectés aux transports de personnes (N° Lexbase : X3981AP7).

Décision

Cass. soc., 31 mars 2015, n° 13-25.436, FS-P+B (N° Lexbase : A0971NG3)

Cassation partielle (CA Dijon, 19 septembre 2013, n° 11/01287 N° Lexbase : A3448KLB).

Textes visés : C. trav., R. 4228-20 (N° Lexbase : L6397I3C).

Mots-clés : alcoolémie au travail ; modalités de contrôle.

Lien base : (N° Lexbase : E2674ET9).

newsid:446995

Marchés publics

[Brèves] Conséquences de la qualification d'entité adjudicatrice ou de pouvoir adjudicateur sur la procédure de passation d'un marché

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 10 avril 2015, n° 387128, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5058NGG)

Lecture: 2 min

N6979BUZ

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Le 17 Avril 2015

Dans un arrêt rendu le 10 avril 2015, le Conseil d'Etat précise les conséquences de la qualification d'entité adjudicatrice ou de pouvoir adjudicateur sur la procédure de passation d'un marché (CE 2° et 7° s-s-r., 10 avril 2015, n° 387128, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5058NGG). Pour juger que la chambre de commerce et d'industrie territoriale ne pouvait, dans le cadre de la procédure de passation litigieuse, être regardée comme une entité adjudicatrice, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a retenu que l'objet du marché, à savoir le remplacement du matériel et du système de gestion des parcs de stationnement des véhicules de l'aéroport, ainsi que leur maintenance, relevait davantage d'un service rendu aux usagers de l'aéroport que d'un service en lien avec le transport aérien au sens de l'article 135 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2795HP9), lequel vise notamment les activités "relatives à l'exploitation d'une aire géographique permettant d'organiser et de mettre à disposition des transporteurs, des aéroports, des ports maritimes, des ports fluviaux, ou d'autres terminaux de transport". Le Conseil d'Etat relève, à l'inverse, que la CCI, établissement public administratif ayant la qualité de pouvoir adjudicateur en vertu du 1° de l'article 2 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2662HPB), a, en vertu de l'article 134 du même code (N° Lexbase : L1074IR9), la qualité d'entité adjudicatrice lorsqu'elle passe un marché en rapport avec l'activité d'organisation et de mise à disposition des transporteurs aériens de l'aéroport qui lui a été concédée. Or, les parcs de stationnement pour véhicules situés dans l'aire d'un aéroport, qui sont ouverts tant aux personnels des entreprises de transport aérien qu'à leurs passagers, constituent un équipement nécessaire au bon fonctionnement de l'aéroport auquel ils s'intègrent. Ainsi, la fourniture et l'installation de matériels pour ces parcs de stationnement doivent être regardées comme une activité d'exploitation d'une aire géographique permettant d'organiser l'aéroport et de les mettre à disposition des transporteurs, au sens du 4° de l'article 135 du Code des marchés publics, et donc comme une activité exercée par une entité adjudicatrice. Dès lors, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a inexactement qualifié les faits en estimant que le marché litigieux ne pouvait être passé par la chambre de commerce en qualité d'entité adjudicatrice (cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E7316EQZ).

newsid:446979

Procédure civile

[Brèves] Concentration des moyens et revirement jurisprudentiel

Réf. : CEDH, 9 avril 2015, Req. 12686/10 (N° Lexbase : A2538NG4)

Lecture: 2 min

N6899BU3

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Le 16 Avril 2015

Selon le principe de la concentration des moyens, le demandeur ne peut, dans une deuxième demande, invoquer un moyen qu'il n'avait pas soulevé dans le cadre de sa première demande. Toutefois, cette condition est impossible à remplir lorsque le fondement juridique de la deuxième demande repose sur un revirement de jurisprudence postérieur à la première demande. Aussi, le demandeur ne saurait prétendre avoir été privé du droit protégé par l'article 1 du Protocole n° 1 (N° Lexbase : L1625AZ9) en raison du refus de lui accorder le bénéfice d'une nouvelle jurisprudence dont il n'a pas sollicité l'application. Telle est la solution retenue par la CEDH dans un arrêt du 9 avril 2015 (CEDH, 9 avril 2015, Req. 12686/10 N° Lexbase : A2538NG4). En l'espèce, la grand-mère de M. B. était propriétaire d'une maison dont les époux V. étaient les gardiens salariés et y demeuraient à titre gracieux leur vie durant. Après le décès de sa mère qui en avait hérité, M. B. et son père devinrent respectivement nu-propriétaire et usufruitier de la maison. Souhaitant y loger son fils, M. B. et son père décidèrent de mettre un terme au prêt à usage dont bénéficiaient les époux V. Ceux-ci ayant refusé de quitter les lieux, M. B. et son père les assignèrent en justice. Le tribunal de grande instance de Lisieux fit droit à leur demande mais la cour d'appel infirma ce jugement. Estimant que cet arrêt était conforme aux principes qui se dégageaient de la jurisprudence de la Cour de cassation, M. B. et son père décidèrent de ne pas se pourvoir devant cette juridiction. Par la suite, la Cour de cassation, faisant évoluer sa jurisprudence, décida qu'un prêt à usage à durée indéterminée pouvait être résilié à tout moment. C'est alors que M. B. et son père assignèrent de nouveau les époux V. devant le TGI en demandant la résiliation du prêt à usage pour défaut d'entretien par les occupants et leur expulsion. Le TGI ainsi que la cour d'appel les déboutèrent de leur demande ; la cour d'appel retenant notamment que, si une expertise révéla un défaut d'entretien imputable aux occupants, ce défaut ne présentait aucune nouveauté depuis la dernière décision. M. B. saisit la Cour de cassation qui rejeta son pourvoi au motif notamment qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci. Devant la CEDH, il a argué de ce que l'on ait appliqué à sa demande le principe de la concentration des moyens et il se trouve dans l'impossibilité de mettre un terme au prêt à usage à durée indéterminée, dont l'immeuble lui appartenant est l'objet depuis plus de cinquante ans, et de récupérer son bien. A tort, selon la CEDH qui rejette sa requête et ne retient aucune violation des articles 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et 1er du Protocole n° 1 (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E4639EUD).

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Rupture du contrat de travail

[Brèves] Incompétence de la commission arbitrale des journalistes pour connaître de la résiliation amiable du contrat de travail intervenue dans le cadre d'un plan de départ volontaire

Réf. : Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-23.588, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5095NGS)

Lecture: 2 min

N6912BUK

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Le 16 Avril 2015

La commission arbitrale des journalistes n'est pas compétente pour connaître de la résiliation amiable du contrat de travail intervenue dans le cadre d'un plan de départ volontaire. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 avril 2015 (Cass. soc., 9 avril 2015, n° 13-23.588, FP-P+B+R N° Lexbase : A5095NGS).
Dans cette affaire, la société Y a, dans le cadre d'un plan global de modernisation imposant la mise en oeuvre d'un licenciement collectif pour motif économique, élaboré un projet de plan de sauvegarde de l'emploi en permettant aux salariés potentiellement concernés par la suppression de leur poste de se porter volontaires au départ. Mme X et trois autres salariés ont ainsi conclu avec leur employeur une convention de rupture amiable pour motif économique, prévue au titre des départs volontaires dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi. Ces salariés ont saisi la commission arbitrale des journalistes pour voir fixer leur indemnité de congédiement.
La cour d'appel (CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 25 juin 2013, quatre arrêts, n° 12/13385 N° Lexbase : A3179KH9, n° 12/13387 N° Lexbase : A3359KHU, n° 12/13388 N° Lexbase : A3587KHC, et n° 12/13390 N° Lexbase : A3125KH9) ayant annulé les décisions rendues par la commission arbitrale des journalistes, les salariés se sont pourvus en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette les pourvois en précisant qu'il résulte des dispositions des articles L. 7112-3 (N° Lexbase : L3086H98) et L. 7112-4 (N° Lexbase : L3088H9A) du Code du travail que la saisine de la commission arbitrale suppose, outre la condition d'une ancienneté excédant quinze années, une rupture à l'initiative de l'employeur. La rupture du contrat de travail pour motif économique pouvant résulter non seulement d'un licenciement mais aussi d'un départ volontaire dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel, qui a constaté que le départ décidé par les salariés entrait dans le champ d'application de ce plan, en a exactement déduit que leur contrat avait fait l'objet d'une résiliation amiable, ce qui excluait une rupture à l'initiative de l'employeur (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E8426ESU).

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