La lettre juridique n°590 du 13 novembre 2014

La lettre juridique - Édition n°590

Éditorial

L'abus de position dominante, Spinoza et... les dames pipi

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 14 Novembre 2014


L'oeil perverti du juriste voit le droit partout ; ou du moins le cherche pour raisonner, contester... ou maudire son action ! Qui passe par la gare d'Aix-en-Provence TGV comprendra que, assujetti à un besoin pressant, perdu au milieu de nulle part, la contribution obligatoire aux bonnes oeuvres de la dame pipi a de quoi, d'abord, surprendre, ensuite révolter, pour finir, tout de même, par être acceptée : nécessité faisant loi. Et, délesté de cinquante centimes d'euro, on n'en est pas moins soulagé... spirituellement aussi. Tout de go, la situation inspire immédiatement trois remarques d'ordre (presque) juridique, condensées en une minute trente... vous comprendrez aisément pourquoi.

Premièrement, on pensait naïvement que les toilettes des gares étaient des lieux publics. On apprend avisé qu'elles sont gérées, en l'espèce, par la société Sud services, filiale spécialisée dans le secteur du nettoyage industriel du Groupe Nicollin, réalisant près de 30 millions d'euros de chiffre d'affaires à elle toute seule. En clair, la SNCF, entreprise publique industrielle et commerciale, délègue à un tiers, société privée, la gestion de ses lieux d'aisance ; du fait du statut particulier du délégant, on aurait pu penser que le principe interdisant de verser un pourboire à un agent s'applique à ses délégataires. Mais, il n'en est rien. L'affaire diffère, toutefois, de celles, en 2011, des sanisettes de Cannes, pour lesquelles les dames pipi étaient directement rattachées à la municipalité ; et l'on comprend dès lors que le versement d'une gratification à une fonctionnaire territoriale puisse poser problème quant à la vertu et la probité du personnel municipal. C'est pourquoi la loi l'interdit expressément. Mais, force est de constater que, ce faisant, corruption il y a puisque le "dessous de soucoupe" est bien souvent nécessaire pour obtenir satisfaction. Bref, l'entreprise de nettoyage doit assurément verser le minimum légal à ses préposées en mission, alors pourquoi imposer une rémunération complémentaire à l'usage des précieuses alcôves ? Y succomber n'est-il pas faire oeuvre de déresponsabilisation de la société prestataire quant à la rémunération de ses salariés ? "On ne remet pas en cause la gratuité. Mais on est dans un pays de liberté. On peut avoir envie d'être généreux ! Les gens qui travaillent ici n'ont aucune prime spéciale pour leurs fonctions. Ce n'est pas un métier glamour. Tout le monde ne le ferait pas !" précisait le représentant syndical local des dames pipi cannoises. Des idées de complicité de déresponsabilisation sociale de l'entreprise nous viennent, dès lors, à l'esprit avec effroi...

Deuxièmement, on se rappelle que l'article L. 420-2 du Code de commerce prohibe l'abus de position dominante. Cette prohibition s'applique lorsque les pratiques "ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché". Si la SNCF choisit comme elle l'entend son délégataire, il n'en va pas de même pour l'usager des transports publics. On ne peut pas dire qu'il y ait une diversité de l'offre de service au sein d'une gare perdue dans le vallon de Beaume Baragne. Et, lorsque d'un air assuré la dame pipi, seule en son office, vous contraint à sortir le porte-monnaie, on peut penser qu'elle abuse quelque peu de sa situation pour vous obliger à débourser compte tenu du caractère pressant de la situation. Pour qu'il y ait abus de position dominante, trois conditions doivent être réunies : l'existence d'une position dominante, une exploitation abusive de cette position et un objet ou un effet restrictif de concurrence sur un marché. Tout y est ! Mais l'on envisage mal, à ce moment là, saisir la DGCCRF pour obtenir gain de cause. On s'astreint penaud au cliquetis de la pièce tombante pour vaquer à son affaire. Y succomber n'est-il pas abandonner tout comportement citoyen, ne dénonçant pas fissa une pratique séquestrante ?

Alors, troisièmement, on se souvient de la jurisprudence peu amène avec les dames en question ; de cet arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 2 mai 2011, qui laissait dire à une salarié invoquant un harcèlement moral de son employeur que, "traitée publiquement de dame pipi', [elle l'avait pu l'interpréter] comme l'illustration du mépris que l'équipe dirigeante lui réservait" ; de cet arrêt parisien du 10 janvier 2013 reconnaissant qu'une salariée, installée à côté des toilettes "pour servir de dame pipi", selon les mots de sa supérieure hiérarchique, fut victime d'un tel harcèlement ; pire, de cet arrêt du 30 mai 2013, par lequel les juges reconnaissaient le statut de victime de discrimination en raison de son origine africaine et de harcèlement moral d'un salarié, lui aussi, qualifié dans l'entreprise de "dame pipi", car son bureau se situait à proximité de l'entrée des toilettes... Le mépris affiché, en société, comme devant la justice, pour une profession de l'ombre, n'aurait alors d'égal que la générosité, même forcée, des usagers des petits coins publics. La générosité est la vertu du don. Spinoza nous enseigne que la générosité est "un désir par lequel un individu, à partir du seul commandement de la raison, s'efforce d'assister les autres hommes et d'établir entre eux et lui un lien d'amitié" ; et l'on ne sort de la question de l'ego "qu'à la condition d'assumer d'abord son exigence propre, qui est de persévérer dans son être, le plus possible, le mieux possible, autrement dit d'agir et de vivre". Enfin, toujours selon l'auteur de L'éthique, la générosité est un désir, non une joie : lorsque l'amour et la joie font défaut, "la raison subsiste qui nous apprend -elle qui n'a pas d'ego et nous libère pour cela de l'égoïsme- que rien n'est plus utile à l'homme que l'homme, que toute haine est mauvaise, enfin que quiconque est conduit par la raison désire pour les autres ce qu'il désire pour lui-même", nous explique André Comte-Sponville (toujours dans son Petit traité des grandes vertus). Ainsi, donc "la générosité nous élève vers les autres, pourrait-on dire, et vers nous-mêmes en tant que libérés de notre petit moi". Le voilà le véritable sens de cette piécette au fond de la soucoupe ! Point besoin d'une facturette ou d'une note sans détail pour le service ainsi rendu : celui-ci ne se quantifie pas. Il s'agit de l'estime de ces dames et de l'estime de soi.

"L'homme généreux invente même des raisons de donner" écrivait Publius Syrius. Celles-ci sont, en l'espèce, impérieuses et se satisferont d'une entorse à l'opacité du pourboire et de l'abus de position dominante négligemment orchestré. On se sent presque vertueux à triompher de l'intérêt, pour paraphraser le duc de Lévis.

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Avocats/Gestion de cabinet

[Le point sur...] L'impact des réformes 2014 des procédures collectives sur la profession d'avocat

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N4447BUA

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d'Aix-Marseille

Le 13 Novembre 2014

Le droit des entreprises en difficulté a été réformé par une ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH), son décret d'application du 30 juin 2014 (décret n° 2014-736 N° Lexbase : L5913I3E) et une ordonnance du 26 septembre 2014 (ordonnance n° 2014-1088 N° Lexbase : L2958I4C) complétant celle du 12 mars précitée (1). Soyons clairs : les avocats, et les professions libérales réglementées de manière générale, n'y sont pas particulièrement concernés, bien moins en tout cas que lors de l'adoption de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT). Cette dernière, en effet, avait ouvert le champ d'application des procédures collectives aux professionnels libéraux (2), dont les avocats, exerçant à titre individuel. Jusqu'alors, seules les sociétés professionnelles -SCP, SEL, SCM- étaient soumises au droit des entreprises en difficulté (3). Cela a constitué une petite révolution, tout comme, nous semble-t-il, l'inclusion des clientèles civiles dans les actifs incorporels dans un plan de cession, possible depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT) (art. 110) (4), reprenant une réponse ministérielle de 2007 (5), sauf exception de l'article L. 642-1, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L4555I4H) (6). Pour autant, l'ordonnance du 12 mars 2014 apporte quelques modifications dont il faut faire état, que ce soit au stade de la prévention des difficultés financières dont un avocat pourrait souffrir (I) ou au stade du traitement de telles difficultés (II). I - Prévention des difficultés financières des avocats

Deux dispositifs sont ici retouchés : l'alerte (A) et la conciliation (B).

A - Extension du pouvoir d'alerte au président du tribunal de grande instance et préservation de l'indépendance des avocats

En matière commerciale et artisanale, lorsqu'il résulte de tout acte, document ou procédure qu'une société ou une entreprise individuelle, connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, ses dirigeants peuvent être convoqués par le président du tribunal de commerce pour que soient envisagées les mesures propres à redresser la situation (C. com., art. L. 611-2, I, al. 1er N° Lexbase : L8841INR). C'est ce que l'on appelle l'alerte, déclenchée par le président du tribunal de commerce pour les entreprises relevant de son greffe. Ce pouvoir d'alerte est très fort puisqu'à l'issue de cet entretien ou si les dirigeants ne se sont pas rendus à sa convocation, le président du tribunal peut, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, obtenir communication, par les commissaires aux comptes, les membres et représentants du personnel, les administrations publiques, les organismes de sécurité et de prévoyance sociales ainsi que les services chargés de la centralisation des risques bancaires et des incidents de paiement, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière du débiteur (C. com., art. L. 611-2, I, al. 2).

La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, sans que l'on ne sache vraiment pour quelle raison, avait oublié de prévoir ce même pouvoir d'alerte au niveau du président du tribunal de grande instance ("TGI" ci-après) pour les professions civiles.

L'ordonnance du 12 mars 2014 répare cet oubli en attribuant au président du TGI un rôle comparable à celui du président du tribunal de commerce puisqu'il pourra également convoquer les débiteurs relevant de sa compétence et obtenir communication d'un certain nombre d'informations (comme cela était le cas avant la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005) : "Les dispositions du I de l'article L. 611-2 sont applicables, dans les mêmes conditions, aux personnes morales de droit privé et aux personnes physiques exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. Pour l'application du présent article, le tribunal de grande instance est compétent et son président exerce les mêmes pouvoirs que ceux conférés au président du tribunal de commerce" (C. com., art. L. 611-2-1, al. 1er N° Lexbase : L7237IZ3).

Toutefois, "par exception, lorsque la personne physique ou morale concernée exerce la profession d'avocat, d'administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire ou d'officier public ou ministériel, le président du tribunal de grande instance ne procède qu'à l'information de l'ordre professionnel ou de l'autorité compétente dont elle relève, sur les difficultés portées à sa connaissance relativement à la situation économique, sociale, financière et patrimoniale du professionnel" (C. com., art. L. 611-2-1, al. 2). Autrement dit, les auxiliaires de justice visés par le texte, dont les avocats, bénéficient d'une protection, gage de leur indépendance, puisque le président du TGI ne pourra qu'alerter l'Ordre professionnel (même modus operandi qu'en matière de sanctions). En effet, pour les avocats (et administrateurs et mandataires judiciaires, ainsi que pour les officiers publics ou ministériels), son intervention se limite à informer l'Ordre ou l'autorité compétente.

Le décret du 30 juin 2014 (art. 3) précise que : "Dans le cas prévu au premier alinéa de l'article L. 611-2 ou lorsqu'il est fait application de l'article L. 611-2-1 (ajouté), le président du tribunal fait convoquer par le greffier le représentant légal de la personne morale débitrice ou le débiteur personne physique par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et par lettre simple, reproduisant les termes du I de l'article L. 611-2 et, le cas échéant, ceux de l'article L. 611-2-1 (ajouté), ainsi que des articles R. 611-11 et R. 611-12. La convocation est envoyée un mois au moins à l'avance. Le cas échéant, la lettre précise la dénomination de l'activité professionnelle exercée par l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (ajouté). Il est joint une note par laquelle le président du tribunal expose les faits qui ont motivé son initiative" (C. com., art. R. 611-10 N° Lexbase : L6086I3S). De plus, le même décret (art. 4) indique que le représentant de l'Ordre ou de l'autorité compétente est invité à faire connaître, au président du tribunal, les suites données à cette information dans le délai d'un mois. Plus précisément, "en application du second alinéa de l'article L. 611-2-1, le président du tribunal informe l'Ordre ou l'autorité compétente dont relève l'intéressé par une note exposant les difficultés de nature à compromettre la continuité de l'activité du professionnel qui ont été portées à sa connaissance. Cette note est transmise par le greffier au représentant légal de l'un ou l'autre de ces organismes par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le représentant de l'Ordre ou de l'autorité compétente est invité à faire connaître au président du tribunal, dans la même forme, les suites données à cette information dans le délai d'un mois" (C. com., art. R. 611-10-1 N° Lexbase : L6054I3M).

Cette mesure devrait être a priori peu utilisée dans la mesure où les greffes des TGI ont moins de connaissances de leurs ouailles que les greffes des tribunaux de commerce, d'autant qu'en principe les Ordres et Bâtonniers sont au courant des difficultés financières éventuelles de leur(s) confrère(s) avant que le président du TGI compétent ne le soit.

Au-delà, il est heureux que le texte (C. com., art. L. 611-2-1, al. 2) lui-même réserve l'exception de certains professionnels libéraux, dont les avocats, en préservant ainsi l'indépendance, caractéristique première de la profession.

B - Conciliation et protection du secret des avocats

L'ordonnance du 12 mars 2014 a profondément réformé la conciliation, à tel point qu'elle est devenue très proche d'une procédure collective classique (7). Ont notamment considérablement été élargis les pouvoirs d'investigation et le droit de communication du président du tribunal qui ouvre une procédure de conciliation, procédure qui peut bien entendu concerner un avocat en vertu de l'article L. 611-5 du Code commerce. Ainsi, "après ouverture de la procédure de conciliation, le président du tribunal peut, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, obtenir communication de tout renseignement lui permettant d'apprécier la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur et ses perspectives de règlement, notamment par les commissaires aux comptes, les experts-comptables, les notaires, les membres et représentants du personnel, les administrations et organismes publics, les organismes de sécurité et de prévoyance sociales, les établissements de crédit, les sociétés de financement, les établissements de monnaie électronique, les établissements de paiement ainsi que les services chargés de centraliser les risques bancaires et les incidents de paiement. En outre, il peut charger un expert de son choix d'établir un rapport sur la situation économique, financière, sociale et patrimoniale du débiteur" (C. com., art. L. 611-6, al. 5 N° Lexbase : L7271IZC). Les pouvoirs d'investigation du président du tribunal sont significativement augmentés. Jusqu'alors limitées aux établissements bancaires, les demandes de renseignements du président du tribunal pour obtenir une information exacte sur la situation économique et financière de l'entreprise sont donc étendues aux personnes précitées. De plus, il peut charger un expert d'établir un rapport, très proche d'un bilan économique et social (BES).

Cependant, on aura noté que si les commissaires aux comptes, les experts-comptables, les notaires, pour les professions réglementées, sont expressément visés pas le texte, en revanche les avocats quant à eux ne le sont pas. Cela signifie certes qu'un avocat qui ferait l'objet d'une conciliation peut être confronté à un président qui mettrait en oeuvre ses larges pouvoirs d'investigation, droit de communication et rapport d'un expert, en d'autres termes qu'il ne pourrait pas lui opposer le secret professionnel, mais que l'avocat qui aurait un client faisant l'objet d'une conciliation pourrait dans ce cas là opposer au président du tribunal qui lui demanderait des informations sur son client le secret professionnel.

On remarquera, dans cette phase préventive, que l'avocat peut aussi avoir un rôle à jouer en tant que mandataire ad hoc ou conciliateur. En effet, contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'y aucun monopole légal concernant ces deux missions : si, en pratique, elles sont assurées par les administrateurs et mandataires judiciaires, elles peuvent parfaitement être assurées par des avocats, sous réserve de respecter les articles L. 611-13 (N° Lexbase : L7277IZK modifié par l'article 12 de l'ordonnance du 12 mars 2014), L. 811-2 (N° Lexbase : L3342ICR) et L. 812-2 (N° Lexbase : L3354IC9) du Code de commerce. Les conditions posées par ces textes, empreintes d'exigences communautaires, sont strictes, de sorte qu'en pratique il est extrêmement rare que les missions de mandataire ad hoc ou de conciliateur soient exercées par d'autres professionnels que les administrateurs et mandataires judiciaires. Mais, dans une période où l'on ne cesse de parler de la fin des monopoles, il est bon de rappeler que celui-ci n'en constitue pas un. Un avocat pourrait donc tout à fait être désigné en tant que mandataire ad hoc ou conciliateur.

Surtout, dans l'alerte, l'indépendance de l'avocat est préservée. Dans la conciliation, le secret de l'avocat dont le client serait en conciliation ne peut pas être levé. A l'heure où le Gouvernement a décidé de stigmatiser les professions réglementées et ce, d'une manière tout à fait scandaleuse et absurde, il est heureux que les procédures collectives ne portent atteinte ni à l'indépendance ni au secret des avocats.

On retrouve la présence de l'ordre dans le traitement des difficultés des avocats.

II - Traitement des difficultés financières des avocats

Quatre points sont à aborder ici : l'extension de procédure (A), le privilège de juridiction (B), le cas de l'Ordre des avocats contrôleur (C) et le rétablissement professionnel (D).

A - L'extension de procédure en présence de l'Ordre

L'article L. 621-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7280IZN), relatif à l'extension de procédure, a été modifié par l'ordonnance du 12 mars 2014 (art. 16) sur plusieurs points : suppression de la saisine d'office par le tribunal, possibilité pour le débiteur d'agir en extension, compétence du tribunal ayant ouvert la procédure initiale pour prononcer l'extension.

Concernant les professions libérales, il a été expressément ajouté que "lorsque le débiteur soumis à la procédure initiale ou le débiteur visé par l'extension exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, le tribunal statue en chambre du conseil après avoir entendu ou dûment appelé l'Ordre professionnel ou l'autorité compétente dont, le cas échéant, il relève".

Pareille disposition n'existait pas avant l'ordonnance du 12 mars 2014. Ainsi, lorsqu'un avocat faisait l'objet d'une procédure collective et que cette procédure était étendue à une cible, ou lorsqu'était étendue à un avocat cible une procédure collective ouverte à l'encontre d'un débiteur, aucune garantie n'était prévue : les deux représentants de l'Ordre désignés par le Bâtonnier n'étaient pas appelés, le tribunal n'étant même pas obligé de statuer en chambre du conseil. Désormais, une telle extension de procédure doit être décidée en chambre du conseil (audience à huis-clos) et les représentants de l'Ordre doivent avoir été entendus ou dûment appelés, belle modalité déclinée en diverses situations.

Là aussi, la présence de l'Ordre est essentielle pour garantir l'indépendance de l'avocat. On appréciera le caractère très large de la formule : c'est soit l'extension de la procédure collective d'un avocat à un autre débiteur soit l'extension de la procédure collective d'un débiteur à un avocat.

B - La fin du privilège de juridiction, mais uniquement pour la compétence du juge-commissaire

En principe, le tribunal compétent pour ouvrir une sauvegarde, un redressement ou une liquidation judiciaires concernant un avocat est le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ledit professionnel a déclaré l'adresse de son entreprise ou de son activité (C. com., art. L. 621-2 et R. 600-1). On pressent immédiatement les inconvénients de cette règle : l'avocat sera jugé par ceux devant lesquels il plaide habituellement. D'où la possibilité, pour l'avocat, d'invoquer l'application de l'article 47, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8419IRA) aux termes duquel, "lorsqu'un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe".

Dans un premier temps, le bénéfice de ce texte, qui avait déjà été accordé à un avocat assigné en comblement d'insuffisance d'actif (8), a été confirmé par la Cour de cassation qui a considéré que "les règles de compétences édictées par l'article R. 600-1 du Code de commerce ne dérogent pas à l'application de l'article 47 du Code de procédure civile" (9), cassant l'arrêt d'appel ayant rejeté la demande de délocalisation principalement au motif que les règles nouvelles contenues dans la loi de sauvegarde des entreprises dérogent à celles du droit commun (10). Cassation somme toute assez logique dans la mesure où l'article R. 662-1, 1°, du Code de commerce (N° Lexbase : L6334I3Y) prévoit que les règles du Code de procédure civile sont applicables dans les matières régies par le livre VI de la partie législative du Code de commerce.

Dans un second temps, l'article 47 du Code de procédure civile est entré en conflit avec l'article R. 662-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L9419ICT). Selon ce texte, "sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires [...]". En d'autres termes, la question s'est posée de savoir si l'avocat pouvait également contester, non plus la compétence du tribunal ayant ouvert la procédure, mais celle du juge-commissaire désigné par ce tribunal. Faisant montre d'unité, la Cour de cassation a ici aussi considéré que le privilège de juridiction devait s'appliquer (11), et que l'avocat pouvait en conséquence contester la compétence du juge-commissaire, comme il peut contester celle du tribunal ayant ouvert la procédure.

La solution, bien qu'unitaire, a été contestée (12). Le décret du 30 juin 2014 a entendu ces critiques. En effet, mettant fin à la jurisprudence de la Cour de cassation précitée, le décret exclut l'application des dispositions de l'article 47 du Code de procédure civile aux litiges qui relèvent de la compétence du seul juge-commissaire. L'article R. 662-3-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6234I3B) dispose ainsi que l'article 47 du Code de procédure civile n'est pas applicable aux litiges relevant de la compétence du seul juge-commissaire. Cela devrait permettre d'éviter une compétence territoriale éclatée en la matière.

C - L'Ordre professionnel contrôleur et transmission du nom par LRAR

Lorsqu'un avocat fait l'objet d'une procédure collective, des créanciers, comme dans toute procédure collective, peuvent être désignés contrôleurs. Il y a toutefois quelques spécificités pour les professions libérales : ce n'est pas cinq mais quatre contrôleurs qui peuvent être désignés au plus, et l'Ordre professionnel (deux représentants de l'Ordre désignés par le Bâtonnier pour les avocats) ou l'autorité compétente dont le professionnel relève est d'office contrôleur (C. com., art. L. 621-10, al. 4 N° Lexbase : L5205IX3).

L'article R. 621-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L4836HC4), qui précisait que "l'Ordre professionnel ou l'autorité compétente dont relève le débiteur déclare au greffe le nom de la personne qu'il a désignée pour le représenter dans sa fonction de contrôleur. En l'absence de cette déclaration, son représentant légal exerce cette fonction", a été modifié par le décret du 30 juin 2014 (art. 40). Il a été ajouté que l'Ordre professionnel ou l'autorité compétente dont relève le débiteur qui déclare au greffe le nom du représentant pouvait également transmettre par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le nom de ce représentant incarnant au nom de l'Ordre la fonction de contrôleur.

De manière générale, l'ordonnance du 12 mars 2014 permet à certains créanciers de devenir contrôleurs. L'AGS s'est emparée de cette faculté pour se faire désigner systématiquement contrôleur dans certaines procédures. Désormais, cette faculté est ouverte également aux administrations financières, organismes et institutions "mentionnées au premier alinéa de l'article L. 626-6 sont désignés contrôleurs s'ils en font la demande ; s'il est saisi de plusieurs demandes à ce titre, le juge-commissaire désigne un seul contrôleur parmi eux. Sont également désignées contrôleur, si elles en font la demande, les institutions mentionnées à l'article L. 3253-14 du Code du travail" (C. com., art. L. 621-10, al. 2). Et l'article R. 621-24 de préciser que "Les créanciers et institutions mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 621-10, qui demandent à être désignés contrôleurs, en font la déclaration au greffe, transmettent leur demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; ils indiquent, selon les mêmes modalités, le nom de la personne qui les représente dans ces fonctions. Le délai prévu par l'alinéa suivant n'est pas applicable" (ajout par l'article 40 du décret du 30 juin 2014).

En prévoyant que l'Ordre des avocats peut communiquer le nom du représentant exerçant la fonction de contrôleur par LRAR, et qu'il en va de même pour les créanciers publics et l'AGS, c'est une manière d'uniformiser les procédures de désignation des contrôleurs.

D - Le jugement de rétablissement professionnel communiqué à l'Ordre

Véritable innovation de l'ordonnance du 12 mars 2014, désormais certains débiteurs peuvent faire l'objet non pas d'une liquidation judiciaire mais d'un rétablissement professionnel (C. com., art. L. 645-1 et suivants N° Lexbase : L7248IZH), à tout le moins, a précisé le décret du 30 juin 2014 (art. 111), s'il possède un actif inférieur à 5 000 euros (C. com., art. R. 645-1 N° Lexbase : L6209I3D).

Le décret du 30 juin 2014 apporte plusieurs précisions utiles en matière de rétablissement professionnel. Concernant plus particulièrement les professions libérales, l'article R. 645-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6214I3K), créé par l'article 111 dudit décret, dispose que : "le jugement statuant sur la demande d'ouverture de la procédure de rétablissement professionnel est notifié par le greffier au débiteur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au débiteur dans les huit jours de son prononcé. La lettre de notification reprend les dispositions du premier alinéa de l'article L. 645-9 et des articles L. 645-11 et L. 645-12.

Le jugement est communiqué aux personnes mentionnées à l'article R. 621-7 et, le cas échéant, à l'Ordre professionnel ou à l'autorité dont relève le débiteur".

L'Ordre des avocats, présent dans le déroulement des différentes procédures collectives dont peut faire l'objet un avocat, est également présent dans le cadre de ce rétablissement professionnel.

L'ordonnance du 12 mars 2014 et son décret d'application du 30 juin nous paraissent donc respecter au mieux l'une des caractéristiques de la procédure collective de l'avocat, à savoir la présence de l'Ordre, à travers deux représentants, dans toutes les procédures, et à tous les stades où elles peuvent se trouver.

A l'heure où, malheureusement, de plus en en plus d'avocats déposent le bilan, et à l'heure où la profession d'avocat se trouve à un tournant majeur de son évolution (réforme de la formation initiale et de l'examen d'accès au CRFPA, réforme de l'interprofessionnalité d'exercice, réforme des SEL avec le projet "Macron"), il est heureux que la réforme du droit des entreprises en difficulté respecte ainsi l'indépendance des avocats et leur protection ordinale.

On regrettera toutefois que l'ordonnance du 26 septembre 2014, qui a complété celle du 12 mars, et le grief pourrait être aussi adressé à l'ordonnance du 12 mars, ne comporte aucune mesure sur les avocats associés de SEL faisant l'objet d'une procédure collective.

On l'a écrit, en début d'article, la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a attrait dans le giron des procédures collectives les avocats exerçant à titre individuel. Mais, malgré une rédaction assez claire de ladite loi, la Cour de cassation a adopté une position de retrait par ses trois arrêts du 9 février 2010 : comme tout professionnel libéral exerçant pour le compte d'une société d'exercice libéral, ces associés personnes physiques n'exercent pas une activité professionnelle indépendante au sens des articles L. 631-2 et L. 640-2 du Code de commerce et ne relèvent pas à titre personnel des procédures de traitement des difficultés des entreprises, sauf pour l'activité professionnelle qu'ils auraient accomplie en nom propre dans l'année qui aurait précédé leur entrée dans la SEL en qualité d'associés (13). Pour la Chambre commerciale de la Cour de cassation, l'avocat qui exerce au sein d'une SEL n'exerce donc pas une activité professionnelle indépendante au sens du droit des procédures collectives. Une fois associé, le professionnel libéral n'est plus "un professionnel indépendant". Toutefois, d'une part, le tribunal peut ouvrir à son égard une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, sans condition de délai, après cette cessation d'activité lorsque tout ou partie du passif provient de l'activité professionnelle antérieure, d'autre part, si la procédure est ouverte sur l'assignation d'un créancier, cette dernière doit intervenir dans le délai d'un an à compter de la cessation de l'activité individuelle (14). Hormis ces deux maigres consolations, l'avocat qui devient associé de la SEL perd sa qualité d'indépendant, alors pourtant que l'avocat est par essence même indépendant, quel que soit son mode d'exercice (15). Certes, cette jurisprudence n'est pas isolée. Elle a par exemple été rappelée dans un arrêt en date du 16 septembre 2014, à propos d'un chirurgien-dentiste s'associant au sein d'une société d'exercice libéral unipersonnelle à responsabilité limitée (16). Elle est celle qui s'applique également, hors professions libérales, aux gérants de sociétés commerciales, exclus des procédures collectives, éligibles par conséquent au surendettement des particuliers (17) malgré le caractère professionnel des dettes. Au fond, peu importe que ce soit le droit des entreprises en difficulté qui s'applique (18) ou celui du surendettement des particuliers. L'essentiel est que les difficultés soient traitées.

Or, le risque est qu'en considérant l'avocat qui s'associe comme un professionnel perdant son indépendance, le spectre de l'omission du tableau plane sur ce professionnel comme une épée de Damoclès. Fort heureusement, la Cour de cassation a pris position en sens inverse (19). Le risque est surtout qu'aucun droit n'appréhende les difficultés financières de l'avocat. Ce qui est le cas de l'avocat associé, tenu d'un passif professionnel né alors qu'il exerçait déjà dans la structure sociale, qui conduit à une impasse : il ne bénéficie ni du livre VI du Code de commerce, faute d'être un professionnel indépendant, ni des dispositions du Code de la consommation sur le surendettement des particuliers, le caractère professionnel de ses dettes y faisant obstacle. Au passage, le créancier y trouvera son compte : aucune discipline collective à subir, aucun délai de paiement imposé, aucun risque d'effacement des dettes de l'associé (20). Comment peut-on se satisfaire de cette solution ?...

De manière générale, ce manque d'unité est dommage, surtout à une époque où le maître mot devrait être la solidarité. Mais il faut croire que le Gouvernement a décidé de diviser en stigmatisant les forces vives de notre pays, au premier rang desquelles se trouve la toujours si belle profession d'avocat.


(1) Les procédures collectives ont également été réformées par la loi "Pinel" du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D) principalement relative aux baux commerciaux (modification de l'article L. 642-7 du Code de commerce), et par la loi "ESS" du 31 juillet 2014 (loi n° 2014-856 N° Lexbase : L8558I3D), sur laquelle v., Ch. Lebel, Modifications du livre VI du Code de commerce par la loi "ESS" du 31 juillet 2014, JCP éd. E, 2014, Etude, 1548.
(2) H. Lécuyer, Les nouveaux débiteurs, Rev. proc. coll., 2006, p. 332 ; R. Martin et P. Neveu, L'application à la profession d'avocat de la loi du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises, JCP éd. G, 2006, I, 125 ; T. Favario, L'avocat en difficulté (Application de la loi de sauvegarde à l'avocat exerçant en nom), Bull. Joly, 2006, p. 691 ; N. Vignal, L'extension du droit des entreprises en difficulté aux professions libérales, in La loi du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises, PUAM, 2006, p. 31 ; S. Rétif, L'extension des procédures collectives aux professions libérales, Dr. et patrimoine, mars 2006, p. 95. V. avant la réforme, B. Soinne, Profession libérale et procédure collective, Rev. proc. coll., 1997, p. 377 ; cités in A. Cerati-Gauthier, Avocat et droit des entreprises en difficulté in Dossier "Avocat et droit des affaires", Journal des Sociétés, janvier 2012, n° 94, p. 26.
(3) Avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, l'avocat associé d'une SCP, solidairement et indéfiniment tenu du passif social, pouvait se voir étendre la procédure ouverte contre la société (Cass. com. 22 mai 2007, n° 06-12.193 N° Lexbase : A5223DWD, Bull. civ. IV, n° 139 ; Act. proc. coll., 2007, n° 138, obs. S. Rétif ; Rev. proc. coll., 2007, p. 167, obs. Ch. Lebel ; Dr. Sociétés, 2007, n° 178, note J.-P. Legros ; D., 2007, p. 1668). Cette disposition a été supprimée par la loi de sauvegarde.
(4) C. Lisanti, L'originalité des procédures collectives in Dossier "Les Groupements libéraux", Journal des Sociétés, n° 76, mai 2010, p. 38, spéc. p. 39.
(5) QE n° 2060 de Mme Bourragué Chantal, JOANQ 7 août 2007, p. 5107, Economie, finances et emploi, réponse publ. 4 décembre 2007, p. 7705, 13ème législature (N° Lexbase : L4344H3B), obs. M. Filiol de Raimond, RLDA, 23/2008, n° 1393. Adde S. Rétif, Observations à propos du plan de cession de l'entreprise libérale individuelle, Rev. proc. coll., 2006/3, p. 232. L. Lambert-Garrel, Brèves réflexions sur l'ouverture ministérielle en faveur de la cession des actifs incorporels des professions libérales en redressement ou liquidation judiciaire, JCP éd. E, 2008, 1547.
(6) "Lorsque le débiteur est un officier public ou ministériel, le liquidateur peut exercer le droit du débiteur de présenter son successeur au Garde des Sceaux, ministre de la Justice".
(7) V. notre article, Des dispositifs de prévention aux allures de procédure collective, Lexbase Hebdo n° 393 du 11 septembre 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N3565BUL).
(8) Cass. com., 26 juin 2001, n° 98-17.823 (N° Lexbase : A7831AT9), Bull. civ. IV, n° 126.
(9) Cass. com. 28 octobre 2008, n° 07-20.801 (N° Lexbase : A0666EBB), Bull. civ. IV, n° 177 ; D., 2008, AJ, p. 2791, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2008, n° 320, obs. S. Rétif ; JCP éd. E, 2009, 1008, n° 2, obs. Ph. Pétel ; Procédures, 2009, n° 20, obs. H. Croze ; Rev. proc. coll., 2009, n° 75, obs. B. Soinne ; Dr. et patr., septembre 2009, p. 108, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. et proc., 2009, 335, obs. D. Gibirila.
(10) CA Versailles, 1er mars 2007, JCP éd. E, 2007, 1873, note D. Cholet ; Procédures, 2007, n° 143, obs. H. Croze ; JCP éd. G, 2007, I, 174, n° 10, obs. R. Martin ; D., 2007, p. 1702 note J.-L. Vallens ; Gaz. Pal., 21 juillet 2007, p. 29, et Rev. proc., 2007, p. 168, n° 13, obs. Ch. Lebel ; Defrénois, 2007, p. 1561, obs. D. Gibirila ; RJ com., 2007, p. 276, note J.-P. Sortais.
(11) Cass. com., 12 octobre 2010, n° 09-16.743 (N° Lexbase : A8647GBU), inédit ; D., 2010. Actu. 2510, obs. A. Lienhard ; RTDCom., 2011, p. 180, obs. J.-L. Vallens ; JCP éd. E, 2010, 1086, obs. Ph. Roussel Galle ; LEDEN, décembre 2010, p. 4, obs. G. Berthelot ; Gaz. Pal., 7-8 janvier 2011, p. 27, obs. N. Fricero. Cass. com., 30 novembre 2010, n° 09-17.481, inédit (N° Lexbase : A4579GMK) ; Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-25.693 (N° Lexbase : A8725IBR), Bull. civ. IV, n° 15, D. actu., 13 février 2012, obs. A. Lienhard.
(12) A. Cerati-Gauthier, Avocat et droit des entreprises en difficulté in Dossier "Avocat et droit des affaires", Journal des Sociétés janvier 2012, n° 94, p. 26.
(13) Cass. com., 9 février 2010, n° 08-15.191 (N° Lexbase : A7436ERT), Bull. civ. IV, n° 35 ; D., 2010. Chron. C. Cass. 1113, obs. Orsini ; D., 2010, AJ, p. 434, obs. A. Lienhard ; RTDCom., 2010, p. 391, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Defrénois 2010, p. 1474, obs. D. Gibirila ; JCP éd. E, 2010, 1296, n° 1, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. G, 2010, 602, note J.-J. Barbièri ; LEDEN, mars 2010, p. 1, obs. F.-X. Lucas ; Act. proc. coll., 2010, n° 70, obs. J. Vallansan ; Dr. Sociétés, 2010, n° 76, note J.-P. Legros ; Gaz. Pal., 14-16 mars 2010, p. 8, note M.-P. Dumont-Lefrand ; Gaz. Pal., 2-3 juillet 2010, p. 19, obs. F. Reille ; Rev. proc. coll., 2010, n° 131, obs. Ch. Lebel ; Rev. proc. coll., 2010, n° 148, obs. B. Saintourens ; RJDA, 2010, n° 538 ; Bull. Joly, 2010. 489, note J.-J. Daigre ; Dr. et patr., octobre 2010, 83, obs. C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsèrié-Bon ; Bull. Joly Entrep. diff., 2011, p. 12, note V. Martineau-Bourgninaud ; concl. R. Bonhomme, Rev. proc. coll., 2010, étude 6 ; JCP éd. E, 2010, 1267, notre A. Cerati-Gauthier ; cités in A. Cerati-Gauthier, Avocat et droit des entreprises en difficulté, préc., n° 94, p. 26. J.-F. Barbièri, Exercice professionnel en SEL : responsabilités civiles, in Dossier "Le renouveau des SEL et des SPFPL", Journal des Sociétés, février 2014, p. 27, spéc. n° 12.
(14) Cass. com., 9 février 2010, n° 08-15.191, préc., Dr sociétés, 2010, comm. 76, note J.-P. Legros. Cass. com., 9 février 2010, n° 08-17.144 (N° Lexbase : A7437ERU), Dr sociétés, 2010, comm. 76, note J.-P. Legros. Cass. com., 9 février 2010, n° 08-17.670 (N° Lexbase : A7438ERW), Dr sociétés, 2010, comm. 76, note J.-P. Legros ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 489, note J.-J. Daigre ; Gaz. Pal., 14-16 mars 2010, note M.-P. Dumont-Lefranc. Adde A. Cerati-Gauthier, art. préc., n° 94, p. 26.
(15) Décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, article 2, cité in A. Cerati-Gauthier, art. préc., n° 94, p. 26.
(16) Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-17.147, F-P+B (N° Lexbase : A8462MWC), Lexbase Hebdo n° 395 du 25 septembre 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N3803BUE). Sur cet arrêt v., JCP éd. E, 2014, 1550, note A. Cerati-Gauthier.
(17) Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-16.998, FS P+B+R+I (N° Lexbase : A2091EB3), Bull. civ. IV, n° 191 ; D., 2008, p. 2929, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2009, 1023, note Ch. Lebel ; Dr. Sociétés, 2009, comm. 15, note J.-P. Legros ; BJS, 2009, p. 278, note P.-M. Le Corre ; Defrénois, 2009, 1397, obs. D. Gibirila ; Rev. Sociétés, 2009, p. 607, note Ph. Roussel Galle ; Dr. & patr., septembre 2009, p. 107, obs. M.-H. Monsèrié-Bon. Cass. civ. 2, 21 janvier 2010, n° 08-19.984 (N° Lexbase : A4641EQX), Bull. civ. II, n° 20 ; D., 2010, p. 321, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2010, p. 437, obs. G. Paisant ; JCP E 2010, 1296, n° 2, obs. Ph. Pétel, JCP E 2010, 1357, note Ch. Lebel, LEDEN, avril 2010, p. 3, obs. P. Rubellin ; Defrénois, 2010, 1472, obs. D. Gibirila, RJ com., 2010, p. 305, note J.-P. Sortais.
(18) Pour l'associé de SNC compte tenu de sa qualité de commerçant : Cass. civ. 2, 5 décembre 2013, n° 11-28.092, F-P+B (N° Lexbase : A8437KQK), D. actu., 11 décembre 2013, obs. A. Lienhard , JCP éd. E, 2014, 1021, note A. Cerati-Gauthier ; BJS, mars 2014, p. 184, note F.-X. Lucas. V. égal. Ch. Lebel, Eligibilité des associés de certaines sociétés de personnes aux procédures collectives, JCP éd. E, 2014, Etude 1207 ; A. Albarian, B. Brignon et Ph. Mouron, Droit commercial Sociétés commerciales 2014, Lamy Axe droit, n° 169. A. Cerati-Gauthier, Application de la loi de sauvegarde des entreprises aux professions libérales, JCP éd. E, 2008, I, n° 2436. CA Paris, 3ème ch., sect. A, 20 novembre 2007, n° 07/03359 (N° Lexbase : A8583D3B), Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 210, note N. Tagliarino-Vignal. Cass. com., 17 mai 2011, n° 10-13.460 (N° Lexbase : A2867HRM), Bull. Joly Entreprises en difficulté, 2011, p. 240, note N. Tagliarino-Vignal (solution relative à une infirmière libérale).
(19) Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-30.232 (N° Lexbase : A3425HN8), D., 2011, p. 1071, obs. A. Lienhard ; Rev. Sociétés, 2011, p. 386, obs. Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2011, 1596, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2011, 1383, note A. Cerati-Gauthier ; Gaz. Pal., 19 juillet 2011, p. 15, note T. Montéran ; Bull. Joly Sociétés, 2011, p. 577, note B. Saintourens ; BJE, septembre 2011, p. 247, n° 124, note V. Martineau-Bourgninaud.
(20) A. Cerati-Gauthier, art. préc..

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Bancaire

[Brèves] Adaptation de la législation au mécanisme de surveillance unique des établissements de crédit

Réf. : Ordonnance n° 2014-1332 du 6 novembre 2014, portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au mécanisme de surveillance unique des établissements de crédit (N° Lexbase : L7640I4Q)

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N4586BUE

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Le 14 Novembre 2014

Une ordonnance, publiée au Journal officiel du 7 novembre 2014 (ordonnance n° 2014-1332 du 6 novembre 2014, portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au mécanisme de surveillance unique des établissements de crédit N° Lexbase : L7640I4Q), réunit des mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la mise en oeuvre du Règlement confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (Règlement n° 1024/2013 du 15 octobre 2013 "MSU" N° Lexbase : L4934IYE). Ce Règlement fixe les modalités de coopération au sein du MSU, notamment les pouvoirs respectifs de la BCE et des autorités compétentes nationales dans l'exercice des missions de supervision prudentielle. Il prévoit notamment la compétence de la BCE pour la supervision des établissements de crédit les plus importants et sa responsabilité générale pour la mise en oeuvre de la supervision de l'ensemble des établissements de crédit, la responsabilité des autorités nationales pour la surveillance prudentielle des établissements moins importants, la procédure d'adoption des décisions par l'autorité de supervision et l'organisation institutionnelle du MSU, notamment la création au sein de la BCE du conseil de surveillance, en charge des missions de supervision. La BCE a, par ailleurs, adopté en avril 2014 un règlement-cadre précisant les modalités pratiques de la coopération au sein du MSU entre la BCE et les autorités compétentes nationales, le règlement de la BCE du 16 avril 2014 établissant le cadre de coopération au sein du MSU entre la Banque centrale européenne, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales. L'ordonnance du 6 novembre permet d'adapter les dispositions législatives afin de permettre la mise en oeuvre du règlement relatif au MSU. Elle prévoit :
- la coopération entre l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la BCE, notamment :
- la mission d'assistance de l'ACPR, en tant qu'autorité de contrôle nationale pour la France, à la BCE dans l'exercice de ses missions de surveillance prudentielle ;
- la possibilité pour la BCE de demander à l'ACPR de faire usage de ses pouvoirs ;
- l'adoption par l'ACPR des mesures nécessaires pour mettre en oeuvre les orientations et les décisions de la BCE ;
- l'adaptation des pouvoirs de sanctions de l'ACPR, notamment la création d'une procédure permettant à l'ACPR, sur saisine de la BCE, d'ouvrir une procédure de sanction disciplinaire à l'égard d'un établissement ou de ses dirigeants et l'adaptation de la gamme des sanctions de l'ACPR au monopole conféré par le règlement à la BCE pour prononcer le retrait d'agrément.
Le Règlement "MSU" est d'application directe, de sorte que l'ordonnance procède aux adaptations rendues nécessaires pour qu'il soit mis en oeuvre, telles que l'abrogation ou l'ajustement des dispositions internes devenues non conformes au droit européen.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Possibilité de conclure un bail dérogatoire de courte durée à la suite de la résiliation d'un bail commercial ?

Réf. : Cass. civ. 3, 15 octobre 2014, n° 13-20.085, FS-P+B (N° Lexbase : A6587MYM)

Lecture: 11 min

N4517BUT

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 13 Novembre 2014

En l'absence d'un motif de précarité, la convention faisant suite à un bail commercial résilié d'un commun accord avant son terme ne peut déroger au statut des baux commerciaux que par application des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5031I3Q). Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la Cour de cassation du 15 octobre 2014.
  • Faits

En l'espèce, un bailleur et un preneur avaient décidé de mettre fin, le 8 décembre 2005, au bail commercial qui, les liant depuis 1991, venait à terme le 18 juin 2009. Par convention du 18 mai 2006, précisant que la location était exclue du statut des baux commerciaux, le bailleur avait donné à bail les mêmes locaux au preneur pour une durée de deux années commençant le 1er janvier 2006 et expirant le 31 décembre 2007. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 16 mai 2007, le locataire avait proposé au bailleur de prolonger le bail pour une durée d'un an en précisant qu'il souhaitait disposer du site pour lui permettre d'achever le transfert de ses activités et dépolluer le site. Le preneur avait également indiqué dans sa lettre que du fait de la prolongation du bail précaire, il se transformerait en un bail commercial dont la première période triennale s'achèverait le 31 décembre 2008. Le bailleur avait accepté la proposition du preneur par lettre du 24 mai 2007. Le preneur avait ensuite donné, par lettre recommandée du 8 juillet 2008, congé pour le 31 décembre 2008.

Le bailleur a contesté la validité de ce congé et sollicité le paiement des loyers postérieurs à cette date. Les juges du fond ayant accueilli cette demande (1), le preneur s'est pourvu en cassation, soutenant que le contrat conclu après la résiliation du bail commercial initial était une convention d'occupation précaire et non un bail dérogatoire qui aurait entraîné la création d'un bail commercial, l'obligeant à régler l'intégralité des loyers postérieurs.

I - Distinction de la convention d'occupation précaire et du bail dérogatoire de l'article L. 145-5 du Code de commerce

La convention d'occupation précaire et le bail dérogatoire ne sont pas soumis au statut des baux commerciaux. Ces deux conventions, pourtant très différentes, doivent être distinguées, même si en pratique, il arrive qu'elles soient confondues.

A - La convention d'occupation précaire

La convention d'occupation précaire est à l'origine une création prétorienne qui permet la conclusion de baux non soumis au statut des baux commerciaux parce que le bailleur n'est pas en mesure, en raison de circonstances extérieures à sa volonté, de garantir une jouissance pérenne à son locataire (2).

La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (N° Lexbase : L4967I3D) a consacré l'existence légale de la convention d'occupation précaire en créant l'article L. 145-5-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4973I3L) qui dispose que "n'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties" (3). Cette définition correspond à celle antérieurement donnée par la Cour de cassation (4).

La convention d'occupation précaire n'étant pas soumise au statut des baux commerciaux, les modalités de cessation sont conventionnelles : contrairement à un bail commercial, elle n'a pas de durée minimale et sa cessation n'est pas soumise à un formalisme autre que celui dont les parties sont convenues.

B - Le bail dérogatoire

Le bail dérogatoire est un bail qui n'est pas soumis au statut des baux commerciaux car une disposition de ce dernier (C. com., art. L. 145-5) offre cette possibilité sous réserve du respect des conditions suivantes : le bail doit être conclu "lors de l'entrée dans les lieux du preneur" et "la durée totale du bail ou des baux successifs [ne doit pas être] supérieure à trois ans". Avant sa modification par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, l'article L. 145-5 du Code de commerce limitait la durée maximale du ou des baux dérogatoires successifs à deux ans (5).

C - Rejet en l'espèce de la qualification de convention d'occupation précaire

Les juges du fond avaient considéré que le bail conclu le 18 mai 2006 n'était pas un bail précaire à défaut de motif de précarité indiqué dans la convention et de preuve de l'existence d'un tel motif à cette date. Ce bail était donc régi, toujours selon les juges du fond, par les dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce.

II - Création d'un bail commercial à l'issue d'un bail dérogatoire

A - Principes

Aux termes de l'article L. 145-5 du Code de commerce, si le preneur est laissé et reste en possession à l'expiration de la durée visée par ce texte pour pouvoir recourir à un bail dérogatoire, il se crée, un principe, un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux. Le bail commercial qui s'opère dans ce cas prend effet à compter du jour qui suit le terme du bail dérogatoire (6).

A l'expiration de la durée visée à l'article L. 145-5 du Code de commerce, il s'opère également un bail soumis au statut des baux commerciaux en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local. C'est le bail conclu ou renouvelé qui devient de plein droit soumis au statut des baux commerciaux (7) même si l'activité autorisée est différente (8).

La durée du bail commercial créé à l'issue d'un bail dérogatoire, sauf la faculté de résiliation triennale du preneur, est de neuf ans (C. com., art. L. 145-4 N° Lexbase : L5030I3P).

B - Création en l'espèce d'un bail commercial

Dans son arrêt du 21 mars 2013, la cour d'appel d'Amiens a affirmé que "un nouveau bail ayant été conclu après la fin du bail conclu en 1991, les dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce devant trouver application la formule lors de l'entrée du locataire' s'interprétant en l'espèce comme : Lors de la prise d'effet du nouveau bail' qui implique une nouvelle entrée dans les lieux à l'occasion du nouveau bail". La cour poursuit en indiquant que le bail "précaire" (sic) "a donc bien été suivi par un bail commercial dont les parties ont convenu, aux termes de leurs courriers respectifs des 16 et 24 mai 2007, qu'il prendrait effet le 1er janvier 2006 et non le 1er janvier 2008".

La question se pose de savoir sur quel fondement un bail commercial s'est créé. Un bail commercial se crée à l'issue d'un bail dérogatoire lorsque le preneur reste et est laissé en possession ou en cas de renouvellement ou de conclusion d'un nouveau bail pour le même local entre les mêmes parties. En affirmant que "le bail précaire a donc bien été suivi par un bail commercial", la cour d'appel considère que ce n'est pas le bail du 18 mai 2006 conclu après la résiliation du bail initial qui serait un bail commercial, mais le bail formé par accord résultant de l'échange des lettres des 16 et 24 mai 2014.

Toutefois, la cour précise que la date d'effet de ce bail commercial a été fixée par les parties au 1er janvier 2006 et non au 1er janvier 2008. Il doit être rappelé, en effet, que le preneur avait indiqué, dans sa lettre, qu'en cas de prolongation du bail pour une durée d'un an, la première période triennale s'achèverait le 31 décembre 2008. Ceci fixait la date d'effet au 1er janvier 2006. Bien que le preneur ait visé dans sa proposition, acceptée par le bailleur, une prolongation, la cour d'appel semble pourtant estimer qu'un nouveau bail a été conclu. Si elle vise une date d'effet de ce nouveau bail au 1er janvier 2006, c'est en considération de la volonté des parties. Elle indique expressément que la date d'effet du nouveau bail n'est pas le 1er janvier 2008. Elle aurait ainsi considéré que le bail conclu le 18 mai 2006 serait un bail dérogatoire régulier et que l'accord passé au cours de ce premier bail porterait sur la conclusion d'un nouveau à effet du 1er janvier 2008, soumis au statut des baux commerciaux par l'effet de l'article L. 145-5 du Code de commerce.

Dès lors que le bail était commercial, que la première période triennale expirait le 31 décembre 2008, le congé du preneur, notifié par lettre recommandée, adressée le 8 juillet 2008, n'était pas régulier. Il doit être rappelé en effet qu'avant sa modification par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L5736ISA) imposait que le congé du preneur soit notifié par acte extrajudiciaire. Il peut désormais être notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (C. com., art. L. 145-9, nouv. N° Lexbase : L5043I38 et R. 145-1-1 N° Lexbase : L7048I4S) (9). Le congé doit, en outre, être notifié au moins six mois à l'avance (C. com., art. L. 145-9) et le congé notifié le 8 juillet 2008 pour le 31 décembre 2008 était tardif. Le bail s'était donc poursuivi et le preneur était débiteur des loyers postérieurs à cette dernière date.

Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation a approuvé la cour d'appel. Elle affirme "qu'ayant retenu à bon droit qu'en l'absence d'un motif de précarité, la convention du 18 mai 2006 faisant suite à un bail commercial résilié d'un commun accord avant son terme, ne pouvait déroger au statut que par application des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce, la cour d'appel qui a constaté que selon offre [du preneur] acceptée par [le bailleur] le 24 mai 2007, les parties étaient convenues que la durée de la première période triennale du bail devenu commercial par l'effet du maintien du preneur dans les lieux au-delà du terme fixé au bail dérogatoire expirait le 31 décembre 2009, en a exactement déduit que [le locataire] était redevable des loyers postérieurs au 31 décembre 2008".

Elle reconnaît donc que le bail conclu à la suite de la résiliation du bail commercial initial était un bail dérogatoire soumis aux dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce. Tout en visant l'accord des parties sur la création d'un bail commercial, la Cour de cassation envisage la création d'un bail commercial par l'effet du maintien dans les lieux du preneur au-delà du terme fixé. Compte-tenu du fait que l'accord conclu en cours de bail dérogatoire portait sur sa prorogation, la création d'un bail commercial était, en effet, plus le résultat d'un maintien dans les lieux au-delà du terme initial que celui pouvant résulter la conclusion d'une nouvelle convention.

La Cour de cassation approuve enfin la cour d'appel d'avoir considéré que le locataire devait régler les loyers postérieurs au 31 décembre 2008.

La solution interroge en ce qui concerne la possibilité pour les parties de conclure un bail dérogatoire après la résiliation d'un bail commercial.

III - Condition relative à l'entrée dans les lieux du preneur

L'article L. 145-5 du Code de commerce dispose que "les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre [...]". C'est donc lors de l'entrée dans les lieux que le bail dérogatoire peut être conclu.

La Cour de cassation a fait preuve d'une certaine souplesse relativement à cette exigence.

Elle a ainsi précisé qu'il n'est pas nécessaire que "la convention portant sur un bail dérogatoire ait été matériellement établie au moment même de l'entrée en jouissance du preneur" (10). Le bail dérogatoire "matériellement" établi ne faisait ainsi que concrétiser l'accord des parties sur un bail dérogatoire ayant pris effet antérieurement à cette matérialisation.

Toutefois, cette jurisprudence ne remettait pas, a priori, en cause la condition selon laquelle les locaux ne devaient pas avoir été antérieurement occupés par le preneur, sauf s'il avait entre-temps quitté les locaux, même quelques mois (11).

La possibilité de conclure un bail dérogatoire a également été implicitement reconnue même en cas d'occupation préalable des locaux si cette dernière est du pur fait, sans le consentement du bailleur (12) ou pour permettre la réalisation des aménagements des locaux loués (13).

Il a également été jugé que le sous-locataire pouvait valablement conclure, à la suite de la cessation de la sous-location, un bail dérogatoire avec le propriétaire de l'immeuble, "l'entrée dans les lieux du preneur, au sens de [l'article L. 145-5 du Code de commerce] visant sa prise de possession des locaux en exécution du bail qu'il avait conclu avec les propriétaires" (14). Le changement de bailleur justifiait la solution.

Dans ces décisions, qui ont reconnu la possibilité de conclure un bail dérogatoire malgré une occupation antérieure, la Cour de cassation prend soin de relever les circonstances particulières qui justifient un tempérament à la condition relative à l'entrée dans les lieux. A contrario, elles peuvent amener à soutenir qu'à défaut de ces circonstances (bailleurs différents ou occupation de fait), les parties n'auraient pu recourir au bail dérogatoire.

Le cas de la renonciation d'un droit acquis à se prévaloir du statut des baux commerciaux à l'issue d'un bail dérogatoire mis à part, (15), il semblait difficile de pouvoir soutenir, compte tenu des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce, qu'un bail dérogatoire puisse être conclu pour permettre l'occupation des locaux après la résiliation du bail commercial conclu entre les mêmes parties et sur le même local. La condition liée à l'entrée dans les lieux du preneur semblait y faire obstacle.

La cour d'appel, dans la décision soumise au pourvoi ayant conduit à l'arrêt du 15 octobre 2014, avait précisé que "les dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce devant trouver application la formule lors de l'entrée du locataire' s'interprétant en l'espèce comme : Lors de la prise d'effet du nouveau bail' qui implique une nouvelle entrée dans les lieux à l'occasion du nouveau bail". La condition de la conclusion du bail lors de "l'entrée dans les lieux" serait donc remplie dès lors qu'un nouveau bail est conclu... la notion devient théorique. Il y aurait entrée dans les lieux du seul fait de conclure un nouveau bail, même si c'est entre les mêmes parties, pour le même local et pour la même activité.

La Cour de cassation ne donne pas de précision sur la notion d'entrée dans les lieux. Toutefois, elle reconnaît la possibilité de conclure un bail dérogatoire à la suite de la résiliation d'un bail commercial, sans autre condition.

La solution peut étonner, ce d'autant que dans sa lettre du 16 mai 2007, selon ce qui est rapporté dans l'arrêt de la cour d'appel, le preneur avait indiqué que du fait de la prolongation du bail précaire, il se transformerait en un bail commercial dont la première période triennale s'achèverait le 31 décembre 2008. Cette proposition avait été acceptée par le bailleur, tant et si bien que l'accord des parties sur l'existence d'un bail commercial à effet au 1er janvier 2006 aurait pu suffire à justifier l'existence d'un bail commercial, sans passer par le mécanisme de la création d'un bail commercial à l'issue d'un bail dérogatoire.

Accorder la possibilité aux parties d'un bail commercial auquel il a été mis un terme de conclure dans la foulée un bail dérogatoire au visa de l'article L. 145-5 du Code de commerce semble contraire à la lettre de ce texte, qui réserve cette possibilité "lors de l'entrée dans les lieux", ainsi qu'à la volonté du législateur, dont cette condition est le reflet, le bail dérogatoire ayant été institué afin de permettre aux parties de tester la rentabilité d'une activité commerciale ou artisanale (16).


(1) CA Amiens, 21 mars 2013, n° 11/00692 (N° Lexbase : A6394KA3).
(2) V., par ex., Cass. civ. 3, 24 septembre 2002, n° 01-11.060, F-D (N° Lexbase : A5160AZ7) : précarité liée aux projets d'aménagement du quartier dans lequel se situaient les locaux, objet de la convention comportant la démolition des bâtiments existant.
(3) Cf. not. nos obs. Modification du statut des baux commerciaux par la loi du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises - Première partie, Lexbase Hebdo n° 387 du 26 juin 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2904BU4).
(4) Cass. civ. 3, 29 avril 2009, n° 08-13.308, FS-P+B (N° Lexbase : A6514EGD), nos obs. Sur les conditions de la possibilité de conclure une convention d'occupation précaire, Lexbase Hebdo n° 350 du 14 mai 2009 - édition privée (N° Lexbase : N0694BKW).
(5) Nos obs., Modification du statut des baux commerciaux par la loi du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises - Première partie, préc. note 3.
(6) Cass. civ. 3, 25 juin 2003, n° 02-12.545, FS-D (N° Lexbase : A9843C83).
(7) En ce sens, Cass. civ. 3, 20 décembre 977, n° 75-13.899 (N° Lexbase : A7183AG7).
(8)Cass. civ. 3, 31 mai 2012, n° 11-15.580, FS-P+B (N° Lexbase : A5198IMH).
(9) Nos obs., Modification du statut des baux commerciaux par la loi du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises - Première partie, préc. note 3.
(10) Cass. civ. 3, 9 décembre 2008, n° 07-13.106, F-D (N° Lexbase : A7128EBM). Voir également, Cass. civ. 3, 25 juin 1975, n° 74-12.877 (N° Lexbase : A7099AGZ).
(11) CA Paris, 16ème ch., sect. A, 14 janvier 2009, n° 08/00332 (N° Lexbase : A3218EDK).
(12) Cass. civ. 3, 5 janvier 983, n° 81-14.178 (N° Lexbase : A7587AG4).
(13) Cass. civ. 3, 10 mai 1977, n° 75-12.020 (N° Lexbase : A7173AGR).
(14) Cass. civ. 3, 15 avril 1992, n° 90-18.093 (N° Lexbase : A7915AGA).
(15) Voir par exemple, Cass. civ. 3, 20 février 1985, n° 83-15.730 (N° Lexbase : A7645AGA).
(16) Voir par exemple, projet de loi relatif à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, étude d'impact, 20 août 2013.

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Contrat de travail

[Jurisprudence] La validité de la clause de confidentialité n'est pas subordonnée à l'existence d'une contrepartie financière

Réf. : Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 13-11.524, FS-P+B (N° Lexbase : A6493MY7)

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N4538BUM

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par Pascal Lokiec, Professeur à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Le 13 Novembre 2014

Le droit du travail comprend aujourd'hui un véritable droit des clauses (1) qui définit, pour un certain nombre d'entre elles, des conditions spécifiques de validité. On connaît aujourd'hui celles qui régissent les clauses de dédit-formation, de mobilité, ou encore de non-concurrence. L'arrêt rendu le 15 octobre 2014 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, contribue à définir les contours du régime de la clause de confidentialité, dite aussi "clause de discrétion", en écartant l'exigence d'une contrepartie financière.
Résumé

N'ouvre pas droit à une contrepartie financière la clause qui ne porte pas atteinte au libre exercice par le salarié d'une activité professionnelle, mais qui se borne à imposer la confidentialité des informations détenues par lui et concernant la société.

Commentaire

I - L'affaire

Nul besoin d'insister sur la place qu'occupe aujourd'hui la confidentialité dans la vie des entreprises, laquelle devrait encore se renforcer en cas d'adoption de la proposition de loi, actuellement devant le Parlement, sur le secret des affaires . L'information est devenue une valeur à part entière qui pousse les entreprises à la sécuriser par des obligations de confidentialité de plus en plus systématiques (2). Une sécurisation d'autant plus recherchée par les entreprises depuis l'adoption de la base de données unique (BDU), qui étend le champ des bénéficiaires des informations sociales et économiques. Les dispositifs de protection de la confidentialité sont nombreux, de l'incrimination de violation du secret de fabrique (3) au délit de violation du secret professionnel (4), en passant par les obligations de secret et discrétion (pour les informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur), spécifiques aux représentants du personnel. Les conditions restrictives auxquelles sont soumis la plupart de ces dispositifs, par exemple, l'exigence d'intention frauduleuse pour caractériser le délit pénal de violation du secret professionnel, font que les employeurs sont tentés de définir leurs propres règles, par le biais de codes de bonne conduite (5) ou par l'insertion dans le contrat de travail d'une clause de confidentialité.

Cette clause vise à interdire aux salariés concernés de divulguer des données sensibles concernant l'entreprise. Elle porte généralement, non seulement sur la période d'exécution du travail, mais aussi, et surtout, car là est tout l'intérêt pratique, sur la période postérieure à la rupture du contrat. Sont le plus souvent visées les informations portant sur l'activité (procédés, techniques, organisation et méthodes...) ou la situation économique, sociale et financière de l'entreprise (6).

L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 15 octobre 2014 concernait un salarié, directeur marketing de la société Adex, appartenant à un groupe de fabrication et distribution d'explosifs. Licencié pour motif économique, il a saisi la juridiction prud'homale d'une action pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, du fait du non-respect de l'obligation de reclassement, ainsi que d'une demande d'indemnisation, au titre de la clause de discrétion qui, seule, nous intéressera ici.

A l'appui de cette dernière demande, le salarié soutenait, par transposition de la jurisprudence sur les clauses de non-concurrence, que l'atteinte portée à la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle justifiait l'octroi d'une contrepartie financière. La clause l'empêchait, selon lui, de retrouver un emploi du fait, d'une part, qu'il avait toujours travaillé dans le même domaine d'activité, dans lequel de surcroît il existe très peu d'intervenants, d'autre part, que ladite obligation n'était limitée ni dans le temps, ni dans l'espace.

La Cour de cassation ne le suit pas dans son argumentation, et énonce "qu'ayant constaté que la clause litigieuse ne portait pas atteinte au libre exercice par le salarié d'une activité professionnelle, mais se bornait à imposer la confidentialité des informations détenues par lui et concernant la société, la cour d'appel [...] en a exactement déduit que cette clause n'ouvrait pas droit à contrepartie financière".

II - La solution

De cet arrêt, plusieurs conséquences peuvent être tirées.

Premièrement, la validité de principe des clauses de confidentialité est confirmée (7). Ces clauses, lorsqu'elles sont insérées dans le contrat de travail, viennent compléter l'obligation de loyauté dans l'exécution du contrat qui inclut, entre autres manifestations, un devoir général de discrétion (8). La clause -expresse- de discrétion et l'obligation -générale et implicite- de discrétion ne se confondent ni dans leur contenu ni dans leurs effets. D'abord, la première permet de dessiner des contours plus précis que la seconde, quoiqu'elle soit parfois formulée en des termes très généraux (non-divulgation de toute information relative à l'activité de l'entreprise). Lorsqu'elle identifie les informations confidentielles, elle facilite aussi la preuve des divulgations dont a pu se rendre coupable le salarié (9). Surtout, une telle clause permet d'étendre la confidentialité au-delà de la rupture du contrat, alors que l'obligation de loyauté ne couvre que l'exécution du contrat de travail. Les sanctions sont également différentes. Le manquement au devoir de discrétion en cours de contrat de travail sera généralement sanctionné sur le terrain du licenciement (10), rarement sur celui de la responsabilité contractuelle, puisque celle-ci suppose la preuve d'une faute lourde. Par contraste, c'est sur ce second terrain que se place généralement l'employeur, en présence d'une clause de confidentialité, pour sanctionner son ex-salarié postérieurement à la rupture du contrat, puisque la Cour de cassation considère que, dans ce cas, la caractérisation d'une faute lourde n'est pas nécessaire (11). Au vu de ces différences, il est difficile de suivre l'argumentation du conseil de prud'hommes dans la présente espèce, pour qui la clause de confidentialité n'est rien d'autre que le "devoir de discrétion dû par tous les employés d'une entreprise".

Deuxièmement, le régime de la clause de confidentialité n'est pas aligné sur celui applicable à la clause de non-concurrence, puisque seule la seconde ouvre droit à contrepartie financière. Ici se situe l'apport essentiel de l'arrêt du 15 octobre 2014. La différence entre ces deux types de clauses peut être présentée ainsi. La clause de non-concurrence interdit à un salarié de travailler auprès d'une entreprise concurrente après la rupture du contrat de travail là où

la clause de discrétion interdit de divulguer des informations confidentielles, sans interdire de travailler pour la concurrence. Il y a là l'idée qu'un salarié, lié par une clause de confidentialité, peut utiliser le savoir-faire acquis auprès de son ancien employeur sans pour autant divulguer les méthodes et procédés de cette entreprise (12). C'est aussi l'idée, retenue par le passé par la jurisprudence, que l'exploitation d'une expérience acquise est possible, dès lors qu'il n'y a pas à proprement parler exploitation abusive du savoir-faire d'autrui (13).

Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation distingue la clause de confidentialité de la clause de non-concurrence. Dans la célèbre affaire "Nikon", jugée en 2001, le pourvoi principal portait précisément sur cette distinction. Le salarié, ingénieur géomètre, était tenu par un accord de confidentialité qui lui interdisait de divulguer des informations confidentielles, et réclamait l'indemnité prévue par la Convention collective nationale de la métallurgie (N° Lexbase : X0590AEL) en cas de clause de non-concurrence. Si, comme chacun sait, il a obtenu gain de cause sur le terrain du licenciement, dès lors que la correspondance électronique dont se prévalait son employeur comportait la mention "personnel", il n'en a pas été de même sur celui de l'accord de confidentialité. Cet accord, dont les termes étaient clairs et précis, ne lui interdisait pas de s'engager, après la rupture du contrat, auprès d'une entreprise concurrente, a jugé en substance la Cour de cassation (14). Inversement, a été requalifiée en clause de non-concurrence la clause de confidentialité qui interdisait à une salariée "de s'intéresser à toute entreprise susceptible de faire concurrence à l'activité" (15).

Sur la mise à l'écart de l'exigence de contrepartie financière, deux regards opposés peuvent être portés. D'un côté, on peut considérer qu'une telle clause ne porte aucun préjudice au salarié qui, en théorie au moins (infra), n'est pas atteint dans sa liberté d'exercer une activité professionnelle. De l'autre, l'obligation de loyauté s'éteint avec le contrat de travail, ce qui emporte que le salarié n'est plus, une fois le contrat rompu, sous l'emprise de l'employeur ; on pourrait donc considérer qu'une obligation de confidentialité postérieure à la rupture, dénuée de contrepartie financière, serait dénuée de cause (16). Quoiqu'il en soit, sans coût pour l'entreprise, les clauses de discrétion ont toutes les chances de se multiplier dans les contrats de travail.

III - Sa portée

L'exclusion, dans l'arrêt du 15 octobre 2014, de l'exigence de contrepartie financière appelle une double nuance.

Premièrement, l'arrêt ne pose pas en règle absolue qu'une clause de confidentialité ne peut donner lieu à contrepartie financière. D'abord, la qualification donnée par les parties à la clause ne lie pas les juges, qui peuvent la requalifier en clause de non-concurrence, auquel cas une contrepartie financière sera due. Ensuite, la Cour de cassation ne se place pas sur le terrain de la qualification de la clause, qu'elle ne nomme d'ailleurs pas (dans son attendu de principe, il est question de la "clause litigieuse"), mais sur celui de ses effets. La clause porte-t-elle atteinte au libre exercice par le salarié d'une activité professionnelle ou se borne-t-elle à imposer la confidentialité des informations détenues par lui et concernant la société ? Telle est la question que devront désormais se poser les juges. Deux remarques sont ici nécessaires.

D'une part, le raisonnement de la Cour constitue la suite logique de celui adopté à propos des clauses de non-concurrence. La Cour de cassation énonce avec constance que "l'exigence d'une contrepartie à la clause de non-concurrence répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle" (17). Suite logique, mais pas nécessaire. On peut, en effet, se demander pourquoi la liberté d'exercice d'une activité professionnelle peut donner lieu à contrepartie financière et pas la liberté d'expression, ou toute autre liberté fondamentale. Il a d'ailleurs été admis, à propos de l'occupation partielle du domicile privé à des fins professionnelles, qu'une immixtion dans la vie privée pouvait justifier une compensation financière (18).

D'autre part, la formulation utilisée par la Cour de cassation semble réserver l'hypothèse d'une clause de confidentialité qui aurait pour effet, comme le soutenait du reste le pourvoi, d'empêcher le salarié de retrouver un emploi. On peut penser que, dans certains cas, notamment lorsque le secteur est très étroit, l'interdiction d'utilisation des connaissances acquises limitera substantiellement la faculté du salarié de trouver un autre emploi dans son domaine de compétence (19).

Deuxièmement, l'absence de contrepartie financière n'empêche pas que la validité de la clause puisse être contestée sur d'autres fondements. Parmi les conditions de validité régissant les contrats en général peut se poser la question de la licéité de l'objet de la clause. Une clause de confidentialité ne peut obliger le salarié à se taire sur des informations illégales et ainsi couvrir un comportement délictueux de l'entreprise (20). A ces conditions, il faut ajouter l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P), dont il est inutile de rappeler l'importance grandissante dans le contentieux du travail. Comme il a justement été relevé, la problématique des clauses de confidentialité intéresse les droits fondamentaux de la personne, à commencer par la liberté d'expression du salarié, bien davantage que celle, connexe, des inventions de salariés qui se résout sur un terrain essentiellement patrimonial (21). L'argument tiré des droits fondamentaux n'a visiblement pas été soulevé en l'espèce, sans doute parce qu'on était en présence d'un secteur (explosifs et produits chimiques) et d'un poste sensibles, pour lesquels la justification et la proportionnalité de la restriction paraissaient peu contestables.

Comment s'apprécie la validité des clauses de confidentialité à l'aune de l'article L. 1121-1 du Code du travail (22). On est ici au coeur d'un difficile conflit entre secret des affaires et liberté d'expression. S'agissant du contrôle de justification au regard de la nature de la tâche à accomplir, les fonctions du salarié ainsi que la nature de l'activité de l'entreprise sont un facteur déterminant. En ce qui concerne le contrôle de proportionnalité au regard du but poursuivi, ne faudra-t-il pas instaurer une limitation dans le temps et dans l'espace, à défaut de contrepartie financière ? En l'espèce, la clause de discrétion n'était limitée ni dans le temps ni dans l'espace. Limiter la divulgation d'informations dans l'espace n'a guère de sens à l'heure d'internet ! La limitation dans le temps d'un secret est une opération tout aussi délicate. L'élément déterminant dans la mise en oeuvre du contrôle de proportionnalité devrait donc être l'objet et surtout l'étendue des informations visées par la clause. Il faut, d'abord, que les obligations, dont la divulgation est interdite, présentent un caractère confidentiel, à défaut de quoi la restriction pourrait être considérée, nous semble-t-il, comme disproportionnée. Ce point mérite réflexion car nombre de clauses de discrétion sont formulées en termes très généraux afin de couvrir le maximum de données. Le tribunal administratif de Marseille a considéré, par le passé, que "les dispositions du règlement intérieur qui imposent aux salariés une obligation générale de discrétion s'étendant aux informations ne présentant pas un caractère confidentiel, apportent aux libertés individuelles une restriction qui n'est pas justifiée par les intérêts de l'entreprise" (23). Il faut, ensuite, que les informations divulguées présentent un lien avec l'intérêt de l'entreprise, ce qui ne sera pas le cas, par exemple, si elles s'étendent à l'état professionnel du salarié (conditions de recrutement, montant de la rémunération, charge de travail...) (24). L'analyse ne devrait pas être fondamentalement différente de celle qui préside à l'examen de la clause de non-concurrence, dont la légitimité dépend, en grande partie, du risque de divulgation ; les juges se réfèrent, par exemple, à l'utilisation de la compétence et des connaissances acquises (25), ou à "la qualification spécialisée" du salarié pour déterminer si cette clause est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise (26). Ce qui, au passage, pourrait amener certaines entreprises à préférer à la clause de non-concurrence une clause de discrétion gratuite !

Au final, cet arrêt décevra ceux qui espéraient un alignement du régime de la clause de confidentialité sur la clause de non-concurrence, mais ne ferme pas la porte à ceux qui estimeraient qu'une telle clause a pour effet, au vu des circonstances de l'espèce, d'empêcher le salarié de retrouver un travail. Reste qu'on comprend difficilement que le droit à une contrepartie financière soit réservé aux atteintes au libre exercice d'une activité professionnelle alors qu'il n'y a pas, nous semble-t-il, de raison objective à traiter différemment les restrictions apportées à d'autres droits fondamentaux, à commencer par la liberté d'expression !


(1) B. Teyssié, E. Jeansen, Y. Pagnerre, Guide des clauses du contrat de travail 2014, Lexisnexis, 2014.
(2) D. Poracchia, Secret et confidentialité dans les rapports de travail, SSL, 2008, n° 1352.
(3) C. trav., art. L. 1227-1 (N° Lexbase : L1058H93).
(4) C. pén., art. 226-13 (N° Lexbase : L5524AIG).
(5) V. le code de conduite de la société Dassault ayant donné lieu à l'arrêt remarqué (Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3615EPL) et dont l'objet était, notamment, de définir les règles applicables à la diffusion des "informations confidentielles" et des informations à "usage interne" dont les salariés peuvent avoir connaissance dans le cadre de leur contrat de travail.
(6) O. Leclerc, Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail, Dr. soc., février 2005, p. 173.
(7) La Cour a été jusqu'à admettre que l'existence d'une transaction relative aux conséquences du licenciement ne fait pas disparaître les clauses de confidentialité prévues par le contrat de travail : Cass. soc., 30 janvier 1996, n° 92-42457, inédit (N° Lexbase : A3937AA3), solution qui vaut à la fois pour les clauses de non-concurrence et les clauses de confidentialité.
(8) L'obligation de discrétion avait été violée par un employé supérieur qui avait fait copier un document décrivant une technique de fabrication et comportant une liste de clients, Cass. soc., 26 octobre 1964, n° 60-40.699 (N° Lexbase : A9996MZA), Bull. civ. IV, n° 700.
(9) M.-A. Moreau, La protection de l'entreprise par les clauses contractuelles de non-concurrence et de confidentialité, Dr. et patrimoine, 1999, n° 69.
(10) Licenciement pour faute grave d'une technicienne de laboratoire qui pour les besoins d'une instance prud'homale sort du laboratoire à l'insu de son employeur un document sur lequel figurent des résultats d'analyse alors que ces renseignements sont couverts par le secret professionnel, Cass. soc., 3 octobre 1990, n° 88-44.170 (N° Lexbase : A9327AAP).
(11) Cass. soc., 19 mars 2008, no 06-45.322, F-D (N° Lexbase : A4787D7G), sans compter l'action en concurrence déloyale contre le nouvel employeur pour exploitation abusive du savoir faire, Cass. crim., 8 janvier 1979, n° 77-93.038, publié (N° Lexbase : A5560CGZ), Bull. crim., n° 13 ; D., 1979, p. 248.
(12) M. Del Sol et C. Lefranc-Hamoniaux, La protection de l'information confidentielle acquise par les salariés et leurs représentants, JCP éd. S 2008, p. 1666.
(13) CA Paris, 17 octobre 1974, Gaz. Pal., 1975, 1, jur., p. 130, note Guyénot J. ; CA Paris, 23 mars 1982, RTD Com., 1982, p. 558, obs. A. Chavanne et Azéma.
(14) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942 (N° Lexbase : A1200AWD).
(15) Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-41.267, F-D (N° Lexbase : A0810D3E).
(16) O. Leclerc, Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail, préc. ; v. aussi à propos des clauses de non-concurrence, R. Vatinet, Les principes mis en oeuvre par la jurisprudence relative aux clauses de non-concurrence en droit du travail, Dr. soc., 1998, p. 534.
(17) En ce sens notamment, Cass. soc. 17 décembre 2004, n° 03-40.008, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4376DES).
(18) Cass. soc., 7 avril 2010, n° 08-44.865, FS-P+B (N° Lexbase : A5814EUU) ; Bull. civ. V, n° 86 ; D., 2010, p. 1084 ; LPA, 2010, n° 162, p. 3, obs. G. Picca et A. Sauret ; JSL, 2010, n° 278, note M. Hautefort ; JCP éd. S, 2010, n° 1218, note G. Loiseau ; JCP éd. E, 2010, n° 1593, note S. Béal et C. Terrenoire.
(19) D. Poracchia, op. cit..
(20) O. Leclerc, Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail, Dr. soc., février 2005, p. 173, spé. p. 176 ; rappr. Cass. soc., 14 mars 2000, n° 97-43.268 (N° Lexbase : A6362AGQ), Bull. civ. V, n° 104 ; RJS, 4/00, n° 388.
(21) R. Vatinet, Les principes mis en oeuvre par la jurisprudence relative aux clauses de non-concurrence en droit du travail, Dr. soc., 1998 p. 534.
(22) V. sur ce point I. Cornesse, Clauses de confidentialité, vers une nouvelle saga judiciaire ? , Revue Lamy, droit des affaires, 2008, n° 29.
(23) TA Marseille, 15 décembre 1987, Rec., tables, p. 970.
(24) O. Leclerc, op. cit..
(25) Cass. soc., 5 mars 1987, n° 84-41.971, inédit (N° Lexbase : A8588CMZ), D., 1988, som. 179.
(26) Cass. soc., 19 novembre 1996, n° 94-19.404 (N° Lexbase : A2126AAY), Dr. social, 1997, p.95, obs. G. Couturier.

Décision

Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 13-11.524, FS-P+B (N° Lexbase : A6493MY7).

Confirmation (CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 4 décembre 2012, n° S 11/01115 N° Lexbase : A1215IYN).

Textes visés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P).

Mots-clés : clause de confidentialité ; validité ; contrepartie financière.

Lien base : (N° Lexbase : E8790ESD).

newsid:444538

Copropriété

[Brèves] Résolution prévoyant un simple échange de vues sans vote : une telle résolution ne peut donner lieu à une décision de l'assemblée générale

Réf. : Cass. civ. 3, 5 novembre 2014, n° 13-26.768, FS-P+B (N° Lexbase : A9166MZI)

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N4565BUM

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Le 14 Novembre 2014

L'assemblée générale ne prend de décision valide que sur les questions inscrites à l'ordre du jour comme devant faire l'objet d'un vote ; aussi, la résolution mentionnant expressément que la demande en cause ne ferait pas l'objet d'un vote ne peut donner lieu à une décision de l'assemblée générale sur ce point de l'ordre du jour. Telle est la solution qui se dégage d'un arrêt rendu le 5 novembre 2014 par la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 5 novembre 2014, n° 13-26.768, FS-P+B N° Lexbase : A9166MZI). En l'espèce, Mme M., propriétaire de lots dans un immeuble soumis au statut de la copropriété, avait assigné le syndicat secondaire des copropriétaires de l'ensemble immobilier en annulation de l'assemblée générale du 3 avril 2009 et subsidiairement en annulation de certaines décisions adoptées à cette occasion. Le syndicat des copropriétaires faisait grief à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 4, 2ème ch., 25 septembre 2013, n° 11/15767 N° Lexbase : A7810KLT) d'annuler la résolution 44 de l'assemblée générale du 3 avril 2009, faisant valoir qu'il résultait des constatations de la cour que la résolution en cause, régulièrement inscrite à l'ordre du jour, avait un objet précis, de sorte que l'assemblée générale pouvait décider de prendre une décision sanctionnée par un vote, nonobstant l'indication portée à l'ordre du jour à cet égard ("A la demande de Mme Liliane M., par pli recommandé avec accusé de réception en date du 18 janvier 2009 selon copie jointe à la convocation, l'assemblée générale réunie le 3 avril 2009 désire la copie des contrats de gardiens M. et Mme P. - Pas de vote)". En vain. La Cour suprême approuve les juges d'appel qui, ayant exactement retenu que l'assemblée générale ne prend de décision valide que sur les questions inscrites à l'ordre du jour comme devant faire l'objet d'un vote, et relevé que l'ordre du jour de l'assemblée générale mentionnait que la demande ne ferait pas l'objet d'un vote et que cette décision avait été rejetée après avoir fait l'objet d'un vote des copropriétaires, en avaient exactement déduit que l'assemblée générale n'avait pu prendre de décision valide sur ce point de l'ordre du jour prévu pour un échange de vues sans vote (cf. l’Ouvrage "Droit de la copropriété" N° Lexbase : E7684ETR).

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Droit des étrangers

[Jurisprudence] Les conditions d'éloignement des citoyens européens en cas de séjour inférieur à trois mois

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 1er octobre 2014, n° 365054, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7782MXI)

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N4411BUW

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par Hocine Zeghbib, Maître de conférences, Université Paul Valéry - Montpellier III, codirecteur scientifique de l'Encyclopédie "Droit des étrangers"

Le 13 Novembre 2014

Le séjour non permanent fragilise la portée de la protection du citoyen européen contre les mesures d'éloignement. Ainsi, des faits "d'escroquerie à la charité publique", à la condition que soit pris en compte l'ensemble des circonstances relatives à la situation particulière de la personne concernée, en particulier sa situation individuelle, notamment la durée de son séjour en France, sa situation familiale et économique et son intégration, peuvent être constitutifs d'une "menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française", en l'occurrence la sécurité publique, justifiant et légalisant une obligation de quitter le territoire français, avec placement en rétention et désignation du pays de destination, décidée à l'égard d'un citoyen européen. La Haute juridiction administrative s'est prononcée sur cette possibilité dans un arrêt rendu le 1er octobre 2014. Le Conseil d'Etat avait à se prononcer sur un pourvoi en cassation introduit par une citoyenne européenne, entrée sur le territoire français depuis trois mois, interpellée le 8 janvier 2012 et placée en garde à vue pour avoir, en réunion, sollicité le versement de sommes d'argent à l'aide d'une fausse documentation portant l'en-tête d'une association caritative. Frappée d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français prise le 9 janvier 2012 par le préfet de police de Paris et placée en rétention en vue de son éloignement vers son pays d'origine, la Roumanie, Etat membre de l'Union européenne mais, à l'époque encore, en période de transition en matière de libre circulation et de séjour de ses ressortissants, la requérante a introduit un pourvoi en cassation contre l'arrêt du 4 octobre 2012 par lequel la cour administrative de Paris (1) a confirmé le jugement du 12 janvier 2012 du tribunal administratif de la même ville rejetant sa demande tendant à l'annulation des mesures prises à son encontre.

La Haute juridiction administrative trouve dans cette affaire l'occasion de préciser les conditions dans lesquelles un citoyen européen, entré sur le territoire français moins de trois mois avant son interpellation pour infraction à la loi, peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, avec ou sans délai de départ volontaire, sans que soit méconnue la Directive (CE) 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres (N° Lexbase : L2090DY3) (2), et plus particulièrement ses articles 27 et 28.

Pour mémoire, les ressortissants de l'Union européenne bénéficient pour eux-mêmes et pour les membres de leurs familles du droit de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres. Ils peuvent, cependant, faire l'objet d'une mesure d'éloignement pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Une protection renforcée est reconnue à ceux des citoyens ayant acquis un droit de séjour permanent (cinq ans de résidence continue) dont l'éloignement est soumis à des raisons impérieuses d'ordre public ou de sécurité publique. De même, des motifs graves de sécurité publique sont-ils exigés pour éloigner des citoyens ayant séjourné durant les dix ans précédents sur le territoire de l'Etat membre d'accueil, ainsi que pour les mineurs. La Cour de justice de l'Union européenne a eu l'occasion d'expliciter le sens à donner à la notion de "protection renforcée" et des conséquences qui en découlent quant à l'éloignement de son bénéficiaire dans son arrêt "Tsakouridis" (3). Pour rappel, deux questions lui étaient posées sur recours préjudiciel : la première sur les conditions dans lesquelles la "protection renforcée" peut être acquise ou perdue, la seconde sur ce qu'il faut entendre par "raisons impérieuses de sécurité publique". A la deuxième question, dont la pertinence est plus marquée pour notre espèce, la Cour de Luxembourg répond que la condition de "raisons impérieuses de sécurité publique" suppose non seulement l'existence d'une atteinte à la sécurité publique, mais, en outre, qu'une telle atteinte présente un degré de gravité particulièrement élevé, moyen de protection dont elle restreindra cependant le champ à peine deux années plus tard (4). Elle prend, cependant, soin de préciser que "le comportement de la personne concernée doit représenter une menace réelle et actuelle et que la mesure d'éloignement ne peut pas être fondée sur l'existence de condamnations pénales antérieures ou des raisons de prévention générale". L'examen individuel et la proportionnalité des mesures envisagées doivent rester déterminants.

En revanche et s'agissant du cas des citoyens européens se trouvant sur le territoire français depuis moins de trois mois, il est apparu, notamment à l'été 2010 avec la recrudescence des mesures d'éloignement frappant un grand nombre de "Roms" ressortissants roumains, que leur situation ne bénéficie pas d'un niveau de protection aussi élevé. L'explication est à rechercher dans la législation nationale transposant la Directive (CE) 2004/38 du 29 avril 2004. L'article L. 121-1 (N° Lexbase : L1231HPB), introduit par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration (N° Lexbase : L3439HKL), dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui reconnaît à tout citoyen européen le "droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois", "sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public", peut être considéré, en creux, comme le point de départ des difficultés liées au séjour de moins de trois mois (5).

La Directive de 2004 précitée, en cherchant à unifier les différentes catégories de personnes pouvant exercer un droit de séjour, n'envisage plus ce droit que comme la résultante du principe de "libre circulation des personnes" laquelle constitue "une des libertés fondamentales du marché intérieur, qui comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel cette liberté est assurée". L'article 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2507IPK), qui condamne les mesures nationales visant à priver les individus de l'effectivité de jouissance des droits tirés de leur statut de citoyen européen, sert de toile de fond au dispositif mis en place par cette Directive dont la transposition a été assurée par l'article 23 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006. De fait, la Directive de 2004, par son article 28, introduit une gradation dans les motifs justifiant l'éloignement d'un citoyen européen pour raison d'ordre public ou de sécurité publique. Elle le fait au regard, notamment, du degré d'intégration de l'individu concerné dans l'Etat membre d'accueil : motifs graves d'ordre public ou de sécurité publique s'agissant du droit au séjour permanent ; raisons impérieuses d'ordre public ou de sécurité publique s'agissant des séjours de dix ans au moins et des mineurs.

Le séjour non permanent, c'est-à-dire de moins de trois mois et les conditions de l'éloignement qui lui sont attachées, va apparaître à l'occasion de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4), dont l'article 22 introduit un article L. 121-4-1 (N° Lexbase : L4992IQX) dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile instaurant "le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois", sans formalités particulières autres que celles prévues par la réglementation nationale, au profit des citoyens européens. Une décision d'obligation de quitter le territoire français devient alors possible à l'encontre d'un citoyen européen en cas d'absence de droit au séjour, de séjour constitutif d'un abus de droit, et comportement constitutif d'une menace grave, actuelle et réelle portant atteinte à un intérêt fondamental de la société française, c'est-à-dire pour trouble à l'ordre public. Dans l'arrêt rapporté, c'est du dernier cas qu'il est question. En effet, le juge établit que la requérante ne conteste pas que sa présence sur le territoire date de moins de trois mois au moment de son interpellation et que, par suite, elle tombe sous le coup de l'article L. 511-3-1, 3° (N° Lexbase : L7180IQY) organisant l'éloignement pour comportement personnel constituant "une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française".

Dans l'arrêt rapporté, le Conseil d'Etat se devait de clarifier la notion de "trouble à l'ordre public", entendue par l'article 27-2 de la Directive de 2004 comme étant "une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société" et reprise à la lettre par l'article L. 511-3-1, 3° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour mettre fin aux divergences qui ont pu apparaître entre les interprétations retenues par certaines juridictions administratives. En effet, il a pu être jugé que des interpellations pour vol pouvaient justifier une mesure d'éloignement (7). A contrario, les juges ont estimé qu'une condamnation pour vol n'était pas constitutive d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française (8). De son côté, la CJUE estime que les dérogations à la libre circulation doivent être interprétée de manière stricte (9) et en tenant compte de "la durée du séjour de l'intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine" (10). D'autre part, elle considère dans ses arrêts suscités qu'une condamnation pénale ne peut pas justifier automatiquement le recours à l'éloignement. Aussi, est-il nécessaire de prendre en compte, en pareil cas, les faits et les circonstances à la source de la condamnation et leur lien évident avec le comportement personnel de l'intéressé. Dans cette recherche, le risque de récidive doit être pris en compte. Mais la simple possibilité que d'autres infractions soient commises sans autre élément de circonstance, ne permet pas d'établir que la menace est réelle.

Dans sa décision, la juridiction administrative suprême fait sien le refus de la juridiction d'appel de donner suite à la demande de saisine de la Cour de justice de l'Union européenne pour interprétation des dispositions des articles 27 et 28 formulée par la requérante et juge, par suite, que les dispositions législatives nationales relatives à l'éloignement, en l'occurrence celles contenues dans le 3° de l'article L. 511-3-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile transposant lesdites dispositions communautaires (11), ne visent que les citoyens européens entrés sur le territoire français depuis moins de trois mois. Pour le Conseil d'Etat, le degré particulier de gravité des motifs d'ordre public pour pouvoir prendre à leur encontre une mesure d'éloignement ne répond pas au même niveau d'intensité que celui exigé pour éloigner les personnes mineures, celles ayant acquis un droit de séjour permanent ou celles ayant séjourné en France pendant les dix années précédentes. Le niveau de protection contre l'éloignement dont bénéficient les citoyens européens entrés depuis seulement trois mois sur le territoire français et les autres ne peut donc, selon les juges du Palais-Royal, être identique. L'effet que le Conseil d'Etat attache à la Directive de 2004 justifie, à ses yeux, une telle distinction.

Toutefois, la protection moindre que le Conseil d'Etat attribue aux citoyens européens "qui ne sont pas entrés en France depuis plus de trois mois" n'est pas dépourvue de toute garantie. En effet, au degré de basse intensité attaché à la protection de ces citoyens au regard des motifs d'éloignement pour cause de trouble à l'ordre public, le Conseil d'Etat précise qu'"il appartient néanmoins à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration" (considérant n° 3). Ces différentes exigences sont bien celles mentionnées par les articles 27 et 28 de la Directive de 2004 et, de ce point de vue, l'arrêt du Conseil d'Etat n'en est que l'exacte traduction.

En revanche, le doute est permis quant à la différence de traitement qu'entérine le Conseil d'Etat entre les citoyens en séjour non permanent et les citoyens ayant acquis le droit au séjour permanent de cinq ou dix ans. En effet, la notion de trouble à l'ordre public est appréciée différemment par la Haute juridiction selon qu'il s'agit des premiers pour lesquels, par exemple, une simple infraction à la loi peut être comptée au nombre des motifs d'éloignement du territoire si les autres conditions ont été observées, ou des seconds pour lesquels, pour reprendre le même exemple, une infraction à la loi, pour être acceptée parmi les motifs d'éloignement, doit relever d'une catégorie bien plus porteuse de risques pour la société dans son ensemble, comme l'a établi la CJUE (12). Le doute persiste sur la justesse d'une telle différence au regard de la Directive "libre circulation" et la Haute juridiction aurait gagné à laisser prospérer la demande de recours préjudiciel qui aurait permis aux juges de Luxembourg de se prononcer sur l'interprétation des articles 27 et 28 de la Directive du 29 avril 2004 au regard de leur transposition par la loi du 16 juin 2011. Mais c'est là tout le problème.


(1) CAA Paris, 1ère ch., 4 octobre 2012, n° 12PA00262 (N° Lexbase : A2488IXG).
(2) JO 2004, L 229, p. 35, rectificatifs JO L 229, p. 35 et JO 2005, L 197, p. 34.
(3) CJUE, 23 novembre 2010, aff. C-145/09 (N° Lexbase : A6624GKK).
(4) CJUE, 22 mai 2012, aff. C-348/09 (N° Lexbase : A7891ILT).
(5) Par exemple, il a été jugé qu'un citoyen européen multipliant les séjours de trois mois dans le seul but bénéficier du droit de séjour non-permanent attaché à cette situation constitue un abus de droit justifiant son éloignement (CAA Bordeaux, 1ère ch., 17 octobre 2013 n° 13BX00934 N° Lexbase : A4525MPB).
(6) Sur les modalités de calcul de la période des dix de résidence, voir CJUE, 16 janvier 2014, aff. C-400/12 (N° Lexbase : A8070KT3).
(7) TA Rennes, 7 novembre 2007, n° 0704490 ; CAA Lyon, 10 juin 2010, n° 09LY02615 (N° Lexbase : A7892E3P) ; CAA Douai, 3ème ch., 28 juin 2012, n° 11DA01838 (N° Lexbase : A7556ITZ).
(8) CAA Douai, 30 juillet 2009, n° 09DA01151.
(9) En application des articles 20 et 21 (N° Lexbase : L2518IPX) du TUE, "[...] les exigences de l'ordre public et de la sécurité publique [...], doivent, toutefois, être entendues strictement de sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des Etats membres sans contrôle des institutions de l'Union européenne [...]".
(10) Cf. Directive (CE) 2004/38 du 29 avril 2004, art. 28.
(11) La transposition de cette Directive a connu des difficultés mises en avant par un rapport, établi à la demande du Commissaire européen Jacques Barrot, adopté par la Commission en décembre 2008 (cf Nea Say), "lequel concluait que, globalement, la transposition de la Directive laissait plutôt à désirer. De tous les Etats membres, pas un seul n'a transposé effectivement et correctement la directive entière en droit national. Aucun article n'a été transposé effectivement et correctement dans l'ensemble des Etats membres".
(12) CJUE, 22 mai 2012, aff. C-348/09, op. cit..

newsid:444411

Droit des étrangers

[Brèves] Rejet des recours contre les décrets opérant le redécoupage des cantons dans les départements du Gard et de la Corse du Sud

Réf. : CE, Sect., deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 378140 (N° Lexbase : A9434MZG) et n° 379843 (N° Lexbase : A9438MZL)

Lecture: 2 min

N4527BU9

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Le 15 Novembre 2014

Le Conseil d'Etat rejette les recours contre les décrets opérant le redécoupage des cantons dans les départements du Gard et de la Corse du Sud dans deux arrêts rendus le 5 novembre 2014 (CE, Sect., deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 378140 N° Lexbase : A9434MZG et n° 379843 N° Lexbase : A9438MZL). L'application de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral (N° Lexbase : L7927IWI), imposait de procéder à une nouvelle délimitation de l'ensemble des circonscriptions cantonales en vue du prochain renouvellement général des conseils départementaux, fixé au mois de mars 2015. Le III de l'article L. 3113-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2162IYQ) prévoit que le territoire de chaque canton doit être défini "sur des bases essentiellement démographiques". Cette exigence n'impose pas que la répartition des sièges soit proportionnelle à la population. Un écart de l'ordre de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département est, en principe, admissible, à condition que cet écart repose sur des considérations dénuées d'arbitraire. Le chiffre de 20 % constitue une ligne directrice à partir de laquelle chaque cas particulier est apprécié. Le IV du même article prévoit qu'il est possible de déroger à la règle du découpage "sur des bases essentiellement démographiques" et d'avoir, par conséquent, des écarts de population entre les cantons plus importants, lorsque des considérations géographiques le justifient. S'agissant du département du Gard, le Conseil d'Etat indique, au vu des pièces qui lui ont été soumises, que le Gouvernement s'est fondé, en effectuant le découpage de ces deux cantons, sur des contraintes géographiques liées au relief montagneux, à la superficie étendue de la zone en question et aux tracés des voies de communication. Ce découpage, ainsi justifié, correspond aux conditions de dérogations à la règle du découpage essentiellement démographique et est donc légal. S'agissant du département de la Corse du Sud, les juges du Palais-Royal ont également estimé les considérations géographiques suffisantes pour justifier la dérogation au principe du découpage essentiellement démographique. Les recours contre les décrets opérant le redécoupage des circonscriptions cantonales dans les départements du Gard et de la Corse du Sud sont donc finalement rejetés (cf. l’Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E1705A8N).

newsid:444527

Droit des étrangers

[Brèves] La CJUE dénie le droit au versement des prestations sociales dans un Etat membre aux personnes ressortissantes d'un autre pays de l'UE ne recherchant pas effectivement un emploi

Réf. : CJUE, 11 novembre 2014, aff. C-333/13 (N° Lexbase : A9992MZ4)

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N4557BUC

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Le 26 Novembre 2014

Les citoyens de l'Union ne recherchant pas effectivement un emploi et qui se rendent dans un autre Etat membre dans le seul but de bénéficier de l'aide sociale peuvent être exclus du versement de certaines prestations sociales, estime la CJUE dans un arrêt rendu le 11 novembre 2014 (CJUE, 11 novembre 2014, aff. C-333/13 N° Lexbase : A9992MZ4). En l'espèce, un ressortissant roumain s'était vu refuser le versement des prestations de l'assurance de base en Allemagne au motif qu'il n'était pas entré dans ce pays pour y chercher un emploi et, bien que demandant les prestations de l'assurance de base réservées aux demandeurs d'emploi, il ressortait du dossier qu'il ne recherchait pas d'emploi. La CJUE rappelle que, pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales, les ressortissants d'autres Etats membres ne peuvent réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'Etat membre d'accueil que si leur séjour respecte les conditions de la Directive "citoyen de l'Union" (Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 N° Lexbase : L2090DY3). Ainsi, lorsque la durée du séjour est supérieure à trois mois, mais inférieure à cinq ans (période qui est en cause dans la présente affaire), la Directive conditionne le droit de séjour au fait, notamment, que les personnes économiquement inactives doivent disposer de ressources propres suffisantes, ceci afin d'empêcher que les citoyens de l'Union économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l'Etat membre d'accueil pour financer leurs moyens d'existence. La Cour décide donc que la Directive "citoyen de l'Union" et le Règlement sur la coordination des systèmes de Sécurité sociale (Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 N° Lexbase : L7666HT4) ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui exclut les ressortissants d'autres Etats membres du bénéfice de certaines "prestations spéciales en espèces à caractère non contributif", alors qu'elles sont garanties aux ressortissants nationaux qui se trouvent dans la même situation, dans la mesure où ces ressortissants ne bénéficient pas d'un droit de séjour en vertu de la Directive dans l'Etat membre d'accueil (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E2117EY3).

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Droit des étrangers

[Brèves] Rejet des recours contre les décrets opérant le redécoupage des cantons dans les départements du Gard et de la Corse du Sud

Réf. : CE, Sect., deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 378140 (N° Lexbase : A9434MZG) et n° 379843 (N° Lexbase : A9438MZL)

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N4527BU9

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Le 15 Novembre 2014

Le Conseil d'Etat rejette les recours contre les décrets opérant le redécoupage des cantons dans les départements du Gard et de la Corse du Sud dans deux arrêts rendus le 5 novembre 2014 (CE, Sect., deux arrêts, publiés au recueil Lebon, n° 378140 N° Lexbase : A9434MZG et n° 379843 N° Lexbase : A9438MZL). L'application de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013, relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral (N° Lexbase : L7927IWI), imposait de procéder à une nouvelle délimitation de l'ensemble des circonscriptions cantonales en vue du prochain renouvellement général des conseils départementaux, fixé au mois de mars 2015. Le III de l'article L. 3113-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2162IYQ) prévoit que le territoire de chaque canton doit être défini "sur des bases essentiellement démographiques". Cette exigence n'impose pas que la répartition des sièges soit proportionnelle à la population. Un écart de l'ordre de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne de la population par canton au sein du département est, en principe, admissible, à condition que cet écart repose sur des considérations dénuées d'arbitraire. Le chiffre de 20 % constitue une ligne directrice à partir de laquelle chaque cas particulier est apprécié. Le IV du même article prévoit qu'il est possible de déroger à la règle du découpage "sur des bases essentiellement démographiques" et d'avoir, par conséquent, des écarts de population entre les cantons plus importants, lorsque des considérations géographiques le justifient. S'agissant du département du Gard, le Conseil d'Etat indique, au vu des pièces qui lui ont été soumises, que le Gouvernement s'est fondé, en effectuant le découpage de ces deux cantons, sur des contraintes géographiques liées au relief montagneux, à la superficie étendue de la zone en question et aux tracés des voies de communication. Ce découpage, ainsi justifié, correspond aux conditions de dérogations à la règle du découpage essentiellement démographique et est donc légal. S'agissant du département de la Corse du Sud, les juges du Palais-Royal ont également estimé les considérations géographiques suffisantes pour justifier la dérogation au principe du découpage essentiellement démographique. Les recours contre les décrets opérant le redécoupage des circonscriptions cantonales dans les départements du Gard et de la Corse du Sud sont donc finalement rejetés (cf. l’Ouvrage "Droit électoral" N° Lexbase : E1705A8N).

newsid:444527

Entreprises en difficulté

[Brèves] Responsabilité pour insuffisance d'actif et interdiction de gérer : appréciation de la faute de gestion consistant à avoir omis de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal

Réf. : Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-23.070, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5416MZM)

Lecture: 2 min

N4474BUA

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Le 13 Novembre 2014

L'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de constituer une faute de gestion s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report. Enonçant ce principe, la Chambre commerciale de la Cour de cassation retient, dans un arrêt du 4 novembre 2014, promis à la plus large publicité (Cass. com., 4 novembre 2014, n° 13-23.070, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5416MZM), que le jugement de condamnation doit préciser si la date de cessation des paiements retenue est celle fixée par le jugement d'ouverture ou le jugement de report. En l'espèce, après la mise en redressement puis liquidation judiciaires d'une société les 4 février et 9 avril 2008, le liquidateur a assigné le gérant de cette société, en responsabilité pour insuffisance d'actif et en prononcé d'une mesure d'interdiction de gérer. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a condamné le dirigeant à contribuer à l'insuffisance d'actif de la société et à une mesure d'interdiction de gérer (CA Aix-en-Provence, 10 janvier 2013, n° 12/04261 N° Lexbase : A1772I3Z). Pour prononcer la première sanction, la cour retient que la société était en cessation des paiements depuis au moins le 5 juillet 2007 et qu'en s'abstenant d'en faire la déclaration dans le délai de quarante cinq jours, le dirigeant a commis une faute de gestion ; pour prononcer la seconde sanction, elle retient l'omission de déclarer, dans le délai légal, la cessation des paiements, dont il fixe la date au 5 juillet 2007. Enonçant le principe précité, la Cour régulatrice censure l'arrêt d'appel tant sur la condamnation en responsabilité pour insuffisance d'actif, au visa de l'article L. 651-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3792HB3), dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT), que sur le prononcé de l'interdiction de gérer, au visa de l'article L. 653-8, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L4148HBA), dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008, et de l'article R. 653-1, alinéa 2, du même code (N° Lexbase : L1146HZH) : en se déterminant ainsi, sans préciser si la date du 5 juillet 2007 était celle fixée par le jugement d'ouverture ou un jugement de report, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale .

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Fiscal général

[Evénement] Les arrêts importants de la jurisprudence fiscale : quelles nouveautés ? Quelles incidences ? - Conférence donnée par Lefèvre Pelletier & associés le 17 octobre 2014

Lecture: 26 min

N4516BUS

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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 14 Novembre 2014

Le 17 octobre 2014, le cabinet d'avocat Lefèvre Pelletier & associés a donné une conférence sur les arrêts importants de la jurisprudence fiscale en 2014. Les intervenant étaient Evelyne Bagdassarian, Avocat associé, Lefèvre Pelletier & associés, et Pierre-François Racine, Of counsel, Lefèvre Pelletier & associés. Ils ont présenté un panorama de la jurisprudence fiscale, divisé en quatre thèmes : fiscalité internationale/prix de transfert, fiscalité des entreprises, contentieux constitutionnel, et procédures fiscales. Les éditions juridiques Lexbase, présentes à cette occasion, vous en proposent un compte-rendu. I - Fiscalité internationale/prix de transfert
  • Transformation d'un distributeur-revendeur en commissionnaire (CE, 9 avril 2014, n° 366493 N° Lexbase : A7389MZP ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E9510AQB)

Cet arrêt du 9 avril 2014 est un arrêt de refus d'admission du pourvoi en cassation qui est dirigé contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris rendu le 31 décembre 2012 (CAA Paris, n° 10PA00748 N° Lexbase : A0761I8P). Il s'agissait, en l'espèce, d'une transformation d'un distributeur-revendeur en commissionnaire. Une société française était devenue commissionnaire d'une société de droit anglais, et l'administration avait considéré que cette transformation du statut de distributeur-revendeur en commissionnaire était accompagnée d'un transfert de clientèle au profit du commettant et que, par ailleurs, la rémunération en qualité de commissionnaire était inférieure à celle que cette société percevait en qualité d'acheteur-revendeur. La cour a considéré qu'il n'y avait pas eu de transfert de clientèle parce que le commissionnaire signait en son nom propre et pour le compte de son commettant, et qu'il avait développé sa propre clientèle en étant acheteur-revendeur. L'administration fiscale contestait le rejet par la cour de l'argumentation subsidiaire selon laquelle la société avait limité sans contrepartie ses droits sur cette clientèle en acceptant une diminution de sa rémunération. La société aurait dû percevoir une indemnité et le seul changement de statut, qui n'a eu aucun impact sur la rémunération, n'impliquait pas un transfert de clientèle.

Il semble intéressant de rappeler que le projet de loi de finances pour 2014 prévoyait une disposition (abandonnée par la suite) qui prévoyait qu'en cas de transfert de fonctions ou de risques intragroupes, si la société enregistrait une baisse de son résultat, elle aurait dû prouver qu'elle avait reçu une contrepartie équivalente. Cet arrêt démontre les difficultés que rencontre l'administration pour prouver les transferts de bénéfices à l'étranger.

  • Redevance pour licence de marque : valorisation des incorporels (CAA Versailles, 18 février 2014, n° 11VE03460 N° Lexbase : A5422MZT ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E1216EUL)

L'arrêt du 18 février 2014 rendu par la cour administrative d'appel de Versailles s'inscrit dans la jurisprudence traditionnelle de la dévolution de la charge de la preuve et illustre une nouvelle fois les difficultés de l'administration pour démontrer l'existence de transfert de bénéfices à l'étranger. La problématique de la valorisation des incorporels fait débat depuis de nombreuses années. Dans cette affaire, l'administration fiscale avait rejeté la déduction des redevances de marque versées par une société française spécialisée dans la commercialisation d'eau minérale embouteillée à des sociétés liées suisses pour associer à sa marque d'eau minérale la marque suisse. Sur le fondement de l'article 57 du CGI (N° Lexbase : L9738I33), la cour avait considéré qu'il y avait absence de valeur d'usage de la marque suisse parce que, d'une part, il y avait une absence de notoriété de la marque suisse sur le marché de l'eau et, d'autre part, le lancement de l'eau de la marque suisse n'avait procuré aucun profit à la société française au regard du coût des investissements nécessaires et de la faiblesse des ventes. La cour a alors jugé que l'administration n'avait pas apporté la preuve que les redevances versées constituaient un transfert indirect de bénéfices. Ici, il est intéressant de relever que le fait que la société suisse ait bénéficié de deux marques n'exclut pas que la filiale ait bénéficié de l'association des marques. De plus, l'absence de bénéfices pour la société française ne suffit pas à démontrer l'absence de valeur d'usage de la marque. Sur la base de ces deux éléments, l'administration a été déboutée de sa demande.

  • Cession intragroupe à un prix inférieur à la valeur vénale (CAA Nantes, 30 janvier 2014, n° 12NT02436 N° Lexbase : A0898MM9 ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E1217EUM)

En l'espèce, une société française a procédé à la vente à une société espagnole d'une participation minoritaire (26 %), qu'elle détenait dans une autre société espagnole. L'administration française avait estimé que cette cession, sans contrepartie, à un prix manifestement inférieur à la valeur vénale de titres constituait un transfert de bénéfices. C'est une situation assez classique et en l'occurrence, la cour a validé le redressement opéré par l'administration. Ici, le point important à relever est que l'administration avait appliqué correctement pour la valorisation de la société une méthode multicritère (valeur mathématique, valeur de productivité, valeur de marge brute d'autofinancement, et valeur de rendement) qui a permis de déterminer que le prix de pleine concurrence n'était pas entaché d'irrégularité. Cela a également permis de prouver un écart significatif entre le prix de cession des titres et la valeur la plus faible déterminée par l'administration, et donc l'absence de contrepartie pour la société française.

C'est une jurisprudence constante (cf. CE 8° s-s., 28 février 2001, n° 199295, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0777ATX). La fermeté et la quantité de la jurisprudence concernant l'article 57 du CGI fait peser une triple charge sur l'administration : les liens de dépendance, l'existence d'un régime fiscal privilégié, et surtout une présomption de transfert de bénéfices. La cour se refuse à qualifier les éléments apportés par l'administration de présomption. Cette dernière ne peut même pas accéder à l'étape suivante consistant à savoir s'il y a eu des contreparties à l'opération prétendument désavantageuse. Cependant, reste à savoir si les nouvelles obligations documentaires qui ont été mises à la charge des entreprises ne vont pas faciliter la charge de la preuve pour l'administration car elle va trouver dans cette documentation les éléments qu'elle avait du mal à trouver. Par conséquent, un risque subsiste à ce niveau. En effet, même si la charge de la preuve reste à l'administration au premier stade, elle trouverait désormais "sur un plateau" de quoi nourrir son argumentation.

Il s'agit là de deux arrêts du Conseil d'Etat qui concernent des établissements bancaires. En l'espèce, ces arrêts touchent des établissements de crédit situés dans l'Union européenne (Italie, Portugal, et Allemagne) qui avaient financé leurs succursales françaises principalement par dette. L'administration fiscale avait rejeté la déductibilité d'une partie des intérêts des succursales en indiquant que ces dernières n'étaient pas dotés de fonds propres suffisant au regard de ratios prudentiels bancaires. En raison du manque de fonds propre, l'administration a alors considéré qu'elle était en droit de rejeter la déductibilité des intérêts sur une fraction des emprunts. Le Conseil d'Etat a confirmé que les ratios de solvabilité doivent être appréciés au niveau du siège et non de la succursale, que le non-respect d'une réglementation sectorielle ne permet pas à l'administration de s'immiscer dans la gestion de la société. L'apport essentiel de cet arrêt réside dans l'application aux succursales, de la liberté de financer les entreprises par fonds propres ou par la dette. L'administration peut contrôler le caractère normal de la rémunération des prêts mais pas le choix opéré entre fonds propres et dette (cf. CE, 30 décembre 2003, n° 233894, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6487DAI). Cette jurisprudence sécurise les banques étrangères dans le choix du financement qu'elles peuvent avoir au niveau de leurs succursales françaises.

Il apparait clairement dans ces arrêts la totale indifférence du Conseil d'Etat à un éventuel non-respect de la réglementation prudentielle. Le Conseil applique rigoureusement dans ce type de cas le principe de l'indépendance des législations.

  • Déductibilité des abandons consentis à des succursales étrangères (CE 3° et 8° s-s-r., 4 décembre 2013, n° 355694, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8512KQC ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E7939AER)

Dans un arrêt du 4 décembre 2013 rendu par le Conseil d'Etat, une société d'investissement française qui a consenti des avances à ses succursales étrangères, qu'elle a ensuite abandonnées à hauteur des pertes réalisées par les succursales. L'administration fiscale a rejeté la déductibilité de ces abandons de créances. Au cas présent, le Conseil d'Etat a donné raison à l'administration et indique qu'on ne doit pas tenir compte de la variation de l'actif net des succursales étrangères. Ce n'est pas parce qu'elles sont en perte qu'elles peuvent déduire les abandons de créances. Le Conseil confirme également que la société française peut déduire de son résultat fiscal les pertes subies et régulièrement provisionnées, résultant des aides apportées aux succursales, sous réserve que ces abandons de créances aient eu pour objectif et contrepartie le développement d'une activité imposable en France. Il faut donc apporter la preuve que l'on a intérêt à abandonner ses créances. En l'espèce, la société française n'avait pas apporté des éléments permettant d'apprécier l'importance relative de l'activité des succursales contribuant à la réalisation de produits imposables en France.

  • Compatibilité de l'article 209 B du CGI (ancienne version) avec le droit communautaire (CE, 4 juillet 2014, n° 357264, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3105MUK ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E9062ASG)

En l'espèce, cette décision concerne le régime antérieur à 2006, mais il y a des leçons à tirer pour l'application actuelle de cet article. Ce qui a été jugé le 4 juillet 2014 par le Conseil d'Etat se situe sur le terrain de la seule liberté d'établissement. Le Conseil ne s'est pas posé la question de savoir si on aurait pu raisonner sur le terrain de la liberté de circulation des capitaux.

Ainsi, au regard de la liberté d'établissement, les critères selon lesquels un dispositif anti-abus peut être jugé conforme à ces libertés ont été dégagés dans un célèbre arrêt rendu le 12 septembre 2006 par la CJCE (CJCE, aff. C-196/04 N° Lexbase : A9641DQ7). Il en résulte que les dispositifs anti-abus sont compatibles avec la liberté d'établissement lorsqu'il s'agit d'un montage purement artificiel destiné à éluder l'impôt.

Le problème posé dans cet arrêt est celui de la clause de sauvegarde incluse dans la rédaction de l'article 209 B. Elle était rédigée de manière si stricte que l'on peut attraire dans le champ de l'article 209 B des situations qui ne constituent pas des montages purement artificiels destinés à contourner la loi fiscale nationale. Les Hauts magistrats précise qu'on doit soustraire à l'article 209 B des prises de participation dans les sociétés qui ont une activité économique réelle, même si cette activité, sans être principale n'est qu'accessoire ou non dépourvue de substance. Une "censure" est donc prononcée sans bénéfice pour le requérant car il n'a pas apporté la preuve que les opérations des filiales situées au Luxembourg et à Guernesey avaient une véritable substance. Il y a, par conséquent, une remise en cause de l'article 209 B sous l'aspect de la clause de sauvegarde telle qu'elle était rédigée à l'époque.

Les conséquences par rapport à l'article 209 B du CGI dans sa version actuelle sont différentes car si la rédaction de la clause s'aligne sur le droit de l'Union pour la liberté d'établissement, elle s'en écarte toujours sur le terrain de la liberté de circulation des capitaux. Or, la CJUE applique sans ambigüité (contrairement à la législation française dans la rédaction nouvelle de l'article 209 B) les mêmes critères que sur le terrain de la liberté d'établissement (critère du montage purement artificiel destiné à contourner la loi fiscale nationale). Voici donc un premier point qui permettrait de douter sur le fait que l'article 209 B serait compatible avec le droit communautaire. Une autre question se dégage au regard de la clause de sauvegarde nouvelle. En effet, le requérant s'est retrouvé actionnaires de filiales suisses et luxembourgeoises par l'effet d'une fusion. Autrement dit, est-ce que le critère intentionnel aujourd'hui exigé par la clause de sauvegarde est rempli lorsqu'on se retrouve actionnaire par l'effet d'une fusion de participations étrangères qui ont été contractées par la société absorbée ?

Dans un arrêt du 12 mars 2014 rendu par le Conseil d'Etat, la question posée est la qualification, au regard des conventions fiscales, de gains de change réalisés par une société française lors de la cession d'un immeuble situé au Japon. Ces gains sont-ils des revenus immobiliers (taxables au Japon) ou constituent-ils un élément de profit qui doit être distingué de la plus-value de cession ?

A l'origine, la cour administrative d'appel de Paris avait validé le redressement de l'administration fiscale en considérant que le traitement des gains de change devait être dissocié de celui de la plus-value réalisée lors de la cession de l'immeuble (CAA Paris, 9ème ch., 23 juin 2011, n° 09PA06609 N° Lexbase : A4786HXK). Ces gains de change relevaient de l'article 7 (bénéfices des entreprises) et non pas de l'article 5 (revenus immobiliers) de l'ancienne Convention fiscale conclue entre la France et le Japon (N° Lexbase : L6709BHX). En l'espèce, en l'absence d'établissement stable au Japon, les gains de change étaient donc taxables en France.

Le Conseil d'Etat a considéré, au contraire, que le traitement des gains de change doit suivre celui de la plus-value immobilière. Aucune stipulation conventionnelle ne permet de distinguer les écarts de conversion résultant de l'aliénation d'un bien immobilier des autres profits provenant de l'aliénation de ce bien. Alors, le gain de change rattachable à la vente de l'immeuble doit être regardé comme un profit provenant de l'aliénation de l'immeuble, situé au Japon et donc imposable au Japon. Cet arrêt peut être rapproché d'un arrêt du Conseil d'Etat en date du 1er octobre 2013 (CE 3° et 8° s-s-r., n° 351982, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3386KMD), qui concernait une banque française. Ici, les faits étaient différents, les gains de change étaient relatifs au financement de l'acquisition d'un bail immobilier. Le Conseil avait considéré, au contraire, que ces gains de change n'étaient pas directement rattachables à l'exploitation de l'immeuble mais constituaient des opérations financières distinctes. Il faut donc, à chaque fois, regarder sur quoi portent les gains de change.

  • Conventions fiscales, subsidiarité, et non-aggravation (CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2014, n° 362528, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6800MGX ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E3557AEH)

Un arrêt été rendu le 12 mars 2014 par le Conseil d'Etat concernant la subsidiarité des conventions fiscales et le principe de non-aggravation. En l'espèce, la société requérante, française, avait déduit de son résultat taxable les retenues à la source (RAS) subies en Italie et au Japon à raison des redevances de marques perçues dans ces deux Etats. L'administration avait alors rejeté la déductibilité des ces RAS. Au cas présent, le Conseil a donné raison à l'administration. Il rappelle qu'il faut regarder, premièrement, ce qu'il se passe en droit interne : la loi nationale française permet-elle la déductibilité des RAS ? En France, oui. Le Conseil d'Etat dit que même si les RAS subies à l'étranger sont normalement déductibles en France, une convention fiscale peut faire obstacle à cette déduction. En l'espèce, les deux conventions ne permettaient pas la déduction des RAS.

L'effet de la convention fiscale est par conséquent aggravant car la convention fait obstacle à une déduction fiscale admise en droit interne. Cet arrêt est à rapprocher d'une décision du 12 juin 2013 (CE 3° et 8° s-s-r., n° 351702, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5884KGZ) où le Conseil d'Etat avait déjà rejeté la déductibilité d'une provision par la banque requérante sur les titres d'une filiale canadienne, dès lors que la plus-value sur ces titres serait imposable au Canada en application de la Convention fiscale franco-canadienne (N° Lexbase : L6675BHP). En d'autres termes, parce que la plus-value sur ces titres était imposable au Canada, on ne pouvait pas déduire la provision sur ces titres en France. On tenait déjà compte du traitement fiscal conventionnel.

Ces deux décisions reposent, malgré leur similitude sur des principes assez différents. Dans l'arrêt du 12 mars 2014, il est appliqué directement le Traité par-dessus le droit interne parce qu'il n'y a pas, pour le moment, de principe de non-aggravation en droit interne sur le fondement du droit international. Dans la décision du 12 juin 2013, c'est le principe de la répartition du pouvoir d'imposer qui est en jeu. Le Conseil d'Etat considère de plus en plus que l'ultima ratio des conventions dites de double imposition constitue la bonne répartition du pouvoir d'imposer entre deux Etats membres.

Un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 1er juillet 2014 (TA Montreuil, 1er juillet 2014, n° 1308121 N° Lexbase : A3016MXY) semble également intéressant à ce propos. Dans cette affaire, l'administration a remis en cause le report sur 2009 des déficits enregistrés par une société luxembourgeoise sur 2007 et 2008, dans le cadre de son activité de location d'un hôtel dont elle était propriétaire en France, au motif qu'elle n'était pas imposable en France au titre de ce deux exercices. Le tribunal a donné raison à l'administration car la Convention franco-luxembourgeoise (N° Lexbase : L6716BH9) faisait obstacle à l'imposition en France en l'absence d'un établissement stable, alors qu'en droit interne, selon l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L1413IZD), la société aurait bien été taxable en France. Donc, en l'absence d'imposition en France, les déficits ne peuvent pas être utilisés.

L'aspect positif et pratique de ces arrêts est qu'il semble ouvrir la possibilité de déduire des résultats imposables en France des crédits d'impôt subis à l'étranger même si la société est en situation déficitaire en fonction de la rédaction des conventions fiscales applicables.

  • La quote-part de frais et charges de 5 % à l'épreuve de la liberté d'établissement (CAA Versailles, 3ème ch., 29 juillet 2014, n° 12VE03691 N° Lexbase : A7124MYI ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E9684ASH)

Dans un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 29 juillet 2014, les juges ont posé la question de la conformité de la quote-part de frais et charges de 5 % avec le droit communautaire et la liberté d'établissement. Lorsqu'une société française distribue des dividendes à une société mère en France dans le cadre d'une intégration fiscale, cette QPFC de 5 % est neutralisée au niveau du groupe d'intégration fiscale. Mais si une société française verse un dividende à une société mère luxembourgeoise par exemple, la QPFC ne peut pas être neutralisée par le simple fait que la société luxembourgeoise ne peut pas être dans une intégration fiscale avec la société française. Donc il existe une différence de traitement. La cour a alors posé une question préjudicielle à la CJUE sur ce sujet. De plus, aujourd'hui, il existe également une contribution de 3 % sur les dividendes qui peut représenter un coût important. On peut d'ailleurs se poser la même question à propos de cette contribution.

  • Retenue à la source de dividendes sortants versés à un actionnaire belge (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mai 2014, n° 356760, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9364MKZ ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E2933EU8)

L'arrêt du 7 mai 2014, rendu par le Conseil d'Etat présente comme intérêt l'application des règles relatives à la liberté de circulation des capitaux. En l'espèce, les dividendes de source française versés à un résident belge sont soumis à une RAS en France dont le taux est ramené à 15 % en application de la Convention fiscale franco-belge (N° Lexbase : L6668BHG). Il n'a donc pas pu profiter des avantages fiscaux d'un résident français (abattement de 40 % notamment). Le Conseil d'Etat a jugé, seulement sur le terrain de la liberté de circulation des capitaux, que la comparabilité des résidents et non-résidents n'est pas une question abstraite, mais une question concrète qui s'examine au regard de l'objet du contenu de la disposition en cause. Les conséquences de ce raisonnement sont les suivantes : la France taxant les dividendes des résidents comme des non-résidents, la situation des résidents belges comme français sont comparables, or, les résidents belges sont privés des avantages accordés aux résidents français, donc discrimination contraire à la liberté de circulation des capitaux et en outre, le Conseil d'Etat a écarté comme inopérant l'argument tiré à ce que la Belgique n'a pas fait le nécessaire pour éliminer la double imposition.

  • Retenue à la source applicable aux dividendes sortants versés à un actionnaire allemand (CE 10° s-s., 5 mars 2014, n° 361779, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4193MGE ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E1308EUY)

Une décision rendue le 5 mars 2014 par le Conseil d'Etat reprend le raisonnement qui consiste à dire que le seul désavantage de trésorerie que peut éventuellement comporter la RAS pour un actionnaire non résident allemand, notamment lorsque ce dernier se trouve dans une situation déficitaire, ne peut être regardé comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté de circulation des capitaux.

II - Fiscalité des entreprises

  • Intégration fiscale horizontale (CJUE, 12 juin 2014, aff. C-40/13 N° Lexbase : A2810MRI ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E0908ATS)

Un important arrêt rendu par la CJUE le 12 juin 2014 a évoqué l'intégration horizontale entre sociétés soeurs. La législation néerlandaise a prévu que, lorsqu'un assujetti (la société mère) est économiquement et juridiquement propriétaire d'au moins 95 % du capital nominal libéré d'un autre assujetti (la filiale), les deux assujettis peuvent créer un groupe fiscal. L'impôt est prélevé dans le chef de la société mère. Les assujettis sont alors considérés ensemble comme une entité fiscale. En l'espèce, le montage se présente comme ceci : une société grand-mère néerlandaise, une société mère allemande, et trois filiales néerlandaises. Ces dernières ont demandé à l'administration fiscale néerlandaise de créer un groupe fiscal horizontal entre elles. Cette demande a été refusée au motif que leur société mère n'était pas établie aux Pays-Bas et n'y disposait pas non plus d'un établissement stable. Le Gouvernement néerlandais avait précisé que, dans une situation purement interne, une société mère ne pouvait créer un groupe fiscal constitué uniquement de filiales, et dans l'esprit du régime fiscal de groupe, l'intégration fiscale au niveau de la société mère se justifie par le contrôle, ou la direction que cette dernière exerce sur ses filiales.

La CJUE n'a pas tenu compte de ces arguments et elle a considéré qu'il s'agissait dans ce cas de situations objectivement comparables et la différence de traitement (entre les schémas domestiques et communautaires) crée une restriction à la liberté d'établissement. La Cour a mis l'accent sur le fait qu'une société mère étrangère subissait un désavantage du fait de l'impossibilité de créer un groupe fiscal entre ses filiales. Elle ne pouvait pas bénéficier de l'avantage de trésorerie généré par la faculté d'imputer les pertes des filiales déficitaires sur les profits des filiales bénéficiaires. Ainsi, cette restriction à la liberté n'est justifiée, selon la Cour, ni pour la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal en lien avec la prévention du double emploi des pertes, ni par le risque d'évasion fiscale.

A noter qu'en France, la même demande a été rejetée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 3 octobre 2012, n° 1102790 N° Lexbase : A4588I4P). Ce jugement a fait l'objet d'un appel.

Egalement, en 2014, l'amendement "Marini", visant à mettre en conformité le régime français d'intégration fiscale avec la décision de la CJUE, a été retiré. Quel est l'avenir de cette décision qui concerne de nombreux groupes implantés en France ? La transposition dans la législation française peut prendre du temps et il faut agir avant les délais de prescription.

  • Transfert de déficits en cas de fusion-conditions de délivrance de l'agrément (1/3) (CE 3° et 8° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 370522, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8601MWH ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E5482AER)

Plusieurs arrêts rendus le 19 septembre 2014 par le Conseil d'Etat évoquent les transferts de déficits en cas de fusion. Le premier arrêt concerne l'article 209-II du CGI (N° Lexbase : L1413IZD). Dans le cadre des opérations de restructuration, pour bénéficier du transfert de déficit sur agrément, deux conditions étaient exigées : l'opération devait être justifiée par un motif économique (et non fiscal), et l'activité à l'origine des déficits devait être poursuivie par la société absorbante. En l'espèce, la société absorbée n'exerçait qu'une seule activité qui était déficitaire, en exploitant plusieurs établissements. Avant la fusion, elle avait cédé certains des établissements. L'administration avait refusé l'agrément. Par la suite, le Conseil d'Etat a jugé, premièrement, que l'activité à l'origine des déficits n'a pas fait l'objet de changement important, et, deuxièmement, que la seule circonstance que la société ait cédé certains établissements avant la fusion ne fait pas obstacle à la délivrance de l'agrément.

  • Transfert de déficits en cas de fusion-conditions de délivrance de l'agrément (2/3) (CE 3° et 8° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 370163, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8599MWE ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E5482AER)

Dans un arrêt rendu à la même date par le Conseil d'Etat, l'article 209 II est à nouveau concerné, mais encore dans sa rédaction antérieure à 2010. Cet arrêt confirme que, lorsque la société absorbée est une holding pure, ce n'est pas suffisant pour refuser le transfert de déficits. La position de l'administration laissait penser qu'en présence d'une holding pure, aucune activité au sens de l'article 209-II du CGI n'était exercée. Le Conseil contredit alors cette position, à partir du moment où cette holding détenait des titres de sociétés depuis au moins trois ans et qui poursuivaient les mêmes activités. La nouvelle rédaction de l'article comprend cette évolution.

  • Transfert de déficits en cas de fusion-conditions de délivrance de l'agrément (3/3) (CE 3° et 8° s-s-r., 19 septembre 2014, n° 376800, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8605MWM ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E5482AER)

Dans ce dernier arrêt rendu par le Conseil d'Etat en date du 19 septembre 2014, une coquille vide, riche de déficits fiscaux, a absorbé une société riche de trésorerie qui venait de réaliser une importante plus-value immobilière au titre de laquelle elle devait de l'impôt. Le Conseil d'Etat juge que l'on est bien en présence d'un abus de droit. Il peut donc y avoir des fusions abusives (nouveauté), et le sens dans lequel se fait la fusion est un élément qui peut être déterminant lorsque clairement, il a été choisi pour éviter d'avoir à demander un agrément qui aurait vraisemblablement été refusé. Désormais, le but "essentiellement" fiscal suffit. Cela élargit les situations d'abus de droit.

En l'espèce, l'objectif de restructuration était dénué de toute portée. Aujourd'hui, si les faisceaux d'indice démontrent que l'opération est un montage, l'opération peut être remise en cause par l'administration, ce qui, s'agissant de fusions, constitue un véritable changement.

  • Risque manifestement excessif (CE 3° et 8° s-s-r., 11 juin 2014, n° 363168, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6700MQ9)

Cet arrêt, rendu le 11 juin 2014 par le Conseil d'Etat, semble faire l'application de la théorie du risque manifestement excessif. "Semble" car la question se pose de savoir si cet arrêt applique les règles de l'acte anormal de gestion ou si c'est une nouvelle voie. Dans cet arrêt, une société mère détient 99 % de sa filiale, au secours de laquelle elle est venue régulièrement dans des conditions que l'administration a estimé excessives. En l'espèce, la solution est favorable à la société mais il reste l'inquiétude de principe qui est né de ce que ce risque manifestement excessif peut s'appliquer à des relations aussi étroites que celles qu'une mère possède avec une filiale détenue à 99 %.

III - Contentieux constitutionnel

  • Constitutionnalité de la contribution au service public de l'électricité (CSPE)  (Cons. const., 8 octobre 2014, décision n° 2014-419 QPC N° Lexbase : A9168MXT)

Dans une décision du 8 octobre 2014, le Conseil constitutionnel était appelé à se prononcer sur la conformité de la CSPE à la Constitution. Cette décision concerne la CSPE applicable dans sa rédaction antérieurement en vigueur. Selon les requérants, le législateur n'avait précisé ni les modalités de détermination du taux de la CSPE, ni les règles relatives au recouvrement et au contentieux de la contribution. Il aurait ainsi porté atteinte au droit de propriété, au droit à un recours effectif, et au principe du consentement à l'impôt. Le Conseil constitutionnel valide la constitutionnalité de la CSPE, dans sa rédaction antérieurement en vigueur, en relevant que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'imposition n'affecte, par elle-même, aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Cependant, il convient de relever que ce n'est pas le législateur qui fixe le taux pour la CSPE, mais la commission de régulation de l'énergie... Le Conseil constitutionnel estime en réalité que cette question ne peut pas être soulevée par une QPC car l'article 14 de la DDHC (N° Lexbase : L1361A9B) protège les droits du Parlement, et non le droit des personnes censées pouvoir utiliser la QPC. Cette différence de traitement est vivement critiquée par la doctrine.

L'aspect positif de cet arrêt est que le Conseil confirme également que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination des modalités de recouvrement est susceptible d'affecter le droit à un recours effectif. Au cas présent, d'après le Conseil constitutionnel, le législateur avait suffisamment défini les modalités de recouvrement et de contentieux.

La décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 aborde la question technique du régime d'imposition des rachats d'actions par les sociétés. En droit commun, les sommes attribuées aux actionnaires à l'occasion d'un rachat par une société de ses propres titres sont susceptibles de dégager chez ces derniers un revenu mobilier et une plus-value. Par exception, les sommes attribuées aux actionnaires à l'occasion d'un rachat en vue d'une attribution aux salariés relèvent exclusivement du régime des plus-values en application de l'article 112-6° du CGI. Le Conseil a admis l'inconstitutionnalité de cette mesure en raison de la différence de traitement qui ne repose ni sur une différence de situation entre les procédures de rachat, ni sur un motif d'intérêt général en rapport avec la loi. Par conséquent, le Conseil a décidé, en attendant que le législateur intervienne, que le seul régime applicable est celui des plus-values.

  • Constitutionnalité de la contribution sur les boissons énergisantes (Cons. const., 19 septembre 2014, décision n° 2014-417 QPC N° Lexbase : A6205MWQ ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E6054EYU)

La décision du 19 septembre 2014 rendue par le Conseil constitutionnel est intéressante sur le plan de la différence de traitement au regard du principe de l'égalité, car le Conseil a précisé qu'il n'y avait pas de raisons de soumettre à la taxe sur les boissons énergisantes uniquement les boissons dites énergisantes et de ne pas soumettre à la contribution d'autres boissons qui ont le même taux de caféine mais qui ne sont pas qualifiées d'énergisantes. Mais surtout, le Conseil supprime les mots "à l'exception des boissons qui ne sont pas qualifiées de non-énergisantes". La conséquence est l'augmentation du champ d'application de la taxe au-delà de ce qu'avait voulu le législateur et c'est pourquoi l'effet dans le temps de la décision est différé, afin de permettre au législateur soit d'accroitre le champ de la taxe, soit d'abroger cette taxe. La particularité de ce cas est que la décision d'inconstitutionnalité ne peut pas profiter aux requérants, car le recours a été réalisé dans un esprit de concurrence.

  • Constitutionnalité du mécanisme de plafonnement de la CET en fonction de la valeur ajoutée (Cons. const., 19 septembre 2014, décision n° 2014-413 QPC N° Lexbase : A6204MWP ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E3376E4S)

Dans cette décision en date du 19 septembre 2014, le Conseil constitutionnel précise que, lorsque l'on opère une restructuration en cours d'exercice, la situation devrait être la même si l'opération de fusion, par exemple, a lieu en début d'exercice, plutôt qu'en fin d'exercice. Il y a donc une différence de traitement par rapport à la date de la restructuration. Ce mécanisme a donc été considéré comme inconstitutionnel.

  • Abus de droit et Constitution (CE, 9° et 10° s-s-r., 23 mai 2014, n° 374056, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5141MMD ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8270EQD)

Dans cet arrêt du 23 mai 2014, le Conseil d'Etat a opéré un refus de transmission d'une QPC concernant l'abus de droit au motif que le dispositif d'abus de droit et les majorations applicables, tels que définis par sa jurisprudence, ne présentent aucune ambigüité concernant la définition des infractions sanctionnées.

  • Constitutionnalité du caractère rétroactif de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CE 3° et 8° s-s-r., 2 octobre 2014, n° 382284, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7807MXG ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E9378ETI)

Le Conseil d'Etat, le 2 octobre 2014, a renvoyé une QPC s'agissant de la constitutionnalité du caractère rétroactif de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CGI, art. 223 sexies N° Lexbase : L1152ITT), en l'espèce pour 2011. La censure est certaine sur cette question car cela a déjà été jugé par le Conseil constitutionnel pour la même contribution s'agissant de l'année 2012.

IV - Procédures fiscales

  • Portée des réserves à la règle "non bis in idem" et cumul des sanctions (CEDH, 4 mars 2014, Req. 18640/10 N° Lexbase : A1275MGC ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8277EQM)

La CEDH a jugé, le 4 mars 2014, que la législation italienne viole l'article 4 du protocole n° 7 de la CESDH qui énonce la règle non bis in idem et écarte comme inopérante la réserve de l'Italie de conserver le droit d'appliquer des sanctions fiscales en plus de sanctions pénales. La Cour précise que la réserve est trop générale. La France est exposée exactement aux mêmes risques.

  • Motivation obligatoire des décisions de refus de transmission d'une question préjudicielle (CEDH, 8 avril 2014, Req. 17120/09 N° Lexbase : A6854MIP ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E7779AG9)

Par la décision rendue le 8 avril 2014, la CEDH s'autorise à contrôler, quant à l'accès à un véritable tribunal, si une Cour suprême interne motive suffisamment sa décision lorsqu'elle refuse de renvoyer une question préjudicielle (en l'espèce à la CJUE).

  • Etendue du droit de communication de l'administration fiscale (1/2) (CE 3°, 8°, 9°, et 10° s-s-r., 11 avril 2014, n° 349719, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1033MKH ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E1235EUB)

En cas de rectification, l'administration n'est pas tenue de répondre à toutes les observations du contribuable, mais seulement à celles relatives au bien-fondé des impositions qui lui ont été notifiées. Cet arrêt est une sérieuse restriction aux garanties du contribuable.

  • Etendue du droit de communication de l'administration fiscale (2/2) (CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2014, n° 354314, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1045MKW ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E0358AGD)

Un autre arrêt rendu le même jour a étendu le droit de communication à toutes pièces, quelle qu'en soit la nature dès lors qu'elles permettent de justifier le montant des dépenses ou des recettes.

  • Recouvrement et décharge gracieuse de responsabilité (CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2014, n° 355306, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9169MGP ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E9965AG8)

Cet arrêt, rendu le 12 mars 2014 par le Conseil d'Etat, est intéressant dans le cas de dirigeants reconnus solidaires d'une condamnation prononcée à l'encontre d'une société dont ils étaient dirigeants. Cette condamnation a été prononcée pour une contribution indirecte dont la loi interdit à l'administration de faire une remise gracieuse. La question posée était de savoir si on pouvait décharger un solidaire de sa condamnation lorsque la solidarité porte sur des impositions dont l'administration ne veut pas accorder de remise gracieuse. Le Conseil d'Etat répond par l'affirmative à cette question. Le champ possible des décharges de solidarité sur le plan gracieux est donc étendu. C'est une décision très favorable, notamment à l'encontre des dirigeants condamnés in solidum.

newsid:444516

Fiscalité des entreprises

[Brèves] A propos des droits de vote attachés aux titres de participation dans le cadre du régime fiscal des sociétés mères

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 5 novembre 2014, n° 370650, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9399MZ7)

Lecture: 2 min

N4505BUE

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Le 18 Novembre 2014

Si les dispositions de l'article 145 du CGI (N° Lexbase : L9522ITT) subordonnent notamment l'application du régime fiscal des sociétés mères à la condition que la société mère détienne une participation représentant au moins 5 % du capital de la société distribuant les dividendes, elles n'exigent pas, pour l'appréciation du seuil de détention d'au moins 5 % du capital de la société émettrice, que des droits de vote soient attachés à chacun des titres de participation détenus par la société mère ni, a fortiori, que les droits de vote éventuellement attachés aux titres de participation soient strictement proportionnels à la quotité de capital qu'ils représentent. De plus, si les produits des titres de participation auxquels aucun droit de vote n'est attaché ne peuvent, en application des dispositions du b ter du 6 de l'article 145 du CGI, être déduits du bénéfice net total de la société mère, sauf lorsque celle-ci détient des titres représentant au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de réserver l'application du régime fiscal des sociétés mères aux seules sociétés détenant des titres de participation représentant au moins 5 % du capital et 5 % des droits de vote. Telle est la portée de l'arrêt rendu le 5 novembre 2014 par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 5 novembre 2014, n° 370650, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9399MZ7). En l'espèce, une société anonyme de droit belge et résidente de Belgique a reçu, au cours des années 2008 et 2009, des dividendes d'une société française, sur lesquels des retenues à la source au taux de 15 % ont été prélevées. La société belge s'est prévalue des énonciations des instructions 4 C-7-07 (N° Lexbase : X8652ADS) et 4 C-8-07 (N° Lexbase : X9182ADG) pour obtenir la restitution des retenues à la source qu'elle a acquittées. La cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 9 juillet 2013, n° 11VE03887 N° Lexbase : A9481MZ8) a fait droit à la demande de la société. Le Conseil d'Etat a alors confirmé cet arrêt car d'une part, sous réserve du respect de la condition, fixée au b du 1 de l'article 145 du CGI, de détention de 5 % du capital de la société distributrice, les dividendes afférents aux titres assortis d'un droit de vote bénéficiaient du régime d'exonération institué par les dispositions de l'article 216 du même code (N° Lexbase : L0666IPD), quel que soit le pourcentage de détention des droits de vote détenus et, d'autre part, la société belge, qui détenait 5 % du capital de la société française auxquels étaient attachés 3,63 % des droits de vote de cette société en 2008 et 4,29 % en 2009, était fondée, en se prévalant de la doctrine administrative, à demander l'exonération des retenues à la source en litige .

newsid:444505

Licenciement

[Brèves] Contrôle de l'activité d'une équipe, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l'entreprise chargé de cette mission : mode de preuve licite, même en l'absence d'information préalable du salarié

Réf. : Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.427, FS-P+B (N° Lexbase : A9135MZD)

Lecture: 1 min

N4581BU9

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Le 18 Novembre 2014

Constituent des moyens de preuve licites les contrôles organisés par l'employeur, et confiés à des cadres, pour observer les équipes de contrôle dans un service public de transport dans leur travail au quotidien sur les amplitudes et horaires de travail, limités au temps de travail et qui n'avaient impliqué aucune atteinte à la vie privée des salariés observés. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 novembre 2014 (Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.427, FS-P+B N° Lexbase : A9135MZD).
En l'espèce, M. O., engagé à compter du 28 novembre 1995 en qualité de contrôleur par la société S., était, en dernier lieu, chef de contrôle trafic voyageur. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 25 janvier 2010.
La cour d'appel (CA Versailles, 28 mars 2013, n° 11/02194 N° Lexbase : A1773KBB) ayant considéré que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'ayant débouté de ses demandes liées à la rupture, le salarié s'est pourvu en cassation.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle précise que le contrôle de l'activité d'un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié, un mode de preuve illicite. Elle ajoute qu'ayant relevé que le contrôle organisé par l'employeur, confié à des cadres, pour observer les équipes de contrôle dans un service public de transport dans leur travail au quotidien sur les amplitudes et horaires de travail, était limité au temps de travail et n'avait impliqué aucune atteinte à la vie privée des salariés observés, la cour d'appel a pu en déduire que les rapports "suivi contrôleurs" produits par l'employeur étaient des moyens de preuve licites (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E9204ESP).

newsid:444581

Procédure civile

[Brèves] Condamnation de la France par la CEDH pour durée excessive d'une procédure d'indemnisation

Réf. : CEDH, 30 octobre 2014, Req. 77362/11 (N° Lexbase : A2837MZ4)

Lecture: 1 min

N4536BUK

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Le 13 Novembre 2014

La procédure judiciaire qui s'étend sur six ans est excessive et ne répond pas à l'exigence du délai raisonnable. Tel est le rappel fait par la CEDH, dans un arrêt rendu le 30 octobre 2014 (CEDH, 30 octobre 2014, Req. 77362/11 N° Lexbase : A2837MZ4 ; voir, en ce sens, CEDH, 24 octobre 1989, Req. 6/1988/150/204 N° Lexbase : A8364AWP). En l'espèce, Le 28 décembre 2004, M. P. engagea une action en responsabilité de l'Etat, au nom de son père décédé en décembre 2000, sur le fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7823HN3). Le requérant invoquait notamment le caractère déraisonnable de la durée de la procédure pénale à l'encontre de son père. Par un arrêt du 1er juin 2011 (Cass. civ. 1, 1er juin 2011, n° 09-72.350, F-D N° Lexbase : A3158HT7), la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, estimant que le terme de la période à considérer, sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), devait être fixé au décès du père du requérant en décembre 2000. Il saisit alors la CEDH, arguant de la violation l'article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable), et se plaignant notamment de la durée de la procédure pénale à l'encontre de son père, ainsi que de celle de la procédure en responsabilité de l'Etat. La CEDH lui donne gain de cause et relève que la procédure en indemnisation ayant duré six années, cinq mois et quatre jours pour trois degrés de juridiction, dont trois ans et cinq mois au niveau de la seule cour d'appel, puis un an et neuf mois au niveau de la Cour de cassation, la durée de la procédure litigieuse est excessive au regard des exigences de l'article 6 § 1 précité (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1758EUN).

newsid:444536

Procédure civile

[Jurisprudence] La décision annulant une déclaration d'appel pour vice de fond a un effet interruptif sur le délai d'appel au sens de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil

Réf. : Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-22.088, F-P+B (N° Lexbase : A6522MY9)

Lecture: 16 min

N4495BUZ

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, cabinet SEFJ, Chargé d'enseignement à l'Université Paris V, Président de la Commission nationale "Procédure" de l'ACE

Le 13 Novembre 2014

La décision annulant une déclaration d'appel pour vice de fond a un effet interruptif sur le délai d'appel au sens de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil. Telle est la solution retenue par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 16 octobre 2014. Un gérant de société, non comparant devant le tribunal de commerce de Nanterre qui l'avait condamné sur l'action du liquidateur de la société, en comblement de passif, a interjeté appel de ce jugement, signifié le 8 mars 2012, devant la cour d'appel de Versailles, représenté par un avocat inscrit au barreau de Paris, le 16 mars 2012. Il a interjeté un second appel du même jugement le 8 juin 2012, cette fois-ci en constituant un avocat au barreau de Versailles. Par ordonnance du 6 décembre 2012, le conseiller de la mise en état a annulé la première déclaration d'appel et déclaré irrecevable comme tardive la seconde. Le gérant a déféré à la cour cette ordonnance.

La cour rejeta le déféré, retenant que l'article 2241, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9) n'est applicable qu'aux délais pour engager une action et non aux délais pour exercer une voie de recours, ce texte ne concernant pas les vices de fond, tel que le défaut de pouvoir de l'avocat.

Sous le visa de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil, la deuxième chambre civile casse l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles. Elle rappelle, tout d'abord, qu'il résulte de ce texte que l'annulation par l'effet d'un vice de procédure de l'acte de saisine de la juridiction interrompt les délais de prescription et de forclusion. Elle précise, ensuite, que l'acte d'appel est l'acte de saisine de la cour d'appel et que le délai d'appel est un délai de forclusion, pour en conclure qu'après avoir prononcé la nullité de la première déclaration d'appel pour vice de procédure sur le fondement des articles 117, alinéa 3 (N° Lexbase : L1403H4Q), et 120 (N° Lexbase : L1410H4Y) du Code de procédure civile, la cour d'appel a dénié à sa décision tout effet interruptif du nouveau délai d'appel qui avait recommencé à courir, violant ainsi le texte susvisé.

Cet arrêt est riche en enseignement s'agissant de la portée de l'alinéa 2 de l'article 2241 du Code civil dont il convient d'en rappeler les dispositions, cet article étant issu de la réforme de la prescription civile du 17 juin 2008 (1) : "il en est de même [la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion] lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure".

La notion de vice de procédure rendant nul un acte de saisine mérite une particulière attention (I). Les délais impactés par l'effet interruptif de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil ne sont pas limités aux seuls délais pour engager une action (II).

I - Les vices de procédure rendant nul un acte de saisine

Le texte de l'alinéa 2 de l'article 2241 du Code civil met en avant la nullité de l'acte de saisine par un vice de procédure : "[...] lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure".

On songe immédiatement aux vices annulant directement l'acte de saisine : les cas de nullité des actes de procédure, quoique la solution retenue paraisse extensive au regard de l'esprit du texte et des solutions retenues par les juridictions de fond (A).

Le champ de l'effet interruptif est-il, cependant, restreint aux seuls cas de nullité des actes de procédure ? (B)

A - La nullité des actes de procédure interruptive : au-delà du vice forme

La Cour de cassation a clarifié les débats s'agissant des cas de nullité dans l'arrêt qu'elle a rendu en Chambre mixte, le 7 juillet 2006 (2) : la notion d'inexistence ne saurait être admise aux côtés des nullités de forme et des nullités de fond ; quelle que soit la gravité de l'irrégularité alléguée, seules affectent la validité d'un acte de procédure, indépendamment du grief qu'elles ont pu causer, les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du Code de procédure civile.

Ainsi, en dehors des vices de forme, dont le régime relève des articles 112 (N° Lexbase : L1390H4A) et suivants, seuls comptent comme vices de fond : le défaut de capacité d'ester en justice ; le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ; le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.

En l'espèce, le vice de fond provient du non-respect de la territorialité de la postulation caractérisé par le pouvoir de représentation par avocat que confère la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), limité par les règles de postulation devant les juridictions du fond.

L'article 5 de cette loi précise, en effet, que les avocats "exercent exclusivement devant le TGI dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d'appel dont ce tribunal dépend, les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les TGI et les cours d'appel. Toutefois, les avocats exercent ces activités devant tous les TGI près desquels leur barreau est constitué".

Par dérogation, son article 1er, III, dispose que "les avocats inscrits au barreau de l'un des TGI de Paris, Bobigny, Créteil, et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d'avoué près les cours d'appel auprès de la cour d'appel de Paris quand ils ont postulé devant l'un des TGI de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le TGI de Nanterre". Les exceptions à cette exception sont les procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation.

En l'espèce, le gérant n'avait pas comparu en première instance. Il n'y avait donc eu aucune postulation devant la juridiction de Nanterre.

L'avocat inscrit au barreau de Paris n'avait donc pas le pouvoir de représenter cette partie devant la cour d'appel de Versailles. Il s'agit bien du dernier vice de fond prévu par l'article 117 du Code de procédure civile. La déclaration d'appel était donc nulle non seulement au regard de ces dispositions mais aussi de celles prévues par l'article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0162IPP) : "la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 58 (N° Lexbase : L1253H48), et à peine de nullité : 1° La constitution de l'avocat de l'appelant [...]".

La déclaration d'appel constitue un acte de saisine de la cour puisque l'appel est formé par déclaration unilatérale ou par requête conjointe (C. pr. civ., art. 900 N° Lexbase : L0916H4P).

C'est bien l'acte de saisine de la cour qui a été annulé, ce qui n'est pas le motif de cassation retenu.

Il convient de relever ce point important de l'arrêt du 16 octobre 2014 : l'application de l'effet interruptif aux vices de fond, lesquels comptent parmi les vices de procédure.

Le texte de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil reste large : "lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure".

Parmi les exceptions de procédure régies par le chapitre II du Titre V du Livre premier du Code de procédure civile figurent les exceptions de nullité (section IV), au sein desquelles sont visées les nullités des actes pour irrégularité de fond (sous-section 2).

La solution de l'arrêt commenté ne paraît donc pas surprenante à la lecture du texte. Elle peut paraître, en revanche, extensive au regard de l'esprit de loi nouvelle en matière de prescription civile.

A l'origine du nouveau texte (nouvel article 2241 du Code civil), la Commission des lois avait décidé de prévoir l'interruption du délai de prescription ou de forclusion lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure, entendu vice de forme : "Elle a en revanche décidé de prévoir l'interruption du délai de prescription ou du délai de forclusion lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure, alors qu'actuellement l'interruption est regardée comme non avenue si l'assignation en justice est nulle par défaut de forme (article 2247 du Code civil N° Lexbase : L7175IAY). Il lui a en effet semblé logique de conférer les mêmes effets à deux erreurs similaires portant, l'une sur la juridiction compétente, l'autre sur la procédure à suivre" (3).

Ainsi, l'évolution était souhaitée afin qu'un simple vice de forme ne puisse anéantir définitivement un droit d'action par l'effet d'une prescription ou d'une forclusion.

Les vices de fond sont pour autant plus graves car non assujettis à la démonstration d'un grief de la part de celui qui s'en prévaut (C. pr. civ., art. 119 N° Lexbase : L1407H4U). Ils peuvent être soulevés en tout état de cause (C. pr. civ., art. 118 N° Lexbase : L8421IRC) et doivent être relevés d'office lorsqu'ils ont un caractère d'ordre public.

Les juridictions de fond estimaient ainsi que les vices de fond n'avaient aucun effet interruptif.

La cour d'appel d'Angers (CA Angers, 21 janvier 2014, n° 12/02511 N° Lexbase : A9630KZP) s'est prononcée dans une espèce où une assignation était frappée de nullité pour irrégularité de fond au visa de l'article 117 du Code de procédure civile : absence d'interruption de la prescription au visa de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil par l'assignation nulle au sens de l'article 117 du Code de procédure civile.

La cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 20 février 2014, n° 13/07965 N° Lexbase : A5679ME3) s'est prononcée dans le même sens, et encore plus récemment que l'arrêt cassé dans notre affaire (arrêt du 9 avril 2013) : pas d'interruption de la prescription par l'acte nul pour irrégularité de fond : "[...] quand bien même le délai d'un mois pour faire appel prévu par l'article 538 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6688H7T) serait considéré comme un délai de forclusion susceptible d'interruption au sens de l'article 2241 du Code civil, la première déclaration d'appel de la société [...] a été annulée pour irrégularité de fond et non à cause d'un vice de procédure, de sorte qu'elle ne peut avoir eu pour effet d'interrompre le délai pour faire appel".

Ainsi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation respecte la lettre du texte car un vice de procédure ne comprend pas que les vices de forme. La cour d'appel de Versailles opérait ainsi une distinction non prévue par la loi.

La Cour de cassation va, cependant, plus loin que l'esprit qui gouvernait la réforme et met un terme à la position adoptée par les juridictions de fond : l'effet interruptif ne s'attache pas à l'acte affecté d'un simple vice de forme mais à toute cause de nullité de l'acte de procédure en celle comprise l'irrégularité de fond.

B - Réflexions sur la caducité

Il est à noter que le texte de l'alinéa 2 de l'article 2241 du Code civil n'a pas inclus le cas de la caducité des actes de procédure.

La théorie générale des obligations enseigne que l'inobservation des conditions de formation des actes juridiques entraîne leur nullité.

L'acte annulé disparaît ainsi que tous les actes qui se trouvent sous sa dépendance. Cela est vrai également pour les actes de procédure. La sanction est donc grave : l'acte est effacé rétroactivement et est censé ne jamais avoir existé. La loi lui confère pourtant un effet interruptif alors que tous les actes subséquents de la procédure sont anéantis de la même manière.

Le rapport du Sénat n'évoque rien au sujet de la caducité de la demande ou de la citation. L'article 2241, alinéa 2, du Code civil n'exprime rien de plus que la nullité par l'effet d'un vice de procédure. Littéralement, la caducité devrait être écartée de ce champ interruptif de prescription et de forclusion. En effet, contrairement à la nullité, la caducité prive d'effet un acte qui a déjà été régulièrement formé. L'acte devenant caduc perd ses effets. C'est ainsi que l'assignation jugée caduque a été considérée comme non interruptive du délai de prescription (4).

L'article 385 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2273H4X) dispose par ailleurs : "l'instance s'éteint à titre principal par l'effet de la péremption, du désistement d'instance ou de la caducité de la citation. Dans ces cas, la constatation de l'extinction de l'instance et du dessaisissement de la juridiction ne met pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle instance, si l'action n'est pas éteinte par ailleurs".

La caducité s'inscrit dans l'une des causes de l'extinction de l'instance. Or, selon l'article 73 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1290H4K), sont des exceptions de procédure, notamment les moyens qui tendent à faire déclarer la procédure éteinte.

Deux ordonnances du conseiller de la mise en état de la quatrième chambre de la cour d'appel de Rennes, rendues le 4 septembre 2013 (n° 12/06502 et n° 12/03777), ont estimé que la sanction de caducité que prévoient les articles 902 (N° Lexbase : L0377IT7) (défaut de signification de la déclaration d'appel dans le mois de l'avis du greffe) et 908 (N° Lexbase : L0162IPP) (défaut de conclusions de l'appelant dans les trois mois à compter de la déclaration d'appel) du Code de procédure civile relève du régime des exceptions de procédure et donc qu'elle doit être soulevée avant toute fin de non-recevoir et tout débat au fond, simultanément aux autres exceptions de procédure.

La position de la Cour de cassation est attendue. La prudence commande, toutefois, que les incidents de caducité, au regard de ces décisions, soient soulevés avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Doit-on alors considérer, si la caducité venait à être assimilée à un vice de procédure, qu'elle pourrait donner à l'acte qu'elle affecte un effet interruptif ?

Le bon sens plaiderait en faveur de cette solution si l'on admet un effet interruptif à un acte inexistant car annulé : comment un acte nul peut-il encore avoir un effet interruptif sur une prescription ou une forclusion, voire un quelconque autre effet, alors qu'un acte existant mais caduc n'en aurait aucun ?

Certes le texte de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil ne dispose rien à ce sujet. Au-delà de cet oubli du législateur, la position de la Cour de cassation est, là encore, attendue. S'il ne s'agit pas d'un oubli, la logique échappe.

L'enjeu est important car la caducité de l'acte de saisine est prévue dans plusieurs procédures :

- devant les tribunaux d'instance et de commerce, devant lesquels la remise de l'assignation doit avoir lieu au plus tard huit jours avant la date de l'audience sous peine de caducité de l'assignation constatée d'office ou, à défaut, à la requête d'une partie (C. pr. civ., art. 839 N° Lexbase : L1148INT - tribunal d'instance ; et 857 N° Lexbase : L0833H4M - tribunal de commerce) ;

- devant la cour d'appel, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration pour conclure (C. pr. civ., art. 908) ; sous la même sanction, les conclusions de l'appelant sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour ; sous la même sanction, elles sont signifiées dans le mois qui suit l'expiration de ce délai aux parties qui n'ont pas constitué avocat.

II - Les délais impactés par l'effet interruptif de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil

La solution retenue est conforme au nouveau texte applicable du Code civil ainsi qu'à l'évolution de la jurisprudence antérieure (A), à l'exception des délais dits de procédure, au-delà des seuls délais d'action (B).

A - Les délais de prescription et de forclusion, une solution entérinée

Le texte de l'article 2241, alinéa 2, du Code civil a finalisé une évolution jurisprudentielle dont la tendance allait en faveur d'un effet interruptif des délais de forclusion pour les causes interruptives reconnues comme telles.

Ainsi, en ce qui concerne l'interruption opérée par une citation en justice donnée devant un juge incompétent, la Cour de cassation, après avoir considéré qu'elle n'interrompait pas les délais de forclusion (5), avait opéré un revirement : la Chambre mixte jugea qu'un tel acte interrompait également les délais de forclusion (6).

La solution est retenue en ce qui concerne l'acte de saisine de la juridiction annulé par l'effet d'un vice de procédure.

La prescription et le délai préfix, dit de forclusion, obéissaient avant la loi nouvelle à des régimes distincts : la prescription ne pouvait être relevée d'office alors même qu'elle serait d'ordre public. La forclusion pour inobservation d'un délai préfix pouvait être relevée d'office par le juge selon son caractère d'ordre public ou privé. Par ailleurs, il n'y a pas de possibilité d'aménagement conventionnel en matière de délai préfix. Tels sont, à ce jour, les deux cas qui semblent réellement distinguer le régime de ces deux notions.

Le délai préfix n'est que la durée, limitée, d'un droit d'action donné, ce que retient l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles puisque selon elle le délai de forclusion s'attache au délai imparti pour agir. On le retrouve dans des actions attitrées (action dont la loi réserve l'exercice à certaines personnes qu'elle désigne).

Pour percevoir la distinction, en l'absence de définition textuelle précise et en présence de confusion de régimes, il convient de se référer aux termes employés par les textes : en l'absence du terme "prescription", dès lors qu'une action est enfermée dans un délai précis, souvent court, ou que le terme employé pour la sanction est "forclusion", on sera, selon toute vraisemblance, face à un délai préfix (la forclusion est la conséquence de l'inobservation d'un tel délai alors que l'irrecevabilité est la sanction directe d'une prescription extinctive -la loi n'est d'ailleurs pas venue simplifier ces logiques de distinction, car la forclusion génère comme sanction l'irrecevabilité (cf. C. pr. civ., art. 122 N° Lexbase : L1414H47)-.

La solution adoptée par la réforme vient donc simplifier la matière en inscrivant les deux délais dans l'effet interruptif d'un acte de saisine nul pour vice de procédure.

C'était, cependant, oublier la jurisprudence de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 24 novembre 2006 (7) : elle précisa en effet que les dispositions générales de l'article 2246 du Code civil (N° Lexbase : L7176IAZ) (ancien, avant la réforme du 17 juin 2008) étaient applicables à tous les délais pour agir et à tous les cas d'incompétence.

Elle semblait donc restreindre les délais de forclusion aux seuls délais pour agir, ce que la cour d'appel de Versailles retint dans son arrêt du 9 avril 2013 (CA Versailles, 9 avril 2013, n° 12/08795 N° Lexbase : A7597KBY). Cette décision fut cassée également en ce qu'elle ne reconnut pas d'effet interruptif aux délais d'exercice des voies de recours.

B - Les délais de recours et l'effet interruptif

A s'en tenir aux solutions rendues par la Cour de cassation, à plusieurs reprises, il semblait bien que le délai des voies de recours s'insérait dans les délais de forclusion.

Sur le fondement de l'article 121 du Code de procédure civile ([LXB=L142H43]), selon lequel, dans le cas où la nullité est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue, plusieurs arrêts ont jugé que la régularisation doit intervenir avant toute forclusion. Ainsi, l'irrégularité de fond qui entache un acte d'appel, affectant la saisine de la cour d'appel, ne peut être couverte après l'expiration du délai d'appel (8).

Avec la réforme du 17 juin 2008 et le nouvel article 2241, alinéa 2, du Code civil, pourquoi distinguer ce que la loi ne distingue pas ?

Le délai de voie de recours demeure bien un délai préfix de forclusion. Comme l'énonçaient MM. Cornu et Foyer, le pouvoir d'exercer une voie de recours "n'est qu'une espèce d'action" (9).

On appelle instance la période de temps qui commence avec la demande initiale et qui s'étend jusqu'au jugement ou jusqu'à la survenance d'un incident y mettant prématurément fin.

Après l'effet suspensif, l'effet dévolutif est le second effet de l'appel : l'aspect positif de cet effet met en oeuvre le principe du double degré de juridiction permettant au plaideur de demander à une juridiction hiérarchiquement supérieure d'examiner, une seconde fois, le litige soumis aux juges du premier degré, dans sa totalité, c'est-à-dire en fait et en droit.

Aujourd'hui, l'appel est aussi abordé comme une voie d'achèvement, le litige n'étant pas figé par les positions initiales des parties. La soumission à la cour de prétentions nouvelles dans les conditions de recevabilité propres à la procédure devant la cour d'appel permet, en quelque sorte, d'évincer le premier degré de juridiction.

En cela, l'acte de saisine de la cour n'introduit-il pas une nouvelle instance, et le délai pour l'introduire, au-delà de ce qu'il est un délai de voie de recours, n'est-il pas aussi, en quelque sorte, un délai d'action devant une juridiction de degré supérieur ?

La deuxième chambre civile, dans son arrêt du 16 octobre 2014, pose clairement comme principe que le délai d'appel est un délai de forclusion.

Est-ce dire que le délai d'appel est également un délai de forclusion, ce que n'aurait pas reconnu au délai d'appel l'arrêt cassé, ou est-ce que les juges du fond opéraient une distinction entre délais de forclusion (les délais d'action et de voie de recours), qui n'avait pas lieu d'être en matière de cause d'interruption ?

Il semble que les juges du fond estimaient que le délai de forclusion se renfermait au délai d'action à l'exclusion du délai de voie de recours, à en lire la motivation de l'arrêt cassé. La solution donnée est désormais claire et limpide.

Un élément de la décision marque enfin : le second appel a été interjeté le 8 juin 2012, la signification du jugement de première instance datant du 8 mars 2012, la première déclaration d'appel du 16 mars 2012, la première décision d'annulation de la première déclaration du 6 décembre 2012 et l'arrêt d'appel venant sur déféré du 9 avril 2013.

Si le nouveau délai d'appel devait courir à compter de l'acte nul du fait de l'effet interruptif, ce nouveau délai aurait expiré le 16 avril 2012. Le second appel aurait donc été irrecevable puisque formé le 8 juin 2012.

La Cour de cassation rappelle que c'est la décision d'annulation de la première déclaration d'appel à laquelle s'attache l'effet interruptif du nouveau délai qui avait recommencé à courir.

L'effet interruptif subsiste tant que la décision n'est pas rendue. Il a donc recommencé à courir le 6 décembre 2012, date de l'ordonnance qui a annulé la première déclaration d'appel, ce qui est d'ailleurs conforme aux dispositions de l'article 2242 du Code civil. Le second appel était dès lors recevable.

L'intérêt de se battre sur la nullité d'une déclaration d'appel se tarit car l'interruption du délai d'appel par la décision de nullité permettra une régularisation nonobstant une signification de jugement bien antérieure. Restent les cas de caducité pour lesquels la question se pose en droit, s'agissant de la qualification de vice de procédure, et en tout bon sens, s'agissant d'un effet interruptif sur les délais de prescription et de forclusion au regard de loi nouvelle en la matière.


(1) Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, article 26 (N° Lexbase : L9102H3I).
(2) Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 07-14.788, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR), Bull. mixte, n° 6.
(3) Rapport Sénat n° 83 de M. Laurent Béteille, fait au nom de la Commission des lois, déposé le 14 novembre 2007.
(4) Ass. plén., 3 avril 1987, n° n° 86-11.536 (N° Lexbase : A6848AAU), D., 1988, somm.122, obs. Julien.
(5) Cass. civ. 1, 10 décembre 1996, n° 94-20.323 (N° Lexbase : A8631AH7), Bull. civ. I, n° 446, arrêt n° 2.
(6) Cass. mixte, 24 novembre 2006, n° 04-18.610, P+B+R+I (N° Lexbase : A5176DSI).
(7) Cf. arrêt cité note 6. supra.
(8) Cass. civ. 2, 19 octobre 1983, n° 82-13.030 (N° Lexbase : A8538AHP), Bull. civ. II, n° 167 ; Cass. com., 15 mai 1990, n° 88-19.232 (N° Lexbase : A4048AHE), Bull. civ. IV, n° 148 ; Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-15.361 (N° Lexbase : A5197AWE), Bull. civ. IV, n° 228.
(9) G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 3ème éd., Paris, 1996, p. 382.

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Procédure civile

[Brèves] Condamnation de la France par la CEDH pour durée excessive d'une procédure d'indemnisation

Réf. : CEDH, 30 octobre 2014, Req. 77362/11 (N° Lexbase : A2837MZ4)

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N4536BUK

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Le 13 Novembre 2014

La procédure judiciaire qui s'étend sur six ans est excessive et ne répond pas à l'exigence du délai raisonnable. Tel est le rappel fait par la CEDH, dans un arrêt rendu le 30 octobre 2014 (CEDH, 30 octobre 2014, Req. 77362/11 N° Lexbase : A2837MZ4 ; voir, en ce sens, CEDH, 24 octobre 1989, Req. 6/1988/150/204 N° Lexbase : A8364AWP). En l'espèce, Le 28 décembre 2004, M. P. engagea une action en responsabilité de l'Etat, au nom de son père décédé en décembre 2000, sur le fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7823HN3). Le requérant invoquait notamment le caractère déraisonnable de la durée de la procédure pénale à l'encontre de son père. Par un arrêt du 1er juin 2011 (Cass. civ. 1, 1er juin 2011, n° 09-72.350, F-D N° Lexbase : A3158HT7), la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant, estimant que le terme de la période à considérer, sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), devait être fixé au décès du père du requérant en décembre 2000. Il saisit alors la CEDH, arguant de la violation l'article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable), et se plaignant notamment de la durée de la procédure pénale à l'encontre de son père, ainsi que de celle de la procédure en responsabilité de l'Etat. La CEDH lui donne gain de cause et relève que la procédure en indemnisation ayant duré six années, cinq mois et quatre jours pour trois degrés de juridiction, dont trois ans et cinq mois au niveau de la seule cour d'appel, puis un an et neuf mois au niveau de la Cour de cassation, la durée de la procédure litigieuse est excessive au regard des exigences de l'article 6 § 1 précité (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1758EUN).

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Procédures fiscales

[Brèves] Invalidité d'une sanction fiscale assise sur une disposition déclarée précédemment inconstitutionnelle

Réf. : Cass. crim., 5 novembre 2014, n° 13-86.202, F-P+B+I (N° Lexbase : A6471MZP)

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N4512BUN

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Le 20 Décembre 2014

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Or, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi à la date à laquelle les faits ont été commis. Aussi, la sanction est-elle invalidée. Telle est la portée de la décision rendue par la Cour de cassation le 5 novembre 2014 (Cass. crim., 5 novembre 2014, n° 13-86.202, F-P+B+I N° Lexbase : A6471MZP). En l'espèce, l'arrêt de la cour d'appel (CA Versailles, 5 juillet 2013, n° 12/03835 N° Lexbase : A4329M3Q) a ordonné la publication d'un extrait de la décision dans un journal, sur le fondement de l'article 1741 du CGI (N° Lexbase : L9491IY8). Cependant, cet article, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, a été déclaré contraire à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010 (Cons. cont., n° 2010-72/75/82 QPC N° Lexbase : A7111GMC), prenant effet à la date de sa publication au Journal officiel de la République française, le 11 décembre 2010, d'où il résulte alors la cassation de l'arrêt d'appel, d'une part. D'autre part, la Cour de cassation indique également qu'après avoir constaté l'existence d'un entretien avec le vérificateur et l'accès aux documents saisis, la cour d'appel, qui n'avait pas à se prononcer sur la régularité de la procédure propre aux visites domiciliaires organisée par l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2641IX4), laquelle relève de la compétence du premier président, n'a pas été saisi par le demandeur, mais a pu justifier sa décision. En l'espèce, un contribuable, après avoir fait l'objet d'une vérification de comptabilité selon un avis du 30 août 2007, a été poursuivi pour des faits de fraude fiscale commis en 2005 et 2006. La cour d'appel a rejeté l'exception d'irrégularité des poursuites prise, d'une part, de la violation du caractère contradictoire de la procédure de vérification, d'autre part, de la méconnaissance de l'article 6 de la CEDH (N° Lexbase : L7558AIR) du fait de l'utilisation, par l'administration, de pièces saisies à l'occasion d'opérations de visite domiciliaire effectuées chez des tiers. Les énonciations de l'arrêt et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable. Par conséquent, le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, n'a pas été admis .

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Rel. collectives de travail

[Brèves] Validité de la liste formée entre un syndicat catégoriel et un syndicat inter-catégoriel dès lors que cette liste ne comprend de candidats que dans les collèges dans lesquels les statuts des deux organisations syndicales leur donnent vocation à en présenter

Réf. : Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 14-11.634, FS-P+B (N° Lexbase : A9188MZC)

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N4583BUB

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Le 19 Novembre 2014

La liste commune, formée entre un syndicat catégoriel et un syndicat inter-catégoriel est valable dès lors que cette liste ne comprend de candidats que dans les collèges dans lesquels les statuts des deux organisations syndicales leur donnent vocation à en présenter. Lorsqu'une liste commune est établie, la répartition des suffrages exprimés est librement déterminée par les organisations syndicales pourvu qu'elle soit portée à la connaissance de l'employeur et des électeurs de l'entreprise ou de l'établissement concerné avant le déroulement des élections, peu important que cette répartition aboutisse à faire bénéficier l'une des organisations syndicales de l'intégralité des suffrages exprimé. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 novembre 2014 (Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 14-11.634, FS-P+B N° Lexbase : A9188MZC).
En l'espèce, courant novembre 2013, les sociétés ERDF et GRDF ont organisé les élections des membres du comité d'établissement clients, fournisseurs, services régionaux, Auvergne, Centre, Limousin . La fédération CFE-CGC énergies et le syndicat UNSA énergie ont présenté une liste commune avec une répartition des voix à concurrence de 100 % au profit de la fédération CFE-CGC.
Le tribunal d'instance ayant validé la liste commune, la répartition des suffrages, et par conséquent le scrutin, la fédération nationale de l'énergie et des mines Force ouvrière et Mme R. se sont pourvus en cassation.
En énonçant la solution susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E1798ETR).

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