La lettre juridique n°588 du 23 octobre 2014

La lettre juridique - Édition n°588

Éditorial

Des ressorts de la liberté d'expression du "sextrémisme" au regard du courage et de la tolérance

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 23 Octobre 2014


Comme il aurait été facile d'aborder le procès des Femen sous le seul prisme de la pudeur. Mais, comme nous l'avions évoqué, il y a peu, au sujet des consultations médicales et de l'emploi de technologies avancées pour retrouver le respect de l'intimité dû aux corps examinés, la pudeur est d'une appréhension toute relative, puisque d'essence plus culturelle, voire cultuelle, qu'universelle. Non, il apparaît, dès lors, plus intéressant d'analyser le "sextrémisme", faisant la promotion de ses opinions sur des poitrines (féminines) dénudées, suscitant ainsi l'attention des masses (sur le message ? ou la messagère ?), au regard du courage et de la tolérance, puisque ce sont ces vertus sur lesquelles s'appuie la liberté d'expression que ces militantes invoquent pour échapper à toute sanction pénale.

Sauf troubles de l'ordre public, la démocratie et son bras armé, la justice, n'ont que faire de défilés plus provocateurs que provocants. Bien entendu, l'action des Femen se mesure à l'aune de leur intrusion dans les églises et des actes sacrilèges, au sens propre du terme et sans connotation ici péjorative, qu'elles exécutent. Le dernier procès en date, en cours de délibération pour le 17 décembre 2014, doit juger de la présence dans une église d'une femme, "armée de seins nus" -puisque c'est la terminologie guerrière employée par elle-même-, près de l'autel, meurtrissant des foies de veau pour symboliser le foetus avorté de Jésus Christ et, apprend-on, pour dénoncer ainsi les positions anti-avortement de l'Eglise catholique.

Que la liberté d'expression soit en cause ; il n'en fait aucun doute. Que cette liberté doive être préservée, protégée et promue comme l'expression d'une forme de courage dans une société démocratique face aux totalitarismes idéologiques ; l'affaire va sans dire. Mais l'on sait que cette liberté se confronte et doit plier devant l'injure et l'outrage, d'abord. Ensuite, qu'il soit permis de s'interroger sur le prétendu courage avec lequel semble s'armer ces militantes pour défier l'autorité spirituelle et promouvoir leurs opinions. Enfin, la tolérance serait-elle alors ici de bon aloi ? Ou, au contraire, l'intolérance ferait-elle vivre et s'émanciper ce mouvement militant ? L'action de l'Eglise portée devant les tribunaux ne lui donne-t-elle, tout simplement, pas la caisse de résonance nécessaire pour assurer son existence ?

Primo. Si la défense de la liberté d'expression requiert courage et attention de chaque instant face au totalitarisme et à l'indifférence de l'oppression, l'action des Femen peut-elle s'apparenter à une manifestation, un militantisme, courageux ? Pour sûr, croirait-on, reconnaître que commettre des exactions dans un lieu interdit pour exprimer ses opinions comme une forme de courage, vertu universellement admirée, permettrait d'attirer le respect, du moins une certaine sympathie, sur ce militantisme provocateur. Mais attention aux paradoxes du courage.

D'abord, "le courage n'est pas une vertu, mais une qualité commune aux scélérats et aux grands hommes", écrivait Voltaire. Il est aussi bien le corollaire du bien que du mal. Ensuite, le courage d'exprimer ses opinions, comme n'importe quelle manifestation du courage, n'est-il moralement estimable que lorsqu'il se met, au moins partiellement, au service d'autrui, ou lorsqu'il échappe, peu ou prou, à l'intérêt égoïste immédiat, précise André Comte-Sponville. Aussi, n'y-a-t-il pas lieu, en l'espèce, de considérer que la gloire personnelle recherchée par ces militantes de choc l'emporterait sur la promotion d'un message altruiste ? Enfin, le courage n'est pas gage de vérité. Et si le message religieux peut passer pour totalitaire, car exprimant une vérité qui se veut universelle plus qu'une opinion ou une foi personnelle, l'action des Femen dans les églises, pour courageuse qu'elle puisse encore paraître, conditionne-t-elle cette contre-vérité, vérité substitutive, recherchée ? Le courage serait "la science des choses à craindre et de celles à ne pas craindre" enseignait Platon dans son Protagoras. Mais, dans ce cas, si le courage est une science, toute peur disparaît. Or, le courage suppose la peur et en ce cas soit l'action des Femen relève de la vérité, soit elle est courageuse, mais difficilement les deux en même temps ! La science rassure, elle est présentée comme vérité, mais n'a-t-elle jamais donné du courage ? Finalement, à la suite de Jankélévitch, le courage n'est pas un savoir mais bien une décision, n'est pas une opinion, mais bien une action... Dès lors, peut-on vraiment avoir le courage de ses opinions ?

L'autre paradoxe du courage, c'est que les militantes "sextremistes" rechigneraient elles-mêmes à voir leur action comme marquée de son empreinte ; tout simplement parce que le courage n'existe, comme nous l'avons déjà évoqué, que lorsqu'il est confronté à la peur. Il faudrait, dès lors, reconnaître que la vérité endoctrinée par l'Eglise et la force spirituelle du lieu profané fassent peur à ces "Bayard aux seins nus".

Il n'est par conséquent pas simple de caractériser le courage de ces militantes extrêmes lorsqu'elles s'attaquent, sans véritable peur, aux canons de l'Eglise en son sein.

Secundo. Au nom de la liberté d'expression, chacun pourrait convenir d'une certaine tolérance. La laïcité commande cette tolérance envers le fait et la conviction religieuses, aussi bien qu'envers l'athéisme. Pour autant, on sait que la tolérance absolue est intolérable ; qu'une société fondée sur la tolérance universelle s'autodétruirait, car elle tolérerait le pire comme le meilleur : c'est le paradoxe de Karl Popper. "La tolérance illimitée doit mener à la disparition de la tolérance. Si nous étendons la tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas disposés à défendre une société tolérante contre l'impact de l'intolérant, alors le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. [...] Nous devrions revendiquer le droit de les supprimer (les intolérants), au besoin, même par la force [...]. Nous devrions donc revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer l'intolérant".

Etre tolérant c'est finalement ne pas tout tolérer ! "La tolérance n'intervient qu'à défaut de connaissance, tandis que la liberté d'esprit est la connaissance même en tant qu'elle nous libère de tout et de nous-même" disait Alain. Si tolérer c'est prendre sur soi, on comprend que la vérité du christianisme ne peut prendre sur soi la violation de ses convictions les plus profondes. L'intolérance de l'Eglise est donc des plus, sinon légitime, du moins envisageable. Et, même à se faire l'avocat du diable, "le juste doit être guidé par les principes de la justice et non par le fait que l'injuste ne peut se plaindre" écrivait Rawls dans Théorie de la justice ; si bien que les positions de l'Eglise, même considérées comme injustes par les Femen, ont le droit d'être défendues parce qu'outragées.

Reste que seule "l'insolence d'un culte dominateur" a pu nommer "tolérance" la permission donnée par des hommes à d'autres hommes, remarque Condorcet. Assurément, puisque cette tolérance serait la marque d'une condescendance (bourgeoise) que ne saurait souffrir le militantisme "sextrémiste", il est certain que les Femen ne recherchent aucune tolérance de leurs actes ni de la société, ni moins encore de l'Eglise.

Décidément, la liberté d'expression a bien maille à partir avec les actions provocatrices à la lisière de l'injure et de l'outrage, lorsque le courage fait défaut et la tolérance à leur égard n'est même pas recherchée.

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Aide juridictionnelle

[Projet, proposition, rapport législatif] Remise du rapport "Le Bouillonnec" : le financement de l'aide juridictionnelle a encore du chemin...

Réf. : Rapport sur le financement et la gouvernance de l'aide juridictionnelle, de Jean-Yves Le Bouillonnec, 30 septembre 2014 (N° Lexbase : X2702APR)

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 23 Octobre 2014

Jamais un rapport ne se sera fait autant attendre que celui sur l'aide juridictionnelle. Annoncé comme remis à Matignon et à la Chancellerie, il était encore au stade l'"Arlésienne" pour la Profession, jusqu'à sa publication, en catimini, le 9 octobre 2014 en fin de journée, accompagnée d'un communiqué du Premier ministre annonçant "sans délai" le lancement d'une concertation avec les avocats. A la lecture d'un rapport quelque peu complexe, voire indigeste, les réactions ont été assez fortes : entre le barreau de Paris qui refuse de "payer à la place de l'Etat", le CNB qui déplore l'idée d'une cotisation de solidarité inter barreaux et l'absence de transparence globale des pistes proposées. I - Historique du rapport

Par lettre de mission du 8 juillet 2014, le Premier ministre avait confié au député Jean-Yves Le Bouillonnec, une mission tendant à favoriser l'aboutissement de discussions avec la profession d'avocat dans le domaine de l'aide juridictionnelle. L'attente du Premier ministre était centrée sur deux objectifs complémentaires d'évolution de l'aide juridictionnelle :

- s'agissant du financement permettre, "dans un souci de concertation" et "dans un contexte de contrainte budgétaire", de "mettre en oeuvre dès 2015 des mesures opérationnelles de financement, sans exclure aucune source" et selon "un mode global, équitable et garant, à long terme, tant de l'efficience de l'accès à la justice que d'une juste rétribution des avocats" ;

- s'agissant de la gouvernance proposer, "sans écarter aucune piste, un dispositif de gestion associant pleinement la profession d'avocat, tant dans la détermination de l'usage des crédits d'AJ que pour évaluer la qualité du service rendu".

II - Les constats posés

Pour la mission "Le Bouillonnec", "les avocats de tous bords font exceptionnellement front, au nom du caractère libéral et indépendant de leur profession, pour refuser que celle-ci participe davantage à l'équilibre financier de l'AJ, y compris par un mécanisme de solidarité interne. Cette position est paradoxale pour ce qui concerne les avocats pratiquant le plus l'AJ et pour les barreaux dont les effectifs impliquent un lourd engagement à ce titre. Cette position traduit une réelle évolution d'une partie des avocats qui, sans ignorer les impératifs que suggère leur serment, évoluent vers une dimension purement économique de leurs activités, s'éloignant des inspirations traditionnelles du barreau à la française".

Le rapport met en avant que le financement de l'AJ doit être mis en oeuvre par tous.

Par les justiciables d'abord. La revalorisation du droit fixe de procédure pénale à la charge de tout condamné, non revalorisé depuis 1993, semblerait naturelle. Il en est de même de la revalorisation de la taxe forfaitaire sur les actes d'huissier, non modifiée depuis 1998, d'autant que cette taxe a été instituée initialement, en 1992, pour contribuer au financement de l'AJ. L'institution d'un droit pour la délivrance d'une copie exécutoire du jugement est concevable dès lors que les bénéficiaires de l'AJ en seraient exemptés et qu'elle pourrait être intégrée dans les dépens. Enfin, la revalorisation du droit de timbre en appel est par ailleurs prévue pour alimenter le FIDA et il serait possible d'en affecter une part au financement de l'AJ.

Par les usagers d'actes juridiques ensuite. La mission souligne que raisonnement de nombreux rapports sur le financement de l'AJ est que tout acte juridique porte la potentialité d'un conflit donc d'une sollicitation de l'AJ. Ainsi, une surtaxation pour l'AJ des contrats d'assurance de protection juridique (APJ) est plus spécialement ciblée, au motif de leur relation naturelle avec l'AJ via le principe de subsidiarité posé par la loi de 1991 (loi n° 91-647, 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique N° Lexbase : L8607BBE) et du quasi non-jeu de cette subsidiarité dans les faits. L'augmentation des droits d'enregistrement affectant une grande variété d'actes dont les recettes vont au budget de l'Etat est également envisagée.

Par les professions du droit et, par extension, de l'assurance et du chiffre aussi. Qu'il s'agisse de taxer le chiffre d'affaires ou le revenu, cette idée a été globalement et fortement rejetée par les professions à l'exception des assureurs qui peuvent envisager une taxation minime de leur chiffre d'affaires à condition qu'elle soit mise en oeuvre pour l'ensemble des professions juridiques. Pour marquer son implication dans la gouvernance de l'AJ, le rapport "Le Bouillonnec" estime que la profession d'avocat devrait organiser une solidarité entre barreaux sur la question spécifique du niveau de la rétribution des missions. Ainsi, il attend de la profession d'avocat la mise en place d'un dispositif de solidarité entre les barreaux, marquant son implication et sa propre gouvernance dans l'amélioration de la rétribution des avocats intervenant à l'AJ. Et cette solidarité professionnelle devrait se traduire par une cotisation de solidarité inter-barreaux pour le service de l'aide juridique, dans un cadre national défini et géré au niveau du CNB. La mission propose donc d'inscrire dans la loi de 1971 (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ) l'obligation pour le CNB d'organiser, par voie de cotisations à redistribuer, un dispositif de péréquation entre barreaux afin de tenir compte des charges spécifiques que l'AJ représente dans certains d'entre eux en raison par exemple des réalités socioprofessionnelles de la population locale ou des contrainte géographiques. Et, c'est plus précisément ce point qui a provoqué l'ire et du barreau de Paris et du CNB.

Par l'Etat, enfin. En vue d'un travail de refonte du barème pour l'adapter plus précisément aux réalités des avocats, le rapport préconise une mise à plat du système de l'unité de valeur et de celui des forfaits, et tendre à un dispositif décloisonné. Il faut reprendre chaque ligne de tarif, organiser les redistributions justifiées, prioriser les hausses nettes dans un plan à trois ans, les lier aux efforts conduits par ailleurs par tous les acteurs pour maîtriser les coûts et améliorer la qualité.

Et la mission insiste sur l'esprit de la loi de 1991 qui est de raisonner en termes de poids de chaque mission permettant d'aboutir à un barème cohérent et non en termes de coûts réels de mission comme le fait actuellement la profession en revendiquant un doublement de l'AJ...

III - Les pistes préconisées

1 - Participation exclusive des avocats

Cette participation pourrait se faire soit par une taxation du chiffre d'affaires, soit une contribution forfaitaire par tranche de revenu, soit, enfin, par l'acquittement d'une cotisation de solidarité à travers un mécanisme de péréquation inter-barreaux.

Sur la taxation du chiffre d'affaires

Selon l'enquête services de l'INSEE, les activités juridiques des avocats en 2007 représentaient un chiffre d'affaires de 10,9 milliards d'euros en 2007. Le rendement d'une taxe de 0,5 % sur le chiffre d'affaires serait donc de 54,5 millions d'euros (en données 2007). En appliquant le taux de croissance des activités juridiques entre 2007 et 2011 d'après les données INSEE (+ 18,6 %), le rendement de la taxe pourrait être de 64,6 millions d'euros (en données 2011).

Sur la contribution forfaitaire par tranche de revenu

D'après le rapport d'activité 2012 de la CNBF, le revenu global de la profession s'est élevé à 3 989 millions d'euros en 2011. Le rendement d'une taxe de 1,0 % en moyenne sur les revenus serait donc de 39,9 millions d'euros (en données 2011).

Sur la cotisation de solidarité à travers un mécanisme de péréquation inter-barreaux

L'hypothèse d'une cotisation de solidarité relève d'un mécanisme interne à la profession qui devra donc en évaluer le montant de collecte escompté.

Réactions

L'ensemble de la profession d'avocat est uni contre la taxation de son activité estimant qu'une profession exerçant un service public n'a pas à le financer. Le ministère de la Justice maintient, pour sa part, que cette piste permettrait donc d'établir une forme de solidarité au sein de la profession (42 % des avocats font de l'AJ, dont 61.3 % avec moins de deux missions par mois). Du côté de Bercy, la mise en place de cette taxe est techniquement faisable, mais contraire à l'objectif d'allègement de la fiscalité. Si elle suivait le même circuit que la CPAJ (affectation à l'AJ via le CNB), elle irait à contre-courant de l'objectif de réduction des taxes affectées (charte de budgétisation). De plus la création d'une nouvelle taxe peut nécessiter de nouveaux formulaires et de nouvelles télé-procédures ce qui en alourdit la gestion. Si cette piste devait être retenue, il apparaîtrait ainsi plus simple pour la DGFiP de recourir à la taxation du chiffre d'affaires, ce qui peut être réalisé via l'annexe à la déclaration de TVA 3310 A. Dans une note du 9 mai 2014, la DAJ de Bercy écartait l'hypothèse d'une contribution volontaire pour financer directement l'AJ indiquant que celle-ci serait requalifiée en "impôt de toute nature", l'AJ étant une mission de service public dont le bénéficiaire est le justiciable et non l'avocat. Dans une seconde note en date du 22 août 2014, elle indique en revanche qu'une cotisation spécialement affectée au financement d'un mécanisme de solidarité au titre de l'AJ interne à la profession pourrait être envisagée.

2 - Participation de l'ensemble des professions du droit au fonctionnement de l'AJ

Cette participation se ferait par le biais soit d'une taxation du chiffre d'affaires des professions juridiques, soit par une contribution forfaitaire par tranche de revenu.

Sur la taxation du chiffre d'affaires des professions juridiques

Selon l'élaboration des statistiques annuelles d'entreprises de l'INSEE, les activités juridiques en 2011 (dernière année disponible) ont généré un chiffre d'affaires de 22 341,11 millions d'euros. Le rendement d'une taxe de 0,25 % serait donc de 55,9 millions d'euros (en données 2011).

Et l'idée d'étendre la taxation aux activités comptables permettrait d'élargir l'assiette à 38 062,18 millions d'euros, et donc d'avoir un rendement de la taxe à 0,25 % de 95,2 millions d'euros.

Sur la contribution forfaitaire par tranche de revenu

Selon une étude de la DGCIS sur les professions règlementées de novembre 2012, le revenu cumulé des avocats, greffiers des TC, huissiers de justice et notaires, s'est élevé à 5,71 milliards d'euros en 2010.

Le rendement d'une taxe de 1,0 % en moyenne sur les revenus serait donc de 57,1 millions d'euros (en données 2010).

Réactions

La profession est contre cette solution qui alourdirait encore ses charges hormis les huissiers (et dans une moindre mesure les assureurs) qui estiment plus pertinent de taxer l'ensemble des professions du droit plutôt qu'une seule.

Pour le ministère de la Justice, faire participer l'ensemble des professionnels du droit établit une forme d'égalité, même si l'ensemble des professions juridiques n'interviennent pas à l'AJ dans les mêmes proportions.

Pour le ministère des Finances, la mise en place de cette taxe est, là encore, contraire à l'objectif d'allègement de la fiscalité. Selon la DLF, il serait nécessaire de modifier la partie du CGI relative aux taxes sur le chiffre d'affaires (à partir l'article 302 septies A). La principale difficulté tient à l'identification des professions, ce qui ne devrait pas être problématique pour les professions règlementées (avocats, notaires, huissiers, greffiers des tribunaux de commerce,...) mais pourrait l'être pour d'autres (ex. : audit financier).

3 - Suppression de la franchise à la TVA dérogatoire pour les avocats

L'idée serait de supprimer les dispositions du III, 1 de l'article 293 B du CGI (N° Lexbase : L4024I3G). Les gains attendus sont de l'ordre de 17 millions d'euros dans le cas de la suppression totale de la franchise. Mais pour Bercy, il n'y a pas de justification économique à cette dérogation qui pourrait, d'ailleurs, ne pas être conforme avec le droit communautaire. Ainsi le ministère des Finances n'est pas favorable à l'affectation sur l'AJ des recettes de TVA (fiscalité trop générale déconnectée de l'AJ). En revanche, il estime que le sujet des professions bénéficiant d'une franchise de TVA dérogatoire pourrait être abordé plus généralement.

4 - Revalorisation/Majoration de la taxe forfaitaire collectée par les huissiers de justice (CGI, art. 302 bis Y N° Lexbase : L0471IHW)

La revalorisation permettrait déjà de prendre en compte l'inflation de 1998 à 2014. La taxe augmenterait de 9,15 euros à 11,80 euros (+ 29,0 %) pour une recette de 14,5 millions d'euros.

De plus, le montant de cette taxe est inchangé depuis le 1er janvier 1998. Selon les chiffres fournis en octobre 2010 par la CNHJ pour l'année 2008, il y a eu environ 9 millions d'actes délivrés, dont 5 890 546 assujettis à la taxe forfaitaire et 2 979 373 qui en ont été exonérés. Le rendement de cette taxe s'est élevé à 49,99 millions d'euros en 2013 (données DGFiP). Pour une augmentation de 4,60 euros (+ 50,3 %), la recette supplémentaire serait de 25,1 millions d'euros.

Réactions

Dans l'ensemble, les professionnels, y compris les huissiers, ne se sont pas montrés défavorables à cette piste. Mais pour le ministère des Finances, comme il s'agit d'un prélèvement obligatoire affecté au budget général, il faudrait réaffecter cette taxe à l'AJ (via le CNB comme pour la CPAJ). C'est là encore contraire à l'objectif d'allègement de la fiscalité et de réduction des taxes affectées (charte de budgétisation).

5 - Contribution des assureurs

L'idée serait d'augmenter le taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TCA) (CGI, art. 991 et suivants). Le tarif de la TCA est fixé par l'article 1001 du CGI (N° Lexbase : L0701IZY). Le taux est de 9 % pour les contrats d'assurances en protection juridique. D'après Bercy, les recettes perçues en 2012 ont été de 8,77 milliards d'euros (0,11 milliards d'euros au profit de l'Etat, 2,03 milliards d'euros au profit de la CNAF et de la CNAM, et 6,63 milliards d'euros au profit des départements). Pour une augmentation des différents taux de + 0.1 % le gain serait de 88 millions d'euros. A cela s'ajouterait la création d'une taxe spécifique sur les contrats de protection juridique. Et serait instaurée pour les assureurs une obligation d'étendre le périmètre couvert par les contrats d'assurance juridique au contentieux de la famille et au droit pénal.

Réactions

Les assureurs sont totalement opposés à cette taxation. Ils estiment que leur activité n'est pas en lien avec l'AJ. Selon eux, la hausse serait immédiatement répercutée sur le consommateur.

Pour la Chancellerie, il y a une facilité à recouvrer et les montants sont facilement calculables, mais le lien entre l'AJ et une augmentation généralisée de la TCA est faible. Par ailleurs la création d'une taxe spécifique sur les contrats de protection juridique va à l'encontre du développement de cette catégorie de contrats. Bercy est totalement opposé à une telle taxation, l'assurance de protection juridique étant un véritable outil d'accès au droit qui participe à la déjudiciarisation des litiges et au désengorgement des tribunaux.

6 - Instauration à la charge des assureurs de protection juridique d'un versement compensatoire correspondant à ce qu'ils doivent prendre en charge dans un certain type de contentieux

Il s'agirait de déterminer chaque année, par sondage effectué sur un échantillon de justiciables bénéficiaires de l'AJ, du nombre de cas où le principe de subsidiarité aurait dû s'appliquer. Les sondages et le calcul seront effectués par un organisme comprenant des représentants des sociétés et des mutuelles d'assurance. Cette proposition, issue du rapport "Delmas-Goyon" sur le juge du XXIème siècle, n'a pas été débattue avec les professionnels concernés. Mais, selon la Chancellerie, elle va dans le sens contraire de la démarche engagée avec les assureurs à travers le décret sur la subsidiarité.

7 - Augmentation des droits d'enregistrement sur les actes juridiques soumis à enregistrement (CGI, art. 635 N° Lexbase : L4355IXL)

Plusieurs scénarii sont envisageables : relever les droits sur l'ensemble des actes ; cibler sur les actes qui représentent les plus grosses recettes ; cibler les actes dont le domaine concerne l'AJ ; revaloriser de l'inflation les droits fixes non mis à jour depuis plusieurs années.

Réactions

Les professions, en particulier les avocats, sont favorables à cette solution. Pour le ministère de la Justice, cette solution établit un lien entre la contribution et l'objectif d'accès à la justice, et permet de faire porter l'effort de solidarité sur les transferts de biens et de patrimoine. Pour le ministère des Finances, si cette solution suivait le même circuit que la CPAJ (affectation à l'AJ via le CNB), elle irait à contre-courant de l'objectif de réduction des taxes affectées (charte de budgétisation). Il serait préférable de cibler quelques actes soumis à enregistrement car relever les droits pour tous les actes, qui font l'objet de tarifications très diverses (droits fixes, proportionnels, par tranche...), nécessiterait la réécriture de nombreux articles du CGI.

8 - Revalorisation du droit fixe de procédure en cas de condamnation pénale (CGI, art. 1018 A N° Lexbase : L8150IRB)

La revalorisation tiendrait compte de l'inflation de 1993 à 2014 (+ 40,3 %). Les sommes recouvrables se sont établies à 52,6 millions d'euros en 2010.

Réactions

Les professionnels ne sont pas opposés à cette solution. Cette solution permet de faire contribuer directement les usagers de la justice et présente, pour Bercy, l'avantage de ne pas alourdir la fiscalité.

9 - Recouvrement des sommes avancées par l'Etat pour le paiement des avocats assistant les personnes gardées à vue conformément à l'article 64-1-1 de la loi du 10 juillet 1991

Le recouvrement passerait par l'émission d'un titre et le paiement d'un droit à l'issue de la condamnation à travers une majoration des droits fixes de procédure pénale. La somme dégagée passerait de 7,4 à 8,5 millions d'euros pour une majoration du droit fixe de procédure de 250 euros à 280 euros. Si les avocats sont dubitatifs sur la faisabilité de ce dispositif, tant la Chancellerie, que Bercy, y sont favorables.

10 - Renforcer les dispositifs existants en matière de subsidiarité du jeu de l'AJ au regard des parties aux procès

Ce renforcement passerait par une augmentation de 0,1 % à 8,0 % de l'usage de l'article 37 de la loi de 1991 et par le remplacement du système de recouvrement de l'AJ civile sur la partie perdante (art. 43) par un droit fixe à calculer au juste niveau.

Réactions

Les avocats sont globalement favorables au développement de l'article 37 mais considèrent que les magistrats méconnaissent la juste évaluation de leurs honoraires. Ils indiquent que cette solution présente des difficultés de mise en oeuvre dans les barreaux qui prévoient une provision d'AJ aux avocats.

11 - Instauration de l'acquittement d'un droit lors de la délivrance de la copie exécutoire des actes

Sans remettre en cause le principe de gratuité d'accès à la justice, cette recette consisterait à demander aux justiciables une contribution pour l'établissement par les juridictions d'un document à leur usage à l'issue d'un procès civil ou administratif. La mission évalue la recette à 24 millions d'euros pour une contribution de 20 euros.

Réactions

Les professionnels ne sont pas opposés à cette solution. Mais, ce droit de timbre ex-post ne recueille pas l'assentiment du ministère de la Justice

12 - Révision à la hausse le droit de timbre du FIDA (fonds d'indemnisation des avoués)

Les recettes complémentaires pourraient alimenter le budget AJ par un jeu de transferts de dotations budgétaires. Ce droit de timbre est de 150 euros et porte sur tous les appels au civil.

La revalorisation du timbre actuellement envisagée, à hauteur de 225 euros, permettrait de dégager environ 10 millions d'euros en 2015 mais qui ne seraient pas utilisés pour l'AJ. Une revalorisation du timbre au-delà, à 275 euros, permettrait de dégager 10 millions d'euros en 2015 pour l'aide juridictionnelle.

Réactions

Les professionnels n'ont pas été consultés sur cette solution.

IV - Des premières mesures concrètes dans le projet de loi de finances pour 2015

Dans son projet de budget 2015, présenté le 8 octobre 2015, en conseil des ministres, le Gouvernement a déjà retenu trois nouvelles sources de financement qui devraient permettre de lever l'an prochain 43 millions d'euros. Le projet de loi de finances prévoit ainsi une hausse de la taxe spéciale sur les contrats d'assurance de protection juridique, du droit fixe de procédure pénale, payé par les personnes condamnées, et de la taxe forfaitaire sur les actes d'huissiers de justice.

Selon le président du Conseil national des barreaux, Jean-Marie Burguburu, 25 millions proviendront des contrats d'assurance, 7 millions des paiements des personnes condamnées et 11 millions sur la taxe sur les actes d'huissier. Au total, l'enveloppe globale de l'AJ augmente de 10 % dans le budget 2015, passant de 345 à 379 millions d'euros.

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Concurrence

[Chronique] Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Octobre 2014

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par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat, chargée d'enseignement à l'Université Paris Ouest-Nanterre La Défense

Le 23 Octobre 2014

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit de la concurrence et de la distribution, animée par Maître Pauline Le More, avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat. L'auteur commente, tout d'abord, l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 octobre 2014 relatif à la compétence des juridictions spécialisées dans le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales (Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.086, FS-P+B). En matière d'actions privées en droit de la concurrence, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2014 est également commenté (CA Paris, 8 octobre 2014, n° 2014/05766). Enfin, quelques observations sont formulées à propos du décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 sur la mise en oeuvre de l'action de groupe.
  • Responsabilité contractuelle et rupture brutale des relations commerciales : étendue de la compétence des juridictions spécialisées (Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-21.086, FS-P+B N° Lexbase : A2088MYY)

Par arrêt du 7 octobre 2014, la Cour de cassation clarifie les conséquences concrètes des règles de compétence, spécifiquement dédiées à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L7923IZH). A cette occasion, il est rappelé que celles-ci ne font pas obstacle à la faculté des juridictions non spécialisées dans le contentieux de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce de statuer sur le contentieux de la responsabilité contractuelle.

En l'espèce, la Société Européenne de Production de Plein Air (Seppa) approvisionnait et conditionnait diverses catégories d'oeufs pour le commerce de gros. Par contrat du 19 octobre 2007, elle concluait avec Ovalis un contrat de distribution et d'approvisionnement, aux termes duquel elle lui concédait le droit exclusif de vendre directement ou indirectement à la grande distribution certaines gammes d'oeufs et le droit non exclusif de vendre à la grande distribution d'autres gammes d'oeufs de poule. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 janvier 2011, Ovalis a dénoncé ce contrat moyennant le préavis de 6 mois contractuellement prévu. Se plaignant notamment de ce que la société Ovalis avait significativement diminué leurs volumes de commandes dès le mois de janvier 2011, Seppa l'a assignée en paiement de diverses sommes.

Par jugement rendu le 29 novembre 2011, le tribunal de commerce de Pontoise déboutait Seppa de l'ensemble de ses demandes. Appel était interjeté devant la cour d'appel de Versailles, laquelle condamnait Ovalis au paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) en raison de la violation du délai contractuel de préavis. En effet, en dépit de l'absence d'obligation de volume fixe de commande dans le contrat, l'équilibre contractuel imposait aux parties de poursuivre même pendant la période de préavis le niveau habituel des commandes, quand bien même il incombait contractuellement à Seppa de veiller à adapter la production aux besoins de son partenaire commercial. La baisse de 12 % des commandes dès janvier 2011 par rapport à l'année précédente, cumulée à l'absence d'information préalable qu'Ovalis est censée fournir à Seppa par relevés décadaires, étaient mis en avant pour justifier l'infirmation du jugement de première instance. Ovalis était condamnée au paiement de 200 000 euros de dommages et intérêts "à raison du non-respect de l'effectivité du préavis contractuel".

En revanche étaient déclarées irrecevables les demandes de Seppa, depuis lors en redressement judiciaire, et de son administrateur judiciaire, fondées à titre principal sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, lesquelles n'avaient pas été invoquées en première instance. En effet, l'article D. 442-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L9159IEX), en liaison avec le tableau annexe 4-2-1, confère à huit tribunaux de commerce compétence pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du même code. La cour d'appel de Paris est par ailleurs exclusivement compétente pour connaître de l'appel interjeté sur les décisions rendues par ces juridictions. Aussi, la cour d'appel de Versailles s'est considérée incompétente pour connaître des actions fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par Ovalis. En effet, l'incompétence de la cour d'appel de Versailles pour statuer sur des actions fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, ne la prive pas du pouvoir de statuer sur l'application de l'article 1134 du Code civil. Est-ce à dire que la responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce pourrait être à nouveau recherchée devant la juridiction spécialisée compétente ? La Cour suprême n'avait pas à se prononcer sur cette question. En pratique toutefois, dissocier le contentieux contractuel de celui de la rupture brutale, comme l'a récemment avalisée la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 22 avril 2014, n° 12/08108 N° Lexbase : A4467MKN, note V. Cadoret, L'articulation des compétences entre juge du contrat et juridiction spécialisée, Lettre des réseaux, Mai/juin 2014, Simon&Associés) ne va pas nécessairement dans le sens d'une bonne administration de la justice. Invoquer d'emblée des demandes de dommages et intérêts sur le fondement des stipulations contractuelles et de l'article L. 442-6 du Code de commerce devant la juridiction spécialisée compétente demeure le moyen le plus efficace de se prémunir contre des déconvenues procédurales aux conséquences financières non négligeables pour le demandeur à l'action.

  • De l'importance du marché pertinent pour obtenir des dommages et intérêts à raison de pratiques anticoncurrentielles (CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 8 octobre 2014, n° 14/05766 N° Lexbase : A9840MXQ)

Les actions en dommages et intérêts sont plébiscitées par les autorités publiques, comme en témoignent la récente introduction des actions de groupe en droit français de la concurrence, ou encore au niveau communautaire, la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres et de l'Union européenne, approuvée par le Parlement européen le 17 avril 2014 (cf. COM(2013) 404 final, 11 juin 2013).

En pratique toutefois, l'action intentée par les personnes morales ou physiques, victimes de pratiques anticoncurrentielles, devant le juge civil pour obtenir réparation de leurs préjudices sur le fondement du régime général de la responsabilité délictuelle (C. civ., art.1382 [LXB=1488ABQ]), peut s'avérer plus délicate. SFR vient d'en faire l'expérience dans le contentieux l'opposant à Orange.

En l'espèce, SFR reprochait à Orange l'abus de sa position dominante sur le marché de la téléphonie fixe de la résidence secondaire. En première instance (T. com. Paris, 12 février 2014, n° 2012031951 N° Lexbase : A1281MGK), SFR a obtenu la condamnation de France Telecom au paiement de 51,38 millions d'euros au titre du manque à gagner résultant de l'absence de revenus liés aux résidences secondaires sur le fondement de l'article L. 420-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3778HBK). Par arrêt du 8 octobre 2014, la cour d'appel a infirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle prend ainsi le soin de rappeler que le marché pertinent doit être déterminé sur la base de l'analyse de la substituabilité de la demande et de celle de l'offre. La cour d'appel de Paris, bénéficiant également d'une compétence exclusive pour le contentieux de l'appel des décisions de l'Autorité de la concurrence, s'inscrit dans la droite lignée des pratiques décisionnelles des autorités de concurrence, qui n'ont eu de cesse de souligner le caractère déterminant du critère de la substituabilité (Conseil de la concurrence, La délimitation du marché pertinent, Etudes thématiques, Rapport annuel 2001 ; Commission européenne, Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, JOCE n° C372, 9 décembre 1997, p. 5). Sans être convaincue par le test "Small but Significant Non transitory increase in Price", invoqué par SFR, la cour d'appel constate que, tant du point de vue de la demande que de l'offre, les offres d'Orange (RS et téléphonie fixe) sont interchangeables. Non seulement, il n'est pas démontré l'existence d'un marché pertinent limité aux résidences secondaires, qui ne représentent que 1 % du marché de la téléphonie résidentielle (soit environ 330 000 clients). Mais par ailleurs, indépendamment même de la question de cette délimitation du marché pertinent, les pratiques invoquées doivent avoir un effet d'éviction, ce qui n'est pas davantage établi par la victime.

Le caractère crucial de la délimitation du marché pertinent pour l'issue du litige est donc une fois de plus mis en évidence. Une définition large du marché pertinent rend plus difficile la démonstration d'une position dominante et le comportement d'éviction. L'expertise de la cour d'appel de Paris sur la définition du marché pertinent et/ou la faiblesse des pièces et arguments invoqués par SFR n'a pas incité les magistrats à saisir l'Autorité de la concurrence sur le sujet. Par le passé, une juridiction de première instance -le TGI de Paris- n'avait pas hésité à solliciter le Conseil de la concurrence dans un litige opposant les sociétés Luk Lamellen et Valéo pour lui demander de déterminer le marché pertinent "au regard des pratiques anticoncurrentielles dénoncées", ainsi que "la position de la société Luk Lamellen sur ce marché". L'avis du 9 novembre 2005 relatif à cette demande (Cons. conc., avis n° 05-A-20 N° Lexbase : X6199ADX) a semble-t-il incité les parties à conclure un accord transactionnel. Une telle démarche du tribunal de commerce aurait peut-être également permis, dans la présente affaire, limiter les déconvenues de SFR.

  • La mise en oeuvre de l'action de groupe (décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014, relatif à l'action de groupe en matière de consommation N° Lexbase : L2782I4S)

La loi dite "Hamon" a introduit en droit français l'action de groupe notamment en matière de contentieux du droit de la concurrence (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, art. 1er et 2 N° Lexbase : L7504IZX ; cf. nos obs., L'action de groupe "à la française" (commentaire des articles 1er et 2 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014), Lexbase Hebdo n° 378 du 16 avril 2014 - édition affaires N° Lexbase : N1876BUZ). Entré en vigueur le 1er octobre 2014, le décret n° 2014-1081 précise les modalités d'exercice de l'action, tout en laissant subsister certaines interrogations. Les principaux moments de la procédure de l'action de groupe sont présentés ci-après.

Jugement sur la responsabilité. Dans un premier temps, le juge est sollicité, par l'association de consommateurs agréée, seule personne habilitée à engager une action de groupe, pour statuer sur le cadre général du litige : recevabilité de l'action, existence du fait générateur de responsabilité et des préjudices ainsi que du lien de causalité, modalité de réparation. Le juge détermine alors le schéma d'indemnisation auquel sera soumis l'ensemble des consommateurs existants ou futurs, ayant décidé de participer à l'action de groupe.

Mise en oeuvre de l'indemnisation dans le cadre fixé par le premier jugement. Dans un deuxième temps, les parties à l'instance se rapprochent pour, hors la présence du juge, procéder à l'indemnisation par le professionnel des consommateurs à l'initiative -avec l'association de consommateurs agréée- de l'action, ainsi que des consommateurs s'étant manifestés à la suite des mesures de publicité prononcées par le jugement sur la responsabilité. A tout moment néanmoins, en cas de difficulté, le juge de la mise en état est habilité à connaître des difficultés d'exécution du premier jugement.

Jugement sur la réparation. Dans un troisième temps, un jugement clôture la procédure pour prendre acte soit de la bonne mise en oeuvre du jugement sur la responsabilité, soit, le cas échéant, pour liquider les préjudices lorsque tous les préjudices n'auront pas été indemnisés par le professionnel.

Cette apparente simplicité de la procédure, dont la spécificité par rapport aux règles procédurales applicables devant le tribunal de grande instance résident en ces trois temps distincts, ne doit pas faire perdre vue un certain nombre d'interrogations. En particulier, le modèle économique de l'action n'a pas été élaboré par crainte sans doute des excès tant décriés de l'action de groupe transatlantique. L'association de consommateurs agréée est conçue comme le prisme obligé, par l'intermédiaire duquel se constitue le groupe de consommateurs lésés et s'organise la mise en relation avec le professionnel en vue de leurs dédommagements. Mais seule la condamnation à un article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), soumis à l'appréciation souveraine des juges du fond, peut semble-t-il éventuellement leur permettre de financer la mise en oeuvre d'une telle action publique dans son concept, mais privée dans sa mise en oeuvre. La condamnation à des dommages punitifs, pourtant déclarés non contraires à l'ordre public (Cass, com., 1er décembre 2010, 09-13.303, FS+P+B+R+I N° Lexbase : A4103GMW, J. Sagot-Duvauroux, Le sort des dommages-intérêts punitifs devant le juge français, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition privée N° Lexbase : N1682BRQ), est exclue dans le dispositif. Loin de se substituer à l'action en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs (C. consom., art. L. 421-1 N° Lexbase : L6814ABY), l'action de groupe semble être conçue pour défendre collectivement une somme d'individus.

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Contrats et obligations

[Le point sur...] Le contrôle de l'existence de la cause dans la jurisprudence de la Cour de cassation : l'abandon d'une subjectivisation ?

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N4240BUL

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 23 Octobre 2014

Si l'accord des volontés, extérieurement manifesté, est une condition nécessaire à la formation du contrat, il ne suffit pour autant pas à créer l'obligation : il faut un élément justificatif de la force obligatoire attachée à l'accord des volontés, comme en témoigne la combinaison des articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8) et 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) du Code civil. Le premier de ces textes fait, en effet, figurer, parmi les "conditions essentielles pour la validité d'une convention", l'existence d'"une cause licite dans l'obligation" et le second, reprenant et précisant cette exigence, dispose que "l'obligation sans cause [...] ne peut avoir aucun effet". C'est dire que la cause est une condition d'existence de l'obligation contractuelle. Les rédacteurs du Code civil, reprenant d'ailleurs les formules de Domat et de Pothier, ont ainsi voulu empêcher qu'une partie ne soit, par une manifestation de volonté, injustement obligée toutes les fois que son engagement serait dépourvu d'une justification suffisante. L'existence de la cause, comme condition de la naissance de l'obligation, remplit ainsi une fonction de protection individuelle. "Pièce maîtresse" du mécanisme contractuel (1), la cause, dans les contrats à titre onéreux, apparaît comme un élément dont le rôle technique au sein de la structure du contrat est d'établir un rapport d'équivalence entre les obligations réciproques. Dans la conception classique de la cause, il suffit que la contrepartie existe réellement pour que la cause existe, c'est-à-dire qu'il suffit que la contrepartie existe pour qu'elle soit considérée comme équivalente à la prestation fournie, abstraction faite de leur proportion respective. Parce que, dans la théorie classique de la cause, la cause est entendue de façon abstraite dans la mesure où elle est prise comme un élément de la structure du contrat, une obligation a une cause quel que soit le résultat économique final de l'opération conclue, peu important le profit ou la perte enregistrée par les parties. Aussi bien l'existence de la cause n'est pas tributaire de son rapport quantitatif avec l'obligation qui lui sert de contrepartie. Autrement dit, à raisonner selon une approche classique de la cause, qui conduit à considérer que la cause existe dès lors qu'il existe une contrepartie objective et abstraite à l'obligation, on ne peut considérer que l'obligation est sans cause que dans les hypothèses dans lesquelles elle serait dépourvue de toute contrepartie réelle, et pas dans celles dans lesquelles l'appréciation de l'économie générale du contrat ferait seulement apparaître un défaut d'équivalence entre les obligations.

Aussi bien la jurisprudence, refusant de sanctionner l'absence partielle de cause, est longtemps restée fidèle à l'idée selon laquelle l'obligation de chacun des contractants a une cause dès lors que l'autre partie lui fournit une contrepartie, même si celle-ci est inférieure en valeur à la première (2). Au demeurant, admettre la solution inverse aurait conduit à contourner le refus de sanction de la lésion dont on sait qu'il a valeur de principe.

A côté de cette conception classique, objective, de la cause qui veut donc que la cause existe toutes les fois qu'il existe une contrepartie abstraitement entendue à l'engagement de chacun des contractants, la jurisprudence a, à partir du début des années quatre-vingt-dix, assez profondément fait évoluer le contrôle de l'existence de la cause pour en faire un instrument plus dynamique du contrôle de l'équilibre contractuel, au moyen d'une subjectivisation du contrôle de l'existence de la cause (I). Il semble pourtant, à la lumière des décisions les plus récentes, que la Cour de cassation entende revenir à la conception classique et limiter ainsi le contrôle de l'existence de la cause à un contrôle de l'existence d'une contrepartie entendue objectivement (II).

I - Le temps de la subjectivisation du contrôle de l'existence de la cause

Il y a quelques années, la Cour de cassation a manifestement entendu subjectiviser le contrôle de l'existence de la cause, admettant que la cause puisse consister, concrètement, dans l'intérêt que pouvait présenter le contrat pour les parties, de telle sorte que l'impossibilité d'atteindre le but poursuivi selon l'économie voulue par celles-ci constituerait une absence de cause au sens de l'article 1131 du Code civil. Ainsi, s'agissant de la location de cassettes vidéo pour l'exploitation d'un commerce, la Cour de cassation a-t-elle jugé que "l'exécution du contrat selon l'économie voulue par les parties [étant] impossible, la cour d'appel en a exactement déduit que le contrat était dépourvu de cause, dès lors qu'était constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l'obligation de payer le prix de location des cassettes, souscrite par [les époux] dans le cadre de la convention de création d'un point club vidéo" (3) : la contrepartie à l'obligation du débiteur de payer le prix ne consistait donc pas, objectivement, dans la mise à disposition des cassettes vidéo par le créancier -qui ne faisait d'ailleurs aucun doute- mais, subjectivement, dans l'intérêt que devait présenter le contrat pour le débiteur et sur la base duquel il avait entendu s'engager.

C'est encore au nom de la cause que la Cour de cassation a réputé non écrite une clause limitative de responsabilité au motif qu'elle privait le contrat de sa substance ou de sa cohérence, relevant que "spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s'était engagée à livrer les plis de [l'expéditeur] dans un délai déterminé et qu'en raison du manquement à cette obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l'engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d'appel a violé l'article 1131 du Code civil" (4).

Instrument du contrôle de la cohérence du contrat, la cause a également permis d'introduire "un surplus d'équilibre et de flexibilité" (5) dans le contrat et, partant, d'assurer une sanction du caractère excessif des obligations de l'une des parties eu égard à celles qui lui sont corrélatives. Parmi les nombreux arrêts en ce sens (6), on retiendra ici deux arrêts de la Chambre commerciale par lesquels la Cour de cassation a approuvé l'anéantissement d'un contrat d'approvisionnement exclusif, pour absence de cause au sens de l'article 1131 du Code civil, au motif que l'avantage procuré au fournisseur en contrepartie de l'engagement d'exclusivité était dérisoire, dans des hypothèses pourtant dans lesquelles il était en réalité plutôt question de disproportion entre les obligations et pas tellement, à proprement parler, d'absence de contrepartie, en tout cas au sens objectif du terme (7).

Enfin, et surtout, la cause a paru, récemment encore, permettre d'imposer le maintien de l'équilibre initial du contrat tout au long de son exécution. A la suite, en effet, de quelques arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation qui avaient déjà tenté d'étendre le contrôle de l'existence de la cause de la formation du contrat à son exécution (8), un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29 juin 2010 avait semblé, bien que la portée de la solution ait pu être discutée, confirmer cette tendance (9). Dans cette affaire, une société d'exploitation de chauffage avait conclu en 1998, et pour une durée de douze ans, un contrat de maintenance avec une société S. portant sur deux moteurs d'une centrale de production de cogénération moyennant le paiement d'une redevance forfaitaire annuelle. Mais en cours d'exécution du contrat, une évolution des circonstances économiques avait placé la société S. dans une situation difficile, l'augmentation du prix des pièces de rechange dont elle devait faire l'acquisition pour réaliser les travaux de maintenance auxquels elle était contractuellement tenue ayant été telle que le montant des redevances dues par la société de chauffage lui était apparu très nettement insuffisant. Comme l'on pouvait s'y attendre, cette dernière avait feint d'ignorer ce bouleversement de l'économie du contrat, et avait fait assigner en référé la société S. aux fins qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser les travaux de maintenance prévus contractuellement. Le juge des référés, considérant que l'obligation de révision des moteurs n'était pas sérieusement contestable, avait fait droit à cette demande, ce qu'avait, ensuite, confirmé la cour d'appel de Paris (10) : celle-ci avait en effet relevé qu'il n'était pas allégué que le contrat était dépourvu de cause à la date de sa signature, que l'article 12 du contrat invoqué par la société S. au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat était relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son exécution et que la force majeure ne saurait résulter de la rupture d'équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de la société de chauffage de renégocier les modalités du contrat. Cette décision, somme toute assez classique, avait cependant été cassée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, sous le visa des articles 1131 du Code civil et 873, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A) : la Haute juridiction devait décider "qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'évolution des circonstances économiques et notamment l'augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n'avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société [de chauffage], de déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit par la société S., ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l'obligation dont la société [de chauffage] sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale". Bien que ne réglant, en tant que tel, qu'une question de procédure, l'arrêt du 29 juin 2010, en paraissant admettre la caducité du contrat dans l'hypothèse d'une évolution des circonstances économiques de nature à en déséquilibrer l'économie générale voulue par les parties, pouvait ainsi laisser croire qu'il entendait bien faire de la cause un instrument de contrôle de l'équilibre structurel du contrat tout au long de son exécution.

II - Le temps du retour à un contrôle objectif de l'existence de la cause

Un premier arrêt du 9 juin 2009 témoigne des distances prises par la Cour de cassation avec l'approche subjective et concrète du contrôle de l'existence de la cause telle qu'elle vient d'être évoquée (11). Dans une affaire, en effet, dans laquelle les faits étaient très comparables à ceux qui avaient donné lieu à l'arrêt précité du 3 juillet 1996, une cour d'appel avait relevé qu'en raison des circonstances, "le produit attendu des locations ne pouvait en aucun cas permettre d'assurer l'équilibre financier de l'opération", et décidé ainsi que "le contrat, en l'absence de contrepartie réelle pour l'association, ne pouvait être exécuté selon l'économie voulue par les parties" (12). Or, la Chambre commerciale avait cassé cette décision, sous le visa de l'article 1131 du Code civil au motif "qu'en statuant ainsi, alors que la cause de l'obligation d'une partie à un contrat synallagmatique réside dans l'obligation contractée par l'autre, [elle] a violé le texte susvisé".

Un autre arrêt de la Chambre commerciale, cette fois en date du 23 octobre 2012, avait lui aussi semblé revenir à plus de classicisme (13). En l'espèce, une société M. avait conclu, en 2005, avec une société P. une convention de prestations de service consistant dans la création et le développement de filiales à l'étranger, l'organisation et/ou la participation à des salons professionnels, la définition de stratégie de vente dans les différents pays visés et la recherche de nouveaux clients à l'étranger. A l'occasion d'un litige portant sur le paiement à la société P. de l'indemnité contractuelle de résiliation du contrat, le contrat ayant été résilié en 2005, la cour d'appel de Chambéry, par un arrêt en date du 21 juin 2011, pour rejeter la demande, avait prononcé l'annulation de la convention pour absence de cause au sens de l'article 1131 du Code civil. Elle avait, en effet, considéré que la convention constituait une véritable délégation à la société unipersonnelle P., dont le gérant n'était autre que le directeur général et président du conseil d'administration de la société M., d'une partie de ses attributions en qualité, précisément, de directeur général de cette société et faisait ainsi double emploi avec les fonctions de ce dernier. Le pourvoi, pour contester cette décision, soutenait pourtant que dans les contrats synallagmatiques, l'obligation d'une partie trouve sa cause dans l'obligation de l'autre, qui en constitue la contrepartie, si bien que la cour d'appel, qui avait relevé que le contrat litigieux mettait à la charge de la société P. des obligations déterminées dont la société M. était en droit de demander l'exécution, de sorte que la convention litigieuse comportait des contreparties réciproques et réelles, aurait violé l'article 1131 du Code civil. La Cour de cassation pour rejeter le pourvoi, avait cependant décidé "qu'après avoir relevé qu'aux termes de la convention litigieuse, la société M. avait confié à la société P. les prestations de création et développement de filiales à l'étranger, d'organisation et (ou) de participation à des salons professionnels, de définition des stratégies de vente dans les différents pays visés et de recherche de nouveaux clients à l'étranger, l'arrêt retient qu'une telle convention constitue une délégation à la société unipersonnelle dont M. X est le gérant d'une partie des fonctions de décision, de stratégie et de représentation incombant normalement à ce dernier en sa qualité de directeur général de la société M. et qu'elle fait double emploi, à titre onéreux pour cette société, avec lesdites fonctions sociales ; qu'ayant ainsi fait ressortir que les obligations stipulées à la charge de la société M. étaient dépourvues de contrepartie réelle, la cour d'appel en a exactement déduit [...] que la convention litigieuse était dépourvue de cause et devait en conséquence être annulée".

Cette approche tout à fait classique qui consiste à identifier la cause de l'obligation dans l'existence d'une contrepartie objective se retrouve encore dans deux arrêts récents de la Chambre commerciale des 11 et 18 mars 2014 (14). Dans le premier, pour obtenir la nullité d'un contrat de distribution, un distributeur prétendait que son engagement d'approvisionnement minimum, en l'occurrence d'environ 260 000 euros pour la durée du contrat, était dépourvu de cause au regard de la modicité de l'engagement souscrit en contrepartie par son cocontractant, qui consistait dans la mise à disposition d'un mobilier de terrasse d'une valeur déclarée de 6 000 euros environ. La Cour de cassation, pour approuver la cour d'appel de ne pas avoir accueilli la demande, énonce que dès lors que les juges du fond avaient relevé que "le contrat contenait des obligations réciproques, puisqu'en échange de son approvisionnement en boissons, le revendeur se voyait mettre à disposition un mobilier de terrasse et retenu que l'avantage procuré ne s'évalue pas seulement au travers de considérations quantitatives mais également qualitatives", ils avaient pu "déduire de ces constatations et appréciations souveraines que le contrat n'était pas dépourvu de cause". Dans le second arrêt, celui du 18 mars 2014, il était question d'un contrat par lequel une société avait concédé à une autre une licence d'exploitation de sa marque en contrepartie d'une redevance annuelle.

Or, en raison d'un changement imprévisible des circonstances, le contrat était devenu profondément déséquilibré, si bien que le concessionnaire avait cessé de payer la redevance en soutenant que le contrat était devenu caduc.

La Cour de cassation approuve les premiers juges d'avoir rejeté la demande au motif que "la cause de l'obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d'appel, appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat".

Sans doute, dans ces deux arrêts, la Cour de cassation renvoie-t-elle au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Il n'en reste pas moins qu'elle paraît bien exprimer son attachement à une approche très classique du contrôle de l'existence de la cause : d'abord en ce que, à les suivre, la cause semble bien consister dans l'existence d'une contrepartie objective à l'obligation, de telle sorte que le déséquilibre concret entre les prestations n'est pas de nature, en tant que tel, à caractériser une absence de cause (d'où la mention suivant laquelle "l'avantage procuré ne s'évalue pas seulement au travers de considérations quantitatives mais également qualitatives") ; ensuite en ce que le contrôle de l'existence de la cause ne doit porter que sur l'existence d'une contrepartie au moment de la formation du contrat, rejetant ainsi toute prétendue exigence de pérennité de la cause tout au long de son exécution (d'où la mention suivant laquelle "la cause de l'obligation [constitue] une condition de la formation du contrat"). Serait-ce qu'à une époque où s'annonce une réforme du droit des contrats, et où certains auteurs militent pour la disparition de cette "exception française" que constituerait la théorie de la cause, la Cour de cassation entende en limiter le rayonnement ? A suivre...


(1) En ce sens, voir H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, T. II, vol. 1, Obligations, Théorie générale, 9ème éd. par F. Chabas, 1998, Montchrestien, n° 255, p. 262.
(2) F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, n° 333. Pour des illustrations, voir not. CA Douai, 2 juillet 1951, D., 1952, p. 127, note R. Savatier ; Cass. com., 23 juin 1958, Bull. civ. IV, n° 269 ; Cass. civ. 1, 5 décembre 1995, n° 93-19.874 (N° Lexbase : A6130ABN), Bull. civ. I, n° 452 ; Cass. civ. 1, 4 juillet 1995, n° 93-16.198 (N° Lexbase : A7848ABB), Bull. civ. I, n° 303.
(3) Comp., décidant que, "s'agissant de la location de cassettes vidéo pour l'exploitation d'un commerce, l'exécution du contrat selon l'économie voulue par les parties était impossible, la cour d'appel en a exactement déduit que le contrat était dépourvu de cause, dès lors qu'était ainsi constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l'obligation de payer le prix de location des cassettes, souscrite par M. et Mme Y... dans le cadre de la convention de création d'un point club vidéo", Cass. civ. 1, 3 juillet 1996 n° 94-14.800 (N° Lexbase : A8518AB4), Bull. civ. I, n° 286, D., 1997, p. 500, note Ph. Reigné.
(4) Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632 (N° Lexbase : A2343ABE), Bull. civ. IV, n° 261.
(5) D. Mazeaud, note sous Cass. civ. 1, 10 février 1998, n° 96-13.316 (N° Lexbase : A2237ACT), Bull. civ. I, n° 53, D., 1998, p. 539.
(6) Voir not. Cass. civ. 1, 11 mai 1999 n° 97-14.493 (N° Lexbase : A3413AUX), Rép. Defrénois 1999, p. 992, obs. D. Mazeaud, Contrats, conc. consom., 1999, n° 137, obs. L. Leveneur : cassation pour manque de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil une décision des juges du fond qui avait considéré comme licite une clause de non-concurrence "sans rechercher si cette clause était proportionnée aux intérêts légitimes à protéger" ; Cass. com., 27 mars 2001, n° 98-14.518 (N° Lexbase : A0933ATQ), cassant pour violation de l'article 1131 du Code civil, un arrêt d'appel qui avait débouté une société, liée à une autre par un contrat d'affacturage, qui, contestant les méthodes de facturation de cette dernière, lui reprochait notamment d'appliquer aux chèques et effets de commerce qu'elle recevait pour encaissement "des délais de valeurs excessifs".
(7) Cass. com., 14 octobre 1997, n° 95-14.285 (N° Lexbase : A2630CTL) et Cass. com., 8 février 2005, n° 03-10.749, F-P+B (N° Lexbase : A6889DGA), Bull. civ. IV, n° 21, Rép. Defrénois 1998, p. 1042, obs. D. Mazeaud, et Contrats, conc. consom., 2005, n° 104, obs. L. Leveneur.
(8) Cass. civ. 1, 12 juillet 2006, n° 04-13.204, FS-P+B (N° Lexbase : A4273DQC) ; Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.646, FS-P+B (N° Lexbase : A0620EBL), RDC, 2009, p. 49, obs. D. Mazeaud.
(9) Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-67.369, F-D (N° Lexbase : A6845E3W).
(10) CA Paris, 14ème Ch., sect. B, 27 mars 2009, n° 08/18747 (N° Lexbase : A6311EEH)
(11) Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-11.420, F-D (N° Lexbase : A0640EIK), RTDCiv., 2009, p. 719, obs. B. Fages.
(12) CA Bordeaux, 1ère Ch., 29 novembre 2007, n° 04/02617 (N° Lexbase : A5424EA7)
(13) Cass. com., 23 octobre 2012, n° 11-23.376, F-P+B (N° Lexbase : A0595IWX).
(14) Cass. com., 11 mars 2014, n° 12-29.820, F-P (N° Lexbase : A9373MGA) et Cass. com., 18 mars 2014, n° 12-29.453, F-P ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 15270641, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. com., 18-03-2014, n\u00b0 12-29.453, F-D, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A7374MHL"}}), D., 2014, p. 1915, note D. Mazeaud.

newsid:444240

Contrat de travail

[Brèves] Absence de contrepartie financière d'une clause de confidentialité qui ne porte pas atteinte au libre exercice par le salarié d'une activité professionnelle

Réf. : Cass. soc., 15 octobre 2014 n° 13-11.524, FS-P+B (N° Lexbase : A6493MY7)

Lecture: 1 min

N4286BUB

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Le 24 Octobre 2014

N'ouvre pas droit à une contrepartie financière la clause qui ne porte pas atteinte au libre exercice par le salarié d'une activité professionnelle, mais qui se borne à imposer la confidentialité des informations détenues par lui et concernant la société. Telle est la décision dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 15 octobre 2014 (Cass. soc., 15 octobre 2014 n° 13-11.524, FS-P+B N° Lexbase : A6493MY7). Dans cette affaire, M. D. engagé en novembre 1978 par la société S. appartenant au groupe E., a travaillé, à compter du 31 août 2001, pour la société A., qui fait partie du même groupe en qualité de directeur marketing-division explosifs industriels, son contrat de travail comprenant une clause de discrétion. Il a été licencié pour motif économique par lettre du 19 février 2009. Le salarié estimait que l'atteinte portée à liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle justifiait l'existence d'une contrepartie financière, l'obligation de discrétion qui lui avait été imposée dans son contrat de travail l'empêchant en réalité, à l'instar d'une clause de non concurrence, de retrouver un emploi dès lors d'une part, qu'il avait toujours travaillé dans le même domaine d'activité sur lequel il y avait très peu d'intervenants et d'autre part, que cette atteinte était d'autant plus importante que ladite obligation n'était limitée ni dans le temps, ni dans l'espace. La cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 3ème ch., 4 décembre 2012, n° S 11/01115 N° Lexbase : A1215IYN) avait estimé que cette clause n'empêchait pas le salarié de trouver un emploi et avait débouté le salarié de sa demande au titre de la clause de discrétion. M. D. s'était alors pourvu en cassation. La Haute juridiction rejette le pourvoi aux motifs que la clause litigieuse ne portait pas atteinte au libre exercice par le salarié d'une activité professionnelle, mais se bornait à imposer la confidentialité des informations qu'il détenait, et n'ouvrait donc pas droit à une contrepartie financière (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E8790ESD).

newsid:444286

Entreprises en difficulté

[Brèves] Liquidation judiciaire avec maintien provisoire de l'activité : l'administrateur peut demander à utiliser les fonds déposés à la CDC dans le cadre du plan de continuation

Réf. : Cass. com., 14 octobre 2014, n° 13-13.994, F-P+B (N° Lexbase : A6481MYP)

Lecture: 2 min

N4323BUN

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Le 31 Octobre 2014

Peuvent faire l'objet de l'autorisation de remise à l'administrateur judiciaire prévue par l'article L. 641-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L7330IZI) tout ou partie des fonds non affectés du débiteur en liquidation judiciaire ; tel est le cas des sommes versées par le débiteur au titre des dividendes prévus par le plan de continuation auquel il était soumis, non encore réparties par le commissaire à l'exécution du plan au jour de la résolution de ce plan et dont le dépôt a été judiciairement ordonné. Tel est le principe énoncé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 14 octobre 2014 (Cass. com., 14 octobre 2014, n° 13-13.994, F-P+B N° Lexbase : A6481MYP). Une société (la débitrice) ayant été mise en redressement judiciaire le 6 octobre 2005, un jugement du 14 septembre 2006 a arrêté son plan de continuation, prévu l'apurement du passif en dix annuités à acquitter par versements d'acomptes mensuels égaux déposés sur un compte spécifique ouvert à la Caisse des dépôts et consignations par le commissaire à l'exécution du plan et chargé ce dernier de la répartition des annuités entre les créanciers. Le 16 septembre 2010, le tribunal a constaté la cessation des paiements de la débitrice, résolu le plan de continuation, ouvert une liquidation judiciaire avec maintien provisoire de l'activité et nommé un administrateur judiciaire. Par ordonnance du 28 octobre 2010, le juge-commissaire a autorisé l'administrateur judiciaire, à sa demande, à utiliser les fonds déposés à la CDC dans le cadre du plan de continuation. Le liquidateur a relevé appel du jugement ayant confirmé l'ordonnance. La cour d'appel fait droit à la demande du liquidateur : elle rétracte l'ordonnance du 28 octobre 2010 et rejette la requête de l'administrateur judiciaire (CA Bordeaux, 15 janvier 2013, n° 12/00045 N° Lexbase : A1288I34). En effet, aux termes de l'article L. 641-10 du Code de commerce, l'administrateur qui ne dispose pas des sommes nécessaires à la poursuite de l'activité peut, sur autorisation du juge-commissaire, se les faire remettre par le liquidateur. Ainsi, selon les juges d'appel, si les fonds litigieux consignés à la CDC et constitués des versements effectués par la débitrice pour payer les créanciers conformément à l'échéancier prévu par le plan n'avaient pas encore été distribués par le commissaire à l'exécution du plan, ils étaient néanmoins sortis du patrimoine de la débitrice et ne pouvaient en conséquence être considérés comme des actifs. Mais énonçant le principe précité, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa des articles L. 626-27 (N° Lexbase : L7300IZE) et L. 641-10 du Code de commerce, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L2777ICT ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E4602EUY).

newsid:444323

Impôts locaux

[Brèves] Taxe foncière sur les propriétés bâties : choix de la méthode d'évaluation de la valeur cadastrale

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 octobre 2014, n° 364695, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6668MYM)

Lecture: 1 min

N4255BU7

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Le 28 Octobre 2014

Dans le cas où le juge de l'impôt retient une évaluation par comparaison, il doit statuer d'office sur le terme de comparaison qu'il estime, par une appréciation souveraine, pertinent et dont il a vérifié la régularité, au vu des éléments dont il dispose ou qu'il a sollicités par un supplément d'instruction. Néanmoins, il ne lui appartient pas, en l'absence de contestation sur les éléments au dossier portant sur le terme de comparaison qu'il envisage de retenir, de vérifier d'office si ce local-type remplit l'ensemble des conditions de régularité posées par le 2° de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT), relatif à la détermination de la valeur locative par comparaison. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 15 octobre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 15 octobre 2014, n° 364695, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6668MYM). En l'espèce, une SARL a été assujettie à des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères au titre des années 2004 à 2008 pour un immeuble à usage de bureaux. L'administration, saisie d'une réclamation contentieuse relative à ces impositions, a, après avoir initialement déterminé la valeur locative de cet immeuble par comparaison, fait application de la méthode de l'évaluation directe, au détriment de la SARL. Cependant, le tribunal administratif de Versailles, par un jugement du 6 novembre 2012, saisi alors par la SARL, a procédé à l'évaluation de l'immeuble par comparaison, ce qui a permis de partiellement décharger la société des impositions en litige. Le Conseil d'Etat a donné raison à la SARL car l'administration ne contestait ni la régularité de cette évaluation, ni les mentions figurant au procès-verbal des opérations de révision foncière de la commune ayant servie de comparaison. Ainsi, le tribunal n'avait pas à rechercher, en procédant à un supplément d'instruction, si ce local-type avait lui-même été évalué par comparaison avec un immeuble loué à des conditions normales .

newsid:444255

Marchés de partenariat

[Brèves] Confirmation du rejet du recours contre le contrat de partenariat relatif à la construction du nouveau palais de justice de Paris

Réf. : CE 7° s-s., 15 octobre 2014, n° 380918 (N° Lexbase : A4472MYB)

Lecture: 2 min

N4228BU7

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Le 23 Octobre 2014

Dans une décision rendue le 16 octobre 2014, le Conseil d'Etat a confirmé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, Plèn., 3 avril 2014, n° 13PA02769 N° Lexbase : A4064MID) rejetant le recours contre le contrat de partenariat relatif à la construction du nouveau palais de justice de Paris (CE 7° s-s., 15 octobre 2014, n° 380918 N° Lexbase : A4472MYB). Le 15 février 2012, l'Etablissement public du palais de justice de Paris (EPPJP), placé sous la tutelle du ministère de la Justice, et la société X ont signé un contrat de partenariat public-privé (PPP) portant sur la conception, la construction, le financement, l'entretien et la maintenance du futur palais de justice de Paris dans ZAC de Clichy-Batignolles, projet contesté, notamment, par une association souhaitant le maintien du tribunal de grande instance de Paris sur l'Ile de la Cité. En 2013, le tribunal administratif de Paris a considéré que l'association ne présentait pas un intérêt à agir contre ces actes. Par l'arrêt ici attaqué, la cour administrative d'appel avait, au contraire, admis la validité du choix de l'EPPJP de recourir à un PPP, qui constitue une dérogation au droit commun de la commande publique réservée aux seules situations répondant à des motifs d'intérêt général énumérés à l'article 2 de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 (N° Lexbase : L2584DZQ), ayant institué ces contrats. Elle avait, notamment, estimé que la procédure préalable à la signature du contrat de partenariat n'était entachée d'aucun vice en justifiant l'annulation, et que les conditions de fond auxquelles la loi subordonne le recours à la procédure du contrat de partenariat étaient, en l'espèce, remplies. Dans la présente décision, le Conseil d'Etat a refusé d'admettre leur pourvoi en cassation en utilisant la procédure d'admission des pourvois en cassation prévue par l'article L. 822-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3305ALY), qui permet de rejeter dans un délai plus court, sans avoir communiqué le pourvoi au défendeur, un pourvoi qui n'a aucune chance d'aboutir, notamment lorsque ce pourvoi "n'est fondé sur aucun moyen sérieux". Il a estimé, au vu de l'argumentation dont il était saisi, que les conditions permettant de recourir à cette procédure étaient, en l'espèce, réunies.

newsid:444228

Pénal

[Brèves] Suppression des peines planchers : application des nouvelles dispositions de la loi "Taubira"

Réf. : Cass. crim., 14 octobre 2014, n° 13-85.779, F-P+B+I (N° Lexbase : A4492MYZ)

Lecture: 1 min

N4226BU3

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Le 23 Octobre 2014

Les dispositions d'une loi nouvelle s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. Ainsi, les nouvelles dispositions de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (N° Lexbase : L0488I4T ; lire N° Lexbase : N3556BUA), consacrant la suppression des peines planchers, doivent être appliquées à la situation de toute personne non encore condamnée. Telle est la solution retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 14 octobre 2014 (Cass. crim., 14 octobre 2014, n° 13-85.779, FS-P+B+I N° Lexbase : A4492MYZ ; voir sur l'application immédiate de la loi nouvelle moins sévère, Cass. crim., 20 mars 2001, n° 00-84.384 N° Lexbase : A2855AYE). Selon les faits, pour prononcer à l'encontre de M. X, la peine minimale d'un an d'emprisonnement prévue par l'article 132-19-1 du Code pénal (N° Lexbase : L8955HZP), en raison de la nature du délit poursuivi et de l'état de récidive du prévenu, la cour d'appel a retenu que le casier judiciaire de M. X fait mention de neuf condamnations, notamment pour des faits de même nature. Etant en état de récidive légale, il encourt la peine plancher prévue à l'article 132-19-1 du Code pénal. La Haute juridiction annule la décision de ce chef car la situation du prévenu n'a pas été examinée au regard de l'article 7 de la loi du 15 août 2014 susvisée, portant abrogation de l'article 132-19-1 du Code pénal à compter du 1er octobre 2014, date d'entrée en vigueur de ce texte. Elle décide qu'il y a lieu de procéder à un nouvel examen de l'affaire au regard de ces dispositions plus favorables .

newsid:444226

Procédure administrative

[Evénement] Les recours administratifs préalables - Compte rendu de la conférence des Universités d'été de l'Ecole des avocats Aliénor du 29 août 2014

Lecture: 15 min

N4238BUI

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 24 Octobre 2014

Dans le cadre des Universités d'été de l'Ecole des avocats Aliénor qui se sont déroulées à Arcachon les 29 et 30 août 2014 et qui avaient pour thème "Les modes alternatifs de règlement des litiges", s'est tenue une conférence animée par Jean-François Brisson, Professeur à l'Université de Bordeaux sur "les recours administratifs préalables". Les éditions juridiques Lexbase, présentes à cet évènement, vous en proposent un compte rendu. I - Le cadre général des recours administratifs préalables

A - Un objet contentieux

Pour qu'il y ait recours administratif préalable, il faut que cette démarche soit une réclamation ou une contestation formée contre une décision de l'administration. L'intérêt du recours administratif préalable est d'interrompre le temps du délai contentieux. Ainsi, une lettre ne contenant aucune conclusion tendant à l'annulation d'un décret ne présente donc pas le caractère d'un recours gracieux ayant conservé le délai du recours contentieux contre ce décret (CE 1° et 4° s-s-r., 21 mai 1986, n° 48495, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4733AMA). Dans la pratique, les tribunaux sont plutôt conciliants et requalifient souvent la réclamation de façon à révéler un objet contentieux. En outre, une part de casuistique est toujours présente dans l'appréciation du juge administratif. Concernant un recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision relative à une allocation, l'article L. 262-47 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L1962IYC) exigeant que toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active (RSA) fasse l'objet, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, d'un recours administratif auprès du président du conseil général, une demande de remise ou de réduction d'indu de RSA doit être regardée comme le recours administratif préalable obligatoire et définit l'office du juge saisi de la décision relative à cette demande (CE, 1° et 6° s-s-r., 23 mai 2011, n° 344970 et n° 345827, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5853HSL).

La distinction entre la demande préalable (qui lie le contentieux) et le recours préalable a eu tendance à s'estomper avec la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE), dont l'article 18 énonce que "sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives [...]". Cette évolution était, d'ailleurs, à rebours de la jurisprudence du Conseil d'Etat beaucoup plus restrictive selon laquelle de nombreuses garanties d'information ne s'appliquent pas aux recours administratifs préalables : "la circonstance que l'existence de ce recours obligatoire n'ait pas été indiquée clairement dans la notification de l'arrêté attaqué, si elle empêchait que cette notification fasse courir le délai du recours contentieux à l'encontre de cet arrêté, est sans incidence sur la recevabilité de la demande présentée directement devant le tribunal administratif" (CE 1° et 2° s-s-r., 3 mai 2002, n° 224565, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6351AYU). La question se pose de l'appréhension par le système juridique français de ces recours. Depuis 1889, le Conseil d'Etat, par l'arrêt "Cadot" et l'abandon de la "théorie du ministre juge" (CE, Sect., 13 décembre 1889, n° 66145, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9731B7K), a affirmé qu'il était compétent pour connaître directement de tout recours en annulation dirigé contre une décision administrative, sauf si un texte en dispose autrement de façon expresse. Jusqu'alors, il n'était directement compétent pour connaître d'un recours en annulation que dans la mesure où un texte l'avait expressément prévu. A défaut, les ministres disposaient de la compétence générale pour se prononcer sur les recours dirigés contre les décisions administratives.

A partir des années 70 et 80, l'on a assisté à une modification de la perception du recours administratif en raison, notamment, de la naissance des notions de transparence et de démocratie administrative sous influence des pays étrangers, mais aussi de l'engorgement des juridictions administratives. Deux alternatives étaient alors possibles : soit réorganiser l'administration afin que celle-ci attire directement les réclamations, soit, choix finalement retenu, instituer les recours administratifs obligatoires, après une expérimentation plutôt favorable en matière fiscale (malheureusement non transposable dans le contentieux de la légalité), ce qui présentait aussi l'avantage pour les supérieurs hiérarchiques d'avoir un oeil sur ce qui se passe dans leurs services.

B - La distinction des recours administratifs et des demandes adressées à l'administration

La conciliation, la médiation, l'arbitrage, font intervenir un tiers, alors que le recours administratif préalable fait intervenir un juge ou un supérieur hiérarchique. En matière de conciliation, dans le domaine sportif (C. sport, art. L. 141-4 N° Lexbase : L5093IML et R. 141-5 N° Lexbase : L8136HZD), le contentieux doit résulter d'une décision prise soit dans le cadre de l'exercice de prérogatives de puissance publique, soit pour l'application des statuts fédéraux ; le demandeur doit avoir un intérêt direct et personnel à agir et le conciliateur fait une proposition de conciliation qui est purement indicative (voir le comité de règlement amiable des marchés publics). Le médiateur, à la différence du conciliateur, va proposer une solution alors que le conciliateur va essayer de rapprocher les points de vue.

La transaction connaît deux sortes de procédures : la transaction en cours d'instance, dans laquelle le juge administratif va contrôler le contenu de la transaction avant de l'homologuer et la transaction en dehors de toute instance. Sous réserve que la transaction ait pour objet le règlement ou la prévention de litiges pour le jugement desquels la juridiction administrative serait compétente, le juge saisi de conclusions recevables tendant à l'homologation de cette transaction vérifie que les parties consentent effectivement à la transaction, que l'objet de cette transaction est licite, qu'elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité et qu'elle ne méconnaît pas d'autres règles d'ordre public (CE avis, 6 décembre 2002, n° 249153, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4627A47). Pour les pouvoirs publics, la recherche d'une solution amiable pouvant conduire à la conclusion d'une transaction doit être envisagée dans tous les cas où elle permet d'éviter un contentieux inutile et coûteux, tant pour l'administration que pour les personnes intéressées (circulaire du 6 avril 2011, relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits N° Lexbase : L9314IPN).

En 2008, à la demande du Premier ministre, le Conseil d'Etat a réalisé une étude sur les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO). Ce type de recours désigne l'ensemble des procédures par lesquelles une personne, souhaitant contester une décision administrative qui lui est défavorable, est tenue de former un recours devant l'autorité administrative préalablement à toute saisine du juge, généralement administratif. Les RAPO se sont développés spécialement dans quatre domaines : le droit des étrangers (en particulier les demandes de visas), le permis de conduire (en matière de retrait de points), la fonction publique civile et l'administration pénitentiaire. Ce rapport fait suite à un mouvement important inauguré par une loi du 31 décembre 1987 (loi n° 87-1127, portant réforme du contentieux administratif N° Lexbase : L4990A8C, dont l'article 13 énonçait que "des décrets en Conseil d'Etat déterminent dans quelles conditions les litiges contractuels concernant l'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que les actions mettant en jeu leur responsabilité extracontractuelle sont soumis, avant toute instance arbitrale ou contentieuse, à une procédure préalable soit de recours administratif, soit de conciliation"), laquelle n'a pas eu de décrets d'application. La loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU), via son article 23, a elle aussi créé un RAPO concernant les militaires. La loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), a institué de manière expérimentale un RAPO à destination des agents publics jusqu'à juin 2014.

La mise en place du RAPO s'est accompagnée de quelques difficultés. Ainsi, il a été jugé en 2007 que la décision par laquelle le ministre de la Défense rejette la demande d'un ancien militaire sous contrat tendant au versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi n'est pas au nombre des actes relatifs à la situation personnelle des militaires ; elle n'a donc pas à faire l'objet d'un recours administratif préalable au recours contentieux devant la commission des recours des militaires (CE 2° et 7° s-s-r., 2 mars 2007, n° 291201, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4308DU4). En 2006, la Haute juridiction estimait que "les dispositions législatives ou réglementaires prévoyant devant les instances ordinales une procédure obligatoire de recours administratif préalablement à l'intervention d'une juridiction doivent être interprétées comme s'imposant alors à peine d'irrecevabilité du recours contentieux à toute personne justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour introduire ce recours contentieux, une procédure de recours administratif préalable n'est susceptible de s'appliquer qu'aux personnes qui sont expressément énumérées par les dispositions qui en organisent l'exercice" (CE, Sect., 10 mars 2006, n° 278220, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4916DNE) ; cette solution est d'application générale sauf en ce qui concerne les juridictions ordinales (CE 4° et 5° s-s-r., 28 septembre 2005, n° 266208, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6079DKD) et a donné lieu à une modification du Code de commerce pour viser dorénavant également les tiers.

II - L'examen des recours par l'administration

A - Les droits et garanties offertes aux administrés auteurs d'un recours préalable

La motivation des décisions de rejet

Aux termes de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (N° Lexbase : L8803AG7), modifiée par la loi du 17 mai 2011 précitée, "doivent également être motivées les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement". En cas de silence de l'administration, le requérant est en droit de demander communication séparée des motifs.

L'assistance d'un avocat

La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), indique, à son article 6, que "les avocats peuvent assister et représenter autrui devant les administrations publiques [...]". Il en découle que les avocats ont qualité pour représenter leurs clients devant les administrations publiques sans avoir à justifier du mandat qu'ils sont réputés avoir reçu de ces derniers dès lors qu'ils déclarent agir pour leur compte (CE 3° et 8° s-s-r., 5 juin 2002, n° 227373, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8675AYX).

L'obligation de transmission du recours par l'autorité saisie à tort

Dès lors qu'une autorité saisie n'a pas compétence pour traiter la demande et n'est pas au nombre des autorités administratives astreintes à l'obligation de transmission à l'autorité compétente, prévue à l'article 20 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, elle est tenue de rejeter la demande dont elle est saisie (CE 8° s-s., 12 mars 2003, n° 237613, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5523A7P). En outre, la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations n'étant pas applicable aux établissements publics à caractère industriel et commercial, le Premier ministre n'a pas à renvoyer la demande aux établissements compétents (CE 2° et 7° s-s-r., 7 mai 2008, n° 299013, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4292D8H).

L'obligation d'accuser réception du recours

Il résulte de la combinaison des articles 18 et 19 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, que le délai de recours ne court à l'encontre d'une telle décision implicite que si le recours gracieux ou hiérarchique, adressé après cette date, a fait l'objet d'un accusé de réception comportant les mentions exigées par les clauses règlementaires (CE 3° et 8° s-s-r., 19 février 2003, n° 243427, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2706A7D). Toutefois, cette obligation ne s'applique pas aux relations entre les autorités administratives et leurs agents (CE 6° s-s., 13 février 2008, n° 300344, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9152D4Q). Elle ne s'applique pas non plus dans le cas d'un recours administratif formé par un tiers à l'encontre d'une autorisation individuelle créant des droits au profit de leurs bénéficiaires (CE, Sect., 15 juillet 2004, n° 266479, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3962KR8).

L'examen contradictoire du recours

La loi 12 avril 2000 ne combine pas l'examen contradictoire du recours avec l'obligation de motiver. Ainsi, la décision d'un préfet rejetant la demande de révision du dossier droits à paiement intervenue à la suite du recours gracieux formé à l'encontre d'une décision précédente statue sur une demande au sens de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, ce qui implique qu'il n'avait pas à motiver cette décision (CAA Bordeaux, 4ème ch., n° 08BX01366, 25 mars 2010, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6338EXZ, voir dans le même sens, CAA Bordeaux, 6ème ch., n° 09BX02217, 13 avril 2010, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0993MYG).

B - Les droits et prérogatives offerts aux autorités administratives agissant sur recours préalable

Le retrait et l'abrogation de la décision contestée

L'autorité administrative peut rejeter le recours en s'apercevant que la décision est illégale et donc être tentée de régulariser celle-ci, notamment si elle a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière. Elle peut faire aussi faire droit au recours et procéder au retrait ou à l'abrogation de la décision. Un arrêt "Ternon" de 2001 (CE, Ass., 26 octobre 2001, n° 197018, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1913AX7) a précisé que, "sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision". En 2009, c'est l'arrêt "Coulibaly" qui a délivré la marche à suivre en matière d'abrogation des actes administratifs créateurs de droits, désormais conditionnée (CE, Sect., 6 mars 2009, n° 306084, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6905ED4) et complétant les arrêts "Soulier" (CE, Sect., 6 novembre 2002, n° 223041, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7473A38) et "Portalis" (CE, Sect., 14 mars 2008, n° 283943, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3803D7Y) par laquelle la Haute juridiction administrative avait reconnu à l'autorité administrative un pouvoir d'abrogation particulièrement important puisque non limité dans le temps. En outre, l'autorité administrative peut légalement, dans le délai de recours contentieux, rapporter une décision implicite de rejet illégale créatrice de droits (CE 4° et 5° s-s-r., 26 janvier 2007, n° 284605, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7085DTL).

En matière de décisions pécuniaires, l'arrêt "Soulier" précité avait indiqué "qu'une décision administrative accordant un avantage financier crée des droits au profit de son bénéficiaire alors même que l'administration avait l'obligation de refuser cet avantage ; qu'en revanche, n'ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d'une décision prise antérieurement" (voir dans le même sens, une décision "Fontenille" de 2009, CE, Sect., 12 octobre 2009, n° 310300, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0756EMX : le maintien indu du versement d'un avantage financier à un agent public, alors même que le bénéficiaire a informé l'ordonnateur qu'il ne remplit plus les conditions de l'octroi de cet avantage, n'a pas le caractère d'une décision accordant un avantage financier et constitue une simple erreur de liquidation). Dans un avis rendu le 28 mai 2014, le Conseil d'Etat a ensuite indiqué que l'administration n'a pas l'obligation de verser à l'agent public les sommes dues en application d'une décision illégale octroyant une rémunération à cet agent et ne pouvant plus être retirée (CE 2° et 7° s-s-r., 28 mai 2014, n° 376501, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6384MP7). En matière de RAPO, ces règles ne sont pas applicables car l'on considère sue la décision du supérieur hiérarchique se substitue à la décision de l'autorité initiale et l'absorbe : dès lors, la décision initiale disparaît (CE 2° et 7° s-s-r., 8 juillet 2005, n° 264366, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0007DKH).

La régularisation de la décision contestée

Il a été jugé que, si l'exercice d'un recours administratif préalable obligatoire a pour but de permettre à l'autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur le recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité. En l'espèce, la décision du ministre ne purge pas de ses vices la décision initiale et doit présenter des garanties équivalentes, sous peine de se voir elle-même contestée (CE, Sect., 18 novembre 2005, n° 270075, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6324DLS). Lorsque le ministre ne peut remédier à l'irrégularité de la procédure ayant donné lieu à la décision initiale, il lui incombe de rapporter celle-ci "et d'ordonner qu'une nouvelle procédure, exempte du vice qui l'avait antérieurement entachée, soit suivie" (CE 9° et 10° s-s-r., 29 juin 2011, n° 327693, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5670HUK).

III - L'articulation des recours administratifs et juridictionnels

A - La préservation de l'accès au juge

L'interruption sous délai du recours contentieux

Le recours administratif proroge le délai contentieux. Si le recours est formé dans le délai de deux mois, il interrompt le recours contentieux qui va recommencer à courir à partir du moment où l'autorité prend sa décision (s'ouvre alors un nouveau délai de deux mois) (CE, Sect., 3 décembre 2004, n° 260786, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1097DED). En l'absence d'indication par les dispositions applicables du délai dans lequel doit être formé, à l'encontre d'une décision administrative, un recours administratif préalable obligatoire, ce délai est le délai de recours contentieux de droit commun de deux mois (CE 9° et 10° s-s-r., 26 janvier 2011, n° 318515, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7469GQP). En outre, un demandeur, qui n'avait pas établi devant le tribunal administratif avoir exercé dans le délai de recours posé par l'article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8421GQX) un recours gracieux contre la décision dont il demandait l'annulation et avait vu sa demande rejetée comme tardive, peut apporter la preuve d'une telle formalité en appel (CE 1° et 6° s-s-r., 18 novembre 2011, n° 340181, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9273HZH). Enfin, lorsque, dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre d'une décision administrative, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés (CE 4° et 5° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 322581, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0786EM3).

La coordination du RAPO avec le référé-suspension

Il est possible d'introduire une demande de suspension d'une décision soumise à un recours administratif préalable obligatoire, sans que ce dernier ait lui-même un caractère suspensif. La suspension peut être demandée au juge des référés sans attendre que l'administration ait statué sur le recours préalable, dès lors que l'intéressé a justifié, en produisant une copie de ce recours, qu'il a engagé les démarches nécessaires auprès de l'administration pour obtenir l'annulation ou la réformation de la décision contestée (CE, Sect., 12 octobre 2001, n° 237376, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1529AXW).

B - La fixation de l'instance

L'immutabilité des conclusions

Un recours gracieux dirigé contre certaines dispositions d'un décret n'a pu, dès lors, conserver le délai de recours contentieux en ce qui concerne les autres dispositions du décret. Ainsi, les conclusions dirigées contre lesdites dispositions sont tardives et par suite irrecevables (CE 1° et 4° s-s-r., 7 mai 1993, n° 121131, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9558AMX).

La substitution des décisions

La décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale ; elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Si l'exercice d'un tel recours a pour but de permettre à l'autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur le recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité. Le requérant qui entend contester cette dernière décision peut invoquer devant le juge, jusqu'à la clôture de l'instruction, tout moyen de droit nouveau, alors même qu'il n'aurait pas été invoqué à l'appui du recours administratif contre la décision initiale, dès lors que ces moyens sont relatifs au même litige que celui dont avait été saisie l'autorité administrative (CE 2° et 7° s-s-r., 21 mars 2007, n° 284586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7305DU4).

La cristallisation du débat contentieux

De manière générale, il n'existe pas de cristallisation du débat contentieux (sauf dans le cas de l'immutabilité des conclusions) : on n'est pas tenu devant le juge par les arguments développés devant l'administration. En matière de RAPO, il n'y a pas d'obligation de contestation devant le juge de la première décision mais uniquement la décision rendue par l'administration sur recours. Si la décision est annulée, la décision est renvoyée devant l'autorité initiale qui doit à nouveau statuer. Dans le cas d'un recours administratif facultatif, il faut demander l'annulation des deux décisions, à savoir la décision initiale et la décision implicite de refus du recours.

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Procédure administrative

[Brèves] L'irrégularité tirée du fait que le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions sur un litige ne relevant pas de certains contentieux n'est pas pas d'ordre public

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 15 octobre 2014, n° 365074, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6671MYQ)

Lecture: 1 min

N4300BUS

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Le 24 Octobre 2014

Il n'appartient pas au juge d'appel ou de cassation, dans un cas où le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions sur un litige ne relevant pas des contentieux mentionnés à l'article R. 732-1-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L0864IYN) (permis de conduire, refus de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice, naturalisation, etc.), de relever d'office l'irrégularité de la procédure ainsi suivie, relève le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 15 octobre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 15 octobre 2014, n° 365074, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6671MYQ). En l'espèce, le requérant soutenait, pour critiquer la régularité de la procédure suivie devant les juges du fond, que la décision de dispenser le rapporteur public de prononcer des conclusions n'avait pas été notifiée aux parties préalablement à l'audience, contrairement à ce que prescrit l'article R. 711-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L4863IRK). Le Conseil d'Etat ne pouvait donc se prononcer sur ce moyen, sans méconnaître lui-même le champ d'application des dispositions de l'article R. 732-1-1, en ne relevant pas que le litige soumis au tribunal administratif n'était pas au nombre de ceux sur lesquels le rapporteur public pouvait être dispensé de prononcer des conclusions (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E3740EXS).

newsid:444300

Procédure pénale

[Brèves] Admission de la géolocalisation d'un véhicule volé et faussement immatriculé sans l'autorisation d'un juge

Réf. : Cass. crim., 15 octobre 2014, n° 14-85.056, F-P+B+I (N° Lexbase : A6645MYR)

Lecture: 2 min

N4285BUA

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Le 25 Octobre 2014

La pose d'un procédé de géolocalisation à l'extérieur d'un véhicule volé et faussement immatriculé est étrangère aux prévisions de l'article 8, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), relatif au respect de la vie privée. Telle est la solution retenue par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 15 octobre 2014 (Cass. crim., 15 octobre 2014, n° 14-85.056, F-P+B+I N° Lexbase : A6645MYR ; cf., cependant, Cass. crim., 22 octobre 2013, n° 13-81.945, FS-P+B N° Lexbase : A4672KND et Cass. crim., 22 octobre 2013, n° 13-81.949, FS-P+B N° Lexbase : A4648KNH, où les juges avaient jugé, dans le cadre d'une affaire de terrorisme que les mesures de géolocalisation portent atteinte à la vie privée et doivent, à ce titre, être réalisées sous le contrôle de l'autorité judiciaire, ce que n'est pas le Parquet qui n'est pas indépendant et poursuit l'action publique). En l'espèce, M. D. a demandé l'annulation des procès-verbaux relatifs à la géolocalisation, faite sur son véhicule par pose de balise de géolocalisation par satellite sans l'autorisation du juge. Pour rejeter sa demande, la chambre de l'instruction a retenu notamment que, dès lors que l'utilisation par les services de police d'un moyen de géolocalisation par satellite au cours de l'enquête de flagrance a été faite sans aucun artifice ni stratagème, aucune violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ne peut être retenue. Aussi, de façon générale, l'efficacité des investigations suppose le plus souvent qu'elles soient conduites de manière discrète, voire secrète, l'emploi de telles méthodes n'étant pas considéré par lui-même, comme étant incompatible avec les exigences du procès équitable. S'étant pourvu en cassation, il a argué de ce qu'aux termes de la jurisprudence de la Chambre criminelle, la technique dite de géolocalisation constitue une ingérence dans la vie privée, qui, en raison de sa gravité, doit être exécutée sous le contrôle d'un juge. Selon lui, la chambre de l'instruction ne pouvait dès lors considérer que la géolocalisation constitue une dispositif "qui n'est en rien attentatoire à la vie privée ou aux droits de la personne" pour refuser de constater la violation de l'article 8 de la Convention européenne résultant de la mise en place d'un tel procédé sous le seul contrôle du procureur de la République dans le cadre d'une enquête préliminaire. A tort selon la Haute juridiction qui relève qu'en se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision au regard de l'article 8, § 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E3111E4Y).

newsid:444285

Propriété intellectuelle

[Evénement] Les propriétés intellectuelles à la mode

Lecture: 2 min

N4261BUD

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Le 23 Octobre 2014

L'Institut de recherche en propriété intellectuelle (IRPI) organise le 26 novembre 2014, avec le soutien du cabinet Hoffman, un colloque intitulé "Les propriétés intellectuelles à la mode". Création et innovation sont les deux axes de développement sur lesquels l'industrie française de la mode s'est traditionnellement appuyée afin de s'imposer à l'international. Au sein de cette filière, riche et diversifiée -prêt-à-porter, textile, habillement, ganterie, fourrure, maroquinerie, bijouterie...-, chaque article incorpore un nombre non négligeable de droits de propriété intellectuelle, qu'il s'agisse de marque, de modèle, de droit d'auteur, voire de brevet d'invention puisque les textiles techniques ne cessent de monter en gamme.
Il n'est plus seulement question aujourd'hui de protéger les modèles et la créativité, mais il faut considérer d'autres stratégies orientées vers la protection de la marque, de la fibre et des matières, de la réputation de l'entreprise et des produits accessoires.
Si les entreprises du secteur, y compris du luxe, ont dû s'adapter à la logique marchande et à la globalisation des marchés, elles sont fréquemment confrontées au fléau des contrefaçons. Internet notamment, tout en étant source d'opportunités en termes de vecteur d'images, d'élargissement de la clientèle et de conquête de marchés étrangers, constitue un facteur de menaces.
Mais quiconque s'intéresse à la mode doit s'interroger sur la délicate frontière qui sépare imitation et copie. "Pour moi la copie c'est le succès. Il n'y a pas de succès sans copie, ni sans imitation, ça n'existe pas", affirmait Gabrielle Chanel en 1959. Le colloque organisé par l'IRPI le 26 novembre 2014, qui s'adresse aux praticiens de la propriété industrielle, aux dirigeants d'entreprises et à leurs partenaires (institutions, fédérations professionnelles...), promet d'être riche en échange d'expériences et de points de vue.
  • Programme

8h30 - Accueil des participants

Matinée présidée par Jean-Christophe Galloux, Coprésident de l'IRPI, Professeur, Université Panthéon-Assas (Paris 2)

9h00 - Allocution d'ouverture

Nelly Rodi, Membre de la CCI Paris Ile-de-France, Président-Directeur général, Agence de style Nelly Rodi

9h10 - Propos introductifs

Pascal Morand, Directeur général adjoint chargé des études et de la mission consultative, CCI Paris Ile-de-France
Dominique Jacomet, Directeur général, Institut français de la mode

9h30 - Quelle protection pour les articles de mode avec dépôt ?

- Les frontières du droit des marques
Delphine Bastien, Avocate, Cabinet Bastien

- Les vertus des dessins et modèles nationaux et communautaires
Françoise Cormier, Conseil en propriété industrielle, Cabinet Cormier Reiss

- Les textiles intelligents
Emmanuelle Butaut-Stubbs, Délégué général, Union des industries textiles

10h30 - Débats

10h45 - Pause café

11h00 - Quelle protection pour les articles de mode sans dépôt ?

- Quelle place pour le droit d'auteur ?
Marie Courboulay, Présidente de la 3ème chambre, Tribunal de grande instance de Paris
Michel Friocourt, Directeur juridique, Groupe Kering

- La concurrence déloyale fait-elle bon ménage avec la mode ?
Béatrice Charlier-Bonatti, Présidente de la 15ème chambre, Tribunal de commerce de Paris
Second intervenant à confirmer

- Les dessins et modèles communautaires non enregistrés sont-ils suffisamment utilisés ?
Stéphanie Le Berre, Directrice des affaires juridiques et sociales, Euratex

12h20 - Débats

12h30 - Déjeuner

Après-midi présidée par Jérôme Frantz, Coprésident de l'IRPI, Membre de la CCI Paris Ile-de-France

14h00 - Table ronde : Les spécificités du luxe

Animée par Emmanuelle Hoffman, Avocate, Cabinet Hoffman

Avec la participation de :
Marc-Antoine Jamet, Secrétaire général, LVMH
Annick de Chaunac, Directrice juridique, Hermès
Isabelle Camus, Avocate, Cabinet Atem

15h20 - Débats

15h30 - Pause café

16h00 - Table ronde : Quelle protection dans un monde globalisé ?

Animée par Pierre-Yves Gautier, Professeur, Université Panthéon-Assas (Paris 2)

Avec la participation de :
Paola Tarchini, Avocate, Cabinet Sena & Tarchini
Alain Coblence, Avocat, Cabinet Coblence & Associates
Catherine Brel, Directrice juridique, eBay

17h20 - Débats

17h40 - Propos conclusifs

Benjamin Leperchey, Sous-directeur des industries de santé et des biens de consommation, Direction générale des entreprises

18h00 - Cocktail

  • Date

Mercredi 26 novembre 2014 de 8h30 à 18h00

  • Lieu

CCI Paris Ile-de-France
Bourse de commerce (salle Baltard)
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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Date de désignation des membres du CHSCT : un revirement aux fondements fort discutables

Réf. : Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-60.262, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2106MYN)

Lecture: 6 min

N4275BUU

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 23 Octobre 2014

Soumise à un mode de scrutin original, la désignation des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) répond également à des règles particulières. Ainsi, en principe, le renouvellement de l'institution ne peut intervenir qu'une fois le terme des mandats échu. C'est, tout du moins, la règle posée par le Code du travail et dont la Chambre sociale de la Cour de cassation faisait jusqu'ici une interprétation littérale. Par un arrêt rendu le 8 octobre 2014, la Haute juridiction procède toutefois à un revirement de jurisprudence et accepte que la désignation puisse être anticipée, à la condition que la désignation de nouveaux membres ne mette pas fin de manière anticipée aux précédents mandats (I). Si plusieurs arguments peuvent soutenir ce changement, il n'en demeure pas moins contraire à la lettre du Code du travail qui semblait pourtant tout à fait claire (II).
Résumé

Si le renouvellement des membres du CHSCT ne peut avoir pour effet de mettre fin aux mandats en cours avant leur date d'expiration, l'employeur, afin d'assurer la permanence de l'institution, peut réunir le collège désignatif avant le terme ultime de ces mandats, les désignations, ainsi effectuées, ne prenant effet qu'à ce terme.

Commentaire

I - L'anticipation permise du renouvellement des membres du CHSCT

Les modalités de désignation des membres du CHSCT. La désignation des membres du CHSCT est un peu particulière parmi les différentes élections des représentants du personnel. Il s'agit, en effet, de l'une des hypothèses d'élection au suffrage indirect (1), puisque ses membres ne sont pas élus par l'ensemble des salariés de l'entreprise mais par un collège désignatif lui-même composé d'élus.

L'article L. 4613-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1779H9R) dispose ainsi que les membres du CHSCT sont "désignés par un collège constitué par les membres élus du comité d'entreprise et les délégués du personnel" (2). Quant aux modalités de cette désignation, le législateur s'en remet au pouvoir réglementaire qui en a dessiné les contours aux articles R. 4613-1 et suivants du Code (N° Lexbase : L8996H93) (3).

Date de réunion du collège désignatif. On y apprend, ainsi, que les membres du CHSCT sont désignés par le collège pour un mandat de deux ans renouvelable, qu'un renouvellement partiel peut intervenir si un membre quitte ses fonctions au moins trois mois avant l'expiration de son mandat (4). En cas de renouvellement, total ou partiel, "le collège chargé de désigner les membres de la représentation du personnel se réunit dans un délai de quinze jours à compter des dates d'expiration du mandat ou d'ouverture de la vacance" (5). Cette disposition, qui détermine la date de réunion du collège, a déjà fait difficulté.

Ainsi, dans une affaire jugée en 2004, la Chambre sociale avait été saisie d'une affaire dans laquelle un employeur avait réuni le collège désignatif, deux jours avant l'expiration des mandats (6). Rejetant le pourvoi formé contre le jugement du tribunal d'instance qui avait annulé la désignation des membres du CHSCT, la Chambre sociale considérait que "tout renouvellement du CHSCT ne peut intervenir qu'à compter du terme [des] mandats".

Il faut croire, toutefois, que la règle n'est pas entrée dans les habitudes des dirigeants d'entreprise qui ont parfois continué d'anticiper la désignation. Il est vrai, à leur décharge, que la règle adoptée pour le CHSCT est inhabituelle. En effet, le renouvellement de la délégation du personnel (7) comme du comité d'entreprise (8) doit être préparé avant l'expiration des mandats.

C'est à un problème de date similaire qu'était confrontée la Chambre sociale dans l'affaire présentée.

L'espèce. Alors que le mandat des représentants au CHSCT expirait le 20 juillet 2013, l'employeur avait convoqué les membres du collège désignatif le 19 juillet (9). Contrairement à ce qui s'était produit en 2004, le tribunal d'instance de Saint-Germain-en-Laye valida l'élection contestée par l'union locale CGT qui forma pourvoi en cassation.

Par un arrêt rendu le 8 octobre 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle juge que "si le renouvellement des membres du CHSCT ne peut avoir pour effet de mettre fin aux mandats en cours avant leur date d'expiration, l'employeur, afin d'assurer la permanence de l'institution, peut réunir le collège désignatif avant le terme ultime de ces mandats, les désignations ainsi effectuées ne prenant effet qu'à ce terme".

C'est donc à un véritable revirement de jurisprudence que procède la Chambre sociale sur la question de la date de réunion du collège désignatif, qui peut désormais être légitimement réuni avant l'expiration des mandats. La Haute juridiction confirme toutefois la règle déjà posée en 2004 selon laquelle la désignation ne saurait mettre un terme aux mandats en cours, ce qui contreviendrait très clairement à la règle fixant la durée du mandat des membres du CHSCT à deux années, dont on peut penser qu'elle est d'ordre public absolu (10).

II - L'anticipation discutable du renouvellement des membres du CHSCT

Une interprétation contra legem du Code du travail. S'il avait été relevé que la Chambre sociale avait fait, en 2004, une interprétation littérale des textes, celle qui soutient la décision présentée est au contraire fort audacieuse, tant les textes semblaient dépourvus de toute ambiguïté. En disposant que le collège "se réunit dans un délai de quinze jours à compter des dates d'expiration du mandat", l'article R. 4613-6 ne souffre, en effet, d'aucune difficulté d'interprétation, et l'on ne peut donc qu'être étonné que le juge s'écarte de la clarté de cette lettre.

Malgré ce texte, il semblait permis que des réunions préparatoires puissent avoir lieu avant l'expiration des mandats (11). A la rigueur, on pouvait même envisager qu'un accord unanime des membres du collège désignatif autorise l'anticipation, puisque la Chambre sociale permet à ces accords d'aménager les modalités de désignation des membres de la délégation du personnel au CHSCT (12). Il paraissait, en revanche, difficile d'aller plus loin dans l'interprétation de l'article R. 4613-6 du Code du travail. Comment, dès lors, expliquer cette décision ?

L'argument avancé : la permanence de l'institution. La Chambre sociale semble justifier sa décision par la volonté de l'employeur "d'assurer la permanence de l'institution", ce qui est sans aucun doute fort louable et est techniquement juste, puisque aucune vacance de l'institution n'interviendra en cas d'anticipation. L'argument, pourtant, ne convainc pas totalement, cela pour au moins deux raisons.

D'abord parce que, même si le CHSCT a pris une ampleur très importante dans l'entreprise depuis une quinzaine d'années, ses missions ne sont pas d'une intensité telle que leur réalisation soit entravée par une vacance de quelques jours après l'expiration des mandats. Bien que cette cadence puisse être augmentée autant que de besoin, le CHSCT se réunit une fois par trimestre en principe (13). Bien sûr, une réunion exceptionnelle peut être nécessaire à la suite d'un événement particulier, mais la Cour de cassation semble accepter qu'un délai de quelques jours puisse s'écouler entre la survenance de cet événement et la réunion du comité (14).

Seule la réunion en cas de danger grave et imminent, qui doit intervenir dans un délai n'excédant pas vingt-quatre heures, peut justifier la recherche d'une permanence parfaite de l'institution (15). La réunion devrait toutefois être reportée si, comme l'article R. 4613-6 du Code du travail le prévoit justement, le collège désignatif se réunit plusieurs jours après l'expiration des mandats. L'exigence de permanence est donc relativisée par le Code du travail lui-même.

Ensuite parce que, malgré la désignation antérieure à l'expiration des mandats, la mise en place d'une nouvelle équipe de représentants du personnel au CHSCT impliquera nécessairement, comme dans tout type d'institution collective dont tout ou partie des membres sont renouvelés, un temps de rodage et d'adaptation qui entravera la permanence de l'action de ce collectif. Quand bien même une vacance temporaire serait effectivement évitée, cela n'empêcherait pas une période de flottement durant laquelle la permanence ne pourrait être parfaitement assurée.

La sanction d'une action abusive : de minimis non curat praetor. A la réflexion, l'acceptation d'une anticipation contra legem de la réunion du collège désignatif semble surtout tenir à la suspicion que l'on peut légitimement avoir quant au sérieux de l'action introduite par l'union locale CGT.

En effet, la désignation n'a pas eu lieu plusieurs mois à l'avance mais la veille de la date prévue. Le juge judiciaire considère ici qu'il ne doit pas s'intéresser de si petites choses, le manquement de l'employeur à la règle pouvant être considéré comme véniel (16). La désignation précoce de vingt-quatre heures ne peut certainement pas avoir pesé sur la sincérité du scrutin ni, d'ailleurs, entravé le bon fonctionnement de l'équipe dont le mandat s'achevait. Le préjudice était en somme insignifiant. Toutefois, Il fallait bien agrémenter ce choix d'une exigence de permanence tant, à d'autres occasions, la Chambre sociale se montre plus rigoureuse à l'égard du respect de délais (17).

Les limites de l'anticipation. Reste que ce revirement de jurisprudence interroge sur les délais qui pourront désormais être admis par le juge judiciaire. Dans la redondance, voire le pléonasme de la Chambre sociale, selon laquelle le collège peut être réuni avant le "terme ultime", on perçoit un avertissement : la désignation ne doit pas être trop anticipée, sans que l'on sache vraiment quel délai sera acceptable.

Une première hypothèse résiderait dans un raisonnement par analogie avec les élections des délégués du personnel ou des membres du comité d'entreprise qui doivent être organisées moins de quinze jours avant l'échéance des mandats. L'adoption de ce délai aurait l'avantage de la cohérence, y compris d'ailleurs par effet de miroir, avec le régime de désignation des membres du CHSCT qui peut avoir lieu jusqu'à quinze jours après l'expiration des mandats.

Une seconde hypothèse reviendrait à rechercher, comme cela est souvent le cas en matière électorale, si l'irrégularité du scrutin organisé trop tôt a eu des conséquences sur la sincérité des votes (18). L'évaluation des conséquences d'un scrutin précoce serait alors davantage laissé à l'appréciation des juges du fond ce qui, dans ce genre d'affaire, ne serait guère satisfaisant en termes de sécurité juridique.


(1) Les hypothèses de scrutin indirect sont relativement peu nombreuses. On peut évoquer l'élection des membres du comité central d'entreprise (C. trav., art. L. 2327-3, N° Lexbase : L9887H8P) ou l'élection de représentants des salariés aux organes d'une société (C. trav., art. L. 2323-62, N° Lexbase : L2888H9T et art. L. 2323-67, N° Lexbase : L2904H9G).
(2) Sur la composition du collège, v. J.-B. Cottin, Le CHSCT, éd. Lamy, coll. Axe Droit, 2ème éd., 2012, n° 103 et s..
(3) C. trav., art. L. 4613-2 (N° Lexbase : L1781H9T).
(4) C. trav., art. R. 4613-5 (N° Lexbase : L8983H9L).
(5) C. trav., art. R. 4613-6 (N° Lexbase : L8980H9H).
(6) Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 02-60.225, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7579DAX) et les obs. de C. Alour, La date de renouvellement des mandats des membres du CHSCT, Lexbase Hebdo n° 104 du 22 janvier 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0206ABA) ; RJS, 2004, n° 319 ; JSL, 2004, n° 141, note C. P..
(7) C. trav., art. L. 2314-3, al. 3 (N° Lexbase : L5796I33).
(8) C. trav., art. L. 2324-4, al. 3 (N° Lexbase : L5799I38).
(9) On pourra relever que le 20 juillet 2013 tombait un samedi et envisager qu'il ne s'agissait pas d'un jour ouvré.
(10) Soutenant cette opinion, v. B. Teyssié, L'organisation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, JCP éd. S, 2007, 1439. V. également C. Alour, préc..
(11) J.-B. Cottin, préc., n° 113.
(12) Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 06-60.012, FS-P+B (N° Lexbase : A0470DS9) et nos obs., L'aménagement des modalités de désignation des représentants salariés au CHSCT, Lexbase Hebdo n° 235 du 9 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4858ALI).
(13) C. trav., art. L. 4614-7 (N° Lexbase : L1802H9M).
(14) La Chambre criminelle a jugé qu'un délai de trois semaines écoulé entre l'événement et la réunion du CHSCT était excessif : Cass. crim., 21 novembre 2000, n° 00-81.488 (N° Lexbase : A0237AZS) ; J.-B. Cottin, préc..
(15) C. trav., art. L. 4132-3 (N° Lexbase : L1476H9K).
(16) De minimis non curat praetor, v. H. Roland, L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., p. 150.
(17) En témoigne, par exemple, le décompte strict, en jours calendaires, de la durée d'essai, v. Cass. soc., 29 juin 2005, n° 02-45.701, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8387DIH) ; Cass. soc., deux arrêts, 28 avril 2011, n° 09-40.464, F-P+B (N° Lexbase : A5360HP9) et n° 09-72.165, FS-P+B (N° Lexbase : A5361HPA) et nos obs., L'incohérence du décompte de la période d'essai en jours calendaires, Lexbase Hebdo n° 439 du 12 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1508BSN).
(18) Bien que les textes visent ici une "désignation" des membres du comité, il s'agit bien d'un scrutin indirect si bien que, par exemple, le vote doit impérativement avoir lieu à bulletin secret, v. Cass. soc., 25 octobre 2006, n° 06-60.012, FS-P+B, préc..

Décision

Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-60.262, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2106MYN).

Rejet (TI Saint-Germain-en-Laye, 8 octobre 2013).

Textes concernés : C. trav., art. R. 4613-5 (N° Lexbase : L8983H9L) et R. 4613-6 (N° Lexbase : L8980H9H).

Mots-clés : comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail ; désignation ; collège désignatif ; réunion.

Lien base : (N° Lexbase : E3383ETH).

newsid:444275

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Document signé par les parties ne respectant pas les exigences relatives à la rupture conventionnelle : rupture s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Réf. : Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6594MYU)

Lecture: 2 min

N4243BUP

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Le 23 Octobre 2014

Sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI), relatif à la rupture conventionnelle. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 15 octobre 2014 (Cass. soc., 15 octobre 2014, n° 11-22.251, FS-P+B+R N° Lexbase : A6594MYU).
En l'espèce, Mme O. a été engagée le 1er août 2008 en qualité de femme toutes mains à temps complet par M. M., exploitant un fonds de commerce de bar, meublé et restauration rapide. Elle a été en arrêt de travail du 14 au 23 janvier 2009 puis du 30 janvier 2009 au 12 mars 2009 et il a été mis fin au contrat de travail, le 3 avril 2009, en vertu d'un document signé des deux parties. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour faire juger que la rupture s'analysait en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et pour demander le paiement de diverses sommes à titre d'heures impayées, d'indemnités de rupture, et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Débouté de sa demande devant la cour d'appel qui a décidé que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et qui l'a condamné à payer à la salariée diverses sommes à titre d'indemnité de préavis, congés payés afférents, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur s'est pourvu en cassation.
La Haute juridiction rejette son pourvoi. Elle précise qu'aux termes de l'article L. 1231-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8654IAR), le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié ou d'un commun accord dans les conditions prévues par le présent titre ; que selon les dispositions de l'article L. 1237-11 du même code, la rupture d'un commun accord, qualifiée de rupture conventionnelle, résulte d'une convention signée par les parties au contrat qui est soumise aux dispositions réglementant ce mode de rupture destinées à garantir la liberté du consentement des parties ; qu'il résulte de la combinaison de ces textes que, sauf dispositions légales contraires, la rupture du contrat de travail par accord des parties ne peut intervenir que dans les conditions prévues par l'article 1237-11 relatif à la rupture conventionnelle. Elle ajoute que la cour d'appel, qui a constaté que le document signé par les parties ne satisfaisait pas aux exigences de l'article L. 1237-11 du Code du travail, a décidé à bon droit que la rupture s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse .

newsid:444243

Sociétés

[Brèves] Perte de la titularité des parts sociales d'un notaire démissionnaire d'office

Réf. : Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-18.983, FS-P+B (N° Lexbase : A6441MY9)

Lecture: 2 min

N4321BUL

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Le 25 Octobre 2014

Un notaire démissionnaire d'office ne cesse d'être titulaire de ses parts sociales qu'à l'issue de la procédure en cession forcée mise en oeuvre à l'expiration du délai de six mois qui lui est imparti pour céder spontanément ses parts. Telle est la solution énoncée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 15 octobre 2014 (Cass. civ. 1, 15 octobre 2014, n° 13-18.983, FS-P+B N° Lexbase : A6441MY9). En l'espèce un notaire, associé depuis le 11 décembre 1988 au sein d'une SCP, a cessé toute activité à compter du 1er février 1997, puis a fait valoir ses droits à la retraite le 16 septembre 2003, mais a refusé de se retirer de la SCP. Par arrêté du Garde des Sceaux du 21 octobre 2008, il a été déclaré démissionnaire d'office. Ses coassociés ont alors engagé une action judiciaire pour voir ordonner la cession forcée de ses parts et le voir déclarer déchu du droit de participer aux bénéfices. Un premier arrêt de cour d'appel qui avait rejeté leurs prétentions a été partiellement cassé du chef de la cession forcée (Cass. civ. 1, 9 juin 2011, n° 09-69.923, F-P+B+I N° Lexbase : A4266HT8 ; lire N° Lexbase : N6804BSS). Après avoir ordonné la cession forcée des parts à la SCP, la cour d'appel -de renvoi- d'Angers (CA Angers, 28 février 2013, n° 06/02767 N° Lexbase : A7449I8E ; lire N° Lexbase : N6804BSS), pour constater que le notaire démissionnaire d'office n'avait plus la qualité d'associé et ne pouvait plus être titulaire de ses parts sociales à l'issue du délai de six mois à compter de la publication de l'arrêté ministériel de démission d'office soit, en l'espèce, le 29 avril 2009, a retenu qu'il résulte de l'article 32 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 (N° Lexbase : L1983DY4) que l'associé démis d'office est contraint de céder ses parts sociales dans le délai fixé de six mois, délai de rigueur et à l'expiration duquel il se trouve forclos. Mais énonçant le principe précité, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa des articles 31 et 32 du décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 (cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E0633EUY).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Octobre 2014

Lecture: 13 min

N4269BUN

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 23 Octobre 2014

L'actualité jurisprudentielle en matière de TVA est toujours animée notamment au plan du droit de l'Union européenne. Les trois arrêts abordés dans la présente chronique portent sur des aspects très différents de cette imposition. Dans la première décision commentée (CJUE, 17 septembre 2014, aff. C-7/13), il est question du groupement TVA, faculté ouverte aux Etats membres, et à travers ce régime de revenir sur un élément fondamental : l'assujetti. Les deux autres décisions évoquent des fondements essentiels dans le cadre de la TVA : d'une part, la définition de la livraison de biens à titre onéreux (CJUE, 10 septembre 2014, aff. C-92/13) et, d'autre part, la détermination de la base imposable, plus particulièrement dans le cadre de la réduction de celle-ci à la suite du non paiement ou paiement partiel (CJUE, 3 septembre 2014, aff. C-589/12).
  • Le caractère imposable des services fournis par une société principale, ayant son siège dans un pays tiers, à sa succursale relevant d'un groupement TVA dans un Etat membre (CJUE, 17 septembre 2014, aff. C-7/13 N° Lexbase : A5584MWQ)

La décision, objet du présent commentaire, met en lumière des éléments intéressant, à la fois les principes gouvernant la TVA pour définir l'assujetti (A), que la possible remise en cause d'une jurisprudence importante de la CJUE (B). Enfin, elle permet de faire le point à propos du régime français actuel en matière de groupe de TVA (C).

A - Les faits évoqués dans la présente décision sont simples. Un établissement principal, entreprise d'achats de service informatiques, est établi dans un pays tiers, les Etats-Unis ; il a fourni des services à sa succursale suédoise. Cette dernière avait pour mission de transformer les services informatiques notamment fournis par l'établissement principal, et de les revendre aux autres sociétés du groupe. Les services fournis par l'établissement principal à sa succursale, comme ceux que cette dernière fournissait à d'autres sociétés, supportaient une marge de 5 %.

La succursale est enregistrée en tant que membre d'un groupement TVA. Elle a vendu des services à des entreprises appartenant ou non à ce groupement. L'administration fiscale suédoise a considéré que les opérations réalisées entre la société sise aux Etats-Unis et sa succursale suédoise étaient imposables au titre de la TVA. La société succursale a formé un recours devant la juridiction suédoise. Cette dernière a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle principale à la CJUE. La question est de savoir si au regard du droit de l'UE, "les prestations de services fournies par un établissement principal établi dans un pays tiers à sa succursale établie dans un Etat membre constituent des opérations imposables quand cette dernière est membre d'un groupement TVA" (1). La seconde question préjudicielle découlant de l'éventuelle réponse positive à la première est relative au fait de savoir si en l'état actuel du droit de l'UE, le groupement de TVA auquel appartient la succursale devient redevable de la TVA exigible (2).

Pour rappel, l'article 11 de la Directive 2006/112/CE (3) permet aux Etats membres d'introduire le régime de groupement TVA au sein de leur législation nationale. Aux termes de cette disposition, "chaque Etat membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même Etat membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l'organisation". Avant d'introduire cette disposition dans leur législation, les Etats membres doivent consulter le comité consultatif de la TVA. Enfin le second alinéa de l'article 11 précise que l'Etat membre peut prendre toutes mesures utiles en vue d'éviter que "l'application de cette disposition rende la fraude ou l'évasion fiscales possibles" (4).

Le système de groupement de TVA a été adopté par 16 Etats membres. Son intérêt réside dans la simplification administrative ainsi que dans la possibilité de lutter contre certains abus, notamment le fait qu'une entreprise se scinde en plusieurs assujettis afin que chacun d'entre eux puisse bénéficier d'un régime particulier, ou encore de ne pas considérer comme distincts des assujettis qui ne sont indépendants que sur un plan juridique (5).

La décision commentée est particulièrement intéressante de par la rareté des arrêts abordant le système de groupement TVA ; or, ce régime vient (relativement) remettre en cause la notion d'assujetti. Notion rarement abordée car le plus souvent considérée comme acquise tant par la doctrine que par les juridictions internes et communautaires.

Aux termes de l'article 2, § 1, de la Directive 2006/112/CE, pour qu'une opération soit imposable, elle doit avoir été effectuée par un assujetti agissant en tant que tel (6). Sont considérées en tant qu'assujetti, les personnes qui effectuent de manière indépendante des opérations situées dans le champ d'application de la TVA ; peu importe leur statut juridique, leur situation au regard des autres impositions, ou la forme ou la nature de leur activité. Au final cette définition se réfère pour une "large part aux opérations imposables et n'ajoute pas grand-chose à la délimitation du domaine d'application de la TVA" (7).

Pour autant, la présente décision nous permet de revenir sur cette définition, plus particulièrement sur la condition au terme de laquelle l'activité économique doit être exercée de manière indépendante. Antérieurement, la CJCE avait jugé que cette notion d'indépendance impliquait l'existence d'une relation juridique entre le prestataire et le bénéficiaire permettant l'échange de prestations réciproques (8). Ce rapport juridique est établi dès lors que la succursale réalise une activité économique indépendante au sens où celle-ci est "autonome" car elle "supporte le risque économique découlant de son activité".

La notion d'indépendance de l'activité économique est ainsi précisée aux termes de cette décision de la CJUE. Il est à remarquer que les éléments mis en avant pour définir la notion d'assujetti permettent de mettre en oeuvre une définition uniforme pour l'ensemble des législations, ainsi, ce régime pourra appliquer sans divergence d'un Etat membre à l'autre. Le caractère d'indépendance de l'activité économique doit permettre de déterminer si une personne peut être ou non considérée comme un assujetti. A savoir que seul un assujetti peut faire partie d'un groupement de TVA. En effet, le système de groupement TVA ne peut aboutir à donner la qualité d'assujetti à des personnes qui, si elles ne faisaient pas partie de ce groupement, en seraient dépourvues. Donc, la question posée à la CJUE, dans le cadre de cette affaire, est de savoir si la succursale peut être considérée comme étant indépendante (au regard de l'application des règles de la TVA) de l'établissement principal. La CJUE a répondu positivement à cette question. Il est à noter que cette solution est contraire à celle proposée par l'Avocat général, Monsieur M. Wathelet (10).

Par cette solution, la CJUE privilégie une approche économique de la notion d'activité indépendante par rapport à une perspective purement juridique. Cette solution a l'avantage de ne pas laisser prise à des interprétations différentes en fonction de régimes juridiques nationaux.

B - Comme indiqué précédemment, la solution de la CJUE n'est pas celle préconisée par l'Avocat général. Ce dernier, dans ses conclusions, rappelait la décision du 23 mars 2006 (11) dans laquelle était posée la question de savoir si les prestations rendues au sein d'une même entité juridique étaient assujetties à la TVA. Cet arrêt venait confirmer une jurisprudence ancienne (12) selon laquelle les prestations de services rendues au sein d'une même entité juridique n'étaient pas taxables. Cependant, le fait que les prestations internes ne soient pas imposables a des conséquences que les Etats membres cherchent à limiter dans leurs effets. Notamment "ce principe permet de ne pas assujettir à la TVA des prestations qui, si elles avaient été rendues à un tiers, auraient été taxables de plein droit" (13). Dans le même temps, l'absence de taxation des opérations entre succursale et siège permet d'appliquer la législation de l'Etat du prestataire aux prestations qui, sinon, auraient été localisées au lieu du preneur s'il avait été un tiers (14).

La décision du 23 mars 2006 a été critiquée du fait de son manque de clarté et à cause de l'absence d'un principe directeur clair. Les commentateurs avaient mentionné que cet arrêt ne permettait pas de résoudre les problèmes qui pourraient se poser dans le cadre d'un groupement TVA. La décision présentement commentée ne remet pas complètement en cause la solution issue de l'arrêt du 23 mars 2006, cependant, elle la fragilise nettement. Par la décision du 17 septembre 2014, la CJUE fait primer l'appartenance de la succursale au groupement TVA, qui ne forme qu'un seul assujetti. Les entités relevant de ce groupement ne peuvent plus souscrire séparément de déclaration et ne peuvent plus être considérées comme des assujettis (15). La succursale disparaît en tant que telle au plan de la TVA et n'est plus considérée comme réalisant des opérations intra-groupes. L'entrée dans le régime du groupement TVA implique que la succursale devient membre d'une entité considérée comme un assujetti et dans les relations avec le siège les prestations de services effectuées entre la succursale et le siège deviennent des opérations taxables car réalisées entre deux assujettis.

C - Depuis le 1er janvier 2012 (16), le droit français a instauré un régime optionnel de consolidation du paiement et du remboursement de la TVA dans le cadre des groupes de sociétés. Cette consolidation n'est pas totale, ce régime consolide seulement la TVA due par l'ensemble des membres du groupe mais chaque membre du groupe doit déclarer individuellement sa TVA. Les crédits de TVA sont admis au nom du groupe. Si ce mécanisme est analysé comme une "avancée notable" (17) en matière de fiscalité des groupes de sociétés pour la TVA, il n'en reste pas moins en deçà des possibilités données par l'article 11 de la Directive 2006/112/CE. En effet, chaque membre du groupe reste assujetti en tant que tel et ce n'est pas le groupe qui devient l'unique assujetti. En conséquence, la solution de la décision du 17 septembre 2014 n'a pas d'incidence (à ce jour) en droit français.

  • La faculté d'assimiler certaines opérations à une livraison effectuée à titre onéreux (CJUE, 10 septembre 2014, aff. C-92/13 N° Lexbase : A1646MWU)

La présente décision de la CJUE est relative à la faculté d'assimilation d'une opération particulière, la livraison à soi-même, à une livraison effectuée à titre onéreux. Les faits de l'espèce sont régis par la 6ème Directive-TVA (Directive 77 /388 du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9). Cependant la solution dégagée par le juge communautaire est toujours valide dans le cadre de la Directive de 2006.

Cette décision est relative à l'article 5, paragraphe 7, sous a) de la 6ème Directive-TVA (18). Cette disposition porte sur la notion de livraison de biens à soi-même. Son objectif est de prévenir les distorsions de concurrence. L'assujetti qui exerce des activités exonérées peut acquérir les biens utilisés pour les besoins de ces activités auprès de tiers et acquitter sur cette acquisition une TVA non déductible ou bien il peut produire ces biens lui-même. Dans cette dernière hypothèse, conformément à l'article 5, paragraphe 7, sous a), il devra payer la TVA, également non déductible, sur la valeur de ces biens.

Cette mesure doit éviter la distorsion de concurrence. Un assujetti exerçant une activité exonérée de TVA ne pourra pas déduire la taxe payée au stade précédent sur les biens qu'il a acquis pour les besoins de cette activité. Or, en produisant ces biens dans le cadre de son entreprise, il bénéficierait d'un avantage économique par rapport à un assujetti exerçant la même activité exonérée, mais qui ne produit pas lui même les biens nécessaires à cette fin. Pour cette raison, la possibilité a été prévue de soumettre également à la TVA l'assujetti produisant des biens dans le cadre de son entreprise. Cette disposition s'inscrit dans le cadre du principe du droit à déduction en vue de l'effectivité du principe de neutralité inhérent au système de TVA en vue d'assurer l'égalité de traitement entre assujettis.

En l'espèce, une municipalité néerlandaise avait commandé la construction d'un bâtiment destiné à l'usage de bureaux sur un terrain dont elle était propriétaire. Selon l'article 4, paragraphe 5, de la 6ème Directive-TVA, elle n'est pas assujettie à la TVA pour les opérations qu'elle effectue en tant qu'autorité publique. Cependant, elle peut aussi accomplir des opérations sans pour autant agir en tant qu'autorité publique ; ces opérations peuvent être taxées ou exonérées de TVA. La construction en cause étant une opération taxable, la commune a dû régler la TVA sur ces travaux. La municipalité a utilisé ce bâtiment pour la première fois le 1er avril 2003 selon la répartition suivante :

- à hauteur de 94 % en tant qu'autorité publique ;

- à hauteur de 5 % pour des activités aux termes desquelles la municipalité est considérée comme assujettie à la TVA donc des prestations ouvrant droit à déduction ;

- à hauteur de 1 % pour des activités pour lesquelles la commune est considérée comme assujettie, mais ces prestations ne donnent pas droit à déduction.

Donc, pour le prorata dédié aux activités exercées en tant qu'autorité publique, la municipalité n'était pas considérée comme assujettie à la TVA et ne pouvait pas bénéficier du droit à déduction.

La municipalité estime que la première occupation de ce bâtiment est assimilée à une livraison à soi-même et, en conséquence, est imposable (19). En revanche, l'administration fiscale néerlandaise ne partage pas cette position. La Cour suprême des Pays-Bas pose la question de savoir si l'assimilation de cette opération à une livraison à soi-même est conforme à la 6ème Directive-TVA.

L'intérêt de cette décision est la relative rareté de la question de droit en jeu ; à notre connaissance seuls quelques arrêts (20) ont déjà évoqué les questions de droit posées par la décision commentée. A noter qu'une "grande incertitude semble régner aux Pays Bas" (21) quant à l'application des mesures de droit interne transposant certaines des dispositions relatives aux opérations susceptibles d'être assimilées à des livraisons effectuées à titre onéreux.

Dans cette décision, la Cour de justice a répondu que les faits de l'espèce relevaient bien des dispositions de l'article 5, paragraphe 7, sous a). En particulier, cette solution vient confirmer une décision du 8 novembre 2012 (22) : la faculté ouverte par la 6ème Directive-TVA (23) n'est possible que dans le cas où l'acquisition d'un bien par un assujetti pour les besoins de son activité auprès d'un autre assujetti n'ouvrirait pas droit pour l'acquéreur à une déduction complète de TVA. Cette solution correspond à la finalité de cette disposition qui permet aux Etats membres d'adapter leur législation pour rétablir une égalité de traitement entre les entreprises qui exercent, et qui ne peuvent déduire de TVA car ayant une activité exonérée, mais paient la TVA lorsqu'elles acquièrent des biens, et celles qui obtiennent les mêmes biens dans le cadre de leur activité et donc ne sont pas désavantagées par l'absence de droit à déduction. En conséquence, la CJUE ne se rallie pas à l'application de l'article 6, paragraphe 2, sous a) qui est relatif à l'affectation (24). Elle se fonde sur un arrêt en date du 12 février 2009 (25). Notamment, la Cour de justice avait considéré que les termes des dispositions de la 6ème Directive-TVA - "l'utilisation [...] pour des besoins privés [...] ou à des fins étrangères à l'entreprise"- ne pouvaient pas être appliqués à l'utilisation d'un bien à des fins relevant de l'entreprise mais qui n'entraient pas dans le champ d'application de la TVA.

  • La réduction de la base imposable en matière de TVA : de la contrariété entre droit interne et droit de l'Union européenne (CJUE, 3 septembre 2014, aff. C-589 /12 N° Lexbase : A9178MUH)

Cette décision concerne un point fondamental de la TVA bien que peu sujet à controverses : la détermination de la base imposable. Plus particulièrement, il s'agit de savoir dans quelles mesures un assujetti peut procéder à la réduction de son assiette en matière de TVA.

La disposition au centre de l'affaire commentée est l'article 11, C paragraphe 1 de la 6ème Directive-TVA ; bien que cette dernière ne soit plus en vigueur, cet arrêt conserve toute sa pertinence dans le cadre de la Directive 2006/112/CEE car les termes ont été repris à l'article 90. Cette disposition constitue l'expression d'un "principe fondamental" (26) selon lequel la base d'imposition est constituée par la contrepartie réellement reçue ; l'administration fiscale ne peut percevoir un montant supérieur à celui que l'assujetti a perçu.

L'application de ce principe était sujet à discussion au regard de l'espèce. La société requérante est une société de location-vente. Lorsqu'un consommateur souhaite acquérir un véhicule, le concessionnaire le vend à la société de location-vente qui fournit ledit véhicule au particulier en vertu d'un contrat de location-vente. Bien que la location-vente se décompose en deux éléments : contrats de location et vente, qui obéissent à un régime différent au titre de la TVA, les livraisons de biens effectuées dans le cadre de ce genre de contrat sont soumises à la TVA lors de la remise du bien (27). La base imposable est constituée par le montant cumulé des loyers prévus. La TVA peut être facturée par le bailleur. En cas de défaillance du locataire, le véhicule peut être repris par la société de location-vente et vendu aux enchères. Le montant de la cette vente vient s'imputer sur le solde des mensualités restant dues.

A la suite des modifications du droit britannique et des réponses différentes émanant des juridictions du Royaume-Uni, il s'avéra au final que la vente aux enchères dans les conditions mentionnées ci-dessus n'était considérée ni comme une prestation de service, ni comme une livraison de biens et qu'en conséquence, le produit de la vente n'était pas soumis à TVA. Selon l'administration fiscale britannique, la société requérante bénéficiait ainsi d'un "effet d'aubaine" (28) grâce à la combinaison des règles internes et de l'Union européenne en matière de TVA. Elle pouvait bénéficier des dispositions de la Directive quant à la réduction du prix du fait des loyers impayés, et dans le même temps, par application de la loi britannique, elle n'était pas imposable sur le prix résultant de la vente aux enchères. Or, selon l'administration fiscale, la base imposable aurait dû comprendre le montant de la vente.

La Cour de justice n'a pas accueilli favorablement l'argumentation du Gouvernement britannique. En effet, les dispositions de la Directive en cause dans cette affaire sont dotées d'un effet direct. Si elles sont inconditionnelles et suffisamment précises, elles peuvent être invoquées par les particuliers soit que l'Etat membre se soit abstenu de les transposer, soit que la transposition n'ait pas été effectuée de manière correcte. Ainsi, la société requérante est tout à fait en droit de se prévaloir de la réduction du prix pour l'opération réalisée entre le consommateur final et elle sur le fondement de l'article 11, C paragraphe 1 de la 6ème Directive-TVA, alors même que l'opération de vente aux enchères ne sera pas soumise à la TVA par application de la règle de droit interne. Cette solution se place dans la droite ligne de la jurisprudence de la CJUE qui s'est récemment prononcée sur cette même mesure mais dans le cadre de la Directive de 2006 (29). Le dernier alinéa de l'article 11, C paragraphe 1 autorise les Etats membres à déroger à la règle de la réduction de la base imposable (30). Cependant, cette faculté, qui leur est offerte, ne les autorise pas à remettre en cause le principe du droit à la réduction de la base imposable énoncé supra.

Dans un second point, le Gouvernement britannique développait une argumentation relative à l'abus de droit ; il dénonçait l'invocation de l'effet direct de l'article 11, C paragraphe 1 de la 6ème Directive-TVA en vue d'atteindre à un résultat qui n'était pas recherché par ladite mesure. La CJUE n'a pas non plus retenu ce raisonnement au motif que l'obtention de l'avantage fiscal résulte de l'absence d'imposition qui entraîne un "effet d'aubaine" ; reprenant le raisonnement développé dans une décision du 21 février 2006 (31), la juridiction ne décèle dans les faits de l'affaire commentée, aucun des éléments utiles pour définir l'abus de droit.


(1) Point 21.
(2) Point 33.
(3) Directive du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (N° Lexbase : L7664HTZ), JO, L. 347, 11 décembre 2006, p. 1.
(4) Art. 11, op. cit..
(5) D. Gutmann, Droit fiscal des affaires, LGDJ, Lextenso éditions, coll. Domat droit privé, 2013, 4ème édition, 799 pages, § 835.
(6) CGI, art. 256, I (N° Lexbase : L0374IWR).
(7) P. Serlooten, Droit fiscal des affaires, Dalloz, coll. Précis droit privé, 11ème éd., 2012, 757 pages, § 931.
(8) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/07, point 34 (N° Lexbase : A6395DN8) : DF, 2006, n° 48, comm. 748 ; RJF, 6/2006, n° 806.
(9) Point 25.
(10) Conclusions présentées le 8 mai 2014, aff. C-7/13.
(11) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/07, op. cit..
(12) CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93, point 14 (N° Lexbase : A7246AHT) : Rec., p. I-743 ; CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00, point 39 (N° Lexbase : A2920AYS) : Rec., p. I-3293.
(13) M. Guichard et W. Stemmer, Prestations intra-entreprises et TVA : DF, 2007, n° 11, étude 273.
(14) M. Guichard et W. Stemmer, Prestations intra-entreprises et TVA, op.cit..
(15) Point 29.
(16) CGI, art. 1693 ter (N° Lexbase : L1105IT4).
(17) M. Guichard, La gestion du régime de paiement consolidé de TVA : vers un véritable régime de groupe en matière de TVA ? : DF, 2012, n° 50, Etude 559.
(18) Repris sous l'article 18 sous a) de la 6ème Directive-TVA.
(19) Selon l'Avocat général, Mme Sharpston, cette position de la municipalité es liée à la mise en oeuvre d'un fonds national de compensation pour la TVA : Conclusions sur CJUE, 10 septembre 2014, aff. C-92/13, points 41 et suivants.
(20) On peut citer notamment : CJCE, 29 avril 2004, aff. C-487/01 (N° Lexbase : A9952DB9) : DF, 2004, n° 40, comm. 730 ; CJCE, 29 avril 2004, aff. C-152/02 (N° Lexbase : A9947DBZ) : DF, 2004, n° 40, comm. 730 ; CJUE, 8 novembre 2012, aff. C-299/11 (N° Lexbase : A5094IWL) : RJF, 2/13, n° 242.
(21) Conclusions de l'avocat général M. J. Mazak sur CJUE, 8 novembre 2012, aff. C-299/11, point 2.
(22) CJUE, 8 novembre 2012, aff. C-299/11, op. cit..
(23) Art. 5, paragraphe 7, sous a).
(24) Point 25.
(25) CJCE, 12 février 2009, aff. C-515/07 (N° Lexbase : A1104EDA) : RJF, 5/09, n° 529.
(26) CJUE, 26 janvier 2012, aff. C-588/10, point 27 (N° Lexbase : A4100IBH) : RJF, 4 /12, n° 435 ; DF, 2012, n° 5.
(27) Point 19.
(28) Point 21.
(29) CJUE, 15 mai 2014, aff. C-337/13 (N° Lexbase : A1103MLG) : RJF, 8-9/14, n° 864.
(30) Disposition transposée sous l'article 90, 2 de la Directive 2006/112/CE.
(31) CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02 (N° Lexbase : A0045DNY).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] TVA : notion d'établissement stable pour un bénéficiaire de services mettant à disposition du prestataire des moyens humains et techniques

Réf. : CJUE, 16 octobre 2014, aff. C-605/12 (N° Lexbase : A4466MY3)

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Le 24 Octobre 2014

Un premier assujetti ayant établi le siège de son activité économique dans un Etat membre, qui bénéficie de services fournis par un second assujetti établi dans un autre Etat membre, doit être considéré comme disposant dans cet autre Etat membre d'un "établissement stable", au sens de l'article 44 de la 6ème Directive-TVA (Directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006 N° Lexbase : L7664HTZ), telle que modifiée par la Directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008 (N° Lexbase : L8139H3T), en vue de la détermination du lieu d'imposition de ces services, si cet établissement est caractérisé par un degré suffisant de permanence et une structure apte, en termes de moyens humains et techniques, à lui permettre de recevoir des prestations de services et de les utiliser aux fins de son activité économique. Telle est la solution retenue par la CJUE le 16 octobre 2014 (CJUE, 16 octobre 2014, aff. C-605/12 N° Lexbase : A4466MY3). En l'espèce, une société chypriote organise des ventes aux enchères sur une plateforme de vente en ligne. Elle a conclu un contrat de collaboration avec une société polonaise, aux termes duquel la première s'est engagée à fournir à la seconde un service de mise à disposition d'un site internet de ventes aux enchères. La source de revenu de la société polonaise provient, d'une part, du prix de vente obtenu dans le cadre des ventes aux enchères en ligne et, d'autre part, d'une rémunération perçue de la société chypriote, correspondant à une partie du produit de la vente des "mises" dont se servent les clients en Pologne pour émettre une offre aux enchères. Les prestations de services avaient été fournies au siège social de la société chypriote et elles devaient, par conséquent, être soumises à la TVA à Chypre. La société polonaise, tout en indiquant que cette taxe devait être acquittée par le preneur de ces services, n'a pas facturé de TVA. Cependant, les juridictions polonaises ont considéré que la société chypriote utilisait sur le territoire polonais les moyens techniques et humains de la société polonaise, de telle sorte que cette dernière devait être traitée comme un établissement stable de la société chypriote en Pologne. Par conséquent, il a estimé que les prestations de services fournies par la société polonaise à la société chypriote étaient fournies à l'établissement stable de cette dernière en Pologne et étaient donc imposables sur le territoire de cet Etat membre. La CJUE confirme cette position en précisant qu'un établissement stable doit se caractériser par un degré suffisant de permanence et une structure appropriée, en termes de moyens humains et techniques, lui permettant de recevoir et d'utiliser les services qui lui sont fournis pour les besoins propres de cet établissement, ce qui est le cas en l'espèce. La Cour rappelle qu'il appartient au juge national de vérifier de tels éléments .

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